normandie

Port-Racine

Le Renault nous conduit au plus petit port actif de France, Port–Racine. Son nom vient du corsaire François-Médard Racine qui y avait son antre sous Napo Un. Traquant les navires anglais en 1813, il a trouvé à planquer son corsaire nommé L’Embuscade dans ce havre minuscule et isolé de 8 ares. 

Les aussières qui amarrent les canots de longueur de 5.50 m maximum forment un véritable filet par-dessus les jetées perpendiculaires. Prévert aimait beaucoup cet endroit.

Deux jeunes garçons se baignent et ressortent ruisselants mais bronzés.

L’une d’entre nous, se préoccupe d’un petit dans les 6 ans, en gilet de sauvetage, qui porte fièrement les rames du canot de son papa. Lequel l’embarque pour aller au large à la rame, jusqu’au dinghy à moteur amarré à une bouée. Ils reviendront avec et le petit rejoindra un plus grand, dans les 9 ans tout blond, resté avec le grand-père. Sans doute des sociétaires de l’association qui gère le petit port.

Nous prenons le pique-nique sur les galets au bord de l’eau, le long de la digue. Il s’agit cette fois d’une pizza froide toute faite au chèvre et tomates (un brin molle et fade), d’une salade de couscous aux pois chiches avec oignons doux et menthe, d’une part de melon jaune et d’un fromage du Mont-Saint-Michel. En apéritif, offert par la guide, du pommeau de Normandie. Avec le fromage, nous buvons le reste de Gaillac car le groupe est très sobre et n’a pas fini la bouteille hier.

Le voyage se termine à Port-Racine, ce fut un grand bol d’air pour pas cher en temps de pandémie.

FIN

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Auderville

Nous partons pour ce village où la SNSM a installé son bateau apte à intervenir sur les dangers du raz Blanchard dont le courant peut atteindre 12 nœuds. Protégé dans un bâtiment en forme de tour octogonale, deux rails perpendiculaires lui permettent par une plaque tournante de sortir par tous les temps et quelle que soit la marée. Le phare de Goury (ou de la Hague) depuis 1837 s’érige toujours en bâton mâle au-dessus des flots, cette fois écumants. Car il y a du vent, un bon force six à sept car cela moutonne fort sur la mer.

Nous suivons le sentier du Cap de La Hague, « le bout du bout » selon la formule à la mode de la guide. Le vent nous fait pleurer et empêche quasiment toute conversation. Nous comprenons tout l’intérêt des murets de pierres sèches qui brisent le souffle asséchant et retiennent l’humidité. Mais, dans un chemin creux qui remonte, la guide croise un organisateur dans l’Aubrac pour qui elle a travaillé. Le lascar aux dents écartées, « en récup », ne tarde pas à nous faire de la retape pour son coin de campagne, évidemment « très beau » comme il se doit.

Nous marchons environ 3h30 avec le retour par le village d’Auderville et le sémaphore de la Marine nationale où Edouard Branly (le fameux du quai parisien) a lancé ses premiers essais du télégraphe sans fil en 1902. Dans le village d’Auderville, la guide nous montre la maison de Paul, le héros du biopic Paul dans sa vie réalisé par Rémi Mauger en 2004, prix du meilleur documentaire du Syndicat français de la critique de cinéma en 2006. Paul Bedel est mort à 88 ans en 2018 ; il avait rencontré Jacques Chirac, l’amateur du cul des vaches, à l’Elysée.

Sur le souvenir de Miss M., quelqu’un lui en a parlé, nous visitons le tunnel du hameau de Laye, construit dans la falaise par les Allemands durant la dernière guerre. Il servait à abriter les ouvriers chargés d’élever les blockhaus. Il comprenait trois chambres qui sont aujourd’hui fermées au public – par sécurité, principe de précaution oblige – mais aussi pour préserver les chauves-souris qui y nichent et qui détestent être dérangées durant leur sommeil le jour. Six espèces, insectivores et protégées, cohabitent en toute tranquillité. Nous passons dans le tunnel obscur, éclairés par les lampes de téléphones mobiles. Hors le frisson du noir, ce tube de béton brut n’a aucun intérêt.

Le vent est toujours à décorner les bœufs et, passé le sémaphore, une dunette de galets rend la fin de marche pénible. Le vent en courant d’air constant non seulement nous aveugle de larmes mais nous déporte tant il est fort. Des oiseaux passent dans le ciel et s’amusent. Miss M. en profite pour citer le sketch des Inconnus sur la Gallinette cendrée, mais l’assistance semble être trop jeune pour se souvenir de ce morceau d’anthologie. Face au Far, un monument et une croix aux sous-mariniers morts pendant la guerre de 14 s’élève. Le sous-marin a éperonné un cuirassé ici même.

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Maison Jean-François Millet

Au hameau de Gruchy, dans la commune de Gréville–Hague, la maison natale de Jean-François Millet fait partie des sites et musées du département de la Manche. Depuis le parking, la rue en pente conduit sur la gauche à l’ancienne ferme à une centaine de mètres. A la sortie du parc est érigé le visage en bronze du barbu par Marcel Jacques en 1898. Fondue en 1941, c’est désormais une copie. Elle comporte deux dates : 1814-1875 – à peine un demi-siècle ; cet homme est mort trop tôt, à 60 ans. Il est de taille moyenne mais robuste, à encolure de taureau, très velu et barbu, les yeux bleus peu ouverts mais vifs, selon un critique du temps.

C’est dans cette Maison au puits – où le puits a disparu – qu’est né premier fils le peintre Jean-François le 4 octobre 1814 dans une famille paysanne très pieuse. Le hameau ne comportait alors guère plus de vingt à vingt-cinq familles. Il vit enfant en fermier, berger puis laboureur, il habite l’étage car le rez-de-chaussée était réservé au commun, et aide aux travaux des champs jusqu’à 20 ans. Il est envoyé à Cherbourg apprendre le dessin, puisqu’il est doué, auprès de Paul Dumouchel de l’école de David. Il monte à Paris grâce aux aides du conseil municipal de Cherbourg et du conseil général de la Manche en 1837 pour étudier aux Beaux-Arts. Ce n’est qu’à 26 ans que son Portrait de Madame Lefranc est sélectionné au Salon de 1840 ce qui lui permet d’entamer une carrière de peintre. Il se marie, sa femme meurt de tuberculose ; il se remarie à Cherbourg avec une ancienne servante, Catherine, et lui fait neuf enfants. Quiconque aime la vie et l’humain aime les enfants.

Il peint des enfants mignards et des femmes nues, ce qui lui permet de vivre modestement. C’est en 1848 avec Le Vanneur qu’il commence ses tableaux paysans, frappé par la misère à la terre sous Louis-Philippe. Il s’installe à Barbizon en 1849, à 35 ans, et ne revient qu’en de rares occasions dans son village. Sa famille n’était pas pauvre, son père possédait une dizaine d’hectares, et des grands oncles étaient lettrés, prêtre ou profs.

Une tempête de 1866 mettra à bas le vieil orme « rongé du vent » que l’enfant affectionnait au bout du village, vers ces « espaces qui m’avez tant fait rêver quand j’étais enfant », écrit-il dans une lettre à son mécène Alfred Sensier du 3 janvier 1866. Un espace qui demeure, une fois passé le hameau, un espace qui me fait rêver aussi. Une atmosphère de Club des Cinq, lecture d’enfant qui m’a marqué à vie. Une même atmosphère vivifiante de mer et de vent, de prairies odorantes et de vagues au soleil, une amitié en bande, tout un univers affectif lié au paysage, à l’espace. Au loin la mer infinie dans un ciel à perte de vue jusque dans l’au-delà perdu dans la brume.

Contrairement à celle de Prévert, la maison Millet comporte des objets du temps notamment un vaisselier, un rouet et une cheminée dans la salle commune. Les travaux agricoles et domestiques y sont évoqués non seulement par des peintures mais aussi par des instruments aratoires à l’étage. Pour 3 €, avec la réduction du Passe permis par notre première visite à Prévert, il y a plus de choses à voir et qui sont mieux présentées.

J’avoue qu’avant de regarder un court reportage de télévision sur ce village et ce peintre, je ne connaissais pas Jean-François Millet, sauf par l’Angélus très célèbre et les Glaneuses. L’Angélus est le symbole de la mentalité paysanne de la IIIe République, l’ordre éternel des champs, la régénération par les campagnes après l’humiliante défaite de 1870 : la terre ne ment pas, symbole de la patrie charnelle et de sa morale de l’effort obstiné et de l’épargne – thèmes que reprendra Pétain sur ses vieux ans. Le tableau figurait à ce titre dans les manuels du primaire. Quand l’Angélus part aux Etats-Unis, c’est un arrachement – mais aucun bourgeois français n’en a voulu. Toute une salle lui est consacré, montrant combien la peinture a dépassé le peintre et s’est déclinée sur différentes choses de décoration courante telles les porcelaines, les boules de mariage, les assiettes et même les statues en bronze pour les cheminées des maisons bourgeoises.

Diverses reproductions de tableaux figurent avec leurs explications car les originaux sont le plus souvent à Boston ou dans d’autres musées américains. D’amusants panneaux en fer découpé ornent le pied des maisons du hameau de Gruchy en souvenir des peintures de Jean-François inspirées par la vie paysanne lorsqu’il revenait chez lui. Ainsi la Maison au puits, située en face de la ferme Millet, fait figurer un petit enfant en train de pisser tout nu que sa mère tient par la chemise relevée. Une autre scène montre trois petites filles prêtes à goûter. Millet est un peintre qui aime le réel et qui aime l’humain.

Il est aussi spiritualiste, selon Barbey d’Aurevilly cité sur un panneau : l’Angélus n’est pas réalisme mais réalité – ce qui comprend aussi le spirituel. Les paysans ne sont pas des brutes, même s’ils sont frustes, ce que ne peut accepter le snobisme arriviste des intellos du temps qui voulaient se distinguer du commun. Le paysan comme mythe ou héros est inconcevable, c’est renier l’antique, le classique, le bourgeois qui veut s’élever. Et pourtant cela est – d’évidence. D’où la haine irrationnelle, sociale, des critiques d’art contemporains de Millet. Les Glaneuses, c’est la distance sociale révélée d’un coup d’œil, le travail, la misère non misérabiliste, l’honneur du labeur.

Nous dînons au restaurant à Omonville-la-Rogue comme hier, mais pas au même endroit. Bien que toujours sur le port, il s’agit cette fois du Café du port, nettement plus relevé. Un goéland massif, bien planté sur ses pattes, semble surveiller l’endroit est c’est en effet ce qu’il fait car Jojo le goéland, sauvé de la famine, empêche les autres oiseaux voraces de venir piquer les consommations des gens en terrasse. Le menu est à 29 €, plus cher de 7 € qu’hier, mais nettement meilleur. Cela dans un décor plus intime et boiseries à l’étage. Mon choix de menu comprend six huîtres de Saint-Vaast, le cabillaud du jour servi au gratin dauphinois et merveilleusement cuit, un moelleux au chocolat avec une boule de glace. Accompagné d’une bière normande artisanale bio ambrée de la brasserie de Sutter à Gisors. Elle est facturée au restaurant 6 € contre 3.10 € en boutique, doublement normal des produits. C’est l’Ictis à la tête de chat – « révélons l’animal qui est en nous » est-il gravé sur la bouteille. Elle titre 6.2° et se révèle fort agréable, l’avoine apporte de la douceur. L’oncle, la tante et la nièce prennent chacun une coupe de champagne.

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Eculeville

Le Renault nous emmène jusqu’au village de Jean-François Millet, Gruchy, d’où nous partons par le sentier du littoral sentir les paysages, l’atmosphère et les points de vue favoris du peintre lorsqu’il revient chez lui. Nous pouvons y observer les champs à flanc de pente, les rochers à fleur d’eau sur la mer, quelques stations indiquées par des panneaux dans les endroits remarquables.

La végétation est de lande ou de chemin creux boueux où pousse le sureau, les ronces aux mûres pas encore mûres, mais surtout le chèvrefeuille odorant qui persiste plus qu’ailleurs. Quelques montées et descentes, mais moins qu’hier. En revanche, plusieurs passages dans la gadoue jusqu’aux chevilles, que la guide essaie de négocier à l’aide de ces fameux bâtons qui ne servent pas à grand-chose dans les chemins encaissés. Nous longeons les ruines d’un gabion de douanier dont il ne subsiste que les fondations. Plus loin, en revanche, c’est une véritable maison en dur dissimulée sous les arbres qui servait de planque aux douaniers chargés de surveiller la mer du 17ème au début du 20ème siècle, et notamment les barques de contrebande qui allaient, de nuit, livrer du calva contre du tabac aux îles anglo-normandes en face.

Il fait grand soleil et peu de vent. Les voiliers sont de sortie, comme des kitesurfs accompagnés d’un canot à moteur. Nous apercevons de loin le restaurant d’hier soir au port du Hable. Un amer artificiel peint en blanc est une sorte de mur sorti de nulle part, aussi carré que les monolithes du film 2001 Odyssée de l’espace. La guide aperçoit une fauvette, entre autres oiseaux perchés sur les buissons.

Nous pique-niquons au manoir du Tourp, une ancienne ferme fortifiée contre les brigands des 15ème et 17ème siècles, rachetée et restaurée par le Conservatoire du littoral et désormais gérée par la communauté des dix-neuf communes de La Hague. La tour circulaire empêchait les assaillants de progresser rapidement ; il n’en reste que les bases. Trois meurtrières sont encore visibles sur le mur arrière de la moderne médiathèque ; elles servaient à observer sans être vu et à tirer à l’arc tout en étant préservé. La surveillance extérieure était permise par une échauguette en hauteur sur le mur d’enceinte. Une magnifique haie d’hortensias bleus flanque l’entrée de la ferme disposée en carré.

La salade de la guide est cette fois au boulghour et il y a des sardines en boîte ainsi qu’un fromage de Neufchâtel-en-Bray. La guide sort un Gaillac rouge pour l’accompagner. Elle a une liste de menus standards composés pour serrer les prix, qu’elle applique scrupuleusement chaque jour. Hors de la liste, elle n’est pas grande cuisinière et cherche des idées de nouvelles salades. Nous lui suggérons les lentilles.

Une exposition de photos en plein air d’une artiste de Valenciennes raconte le tour du Cotentin à pied par les sentiers. J’y prends quelques renseignements. Trois gamins d’une famille en pique-nique, entre 5 et 9 ans, jouent « aux Français et aux Allemands », autrement dit à la guerre. C’est ce que me dit la petite fille d’âge intermédiaire entre ses deux frères. Ils ont dû visiter avec les parents les plages du Débarquement.

