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Elsa Vidal, La fascination russe

Un essai fascinant d’une journaliste parlant russe, connaissant bien la civilisation russe et au fait de la Russie contemporaine. Pour elle, le tropisme français envers la Russie date de loin, de Voltaire avec Catherine II peut-être, mais il est resté un dogme de la pensée stratégique depuis de Gaulle.

C’est l’objet de la première partie. Le général président voulait équilibrer les puissances anglo-saxonnes, qui avaient libéré le territoire de l’Occupant allemand, avec l’autre puissance européenne une fois le Reich vaincu : « la Russie ». C’était alors l’URSS, qui englobait tout un empire de « républiques » soviétisées, et de Gaulle aimait bien l’idée « d’âme des peuples » . Mais lors de la crise de Berlin en 1961 et de celle de Cuba en 1962, « De Gaulle se range sans hésitation aux côtés de ses alliés occidentaux, un fait généralement passé sous silence par ceux qui aujourd’hui se revendiquent du gaullisme ».

Les présidents suivants se sont engouffrés à sa suite avec plus ou moins d’enthousiasme, mais avec constance. Mitterrand est resté « dans les pas de De Gaulle », Chirac était « amoureux de la Russie » (et parlait vaguement russe depuis l’âge de 15 ans), il a insisté en 1997 pour faire signer l’acte Otan-Russie et l’accord de partenariat UE-Russie, Sarkozy a été un candidat anti-Poutine avant de virer casaque et d’accepter de vendre à la Russie deux frégates Mistral sophistiquées, que Hollande, « exception française », a refusé de livrer après l’invasion de la Crimée en 2014.

Quant à Macron, il a d’abord été dans la conciliation durant deux années entières après l’invasion de l’Ukraine par l’armée de Poutine, déclarant qu’il ne fallait « pas humilier la Russie », avant de prendre l’option d’aider l’Ukraine à résister au maximum. Option qui tient à la position stratégique de la France, seule puissance nucléaire indépendante de l’Union européenne, mais aussi à une tactique électorale qui est de contrer les partis de Le Pen, Zemmour et Mélenchon, tous pro-Poutine, tandis qu’il se pose, étant bloqué sur les réformes à l’Assemblée faute de majorité absolue, comme le président qui prend les grandes décisions sur l’avenir du pays.

Sur la Russie, c’est l’objet de la seconde partie, les Français vont de « faux-semblants et confusions en série ». La « Russie éternelle » a du charme, mais la Russie éternelle n’existe pas ; elle est un mythe. Le pays n’a surtout jamais été « un allié de toujours » ! Les troupes du tsar Alexandre 1er ont occupé Paris en 1814. Sur la Crimée déjà, les troupes françaises ont vaincu les troupes russes à Sébastopol en 1854.

De même « la puissance russe » est un autre mythe. La Russie n’a rien d’un pays invincible. Certes, le territoire est immense et les armées peuvent s’y perdre, faute de commandement suffisant et d’objectifs précis (Napoléon, Hitler), mais les Russes ont souvent été vaincus dans l’histoire : en 1854 par une alliance franco-anglaise en Crimée, en 1905 par les Japonais, alors puissance du tiers-monde, en 1917 par les Allemands, qui lui ont envoyé Lénine en wagon plombé pour la déstabiliser de l’intérieur, en 1942 à cause des erreurs de Staline et après avoir signé le pacte germano-soviétique avec Hitler, en Afghanistan en 1989 après dix ans d’occupation sans résultat – et en Ukraine, où le « pays-frère » qui devait être libéré des pro-occidentaux a résisté en masse et bouté l’armée de Poutine hors du Dniepr.

Et ce n’est pas « la Russie » qui a « sauvé la France du nazisme », mais l’armée rouge de l’URSS, soit 70 millions de citoyens non-russes sur 170 millions de soviétiques. Et les Alliés qui ont débarqué sur son sol, et qui ont massivement aidé l’URSS industriellement indigente en livrant des radios, des camions et du carburant, tout en bombardant massivement les infrastructures industrielles allemandes. La Russie est « une puissance pauvre », selon le mot d’Hélène Carrère d’Encausse. Elle a des missiles nucléaires mais vit mal au quotidien. La seule chose qui la rend attirante pour les intellos français est sa contestation de la puissance américaine.

La propension pro-russe des militaires et du Renseignement français est avérée. Il fallait défendre la Serbie (orthodoxe) par tradition depuis le XIXe siècle contre la Bosnie (musulmane) ; la lutte contre le terrorisme rapproche les services, les Tchétchènes sont laissés aux Russes en faveur d’échange des renseignements sur les mouvements islamistes. L’ancien chef des renseignements intérieurs français Bernard Squarcini, reconverti dans le privé, a plusieurs clients russes oligarques. Le Centre français de recherche du renseignement, dirigé par Eric Denécé « utilise des éléments de langage provenant du Kremlin ». Le militaire préfère l’ordre au chaos, surtout dans un pays nucléaire : plutôt Staline ou Poutine qu’un inconnu imprévisible. En outre, Poutine défend le conservatisme tradi, ce qui tente maints officiers élevés dans la foi catho tradi et le respect des hiérarchies.

