Politique

L’écologie politique à la dérive

« Confiée à des bureaucrates de l’écologie, eux-mêmes poussés par la radicalité d’un certain nombre de collapsologues, la transition écologique crée de fréquentes tensions chez ceux qui sont directement affectés par des régimes d’autorisation, de contrôle ou de surveillance de plus en plus stricts. » Tel est le propos de l’introduction de cette étude de la Fondapol – très intéressante en ce qu’elle nous fait toucher du doigt la transposition administrative bêtasse des meilleures intentions proprement politiques. Un travers très français…

Tout commence avec l’idéologie écologiste qui est la nouvelle religion issue du marxisme gauchiste, lui-même issu du christianisme. Il s’agit toujours d’écouter la voix de Dieu, de l’Histoire ou de Gaïa, donc de dire le Vrai de la croyance. Une fois la vérité ainsi établie, il faut l’imposer. L’époque n’est plus à la contrainte dure comme du temps de l’Église ou même des dictatures du 20ème siècle. Elle serait plutôt à convaincre selon l’idéologie démocratique où tout le monde a théoriquement voix au chapitre. Mais ce n’est pas le cas car, pour imposer la loi de l’Histoire écologique, tous les moyens de propagande sont bons, des artistes aux médias, de l’école aux politiciens. L’Apocalypse et la Révolution sont remplacés par l’Urgence climatique. Ce qui nous oblige tous collectivement à aller vite sans réfléchir, à adhérer sans critique et a faire tout, tout de suite – comme dans le fantasme infantile hippie des années 60.

La question n’est pas de nier le réchauffement climatique, ni la nécessité de décarboner l’économie rapidement, ou encore de retrouver une harmonie avec la nature. La question est celle de l’adhésion des citoyens à ce projet, qui doit être rationnel et rationnellement exposé, pas simplement idéologique, avec accompagnements adéquats. On a vu avec la crise des gilets jaunes combien une mesure d’en haut, au motif idéologique et appliquée de façon bureaucratique, pouvait hérisser les citoyens jusqu’à la jacquerie. Il ne s’agit pas d’interdire les voitures à pétrole, mais de permettre à ceux qui en ont d’utiliser d’autres moyens de transport propres et peu coûteux, soit des transports collectifs abordables et sans grèves à tout bout de champ, soit des automobiles individuelles électriques ou à hydrogène à coût raisonnable. Ce qui est loin d’être le cas !

La bureaucratie est le bras armé de cette idéologie, « la nouvelle religion d’État » selon Chantal Delsol. Il s’agit, selon le rapport Fondapol, d’« un système où l’appareil est prépondérant avec pour mission d’orienter les politiques publiques environnementales vers une logique unique de préservation, de protection et de conservatisme ». Car l’organisation bureaucratique est cloisonnée, soumise à hiérarchie, au devoir d’obéissance ; elle produit des règles pour justifier ses postes, une langue de bois spécifique, une tendance naturelle à l’immobilisme par inertie et une irresponsabilité quasi totale. Le meilleur exemple a été, dans l’histoire récente, l’URSS et son système.

Cela « conduit en effet à décourager l’initiative, voire l’innovation, en rendant toutes les actions complexes, longues, onéreuses. » Plus les normes sont exigeantes, plus la facture augmente. D’autant que, malgré ses diplômes exigés et ses concours de recrutement, « l’administration peine à gérer sainement les deniers publics », « les gaspillages – pour ne pas dire la gabegie – sont principalement dus à des revirements de politiques publiques. Les exemples célèbres ne manquent pas, de Notre-Dame-des-Landes aux portiques écotaxes sur les autoroutes… »

Le pouvoir judiciaire est naturellement le bras armé de la bureaucratie avec pouvoir de contraindre et de punir – et des tribunaux « administratifs » ont même été créés pour exempter l’Administration d’être jugée par le droit commun. « La crainte suscitée par le risque d’une responsabilité pénale conduit, bis repetita, à prendre des mesures de protection excessives et fait alors entrer la prévention dans le régime de l’interdiction. » Les crimes contre la nature ont failli être traités comme des crimes sur les personnes par la qualification qu’écocide, comme on dit féminicide ou homicide ! « Le principe constitutionnel de précaution est un allié de poids pour la bureaucratie. Elle y trouve un puissant levier dogmatique pour s’opposer à chaque risque prévisible. » L’ineffable Chirac avait encore frappé : donnez-leur ce qu’ils réclament et qu’on me laisse tranquille, semblait penser le pire président de la Vème République. Les associations, subventionnées sur fonds publics, surveillent tous les projets publics d’ampleur, « bénéficient d’une qualité pour agir sur tout le territoire national et deviennent les sentinelles de la judiciarisation permanente de l’action publique. » Exemples qui ne font que commencer : « On peut constater déjà que l’extinction des enseignes lumineuses dès la fermeture des magasins. L’affaire du siècle est une opération menée par quatre associations et soutenue par des citoyens, des personnalités du milieu du spectacle, visant à attaquer l’État français en justice pour son insuffisance dans la lutte contre le réchauffement climatique. »

La suite ? Le numérique devrait aider comme en Chine au formatage des « bons » comportements écolos et sanctionner entreprises, commerçants et particuliers. La réduction de l’éclairage, une baisse de la température dans les magasins sont des scénarios envisagés. Avec le nouveau compteur Linky, il est facile en effet de savoir si un individu utilise sa climatisation, s’il a pris plusieurs douches ou s’il débranche ses appareils électroniques.

« L’incongruité est que les écologistes se proclament les meilleurs promoteurs de la démocratie participative à travers la consultation des citoyens. De grandes conférences sont mises en œuvre pour donner la parole à ces derniers. Des procédures de concertation et d’enquête publiques sont censées récolter leur avis. Des référendums sont même organisés pour connaître leur position face à de grands projets comme celui de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Or, in fine, rien n’est pris en considération. L’impression générale demeure que l’avis des citoyens n’est pas suivi. » Autrement dit, la démocratie c’est quand vous êtes d’accord avec le credo ; sinon, vous n’avez pas droit à la parole : cancel !

Ce sont des procédés qui mènent au totalitarisme : quand un groupe militant est persuadé de détenir la Vérité, il fera tout pour l’imposer. Les réfractaires ou même seulement ceux qui émettent une quelconque critique, sont assimilés à des ennemis du peuple, des espions de la grande industrie, voire à des possédés du diable. Les camps de rééducation devraient s’ouvrir dans la foulée, après tout c’est bien ce qu’ont produit les régimes d’Hitler, de Staline, de Pol Pot et de Xi.

« La solution passe par des investissements puissants et multiples, une décentralisation plus forte, la mise en œuvre du principe de subsidiarité, une réelle déconcentration et l’implication permanente des citoyens dans les décisions qui les concernent. La capacité à faire confiance à l’échelon local sera la clef de la réussite ou de l’échec de la grande transformation écologique de notre société. » Telle est la conclusion – que je partage – de cette étude Fondapol qui est bienvenue dans le débat public. Pas de « décroissance » – toujours au détriment des faibles – mais une production maîtrisée, adaptée aux changements exigés.

De la transition écologique à l’écologie administrée, une dérive politique, David Lisnard et Frédéric Masquelier, mai 2023, Fondation pour l’innovation politique, 30 pages, www.fondapol.org (disponible gratuitement en téléchargement PDF)

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Nos politiciens de gauche ressemblent aux tarentules de Nietzsche

A l’occasion de l’opposition à la réforme des retraites – parfaitement légitime en soi puisqu’elle va demander aux actifs plus d’efforts – la relecture de Zarathoustra apporte une image frappante : celle de la tarentule. C’est une araignée noire tapie au centre de sa toile. « Il y a de la vengeance dans ton âme », s’écrie Zarathoustra, « partout où tu mords il se forme une croûte noire, le poison de ta vengeance fait tourner l’âme ! » Nietzsche visait les prêtres chrétiens (tous habillés de noir) mais aussi les doctrinaires d’université et les hommes de lois moralistes (habillés de même couleur), voire les politiciens égalitaires de son temps.

Où nous retrouvons le nôtre. Car nos politiciens contestataires n’ont pas pour objectif le bien du peuple comme ils veulent le faire croire, mais le goût du pouvoir et de la revanche. Ils ne seraient crédibles pour faire avancer la société que s’ils étaient « délivrés de la vengeance », or ce n’est pas le cas. A quoi rime cet histrionisme de guignols à l’Assemblée ? Cette affiche communiste au Macron impérial ? Ces revendications absurdement irréalistes du Smic à 2000 euros, retraite à 60 ans et ainsi de suite ? Devons-nous rejouer névrotiquement la prise de la Bastille suivie de la Terreur à chaque fois que nous ne sommes pas d’accord et ne parvenons pas à un accord avec de longs mois de « négociations » ?

« Mais les tarentules veulent qu’il en soit autrement. ‘C’est précisément pour nous la justice que le monde se remplisse des orages de notre vengeance’ – ainsi parlent entre elles les tarentules ». On dirait du Mélenchon, ce n’est que Zarathoustra. Qui décortique le sous-jacent, et ce pourquoi le compromis n’est jamais possible avec les politiciens français de gauche dans leur extrémisme : « ‘Nous voulons exercer notre vengeance sur tous ceux qui ne sont pas à notre mesure et les couvrir de nos outrages’ – c’est ce que se jurent en leurs cœurs les tarentules. » Notre mesure signifie nos petites personnes, la tarentule veut tout rabaisser à son niveau, faire que chacun lui ressemble – et outrager ceux qui y échappent. Ainsi fit le communisme – et l’on voit à quoi il a abouti : à la fuite massive une fois le Mur tombé, au vote avec leurs pieds des citoyens des glorieuses démocraties « populaires ». Et l’on voit où l’aboutissement de cet aboutissement conduit aujourd’hui : à la dictature impitoyable, agressive et purement réactionnaire d’un lieutenant-colonel du KGB sur tout un peuple en déclin.

Voilà à quoi a abouti le fantasme chimérique d’égalité. L’égalité peut être en droit, en dignité, en chances ; elle ne peut être totale. L’égalité dévoyée fait changer de sexe les enfants de 9 ans et croire que l’on n’est ni homme, ni femme mais une hybridation plus ou moins prononcée, qu’être égal c’est ne pas regarder (le regard juge et la racaille frappe pour un simple regard), ne pas dire (les mots discriminent, ce pourquoi on ne dit plus nègre ni même noir et à peine humain de couleur, et qu’il est interdit de singer le noir quand on est blanc, même si l’inverse n’est pas prévu par le woke). Car Nietzsche s’élève contre cette notion, antinaturelle selon lui, antihumaine même, d’égalité (au sens totalitaire d’absolu). « La vie veut elle-même s’exhausser sur des piliers et des degrés : elle veut découvrir des horizons lointains et explorer les beautés bienheureuses – c’est pourquoi il lui faut l’altitude. » Cette revendication égalitaire cache au fond l’envie, la jalousie de ne pas être meilleur, aussi bon que les autres, d’avoir mieux travaillé à l’école, s’être entraîné au sport, avoir cultivé son esprit. « Nous voulons élever nos cris contre tout ce qui est puissant ! » s’écrient les tarentules. Les médiocres parlent aujourd’hui de « dominants ».

Ce que cache cette envie, c’est tout simplement l’envie d’avoir pour soi le pouvoir sur les autres, de les commander, de les rabaisser, de les humilier. Les révolutionnaires idéalistes arrivés au pouvoir sont souvent pire que les dictateurs qu’ils sont chassés : voyez les jacobins de 1789, les communistes en 1917, le FLN en Algérie, les islamistes après Ben Ali. « Prêtres de l’égalité, la tyrannique folie de votre impuissance réclame à grands cris « l’égalité » : vos plus secrets désirs de tyrans se travestissent sous des paroles de vertu ! ». Cela se nomme la démagogie, et il n’est pire tyran qu’un démagogue parvenu au pouvoir : voyez Hitler, voyez Castro, voyez Chavez, voyez Trump – je frémis en pensant à un Mélenchon s’il avait été élu, lui qui se réfère à Chavez comme à un Mentor !…

« Ils ressemblent aux enthousiastes ; mais ce n’est pas le cœur qui les enflamme – c’est la vengeance. Et lorsqu’ils deviennent froids et subtils, ce n’est pas l’esprit, mais l’envie qui les rend froids et subtils. » Voyez Mélenchon, et Badiou. « A chacune de leurs plaintes résonne la vengeance et chacune de leurs louanges porte une blessure ; s’ériger en juges leur semble le comble du bonheur. » Mélenchon se venge de l’absence du père, divorcé lorsqu’il avait 10 ans ; Badiou a pour croyance que les mathématiques sont l’ontologie de la philosophie, ce pourquoi lui a toujours raison malgré les autres, égarés par la phénoménologie – il a ainsi justifié les Khmers rouges (1,7 millions de morts).

« Or, voici le conseil que je vous donne, mes amis : Méfiez-vous de tous ceux en qui l’instinct de punir est puissant ! C’est une mauvaise engeance et une mauvaise race ; ils ont des faces de bourreau et de ratiers ». Ainsi parlait Zarathoustra. Ecoutons-le.

(J’utilise la traduction 1947 de Maurice Betz au Livre de poche qui est fluide et agréable ; elle est aujourd’hui introuvable.)

Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, 1884, traduction Geneviève Bianquis, Garnier Flammarion 2006, 480 pages, €4,80 e-book €4,49

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Paris perdu de la maire poubelle

Paris 2023 préfigure le Paris 2024 : « Prenez place pour l’exceptionnel ! » : les jeux olympiques de l’ordure, où la maire de Paris, désormais associée aux poubelles, remporte sans conteste la médaille d’or. « Look of the Games » est l’immondice : l’habillage qui incarne Paris 2024. « Coloré et esthétique, riche en symboles, il reflète l’élégance à la française en adaptant le pavé sous toutes ses formes » – à condition de le retrouver sous les sanies gluantes des sacs poubelle.

La scène déborde, les rues sont pleines, le cru 2023 submerge la crue 1910. La santé vaut bien une grève, il n’y a qu’un c d’écart pour la crève. La prochaine pandémie viendra-t-elle de Paris ?

Le bac est une épreuve, il est désormais trop rempli et dégueule ses matières sur le trottoir – où seront bientôt les jeunes en mal de boulot, puisque « la grève » semble être le moyen de plus court pour parvenir à la retraite. Le savoir n’est-il que de la merde ?

Mâme Bécu, devenue Madame du Barry en favorite de Louis XV, a finie guillotinée durant la Terreur jacobine de 1793. Est-ce le sort qui attend Madame de Paris, une fois les Insoumis perpétuels portés au pouvoir par la rue ? Si elle maîtrise les sciences sociales, ainsi que le dit sa biographie, comment se fait-il qu’elle ne maîtrise pas le social dans la rue ? Elle veut transformer les beaux quartiers en boue quartiers.

Elle a dévoyé la politique en merdier, réduit le socialisme à l’ordure et l’écologie aux déchets. Un progressisme pouacreux de gadoue, une vidange des immondices sociaux, un « retour à » l’âge des cavernes. Après les poubelles de la présidentielle, les poubelles de Paris – le coup de pied de l’Anne – en attendant pour elle les poubelles de l’Histoire.

Les Parisiens chantent désormais la complainte :

« La mère du Barry,

La maire de Paris,

La merde Paris,

La mer du parvis,

L’amer du pari. »

Vous l’aurez compris, c’était un billet d’humeur. Je n’attaque pas à la personne, que je ne connais pas, mais je connais la fonction, ses honneurs mais aussi ses servitudes. Politiser ne sert pas, se ranger aux côtés des militants de quelque cause que ce soit n’est pas rendre service. Ce service aux Parisiens, qui ont élu la maire de la ville, me semble faire carrément défaut.

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Retraite à 65 ans en Suisse et fond de pension

Ils partent à 65 ans, les hommes, à l’âge légal, et à 64 ans les femmes. Ils sont Suisses et ne braillent pas dans la rue pour dénoncer cette « injustice ». Ils sont contents de leur système de retraite, de leur économie qui va bien et de leurs votations qui leur demandent leur avis (et pourquoi pas en France ?). Ils ont des multinationales qui font de gros bénéfices et ils en sont heureux, pas jaloux.

Ils travaillent, les Suisses, au lieu de râler contre ce qu’on leur donne pourtant largement et d’en vouloir toujours plus. Ce pour quoi leur Production intérieure brute par habitant fin 2022 est de 87 410 millions d’euros contre 38 590 millions d’euros pour les Français (plus du double), et leur dette publique de 32 545 euros par habitant contre 41 595 euros par Français. Si les dépenses publiques par habitant de 28 249 euros sont supérieures en Suisse, contre 21 766 euros en France, c’est que la dépense publique en pourcentage de la Production intérieure brute est déjà de 59 % en France contre 35,6 % en Suisse… (chiffres publiés ici). Produire plus pour gagner plus, on n’a jamais fait mieux. Répartir, c’est bien ; produire d’abord, c’est préférable. Donc travailler plus longtemps puisque l’on vit plus longtemps.

En tenant compte de la pénibilité des métiers, bien sûr, qui a dit le contraire ? Mais à en croire les clowns parlementaires de la lamentable Nupes, les travailleurs français seraient des Cosette exploitées et violées constamment par des patrons Thénardier et les privilégiés du rail, du métro, de l’électricité, du gaz, de la Banque de France, du Sénat et d’autres seraient des Oliver Twist sous-alimentés menés par une chiourme de vertueux hypocrites. Il ne faut pas exagérer, le misérabilisme du siècle des enflures politiques n’est plus de mise. Les conditions de travail en Europe sont à peu près équivalentes et les gens vivent plutôt bien. J’ai moi-même travaillé en Suisse aussi bien qu’en France et la différence est que les Suisses sont moins assistés et se sentent plus responsables de leur propre existence. Ils n’attendent pas tout de « l’État », dont ils se méfient au point de préférer une confédération au jacobinisme centralisé et une présidence tournante plutôt qu’un président unique.

Le système suisse de prévoyance retraite est composé de trois piliers :

1. l’assurance vieillesse et survivants (AVS), l’assurance invalidité (AI) et les prestations supplémentaires. Ce pilier est obligatoire, comme la cotisation à notre CNAV français. Sauf que, dès l’âge de 20 ans, « les personnes sans activité lucrative sont tenues de payer les cotisations AVS » jusqu’à l’âge légal de la retraite (environ 500 francs suisses minimum par an). Donc TOUT LE MONDE participe, qu’il travaille ou pas. Pour ceux qui travaillent, les cotisations sont versés par les employeurs et les employés comme chez nous. La retraite perçue est au prorata des années cotisées, des revenus et des bonus pour éducation d’enfants ou assistance aux handicapés ou dépendants. Cette AVS est plafonnée au double de la rente minimale.

2. la prévoyance professionnelle (caisse de pension), l’équivalent de notre Agirc-Arrco, est obligatoire elle aussi, mais gérée par capitalisation (comme les réserves de nos caisses Agirc-Arrco, j’en ai été moi-même l’un des responsables dans une banque française). Elle est surtout décentralisée, et pas administrée par un organisme paritaire nébuleux : l’entreprise choisit son organisme gérant (banque, compagnie d’assurance, ou prestataire dédié), mais l’employé peut en choisir librement une autre qu’il connaît. La seule contrainte est que cotiser est obligatoire. Le Suisse peut demander qu’un quart de son avoir lui soit versé en capital au moment de sa retraite, ce qui n’existe pas chez nous où tout est « réparti » quelle que soit le montant de cotisations versées (au nom de la « solidarité »). Une retraite anticipée est possible dès 58 ans si le règlement de l’institution de prévoyance le prévoit, ou reportée à 70 ans sur demande – pas chez nous, où c’est le couperet du « j’veux voir qu’une tête ») – pourquoi ne pas s’inspirer de cet aménagement suisse ?

3. le troisième pilier est facultatif. Il est constitué d’une épargne volontaire en vue de la retraite qui dispose d’avantages fiscaux. Il est l’équivalent de notre assurance-vie ou de nos plans d’épargne-retraite dans les banques, qui disposent eux aussi d’avantages fiscaux. Le sénat y pense, à raison. En plus de la répartition, mais encouragé. Une bonne chose : les Suisses, qui sont prévoyants, l’ont fait, pourquoi pas les Français ?

Donc plus de responsabilité personnelle en Suisse, au-delà d’un socle commun. Le Français a pris l’habitude, avec l’Église et le droit romain, d’être traité en enfant incapable de se réfréner et de se gérer tout seul ; pas le Suisse. Lui peut choisir, même si « le collectif » (cette friandise démago dans les bouches de gauche) s’impose à lui dès ses 20 ans – même s’il ne travaille pas – a fortiori lorsqu’il travaille. Mais il n’est pas tenu par son employeur et verse ses cotisations à bons escient pour le deuxième pilier.

Il n’a pas non plus « peur de la bourse » selon l’idéologie marxiste encore en vogue dans nos syndicats et partis à gauche. Certes des krachs surviennent périodiquement, après des euphories sans lendemain ou des crises majeures, mais sur le long terme (au-delà de dix ans) la bourse suit la tendance générale de l’économie, c’est-à-dire de la production et de la productivité. Elle protège comme l’immobilier contre l’inflation car les actions sont des biens réels, des parts d’entreprises. La clé est de diversifier ses avoirs et de gérer ses positions, les gérants d’actifs chargés des caisses de retraite ne font pas de la spéculation à la Zola. Pas plus que ceux qui, en France même, gèrent les fonds de réserve des caisses de retraite Agirc-Arrco comme je l’ai fait. Mais la gauche ignare et les syndicats idéologiquement bornés le savent-ils ? Le reconnaissent-ils ?

Il est trop facile de chanter l’air romantique du bac pour tous, de l’université gratuite, du diplôme assuré, de l’emploi garanti, du Smic à 2000 €, des 30 heures par semaine, des deux mois de congés payés, de la retraite à 60 ans et de la dépendance prise en compte. Mais pour cela il faut TRAVAILLER, pas brailler.

Les entreprises françaises ne sont plus protégées par des frontières comme dans les années cinquante ou soixante, où il « suffisait » de dévaluer le franc pour retrouver de la compétitivité érodée par les largesses sociales sans contrepartie de productivité. Elles survivent dans un monde concurrentiel qui ne fait aucun cadeau. La « retraite à 62 ans » est une anomalie en Europe (67 ans en Italie et Islande, bientôt en Allemagne, un peu plus de 66 ans dans les pays nordiques, 65 ans en moyenne) : ce n’est pas tomber dans l’esclavage que de faire comme les pays voisins. Surtout que l’on compte de moins en moins d’actifs pour un nombre croissant de retraités, faute d’enfants – l’hédonisme a un prix.

Dominique Motte, De la démocratie en Suisse, éditions La route de la soie, 2021, 816 pages, €18,38

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Jean Dutourd, Les taxis de la Marne

L’auteur avait 20 ans en 1940. Il raconte ses deux semaines de mobilisation jusqu’à la débâcle, l’errance en Bretagne, les revolvers enterrés, les fusils jetés, la reddition à Auray avant le transfert en camp de transit à Vannes. Il a été sidéré. Les taxis de la Marne en 14 avaient permis au haut-commandement de contrer les Allemands qui déferlaient sur la France – pas en 40. L’impéritie des généraux, la pusillanimité des politiciens radicaux-socialistes, les interminables mois de farniente de la « drôle de guerre » depuis sa déclaration en 1939 mais sans rien faire, tout a contribué à la défaite. Rapide, immuable, humiliante.

