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Benoit Lhoest, L’amour enfermé

Honte à l’Eglise qui a trahi le message du Christ dans ce qu’il avait de plus universel : l’amour ! Aimer son prochain commence à la prochaine, la femme, la moitié de l’humanité, et sa moitié dans le couple.

Comme le montre l’auteur, l’amour a été enfermé dans la France du XVIe siècle. « Depuis que le christianisme s’est imposé comme référence du monde occidental, il n’a cessé d’instituer, comme l’un des piliers de sa morale, une haine féroce à l’égard de la sexualité. Cause de désordre dans la société, écran corporel éphémère entre l’âme immortelle et Dieu, passage étroit entre la nature et la culture, entre l’animal et l’homme, compromise dans le règne de la mort autant que du péché, elle aura été évacuée par l’Eglise mais aussi par le courant mystique dominant au XVIe siècle : le platonisme » p.242.

Aujourd’hui, les choses n’ont pas changé en doctrine : le cardinal Ratzinger ne dit rien d’autre. En 585, la concile de Mâcon a « mis en doute l’appartenance de la femme à l’espèce humaine et il fallut des semaines de discussion pour qu’elle y fût maintenue » p.28. Eve la tentatrice, issue d’une côte d’Adam, lui est seconde et non son égale ; elle est réputé mue par une lubricité foncière qui a rendu l’homme mortel en le chassant du paradis, qui l’épuise par ses exigences sexuelles incessantes et le détourne de l’amour dû à Dieu, donc du Salut. Pis-aller venu de Paul et de Matthieu, juifs rigoristes en phase avec leur milieu et leur temps, le mariage a pour seule justification la perpétuation de l’espèce et le nombre de nouveaux croyants. Mais la virginité et le célibat clérical lui sont infiniment supérieurs. Le coït est décrit selon des métaphores animales. Il abaisse l’homme et doit être canalisé, discipliné et encadré par l’Eglise qui, seule, sait ce qui est bon pour le pécheur. La contraception est interdite pour des raisons démographiques (« croissez et multipliez ») mais aussi parce qu’elle évoque adultère et prostitution, un hédonisme haï du clergé qui a dû faire vœu d’abstinence. Ce que je ne peux accomplir, que personne ne l’accomplisse, sauf par répugnance en fermant les yeux et en se bouchant le nez.

Le mariage est un contrat et une tyrannie, la femme est vendue avec sa dot et soumise à son mari comme le sujet au roi et le roi à Dieu. L’amour n’est surtout pas la question, l’érotisme, si présent dans le monde païen, est ignoré et méprisé, culpabilisé par une longue liste de péchés à confesser. La seule technique admise pour copuler est celle dit fort justement « du missionnaire », le mâle sur la femelle et qui la défonce pour lui planter sa graine, tout comme le soc perce la terre pour y mettre le blé. Onanisme, lesbianisme et homosexualité sont bien-sûr condamnés et interdits car stériles (« contre-nature ») et donnant du plaisir illicite (qui détourne du seul amour dû à Dieu). Cette tyrannie cléricale, sociale et parentale empêchait à l’avance toute espèce de relations authentiques entre les êtres et a entaché l’amour de culpabilité. Jamais ce doux sentiment n’a pu devenir une valeur à vivre au quotidien, permettant par une sexualité rassasiée et épanouie, cet amour universel du prochain prôné par le Christ.

Au contraire, cet « enfermement névrotique » (p.241) dans le mariage surveillé a engendré de nombreux cas d’impuissance, expliqués « par un complexe de castration dû à une peur de la sexualité rendue fatale par le rigorisme du discours religieux » p.86. Les seules soupapes admises étaient sous le signe de la violence émissaire : les fêtes, charivaris et inversions carnavalesques une seule fois l’an. Les « sorcières », vieilles, seules et laides, qui soignaient par la nature et non par les prières bibliques, représentaient le Diable, l’envers de l’idéal. Il était nécessaire de les pourchasser et de les éradiquer, notamment par le feu ou l’eau, qui purifient. Le paroxysme de ce délire clérical a eu lieu entre 1560 et 1630. La société du XVIe siècle était misogyne et inégalitaire, imposant l’esclavage du « sexe faible », « un monde de terreur et d’idéologie où la répression sexuelle et morale fait naître les pires fantasmes, les pires pulsions sadiques dans les esprits de milliers d’individus qui, jusqu’au bout, croient servir la vérité » p.126.

L’amour « courtois » a été une réaction d’Oc à ce délire idéologique de l’Eglise officielle, royalement catholique et papiste. Il a inversé toutes les valeurs admises – mais seulement dans l’idéalisme, revivifiant Platon. Il s’agissait de s’éprendre d’une femme mariée, de tenir cet amour secret, de la servir comme un vassal, sans espérer autre chose qu’un entre-deux de chair et d’esprit, un baiser chaste issu de l’organe de la parole et du souffle. Stérile, individualiste, porteur de désordre mental, ce néoplatonisme prolongé par Ficin a été « la première tentative pour arracher l’amour des griffes de la douleur et de la mort » p.138.

Il a fallu attendre deux siècles, le libertinage du XVIIIe, pour que la sensualité reprenne ses droits, que la femme soit admise comme une personne à qui parler et que l’on peut séduire au lieu de la dominer en soudard. Il a fallu attendre deux autres siècles pour que la « morale » rigoriste et victorienne issue de l’Eglise et adoptée avec enthousiasme par les bourgeois austères qui se piquaient de vertu, faute de naissance, lâche les mœurs. Mais elle persiste sous prétexte « d’hygiène », de santé mentale, de vitupération du laisser-aller hédoniste, d’éducation à la discipline, voire aux menaces mortelles du sida. Mai 68 et le féminisme ont à peine « libéré » l’amour, créant des injonctions nouvelles en place de celles de l’Eglise et de la morale bourgeoise.

Nous ne sommes toujours pas sortis de la doxa millénaire de l’Eglise, renforcée par l’essor des sectes croyantes américaines qui essaiment dans le monde entier et répandent leur morale via les films et les séries télévisées, par le renouveau rigoriste des autres religions du Livre qui surveillent et punissent toute déviance aux préceptes du Coran ou du Talmud, et même par les psychiatres du politiquement correct qui crient au « traumatisme » et prônent « la normalité ». Le « nu » (même le sein féminin ou le torse masculin) est banni sur Internet sauf dans la pub et le sport, de moins en moins présent au cinéma et « signalé » comme offensant dans les blogs et sur le fesses-book – pourtant au départ créé pour évaluer les filles du campus. Alors que « le naturel » est encouragé par souci d’harmonie avec l’environnement, la « nature » reste niée dans l’humain : pour être mentalement cohérent il y a encore du travail à faire !

Benoit Lhoest, L’amour enfermé – amour et sexualité dans la France du XVIe siècle, Orban 1990, Le grand livre du mois 2000 (sur Amazon), 292 pages, €13.99

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Pierre Bauduin, Histoire des Vikings

Enfin une synthèse contemporaine de spécialiste sur ce peuple nordique fascinant qui a essaimé depuis la Scandinavie jusqu’à Byzance et Terre-Neuve, en passant par le Groenland, l’Islande, l’Irlande, l’Angleterre, la Normandie et les fleuves russes. Pierre Bauduin est professeur d’histoire médiévale à l’université de Caen. En cinq parties et vingt-six chapitres, il arpente les thèmes suivants : la construction du mythe, la façon de « faire l’histoire » des vikings, les sources, les sociétés, les croyances, les liens sociaux, les ressources et activités, les navires et les migrations, la violence et la paix, les transferts culturels et la christianisation.

Les vikings sont issus des peuples du nord. Prédateurs et guerriers, ils suscitent des chroniques horrifiées et une image négative auprès des clercs qui écrivent l’histoire. Mais ils sont aussi commerçants et n’hésitent pas à traiter pour des échanges mutuellement avantageux : fourrures contre objets en stéatite sur les fleuves russes, domaine contre défense du territoire pour la Normandie. Un viking est celui qui fréquente les baies (vik) et monte des navires racés en bois assemblé souplement afin de pouvoir chevaucher les vagues de haute mer. Il existe des navires de guerriers et des navires de transport, le monde viking est spécialiste de la mer, donc des migrations et des réseaux.

« La motivation principale des entreprises vikings demeure l’acquisition de richesses butin et captifs, vendus comme esclaves ou rançonnés » p.83. L’implantation durable ne se fait que sur les territoires déserts (Islande, Groenland) ou les îles à portée de navire (Hébrides, Orcades, Irlande, Ecosse, Angleterre de l’est) ; peu à peu, les intermariages et l’acculturation croisée mais surtout la christianisation (qui apporte du prestige) dilueront l’ethnique dans le social et « le viking » disparaîtra pour devenir roi anglais ou irlandais, duc normand, chef mercenaire varègue. Malgré les études sanguines, génétiques, toponymiques ou juridiques, il n’existe pas « un peuple » viking qui aurait essaimé pour former une diaspora homogène en gardant une culture originelle, mais une progressive intégration dans les royaumes abordés.

Le viking est donc devenu un mythe, entretenu par les nationalismes au XIXe siècle et vivifié par le romantisme. Pierre Bauduin se veut scientifique, donc se méfie du mythe. Mais chacun peut prendre un modèle humain idéal comme guide et faire de cette construction (artificielle) une image dynamique qui l’aide à vivre. L’historien agit en critique qui déconstruit les sources ; l’anthropologue constate la construction des images-forces qui ont été créés. Les deux ne sont pas contradictoires, même s’il s’agit d’une autre étude.

L’entreprise viking a duré en gros trois siècles, depuis un peu avant l’an 800 jusqu’un peu avant l’an 1100. Ce qui ne veut pas dire que « les vikings » ont fait irruption à partir de rien ni de nulle part. Ils sont le produit de l’évolution des sociétés danoise, suédoise et norvégienne de l’âge du fer. Leur essaimage, suscité en partie par l’expansion du monde franc vers le nord, a profité des désordres des royaumes féodaux germaniques, francs et celtes après la chute de l’empire romain. S’ils ont eu tant de succès dans le pillage, c’est certes grâce à leurs qualités guerrières et à leur ruse de commandos tout comme à la qualité de leurs navires à faible tirant d’eau aptes à remonter très loin les fleuves, mais surtout aux désunions des princes et rois locaux qui se faisaient la guerre sans jamais pouvoir offrir un front uni contre l’envahisseur. « La cible principale des vikings fut (…) l’Angleterre » p.93.

Toutes les sociétés sont en mouvement, les sociétés nordiques comme les autres. C’est de ce vaste brassage post-romain qu’est né l’expansion viking, sachant que « le » viking-type n’a jamais existé. Il n’était pas le même en 1066 qu’en 780 : ni de même origine, ni de mêmes mœurs, ni de mêmes croyances, ni avec les mêmes armes. Car les sociétés s’interpénètrent et les armes franques sont devenues fort appréciées des hommes du nord, tout comme l’ivoire de morse par les chrétiens. Le sentiment de violence viking, qui a tant saisi les moines et les clercs copistes, était dû principalement à l’incompréhension des coutumes non-chrétiennes de ces païens vus (vers l’an mille) comme une punition divine pour les péchés. Les Francs pouvaient tuer et piller tout autant, et avec autant de cruauté envers les femmes et les enfants, mais « le viking » n’entrait pas dans les cadres reconnus, ni ne respectait les principes admis. D’où la « terreur » qu’ils inspiraient. L’apaisement aura lieu avec les conversions, progressives, partielles, plus politiques que spirituelles le plus souvent, mais qui ont suffi à « intégrer » les barbares dans le monde « civilisé ».

La dernière partie intitulée « Contacts, transferts culturels et identités » permet à l’auteur de chroniquer le passage au christianisme grâce aux textes, aux pierres runiques et à l’archéologie des objets et des églises. Il conte la progressive formation chrétienne des monarchies nordiques, l’organisation des nouvelles sociétés de l’Atlantique nord (dont l’Islande, originale), l’entre-deux violent et commerçant des fleuves d’Europe centrale, et les implantations différentes en Irlande, en Angleterre, en Normandie. Il est édifiant de constater que le mot « russe » vient de la désignation des Suédois sur le fleuve : Rous signifiait « ramer ». Et que les mots courants en anglais que sont husband, fellow, knife ou window (mari, copain, couteau ou fenêtre) viennent du norrois.

Voulant tout embrasser en un volume, le texte est assez dense, truffé de références et de noms, avec des phrases souvent trop longues qui comprennent maint jargon d’initié, comme si l’auteur voulait se garder à droite et se garder à gauche. Dont l’insupportable et éminemment snob « et/ou », venu du codage informatique et qui n’a absolument aucun sens dans la langue*.

Néanmoins, chacun pourra trouver provende en cette synthèse bienvenue, du spécialiste à l’étudiant, du curieux au Normand. De multiples pages de notes, références, bibliographie et cartes complètent le manuel.

Pierre Bauduin, Histoire des vikings, 2019, Tallandier, 666 pages, €27.90 e-book Kindle €19.99 

* NOTE sur le « et/ou » :

Celui qui parle n’est pas un codeur et celui qui écoute pas un programme informatique. Le « et/ou » informatique se traduit très précisément par « ou » dans la langue. Prenons un exemple : « ils portent des vêtements bleu ou jaune ». L’ensemble « vêtements » est bien qualifié de bleu ET de jaune. Mais l’ensemble sujet des « ils » signifie que chacun porte des vêtements OU bleu OU jaune. Dire « ils portent des vêtements et/ou jaunes » est donc sans aucune signification car ils ne peuvent à la fois en porter des bleus et des jaunes en même temps. Cet insupportable snobisme de branché moderniste, qui date des premiers temps du numérique il y a une vingtaine d’années, produit parfois des incompréhensions cocasses : « envoyez-moi un CV et/ou votre carte de visite » m’avait dit une secrétaire qui se voulait « attachée de direction ». J’avais le choix du et ou celui du ou : que faire ? Interrogée, la pimbêche me dit que c’était « évidemment » ET. Mon cerveau n’avait pas dégénéré en programmation Basic et le bio était en mode bug…

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Paul Harding, Le jeu de l’assassin

Nous sommes à Londres sous l’emprise du Régent Jean de Gand, en 1380. Les clercs à la Cire verte de la Chancellerie disparaissent un à un, mystérieusement assassinés tandis qu’un usurier meurt transpercé d’un carreau d’arbalète dans sa pièce forte entièrement fermée. Voilà une belle énigme pour frère Athelstan et son coroner sir John. La société est crédule, les malandrins habiles à dépouiller et à faire croire. Ne voilà-t-il pas qu’une croix de bois de l’église Saint-Erconwald se met à saigner ?

Ce qui meut les hommes depuis le mythe de Caïn, n’est-ce pas toujours la même chose ? « Un peu plus d’or, un peu plus d’argent ? Une gorge attirante ? Ou les mets et les vins les plus délicats pour nous remplir la panse ? » p.282. Que Madoff, Kerviel ou Cahuzac nous démentent. En ces temps médiévaux de fausseté, d’avidité et de miracles, la droiture et la logique des représentants de la loi paraissent un peu anachroniques. C’est pourtant ce qui nous attache aux enquêteurs, si modernes.

Tout va se résoudre de façon satisfaisante pour l’âme et pour l’esprit, mais pas sans nous avoir baladés d’un bout à l’autre. Ni sans nous faire découvrir d’un peu plus près cette Londres médiévale emplie de marchands et de catins, de prêtres défroqués et de nains, de soldats et d’artisans, de nobles jouvenceaux et de petits galopins.

« Le père prieur m’a envoyé pour travailler parmi les pauvres, plaide frère Athelstan. Je me suis pris d’affection pour ces gens simples qui mènent une vie si extraordinaire. Ils ne savent ni lire ni écrire. Ils sont écrasés de taxes et tiraillés à droite et à gauche, mais ils ont une joie et un courage que je n’avais jamais vus auparavant » p.186. Nul doute que l’auteur, professeur d’histoire médiévale à l’université, ne se soit pris d’affection aussi pour ce petit peuple de cette période naïve. Nous aussi pour ce 7ème opus de la série.

