Corse

Jean-Pierre Chabrol, Fleur d’épine

Le conteur cévenol Chabrol s’invite en cette Corse encore rurale, tiraillée par la modernité en cette fin des années cinquante, avant la décolonisation et avant l’invasion des pieds-noirs riches qui ont causé la radicalisation du nationalisme. Le village (fictif) de Finuchietta s’est réduit à trois casettas (maisonnées) de pierres sèches entre le maquis à chèvres et les vignes ; seul un ultime paysan plante du blé cette année. Tous les jeunes sont partis et les très jeunes encore au pays ne rêvent que d’une « place » sur le continent. La loi des clans fleurit, les gens étant trop peu lettrés pour comprendre quelque chose à la paperasserie d’administration et les grandes familles déclassées par la propriété qui ne produit plus rien s’empressent de capter le pouvoir des votes en leur faveur.

Justement, les Finuchiettois des villes veulent faire basculer les Finuchiettois des champs aux prochaines municipales, afin que l’un d’eux, un Colonna-Serra, propriétaire de bar à Pigalle protégé par un clan corse, puisse obliger le parrain, un pépé Guérini qui brigue le Conseil général afin de « laver » ses embrouilles avec la police pour un casse de banque dans lequel il aurait trempé.

Les retrouvailles chaque année des anciens du pays partis à la ville sont le moment de fusion corse qui ravit les uns comme les autres et les relie. Un employé des assurances, un avocat débutant à Paris, un gardien de prison à Fresnes, un sergent-chef dans l’armée et le patron de bar débarquent – sous la pluie – dans le village pour l’été avec leurs automobiles : une traction Citroën, une Aronde Simca, une 203 Peugeot. Suivent alors les ripailles de cochon séché et de fromage gluant de vers arrosés du petit vin aigrelet du pays et de cédratine en pousse-café. Chacun se raconte et écoute les histoires rabâchées lors des veillées d’hiver. Et puis c’est la chasse au sanglier, le gros Pierrot-le-Fou, malin comme un singe ; et puis l’épisode de l’incendie du maquis, allumé par un berger qui ne pense qu’à ses pâturages de l’an prochain ; et puis l’operata, la fauche communautaire du seul champ de blé que son propriétaire, tombé d’un muret et plâtré de la jambe, ne peut assurer. De quoi crever son monde mais aussi se ressourcer dans l’enfance au pays, retrouver les gestes, les outils, les odeurs. Avec les femmes en second, vouées aux intérieurs et à la mangeaille, tandis que les enfants s’égaillent pieds nus et dépoitraillés au soleil brûlant dans le maquis.

Quant aux jeunes, ils ne sont guère que deux couples dans ce hameau déserté. Le berger Dom Pettru qui voudrait bien une place parce que la sécheresse (déjà) grille l’herbe aux chèvres, et marier sa bien-aimée Angela, que son père Orsoni tient serrée malgré ses 21 ans. Et Laurent Colonna-Serra, étudiant en droit et fils de son père propriétaire de bar avec l’autre fille Orsoni, Dolinda, 19 ans, dont le second prénom est Fior de Spina – Fleur d’épine. Elle est pure, elle est sauvage, elle tourne la tête du Laurent de 20 ans apprivoisé des villes qui rêve en romantique d’un retour à la terre. Elle, à l’inverse, veut réussir, aller à la ville, se cultiver, visiter ces magasins grands comme des paquebots où l’on peut regarder sans acheter, quitter cette terre misérable qui la contraint. Fleur d’épine n’est pas cette Fleur des pines « qui a dépucelé tous les gamins du village » voisin avant de se caser, à 30 ans, auprès d’un sergent de douze ans plus âgé qui prend sa retraite proportionnelle au pays. Fleur d’épine est vierge et se donne à son amant de cœur Laurent progressivement, de la main, des lèvres, des seins, puis le reste, mais sans engagement, innocemment, par amour.

Mais que peut l’amour des personnes dans les liens obligés des clans et les magouilles politiques ? Le vieux Orsoni n’a-t-il pas poussé sa fille cadette à avoir des vues sur le fils du propriétaire de bar parisien pour obtenir une place pour son fils Joseph qui sera bientôt en âge de partir ? Le père Colonna-Serra ne doit-il pas convaincre Orsoni comme les Finuchiettois de voter pour l’autre candidat à la mairie que celui pour qui ils votent depuis toujours, afin d’apurer sa dette d’honneur envers son protecteur ? Dès lors, les promesses des amoureux sont exclues du champ des possibles, aboutissant au drame.

L’occasion pour l’auteur, de révéler toute une sociologie du terroir particulier à l’île, où chacun ne pense au fond qu’à soi, comme ce berger qui met le feu au maquis pour faire pousser l’herbe. « Tant que les Corses ne cesseront pas de penser à se débrouiller tout seul, un par un, à penser à aujourd’hui, à tout de suite, alors la Corse continuera à brûler, ses villages à se vider, ses jeunes à partir, et ses vieux à crever sur leurs paillasses » p.219. Des Corses tous dans la montre latine, à la fierté déclassée formée « dans ces familles hautaines où le père régnait absolument, dur avec ses fils qu’il surveillait jusqu’à 20 ans » p.331. Un orgueil mal placé. « Le Corse, tu comprends, Laurent, même misérable, on pouvait pas en faire ce qu’on voulait. Il gardait sa fierté et aurait jamais supporté de se laisser rosser. De nos jours encore, tu verras les gens employer plus volontiers un Italien, un Luccheso, qu’un Corse, d’abord parce qu’il donnera plus de travail, ensuite parce qu’il fera pas d’histoire » p.331.

Une tragédie d’amour où les personnes sont contraintes au nom du père par leur société, par ce clanisme corse aux coutumes établies. Gourmand en saveurs et odeurs, d’une langue riche et généreuse, un roman qui se déguste que l’on soit corse ou pas, que l’on connaisse l’île ou pas, que l’époque ait changé ou pas.

Jean-Pierre Chabrol, Fleur d’épine, 1957, Folio 1975, 471 pages, occasion

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GR 20 corse Dimanche 30 août

Réveil avec le soleil, vers neuf heures, quand il commence à chauffer les duvets. En me rendant en short vider notre sac de déchets, je dis adieu au garçonnet de 4 ans, le fils du camp, les pieds nus dans la poussière. C’est un petit Corse vigoureux comme son père, blond comme sa mère et tout bronzé. Sa peau est comme une croûte de pain cuit et il court toute la journée, du réveil au coucher, en seul maillot de bain bleu. Il est déjà déluré, l’œil brun et vif et m’interpelle : « Eh, Monsieur, où tu vas ? » Je lui demande où se trouve la poubelle ; il m’indique l’endroit, très responsable, et m’accompagne. Il s’appelle François-Joseph : le prénom de son parrain et le prénom de son grand-père paternel – ainsi est la coutume. C’est un beau petit gars qui est un rayon de douceur après ces deux semaines de rude marche adulte. Il me rappelle les gamins de colo à Pâques dont j’avais la charge, les petits de 5 et 6 ans dont les autres moniteurs, plus anciens, ne voulaient pas car trop bébés pour les jeux ; comme je m’occupais d’eux avec Sylviane la monitrice, ils m’ont très vite appelé « papa ».

Nous allons à pied jusqu’à Santa Luccia, à 6 ou 7 km par la route depuis Conca. Attente interminable d’un car hypothétique en cet après-midi d’un dimanche en fin de saison touristique. J’ai cette fois l’impression que l’expérience GR est vraiment achevée. Nous calculons nos dépenses durant ces vingt derniers jours : environ 600 F. chacun (230 €). Ce sont des vacances bon marché. Un style tout à l’opposé de l’auto et de l’hôtel.