Nous repartons en montées et en descentes dans la forêt par un chemin ruiné où les pierres roulent sous les chaussures. Cela jusqu’au plateau où une route nous fait rejoindre le parking et le village de Jean-François Millet. Entre-temps, nous passons devant l’église d’Eculeville où le Tout-Paris semble enterré dans le cimetière. Les noms sur les tombes sont en effet principalement des Paris. La guide nous fait regarder une vidéo du groupe local folklorique La Rue Kétanou tournée à Omonville-la-Rogue au Café du port où nous avons dîné hier. La chanson qui l’accompagne s’appelle Le capitaine de la barrique.

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Maison de Jacques Prévert

Nous rejoignons le parking sur la baie d’Escalgrain pour des étirements en plein vent devant les spectateurs qui ne cessent de passer sur la route, et un verre de cidre offert par la guide. Le Renault nous ramène à Omonville-la-Petite avant 18 heures, heure de fermeture, pour voir la maison de Jacques Prévert. Nous rentrerons à l’hôtel à pied, il n’est guère qu’à 500 m de là.

Le poète, qui a connu le cap de La Hague dans les années 1930, a passé ici les dernières années de sa vie. Il achète la maison en 1970 et termine son existence par un cancer du fumeur en 1977, à 77 ans. Il effectue les travaux conjointement avec son ami décorateur de cinéma Alexandre Trauner qui n’habite pas très loin. Tout commence par un beau jardin ombragé aux hortensias blancs et roses, aux agapanthes dressées et à la rhubarbe géante gomera du Brésil. Un grand arbre ombrage la pelouse pour les heures chaudes. Trois petits mulâtres excités courent sur la pelouse, régentés par une matrone blanche. La maison est petite, nichée au fond et précédée d’une allée de graviers blancs. La façade est de grès gris de Normandie, courante dans le village.

L’intérieur est en revanche décevant. Il n’y a plus aucun meuble, seulement de rares photos d’enfance avec son frère Pierre, des panneaux d’exposition sur le cinéma, quelques dessins. A l’étage sont des poèmes tapés à la machine que l’on peut voir accumulés dans les tiroirs. Dans les années 1930 et 1940, Jacques Prévert créait les scénarios et Pierre Prévert la mise en scène de films bien oubliés sauf ceux réalisés par Marcel Carné (Drôle de drame, Quai des brumes, Le jour se lève, Les visiteurs du soir, Les enfants du paradis).

Une grande salle au rez-de-chaussée est ouverte sur le jardin fleuri, deux chambres à l’étage dont la chambre d’ami toute petite et celle de Jacques Prévert dont un mur entier est formé de placards. L’une des portes ouvre sur la salle de bain ce que l’on ne peut même pas voir. Un bureau lumineux comprend une longue table sur tréteaux où figurent des dessins tandis qu’autour pendent des décors accrochés au plafond devant une cheminée dessinée par un artiste. Un ange en bois clairement sexué virevolte au-dessus des têtes, niant les débats sur le sexe des anges : il est ici nettement masculin. L’une d’entre nous collectionne les anges et les images de sainte Thérèse de Lisieux.

La cuisine a été rajoutée à l’arrière de la maison dans un ancien chemin. Elle n’est qu’en rez-de-chaussée avec une verrière pour l’éclairage et visible depuis les fenêtres de l’étage. L’entrée est à 5€ et c’est assez trompeur car ne figure ici rien de personnel. Tout ça pour ça… L’intérêt principal du Patrimoine semble être la boutique de vente des œuvres de Prévert et de souvenirs, et les expositions temporaires. Une vidéo d’une dizaine de minutes rappelle la vie et l’œuvre de Jacques Prévert.

Nous sommes trois à aller directement au cimetière, devant l’église Saint-Martin. Cet évêque sanctifié de la ville de Tours, qui a partagé son manteau avec un pauvre, est le patron du lieu et même l’anse face à l’hôtel s’appelle Saint-Martin. La façade de l’hôtel comporte d’ailleurs en référence un panneau de pierre gravée représentant Saint-Martin à cheval, coupant de son épée son manteau en deux devant un pauvre hère entièrement nu.

Jacques Prévert, mort d’un cancer du poumon pour avoir fumé comme un pompier en rut, repose juste à l’entrée du cimetière avec sa femme Janine morte en 1993 et leur fille Michèle, décédée en 1986. Des stèles de pierres dressées sont gravées de leurs noms peints en vert. Au bas est un jardin planté de fleurs. De petits cairns de la superstition à la mode anglo-culcul sont agencés sur les dalles dressées par les touristes qui disent ainsi « je suis passé ». L’église, restaurée en 2012, est lumineuse mais austère. Les vitraux sont modernes. Et le masque obligatoire même quand il n’y a personne.

Nous apprendrons le soir que la mère de la patronne de l’hôtel a connu Nénette, la lavandière devenue bonne à tout faire des Prévert. Des gens célèbres ont fréquenté notre hôtel de La roche du Marais et des affiches dédicacées le rappellent.

La soirée est au restaurant pour manger des « moules–frites », réclamées paraît-il par un groupe une année précédente. Drôle d’idée. Il y a autre chose pour ceux qui n’aiment pas les moules ou ceux qui n’aiment pas les frites, ou ont peur de grossir. Le Renault nous conduit donc sur le parking d’Omonville-la-Rogue au Mar-Bella, restaurant tenu par Gabin Garcia face au port du Hable. Il y a des moules et des frites mais aussi des poissons (du jour ou non) à la plancha. La cuisine est plutôt méditerranéenne bien que l’on propose deux sortes de moules, à la normande avec de la crème, ou marinière classique au vin blanc (on lui a montré la bouteille plutôt que d’en verser dedans). La bassine de moules est bien servie et le saladier de frites de même. Je prends une bière pression Grimbergen avec tout cela, mais pas de dessert. La nourriture et l’alcool mettent en joie les filles. C’est la grosse rigolade avec Miss M. en vedette, toujours à chercher à quelle actrice ressemble Unetelle ; les hommes sont épargnés, faute de références peut-être. Nous sommes assez fatigués et, en ressortant, le froid nous saisit bien qu’il fasse doux pour la saison.

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Nez de Jobourg

Après le petit déjeuner-buffet à l’hôtel, le Renault nous emporte en 20 minutes sur un parking proche de Jobourg. Nous suivons le sentier de la falaise. Il y a du vent et quelque pluie mais le vent chasse les grains et le soleil apparaît assez souvent. Nous partons à pied de la baie d’Ecalgrain, dont le nom vient des graines « écalées », ce qui veut dire moulues, en référence aux moulins-à-vent qui autrefois peuplaient cet endroit à l’atmosphère très agitée. Nous aurons d’ailleurs du vent à l’arrivée comme au retour. Nous voyons sur la mer le phare de Goury dressé comme un dard viril autour des friselis des vagues. Le ciel est très bleu donc la mer aussi aujourd’hui.

Après le Nez de Voidries qui limite la baie d’Escalgrain, le Nez de Jobourg, 127 m au-dessus de la mer, ressemble à un vieux saurien assoupi, le bec dans l’eau. Il fait un dragon plus plausible que les fameux mugissements qu’évoquait la guide hier. Le saint a pu enchaîner bien mieux le dragon de pierre que les bruits de la mer – d’autant que les trois grottes sous le cap servaient aux contrebandiers qui avaient intérêt à entretenir la terreur. Au large, le raz Blanchard s’étend entre la Hague et Aurigny l’anglo-normande, dont nous apercevons la silhouette engourdie dans la brume. Nous croisons des familles, des couples dont un jeune avec un énorme chien allemand de race Leonberg qui ressemble à un ours et peut peser jusqu’à 80 kg. Ce croisement de Terre-Neuve et de Saint-Bernard nage très bien et sert au sauvetage en mer, nous dit la fille, ayant ramené dans sa gueule un bateau rempli d’une dizaine de personnes à l’entraînement. Il serait assez sociable et patient avec les enfants.

Nous faisons le tour du Nez (du norrois nes qui veut dire « cap »), qui n’est pas accessible aux promeneurs. De dos, il figure vraiment une colonne vertébrale terminée par une tête serpentine. Planent dans le ciel, en se jouant des courants de l’air, « les trois sortes » de goélands selon la guide (le grand, l’argenté et le marin), des mouettes (qui sont en fait des goélands plus petits), des cormorans huppés, des fulmars et même des fous de Bassan qui plongent à pic dans l’eau pour piquer un poisson. Nous avons vu un épervier crier sur la falaise. Le cap est une réserve ornithologique protégée.

Nous pique-niquons après le Nez en descendant sur une plage peu accessible. La guide a tracé un sentier dans les herbes et la gadoue qui vient se jeter la dans la mer. La copine en profite pour rouler sur les galets les quatre fers en l’air, sans aucun mal heureusement. La guide nous a préparé cette fois-ci une salade de tomates poivron vert, olives noires, féta et aneth (pour changer du basilic ?). Elle a acheté des tranches fines de rosbif à placer entre deux tranches de pain avec un peu de moutarde. Nous avons des chips, du camembert, une compote de pommes chacun, plus le petit tube de café moulu à diluer dans l’eau chaude. Une famille avec deux ados, une fille de 15 ans et un garçon de 13 ans, viennent croquer un sandwich sur les rochers à côté. Les ados, évidemment munis de smartphones, font des vidéos de la mer et des vagues ou des photos des parents. Ils sont blonds, vikings et plutôt sages.

Au loin sur le plateau, nous pouvons voir en contre-jour les tours du centre de retraitement du combustible nucléaire usé de La Hague, inauguré en 1966 et exploitée désormais par Orano. Plus vers le sud, nous pouvons entrevoir Flamanville où se construit depuis fin 2007 la centrale nucléaire EPR de nouvelle génération. Elle n’est que la troisième tranche de réacteurs à eau pressurisée dont deux sont en service depuis 1986 et fournissent chacun une puissance de 1330 MW sur le réseau électrique. La prochaine tranche en fournira 1650… quand toutes les questions et tous les problèmes seront (enfin) résolus !

Nous quittons le GR côtier pour bifurquer vers le plateau. Le sentier devient vite en chemin creux ouvert sur la lande. La guide nous montre les roches de gneiss icartiens datant du Précambrien il y à 2 milliards d’années, les plus anciennes affleurant en France. Les bruyères en fleur font un tapis mauve plus bel effet milieu du genet européen dit « à balais » déjà fané et des genets épineux aux fleurs jaunes éclatantes. Quelques digitales pourpres, des orchis et de la guimauve complètent la palette de couleurs au milieu des fougères et de l’herbe rase. Dans le sentier encaissé et caillouteux, les bâtons sont non seulement inutiles mais embarrassent.

Après le « Hameau Mouchel – Croûte à l’âne », dans un petit village paysan aux maisons de grès de plus en plus restaurées en résidences secondaires, probablement le village de Jobourg, un four à pain est entretenu par le Patrimoine. Une fenêtre permet de voir la voûte en terre réfractaire. La guide engage la conversation avec un moustachu qui n’est pas d’ici mais possède un bateau dans le port le plus proche. Il est accompagné d’une femme d’un certain âge qui jardine et d’une autre plus jeune au beau bébé blond qui cligne des yeux au soleil, un vrai petit Normand. La femme nous ouvre la porte du four à pain avec une clé, ce qui nous permet de voir la réserve de bois et l’entrée du four. L’endroit se visite mais il n’y a pas grand-chose à dire. Le moustachu dit que ce four « conservé » ne sert qu’aux yeux des (rares) touristes et déclare faire du pain dans sa cocotte-minute en bateau, ce qui est assez courant chez les marins mais étonne encore les citadines. Une fois la pâte préparée, pétrie et reposée (une nuit), il faut la poser dans la cocotte-minute huilée et faire lever à feu très doux une demi-heure. Puis fermer la cocotte et cuire 30 min toujours à feu très doux, sans la soupape. Ouvrir, ôter le pain, huiler à nouveau le fond, refermer et cuire l’autre coté à nouveau 30 min. L’essentiel est le feu très doux, le temps de cuisson peut être allongé. Le pain n’a rien à voir avec la baguette sortie du four mais ressemble plus à une sorte de pain de mie anglais.

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Bricquebec

Après la Maison du biscuit, nous faisons une pause à Bricquebec. Nous avons le temps d’aller visiter l’extérieur du château et les alentours pendant que la guide fait les courses au supermarché pour le pique-nique du lendemain.

Le château remonterait à l’époque viking, ce qui est de mythologie courante en Normandie. Le premier seigneur attesté remonte au XIe siècle avec Robert le Tort (le tordu, boiteux) sous Guillaume. Le huitième Robert de la lignée dit chevalier au Vert Lion, au XIVe siècle, effectuera des missions pour le roi de France qui le fera maréchal en 1325. Le château est propriété anglaise de 1417 à 1450 après l’invasion.

La cour intérieure, dont une partie fait hôtel, l’Auberge du Vieux Château, est entourée d’une enceinte fortifiée des 14ème et 15ème siècle. La motte domine de 17 m le reste de la ville mais on ne peut plus monter au donjon, condamné par sécurité.

Dans la cour, face à la cabane en bois de l’Office du tourisme, gît une bizarre Pyramide de mémoire réalisée par Pascal Morabito. Une resucée à la mode du Louvre choisie par Mitterrand avec du sable de la plage d’Utah et des douilles, casques et éclats d’obus de la dernière grande guerre coulés dans du béton. L’érosion est censée mettre à jour les débris métalliques qui vont tomber peu à peu (« prière de les rapporter à la Mairie » est-il écrit). C’est d’assez mauvais goût selon moi mais Miss M. apprécie le côté directement « accessible » d’un tel art. Cela élève-t-il l’âme ?

Nous dînons à l’hôtel d’une salade de tomates du jardin accompagné de billes de mozzarella et de basilic, au vinaigre balsamique. Puis une part de cabillaud sur du riz à la crème avec malheureusement trop de crème. Pour finir, des tartelettes normandes caramélisées au fer tout-à-fait délicieuses. Ce n’est pas le jeune serveur blond qui les a cuisinées cette fois-ci, bien qu’il ait suivi un CAP de pâtissier, mais la patronne elle-même. Fils d’amis de la massive hôtelière, il n’a pas achevé son CAP de pâtissier à quatre mois près, son patron se montrant tyrannique. Il a bifurqué vers un BEP d’électricien. Il travaille habituellement l’été au restaurant de l’hôtel mais va, cette année, aller passer son mois d’août en Corse. Le serveur du matin, que je prenais pour son frère en raison d’une morphologie proche, ne lui est pas apparenté ; il s’appelle Paul et suit des études d’ingénieur. Il est vrai qu’avec le masque, seule la silhouette émerge.

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Maison du biscuit

Nous prenons le Renault jusqu’à Sortosville-en-Beaumont, hameau Costard, et sa Maison du biscuit. C’est une fabrique artisanale renommée dans le coin, ouverte sept jours sur sept et qui a essaimé en produits alimentaires de luxe, pas seulement normands, allant de la charcuterie aux thés et aux alcools, en passant par les sardines en boîte, le miel, les confitures et même la porcelaine.