Paul Harding, Le jeu de l’assassin (Assassin’s Riddle), 1996, 10/18 2006, 285 pages, €9.47 

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Flaubert lit Rabelais

 « Sacro-saint, immense et extra-beau Rabelais » (Flaubert). Ainsi parlait l’Écrivain du siècle, dans une lettre à son ami Ernest Feydeau du 25 décembre 1867. Gustave était en train d’écrire la seconde partie de L’Education sentimentale et se décrassait de l’esprit bourgeois en relisant Les Horribles et épouvantables faits et prouesses du très renommé Pantagruel, roi des Dipsodes, fils du grand géant Gargantua, composés nouvellement par maître Alcofribas Nasier (1532). La langue française était alors en sa fleur, vive, primesautière et inventive comme jamais. Elle musicalisait le latin en le foutant de termes locaux. Elle rendait compte d’une époque passionnée gorgée de sève – juste avant cette décadence cuistre des guerres dites ‘de religion’, dont la France s’est fait une spécialité et dont elle n’est jamais vraiment sortie.

Flaubert aimait Rabelais. Ce moine Cordelier devenu Bénédictin avant de tomber prêtre séculier, puis médecin, correspondait à ce versant ‘gaulois’ de sa nature, bon vivant, grand fouteur et passionné en amitié. Rabelais publie Pantagruel à 38 ans ; il est aussitôt condamné par l’Université, repaire de prêtres et de dogmatiques, dont le nom exact était ‘Faculté de théologie de Paris’. Flaubert le sera de son temps pour Madame Bovary par le même parti dévot, moraliste et cul coincé. Gargantua suit, publié à 40 ans, attaquant bille en tête « sorbonistes et sorbonagres », mots fléchés pour « sophistes », ce qui flatte François 1er.

Le roi a en effet a contourné la Sorbonne 4 ans auparavant en fondant le Collège des lecteurs royaux (qui deviendra le Collège de France). Rabelais voyage en Italie, où il rejoint du Bellay et Marot. La Sorbonne continue de censurer la réédition de ses œuvres. C’est pourquoi, à 52 ans, il prend la précaution de publier ‘avec privilège royal’ le Tiers Livre, qu’il dédie à la lettrée Marguerite de Navarre, sœur du roi. Ce qui n’empêche pas la Sorbonne de censurer cet ouvrage aussi. De cette époque date la misère de l’université française, constamment délaissée par le pouvoir pour cause d’archaïsme dogmatique et de conservatisme content de soi. Nous vivons toujours ce genre d’époque de ‘mandarins’, la pénurie des postes poussant au népotisme et au conservatisme moralisateur. A 58 ans, Rabelais publie le Quart Livre – toujours censuré par ladite Sorbonne. Il meurt l’année suivante, et le Cinquième Livre paraît 11 ans plus tard – peut-être un pastiche.

Rabelais ne s’élevait pas contre la foi chrétienne mais contre la Morale, cette tartufferie dont Nietzsche baptisera la militance du nom de moraline. Pantagruel était un diablotin du folklore qui jetait du sel dans la bouche des gens pour exprès les altérer. Ainsi Rabelais mettait son grain de sel dans les fables de son temps. Il aimait rire, comme l’aiment les médecins confrontés à tant de misères humaines. Erudit, il distillait des leçons de sagesse tirées de l’antique, au travers des tableaux. Boire, s’empiffrer, goûter la débauche – ce n’est certes pas ‘chrétien’ au sens rigoriste de la doctrine de saint Paul. Mais cet exercice des sens que la nature nous a donnés permet d’évacuer les humeurs rancies pour être épanoui et lucide, l’esprit alors ouvert aux beautés et aux bontés du monde. Les narrations fabuleuses, ces « mythologies » selon Rabelais, soignent : « plusieurs gens langoureux, malades ou autrement fâchés et désolés [qui] avaient, à la lecture d’icelles, trompé leurs ennuis, temps joyeusement passé, et reçu allégresse et consolation nouvelle. » Le rire permet le jugement sensé – au contraire de la peur ou de la dogmatique.

Le ‘blasphème’ n’est pas contre Dieu mais contre ceux qui veulent monopoliser son interprétation, ces « vieux tousseux » qui se contentent de pratiques machinales comme ouïr « vingt-six ou trente messes » chaque matin (Gargantua). Rabelais les nomme les ‘agelastes’ – en grec, ceux qui ne rient pas. Lui parle « de folâtries joyeuses, hors l’offense de Dieu et du roi » (dédicace du Quart Livre).

Déjà Voltaire pointe sous Rabelais. « Ecrasez l’infâme ! » reste d’une brûlante actualité contre tous les intégrismes : avant-hier catholique, hier communiste, socialiste ou bayroutin aujourd’hui islamiste et peut-être écologiste. « Fuis les compagnies des gens èsquels tu ne veux point ressembler », prône Gargantua à son fils Pantagruel. Contre les clercs qui monopolisent la Parole de Dieu pour servir leur pouvoir séculier, Rabelais prône la lecture directe des livres saints, notamment dans l’éducation de Pantagruel. Il invite le gamin à les lire dans le texte – frisant l’hérésie car les clercs tiennent à leur monopole du Savoir, la seule chose qui justifie leur petit pouvoir. Calvin le saluera pour cette liberté. Car, selon le roi Salomon biblique, « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ».

Rabelais se voit en Socrate, d’extérieur ridicule, « le visage d’un fol, simple en mœurs, (…) toujours riant, toujours buvant (…), toujours se gabelant [plaisantant], toujours dissimulant son divin savoir ; mais, ouvrant cette boite, eussiez au-dedans trouvé une céleste et impréciable drogue : entendement plus qu’humain, vertu merveilleuse, courage invincible… » (Prologue de Gargantua). Il faut donc au lecteur aller au-delà des apparences – faire acte de liberté ! « Rompre l’os et sucer la substantifique moelle ». La leçon est que, sous le rire, le boire et la baisade, il faut avoir « certaine gaieté d’esprit confite en mépris des choses fortuites » (Prologue du Quart Livre). N’est-ce pas la sagesse ? Celle qui vient de l’antique et qui passera par Montaigne ?

François Rabelais, Les Cinq Livres des faits et dits de Gargantua et Pantagruel, Gallimard Quarto 2017, 1664 pages, €32.00

Gustave Flaubert, Correspondance janvier 1859-décembre 1868, tome 3, édition Jean Bruneau, Pléiade, Gallimard 1991, 1727 pages, €63.50

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Laurence Bobis, Une histoire du chat

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Ce livre court se divise en cinq parties qui se résument en fait à trois, les parties centrales étant toutes consacrées au moyen-âge. L’antiquité est à la portion congrue (moins de 20 pages) et l’époque « moderne » commence dès le XVIe siècle pour atteindre nos jours avec à peine 25 pages. Le sous-titre « de l’antiquité à nos jours » est donc un truc d’éditeur pour faire monter la sauce.

Il n’en reste pas moins que le livre est érudit, soigneusement documenté, pas moins de 58 pages étant consacrées aux notes et à la bibliographie. Le chat serait inconnu dans les textes bibliques, introduit seulement en illustration anthropomorphe au moyen-âge à des fins édifiantes. Il est présent largement en Egypte, adoré comme un dieu gardien du temple (et du grain entreposé) ; il est présent en Grèce antique, notamment sur la peinture de vases. « Sur l’un d’eux une femme, richement parée, abritée sous une ombrelle, tient une couronne et se penche sur le chat que porte un éphèbe nu, nonchalamment appuyé sur un pilier ; à ses pieds deux Eros luttent corps à corps » p.35. Toute la symbolique médiévale de la sensualité païenne se trouve déjà dans cette image.

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Le chat aurait été domestiqué dans la vallée du Nil avant d’essaimer au Proche-Orient où des soldats romains l’auraient importé en Europe occidentale avant le IVe siècle de notre ère – où il remplace peu à peu la belette pour chasser rats et souris. Le terme « chat » est issu du latin populaire cattus mais viendrait d’une langue africaine, berbère ou nubienne. Il s’appelait auparavant felis en latin et ailouros en grec, voire mau en égyptien. Notre chat actuel ne provient pas du chat sauvage européen mais du chat libyen, mieux adapté à l’homme. Il a été croisé progressivement avec des races exotiques dès la Renaissance (chartreux, persan, abyssin…), ce qui a renforcé son aspect peluche et fait sa renommée affective. Les Anglais sont devenus frappés du chat à l’époque Stuart ; les Français, plus portés aux mœurs autoritaires, ont longtemps préféré le chien et ce sont les écrivains et musiciens de la fin du XIXe qui ont rendu célèbre le petit félin (Chateaubriand, Victor Hugo, Baudelaire, Sainte-Beuve, Théophile Gautier, Balzac, Scarlatti, Rossini). La loi réprimant la cruauté envers les animaux date de 1850 et est due au général de Grammont.

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Mais le chat, animal domestique comme le chien, est vécu au moyen-âge et à l’époque moderne comme exemplaire des attributs réputés féminins (le chien est son inverse) : diabolique (le chien est fidèle, donc chrétien), rusé, sournois, hypocrite, querelleur, gourmand, paresseux, sensuel, intempérant, débauché… toutes les qualités qui sont prêtées aux femmes – l’inverse même des valeurs mâles. L’Eglise, dans son manichéisme renforcé par les hérésies du XIe siècle, oppose Dieu au Diable, donc Adam à Eve, et le chien au chat. L’animal est diabolisé par les clercs « savants » au XIIIe siècle et traiter quelqu’un de « chat » est une injure encore au XVe siècle. Par homonymie avec le chas (d’une aiguille) qui signifie fente, le chat évoque le sexe de la femme au XVIIIe siècle, dans la lignée des vices qui lui sont prêtés dès le moyen-âge. D’autant que les moralistes d’Eglise accusent le chat d’ancrer à ce monde ci par son affection les clercs, solitaires depuis qu’ils ne peuvent plus avoir de compagne après le deuxième concile de Latran en 1132, et de les détourner de l’amour exclusif de Dieu… Etonnez-vous après cela qu’ils deviennent pédés !

Selon le Dictionnaire historique de la langue française d’Alain Rey, toute une série de mots français ont été tirés de « chat » : une chatterie est une caresse, un chaton (d’arbre ou de chair) induit l’idée d’une douceur insinuante, chatoyer se dit comme l’œil du chat dans l’obscurité, chattemite décrit l’aspect doucereux et hypocrite, chafouin renforce l’aspect sournois en associant chat et fouine, chagriner est se lamenter comme les chats la nuit… L’auteur d’Une histoire du chat n’en parle pas.

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Elle évoque en revanche longuement l’époque médiévale où, afin de garder le chat au logis, on lui coupait les oreilles : craignant la pluie, il se gardait d’aller vagabonder ; certains lui brûlaient parfois la fourrure lorsqu’elle était trop belle, non afin de punir sa vanité mais pour son bien, car les pelletiers razziaient volontiers les chats pour en faire des pelisses pas chères. D’autres n’hésitaient pas à les servir pour du lapin ou à en faire des pâtés : « Des ossements de chats découverts dans les dépôts de la cour Napoléon du Louvre (XIVe siècle) portent aussi des traces de découpe… » p.77. Une recette de chat rôti à l’huile et à l’ail est fournie p.82 par un cuisinier espagnol du XVe à la cour de Naples. Si cela vous tente… Le chat sert aussi à soigner, en onguent, en filtre ou en bouillotte : « En cas de difficultés de digestion, il est bon d’embrasser un enfant ‘charnu, sain, de bon tempérament’ afin de procurer à l’estomac la chaleur propre à lui faire cuire et digérer la nourriture. Faute d’enfant, on peut recourir à un chiot noir ou à un chat mâle bien gras » p.91.

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Laurence Bobis sort de l’Ecole des chartes et dirige une grande bibliothèque parisienne, ce pourquoi son livre est une compilation de documentaliste plus qu’une « histoire » à proprement parler. Le moyen-âge prend une place centrale et démesurée au détriment du monde égyptien, romain, musulman et de l’époque actuelle. Mais son inventaire montre que les amoureux des chats sont plus introvertis, plus ouverts d’esprit et plus sensibles que les autres (qualités réputées féminines revalorisées aujourd’hui). Mais chacun peut apprécier plutôt l’exemple d’indépendance que donne le chat, leur liberté d’esprit et d’amours, leur quant-à-soi. Une belle contribution à l’attrait de cet animal séduisant.

Laurence Bobis, Une histoire du chat – de l’antiquité à nos jours, 2000, Points histoire 2006, 340 pages, €9.50

Les chats sur argoul.com

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Religion et foi

Pour moi, toute croyance métaphysique est du ressort de l’intime.

Nul ne peut se mettre à la place d’un autre à cet égard. Il s’agit en effet des fins de l’existence et de l’éventuel au-delà. Aucune « preuves » n’en peuvent être données autres que la Présence, ou l’envie de suivre un être exemplaire. La conviction naît en chacun, par conversion profonde ou par abandon au Guide, modèle de perfection ou maître de vie. Paul est renversé sur le chemin de Damas, Claudel bouleversé derrière le pilier droit du chœur de Notre-Dame. À l’inverse, Pascal fait le pari raisonné de croire, avant d’être saisi de « feu ». Je respecte ces convictions, puisqu’elles sont de l’ordre de l’intime. Mais je ne tiens pas à ce qu’un prosélytisme quelconque envahisse mon existence. En cela, je suis « laïc ».

religions dans le monde carte

Je distingue en effet la foi et l’église, la croyance et la tradition religieuse.

Pour ma part, je ne suis pas un « croyant ». Sur le fond métaphysique, je reste à la porte. Les spéculations sur ce qu’on ne peut pas connaître me paraissent stériles, elles n’ont pour moi pas de sens, pas de signification. Ou plutôt, ce qu’elles signifient n’est pas ce qui rationnellement me touche, ni ne me passionne, ni sort du ventre. Le sens est hors de toute raison, dans l’angoisse profonde et l’espérance – pas dans l’entendement mais dans l’émotion et l’instinct. Le sens humain n’est donc pas complet, inabouti. Il n’y a « pas de sens » parce que ni l’instinct, ni l’émotion ne sont « penser ».

Toutes les religions universelles se ramènent au fond à deux dispositions :

  1. Un abandon face à l’adversité (croire, tout simplement, sans raison)
  2. Le refus de la réalité et l’espérance qu’un autre monde est possible (sans que l’on fasse quoi que ce soit pour qu’il advienne)

Autrement dit la trilogie catholique : la foi, l’espérance et la charité.

Il s’agit bien de propensions intimes, irraisonnées, qui ressortent d’un déficit du vital, d’une déprime intérieure, de l’émotionnel exacerbé et de l’affolement face à tout ce qui change, qui bouge, qui surprend, d’un désir d’abdication et de refuge, d’être à nouveau petit enfant irresponsable que papa ou maman prend en charge. Avez-vous noté que les périodes de foi mystique naissent lors des grands bouleversements des peuples, dans l’Exil à Babylone, durant la migration hors d’Égypte, lors de la colonisation romaine, à la fin de l’Empire lézardé par les jeunes et vigoureuses invasions barbares, lorsque la Renaissance incite à la Réforme, après la chute de la dernière monarchie française et la défaite face aux Prussiens, à la suite de la boucherie de 1914, depuis la crainte sur le pétrole ou le nucléaire et les angoisses sur le climat, à la suite de l’échec des « printemps » arabes et du chaos qu’y a mis la liberté dans des pays encore archaïques ?…

Et pourtant, « l’autre monde » possible existe : il est celui d’à côté – pas celui d’hier ni celui d’au-delà.