Le car n’est jamais venu. Longue attente devant la poste, puis au café d’en face. Comme nous allons encore attendre, j’achète dans une librairie-marchand de journaux Priez pour nous à Compostelle de Barret et Gurgand en Livre de poche. Après cette randonnée initiatique en Corse, j’éprouve le désir maintenant d’aller à pied jusqu’à Saint-Jacques. C’est un grand GR avec un but spirituel, un passé historique, tout jalonné des souvenirs de la mémoire des hommes gravés dans la pierre : ses monastères, ses églises et cathédrales, ses calvaire, me tentent. Un jour, peut-être ?… Cela fait partie des objectifs que l’on se fixe lorsqu’on est jeune. Avec la vie devant soi pour le réaliser – ou pas.

Eric achète le journal Le Monde. Spectacle de la rue : les vieux qui vont et viennent, passent et s’assoient au café devant une bière, discutent un peu et repartent. Ils sont en chemise blanche, pantalon clair et super pompes d’été cirées, blanches ou beiges, ou même pied-de-poule ! Les jeunes garçons passent en frimant sur leurs mobylettes, pieds nus, torse nu ou en tee-shirt ornés d’agressifs slogans commerciaux américains. Nous ne voyons pas de femme, sauf les touristes. La Corse est un pays de mœurs méditerranéennes. Il y a également peu d’enfants car la plage est trop proche et trop tentante durant la journée. Nous achetons des « beignets aux herbes » fourrés d’une odorante béchamel aux aromates.

Las, nous dormons à la sortie de la ville près d’un figuier. Nous faisons une ventrée de figues bien mûres. Les moustiques sont réapparus.

GR 20 corse Lundi 31 août

Nous sommes dès 7h du matin à l’arrêt d’un autocar qui ne vient nonchalamment qu’à 8h30 en ce lundi matin. Nous lisons Libération. Impression de pluralisme depuis quelques mois : opposition à Mitterrand, à Reagan, à Khomeiny. Le monde n’est plus présenté comme monobloc. Nous sommes à l’ère du Let it be, des différences admises et même revendiquées.

Le voyage est long jusqu’à Casamozza, dans un car bondé. Arrêt pastis de dix minutes pour le chauffeur au bord d’une vigne où les gros raisins rouges sont déjà mûrs en ce dernier jour d’août. Ils sont tentant et chaque passager en dévore 1 kg chacun au moins. Au détour d’un rang, je me trouve nez à nez avec un jeune passager du car de 8 ou 9 ans. Il me croit le paysan du coin et il a un mouvement d’effroi, mais je lui souris et lorsqu’il me voit la grappe de raisin à la main comme lui, il comprend que je suis son complice, un pilleur semblable, passager du même transport.

A Casamozza, attente encore du train du soir près d’un immeuble à 100 m de la gare. Notre occupation consiste en lecture, en déjeuner, en sieste, en discussion. Expérience faite, nous pensons Eric et moi qu’il vaut mieux suivre le GR 20 du sud au nord plutôt que le nord-sud préconisé dans le topo-guide. Le randonneur peut ainsi commencer plus doucement, s’élevant lentement dans le paysage jusque vers les montagnes centrales, et adapter son effort. Le ravitaillement est également mieux assuré, ce qui permet des sacs moins lourds au départ. Ce n’est qu’une fois entraîné par une bonne semaine de marche que commencent les difficultés, mais elles apparaissent alors plus faciles.

Le train pour Calvi (38 F., 14.50 € d’aujourd’hui) est en fait un autocar qui nous fait arriver à 20 heures. Nous dormons sur la plage de Calvi. Un légionnaire en patrouille nous interpelle, intrigué par mon bidon militaire. Je lui explique que je suis lieutenant de réserve des troupes blindées. Respect. Nous avons bien dormi.

GR 20 corse Mardi 1er septembre

Dernier jour. Réveil à 9h, lecture sur la plage de rochers au bas de la citadelle. Nous avons acheté le journal Le Matin sur les Cents jours de Mitterrand et le Quotidien de Paris pour avoir des points de vue différents. Nous prenons un bain de mer, l’eau salée et tiède nous change de la rude douceur des torrents glacés. Nous lézardons au soleil, notre bateau pour Nice n’est qu’à 14h45.

F I N

Topo-guide Corse, entre mer et montagne : Parc naturel régional de Corse, Fédération française de randonnées 2019, 152 pages, €15.90

Carte IGN Traversée de la Corse – GR 20, 2020, €8.95

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GR 20 corse Samedi 29 août

Nous avons de fait dormis à 200 m au-dessous du col. Au village d’été en contrebas, nous faisons des courses en pain et fruits.

Nous passons notre dernier jour dans la forêt de résineux par des sentiers pierreux qui montent et qui descendent comme d’habitude. Nous rencontrons un groupe de la Légion alors que nous sommes en train de pisser. Ils se sont vantés de faire Calvi-Bavella en quatre jours seulement. Par la route, peut-être ? Ou en marchant comme des bœufs, une partie de la nuit, sans rien voir, juste pour le record commando ?

La brèche de Villaghelo offre ses roches rondes comme dans la forêt de Fontainebleau. L’une d’elle forme un casque de croisé avec son nasal !

 

Sur la fin s’étire un long sentier, dont une heure entière entre deux haies de bruyère arbustive, avant Conca à 228 m seulement, le terme du voyage. Nous ôtons nos chemises et tee-shirts et nous nettoyons à la fontaine. Puis Annick et Éric se précipitent sur le téléphone. Je déguste des mûres et des figues sauvages durant ce temps-là.

Je leur offre le restaurant Chez Folacci, un jeune cuisinier corse qui a compris le commerce et l’usage du GR : camping et auberge avec le « menu du randonneur ». Il s’agit d’une salade mêlée de tomate, poivron, oignon, haricots verts, laitue et olives, pleine de vitamines et de croquant après les céréales trop sèches que nous avons dû ingurgiter. Suit une omelette paysanne avec pommes de terre, courgettes et tomates. Enfin du fromage corse conservé dans l’huile ou une glace en boule. Le tout pour 35 F. (13.40 €), ce qui est un prix assez élevé mais moins que celui des baraques de plage. Le repas est copieux, simple et bon, tout ce qu’il nous faut après deux semaines de restrictions. Je paye 115 F. (44 €) pour nous tous avec le pichet d’un demi-litre de vin rouge corse.

Le GR est cette fois fini. Nous sommes heureux de terminer autant que de l’avoir fait. Nous couchons dans un terrain près du restaurant. Il nous faut encore rentrer sur le continent.

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GR 20 corse Vendredi 28 août

Tout va mieux aujourd’hui. La nuit a été très humide, probablement la plus froide du séjour. Nous lisons dans le guide des « Plantes et fleurs rencontrées » sur la Corse que les températures estivales nocturnes, au-dessus de 1000 m, vont de 4 à 8° !

Lors de la montée du Mont Incudine à 2134 m, se découvre un beau paysage d’arêtes rocheuses tachetées de vert. Mais une barre de brume mauve monte jusqu’à 2000 m et cache les détails de la plaine.

Joli dégradé du ciel vers l’horizon : d’un bleu soutenu à un blanc presque transparent. Certaines nuances me rappellent le bleu grec. Une grande croix chrétienne marque le sommet du mont Incudine.