Tradi, la Russie ? Pas vraiment, sauf dans les discours officiels. Soixante-dix ans de communisme athée ont libéralisé les mœurs (divorce, avortement, première femme ministre, gestation pour autrui autorisée, suicides à la 3ème place mondiale). « Déprécier l’Occident est avant tout un levier politique puissant en Russie » – il n’y a que les idiots utiles français qui croient à cette propagande, et les pays du « sud global » conservateurs et religieux. Poutine a fait remettre dans la constitution russe en 2020 « la foi en Dieu » ! La Russie reste messianique et se voudrait, comme en 1453, « la Troisième Rome » contre les coups de boutoir de l’islam qui a fait chuter Constantinople. Mais la pratique religieuse est aussi faible que chez nous, et les divorces représentent 68 % des mariages.

L’homosexualité, la pédocriminalité et l’avortement sont les vrais ennemis de Poutine : ils empêchent la renatalité ! En 2022, la population russe est de près de 147 millions d’habitants, inférieure aux 149 millions de 1994, et risque de passer sous les 120 millions d’ici cinquante ans (partie 4). Le tournant réactionnaire du régime est motivé par cette menace vitale, mais aussi par le vieillissent des dirigeants : Poutine a 71 ans. La perspective de la mort incite les dirigeants à se tourner vers la religion… Et à exalter le patriarcat, pas seulement celui de l’orthodoxe Kyrill, mais celui de tous les mâles du pays. Les violences faites aux femmes sont courantes et la Russie est le seul pays du Conseil de l’Europe à ne pas les criminaliser.

Nous ne voulons pas voir que la Russie est violente : à l’intérieur à l’extérieur, dans les films, dans le romantisme machiste de la jeunesse. « Tous les faibles sont exploités, violentés et tués » dans le film Grouz 200 (Cargaison 200). « Tous ces films déploient sans exception et sans espoir une vision pessimiste de la nature humaine – mauvaise – et du monde – chaotique – qui ne peuvent être contenus que par une violence justifiée (…) Dans cette optique, le pouvoir lui-même est un mal nécessaire contre un péril plus grand. » Maximalisme et dualisme caractérisent la culture russe, c’est tout ou rien, le Bien ou le Mal absolus, le Paradis ou l’Enfer. Pas de purgatoire intermédiaire dans l’orthodoxie russe, pas de société civile mais seulement les citoyens et l’État. Toutes les organisations et ONG deviennent « indésirables ». La guerre est un des moyens du pouvoir. Les ex-républiques soviétiques sont déstabilisées par des conflits où la Russie « s’engage ou s’implique (…) Non pas pour les régler mais pour se doter de leviers d’influence » : Arménie-Azerbaïdjan, Transnistrie-Moldavie, Ossétie du sud-Géorgie. Ce n’est qu’après ces conflits que ces pays envisagent de se tourner vers l’UE et l’Otan – pas avant, contrairement à ce que croient les imbibés de propagande.

Pourquoi ce penchant pro-russe est le propos de la troisième partie. L’autrice y voit trois raisons principales, la nostalgie de la grandeur par le souvenir français de l’empire colonial perdu (que la Russie voudrait retrouver après l’URSS), l’obsession anti-américaine pour notre indépendance (Echelon, Prism, contrats des sous-marins avec l’Australie, dépeçage d’Alcatel) – mais la dépendance au gaz et au pétrole russe est minimisée…. Enfin la référence messianique à de Gaulle (sans recul, sans relire ce qu’il a écrit ou dit).

Tout le monde se veut gaulliste (lutte contre le déclin pour Le Pen, la bannière pour Zemmour, les convictions économiques pour Mélenchon, la résistance pour Macron). Mais de Gaulle avait une hauteur de vues qui manque aux politiciens qui voudraient le récupérer. « Stratégiquement, il croit à l’utilité de la relation avec Moscou pour équilibrer l’influence américaine. En revanche, ce qui n’est presque jamais mis en avant dans ce débat, c’est sa loyauté sans faille à l’Alliance atlantique et le fait que, dans sa vision, une entente avec la Russie ne signifie pas une rupture avec Washington ». L’exemple de la crise de Berlin en 1961 est éclairant sur la situation actuelle.

De Gaulle a des mots qui cinglent à la fois l’impérialisme soviétique et la mauvaise foi des politiciens français d’aujourd’hui. Le relire est un plaisir : «A un certain point de menace de la part d’un impérialisme ambitieux, tout recul a pour effet de surexciter l’agresseur, de le pousser à redoubler sa pression, et finalement, facilite et hâte son assaut ». C’est pareil face à un caïd de banlieue ou à un chien agressif. Quand Obama a reculé face à Bachar el-Assad qui a usé d’armes chimiques alors que c’était une ligne rouge américaine, Poutine a senti qu’il pouvait envahir la Crimée sans réaction de l’Occident. Ce qu’il a fait. A l’inverse, quand Nicolas Sarkozy a été à Tbilissi en Géorgie durant l’offensive russe, Poutine s’est arrêté et a négocié. « Dans le système de valeurs de la culture russe, la faiblesse ou les signes de faiblesse sont méprisés. Ce qui pour un Européen est considéré comme un compromis, avec sa connotation positive, est regardé comme une ‘concession’, ce qui a un sens négatif ».

Pour sortir de la fascination, que faire (Chto dielat? demandait déjà Lénine). C’est l’objet de la quatrième et dernière partie de cet essai plutôt riche. Eh bien, il faut d’abord « regarder le régime russe en face » et ne pas s’illusionner : voir qu’il est en réalité répressif à l’intérieur et impérialiste à l’extérieur. Puis nous voir, nous Français, dans les yeux des Géorgiens et des Ukrainiens, et ce n’est pas très glorieux : « la France, (…) avance sous les traits de discours sur les valeurs, mais se révèle beaucoup plus pragmatique et intéressée ». Toujours l’écart entre a théorie et la pratique, l’idéal et la réalité – le mal français.