Il est ce monde des autres qu’il nous faudrait découvrir, explorer et penser : Babylone pour les Hébreux, Rome pour les Juifs, les dits ‘barbares’ pour les Romains, les Protestants pour les Catholiques, l’Allemagne pour les Français après Sedan et avant 14, l’imagination, la recherche et l’inventivité industrieuse pour le climat et la gestion des ressources, l’islam même pour les ignorants qui n’ont jamais lu le Coran ni abordé la culture ni l’histoire…

Mais, plutôt que se colleter aux réalités, il est tellement plus facile de s’évader dans les fumées de l’Ailleurs, n’est-ce pas ? L’avenir radieux est sans cesse remis à demain car “le diable” (ou les Méchants) l’empêchent de se réaliser ici et maintenant. Il faut donc “prier”, se ressourcer dans “la foi”, la doctrine pure et sans tache, le littéral des Livres saints (Bible, Coran ou Das Kapital) et faire confiance aux clercs, ayatollahs, imams, rabbins, gourous, commissaires politiques gardiens de “la ligne” ou intermédiaires autorisés par l’Église entre Dieu et les pécheurs. Ne pas penser soi, s’abandonner entre les mains du Père, se soumettre (sens du mot islam).

Judaïsme Johann Sfar Le chat du rabbin

Est-il étonnant que ceux qui s’abandonnent le plus à l’au-delà soient ceux à qui la réalité de leur présent ne fait aucun cadeau ?

Les post-Romains se réfugient en monastères, hors du temps, dans un espace clos. La France féodale est angoissée de l’an mil, inquiète du Diable et des sorcières, aspirant à pèleriner pour chasser l’hérétique en Languedoc, sur le chemin de Jacques, et demain à Jérusalem. La mystique rhénane naît dans l’Allemagne des Grands Féodaux. Les pauvres Espagnols partent se tailler des empires en Amérique. Les Puritains anglais, persécutés, partent défricher la terre promise outre-Atlantique. Il n’est pas jusqu’aux hippies des années 60 sur les chemins de Katmandou, de Goa et de Bali qui n’aient été voir ailleurs, tenter de vivre autrement, s’évader dans la fumée et élever pour un temps des chèvres en tissant leurs vêtements. Ou Daech et son culte de la violence et du martyre, qui attire les âmes faibles éprises de discipline et d’absolu.

Dans tout cet exemplaire dépressif et auto-répressif, même les soi-disant laïcs, écolos mystiques qui se croient à gauche aujourd’hui puisent à l’envi : prêches enflammés contre le « luxe » et la luxure, contre la vanité et la dépense, militantisme pour une morale de l’austérité, de l’économe et de la rétention ; croisade des « enfants » ; conversions « naïves » ; récits rêvés d’apocalypses ; « miracles » édifiants…

christianisme mediavores

Max Gallo, historien populaire et essayiste sur l’État, a conté la geste chrétienne de la Fille aînée de l’église en trois volumes parus au début du second millénaire : saint Martin ou le manteau du soldat, Clovis ou le baptême du roi, Bernard de Clairvaux ou la croisade du moine. Il déroule, sans guère d’esprit critique, les images d’Épinal de « notre histoire de France » largement écrite par l’Église officielle sous la forme d’une Légende Dorée. Elle se décline en mystique (Martin), en politique (Clovis ou Louis 1er) puis en impérialisme (Bernard fondateur d’Ordre et prêcheur de croisade). Le premier volume est le plus mièvre, opposant comme Bien et Mal un Romain antique et son fils christo-hippie. Le premier est féru de lettres et de morale, amateur de vin et de jeunes femmes, le second est dépeint sentimental hystérique, ignorant et refusant d’utiliser son esprit pour se réfugier dans l’offrande passive de « la prière », frappé d’exemples martyrs, aspirant à s’humilier dans la boue, se châtiant sous la pluie glacée et refusant tous les plaisirs venus des autres et de la nature. L’humain n’a-t-il donc le choix qu’entre l’ange et la bête ? Ne sommes-nous point debout mais faillibles, vaillants mais aveugles ? C’est en tâtonnant que l’existence se révèle, il faut de la force pour aller de l’avant. Max Gallo le reconverti, lors du baptême du bébé Antoine en 2001 ainsi qu’il le raconte, a le zèle du néophyte pour croire en cette histoire sainte avec la foi du charbonnier.

J’avoue comprendre mieux le Bouddhisme sur ce sujet.

Lucide sur l’Illusion (ce voile de Maya) et tenté un temps par le renoncement (Bouddha fut ascète), il a résolu bien mieux que le Christianisme cette panne d’énergie, ce déficit vital et psychologique qui frappe ici ou là les hommes lorsque les temps déstabilisent les sociétés. Contrer l’Illusion consiste pour le bouddhisme non à rêver d’un autre monde, d’une Cité de Dieu ailleurs que sur cette terre, ou d’un combat paranoïaque contre tous ceux qui ne croient pas exactement comme vous, mais à démonter signe à signe ce que l’on croit être vrai pour pénétrer le cœur des choses. Il s’agit de discipline qui passe par :

  1. la maîtrise du corps (le yoga, les arts du zen),
  2. la domination des passions (selon des exercices respiratoires et spirituels)
  3. la méditation intellectuelle la plus poussée (sous la direction d’un maître).

Point d’abandon alors, entre les mains d’un Père ni dans un néant quelconque – mais une énergie canalisée en soi, prête à rejoindre les énergies du monde. Pour certains Chrétiens eux-mêmes, la « prière » n’est pas s’abîmer en Dieu mais l’instant d’un retour sur soi pour un ressourcement intime.

Reste la tradition

Elle est culture et j’y participe, étant tombé dedans petit avec le baptême, les cérémonies, la messe, le patronage, les scouts, l’aumônerie du lycée. A noter, pour l’histoire, que si j’ai rencontré en catholicisme beaucoup de sentimentalité, de névroses, une phobie hystérique de la nudité, une angoisse viscérale du sexe et les affres permanents de la conscience coupable – je n’ai pas rencontré de pédophiles ni d’homosexuels déclarés. Il y a une hystérisation probable de cette infime minorité dans les faux (ou très exagérés) souvenirs d’aujourd’hui. Axel Kahn n’a-t-il pas déclaré lui-même au Club de la presse d’Europe 1 qu’un curé qui le regardait nager nu était un « pédophile » ? Entre le regard et l’acte, il y a me semble-t-il une différence… Mais rien de tel que la confusion pour obtenir son quart d’heure de gloire médiatique.

Je n’ai pour ma part échappé qu’aux collèges et aux pèlerinages… Peut-être est-ce surtout là que se situaient ces pratiques réprouvées ? Il va de soi que la peur de la femme, l’idéalisation de la Vierge, la frilosité envers le corps, incitent comme l’interdiction de la sexualité « normale » aux prêtres, à la déviance de pulsions de toutes façons irrésistibles ? Peut-être ces pratiques pédo ou homo – que nous réunissions par commodité sous le terme « pédé » – ont-elles été encouragées après ma période de prime adolescence, dans les suites de mai 68 que les gauchistes réprobateurs d’aujourd’hui, qui adorent faire à leçon au monde – ont encouragées et pratiquées sans vergogne pour être à la pointe de la mode rebelle ?

croix dylan michael patton 13 ans

Je ne renie pas les racines majoritairement chrétiennes de l’Europe, même si le soubassement gréco-romain et celtique, viking, est important (dans la langue, le droit, le parlement, les moeurs, et même l’architecture des églises et des cathédrales). Viennent ensuite des influences juives, notamment sur la Méditerranée, qui ont duré plusieurs siècles, l’islam un peu, même pas un demi-siècle cependant vers Narbonne et Toulouse. L’orientalisme – qui va du Maroc au Japon en passant par l’Égypte, la Perse, l’Inde et la Chine – a eu plus d’influence sur notre culture que l’islam lui-même, n’en déplaise aux soumis.

L’Europe, la France, se sont façonnées de tout cela.

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La lumière en lumière

Préfacé par l’astrophysicien Roland Lehoucq, cet ouvrage en largeur richement illustré s’efforce d’être complet et sans jargon. Ce n’est pas toujours au point mais il faut saluer un véritable effort pour se mettre à la portée du grand nombre. Les textes courts et concis font que sa lecture, même linéaire, n’est jamais ennuyeuse.

la lumiere en lumiere adp sciences

Je l’ai lu d’une traite, l’imagination emportée soit vers l’infiniment vaste des étoiles, soit vers l’infiniment petit des photons. Chacun y trouvera, dès la prime adolescence, matière à s’instruire comme à rêver, qu’il soit littéraire, économique ou scientifique. Neuf chapitres rythment l’exploration de ce sujet dont on ne pouvait soupçonner qu’il soit aussi vaste. Manque cependant – mais les auteurs ont été formatés à la mathématisation du monde dès le lycée… – un chapitre sur les Lumières de la Raison, celle qui a permis justement l’essor de la méthode expérimentale et des techniques qui permettent d’analyser le soleil ou les galaxies lointaines.

1969 apollo 11

Cet atlas de la lumière pour notre temps commence par un peu d’histoire. Si les Antiques ne s’intéressaient qu’à l’homme, donc à la vision, les savants en pays d’islam ont approfondi la physique de la lumière en la dotant d’une existence propre. Les auteurs rappellent que « ‘la science arabe’ est écrite par des musulmans, des chrétiens, des juifs, des païens, dans la langue intellectuelle, celle du Coran » p.4. Il s’agit d’un savoir d’époque et pas d’une religion.

C’est d’ailleurs en Occident que la religion s’oppose le plus à la curiosité humaine, tout étant réputé figé dans le Livre et les seuls intellectuels étant « des clercs travaillant dans les abbayes » dont la « principale préoccupation vise à concilier foi et raison » p.4. Il faut attendre la Renaissance pour que les savoirs émigrent du monastère à la cour des mécènes, qui « ont besoin de connaissances pratiques ». La querelle actuelle de l’université française – qui serait soumise à l’économie de marché plutôt que de former l’esprit critique – ressemble fort à la querelle Renaissance entre clercs d’Église orientés vers la seule foi et riches princes orientés vers la vie bonne…

Dieu ne tarde pas à s’effacer au profit de la connaissance physique avec Descartes, Huygens, Newton et Laplace, jusqu’aux apports de l’électromagnétisme au XIXe siècle et au bouleversement de la théorie quantique et de la relativité au XXe siècle : la lumière est à la fois onde et corpuscule – le photon. « La lumière est une onde qui transporte de l’énergie sans mouvement de matière » p.12. Sa vitesse ultime dans le vide est de 299 792 458 mètres par seconde.

piaf miroir

Mais la lumière visible, entre 380 et 780 nanomètres de longueur d’onde, n’est qu’une partie de la lumière globale qui s’étend de part et d’autre avec l’infrarouge et l’ultraviolet. Ce que nous appelons « les couleurs » ne sont que notre réception, les animaux voient autrement. D’autant que les photons peuvent être absorbés (couleur noire), réfléchis (couleur blanche) ou diffractés (différentes couleurs selon l’angle). Les matériaux font miroir ou concentrent en loupe, transforment la lumière en chaleur comme font les lucioles ou en éléments organiques comme la photosynthèse. Les seuls matériaux que l’on voit sont ceux qui diffusent la lumière.

Je ne peux tout vous raconter de la richesse de ce livre. La lumière et la vie analyse les couleurs et les biorythmes circadiens jusqu’aux soins de diagnostics et de traitements ; lumière et environnement montre comment surveiller la composition de nos assiettes et de l’air que nous respirons par spectroscopie et Lidar (Light Detection and Ranging) ; les lumières et la terre inventorient couleurs du ciel, mirages et aurores polaires ; lumière et espace perce les mystères de l’univers, permet d’évaluer les distances et même de se déplacer en voilier dans l’espace ; les technologies du quotidien sont utiles pour reconstituer Lascaux ou calculer la distance de la terre à la lune, se repérer dans le temps et l’espace, analyser par le LIBS de quoi est faite une planète lointaine ou repérer les indices d’un crime, communiquer par fibres et pixels ou découper ou souder au laser dans l’industrie.

pleiades constellation

Le livre se conclut par l’énergie solaire, désormais au point, et par le projet fantastique de fusion comme dans le soleil, qui permettrait une énergie « illimitée » (jusqu’à consommation de la terre même…). Mais comme l’homme reste un loup pour l’homme, la lumière comme arme n’est pas oubliée, des miroirs d’Archimède au laser de guidage des missiles ou aux expérimentations de laser pour aveugler ou détruire. Un avion américain équipé d’un laser chimique d’un mégawatt, le YAL-IA, a même été produit jusqu’en 2011 pour détruire des missiles balistiques en phase d’accélération (photo p.146).

L’ultime chapitre est consacré à lumière et culture, l’accélérateur synchrotron permettant d’imager les fossiles plats, de comprendre la décoloration des pigments d’artistes et d’analyser les couches de vernis des luthiers. Sans oublier les feux d’artifices, qui sont un art véritable à la technique pragmatique.

Un bien beau livre qui, dans le silence des textes et le chatoiement des images, permet de méditer l’univers, son excitante complexité et son incomparable beauté.

Coordonné par Benoit Boulanger, Saïda Guellati-Khélifa, Daniel Hennequin, Marc Stehle, La lumière en lumière – du photon à l’internet, 2016, EDP sciences, 156 pages, €29.00

Attachée de presse : Guilaine Depis, contact presse guilaine_depis@yahoo.com ou 06 84 36 31 85

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France, fille aînée de l’église intellectuelle

L’exception française, en matière de réflexion et de pensée, n’est pas un vain mot.

  • Chacun sait que la France est un pays centralisé à Paris, et que le « milieu intellectuel » à Paris est centralisé encore plus dans les quartiers centraux, en gros entre Notre-Dame et Saint-Germain des Prés – deux églises comme vous pouvez noter.
  • Chacun sait que « le Français moyen » des sondages révère l’État et que le rêve de tous ses fils et filles est à 73% de « travailler dans la fonction publique ». Un peu moins globalement qu’en 2004 à cause de l’hôpital (désorganisé et stressé par les 35h), mais nettement plus qu’en 2004 dans la fonction publique d’État !
  • Chacun constate aussi que la moindre parcelle de petit pouvoir fonctionnaire fait gonfler l’ego de qui le détient – comme s’il était investi d’en haut d’une Mission de service public et de gardien de l’ordre (observez la guichetière, le flic, lisez la réponse du fisc ou de la Sécurité sociale ou de Pôle emploi…).
  • Chacun peut observer, comme le sociologue Philippe d’Iribarne, que celui qui exerce un métier en France sait mieux que tout le monde ce qu’il faut faire et comment il faut le faire, n’acceptant qu’avec répugnance des ordres venus de sa hiérarchie ou des autres métiers pourtant dans la même entreprise. Le « sens de l’honneur » dans le privé est équivalent à la « mission de service public » du fonctionnariat.

« Les intellectuels », en France, ne regroupent pas tous ceux qui pensent, qui réfléchissent à leur pratique, qui philosophent ou qui cherchent – loin de là ! Les intellectuels de droit se réduisent surtout à ceux que les médias nomment de ce nom, c’est-à-dire ceux que le quatuor de presse qui veut faire l’Histoire à Saint-Germain des Prés – donc à Paris, donc en France, donc dans le monde entier – érige en phares de la pensée. Ce quatuor est composé de Joffrin à Libération, de Kahn à la radio après Marianne, de Plenel à Médiapart, de Birnbaum au Monde. Ils sont leaders culturels, faisant la pluie et le beau temps pour désigner les livres que l’on « doit » lire et les pensées qui « méritent » d’être suivies.

Hier volontiers antiparlementaires et pourquoi pas fascistes (Maurras, Drieu La Rochelle, Brasillach, Céline, Jouvenel, Maulnier, Fabre-Luce…), les « intellectuels » ainsi proclamés sont aujourd’hui évidemment « de gauche », évidemment dans le vent, évidemment imbibés de Morâââle. Comme s’il n’y avait pas aussi des intellectuels à droite ou au centre – ou ailleurs.

Si l’on réfléchit un tant soit peu sur ce qu’il est convenu d’appeler ces « intellectuels », force est d’observer qu’ils agissent en bande comme des clercs d’une église. Ils pensent en meute, se veulent toujours « d’accord » avec les gens du même bord « moral » qui est le leur, répètent comme perroquets la doxa du moment, imitent leur leader légitime dont l’infaillibilité donne le ton. Pourquoi ? Pour exister publiquement, pour être reconnus par leurs semblables, pour se poser à la pointe du Progrès, des Droits de l’homme et de l’égalité, voire de l’Histoire en marche.

