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Gabriel Matzneff, Carnets noirs 2007-2008

AgoraVox le vendredi 27 mars 2009

Noirs, ils le sont doublement, ces Carnets d’auteur : physiquement parce qu’ils sont de moleskine entourée d’un élastique, le tout tenant en poche ; littérairement parce qu’ils présentent la face sombre d’une existence inapte au bonheur, perpétuellement décalée, amère à la Cioran. Inapte au bonheur parce que cet état est installation durable dans le tiède et la sécurité – mais pas inapte à la joie, qui est toute d’instant, irradiant au plus profond de l’être. Carpe diem est la devise de cet épicurien contemporain qui préfère Lucrèce, Horace et l’abbé de Saint-Cyran, entre autres, à mainte littérature du temps. Matzneff est tourmenté, du côté de Pascal plutôt que de Descartes, de Nietzsche plutôt que de Kant, de Bakounine plutôt que de Lénine, bien plus anarchiste libertaire que partisan de l’État bourgeois.

Or la société a changé. La jeunesse soixante-huit a pris 40 ans, le baby-boum s’est étiolé en papy-boum et la liberté est désormais contrainte par la frilosité de l’âge. Le libertinage adolescent, casanovesque et Renaissance, qui a refleuri dans les années 70 après les années 20, se casse les dents sur le SIDA, la xénophobie et le protectionnisme. Matzneff a surfé sur la vague libertaire, il s’est obstiné à publier le journal de ses conquêtes – souvent de moins de 16 ans – mais avec 20 ans d’écart. C’était louable pour les personnes, dont ne subsistaient que le prénom et l’initiale ; c’était en complet décalage avec le social, travaillé d’ordre moral et de sécurité. L’archange Gabriel s’est vu affublé de pieds fourchus, surveillé d’avocats par ses ex et par la police des mœurs, ostracisé par le marigot lâche et les jalousies du très étroit milieu littéraire. Pourquoi ne pas carrément user de la fiction romanesque, laissant le Journal reposer pour le futur ? Son précédent Carnet, évoquant 1988, ressassait ses caracoles de la cinquantaine avec des lycéennes. Gallimard, avec la tartufferie de règle dans les élites parisiennes, a laissé traîner les corrections, d’où le Gallimatias ; il a fait s’abattre un vol de juristes pour veiller au politiquement correct, d’où le Gallimatois. Échec inévitable du livre, répétitif, dissimulé, presque vide. L’auteur déclare que l’existence est faite de répétitions – certes ! mais une œuvre n’est pas un copié-collé – elle exige un style, et le style, c’est un choix qui tranche. L’auteur déclare aussi que Désir n’a point de loi, comment donc croire à la subite « sagesse » 1988 de ses amours ? Etait-ce l’angoisse de la cinquantaine ? Toujours est-il qu’agir ado lorsqu’on a l’âge d’être grand-père, libertiner comme à 20 ans quand on en a plus du double, et ce dans une société qui est devenue hystérique de Salut moral et de frileux comportements – voilà qui passait mal.

Loin de cette impasse d’hier, les Carnets Noirs 2007-2008 chez un éditeur moins bureaucratisé ont la fraîcheur de l’adéquation. L’auteur accuse son âge, restreint ses amours, beaucoup moins mécaniques, il se donne le temps d’observer, de sentir et de penser. Rattrapé par ses 70 ans bien sonnés, il ne captive plus les lycéennes et ses maîtresses ont désormais la correction d’afficher la trentaine ou la quarantaine. Bien loin des frasques contemporaines à la Catherine Millet ou des partouzes à la Houellebecq, Matzneff apparaît désormais plus proche d’un Philippe Sollers, en moins pontifiant. La période toute récente qu’il raconte le rend plus familier, mieux ancré dans la réalité d’époque avec internet, téléphone mobile et blogs. Le littéraire qu’il est adopte d’ailleurs des mots charmant pour ces nouveautés TIC : émile pour e-mail, telefonino pour mobile. Il ne voyage plus lointain comme dans les années 70-90 mais tout près, en Belgique, au Maroc, en Italie surtout dont il a appris la langue. La musique des mots s’infiltre dans son français, lui donnant saveur nouvelle. Il évoque toujours ses amours féminins, ses dîners avec Untel et sa précieuse santé (jusqu’à trois chiffres après la virgule pour son poids au jour le jour !), mais ces aspects concrets, ancrés dans la réalité vivante, sont entrelardés de réflexions sur les livres qu’il lit, les articles de journaux auxquels il réagit, les paroles des messes orthodoxes qu’il médite. Tout cela fait écho à sa culture classique et nous ravit. Ces Carnets Noirs sont bien meilleurs que les précédents, fors ceux de ses premières années. Ils transmettent un style, nous entraînent dans un univers d’auteur – ce qui est vraie littérature.

Gabriel Matzneff reste égotiste, anarchiste, tourmenté. Mais ce ne sont là qu’étiquettes car ce sont les passions et les tourments qui font la littérature : l’homme heureux n’a pas d’histoire. « Ce mixte d’indifférence et d’hostilité… Je ne pense pas qu’il y ait un seul écrivain français vivant qui soit autant tenu à l’écart que je le suis » (23 avril 2007). C’est pour cette phrase que j’ai envie de parler de Matzneff sur ce blog. J’avais, en son temps (1981), aimé Ivre du vin perdu (indisponible sauf occasion à 200€), l’une de ses meilleures œuvres à ce jour, à mon goût, avec Les lèvres menteuses et Boulevard Saint-Germain (ces deux toujours disponibles). Ma copine de fac, Dominique M., prof à l’université de R. (ainsi qu’on écrit en Gallimatois) l’aimait beaucoup elle aussi. De même que Philippe Sollers, qui s’était fendu d’un article dans Le Monde sur ce « libertin métaphysique ». Et Mylène Farmer, dit-on ! Cette joie de vivre, cette légèreté de pensée, cette ivresse des sens qui conduisaient aux idées saisissantes, étaient en phase avec l’époque optimiste, avec les utopies libertaires issues de mai 68 portée par l’espoir politique de la gauche au pouvoir. La gauche, pas la social-démocratie tiède toujours prête à se coucher devant le premier homme fort venu. Matzneff a aimé la grandeur de Gaulle, apprécié Mitterrand ; il n’a que révulsion, en revanche, pour « la Royal », « cette quakeresse, sortie tout droit des ligues puritaines américaines, sotte, sectaire et méchante » (20 avril 2007). Il a voté Bayrou aux présidentielles, puis blanc, Sarkozy ayant « tonné contre l’hédonisme, l’esprit de jouissance avec des accents rappelant (…) les paladins de la Révolution nationale qui, sous l’occupation allemande, expliquaient que si la France avait perdu la guerre c’était la faute d’André Gide et d’autres artistes sulfureux pourrisseurs de notre belle jeunesse » (2 mai 2007). C’est pour ce genre de remarque que Matzneff nous séduit : « Sans cette liberté absolue, de refus de faux devoirs, cette victorieuse allergie aux corvées de l’arrivisme, cette indifférence au ‘status symbol’, je n’écrirais pas les livres que j’écris, je n’aurais pas la vie amoureuse qui est la mienne » (14 mai 2008).