Cet essai ne porte pas sur la guerre de 14 mais sur celle de 40, sur une France première puissance militaire du monde en 1918, effondrée plus bas que terre en juin 1940. Le ton est celui d’un moraliste qui se remémore ces moments de jeunesse où ses yeux se sont dessillés, où il a compris. La France se berçait de sa grandeur, mais sans rien faire pour l’assurer. Les politiciens et les galonnés n’ont rien fait pour l’entretenir, se réfugiant dans la bureaucratie paperassière et les statistiques plutôt que sur le moral de l’armée et la conviction de la nation. Ils rejouaient l’autre guerre, celle de l’immobilisme, celle des tranchées, alors que le progrès technique avait submergé de tanks et d’avions cette façon de faire. Donc les tanks et les avions ont été mal employés par les généraux français qui ne savaient qu’en faire.

L’auteur voit en 1956, date de parution de cet essai, se rejouer la même partition : des politiciens ineptes qui se perdent dans des petits jeux d’egos pour faire valser les ministères et surtout éviter toute responsabilité politique, des généraux qui ne cessent d’être vaincus en Indochine par bêtise – comme celle de se placer dans une plaine à Dien Bien Phu en croyant se protéger sans tenir les hauteurs ! 1958 est tout près, réaction d’un peuple qui en a marre des défaites et des sottises, marre des politiciens affairistes et minables, marre des imprévoyants et des bureaucrates.

Curieusement, notre époque n’est pas loin de ressembler à la sienne. Quand on voit les inepties des Nupes (en consonance avec dupes) qui braillent avant d’avoir mal, assène leur morale tout en ne se l’appliquant pas à eux-mêmes (les violences conjugales et la « démocratie » interne chez les insoumis, le score minable des écologistes aux présidentielles et les déchirements internes, comme chez les socialistes), les inepties de la droite vaguement gaulliste mais qui ne sait plus sur quel sein se dévouer (comme disait un ancien patron de banque qui avait fait peu d’études) ; quand on voit le virage brutal car jamais préparé de la stratégie de défense, la course aux munitions et aux armements de base (oubliés) et l’irénisme français envers la Russie redevenue impérialiste et persuadée comme toujours d’avoir raison – on peut se dire que si l’époque a changé, les misérables humains non.

Nous avons heureusement des institutions meilleures qu’en 1956, une Ve République incomparablement plus efficace que l’anémique IVe, mais la classe politique n’est guère au-dessus. Les querelles de clochers au Parlement sont tout aussi minables et pas à la hauteur des enjeux, la frénésie de « faire des lois » en croyant que cela règle tout (sans se préoccuper des décrets d’application qui tardent parfois sur des années !), la mauvaise foi des oppositions et l’agitation sociale sans cesse brandie pour pas grand-chose, emmerdant les citoyens épisodiquement et accentuant leur exaspération pour les « privilégiés » qui peuvent bloquer le pays, tout cela ressemble fort aux années d’après-guerre.

Bon, cet essai est daté et un peu long, surtout sur la fin comme dirait l’autre. La meilleure partie est la première qui mêle les souvenirs de 40 et la prise de conscience de la chute nationale par lâcheté de ses dirigeants. « La vertu combat », dit Vauvenargues, cité en exergue, « s’il n’y avait aucune vertu, nous aurions pour toujours la paix » – et c’est bien cette paix minable de vaches à l’étable qu’a négocié le père Pétain puis qu’a voulu assumer la IVe République ; et c’est bien cette même paix qu’on croyait perpétuelle qu’a remis en cause Poutine et sa pensée fasciste : mort aux faibles ! Non, il faut résister, comme De Gaulle en 40, comme les Ukrainiens aujourd’hui.

L’auteur, qui est décédé immortel en 2011, à 91 ans, après s’être évadé, marié, éduqué, être entré en résistance avec les communistes pour libérer Paris, gaulliste, devenu journaliste papier puis radio, a encore quelque chose à dire qui subsiste, même dans cet essai qui a l’âge légal de la retraite.

« Quand j’étais petit, dans mes disputes avec mes camarades, une grande personne survenait immanquablement, qui me disait : « C’est toi le plus intelligent : cède ! » En d’autres termes, la marque de l’intelligence, c’est de faciliter les capitulations. Avec ce raisonnement-là, la bêtise a toujours le dessus. (…) Aujourd’hui que je suis un homme, j’en ai assez de considérer l’intelligence comme un prétexte à abandons. C’est l’attitude contraire qu’il faut prendre. En toute occasion. Toujours. Par respect de la vérité. Je suis le plus intelligent, DONC j’ai raison ; et ce serait rabaisser la raison que de ne pas la faire triompher, fût-ce par la force ». Ce n’est pas si mal vu, ni si mal dit. Qu’on se le dise !

Jean Dutourd, Les taxis de la Marne, 1956, Livre de poche 1962, 256 pages, occasion €2,90

Jean Dutourd chroniqué sur ce blog

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Droits ou libertés

La droite au Sénat a récemment émis un vote en faveur de « la liberté » de l’avortement au lieu d’un « droit à » l’avortement prôné par la gauche. Signe que les libertés, qui étaient jadis à gauche, sont passées à droite tandis que les contraintes sont devenues de gauche. En effet, la société n’évolue jamais selon les épures abstraites des philosophes utopistes et les politiciens « progressistes » se disent qu’il faut « forcer » la société à s’adapter par des contraintes. Ce n’est pas faux mais peut devenir excessif – les soixante-dix ans de soviétisme ont bien montré que la dictature « du prolétariat » se réduisait en fait à celle d’une nomenklatura étroite et cooptée de privilégies au pouvoir dont les oligarques inféodés au nouveau tsar Poutine sont les descendants directs. La contrainte chinoise est plus subtile et plus consensuelle, mais tout aussi redoutable : dans ce pays, pas de « libertés » mais seulement des « droits ».

C’est qu’il y a une différence entre les deux mots.

Le droit vient du latin directus qui signifie direct et sans courbure. Directus est lui-même dérivé de deligere, qui vient de régénérer, du mot roi qui a donné régir. Le droit est ce qui est juste, honnête, ce qui ne s’écarte ni de la raison, ni du bon sens. Cela signifie une voie dont la direction est constante, directe. Ainsi parle-t-on pour les objets de jupes droites, de piano droit et pour le caractère d’un esprit droit. Le sens moral de droiture signifie loyal, c’est-à-dire permis et reconnu mais aussi constant et fidèle : on sait à quoi s’en tenir.

« Le » droit qui est application de la loi a le sens général de justice, c’est-à-dire de règles d’équité dans la société. Ce qui est droit est considéré comme moral et juste, et les textes du droit composent l’ensemble des lois et coutumes comme le droit pénal ou le droit public. Il signifie ce qui est permis ou exigible selon la loi (droit de faire et de ne pas faire, mais aussi droit de timbre, droits de pêche, etc.).

Le sens dérivé individualiste et, disons-le, égoïste, transforme le droit en « avoir droit », être « dans son droit ». Mais entre ce qu’il est permis de faire et « avoir droit à » se situe tout un fossé que la gauche (souvent démagogique quand elle n’est pas au pouvoir) franchit sans réfléchir. À droite, il s’agit plutôt de passe-droits opposés aux ayants-droits, de privilèges de quelques-uns dans l’entre-soi opposés à ceux de la masse anonyme.

On voit bien ici qu’entre ce qui est permis et ce qui est exigé, il y a toute la différence entre la droite et la gauche : la première permet alors que la seconde exige (ainsi le « droit au logement » – mais qui construit et finance les logements ?). Les droits théoriques ne sont pas les droits réels, la différence réside dans la possibilité matérielle de les exercer. « Avoir droit » ne signifie pas être en mesure de l’exercer, la contrainte économique jouant plus pour les pauvres que pour les riches. Ainsi les « ayants-droits » peuvent se soigner presque gratuitement dans les hôpitaux publics (encore que nombre d’actes et de médications ne soient pas pris en charge…), tandis que ceux qui ont « les moyens » auront accès à des cliniques privées ou à des dépassements d’honoraires pour des soins.

Les libertés viennent du mot libre qui signifie ne dépendre que de soi, soumis à aucune autorité et n’appartenant à aucun maître, fut-il abstrait (ni Dieu, ni maître, chantaient les anarchistes). Dès le XVIe siècle, le français étend son usage au sans-gêne, notamment dans les locutions comme « libre de… » La liberté est le pouvoir de se déterminer soi-même et, comme disait Nietzsche, de fonder sa morale en soi. Cela signifie n’être soumis ni à des dogmes divins, ni à des pouvoirs ici-bas que l’on récuse (roi, patron, mâle violeur ou femelle cougar), ni à des règles sociales qui ne nous conviennent pas (ainsi la lutte pour l’avortement, après celle pour la pilule).

Mais entre être libre d’être et libre de faire, il y a toute la distance entre l’individu et la société. Ce pourquoi Rousseau disait que la liberté de chacun s’arrête là où commence celle des autres, seul moyen de vivre en société en l’acceptant des compromis nécessaires. Le refuser signifie considérer que l’homme est un loup pour l’homme et que le droit du plus fort s’applique, comme dans la mythique nature. Toute la législation s’élève contre les lois de nature. Ce pourquoi un nouveau Contrat social a été théoriquement conclu dans la société avec les Révolutions. Contre les usages d’Ancien régime qui appliquaient la loi féodale du plus fort, où toute une hiérarchie de puissance s’étageait entre l’empereur et le serf, en passant par le roi, les nobles, les bourgeois, les hommes libres, les femmes et les enfants. Aujourd’hui, chacun est libre d’être soi, ce qui signifie libre de penser, de s’exprimer (y compris par le vote et la manif), d’aller et venir, d’entreprendre. Cela, évidemment, en fonction des règles globales de la société qui permette de vivre ensemble comme le disait Rousseau.

La dérive de cette liberté est la licence, ce qui signifie un excès. Les croyants qualifient de « libres penseurs » ceux qui prennent des libertés avec les dogmes religieux, les religions qualifient de « libertins » ceux qui n’obéissent pas à leurs contraintes de mœurs et de « blasphémateurs » ceux qui parlent de la divinité autrement que selon les usages, de même que la société parle de « prendre des libertés » lorsque l’on n’agit pas selon les usages moyens. Ainsi l’enseignement « libre » signifie-t-il l’enseignement différent de celui de la République tandis que les « radios libres », jadis, émettaient sans autorisation depuis les frontières.

Mais les Lumières ont fait de la liberté leurs torches éclairant l’avenir (la statue de la liberté de Bartholdi offerte par la France à New York), ce pourquoi « les » libertés sont des conquêtes humanistes que tous et chacun devraient pouvoir exercer. D’où le terme de « droits de l’Homme » avec une majuscule à homme pour bien signifier l’humanité tout entière et non pas seulement le mâle blanc, riche, hétérosexuel, etc. comme le croient les ignorants qui se sentent offensés que chacun ne leur ressemble pas et puisse ne pas « être d’accord » en pensant différemment. Or la liberté signifie principalement le libre-arbitre, autrement dit le pouvoir de décider ce que l’on veut – dans les limites imposées par les lois et règles la société dans laquelle on vit (ainsi, pas de voile dans l’espace public, ni se promener tout nu, voire seulement torse nu dans certaines villes prudes, en général de droite radicale). En termes politiques, cela signifie le libéralisme ; en termes économiques, cela signifie le libre-échange et la régulation minimum. Le libertaire applique les libertés dans les mœurs, ce qui a pu conduire à des dérives pédocriminelles après 1968 où il était « interdit d’interdire ». Le libertarien est la version individualiste américaine du pionnier mythique qui affirme son pouvoir de faire absolument ce qu’il veut dans le wild, autrement dit la nature sauvage sans loi.

Il y a donc un écart entre le droit et la liberté, le premier inscrivant dans le marbre ce que l’on peut faire ou ne pas faire tandis que la seconde est plus ouverte, permettant généralement de faire – sauf à ne pas déroger aux lois en vigueur au sens de Rousseau cité plus haut. Ainsi chacun est-il libre de conduire ou de chasser, à condition de passer le permis. Cet examen n’est pas une servitude perpétuelle mais la preuve que l’on a bien appris ce qui est nécessaire pour sa propre sécurité et pour la sécurité des autres en usant de cette liberté.

Le mot « licence » (qui vient de liberté) a-t-il dès le XIVe siècle été un examen qui permettait d’enseigner à l’université. Il sanctionnait un savoir, reconnu par des pairs et donnait le gage aux étudiants de la qualité de l’enseignement fourni. Les mœurs étudiantes et les franchises universitaires ont fait dériver ce terme de licence vers une certaine insolence et insubordination, que l’on constate toujours parmi la jeunesse aujourd’hui, enfin un certain dérèglement des mœurs, propre à l’âge pubertaire où les hormones bouillonnent trop volontiers tandis que l’esprit est encore ignorant et le caractère sans expérience sociale. Le licencieux est considéré comme déréglé et sans retenue.

Alors « liberté » ou « droit » d’avorter ? La liberté est théorique, plus vaste et moins précisément définie, ce qui ouvre à des « droits » nouveaux ultérieurement, alors que le simple droit est trop étroit et contraignant car il balance entre des intérêts contradictoires – tout aussi légitimes (la justice est représentée avec une balance). La liberté permet alors que le droit exige. Ainsi, les médecins qui réprouvent l’avortement (ils en ont le droit), gardent la liberté de ne pas, tandis que s’il existait un droit formel, ce serait un déni de droit. La nuance est subtile, mais de grand sens alors qu’il s’agit de « faire » société.

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Trop de paroles sont vanité, dit Montaigne

En cette approche finale du Livre 1 des Essais, Montaigne examine combien les paroles peuvent devenir enflées et leurs auteurs des enflures. « Un rhétoricien du temps passé disait que son métier était, de choses petites les faire paraître trouver grandes ». C’est ainsi que l’on flatte l’orgueil des gens en leur métier, ou des citoyens en leurs votes. L’exaltation théâtrale des attitudes n’incite pas au compromis mais plutôt au fanatisme. Telles furent la Révolution française et ses orateurs, l’enflure Victor Hugo en exil, les rodomontades des badernes de 14-18, la Grandeur de la Vrounze gaullienne alors que le pays était vaincu et soumis au catho tradi Pétain (ex ambassadeur auprès de Franco), le Changer la vie socialiste que le machiavélien Mitterrand laissa faire jusqu’au bord de la faillite avant de mettre le marché en main des démagogues : ou vous changez et quittez la communauté européenne, ou vous faites des compromis.

Compromis : nous y sommes. L’Assemblé nationale ne dispose plus de majorité absolue et le pays est enfin parlementaire comme les autres, plus que présidentiel à l’américaine. Les enflures vont se retrouver baudruches et leur ridicule absolutiste, une fois crevé, les déconsidérera. Le « nous ne lâcherons rien » des bornés fera d’eux des lâches, inaptes à gouverner bien qu’aspirant avec fascination à la proportionnelle. Le compromis allemand, les accords scandinaves, les négociations italiennes vont devenir notre lot, au détriment de la gestion techno. C’est sans doute un progrès, si les Français savent s’y adapter.

Rien n’est moins sûr selon Montaigne, qui se réfère aux Antiques pour brocarder les vanités de son pays. « On eût fait donner le fouet en Sparte, de faire profession d’un art pipeur et mensonger ». Or la politique est en France particulièrement cet art pipeur et mensonger. Emmanuel Macron, peu politique et plus technocrate, a changé la donne cinq ans, mais elle revient en force avec des histrions comme Mélenchon, Le Pen ou Zemmour, qui séduisent les foules – lesquelles adorent la flatterie et se faire courtiser. « Ariston définit sagement la rhétorique : science à persuader le peuple ; Socrate, Platon : art de tromper et de flatter. » Nous n’avons pas fini d’être Trumpé en fausses vérités et mensonges staliniens qui deviennent vérités par la force. Ainsi d’une supposée « victoire de la gauche » en cette nouvelle Assemblée : il suffit de regarder la répartition dans l’hémicycle pour voir que « la gauche » (même rebaptisée Nupes) est en nette minorité. Le Mélenchon « pipeur et mensonger » a fait « de choses petites les faire paraître trouver grandes ». Une enflure qui vise à tromper le peuple ignorant et versatile pour masquer sa défaite imposer sa loi au rebours du vote (« la République, c’est moi ! »).

« C’est un outil inventé pour manier et agiter une tourbe et une commune déréglée, et est un outil qui ne s’emploie qu’aux états malades », observe Montaigne. Là où « les choses ont été en perpétuelle tempête, là ont afflué les orateurs ». Car il est plus facile de suivre et « d’être d’accord » (cette scie des commentaires sur les réseaux sociaux) que de penser par soi-même et de réfléchir à tête reposée. Notre philosophe du milieu juste vilipende « la bêtise et facilité qui se trouve en la commune, et qui la rend sujette à être maniée et contournée par les oreilles au doux son de cette harmonie, sans venir à peser et à connaître la vérité des choses par la force de la raison ».

Il ajoute : il « est plus aisé de le garantir par bonne institution ». Or la Ve République voulue par De Gaulle, malgré les dégradations apportées par les apprentis sorciers Jospin-Chirac, donne à l’Exécutif les moyens de gouverner, même avec un Parlement rétif. Tout le réglementaire (art. 37) est prévu pour, tout comme l’art. 40 pour freiner les initiatives dépensières des députés ou l’art. 47 pour assurer un Budget malgré le blocage du Parlement (contrairement aux États-Unis).

Michel de Montaigne, Les Essais (mis en français moderne par Claude Pinganaud), Arléa 2002, 806 pages, €23.50

Michel de Montaigne, Les Essais (mis en français moderne par Bernard Combeau et al.) avec préface de Michel Onfray, Bouquins 2019, 1184 pages, €32.00

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Radicalisation politique

L’intolérance croit, la « vérité » de quelques-uns s’impose par la force, les mensonges font recette s’ils sont accompagnés de violence. Le droit devient celui du plus fort, du plus gueulard, du plus brutal. C’est ainsi que l’on peut analyser nos sociétés depuis moins d’une décennie, encore « démocratiques » mais pour combien de temps ? Non que « la crise » soit pire, ce concept de « crise » n’est que prétexte récurrent pour dire l’ennui qu’on a de s’adapter au changement perpétuel du monde. Mais les gens sont de plus en plus impatients, bornés et égoïstes, comme des gamins de 2 ans qui font leur « crise » et trépignent de frustration quand tout ne marche pas comme ils veulent.

La radicalisation politique n’est que la conséquence dans la cité de ce travers psychologique. « Yaka », « faucon », disait-on autrefois pour se moquer des propos de café du commerce. Aujourd’hui, on ne peut plus, le yaka est devenu politique par les voix des tribuns. L’un au nom de « l’urgence » sociale se prend pour Robespierre (ce délicat démocrate…) et déclare en direct « la République, c’est moi ! » ; l’autre au nom de « l’urgence » démographique veut déporter tous les arabes et africains posés en France par le hasard ou les passeurs ; l’autre encore, toujours au nom de « l’urgence » mais cette fois écologique et climatique, veut imposer par la force restrictions et interdits. Le débat ? Connais-pas. Le droit ? On l’impose. La constitution ? On la change par plébiscite populiste. Les traités signés ? On s’asseoit dessus.

Ce qui est intéressant est que cet épisode politique s’est déjà produit dans l’histoire.

En témoigne l’historienne romaine Claudia Moatti dans une note de la Vie des idées du 24 juin dernier, Réflexions sur la fin de la république romaine. Au IIe siècle avant, le refus des réformes par le sénat romain a entraîné la radicalisation des revendications de la plèbe puis une montée de la violence jusqu’à la guerre civile… appelant très vite les dictateurs, puis l’empire.

Il s’agissait à l’époque moins de défendre les « zacquis » des nantis que de déconsidérer l’Autre comme sujet de droit et citoyen, au nom de la Res publica indivisible, rendue essentielle. En posant ce nouveau dieu, la fin justifie les moyens. C’est ce que font aujourd’hui Poutine en posant la société traditionnelle russo-soviétique, Erdogan la société musulmane impériale turque, Trump le petit Blanc chrétien pionnier, Xi Jinping la Chine impérieuse forte de son milliard et demi d’habitants – ou nos politicards leur petite soupe cuite à petit feu dans leur petit coin (blanchitude, national socialisme à la cubaine, écologisme de punition).

De la Vérité d’un seul considérée comme absolue découlent l’intolérance et les mensonges.

Peu importe le chemin, le but est d’arriver. Mentir n’est qu’enjoliver la vérité, faire croire n’est qu’un moyen habile pour convaincre de suivre, chauffer la salle, la foule ou les médias une façon d’emporter par la force les choses. Ainsi Trump lorsqu’il refusait d’être battu par les urnes ; ainsi Mélenchon qui a fait croire que « la gauche a gagné » à la nouvelle Assemblée alors qu’elle est nettement minoritaire en sièges, même regroupée frileusement en Nupes sous l’égide d’un seul dictateur. Mais lorsque les choses résistent, ou que le peuple reste sceptique, quoi de mieux que la violence ? Elle sidère, elle effraie, elle précipite dans les bras du sauveur. Ainsi de Robespierre et de sa Terreur ; ainsi de Xi et de sa répression ; ainsi de Poutine qui n’hésite pas à faire empoisonner ses opposants ou a les flanquer en camp comme un vulgaire nazi. Hitler a fait pareil sans vergogne et assassiné les SA de façon expéditive. Ah mais ! La vérité ne se discute pas, pas plus que le Chef ne se conteste. Avis à ceux qui voudraient résister ! Même se vouloir « neutre » est un crime dans la Russie de Poutine comme au temps de Hitler.

Notre France n’en est pas (encore) là mais elle y vient peut-être.

La radicalisation des positions des uns et des autres se fait sentir, bien que les Français aspirent manifestement à être gouvernés « raisonnable », sinon au centre. Ce pourquoi Macron a été élu et réélu. Les assauts des adversaires qui l’accusaient de « dictature » sanitaire et sociale ont chauffé les esprits, prêts désormais à ne tolérer aucun compromis au nom des « compromissions ». Quelle belle bande de démocrates que ces radicaux révolutionnaires ! Vont-ils mettre de l’eau dans leur alcool fort ? Même le vin ne leur convient plus, trop faible. Vont-ils participer aux débats à l’Assemblée et voter des lois constructives, après les avoir négociées ? Mais négocier signifie admettre que l’on n’a pas toujours raison sur tout et qu’il faut laisser certaines revendications parce que les autres n’en veulent pas.

Leur vérité n’est pas une juste cause si elle n’est pas partagée par au moins une majorité, donc amendée, nuancée, rétrogradée parfois. L’intransigeance n’est pas démocratique mais conduit au diktat – mot russe, d’ailleurs… Je ne vois pas Macron faire assassiner Mélenchon ou Le Pen, mais l’inverse me paraît moins improbable – à terme. Sauf si le discours change et que les actes suivent – mais peut-on changer passé 60 ans ? S’opposer est normal, se créer en alternative d’un bloc en refusant tout compromis est anormal.