Rien n’a vraiment changé depuis la naissance de l’intellectuel au moyen-âge…

cure

À l’époque, quiconque n’était pas « bien né » ne possédait aucun pouvoir de fait. La seule façon « noble » d’arriver en société était l’Église. En faisant peur aux chrétiens, par la confession et les prêches enflammés, par la puissance temporelle de son organisation (qui fascinait tant Staline), l’Église « sainte, catholique, apostolique et romaine » se voulait seule légitime dépositaire du message même de Jésus-Christ – c’est-à-dire de Dieu. Sa voix était la voix d’En-haut, sa morale le Commandement-du-Père, son savoir issu des Saintes-Écritures – que nul ne saurait contester sous peine de blasphème, excommunication et damnation éternelle.

D’où la chasse aux hérétiques, l’instauration de l’Inquisition, la mise à l’Index et les bulles du Pape, déclaré « infaillible » en 1870, dès que la puissance de l’Église a commencé à décliner… Ce fut la même chose sous Staline, et les « compagnons de route » même pas membres du Parti communiste criaient haro comme les kamarad sur les boucs émissaires qui osaient critiquer un tout petit peu les « excès » du régime (Gide, Souvarine, Nizan, Camus, Kravchenko, Aron, Soljenitsyne, Simon Leys…).

Aujourd’hui, malgré les incantations à « la démocratie », aux « droits des minorités » – et à la « libre expression » après l’attentat contre Charlie – la posture intellectuelle garde la même trajectoire. Comme les clercs d’église, les intellos se posent comme :

  • Répugnant à l’argent (leur anticapitalisme ne va cependant pas jusqu’à refuser les piges ni les droits d’auteur scandaleusement au-dessus du SMIC lorsqu’ils sont conférenciers, chanteurs ou « artistes »)
  • Pour l’unité de tout le genre humain (ledit genre devant obligatoirement se calquer sur leur propre caste, eux-mêmes se voulant avant-garde du sens et du Progrès)
  • Aimant l’autorité (quand ils en font partie… donc pas De Gaulle tout proche mais Staline ou Mao au loin, oui à l’Écologie… mais pas dans leur jardin)
  • Adorant faire la Morale à tout le monde, investis du rôle de Commandeurs des croyants en leur église germanopratine
  • Poétisant sur « le peuple » et « la nature » en romantiques… urbains

Tout cela vient du dogme catholique et de la pratique séculaire de l’Église catholique. Même les athées, même les « marxistes », tous ces « progressistes » reprennent intégralement le programme catholique qui a si bien réussi dans l’histoire. Les intellos français sont les seuls à le faire en Occident, notons-le. Les Russes tentent de les imiter avec l’orthodoxie, mais cette église-là n’a aucune légitimité « universelle » comme la catholique.

Rousseau, Victor Hugo, Maurras, Sartre, Bourdieu, BHL, Badiou proclament leur répugnance à l’argent, leur aspiration à l’unité, leur préférence pour l’autorité, les commandements de la (seule) Morale, tout en se pâmant d’attendrissement sur les gamins sales et demi-nus du « peuple » des banlieues (ah, le mythe de Gavroche, le mythe de Cosette !), tout en rêvant de « la nature » simple, évidente et « faite pour l’homme » (à condition  de l’organiser en parcs protégés sous la « domination » de fonctionnaires acquis à la cause).

Si d’aventure vous avez le malheur de critiquer leur point de vue, de railler leur naïveté, de rappeler leurs constantes erreurs historiques – vous voilà catalogué : « de droite », « fasciste », « faisant le jeu du Front national » – en bref l’incarnation du Diable comme dans l’Église ! Michel Houellebecq, Alain Finkielkraut, Michel Onfray, en font l’expérience, vrais intellectuels (contrairement à Eric Zemmour qui n’est que journaliste). Ils sont les nouveaux boucs émissaires de la violence mimétique chère à René Girard, les intellos dans le vent rejetant ainsi la part sombre d’eux-mêmes sur des sujets extérieurs voués à l’exécration – afin de « fusionner » bien au chaud dans le nid, avec leurs semblables.

Narcissisme du miroir, égoïsme forcené de la reconnaissance mutuelle, posture théâtrale en public : voilà donc ces « pseudo-intellectuels » – comme dit la ministre, qui n’en fait pas partie. Ils sont donnés en exemple par le quatuor médiatique, en opposition aux autres intellectuels, critiques mais non adulés par les médias. Ne sont-ils pas en carton-pâte  ? Car leur pensée se racornit à mesure qu’ils se posent, tant la soif d’être reconnus et à la mode appauvrit toute réflexion. D’où les tabous du « débat » intellectuel français, les cris d’orfraie à la mention de certains mots, la « reductio at hitlerum » des commentaires sur les blogs. Les invectives moralisatrices remplacent l’argumentation, la violence toute raison. Il s’agit moins de débattre que de se poser, moins de considérer l’autre et ses interrogations que de se considérer soi, comme si beau en ce miroir et surtout devant les autres.

Mais comme le dit Michel Onfray, avec son art si populaire de mettre les pieds dans le plat, « interdire une question, c’est empêcher sa réponse ».

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Paul Doherty, Le lys et le serpent

Paul Doherty Le lys et le serpent

Ce tome 2 des aventures de Matthew Jankyn, espion au service du cardinal Beaufort, bâtard d’Angleterre, a pour objet cette fois le mystère de Jeanne d’Arc. A-t-elle été vendue par les Chtis ? A-t-elle fait l’objet d’une manipulation anglaise pour s’assurer du pouvoir durant la minorité du petit roi Henri VI de 9 ans ? A-t-elle été abandonnée par le veule et cagneux Charles VII ?

Paul Doherty est professeur d’histoire médiévale à l’université et il connaît sa période. Après Azincourt et sa victoire (anglaise)/défaite (française) dans le premier opus de la série, ‘L’Ordre du Cerf blanc’, nous suivons son héros Matthew sur les chemins boueux de France. Il se revêt d’armure pour faire des coups de main contre les soudards, les écorcheurs, les Bourguignons et les Anglais – enfin tous ceux qui contestent à Charles le Dauphin sa légitimité au trône.

Dans cette atmosphère de paranoïa et de complots – qui va si à bien à notre propre époque – se lèvent des illuminés inspirés par Dieu (ou par le Diable ?). Un petit berger a des visions, l’évêque royal le protège pour son frais minois et par le pouvoir que le ciel, ainsi, lui donne sur la faiblesse du Dauphin. Mais Jeanne entend saint Michel, sainte Marguerite et sainte Catherine à tour de rôle. Elle lit dans les âmes et prédit souvent ce qui arrive. Mieux, elle s’affirme en soldat dans ce monde où les femmes sont exclues. Son secret ? La certitude d’avoir raison et la fermeté d’être soutenue par le ciel.

Pourquoi pas ? Mais le cardinal anglais Beaufort est sceptique. Il envoie son meilleur limier, « prince des menteurs », couard et irrémédiablement les pieds sur terre, pour en savoir plus. Non pour la vérité – à quoi cela sert-il ? – mais, en bon pragmatique – pour savoir à quoi Jeanne la Pucelle pourrait bien LUI servir.

Matthew se préoccupera de survivre et se trouvera à chaque fois de bonnes auberges où faire bombance et des veuves esseulées pour chauffer sa couche. Il approchera Jeanne de fort près. Espion il est, menteur et scélérat, mais fidèle. Il ne la trahira point, fort marri au rebours de deviner qui trahit la Pucelle : des clercs bien gras, aigris de mal pouvoir et trahissant leur nation. L’évêque Cauchon – au nom prédestiné – est clerc de Beauvais en Picardie. Il s’était rangé aux côté des Bourguignons et aux membres de l’université de Paris qui exigeait que la Pucelle soit remise aux Anglais ou à l’Inquisition d’Église. Portrait de Cauchon par Doherty : « L’homme était grand, avec un visage rubicond, des yeux gris ardoise et une bouche qui évoquait aussitôt le mal. Il pouvait se montrer charmant et plein de délicatesse mais, pour peu qu’on s’opposât à lui, il manifestait une propension à la haine dont même le dernier des rats se serait affligé » p.170. Compiègne a fermé son pont-levis à Jeanne qui rompait le combat, poursuivie par les Anglais. Elle était malvenue chez les Chtis.

On s’étonnera donc de la fin, étayée par des documents historiques, mais dont le romancier pousse l’hypothèse – ce que ne peut faire l’historien. Les paranos seront ravis, les adeptes du Complot boiront du petit lait. Les lecteurs normaux se délecteront d’une intrigue bien ficelée qui leur feront, en passant, revisiter, de façon bien plus vivante que les cours magistraux, la grande histoire de France.

Paul Doherty, Le lys et le serpent (The Serpent among the Lilies), 1990, 10/18 nov.2008, 222 pages, €7.10

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Paul Doherty, L’assassin de Sherwood

Paul Doherty l assassin de sherwood

Tout le monde connaît Robin des Bois. Surtout d’après les films hollywoodiens et les feuilletons télé, et même les bandes dessinées à l’époque où la télé était encore en France au niveau du « 22 à Asnières » pour le téléphone. Paul Doherty, le fameux professeur d’histoire médiévale anglais, accessoirement auteur de romans policiers historiques sous un tas de pseudonymes (Paul Harding, Ann Dukthas, C.L. Grace), nous parle dans ce livre de Robin des Bois. Le Robin historique, le vrai, à peine romancé pour l’occasion. Dans une note finale, il cite ses sources, les registres et chroniques du temps. Mais bien sûr, le roman n’est qu’une histoire – plausible, mais une histoire quand même. Et celle-là nous emporte.

Nous sommes en 1302. L’Angleterre est gouvernée par Edouard 1er, que le roi de France Philippe IV le Bel tient à merci. Philippe le blond aux yeux froids veut envahir les Flandres – mais par où ? Les espions d’Angleterre sont chargés de le découvrir. Pendant ce temps, Hugh Corbett, clerc du roi anglais, est mandaté par le souverain pour élucider un crime commis à Nottingham, aux lisières des bois de Sherwood. Il s’agit d’une forêt de chênes dense où les malandrins y sont comme chez eux, armés du long arc qui fait leur réputation et perce les cottes de maille. Les cavaliers sont gênés par la futaie ; les convois transportant l’or des impôts y disparaissent, leur escorte dénudée et pendue.

A Nottingham, le sheriff vient de mourir – assassiné. Il a été empoisonné dans sa chambre fermée, alors que tous les aliments et boissons autour de lui étaient sains. Comment cela se peut-il ? Robin des Bois serait-il le diable ? On dit que d’étranges lutins peuplent les forêts et que le Démon a été vu les soirs d’orage, chevauchant à la tête d’une noire légion. Mais le moyen âge est rempli de ces fantasmes et autres superstitions. Quand on se marie à 12 ans pour une fille (et vers 15 ans pour les garçons), qu’à 16 ans on a déjà eu quatre gosses (dont un seul survivant), comment ne pas prendre la vie telle qu’elle vient, et croire tout ce qui se présente ?

Paul Doherty, en spécialiste du moyen âge, ne nous épargne aucune réalité du temps : les gamins dépenaillés, à moitiés nus, qui jouent dans la fange ou « chevauchent » une truie ; les catins dépoitraillées qui racolent les passants, clercs inclus ; les taverniers rusés qui trafiquent de tout et servent de liaisons ; les soudards obtus, brutaux et sans pitié ; les curés méritants, les moines gras et flemmards, les retirés du monde, les sorcières habiles en potions…

Le roman est mystérieux à souhait, fascinant pour les petites cellules grises. Il offre son coup de théâtre final et ses portraits humains. C’est là que Ranulf, l’adjoint souple et queutard de Hugh, gagne ses galons de « clerc » royal. C’est là que l’on découvre un code secret réel, celui du roi de France. Et l’on oublie les temps pour une heure ou deux d’évasion.

Paul Doherty, L’assassin de Sherwood (The Assassin in the Greenwood), 1993, 10/18 2006, 255 pages, €0.39

Un site anglais sur la vraie légende de Robin Hood

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Paul Doherty, Le livre du magicien

Paul Doherty le livre du magicien

Encore un Doherty, me direz-vous ? Eh oui, c’est que ce prolifique, bien qu’au civil éminent professeur anglais d’histoire médiévale, est l’auteur d’au moins six séries de romans policiers historiques, dont plus de quinze ayant pour héros le clerc du roi Hugh Corbett ! Le livre du magicien fait suite à L’archer démoniaque, La trahison des ombres et Funestes présages, mais on peut le lire seul.

L’histoire, cette fois se complique. Ou plutôt la petite histoire rencontre la grande. Le décor est toujours cette Angleterre des campagnes au temps du roi Edouard 1er, époque rude et féodale de l’an de grâce 1303. Mais les protagonistes sont cette fois la France et l’Angleterre, affrontés par espions et clercs interposés. L’objectif est de réduire les apanages gascons d’Edouard 1er à la vassalité de Philippe le Bel. Où l’on voit les Anglais rusés et les Français impérieux, l’amorce de « l’État c’est moi » qu’affectionneront très tôt les rois de France et le bon vouloir fantasque du roi anglais.

En bref, dans un château « imprenable » des bords de mer, côté anglais, des émissaires lettrés des deux royaumes se réunissent, d’ordre de leurs rois, pour y débattre d’un livre secret. Il fut écrit dans un code inconnu et a pour titre « Secretus secretorum ». Le fameux Roger Bacon en est l’auteur. Ce livre existe pour de vrai – et n’a jamais été traduit en clair – mais sa provenance fait débat. Est-il vraiment de Bacon ? Ces travaux érudits sont le prétexte au roi de France pour mettre au pas ses clercs de Sorbonne qui en prennent à leur aise avec leur théorie du pouvoir. Pour eux, le bon plaisir du Prince n’est pas source de légitimité – voilà qui est bien séditieux ! Trois sur quatre trouveront d’ailleurs la mort au château, lors de malencontreux « accidents ».

Amaury de Craon, l’oreille de Philippe de France, est rusé comme un goupil et voudrait bien en accuser les Anglais. Il aurait ainsi un prétexte pour asservir la grande île aux désirs de revanche du roi, et contrer le Pape, qui soutient Philippe le Bel parce qu’établi sous sa protection en Avignon. Mais, on le devine, Hugh Corbett, intègre et scrupuleux, veille, ainsi que son âme damnée Ranulf, auquel son roi à fait des promesses secrètes.

Rien n’était simple mais tout se complique. Ne voilà-t-il pas qu’une série de jeunes filles, fraîches et jolies, sont occises par carreau d’arbalète, en quelques jours, successivement ? Et que de sombres colporteurs sillonnent les chemins pourtant enneigés de cette contrée déserte. Cela alors qu’on signale des cogghes de pirates flamands le long des côtes, ce qui ne s’était jamais vu durant l’hiver. Que se passe-t-il donc en cette contrée dominée par le château de Corfe ?

Nul doute qu’Hugh ne démêlera l’écheveau enchevêtré de tous des périls qui menacent le royaume et son faible roi. Passera alors sa justice, expéditive selon les mœurs du temps. Et l’on fera entre temps connaissance d’une galerie de personnages hauts en couleur et attachants : un espion, quatre clercs lettrés, un gamin de taverne, une douce jeune fille, un prêtre tenant l’hostie à l’envers, un hors-la-loi repenti, une vigoureuse maîtresse lavandière, un jeune soldat grêlé, une fille de seigneur qui n’a pas peur de draguer les beaux garçons… Doherty n’a pas son pareil pour, en quelques mots, croquer un caractère.

Le charme du polar médiéval tient en l’usage de mots anciens qui prennent, à notre époque moderne, des résonances profondes. Ce ne sont ainsi que garces, bachelettes et jouvencelles, ou gamins, bacheliers et jouvenceaux. L’on y fait rencontre de pendards et de claquedents, de gâte-sauces, de souillons et de saute-ruisseau, de lavandières et de taverniers. Les gens s’abreuvent de posset et de bière en chope ou en pichet, de vin épicé brûlé au fer rouge ; ils déjeunent de ragoût de venaison avec du pain sortant du four et une écuelle d’oignons et de poireaux frits au beurre, ou de saumon sauce au vin et de poulet crème au cumin.