Enfin choisir entre être « réalistes ou naïfs ». Les réalistes n’ont que des intérêts, c’est que ce disent Hubert Védrine et Pierre Lellouche, mais cela nous empêche de comprendre réellement le réel : « il sert surtout à réduire au silence ceux qui tentent de faire entendre que notre politique pro-russe par défaut représente maintenant une menace sur notre souveraineté. » Car quel réaliste a pris au sérieux la menace russe sur l’Ukraine ? « Se placer du côté du plus fort et de l’agresseur » – c’est le parti de Pierre Lellouche et d’Eric Zemmour. Mais la Russie de Poutine est-elle forte ? Il est bien naïf de le penser, puisqu’elle craint la « contagion démocratique »… tandis que son PIB est la moitié de celui de l’Inde, dépassée même par les économies de l’Allemagne et de la France réunies. Quant à sa protection sociale, elle est bien inférieure à celle qui existe en Europe ! Pourquoi donc se soumettre ?

Elsa Vidal, La fascination russe – Politique française : trente ans de complaisance vis-à-vis de la Russie, Robert Laffont 2024, 324 pages, €20,00 e-book Kindle €13,99

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La volonté elle-même est encore prisonnière, dit Nietzsche

Zarathoustra singeant le Christ rencontre sur un pont des bossus, des infirmes. Qui lui demandent de faire un miracle : leur rendre leurs attributs handicapés. Mais Zarathoustra n’est pas le Christ, il n’est pas Dieu sur la terre, il ne crée pas ex-nihilo de l’esprit à partir de la poussière. Il est humain et plus qu’humain, mais fait avec ce qui est. « Si l’on enlève au bossu sa bosse, on lui prend en même temps son esprit – ainsi parle le peuple. » Et pourquoi Zarathoustra n’apprendrait-il pas du peuple ? Il est le bon sens, le sens commun, la sagesse des nations.

Car il y a pire : les infirmes à rebours. Ceux-là ont l’air normaux, ils sont comme vous et moi, pas handicapés d’apparence. Sauf que l’un est tout oreille, l’autre tout œil, l’autre n’a pas de jambe et un autre encore a perdu la tête. Les humains peuvent être infirmes sans être mutilés, il suffit qu’ils privilégient un sens au détriment de tous les autres. Celui qui n’est qu’oreille ne pense pas, il écoute et ne fait qu’écouter. Celui qui n’est qu’un œil ne voit pas, il capte et ne rend rien. Celui qui est ingambe ne marche pas, il fait du surplace sans jamais avancer. Quant à celui qui a perdu la tête, est-il encore humain, canard sans tête, fou à lier, débile mental ?

Tant que l’humain ne s’est pas rassemblé, tant qu’il n’est pas un tout régi par la volonté, l’humain ne saurait atteindre au sur-humain. « Ceci est pour mon œil la chose la plus effrayante que de voir les hommes brisés et dispersés comme sur un champ de carnage. Et lorsque mon œil fuit du présent au passé, il trouve toujours la même chose : des fragments, des membres et d’épouvantables hasards – mais point d’hommes ! » Il ne saurait y avoir d’avenir parmi les fragments de l’avenir. Au contraire, « Tout ce que je compose et imagine ne tend qu’à rassembler et à unir en une seule chose ce qui est fragment et énigme et cruel hasard ! »

« Volonté – C’est ainsi que s’appelle le libérateur et le messager de joie. C’est là ce que je vous enseigne, mes amis ! Mais apprenez cela aussi : la volonté elle-même est encore prisonnière. » La volonté est impuissante envers tout ce qui a été fait. Elle ne peut pas briser le temps, revenir sur ce qui fut. Elle ne peut que modeler le présent pour en faire un avenir, mais le passé contraint. Il nous faut faire avec. « Ceci, oui, ceci seul est la vengeance même : la répulsion de la volonté contre le temps et son ‘ce fut’. » Songeons au colonialisme : nous ne sommes plus colonisateurs ni imbus de coloniser, mais « la colonisation » nous colle comme le sparadrap du capitaine Haddock. Pas la peine de la nier ; pas la peine de se confondre en « repentance » – tout cela est vain et n’effacera pas le passé. Il nous faut faire avec pour enfanter un avenir.

« ‘Châtiment’, c’est ainsi que la vengeance se nomme elle-même : sous un mot mensonger elle simule une bonne conscience. Et comme chez celui qui veut il y a de la souffrance, parce qu’il ne peut vouloir en arrière – la volonté elle-même et toute vie devraient être : châtiment. » C’est ainsi que l’on peut comprendre la repentance des modernes qui se châtient d’être coupables à jamais ; c’est ainsi que l’on peut comprendre surtout les fascismes et le communisme : châtier le passé dans les humains présents. Punir le bourgeois d’être né bourgeois, le Juif d’être né juif, le capitaliste d’être né dans l’entreprise et la fortune. Or, raisonne Nietzsche, « aucun acte ne peut être détruit  : comment pourrait-il être annulé par le châtiment  ? Ceci, oui, ceci est ce qu’il y a d’éternel dans l’existence, ce châtiment, que l’existence doive redevenir éternellement action et coulpe. À moins que la volonté ne finisse par se délivrer elle-même, et que le vouloir devienne non vouloir ». Est-ce renoncement ? Non – acceptation. « Jusqu’à ce que la volonté créatrice ajoute : c’est là ce que je veux. C’est ainsi que je le voudrais. » Mais ce n’est pas suffisant.

