Albert Camus l’avait écrit sur le modèle de la peste brune en 1947 ; le Covid l’avait fait vivre sur le modèle d’un virus grippal inconnu en 2020 ; Antoine Garceau l’a réalisé en 2023 dans une série en quatre épisodes diffusée sur France 2 et disponible en repasse.
L’histoire est connue : une maladie étrangère contamine brutalement en quelques jours une population insouciante d’une petite ville du sud de la France. Les autorités minimisent, les partis en profitent pour pousser leurs pions, les affairistes s’engouffrent dans la brèche, les fonctionnaires fonctionnent de plus en plus dans l’obéissance aveugle pour se faire bien voir. En bref : la sale humanité avec tous ses travers, orgueil, petitesse, lâcheté.
Mais aussi les « héros » à la Camus, ceux qui font bien leur travail, stoïques et toujours le pont : les médecins et infirmières, les pompiers, le journaliste, les chercheurs, les simples prof de musique, les anciens humanitaires. Ceux-là aident les autres pour s’oublier eux – le contraire absolu des profiteurs qui font passer leur ego avant tout le reste.
Tout commence par une scène de plage, des enfants à la fragilité nue sortent de la mer, des jeunes plein de vie jouent au ballon, une femme satisfaite se fait masser le dos seins nus – l’hédonisme des vacances et de a vie relâchée propre à nos sociétés démocratiques en paix et prospères. Tout change brutalement avec un rat qui court. Hystérie de la massée, qui se lève à poil pour fuir l’horreur de la petite bête à poil qui court ; elle ne l’a pas même mordue. C’est une brave petite chienne qui va étrangler le rat, par savoir-faire atavique. Heureusement que l’homme a apprivoisé le chien !
Jour après jour, des gens se mettent à tousser, la fièvre monte, des pneumopathies se révèlent. Comme de bien entendu, l’hôpital public est vite encombré, vite à court de moyens, vite sans assez de personnel. La rationalisation ministérielle fait des ravages, pas question de plus, il faut faire avec et tant pis pour les pénuries. Mais Covid oblige dix ans avant, on ne manque plus de masque ni de gants. Les gens meurent, résignés. Le directeur d’hôpital (Francis Leplay) en profite pour supprimer le labo de recherche sur les pathogènes. L’idée en haut lieu est de favoriser les cliniques privées.
Le maire depuis 17 ans (Bruno Raffaelli) est un gros assoupi narcissique qui n’aime rien tant que de parader sur le circuit de télé locale, tandis que sa police municipale surveille nuit et jour par drones et caméras à reconnaissance faciale tous les trublions éventuels. Un clic et le portrait est scanné, la fiche d’identité sortie. Le maire tient à sa saison estivale, pour laquelle il a engagé une cantatrice d’opéra célèbre ; rien pour le populo, tout pour l’élite. En sous-main, une milice privée, dirigée par le capitaine de la police (Éric Denize), joue les gros bras pour les nantis, les traditionalistes, les réactionnaires. Pas de politique en ce film, il n’en est plus besoin, la politique a disparu sous la démocratie molle, le consensus dirigé, la surveillance omniprésente.
Je ne vous l’ai pas dit ? Nous sommes en 2030, autrement dit dans six ans. Le réalisateur rejoue 1984 de George Orwell pour montrer la société telle qu’il la voit venir. Dans six ans, nous aurons peut-être déjà subi trois ans de Rassemblement national après l’élection présidentielles de Marine Le Pen en 2027, avec tout ce qui va avec, déjà mis en œuvre dans les villes du sud de la France, celles qui votent massivement depuis des années pour la droite radicale.
La grève des poubelles comme dans le Paris d’Hidalgo il y a peu, due aux bas salaires et au refus de toute négociation, fait proliférer les rats et elle est le bouc émissaire commode pour l’épidémie. Quand le maire se fâche pour sa saison touristique, la milice règle le problème rapidement : une balle dans le bide du gros meneur qui n’y croyait pas (Gérard Dubouche), un tabassage en règle des manifestants démunis, en majorité arabes. Le lendemain, les poubelles sont enlevées. Mais les rats se sont reproduits et propagent la peste, un variant virulent et résistant aux antibiotiques qui, d’ailleurs, commencent à manquer.