C’est ainsi que Doherty oppose l’hiver du dehors à la chaleur du dedans ; le mal de l’état de nature au bien de la collectivité humaine (lorsqu’elle est organisée) ; la solitude des forêts enneigées à la vie grouillante des églises, des tavernes et des châteaux ; la faim qui tenaille les hors-la-loi aux cuisines bien garnies des paysans, des tenanciers et des seigneurs ; l’imprévoyance des ignares qui ne suivent que leurs instincts du moment à la bonne gestion des avisés qui préparent l’avenir. L’histoire se passe, comme les trois précédentes, durant un hiver. A croire que le mystère est plus profond, plus démoniaque, quand la nature s’en mêle. Que la raison est une lumière qui éclaire comme le soleil. Que le bon feu qui flambe dans la cheminée des salles, aide la raison à clarifier les choses. Peut-être est-ce un roman qu’il faut lire calfeutré chez soi, sous la couette confortable, quand le froid est mordant au dehors ? Durant nos étranges saisons, on peut le lire tout de suite.

Paul C. Doherty, Le livre du magicien, 2004, 10/18, 350 pages, €1.26

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Victor Segalen, Essai sur l’exotisme

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Victor Segalen, mort en 1919 à 41 ans, était médecin de marine et a beaucoup voyagé. Mais ce qui l’intéressait dans « l’exotisme », n’étaient ni les impressions ni les images colorées, « cocotiers et ciels torrides ». Le lointain est comme le passé, une expérience du Divers. Il s’agit donc de sortir de soi. Cet Essai n’a été publié que bien après la mort de l’auteur, trop prématurée. Il est resté à l’état de notes, avec un plan clairement formulé. Mais le lecteur tirera profit de cet inachèvement, lisant mieux le squelette sans sa chair.

Nous sommes loin des récits de voyageurs où les choses vues sont un moyen de juger d’après sa propre culture et d’exprimer les sensations sur soi du paysage et des gens. Eux sont les touristes, « les proxénètes de la sensation du Divers » 46.

Être « exote », c’est avoir le sens de la nature « ex-humaine », la connaissance de ces forces indifférentes à l’humain, des lois immuables et sans dessein humanisé. « L’Exotisme n’est donc pas une adaptation ; n’est donc pas la compréhension parfaite d’un hors soi-même qu’on étreindrait en soi, mais la perspective aiguë et immédiate d’une incompréhensibilité éternelle ».

L’exotisme se ressent dans les paysages, mais pas seulement. Dans les êtres également. « La jeune fille est distante de nous à l’extrême, donc précieuse incomparablement à tous les fervents du divers » 62. Surtout la fille de Tahiti, belle, libre et puissante telle que Gauguin l’a peinte et aimée. Un exotisme non pas d’égalité mais de complément, une impossible fusion du même – qui fait tout l’attrait de la découverte, de l’exploration et de l’amour de l’autre.

Comme l’a montré Tocqueville, le régime démocratique pousse la société à vouloir de plus en plus d’égalité entre tous les membres de la société. Égalité qui va jusqu’à prendre des formes absurdes, comme le déni des sexes donnés par la nature (« on ne nait pas femme, on le devient » pousse à revendiquer le clitoris comme pénis), le déni des différences de degré dans la culture (le tag grafouillé vaut autant que la peinture de Léonard ou de Matisse), le déni de l’effort personnel et du travail (plus vous œuvrez, plus on vous impose pour donner à ceux qui ne font rien, victimes, forcément victimes).

Segalen était à l’opposé de cette tendance, dans laquelle il voyait le principe physique d’entropie envahir la société humaine. « L’Entropie : c’est la somme de toutes les forces internes, non différenciées, toutes les forces statiques, toutes les forces basses de l’énergie » 65. Autrement dit le magma informe où tout le monde est pareil, tout le monde rabaissé au plus petit commun dénominateur, tout le monde normalisé, « l’Entropie comme un plus terrible monstre que le néant » 65.

« Si je place l’Exotisme au centre de ma vision du monde, (… c’est) comme la Loi fondamentale de l’Intensité et de la Sensation, de l’exaltation du Sentir ; donc de vivre » 77. C’est par la différence que s’exalte l’existence, on se façonne en sortant de soi, de ses paresses, de ses habitudes. Le goût – personnel – est une création qui devient au contact du divers.

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Être femme aussi est un devenir – mais avec le sexe biologique pour base, ce que les féministes extrémistes, aussi agressives qu’incultes n’ont pas compris. Il est vrai que les États-Unis, où ce féminisme-là est né, sont ce pays où 54% croient que c’est Dieu qui a créé l’homme, où un tiers croit que la Bible a raison plus que la science sur l’évolution, où un quart croit encore que la terre tourne autour du soleil – pays où le diplôme universitaire tient plus aux performances sportives qu’aux réalisations intellectuelles.

« Le Divers décroît. Là est le grand danger terrestre. C’est donc contre cette déchéance qu’il faut lutter, se battre… » 79. Comme Gauguin contre l’évêque Martin aux Marquises, contre le vêtement victorien inadapté au climat, contre l’enseignement catéchiste contraire aux légendes et à la culture polynésienne, contre les interdits moraux qui visaient plus à la domination coloniale qu’au bien-être spirituel des populations.

L’universel catholique ou républicain, les missionnaires religieux ou laïcs, les clercs ou les fonctionnaires qui savent mieux que vous ce qu’il vous faut – sont une expression de l’impérialisme occidental qui fait de sa puissance technique une preuve d’élection divine. Il y a un siècle, au temps du machinisme triomphant et de l’expansion maximale de l’esprit colonial, Victor Segalen retrouvait l’autre voie de la culture d’Occident, celle de Thucydide et de Montaigne, où le Divers n’est pas à dominer mais à accueillir. Non pas pour s’y convertir mais pour s’enrichir des différences – surtout pas les nier !

Victor Segalen, Essai sur l’exotisme – suivi de textes sur Gauguin et l’Océanie, 1904-1919, Livre de poche biblio 1999, 165 pages, €5.10

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Partis extrémistes ou partis de gouvernement ?

Le choix est plus grave qu’il n’en a l’air : ce sont moins les programmes qui comptent (un catalogue de yakas) qu’un choix entre décision représentée et décision imposée. Nos institutions sont représentatives. Elles sont républicaines car demandent leur suffrage au peuple res publica = la chose publique). Mais sont-elles « démocratiques » (demos = le peuple) ? Oui si l’on accepte que le peuple soit représenté, non si la représentation ne donne pas le peuple en sa diversité. C’est ce que contestent les partis extrémistes, mal représentés dans les institutions.

Ils n’ont pas forcément tort – mais leur donner entièrement raison serait dangereux.

Car qu’est-ce que « le peuple » ? Deux conceptions s’affrontent : la somme des individus et la masse indifférenciée des citoyens. La Révolution de 1789 était clairement en faveur des individus, réputés rationnels donc autonomes, et porteurs de droits universels par eux-mêmes avant la race, la religion, la nation ou la famille. La république terrible de 1793 était clairement pour la masse, la « souveraineté nationale » étant un bloc au-delà de tout individu, traduit uniquement par ses représentants, eux-mêmes dirigés par une secte étroite autour d’un leader charismatique (Robespierre). Montesquieu contre Rousseau, la France n’en a jamais fini avec cet écart.

Montesquieu était pour les contrepouvoirs, afin que chaque individu puisse s’épanouir librement, dans le cadre de lois pesées, soupesée et contrôlées par des institutions séparées : les droits de l’Homme l’emportaient sur les droits du peuple citoyen.

  • Nos institutions actuelles sortent en grande partie de Montesquieu, elles se méfient des parts et des partis, elles privilégient le débat mais laissent la main à l’Exécutif.

Rousseau était pour l’enthousiasme fusionnel où les personnalités s’abolissent en un élan citoyen qui emporte toutes les différences : la mobilisation générale était constamment requise.

  • La VIe République de Mélenchon voudrait une Assemblée unique mobilisée en permanence, avec un Exécutif soumis et référendum révocatoire des élus.
  • Napoléon 1er puis III, Pétain puis Marine Le Pen, préfèrent un Exécutif tout-puissant, justifié par des assemblées à leur botte, elles-mêmes sous le contrôle d’un parti unique.

melenchon le pen

La modernité promeut l’individu ; elle cherche à le « libérer » de ses appartenances de naissance pour lui offrir le choix de sa raison. L’idée est que chaque être humain est doué d’une faculté de penser et que tout ce qui empêche son libre exercice est à mettre en lumière et contrôler. Ce que contestent les collectivistes de toutes obédience : les intégristes religieux pour qui la seule raison est celle des commandements de Dieu, les communistes pour qui les lois scientifiques de l’Histoire s’appliquent malgré l’illusion du déterminisme personnel, les jacobins robespierristes pour qui la volonté générale prévaut sur toute volonté individuelle (la générale étant exprimée soit par les braillements de la rue manipulée, soit par l’orchestration d’un parti efficace, soit par une mobilisation militante de tous les instants et à tous les niveaux).

L’idéal de l’individu moderne est celui de Karl Marx : l’épanouissement des potentialités humaines contre toutes les contraintes religieuses, politiques, sociales, alimentaires, voire biologiques. De fait, la libération des Lumières aboutit au libéralisme politique, puis au laisser-faire économique, enfin à l’individualisme libertaire des mœurs – voire à l’égoïsme libertarien du refus de l’État. Karl Marx, lorsqu’il appelait à libérer l’Homme était un libérateur libéral, libertaire et libertarien – puisqu’il pronostiquait la disparition de l’État. Une partie de la gauche conserve cet idéal, une autre veut l’imposer de force – toujours dans l’avenir – en assurant le viol de l’Histoire par quelques-uns. Or si l’Histoire est « scientifique », elle va à son pas et personne ne peut la forcer ; si le volontarisme politique force le changement, il est amené à vouloir immédiatement un Homme nouveau contre le Vieil homme qui résiste. Donc à changer la société par décret : ce que fit Pol Pot sans état d’âme, avec les conséquences qu’on sait.

Mais la gauche n’est marxiste en politique que comme elle est keynésienne en économie : ne prenant que ce qui justifie sa prise de pouvoir. Être « de gauche » est un tempérament qui est légitime ; c’est être pour la justice, la solidarité et le souci de l’avenir. Mais adhérer aux partis de gauche est une autre histoire ! La gauche française a été prête à tout pour obtenir le pouvoir : la terre aux paysans en 1789, les manifs en 1848, la grève générale et les attentats antisystème sous Napoléon III, l’inféodation à Moscou dès 1920, l’État-providence et sa nostalgie après 1945, enfin aujourd’hui l’aspiration écologique d’apaisement – vision du monde typique de pays vieillissant qui s’épuise à courir après la jeunesse.

L’extrême de la gauche a toujours été dans la surenchère et refusé tout compromis. La gauche normale est fraternitaire, d’inspiration chrétienne ; la gauche extrême est mystique, dans l’illusion lyrique de faire l’histoire et de changer l’homme. La gauche institutionnelle respecte le régime et admet que les élections renvoient ses représentants jusqu’à une prochaine fois ; la gauche extrême croit la souveraineté populaire équivalente à la souveraineté divine et veut imposer par la force la volonté générale (qui n’est la volonté que de quelques-uns).

Or la démocratie directe est une belle utopie, qui fonctionne en cité restreinte (Athènes, le thing viking en Islande, la Commune de Paris, la Suisse des référendums aujourd’hui). Les pays étendus et complexes ne peuvent fonctionner ainsi par consensus immédiat. Certes, avec l’Internet et le niveau éducatif, le parlementarisme traditionnel doit composer avec l’initiative populaire : sondages, études, blogs, média, comités de citoyens, associations, élections, référendums. Il est possible et souhaitable d’introduire plus de participation des citoyens aux institutions comme le préconise Pierre Rosanvallon.

Mais les professionnels de la politique installés résistent, voulant garder pour eux ce pouvoir qui les valorise. L’électeur français le constate : il est très difficile de limiter le cumul des mandats, de contrôler les fonds alloués aux députés, d’obtenir la transparence sur leurs patrimoines. L’élu, en France, se croit oint de Dieu, la fonction valant sacralité. Ce qui n’est guère démocratique… Si jamais les élus en question placent la volonté générale avant la légitimité du fonctionnement des institutions, si le volontarisme politique doit l’emporter sur les procédures qui garantissent tempérance et contrôle – vous comprenez vite quel danger existe pour la représentation du peuple.

La tyrannie démocratique de Robespierre n’est pas loin, pas plus que celle de Hitler, de Staline, de Mao, de Pol Pot ou de Khomeiny. Au nom du peuple, au nom du Bien (qui est soit la race, soit la classe qui doit accoucher de l’Histoire à venir, soit l’orgueil national, soit la pureté d’existence, soit les commandements de Dieu), la démocratie se transforme en chose du peuple inféodée à une croyance et à ses clercs. L’Iran est une république – mais islamique ; l’URSS aussi était une république, fédérative et populaire, tout comme la République populaire de Mao. Le peuple n’est en ce cas plus composé d’individus mais embrigadé dans la religion collective. C’est autrement dit un retour à cet Ancien régime qui imposait à un pays donné un roi, une foi, une loi et déclarait la guerre de religion à tous ceux qui ne se conformaient pas aux mœurs et coutumes du royaume.

melenchon et bachar el assad

Ce pourquoi Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen sont à mettre dans le même sac. Malgré leurs différences de croyances, le résultat institutionnel est le même : j’veux voir qu’une tête ! L’instance derrière les institutions a, pour ces politiciens, tous les droits sur la société et sur l’individu. Une fois les leaders manipulateurs élus, les citoyens n’ont plus qu’à se taire, les élections seront trustées par les militants ; toute opposition sera éradiquée sans pitié comme anti-collective, contre le projet politique volontariste de la croyance, imposé par la force.

Jacques Julliard le montre admirablement : « A la lumière de la Commune de Paris, on mesure mieux qu’il ne s’agit que de deux modalités, l’une libérale, l’autre dictatoriale, de la même entéléchie : celle du pouvoir – c’est-à-dire la distinction des gouvernants et des gouvernés, le principe d’autorité appliqué à l’administration des hommes, le grand mensonge soigneusement entretenu, qui fonde la domination des politiques, des administrateurs, des patrons, des généraux, des juges, des prêtres, des intellectuels, sur la société tout entière » Les gauches françaises, p.303. La Commune de Paris était résolument CONTRE la dictature du prolétariat, CONTRE la représentation sans contrôle citoyen, CONTRE les professionnels de la politique qui sont très vite imbus de privilèges. Le citoyen d’aujourd’hui :

  • peut concevoir la professionnalisation de la politique – mais lutter pour qu’elle n’aille pas trop loin ;
  • accepter la représentation – mais assurée de contrôles (l’Assemblée par le Sénat, les lois par le Conseil constitutionnel, l’exécution du Budget par la Cour des comptes, la conformité au droit européen par la Cour de cassation, les droits de l’homme par la Cour européenne de justice, et les partis par les élections régulières) ;
  • mais il ne peut accepter la dictature partisane, qu’elle soit de droite ou de gauche, jacobine ou xénophobe.

On voit bien comment les professionnels de la politique peuvent confisquer la représentation nationale à leur profit pour assurer une dictature molle de leurs intérêts : c’est ce qui se produit en France, pays centralisé, endogamique, où les réseaux sont étroits et tenus, où les médias sont peu capables de faire un travail professionnel de vigilance et d’investigation. C’est aux citoyens que nous sommes de demander des comptes – en refusant surtout la surenchère des beaux-parleurs qui font sonner les grands mots pour préparer leur petit pouvoir personnel ! Garder le régime, mais le surveiller – l’extrémisme serait bien pire.