Il parle très bien des femmes, de la psychologie du sexe, aimant à sauter sans mollir du plume à la plume. Il note fort justement « cette maladie spécifiquement féminine qu’est la réécriture, la réduction du passé » (17 mai 2008). Or la société ne se contente pas de vieillir, ses valeurs se féminisent : voilà qui explique en partie pourquoi les galipettes joyeuses des adolescentes années 70 sont aujourd’hui niées par les mêmes, comme si elles n’avaient jamais eu lieu. « Dieu merci, je n’ai pas eu dans ma vie que des renégates, des truqueuses, des petites-bourgeoises superficielles et oublieuses ; j’ai eu aussi des femmes au cœur généreux et tendre, qui dans leur âge adulte ne se croient pas obligées de calomnier leur premier amour, d’avoir honte du poète qu’elles ont, à l’aurore de leur vie amoureuse, passionnément aimé » (8 septembre 2008). Tartuffe ne gagne jamais tout à fait, malgré les intégristes, les ayatollahs et les ligues de vertu. Pourquoi cacher ce sein que je ne saurais voir, s’il est joli et créé ainsi ? La turpitude n’est-elle pas plutôt dans le regard ?

C’est pourquoi Matzneff, descendant de comte russe blanc, préfère tant l’orthodoxie : « Le catholicisme semble avoir irrémédiablement réduit la sublime folie de l’Incarnation, de l’Esprit qui se fait chair, à un catalogue de quéquettes interdites (…) Plus que jamais, j’ai conscience que seule une bonne théologie de la liberté, c’est-à-dire une bonne théologie du Saint-Esprit, pourrait délivrer l’Église romaine de la tentation moralisatrice, de l’obsession sexuelle » (27 juillet 2008). Tentation qui a contaminé les laïcs ! « Les intellos franchouillards y vont eux aussi très fort : les ‘droits de l’homme’, c’est leur spécialité. Hier c’était au gouvernement russe qu’ils expliquaient doctement ce qu’il convenait de faire. Aujourd’hui, Jeux olympiques obligent, c’est au gouvernement chinois. Le grotesque de ces perpétuels donneurs de leçons (droite libérale et gauche caviar confondues) me fortifie dans la satisfaction de n’être pas un Français pur sucre, dans le bonheur d’être un métèque. Né et grandi en France, c’est sans nul doute à mon sang russe que je dois d’être immunisé contre cette maladie française de la vanité, de la suffisance, de la ridicule prétention à morigéner les autres nations » (8 août 2008). Convenons que « milieu » aurait été plus adéquat que « sang » mais l’idée y est bonne. Elle motive une vision non anglo-saxonne du monde réjouissante et pleine de bon sens, notamment sur la Palestine (p.310, 504, 506), la Syrie, la Géorgie… En politique comme en amour, Matzneff a « horreur de la coercition, seule me captive la réciprocité, le plaisir de l’autre est à mes yeux aussi important que le mien » (16 mai 2008).

« Venere, Baccho et Sol invictus (Vénus, Bacchus et le Soleil invaincu) sont les trois divinités les plus importantes de mon Olympe personnel » (28 mars 2007). Je n’ai pour ma part ni les mœurs ni le genre de vie de l’auteur, mais par quel mystère apprécier une lecture forcerait à en imiter l’auteur ? Lecteurs de romans policiers, devenez-vous meurtriers ? « Nous devons au contraire nous opiniâtrer à demeurer celui que nous sommes, à persévérer dans notre singularité. Si mes carnets noirs présentent un intérêt humain (…) c’est que de la première à la dernière page on y voit vivre un homme en proie à lui-même et à ses passions » (28 septembre 2008). Il y aurait beaucoup à citer et à commenter mais, pour cette invitation à se découvrir tel qu’on est, dans la lignée de Montaigne, pour sa langue fluide, classique et inventive, pour le plaisir de lecture érudite et primesautière qu’il nous donne, lisez donc ce gros livre – il incite à bien vivre. Pourquoi bouder notre plaisir ?

Gabriel Matzneff, Carnets noirs 2007-2008, éd. Léo Scheer, mars 2009, 513 pages

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Bénédicte Vergez-Chaignon, Pétain

benedicte vergez chaignon petainAu vu des « polémiques à la française » autour de Philippe Pétain, frappé en 1945 d’indignité nationale pour collaboration avancée avec l’ennemi occupant, malgré ses états de fait de 14-18, je réédite cette note de 2014 sur une biographie fouillée du personnage.

Mille trente-neuf pages denses et étayées, un véritable pavé d’un kilo et deux-cent vingt grammes de papier fin glacé avec un carnet de photos – voilà une œuvre d’historien d’un docteur femme de Science Po Paris, tout en références, témoignages et jugements balancés. Évidemment, nostalgiques s’abstenir ! Car la complexité humaine et le labyrinthe historique ne sauraient faire bon ménage avec le mythe et la caricature politique. Pétain était un grand homme et un salaud, un soldat attentif aux hommes et un homme d’État naïf et vaniteux. C’est que ce n’est pas simple, un être humain ! Surtout emporté dans la tourmente de l’Histoire, à une période où la France déprimée après l’hémorragie de 14-18 et aspirant aux cong’paye du socialisme hédoniste, ne veut rien voir de la montée nazie ni des desseins (pourtant écrits et publiés) d’un certain Adolf Hitler, ex-caporal de la guerre la plus con.