Ce serait alors la guerre totale, à l’intérieur comme, très vite, à l’extérieur. Sylla le Romain, comme Poutine le kaguébiste l’ont montré. Emprisonnement, réduction en esclavage, annexions territoriales, sont le lot des tyrannies. Sylla, Hitler, Poutine, demain Mélenchon ou Le Pen/Z – même combat. La société se polarise, la tolérance recule, l’envie de tout foutre en l’air croit avec le sentiment de no future et de n’être rien dans un pays en indifférence générale aux autres.

Seule la pratique démocratique, qui passe par le débat et le compromis, par le respect du droit et des procédures, par les contre-pouvoirs, peut permettre de dépasser cette « crise ». Les mois qui viennent diront s’il y a blocage, donc dissolution, et peut-être guerre civile, ou non. Mais rappelons que l’abstention a été la grande gagnante des Législatives et que la nouvelle Assemblée, même en apparence plus « proportionnelle », n’est pas le reflet réel du peuple réel.

Qui pourrait bien (se) manifester en réaction aux excès des uns comme des autres.

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Leonardo Padura, L’homme qui aimait les chiens

Les chiens sont des barzoïs, les lévriers poilus russes ; l’homme est Ramon Mercader, l’assassin de Trotski au Mexique le 20 août 1940 sur ordre de Staline. Ce roman historique qui vise un « équilibre entre réalité historique et fiction » (p.804) reconstitue les causes et les conséquences de l’acte, tentant de pénétrer la psychologie des personnages dans leur contexte d’époque et de lieu. Si Trotski fut sûr de lui-même et dominateur, impitoyable d’orgueil et d’intelligence, Staline apparaît comme la véritable ordure coupable du pire péché humain : l’envie. Paranoïaque et assoiffé de pouvoir, il régnait moins par son intelligence – très moyenne – que par la peur qu’il savait inspirer. Jaloux de Trotski dès l’origine, considéré comme trop rigide par Lénine, il n’a eu de cesse de comploter pour éliminer tous les opposants, manipulant les uns contre les autres, la foi pure des révolutionnaires enthousiastes pour servir ses desseins vils d’accaparer le Kremlin pour lui tout seul.

Ce pavé monstrueux n’est pas sans bavardage. Qui est allé à Cuba sait combien les gens s’y gargarisent de mots ronflants, imbibés de slogans déclamatoires autant que creux, vu l’état du pays après trois générations de castrisme. L’auteur succombe trop volontiers à cette logorrhée, surtout au début, lorsqu’il tâtonne encore à commencer son histoire. Un bon quart du roman aurait ainsi pu être évité. Mais la suite vaut le détour, tant pour réviser son histoire que pour pénétrer les dessous psychologiques qui la meut.

Leonardo Padura publie ce qu’écrit Daniel Fonseca Ledesma d’un manuscrit laissé pour lui par Ivan Cardenas Maturell sur un récit que lui fit oralement Jaime Lopez, en réalité Jaime Ramon Mercader del Rio Hernandez, arrêté sous le nom de Jacques Mornard au faux passeport répondant au nom de Franck Jacson. C’est dire combien l’écrivain cubain prend de pincettes pour parler d’une période sensible de la croyance communiste, Staline ayant imposé par la force son mensonge que Trotski était un traître vendu aux nazis – exactement ce que reprend Poutine pour parler des Ukrainiens. Staline était antisémite, arguant sur sa fin d’un « complot juif » à propos de ses médecins. Il a toujours jalousé l’intelligence, la culture et la vivacité des juifs communistes qui ont fait la révolution avec lui et a repris les vieux préjugés des tsars sur le juif apatride vendu à qui le paie. La capacité à prendre toutes les formes, qui est l’apanage du diable chez tous les chrétiens, est ici attribué aux agents du service secret stalinien… beau renversement du celui-qui-le-dit-y-est cher aux méthodes soviétiques !

Ramon est un jeune homme à l’enfance malheureuse, ballotté entre plusieurs pays par une mère fanatique communiste, fille de gros exploiteurs cubains et victime du machisme de son mari. De ses trois fils, Maria Caridad fera trois révolutionnaires durant la guerre espagnole – « les enfants de la haine » (p.609). Ramon est le second et elle a pour lui des sentiments incestueux car c’est un beau jeune homme. Ce qui ne l’empêche pas de l’éprouver en lui mettant le marché en main : est-il prêt pour une mission de la plus haute importance ? Ou préfère-t-il végéter dans des combats républicains voués à l’échec dans l’anarchie catalane ? Ramon, sous le regard impérieux de sa mère qui n’aurait pas pardonné autre chose, choisit la mission. Il aime les chiens, comme Trotski, mais elle tue sous ses yeux le bâtard qu’il avait adopté : le communisme exige le sacrifice de tous les instants.

Tous deux sont manipulés par un juif du NKVD, Nahum Eitingon, amant de Caridad, qui se fait appeler Kotov en Espagne et a pris d’autres noms par la suite. Entré par foi communiste mais aussi parce que la Tcheka donnait des bottes, il est vite devenu cynique, observant que le mot « tromper » était le seul levier de l’utopie pervertie. « Et quand bien même ce serait un mensonge, nous le transformerions en vérité. Et c’est cela qui compte : ce que les gens croient » p.242. Quand la nature des choses résiste, il faut décréter qu’elle est nulle et non avenue et que la volonté d’un seul, mandaté par l’Histoire, est la vérité. Tout le reste est mensonge et tous les moyens sont bons pour imposer cette vérité falsifiée. « Cette trouble utilisation des idéaux, la manipulation et la dissimulation des vérités, le crime comme politique d’État, l’élaboration cynique d’un gigantesque mensonge » est-il résumé p.434. De Staline à Poutine en passant par Trump et Erdogan, Mélenchon ou Zemmour, c’est toujours la même chose : ce qu’ils disent n’est que mensonge, ce qu’ils veulent est le pouvoir, « le pouvoir de dégrader les gens, de les dominer, de faire qu’ils se traînent par terre et qu’ils aient peur, de les enculer parce que c’est ce qui fait bander ceux qui ont le pouvoir » p.609. Le type même de l’homme nouveau stalinien est André Marty, politicien communiste français brutal, inspecteur des Brigades internationales en Espagne, membre élevé du Komintern et lié au NKVD. Il est assaisonné ainsi par Padura : « un personnage vociférant, poilu et corpulent, avec une grosse tête, des yeux globuleux et des lèvres épaisses qui faisaient du bruit en se décollant quand il parlait » p.227.

Mais l’analyse va plus loin. « La première erreur du bolchevisme avait peut-être été l’élimination radicale des tendances politiques qui s’opposaient à lui : lorsque cette politique passa de l’extérieur de la société à l’intérieur du Parti, ce fut le commencement de la fin de l’utopie. Si on avait permis la liberté d’expression dans la société et au sein du Parti, la terreur n’aurait pas pu s’implanter. C’est pourquoi Staline avait entrepris l’épuration politique et intellectuelle, de façon que tout demeure sous le contrôle d’un État dévoré par le Parti, un Parti dévoré par son Secrétaire général » p.538. Tout est dit de la pente dangereuse. Notre époque devrait en prendre de la graine et c’est le mérite de ce roman de resituer l’ambiance générale de la croyance en l’utopie (comme aujourd’hui en islam, judaïsme ou christianisme fondamentaliste, en national socialisme zemmourien ou néosoviétique). « Le marxisme n’était-il qu’une simple ‘idéologie’ de plus, une sorte de fausse conscience qui menait les classes opprimées et leurs partis à croire qu’ils se battaient pour leurs propre objectifs, quand en réalité ils servaient les intérêts d’une nouvelle classe dirigeante ? » p.546. La réponse est « oui » – la « science » de l’Histoire n’est pas exacte mais une simple interprétation.

En « essayant de se glisser dans la peau d’un autre » (p.563), l’auteur raconte le destin croisé de Trotski en exil et de Mercader en mission, jusqu’au coup de piolet final dans le cerveau – le piolet étant « la fusion mortifère de la faucille et du marteau » (p.590). Avant le prison, le retour en URSS, l’exil à Cuba – où Mercader meurt à 65 ans d’un cancer bizarre, probablement dû à un empoisonnement au thallium… par les sbires du KGB. « C’était un soldat, il a obéi à des ordres. Il a fait ce qu’on lui avait ordonné de faire par obéissance, par conviction » p.792. Telle est l’éternelle excuse des criminels de guerre, qu’ils soient nazis avant-hier, serbes hier ou russes en Ukraine aujourd’hui : la soumission personnelle, la conscience robot, la paresse de penser par soi-même pour se réfugier dans l’obéissance servile qui évite la liberté, donc la responsabilité de ses propres actes.

Lisez ce livre, vous qui êtes curieux des engouements militants et du fanatisme des croyances. Vous y trouverez, dans un climat d’aventure vécue, l’analyse implacable des mécanismes psychologiques et sociaux qui transforment l’être humain en bête dressée et le jeune homme pur en criminel notoire condamné par l’histoire.

Merci à Youri de me l’avoir fait connaître.

Leonardo Padura, L’homme qui aimait les chiens (El hombre que amaba a los perros), 2009, Points Seuil 2021, 808 pages, €9,90

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Dominique Motte, De la démocratie en Suisse

La Suisse apparaît comme un pays de neige au chaud dans ses montagnes, patrie de la célèbre gamine Heidi, méfiant envers le reste du monde mais ouvert à la mondialisation par ses multinationales (Nestlé, Novartis, Roche, ABB, Adecco, Holcim, Schindler…). Mais c’est surtout un pays stable parce que démocratique depuis les accords entre cantons du XIIIe siècle, organisé par des institutions formelles en 1848 après la tempête Napoléon. Mais qu’est-ce donc que la démocratie suisse ? Est-elle plus démocratique que la nôtre, qui est notre orgueil depuis 1789 ?

Il semble que oui… Parce moins centralisée, moins gérée par des technocrates issus du même milieu et formés à la même école, plus ouverte aux revendications de la société civile via les « votations » qui sont des référendums populaires – une respiration taboue en France où « le pouvoir » veut tout contrôler. Fédéralisme, autonomie jusqu’aux communes, neutralité géopolitique, défense totale par les citoyens en milice, démocratie directe et proportionnelle, « concordance » (voir ce mot), Exécutif directorial, initiatives populaires, diversité culturelle et linguistiques (quatre langues officielles) – la Suisse est un modèle qui fonctionne.

La proposition des va Nupes pour un référendum d’initiative citoyenne, RIC (ou populaire, RIP), piquée aux Gilets jaunes qui avaient été inspirés par le Rassemblement national (une belle proportionnelle!). En revanche le référendum d’initiative partagée, introduit dans la Constitution française) est inepte pour un Suisse car la volonté du peuple ne se partage pas et ledit peuple y est cantonné sous tutelle des élus.

Au contraire, il y a deux référendums dans le pays : l’obligatoire et le facultatif – il fallait y penser. « Diviser chacune des difficultés (…) en autant de parcelles qu’il se pourrait et qu’il serait requis pour mieux les résoudre », énonçait Descartes dans son fameux Discours de la méthode (règle numéro deux). Le référendum obligatoire touche aux institutions et chaque citoyen est donc amené à donner son avis (ou à s’abstenir : le « vote obligatoire » n’est pas obligatoire pour le citoyen).

Le référendum facultatif vient du peuple, si la proposition des citoyens recueille 50 000 signatures dans les cent jours. Ce référendum ou « votation » (qui est l’acte de voter) peut avoir lieu à tous les niveaux : commune, canton, fédération. Et 50,01 % des votants suffisent à adopter la proposition dans le cas du facultatif, mais la majorité du peuple plus celle des cantons dans le cas de l’obligatoire.

Les élus sont ainsi « surveillés » et contrés si leurs décisions vont au rebours des désirs de la majorité populaire. Mélenchon n’aimerait pas une telle procédure, lui qui, tel Robespierre, sait mieux que les citoyens ce qui est bon pour eux, y compris « l’élire premier ministre » au mépris de toutes les procédures et institutions établies. Il l’utiliserait sans aucun doute pour « révoquer » les élus qui ne lui conviennent pas, après une habile campagne de dénigrement sur les réseaux sociaux comme ses sbires savent si bien le faire. Vite utilisé comme instrument du plébiscite à la Mussolini-Hitler-Mao-Castro-Chavez en France, sur le modèle idéalisé de Robespierre qui faisait voter à sa botte (qu’il avait soignée), le référendum obligatoire à la suisse n’est malheureusement pas pour demain.

Mais le facultatif pourrait être mis en œuvre… à conditions que les politiques osent faire appliquer son résultat – ce qui n’est pas gagné après celui de Notre-Dame des Landes, encore une velléité Hollande.

L’auteur, métis de Français et de Suisse fort sympathique, a passé 25 ans dans le golf avant de racheter l’IFOP avec Bossard consultants en 1988 puis « un laboratoire de cosmétiques » sans autre précision en 1995.

Dans cet énorme pavé de 816 pages classé par ordre alphabétique (un classement par thèmes eut été plus pratique), rédigé avec l’aide d’étudiants de Suisse romande, pas moins de 361 entrées allant d’Abraham (accords) à Watteville (entretiens de concordance). Il y a même le mythique Grütli p.336, fondamental pour l’histoire du pays. Vous aurez pour 40 € ou 43 francs suisses un bon poids de 1,285 kg de démocratie fraîche. A vous de la cuisiner selon votre goût et selon vos menus. Un questionnaire « d’indice démocratique » est même placé à la fin pour vous aider en termes nutritionnels pour un régime équilibré de démocratie.

Allez, « vous ne vivez pas en démocratie… et vous ne le savez pas – parce que vous ne connaissez pas le modèle suisse ! » (Tel est le sous-titre).

Dominique Motte, De la démocratie en Suisse, 2021, La route de la soie éditions, 816 pages, €40,00 (semble-t-il pas disponible sur le site Amazon ni sur celui de la Fnac)

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

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Mystères d’une élection

Emmanuel Macron est réélu, mais pas sans mystères. Non pas sur le scrutin, la victoire ne fait aucun doute et aucune fraude n’est avérée, pas même russe comme il y a cinq ans. Mais des questions sur les attitudes des uns et des autres : celle de Vladimir Poutine, sibylline ; celle des votants d’Outremer, antinomique avec ce qu’ils sont ; celle sur la nouvelle façon de gouverner encore plus « écologique ».

Poutine

« Je vous souhaite sincèrement du succès dans votre action publique, ainsi qu’une bonne santé », tel était le message du président russe au président français. Simple formule de politesse liée au protocole ? à la Pâques orthodoxe que l’ethno-nationaliste converti à la tradition (après son éducation athée au KGB) remet au goût du jour ? Menace implicite de thallium ou de polonium si la France – rare puissance nucléaire de l’OTAN – s’ingère un peu plus dans les affaires « intérieures » de l’agression d’un pays extérieur comme l’Ukraine ? « Empêcher » le président détenteur des codes nucléaires pourrait être un acte stratégique en cas de menace de conflit nucléaire tel que Lavrov, le ministre des Affaires étrangères russe, a encore récemment menacé. Ou Poutine, obsédé par lui-même, parle-t-il de sa propre santé, peut-être pas si « bonne » que cela ? Mystère.

Votants d’Outremer

Je suis sidéré que les citoyens d’Outremer aient choisi massivement Marine Le Pen (et son programme national étatiste) plutôt que le libéral Emmanuel Macron au second tour. 69,60% des suffrages en Guadeloupe, 60,87% en Martinique, 60,70% en Guyane, 55,42% à Saint-Martin Saint-Barthélemy, 59,57% à la Réunion, 59,1% à Mayotte : comment des « basanés » et autres « métis » (selon la nomenclature en usage à l’extrême-droite) peuvent-ils donner leurs voix à la représentante blonde de la blanchitude mâle autoritaire, soucieuse de pureté ethnique et de répression des allogènes ? Est-ce naïveté de « citoyen » assuré d’être Français ? Mais l’histoire nous apprend que la citoyenneté peut être remise en cause : celle des Juifs sous Pétain, le décret Crémieux abrogé par exemple ; la promesse Le Pen d’expulser tous les binationaux convaincus de délinquance ou de chômage de plus d’un an. La philosophie même de son programme : « Supprimer le droit du sol et limiter l’accès à la nationalité à la seule naturalisation sur des critères de mérite et d’assimilation. » Sans parler de ce qu’elle ferait, une fois au pouvoir… Le programme social de Le Pen est surtout un programme de souveraineté réaffirmée de type colonial sur l’Outremer avec priorité aux frontières, à l’immigration, à la défense maritime. Il y a de l’ignorance historique et politique, du ressentiment à courte vue et, disons-le, une certaine « bêtise » à choisir le pire pour soi (« l’esclave » qui vote pour « le maître »…) au prétexte que l’on « déteste » la soi-disant « dictature » libérale (oxymore) et sanitaire (combien de morts aux Antilles par refus de se faire vacciner) d’Emmanuel Macron ? Même si l’Outremer a plutôt voté Mélenchon au premier tour, ce qui était cohérent, voter fasciste au second tour est un mystère.

Nouvelle façon de gouverner

Le président l’a dit, il ne gouvernera plus comme ces cinq dernières années mais avec « une méthode refondée ». Quelle pourrait être cette fameuse méthode, sachant que nul ne change véritablement, même s’il sait s’adapter ? Ce pourrait être le choix de l’orientation politique : l’écologie unit la droite et la gauche, les jeunes et les actifs, dans une synthèse « et de droite et de gauche », dépassement qui reste la marque de fabrique Macron. Elle permettrait la réindustrialisation d’en haut (les centrales nucléaires, la transition automobile, etc.) comme les mesures sociales d’en bas (la rénovation énergétique des logements créatrice d’emplois de proximité dans les territoires « oubliés » et de demande de formation professionnelle pour les jeunes exclus du système méritocratique scolaire, une agriculture plus bio et moins énergivore). Ce pourquoi il pourrait surprendre, le nouveau président : nommer une femme Premier ministre plutôt qu’un homme, peut-être une femme de gauche (ce pourquoi Ségolène Royal frétille et dit qu’elle ne dirait pas non). Mais attendons les Législatives, le successeur de Castex ne sera que de transition : en régime parlementaire comme le nôtre (il le reste, malgré la présidentialisation accentuée par la réforme mal pensée Chirin-Jospac), le Premier ministre n’est pas seulement issu de la volonté présidentielle, il doit aussi représenter une majorité à l’Assemblée nationale. Mystère donc.

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Victoire  de la modernité sur le repli

C’est donc Emmanuel Jean-Michel Frédéric Macron dit Manu, né en 1977, qui l’emporte face à Marion Anne Perrine Le Pen dite Marine, née en 1968 – qui n’aime pas son année de naissance. Mais le président sortant ne l’emporte plus qu’avec 58,55% des voix contre 66.1% en 2017 contre la même, avec 28% contre 25.4% d’abstention. Avec parfois des bulletins nuls originaux…

J’ai regardé le débat du second tour entre les deux candidats le mercredi 20 avril. Un débat sans grand intérêt, un stage de rattrapage pour qui n’a lu aucun des deux programmes. Je juge plus sur la personnalité et la direction générale que sur le détail précis des « mesures » promises et pas toujours financées ni constitutionnellement possibles. Le président sortant a dominé le débat sans conteste, plus précis, plus pédagogique, plus sensé que sa rivale. Comme d’habitude, elle est trop légère, floue sur le financement, persuadée que « le peuple est souverain » donc que « tout est possible », sans réfléchir au fait que nous sommes dans un Etat de droit et qu’il y a des procédures à respecter, sans parler du Préambule de la Constitution. Rappeler les vérités, qui ne sont jamais bonnes à dire à ceux qui rêvent, fait taxer « d’arrogance ». Le populo envieux de l’intelligence et de la réussite scolaire, qu’il n’a pas été capable de suivre, préfère volontiers l’amoureuse des chats. C’est oublier que les chats, comme les enfants, sont mignons mais aussi cruels et sans morale ; ils sont routiniers et conservateurs, haïssant tout étranger survenant dans la maison. On voit bien que la candidate Le Pen se moque du droit et des procédures, qu’elle a fait sa chattemite pour mieux sortir les griffes une fois au pouvoir. Son but affiché pour qui sait lire entre les lignes est d’orbaniser la vie politique et les institutions, comme son congénère l’a fait en Hongrie.

Pour cela, violer le Parlement, tester l’Europe, plébisciter le principal par référendum en démocratie directe à la Mussolini – son idéologie le réclame. Elle a été moins agressive et moins nulle mais pas moins insuffisante. Même si Macron a été parfois condescendant, il est manifestement plus intelligent et surtout travaille plus ses dossiers que l’ancienne fêtarde qui n’a exercé que deux années comme avocate. Le talent, la vitesse de la pensée, la capacité de mémoire et de synthèse, n’est-ce pas ce qu’on demande à un président ? Naviguer à vue sous prétexte que « je veux » (en feignant que le Peuple veuille), n’est pas réaliste, même si c’est démagogique.

Le président sortant, réélu pour son second mandat, a un bilan plutôt bon par rapport à ses prédécesseurs. Sauf sur la dette à 112,9 % du PIB fin 2021, mais Covid oblige ; aurait-il fallu laisser se débrouiller toutes les entreprises et tous les salariés sans rien faire, comme dans les années 30 ? Les fascistes le rêvaient, puisque cela a permis alors de porter des autoritaires étatistes au pouvoir, Mussolini, Hitler, Horthy, Franco, Salazar. Mais nous sommes en démocratie libérale, pas en régime parlementaire à l’ancienne.

Emmanuel Macron a assuré + 6,0 % de pouvoir d’achat et de fortes créations d’emplois malgré une croissance deux fois plus faible que celle du quinquennat Chirac – pourtant si « populaire » ! Pour le présent, pas analysé par Le Pen, l’Europe et la France sont confrontés à trois chocs : un choc de confiance lié à l’incertitude géopolitique et énergétique croissante, un choc de demande par la hausse des prix sur le pouvoir d’achat des ménages et les coûts des entreprises, un choc d’offre lié au bouleversement des chaînes de valeurs du à la pandémie comme à la guerre et aux sanctions, conduisant à des interruptions de production et à une inflation par rareté. Le baril de pétrole s’envole et l’euro baisse – à cause de l’agressivité russe d’origine soviétique ; les transports et les billets d’avion vont prendre encore 10 à 20 % dans les mois qui viennent ; même le train devrait augmenter au-delà du plafonnement du prix de l’électricité jusqu’à l’été. Ce n’est pas « l’immigration » ni « la sécurité » qui résoudront ces problèmes comme par magie.

Le combat électoral a affronté deux France, celle des petits – volontiers frileuse, nationaliste, égoïste, pleine de ressentiment, adepte des yakas expéditifs et de la théorie du Complot – et celle des éduqués qui veulent poursuivre le progrès, adhèrent à la modernité du monde, ouverte et moins pessimiste, croient aux réformes progressives et à la négociation avec les autres. En gros la Contre-Révolution ou la Révolution, Joseph de Maistre ou Nicolas de Condorcet, le corps politique primant l’individu ou les droits de l’Homme, les anti-Lumières (comme en Russie) ou les Lumières. On sait, dans l’histoire, comment les élections d’un jour permettent parfois d’éviter les élections futures en bâillonnant la presse, muselant l’opposition, emprisonnant les dissidents, faisant disparaitre les rivaux trop populaires. Hitler élu une fois, resté au pouvoir jusqu’à sa mort ; Poutine pareil ; Orban le suit ; Marine le veut. Heureusement, pour les cinq prochaines années, le peuple de France ne l’a pas voulu. Un répit bienvenu avant les grandes tragédies, peut-être…

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Antilibéralisme français

Le libéralisme, au sens premier (politique), est le règne du droit, la liberté dans les règles du jeu : liberté de conscience, liberté d’expression, libertés politiques. Ces libertés sont voulues comme individuelles, opposées aux communautés, ordres et corporations. De cette conception philosophique découle une attitude, le respect à l’égard d’autrui et une règle pratique, la tolérance envers les opinions. Politiquement, elle se traduit par une charte des droits et devoirs, par la règle de droit et par la participation du plus grand nombre au gouvernement du pays. L’économie, n’est qu’une annexe, tardivement autonome, surtout un outil de la puissance d’une société et de son Etat. Nous ne parlerons que du libéralisme politique.