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Chemin de Saint-Jacques

jean claude bourles passants de compostelleQuiconque étudie la société française dans son temps long finit par rencontrer le chemin de Saint-Jacques. Ce pèlerinage chrétien qui traverse la France et toutes les couches de la société depuis le moyen âge est le reflet du pays profond, dont notre République Cinquième, laïque et sociale, est l’héritière. Jean-Claude Bourlès est journaliste et, bien que Breton, a traversé la foi chrétienne sans s’y attarder, comme la plupart des Français d’aujourd’hui, dont l’auteur de ces lignes. Il a parcouru deux fois le chemin de Saint-Jacques, la première fois partiellement, la seconde fois entièrement, accompagné de sa femme. Il a recueilli les témoignages des compagnons rencontrés sur le chemin, décrit leur comment et interrogé leur pourquoi. C’est donc un récit passionné, écrit d’une plume fluide, qu’il livre dans ces Passants de Compostelle. Une enquête pour saisir cette mentalité en profondeur qui dicte encore nos conduites.

Cet engouement pour le chemin des étoiles (campus stellae) a repris il y a une trentaine d’années ; c’est un vrai mouvement de société. Il se situe dans l’après-68, époque de nomadisme vers Katmandou d’une génération brusquement nombreuse issue de l’après-guerre, et de remise en cause d’une société autoritaire et hiérarchique devenue inadaptée au monde contemporain. En 1972, Jacques Lacarrière se lance à pied Chemin faisant tandis qu’en 1978, Barret & Gurgand écrivent leur périple dans Priez pour nous à Compostelle. Le sentier GR 65 est aménagé, petit bout par petit bout, par des passionnés, des gîtes, des associations, des collectivités locales.

120 pèlerins en 1982, 125 200 en 1997, 179 944 en 2004, 192 488 en 2012. Leur désir avoué est de reconquérir le monde par les pieds, à ras de terre, de retrouver du solide. « A mes yeux, dit Raymonde Rodde à Bourlès en 1995, et je peux le dire en connaissance de cause puisque j’ai 84 ans, les gens se lassent de ce qu’on leur donne sans contrepartie. Ils ont besoin de rompre avec toute cette notion d’assurance, d’assistance, où on les confine. Ils ont besoin de se prouver qu’ils peuvent vivre pour eux, et par eux-mêmes » (p.22) Plus qu’une marche, Compostelle est une démarche, un attachement au moins culturel au message chrétien contre une Église officielle et ossifiée.

saint jacques de ompostelle les chemins

« Il y a une magie du chemin. C’est une nation à lui seul, un pays de 2 m de large sur 2000 km de long et sur lequel tu trouves une population particulière, vivant un temps particulier et, oui, devenant profondément jacquaire. Tu découvres la signification du mot Amour » (Pierre K., p.34). « C’est une expérience qui porte une empreinte profonde sur l’être, quelles que soient les motivations de départ » (Père Thérondel, p.38). Les gens partent souvent à la croisée d’un chemin de vie, divorce, retraite, chômage, deuil, séparation, sortie de grave maladie. C’est un franchissement, une porte étroite, la confrontation avec soi-même. Il s’agit de dépouiller le vieil homme qui régente tout et qui contraint.

Il s’agit aussi de retrouver les racines les plus anciennes d’Homo Sapiens Sapiens, né il y a quelques 200 000 ans mais sédentarisé seulement depuis 5000 ans. 97,5% de son existence a été nomade, en tribus restreintes, parcourant un terrain de chasse de 200 ou 300 km suivant les saisons – et le gibier. L’habitude de cette liberté est ancrée et trop de société affole ou anesthésie, rend grégaire. Ce besoin de respirer, d’aller voir ailleurs de temps à autre, apparaît comme une nécessité quasi biologique. « Même lorsque les pèlerins n’ont pas au départ de dévotion particulière pour saint Jacques, le fait de mettre leurs pas dans ceux des foules passées est une manière d’entrer dans leur démarche de foi. Et peut-être de prendre conscience, jour après jour, de former un peuple en marche : celui de l’Europe spirituelle » (p.70).

Liberté du chemin, égalité du dépouillement, fraternité des rencontres – et voici la devise dite « républicaine » confortée, reconstituée dans ce qu’elle avait de médiéval lorsque la menace musulmane, l’indigence de la papauté et le mûrissement de la féodalité ont fait, depuis le monastère de Cluny, s’organiser la société française selon la foi.

La dépouille de saint Jacques le Majeur est découverte en Galice, en 813 ou 831. Son église est ravagée par le Musulman El Mansour en 997, en réaction de quoi l’engrenage de la Reconquista se met en route. En 1055, Jérusalem, lieu du Sacrifice d’Abraham et de la Passion du Christ est interdite aux Chrétiens par les califes Abbassides. La chrétienté du pays le plus prospère, sous la houlette de l’élite religieuse (en quelque sorte l’ENA de l’époque), se réveille. Le temps est venu pour Ordonner et exclure, titre du difficile mais intéressant ouvrage de Dominique Iognat-Prat. Cluny affirme les solidarités du lien social qui englobe tous les Chrétiens sous l’autorité de l’Église et oblige aux engagements réciproques. La charité irrigue l’ensemble de la société, au miroir du sacrifice du Christ. L’Église et ses clercs se chargent de contrôler les échanges de la charité, sollicitant les dons des puissants pour donner aux assistés. Cluny, ses moines, ses intellectuels, se veut une société qui édicte la morale au nom du Christ et a pour vocation de redistribuer la richesse terrestre.

Il s’agit bien de mettre en place une « communauté », des Chrétiens de France qui se reconnaissent dans une foi et dans des valeurs communes. Donc d’exclure les autres (Juifs, Musulmans, hérétiques, sodomites) en désignant l’Ennemi – possédés « naturellement » par le diable. Le pèlerinage à Saint-Jacques, aménagé côté français par tous les sites religieux du parcours (le Puy, Vézelay, Conques, Rocamadour, Moissac, Navarrenx…) représentait la même démarche symbolique que les manifestations d’aujourd’hui « contre la guerre », « pour l’emploi » ou en « solidarité sida ». Le « communautarisme » que l’on reproche à d’autres, dans la France contemporaine, s’adresse en miroir à ceux qui veulent fractionner cette « communauté nationale » qui date de l’an mille, communauté englobante, envahissante, ne tolérant qu’à peine l’individu, de laquelle on ne peut s’exclure sans persécutions ni déracinement profond (Cathares, Huguenots, Émigrés, exilés du Second Empire ou relégués de la Commune, expatriés aujourd’hui). Car l’État de nos jours est l’Église d’il y a mille ans, ses fonctionnaires sont les anciens clercs, les impôts modernes remplacent la charité de jadis tout aussi obligatoires, et le service public s’est substitué au service du Christ – mais la France est restée fondamentalement la même.

saint jacques de compostelle

Remettre en cause ce « modèle » collectif et un tant soit peu « collectiviste » n’est pas aisé, même pour ceux qui se veulent les plus « laïcs », les plus « athées » et les plus « républicains ». Le protestantisme l’a osé ; il a mis l’homme concret avant le « modèle du Christ » créé, organisé et surveillé par l’Église catholique ; il est plus pragmatique, laisse plus de libertés aux individus, règle les conflits de la société non par le dogme mais par le droit et le contrat.

Ce n’est pas le cas du catholicisme, resté autocratique et englobant au fond comme l’est l’Islam. Même si la société civile a su se dépêtrer – par les sciences expérimentales, par la Révolution, par la séparation de l’Église et de l’État, par les mœurs – de la conception totalisante de l’Église, cela est si récent, trois générations à peine pour la séparation juridique des biens et de l’enseignement, que les conceptions ne s’en ressentent pas encore complètement, dans le temps long de la société. La « liberté » reste toujours un peu le diable devant les injonctions de fraternité, venues de Cluny autour de l’an mille, et les exigences induites d’égalité que l’État et les partis en France cherchent à contraindre et à forcer. Au lieu que « l’égalité », dans les pays protestants, n’est qu’une résultante « aux yeux de Dieu » des mérites de chacun acquis librement par leur travail et de leur fraternelle responsabilité devant les risques.

En cheminant vers Saint-Jacques, ce qui est important est le dépouillement qui favorise la rencontre avec soi, avec l’autre, avec la contemplation. L’existence en osmose avec la nature et ses éléments donne une liberté personnelle de voir, d’être et de penser. Atteindre la dernière extrémité de l’Occident avec le soleil, puis avec la voie lactée qui indique la nuit le chemin, c’est relier le destin humain à la révolution des astres. Démarche « religieuse » en propre. Tout comme les anciens Égyptiens accompagnaient symboliquement le dieu solaire Rê dans sa barque « mandjet », s’engloutissant dans Nout, la nuit – qui était aussi le monde des morts – pour renaître à l’aube, périple accompli. Le chemin de Saint-Jacques permet de revenir aux sources et de les repenser si nécessaire.

Jean-Claude Bourlès, Passants de Compostelle, Petite bibliothèque Payot 2004, 224 pages, €7.73

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Maître Kong dit Confucius

Etiemble Confucius

Il y a un demi-siècle Etiemble, professeur de chinois, écrivain et traducteur, commit un livre sur Confucius, réédité en 1985 en Folio. De l’homme, on sait peu de choses sinon que les Jésuites en Chine latinisèrent son nom de Kong Fuziu en « Confucius ». Il a vraiment existé mais n’est pas l’auteur de toutes les œuvres qu’on lui attribue. Il est né autour de 551 avant notre ère et mort à peu près vers – 479. Moraliste à la manière de Montaigne son successeur de 2000 ans plus tard sans le connaître, il a pensé une période semblable aux guerres de religions françaises. Car de – 591 à la fin officielle des Tcheou au 3ème siècle avant, la Chine n’a connu que des conflits entre chefferies. Sage et non prophète, Confucius est l’auteur d’essais que l’on connaît sous le titre d’Entretiens familiers.

Dans la Chine de cette époque, on ne pouvait être que noble ou esclave. Les nobles sans terres, amenuisées par les partages successifs, ne pouvaient que se faire lettrés et conseiller les princes. Confucius fut l’un des derniers et le plus flamboyant de cette lignée de clercs. De bonne naissance mais pauvre et orphelin, il n’avait que 17 ans lorsqu’un grand officier sur le point de mourir l’institua maître de son fils. « On le chargea de l’intendance, dès lors les comptes furent exacts. On le chargea du bétail, dès lors le cheptel prospéra » p.64. Car l’essentiel, pour Kong, est la vertu.

Certes, les hommes n’en sont pas remplis mais « les oiseaux et les bêtes sauvages, nous ne pouvons nous associer à eux ni vivre en leur compagnie. Si je ne fréquente pas les hommes tels qu’ils sont, avec qui frayer ? » p.65. La base est de bien définir les mots du discours, pour bien comprendre et bien être compris. En effet, « dénominations incorrectes, discours incohérents ; discours incohérents, affaires compromises ; affaires compromises, rites et musique en friche, punitions et châtiments inadéquats (…) le peuple ne sait plus sur quel pied danser, ni que faire de ses dix doigts » p.69. Nos politiciens pourraient utilement s’inspirer de ces conseils de bons sens lorsqu’ils prononcent leurs discours ou qu’ils élaborent la loi. Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement. De plus, si l’on se dit « souverain », « ministre », « père », ce sont autant de noms qui engagent comme la noblesse oblige. Il n’y a de vertu que dans la droiture de l’intention et la pureté du cœur. Cela se manifeste par la civilité, le premier des rites, qui est respect pour autrui autant que pour soi-même.

L’homme n’est pas un être idéal mais un naturel que l’on éduque par l’exemple plus que par les conseils. Le recours aux anciens permet de tourner les croyances et les manies, mais c’est bien l’homme présent qui doit réfléchir par lui-même et agir. « Parce que je suis maître de moi, je suis maître de l’univers, ou digne de le devenir. Qui veut gouverner doit d’abord se gouverner ». Car tel est la sagesse : on ne change pas le monde par décret, non plus que le peuple, ni les comportements. On ne peut commencer que par ce qui est à notre portée. En premier par soi-même (ce pourquoi François Hollande a entrepris un régime amaigrissant avant les élections). Seul le maintien d’une bonne santé, puis l’exemple de la vertu permettront, de proche en proche, de changer comportements, hommes et monde. Tout le reste n’est qu’utopie dans son sens maléfique d’idéal inaccessible, donc d’alibi pour – surtout – ne rien faire. Si nos « alter » en politique veulent changer quoi que ce soit, ils doivent commencer par comprendre le monde, puis eux-mêmes, enfin donner l’exemple. La première vertu est de donner un modèle. Par sa réussite « exemplaire », les convictions se feront et le monde pourra suivre. Ce n’est pas l’inverse qui est vrai.

Confucius médaille

Ne jamais désespérer de l’homme, dit Confucius, mais aimer comme haïr avec discernement. Point de juste milieu mais le « milieu juste », tel la flèche tirée au centre de la cible et pas à côté. Pour cela respecter, écouter, étudier avant de dire et d’agir. « L’homme de qualité n’est pas un spécialiste » p.107 Mais il est amateur de tout et il s’enquiert. L’homme vulgaire ne pense qu’à son bien-être et à son intérêt, tandis que celui qui aspire à l’équité s’ennoblit. Sa récompense est la paix du cœur et de l’esprit en voyant se diffuser la justice et le bonheur qui va avec autour de lui. Pas besoin de dieux pour injonction ou pour sanction, l’homme suffit qui est semblable à nous, un frère.

« Tout passe comme cette eau ; rien ne s’arrête, ni jour, ni nuit » p.115 – et l’homme de qualité imite ce mouvement, cette fluidité de l’intelligence (qui est faculté d’adaptation) dans le changement incessant des choses (qu’on ne peut immobiliser). L’homme de qualité vit dans le temps, avec son temps, sans regretter un mythique âge d’or ni se consoler dans un quelconque avenir radieux. Ce qu’il faut changer est ici et maintenant, avec les hommes tels qu’ils sont et les rapports de force présents. Pour guide, le sage a la « raison raisonnable et non point rationaliste, et nullement ratiocinante » p.129 : point de technocratie ni de foi aveugle dans le seul « calculable », point de coupage de cheveux en quatre idéologique pour noyer le poisson. La justice exige le bon sens, la voie juste, un regard étendu et l’écoute de tous, même si la décision est une. Dialectiquement, elle se situe « après ».

Confucius entretiens

« Les anciens, qui désiraient que la terre entière resplendit de la resplendissante vertu, commençaient par bien gouverner leur principauté.

« Comme ils désiraient bien gouverner leur principauté, ils commençaient par mettre en ordre leur famille. Comme ils désiraient mettre en ordre leur famille, ils commençaient par se perfectionner eux-mêmes.

« Comme ils désiraient se perfectionner eux-mêmes, ils commençaient par régler leur cœur.

« Comme ils désiraient régler leur cœur, ils commençaient par purifier leurs intentions.

« Comme ils désiraient purifier leurs intentions, ils commençaient par étendre leur savoir » p.137.

Tout maître Kong est là – et tout est dit. Il sert de grand exemple aux Chinois d’aujourd’hui. Et les vaniteux intellos et politiciens français pourraient en tirer des leçons d’humilité au lieu de donner des leçons de socialisme et de démocratie au monde entier.

Etiemble, Confucius, Folio essais, 1986, 320 pages, €3.49

Confucius, Entretiens, Folio2€, 2005, 144 pages, €1.90

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La charia a bon dos

Des monarchies traditionnelles aux dictatures militaires et aux révolutions islamistes récentes, l’Islam est confronté à la modernité et aux bouleversements du monde comme hier le christianisme et avant-hier le judaïsme. D’où la réaction du retour aux sources, soi-disant « pures » des origines.