Marc Bloch, historien français et juif, officier de 14 rempilé en 40, l’a écrit bellement dans L’étrange défaite : c’est tout le pays qui a abandonné. A quoi bon se battre ? Déjà saigné par plus d’un million de jeunes hommes morts pour rien entre 14 et 18, le pays n’en peut plus. Réfugié derrière la dernière guerre, symbolisée par un vieux maréchal vainqueur de Verdun et portant beau ses feuilles de chêne, le pays n’en veut plus. La population quémandait en l’an 40, à une armée allemande étonnée de sa victoire facile et si rapide, « encore un quart d’heure, Caporal bourreau ». Le Chef allait protéger la terre et les hommes du charnier, le soldat prestigieux allait négocier comme un paysan les prédations du vainqueur, les Français allaient pouvoir attendre la fin du conflit pour se rallier au vainqueur comme la vache va au taureau après la lutte cornes contre cornes.

Bien rares en 1940 étaient les De Gaulle, Jean Moulin ou Daniel Cordier… vraiment bien rares. Les Radicaux avaient signés des deux mains la dévolution des pouvoirs constitutionnels à Pétain ; les Socialistes avaient suivi en masse (hors quelques-uns, embarqués par quiproquo sur le Massilia). Même les Communistes étaient pro-hitlériens (je n’ai pas dit pro-nazis), l’Allemagne nazie ayant signé un pacte avec la Russie stalinienne pour dépecer tranquillement la Pologne et se partager les dépouilles des vieilles démocraties.

Philippe Pétain est né sous le régime autoritaire de Napoléon III en 1856 ; il avait 14 ans lors de la défaite ignominieuse en 1871 de la baderne Bazaine et de Napo le nabot. Son sang d’adolescent a bouilli comme il se doit. Fils de paysan de la Somme, élevé par ses grands-parents faute de mère morte en couches, il a connu très tôt le collège militaire, tout entier voué au service des armes et à la « réforme intellectuelle et morale » (p.435) du pays. Mais enfance et adolescence n’occupent que 16 pages sur l’ensemble : il n’existe que très peu de documents et aucun récit personnel. Ces 22 années ne comptent que pour 1.5% de la biographie. A l’issue, il est déjà officier.

Intelligent, il se cultive en stratégie militaire et aime faire l’instructeur. 1914 commence page 68 sur 1039, il a déjà 58 ans ! Mais, en 4 années de guerre, il passe du grade de colonel au grade de général de division, puis à la distinction de maréchal de France. C’est dire combien la IIIe République était peu préparée au combat en 14, combien les badernes sévissaient dans les casernes, combien l’armement et l’uniforme étaient inadaptés (un pantalon rouge garance !) et archaïques (on attend encore les chars en 17 !). Pétain, déjà mûr mais actif et prudent, a profité du néant général ou presque ; il a été choisi contre le massacreur Nivelle à Verdun. Il avait la vertu d’être autoritaire (il a fait fusiller 7 meneurs de sa propre initiative en 1917) mais très procédurier militaire quant aux doléances : réprimer-analyser-modifier.

Comme l’observait De Gaulle (qui avait été son officier et son porteplume un moment), si Pétain était mort en 1925 (à 69 ans), sa gloire serait restée intacte et il aurait une avenue dans Paris comme Foch, Joffre ou Clémenceau, autres généraux maréchalisés de la Grande guerre. Las ! Ce vieillard encore vert, perclus de maitresses et marié tard à l’une d’elles (une divorcée, quel scandale dans la « bonne » société !), s’est piqué de politique. On l’envoie rétablir l’ordre au Maroc, il est nommé ministre ; il entre à l’Académie française. Est-ce pour cela qu’on l’écoute ou qu’il se fait entendre sur le réarmement nécessaire ? Il n’a pas du beaucoup insister, méprisant les maquignons des partis dans ces gouvernements à têtes pivotantes sous la IIIe République – car presque rien n’a été fait pour préparer l’armée à la guerre inévitable dès le début des années 30 !

Vieille France, matois, refusant les actes révolutionnaires comme la tentation de février 34, hostile aux idées maurassiennes sans pour autant les condamner, catholique pratiquant et soucieux de sa dignité chèrement gagnée, Pétain restera toujours ambigu, sibyllin, disant tout et son contraire. L’âge venant, il aura progressivement des trous de mémoire, une certaine aboulie, une incapacité à entendre (de l’oreille et de la comprenette) et une incapacité à travailler longtemps.

Les années 1939-1945 sont le cœur du livre, puisqu’elles sont le cœur de ce que notre époque post-Auschwitz retient de Pétain : pas moins de 570 pages, soit la moitié du volume. Le maréchal avait 84 ans en 40 et presque 90 en 45.

• Il s’est laissé circonvenir, n’ayant jamais compris le cynisme nazi tout en moyens justifiant les fins. Goering lui-même l’a dit : « Pétain, c’est Hindenburg, et ce n’est pas une bonne chose que les grands soldats victorieux, hélas ! vieillis, gouvernent leur pays vaincu » p.680.
• Il s’est laissé berner par son entourage de conservateurs catholiques et de pro-nazis, de technocrates et de maquignons parlementaires.
• Il a voulu répéter la « réforme intellectuelle et morale » des années 1880 par la Révolution nationale (le terme n’est pas de lui, qui se méfiait du mot révolution).
• Il s’est dévoyé en acceptant la collaboration du « moindre mal » sans comprendre : déporter les Juifs (mais « étrangers »), fusiller les Résistants (mais « terroristes »), laisser saborder la flotte (pour « respecter » les conventions d’armistice), rester en métropole (sinon la France aurait un Gauleiter qui imposerait des conditions plus dures), élaborer une trentaine de projets de nouvelle Constitution (mais rester par « sentiment du devoir » chef de l’État à vie)…

Philippe Pétain sera justement condamné à mort et à l’indignité nationale en 1945, mais dans un procès bâclé et mal conduit, dont le jury est composé presque uniquement d’adversaires politiques. Il est immédiatement gracié par le président de la République provisoire, le général De Gaulle, et interné au fort du Portalet près de Pau avant celui de la Pierre-Levée sur l’île d’Yeu. Il y mourra en 1951, définitivement sénile, à cinq ans de son centenaire.

La vieillesse est un naufrage. En voulant bien faire, mais par ataraxie du grand âge et vanité de vieux méritant, le maréchal s’est fourvoyé et compromis. Il a empêché la France qui le voulait de résister, il n’a pas permis aux moyens de l’empire de continuer la guerre, il a laissé la police française livrer des Juifs aux nazis. Le redressement intellectuel et moral se fera durant la guerre sans lui et contre lui, trop confit dans le passé et l’autoritarisme suranné.