Je note le Meuh cola, une limeuhnade artisanale de Normandie créée en 2010 par Sébastien Bellétoile et fabriquée avec de l’équitable et du bio pour les extraits végétaux de plantes aromatiques (sans caféine). Je signale le Calvados de luxe à 23 € les 35 cl, le whisky d’orge « normand » titrant 42° appelé Thor Boyo à 44 € les 70 cl (pour le prix, j’espère que ce n’est pas l’assommoir que son nom suggère), le vinaigre de cidre plus raisonnable à 3.20 € les 50 cl, les soupes de poisson et les rillettes de poisson sans oublier, bien sûr, les incontournables financiers, sablés et cookies de la fabrique.

Il y même les conserves de viande du Petit-Chemin dans la Somme. Nous ne sommes pas seuls, il y a foule, tous masqués mais dans un lieu étroit peu aéré. C’est une sorte de Disneyland de la bouffe avec des façades reconstituées « vintage ».

Les produits sont entassés en piles et en rangées, classés par thèmes, donnant une impression d’opulence et de profusion. La lumière est tamisée pour rappeler une caverne d’Ali baba ou un pub anglais. Sur l’extérieur, les façades des « boutiques » reproduisent les enseignes anciennes, le café Mlle Odilon pour les « vins du patron », la Galerie moderne pour la bimbeloterie, A la ménagère pour les porcelaines, la crèmerie « rue des Dr Burnouf, biscuitologues », La Maison bleue pour les jeux et les « grands enfants ». Un salon de thé permet de se poser mais il est plein lui aussi comme un œuf. Les affaires marchent.

Sur le parking, en attendant les dépensières, nous avons la vision de grosses cuisses nues par la portière ouverte d’une voiture banale immatriculée dans la Manche. La femme impudique à un maillot mini et remonte ses pieds nus sur le tableau de bord, dégageant le rose gras de ses extrêmes jambons jusqu’à la fente. Miss M., qui l’a évidemment remarquée, en fait tout un discours pendant une dizaine de minutes. Cela ne choque guère qu’elle, pas même les gens à gosses qui se garent ou repartent.

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Phare de Carteret

Depuis la table d’orientation, nous pouvons contempler le panorama des dunes et de la mer que la marée fait reculer quelque peu. Nous descendons pique-niquer sur la plage immense par une coulée entre deux dunes. Des promeneurs erratiques ponctuent le paysage, parfois avec un chien ou un enfant.

Deux parapentistes en couple s’entraînent depuis la dune au-dessus en profitant du vent du large. Un voilier serre le vent d’un bord, puis de l’autre. Des cormorans sont regroupés en apostrophes noires sur l’estran, jacassant ou faisant sécher leurs ailes au soleil.

Seules deux filles vont se baigner. Elles trouvent l’eau froide mais entrent et y restent le temps que nous engloutissions notre pique-nique presque en entier. Nous déjeunons de salade de riz au thon, d’une demie boîte de maquereaux à la moutarde par personne, d’une part de pont-l’évêque de marque Graindorge (« une valeur sûre » selon la guide, qui est du coin), d’une banane, et de café en poudre avec de l’eau chaude apportée en thermos.

Nous reprenons la plage, toujours en marche nordique. La guide fait un test pour savoir si nous avons assimilé : nos traces doivent montrer que les pointes des bâtons sont exactement au milieu des pas que nous formons. Un grain visible au large depuis plusieurs minutes nous rattrape et nous tombe dessus. Ce n’est pas une forte pluie mais elle mouille.

C’est sous l’église de Saint-Germain le Scot, en ruines, que nous quittons la plage dit « de la vieille église » pour grimper sur le plateau par le sentier qui serpente. Venu d’Écosse, l’évangélisateur aurait maté un dragon. Selon la guide, la mer qui mugissait sourdement en se précipitant dans les grottes effrayait les villageois. Nul ne sait comment le saint a pu rendre inoffensif un bruit qui est resté le même après son intervention : le dragon, une fois mort, aurait dû cesser tout mugissement. L’église a été abandonnée parce que trop excentrée et n’offre plus que les trous béants des ouvertures et quelques murs dont ont été récupérées les meilleures pierres pour bâtir le village. Le grand corbeau et le faucon pèlerin nichent dans le coin.

Trois dates normandes à retenir selon la guide : 911, le traité de Saint-Clair-sur-Epte qui a fait donner le duché par le roi des Francs, Charles le Simple à Rollon ; 1066, où Guillaume le conquérant devient roi d’Angleterre en vainquant le roi anglo-saxon Harold ; 1204, le rattachement du duché de Normandie à la France par Philippe-Auguste. Miss M., toujours à en rajouter, évoque 1120 et la Blanche nef, avec le naufrage et la noyade dans le raz de Barfleur de Guillaume et Richard, héritiers directs du roi Henri 1er d’Angleterre, descendant de Guillaume. Ken Follett, dans Les Piliers de la terre, en fait un ressort de l’intrigue.

Nous suivons le sentier de falaise vers Carteret avec une vue sur les couleurs de l’herbe, des rochers, du sable et de l’eau. Je ne me lasse pas du paysage et de ses contrastes, le bleu de l’eau, le blanc du rivage, le jaune du sable, le brun du roc, le vert de l’herbe. Des silhouettes menues et quasi nues s’agitent sur une langue de sable qui s’avance dans la mer, dans l’écume des vagues ; je distingue deux mâles et une palanquée de petites filles avec un seul petit gars ; les femmes sont en avant à surveiller l’aîné avec sa planche de surf qui s’essaie tant bien que mal à tenir dessus.

Carteret se signale par l’alignement de ses cabines de bain blanches aux toits pointus de diverses nuances de gris. Au-dessus du cap de Carteret, le phare est une « maison-phare » construite en 1839 sur la falaise pour guider les bateaux jusqu’au port et leur éviter le « passage de la déroute ». A moitié détruit par les Allemands à la fin de la dernière guerre, il a été automatisé en 1976 mais reste avec un gardien jusqu’en 2012. Il se visite mais nous n’avons pas le temps de monter ses 58 marches pour contempler la mer de 85 m en surplomb.

Nous n’entrons pas dans le village mais prenons une côte goudronnée qui nous reconduit jusqu’au parking où nous effectuons cette fois les étirements requis au soleil brutalement revenu.

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Cap de Carteret

Il est sympathique de se retrouver pour le petit-déjeuner. Nous sacrifions aux rites du masque et du gel pour tout, ce qui est agaçant et peu nécessaire en ces circonstances. Mais il est vrai qu’il y a très peu de rhume et de gastro-entérite depuis la survenue du Covid. Les « gestes barrières » sont bien utiles à l’hygiène.

Nous avons cette fois trois quarts d’heure de Renault pour parvenir au parking au-dessus de Carteret. Nous nous échauffons avec les bâtons sous les yeux des badauds trop gras qui nous prennent pour des sportifs.

Nous partons par le sentier des dunes d’Hattainville et de Carteret. Ces dunes, formées par le vent qui emporte le sable de la plage, ont avancé d’un kilomètre et demi dans les terres. Jusqu’à la fin du Moyen-Âge, les paysans coupaient régulièrement l’oyat pour en faire des balais, des paniers, des nattes et rembourrer leurs toits, ce qui a laissé le sable à nu. L’air a élevées les dunes de 90 m et les a repoussées loin du rivage, obligeant à abandonner régulièrement les villages pour les rebâtir plus loin ! Ce n’est qu’au XVe siècle que les proto écolos ont compris qu’il valait mieux laisser l’oyat fixer la dune et ont décidé « d’interdire » (mot-fétiche de tout écolo à la française) leur récolte.  

Le ciel est gris, le crachin est minime et intermittent. Nous pourrions nous croire en Irlande. Le sentier borde l’herbe où s’étendent comme un tapis des fleurs mauves, bleues, jaunes. Il y a des euphorbes aux fleurs vertes, des carottes sauvages, des œillets des Chartreux rose vif, de la bruyère violette et rose, des scabieuse bleu mauve et quelques achillées millefeuilles cicatrisantes.

Les lapins de garenne grattent des entrées de terrier à peine esquissée en plein milieu du sentier, on se demande pourquoi. Les trous plus avancés sont précédés de petites crottes révélatrices. Mais certains terriers sont trop gros pour des lapins et sont probablement de renard, comme nous le verrons sur le panneau d’information un peu plus loin. Le « renard des dunes fourrées » sévit ici, malgré Miss M. qui n’y croit pas. La table d’orientation d’Hattainville, bien au-dessus de la mer et des dunes, le confirme. Ce n’est pas parce que M. n’a pas vu le renard qu’il n’existe pas.

Des sas en bois anti-bétail rompent le chemin. Il n’est pas toujours facile de les passer avec le sac sur le dos tant ils sont étroits. Mais M. a décidé de passer à deux avec une copine ; elles ont failli rester coincées.

Du haut de la dune, une centaine de mètres au-dessus de la mer, nous pouvons apercevoir Guernesey en face, deviner Serq et voir les rochers du Rit.

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Plage de Vauville et dunes de Biville

De nombreuses caravanes, tentes et camping-cars sont installés tout au bord de la plage de Vauville, longue de 7 km, en plein vent. Deux gamins vont se baigner au soleil malgré le vent. L’eau n’est guère qu’à 12° et elle semble vivifiante à leur chair préadolescente puisqu’ils restent torse nu même après être sortis de la vague. Nous marchons longuement sur la plage horizontale, dans l’anse désolée de Vauville, face au ciel immense ponctué des petites virgules des oiseaux de mer et des quelques flocons de cumulus qui traînent.

Un blockhaus effondré est peinturluré de slogans antinucléaires. La face montre un monstre tentaculaire. Un côté figure un visage avec le nez peint sous la visée rectangulaire. Le béton artificiel n’a pas résisté un demi-siècle à la montée des eaux et aux assauts de la mer. La laisse attire des oiseaux particuliers ronds comme des galets, les trois gravelots marrants au loup noir sur les yeux comme un masque de Venise : le grand, le petit et celui à collier interrompu. Ils avalent les puces de mer et autres insectes qui prolifèrent sur la pourriture. Ils nidifient directement sur le sable.

Nous montons dans les dunes blanches de Biville par le sentier de la plage bordé de piquets de bois et d’oyats pour fixer le sable. Nous n’avons pas d’entraînement et il est assez dur de déambuler en rang fatigué sous les yeux des familles installées au bord du sable, intriguées par ce groupe de bâtonneurs. Nous allons jusqu’au calvaire des dunes sur le belvédère du Thot d’où nous avons une vue générale sur la mer et les dunes, la dépression herbeuse appelée ici « mielle » où s’ébattent sans se laisser apercevoir les vipères péliade à l’iris rouge (si vous la regardez dans les yeux). Un vieux couple est assis là, une famille vaque avec de grands enfants dont un ado en Lycra noir, short bleu, casquette blanche à l’envers et pompes bordeaux qui étire ses muscles au soleil avant de partir à petites foulées. Le Christ cloué sur la croix de béton a le torse athlétique et les parties à peine voilées d’un linge.

Nous suivons le sentier de crête dans la lande de la dune grise fixée par les herbes, en retournant vers le parking de la plage de Vauville par la mare. Formée il y a six mille ans sur un kilomètre de long et la moitié de large, c’est une réserve naturelle animale créée en 1976 et gérée par le Groupe ornithologique normand. La mare bordée de roseaux est d’eau douce isolée de la mer par la dune. Des oiseaux y font nid dont la bécassine des marais, le foulque macroule tout en noir mais le bec enfariné, le colvert, le tarier pâtre en haut des buissons, la rousserolle, le traquet motteux en migration. Des rainettes arboricoles perchées sur la végétation apte à supporter leur poids coassent à certaines heures. Sur la lande, nous observons de nombreuses fleurs dont le rosier sauvage pimprenelle au fruit « gratte-cul » déjà formé, la ficaire jaune, la véronique mauve en épis, la spiranthe d’automne qui est une orchidée comme l’ophrys abeille qui n’est fécondée que par les abeilles et a une fleur en leurre qui imite la forme et l’odeur de l’abeille ! Nous croisons aussi le panicaut ombré de mauve à racines aphrodisiaques (ce pourquoi, peut-être, Miss M. l’aime beaucoup et en parle tout le temps). Dans les hameaux aux maisons éparses, toujours de grès gris normand, poussent derrière le mur de clôture de hautes roses trémières ; elles sont blanches, rose pâle ou pourpre.

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Quelques étirements devant les badauds, et toujours les deux mêmes kids en slip sur la plage qui retournent se rouler dans les vagues. Nous passons devant l’église de Biville qui recèle le sarcophage de marbre du bienheureux (béatifié) Thomas Hélye, né en 1187 et décédé prêtre de Coutances en 1257.

Nous retournons à l’hôtel vers 18 heures pour un dîner sur place à 20 heures. Préparé par la patronne Dorothée et par son aide cuisinier Killian, il consiste en une terrine de saumon accompagnée d’une demie tranche de saumon fumé, de poulet sauce basquaise aux pâtes et d’un clafoutis de grosses cerises noires. La tenancière est pansue mais le serveur est à l’inverse svelte, blond et tout bouclé.

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Paris Cherbourg

Le train est le transport de cette année : 40 € aller et retour, c’est imbattable ! Et exceptionnel probablement. C’est un TER et pas un TGV, mais qui roule vite. L’arrivée à Cherbourg est prévue à 10h16, soit 3h20 de trajet. Le train s’arrête quand même à Bayeux, Carentan, Lison, Valognes. Nous avons un retard de 23 minutes au terminus à Cherbourg dû à « des vaches à proximité de la voie », comme l’annonce le chef de train. Pas dessus, ni au bord, mais « à proximité ». D’après l’annonce, le chauffeur doit « aller téléphoner sur la voie » donc marcher une dizaine de minutes en dehors du train pour « prendre des ordres ». A l’ère du Smartphone et du TGV, cela me paraît d’un archaïque ! Le paysage est peu visible car les arbres en buissons le cachent le plus souvent, ou bien le talus. Alors, les vaches… Il n’y a pas grand monde en ce lundi 26 juillet, mais le train est double en raison du Covid. Les places sont dispersées et c’est voulu – contrairement à l’an dernier en TGV. Je remarque surtout des étudiants.