Mais cette névrose obsessionnelle du sale à nettoyer est le paravent commode des mafias, luttes de pouvoir et autres affairismes. N’en déplaise aux belles âmes bobos confortablement installées dans leurs salons parisiens, les « pauvres » musulmans qui « se battent » pour « se libérer » au nom de leur Dieu prennent prétexte de la religion pour manipuler les âmes. Ce qu’on appelle habituellement l’idéologie, masque des intérêts bien gras et bien terrestres que sont l’argent, le pouvoir, les armes viriles et l’appropriation des femmes. Le nord-Mali, c’est ça : des mercenaires vaincus de Kadhafi qui veulent se venger des Occidentaux en montrant qu’ils ont « la plus grosse » (arme prothèse) et occuper les territoires vides entre 10 États (le Sahara) pour développer leurs trafics : armes, cigarette, drogue venue de Colombie par avion, migrants, femmes à prostituer. Suite logique des traites négrières et commerçantes des siècles d’islam jusqu’au XIXème siècle. Ils profitent des circonstances, la question touarègue, les richesses minières, le ressentiment colonial, la faiblesse (Mali, Mauritanie, Burkina, Niger) ou l’indifférence intéressée (Algérie, Guinée Bissau, Tchad) des États riverains ou proches, pour occuper le terrain et faire de l’esbroufe en détruisant des mausolées. Cela leur donne bonne conscience, ils croient faire « gloire à Dieu » en agissant à sa place (a-t-il demandé quelque chose ?) et en son Nom (a-t-il dit expressément de le faire ?), tout en tirant de vils mais fructueux bénéfices ici-bas, qu’ils « blanchissent » ainsi dans l’éternité. Mais qu’en est-il vraiment ?

La religion musulmane a pour principe que tout vient de Dieu mais Dieu, bien qu’omnipotent, ne parle pas tout seul. Il lui faut un homme. Ce fut Moïse, puis Jésus, enfin Mahomet. Comme l’écrit finement Hela Ouardi, professeur de civilisation à l’université Tunis El-Manar dans la revue Le Débat de septembre 2012 (n°171), « Mohamed, comme messager de Dieu (… est) l’unique dépositaire de l’autorité divine. Ce pouvoir lui revient à lui seul et prend fin avec sa mort ; or, Mohamed est mort sans avoir délégué son pouvoir à qui que ce soit ». Depuis 632, toute autorité en islam est donc « une construction idéologique fondée sur une représentation plutôt fictive de l’Histoire ».

Ce qui s’est imposé, c’est le calife, substitut du Prophète sur terre, autrement dit chef de droit divin et chef religieux (imam) – comme nos rois chrétiens. Mais la chaîne des califes fondée sur la famille et la tribu du Prophète (les beaux-frères et les gendres) s’est rompue avec Ali, le quatrième calife. La fitna (discorde) s’est introduite dans l’islam, séparant les musulmans en sunnites et chiites. C’est alors que l’interprétation des textes a pris de l’importance et que la caste des clercs savants s’est imposée comme autorité religieuse.

Or il n’existe pas de clergé en islam sunnite, chaque croyant musulman a le droit et le devoir de faire par lui-même l’effort de l’interprétation. La caste des oulémas et faqihs, savants théologiens, relève plus du mandarinat que de la sacralité. Ils consolident leur pouvoir dans l’histoire grâce à leur connivence avec le pouvoir politique – tout comme les clercs d’église catholique avec la royauté.

Mais cette autorité théologique repose elle-même sur un corpus de textes dont l’authenticité est sujette à caution. Comme la Bible talmudique et les Évangiles catholiques, le Coran et ses commentaires (hadiths), ont été rassemblés lentement dans une histoire longue. Trois compilations du Coran ont eu lieu après la mort du Prophète. Le premier calife Abu Bakr aurait fait faire une recollection, le calife Uthman en a fait faire une deuxième pour éliminer les divergences dans la récitation. Une troisième a eu lieu sous le calife Abd-al-Malik. Hela Ouardi : « Alors que les musulmans aujourd’hui campent sur une position très conservatrice, les érudits musulmans des premiers siècles de l’islam étaient bien plus flexibles, émettant l’hypothèse que des parties du Coran étaient perdues, perverties, et qu’il y avait plusieurs milliers de variantes qui nous empêchent de parler d’un Coran unique ». Quant aux hadiths, ils « ont tous été réunis au moins deux siècles après la mort de Mohamed ».

Burqa par PlantuLa charia, que les aqmistes du nord Mali veulent faire appliquer comme la loi de Dieu, « n’a jamais été codifiée dans un livre de lois, elle se comprend plus comme une opinion partagée par les musulmans, fondée sur de nombreuses sources. » Le texte sacré ne s’actualise qu’en fonction des contingences historiques. Les quatre écoles juridiques de l’islam (hanafites, chafiites, malikites et hanbalites) divergent… Le hanafisme n’interdit pas l’alcool mais il met seulement en garde contre son abus. En cause, la contradiction dans le Coran même, en faisant œuvre du diable (verset 90 sourate V) ou signe de la faveur divine à l’homme (verset 67 sourate XVI).

Le pouvoir politique utilise l’islam depuis le cinquième calife pour légitimer sa transmission héréditaire et son autorité. Hela Ouardi : « Cela a consacré la dégénérescence de l’islam en idéologie et en instrument d’aliénation et de tyrannie ». Le « Vatican wahhabite » qui contrôle les lieux saints de La Mecque et Médine (mais pas Jérusalem) crée un mirage du présent dans le passé pour assurer sa prééminence aujourd’hui en faisant parler les textes saints. Il s’appuie sur l’argent du pétrole pour imposer sa vision particulière de la religion. Socialement, il manipule l’inquiétude liée aux bouleversements du présent pour dire sa vérité. Il « se fonde sur un ‘délire de pureté’ qui tente de restaurer un islam ‘chimiquement pur des origines’. » D’où l’importance accordée aux rites qui fixe les codes de la bonne conduite dans tous ses détails. La liste du permis et de l’interdit dispense ainsi tout musulman de faire un effort : au lieu d’approfondir sa foi par l’étude personnelle des textes, il se contente de suivre sa bande et sa tribu pour imposer le pouvoir de son clan.

Burqa BHL 2010 02 04 lExpress

La religion, par les moyens modernes de communication et la mondialisation, devient « un système totalitaire », Hela Ouardi n’hésite pas à l’écrire. La voix du peuple devient la voix de Dieu – évidemment interprétée et répandue par ses interprètes : les idéologues du parti islamiste. On se croirait en « socialisme réel »… aussi faussement révolutionnaire, aussi conservateur.

Mais le revers de la médaille est qu’en faisant descendre l’islam dans l’arène démocratique, les islamistes se voient exposés à la voir jugée par les urnes, tout comme l’église catholique dans les débuts de notre IIIème République. Qu’en prenant prétexte de Dieu pour assurer leurs trafics par les armes, les islamistes pervertissent la religion et suscitent la réaction indignée des populations qu’ils soumettent – et des États jusque là restés attentistes : l’Algérie. Oui, la guerre civile menace à nouveau, comme dans les années 1990, si le pouvoir algérien ne fait rien contre les bandes armées qui menacent ses frontières sud. Et des militaires humiliés, à Alger, c’est la forte probabilité d’une révolte populaire, la suite logique du printemps arabe…

L’islam va-t-il connaître, avec un siècle de retard, la même séparation du religieux et du profane ? De l’église (ici des imams) et de l’État ? Il retrouverait ainsi ses origines : Mahomet comme seul porte-parole de Dieu, chaque croyant comme seul interprète de la Parole. Sans aucune excuse idéologique pour les crimes et profits.

Références :

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Hellénisme et christianisme selon Camus

Dans son diplôme d’études approfondies de philosophie, écrit en 1936 sous le titre ‘Métaphysique chrétienne et néoplatonisme’, Albert Camus tente de comprendre le christianisme au regard des Grecs et d’opérer comme une synthèse de la ‘mentalité’ méditerranéenne.

« C’est ainsi qu’on peut mettre à jour chez les Grecs et les Chrétiens des attitudes devant le monde irréconciliables. Tel qu’il se formule vers les premiers siècles de notre ère, l’hellénisme implique que l’homme peut se suffire et qu’il porte en lui de quoi expliquer l’univers et le destin. Ses temples sont construits à sa mesure. En un certain sens, les Grecs acceptaient une justification sportive et esthétique de l’existence. Le dessin de leurs collines ou la course d’un jeune homme sur une plage leur délivrait tout le secret du monde. Leur évangile disait : notre Royaume est de ce monde. C’est le « Tout ce qui t’accommode, Cosmos, m’accommode », de Marc Aurèle.

Cette conception purement rationnelle de la vie, – le monde peut être tout entier compris – conduit à l’Intellectualisme moral : la vertu est chose qui s’apprend. Sans toujours l’avouer, la philosophie grecque fait du sage un égal de Dieu. Et Dieu n’étant qu’une plus haute science, le surnaturel n’existe pas : tout l’univers se contre autour de l’homme et de son effort. Si donc le mal moral est une ignorance ou une erreur, comment insérer dans cette attitude les notions de Rédemption et de Péché ?

Au reste et dans l’ordre physique, les Grecs croyaient encore à un monde cyclique, éternel et nécessaire, qui ne pouvait s’accommoder d’une création ‘ex nihilo’ et partant d’une fin du monde. »

Pour ma part, ayant été endoctriné chrétien petit, avant de l’être marxiste adolescent, j’ai rejeté toutes ces illusions morales. Je ne crois ni en l’Ailleurs, ni en la Vérité comme absolu inscrit dans le ciel des Idées. Je crois au contraire que ces illusions sont dangereuses pour l’homme d’ici et de maintenant. On massacre toujours pour « obéir à Dieu » ou « créer l’Homme nouveau » et l’on promet toujours de raser gratis… demain. Ce qui m’importera toujours est l’aujourd’hui et mon prochain.

J’ai donc jeté par-dessus bord ces illusions dangereuses.

D’abord parce qu’elles ne permettent pas de vivre au présent mais seulement de récriminer sur ‘ce qui devrait être’ d’un avenir fumeux.

Ensuite parce qu’elles tendent à l’autoritarisme, sinon au totalitarisme, de ceux qui sont persuadés d’avoir raison contre les autres. Ils considèrent les autres hommes, pourtant égaux en dignité, comme des sous-citoyens, des ignorants primaires à l’âme d’enfant, incapables d’être adultes à part entière, aliénés par leur condition où atteints par hérédité de bêtise incurable. C’est malheureusement le lot des curés, des imams et des militants socialistes de vouloir imposer les vérités révélées par Moïse, par Jésus, par Mahomet ou par Marx, au commun des mortels. Dieu nous préserve des ‘missionnaires’ !

Je crois, comme Camus, que « l’homme peut se suffire et qu’il porte en lui de quoi expliquer l’univers et le destin. » Il construit un monde à sa mesure. Cela ne signifie pas qu’il ne puisse chercher à dominer, à jouer à l’apprenti sorcier, ou à se prendre pour Dieu. Il est certes des choses dans le monde, Othello, qui dépassent toute la philosophie. Il est des mystères, dans l’esprit humain même, que les sages tibétains ou les moines zen découvrent comme le firent certains soufistes musulmans ou mystiques chrétiens. Mais restons dans ce monde-ci puisque nous sommes incapables, sauf présomption ou soif luciférienne de pouvoir, d’en concevoir un autre.

« Le surnaturel n’existe pas » car tout est inclus dans la nature – y compris ce qu’on ne comprend pas. Donc « la vertu est chose qui s’apprend » (alors que la morale, toute extérieure, s’impose), Aristote le disait déjà. La discipline zen comme la voie taoïste, l’éveil bouddhiste ou la simple éducation humaniste, sont des pistes bien plus généreuses que l’obéissance passive aux dogmes des religions du Livre, Marx inclus, soi-disant révélées un jour à de rares clercs qui en conservent les arcanes pour imposer leur pouvoir.

Albert Camus, Métaphysique chrétienne et néoplatonisme, 1936, Pléiade OC t.1 p.1000, €67.45

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Pierre de l’Estoile, A Paris pendant les guerres de religion

On ne trouve plus ce livre que chez les bouquinistes, tant les Français préfèrent l’illusion du roman ou le prêt-à-penser histrion aux faits observés. Ce livre ne date pourtant que de 2007, l’année où Sarkozy devint Président. Il était d’actualité à l’époque, tant le gauchisme mystique répandait ses libelles contre le Hongrois comme hier la Ligue catholique contre le Béarnais. Cette époque pourrait bien ressurgir, d’où l’intérêt d’aller regarder l’histoire d’il y a quatre siècles.

Car, au fond, les Parisiens n’ont pas changé. Toujours badauds, naïfs, prêts à croire n’importe quel prêcheur armé de la logique cléricale, amoureux des processions et autres manifs fusionnelles où l’on se sent fort dans sa bêtise, ce qui compense de sa médiocrité, volontiers poussés à piller du moment qu’il s’agit de faire rendre gorge à ceux qui ont réussi mieux qu’eux, voire à violer si c’est en bande et en toute impunité.

Pierre de l’Estoile était audiencier au Parlement de Paris, de petite noblesse de robe, mais de robe longue qui décide, pas un mercenaire de robe courte qui exécute. Ces distinctions avaient alors autant d’importance qu’aujourd’hui la thèse ou le diplôme de grande école. Il a durant des années de désordre, collecté les libelles et graffitis qui couvraient les murs de Paris contre le roi Henri III et ses mignons, puis contre le roi potentiel Henri IV, hérétique. Il en a fait un recueil où il intervient peu, disant les faits tels qu’ils lui sont rapportés ou qu’il a observés. Même les plus absurdes, par exemple : « Le samedi 5 de ce mois [décembre 1592] fut brûlé, place de Grève à Paris, un jeune garçon âgé de dix-sept ans qui avait engrossé une vache, de laquelle était sorti un monstre moitié homme moitié veau. Le contenu de cette accusation fut modifiée, pour l’énormité du fait » p.94.

Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage et la déferlante stalinienne de gauche n’a pas montré plus d’intelligence civilisée que les gueux de la Ligue, quatre siècles avant eux. Autre exemple : les mignons. Tout le monde croit qu’il s’agit de pédés que le roi fêtard et insoucieux de religion mettait chaque soir dans son lit. En réalité, les mignons étaient les favoris, ses meilleurs amis en qui le roi avait confiance. Aujourd’hui on appelle son « péché mignon » la chose qu’on préfère. Le mot n’avait donc pas le sens perverti qu’il a pris durant ces années d’intégrisme catholique. Les serviteurs zélés du roi ne pouvaient être pris parmi la grande noblesse, qui soutenait la Ligue pour mieux être roi. C’est donc dans la noblesse seconde que le roi régnant choisissait cette élite. Leur raffinement était réel, mais pour se distinguer de la brute épaisse qu’était trop souvent le noble de province, sale, ignorant et crotté, et qui s’en faisait gloire comme voué au culte des armes par fonction héréditaire. Les mignons sont donc les hauts fonctionnaires de l’époque, dont la modernité s’inspirait de la Renaissance italienne plutôt que de la glèbe terreuse.

C’est que les intellos d’époque à Paris n’étaient ni des plus savants ni des plus ouverts, on dirait aujourd’hui « scientifiques ». « En ce même temps, la Sorbonne et la faculté de théologie, comme porte-enseignes et trompettes de la sédition, déclarèrent et publièrent, à Paris, que tout le peuple et tous les sujets de ce royaume étaient absous du serment de fidélité et d’obéissance qu’ils avaient juré à Henri de Valois, naguère leur roi. (…) Ils firent entendre à ce furieux peuple qu’en saine conscience il pouvait s’unir, s’armer et contribuer en deniers, afin de lui faire la guerre ainsi qu’à un tyran exécrable qui avait violé la foi publique, au notoire préjudice et au mépris de leur sainte foi catholique et romaine et de l’assemblée des états de ce royaume » p.244. Ce procès en hérésie ressemble fort aux appels à la « résistance » de toute une frange de gauche – souvent universitaire – qui ne jure que par la doxa marxiste, accusant le Président élu d’être hérétique de violer la Charte de 1945 ou de saper l’État-providence.

A chaque mouvement social, le peuple adore défiler en troupe, en ligue, en procession, de 1589 à aujourd’hui. « Entre autres, il s’en fit une d’environ six cents écoliers, pris de tous les collèges et endroits de l’Université, la plupart n’ayant atteint l’âge de dix ou douze ans au plus. Ils marchèrent nus, en chemise et les pieds nus, portant dans leurs mains des cierges ardents de cire blanche et chantant bien dévotement et mélodieusement (mais quelquefois de manière bien discordante), tant par les rues que par les églises… » p.246.