La descente pierreuse est pénible pour les pieds mais en une heure nous sommes au refuge d’Asinao à 1545 m où nous déjeunons de saucisson et de coquillettes au thon comme prévu dans la liste de nos menus. Suivent des descentes et des remontées à chaque ruisseau dans la forêt qui coulent obstinément vers la vallée. C’est ce que le topo-guide appelle « un chemin approximativement en courbes de niveau ».

Nous rencontrons une vipère – ma première – courte et brune, tachetée de noir, la tête triangulaire. Elle se glisse sous un rocher à mon approche, avertie probablement par les vibrations de mes pas sur le sol. Je marchais devant. La leçon est qu’il vaut mieux marcher en chaussures fermées couvrant la cheville plutôt qu’en sandales comme les randonneuses des premiers jours. Surprise, une vipère peut piquer.

Nous dînons à 18h30 d’un goulasch Buitoni à la boîte un peu bombée qui fait splash quand je l’ouvre. Ma chemise bleu ciel se retrouve tachetée d’orange et ressemble à une peau de limande maintenant. Je devrai la laver demain au ruisseau et marcher sans chemise jusqu’à ce qu’elle sèche. Espérons que nous n’aurons pas mal à l’estomac : le contenu était mangeable et même bon. Le bombement était probablement dû à la différence de pression due à l’altitude. La soupe de poireaux pommes de terre en sachet Knorr l’a précédée et un thé très sucré l’a suivie.

Et nous repartons comme le soleil tombe derrière les montagnes. En forme, et pour changer un peu, nous marchons au crépuscule jusqu’à 22 heures, lorsque la nuit est noire. Il fait frais, ce qui est plus agréable pour randonner que la touffeur du jour ; la bruyère libère ses parfums à l’heure du soir et embaume la citronnelle. J’ai l’impression de retrouver mes 10 ans et l’émotion d’accomplir l’inhabituel. Comme les balises griffées blanc et rouge sont de plus en plus difficiles à trouver, même à la lampe de poche, nous stoppons à un endroit plat derrière un gros rocher, sans doute près du col de Bavella à 1218 m. Mais comme on ne voit rien, la surprise sera pour demain matin.

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GR 20 corse Jeudi 27 août

Aujourd’hui, notre itinéraire nous mène du col de Laparo à la passerelle sur le ruisseau de Casamintello.

Nous déjeunons sur les tables de bois du refuge d’Usciolu à 1741 m. Comme nous sommes les premiers et que nous lui plaisons, la gardienne nous offre trois tomates de son jardin.

Nous passons ensuite longuement par les crêtes. De curieuses roches découpées en forme de statue s’y dressent. Au refuge du midi, puis le soir, nous rencontrons deux jeunes Corses de Metz et Strasbourg qui font le GR uniquement pour la partie de Vizzavone à Bavella où ils retrouveront « la famille ». Ils nous disent : « comme c’est beau, hein ! » S’ils avaient pu voir le cirque de la Solitude, ils aimeraient plus encore.

Nous avons dîné d’un couscous en boîte Buitoni prévu sans doute pour deux (250 g de semoule) à 6,90 F. (2.64 €). Il était moins cher qu’une boîte de haricots verts… Nous avons pris auparavant du Viandox en bouillon et ensuite une infusion de thym. Il faut se réhydrater de la transpiration du jour. Nous sommes presque la fin du voyage.

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GR 20 corse Mercredi 26 août

240 km en 16 jours font 15 km par jour. Sept heures d’avancées dont une heure d’arrêt à midi font six heures de marche effective par jour, soit 2,5 km/h. C’est seulement la moitié d’une vitesse normale en terrain plat et c’est ce que nous faisons en moyenne sur le GR 20 depuis le début. Nous avons été plus lents jusqu’à Vizzavone et plus rapide depuis.

Aujourd’hui, le sentier joue l’autoroute et le « retour à la nature » me fait bien rire. Il ne faut aucune découverte ni aucun effort pour trouver la route. Le balisage est évident, il n’est pas utile de lire une carte ni de consulter une boussole et le topo-guide dit tout. Il n’y a pas à réfléchir : c’est la sécurité. En contrepartie, le record idiot dont se vante les plus niais : « moi, je n’ai mis que 12 jours. » Cette mentalité inchangée, des villes à la campagne, infecte tout. Rien à faire, quel que soit le cadre, l’activité ou le lieu, les mêmes critiques sont à faire : c’est toute une attitude qu’il faudrait changer, un homme nouveau qu’il faudrait faire naître. Quasi un demi-siècle plus tard, on attend encore… C’est même pire, à mon avis malgré les trémolos écolos des branchés (quand même rivés à leur smartphone dernier cri).

Au col de Verde, à 1292 m, nous décidons pour raccourcir de prendre l’ancien tracé du GR par la chapelle de Saint-Antoine. Les crêtes, nous en avons eu notre saoul. Et le terrain est plaisant, en forêt, le chemin traversé de torrents de loin en loin.

Montée raide au col de Laparo ensuite, à 1510 m. L’ancien balisage GR va jusqu’au torrent, puis plus rien. Je monte à la boussole alors que les autres préfèrent emprunter un autre chemin, goûtant manifestement leur solitude à deux. Nous couchons au col, devant un magnifique coucher de soleil violet dans la brume d’été.

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GR 20 corse Mardi 25 août

Nous empruntons le sentier forestier qui monte au col de Palmento à 1640 m. Le pépé d’hier, orphelin à quatre ans, nous racontait l’avoir monté souvent pieds nus lorsqu’il avait 10 ou 12 ans, pour garder les cochons. Nous imaginons cet enfant rachitique et mal aimé, maigre de ne jamais manger à sa faim jusqu’à l’âge de 18 ans, l’œil bleu rêveur, le cheveu brun, la chemise quasiment sans boutons et le pantalon déchiré. Il était voué à une existence pleine et entière dans le même rythme traditionnel immobile – et il a choisi de s’exiler sur le continent où la vie est moins dure mais plus riche.

Après la forêt, brusquement, nous retrouvons la végétation des montagnes : aulnes nains et bruyères, pistachiers lentisques aux boules rouges au ras du sol, herbe rase et dure. Une source glacée parmi les aulnes nous offre l’endroit d’une halte pour déjeuner de pain et de fromage de brebis, de tomates fraîches et de raisins, le tout arrosé d’eau transparente au goût de givre. Tout compte fait, à l’aide du topo-guide, les six jours à venir contiendront chacun sept heures de marche. Et nous serons à Porto-Vecchio le 30 août. Il faut compter un jour et demi pour retourner à Calvi par le car ou le train, ce qui semble raisonnable.

Aux bergeries d’E Scarpaceghje à 1462 m, une pancarte indique « fromage à vendre ». Une maison de pierre fume. Nous frappons à la porte. « Entrez ! » Intérieur sombre, pas de fenêtre. Une vieille femme en noir debout près de l’âtre où brûle une flambée qui éclaire faiblement la pièce. Une marmite ténébreuse est pendue sur le feu. Couchées sur un plancher de bois, des formes étendues sous des couvertures : une femme assez jeune et deux enfants. « Vous êtes malades ? – Ah non, Monsieur, ici on fait la sieste vous savez. » La gaffe. Un chat noir aux yeux jaunes entre par la porte ouverte. Du fromage ? « Nous, on a tout vendu, et ceux qui nous restent sont commandés. Mais le vieux à côté en a encore. Frappez fort, il est sourd. » Nous frappons (fort) à la cabane voisine. Rien. « Jetez une pierre sur le toit… une plus grosse ! Il est sourd vous savez ». Aucun résultat. « Bon, attendez, on va vous en chercher un ». Attente à caresser le chat noir comme la pièce et la marmite – à croire que tout est noir ici. Il ronronne. Le fromage est bien fait, pas trop, juste un fumet agréable. Le prix aussi : 22 F. (7.65 €).