Mais il est facile de réécrire l’histoire comme on aimerait qu’elle fût. La reconstruction de la France s’est bâtie en opposition à la démission de l’armistice de 40 et absolument contre les idées nazies et collaborationnistes. Caricaturer les vagues idées de Pétain était symboliquement nécessaire même si, pas plus que Marx n’était marxiste, Pétain n’était vraiment pétainiste. L’histoire s’observe à son moment, pas repeinte de moraline : en octobre 1944, « la jeune IFOP demande [aux Français libérés] s’il ‘faut infliger une peine au maréchal Pétain’. Seuls 32% répondent par l’affirmative, quand 58% sont contre » p.882.

L’ambiance pétainiste n’a cessé de couler sous la surface, elle ressurgit ça et là aujourd’hui :

• dans l’écologie (tellement conservatrice de « la terre ne ment pas ») ;
• à l’extrême-gauche dans les idées d’un Badiou qui considère la démocratie comme inutile, au profit d’un parti unique, directeur politique de la société ;
• chez le père-la-morale Bayrou, (tellement catho coincé face à Cohn-Bendit le soixantuitard) ;
• dans le parti de « rassemblement » bleu Marine qui veut sortir les sortants, éjecter les parlementaires et les élus corrompus, garder la terre de France aux Français et effectuer une « réforme intellectuelle et morale » du pays…

Cette biographie d’un symbole replacera l’homme dans les idées et les circonstances et permettra de mieux comprendre comment peut s’opérer le glissement progressif du conservatisme à l’autoritarisme – et de l’autoritarisme au nazisme. Une lecture qui serait bien utile à tout le monde !

Bénédicte Vergez-Chaignon, Pétain, septembre 2014, Perrin, 1039 pages, €29.00

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Christophe Bardyn, Montaigne

christophe bardyn montaigne
Michel Eyquem de Montaigne aimait fort la vie avec tout ce qu’elle offre ; le principal en était la liberté. Cette biographie nouvelle, par un agrégé docteur en philosophie est à la fois érudite, pleine de sel et de trouvailles, et fort bienvenue. « L’époque des guerres civiles a façonné sa pensée et son style au point qu’ils entreront toujours en résonance avec les périodes troublées, inventives et inquiètes. Tel est notre temps… » p.478.

Sa pensée de doute et de balance porte à juger par soi-même plutôt qu’obéir aux dogmes ou suivre l’opinion commune. Son style de beau langage allie la précision des mots à l’allusion, voire au cryptage pour érudits, afin de dissimuler ce qui choquerait trop les âmes faibles. Car il y a en tous temps des professionnels du choqué, dont la seule vertu est de dénoncer la paille dans l’œil du voisin. Particulièrement dans les périodes troublées et inquiètes où le recours à la « croyance » est reine au détriment du réel. Penser comme tout le monde rassure, en rajouter sur l’orthodoxie pose à bon compte et donne parfaite conscience. Mais de là à inventer le neuf, il n’y faut point compter !

« Il est manifeste que l’homme [Montaigne] est d’abord un amant, amoureux de la vie, d’un unique ami et de quelques femmes. De toutes ses passions, l’écriture est à la fois le médiateur et la substance, et c’est pourquoi les Essais sont consubstantiels à leur auteur » p.471. Presque tout est dit, hors l’aristocrate et le politique. Car Montaigne fut aussi engagé largement dans l’histoire de son siècle. Élu en son absence maire de Bordeaux malgré ses réticences, puis réélu pour un second mandat, il avait l’oreille à la fois de Catherine de Médicis et d’Henri de Navarre, jouant les médiateurs avec talent et discrétion entre les deux Henri, l’actuel III et le futur IV.

Bien que le grand homme fut de taille petit, « Montaigne a toujours fait, autant qu’il le pouvait, ce qu’il voulait, sans se préoccuper à l’excès des jugements moraux, sociaux ou religieux. L’absence de repentir qu’il revendique hautement signifie qu’il assume tous les aspects de sa vie, parce qu’il les a tous voulus, pour autant que cela dépendait de lui » p.473. Outre sa libre pensée, Montaigne valorisait l’expérience plus que le savoir, la vie se faisant – plus que les grands principes. En ce sens il était libéral. Sur l’exemplaire de la dernière édition des Essais qu’il a annoté de sa main juste avant sa mort, il a fait figurer cette citation de Virgile : « il prend des forces en allant de l’avant ». Il ne se réfère pas avant d’agir, il va et pense en chemin.

Ce pourquoi il est antithétique avec un certain esprit de cour français, hiérarchique, soumis, moraliste et langue de bois. Christophe Bardyn a fort raison d’affirmer : « Il est évident, ne serait-ce que pour des raisons de style, qui touchent ici au plus intime de la pensée, qu’un philosophe nourri exclusivement de Kant, de Hegel ou d’Auguste Comte n’est pas en mesure d’entrer dans la pensée de Montaigne » p.469. La plupart de nos intellos, perclus de grands principes et de dogmes idéologiques, ne peuvent saisir le sel de ce penseur du XVIe siècle qui ne se voulait pas philosophe. Ils sont bien trop enfermés dans leurs bornes mentales, leur morale étroite et leur idéal absolu placé au-dessus des hommes – ils sont bien trop contents d’eux. Ce pourquoi Montaigne fut plus célèbre en Angleterre qu’en son propre pays, plus pragmatique que dogmatique, plus accommodant que servile, plus utilitariste qu’idéaliste.

Lorsque Michel de Montaigne meurt le 13 septembre 1592 à 59 ans d’une amygdalite phlegmoneuse, ses héritiers spirituels sont immédiatement Pierre Charron et Marie de Gournay, jeune Picarde « transie d’admiration » devenue après plusieurs mois de rencontres « fille d’alliance ». Mais plus tard Descartes et Pascal, avant Hume et Voltaire, reprendront son flambeau. Tous penseurs qui pensent par eux-mêmes, maniant la langue précise autant que l’ironie, sceptiques et prudents. Le gisant de Montaigne repose ses pieds sur un lion de pierre à la langue bifide, signe de dissimulation comme de neutralité, de loyauté sans naïveté.