La France, en ses profondeurs, n’est pas politiquement libérale, pourquoi ? Une comparaison avec le voisin immédiat qui a cofondé avec nous le parlementarisme est éclairante. La sortie de la féodalité, la montée de l’individualisme moderne et la conception de l’Etat diffèrent radicalement.

La féodalité est un mode d’organisation politique et social englobant qui fait de la Force le Droit. Les relations sont hiérarchiques et entraînent le ralliement de clans au féal. Très efficace en période de guerre civile de tous contre tous, ce regroupement de bandes armées ne permettent pas l’établissement de relations « modernes » de confiance, de règles et d’échanges qui, seules, permettent l’essor de la science, du commerce et des régimes représentatifs. La modernité a été vécue différemment en France qu’ailleurs. Au Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande, la sortie de la féodalité s’est faite progressivement et en douceur depuis 1215. A cette date, le Roi se voit obligé de signer la Grande Charte qui limite son absolutisme et crée l’embryon d’un gouvernement représentatif. A l’inverse, la France attend le 17ème siècle pour mettre au pas les Grands, au prix d’un absolutisme royal devenu par étape absolu (Henri IV, Louis XIII avec Richelieu et son apogée Louis XIV).

L’individualisme moderne est né de la philosophie grecque, du droit romain et la transcendance chrétienne. Il a été poussé par l’essor des échanges assuré par une nouvelle classe de commerçants et d’artisans regroupés en villes. Il s’est trouvé favorisé pour raisons politiques par le pouvoir central avec l’octroi de franchises et « libertés ». Ce mouvement a eu lieu dès le 17ème siècle au Royaume-Uni où l’accès aux métiers artisanaux et aux industries s’est très vite ouvert, les corporations ne survivant que peu à la dissolution de la féodalité. Rien de tel en France, où il a fallu attendre 1789 et sa fameuse Nuit du 4 août pour que corporations et privilèges soient abolis d’un trait, brutalement. Durant tout ce temps, la société française est restée figée en société d’ordres, tropisme qui court toujours dans les profondeurs sociales et qui renaît à chaque occasion, faute d’alternative.

L’Etat est devenu le sommet régulateur d’une hiérarchie de corps intermédiaires au Royaume-Uni. Il s’est au contraire trouvé le seul créateur du lien social dans une France radicalement révolutionnaire qui avait tout aboli (jusqu’aux syndicats, qui n’ont été recrées qu’en 1884). L’Etat absolu français ne voulait face à lui que des individus atomisés, aucun corps intermédiaire. C’est le sens de « la volonté générale » exprimée dans la rue d’abord et par le suffrage ensuite, l’Exécutif n’étant considéré que comme l’exécutant du Législatif, seul légitime, et l’Administration comme un rouage destiné seulement à « fonctionner ».

L’Etat français est politique, l’Etat anglais est juridique, voilà l’écart essentiel. La Révolution française a réalisé d’un coup l’étape libérale (établissement du droit) et démocratique (le suffrage), télescopant les deux et confondant dans un lyrisme gros de conséquences corps intermédiaires et « privilèges ». J’veux voir qu’une tête ! D’où les palinodies durant plus d’un siècle sur la fonction publique dont le statut n’a été établi qu’en 1941 par Vichy ! (repris et à peine modifié en 1946). Le Royaume-Uni a établi un statut de Civil Service dès 1855 et la Prusse dès 1873.

La trop longue rigidité historique française, la sortie antilibérale et anti-démocratique de la féodalité, la rupture brutale et radicale de 1789 ont laissé le citoyen-individualiste tout seul face à l’Etat Léviathan. Celui-ci a dû produire la nation, après en avoir détruit ses composantes. Dès 1790, les provinces historiques sont supprimées au profit de départements géométriques et abstraits, un système unique de poids et mesures est établi contre les coutumes, une langue uniforme est imposée sur tout le territoire par anéantissement des langues régionales méprisées en patois.

La centralisation administrative qui poursuit celle des rois se trouve désormais doublée d’une volonté d’être « instituteur du social » (Rosanvallon) par appropriation de tous les biens rares (télécoms dès le télégraphe Chappe de 1794 jusqu’aux nationalisations de 1982), par l’obsession scolaire à former des citoyens préparés à la vie collective (et pas des individus épanouis), par « l’instauration de l’imaginaire » avec institutions culturelles et fêtes d’Etat, par l’hygiénisme du 19ème, le Plan des années 1950, l’urbanisme des années 1960, le « travail social » des années 1970, le moralisme sanitaire et social des années 2010… L’Etat unanimiste de la « volonté générale » veut un citoyen toujours mobilisé (d’où le long attrait pour l’URSS), farouchement jaloux d’égalité, collectiviste par mépris des « intérêts » dits égoïstes des individus (et des entreprises). Pour Rousseau dans le Contrat social, il s’agit carrément de « changer la nature humaine » comme Lénine l’a entrepris, avant Mussolini, Hitler, Mao et les autres.

Avec l’essor de la prospérité, de l’éducation et de l’ouverture au monde, cette prétention étatique (efficace en période de reconstruction d’après-guerre) est devenue insupportable. Les individus se veulent « laïques » par rapport aux églises mais aussi par rapport à l’Etat, représenté par l’instituteur, l’adjudant, le policier, l’assistante sociale et le technocrate. 1968 a opéré cette rupture, aussi brutale que le fut 1789 (d’où l’ampleur des « événements » en France, comparée aux autres pays). Elle est irréversible, marquée par la révolte de 1984 contre le système unique d’éducation d’Etat, les privatisations d’après gauche, le lent mouvement des énarques vers le privé, tout comme par le vote systématique du « sortez les sortants » qui rythme la vie politique française. L’Etat français qui n’est pas un arbitre mais se veut acteur est aujourd’hui un frein. L’évolution de la société tout entière pousse à ce changement de rôle.

Il ne s’agit pas de « moins d’Etat » car la complexité des sociétés modernes et l’interdépendance des actes (du terrorisme à la pandémie en passant par la guerre en Ukraine et le réchauffement du climat) nécessite un Etat complexe, donc puissant. Mais il s’agit d’un « Etat autrement », qui arbitre et qui régule – pas qui se mêle de tout. Fini le paternalisme, surtout à l’ère de la construction européenne et de la globalisation. L’histoire comparée est éclairante.

Pourtant, nos gouvernants, trop monarchiques, trop isolés dans leur cour élyséenne, ne l’ont pas vraiment compris. L’infantilisme du premier confinement avec ses pages byzantines de questions à cocher (et à imprimer soi-même !) pour simplement sortir pisser autour de chez soi, les « interdictions » formelles, surveillées et punies par des bataillons de gendarmes (y compris en hélicoptère en montagne !) d’errer seul dans la nature sans contaminer personne, sont encore l’indice que l’Etat-peut-tout et que le citoyen en est réduit à obéir – et à voter (heureusement encore à peu près librement) qu’une fois tous les cinq ans.

Mais, au premier tour, pas moins de sept candidats sont illibéraux, partisans d’une société autoritaire où il faut faire plier l’individu et dompter l’entreprise !

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La France au premier tour

Le premier tour d’une élection présidentielle en France est la seule élection à la proportionnelle intégrale. Elle est hors partis, bien que ceux-ci puissent y participer en désignant un candidat, mais des électrons libres peuvent se présenter, tel Macron en 2017 ou Lassalle aujourd’hui après le pas de deux Taubira. Le résultat 2022 montre que la France est un pays « normal », comme ses voisins. Sa seule exception est que le régime y est semi présidentiel et non pas intégralement parlementaire et que la réforme du quinquennat avec législatives dans la foulée empêche tout compromis du genre Programme commun (pour éviter la cohabitation), contrairement aux alliances responsables des pays germaniques.

Cette normalité prouve qu’il y a un centre libéral, laïc et européen, aujourd’hui leader derrière Emmanuel Macron, flanqué d’une droite conservatrice populaire et identitaire et d’une gauche radicale anti-tout qui captent les mouvements sociaux (gilets jaunes pour la droite Le Pen, mouvement contre la réforme des retraites pour la gauche Mélenchon). Plus un quart des votants potentiels qui se sont abstenus ou ont voté blanc ou nul. Le centre, la droite, la gauche et l’abstention forment chacun environ un quart des Français. Rien que de plus normal dans une démocratie : ceux qui ont la charge de gouverner sont plus modérés par la force des choses que ceux qui refusent carrément le système ou s’en moquent, et que ceux qui, dans l’opposition, goûtent aux délices de la démagogie.

Droite et gauche sont radicales aujourd’hui avec Le Pen et Mélenchon ? C’est que les partis de chaque tendance qui ont gouverné se sont effondrés dans la réalité (le désastre du quinquennat Hollande et la déroute affairiste de la candidature Fillon), et qu’ils n’ont guère que des idées éculées à proposer comme « désir d’avenir » (la pâle synthèse Pécresse entre Zemmour et Macron, le programme très scolaire d’Hidalgo, voire le « retour à » l’industrie, le nucléaire, la chasse et la viande Roussel). D’où ces « nouvelles » droites et gauche qui se créent dans des mouvances hors partis, effet d’une nouvelle génération de quadras qui ont vécu les attentats islamistes, les crises financières, l’échec des printemps arabes, les gilets jaunes, la pandémie et désormais la guerre au cœur même de l’Europe. Le « nouveau centre » d’Emmanuel Macron, en marche vers l’adaptation des Français aux changements du monde, rallie les adultes responsables éduqués ; les autres, évidemment, préfèrent la radicalité infantile du « tout, tout de suite » et du « yaka ». C’est l’effet de l’infantilisation sociale française depuis la maternelle jusque fort tard dans la vie. L’inepte « attestation » pour sortir pisser hors de chez soi durant le premier confinement l’atteste.

Hors abstention, les électeurs qui s’expriment se répartissent en trois blocs de même force, un peu plus de 30 % chacun : Macron et environ la moitié Pécresse pour le centre de gouvernement ; Le Pen, Zemmour, Dupont-Aignan et la part Ciotti pour la droite ; Mélenchon, Roussel, Hidalgo et les deux résidus trotskistes pour la gauche. Les reports de voix devraient faire gagner Emmanuel Macron, mais tout dépendra de la campagne d’ici le second tour et de l’intensité du rejet des votants pour celui oucelle qu’il ne veulent absolument pas voir accéder au pouvoir. Un peu plus de proximité et de social pour le président sortant pourrait l’avantager, de même qu’une menace russe avancée ; un attentat islamiste ou un événement obérant gravement le pouvoir d’achat avantagerait en revanche Marine Le Pen.

Ce qui est surprenant dans ce premier tour est moins le score minable d’Hidalgo (qu’allait-elle faire dans cette galère, la mairie de Paris ne lui suffisait-elle pas ?), voire de Pécresse (on savait bien LR gangrené par l’exaspération démographique sécuritaire), que celui de Jadot l’écolo. Je ne crois pas que la radicale chic féministe Rousseau aurait fait mieux, au contraire, si elle l’avait emportée aux vertes primaires. Les spécialistes parlent de « vote utile » pour ce collapsus du projet écologique, pourtant qualifié sans cesse « d’urgent » et « d’avenir ». Mais les jeunes, les plus en avance dans l’idéologie, n’ont voté qu’à 40 % et le parti Mélenchon a repris des thèmes écolos. Ce qui montre que les électeurs ne font pas confiance à un parti purement dédié à l’écologie en France. Il reste trop marqué par le gauchisme post-68, l’intellectualisme urbain et la secte des egos. L’écologie est un concept trop important pour être laissé aux écologistes autoproclamés et tous les partis doivent le prendre en compte. L’électeur, qui n’est pas si niais que les spécialistes semblent le croire du haut de leurs études, le prouve par son bulletin dans l’urne.

Quant à Zemmour, l’expression d’une bourgeoisie pétainiste, conservatrice et ancrée dans la religion (sans forcément croire), il a fait pschitt ! – comme disait si bien Chirac. Amuseur intello, fomenteur d’infox, collabo notoire des fascistes d’hier et d’aujourd’hui, grand admirateur affirmé du despote asiatique Poutine, il ferait un bien piètre président pour une France qui a une histoire, une tradition internationale et un rôle d’exemple dans le monde. Le vieux Le Pen, dont l’humour ravageur n’a pas été altéré par ses presque 94 ans, déclarait que « Zemmour n’a pas le physique d’un président ». Un second degré délicieux lorsqu’on connait les origines du candidat et les convictions profondes du commentateur. Bien sûr, ceux qui « y croyaient » crient au complot et à la manipulation, surtout les jeunes, volontiers fascistes lorsqu’ils sont à droite, mais ce ne sont que vains mensonges. Il y a longtemps que le « bourrage des urnes » propre au parti communiste stalinien et en vogue dans les années 1950 et 60 est désormais étroitement surveillé. Il suffit d’avoir participé hier à un dépouillement avec lampes électriques en cas de « coupure » opportune d’électricité au moment de renverser les urnes pour le comptage, puis d’avoir vécu un dépouillement récent, pour le savoir. Marine Le Pen n’a rien perdu de son national socialisme mais l’irruption du trublion sectaire l’a automatiquement recentrée, la faisant paraître moins pétainiste, le socialisme passant devant national dans son discours – mais sans l’abandonner dans le programme pour autant !

Reste l’inconnue des Législatives après le second tour car élire un président ne suffit pas, il faut encore meubler une Assemblée. Là, les partis traditionnels, laminés par le scrutin présidentiel, sont implantés, ont des réseaux d’élus et de militants, tiennent des villes et des régions. Le ou la nouvel(le) hôte de l’Elysée devra en tenir compte car aucun des deux n’a d’implantation locale directe. Le PS, les LR, le PC, EELV existent ; gouverner se fera avec eux. A moins qu’ils ne réussissent à intégrer les parties neufs et à les assagir sous les responsabilités. Mais qui sera le mieux à même de négocier d’Emmanuel Macron et de Marine Le Pen avec les groupes isus de la nouvelle Assemblée ?

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A une semaine des présidentielles

Qui s’y intéresse encore ? pas grand monde. Non qu’il n’y ait pas d’enjeux, mais les personnages sont peu attirants. À gauche, l’écologiste est insignifiant, la socialiste anecdotique, le communiste égaré dans les années 1950 ; seul le grand méchant… Mélenchon attire le vote utile. À droite, les citoyens sont attirés par les extrêmes, la fachote Le Pen fan de Poutine étant portée à la modération par les excès du trublion Zemmour, qui laisse hurler ses partisans à l’assassinat. Les Républicains sont pris en sandwich entre les vociférations exaspérées des conservateurs de plus en plus ultra et le bon sens centriste du président sortant. Je ne sais quel seront les deux au second tour, mais il est probable que l’on reverra en scène comme en 2017 Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Mélenchon est trop coléreux pour rallier à lui d’autres gens que son camp. Nous saurons dans une semaine.

Les lycéens que j’observe non loin de chez moi à Paris donnent une indication sur l’état d’esprit de la jeunesse éduquée selon l’épidermique, l’émotionnel et le superficiel des réseaux sociaux. Sur les affiches électorales posées sur les douze panneaux, la première à avoir été lacérée a été celle du collabo Zemmour. A suivi dès le lendemain celle de Marine Le Pen avec même une inscription injurieuse traditionnelle des réseaux, tandis que Mélenchon a été le troisième à avoir été dégradé. Ont suivi Dupont-Aignan et Macron, puis Lasalle. Le premier parce qu’il n’a pas grand-chose d’original à dire, le second parce qu’il est en place et suscite évidemment la jalousie comme l’effet de bouc émissaire pour tout ce qui ne va pas, le troisième parce qu’il apparaît comme un régionaliste archaïque, pour la chasse et contre les ours. Il est vrai que le slogan Macron « avec vous » évoque plus le marketing d’une lessive que l’humanité d’un candidat. Le slogan Poutou, adepte d’une idéologie d’il y a un siècle, secte alors déviante du stalinisme, est nettement plus parlant auprès de la jeunesse. Son « nos vies valent plus que leurs profits » est plus efficace que « le camp des travailleurs » d’Arthaud, qui laisse indifférent voire hostile (rejetant tous les fout-riens tels les jeunes, les chômeurs, les retraités, en plus de l’extrême minorité des « rentiers » visés), tout comme le « faire face » de Jadot.

Que dira « le peuple » ? Le peuple est une fiction qui réunit des intérêts largement divergents, les principaux étant liés au niveau de vie et aux perspectives d’avenir. Tous les extrêmes sont ainsi populistes parce qu’ils flattent la majorité du peuple selon son désir de plus d’argent et d’élévation sociale. Les programmes des candidats, aussi bien à l’extrême-droite qu’à l’extrême-gauche, favorisent massivement la dépense publique tout en négligeant la dette et les impôts. Ce ne sera pas tenable dans le temps, signe qu’ils sentent bien qu’ils ne pourront pas gagner la présidentielle. À moins que le candidat retenu au second tour, s’il en est, ne mette de l’eau dans son vin sur ce sujet. Ou que, ce qui est plus probable, les promesses extravagantes ne soient jamais tenues – comme d’habitude.

L’agression du tsar Poutine sur un pays « frère » en voie de démocratisation qu’est l’Ukraine a eu probablement une influence sur le sentiment des électeurs envers les extrémistes. Poutine est l’exemple même du dirigeant devenu progressivement autocrate faute de contre-pouvoir, à la manière de Castro à Cuba ou de Chavez au Venezuela, sans parler d’Erdogan en Turquie et de Xi en Chine. Confier les clés du pouvoir à une personnalité portée à l’autoritarisme risque toujours de dégénérer : le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument ! En ce sens, Zemmour et Mélenchon sont les plus mal partis. La blonde, en revanche, a des chances de figurer au second tour parce que femme et par ce que « blonde » (avec tout ce que ce vocable connote). Mais cela n’enlève rien aux côtés mussoliniens de son programme où le socialisme tend à l’emporter sur le national pour le moment. C’était l’inverse il y a quelques mois encore, contre les étrangers, l’immigration, les diktats de Bruxelles et la souveraineté nécessaire. Aux extrêmes, le national ne reste jamais loin du socialisme.

Il reste au Rassemblement national une haine contre-révolutionnaire issue des royalistes, reprise sous Pétain et avivée par les déçus de la guerre d’Algérie contre le parlementarisme, la liberté libérale, les institutions démocratiques et la promotion de l’individu. Tout est orienté vers le collectif : la famille, l’église, le parti, l’État, la nation. Tout est bon pour y parvenir, les promesses comme le mensonge, la mise en scène comme la provocation. Les souverainistes ne croient pas aux traités internationaux et considèrent que chaque État n’a que des intérêts particuliers. Les nationalistes ne croient pas à l’individualisme et considèrent que chaque patrie doit imposer sa morale. En cela la religion y aide, comme à Moscou avec Kirill, et elle est chrétienne catholique en France. La religion musulmane est conçue comme un défi de civilisation qu’il faut combattre, bouc émissaire commode qui a pris aujourd’hui la place qu’avait le judaïsme avant Hitler. L’Etat peut tout, croit-on aux extrêmes, à condition que le chef donne les directives. Les syndicats sont réduits au corporatisme contre les intérêts marchands. Les médias sont contraints par les règles, les lois et une autre conception de la liberté d’expression, comme en Pologne et en Hongrie. L’école est favorisée comme lieu d’élevage des portées saines de petits nationaux, voués à une propagande patriote. C’est ce qui se fait en Russie, en Turquie et en Chine, c’est ce que Marine Le Pen, comme le Z, voudraient voir s’établir en France.

Le débat va probablement se produire entre deux conceptions du monde, le « retour à » et la « marche en avant », la réaction vers l’ordre moral et la liberté laissée à chacun avec la responsabilité nécessaire qui va avec – la contre-révolution et la révolution, pour faire simple. Quant au « peuple », Proudhon le disait déjà : « rien n’est moins démocratique, au fond, que le peuple. Ses idées le ramènent toujours à l’autorité d’un seul ».

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La liberté française ?

En-dehors du court terme de la guerre entre une démocratie et un pays totalitaire, où sont nos idéaux de liberté ?

Le choc des cultures a du bon car l’exemple des autres enrichit réciproquement les pays. À la condition évidemment que le pays qui vous choque ne tente pas de vous imposer sa façon de voir. A condition aussi d’assurer la diversité continue des cultures, ce qui signifie refuser le métissage généralisé de l’idéologie commerciale du divertissement qui ne veut affecter personne : pas de genre, pas de race, pas de religion, pas de sexe, pas de nu… La mixité fade ou tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, n’enrichit personne mais appauvrit tout le monde.

Le divertissement commercial, dans son excès, aboutit à la revendication communautaire des sous-cultures revendicatrices, radicalisées, donc figées dans une essence qui n’a rien d’historique mais tout d’une construction idéologique. L’islam se dit ainsi discriminé en France tandis que les Noirs se disent racialisés aux États-Unis. Les minorités, plus ou moins discriminée socialement, franchissent le pas d’énoncer une essence radicale de leur culture, au risque de voir leur discrimination latente se changer en discrimination affirmée, assumée, dans un rejet pur et simple. C’est ce que l’on a constaté aux États-Unis sous l’ère Trump et que propose en France le candidat « sauveur » d’Afrique du Nord, collabo de l’agresseur mongol.

La France n’est pas les États-Unis, n’en déplaise aux Yankees qui voudraient que tout le monde leur ressemble.

La France ne reconnaît que des individus, pas les communautés, même si les « associations » tendent à réduire l’écart citoyen entre les deux. Une association n’est pas l’opinion, mais seulement un courant militant. C’est aux citoyens de décider par le vote de leurs représentants ou par référendum de ce qu’ils veulent vraiment, pas à des minorités agissantes. La liberté d’expression est limitée par la loi en France, elle n’est pas absolue comme aux États-Unis, ce qui encourage certaines communautés a exiger ici des lois « mémorielles » pour criminaliser la négation de crimes historiques plus ou moins documentés. Il n’y a pas en France de religion officielle, contrairement aux États-Unis, mais une mentalité plutôt laïque depuis le XVIIIe siècle. La croyance est du domaine personnel et non pas du domaine collectif.

Ces écarts de ne pas être pareil empêchent d’imiter, d’être « d’accord » (cette scie des réseaux sociaux). La pulsion névrotique de l’internaute qui commente n’est rien de moins que la passion mimétique de René Girard qui évalue, se compare et jalouse, allant jusqu’au lynchage de foule des injures et de la Cancel sous-culture.