Vaste programme, dont Nietzsche est conscient. « Il faut que la volonté, qui est volonté de puissance, veuille quelque chose de plus haut que la réconciliation. » Avis au président Macron : la politique, c’est autre chose que la réunion atour d’une table. Le passé est le passé et éternel retour du même. Le même n’est pas l’identique mais ce qui est constant ; l’histoire ne se répète jamais mais ses schémas si. L’avenir et la volonté sont cependant des concepts compliqués et Zarathoustra parle tordu puisqu’il est devant des tordus ; il ne parle pas à ses disciples comme cela, ils ne comprendraient pas.

Il faut que l’homme soit maître de son destin pour avancer, il faut que sa volonté établisse ses propres lois. Il faut avec courage accepter ce qui est et son destin, amor fati, mais croire au fond de soi que là où la volonté de puissance fait défaut, il y a déclin. Pas d’idéalisme ni de repentance, mais le courage d’accepter et de surmonter ce qui vient. L’homme surmonté n’est pas celui qui s’efface dans la réconciliation avec tout et tous, qui n’est rien que le courant (nihilisme passif tel le bouddhisme ou les écolo-décroissants) ; ni celui qui critique et dissout toute action et toute volonté dans l’acide de la déconstruction (nihilisme actif tel le trotskisme ou les écolos-apocalyptiques).

Non, l’homme surmonté est celui qui est maître de son destin et qui affirme et décide. Il est celui qui dit « je veux ». Et nos politiciens feraient bien d’en prendre de la graine, au lieu de se laisser aller par démagogie au flot des circonstances (une polémique sur ce qui survient, la querelle des egos, et on recommence – un choc, vite une loi ! – sans jamais une vision de l’avenir ni de décisions sur ce qu’ils veulent).

(J’utilise la traduction 1947 de Maurice Betz au Livre de poche qui est fluide et agréable ; elle est aujourd’hui introuvable.)

Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, 1884, traduction Geneviève Bianquis, Garnier Flammarion 2006, 480 pages, €4,80 e-book €4,49

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Pierre Ménat, L’Union européenne et la guerre

L’ambassadeur de France honoraire qui fut en poste en Europe centrale et conseiller du président Chirac, livre un essai tout récent sur les événements en cours. C’est une analyse classique, un exposé Science Po ancien style en trois parties et dix chapitres qui rappellent l’histoire, font le point et livrent des hypothèses. Dans six mois il sera probablement obsolète mais a le mérite de fixer la situation de l’Union européenne dans ce qui survient avec l’agression de Poutine sur l’Ukraine, pays souverain.

La première partie analyse « la guerre d’Ukraine, l’Europe et le monde ».

La guerre d’Ukraine était-elle évitable ? L’auteur croit que la diplomatie, à condition qu’elle fût plus nette et plus ferme, aurait pu éviter un conflit armé. L’exemple du président Sarkozy dans l’affaire de Géorgie n’a pas été renouvelé, la faute aux complexités du processus de consensus et de décision à 27. Les prétextes de Poutine pour déclencher la guerre sont inexacts, et l’auteur de rappeler « les trois memoranda de Budapest » (p.18) du 5 décembre 1994 qui prévoient la remise des armes nucléaires de l’Ukraine à la Russie, à condition de respecter l’intégrité territoriale et les frontières. Ces memoranda sont signés de la Russie, des États-Unis et du Royaume-Uni. Poutine s’assied carrément dessus en 2014 puis en 2022. De même sur l’élargissement de l’Otan, que Poutine n’a pas contesté en 2004, après ceux approuvés par Eltsine en 1997. Pour la Crimée en 2014, « à l’époque, la démarche russe est surtout préservatrice de ses intérêts commerciaux. Un dialogue aurait pu s’ébaucher entre Bruxelles et Moscou » p.21 Depuis, l’objectif de promenade de santé de Poutine pour établir un gouvernement prorusse en Ukraine, est devenu, avec la résistance ukrainienne, un antagonisme viscéral et désormais assumé contre l’Occident. « L’utilisation du mot nazi, la référence aux ‘drogués’ sont des codes idéologiques qui participent à la diabolisation de l’Occident. Un Occident qui, désormais,, est le véritable ennemi de la Russie. L’Ukraine doit être punie car elle a voulu se couper de sa patrie naturelle, a choisi le modèle de la démocratie libérale et a aspiré à s’arrimer à l’Occident » p.31. Dès lors, la guerre était inévitable, en attendant l’escalade avec l’Otan, puis l’éventuel recours au nucléaire.

De plus, l’Europe est partagée entre unité et fractures, l’unité face aux aléas du monde, dont la crise financière, la crise climatique, la crise pandémique, la crise ukrainienne, la crise énergétique, la crise inflationniste… et les fractures du populisme et des petits intérêts nationaux mal compris. Le « couple » franco-allemand (dont les Allemands contestent l’image) bat de l’aile avec deux présidents affaiblis, Macron pour son dernier mandat sans majorité absolue et Scholz à la tête d’une coalition hétéroclite. La France a perdu de sa puissance avec son déclin industriel et ses revers diplomatiques en Afrique, et l’Allemagne voit remise en cause ses liens énergétiques avec la Russie et industriels avec la Chine post-Covid. Alors, « quelle place pour l’UE dans l’ordre international de 2023 ? » : bien faible. Ce sont les États-Unis ou rien. Pourtant, l’UE a des relations commerciales dont la rupture ferait mal à la Chine si elle était sanctionnée pour avoir agressé Taïwan… Encore faudrait-il le vouloir.