Les siècles XIX et XX en France ont réduit Montaigne à la sagesse rassise du personnage qui s’isole en sa librairie pour méditer au coin du feu. Les moraleux de ces temps idéologiques avaient peur de la verdeur charnelle de l’auteur du XVIe siècle, de son scepticisme en tout, de la relativité de sa morale. Ils ont caché ce sein qu’ils ne voulaient voir, alors que Montaigne avait pour ambition de se « dépeindre tout nu ». Libertin, libéral et libertaire, Montaigne aimait le sexe et la conversation, les libertés de croire, de penser et de dire, et surtout pas les conventions sociales au-delà de la civilité.

Christophe Bardyn relit Montaigne avec l’œil neuf du XXIe siècle et la documentation fournie des historiens. Il entend le latin et grec, ce qui lui facilite les choses… « Les Essais contiennent tout, absolument tout, du début à la fin et pour tous les aspects de son existence » p.15. D’où il peut déduire que Montaigne était (ou se sentait) un enfant illégitime, né à 11 mois de grossesse, peut-être fils du palefrenier ; que cette situation l’a rapproché d’Étienne de La Boétie, orphelin trop tôt, sans que cette passion d’amitié soit en rien homosexuelle – comme certains esprits trans, gais et lesbiens le voudraient aujourd’hui pour augmenter leur camp. Montaigne a énuméré, plus ou moins dissimulés, les noms de ses maitresses : Diane de Foix-Candale (dont il fut le père probable du premier enfant), Madame de Duras, Diane d’Andouins qui se fera appeler Corisandre et sera la maitresse du futur Henri IV, Madame d’Estissac et Marguerite de Valois qui épousa Henri de Navarre (p.296).

Né le 28 février 1533 aîné de 8 enfants, son père officiel est de noblesse récente, maire de Bordeaux, d’ancêtres enrichis dans le commerce de pastel et de harengs. Sa mère descendrait probablement de marranes montés d’Espagne en 1492. Comme Gargantua, livre qu’il affectionnait fort, le jeune Michel « confie qu’il ne se souvient même plus du début de sa vie sexuelle, tellement elle fut précoce » p.28. Il disait suivre la règle des moins de Thélème qui est de n’en suivre aucune !

De sa naissance à 3 ans il est confié en nourrice au village, revient au château de Montaigne jusqu’à 6 ans pour être élevé, avec son frère cadet d’un an Thomas (le préféré de son père) par un précepteur allemand assisté de deux autres qui lui parlaient latin et jouaient en grec. De 6 à 15 ans, il est envoyé au collège de Guyenne à Bordeaux où il lit les classiques, aidé de son précepteur Muret de 4 ans plus âgé que lui, un rien sodomite mais qui semble s’être contenté de caresses mutuelles avec le jeune Michel – comme le faisaient les Romains. De 16 à 21 ans, Montaigne se perfectionne à Paris, ville qu’il a tant aimée, auprès des humanistes et notamment de Turnèbe. Il déteste le droit mais en sera néanmoins licencié, son père lui obtiendra une charge à la cour des aides de Périgueux, avant de monter à Bordeaux.

Michel rencontre Étienne à 24 ans et La Boétie, qui mourra à 33 ans, écrit vers 16 ans un Discours de la servitude volontaire encore fameux quatre siècles après. « La rencontre entre les deux jeunes magistrats bordelais ressembla donc à un coup de foudre amoureux, parce que pour la première fois chacun d’eux sortait de sa solitude psychique et trouvait un interlocuteur à qui il n’avait pas besoin d’expliquer ce qu’il ressentait, mais qui le comprenait intuitivement parce qu’il avait vécu de son côté une épreuve similaire. Le bâtard reconnaît dans l’orphelin un compagnon d’infortune, et leurs sensibilités exacerbées les conduisent aussitôt à une entente qui, le plus souvent, n’eut même pas besoin de mots » p.129. Étienne mettra en garde Michel contre sa frénésie sexuelle avec des femmes mariées, ce qui présentait à tout moment le risque d’être découvert et tué. Nul que la tempérance de son ami n’influençât le jeune homme pour le reste de sa vie.

Montaigne se marie en 1565, 4 ans après la mort de son père, pour récupérer son héritage, dont le titre. C’est un mariage de raison qui donnera six enfants mais dont une seule fille survivra, Léonor, à laquelle Montaigne ne s’est guère attaché. Il n’aimait pas les « petits enfants » et préférait parler d’égal à égal sur les idées. Après 13 ans de vie parlementaire, il se retire à 37 ans sur son domaine, qu’il est soucieux de faire rendre. De sa tour librairie, il peut surveiller les alentours et les soins de ses gens à sa vigne.

C’est là qu’il commence à écrire ses Essais, à 39 ans. Christophe Bardyn nous révèle que leur plan est calqué sur Saint-Augustin, non pour le démarquer mais pour s’en inspirer – et prendre le plus souvent des opinions contraires, étayées par des citations d’auteurs latins. « En utilisant les thèmes de la Cité de Dieu comme canevas, et en brodant ses propres motifs par-dessus, Montaigne se donnait une structure invisible qui lui permettait d’échapper à l’emballement en tous sens de son ‘cheval échappé’ et lui fournissait un discret fil conducteur. Mais, en même temps, il saisissait l’opportunité d’affirmer ses propres thèses par contraste avec celles du plus célèbre et du plus influent père de l’Église d’Occident » p.257. Il procède de même avec le Livre III, qu’il écrit en miroir des Confessions.

Il ne publiera les Essais qu’en 1580 mais passera deux années à publier les œuvres de son ami La Boétie, en même temps qu’il écrit probablement le pamphlet le plus virulent et le plus intelligent sur Catherine de Médicis, appelé le Discours merveilleux. Il ne l’a pas signé, ni revendiqué jamais, mais l’on y découvre son style. Avec l’Apologie de Raymond Sebond, il exprime aussi sa conviction de « moyenneur », partisan du juste milieu sur l’interprétation des dogmes catholiques.

Femme et homme à chapeaux 17ème

Il est nommé gentilhomme ordinaire de la chambre du roi de France en 1573, puis obtient le même titre auprès du roi de Navarre en 1577 grâce à Marguerite de Valois, l’une de ses maitresses. « En réalité, Montaigne fut un très grand séducteur. Certes il était petit, et ses attributs virils manquaient d’envergure, mais il avait bonne figure, était très vigoureux [six postes par nuit], et avait assez d’esprit pour faire oublier tout le reste » p.305. Le chapitre 5 du Livre III des Essais s’intitulera même Sur des vers de Virgile, dont l’innocence champêtre masque une érotique contrepèterie !