Notre hôtel est un deux étoiles, La roche du marais, dans le petit village d’Omonville-la-Petite où Jacques Prévert a vécu malade les dernières années de sa vie. L’adresse est le Hameau Mesnil, 50 440. C’est un beau bâtiment en grès gris normand, qui s’étend en T à l’arrière sur un vaste jardin planté d’une rhubarbe géante du Brésil nommé gomera, de quelques palmiers protégés du vent, et de plusieurs silhouettes en tôle découpée de chèvre et d’âne. Un gros chien nommé Riley est tout joyeux de voir du monde. Les jardins du village, devant les maisons toutes de grès en pierres apparentes, sont plantés d’hortensias le plus souvent bleus, parfois violets, roses ou même blancs. Leurs pommes sont très jolies. La plage est à un demi-kilomètre dans l’anse Saint-Martin et l’on voit la mer de loin. Elle est accessible par un sentier de la lande, mais couverte de galets. Des filles iront s’y baigner dès le soir. L’eau est froide mais supportable, même aux adultes venus d’autres régions.

Il n’est pas encore midi et nous pouvons nous changer, les chambres sont prêtes. Nous faisons les présentations, portant le masque obligatoire à l’intérieur.

Nous partons en Renault Trafic directement pour la plage de Vauville et nous pique-niquons un peu plus haut sur le parking. Des tables et des bancs de bois sont installés en contrebas de la route sur un terrain herbu près d’une rivière glougloutante enfermée sous la verdure. S’il y avait eu canicule, cela aurait été charmant mais il ne fait guère que 18° centigrades et le ciel est partiellement voilé. Au menu du pique-nique, melon, salade de pâtes avion, cuisse de poulet, Livarot et fruits. C’est banal mais copieux et varié. D’un coup de Renault, nous rejoignons ensuite le camping de la plage.

Sur le sable, nous faisons connaissance des bâtons de la marche nordique et de l’échauffement qui précède tout exercice. La marche dite « nordique » ressemble furieusement au ski de fond – sans les skis. C’est normal puisqu’elle est née d’une course de ski de fond qui un jour n’a pu avoir lieu faute de neige. Les participants étant tous venus, ainsi que de nombreux visiteurs, la course a été transformée en marche, sans les skis mais avec les bâtons. Ce nouveau sport s’est installé et fait fureur auprès des kinés et des animateurs de toutes sortes qui cherchent un nouvel élément marketing pour vendre leurs services d’entraîneurs. Il est ludique et demande peu d’effort au néophyte, avec l’attrait « santé ». Les bâtons sont censés donner la poussée qui fait aller plus vite tout en répartissant l’effort sur les bras et les jambes à la fois. C’est un sport tonique et complet mais qui, à mon avis, n’a d’utilité que si l’on marche de façon rapide sur un terrain relativement dégagé, en semi course. Les bâtons m’encombrent dans les sentiers, sur les cailloux, et ne me servent guère dans les montées et descentes. La guide dit que les bâtons aident les genoux pour descendre et permettent un appui pour monter mais je n’en suis guère convaincu, préférant conserver mes habitudes d’équilibre, vite perdues si l’on use de béquilles en toutes circonstances. Je reconnais volontiers que je manque d’habitude et d’entraînement pour pleinement apprécier, mais la semaine ne me fera pas changer d’avis. Il ne m’est pas facile de prendre des photos ou la gourde dans le sac avec les bâtons attachés par une dragonne à chaque main.

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Pierre Bauduin, Histoire des Vikings

Enfin une synthèse contemporaine de spécialiste sur ce peuple nordique fascinant qui a essaimé depuis la Scandinavie jusqu’à Byzance et Terre-Neuve, en passant par le Groenland, l’Islande, l’Irlande, l’Angleterre, la Normandie et les fleuves russes. Pierre Bauduin est professeur d’histoire médiévale à l’université de Caen. En cinq parties et vingt-six chapitres, il arpente les thèmes suivants : la construction du mythe, la façon de « faire l’histoire » des vikings, les sources, les sociétés, les croyances, les liens sociaux, les ressources et activités, les navires et les migrations, la violence et la paix, les transferts culturels et la christianisation.

Les vikings sont issus des peuples du nord. Prédateurs et guerriers, ils suscitent des chroniques horrifiées et une image négative auprès des clercs qui écrivent l’histoire. Mais ils sont aussi commerçants et n’hésitent pas à traiter pour des échanges mutuellement avantageux : fourrures contre objets en stéatite sur les fleuves russes, domaine contre défense du territoire pour la Normandie. Un viking est celui qui fréquente les baies (vik) et monte des navires racés en bois assemblé souplement afin de pouvoir chevaucher les vagues de haute mer. Il existe des navires de guerriers et des navires de transport, le monde viking est spécialiste de la mer, donc des migrations et des réseaux.

« La motivation principale des entreprises vikings demeure l’acquisition de richesses butin et captifs, vendus comme esclaves ou rançonnés » p.83. L’implantation durable ne se fait que sur les territoires déserts (Islande, Groenland) ou les îles à portée de navire (Hébrides, Orcades, Irlande, Ecosse, Angleterre de l’est) ; peu à peu, les intermariages et l’acculturation croisée mais surtout la christianisation (qui apporte du prestige) dilueront l’ethnique dans le social et « le viking » disparaîtra pour devenir roi anglais ou irlandais, duc normand, chef mercenaire varègue. Malgré les études sanguines, génétiques, toponymiques ou juridiques, il n’existe pas « un peuple » viking qui aurait essaimé pour former une diaspora homogène en gardant une culture originelle, mais une progressive intégration dans les royaumes abordés.

Le viking est donc devenu un mythe, entretenu par les nationalismes au XIXe siècle et vivifié par le romantisme. Pierre Bauduin se veut scientifique, donc se méfie du mythe. Mais chacun peut prendre un modèle humain idéal comme guide et faire de cette construction (artificielle) une image dynamique qui l’aide à vivre. L’historien agit en critique qui déconstruit les sources ; l’anthropologue constate la construction des images-forces qui ont été créés. Les deux ne sont pas contradictoires, même s’il s’agit d’une autre étude.

L’entreprise viking a duré en gros trois siècles, depuis un peu avant l’an 800 jusqu’un peu avant l’an 1100. Ce qui ne veut pas dire que « les vikings » ont fait irruption à partir de rien ni de nulle part. Ils sont le produit de l’évolution des sociétés danoise, suédoise et norvégienne de l’âge du fer. Leur essaimage, suscité en partie par l’expansion du monde franc vers le nord, a profité des désordres des royaumes féodaux germaniques, francs et celtes après la chute de l’empire romain. S’ils ont eu tant de succès dans le pillage, c’est certes grâce à leurs qualités guerrières et à leur ruse de commandos tout comme à la qualité de leurs navires à faible tirant d’eau aptes à remonter très loin les fleuves, mais surtout aux désunions des princes et rois locaux qui se faisaient la guerre sans jamais pouvoir offrir un front uni contre l’envahisseur. « La cible principale des vikings fut (…) l’Angleterre » p.93.

Toutes les sociétés sont en mouvement, les sociétés nordiques comme les autres. C’est de ce vaste brassage post-romain qu’est né l’expansion viking, sachant que « le » viking-type n’a jamais existé. Il n’était pas le même en 1066 qu’en 780 : ni de même origine, ni de mêmes mœurs, ni de mêmes croyances, ni avec les mêmes armes. Car les sociétés s’interpénètrent et les armes franques sont devenues fort appréciées des hommes du nord, tout comme l’ivoire de morse par les chrétiens. Le sentiment de violence viking, qui a tant saisi les moines et les clercs copistes, était dû principalement à l’incompréhension des coutumes non-chrétiennes de ces païens vus (vers l’an mille) comme une punition divine pour les péchés. Les Francs pouvaient tuer et piller tout autant, et avec autant de cruauté envers les femmes et les enfants, mais « le viking » n’entrait pas dans les cadres reconnus, ni ne respectait les principes admis. D’où la « terreur » qu’ils inspiraient. L’apaisement aura lieu avec les conversions, progressives, partielles, plus politiques que spirituelles le plus souvent, mais qui ont suffi à « intégrer » les barbares dans le monde « civilisé ».

La dernière partie intitulée « Contacts, transferts culturels et identités » permet à l’auteur de chroniquer le passage au christianisme grâce aux textes, aux pierres runiques et à l’archéologie des objets et des églises. Il conte la progressive formation chrétienne des monarchies nordiques, l’organisation des nouvelles sociétés de l’Atlantique nord (dont l’Islande, originale), l’entre-deux violent et commerçant des fleuves d’Europe centrale, et les implantations différentes en Irlande, en Angleterre, en Normandie. Il est édifiant de constater que le mot « russe » vient de la désignation des Suédois sur le fleuve : Rous signifiait « ramer ». Et que les mots courants en anglais que sont husband, fellow, knife ou window (mari, copain, couteau ou fenêtre) viennent du norrois.

Voulant tout embrasser en un volume, le texte est assez dense, truffé de références et de noms, avec des phrases souvent trop longues qui comprennent maint jargon d’initié, comme si l’auteur voulait se garder à droite et se garder à gauche. Dont l’insupportable et éminemment snob « et/ou », venu du codage informatique et qui n’a absolument aucun sens dans la langue*.

Néanmoins, chacun pourra trouver provende en cette synthèse bienvenue, du spécialiste à l’étudiant, du curieux au Normand. De multiples pages de notes, références, bibliographie et cartes complètent le manuel.

Pierre Bauduin, Histoire des vikings, 2019, Tallandier, 666 pages, €27.90 e-book Kindle €19.99 

* NOTE sur le « et/ou » :

Celui qui parle n’est pas un codeur et celui qui écoute pas un programme informatique. Le « et/ou » informatique se traduit très précisément par « ou » dans la langue. Prenons un exemple : « ils portent des vêtements bleu ou jaune ». L’ensemble « vêtements » est bien qualifié de bleu ET de jaune. Mais l’ensemble sujet des « ils » signifie que chacun porte des vêtements OU bleu OU jaune. Dire « ils portent des vêtements et/ou jaunes » est donc sans aucune signification car ils ne peuvent à la fois en porter des bleus et des jaunes en même temps. Cet insupportable snobisme de branché moderniste, qui date des premiers temps du numérique il y a une vingtaine d’années, produit parfois des incompréhensions cocasses : « envoyez-moi un CV et/ou votre carte de visite » m’avait dit une secrétaire qui se voulait « attachée de direction ». J’avais le choix du et ou celui du ou : que faire ? Interrogée, la pimbêche me dit que c’était « évidemment » ET. Mon cerveau n’avait pas dégénéré en programmation Basic et le bio était en mode bug…

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Grandville

En ce dernier matin du dernier jour, nous visitons la ville. Dès 9h30, nous partons pour longer la mer et passer devant les cabines de bain alignées sagement sur la jetée parfois fortement battue par les embruns. Des sauveteurs en mer, dont le bureau se trouve là, sont déjà en slip et testent la fraîcheur de l’eau comme entraînement.

Nous montons les marches vers la villa rose aux entourages bordeaux de Christian Dior Les Rhumbs (secteurs de la rose des vents) et son jardin, rachetés par la Mairie et devenus publics. La pergola offre une belle vue sur le large du haut de la falaise, la roseraie embaume.

Un buste de Christian Dior (1905-1957) donne un air lunaire à la tête de l’artiste, reflétant probablement l’essentiel de son caractère. Elevé ici, fils d’industriel chimiste à la production puante, l’enfant a pu observer les mille nuances de gris du ciel et de la mer avant de les reproduire sur les robes, et sentir les mille parfums des roses et autres fleurs avant de renverser le préjugé sur son nom. Auparavant en effet, les engrais du père faisaient dire « ça pue le Dior » ; avec les parfums que Christian a créés, nul ne le peut plus.

Deux photos affichées dans les jardins montrent l’enfant à 9 ans pour la première communion en 1914, l’air ahuri, et à 7 ans en 1911, nettement plus tendre et mignon.

Nous poursuivons par les rues intérieures, le stade et un petit parc zoologique, avant d’aborder le marché couvert. Il est plein et bruyant, les paysans locaux viennent y proposer leurs produits comme au bon vieux temps, mais aussi des artisans.

Nous passons ensuite à la ville haute – et il faut encore monter, ce qui éprouve les genoux. Nous prenons les escaliers près du casino pour atteindre le blockhaus dont les canons commandaient les deux directions du nord et du sud. S’ouvre le musée d’art moderne Richard Anacréon, collectionneur de Granville et libraire à Paris qui a légué ses peintures et ses livres rares à la ville. Nous ne le visitons pas, faute de temps et parce qu’il est souvent vrai qu’un musée du lard moderne est empli de cochonneries.

Les rues bourgeoises sont serrées et austères, comprenant de vieilles maisons de pierre grise dont une date de 1621 avec Adam et Eve sculptés. L’église Notre-Dame domine depuis le XVe siècle tout en granit. L’intérieur est sombre bien que des vitraux des années 1950 par Jacques Le Chevalier tentent d’égayer le chœur.

Les anges de l’autel, roses et dorés, se pâment la main sur le sein ou le téton pointant vers le fidèle en guise de délice pâtissier promis dans l’au-delà. Leur attitude langoureuse, leur longue chevelure, leur costume doré qui découvre la moitié de la poitrine, sont destinés plus à la sensualité des prêtres qu’à l’édification des fidèles. La chair est trop présente pour évoquer les purs esprits célestes…

Une plaque sur une maison de la haute ville rappelle que le prince de Monaco est descendant des Matignon, gouverneurs de Grandville de 1578 à 1790. Il a été reçu ici le 15 juin 2015. La rue Lecarpentier, qui domine le port et la rue des Juifs, donne une vue étendue sur les toits qui rappelle Paris, si ce n’est la mer.

Les adieux sont rapides, chacun est mal garé, doit retrouver sa voiture et quitter la ville avant les restrictions de circulation de la parade du Débarquement. Je mets six heures pour revenir, devant faire un détour pour route barrée avant Argentan.

FIN du voyage en Normandie

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Visite nocturne du mont Saint-Michel

Nous avons rendez-vous à 18 h à l’entrée du Mont pour aller dîner avant d’aller faire la visite en nocturne, où il y a nettement moins de monde. Le restaurant est La Croix blanche, situé sur les remparts côté nord avant la tour du Roi. Le menu du forfait comprend trois plats imposés, un bol aux sept crudités, un gratin de morue breton et une part de tarte normande plutôt industrielle, genre flan gluant de saccharose. C’est plus cher et moins bon qu’à Granville. Hier nous étions entourés de Flamands, aujourd’hui d’Espagnols avec encore un couple et deux petits garçons derrière nous.

La marée qui remonte est une attraction et nous sommes aux premières loges. La légende veut qu’elle « monte à la vitesse d’un cheval au galop » et je m’inscris en faux : c’est plutôt à la vitesse d’un homme au pas – mais c’est déjà beaucoup. Avec le coefficient de 103 actuel, la passerelle n’est pas inondée mais tout juste. Nous verrons au retour que l’écume a pénétré jusque sous le porche d’entrée du Mont. Une affiche sur une vitrine fait un « appel aux dons pour nourrir les chats de Saint-michel », photos à l’appui.