Cette incapacité à comprendre l’autre, à songer même qu’il puisse penser autrement que soi, exacerbe la radicalité. Le fascisme d’entre-deux-guerres revient, récupéré dès les années 50 par le stalinisme communiste, avant les sectes gauchistes des années 70 et l’intolérance grandissante depuis l’élection de Trump. « Tout est politique » était le slogan. Dans ce contexte, le militant est un croyant et fait de la morale, il n’est pas un citoyen qui dit le droit mais juge les autres et les réprime par la force ou par l’ostracisme. C’est tout le contraire du débat démocratique et aboutit, par force d’inertie, au totalitarisme, qu’il soit d’opinion comme aux États-Unis, ou de pouvoir comme en Russie.

Ces dernières années en Occident, nous avons préparé Trump, nous avons préparé Poutine, nous préparons peut-être le collabo Zemmour. Mussolini et Hitler reviennent, dans un siècle nouveau.

Nous sommes le 22 mars : où serait donc un nouveau Mouvement du 22 mars qui a libéré 1968 ? Je vois plutôt de l’enfermement venir.

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Mutation du bonheur français

Les Français sont heureux (8 sur 10) mais la France est malheureuse. Comment le comprendre ?

Jamais l’éducation n’a été si répandue, la santé si accessible et si peu chère, la vie active plus libre (notamment grâce au télétravail, mais aussi aux méthodes moins hiérarchiques de management). Heureux comme Dieu en France, disent les Allemands, et c’est vrai, vous ne rencontrez que très peu de Français personnellement malheureux.

A l’inverse, le pays a le sentiment de décliner. Moins comme puissance militaire qui compte dans le monde que comme (im)puissance économique. La désindustrialisation est croissante, malgré les rodomontades des patrons et de quelques énarques. Pas rentable, pas compétitif, pas sérieux. Que reste-t-il ? Le luxe, l’agroalimentaire, le tourisme… Voitures et avions sont remis en cause par l’écologisme montant, très fort dans la jeunesse, même celle qui ne vote pas. Et les vélos sont produits en Chine, comme les panneaux solaires et de nombreux éléments des éoliennes. Il resterait bien le nucléaire, mais… à reconstruire tant nous avons perdu les compétences.

L’armée reste une fierté mais avec le sentiment d’une action parfois néocoloniale en Afrique, ou suiviste chien-chien des yankees au Proche-Orient. Chirac a eu raison de dire non à Bush fils ; Sarkozy a eu raison d’aller en Libye avec les Anglais et sans les Américains (en apparence, car les « gros » moyens de transports et de renseignements restaient US Army…). Mais Hollande a-t-il eu raison de rester au Mali ? Serval oui, Barkane non. S’enkyster sans faire de politique est toujours voué à l’échec ; et faire de la politique dans les pays africains finit toujours par raviver les rancoeurs coloniales. Laissons donc les généraux et despotes africains se débrouiller tout seul ; ils réclament de l’aide et ne manquent jamais de se servir de la France comme bouc émissaire commode de tout ce qui part en vrille. Laissons-les montrer combien ils sont meilleurs tout seuls.

Il nous manque la certitude d’avoir un but, ou au moins une morale. Un récit collectif. Nous l’avons perdu depuis l’échec du gaullisme dévoyé par les technocrates à la Chirac et depuis l’échec de la social-démocratie après les dérives du premier gouvernement Mitterrand. Pompidou aurait pu incarner la France industrielle qui réussit dans le monde, mais il est mort trop tôt ; Giscard, poussé malgré lui par l’ambiance de gauche de son septennat, a forcé les réformes sociétales sans améliorer la compétitivité économique, la faute aux deux chocs pétroliers arabes de 1973 (guerre des Six jours) et 1979 (ayatollah Khomeini), et à l’inflation qui a donc explosé.

Mendès-France puis Rocard auraient pu incarner une gauche de réformes sans les excès des utopistes et des « révolutionnaires » qui, soit obéissaient à Moscou (Marchais), soit étaient plus menés par leur ego et l’avidité de pouvoir que par l’intérêt populaire (Royal, Strauss-Kahn, Mélenchon, Hamon, Hidalgo, Taubira). Mitterrand a calciné les meilleurs à gauche, tout comme Chirac l’a fait à droite pour ses successeurs possibles (Balladur, Juppé, Villepin). Les Français ont le sentiment d’être sans boussole. D’où le recours magique à Macron en 2017 et son « en même temps », au fond pas si loin de Rocard s’il avait mené à bien quelque réforme plus sociale que les gilets jaunes l’ont forcé finalement à prendre. D’où le recours tout aussi magique aujourd’hui à un polémiste de banlieue qui affirme se vouloir « le sauveur » de la France alors qu’il nie tout ce qu’elle est devenue depuis 1789.

Peut-être ces échecs de sens conduisent-elles au déplacement constaté du désir ? La ville et son mode de vie étaient l’aspiration du plus grand nombre, depuis la fuite des campagnes après 1918. Quitter la terre, c’était quitter le labeur asservissant et les cancans de village pour enfin se réaliser dans un petit métier, voir des gens divers et assister aux spectacles. Plus tard, c’était accéder aux logements modernes et à leur confort, avec les études facilitées pour les enfants dans un environnement stimulant. La ville, c’était la libération, l’accès au progrès technique et scientifique. En 1968, la seule « libération » sexuelle a d’ailleurs été urbaine, très peu dans les campagnes, sauf de la part des néo-hippies qui pratiquaient le sexe comme on pratique aujourd’hui le yoga (il y a d’ailleurs certaines ressemblances…).

Ce mode de vie est aujourd’hui remis en cause. Les manifestations, les grèves des transports urbains, le Covid, la pollution, les entraves social-écologistes à la circulation (restriction des bagnoles, proliférations des vélos, trottinettes et autres deux roues sur trottoirs qui ne respectent ni les sens de circulation, ni les feux, et sont insultants quand ils vous forcent le passage) – tout cela détruit le sentiment d’être comme un poisson dans l’eau en ville. Les vieux aspirent à la campagne, à l’air sans particules fines, au calme, au repos paisible qu’il est de plus en plus difficile de trouver en ville ; les gamins sont intenables le week-end et obligent à aller le passer ailleurs. Le net et la possibilité de travailler à distance ont accentué le phénomène, sans parler des prix du foncier urbain.

Malgré les écolos qui voudraient forcer l’habitat en tours à la soviétique, 70 % des Français habitent dans une maison individuelle et veulent poursuivre ce mode de vie. Retour à la terre, mais sans les vaches des grands-parents ni les chèvres des parents. Retour aux arbres, au potager, au terrain de jeu pour les gosses, aux randonnées à pied ou aux balades en vélo. Les Français qui restent en habitat collectif aspirent à la résidence secondaire ou pour la retraite ; ils ne font plus de la ville une libération. C’est une mutation profonde du mode de penser sa façon de vivre. Le populisme est la conséquence de l’étalement périurbain non structuré, ni ville, ni campagne, où les travailleurs comme les citoyens sont relégués, extérieurs, oubliés, sans avoir les moyens de s’évader. Ils tournent en rond.

Les Français sont individuellement heureux mais collectivement mal dans leur peau. Les bénéfices de la croissance semblent mal répartis puisque ceux qui travaillent au bas de l’échelle ne parviennent plus à s’en sortir. C’est que les métiers qui rapportent sont ceux qui exigent une expertise, laquelle ne va pas sans études et diplômes, que l’école dévalue en les donnant à qui se présente sans assurer une orientation adaptée (elle est trop tôt, trop superficielle et trop autoritaire, selon les jeunes sondés). Les autres métiers sont ceux de domestiques d’Uber, de MacDo, de Deliveroo ou d’Amazon, pour ne citer que quelques enseignes. Ils sont mal payés, mal considérés, sans intérêt. Les métiers de services à la personne suscitent plus d’intérêt personnel mais sont contraints dans leur rémunération par les moyens des gens qui les emploient (hôpital, particuliers, maisons de retraite). Si une nounou des beaux quartiers ou un gardien d’immeuble peuvent être payés correctement, l’assistante de vie ou la sous aide-soignante à domicile sont payés à l’heure travaillée, souvent en plusieurs endroits dans la journée.

Le malheur public résulte de ce manque de cohésion sociale. Est-ce que les exigences de lutte contre le dérèglement climatique pourront rebâtir du politique en alternative aux récits morts ? Pas sûr tant les écolos français sont loin d’être des pragmatiques à l’écoute des vrais gens et restent des idéologues en bureaux aseptisés.

Pourtant, reconstruire des réseaux d’appartenance et de territoire est vital pour la démocratie comme pour la vie en commun. Dix métropoles produisent 81 % du PIB avec 40 % de la population. Et le reste ? Il existe aussi, il doit être pris en compte.

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Une société des individus

Gilets jaunes, mariage gay, jeunes pour le climat, racisation, convois de « la liberté », sont les symptômes d’un changement anthropologique. La société n’est plus perçue comme un organisme collectif mais comme un agrégat de personnalités. D’où l’effondrement du « socialisme », cet avatar rose bonbon de l’utopie communiste où une classe soc(collective), le Prolétariat, était destinée par les Lois de l’Histoire à accoucher du monde futur. Dans le No future contemporain (mais confortablement à l’abri d’un Etat d’une Union européenne, d’une Alliance atlantique de défense), plus d’Histoire ni de lois, plus de Prolétariat, mais seulement des individus.

Ils ne veulent plus être une « masse » ni même une classe, mais les pommes de terre d’un sac, comme le disait si joliment Marx. Les gays veulent être « comme tout le monde », à égalité de considération sociale et de « droits » personnels ; les gilets jaunes ne veulent pas être représentés ni avoir de programme, ils gueulent pour gueuler, se sentir oisillons dans le même nid éphémère (du rond-point) ; les jeunes en marche « pour le climat » sont autant de sorciers qui dansent pour faire venir la pluie, aussi infantiles et irresponsables, naïvement « contre » sans aucune proposition concrète (par exemple limiter Internet, n’autoriser qu’un smartphone tous les 5 ans, supprimer les Jeux olympiques d’hiver et instaurer des quotas d’électricité pour éviter les émissions) ; les « racisés » réactivent « la race », cette construction sociale (collective) qu’on croyait aux oubliettes, et engendrent par réaction (inévitable) les extrémismes à la Trump ou Zemmour – les colorés « racisés » devraient avoir tout en tant qu’individus citoyens, ils sont rejetés au contraire dans leur « communauté » collective (en marge, donc honnie) ; les convois de « la liberté » sont ceux de l’égoïsme libertarien, du « je fais ce que je veux et les autres je m’en tape ».

Tout à commencé peut-être avec le christianisme du Nouveau testament qui a mis chaque être humain à l’égal du Christ (« qui s’est fait homme »), au contraire de l’Ancien testament qui ne connaissait que les peuples (dont « le Peuple élu »). Tout a continué avec la Révolution française et les suivantes, au nom des Droits de l’Homme (avec un grand H collectif), puis le prurit d’égalitarisme exacerbé par les prophéties (fausses) de Karl Marx. Lénine, Staline, Mao, Castro et Pol Pot tentent de les collectiviser en miroirs aux fascismes, mais sans succès durable. Le mouvement de mai 1968 issu des hippies californiens a privatisé le collectivisme en gauchisme – purement individualiste. Même « la révolution » n’était plus le fait d’un parti d’avant-garde organisé mais de groupuscules d’individus agissant en commando. L’écologisme, cette nouvelle religion de nos jours, est issue du Gardarem lou Larzac où l’on brandissait des pancartes à moitié à poil pour élever des chèvres (individuellement) sur les terrains militaires de la Défense (collective). Il s’agit, comme à Notre-Dame des Landes, de se construire soi sur son petit lopin, en artisan de son propre métier, en « discutant » personnellement des vagues règles du coin.

Aujourd’hui, les Droits de l’Homme sont devenus les droits de chacun, sans plus aucune majuscule collective, sans plus aucun « principe » supérieur aux seuls individus. Des « j’ai l’droit », nous pouvons en rencontrer à chaque coin de rue, vous fonçant dessus en bagnole au passage clouté, faisant chier leur clebs sur le trottoir collectif, occupant tout l’espace et s’exclamant outré qu’on les bouscule, vous balançant leur fumée de clope dans la gueule ou leur Covid postillonné sans masque parce qu’ils sont en pause de jogging, qu’ils tètent une bouteille toutes les cinq minutes ou avalent un en-cas à toute heure… Aujourd’hui règne la liberté sans contraintes, autrement dit l’absence de règles autres que le droit du plus fort.

La société des individus, née avec la génération Mitterrand, est contre l’autorité de la société d’organisation précédente, contre l’histoire même car le monde commence avec elle. La société des individus est pour l’hédonisme du « j’en profite » des pubs de supermarché, contre l’ère des masses précédente qui a accouché de la guerre et du colonialisme. La société des individus vote de moins en moins, sauf pour le gourou personnel qui fanatise un moment comme un Moi médiatique surdimensionné ; le désengagement des partis se reporte sur les causes particulières, voire particularistes. La mondialisation par en haut échappe à cette société des égoïsmes, elle s’y vautre, s’y divertit, s’équipe en gadgets électroniques – mais ne la maîtrise pas et s’en plaint, ignare niaise des causes qui sont d’abord son propre abandon de tout effort de maîtrise collectif. La pandémie a à peine remis en cause cet abandon flemmard, mais seuls les gouvernements au nom de la souveraineté nationale, certains partis prônant le repli sur soi et certains pays arriérés (Russie, Iran, Corée du nord) sont « réactionnaires» à cette mondialisation véhiculée par les Etats-Unis avec le relais de la Chine.

Le numérique est le support technique de l’individualisme. Chacun s’exprime en 140 caractères ou en images de soi et de ses conquêtes de rêve (le Fesses-book des copains de Harvard), se mettant en scène complaisamment dans le narcissisme adolescent prolongé jusque fort tard dans l’existence. Les Copains d’avant étaient plus dans le collectif, cherchant à retrouver ses copains de classe, de fac ou d’anciens boulots ; les Facebook, Instagram et autres Youtube sont purement individualistes, déroulant une belle histoire, celle qu’on veut faire croire – tout comme Linkedin plus que l’ancien Viadeo pour avoir un job. La presse est délaissée au profit des sites personnels où certains complotistes (une douzaine pas plus dans le monde entier) sont relayés par leurs « croyants » qui militent pour leurs « vérités alternatives » (qui sont des mensonges éhontés mais toilettés en belles histoires qui donnent du sens). Même la télé, hier grand-messe du collectif célébrée chaque soir à 20 h comme des vêpres, est devenue myriade de chaînes particulières qu’on regarde en « replay » (quand je veux, où je veux), possédées par quelques milliardaires à usage de répandre leurs propres idées (catho tradi pour la Cnews de Bolloré par exemple).

La révolution de « l’identité » démonopolise l’État de la violence légitime ; à l’américaine, chaque petit Français se sent désormais le droit de prendre les armes pour défendre sa cause en « menaçant de mort » les élus qui s’y opposent collectivement au Parlement ou à la Mairie. L’islamisme s’y engouffre avec ferveur au nom de Dieu (qui ne dit rien). La « liberté » inconditionnelle est l’inverse de l’État de droit, tout comme les libertariens ne sont plus des libéraux. Retour au paléolithique, disent les écologistes ; retour à la violence inter-individuelle de Hobbes, où « l’homme est un loup pour l’homme » (et la femme, c’est pire – regardez les séries). La famille n’est plus la cellule de base du social pour transmettre, mais la sexualité est privatisée et chacun choisit son genre, quitte à être « sans style». La vie privée s’étale, formant une nouvelle culture du « sociétal » qui réclame ses « droits » à empiéter sur ceux des autres (sauf la pudeur vestimentaire, c’est curieux ! Faut-il y voir une aliénation cachée du soft-power collectif yankee?).

L’indignation radicale remplace le programme social et politique, l’affectif tout rationnel. Epidermique, émotionnel et superficiel sont les façons contemporaines d’activer les pulsions, le coeur et le cerveau – à l’inverse des époques précédentes qui mettaient en tête la raison par la logique, maîtrisaient les élans du coeur par la morale et domptaient les instincts par l’éducation en faisant servir leur vitalité au projet. Aujourd’hui, on « écoute ce qu’on ressent » plutôt que de réfléchir. Et on « réagit » au symbolique plus que sur les faits établis.

Nous sommes à l’heure des avatars, plus des humains.

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Nouveau visage des classes sociales selon Fourquet et Cassely

La quatrième partie du livre bilan sur quarante années de changements en France de Fourquet et Cassely, déjà chroniqué sur ce blog, montre les nouveaux visages des classes sociales, engendré par le nouveau modèle économique désindustrialisé, orienté vers les loisirs et les services. La réorganisation des territoires pour sa résidence, la polarisation des styles de vie, ont un impact sur la structure et sur la nature des emplois.

Surgit une nouvelle constellation populaire des domestiques et soutiers de la consommation. L’ouvrier logistique a remplacé l’ouvrier d’usine. Les routiers, les magasiniers, les manutentionnaires d’entrepôt, constituent ce nouvel ouvrier à la chaîne, Amazon remplaçant Billancourt. Les emplois populaires des sans diplôme baissent en gamme. L’absence de perspectives professionnelles, le turnover, les intérimaires, l’absence de syndicats, conduisent à une conscience de classe nulle. C’est une constellation de services à la personne, de chauffeurs VTC et livreurs, de temps partiel, qui sont farouchement individualistes et récusent l’assistanat. Ils ont conscience d’être des serviteurs mais invisibles et atomisés. L’aide-soignante et l’aide à domicile sont au bas de l’échelle du soin tandis que la hausse du vieillissement et la baisse d’investissement des familles encouragent au contraire les métiers de services à la personne. L’externalisation du nettoyage et du gardiennage par les entreprises fait quitter aux employés l’organisation et les avantages sociaux en faveur de la solitude et de la quasi misère (un SMIC dans une grosse boite avec cantine et comité d’entreprise n’est pas l’équivalent d’un SMIC en autoentreprise).

Les gilets jaunes ont manifesté cette révolte des classes subalternes qui ne parviennent pas à boucler les fins de mois avec les revenus qu’on leur offre. Aucune conscience de classe, ce fut une jacquerie sans lendemain, mais qui s’est révélée grâce aux réseaux sociaux. Elle montre le bouillonnement de colère qui monte parmi les déboussolés de la nouvelle organisation sociale.

Une catégorie de nouveaux pauvres augmente, celle des chômeurs de longue durée, des cassos (« cas sociaux »), voué à l’ASS, au RMI, à la CMU, aux Restos du cœur et autres soupes populaires. Ceux qui ont un emploi faiblement rémunéré ont du ressentiment contre cette population d’assistés par peur de tomber dans la même trappe. Ils sont en outre un peu jaloux des aides qu’on leur fournit tandis qu’eux-mêmes n’y ont pas droit, bien qu’ils payent de plus en plus de taxes sur leur consommation (carburant, énergie, produits électroniques, etc.). C’est la fuite des quartiers de logements sociaux qui deviennent progressivement des ghettos.

Le cœur de la classe moyenne était le bac+2. Le diplôme est indispensable pour se distinguer de la catégorie populaire, du BTS à bac+5. En 1985,29 % d’une classe d’âge réussissaient le bac, désormais dévalorisé en 2019 lorsque plus de 80 % le réussissent sans grand effort, en raison du laxisme des notations et de la volonté politique d’afficher un ascenseur social qui existe de moins en moins. Le bac+2 permet l’accès au concours de catégorie B dans l’Administration. Le bac professionnel permet le BTS technologique, accès à l’IUT et au bachelor (bac+3). Mais c’est la course aux diplômes, les infirmières étant désormais recrutées à bac plus quatre, comme les enseignants non agrégés, et les concours d’administration de catégorie B sont souvent présentés par des diplômés supérieurs au niveau requis, qui emportent les places. Petits artisans, commerçants indépendants, cadres en reconversion (de 12 à 20 %), franchisés (plus de 2000 réseaux) s’installent dans les zones commerciales de « la France moche » de Télérama – magazine culturel pour bobos.

Profs, infirmières et fonctionnaires ou animateurs des services culturels sont les inspirateurs du changement de cette constellation moyenne. Ils ont été les innovateurs sociaux du style de vie post–68 entre 1970 et 1990. Ils prônaient l’écologie, le libéralisme culturel et des mœurs, les modes de vie alternatifs. Ils laissent désormais la place aux nouveaux métiers : les psys-coachs des thérapies alternatives, les astrologues, les services pour animaux de compagnie, le tatouage, les « facilitateurs humanistes », aux néo–artisans, aux métiers de la culture, aux professionnels du bien-être et aux start-upeurs.

Une marche vers la richesse sur l’échelle sociale. Car la numérisation et l’Internet ont donné naissance à un groupe socioprofessionnel hautement diplômé et doté d’une conscience de soi. Le discours d’Emmanuel Macron en 2017 sur la Start-up Nation (en français de l’Académie) reflète leur image de jeunesse, d’innovation, de cosmopolitisme, d’aisance sociale. Leur écosystème fleurit dans les métropoles et surtout en Île-de-France. 80 000 jeunes sortent par an des écoles d’ingénieurs et de commerce. Ils développent une culture neuve qui devient centrale dans la société, malgré l’hermétisme de leurs nouveaux métiers et la tentation de l’entre soi.

Les vraies grandes fortunes sont en petit nombre en France, dans le luxe, la cosmétique, la finance et le vin. De 1998 à 2000, l’industrie a baissé sauf l’agroalimentaire et le Medef n’a plus un dirigeant issu de l’industrie et des mines mais des services. Désormais l’industrie n’arbitre plus la politique, ce qui a expliqué depuis une vingtaine d’années le maintien des impôts de production élevés dans notre pays, qui a clairement pénalisé la compétitivité par rapport aux pays voisins.

La France tout entière s’appauvrit donc, devant importer de plus en plus pour assouvir des besoins de consommation de plus en plus grands alors que les moyens de chacun se réduisent. C’est la lutte des places pour la lutte des statuts, c’est le sablier qui grandit : amincissement des hanches et obésité des pieds, nettement moins de la tête. La France sous nos yeux perd de sa beauté.

Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely, La France sous nos yeux – économie, paysages, nouveaux modes de vie, cartes de Mathieu Garnier et Sylvain Manternach, Seuil 2021, 494 pages, €23.00 e-book Kindle €16.

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Remise en cause politique

Poutine envahit l’Ukraine comme jadis Hitler l’Autriche. Il veut l’Anchluss avec le « peuple frère », au prétexte, comme jadis, qu’elle est gouvernée par des démocrates décadents et souvent juifs. Lui, le nazi mongol qui agit comme un nazi, veut « dénazifier » l’Ukraine – autrement dit la soumettre à sa botte.

Est « nazi » pour lui ce qui n’est pas lui et quiconque le conteste se voit qualifier d’ennemi, voire de sous-homme digne à être jeté aux chiens mafieux (comme Anna Politkovskaïa), en prison (comme ceux qui osent se présenter comme candidat, dont Alexeï Navalny, ou qui enquêtent sur la corruption comme Sergueï Magnitski), voire empoisonnés (Alexandre Litvinenko), pendus (Boris Berezovski) ou tués par balle (Boris Nemstov, Stanislas Markelov, Anastasia Babourova, Sergueï Iouchenkov). Ce sont des pratiques de gestapiste, pas de « démocrate » – ou alors l’Allemagne nazie était une démocratie à la Poutine, plébiscitaire, où le Führer Président incarnait à lui seul le Peuple et la Race.