L’auteur donne quatre missions à l’UE : 1/ « valoriser son statut de principale zone de prospérité dans le monde », 2/ « mieux gérer la contribution européenne au défi écologique » (ce jargon bruxellois vise la décarbonation), 3/ « retrouver son rayonnement scientifique et intellectuel » (qui ne va pas sans financements, l’exemple du vaccin anti-Covid le prouve, découvert en Allemagne, exploité aux États-Unis sous gestion d’un Français), 4/ « disposer d’instruments plus robustes (…) marché, commerce, monnaie, agriculture – peuvent être mieux gérés » (par qui ? comment?) p.65. Tout cela apparaît un peu comme des vœux pieux à long terme qui ont peu d’effet sur la conjoncture analysée dans cet essai immédiat.

La seconde partie s’interroge : « sommes-nous entrés en économie de guerre ? »

La politique de sanctions est partiellement efficace mais a subi les retards et tergiversations des petits intérêts nationaux ou sociaux. Elle ne mettra pas fin à la guerre ni ne fera reculer Poutine, apparemment devenu psychorigide et persuadé d’avoir raison à lui tout seul.

L’énergie est une arme de guerre mais aussi un « passeport écologique », sans que ce terme recouvre grand-chose – disons qu’il peut permettre d’accentuer la transition vers d’autres énergies que celles vendues par la Russie, mais avec quel financement et à quelle échéance ? Le paquet européen pour 2030 semble bien pusillanime, même s’il a le mérite de faire un premier pas avec « l’ajustement du carbone aux frontières » p. 82. Mais la pénurie d’électricité de cet hiver (pas encore fini…) montre combien la politique de sanctions envers le pétrole et le gaz russe a fait naître des problèmes internes aux États en fonction de leur mix-énergétique : la ressource devient une arme de guerre.

La troisième partie analyse « l’avenir de l’Union européenne dans un environnement conflictuel ».

La Défense a repris de l’avenir dans les discussions européennes, souvent l’écho assourdi de celles des cafés du commerce. Les soi-disant « dividendes de la paix » n’étaient que des naïvetés entretenues par la propagande soviétique à l’usage des pacifistes hippies, puis par la propagande russe à destination des mêmes, embourgeoisés devenus écologistes. Une « boussole stratégique » a été mise en place fin 2022 par l’UE avec listage des menaces, augmentation des budgets et – surtout – objectifs industriels. Cela conduit surtout à renforcer l’Otan, qui s’est réveillé brutalement de sa mort cérébrale sous l’électrochoc asséné par le Dr Poutine. Malgré cela, peut-on faire toujours confiance aux États-Unis ? La période Trump a montré que non, une défense proprement européenne en complément paraît faire son chemin lentement dans les esprits. La politique des petits pas prévaudra sans doute, alors que des accords plus contraignants entre certains États sont possibles – mais voulus par qui ?

Le défi migratoire demeure, car l’islamisme ne s’est pas arrêté avec la guerre et la Russie conquérante déstabilise chaque jour un peu plus les pays d’émigration au Proche-Orient et en Afrique. Quant aux Ukrainiens qui ont fui la guerre en masse, et les quelques Russes jeunes et éduqués qui en font autant à bas bruit, il s’agit de les accueillir, donc de trouver « un système multicritère » d’accueil européen et « d’accords de gestion des flux migratoires » avec les pays tiers p.109. Vastes discussions à venir, qui vont accoucher… de quoi ? Et quand ?

Le risque de l’élargissement de l’UE demeure, les « petits » pays candidats de la mosaïque balkanique ayant chacun une histoire différente et des institutions à refaire. Les élargissements précédents ont été mal préparés, allant même jusqu’au « laxisme » p.113 à propos de la candidature de la Turquie. Un élargissement à 36 membres « limiterait rapidement à une zone de libre-échange accompagnée d’une caisse de solidarité », dit joliment l’auteur p.116. Quant à la Turquie, « une population de 86 millions d’habitants lui assurerait la première place en nombre de voix au Conseil, tandis que son faible niveau de développement garantirait à Ankara l’octroi de subventions de l’ordre de 25 milliards d’euros par an. Très difficile à constituer, la cohésion et l’identité européennes seraient mises à mal » p.118. Quant à l’Ukraine, l’ampleur des besoins seraient du même ordre pour sa reconstruction et augmenterait l’influence de l’Allemagne dans l’UE.

« Une longue guerre de position semble s’engager, dès lors qu’une victoire de l’un des deux camps est improbable » p.123. Les relations futures de l’UE et de la Russie, une fois la guerre terminée ? Cinq principes ont été définis en 2016 par Mme Mogherini : 1/ strict respect des accords de Minsk, 2/ relations renforcées avec les partenaires orientaux de l’UE (Ukraine, Moldavie, Asie centrale), 3/ renforcement de la résilience UE dans l’énergie et les cyberattaques, 4/ coopération sélective avec la Russie (ayant une valeur ajoutée pour l’UE et pas seulement pour les États), 5/ soutien aux contacts entre personnes (acteurs, universitaires, scientifiques, groupes démocratiques). La suite a eu lieu sous Macron dès 2019 sur la sécurité, les défis communs UE-Russie, les conflits régionaux, les principes et valeurs. L’Otan a méprisé, les pays de l’Est ont été réticents, l’Allemagne et l’Italie assez d’accord (à l’époque). Ces initiatives pourraient être remises sur la table en montrant combien Moscou a peu à gagner avec le concept d’Eurasie où une immense Chine avalerait tout cru la démographiquement étique Russie.