La visite nocturne donne une atmosphère différente de celle le jour ; elle est magique, les jeux de couleurs du son et lumière et sa musique toujours dramatique mettent dans une ambiance sinon propice au recueillement, du moins ouverte au mystère.

Les images religieuses défilent sur les murs ou dans les alcôves, racontant toujours plus ou moins la même histoire : l’archange et la légende de la création du sanctuaire, l’arbre de vie, Jésus.

Des familles comprenant un, deux, trois, quatre et même cinq enfants visitent. Les plus nombreuses sont probablement catholiques pratiquantes mais les gamins échelonnés sont jolis avec leur ressemblance dans les comportements. Il y a de l’entente avec les parents, de la tendresse souvent.

Sur la terrasse de l’ouest de l’église abbatiale, des familles se prennent mutuellement en photo, des enfants jouent, le soleil descend. Deux petits Anglais chahutent et le grand brun torture un brin le petit blond bouclé, trop joli, pour l’aguerrir avant le bizutage qu’il subira bien plus rude au collège privé de l’année qui vient.

Le cloître, visité lorsqu’il faisait encore jour, est un lieu calme de recueillement orienté vers le large. Il incite à la méditation et fait le lien entre les espaces : le terrestre et le céleste. Son jardin se veut une évocation du paradis originel. Les moines y passent entre leur dortoir, leur réfectoire et l’église. Il est suspendu au sommet de la Merveille et a été probablement achevé vers 1228. Granite de Chausey, ardoise en schiste vert pour la toiture, calcaire de Caen pour les arcatures, calcaire marbrier de Purbeck venu d’Angleterre pour les colonnettes, bois de chêne pour la charpente.

Une grande salle nous attend à la sortie pour nous vendre des livres, cartes et souvenirs. Je note une tisane tonique épicée nommée Secret d’Hildegarde qui comprend galanda, origan, maniguette, girofle, cannelle et pétales de roses ; elle doit être infusée à 95° durant 5 mn.

A la porte, le soleil est une boule de glace rose fulgurante qui s’affale dans un nid de nuages. Nous longeons les puissants contreforts de la Merveille pour rejoindre les degrés et descendre vers la cité basse. Les rues étroites ont une atmosphère médiévale dans leur obscurité à peine éclairée par une lanterne. L’enseigne de l’hôtel Saint-Pierre grince au vent du soir comme une potence de pendu.

La nuit tombée, nous attendons longuement la navette tant il y a de monde dans la queue – et les navettes arrivantes sont pleines de touristes ! Le Mont est ouvert jusqu’à minuit, me dit-on, et il n’est que 22 h. Même pleine, une navette ne démarre pas ; il y a sans doute des horaires définis à respecter, un bureaucratisme typiquement français. Ce n’est qu’à la troisième, après 150 personnes, que nous pouvons rejoindre le parking des visiteurs et attraper nos taxis qui attendent déjà. Il fait frais le soir à la nuit, même en plein mois d’août caniculaire. D’après le chauffeur du taxi, le tarif du parking est passé d’une année sur l’autre de 6.40 à 14 €, ce pourquoi il y aurait un peu moins de monde cette année. Il discute avec le guide et raconte qu’il a créé son entreprise après avoir été plusieurs années ambulancier. Il travaille surtout avec des agences américaines qui veulent du sur-mesure et du service de qualité : voitures cossues, bouteilles d’eau, dépose jusque devant la porte. Elles payent ce qu’il faut, surtout lorsqu’elles font voyager des VIP comme des acteurs d’Hollywood. Il reste qu’aucune autorisation, même exceptionnelle, n’est donnée pour l’accès des voitures jusqu’à l’entrée du Mont : il faut prendre la navette comme tout le monde !

Quand nous revenons à l’hôtel, il est déjà demain et nous avons grasse matinée.

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Mont Saint-Michel

La grande rue du Mont est encombrée, il y a un monde fou arrivé par les navettes qui dégorgent leur cinquantaine de têtes de bétail touristique à chaque passage, plus les hordes arrivées comme nous par les grèves. Le début août est « la pire période de l’année » en termes de monde, nous dit le guide. Qu’à cela ne tienne, nous avons deux heures de libre.

Dès l’entrée, le célèbre restaurant de la Mère Poulard dans lequel je suis entré dîner d’une omelette la dernière fois que je suis venu, il y a 25 ans. C’est le dessinateur Christophe qui a rendu célèbre l’omelette de la dame dans sa bande dessinée La Famille Fenouillard, publiée de 1889 à 1893 ; la gastronomie française était en plein établissement. Aujourd’hui, le service est continu pour ne pas manquer un seul client et les menus s’étagent de 18 à 68 €.

Le menu le plus cher est intitulé Menu de la Mère Poulard et propose en entrée du foie gras maison (!), une salade Annette Poulard au saumon fumé maison, des Saint-Jacques marinées salicorne et petits légumes, une bisque de homard aux herbes fraîches, une salade Victor Poulard (toute la famille va y passer) au foie gras maison, émincé de volaille, brisures de truffes et mesclun.

En plat, la fameuse omelette de la Mère Poulard cuite au feu de bois et garnie au choix de coquilles Saint-Jacques, de foie gras poêlé ou de champignons du moment, une assiette dégustation d’agneau de pré-salé avec purée maison, une cocotte de la mer avec Saint-Jacques, cabillaud et saumon au beurre blanc, un filet de bœuf sauce camembert, frites maison « au couteau ». En dessert une assiette variée Mère Poulard, un fondant au chocolat, une tarte tatin aux pommes caramélisées (ce qui est la définition même de la tatin), un macaron framboise et sa crème vanille. Mais nous ne dînerons pas là.

Une omelette seule coûte de 38 à 44€ à la carte : « surfait, onéreux et sans scrupule » sont parfois les commentaires des clients aujourd’hui. Ils sont trop nombreux pour que la qualité reste au rendez-vous, surtout en saison touristique ! Beaucoup d’œufs, battage vigoureux (il faut que ça mousse !), beaucoup de beurre, poêle en cuivre à longue queue et feu de bois vif, sont les ingrédients de la réussite. Certains séparent blanc et jaune puis battent les blancs en neige, d’autres ajoutent du lait ou de la crème pour faire mousser plus vite, mais ce n’est pas utile. L’effort long et continu suffit.

Nous commençons le tour des remparts et je quitte rapidement les filles car il y en a toujours une qui veut s’arrêter pour acheter une glace, regarder les souvenirs, ranger un truc et ainsi de suite. J’en profite pour me poser à l’ombre dans un petit jardin côté nord, la terrasse du Saut Gautier. J’écris mes souvenirs de traversée tant qu’ils sont encore vifs. Puis je me pose à nouveau sur un autre palier, au débouché de la Grande rue pour monter à la Merveille, sous le Grand degré extérieur, où je peux observer les gens à loisir. Une famille avec trois adolescents m’amuse ; ils sont assis juste devant moi sur les marches. Le benjamin est un garçon, Zac, les deux aînées des filles. Elles aiment bien leur petit frère qui a cette année 15 ans et désormais quelques poils de moustache sous le nez. Il devient mâle, il est beau et fort sous son tee-shirt noir moulant, il porte le sac à dos avec les bouteilles de soda et les biscuits pour tout le monde, il est conciliant. J’observe aussi le manège de certains goélands, peu farouches, qui restent près des gens qui ont à manger, quêtant un moment d’inattention pour leur chiper de la nourriture.

A la redescente, je visite l’église abbatiale Saint-Pierre avec sa statue de saint Michel recouverte d’argent. Michel l’archange est beau comme un Apollon de lumière et terrasse le visqueux et rampant dragon Satan : tout un symbole !

« Selon la Revelatio ecclesiae sancti michaelis, le plus ancien texte retraçant les origines du Mont-Saint-Michel, la première fondation de l’abbaye remonteraient à l’an 708. Cette date est retenue comme étant celle de l’édification par Aubert, évêque d’Avranches, d’un premier sanctuaire dédié à l’archange Michel sur le Mont-Tombe, actuel Mont-Saint-Michel. Selon la légende, à trois reprises l’archange serait apparu en songe à Aubert, lui intimant d’établir un sanctuaire en son nom. La tradition veut que l’archange, à la troisième tentative, aille jusqu’à percer le crâne d’Aubert avec son doigt pour que celui-ci s’exécute enfin. Aubert envoya des messagers au Monte Gargano en Italie, afin de ramener sur le Mont-Tombe des reliques de l’archange. Le sanctuaire, une fois terminé, peut enfin être dédié à saint Michel le 16 octobre 709 ». C’est ainsi qu’écrit le site Internet dédié au Mont. Il est en Normandie car la frontière avec la Bretagne est fixée sur le Couesnon en 1008 – il y a plus de mille ans.

L’oratoire d’Aubert a été remplacé par une abbaye carolingienne au VIIIe siècle et le duc de Normandie a confié en 966 le sanctuaire à des moines bénédictins. La crypte carolingienne et l’abbaye gothique sont construites en granit de Chausey ou de Bretagne, acheminé par barges jusqu’au pied du Mont par marée haute.

Il est composé de plusieurs strates selon les siècles : l’église du XIIe siècle sur la crypte carolingienne, la Merveille au XIIIe siècle affectée aux moines et aux pèlerins, le châtelet et défenses avancées de l’entrée au XIVe siècle, les bâtiments abbatiaux du sud au XVe siècle pour loger l’abbé et la garnison. Le Mont Saint-Michel sera le seul point de la France du nord et de l’ouest à n’être pas tombé aux mains des Anglais durant la guerre de Cent ans. Le chœur roman de l’église s’est écroulé en 1421 et a été rebâti à la fin du même siècle en gothique flamboyant. Les trois dernières travées de la nef et la façade romane sont démolies en 1780 et le clocher actuel date de 1897 avec sa flèche de Viollet-le-Duc qui supporte le Saint Michel doré sculpté par Emmanuel Frémiet ; il culmine à 157 m.

Le Mont devient prison en 1811 et Barbès, Blanqui, Raspail, y ont séjourné contraints et forcés. Le site ne redeviendra religieux qu’en 1963 avec l’installation de quelques moines bénédictins. Le Mont reçoit plus de deux millions de visiteurs par an et est le 17ème site le plus visité de France. De 2006 à 2015, des travaux de désensablement suppriment le parking aux voitures et la digue d’accès et permettent enfin à l’île-monument d’être à nouveau entourée par la mer à marée haute.

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Traversée des grèves vers le mont Saint-Michel

Vendredi 2 août est le jour de la grande traversée des grèves entre le Bec d’Andaine et le Mont Saint-Michel. C’est l’ultime étape des pèlerins venus du nord, les Miquelots se dirigeant vers Saint-Michel-au-péril-de-la mer : c’est que brouillards et marées, vase et sables mouvants étaient des dangers inconnus pour la plupart. Un panneau informatif récent vante le SOS 112 et liste tous les risques qui attendent qui ose traverser : noyade, enlisement, isolement, orage, brouillard, lâchers d’eau du barrage sur le Couesnon – on ne pourra pas dire que nous n’avons pas été prévenus !

De loin, le rocher est presque plat, d’un aspect de dolmen ; il fait cependant 900 m de périmètre et 80 m de haut. Ce n’est que Viollet-le-Duc fin XIXe qui fit s’élever la flèche, comme sur Notre-Dame de Paris. Elle donne sa silhouette au Mont, le rocher s’élançant vers le ciel. J’y suis déjà venu trois fois depuis mon enfance.

Ce matin, il fait grand soleil et pas de vent. Nous prenons le bus depuis Granville, la même ligne qu’hier mais cette fois jusqu’à Genêts. Nous marchons trois-quarts d’heure avant de nous affaler sous un pin pour pique-niquer au bord du Bec d’Andaine d’où nous allons partir. Nous avons rendez-vous avec un passeur agréé appelé par cet inénarrable vocabulaire fonctionnaire un « guide attesté ». Il est accessoirement pompier dans le civil et d’origine picarde. Il effectue quatre ou cinq traversées aller et retour par jour en saison avec des groupes de 40 ou 50 personnes, parfois des enfants. Il a emmené un groupe de CM2 en sortie scolaire durant l’année et même des maternelles, mais jusqu’à mi-chemin sur Tombelaine. La distance est de 3 km pour Tombelaine, puis 3 autres km pour le Mont. Aller et retour dans l’après-midi, comme la plupart aujourd’hui le font, cela fait 12 km et 6 h de marche. Notre groupe ne comprend que des adultes mais trois autres groupes partent presque en même temps, avec un petit écart et un petit décalage pour ne pas se chevaucher. Dans l’un des groupes il y a des enfants assez jeunes, dont deux en court slip et bob qui gambadent avec une exubérance accentuée par l’air, le soleil et la sensualité du sable mouillé et de la vase sous les pieds.

Nous marchons pieds nus, surtout pour mieux tâter le terrain car tout n’est pas de sable. La plage fait vite place aux vasières dans lesquelles s’enfoncer jusqu’aux chevilles, voire jusqu’aux genoux. Je retrouve un plaisir de gosse à marcher dans le visqueux fort glissant, comme lorsque nous marchions pieds nus dans la boue des chemins ou la bouse des prés dont la matière giclait entre les orteils, faisant remonter une sensation délicieuse jusqu’en haut des jambes. Erotisme des 10 ans : on fait de tout chez les scouts.

Les sables mouvants, ici appelés « lises », sont des plaques de sable emplies d’eau qui fuit lorsqu’on la frappe. Il faut toujours bouger, dévisser les jambes, baratter des pieds. Pour se dégager d’un enfoncement trop profond, dégager une jambe d’abord en la tournant, puis mettre le genou sorti en terre et dégager l’autre. On ne s’enfonce jamais que jusqu’à mi-poitrine maximum, quelle que soit notre taille, dit le passeur, car nous avons une masse d’air dans les poumons qui fait bouée. Mais si l’on reste immobile, le sable bétonne et il est impossible de s’en extirper. Être « avalé » par les sables mouvant comme dans Victor Hugo est un mythe, mais on peut évidemment, si l’on reste bloqué, mourir noyé à la prochaine marée haute ! Donc bouger sans cesse, battre des pieds comme on palme et se pencher en avant. Plus on baratte et plus l’eau revient dans le sable, le rend plus visqueux, permettant de s’en dégager progressivement.

La promenade sur l’estran vide nous permet de reconnaître les œufs de seiche qui ressemblent à des grappes de petits raisins noirs, les œufs de calmars qui sont de longues grappes aux filaments orangés, l’œuf de roussette – un petit requin – comme une coque noire munie de quatre branches. Nous retrouvons les œufs de bulots déjà vus et les crépidules agglomérées les unes sur les autres contre les prédateurs.