Que les Etats-Unis et l’Union européenne aient été légers sur l’élargissement de l’OTAN, sans associer véritablement la Russie post-soviétique à la sécurité en Europe est un fait. Que Poutine ait prévenu depuis des années de ce qu’il ferait, tout comme Hitler dans Mein Kampf, rien de plus vrai. Qu’on l’ait laissé faire lors de divers « Munich » récents sans sauter le pas d’une grande négociation, est une ironie de l’histoire. Les démocrates ne croient pas à la guerre, ils croient que tout est négociable. Pas les Hitler ni les Poutine – l’histoire n’a-t-elle servi à rien ?

Reste que le gouvernement russe agresse directement un peuple frère à ses frontières, et en Europe même, tout comme Hitler l’a fait. Avec d’identique « bonnes raisons ». Est-ce acceptable ? Evidemment non. Il faut donc en tirer toutes les conséquences.

La première est que le monde a désormais changé et que les alliances se ressoudent après la parenthèse Trump : l’Europe ne peut être assimilée à la brutalité tyrannique russe ni au cynisme de la lointaine Chine ; elle ne peut que se rallier aux Etats-Unis, malgré tout ce que nous pouvons avoir contre ces égoïstes vantards.

La seconde est que le monde se montre dangereux, ce qu’il a toujours été mais que les naïfs ont volontiers oublié : l’Europe doit elle-même mieux assurer sa défense, sans se défausser « sur l’OTAN » américain ni laisser cette OTAN faire tout ce que veulent les Etats-Unis. L’organisation est une alliance, pas une soumission, là aussi nombre de politiciens naïfs l’ont volontiers oublié.

La troisième est que la montée au point Godwin de la menace nucléaire, assumée par Poutine, ne doit ni être sous-estimée, ni être objet de panique. Le nucléaire tactique est dans la doctrine d’emploi de l’armée russe ex-soviétique. Sera-t-il employé en Ukraine pour faire plier la résistance ? Les citoyens russes pourraient cette fois réagir émotionnellement plus fort qu’envers les dégâts de la guerre conventionnelle, mais ce n’est pas à exclure. Poutine n’a pas réussi sa guerre éclair comme Hitler en Pologne, reculer serait l’humilier, il ira jusqu’au bout.

La quatrième est qu’Hitler n’est pas mort, ni le « nazisme » comme doctrine nationale et socialiste à arrière-plan racial blanc. A l’inverse, il se réveille. Il fascine par son absolu, par son usage sans tabou de la force brute, par son virilisme et son exclusion de toute faiblesse (dont « discuter », hésiter, avoir de l’empathie, comprendre l’autre, font partie). La jeunesse est de moins en moins démocrate, les écologismes de plus en plus autocrates, les « souverainistes » de plus en plus ouvertement poutiniens – c’est-à-dire in fine nazis.

La cinquième conséquence est évidemment que les candidats à la prochaine élection présidentielle française sont pris à revers. Soit ils continuent à cautionner Poutine, ce « patriote qui aime son pays », ce conservateur des valeurs traditionnelles face à la « décadence » des nouvelles valeurs gay et multiculti, ce rempart de la religion chrétienne face à l’islam, ce croisé de Troisième Rome pour la race blanche – soit ils font virer leur discours, montrant combien ils ont été niais à « croire » la propagande du Kremlin et le « bon droit » du plus fort.

Comme en 40, il faut choisir son camp. Il y aura donc celui des résistants, qui préfèrent la démocratie (toujours imparfaite) car elle garantit (à peu près) les libertés – et celui des collabos qui préfèrent se rallier au plus fort et se soumettre à sa doctrine populiste où « le chef » adulé par acclamations a toujours raison car il a des visions de l’Histoire.

En ce sens sont disqualifiées à mes yeux les trois « putes à Poutine » que sont (dans l’ordre d’ignominie) Zemmour, Le Pen et Mélenchon (lui qui défendait déjà Chavez et Bachar el-Assad…). Les réfugiés ukrainiens (blancs et chrétiens) seront-ils rejetés comme les réfugiés syriens ou africains (basanés et musulmans) – ou faudra-t-il par solidarité de… race peuple les accueillir ? Tout est renversé pour les souverainistes !

Les écolos montrent qu’ils sont plus idéologues niais que propres à conduire la politique réelle : le pacifisme affiché depuis trente ans, leur rejet sans concession du nucléaire, les jettent tout droit dans la gueule de Poutine qui écrase les faibles et les rend dépendants au gaz durant la nécessaire (et longue) « transition énergétique ». Quelle prescience du monde qui vient !

Les socialistes sont socialistes, c’est-à-dire indigents : comme en 36, ils n’ont pas prévu la guerre, méprisé la défense, cru aux belles paroles (« verbales » comme disait l’autre). Qu’a donc fait Hollande après l’annexion de la Crimée ? Pas grand-chose, sinon aller faire diversion au Mali. Qu’ont donc faits les sociaux-démocrates allemands, cet exemple pour le PS français, sinon se lier un peu plus au gaz poutinien en répudiant d’un coup le nucléaire et en laissant leurs anciens dirigeants se laisser corrompre par l’argent russe (Schroder, ex-chancelier).

Le candidat communiste peut-il être antisoviétique, puisque Poutine revendique le « retour à » ? Il botte pour le moment en touche en demandant une négociation… des prix. La seule guerre qu’il voit est celle du pouvoir d’achat.

Ne restent que deux candidats crédibles à ce stade : le sortant Macron et son défi Pécresse. Sera-ce le duo du second tour ?

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Transposition des styles de vie exposée par Fourquet et Cassely

Quarante ans d’écart séparent la France d’avant de la France d’après, telle qu’exposé par le livre bilan de Fourquet et Cassely, déjà chroniqué sur ce blog, Du point de vue des classes sociales, hier c’était la moyennisation, aujourd’hui la polarisation. Toute la société s’écarte de la moyenne, précédemment l’étalon idéal auquel mesurer son écart-type : le revenu moyen, le niveau moyen, la classe moyenne. Cette démoyennisation se fait par le haut, par le bas, et par les côtés.

L’effet de sablier du haut en bas se manifeste par les styles de vie liés à la consommation. Les campings passent de la tente au bungalow, articulés entre Premium ou de seconde main. Les clubs de vacances passent des VVF au Club Med de luxe. Les stations de ski délaissent les logements collectifs pour les chalets haut de gamme. L’altitude pour la neige et la qualité architecturale déterminent le prix des stations et la sociologie des skieurs. Ce sport devient d’ailleurs une niche de plus en plus élitiste (et peu écologique). Les cafetières passent du filtre à la dosette tandis que les boîtes de nuit voient leur public baisser au profit de lieux plus privatifs ou carrément de rave parties populaires en pleine campagne où le petit commerce des drogues diverses s’épanouit à plein.

De l’autre côté, c’est la France du discount, de l’occasion et de la débrouille. L’électroménager et l’électronique ne sont plus des vecteurs de statut social, ils sont démocratisés. Mais coexistent des modèles très haut de gamme fort chers et des modèles bas de gamme accessibles. C’est la même chose dans l’automobile avec (outre les modèles électriques ou hybrides onéreux malgré les aides gouvernementales), les berlines allemandes ou japonaises de luxe et le modèle Dacia de base, fabriqué initialement pour les pays pauvres.

La désindustrialisation a fait baisser les moyens de consommation et augmenté les achats délocalisés. Le luxe est de consommer français et artisanals, le commun est de consommer chinois et industriel. Lidl, Gifi, le Bon coin sont les magasins populaires de la débrouille tandis que Carrefour Market, les boutiques d’alimentation bio et le Bon marché manifestent le haut de gamme. Dans les transports, Blablacar, Uber, les cars Macron et les trains Ouigo permettent de voyager sans guère de moyens, tandis que le TGV aux heures de pointe et les avions court-courriers sont réservés à ceux qui sont à l’aise.

Question travail, la débrouille se manifeste par la microentreprise, la chasse aux promotions, les achats d’occasion sur le net, les vides-greniers et les transactions sociales hors marché. Ils fournissent un revenu complémentaire alors que le nombre de chômeurs reste important parce que l’emploi en France n’est pas fluide. Les CDI laissent la place de plus en plus souvent aux CDD, à l’intérim, aux stages pour les plus jeunes qui courent après l’emploi, et aux multi activités, souvent au noir, pour les faibles revenus de province.

Les jeux de hasard et les paris en ligne explosent pour arrondir les fins de mois tandis que les plus éduqués, restés pauvres faute de trouver du travail qualifié, spéculent sur le Bitcoin et rêvent au trading en ligne vantés par des étudiants (souvent maghrébins) agissants depuis Dubaï (où la fiscalité est quasi nulle). Les crédits à la consommation s’envolent, comme aux États-Unis, tandis que la dimension symbolique de certains produits permet, comme aux Etats-Unis, de se poser socialement en profitant des promotions et du nom des marques. On se souvient de l’émeute sur le Nutella qu’un magasin avait proposé à bas prix pendant un temps limité. La surconsommation est une incitation permanente pour imiter l’élite. Elle aboutit à une paupérisation objective et à une forme d’aliénation car on ne reste pas soi-même quand on veut singer l’autre.

Le nouveau modèle commercial est fondé sur l’e-commerce flanqué de quelques boutiques de prestige en centre-ville. Cela dégrade l’attrait de la périphérie pour ceux qui ont les moyens et la change en ghetto pour ceux qui ne peuvent en sortir. Des néo-boulangeries artisanales bio avec pain au levain et blé choisi s’opposent aux boulangeries de rond-point à grande capacité. La différenciation se fait par l’image d’authenticité et par le prix. Les cavistes, les épiciers haut de gamme aux produits bios, locaux et durables, les microbrasseries, les distilleries artisanales de whisky, les cafés de spécialités, recréent un lien social entre soi pour la classe aisée. Le prix et l’ambiance rejettent les revenus et les habitus qui ne sont pas à la hauteur.

Comme sous l’Ancien régime, la noblesse de patrimoine et de revenus donne le ton et entraîne par imitation les classes immédiatement inférieures qui voudraient accéder à leur niveau de vie, puis les classes populaires qui triment à courir derrière. Ce qui explique certains désengagements sociaux et politiques d’une partie de la jeunesse qui n’a aucun espoir d’ascension sociale et préfère se retirer hors de la culture, hors des diplômes, hors du travail régulier reconnu, hors de la consommation, hors des villes, pour vivre une petite vie individualiste de petits boulots, de bricolage et d’assistance sociale. C’est la démoyennisation par le côté, la fuite du « Système » et de la roue du hamster.

La France d’après est déjà celle d’aujourd’hui et ces tendances ne peuvent que s’accentuer, l’américanisation mondialisée suscitant un déracinement propice aux dérives spirituelles, mentales et politiques. Encore une fois, les gilets jaunes et Zemmour n’ont pas surgis par hasard. Comme dans les années trente, la société des riches et des pauvres se polarise sur le capitalisme ou le communisme, Biden ou Poutine. Si l’histoire ne se répète jamais, elle bégaie souvent.

Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely, La France sous nos yeux – économie, paysages, nouveaux modes de vie, cartes de Mathieu Garnier et Sylvain Manternach, Seuil 2021, 494 pages, €23.00 e-book Kindle €16.

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C’est la guerre !

Parano Poutine se sentait « menacé » par l’Ukraine, pourtant selon lui « un pays qui n’existe pas », une création monstrueuse du pourtant regretté par lui régime soviétique… Allez comprendre. Poutine n’est pas « fou », il est peut-être malade vu la tronche qu’il a désormais à la télé par rapport à l’année précédente. Un effet du Covid ? Un cancer ? Des médicaments ? Il est surtout enfermé dans un délire paranoïaque analogue à celui de Staline.

« La paranoïa est un trouble du fonctionnement mental qui se manifeste par une méfiance exagérée des autres, une sensation de menace permanente et un sentiment de persécution », résume clairement le site Doctissimo. Si le Petit père des peuples voyait des Juifs partout, évidemment « espions de la CIA », le chevaucheur d’ours voit des Américains partout, évidemment « nazis » de la CIA (les seuls « nazis » américains que l’on connaisse pourtant sont ceux de Trump, qui se réjouit ouvertement du coup de bâton poutinien sur l’Ukraine). Qu’une démocratie – imparfaite, mais certes plus proche de l’idéal que celle de la Russie… – puisse offrir une vitrine de libertés avec des médias libres et des réseaux sociaux actifs critiques et un essor économique aux portes de l’Oural, hérisse et effraie Poutine, lui qui n’a pas su, depuis vingt ans au pouvoir, développer l’industrie et assurer un meilleur niveau de vie à ses citoyens.

Il apparaît enfermé dans ses certitudes, contesté par personne sous peine de sanctions pouvant aller jusqu’à l’élimination pure et simple : la scène de lundi où il tance le chef du renseignement en lui faisant redire de façon scolaire qu’il soutient (au présent) et non pas qu’il soutiendrait (au conditionnel) l’invasion des républiques dissidentes du Donbass restera dans les mémoires. Il offre le spectacle du satrape en action, approuvé sans une ombre de critique, sous peine de décapitation comme jadis le Mongol. Il est pressé, il est brutal, réagissant dans le stress et selon lui l’urgence, comme le gamin des rues qu’il n’a jamais cessé d’être, petit délinquant de Saint Pet victime de blessures narcissiques avant d’être récupéré à 16 ans par un mentor qui lui voulait du bien et intégré dans les Organes pour servir la cause des silovikis.

Les sanctions après l’annexion de la Crimée l’ont isolé, le Covid l’a enfermé encore plus sur lui-même. Il ne rencontre plus personne sans des mètres de table entre lui et les autres. Il craint la contagion. Mais le physique influe sur le mental et cette paranoïa du virus, qui était celle de Staline vieillard, devient paranoïa de l’encerclement et de la menace. « Les réactions agressives contre autrui sont violentes et fréquentes. Le sujet, comme dans toutes les psychoses, adhère totalement à son délire », précise le site Doctissimo. Tout geste ou parole est interprété de façon négative : « on » lui en veut, au psychorigide.

Plutôt que de négocier en position de force « avec les Américains », qu’il déteste autant qu’il les jalouse, tant son désir d’être reconnu comme partenaire apparaît pour lui vital (comme un gamin de rue), il opère un coup de force. Il ne croit pas en un traité, même écrit, de sécurité mutuelle entre l’OTAN et la Russie. C’est ce qu’il demandait pour donner le change aux diplomates, tout en préparant la guerre. Mais cette guerre, il la veut. Il veut blesser l’Ukraine comme un père d’Ancien testament veut punir un fils rebelle. Il envoie les hackers, les missiles, les avions, les chars et les soldats – dans cet ordre. Il espère faire s’effondrer les institutions et faire fuir le gouvernement pour en mettre un autre à sa botte, comme l’ancien pro-russe renversé par la révolution orange. Si les soldats ukrainiens ne « déposent pas les armes », les soldats russes devront tirer sur des frères, des familles russes ayant des parents en Ukraine et réciproquement. Dommages collatéraux ou bêtise de qui ne veut pas voir les conséquences ?

La paranoïa ne raisonne pas, elle délire. Même si le délire est logique, il se situe dans un autre univers. L’Ukraine envahie, dominée comme une vulgaire colonie par celui qui se croit nouveau tsar, les Ukrainiens vont se braquer, résister. Ouvertement tant qu’ils auront des armes, puis plus sourdement dans la durée ; dès qu’ils le pourront, ils rejoindront l’OTAN et l’UE, ce qui n’était pourtant pas écrit. Les rancœurs ne vont pas s’apaiser, comme si le retour dans le giron de la Mère était selon Poutine l’espoir des Ukrainiens. Ils ont goûté à la liberté, à la prospérité, aux échanges avec la civilisation européenne. Qu’a donc la Russie de Poutine à leur offrir de plus séduisant ? Un pays où la liberté est bafouée, les opposants empoisonnés, les journalistes massacrés, l’économie en berne fondée uniquement sur la rente des ressources fossiles, la joie mauvaise de « montrer ses muscles » militairement en se mettant à dos tous ceux qui refusent le règne du caïd ? La perspective chinoise, tout aussi brutale et liberticide ?

Poutine fait une fixette sur les muscles, comme s’il cachait de troubles désirs – se publiant torse nu enfant sur les genoux de sa mère sur Wikipedia (fiche évidemment surveillée et autorisée par lui), ou embrassant sans vergogne en 2006 le ventre nu d’un petit Russe en public.

C’est la guerre, et en Europe, la première depuis la défunte Yougoslavie 1991-1999, et la première de cette ampleur depuis l’Allemagne nazie en 1945. Des Blancs tuant des Blancs, quelle victoire des peuples méprisés par la Russie de Poutine, lui qui prône pourtant l’alliance blanche contre les allogènes ! Nous allons voir tous les politiciens candidats en France « se positionner » vis-à-vis de ce coup de force que certains admirent en secret : Mélenchon par haine (paranoïaque ?) des Américains, Zemmour par fascination (névrotique ?) pour les hommes forts (pas les femmes) tels Hitler sur les Champs-Élysées déserts en 1940 (analysé par Cécile Alduy), Trump et évidemment Poutine… Les Français vont-ils vraiment voter pour les collabos du régime de force ? Pour les putes à Poutine comme on le disait des putes à Boches tondues en 1945 ?

Le pays « de la liberté » et des « droits de l’Homme » (avec un grand H universel) tomberait vraiment bien bas !

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Une nouvelle hiérarchie des territoires montrent Fourquet et Cassely

Le livre bilan sur quarante années de changements en France de Fourquet et Cassely, déjà chroniqué sur ce blog, montre qu’avec les changements de mode de vie initiés par la désindustrialisation, une nouvelle hiérarchie des territoires s’installe. Plus de vacances, plus de RTT, plus de retraités, le loisir devient crucial. Les auteurs ont mesuré la désirabilité des territoires par l’audience des pages Wikipédia des communes, des villes, et des régions. Ils montrent l’attrait touristique pour le soleil, pour le sud au-delà d’une ligne Genève Foix.

Ce sont la côte atlantique, la côte normande, les montagnes, le Périgord, les vignobles d’Alsace et de Bourgogne qui l’emportent. En négatif, les banlieues et le périurbain ainsi que le nord-est et tout ce qui est en retrait des côtes. Il s’agit de la France de la logistique, de l’arrière-cour des soutiers du loisir et du commerce. Ce tropisme est accentué par la télévision dans ses sagas de l’été et ses séries policières tournées dans quelques régions seulement : la Côte d’Azur, la côte basque, la côte atlantique, Saint-Malo. L’entre soi fait que des groupes sociologiques proches s’imitent, notamment via les photos postées sur Instagram.

Ce qui explique la hausse du prix de l’immobilier dans certaines villes et certains lieux particulièrement. C’est le cas de Bordeaux où le prix au mètre carré a explosé en raison de l’arrivée du TGV, du tramway, du Vélib’, faisant passer la ville devant Nantes et Lille pour son attrait. Depuis le centre-ville et le bord de mer s’étale toute une strate décroissante de riches jusqu’aux pauvres. Les habitations de catégorie A étant difficilement accessibles aux non-héritiers, les ménages se rabattent sur le second rang, et ainsi de suite. Les banlieues anciennement ouvrières de Paris avec leur écosystème artisanal, créatif culturel, laisse place à l’islamisation d’une partie de la société locale, désormais bien établie.

La Californie française passe de la Côte d’Azur hier à la côte basque aujourd’hui. Les acteurs, les influenceurs, les intermédiaires culturels, jouent le rôle de leaders dans cette transhumance. La réputation d’une ville ou d’un territoire se développe par imitation au service de microcosmes qui s’observent et s’influencent mutuellement. C’est ainsi que le Perche, à 2h30 de Paris, attire les bobos qui veulent se mettre au vert. Le parc naturel régional limite les constructions et valorise le foncier. La qualité de vie est excellente durant les confinements et le réseau Internet développé permet le télétravail. La bi-résidence y remplace la résidence secondaire.

La maison individuelle avec jardin est aujourd’hui majoritaire auprès des deux tiers des sondés. Si cela va contre le tropisme écologique, cela rend aussi la voiture obligatoire. La vie privée montre peu de mixité sociale, c’est la culture du barbecue, la toupie sociologique de Mendras, ce qu’il appelait « la moyennisation » (un centre ventru et des extrêmes filiformes). Les piscines, le trampoline, le petit bouddha de jardin, montrent cet entre soi de bulle protectrice centrée sur la famille et les amis, à l’inverse des plages publiques, des piscines municipales comme des terrains de sport. Les années 2010 ont été l’âge d’or des romans de lotissement comme ceux des auteurs nés dans les années 1980-1990 tel Nicolas Mathieu ou Aurélien Bellanger. L’urbanisation pavillonnaire des années 1970–1990 a été de l’Ouest au Sud-est en comprenant les Alpes. Le bâti d’avant la première guerre mondiale est resté à l’écart, rural et périphérique.

Le périurbain d’après sera très différent. Il verra la diversification, la gentrification, la relégation. Plus de moyennisation mais au contraire un renflement des extrêmes riches et des extrêmes pauvres, la classe moyenne étant laminée par les nouvelles tendances. Il s’agit du mouvement constaté aux États-Unis, avec 30 ans de décalage pour la France.

La campagne devient alors une utopie de rechange, moins chère, plus accessible- plus désirable par nécessité. La puissance d’entraînement de l’écologie politique, voire de la mystique de l’écologisme, rend certains territoires particulièrement attractifs auprès des intellectuels comme la Drôme bio qui expérimente la démocratie participative. Il s’agit d’un cluster intello-politique pour classe moyenne supérieure en déclassement. La lassitude urbaine d’une partie de la jeune génération, même diplômée, anti consumériste, anti mondialisation, encourage ce genre de lieu où l’on peut vivre en yourte ou dans les nouvelles maisons écologiques en bois et matériaux naturels. Les écolieux alter cooptés entre familles encouragent les écoles alternatives comme Montessori, les activités de bien-être oriental comme le yoga ou le massage ayurvédique. Dans ces oasis, l’hybridation des styles et des façons de vivre s’érigent en nouveau modèle.

Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely, La France sous nos yeux – économie, paysages, nouveaux modes de vie, cartes de Mathieu Garnier et Sylvain Manternach, Seuil 2021, 494 pages, €23.00 e-book Kindle €16.99

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Ecologisme paléolithique

L’écologisme n’est pas une science mais une religion – et il y a plusieurs chapelles dans la maison du Père. Il y a des scientifiques qui font de l’écologie et se moquent de l’écologisme, préférant diminuer la pollution, économiser les ressources, inventer des techniques plus sobres ; il y a des croyants qui font du prophétisme et crient à l’Apocalypse depuis des décennies (1972 pour le club de Rome il y a déjà 50 ans !).

Le terme écologie vient du grec oikos (maison) et logos (discours) : c’est le savoir sur l’habitat. Il s’agit donc d’un savoir bien humain, amené dès l’origine à transformer la nature pour s’y faire un nid. L’homme nu et seul ne peut survivre, il a besoin d’organisation sociale, de provisions et de gîte. Même au paléolithique, avant la révolution agricole et l’élevage, les humains arpentaient un territoire de chasse et de cueillette et nomadisaient sur quelques centaines de kilomètres carrés en suivant les saisons : leur territoire.