C’est que la conception du monde est quelque chose de sérieux. Le rire est diabolique et les grands personnages se doivent d’arborer cette tronche sévère, sourcils froncés, qui disent tout le sérieux qu’ils prennent en la foi. Hier catholique, aujourd’hui socialiste, rien de change. François Hollande a vu sa cote de popularité remonter début 2010 parce qu’il avait cessé de sourire, calquant Martine Aubry et autres Moscovici qui font toujours la gueule. « A Paris, il était alors dangereux de rire, à quelque occasion que ce fut, car ceux qui portaient seulement le visage un peu gai étaient tenus pour Politiques ou Royaux. Comme tels ils couraient la fortune parce que les curés et les prédicateurs avertissaient d’y prendre garde et criaient qu’il fallait se saisir de tous ceux qu’on verrait rire et se réjouir » p.272. Le rire, c’est la liberté ; l’inquisition de toute religion, catholique, islamique ou marxiste, voit dans la liberté le Mal parce qu’elle délivre de la foi obligatoire, de la vérité révélée et donc du pouvoir de ses clercs. Albert Camus fustigeait déjà « la France haineuse » des normalesupiens et autres sartreux staliniens.

Les métaphores elles-mêmes n’ont pas changé en quatre siècles ! La gauche nous fait souvent le coup du renard libre dans le poulailler libre, image qui ne veut rien dire car si les poules sont libres elles ne vivent certes pas en poulailler ! Pierre de l’Estoile cite les ligueux contre le roi hérétique : « Badauds que vous êtes, qui ne savez pas que ce vieux loup fait le renard uniquement pour entrer et manger les poules ! » p.416. La mauvaise foi fait feu de tout bois sans honte de violer la logique et plus c’est gros, plus ça passe (disait Goebbels, repris avec avidité par Staline).

Comme quoi la badauderie parisienne retombe toujours dans ses vieilles ornières qui s’appellent crédulité, respect envers les gueulards, dévotion envers les clercs de quelque religion qu’ils représentent, préférence pour la foule qui permet tout et dont l’aspect fusionnel est confondu volontiers par les Français avec « la démocratie ». Gageons que la campagne qui commence verra autant d’outrances et de stupidités avant qu’Henri IV ne mette tout le monde d’accord en collant carrément la poule de la métaphore dans les pots de tous.

Pierre de l’Estoile, A Paris pendant les guerres de religion, 1611, présenté, annoté et mis en français moderne par Philippe Papin, Arléa, 2007, 559 pages, €5.00

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Droite, gauche et guerres de religion

Article repris par Medium4You.

A chaque élection présidentielle française, la nation se déchire avec haine. Il y a ceux qui veulent tout bouleverser, batteurs d’estrades, histrions de télé ou agitateurs des mouvements sociaux. Il y a ceux qui veulent tout centraliser, technocrates avides de surveiller, politiques soucieux de contrôler, petits chefs affamés de punir. En bref les révolutionnaires et les conservateurs.

En général les révolutionnaires sont émancipateurs des individus : ils désirent libérer les hommes de leurs déterminismes sexuel, de naissance, de milieu, d’éducation, de pays – au nom de l’universel et de l’humanité.

Un peu partout les conservateurs sont ceux qui figent les individus dans des catégories, des groupes sociaux, des provinces traditionnelles – au nom du sang et du sol, de la continuité organique des générations sur une terre.

C’est ainsi que cela se passe dans le monde, y compris en Europe. Mais la France est compliquée :

  • souvent les conservateurs libèrent des attaches par libéralisme, trop souvent les révolutionnaires figent les individus dans leurs origines sociales ;
  • souvent les conservateurs sont fédéralistes, décentralisateurs, provinciaux, trop souvent les révolutionnaires sont jacobins, normalisateurs, parisiens.

Les communistes se retrouvent aux côtés des catholiques pour un régime autoritaire centralisé, où la morale est assénée et surveillée par des clercs jusqu’à l’intérieur des familles. La confession comme l’autocritique traque les déviances des consciences jusque sous les draps.

Certains socialistes, proudhoniens ou trotskistes, se retrouvent aux côtés de certains écologistes nostalgiques du local et des petites patries, et des sociaux-démocrates centristes de l’ex-UDF.

C’est que droite et gauche sont des notions historiques, qui ne sont pas dues au seul hasard de la répartition en 1789 des députés de part et d’autre du président d’Assemblée. Le schisme entre droite et gauche en France vient de plus loin. De la naissance de la modernité au XVIe siècle, plus précisément. Emmanuel Leroy Ladurie, né catholique social en province avant de devenir communiste à Normale Sup, puis socialiste sous Mitterrand, date la distinction sociologique entre droite et gauche en France du protestantisme.

Calvin, Picard émigré à Genève, bouleverse radicalement le culte chrétien en faisant de chaque individu l’interlocuteur direct de Dieu. Plus d’évêque ni de messe, encore moins de Pape infaillible, plus d’interprétation cléricale de la Bible, mais sa lecture par chacun et un culte communautaire à égalité entre les participants. Voilà qui conteste le dogme catholique romain et l’unanimisme fusionnel entre une foi, un roi, une loi !

C’est d’ailleurs Louis XIV, chantre de l’étacémoi, qui révoque l’édit de Nantes qui accordait la tolérance au culte protestant. Louis XIV, c’est la droite conservatrice, c’est aussi le régime communiste : chaque communauté est surveillée et les déviances traquées par des commissaires politiques zélés ou des jésuites inquisiteurs, une armée de trois cent mille dragons occupe les pays d’hérésie pour extirper la déviance sociale au cœur. Interdit de penser autrement qu’on vous dit. Le roi Louis sait la Vérité comme le tsar Staline, il l’impose à tous sans contestation. Les « malades » – ceux qui ne croient pas à cette Pravda (vérité en russe…) – émigrent comme jadis les dissidents ; certains sont emprisonnés pour être rééduqués ; d’autres sont fusillés brûlés.

C’est contre cet absolutisme clérical et politique que se soulève la Révolution. Contre les bastilles, qu’elles soient de pierres ou d’idées. La gauche est héritière de ce mouvement d’émancipation :

  • Il est né de la Renaissance avec la connaissance des Grecs et de leur liberté,
  • né des Lumières qui préfèrent la raison aux dogmes bibliques et le parlement à l’absolutisme royal,
  • né de la Révolution qui accordera, après un siècle de tergiversations, le suffrage universel à tous les citoyens majeurs,
  • prolongé par la Résistance aux nazis, après la faillite des élites bourgeoises avec droit de vote aux femmes et couverture sociale en 1945.

Le centre est héritier aussi de ce libéralisme politique, de l’autonomie des provinces, du fédéralisme européen exalté par Victor Hugo.

Mais ni le communisme, ni le socialisme jacobin, ni le bonapartisme gaullien ne sont de cette gauche là. Ils sont centralisateurs, technocrates, parisiens. Ils sont la droite. Le Mélenchon tribun qui veut tout changer est-il de gauche ? En apparence, dans le discours, quand il en appelle à la démocratie. Sauf que, si l’on creuse, sa démocratie est loin d’être « participative », elle est plutôt jacobine, mobilisation générale par le référendum, les citoyens en armes, l’éradication des déviances : comme au Tibet sous la république « populaire », comme en Bretagne pour les écoles Diwan. C’est lui qui l’a dit.

Guizot, Couve de Murville, Rocard, Jospin sont protestants. Henri IV aussi jusqu’à ce qu’il accepte le royaume pour une messe. Montaigne comprenait le protestantisme, proche du stoïcisme romain. Pascal était janséniste, un protestantisme catholique, comme lui augustinien. Au fond, les Français aiment bien ces modérés : des gens qui libèrent par le savoir, par l’exemple et par les libertés. Bien loin des hommes providentiels, des gourous de rue d’Ulm ou des tribuns de télé qui imposent leurs vues sans contrepartie, leur force sans contrepouvoir, leur politique unique comme Castro ou Chavez.

De gauche les Français ? En majorité probablement, mais pas de la gauche qu’on croit…

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Péguy et la mystique républicaine

Dans les années 80 j’ai trouvé en solde dans la collection « Velpeau » de Gallimard un court livre édité en 1933 et réédité depuis en Folio essais : ‘Notre jeunesse’. On ne lisait déjà plus Péguy et avec raison tant le style est lourd, redondant, circulaire. C’est un style de tribune fait pour être dit, pas pour être lu. La déclamation d’assemblée passe mal le silence de la page. ‘Notre jeunesse’ est peut-être la plus lisible des œuvres de Péguy. Le lecteur y découvre quelques idées restées neuves.

S’il est peu question de la jeunesse en général, et encore moins de celle de l’auteur malgré le titre, Charles Péguy développe certaines de ses conceptions politiques à leurs débuts. Elles sont marquées de façon indélébile par l’affaire Dreyfus. J’ai retrouvé certaines de mes interrogations adolescentes, notamment ce que Péguy nomme avec emphase la « mystique républicaine ». Un Mélenchon n’a pas peur de raviver l’idée aujourd’hui pour servir sa dissidence. Mais c’est une grande idée, simple comme toutes les grandeurs. Je crois qu’elle porte encore puisqu’elle est probablement le moteur des révolutions arabes.

Il s’agit d’une transcendance. La république comme substitut de religion. Le contraire même de la religion d’État ou de la religion de l’État. Louis XIV qui ne voulait voir qu’une tête (la sienne) et le jacobinisme botté intolérant d’une certaine gauche comme d’une certaine droite, apparaissent aussi insupportables en regard de la république. Celle-ci, « chose publique », signifie l’intérêt général.

  • Il n’est pas forcément celui du plus grand nombre : ce ne sont pas les sondages qui gouvernent.
  • Il n’est certainement pas celui d’un seul, omniprésident, guide, conducator ou secrétaire général.
  • Il est celui d’un groupe informel et pas d’un parti.
  • Il est soucieux du bien de la nation avant toute autre chose. Mitterrand a ainsi imposé l’abolition de la peine de mort à une opinion rétive… qui reconnaît son bien-fondé. De Gaulle avait de même imposé l’indépendance algérienne à son camp qui y était hostile, volontiers nationaliste.

Ces présidents-là avaient l’air de gouverner seuls. Ils incarnaient en fait la France, une certaine idée partagée de l’avenir commun. Leur solitude était légion.

La mystique signifie l’au-delà de la matière, la mise en veilleuse des petits intérêts cuits à petit feu dans leurs petits coins par les petits lobbies et les partis étroits. L’argent, les machines politiques, les alliances internationales, la mondialisation, conduisent du fait de leur complexité à réserver le champ du politique aux seuls spécialistes. Or la politique est la vie de la cité, elle concerne chaque citoyen, elle appelle tous ceux qui veulent le devenir, jeunes, exclus ou immigrés. Avec le recul, c’est bien la mystique républicaine qui a fait naître la Résistance comme la conquête du pouvoir par la gauche en 1981, ou encore la volonté de bouger enfin la France dans un monde qui accélérait, en 2007. C’est l’une des causes des révoltes arabes, et certainement ce qui pousse los indignados à revendiquer d’exister dans une société qui les ignore, les éduque par-dessus la jambe et les exclut du travail.

Que dit donc Péguy ? Pour lui, la modernité est « le monde de ceux qui ne croient à rien, pas même à l’athéisme, qui ne se dévouent, qui ne se sacrifient à rien. Exactement : le monde de ceux qui n’ont pas de mystique » p.15. Cette mystique qu’il revendique est une foi, mais pas forcément religieuse. Elle est le sens des valeurs, la culture en acte. Incarnations : Jeanne d’Arc, Barra, Gavroche, de Gaulle au 18 juin, Jean Moulin, Albert Camus face à la haine des Sartre – pour n’évoquer aucun vivant.

« Ne parlez point si légèrement de la république, elle n’a pas toujours été un amas de politiciens, elle a derrière elle une mystique, elle a derrière elle tout un passé de gloire, tout un passé d’honneur, et ce qui est peut-être plus important encore, plus près de l’essence, tout un passé de race, d’héroïsme, peut-être de sainteté » p.17. Ne sautez pas au plafond au mot de ‘race’, c’est une clause du style d’époque pour dire l’honneur, d’essence aristocratique. La ‘race’ au sens de Péguy n’est pas la sélection génétique mais le tamis des valeurs inculquées par la culture et le milieu. « Car des hommes sont morts pour la liberté comme des hommes sont morts pour la foi » p.28.

Mais c’est une loi historique que toute foi s’use, que toute légitimité se voit remise en cause, que toute noblesse devienne routine. La tragédie se répète en comédie, la mystique se dégrade en politique, les pensées vivantes en idéologie fermée, la volonté en propositions réduites à l’acceptable, la culture en enseignement monotone et l’enseignement en pédagogisme… Ce qui était vivant, fruit d’un élan, s’intellectualise, se dessèche, se réduit, se bureaucratise. On ne construit plus, on nomme une commission ; on ne décide plus, on cherche le plus petit commun dénominateur pour ne fâcher personne. Les saints deviennent clercs, puis énarques ; les héros passent nobliaux fiers de leur naissance plus que de leurs actes, puis politiciens démagos fiers de leur beau quartier, de leur écoles huppées, des résidences réservées et des rallyes privilégiés pour marier leurs descendance ; les entrepreneurs deviennent gestionnaires puis administrateurs, l’esprit d’entreprise se dégrade pour se réduire ultimement au seul contrôle des coûts.

La grandeur, on ne la comprend plus, donc on la méprise. Le scepticisme intellectuel croît très fort dans le calme et la paix, engendrant une somnolence de la raison, plus sollicitée par les instincts ou les mouvements. Chaque catastrophe nous le révèle : l’Administration n’a jamais rien vu, les politiciens n’ont rien anticipé, les décideurs réagissent affolés à ce qui aurait dû être au moins envisagé. L’État n’est plus incarné, c’est personne. Voilà la politique du parapluie, le principe de précaution inscrit dans la Constitution, la somnolence Chirac élevée au rang des beaux arts… Auparavant, il y eût la faillite de mai 1940, la débâcle de toute une société petite-bourgeoise, provinciale, contente d’elle-même et confite en un « radicalisme » qui n’avait plus aucune radicalité autre que celle de conserver à tout prix ses zacquis.

Ce sont alors les obscurs, les sans-grades qui sauvent l’honneur, ceux qui avaient gardé en leur cœur quelques braises de cette mystique républicaine. Joseph Kessel a magnifiquement décrit ce premier mouvement dans ‘Pour l’honneur’, dédié aux résistants de la première heure face à la démission des élites française de la IIIe République en 1940, tout comme aux républicains espagnols catalans.

La mystique républicaine s’applique à tous les peuples. Mais la France a ses particularismes en Europe et dans le monde. Charles Péguy les énumère : « la vaillance claire, la rapidité, la bonne humeur, la constance, la fermeté, un courage opiniâtre, mais de bon ton, de belle tenue, de bonne tenue, fanatique à la fois et mesuré, forcené ensemble et pleinement sensé ; une tristesse gaie qui est le propre du Français ; un propos délibéré, une résolution chaude et froide ; une aisance, un renseignement constant ; une docilité et ensemble une révolte constante à l’événement ; une impossibilité organique à consentir l’injustice, à prendre son parti de rien. Un délié, une finesse de lame. Une acuité de pointe » p.130. Avec l’hédonisme post-68 et la contamination américaine, ces vertus seraient à revoir, mais ne boudons pas notre plaisir : la mystique républicaine reste.

La question est : qui l’incarne ? Il ne suffit pas de le clamer, comme Mélenchon. On sent chez lui que, très vite l’intérêt « général » risque de se réduire à celui de son clan, de sa vérité étroite. Comme Chavez ou Castro, il est universel avant de prendre le pouvoir, il risque d’être sectaire après. Il y avait de Gaulle, il y a eu Mitterrand. Quelques autres ont émergé sans accéder à la haute fonction. Qui  pour 2012 ?

Charles Péguy, Notre jeunesse, 1933, Folio essais 1993, 344 pages, €9.40

Joseph Kessel, Pour l’honneur, 1964, Livre de poche 1972, €1.80 occasion

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