Nous avons deux rivières à traverser à même le sable, la Sée et la Sélune et, dans la première, un fort courant qui file vers le large. Nous y avons de l’eau jusqu’aux genoux et avancer est un exercice musculaire qui me rappelle la gymnastique en piscine chère aux clubs de sport. Le soleil implacable et la réverbération exigent des protections en chapeau, lunettes, vêtement ou crème solaire. Je ne sais pas comment les deux petits qui ont gambadé quasi nus ont supporté la traversée car ils avaient le corps blanc du touriste fraîchement débarqué.

Nous passons Tombelaine, ilot autrefois occupé par quelques moines mais réservé désormais à la protection des oiseaux, oies cendrées et flamants roses. Il est interdit d’y camper, d’y pique-niquer et même d’y monter à certaines périodes de ponte. Des gardiens profitent souvent de cette hauteur pour observer si les pêcheurs à pied ou les touristes respectent les interdictions.

De loin, nos groupes de traversée sont comme des caravanes dans le désert, égrenées sur une centaine de mètres.

Dommage pour nos pieds, les derniers cents mètres avant la porte d’entrée au Mont sont de la vase gluante qui colle fort à la peau. Vu les restrictions d’eau et le coût pour la commune, le maire a désormais interdit aux touristes de se laver les pieds au robinet public juste sous la voûte d’entrée et il est nécessaire de bêtement ruser : remplir sa gourde et aller se laver les pieds ailleurs. Il faut cependant une gourde entière par pied pour à peu près se nettoyer !

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Saint-Jean le Thomas

Nous pique-niquons dans un champ moissonné tout près de là, séparé du sentier par une haie dont un trou nous permet de voir passer les promeneurs. Le soleil tape mais le guide installe deux mini-réchauds Primus, sort deux poêles de trente centimètres de diamètre de son grand sac, des galettes à réchauffer de marque Reflets de France (Carrefour), et confectionne une jambon-gruyère pour chacun avec force beurre ! Il a prévu ses menus originaux pour chaque jour. Pont l’évêque, salade, orange, compote de pomme à la rhubarbe complètent le déjeuner. En apéritif, du cidre au cassis, le « kir normand » (en fait une invention touristique bretonne), des chips anglaises de marque Tilley’s et des noix de cajou.

Nous poursuivons l’après-midi le sentier du littoral jusqu’à Saint-Jean le Thomas. La marée basse laisse percevoir une série de V au sol : ce sont des pêcheries construites en pierres, établies au XVe siècle. Les premières étaient en bois. Le V en amas de cailloux sert à capturer le poisson et certains crustacés : des seiches, des araignées de mer, des crevettes, des sardines, du maquereau, des plies, des soles.

Aujourd’hui que la pêche est réglementée pour cause de raréfaction du poisson en raison de la surpêche et du réchauffement climatique, nous voyons surtout déambuler des pêcheurs à pied. Nous le constaterons sur le parking de Saint-Jean le Thomas, ils récoltent des coques, des praires, des moules et des crevettes à l’aide du haveneau, cette large épuisette à manche en bois. Je demande à la pêcheuse diserte qui nous détaille ses prises comment elle mange sa récolte : les moules souvent crues, les coques au court-bouillon ou farcies – mais elle ne fait pas de coques au vin. Quant aux huîtres sauvages, elle en trouve mais ne les aime pas, même cuites, ni son mari qui abonde ; elle n’en ramasse que « lorsque les enfants viennent ». Ils doivent être grands et parisiens.

De crique en crique, suivant les méandres de la côte sur la falaise, de sentier dégagé en chemin creux, nous approchons du Mont Saint-Michel. A un détour, nous apercevons en contrejour la flèche au loin sur son rocher druidique du mont Tombe. Il fait pendant en Normandie au mont Dol en Bretagne, au large de Cancale. Nous randonnons sur « le plus beau kilomètre de France ». C’est ce qu’aurait dit Eisenhower qui a logé un temps dans une villa.

En parlant avec le guide, se pose le casse-tête des « reliques » : une abbaye férue de créer un pèlerinage se doit d’avoir des reliques à adorer. Or Michel est un archange, celui qui chassera Satan dans l’Apocalypse ; il n’est « saint » que par titre honorifique et n’a rien d’un humain de chair : il n’a ni corps, ni pieds, ni ailes, il n’est qu’esprit, émanation de Dieu pour porter un message, il n’a d’humain que l’apparence. Dès lors quelle « relique » matérielle pourrait-il bien laisser ? Ni une plume d’aile, ni un fragment de voile, ni un os du pied… Seulement un effet de ses actes : par exemple le crâne percé d’un trou de l’évêque à qui l’archange a mandé par trois fois (chiffre symbolique évoquant la Trinité) de bâtir un temple sur le Mont. La relique du « chef de saint Aubert » est aujourd’hui visible dans le trésor de l’église Saint-Gervais d’Avranches mais le trou serait un kyste bien naturel.

Notre regard suit aussi les virgules successives des bancs de sable sculptés par la marée, admire les couleurs changeantes de l’eau avec les fonds et le ciel. Les silhouettes du rocher de Tombelaine et du Mont se découpent sur l’horizon gris, voilées d’une légère brume. Le sentier monte, descend, terreux, pierreux, parfois en plein soleil avec ajoncs et genêts, parfois en chemin creux avec chênes verts, épines-vinettes et merisiers. Nous croisons de nombreux promeneurs plus ou moins bien chaussés. Un jeune sauvage nous dépasse, pieds nus, chemise déboutonnée sur le thorax, poils follets au menton. Il grommelle un peu de français et beaucoup d’américain en guise d’excuse pour être si pressé puis s’arrête carrément pour se gaver un peu plus loin de mûres sauvages à demi grillées sur les ronces au bord du chemin. Je retiens surtout une fille jeune et aventureuse au ventre nu et aux cheveux bruns qui m’a frôlé sur le sentier étroit sous une voûte de chemin creux. Sa peau était douce et craignait plus les épines que le contact de mon bras. Elle a laissé un étrange effluve parfumé dans son sillage. Je crois qu’elle avait les yeux bleus. Son mec probable était passé devant. Une femme en short, sandales et haut de bain, plutôt blette et au ventre ridé à gros plis, s’égare sur la falaise. Le guide lui demande, ingénu, si elle s’est baignée…

Avant la pointe du Grouin, Saint-Jean le Thomas est une autre station balnéaire qui s’étage de la plage à la falaise. Certaines maisons s’élèvent sur quatre niveaux, le rez-de-chaussée étant à la fois sur la route en haut et quatre étages plus bas au pied de la falaise. L’une de ces maisons est à louer avec « quatre chambres pour huit à dix personnes » annonce un écriteau. Les villas balnéaires sont cotées de 150 000 à 250 000 € selon les annonces d’une agence immobilière que j’ai vue dans la commune.

Nous reprenons le bus à Saint-Jean le Thomas pour Granville. Un convoi de jeeps et GMC parade à grandes bouffées de diesel pour fêter les 75 ans du Débarquement ; c’est la Piper Operation Cobra des festivités de cet été qui culminera le week-end prochain à Grandville.

Nous allons dîner ce soir toujours sur le port mais au dernier restaurant de la jetée, Le Phare, 11 rue du Port. Le menu à 20 € et trois plats est sympathique. J’ai pris du tartare de bulots cuits au wasabi et graines de sésame, du cabillaud sauce crème chorizo et une pomme melba. Un couple de Belges avec deux garçons tout blond et bouclés comme des anges dîne derrière nous. Le petit de 6 ans a une voix forte et rauque, il parle un flamand guttural. Le père parle un bon français sans accent. Le petit a pris du tartare de bulot mais c’est trop épicé pour lui et papa, gentiment, échange son assiette avec la sienne ; il a pris de la soupe de poisson. Le gamin ne la mangera d’ailleurs pas entière et le père la finira.

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Falaises de Champeaux

Nous prenons un bus de ligne Maneo jusqu’à Jullouville, à 8.5 km de Grandville centre. La station de bus n’est pas loin de l’hôtel. Le chauffeur a de l’humour comme un anglais ; c’est peut-être une caractéristique normande.

Sur le front de mer se succèdent des villas de villégiature datant du XIXe et, devant, se dresse une longue plage de sable blanc de près de trois kilomètres où les familles peuvent s’ébattre à l’aise ; elles ont de l’espace. Les architectes ont rivalisé d’imagination pour bâtir ces villas bourgeoises qui s’affranchissent des normes d’urbanisme habituellement imposées. Chacune est différente, des modestes et des luxueuses, des grandes et des petites. Un papa joue au ballon avec ses deux garçons pieds nus dans le jardin en partie garni de sable derrière la maison, face à la plage dont ne le sépare qu’une haie basse et la promenade du front de mer. Des catamarans attendent, couchés sur l’estran comme des oiseaux blessés ; un kayak de mer a déjà pris le large, se dirigeant vers les rochers au bas de la falaise vers le sud ; quelques rares adolescents se sont mis en tenue et portent leurs planches à voile, certains se préparent au kit-surf, très pratiqué ici. En mai ont lieu des courses hippiques sur la plage. Elie Chouraqui y passa son enfance et le guide nous rappelle que Jullouville est le décor du film Pauline à la plage d’Éric Rohmer avec Arielle Dombasle, sorti en 1983. Je ne l’ai pas vu, je crois. Jullouville a été un QG du Débarquement et le général Eisenhower a résidé dans l’une des villas.

Dans les rues de l’intérieur du quartier d’Edenville où il y a moins de vent, d’incongrus palmiers affirment que le climat est doux tandis que des mimosas rappellent Nice ! Plus nos pas nous éloignent de la mer, plus les habitations se font modestes, bien que pour la plupart soient des résidences secondaires. La station balnéaire est calme, pourtant en pleine saison. Les familles ne sont pas encore levées et prêtes pour la plage ; d’autres sont déjà parties ou ne sont pas arrivées car nous sommes au 1er août.

La ville comprend un peu plus de 2300 habitants et a été fondée artificiellement par le promoteur immobilier Armand Jullou en 1882. C’est en 1973 que son nom a été attribué à la ville, issue du regroupement des communes de Bouillon et de Saint-Michel des Loups. Les habitants ne sont pas des vilains comme peuvent le croire les mauvaises langues mais des villais : ils se nomment Jullonvillais. L’office de tourisme sur la hauteur a la forme d’une gare, prolongée d’un bout de quai : de fait, c’en est une – une ancienne, aujourd’hui reconvertie. Une voie ferrée reliait Granville à Avranches entre 1908 et 1935, elle suivait la route côtière jusqu’à Edenville et franchissait le massif du Pignon de la Névourie en remontant la vallée des peintres par le nord. La vitesse moyenne était de 20 km/h, avec des pointes à 45 km/h. Dès 1935, des bus ont remplacé le train, une sorte de tramway aux wagons parfois découverts.

Au-dessus s’élève une falaise granitique de 110 m de haut que nous devons grimper, d’abord par des escaliers aménagés puis par une rue en pente et un chemin qui s’enfonce dans les bois. Cela nous mène à la Vallée des peintres, sous-bois ombreux où le viaduc de l’ancien train enjambe un ravin dans lequel coule le Crapeux, ruisseau peu abondant mais obstiné. Ce bois raviné près de la mer fut source d’inspiration pour de nombreux peintres de la région dont les noms nous restent il faut bien l’avouer quasi inconnus, sauf des spécialistes : Jacques Simon, Emile Dardoize, Ernest Simon, Edmond Debon, Eugène Paturier, Constantin Leroux, Pierre Berthelier, Albert Depré, René Durel, Baudoux, Guillaumin… Avant 1840, le lieu était le plus sauvage de la contrée. Un certain Ducoudray y ouvrit une carrière pour en extraire le granit bleu. C’est dans ce décor de grotte et en cherchant dans une coupe le granit bleu que Monique découvre son fantasme : un phasme ! Mais son appareil à téléphoner n’a pas assez de lumière pour faire la mise au point et prendre une belle photo. Vue prise, il s’agit plutôt d’une libellule habilement planquée à l’abri des feuilles et ne laissant dépasser que son corps en forme de brindille.

Au Pignon butor, le paysage est aussi vaste que le ciel : plus belle la vue ! Au bas des rochers s’étend la longue plage de Carolles puis celle de Saint-Pair sur mer ; la falaise de Grandville fait le fond du décor avec la pointe du Roc. Quelques adultes se baignent déjà mais l’eau est froide.

Pendant que nous sommes assis à écouter Le guide pérorer sur le coin, je reconnais un couple et ses deux enfants vus hier sur la plage près du havre de la Vanlée. Le père est très brun, les cheveux noirs longs en queue de cheval et le mollet sec, une diction de prof lorsqu’il explique le paysage au gamin ; la mère est blonde et d’un physique plus doux. Le petit garçon, probablement 7 ans, tient physiquement de son père et a le torse noueux sous son tee-shirt ample qui lui dégage largement le cou. La petite fille, dans les 5 ans, tient plutôt de sa mère. Je trouve mignon de voir les deux enfants se tenir par la main pour suivre leurs parents partis quelques mètres en avant sur le sentier qui longe la falaise en direction du Mont. Ces enfants sont manifestement aimés ; il est seulement dommage que le garçon porte des sandales aux semelles lisses, peu adaptées au chemin rocailleux.

Nous les retrouvons un peu plus tard à la cabane Vauban, ce poste d’observation en pierres sur la pointe de Champeaux, destiné à surveiller les navires venant du large, notamment les corsaires anglais du temps de Louis XIV. Elle a servi ensuite de poste aux douaniers qui traquaient la contrebande de tabac contre calva des pêcheurs locaux avec les îles anglo-normandes.

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Bout du monde

Nous allons jusqu’au « bout du monde » comme le vante Le guide, un brin lyrique pour faire mousser l’itinéraire somme toute banal, c’est-à-dire la pointe face à La Bretonnière, au-delà de la route submersible. Nous marchons sur le sable humide pieds nus, observant les coques, les praires, les couteaux, les moules, les bulots, les patelles, les crépidules, les rares huîtres plates et d’autres coquilles encore, en plus des algues, des ficus vésiculeux agréablement visqueux sous la plante des pieds.

Des vers ont laissé maints tortillons sur le sable : ce sont les arénicoles qui ressemblent au lombric terrestre et construisent des nids en U profond de 10 à 40 cm ! Ils se vident l’intestin toutes les quarante minutes pour former ces esthétiques tortillons pâtissiers. Il peut y en avoir plus de cent par mètre carré et servent de nourriture aux poissons plats et souvent d’appât. Les chercheurs ont constaté que l’arénicole de la Manche est compatible tous donneurs pour les transfusions de sang. La société Hemarina de Morlaix a développé un transporteur d’oxygène universel à partir de l’hémoglobine d’arénicoles ; il est lyophilisable contrairement au sang humain.

Nous traversons l’ultime filet d’eau qui s’écoule vers la mer, pas plus haut que les chevilles, « un avant-goût de la grande traversée vers le Mont Saint-Michel », annonce le guide.