Nous poursuivons notre marche, longue cette fois, à travers la forêt. Nous couchons dans la montée au plateau du Gialgone à 1573 m. Avec l’expérience qui nous est venue en marchant, les vêtements rationnels à emporter en randonnée sont : deux tee-shirt (moi) ou débardeur (Éric), une chemisette à porter plus ou moins ouverte pour la ventilation, un sweat-shirt, un pull, un short de marche et un pantalon de ville, un slip de coton et un slip de bain à laver alternativement, trois paires de chaussettes dont deux fines genre tennis et une grosse à bouclettes (superposer une fine et une grosse permet d’éviter les frottements, donc les ampoules) ; enfin une veste légère, soit anorak léger, soit K-way.

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GR 20 corse Lundi 24 août

Notre nuit fut très bonne dans la belle bergerie de pierres brutes, sur un plancher en bois. En nous levant, se profilent sur la pente… les silhouettes des trois Bretonnes ! Elles vont manifestement au même rythme que nous, un rythme « naturel » en ce qui les concerne.

Descente parmi les sapins jusqu’à la bergerie de Tula où nous achetons un fromage de brebis frais et salé. Nous en aurions bien acheté plusieurs mais le paysan corse, égalitariste, nous dit qu’il n’en vend qu’un par groupe de randonneurs « pour que tout le monde en ait ». Comme il a peu de moutons, il produit peu ; comme sa marchandise est rare, il rationne.

Au repas de midi, puis au bord d’un torrent, il pleut. Nous décidons de couper par Vivario d’où nous sommes proches, plutôt que de passer par les crêtes du Monte d’Oro indiquées sur le topo-guide. Il pleut toujours et nous nous perdons dans la forêt, puis sur le Vecchio, un torrent pierreux qui descend vers Vivario. Nous constatons qu’il suffit tout bonnement de le suivre pour arriver au village – puisque la carte montre qu’il l’irrigue.

La période est fertile en rebondissements inattendus : Éric se viande sur une roche glissante, heureusement le sac en avant mais avec deux rebonds sur la tête et atterrissage sur des branches qui amortissent. Plus de peur que de mal malgré les cris de chouette effrayée d’Annick. Éric s’en sort avec quelques égratignures. Lui qui me disait que les semelles Vibram tenaient sur les rochers par tous les temps, il a glissé sur une dalle faute de bien plaquer le pied – un moment d’inattention ou de trop de confiance en soi. Après quelques autres acrobaties sans gravité sur le torrent, nous rejoignons un chemin de bulldozer qui remonte au hameau de Canaglia.

À la fontaine du village, nous parlons avec un vieux pépé d’origine corse mais (le mais est important) qui a travaillé 47 ans à Paris. Il nous propose de nous emmener à Trattone où existent un sanatorium et un libre-service. Je rentre dans le sana – très typique avec ses vieux crapoteux – pour demander des bandes Velpeau pour les ampoules d’Annick et on nous en donne trois (pas vendu, donné !), ce qui est vraiment gentil et nous aide bien. Lorsque nous attendons devant le supermarché, nous retrouvons un groupe de neuf copains du Jura avec un bon accent. Ils nous dépassaient souvent pour s’arrêter 100 m après durant la journée d’avant-hier. Ils nous donnent à leur tour des bandes élastiques collantes. Deux gosses du coin jouent devant les spectateurs que nous formons ; ils ont des airs de débiles légers. C’est peut-être le dépaysement qui nous fait dire cela ?

Nous prenons le petit train corse de Trattone à à Vizzavone. Il va en brinquebalant parmi la forêt de pins. Pour moi, le train fait partie du paysage ; je n’ai pas l’impression de « retrouver la civilisation » comme le dit Annick, portée aux lieux communs. Ce n’est pas comme l’automobile, indépendante, diverse ; le train est plutôt une infrastructure comme un pont, un village ou un chemin. C’est une humanisation du paysage. Il coûte trois francs pour 4 km. Près de la gare de Vizzavone, la petite épicerie contient absolument de tout : c’est un incroyable entassement d’objets divers aussi indispensables aux randonneurs que sparadrap, fruits, purée mousseline, pain frais et pellicules photo ! Nous sommes contents de repartir pour la suite du GR, nos sacs sont bourrés à bloc de tout le viatique pour cinq ou six jours. Jamais ils n’ont été aussi lourds et Annick en fait une mimique ; Éric joue les robustes en roulant des épaules.

Comme le chemin grimpe très fort et qu’aucun emplacement horizontal n’apparaît, nous dormons carrément sur la piste forestière en lacets, dans un endroit plat, après balisage de grosses pierres blanches au cas une auto aurait la fantaisie de suivre une part de GR. Menu de ce soir : choucroute garnie Williams Saurin, vin corse rouge Sanguinari (10 F. la bouteille, 3.80 €) et fromage corse bien puant. En dessert, un biscuit évidemment corse de Canistrelli.

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GR 20 corse Dimanche 23 août

Nous croisons beaucoup de groupes de jeunes dans les deux sens aujourd’hui. Ils foncent comme des bêtes, les garçons souvent torse nu ; ils manifestent un vrai plaisir physique ou sont parfois menés par un moniteur qui veut frimer ou affirmer son autorité en se montrant le plus fort. C’est le problème de la randonnée balisée : nous avons tous tendance à marcher comme si l’on prenait l’autoroute, à toute vitesse d’un point à un autre en regardant « la moyenne ». On « fait » le GR 20 en 15 jours ; entre-temps, on n’a rien vu, rien appris. Corse ou pas, le lieu est indifférent, marcher pour marcher, les yeux fixés sur le sac devant soi, sur les cailloux du chemin où ne pas buter et sur la montre pour minuter l’itinéraire. Le topo-guide lui-même est court dans ces évaluations horaires : pour lui, pas le temps de souffler ni de contempler, les étapes sont prévues pour marcheurs de choc – non sans intention de record là aussi. Il y a une part de frime dans cet esprit de record à battre et de moyenne à tenir. Ce sera bien pire quarante ans plus tard avec la pratique de « l’ultra-trail » : la nature comme décor de film pour un exploit en direct vidéo sur vos tubes.

Plus grave, s’y retrouve déjà l’esprit névrosé que secrète notre civilisation : aucun effort pour trouver le chemin, le sentier est balisé ; pas de carte à lire ni de boussole à consulter, le topo-guide vous décrit tout ; pas à réfléchir, seulement marcher, c’est la sécurité. Ce retour à la nature n’en est pas un, mais un tourisme organisé, consumériste, pourri par cette mentalité du vite et de l’efficient qui infecte tout – alors qu’elle devrait rester cantonnée à l’économie. Qui, si l’on y réfléchit bien, tend à « économiser » pour être le plus efficace et moins consommer de ressources possibles pour produire.