Qui peut incarner la souveraineté européenne ? Là, vaste débat. Dans le maquis des institutions toutes plus obscures les unes que les autres pour le grand public afin de savoir qui fait quoi, il faudrait clarifier nettement – et rapidement – entre « la souveraineté partagée » p.132, la « gouvernance » p.133, « l’espace intérieur de sécurité et de justice » p.134, « affaires étrangères et défense » p.134. La bordélisation des instances de décision de l’UE, pour reprendre un thème à la mode, et la ligne politique sur le plus petit dénominateur commun n’ont pas abouti à grand-chose. D’où l’exigence d’un nouveau traité – pour les États qui souhaitent approfondir. Mais lesquels ? Cet essai pose plus de question qu’il n’en résout.

La conclusion de toutes ces réflexions est donnée dans l’introduction : « Une guerre mondiale n’est pas certaine. Mais ses ingrédients sont en place : l’exacerbation des nationalismes, l’évocation de l’emploi d’armes nucléaires, la formation de nouvelles alliances antagonistes » p.14. Voilà qui est dit.

Au total, un court essai qui fait le point, utilement, sur l’état des lieux européens face au défi de la guerre à nos portes.

Pierre Ménat, L’Union européenne et la guerre, 2023, éditions Pepper L’Harmattan, 142 pages, €15,00

Les essais – et le roman – de Pierre Ménat déjà chroniqués sur ce blog

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

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Trop de paroles sont vanité, dit Montaigne

En cette approche finale du Livre 1 des Essais, Montaigne examine combien les paroles peuvent devenir enflées et leurs auteurs des enflures. « Un rhétoricien du temps passé disait que son métier était, de choses petites les faire paraître trouver grandes ». C’est ainsi que l’on flatte l’orgueil des gens en leur métier, ou des citoyens en leurs votes. L’exaltation théâtrale des attitudes n’incite pas au compromis mais plutôt au fanatisme. Telles furent la Révolution française et ses orateurs, l’enflure Victor Hugo en exil, les rodomontades des badernes de 14-18, la Grandeur de la Vrounze gaullienne alors que le pays était vaincu et soumis au catho tradi Pétain (ex ambassadeur auprès de Franco), le Changer la vie socialiste que le machiavélien Mitterrand laissa faire jusqu’au bord de la faillite avant de mettre le marché en main des démagogues : ou vous changez et quittez la communauté européenne, ou vous faites des compromis.

Compromis : nous y sommes. L’Assemblé nationale ne dispose plus de majorité absolue et le pays est enfin parlementaire comme les autres, plus que présidentiel à l’américaine. Les enflures vont se retrouver baudruches et leur ridicule absolutiste, une fois crevé, les déconsidérera. Le « nous ne lâcherons rien » des bornés fera d’eux des lâches, inaptes à gouverner bien qu’aspirant avec fascination à la proportionnelle. Le compromis allemand, les accords scandinaves, les négociations italiennes vont devenir notre lot, au détriment de la gestion techno. C’est sans doute un progrès, si les Français savent s’y adapter.

Rien n’est moins sûr selon Montaigne, qui se réfère aux Antiques pour brocarder les vanités de son pays. « On eût fait donner le fouet en Sparte, de faire profession d’un art pipeur et mensonger ». Or la politique est en France particulièrement cet art pipeur et mensonger. Emmanuel Macron, peu politique et plus technocrate, a changé la donne cinq ans, mais elle revient en force avec des histrions comme Mélenchon, Le Pen ou Zemmour, qui séduisent les foules – lesquelles adorent la flatterie et se faire courtiser. « Ariston définit sagement la rhétorique : science à persuader le peuple ; Socrate, Platon : art de tromper et de flatter. » Nous n’avons pas fini d’être Trumpé en fausses vérités et mensonges staliniens qui deviennent vérités par la force. Ainsi d’une supposée « victoire de la gauche » en cette nouvelle Assemblée : il suffit de regarder la répartition dans l’hémicycle pour voir que « la gauche » (même rebaptisée Nupes) est en nette minorité. Le Mélenchon « pipeur et mensonger » a fait « de choses petites les faire paraître trouver grandes ». Une enflure qui vise à tromper le peuple ignorant et versatile pour masquer sa défaite imposer sa loi au rebours du vote (« la République, c’est moi ! »).

« C’est un outil inventé pour manier et agiter une tourbe et une commune déréglée, et est un outil qui ne s’emploie qu’aux états malades », observe Montaigne. Là où « les choses ont été en perpétuelle tempête, là ont afflué les orateurs ». Car il est plus facile de suivre et « d’être d’accord » (cette scie des commentaires sur les réseaux sociaux) que de penser par soi-même et de réfléchir à tête reposée. Notre philosophe du milieu juste vilipende « la bêtise et facilité qui se trouve en la commune, et qui la rend sujette à être maniée et contournée par les oreilles au doux son de cette harmonie, sans venir à peser et à connaître la vérité des choses par la force de la raison ».

Il ajoute : il « est plus aisé de le garantir par bonne institution ». Or la Ve République voulue par De Gaulle, malgré les dégradations apportées par les apprentis sorciers Jospin-Chirac, donne à l’Exécutif les moyens de gouverner, même avec un Parlement rétif. Tout le réglementaire (art. 37) est prévu pour, tout comme l’art. 40 pour freiner les initiatives dépensières des députés ou l’art. 47 pour assurer un Budget malgré le blocage du Parlement (contrairement aux États-Unis).