La mer est au loin, les parcs à moules et les parcs à huîtres sont à découvert et nous allons voir les plus proches : les huîtres. Les naissains sont élevés ailleurs puis les petites huîtres de l’espèce creuse japonaise (crassostrea gigas) entre trois et six mois sont mises en filets plats et arrimés sur des supports ancrés sur l’estran. Loués à l’Etat car faisant partie du domaine maritime, ils sont recouverts dès la mi-marée pour que les bêtes puissent filtrer le plancton et se nourrir. Une fois par mois il faut retirer les algues qui s’accrochent et tous les trois mois taper le sac et les retourner pour ne pas que les coquilles s’agglomèrent. C’est un travail assez dur que les jeunes veulent de moins en moins faire, laissant cela à une main d’œuvre immigrée. Une fois à maturité, les filets sont récupérés, mis sur la remorque d’un tracteur, puis emportés pour mise en bourriche selon leur numéro (de zéro à cinq pour les creuses, de triple zéro à six pour les plates). L’huître est très riche en protéines et pauvre en calories. Elle est connue pour sa teneur record en zinc et en iode et contient aussi du sélénium, du manganèse et du fer, sans parler d’autres oligo-éléments et minéraux tels que le calcium, le magnésium, le potassium, le fluor et le cuivre. L’huître est naturellement riche en vitamines E, B, D. Le citron que certains mettent dessus élimine malheureusement la vitamine E et il vaut mieux éviter.

Nous croisons de nombreux pêcheurs à pied, souvent des retraités ou des papys et mamies avec petits-enfants, qui remontent avec leur sac empli de coques et de praires. Ils ne peuvent ramasser les huîtres même tombées des filets mais peuvent cueillir celles qui se trouvent à plusieurs dizaines de mètres des parcs. Pareil pour les moules, plus proches du flot encore au loin.

Nous quittons la plage près de La Planche-Guillemette. A deux pas de l’entrée bétonnée accessible aux remorques de bateaux un couple de vieux est assis sur des pliants tandis que jouent autour d’eux deux beaux petits-fils en mini slip bleu France liserés de jaune vif. Tout blond et le corps bien doré, ils courent sur le sable, creusent à la pelle, se jettent un ballon en pleine exubérance pour l’air, le soleil et leur nudité. De loin, leurs graciles silhouettes se découpent sur la plage comme des virgules dans un texte.

Une fille plus grande manie un cerf-volant en forme d’aile, des couples se promènent plus ou moins vêtus, pataugeant dans les légères flaques.

La lumière envahit l’espace car rien ne vient l’arrêter, aucun arbre, aucune forme sur le plat de l’estran. Ciel et mer rivalisent de nuances de gris mêlant le blanc et le bleu en dégradé.

Nous renfilons nos chaussures et rejoignons les taxis, tout juste appelés, pour rentrer une fois de plus à l’hôtel. Mais nous prenons cette fois directement nos voitures ; ceux qui sont venus avec emmènent les autres. Les bagages sont prêts depuis ce matin, entreposés dans un placard de la réception, car nous devions libérer la chambre avant 11h30.

La journée a été plus douce aujourd’hui : déjà le temps s’est nettement amélioré et le vent est progressivement tombé ; l’itinéraire resté plat était moins long qu’hier puisque sans la visite de la ville ; enfin le rythme fut moins soutenu avec plus de pauses, comme si Le guide hier voulait en finir au plus vite en raison du vent.

Nous joignons en file Grandville où nous attend, facile à trouver près du Casino au pied de la ville haute, l’hôtel des Bains, 19 rue Georges Clémenceau. La difficulté est de se garer, l’hôtel ne comprenant pas de parking. Nous faisons de la dépose-minute de bagages à la réception avant d’aller chacun chercher une place, souvent fort loin car notre heure d’arrivée est trop tôt. A 17h30, nombre de gens sont encore garés pour la plage.

L’hôtel a trois étoiles mais le seul ascenseur est très lent et très sollicité. Ma chambre est plus vaste et plus moderne que celle de Coutances, dotée de lits jumeaux. La douche est puissante et j’ai une vue, depuis le cinquième étage, sur la place de l’hôtel Normandy. Ce qui me permet d’assister à une scène d’autorité entre une mère exaspérée et une petite fille blonde de 3 ou 4 ans. Elle hurle et sa mère la traîne par le bras au risque de lui déboiter l’épaule (c’est arrivé à la fille de la sœur de Justine à ce qu’elle me dit). Je ne sais pas le pourquoi de cette colère mais je crois qu’user de violence n’est pas la meilleure solution. J’ai mal à voir des enfants malheureux, qu’elles que soient les circonstances.

Le guide nous donne rendez-vous à 19h45 pour aller dîner hors de l’hôtel. Il pleut et fait un peu frais lorsque nous ressortons. Nous allons au Cabestan, près du port de pêche. Nous avons droit à un menu à 19.90 € avec trois plats. Ils sont élaborés et présentés avec une certaine recherche. Je prends des tartines à la provençale (le terme « provençal » doit attirer les étrangers comme phare de la gastronomie française), le poisson du jour (un pavé de merlu sauce curry aux petits légumes) et le brick croustillant de pommes à la glace vanille.

Dans le port, sur le quai d’Orléans, est amarré un trois-mâts goélette pour la manifestation « Voiles de travail ». Le lendemain, il sera parti. Je l’apprendrai plus tard – Le guide ne nous en a rien dit – qu’il s’agit du Marité, terre-neuvier de Fécamp lancé en 1923 et restauré par des Suédois entre 1978 et 1987.

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Havre de la Vanlée

Au réveil, le jour est gris et une légère bruine tombe. Après le petit-déjeuner, nous partons en taxi pour Saint-Martin de Bréhal d’où nous remonterons à pied la dune qui sépare la mer du havre – jusqu’à traverser à pied à marée basse. Cela exige de bien connaître l’horaire des marées pour que la promenade soit compatible avec les eaux.

La femme taxi est une quadragénaire normande sympathique qui fait ambulancière habituellement. Elle a deux enfants, une fille aînée qui a passé son BAFA et travaille comme monitrice de colonie de vacances depuis cinq ans et un fils de 18 ans qui n’a pas encore le BAFA et qui travaille pour la première fois comme moniteur. Il n’a pas l’autorisation d’accompagner les enfants hors du camp. Il s’occupe des 6-12 ans. Comme il fait du judo, il est athlétique et les enfants aiment ça, surtout les petits garçons qui admirent le modèle mâle et aspirent à être musclés ; de même, cela rassure les petites filles d’avoir un moniteur fort et sain, protecteur.

Nous partons des abords d’un haras où un cheval bai racé tente de trouver du picotin frais au-delà des barrières ; il se laisse ombrageusement caresser le museau si l’on est calme et sans geste imprévu. Dans un chemin, un cirque aux roulottes rouges alignées. Dans le havre, la terre est craquelée là où le soleil a fait sécher la vase. Au bord d’une mare d’eau saumâtre, des traces pieds nus d’enfant ou de jeune adolescent me rappellent celle de la grotte préhistorique du Mas d’Azil ; l’humain reste toujours humain. Elles se situent face à un affut de chasse au canard, camouflé sous une motte d’herbe. Comme à Saint-Pierre et Miquelon (où sont allés beaucoup de marins normands) on chasse le canard de mer ou de terre à l’appelant.

Nous passons vite sur la dune que borde un camping fort rempli et descendons sur la plage. Quelques baigneurs sortent de l’eau qui semble fraîche car ils se rhabillent très vite de sweats sans même s’essuyer le torse. Des cavaliers et cavalières passent au ras de l’eau sur le sable dur dans un paysage de Boudin. Trois petites voiles blanches dessinent au loin leurs triangles ; des moutons parsèment la mer.

La plage de sable s’étend sur des kilomètres sous un ciel immense ; l’eau est à plusieurs centaines de mètres, la marée descend. Jeu des nuages et de la lumière sur l’estran, ses flaques, ses rides de courant sur le sable, le liseré du ressac et l’eau bleu-vert au loin. Au bord des dunes, des cabanons de plage sont tolérés sur l’espace public maritime et plus ou moins entretenus. L’un d’eux a été vandalisé puisqu’une inscription s’exclame : « pourquoi avez-vous saccagé chez moi ? ».

Des enfants s’amusent à sauter la falaise de sable, partant de l’emprise végétale pour tomber dans la pente qui s’écroule.

Sur la plage dunaire, au-delà de la limite des marées extrêmes, poussent les oyats, les ajoncs et l’euphorbe des sables. De fines plantes au plumet balançant au vent sont nommées queues de lapin ici (lagurus ovatus). Une petite fleur mauve est appelée lavande de mer (limonium vulgare), elle adore les prés salés. Une autre, bien découpée, est le panicaut maritime ou chardon de mer. Pousse au ras du sol une plante charnue aux feuilles coriaces comme une oseille mais d’un vert plus foncé aux reflets d’argent, l’obione (halimione portulacoides). De la même famille que la salicorne, la bette ou l’épinard, elle se mange et fleurit en été. Je la goûte, elle est salée et un peu acide comme du cresson en moins prononcé.

La marée a apporté sur l’estran intérieur du havre de petits coquillages ovales à la coquille plate en forme de spirale comme une galaxie. Ce sont les crépidules, apportées par les Liberty-ships durant la seconde guerre mondiale, d’abord dans les chargements d’huîtres venues des Amériques puis sur la coque des bateaux du débarquement. Elles se présentent en colonies encastrées les unes dans les autres quand elles sont encore vivantes et sont invasives tant elles résistent aux courants et aux prédateurs. Une société bretonne de Cancale cherche à valoriser la chair riche en protéines et oligo-éléments mais les coquilles sont remplies de métaux lourds et ne peuvent servir que pour le remblai des routes. Le guide nous montre aussi des sortes d’éponges blanchâtres qui ressemblent à des nids de guêpes abandonnés : ce sont des œufs de bulot. Ce gastéropode comestible est fort apprécié du Cotentin et sa collecte est réglementée : on ne peut pas le ramasser à moins de 4.5 cm de longueur. Plantes, oiseaux, promeneurs et crottes de lapin comme sur les plages du Club des Cinq, peuplent ce site remarquable de dix hectares recouvert d’herbus, de salines et de prés-salés où nichent paraît-il environ 150 espèces d’oiseaux.

Nous ne tardons pas à pique-niquer à l’abri de la dune car le vent reste soutenu, bien que moins fort qu’hier. Le soleil fait de fréquentes apparitions, ce qui laisse présager un apaisement du temps. Le pont-l’évêque fait bon ménage avec la poire juteuse en entrée, puis la tartine de saumon fumé sur toast avec un lit de crème et d’aneth, arrosée de citron et saupoudrée de poivre, spécialité du guide, est le clou du repas. Suit un yaourt de marque Malo, parfum caramel au beurre salé, une production bretonne, puis le café et le carré de chocolat, cette fois du Côte d’or bio goût orange. A chaque jour son chocolat et son yaourt différent. Son vin aussi, cette fois du vin blanc bas de gamme ; il y a toujours aussi peu d’amateurs et la bouteille de rouge d’hier n’est pas finie. Le guide nous offre à croquer un petit normand : comme le petit suisse ou le petit noir qu’on s’enfile vite fait, il s’agit d’une gourmandise alimentaire et pas d’une incitation à la débauche.

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Havre de Regnéville

Le guide a acheté le pique-nique et nous prenons deux taxis pour 9 km jusqu’à Urville, entrée du havre où se jette la Sienne et qui se termine à Regnéville, face à la pointe d’Agon. La Normandie est remplie d’eau souterraine et des puits condamnés le marquent encore, ce qui explique la multiplication des villages et hameaux un peu partout. Il était facile de trouver de l’eau. Nous allons suivre sa rive sud à pied, dans un paysage façonné par les marées où nichent de nombreuses espèces d’oiseaux.

Nous commençons par profiter du soleil revenu pour un temps, malgré le vent force 7, pour pique-niquer sur l’herbe derrière la petite église, face au havre où les prés salés excitent quelques moutons. La mer recouvre l’herbe aux grandes marées trois ou quatre fois l’an. Le guide a apporté de Bretagne de la terrine de cousin (le sien) et de la tomme de brebis bretonne bio de gens qu’il connait. Pour lui, la Bretagne imite beaucoup ses voisins pour promouvoir son image : elle crée son whisky, sa bière, son fromage, ses terrines de campagne, ses biscuits – tout ce qui n’existait pas il y a encore un siècle pour cause de pauvreté. Nous avons en outre par personne, du pain, deux tomates et deux abricots, un yaourt, du café en thermos et un carré de chocolat Lindt à la fleur de sel. Il commet cependant une petite erreur à propos du vin. Il a apporté – sur le budget – une bouteille de Chinon rouge mais annonce tout d’abord avec forces excuses que c’est pour sa consommation personnelle et qu’il ne force personne à boire du vin… avant d’en proposer à chacun. Ceux qui hésitaient un peu pour cause de chaleur et de marche ont décliné, alors qu’ils en auraient peut-être pris une lichette avec le fromage.

Le vent qui s’est levé très fort en début d’après-midi apporte des grains successifs entrecoupés de soleil. Nous devons mettre et enlever les vestes goretex constamment. Les chapeaux sont soumis à rude épreuve par les rafales. Nous longeons le havre sur l’herbe rase, ce que les gens du coin appellent « le marais ». Y pousse le chiendent de mer parmi mouettes, goélands, fous de bassan et cormorans qui se reposent près du filet d’eau qui rejoint l’estuaire. Des crottes de mouton des prés salés ont séché entre deux grandes marées. Les prés sont parsemés de bois flotté et de coquilles de bulots apportés par le flux. Sur les bords poussent des mauves, des roseaux, de la salicorne près des bermes. La « tengue », ce lœss fertilisant apporté par le vent et qui servait d’engrais jusque dans les années 1930, farine les herbes d’une fine pellicule de poussière qui reste sur les doigts.

Plus à l’intérieur, nous pouvons observer des restes du bocage traditionnel : des prés plantés de pommiers et entourés d’une haie, dans lesquels les vaches allaient pâturer. Depuis le remembrement des années 1960, les vaches restent à l’étable et sont nourries par ensilage, les prés transformés en champs de maïs qui, une fois mûr, est fauché à la racine, broyé et mis à fermenter sous bâche. L’agriculture industrielle a remplacé l’agriculture traditionnelle en une seule génération. Mais, avec les préoccupations écologiques, les urbains et les touristes engueulent désormais les paysans en Bretagne lorsqu’ils les voient traiter les champs. Ils doivent le faire de nuit… La reconversion est inévitable, vu l’opinion et la pression croissante, mais la reconversion en bio est dure à cause des investissements élevés et des dettes déjà consenties pour le matériel et les semences, et il faut plusieurs années pour obtenir le label bio. Le tournant semble pris depuis quelques années et ira en s’accentuant.