Question d’état d’esprit, le nôtre était différent. Nous n’étions pas malades, pas plus que Franck et son géniteur. Nous avons pris le temps, regardé autour de nous, exploré au-delà du sentier. Nous nous sommes gavés de Corse par tous les sens. Les fleurs, les insectes, les oiseaux, nous parlaient autant que les roches et les étoiles. L’eau, les fruits et le fromage nous pénétraient autant que le thym et les myrtilles sauvages. Le soleil, les torrents et la pierre nous tannaient autant que l’herbe rase ou la paille des bergeries. Les états du ciel, la direction du vent, la forme des nuages – tout cela nous intéressait et parvenait à nous ravir. La nature brute, rarement aperçue en cours d’année, nous mettait l’œil aux aguets, le nez au vent, l’oreille attentive, la peau offerte, la langue avide des nourritures. Elle a permis la découverte d’un paysage, arpenté au pas humain, avec le loisir d’observer, de goûter et de sentir. Humilité de la marche, elle force à prendre du temps, le temps nécessaire pour aller sans s’épuiser, pour durer des jours et des jours, pour voir à satiété. A petits pas, le savoir est plus vif, mieux assimilé.

Ce sont ces quelques réflexions que je me fais en marchant, plus lentement que les autres groupes car Annick traîne la patte ; son sac est « trop lourd ». Pour moi, une randonnée est justement le moment de souffler, de regarder autour de soi, de découvrir enfin une nature brute jamais connue en cours d’année. Les fleurs, les insectes, les oiseaux, les roches, les étoiles – et aussi les gens rencontrés – tant de choses sont à observer, l’œil aux aguets, le temps libre, parfois un livre en main pour connaître les noms. La randonnée ne se résume pas aux heures de marche et aux kilos transportés dans le sac – cela n’est qu’accessoire. Elle réside dans la découverte à un rythme humain, celui du pas, qui est plus lent que celui que la technique nous impose habituellement. Prenons donc le temps de voir. Ainsi va le savoir : à petits pas. Ainsi se remplit une vie : par la découverte à son propre rythme.

Nous suivons aujourd’hui la route des crêtes après une nuit très humide et fraîche, à 1600 m d’altitude et trop près du torrent. Beauté des arêtes rocheuses Vers la Bocca alle Porte à 2225 m. La Brèche de Capitello à 2081 m, très pierreuse avec des blocs qui roulent sous les semelles, découvre les deux petits lacs de Mello et Capitello. Ils sont émeraude et vert de mer, enchâssés dans un cirque de granit. Nous suivons la ligne de partage des eaux de la Corse avant de passer dans les bois d’aulnes odorants, devant les digitales pourpre et les autres fleurs dont je ne connais pas le nom. La descente vers la plaine est dans les nuages.

Nous dormons dans une bergerie, vers 1800 m. Il fait chaud à l’abri, on est bien. Nous avons décidé aujourd’hui, vu le temps qui nous reste, de suivre le GR jusqu’au bout. La question se posait au vu de la fatigue et des propos du topo-guide ; Annick n’était pas sûre d’y arriver.

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GR 20 corse Samedi 22 août

Nous retrouvons les Bretonnes qui avaient moisi plusieurs heures à faire du stop hier. J’ai eu de la chance de trouver une voiture tout de suite.

Montée puis descente vers le lac de Nino où il y a beaucoup de monde à 1753 m. Il faut dire que le lac bleu entouré d’herbe bien verte fait plage et attire les touristes à la journée.

Puis le sentier continue à peu près à plat, à travers les pozzines – ces rigoles d’eau à travers les prés verts d’herbe rase. Il mène jusqu’au refuge de Manganu à 1604 m.

Nous installons notre couchage peu après au bord du torrent, dans la montée au col d’Acqua Ciamente.

On bouffe ce soir comme des chancres mous : le fromage corse entier acheté hier (500 g), le fromage de chèvre acheté aujourd’hui, et ce soir 250 g de pâte à trois, une soupe, une Vache-qui-rit chacun, une boîte de pâté pour tous et une infusion au thym fleuri des montagnes cueilli sur place. C’est probablement moins l’effort que la fraîcheur de l’altitude – et notre jeunesse – qui nous met dans un tel appétit.

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GR 20 corse Vendredi 21 août

La descente est parmi les pins jusqu’aux bergeries de Radule aux toits de pierres. Elle se poursuit ensuite jusqu’à la route D 84. Nous laissons nos sacs sous la route dans un conduit pour les torrents d’hiver.

Tirage au sort : je suis désigné pour aller à Evisa en stop faire des courses pour cinq jours dont nous avons composé le menu détaillé hier soir. Un combi Volkswagen avec une famille de Vitry-sur-Seine en vacances au Cap Corse me prend… et prend un peu plus loin deux Bretonnes sur les trois. La conversation en route porte sur l’emploi en Corse : il n’y a pas d’industrie, pas de formation, seul un espoir dans la réforme de Gaston Defferre pour redistribuer les pouvoirs entre l’Etat et les collectivités locales en 1982. La famille comprend trois petits-enfants de six à huit ans : une fille, Veia, et deux garçons, Fabien et Ambroise. Prénoms jolis mais déjà bobo : si le concept n’existe pas encore, l’époque le porte.

J’ai plaisir à faire les courses, ce qui me change de la randonnée. Chez le boucher où j’achète un saucisson (75 F. le kilo de saucisson corse ! 29 € d’aujourd’hui) un type achète en même temps 32 biftecks hachés et autres viandes pour 326 F. (125 €). Ce n’est pas pour lui tout seul à ce qu’il me dit, il dirige un camp itinérant de 15 à 18 ans. À la sortie, une camionnette l’attend. Je demande s’il passe par le virage du GR – c’est oui. Je reviens donc deux heures après être parti et après avoir dépensé près de 200 F. en courses (76.5 €).

Nous marchons 6,5 km sur le sentier à plat, en forêt, et c’est assez pour aujourd’hui. Ce soir le vent d’altitude est nord-sud alors que le vent des 2000 m était ouest-est. La pluie serait-elle pour bientôt ? Malgré chemise, pull et veste de montagne, nous avons froid à 1300 m. Tellement froid sans bouger que l’on se couche à 19 heures, n’ayant plus rien à faire ! Nous sommes mieux nus dans les duvets à regarder le ciel qui s’éteint et les étoiles qui s’allument qu’à nous geler habillés, assis à chercher un sujet de conversation.

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GR 20 corse Jeudi 20 août

Pilez une noisette avec un peu d’huile d’olive et vous aurez l’odeur des aulnes corses. Des bergeries de Ballone à 1 km de la cascade de Radule, tel est notre itinéraire d’aujourd’hui. Nous passons dans une forêt de pins dont certains ont brûlé. Une bonne odeur chaude stagne avant que la nature ne se régénère avec l’été.

Nous grimpons et faisons halte sous le dernier pin en altitude. Nous pouvons voir toute la vallée du Viro jusqu’au lac de Calacuccia. Nous prenons un bain dans une vasque glacée du torrent, en plein midi.

Le sentier monte dur ensuite jusqu’au col (Bocca) de Foggiale et au refuge Ciuttulu di i Mori à 2000 m. Il fait le tour du cirque où naît le Golo. Le paysage est un joli lavis de montagnes en dégradé vers l’ouest. Suit une descente pierreuse et d’herbe rase assez raide.

Nous dépassons et revoyons sans arrêt les mêmes Bretonnes qui comptent justement camper ce soir en face de nous. Elles n’ont pas de réchaud à gaz et en bonnes écolotes nature, ramassent du bois mort pour faire du feu ; il n’y en a pas partout et elles en ramassent tout le jour dès qu’elles peuvent en trouver. Reste dans nos sacs pour nos menus : midi riz, sardine, chocolat ; soir demi-sachet de pâtes, grosse soupe. Midi suivant, demi-sachet de pâtes. Soir suivant, purée, lait, Viandox.