Michel de Montaigne, Les Essais (mis en français moderne par Claude Pinganaud), Arléa 2002, 806 pages, €23.50

Michel de Montaigne, Les Essais (mis en français moderne par Bernard Combeau et al.) avec préface de Michel Onfray, Bouquins 2019, 1184 pages, €32.00

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La France au premier tour

Le premier tour d’une élection présidentielle en France est la seule élection à la proportionnelle intégrale. Elle est hors partis, bien que ceux-ci puissent y participer en désignant un candidat, mais des électrons libres peuvent se présenter, tel Macron en 2017 ou Lassalle aujourd’hui après le pas de deux Taubira. Le résultat 2022 montre que la France est un pays « normal », comme ses voisins. Sa seule exception est que le régime y est semi présidentiel et non pas intégralement parlementaire et que la réforme du quinquennat avec législatives dans la foulée empêche tout compromis du genre Programme commun (pour éviter la cohabitation), contrairement aux alliances responsables des pays germaniques.

Cette normalité prouve qu’il y a un centre libéral, laïc et européen, aujourd’hui leader derrière Emmanuel Macron, flanqué d’une droite conservatrice populaire et identitaire et d’une gauche radicale anti-tout qui captent les mouvements sociaux (gilets jaunes pour la droite Le Pen, mouvement contre la réforme des retraites pour la gauche Mélenchon). Plus un quart des votants potentiels qui se sont abstenus ou ont voté blanc ou nul. Le centre, la droite, la gauche et l’abstention forment chacun environ un quart des Français. Rien que de plus normal dans une démocratie : ceux qui ont la charge de gouverner sont plus modérés par la force des choses que ceux qui refusent carrément le système ou s’en moquent, et que ceux qui, dans l’opposition, goûtent aux délices de la démagogie.

Droite et gauche sont radicales aujourd’hui avec Le Pen et Mélenchon ? C’est que les partis de chaque tendance qui ont gouverné se sont effondrés dans la réalité (le désastre du quinquennat Hollande et la déroute affairiste de la candidature Fillon), et qu’ils n’ont guère que des idées éculées à proposer comme « désir d’avenir » (la pâle synthèse Pécresse entre Zemmour et Macron, le programme très scolaire d’Hidalgo, voire le « retour à » l’industrie, le nucléaire, la chasse et la viande Roussel). D’où ces « nouvelles » droites et gauche qui se créent dans des mouvances hors partis, effet d’une nouvelle génération de quadras qui ont vécu les attentats islamistes, les crises financières, l’échec des printemps arabes, les gilets jaunes, la pandémie et désormais la guerre au cœur même de l’Europe. Le « nouveau centre » d’Emmanuel Macron, en marche vers l’adaptation des Français aux changements du monde, rallie les adultes responsables éduqués ; les autres, évidemment, préfèrent la radicalité infantile du « tout, tout de suite » et du « yaka ». C’est l’effet de l’infantilisation sociale française depuis la maternelle jusque fort tard dans la vie. L’inepte « attestation » pour sortir pisser hors de chez soi durant le premier confinement l’atteste.

Hors abstention, les électeurs qui s’expriment se répartissent en trois blocs de même force, un peu plus de 30 % chacun : Macron et environ la moitié Pécresse pour le centre de gouvernement ; Le Pen, Zemmour, Dupont-Aignan et la part Ciotti pour la droite ; Mélenchon, Roussel, Hidalgo et les deux résidus trotskistes pour la gauche. Les reports de voix devraient faire gagner Emmanuel Macron, mais tout dépendra de la campagne d’ici le second tour et de l’intensité du rejet des votants pour celui oucelle qu’il ne veulent absolument pas voir accéder au pouvoir. Un peu plus de proximité et de social pour le président sortant pourrait l’avantager, de même qu’une menace russe avancée ; un attentat islamiste ou un événement obérant gravement le pouvoir d’achat avantagerait en revanche Marine Le Pen.

Ce qui est surprenant dans ce premier tour est moins le score minable d’Hidalgo (qu’allait-elle faire dans cette galère, la mairie de Paris ne lui suffisait-elle pas ?), voire de Pécresse (on savait bien LR gangrené par l’exaspération démographique sécuritaire), que celui de Jadot l’écolo. Je ne crois pas que la radicale chic féministe Rousseau aurait fait mieux, au contraire, si elle l’avait emportée aux vertes primaires. Les spécialistes parlent de « vote utile » pour ce collapsus du projet écologique, pourtant qualifié sans cesse « d’urgent » et « d’avenir ». Mais les jeunes, les plus en avance dans l’idéologie, n’ont voté qu’à 40 % et le parti Mélenchon a repris des thèmes écolos. Ce qui montre que les électeurs ne font pas confiance à un parti purement dédié à l’écologie en France. Il reste trop marqué par le gauchisme post-68, l’intellectualisme urbain et la secte des egos. L’écologie est un concept trop important pour être laissé aux écologistes autoproclamés et tous les partis doivent le prendre en compte. L’électeur, qui n’est pas si niais que les spécialistes semblent le croire du haut de leurs études, le prouve par son bulletin dans l’urne.