Il voyage en Italie 17 mois et 8 jours, où il apprécie la bonne chère mais moins les femmes, trop grasses pour son goût. Il apprend dans une ville près de Pise où il prend les eaux contre les calculs rénaux, que ses collègues l’ont nommé maire de Bordeaux et, après un premier refus et quelques tergiversations, un ordre du roi le fait accepter. Il rentre en France pour n’en plus repartir, lui qui a eu la tentation de Venise, s’y voyant volontiers ambassadeur sur la fin de sa vie.

Être maire n’est pas de tout repos lorsque la guerre civile menace, les dogmatiques des deux religions se haïssant comme communistes et capitalistes. Montaigne négocie, s’entremet, anticipe. Il se sortira de tous les mauvais pas, même de la peste, qui vida Bordeaux de la moitié de sa population. Il reçoit en son château de Montaigne le roi de Navarre le 19 décembre 1584, avant d’être obligé de fuir en roulotte avec sa famille jusque vers Paris, où Catherine de Médicis le renfloue pour ses talents politiques et lui confie quelques missions secrètes dont il ne peut parler en ses livres, mais dont les correspondances historiques font foi.

Dans le Livre III des Essais qu’il entreprend à ce moment, il fustige les catholiques zélés de la Ligue, aussi sûr de leur bonne foi que vantards : « Ils nomment ‘zèle’ leur propension vers la malignité et violence : ce n’est pas la cause qui les échauffe, c’est leur intérêt. Ils aiment la guerre, non parce qu’elle est juste, mais parce qu’elle est guerre » cité p.387. Il faut dire que huit guerres civiles en 25 ans peuvent rendre sceptique quiconque pense par soi-même sur le ‘bon droit’ d’une cause. Les choses n’ont guère changé depuis, les catholiques ont laissé la place aux jacobins puis aux communistes avant tous les avatars du gauchisme et de l’écologisme, mais le ‘zèle’ est toujours aussi borné…

Montaigne, lui, reste « le premier empiriste sceptique de notre histoire » p.404. Il adopte un point de vue raisonnable sur la vérité : « Il n’y a pas de science certaine, puisque tout est sujet au doute, mais nous devons nous faire une opinion sur tout ce qui concerne notre vie, sans quoi nous serons paralysés et inactifs » p.407. L’utilité pratique sur le moment est bien ce qui importe, ce à quoi jamais les dogmatiques ne pourront se soumettre, soumis à « la peste de l’homme, l’opinion de savoir ».

Lire et relire Montaigne est une cure de santé instinctive, affective, mentale et spirituelle. « Récapitulons : il est hédoniste dans sa vie privée (de tendance néocyrénaïque), néocynique dans sa vie publique (il s’inscrit dans le courant érasmien de dénonciation de la folie politique), empiriste sceptique du point de vue de la connaissance, naturaliste radical pour envelopper le tout, c’est-à-dire ne connaissant et ne suivant que la nature » p.410. Que voilà un homme séduisant que l’on peut prendre pour modèle ! Surtout en notre époque de vanité et d’ignorance, où faire le paon suffit à contenter une vie.

Une bonne et lourde biographie écrite avec gourmandise et beaucoup de savoir que tout homme libre goûtera – et où les femmes pourront reconnaître cette civilité française que l’obscurantisme méditerranéen conteste aujourd’hui.

Christophe Bardyn, Montaigne – La splendeur de la liberté, 2015, avec 16 illustrations en cahier central, Flammarion, 543 pages, €25.00
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William Faulkner, Requiem pour une nonne

william faulkner requiem pour une nonne
Roman expérimental d’après Nobel, donc roman chiant, qui tente de mêler histoire du pays et pièce de théâtre. La part historique remonte aux origines – pour traquer le péché originel de l’Amérique d’être une putain d’un côté, une meurtrière de l’autre ? La part théâtrale met en scène l’accusation de meurtre d’un bébé (évidemment fille) par une nurse noire, ancienne putain, recueillie par la fille écervelée qui, à 17 ans, avait suivi un malfrat dans un bordel de Memphis dans Sanctuaire. Évidemment, la putasserie demeure et la belle fricote avec le frère de l’ancien amant. De qui est le bébé ? Le doute demeure, son premier est affirmé ne pas être du mari qui, saoul, a jeté la voiture au fossé quand elle avait 17 ans, poursuivant l’engrenage que la putasse avait elle-même commencé. Mari soulard qui se révèle le neveu de l’avocat Stevens, bourré dès l’université. Aurait-il été si mal élevé, le gamin que l’on a appris à apprécier dans L’Ours, L’Intrus et Le Gambit ? C’est assez invraisemblable – même s’il ne porte plus le prénom de Charles – dit Chick – mais celui de Gowan.

Vous ne comprenez pas plus que moi ? Pas grave. Il semble que Faulkner tente de rassembler son œuvre en une cohérence, de lier la geste américaine à sa geste littéraire personnelle, reprenant ses anciens personnages et ses hantises fantasmées pour leur donner une suite. Ce n’est pas des plus heureux. Trois fictions historiques au ton incantatoire, prêches vertueux sur les turpitudes des anciens autour d’un cadenas, d’une prison et de la guerre. Trois actes scéniques où la négresse se trouve réhabilitée (elle a étouffé le bébé pour le sauver d’une existence de bâtarde) et la bourgeoise avilie (elle voulait tout quitter pour son gigolo bien membré). Le tout lié d’anciennes nouvelles et de pensées Ancien testament sur la culpabilité et la responsabilité, dans une lassitude d’écriture manifeste. Le théâtre se traîne et les fictions sont très inégales. Le tout est bien raté, n’en déplaise aux dévots pour qui la « Littérature » c’est tout bon si l’auteur a écrit une fois une bonne œuvre.

albert camus requiem pour une nonne

Il est vrai que Faulkner se débattait entre deux maitresses à la fois à l’époque du roman et qu’il a joué à laisser écrire certaines scènes du théâtre par la jeune pétasse qu’il avait sous son aile. Il a retouché sous les conseils de professionnels mais, même après cela, la pièce restait injouable en l’état, plus roman que théâtre. Albert Camus en France en a tenté l’adaptation en 1956 avec un certain succès, mais en remaniant l’ordre des dialogues pour faire progresser l’action, en coupant ici et développant là – en bref une véritable réécriture à partir du lourd bordel ambiant, autant littéraire que moral…

William Faulkner, Requiem pour une nonne (Requiem for En un), 1951, Folio 1993, 304 pages, €7.90
William Faulkner, Œuvres romanesques IV, Gallimard Pléiade 2007, 1429 pages, €78.50
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Essai sur la psychologie de François Hollande

Gouverner, c’est choisir : grosse angoisse pour François Hollande.