Il faut désormais prévoir cinq jours : midi, un quart de riz, saucisson, Vache-qui-rit ; soir demi-sachet de purée, soupe. Midi : un quart de riz, pâté ; soir demi purée, soupe, Vache-qui-rit. Midi, un quart de riz, corned-beef ; soir raviolis, soupe, Vache-qui-rit. Midi : un quart de riz, thon ; soir demi-sachet de pâtes, soupe. Midi : demi-pâte, pâté ; soir, purée, soupe. Il reste également du pain, des fruits, du camembert, du chocolat et des fruits secs. Il faudrait prévoir en randonnée un petit tube de colle forte pour ressouder les semelles de chaussures par exemple.

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GR 20 corse Mercredi 19 août

Eric a tendu une toile de tente qu’il a apportée contre la pluie au-dessus des duvets. Il pensait avoir moins froid mais, en contrepartie, la condensation s’y est mise et des gouttes qui tombent sur nos visages nous réveillent au matin.

Par le col Perdu à 2183 m, nous atteignons le cirque de la Solitude. Ces qualificatifs forment la réputation du tronçon le plus difficile du GR 20 corse. Nous sommes impressionnés d’avance par le topo-guide et par ce que racontent ceux que l’on rencontre venant dans l’autre sens. En réalité, c’est de la frime. Annick avait appris par cœur les quelques lignes effrayantes du topo-guide pour apprivoiser le moment, mais ce n’était pas la peine.

Pour la descente, les cordes ne servent presque à rien. Elles sont d’ailleurs tendues sur les pentes les plus raides alors que, quelques mètres à droite ou à gauche, le granit offre des marches qu’il est facile d’emprunter. Pour moi qui ait encore trop facilement le vertige (cela me passera progressivement avec l’âge), tout va bien ; la pente est douce (mais interminable), les marches rassurantes et la roche assez rugueuse pour bien accrocher les semelles.

Je suis sensible à la beauté des pierriers mauves et verts. Le paysage est entièrement minéral, fait de roches litées qui s’effritent sous l’érosion. Toutes les formes sont anguleuses, sévères, comme hostiles. Il n’y a pas de vie dans le cirque de la Solitude. Le discours exagéré vise à éviter que des touristes en tongs ne cherchent à venir en slip pour « la balade » car le coin est si isolé qu’aucun secours n’est proche. Les téléphones portables n’existaient évidemment pas et c’était à chacun de savoir ce dont il était capable. Il va de soi aussi que les mois plus froids et humides que sont mai ou juin ou octobre et novembre devaient verglacer le parcours, le rendant vraiment dangereux. Un topo-guide est fait pour tous les temps et tous les publics, qu’il en rajoute dans les avertissements est une saine pratique.

La descente est très longue et un peu dans la brume sur les dalles et blocs rocheux après la Bocca Minuta, de 2218 m à 1683 m. Nous y avons déjeuné de pâtes, de saucisson et de thé libyen, assis au soleil sur une dalle. Pour faire un thé libyen, ce que j’ai appris d’un fouilleur français au Maroc l’an dernier, il faut une théière en métal. Faire bouillir 10 g de thé noir par personne, verser le thé puis remplir la théière de 3 morceaux de sucre par personne que l’on fait caraméliser sur le feu avant de reverser le thé et de faire à nouveau bouillir. Reverser le thé en le faisant mousser (en élevant haut le bec de la théière), puis faire bouillir une troisième fois. Le thé est enfin prêt, doré et liquoreux, de grand goût et fort en théine ! De quoi vous donner du cœur au ventre tout l’après-midi.

Les trois Bretonnes sont arrivées au même endroit un peu avant nous. Nous n’avons pas revu Franck ni son papa ; ils ont dû repartir pour retrouver « les femmes », vers le bas et la mer. La descente qui suit est en pierriers et en dalles, longtemps, longtemps, longtemps. Enfin, la vallée s’ouvre, des pierriers nous conduisent au Laricio, un torrent qui cascade et serpente sur les cailloux. Beaucoup de monde randonne en ce mois d’août : des Allemands, de jeunes couples, des groupes, en plus des touristes qui ne se promènent que deux ou trois jours en Haute-Corse avant de retrouver la plage. Ceux qui font le GR 20 de part en part ne sont pas alors si nombreux.

Nous campons près des bergeries de Ballone, à 1440 m, après deux jours passés autour des 2000 m. Il fait donc nettement plus chaud ce soir. Nous jugeons que les topo-guides ont en fait moins d’intérêt que ce que l’on croit avant de les suivre, sauf les renseignements généraux qu’ils offrent au début. Toutes les descriptions de sentiers ou passages se voient bien plus clairement sur une carte ou 1/ 25000ème.

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GR 20 corse Mardi 18 août

Très froide nuit et vent humide ; nous sommes bien sans vêtements dans les duvets, enfermés jusqu’aux yeux dans le cocon. Des nuages passent sur les crêtes, laissant peut-être présager quelques gouttes. Nous faisons l’inventaire de la bouffe qui nous reste pour trois : trois boîtes de sardines, cinq barres énergétiques Gerblé, quatre soupes en sachet, deux paquets de nouilles, 500 g de riz, une grosse boîte de thon, deux petites boîtes de thon assaisonné, deux tablettes de chocolat, du Viandox et du bouillon de poulet. Nous devons en effet passer les trois premiers trois jours du GR en autonomie car le ravitaillement ne sera pas possible avant.

Nous apprenons avec les randonneurs que la pommade Soca au placenta permet de cicatriser plus vite les ampoules (elle coûte alors 5 F. soit 1.91 € d’aujourd’hui). Du sparadrap aéré mis directement sur les talons avant la marche empêche les frottements, donc les ampoules ; Annick retient la leçon. Nous observons aussi avec les Basques qu’une vache à eau légère (ou un sac étanche) est intéressante pour transporter de l’eau sur un bref trajet. Un petit bout de tuyau à large section permet de recueillir l’eau des sources inaccessible au goulot de la gourde. Des guêtres sont utiles sur les terrains mouillés ou remplis de tiques, lorsque les herbes battent les chevilles. Pour accrocher le pain, un filet est essentiel, comme l’ont compris les trois randonneuses écolos. Contre les courbatures, l’Algipan ou l’Alrhakhadol sont vendus sur ordonnance. Mais le mieux est encore de boire à satiété pour éviter l’acide lactique qui s’accumule dans les muscles en cas d’effort ; cela, c’est la course de fond qui me l’apprendra quelques années plus tard.

Aujourd’hui, nous avons vraiment l’impression de marcher en montagne : des nuages flottent sur les crêtes, la fraîcheur humide des 2000 m nous saisit la peau et nous hérisse les pointes des seins dès que nous arrêtons de marcher ; Annick voit deux tétons se dresser sous son tee-shirt mais elle n’est pas la seule. Le tissu irrite, donnant l’envie d’ôter le vêtement, ce dont Eric ne se prive pas, même à basse température ; dans l’effort, il irradie de chaleur. Le col appelé Bocca di a Muvrella s’élève à 1952 m.

Éric et moi laissons Annick et nos sacs sur la crête pour descendre le raide sentier pierreux qui rejoint l’hôtel du Haut Asco dans la vallée. Le patron tient une liste de ravitaillement pour randonneurs du GR 20. La descente et la remontée, avec l’attente d’être servi pour les courses, nous aurons pris trois heures, soit la moitié de ce qui est indiqué sur le topo-guide. Mais, si nous sommes plus jeunes que la moyenne, cela nous a bien crevés.

