Didier Van Cauwelaert, La demi-pensionnaire

Didier Van écrit avec un humour décidé des romans courts aux thèmes originaux qui portent sur les contraintes sociales et les handicaps des gens. Celui-ci ne fait pas exception.

La demi-pensionnaire est Hélène, un as de la voltige aérienne devenue paraplégique après un accident. Elle n’a plus rien, plus de famille, plus de mec, seulement une vieille dame, ancienne as de la voltige qui l’a initiée et la recueille chez elle. Madame Edmée Germain-Lamart est connue comme le loup blanc à la Sacem où travaille le narrateur à l’accueil, poste baptisé « renseignements ». Elle vient déposer une partition vierge pour en obtenir des droits d’auteur : la minute de silence. Feu son mari est bien devenu riche avec une Lettre au Père Noël qui lui assure encore des droits réguliers…

Mais elle est considérée comme folle par sa fille Jacqueline, jamais aimée. Il est vrai que la vieille dame pilote d’avion est un brin Alzheimer, elle oublie, elle fantasme, elle se réfugie dans un imaginaire que sa position et sa fortune peuvent lui assurer. Croit-elle. Car sa fille a obtenu sa mise sous tutelle et ne lui assure que le strict nécessaire pour la nourriture.

C’est pourquoi Madame aborde le Renseignement avec cette demande incongrue – mais bien dans le ridicule d’époque qui veut tout monétiser. Le jeune homme de 25 ans lui rappelle un ancien amant d’Hélène, un aviateur militaire, le lieutenant Charles Aymon d’Arboud, mort au combat en Bosnie. Elle l’invite à venir la voir par charité, pour faire la connaissance d’Hélène qui n’a plus de goût à rien et lui redonner, par le choc de la ressemblance, un avenir.

Par défi, et aussi parce qu’il déprime dans son deux-pièces sous les toits solitaire depuis que son matou est mort, Thomas le narrateur « emprunte » un uniforme d’aviateur et se rend à l’invitation, dans un vieil immeuble au bord du bois de Boulogne appelé à être démoli. C’est là, entre deux travelos, qu’il entend Hélène taper du piano et qu’il est invité à dîner. Celui-ci est mémorable : le maître d’hôtel a au moins 70 ans et n’a jamais su faire la cuisine. Il sert des plats sous vide en les baptisant de noms pompeux. En fait lui aussi est déguisé, c’est un ancien ami de Madame qui l’aide dans sa fiction.

Car tout le monde joue un rôle dans cette société d’égoïsme. Le narrateur Thomas joue le rôle de Renseignements alors qu’en vrai il est moniteur de ski, ayant quitté le Grand-Bornand à la mort de son père dans une avalanche, alors qu’il aurait pu le prévenir que l’appel au secours était un canular de jeunes connards. Madame Germain-Lamart joue le rôle de mère pour Hélène, la fille qu’elle aurait voulu adopter, alors qu’en vrai elle ne s’est jamais occupé et n’a jamais aimé sa propre fille Jacqueline. Tous sont des handicapés de la vie.

À trois, ils vont se reconstruire. Hélène va retrouver le goût de vivre dans les bras de Thomas qui va retrouver goût à baiser – et à aimer. Le couple inespéré va sauver Edmée la vieille dame des griffes de la justice et de sa fille, autrement dit de la société et de ses tu-dois.

Didier Van écrit fluide avec des raccourcis ironiques comme celui-ci : « En fait je suis seul au monde à part mon chat ma mère et des putes. Et encore. Le premier se fait vieux la deuxième n’arrête pas de rajeunir, et quand je dis ‘putes’ je suis optimiste » p.18. Mais il s’agit d’une histoire d’émotions et d’amour. A lire sans modération.

Didier Van Cauwelaert, La demi-pensionnaire, 1999, Livre de poche 2001, 221 pages, €7,40 e-book Kindle €7,49


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Catégories : Livres

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