Les études marketing des comportements montrent combien la liberté est une responsabilité que tous les individus ne sont pas prêts à prendre. Ce pourquoi François Hollande est socialiste : l’Histoire le guide selon ses Lois déterminées d’avance, que le prophète Karl Marx a révélé il y a un siècle et demi. Il est donc confortable d’attendre que l’Histoire avance.

Agir, c’est risquer de faire une erreur. Or perdre est « anormal » selon l’optimisme vital (pulsions), son estime de soi est entamée (raison), la remise en cause de ses habitudes répugne (passions), tout cela incite soit à risquer, soit à ne plus rien faire (volonté).

Prendre un risque n’est pas dans le tempérament tout en rondeurs de François Hollande. Ce pourquoi, s’il a fait HEC (l’école des Hautes études commerciales), il s’est bien gardé de se lancer dans le risque d’entreprendre en créant une société, ni même dans le risque de décider en simple gestionnaire d’entreprise : il a préféré être fonctionnaire…

hollande bras leve reuters

Ce qu’il aime manifestement est son bien-être, physique, pulsionnel, passionnel, mental. Pas de mariage car cela contraint ; des maitresses en enfilade car cela est bon sans lasser ; bien manger, son apparence le prouve ; laisser dire et laisser faire, la quiétude est à ce prix.

François Hollande semble soumis au « biais de statu quo ». Des études d’économie comportementale et de psychologie de l’investisseur ont montré que cette option par défaut était la stratégie refuge du frileux, celui qui a peur de s’engager car il ne supporterait pas de perdre.

Son bien-être minimal le pousse donc à la procrastination (repousser toute décision), notamment si les choix sont trop vastes ou l’offre trop grande.

Décider devient de plus en plus improbable avec le temps qui passe.
L’individu est enclin à suivre la solution médiane si la réalité l’oblige à décider (par exemple la Commission européenne ou les marchés financiers qui achètent les emprunts d’État français).

Ne rien faire est sa stratégie de référence, contre laquelle tout risque pris doit rapporter gros (Manuel Valls) ou, à l’inverse, l’immobilisme permet de ne pas concrétiser une déception (23 mois de Jean-Marc Ayrault).

Ces mêmes études de comportement nous apprennent que l’apprentissage, l’expérience et la mise en place d’un processus raisonné aident l’individu soumis au biais de statu quo à progressivement s’en sortir. Tout n’est donc pas perdu.

Sauf que le temps est compté, cinq ans sont bien courts. François Hollande montre qu’il a au fond peur de présider le pays, peur de ne pas être à la hauteur de son mentor Mitterrand, peur de décevoir les citoyens et les partisans socialistes.

regardez a gauche regardez a droite

Or gouverner, c’est choisir. Laissera-t-il son Premier ministre de tempérament plus fonceur opérer ces choix qu’il est incapable de prendre ? S’il réussit, il aura appris et il pourra se présenter à nouveaux aux électeurs avec une bonne estime de soi. S’il échoue, il pourra toujours dire « c’est pas moi, c’est l’autre » et accuser les circonstances, l’opposition, les patrons, l’euro, l’Europe, les Américains, les Chinois, les marchés, la finance… Comme savent si bien le faire les socialistes quand ils ne comprennent pas pourquoi diable la réalité ne veut vraiment pas coller avec leur idéologie.

En savoir plus (pp.97-102) : Mickaël Mangot, Psychologie de l’investisseur et des marchés financiers, 2008, Dunod, 292 pages, €33.73 

 

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Les filles dans Alix

Alix le Gaulois romanisé est un héros mâle initialement pour les garçons. Créé en 1948 dans une société restée autoritaire, hiérarchique et militaire, il devait inciter la jeunesse à être bon collaborateur, scout débrouillard et vertueux écolier. Mais l’irruption d’un jeune compagnon Enak à protéger, l’explosion sociale de mai 1968 qui a libéré les publications destinées à la jeunesse du carcan juridique et moral du patriarcat catholique, enfin l’extension du lectorat aux filles, ont rendu Alix plus sensible à l’élément féminin dans les albums.

Il faut distinguer trois parties chronologiques dans l’oeuvre :

  1. avant 1968 où la loi restrictive pour la presse de jeunesse inhibait le dessin de filles,
  2. de 1969 à 1996 où Jacques Martin écrivait et dessinait seul ses albums,
  3. après 1996 où le dessin lui échappe en raison d’une macula aux yeux puis, progressivement, le scénario qui est repris, revu et réinterprété par divers scénaristes.

Jacques Martin avec sa femme et ses deux enfants en 1966.

Avant 1968, les filles sont vues soit comme mère autoritaire castratrice (Athéna dans le cauchemar d’Alix, Adrea reine du Dernier Spartiate), soit comme une alliance politique et bourgeoise (Lidia nièce de César dans Le tombeau étrusque).

De 1969 à 1996, on assiste à une explosion des filles dans les aventures d’Alix et d’Enak. On ne compte plus les amoureuses déçues d’Alix : Héra dans Le dieu sauvage, Ariela dans Iorix le grand, Saïs dans Le prince du Nil tandis qu’Enak joue la pute torse nu sur la fourrure devant pharaon…

Il y a encore Sabina dans Le fils de Spartacus, Samthô dans Le spectre de Carthage, Malua dans Les proies du volcan, Archeola (qui se révèle le garçon Archeoloüs) dans L’enfant grec, Marah dans La tour de Babel, Yang dans L’empereur de Chine, Cléopâtre dans Ô Alexandrie.

Enak est alors trop jeune pour qu’on tombe amoureux de lui ; il est en revanche le prétexte tout trouvé pour que le héros ne s’encombre pas d’une fiancée, encore moins d’une épouse. Un preux chevalier reste chaste dans l’imaginaire scout dont Jacques Martin est issu. Il ne connait de l’amour que l’élévation de l’âme, le plus haut degré selon Platon, pour qui la beauté d’un corps devait conduire à aimer la beauté en soi, puis vouloir le Bien absolu universel.