Rien d’étonnant à ce que le terme écologie ait été créé par un biologiste allemand, Ernst Haeckel, proche des nazis. Il s’agissait de la meilleure adaptation de l’homme à la nature, de l’homme dans la société et de la supériorité de la race blanche. L’écologie d’aujourd’hui a plutôt viré au gauchisme, suivant les mouvements hippies et post-68 du retour à la terre et de l’élevage des chèvres. « Gardarem lou Larzac » était le cri de ralliement de ceux opposés au productivisme, à la société de consommation et à la vie urbaine comme aux normes sociales bourgeoises et à la langue nationale. Il s’agissait de vivre dans la nature, de cultiver son jardin, de pratiquer une sexualité libre, et de palabrer aux réunions communes pour donner son avis. Nous sommes loin de l’écologie scientifique et plus dans une idéologie d’orientation anticapitaliste, où la morale supplante le fait.

Si la protection de l’environnement contre les pollutions et le réchauffement du climat entend réduire l’empreinte carbone, certains vont plus loin en cherchant à limiter la consommation des ressources non renouvelables et, pour cela, prônent la décroissance. Il s’agit de changer de mode de vie, donc de transformer de fond en comble la sociologie, l’anthropologie et l’économie de la société actuelle. Travail de longue haleine qui, au nom de l’urgence, est tenté par les solutions autoritaires.

Il s’agit de punir les riches (et les Blancs), par une décroissance de la production et de la consommation des ressources non renouvelables. Les pauvres (et tous les non-Blancs) disposeraient du droit légitime de satisfaire leurs besoins essentiels jusqu’à leur empreinte écologique soutenable. Certains vont même plus loin, notamment les anarcho-primitivistes mis en scène par Houellebecq dans son dernier roman, Anéantir. Il s’agirait de régresser avant le néolithique pour vivre comme au paléolithique ou n’existait encore ni habitat en dur, ni troupeaux d’élevage, ni champs cultivés.

Dans le dernier numéro de la revue L’Histoire, Jean-Paul Demoule, professeur émérite en archéologie de Paris 1, que j’ai eu l’honneur d’avoir comme enseignant lorsqu’il était encore assistant, précise la différence entre paléolithique et néolithique. Au paléolithique dit-il, ne vivaient guère que 2 à 3 millions d’humains sur la terre ; nous sommes 7,5 milliards aujourd’hui et, au train où vont les générations encouragées par les trois religions du Livre, le « croissez et multipliez » biblique ne va pas s’arrêter d’un coup. Aucun écologiste ne dit quoi que ce soit contre cette frénésie génésique, qu’elle vienne du pape ou des islamistes. Vivre comme au paléolithique signifierait éradiquer les neufs dixièmes de la population mondiale pour que la planète puisse enfin respirer et que l’empreinte humaine soit aussi faible qu’alors.

Au paléolithique, dit toujours Jean-Paul Demoule, les migrations humaines étaient lentes, millénaires, et poussées par les techniques de survie. Rien à voir avec les migrations brutales et nombreuses d’aujourd’hui, qui déstabilisent les sociétés dans lesquelles elles arrivent. Aucun écologiste ne dit quoi que ce soit contre cette frénésie migratoire, sauf qu’il faudrait ne plus faire d’enfants pour accorder l’asile à tous ceux qui viennent !

Au paléolithique, dit encore Jean-Paul Demoule, la domination mâle était évidente, le matriarcat n’étant qu’un fantasme du XIXe siècle jamais attesté par l’archéologie. Les femmes avaient un rôle, certainement éminent, mais les groupes humains qui étaient en mode survie étaient dirigés par des hommes, la force physique comptant plus qu’aujourd’hui. Les tâches de chasse, de défense contre les prédateurs et de cueillette étaient vitales et prenaient du temps, ce qui était incompatible avec la protection continue des enfants. Notez aussi que la viande représentait une grande part de l’alimentation et de l’énergie fournie aux humains, tout au contraire des modes végétarienne ou Vegan issues des féministes urbaines américaines. La guerre n’était pas absente, pour conserver un territoire où se venger d’un groupe ennemi. Le paléolithique n’était donc pas ce paradis auquel l’écologisme voudrait nous faire croire.

Les idées de Jean-Paul Demoule ne sont probablement pas contre l’écologie, et je ne veux pas lui faire dire ce qu’il n’énonce pas, mais il aime à citer des faits plutôt que des fantasmes. À chacun de faire avec et de penser droit.

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Sondages

Rappelons qu’un sondage n’est pas une élection et que 1500 personnes, même triées selon la méthode des quotas, ne font pas 47.9 millions d’électeurs

L’opinion publique est une cristallisation de la diversité des opinions privées en « courant ».

  • D’un côté, l’opinion est soumise à la contrainte sociale, culturelle et historique. Elle est convenue, stéréotypée, elle recherche le semblable.
  • De l’autre, chaque opinion est relativement libre, non-conformiste, originale, issue de l’histoire personnelle affective, familiale, sociale, éducative et professionnelle de l’individu.

C’est le propre de la raison grecque que d’avoir fait émerger l’individu pensant ; c’est le propre de la politique grecque que d’avoir fait se rencontrer les individus-citoyens sur une agora pour en débattre de façon démocratique.

Via les Lumières et sa valorisation de l’éducation, nous sommes héritiers de cette « libération » du biologique, du clanique, du social et du dévot. Ces clans, traditions et religions qui restent si prégnantes dans d’autres civilisations visent à empêcher chacun de se faire par lui-même une opinion éclairée.

Publique, l’opinion assure la cohésion de groupe nécessaire à tout projet politique.

Privées, les opinions préparent les changements lents de la société.

La gageure des sondeurs est de transformer l’opinion individuelle, recueillie en expression personnelle de face à face, en une opinion commune censée représenter au mieux l’état du sentiment public.

  • Pour schématiser la France entière, la méthode est de recourir à un échantillon statistique représentatif de la population. Cet échantillon ne doit pas être trop grand pour des raisons d’efficacité (trop de temps et trop de coût), mais pas trop petit non plus sous peine de ne plus signifier grand-chose (notamment pour les proportions faibles). Il est souvent autour de 1500 personnes, sachant qu’il faut en contacter le double pour avoir des réponses sur un peu plus de 1000.
  • La loi statistique de Laplace-Gauss permet d’estimer avec, par exemple, une probabilité de 95 chances sur 100 que les réponses se situent dans un intervalle d’écart peu significatif (écart-type), dit « de confiance ». Pour réduire de moitié l’intervalle de confiance, il faut multiplier par quatre la taille de l’échantillon.
  • Plus la fréquence relative observée de la réponse est faible, moins la donnée est précise. C’est l’une des raisons pour lesquelles le vote Le Pen a été sous-estimé en 2002 et le vote Mélenchon mal situé fin 2011.

Est utilisée le plus souvent la méthode des quotas qui est un modèle réduit de la population en âge de voter à partir des grandes variables que sont le sexe, l’âge, la situation matrimoniale, la catégorie socioprofessionnelle, la préférence politique, le niveau d’instruction, le revenu, la religion, la commune habitée, etc. Il ne s’agit donc pas d’interrogations au hasard de personnes dans la rue, par téléphone ou Internet, ni d’une seule région, ni de gens qui se connaissent entre eux.

Les limites de cette méthode sont connues : elles exigent un recensement récent et fiable de la population ce qui, malgré les progrès de l’INSEE, n’est jamais qu’approximation. Surtout que le recensement général est abandonné car trop cher, au profit d’estimations par sondages de population. Le calcul des chances qu’a un individu d’appartenir à l’échantillon est impossible à préciser, on le met donc arbitrairement dans des « cases » préétablies ; le contrôle scientifique des instituts d’enquêtes est difficile, chacun ayant sa méthode d’interrogation, ses approximations statistiques pour catégoriser l’échantillon et ses « recettes » empiriques de redressement des sous ou surévaluations connues.

Le questionnaire soumis à l’échantillon sondé doit être examiné avec attention.

  • Un sondage qui soumet la préférence pour le candidat à la Présidentielle à des choix de « couples » (Macron/Pécresse ou Pécresse/Zemmour) : induit une idée reçue de monarchisme, de pipolisation et même de staracadémisation. Ce point de vue est biaisé – car le vote est pour un décideur sur un projet politique, pas sur une future dynastie destinée à assurer un héritier…
  • Plus la question est compliquée, moins la réponse sera claire.
  • Moins l’alternative est nette (oui ou non), moins le résultat sera « estimable » (au sens statistique). Notamment les alternatives négatives « n’avez-vous pas déjà… » : en bonne logique on peut répondre « oui, je n’ai pas déjà » ou « non, je n’ai jamais » – ce qui est inexploitable.
  • Plus le questionnaire est long, plus la tendance est de répondre vite sur la fin.
  • Plus les mots sont évaluatifs (pire, meilleur, plus apte…), moins la réplique sera fiable.
  • Certaines questions suggèrent même la réponse dans leur formulation : « ne pensez-vous pas que M. X est le meilleur pour… ».
  • Quant aux questions dites « ouvertes » pour ne pas enfermer les réponses dans la seule alternative oui ou non, elles intimident, elles engendrent incompréhension ou réplique maladroite, envie de « faire plaisir » à celui qui pose la question… bref, elles biaisent sérieusement les résultats quand la population n’est pas homogène !

Le principe de tout sondeur devrait être de partir de l’idée cynique que tout questionné est borné, changeant et de mauvaise humeur. Cet ours mal léché, on l’ennuie avec ces questions persos un peu intellos. La possibilité de se voir répondre n’importe quoi, même du ton le plus froid, ne doit jamais être négligée. Il faut donc être clair, utiliser un langage approprié à la population enquêtée en évitant le jargon, les poncifs, le technocratique, les mot-valise, la résonance affective ou polémique, etc. Rien n’est simple quand tout se complique, dessinait Sempé…

Depuis une soixantaine d’années que les sondages se sont acclimatés en France, les méthodes se sont affinées et sont devenues professionnelles. Mais la course au résultat, notamment lorsque la politique est en jeu, fait souvent aller trop vite.

Il faut notamment remettre en cause de façon régulière les méthodes de « redressement ».

Il s’agit de vérifier, par des échantillons superposés, que les taux de réponses reçues par catégorie statistique ne varient pas trop. Éventuellement de « corriger » les écarts trop grands par des coefficients testés.

  • Les personnes aux deux extrémités de l’échelle sociale sont moins facilement joignables et répugnent plus que les autres à répondre, par exemple.
  • Les personnes âgées sont plus méfiantes envers les questions.
  • Les habitants des villes, très sollicités par les démarcheurs en tous genres, se mettent aux abonnés absents ou bloquent les numéros signalés comme spams.
  • Les électeurs portés à voter autrement que politiquement correct ont soit tendance à en rajouter « pour emmerder le monde », soit à minimiser leurs préférences pour cacher leurs convictions intimes.
  • Les jeunes (18-30 ans) sont hésitants, parfois peu informés, souvent indifférents, ou alors extrêmement convaincus… par ce qu’ils entendent des autres comme eux. Auquel cas les sondages successifs accentuent leurs convictions – jusqu’au second tour où ils doivent choisir un autre candidat quand le leur n’est pas passé.
  • Les réponses par Internet sont hautement fantaisistes, attirant les geeks qui se foutent de la politique ou, à l’inverse, des réseaux bien organisés qui boostent une réponse standard pour influencer.

Et cela change selon les époques ! Ainsi, le vote Le Pen apparaissait-il comme « honteux » en 2002, mais beaucoup moins depuis 2012 où il s’est normalisé. Il était même « de mode » jusqu’à ce que survienne le trublion Zemmour qui, à la fois, attire et repousse. Une sous-évaluation il y a 5 ans peut devenir une surévaluation aujourd’hui si les statisticiens ne surveillent pas attentivement le phénomène. Ledit Zemmour, apparu tout récemment, est probablement surévalué faute de références longues.

Sonder est un métier, interpréter les sondages aussi. Plus une science se veut opératoire, plus elle doit avoir conscience de ses limites.

  • Les chiffres bruts ne sont jamais à prendre au premier degré, surtout lorsqu’on est loin de l’élection.
  • Et encore moins anticiper le second tour alors que le premier n’est pas encore passé !
  • Les tendances importent, les évolutions au fil du temps qui dégagent des courants.
  • Mais il faut surtout observer les sous-catégories où les variations se partagent. Si le résultat électoral ne compte ni les abstentions ni les votes blancs, il ne faut jamais oublier les « non réponses » ou les « indifférents » dans les enquêtes.
  • Moins les gens répondent, moins le sondage doit être pris au sérieux.

En bref, la méthode du sondage est empirique ; elle n’a rien de scientifiquement prédictif. Elle est manipulée par ce qu’on attend comme réponse, utilisée comme propagande par les gagnants. C’est curieux comme les politiciens affectent de mépriser les sondages quand ils ne leur sont pas favorables… et s’empressent de les valoriser quand la tendance se raffermit pour eux !

Mais c’est bien ça la politique : la mauvaise foi, la caricature, la calomnie. De quoi se méfier encore et toujours des politiciens, de quelque bord qu’ils soient, et leur opposer encore et toujours des contrepouvoirs. Dont le premier est la vérification des faits et des affirmations.

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Immigration en fait

L’émission des Matins de France culture consacrée à l’archéologie du vendredi 10 décembre a tendu à « prouver » qu’il existait des communautés étrangères sur le territoire aujourd’hui national (hier ouvert) tels les Grecs à Marseille au Vie siècle avant, les Juifs à Lyon au IIIe siècle de notre ère et les Musulmans au VIIIe siècle dans les villes du sud-ouest. Certes – mais qu’est-ce que cela prouve ? Que le territoire est un lieu ouvert où certaines minorités arrivent et repartent, parfois s’enkystent, tout en restant minorités.

Le problème n’est pas de nier l’immigration dans l’histoire, le problème est le stock d’origine immigrée AUJOURD’HUI. Deux études récentes de l’institut Montaigne ici et synthétisent des notes de l’INED et de l’INSEE qui sont rarement citées, de peur de « faire le jeu » du racisme et autres billevesées de la gauche « morale ». Je vous incite à aller voir les sources, c’est toujours mieux que les commentaires. L’immigration est un FAIT qu’il faut examiner en tant que citoyen, si possible rationnellement. C’est au contraire en posant un tabou idéologique au prétexte de « vertu » sur ce fait que l’on exaspère les radicalités et que l’idéologie (donc le mensonge ou l’illusion) prend le pas sur l’observation.

Aujourd’hui, plus d’un cinquième de la population est directement issu de l’immigration récente (immigrés et enfants d’au moins un parent immigré). Les étrangers sont 7,6 % en 2020, soit 5,1 millions de personnes (dont 4,3 millions d’immigrés et 0,8 million de personnes nées en France) auxquels il faut ajouter environ 400 000 clandestins et déboutés non renvoyés.

Les titres de séjour valides ont augmenté nettement depuis trente ans avec un stock 3,5 millions fin 2020 et un flux de 219 000 sur l’année. Il faut noter qu’il s’agit très majoritairement d’Africains (58 %). Les demandes d’asile d’un peu plus de 150 000 par an depuis la fin des années 2010 et leur taux d’acceptation d’environ un tiers concernent l’Afghanistan, le Bangladesh, l’Albanie et la Géorgie, l’Afrique subsaharienne.

La contribution des femmes immigrées à la fécondité est de près d’un cinquième des naissances 2,60 enfant par femme contre 1,77. En 2020, l’immigration a représenté plus de la moitié de l’accroissement de la population. Il y a deux fois plus de jeunes de moins de 18 ans d’origine immédiatement étrangère (immigrés et enfants d’immigrés : 22 %) aujourd’hui qu’à la fin des années 1960 (11 %). La population immigrée totale (y compris Français) comprend 47,5 % d’origine africaine et 29 % originaires du Maghreb – ce qui se voit immédiatement dans la rue et à l’école. Ce serait niais et hypocrite de faire comme si de rien n’était.

L’acceptation se fait, mais plus lentement que les flux, ce qui explique les « réactions », notamment populaires. Donc la propension à voter Rassemblement national ou à louer Zemmour (lui aussi issu de l’immigration mais « assimilé »). Notamment dans les deux régions qui accueillent plus de 10 % d’immigrés, l’Île de France (où vivent près de 40 % des immigrés) et PACA.

L’intégration est plus difficile pour l’immigration récente que pour les immigrations d’hier et d’avant-hier car le maintien de la culture d’origine est facilité par la permanence des flux et les moyens modernes d’information, de communication et de déplacement. Ce pourquoi « l’assimilation » à la Zemmour est un mythe qui fait peut-être vibrer les « anti » mais qui a peu de chance de s’avérer. Il faut faire avec les réalités. De plus, les structures traditionnelles de socialisation (associations, syndicats) ne jouent plus leur rôle et sont remplacées par des communautés religieuses. Dont l’islam, dont sont issus la plupart des terroristes depuis trente ans – ce que l’interminable procès de ceux du Bataclan remémore tous les jours, en pleine campagne présidentielle.

Les comparaisons internationales montrent que la situation migratoire française se situe dans la moyenne – sauf sur ce point de friction politique crucial : le très faible taux de reconduite à la frontière par rapport au nombre de décisions d’éloignement prononcées (23 %, contre 44 % en moyenne européenne dont 89 % en Allemagne et au Royaume-Uni). Il y a donc un laxisme exécutif français du à une véritable lâcheté politique pour « faire comme si » l’immigration était officiellement maîtrisée mais officieusement laissée à elle-même. Ce qui n’est PAS le cas dans les pays voisins.

L’impact à long terme des migrations sur la richesse par habitant est neutre selon des études de l’OCDE. En France, l’effet serait même légèrement négatif en raison de notre immigration peu qualifiée, avec un taux de chômage important. Les immigrés contribuent moins en impôts et cotisations sociales alors que le système français est très redistributif.

Reste que la population française déclinerait, comme dans les pays européens en général, s’il n’y avait pas l’immigration, posant un problème de financement des retraites. Mais c’est parce que le système actuel finance les retraités avec les actifs ; il suffit d’introduire des fonds de pension (éventuellement gérés par l’Etat) pour que la question ne soit plus un véritable argument.

Si la proportion des immigrés dans la population à 12,8 % est inférieure à la moyenne de l’OCDE de 13,6 %, la France reste, du fait de son héritage migratoire, la première nation européenne pour la population totale d’origine immigrée : 26,78 %. Plus du quart : la population change, la culture change, le quotidien change. Pourquoi refuser de le voir ?

Pourquoi dénier les problèmes que cela pose, notamment sur le niveau scolaire – et les moyens qui devraient donc aller avec ? Pourquoi continuer d’accepter une immigration massive, à faible qualification, qui coûte plus qu’elle ne sert, tout en exacerbant les antagonismes culturels et religieux ? Pourquoi chercher ailleurs la MEFIANCE qui, bien plus qu’ailleurs, caractérise le citoyen français face à ses pouvoirs publics ?

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Woke, la nouvelle idéologie de la gauche bobo

Taubira ira ? n’ira pas ? Echo ou appel ? « Quitte ta maison et viens » pour prêcher avec moi. Car la gauche anéantie n’a plus rien à dire, sauf aux extrêmes minorités, individualistes en diable, exclues, sexualisées, genrées, racisées, immigrées. Or c’est « le peuple » qui vote dans sa majorité et pas les minorités. Les intellos qui étaient jadis avec le peuple comme des poissons dans l’eau se sont retirés dans leurs mares plus chaudes de l’entre-soi – et le peuple a repris ses idées.

Que fait aujourd’hui la gauche pour « le peuple » ? Elle a montré avec Mitterrand (et Hollande) qu’elle était nulle en économie ; elle a épuisé le social sous Jospin en exacerbant le « toujours plus » doublé du « et moi, et moi ! » ; elle a arpenté le minoritaire avec le mariage gay, le mitou néo-féministe qui inverse la domination (pour instaurer une nouvelle domination d’opinion), sans compter l’écologie punitive et la distribution à guichets ouverts des « droits » sans devoirs. Le peuple – la majorité démocratique – se dit qu’il n’est guère qu’un cochon de payant et se trouve même accusé de beaufitude, , de réaction, de racisme (mais qui évoque le mot, sinon les racisés ?). Le peuple en a marre. Il se méfie désormais des « élites » car 24 ans de gauche au gouvernement sur 43 ans depuis Giscard l’ont déçu et son espoir s’est envolé pour les fameux lendemains qui chantent. Toujours demain, comme chez Poutine.

La droite, qui n’a régné que 19 ans, fait désormais l’envie de ses yeux de Chimène. Elle parle des « vrais » problèmes populaires : ceux de l’immigration trop rapide et mal assimilée, des familles sans père (ni Nom du père pour les psys), du nouveau privilège féminin, des fins de mois difficiles. Car le multiculturalisme de fait laisse place à un multiculturalisme de normes. Le regretté Laurent Bouvet avait mis en évidence cette identity politics venue de la gauche américaine. Les groupes sociaux ne sont plus considérés en tant que classes en lutte pour leur part du gâteau économique mais par leur « identité » religieuse, leurs caractéristiques ethniques, leur orientation sexuelle ou leur genre, toutes ces micro-différences qui éparpillent le sentiment de classe – et qui préservent les nantis de toute revendication économique ! Le woke est un raffinement du « capitalisme ».

Le pire est cette nouvelle idéologie des bobos en manque d’idéal révolutionnaire. Le peuple a déçu, changeons le peuple ! Le parti socialiste, il y a quinze ans vivier de la modernité pour les petit-bourgeois fraîchement diplômés et devenus financièrement privilégiés, est devenu le nid de cette idéologie nouvelle, secrétée par cette nouvelle base sociale. Cette gauche « morale » compense ses privilèges de nouvelle classe économique par un affichage idéaliste accru. Le « woke », cet éveil venu des Etats-Unis, se veut d’un infini respect (affiché car dans les faits concrets, c’est autre chose) pour tous les déviants, qu’ils soient de sexe ou de « race » – un mot que l’on croyait banni des dictionnaires sérieux, les scientifiques ayant démontré que « les races » n’existaient pas. Mais balivernes !

L’idéologie a besoin de croire, comme toute religion, et « le racisme » est ce nouveau diable surgi des âmes coupables. Cette discrimination raciste ne touche curieusement que les Noirs aux Etats-Unis et les Maghrébins en France, pas les Indiens ni les Chinois, considérés comme « dominants » parce qu’ils défient le pays le plus puissant de la planète… Soutenir les minorités extrêmement minoritaires permet de se croire une supériorité morale qui ne coûte guère, puisque que ces minoritaires ne sont pas assez nombreux ni assez doués pour venir défier les nouvelles positions économiques et sociales des bobos fraîchement installés.

L’argent, beurk ! mais « les valeurs », super ! Les valeurs, personne ne sait trop ce que c’est puisque chacun a les siennes dans l’individualisme systémique ambiant. Mais ça fait bien en société : « J’ai des valeurs, moi, Monsieur ! » Ça impressionne. Surtout lorsqu’il s’agit de titiller le vieux fond de culpabilité chrétienne qui subsiste en tout Français (ou Américain) de tous sexes, même laïque, même incroyant, même revenu de l’Église, de ses histoires de quéquette et de dogmes antédiluviens. « La charité, Monseigneur ! la charité »… Quoi de mieux que l’Exclu majeur de notre temps : l’immigré en femme, noire, lesbienne, violée, battue ou tuée « par la police », malade, sans abri et sans le sou ? Il serait « raciste » selon le woke bobo de croire que la race n’existe pas ! Il serait inconvenant de croire qu’un homme n’est pas une femme, et réciproquement ! Renversons les valeurs.