Nous suivons les bords de l’estuaire. Au loin des bateaux de plaisance sont échoués sur la grève ; ils ne seront libérés que par la mer qui remonte. Nous pouvons apercevoir le liseré blanc de la vague frontale sur l’horizon lorsque le soleil luit. Nous franchissons un échelage contre les moutons, trois marches de bois au-dessus d’une clôture en fil de fer. Il s’agit de ne pas se déséquilibrer en l’enjambant, conseil pour troisième âge mais bienvenu au vu du groupe…

A Regnéville, petite cité devenue balnéaire, un grain nous invite à entrer dans la salle des mariages qui fait office de salle d’exposition pour nous protéger du vent et de la pluie qui cingle. Une vraie « vouéchie » comme on dit ici ! Emmanuelle Delaby présente trente de ses photos du coin, portées surtout vers la lumière. Outre les couchers et levers de soleil colorés habituels, nous pouvons observer les nuances du ciel et de l’eau, la mer de nuages, les oiseaux. Je suis en admiration devant le vert glauque d’une houle au large ; elle me rappelle la mer dessinée par Hergé dans Le crabe aux pinces d’or et cela me ravit. Cette photographe amateure a du talent. Regnéville s’ensable et son port, autrefois actif pour Coutances, n’est plus que de plaisance. Le camping municipal, au ras de la mer lorsqu’elle est haute, pourtant bien garni de campeurs, est peu engageant avec ce vent : il n’est aucunement protégé, pas un arbre ni un clos. Les toiles des tentes battent et une femme s’est même réfugiée dans sa voiture.

Dans les rues perpendiculaires à la mer les maisons sont protégées du vent d’ouest et parfois de ravissants cottages en grès du Cotentin s’y élèvent, précédées d’un jardinet, dont une aux fenêtres blanches garnies de rideaux de dentelle derrière lesquels nous regarde passer, ébahie on ne sait pourquoi, une petite fille.

Un autre grain vient et nous nous réfugions dans l’église où pend, au centre de la nef, la maquette ex-voto d’un bateau de guerre à voiles et où trône, à la droite du chœur, une statue de sainte Barbe, patronne des artificiers, canonniers et mineurs de fond. Princesse devenue chrétienne et refusant d’abjurer, Barbe aurait vue, au moment d’être décapitée, ses deux bourreaux la hache déjà levée, être brutalement frappés par la foudre – évidemment divine. Face à elle, à gauche du chœur, dans une niche contenant d’autres restes, a été remisé un buste de saint Sébastien fléché un peu partout sur le torse ; seuls subsistent les trous dans la pierre, curieusement sadiques.

Lorsque nous ressortons de l’obscurantisme fervent, le soleil est revenu et nous pouvons faire le tour du château mi-XIVe en ruines, résidence royale de Charles le Mauvais. Il a été construit non pas en hauteur mais sur la rive gauche de la Sienne pour protéger le port d’échouage et le bourg de Regnéville. L’importance de son trafic était dû à la foire de Montmartin. Nous visitons les salles restaurées sur la mer qui servent aux expositions concernant le « lait et cidre » (instruments paysans) et la peinture d’un « archiculteur » (architecte qui se pique de peindre abstrait en acrylique et dont le nom ne mérite pas d’être retenu). Le château, pris plusieurs fois par les Anglais, défendait l’accès à Coutances lorsque les bateaux pouvaient y accéder avant l’ensablement. La garnison ne se composait que d’une douzaine de soldats seulement. Le bâtiment a été détruit en 1637 sur ordre de Louis XIII au moment du siège de La Rochelle lors de la révolte des Protestants ; le seigneur de Regnéville conspirait en effet avec les parpaillots, ce qui constituait un crime de haute trahison. Il ne reste du donjon qu’un chicot révélant un escalier à vis à l’intérieur.

Vers 17 h, deux taxis nous ramènent à Coutances, à l’hôtel où nous pouvons prendre une douche et nous reposer. Nous dînons une fois de plus à l’hôtel, à 19h30, et nous sommes curieux de voir si le menu a changé. Il l’est en partie. Je prends un tartare de Saint-Jacques au basilic très goûteux, du saumon malheureusement à la « sauce provençale » et malheureusement trop cuit et donc sec comme souvent dans les restaurants, et un nougat glacé.

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Coutances

Le petit-déjeuner buffet est surtout continental et plutôt moyen ; il offre cependant du camembert et du pont-l’évêque à qui veut se nourrir autrement que de féculents et sucreries à la mode. Le café à la machine est en revanche très bon, pas trop fort et parfumé.

Nous partons de l’hôtel à pied, sac sur le dos, pour commencer par une visite de la ville. Coutances est une vieille cité sur sa colline qui a donné son nom au Cotentin, chapeautée depuis les temps médiévaux par l’Eglise en remplacement de Cosedia, la capitale des Gaulois Unelles. La cathédrale domine, siège de l’évêque du diocèse et capitale de la Manche jusqu’à ce que la Révolution décide de la décentrer à Saint-Lô. Les Anglais ne l’ont pas ratée en 1944, détruisant 60% de son bâti. L’évêché a été brûlé par les bombasses. Il fait gris, humide, un brin pluvieux.

Nous commençons par le jardin botanique, légué à la ville avec son hôtel particulier du XVIIe en 1852 par les Quesnel-Morinière pour cultiver des plantes médicinales à destination des indigents. Le jardin a été aménagé par un officier de marine en retraite qui a planté des arbres exotiques comme un gigantesque cèdre du Liban, un gingko biloba, un hêtre à feuilles de fougères, un séquoia. C’est un vrai « paradis des arbres » comme disait Rémy de Gourmont, romancier et critique littéraire fin XIXe originaire du Cotentin ; il aimait s’y promener.

Des buis taillés représentent un paon faisant la roue, un chat aux yeux brillants et à la queue dressée. Une statue de Anne Hilarion de Costentin de Tourville, vice-amiral et maréchal de France (1642-1701) y trône au bout d’une allée et un pressoir à cidre en pierre, jadis actionné par un âne, est sous hangar protégé d’une grille. Nous ne visitons pas le musée qui contient entre autres des peintures du Pou qui grimpe, un mouvement artistique transgressif de l’entre-deux guerres, mais nous passons par l’Hôtel de ville.

Le hall et la salle des mariages sont ornés de peintures locales qui rappellent l’histoire de la Normandie et la vie paysanne. Une vaste fresque évoque les vikings barbares puis les médiévaux de Guillaume. Dans la salle des mariages, femmes en coiffes traditionnelles et hommes en habit et chapeau haut de forme mènent une noce. Sur la cheminée, derrière la table de l’officier d’état civil, trône une statue en bronze représentant un couple idéal à la manière des demi-dieux antiques, tous deux enlacés, jeunes, vigoureux et presque nus pour montrer leur santé procréative (le communisme soviétique reprendra cette symbolique dans ses statues de prolos).

Le menu du restaurant de l’Hôtel de ville affiche normand : saumon fumé crème ciboulette, bulots mayonnaise, côte de porc au camembert d’Isigny Sainte-Mère, filet de poisson crème de salicorne, pomme au four crème fouettée. Alléchant !

La cathédrale élève sa voûte de pierre grise. Commencée en 1056 par le prélat-chevalier Geoffroy de Montbray, compagnon de Guillaume, elle a été poursuivie par les fils de Tancrède de Hauteville au XIIIe siècle dans le style gothique normand. Le transept est élevé en 1225 et le chœur achevé vers 1240. Epargnée par les bombes mais pas par la volonté des Anglais, la cathédrale reste un fleuron de Normandie avec ses flèches à 78 m.

Les colonnes montantes sans aspérité donnent une impression de hauteur intérieure. La tour-lanterne octogonale s’élève à 41 m. Des vitraux remontent jusqu’au XIIIe siècle et l’un du XIVe présente le Jugement dernier. La vierge Notre-Dame de Coutances, du XIVe, tient un Bambin tout nu qui la regarde avec tendresse.

Un petit garçon blond aux cheveux en casque et au tee-shirt rouge qui déambule avec sa mère dans la nef me rappelle les Vikings antiques tandis qu’à l’extérieur un adolescent vigoureux au teint fleuri arpente le trottoir pour aller voir un copain et qu’une robuste jeune fille arbore une bonne gueule de Normande. Si le duché de Normandie est fondé en 911, en 933 le duc Guillaume Longue-Épée conquiert l’Avranchin, le Cotentin et les îles Anglo-Normandes sur Incon et ses Vikings de Bretagne. Avec son consentement, le roi danois Harald, déchu par son fils et chassé de ses terres, débarque un peu plus tard avec soixante navires. Les Scandinaves ont clairement influé sur le patrimoine génétique du Cotentin selon des chercheurs britanniques de l’université de Leicester qui ont collecté en juin 2015 des centaines d’échantillons de salive pour le prouver.

Plus bas, nous faisons le tour de l’église Saint-Pierre avec une tour-lanterne de 1550 ornée de clochetons. Les maisons grises de la ville en granit des îles Chausey s’harmonisent avec le gris du ciel qui déverse parfois ses giboulées.

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Départ pour le Cotentin

En ces temps où le confinement empêche quiconque de voyager pour un temps, j’éprouve l’envie de me remémorer la Normandie l’été dernier. Dans la banlieue d’Île-de-France où je suis ces temps-ci, deux petits voisins normands s’ébattaient au jardin ce dimanche, jour d’élection. Ils jardinaient. L’un de 7 ans et l’autre de 17 ; ils avaient ôté leur tee-shirt pour prendre le soleil, signe de vie qui continue, vigoureuse et saine.

Me voici donc embarqué pour cinq jours avec la Compagnie des sentiers maritimes, agence de voyages fondée en 1993 en Bretagne, pour un périple à pieds Coutances-Grandville-Mont Saint-Michel par les grèves. Le suivi du sentier du littoral, baptisé GR 223 peut se faire tout seul, mais je préfère être en groupe. Le rendez-vous est donné en fin d’après-midi à l’hôtel Cositel de Coutances (le nom gaulois de la ville). Situé un peu à l’écart de la ville, dans un bosquet d’arbres avec un grand parking, il est calme et flanqué d’une terrasse à ciel ouvert avec bassin aux carpes. Il est en outre facile à trouver, même sans GPS, car situé juste après les stades et la piscine municipale, lieux clairement indiqués par les panneaux indicateurs.

Je choisis la voiture plutôt que le train au vu des sempiternels ennuis SNCF : prix plus élevé aller et retour que le seul carburant, changement à Caen, longueur du trajet presque équivalente à l’auto. Sans parler des retards ou des grèves pour rien, avec la trop connue liste de prétextes : trop chaud pour les caténaires, trop froid pour les rails, incendie sur la voie, arbres tombés, feu de broussailles, personnes sur les rails, problème voyageur, incident technique, retard dû au trafic… cochez la case utile. Quatre sont venus par le train depuis Paris et ont d’ailleurs subi un retard de près d’une heure en raison de « gens sur les voies ».

En voiture, j’ai eu le plaisir du paysage, les champs de blé fauchés, les prés verts et les bosquets du Perche, les vallonnements normands. Vitres fermées, climatisation légère, je glisse, avec ou sans musique, de façon feutrée aux vitesses limites. Les écolos ont fort à faire pour prouver aujourd’hui que le train, avec le monopole centralisé de la SNCF et la mainmise des syndicats, est préférable à l’automobile. Même seul. Pour aller à Coutances, je n’ai pas besoin d’autoroute : la N12, Dreux, Argentan, Flers, Vire, Villedieu-les-Poêles. Les routes permettent le 110 km/h, le 90, le 80, 70 en agglomération et 50 dans les villes, voire 30 parfois. Je découvre le ridicule des ronds-points. Toutes les petites villes en ont dans leur zone industrielle, parfois cinq ou six en enfilade tous les 500 m ! J’arrive tôt, vers 16 h, après deux pauses. Il fait beau, assez chaud, mais une courte pluie s’invite en fin d’après-midi.

A mon arrivée, une seule voiture sur le parking : l’hôtel se remplira le soir. Il semble que les voyageurs ne soient ici que de passage pour une ou deux nuits. La chambre sent le renfermé, pas utilisée depuis un moment ; elle ne comporte ni frigo, ni climatisation – il est vrai que le climat ne l’exige pas, hivers humides, étés doux. Cet hôtel me semble en sous-utilisation bien qu’à peine plus cher qu’un gîte : de 70 à 106 euros la chambre. L’hôtesse m’annonce que le rendez-vous est finalement fixé à 18h45 dans le hall. J’ai le temps de me rafraîchir et de ranger mes affaires.

Nous sommes neuf avec le guide, museau fin et jambes sèches, grand mais avec un léger bedon, arborant une tignasse bouclée poivre et sel, une barbe d’une semaine et de petites lunettes rondes qu’il masque parfois de plus larges lunettes noires. Il est diplômé accompagnateur de moyenne montagne. Pour le reste nous sommes deux garçons et six filles – plutôt mûres. La doyenne a 77 ans et a commencé à travailler à 15 ans. Elle a pris le train et est passé par Rennes et elle a dû changer de train à Grandville. Trois travaillent à l’Education nationale, une dans l’informatique et une dernière dans la formation.

Avec sa curieuse façon de présenter les choses, le guide ouvre une bouteille de cidre en « apéritif » (pour neuf), en précisant bien que c’est exceptionnel, que cela fait un trou dans le budget, et que nous devons apprécier comme il se doit cette attention inattendue. Ce ne sera que la première fois qu’il usera de cette ironie à l’envers qui prend les gens à rebours et le dessert plutôt. Le cidre bio du coin racle plutôt les intestins et fait aller rapidement aux toilettes ; il est heureux que nous n’en ayons eu qu’un demi-verre. Maniant toujours le paradoxe, il nous parle du séjour. Pour le situer, il déplie une grande carte… de l’Europe. Il présente l’essaimage viking puis explique les fortes marées par le plateau continental augmenté de la barre du Cotentin qui resserre les eaux dans la Manche. Il n’y aurait qu’un seul autre endroit dans le monde où les marées seraient aussi fortes. Notre marche se fera « selon les astres », ce qui signifie moins les étoiles que la lune et le soleil qui influent sur les marées. Le guide insiste sur la lumière changeante et toujours vive du Cotentin qui a inspiré les peintres. Il n’y a pas de peintre parmi nous, la race des amateurs se perd.

Sur ces hautes considérations, nous allons dîner. Il suffit de faire cinq mètres et de passer une porte pour nous retrouver dans le restaurant de l’hôtel. Le menu est mi-normand, mi-international, chacun peut choisir un plat parmi trois ou quatre. Je choisis la version locale : saumon fumé, cabillaud à la crème, les trois fromages de Normandie sur salade (camembert, pont l’évêque, livarot).

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