À l’hôtel, nous avons l’impression de retourner à la civilisation avec le bar, les touristes, les autos. De petits Allemands très blonds avec leurs parents sont à croquer. L’un d’eux, en tee-shirt orange et sabots, est bien découplé pour ses 10 ans. Dommage que les enfants grandissent et donnent un jour de grands et lourdauds en randonnée tels que ceux que l’on rencontre riant fort et parlant haut le tudesque. Nous avons retrouvé à l’hôtel les trois Bretonnes écolos dont la prof de philo. Elles refusent les conserves, trimbalent des légumes frais et sont organisées par habitude. La prof évidemment parle bien et toutes les trois sont assez sympathiques bien que gauchistes, écologistes militantes et féministes affirmée – « peut-être gouines » ajoute Eric en hétéro forcené. Après l’arrivée de la gauche au pouvoir en l’an 1981, « changer la vie » est apparu possible… Ce qu’il en a été, je vous en laisse seul juge.

Une fois revenus auprès d’Annick, nous prenons la route des crêtes jusqu’au refuge d’Attore, à 2000 m. Nous y bivouaquons pour la nuit. Le granit rose est dentelé, le pierrier a de gros blocs rectangulaires. Il y a peu de soleil ce soir, il fait même froid. C’était une grande étape pour nous avec la variante des courses !

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GR 20 corse Lundi 17 août

Je note ce matin avant le départ ces rites flatteurs du coucher et du lever, l’installation des affaires dans la fatigue du jour ou la vigueur du rangement à demi-nu dans le frais du matin, vigoureux du sommeil délivré. Impression qui satisfait d’avoir tout sous la main, dans un sac sur le dos, le lit, le vivre et le couvert. Sentiment d’indépendance, de liberté, d’autonomie. Le vieil atavisme nomade et chasseur remonte à la surface. Un temps maniaque est consacré à aménager sa couche pour la nuit – car elle va durer des heures ; un même temps aussi méticuleux est consacré à tout réintégrer dans l’ordre pour équilibrer le sac – car on va le porter des heures.

Nous montons à la fontaine de San’Antone à Spasimata dans les sapins. Nous y rencontrons beaucoup de monde : trois Basques sympas de Saint-Sébastien, les trois collègues pseudo enseignantes (en fait une seule est prof de philo et les deux autres ouvrières). Les Basques nous racontent que, dans les boutiques où ils font leurs courses, lorsque les Corses parlent corse entre eux sans se gêner de l’impolitesse qu’ils ont envers les « étrangers », les Basques se mettent à parler basque entre eux – et cela agace les Corses. Comprennent-ils ?

Après la pause de midi, une passerelle étroite, suspendue au-dessus d’un torrent effraie un peu Annick car elle balance. Nous nous baignons dans une vasque glacée un peu plus haut, mais en contrebas des fameuses « dalles glissantes » indiquées sur le topo-guide du GR.

Après la passerelle de Spasimata, lors du bain, Éric sur les rochers a levé une couleuvre. Nous l’avons vu filer en S parmi les rochers mouillés, puis se laisser tomber comme un bâton dans la vasque au bas de la cascade. Enfin elle a nagé, la tête haute, avant de se perdre dans les herbes de la rive. De loin nous avons mal vu si elle avait la tête en V ; c’était peut-être une vipère.

Nous avons grimpé des raidillons rocheux où des cordes ont été installées. Cela a un peu plus effrayé Annick, mais Éric lui dit que c’est lorsqu’il pleut ou lorsque qu’il est tôt dans la saison et que les rochers peuvent être glacés. Avec les grosses chaussures de marche, j’ai l’impression de broyer du sucre en marchant. Les pierriers de granit rose ressemblent à une meringue que l’on écraserait ; ils en ont la consistance, la couleur et le bruit.

Nous avons dormi au bord du lac minuscule de la Muvrella à 1860 m. A l’époque de notre randonnée, nul n’était obligé de dormir dans les refuges agréés ou à proximité. La création du Parc national a désormais changé les choses. Les abords herbus font tout à fait camping ; ils changent des pierriers alentour et permettent un sol plus confortable pour dormir.

Une vingtaine de personnes sont serrées sur les quelques endroits protégés du vent dominant par des buissons d’aulnes. Un papa et son fils Franck, 12 ans, sont partis seuls en expédition, laissant « les femmes » dit-il au bord de la plage. Ils sont très agréables il est touchant de les observer. Papa parle beaucoup et Franck a les cuisses musclées et l’air curieux, la chemisette ouverte jusqu’au sternum bronzé.

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GR 20 corse Dimanche 16 août

Réveil à huit heures, recours à la source, petit-déjeuner. Nous partons vers 9h30. Il fait frais sous les bois et le chemin est agréable malgré quelques passages très raides, heureusement en descente.

Nous voyons les deux griffes blanches et rouges du GR partout, nul ne peut se perdre sur le sentier. La balafre rouge dégouline toujours du rocher comme une blessure.

Le torrent du Ronca nous attend pour déjeuner vers 14h30. On se lave, c’est très frais. Apaisement de l’eau qui coule dans la gorge ! Une onde cristalline des sources au goût de givre, liquide que l’on absorbe par tout son être, par les mains qui s’y plongent, par les lèvres qui s’y trempent et aspirent, par la gorge qui avale, avide, par le torse aspergé, par les cheveux mouillés qui rendent plus claires les idées et qui goutent peu à peu, sur les épaules, la poitrine, jusqu’au ventre, ce qui fait frissonner d’impatience.

Nous avons retrouvé les deux Allemandes vues hier au bord d’une source ; elles sont à nouveau dans un trou d’eau. Nous avons rencontré aussi un jeune aux cheveux courts et aux lunettes noires sur le sentier, tout seul ; il dit à peine bonjour. Il a l’air d’une bête à concours solitaire. Il a dû tout préparer maniaquement – mais peut-être n’est-ce qu’un fantasme due à notre ignorance. Nous avons croisé aussi deux vieux Anglais et un troupeau d’Italiens. Plus loin, une famille avec une fille de 13 ou 14 ans et un garçon de 11 ou 12 ans ; ils allaient dans l’autre sens.

Nous faisons une pause au ruisseau de la Melaghia où nous nous lavons et nous baignons une fois de plus. L’eau est très fraîche et bienfaisante. Le soleil est ardent en plein midi et je ne connais pas de joie plus pure que d’interrompre la marche et de quitter le sac pour me jeter nu dans une vasque d’un torrent qui dévale. L’eau est transparente et fraîche, atteignant au turquoise dans la profondeur. Le corps prend un coup de fouet glacé avant de connaître le plaisir râpeux du grain de la pierre où se sécher la peau en pleine lumière. Nous sommes à ces moments tels les lézards du lieu, innombrables, qui détalent à notre approche en éclairs métalliques. L’endroit est joli avec ses vasques rocheuses longues où l’eau est profonde et transparente. Comme le soleil tape dur, il fait bon être dans l’eau, même si Eric ou moi marchons torse nu aux heures les plus chaudes. Les pins laricio forment comme une dentelle sur le bleu du ciel.

Pour les ampoules aux pieds, dont Annick commence à être couverte faute de savoir bien lacer ses chaussures, rien ne vaut la bande Velpeau préventive ou bien, après apparition des ampoules, pour empêcher le frottement. Les progrès de la technique et de notre savoir nous ferons préférer l’élastoplast, plus souple et qui tient mieux. Malgré cela, nous marchons encore une heure pour dormir après le gué du Ronca sur les pentes forestières, à quelques mètres du sentier en plein bois. Il fait froid la nuit.