Mais le peuple n’est pas d’accord. Depuis la Révolution, oui pour accorder tout aux exclus (immigrés ou sexuellement différents) en tant qu’individus, mais rien en tant que communauté – au prétexte que « ça se voit sur leur figure », que « c’est la guerre chez eux », que « la situation économique est effarante », ou encore « que la dictature y est féroce ». Si l’Europe devait accueillir toutes les populations qui réunissent ces critères, le territoire serait trop petit pour survivre. D’ailleurs les Etats-Unis woke de Biden ne respecte les déviants sexuels qu’en les parquant à distance par les principes (mais pas de ça chez moi) et n’accueillent pas plus les immigrants, la frontière est bien gardée, surtout au sud… En effet, question anti-woke : pourquoi tant de gosses (y compris par PMA encouragée), si la situation est si mauvaise ? Pourquoi enfanter ou accueillir de nouveaux exclus qui seront malheureux (racisés, battus par la police, violés, etc.) ? Pourquoi encourager ces familles trop nombreuses du tiers-monde à tenter de venir s’installer dans les Etats-providence d’Occident ?

C’est donc une lutte des classes qui nait entre « le peuple » et la gauche morale plus que contre les patrons (certains financent même Zemmour) . Celle-ci n’a rien à dire sur la montée des inégalités – qui lui profite amplement ; rien à proposer pour y remédier, sauf une rituelle invocation à « faire payer » les (très) riches : ceux qui le sont plus qu’eux. Ce pourquoi François Hollande a été éliminé, il avait évoqué 3500 € par mois comme seuil où l’on était considéré comme « riche » : vous vous rendez compte de l’effet dans un foyer bobo moyen ? Un président ne devrait pas dire ça, mais Hollande ne peut jamais s’en empêcher.

Les bobos, ces bons bourgeois issus du peuple d’hier, sont électeurs des grandes villes et montrent comme préoccupation majeure le climat ; ils se foutent du « social », ils ne sont pas concernés. D’où les gilets jaunes, frappés de plein fouet dans les provinces et les périphéries par les mesures antibagnoles, le contrôle technique renforcé, l’écotaxe sur le carburant, surtout diesel, et même le 80 à l’heure. Que les salaires stagnent et que la formation soit nulle pour la classe ouvrière ou la classe moyenne, ils s’en battent, les bobos. Que « le peuple » ait l’impression de régresser, que l’ascenseur social soit non seulement en panne mais en chute, n’est pas leur problème. L’immigration est morale, « il faut les aider », car les immigrés seront de toutes façons loin de venir piétiner leurs platebandes riches et diplômées – au contraire, les bobos pourront trouver à très bas prix de bonnes nounous pour leurs (rares) niards et des jardiniers pour leurs (superbes mais épuisants) jardins, sans parler des peintres, plombiers, éboueurs, sous-aides soignants, ramasseurs de fruits, livreurs de (la sempiternelle) pizza, videurs de poubelles, etc. Ouvrez les frontières ! accordez encore plus de droits aux minorités ! C’est bon pour la fluidité du commerce, coco ! C’est bon pour les jouissances du bobo.

La déconstruction, qui a conduit au woke, doit s’appliquer également au woke : rechercher ses bases sociales, les intérêts de classe que ses adeptes peuvent avoir, l’utilité de cette nouvelle idéologie par rapport aux précédentes pour mener une guérilla de prestige pour capter les postes – et garder le pouvoir. Déconstruisez les déconstructeurs, c’est de bonne guerre !

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O’Macron, un variant très contagieux

Le président hier a parlé, dommage que ce fut sur TF1 et non pas sur une chaîne du service public. La soirée aura quand même empêché les accros au petit écran d’écouter les sempiternelles téléfilms yankees qui diffusent la propagande féministe et puritaine du colonisateur d’Occident. Le format était original par rapport à ce qui s’est fait jusqu’à présent, en courtes séquences successives ponctuées d’images et parfois d’émotion.

Le tout a duré 1h52 mn et non pas « deux heures » comme répètent à l’envi les médias – chacun peut le vérifier sur le replay de la chaîne. Dans l’ordre, les séquences les plus longues ont été celles consacrées à la crise sanitaire (20 minutes), aux réformes (17 minutes), à l’endettement de la France (12 minutes), à la république (11 minutes), et au style du président (10 minutes). D’autres séquences ont concerné les institutions, les inégalités, la parole des femmes, le terrorisme, et le « quoi qu’il en coûte » assumé.

Le président ne « voulait pas faire de politique » mais présenter une rétrospective des cinq ans passés à l’Élysée. Sa candidature viendra probablement, mais plus tard, au début de l’année prochaine, alors qu’il lui reste encore quatre mois pour prendre des décisions, peut-être difficiles. Nul ne doute qu’il ne soit candidat, sauf si un événement exceptionnel devait le conduire à renoncer.

Le ton général a été celui d’une certaine satisfaction pour le travail entrepris, mais aussi une reconnaissance des difficultés imprévues. Un « en même temps » qui a permis d’apprendre et de résister. Emmanuel Macron est passé de la situation « d’aimer la France » en début de quinquennat à celle « d’aimer les Français » en fin de quinquennat. Il a toujours « envie de faire », même s’il a commis des erreurs – il a le souci de ne pas les répéter. La philosophie du « en même temps » est celle d’être à la fois « efficace et juste ».

Cela se décline sur tous les sujets :

  • Sur la crise sanitaire où le confinement a été nécessaire alors que personne ne savait comment la pandémie allait se développer (« tous les pays ont confiné », à commencer par la Chine, pourtant productrice de masques). Pour les autres vagues, la vaccination a pris le relais et le confinement est devenu moins nécessaire (jusqu’à présent).
  • En économie, où le « quoi qu’il en coûte » est assumé et, en même temps, les réformes concernant la fiscalité et l’encouragement à l’investissement des personnes aisées – car le mérite doit aller avec la solidarité pour « un pays juste ». Pourquoi reconnaître le mérite dans les arts ou le sport et pas en économie ? Une phobie morale de « l’argent » ? « Je n’ai pas l’obsession de l’argent » (comme Nicolas Sarkozy – c’est moi qui rajoute) mais la culture du succès économique (pas comme François Hollande – idem).
  • Sur le chômage, où la réforme a permis des créations d’emplois et des entrées en apprentissage beaucoup plus fortes qu’auparavant.
  • Sur le débat démocratique avec les nombreuses lois débattues au Parlement et le Grand débat sur le climat qui a permis aux « invisibles » et aux « empêchés » de découvrir qu’ils avaient leur place alors que des décisions bureaucratiques concernant la taxe carbone et les 80 km/h avaient été prise par des fonctionnaires depuis Paris.
  • Sur le pouvoir d’achat, source d’inégalités – compensées pour les classes moyenne et populaire par le chèque énergie, l’allocation adulte handicapé, le minimum vieillesse agriculteurs, la suppression de la taxe d’habitation, la prime d’activité… Mais en même temps permettant l’investissement qui crée de la richesse pour financer le modèle social.
  • Sur la parole des femmes contre les violeurs et les maris violents, mais avec la présomption d’innocence et le respect des procédures judiciaires plutôt que le lynchage médiatique et des réseaux.

Inutile de récapituler tout ce qui a été accompli durant cinq ans malgré les grèves, les gilets jaunes et le Covid. Aucune réforme n’a été vraiment marquante mais une suite de réformes allant dans le même sens, vers la responsabilité et le mérite, en faveur du travail et du goût du risque.

La dette est importante mais on la remboursera par plus de travail, pas par les irresponsables « on l’annulera » ou par « les générations futures s’en débrouilleront », ni par la posture de « père fouettard » en augmentant massivement les impôts et les taxes – « cela a été essayé et cela n’a pas marché » (ce qu’a tenté François Hollande avec le désastre qu’on connait et ce que propose Valérie Pécresse un peu légèrement). Plus travailler implique une réforme des retraites afin d’être en emploi plus longtemps et mieux aux deux extrémités des âges, des jeunes comme des seniors. La réforme sera simplifiée en trois régimes plutôt que les 42 existants pour réduire les inégalités de privilèges historiques.

Le service public devra être modernisé pour être plus efficace mais le problème n’est pas « le nombre de fonctionnaires » comme le répète la droite. Ou peut-être (le président ne l’a pas évoqué) dans les régions et les départements où les postes sont mal définis et les horaires pas toujours respectés. Au niveau national l’armée, la police, les magistrats, l’enseignement, l’hôpital, sont des fonctions régaliennes qui manquent de fonctionnaires – et aussi de simplification bureaucratique.

Le simplisme des propos des extrêmes-droites comme de la droite qui se durcit, est plaisant même s’il ne s’agit que de promesses électorales qui seront sans lendemain parce qu’irréalistes :

  • Diviser les Français n’augmentera pas la sécurité.
  • Accuser « l’islam » ne résoudra ni le terrorisme, ni l’obligation de laïcité.
  • Proposer de dépenser encore et de fournir toujours plus de moyens ne résoudra pas la question de l’organisation des rôles et des fonctions des services de l’État.

Il faut augmenter les moyens, certes, mais selon ce que l’on peut et non pas selon ce que l’on désire. Il faut surtout former et réformer avant de lancer des slogans irresponsables. Or il n’y a aucune responsabilité dans les braillements violents des extrémistes, qu’ils soient gilets jaunes ou zemmouriens. Incendier une préfecture ou casser les sculptures de l’Arc de Triomphe ne démontrent ni un sens civique développé, ni un amour de la France.

Les peurs existent, le ressentiment global augmente, la méfiance aussi – et les réseaux sociaux amplifient les comportements de foule, tel le lynchage de Samuel Patty comme les ralliements complotistes que l’on constate ici ou là. Le président a raison de garder raison face à ces débordements infantiles que quiconque parvenu au pouvoir ne pourrait plus tolérer.

Il regrette un certain nombre de propos malvenus, mais souvent sortis de leur contexte. Ainsi le jeune homme à qui il conseillait de traverser la rue pour trouver un nouvel emploi lui avait demandé s’il avait un poste d’horticulteur ou tout autre boulot, alors que le patron du restaurant en face cherchait des serveurs. Le président ne l’a pas dit, mais les médias sont souvent dans la caricature, faute de professionnalisme. Le scoop immédiat plutôt que le contexte, le buzz valorisant plutôt que l’effort de rechercher, réfléchir et recouper.

À chacun, il demande d’être pleinement citoyen, ce qui implique certes des droits, mais « d’abord des devoirs » – ce que déclarait justement Joséphine Baker. Il parle aux jeunes indifférents à la politique, à ceux tentés de se radicaliser, aux musulmans qui se demandent s’ils peuvent exercer leur religion, aux femmes qui ont peur de porter plainte. « Tout ce qui divise affaiblit » rétorque-t-il au polémiste Zemmour. La démographie change, en effet, mais ce qui compte n’est pas de fermer les frontières, slogan illusoire, mais de maîtriser à la fois les flux qui entrent et l’intégration de ceux qui sont là. Il faut des frontières, notamment européennes, et en même temps développer l’Afrique, continent qui envoie ses pauvres et sa démographie en surplus vers l’Europe.

Sur son style personnel, le président évoque sa « vitalité », sa « volonté de bousculer et de transgresser » mais est plus conscient du respect qu’il doit aux gens, et aux mots qui peuvent blesser. « J’ai appris », répète-t-il plusieurs fois. La photo où il pose avec un Noir torse nu qui fait un doigt d’honneur n’aurait jamais dû être diffusée, c’était une erreur. « J’ai été naïf », dit-il. C’était à la suite de l’ouragan à Saint-Martin, lorsqu’il avait été convié par une famille à visiter son appartement. Là encore un instant sorti de son contexte.

Sur l’avenir, qu’il évoque à grand traits : « où va la France ? ». Elle va :

  • vers la transition écologique et sociale qu’il faudra organiser,
  • vers l’innovation pour garder une place dans la mondialisation,
  • vers le niveau nécessaire pour résister à la guerre technologique qui ne fait que commencer.

Ce qui implique de réformer l’éducation et l’apprentissage pour s’adapter à un monde en changement. « Nous sommes le pays de tous les possibles » dit-il en conclusion.

À part sur l’international, où la séquence n’a duré que deux minutes à propos du contrat australien révoqué, tout le reste a été consacré aux affaires et questions intérieures que tout le monde se pose. C’était pédagogique et varié, très illustré, même si les journalistes comme le président portaient curieusement la même couleur de costume bleu pétrole – couleur incongrue en transition écologique.

Le président est jeune, intelligent et pédagogue, dynamique et capable d’apprendre. Il se dit « affectif » mais en même temps apparaît comme cérébral, ce qui paraît un bon compromis lorsque l’on doit prendre des décisions pour le pays.

S’il est à nouveau candidat, il sera à mon avis un variant redoutable car très contagieux.

Je ne crois pas qu’Éric Zemmour, Marine Le Pen, Anne Hidalgo ou Yannick Jadot fassent le poids contre lui. Pour Jean-Luc Mélenchon ou Valérie Pécresse, c’est peut-être différent mais le premier a peu de chance d’accéder au second tour. La droite veut prendre sa revanche sur la victoire qu’elle escomptait avec François Fillon, mais ce n’est pas gagné, surtout si elle se crispe sur l’illusoire (moins de fonctionnaires, restrictions budgétaires, fermeture culturelle).

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5G, la panne

Le tout dernier sondage Ipsos Sopra Steria France-info Le Parisien-Aujourd’hui en France (ouf !), réalisé du 6 au 8 décembre sur 1500 électeurs représentatifs, montre la gauche en capilotade et l’extrême-droite en érection. Un sondage à quatre mois des présidentielles ne pronostique en rien du résultat final mais donne une indication de tendance. C’est net : la France est à droite et la gauche déconsidérée.

Si l’on additionne tous les pourcentages de gauche, seulement 27% des électeurs disent vouloir voter pour elle, soit à peine plus que pour le président sortant tout seul. Dont 25% pour la 5G (Mélenchon, Jadot, Hidalgo, Montebourg, Roussel – le reste, résidus archaïques du gauchisme des années 70, étant négligeable).

D’où l’appel désespéré d’Anne Hidalgo à une nouvelle « primaire », comme si voter et revoter encore et encore, après les primaires dans chacun des partis, allait changer la donne. « Annie », comme l’appellent volontiers les gens de province qui ne connaissent d’elle que son image de bobote parisienne pro-gays de tous sexes et antibagnole, favorable au 10 km/h en ville et à 110 km/h sur autoroute, « Annie Dalgo » donc n’est pas populaire hors des arrondissements de l’est parisien. Elle apparaît trop tard dans le socialisme, avec une personnalité trop apparatchik pour les désirs d’avenir aujourd’hui.

L’extrême-droite a le choix entre Le Pen, Zemmour et Dupont-Aignan (laminé) et forme 31.5% des intentions déclarées. Mais ce socle est divisé et ne parviendra peut-être pas au premier tour : faudrait-il une « primaire » à l’extrême-droite dans la lignée de l’appel Hidalgo ? C’est peu probable tant chaque ego tient à briller tout seul, au détriment de ses idées. Car les idées sont des habits qu’on endosse, pas la chair même car, si tel était le cas, chacun s’allierait sans état d’âme pour conforter « la France »… Gageons qu’ils s’en foutent bien de « la France », c’est la leur qui compte, ni « le peuple », ni « le pays ».

L’extrême-gauche, à 9% d’intentions de vote déclarées aujourd’hui ne paraît plus crédible (je ne mets pas Jadot dans cette extrême, avec Rousseau cela eût été différent). L’écologie reste de témoignage, trop divisée, trop idéologique, trop portée à se prosterner avec une soumission de secte devant tout ce qui vient des USA : l’ultra-féminisme de dénonciation, le décolonial avancé jusqu’au néolithique, l’anticulture woke, les sempiternel « offensés ».

C’est clairement la droite qui séduit, à 33.5% sans Macron. Il est probable que les extrêmes à droite se rallieront en majorité à Pécresse en cas de second tour contre tout candidat de gauche ou de quasi-gauche contre le président actuel.

Nous verrons comment va évoluer la tendance une fois que la campagne sera officiellement commencée, probablement en janvier. Il me semble raisonnable de penser que Montebourg va descendre – ou se rallier à Hidalgo, étant le maillon faible – que Zemmour va stagner à mesure que Pécresse reprendra certains de ses thèmes sans la haine ni l’extrémisme qui vont avec, et que Macron peut se conforter en jouant habilement les diagonales, proposant ce que ses adversaires les plus sérieux proposent aussi, pour le réaliser lui-même : l’en même temps du changement sans le risque.

Qu’en sera-t-il de Marine Le Pen ? C’est la grande question en ce début décembre.

L’envol Zemmour l’a fait paraître plus sérieuse et plus raisonnable à l’extrême-droite (c’est dire), mais l’exaspération des exclus légitimistes réactionnaires de la vie politique depuis la fin de la guerre d’Algérie sort renforcée de l’expérience Trump et bénéficie du soutien actif des réseaux de déstabilisation stratégique russe ; elle ne risque pas de retomber d’un coup. Coincée entre l’extrémisme d’idées et l’aptitude à gouverner, Marine Le Pen a peu de marges de manœuvre.

En Marche pourrait encourager tactiquement les parrainages en faveur de Zemmour afin de diviser l’extrême-droite – mais ce serait assurer pratiquement un second tour Macron-Pécresse, plus redoutable que Macron-Le Pen. Si Zemmour ne parvient pas à obtenir les signatures de 500 élus, craignant leur marquage extrémiste si cela se sait, est-il certain que les voix pro-Zemmour se porteraient sur Le Pen ? Rien n’est moins sûr pour une bonne partie d’entre elles, surtout si Pécresse muscle son programme sécuritaire avec Ciotti en bonne place.

Ce sont les délices de la politique que ces pronostics avant la fête. Une fois les lampions éteints, c’est moins drôle.

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Tout change

Tout passe, tout lasse, tout casse, tout se recycle – éternellement. C’est la seule éternité – qui n’est pas celle de la Bible ou du Coran. Les religions du Livre, en effet, décident que tout est figé par un seul Dieu, une fois pour toutes, qui a créé « le » monde, donc avec un commencement et une fin. Alors qu’il n’y a aucun début ni aucune fin mais un éternel retour du même, un univers en expansion jusqu’à s’évanouir en trous noirs de plus en plus denses qui vont à leur tour exploser en de futurs univers en expansion qui…

Hors le Livre, qui a contaminé la mentalité de nombreuses générations en Occident par son fixisme hors de toute réalité, les sagesses et philosophies autres depuis l’antiquité sont en résonance. Marguerite Yourcenar traduit la pensée romaine païenne lorsqu’elle dit : « Mais tout change sans cesse en nous comme hors de nous ; même les paroles que je prononce en ce moment me changent. » Swami Prajñanpada traduit la pensée orientale lorsqu’il profère : « Tout change continuellement. Vous devez l’accepter et agir en conséquence. » Le politicien bien oublié aujourd’hui, Alain Juppé, traduit la pensée libérale lorsqu’il énonce : « Tout change. Tout va continuer à changer. De plus en plus vite. Sans sommations. »

Nous sommes dans le changement incessant. Tout évolue et se transforme, à commencer par nous, notre corps, nos passions, nos idées – et le monde qui nous entoure. Pourquoi, dès lors, vouloir revenir au passé ? Pourquoi vouloir « fixer » une fois pour toutes un Âge d’or qui n’est qu’un mythe, une reconstruction idéale volontaire qui n’a jamais existé et n’existera jamais ? Pourquoi penser un seul instant que « c’était mieux avant » ?

Peut-être parce ce que le monde va trop vite à mesure qu’on vieillit, et qu’on regrette tout simplement le temps où il allait comme nous, disons entre 30 et 60 ans. Avant, il ne va pas assez vite, trop de normes insupportables, trop de « vieux cons » qui empêchent, trop d’obstacles naturels. Après, il va trop vite, plus de règles ni de respect, trop d’égoïsmes individualistes, trop de nouvelles technologies qui vous larguent.

Je suis pour ma part héritier des Antiques, pour le milieu juste. Si l’histoire n’a pas de sens, elle a du sens – ce qui n’est pas la même chose. Chacun peut reconstituer les causes et les conséquences, les interactions passées devenues logiques – après coup. Quant à spéculer sur les causes d’aujourd’hui qui produiront les conséquences nécessaires de demain – c’est illusoire. Il y a tant de changement partout en même temps que les interactions ne cessent de modifier à chaque instant les paramètres et qu’il n’y a guère que les lois (grossières) de la physique qui paraissent à peu près stables (dans notre seul espace-temps).

Le milieu juste consiste à analyser ce qui est, sans rêver à ce qui aurait dû être ; à proposer ce qui se peut, sans ambitionner l’impossible ; à accompagner les changements de fond – contre lesquels on ne peut rien – sans regretter un autre temps où tout était autrement.

La France va mal ? Qu’est-ce précisément qui va mal ? L’islam sans les garde-fous des lois inappliquées de la République ? L’économie bradée sans contrôles aux Américains et aux Chinois ? L’Europe représentée par le Conseil (composé des chefs de chaque Etat) qui décide sans que le Parlement – trop peu démocratique et proche des citoyens européens – n’ait grand-chose à dire ? La démocratie représentative – en France trop centralisée à l’Elysée ?

Proposons donc de réformer ce qui est possible de ces problèmes concrets – et déjà d’appliquer la loi qui existe, souvent bien suffisante mais prolifique et mal connue, parfois déviée par des juristes idéologues.

Sur les changements de long terme, le climat, la démographie, les ressources, la géopolitique, il va nous falloir faire avec, user des instruments que l’on se donne qui ne peuvent qu’influer sans modifier vraiment, tant les forces d’inertie sont lourdes et inéluctables.

  • Le climat se réchauffe et, en attendant la prochaine glaciation naturelle, tentons de remédier à nos émissions de gaz à effet de serre : intelligence et économie, sans les fanfreluches de la mode et les futilités des paillettes qui continuent de sévir trop souvent.
  • La démographie des cinquante ans à venir est déjà dans les naissances de ces dernières années et le déséquilibre entre ceux qui font des bébés et ceux qui n’en font pas va s’accentuer ; tenter de contrôler les naissances là où elles nuisent au développement et aux ressources, tenter d’encourager les naissances là où elles manquent (je dis aux pénistes et autre zemmouriens : faites donc des gosses au lieu de reprocher aux autres de nous en envoyer !). Et dénoncez donc ce Pape qui refuse pilule et avortement et encourage l’immigration dans le grand métissage indistinct de tous les fils de Jéhovah – en position du missionnaire exclusivement.
  • Pour économiser les ressources, rien de tel que l’économie capitaliste – qui produit le plus avec le moins – mais régulée par les Etats ; et la recherche scientifique – qui rationalise et découvre de nouvelles voies – mais contrôlée par les pairs pour écarter les charlatans à la Raoult.
  • En ce qui concerne la géopolitique, le poids territorial et démographique de la Chine et de l’Inde va permettre que ces Etats prennent leur place « naturelle » dans le monde, tandis que l’Afrique est divisée, comme l’Europe, que la Russie décline et vieillit comme le Japon, et que les Etats-Unis se colorent et s’exacerbent dans des conflits internes qui vont probablement les miner comme jadis l’empire romain.

Tout change et il ne sert à rien de regretter le « bon vieux temps ». Il n’est que la reconstruction des souvenirs, pas la réalité vécue.

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