Après le retrait de Jacques Martin du dessin, puis progressivement du scénario (il en avait préparé quelques dizaines, mais certains plus précisément que d’autres, restés à l’état d’idées), l’élément féminin se diversifie pour coller de plus près à la réalité de notre siècle – pour le meilleur et pour le pire !

Apparaissent les intrigantes (Julia dans La chute d’Icare, Cléopâtre qui veut marier Enak), les divertissantes (les danseuses des Barbares puis du Démon du Pharos, les filles de bain du Fleuve de Jade et de C’était à Khorsabad), la druidesse Folamour de La cité engloutie.

Innovation : comme Enak a atteint désormais non seulement la puberté mais aussi l’âge légal actuel d’être sexuellement actif (15 ans), l’histoire fait tomber amoureuses les filles : Markha n’est pas preneuse dans Le fleuve de jade, ce qui est réciproque, mais Sirva veut l’entraîner dans C’était à Khorsabad. Il résiste.

Tandis que le garçon, pas encore mûr, préfère observer en voyeur un couple dans L’Ibère, les ombres lui fouaillent le torse, façon allusive de dessiner son excitation !

Ou encore les convives des banquets seins nus de Cléopâtre (réminiscence du Banquet de Platon…) et les danseuses dévoilées du Démon du Pharos.

Femme ou fille, c’était l’interdit dans la société patriarcale traditionnelle catholique romaine. Athéna ou Adrea étaient des maîtresses femmes, déesse ou reine, qui disaient ce qu’il faut faire. Cet interdit a sauté en 1968, mais renaît avec la mode banlieue depuis une dizaine d’années, ce qui s’observe en 2007 dans L’Ibère où l’Espagnol (forcément un peu arabe dans l’imaginaire) fait un sort à sa sœur pour l’honneur. La compagne de Vercingétorix, dans l’album du même nom, est réduite elle aussi dès 1985 à l’état de mère qui suit son mâle, mais Jacques Martin n’a jamais aimé les Gaulois, leur vanité, leurs fanfaronnades et leurs archaïsmes.

Les filles sont introduites comme compagnes acceptables dès 1969 avec Kora enfant amoureuse du héros dans Le dieu sauvage (qui saute dans le sable torse nu avec les garçons), pendant d’Héra jalouse veut dompter Alix. Mais Alix a déjà deux compagnons, dont le petit Héraklion est à éclipse en raison de son jeune âge, il ne peut s’adjoindre une fille en plus.

Ce serait rejeter Enak qui n’est pas son petit frère mais un filleul adopté, son compagnon de toujours, auquel s’identifient le plus ses lecteurs (filles comme garçons). Qu’on ne croie pas que les filles lisant Alix aimeraient qu’Enak soit une fille ! Elles préfèrent être garçonnes et que les combats, épreuves et tortures physiques des garçons aient lieu, plutôt que de tordre la réalité historique.

Les filles acceptables pour les lecteurs et lectrices sont les amoureuses éphémères (Ariela, Saïs, Samthô, Malua, Yang), les ambitieuses ou putains (Maïa et sa mère, Archeoloüs, Cléopâtre, Archeola), les filles soignantes qui aident Alix pour Enak (Yang en Vierge Marie dans la crèche où Enak git) ou les petites à protéger comme on protège les enfants (Kora, Marah).

L’impossibilité du couple est posée dès Le dernier Spartiate par Alix à la reine Adrea : « Sache que je ne suis venu ici que pour délivrer mes compagnons de voyage, et surtout le plus jeune, mon ami Enak ». Elle est renforcée par Iorix qui déclare à Ariela, amoureuse : « son seul compagnon est ce garçon qu’il dorlote dans son chariot ». Elle est rationalisée par un Enak grandi et jaloux dans Les proies du volcan, lorsqu’il dissuade Alix de prendre Malua (les seins nus provocants) sur le radeau qui les fait s’évader de l’île.

Elle est clairement dessinée dans ce contraste des couples entre Ollovia et Vercingétorix tenant l’enfant mouillé, et Alix et Enak presque nus qui leur tournent le dos.

Elle est relativisée en « passes » admises entre Alix et qui le veut, s’il accepte, comme avec Cléopâtre qui le viole (après l’avoir vu crucifié avec son petit ami) dans Ô Alexandrie, puis le baise une fois encore dans Le fleuve de Jade.

Une allusion sexuelle est faite par la servante de Cléopâtre dans Ô Alexandrie : « ils reviennent sans rien d’autre que de petits sacs !… Peu de choses !… » Rien dans la culotte, quoi.

Les garçons ont la main devant le sexe mais ils ne tiennent pas leurs bijoux de famille : seulement les gemmes précieuses ramassées par l’économe Enak dans le désert. Ce qui va les faire pardonner par l’avide Cléo – qui va remercier Alix en nature en le mettant dans le bain.

Mais Alix refuse Julia qui veut baiser dans le bateau devant Enak endormi, dans La chute d’Icare. En revanche il « s’égare » avec Lidia, nièce de César, qu’il veut forcer dans le bassin de la villa, la nuit dans Roma Roma – un très mauvais album tant pour le dessin que pour la morale.

Quant à la druidesse qui sonne la fin du monde (le sien) dans La cité engloutie, elle est Méduse, la sorcière diabolique, mère nationaliste castratrice. Mais ce n’était plus Jacques Martin aux commandes et la cohérence comme la vertu s’en ressentent !

Les 20 albums scénarisés et dessinés par Jacques Martin seul chez Castermann :

1 Alix l’intrépide
2 Le sphinx d’or
3 L’île maudite
4 La tiare d’Oribal
5 La griffe noire
6 Les légions perdues
7 Le dernier spartiate
8 Le tombeau étrusque
9 Le dieu sauvage
10 Iorix le grand
11 Le prince du Nil
12 Le fils de Spartacus
13 Le spectre de Carthage
14 Les proies du volcan
15 L’enfant grec
16 La tour de Babel
17 L’empereur de Chine
18 Vercingétorix
19 Le cheval de Troie
20 Ô Alexandrie

Avec Alix, l’univers de Jacques Martin, Castermann, 288 pages, 2002, €33.25
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