Après avoir nié, les autorités prennent peur de la contagion grâce au docteur des pauvres Bernard Rieux (Frédéric Pierrot), au journaliste d’opposition Sylvain Rambert (Hugo Becker, épaissi) et à la chercheuse en biologie lanceuse d’alerte Laurence Molinier (Sofia Essaïdi) – et la ville est rapidement et brutalement confinée. Internet est coupé, la télévision aussi sauf la locale, tout comme les réseaux « pour éviter les fausses informations et les théories du Complot », et les portables n’ont plus de portée que sur l’agglomération. Quiconque résiste est maté d’un coup de crosse dans la tronche ou abattu d’une rafale. Le préfet (Patrick Mille) démet le maire incapable et prend lui-même la gestion de la commune sur ordre ministériel. Nul ne peut plus en sortir et ce qui entre est soigneusement contrôlé par l’armée.
Un fameux Plan D se révèle à demi-mot, bien que nié comme toujours jusqu’à sa preuve incontestable. C’est la parade habituelle aux politiques de tout nier jusqu’à ce qu’ils aient le nez dans la merde, une tactique habituelle aussi aux tueurs en série comme Fourniret, qui n’avoue que lorsque des preuves incontestables luis sont montrées. Le plan D signifie Plan Darwin, le père de la sélection naturelle. Seuls les plus forts survivent et il y a trop d’ayant-droits pour le Budget. Il est décidé au plus haut niveau d’encourager la nature à sélectionner les plus forts, les plus résistants. Le libéralisme poussé à son extrême libertarien. Pour cela, après le confinement qui permet aux élites de se préparer, un déconfinement sans condition de la population permettra au bacille de manifester toute sa virulence et de tuer les faibles, les comorbidités, les vieux, les chétifs. Ceux qui survivront auront le pouvoir et vivront d’autant mieux…
Je vous passe toutes les péripéties humaines et mafieuses, la romance du journaliste avec la chercheuse, l’adoption d’enfants perdus par la prof de piano qui n’e a jamais voulu, la rédemption au service des autres de l’ex-terroriste gauchiste Tarrou (Johan Heldenbergh), les scènes d’émotion et celles d’action, avec la mort d’un enfant (Hippolyte Daumas) comme chez Camus. Le fils d’un juge catho tradi intégriste et rigide (Guillaume Marquet) est atteint et décède, son père est ébranlé par la mort successive de sa femme et de son fils aîné, comme puni par Dieu des sept plaies d’Egypte, malgré sa soumission inconditionnelle à la Foi et à l’Église. Le père Panneloux ne comprend plus rien, Dieu seul sait ce qu’Il fait – façon de botter en touche pour ne plus penser. D’ailleurs, les tarés de l’Apocalypse se réveillent, une hystérique aborde le docteur Rieux au sortir de son travail pour lui parler du diable.
C’est une bonne série, d’aujourd’hui qui réactualise Albert Camus après le vécu du confinement Covid, avec pour perspectives la poursuite des tendances libertariennes et radicales de droite à la Trump ou Zemmour. Pour alerter sur le totalitarisme à la Poutine ou Xi qui vient à bas bruit, le racisme, la télésurveillance par caméras dans la ville et drones, le contrôle facial et informatisé. Au fond, les assassins sont parmi nous ; la peste est déjà en nous. Par notre lâcheté individuelle et collective.
Le message de Camus, repris en sourdine par la série, est que lorsqu’on est gouverné par le mensonge et la violence, il faut résister. La résistance individuelle est vaine (la lanceuse d’alerte est internée, le petit jeune policier qui voulait révéler les magouilles est zigouillé), seule la résistance collective vaut (les brigades de santé de Tarrou, l’équipe de recherche sur le vaccin). Et toute résistance est un rocher de Sisyphe, sans cesse à remonter sur la montagne pour contrer sans cesse l’avidité de pouvoir et les egos des puissants.
Car le bacille de la peste menace toujours, tapis quelque part entre les draps de l’armoire ou dans les pages d’un livre… ou dans la cité avec la bureaucratie, le je-m’en-foutisme, les habitudes…
France 2 La série La peste « saison 1 » en repasse (4 épisodes)
La série La peste sur Wikipedia
Albert Camus, La peste, chroniqué sur ce blog
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