Goût de la soupe épaisse et chaude. Bonheur du riz au Viandox qui cale et qui stimule l’appétit à la fois, ineffable contraste de la sauce qui donne faim et du support bourratif. Plaisir gustatif du fromage corse acheté dans les bergeries, frais et salé, ou bien fait et odorant, accompagné de tomates savoureuses ou de raisin juteux. Gourmandise des biscuits corses, toujours différents, et la décapante infusion de thym sauvage au parfum inégalé, récolté sur le chemin.

Premier bilan de ce qui est utile à emporter : des serre-cheville, du sparadrap pour faire tenir les compresses ou la bande Velpeau. Au petit-déjeuner, garder le sachet de thé et le faire infuser dans un peu d’eau bouillante ; le faire très fort puis l’ajouter à l’eau d’une gourde pour faire une boisson désaltérante pour la marche. Les pastilles Vichy sont très bien en marchant, elles rafraîchissent la bouche et contiennent des sels minéraux pour compenser ce que la transpiration nous enlève. Prévoir de petites boîtes de thon assaisonné pour mélanger au riz blanc qui compose l’essentiel de notre nourriture. C’était avant la mode du déshydraté, très utile pour son faible poids et sa variété, mais pas très bon en goût.

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GR 20 corse Samedi 15 août

La marche sous le soleil harasse vite, surtout les premiers jours en plaine où la chaleur est lourde et les sacs plus lourds. Dès le sentier balisé abordé, il faut grimper jusque vers 2000 m, avant de ne redescendre que très lentement en-dessous de la barre des 1000 m.

Nos corps de citadins réapprennent le temps lent et réglé des pas qui durent, la fatigue des jambes et des épaules, la joie physique du souffle qui s’accélère et s’amplifie pour s’apaiser après l’effort, la sueur qui coule sur le front, dans le dos, sur la poitrine, l’irradiation du soleil sur la peau nue ou la caresse rafraichissante d’une brise sur les sommets.

Le plaisir est d’aller au rythme biologique du pied et du soleil, jamais trop vite, réglé par l’astre qui réveille et qui couche – question de température. On en vient d’ailleurs à compter très vite la distance non plus en kilomètres mais en heures de marche. Nous redécouvrons le corps et ses besoins simples : aller, boire, manger, dormir.

Nous trouvons le sommeil à un quart d’heure de la crête, juste en-dessous exprès pour éviter le vent. L’herbe est sèche et les pins apparaissent noirs sur le ciel.

Nous avons effectué depuis ce matin peu de distance mais notre manque d’entraînement et la chaleur nous achèvent. Sur le GR, nous faisons de fréquentes rencontres : un couple jeune et joli, une famille de pépés minuteurs, deux Allemandes en sandales coiffées comme les vaches, trois femmes écolos–dynamiques certainement enseignantes, enfin, le lendemain matin, deux Parisiens bon vivants avec chiens.

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GR 20 corse il y a 40 ans

En notre année pandémique, les vacances se font à proximité et la France est privilégiée. La Corse m’a attiré jadis, je l’ai parcourue à pied, en bateau, en voiture et même en avion. Aujourd’hui, je ne me sens pas d’y retourner : trop de monde, trop de Corses « parisiens », trop de gens. Il y a quarante ans, c’était différent.

Depuis que j’ai entendu parler du sentier de grande randonnée qui traverse la Corse par les montagnes de l’intérieur, le GR 20, j’ai eu envie de le suivre. Des garçons pris en stop deux ans auparavant jugeaient le parcours trop dur – mais ils étaient très jeunes, portés à l’excès, tentés par la facilité et trop grégaires pour ne pas se monter la tête. A 16 ou 17 ans, on abandonne aussi vite qu’on se lance. Des filles, chargées plus au sud, avaient trouvé le même parcours sans difficultés, à condition d’aller à son rythme. Le peu que j’avais vu des montagnes corses, depuis la route, me tentait.

Aujourd’hui, certains font la course – pardon, le « trail » – toujours plus ultra, pour boucler le parcours de 180 km sur 14 000 m de dénivelée en 32 heures, je n’ai jamais compris pourquoi. Pour moi le voyage est un une façon de se promener pour rencontrer les paysages, les autres et la nature, pas une course au profit de la gloire médiatique. Qu’a-t-il vu, le Thévenard durant cette épreuve ? Qu’a-t-il appris, sinon qu’il n’était pas le man du record ? Quel intérêt que courir pour courir ? Il y a quarante ans, lorsque j’ai entrepris le GR20, c’était avec de toutes autres pensées et un tout autre objectif. Certes, le sentier corse faisait partie des projets que l’on se donne à la fin de l’adolescence tel qu’aller au sommet du Mont-Blanc, découvrir le Tibet, croiser à Tahiti, traverser l’Atlantique à la voile et explorer la nature sauvage au Canada comme les trappeurs.

L’année en question, 1981, rien de précis n’étant encore envisagé, au contraire des années précédentes. J’ai lancé le projet en juin auprès de mes amis et connaissances. Accords, désistements, le lot habituel des enthousiastes qui deviennent réticents avec de faux prétextes. Début août, nous sommes trois : Eric, Annick et moi. J’ai connu ce jeune couple de 18 ans originaire de Saint-Etienne à la colonie de vacances où ils étaient moniteurs comme moi. Ils paraissaient sérieux, sympathiques et discrets. Je suis à peine plus âgé qu’eux.

Le trajet Nice–Calvi a été effectué en une nuit de traversée. J’ai dormi sur le pont. Il fait chaud et la mer est d’huile. Des souvenirs me reviennent à parcourir Calvi qui s’anime peu à peu. Mon sac à dos fait 14 kg ; il est probablement un peu lourd pour la marche, mais nous verrons bien. J’ai pourtant réduit les vêtements et le matériel au minimum mais il faut quand même un duvet, une cape de pluie, un appareil photo et un carnet de notes, une trousse de secours, une lampe de poche, un réchaud à gaz, une marmite – et la gourde d’un litre qui pèse son kilo. Il faut laisser de la marge pour la nourriture à emporter pour durer trois jours au moins. Nous avons prévu de faire le GR du nord au sud, comme préconisé par le topo-guide, « de Calvi à Porto-Vecchio ». Le sac d’Éric est plus lourd car il veut jouer les mâles virils auprès de sa fragile copine.

Nous partons à pied le vendredi 14 août sur la route de Calvi à Calenzana, 12 km en long parcours rectiligne avec des dizaines de voitures passant dans les deux sens. Nous restons plusieurs heures sur la plage à nous reposer de la nuit, et effectuons deux arrêts bienvenus, le premier à un robinet, le deuxième entre la vigne et l’amandier aux fruits à peine mûrs mais déjà délicieux. Nous faisons des courses indispensables à Calenzana, du potage en sachet notamment. Le soir venu, nous dormons sur le GR à 20 m du village.

Au matin, nous refaisons quelques courses pour compenser notre repas d’hier soir et partons à midi. Nous déjeunons à la fontaine d’Orteventi d’où l’on découvre les villages et la plaine. Monte la fumée d’un incendie de maquis. Plusieurs heures de montée assez raide par une chaleur accablante et une forêt brûlée, cela nous occupe l’après-midi. Les sources sont des oasis pour la pause.

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