Quant à Zemmour, l’expression d’une bourgeoisie pétainiste, conservatrice et ancrée dans la religion (sans forcément croire), il a fait pschitt ! – comme disait si bien Chirac. Amuseur intello, fomenteur d’infox, collabo notoire des fascistes d’hier et d’aujourd’hui, grand admirateur affirmé du despote asiatique Poutine, il ferait un bien piètre président pour une France qui a une histoire, une tradition internationale et un rôle d’exemple dans le monde. Le vieux Le Pen, dont l’humour ravageur n’a pas été altéré par ses presque 94 ans, déclarait que « Zemmour n’a pas le physique d’un président ». Un second degré délicieux lorsqu’on connait les origines du candidat et les convictions profondes du commentateur. Bien sûr, ceux qui « y croyaient » crient au complot et à la manipulation, surtout les jeunes, volontiers fascistes lorsqu’ils sont à droite, mais ce ne sont que vains mensonges. Il y a longtemps que le « bourrage des urnes » propre au parti communiste stalinien et en vogue dans les années 1950 et 60 est désormais étroitement surveillé. Il suffit d’avoir participé hier à un dépouillement avec lampes électriques en cas de « coupure » opportune d’électricité au moment de renverser les urnes pour le comptage, puis d’avoir vécu un dépouillement récent, pour le savoir. Marine Le Pen n’a rien perdu de son national socialisme mais l’irruption du trublion sectaire l’a automatiquement recentrée, la faisant paraître moins pétainiste, le socialisme passant devant national dans son discours – mais sans l’abandonner dans le programme pour autant !

Reste l’inconnue des Législatives après le second tour car élire un président ne suffit pas, il faut encore meubler une Assemblée. Là, les partis traditionnels, laminés par le scrutin présidentiel, sont implantés, ont des réseaux d’élus et de militants, tiennent des villes et des régions. Le ou la nouvel(le) hôte de l’Elysée devra en tenir compte car aucun des deux n’a d’implantation locale directe. Le PS, les LR, le PC, EELV existent ; gouverner se fera avec eux. A moins qu’ils ne réussissent à intégrer les parties neufs et à les assagir sous les responsabilités. Mais qui sera le mieux à même de négocier d’Emmanuel Macron et de Marine Le Pen avec les groupes isus de la nouvelle Assemblée ?

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A une semaine des présidentielles

Qui s’y intéresse encore ? pas grand monde. Non qu’il n’y ait pas d’enjeux, mais les personnages sont peu attirants. À gauche, l’écologiste est insignifiant, la socialiste anecdotique, le communiste égaré dans les années 1950 ; seul le grand méchant… Mélenchon attire le vote utile. À droite, les citoyens sont attirés par les extrêmes, la fachote Le Pen fan de Poutine étant portée à la modération par les excès du trublion Zemmour, qui laisse hurler ses partisans à l’assassinat. Les Républicains sont pris en sandwich entre les vociférations exaspérées des conservateurs de plus en plus ultra et le bon sens centriste du président sortant. Je ne sais quel seront les deux au second tour, mais il est probable que l’on reverra en scène comme en 2017 Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Mélenchon est trop coléreux pour rallier à lui d’autres gens que son camp. Nous saurons dans une semaine.

Les lycéens que j’observe non loin de chez moi à Paris donnent une indication sur l’état d’esprit de la jeunesse éduquée selon l’épidermique, l’émotionnel et le superficiel des réseaux sociaux. Sur les affiches électorales posées sur les douze panneaux, la première à avoir été lacérée a été celle du collabo Zemmour. A suivi dès le lendemain celle de Marine Le Pen avec même une inscription injurieuse traditionnelle des réseaux, tandis que Mélenchon a été le troisième à avoir été dégradé. Ont suivi Dupont-Aignan et Macron, puis Lasalle. Le premier parce qu’il n’a pas grand-chose d’original à dire, le second parce qu’il est en place et suscite évidemment la jalousie comme l’effet de bouc émissaire pour tout ce qui ne va pas, le troisième parce qu’il apparaît comme un régionaliste archaïque, pour la chasse et contre les ours. Il est vrai que le slogan Macron « avec vous » évoque plus le marketing d’une lessive que l’humanité d’un candidat. Le slogan Poutou, adepte d’une idéologie d’il y a un siècle, secte alors déviante du stalinisme, est nettement plus parlant auprès de la jeunesse. Son « nos vies valent plus que leurs profits » est plus efficace que « le camp des travailleurs » d’Arthaud, qui laisse indifférent voire hostile (rejetant tous les fout-riens tels les jeunes, les chômeurs, les retraités, en plus de l’extrême minorité des « rentiers » visés), tout comme le « faire face » de Jadot.

Que dira « le peuple » ? Le peuple est une fiction qui réunit des intérêts largement divergents, les principaux étant liés au niveau de vie et aux perspectives d’avenir. Tous les extrêmes sont ainsi populistes parce qu’ils flattent la majorité du peuple selon son désir de plus d’argent et d’élévation sociale. Les programmes des candidats, aussi bien à l’extrême-droite qu’à l’extrême-gauche, favorisent massivement la dépense publique tout en négligeant la dette et les impôts. Ce ne sera pas tenable dans le temps, signe qu’ils sentent bien qu’ils ne pourront pas gagner la présidentielle. À moins que le candidat retenu au second tour, s’il en est, ne mette de l’eau dans son vin sur ce sujet. Ou que, ce qui est plus probable, les promesses extravagantes ne soient jamais tenues – comme d’habitude.

L’agression du tsar Poutine sur un pays « frère » en voie de démocratisation qu’est l’Ukraine a eu probablement une influence sur le sentiment des électeurs envers les extrémistes. Poutine est l’exemple même du dirigeant devenu progressivement autocrate faute de contre-pouvoir, à la manière de Castro à Cuba ou de Chavez au Venezuela, sans parler d’Erdogan en Turquie et de Xi en Chine. Confier les clés du pouvoir à une personnalité portée à l’autoritarisme risque toujours de dégénérer : le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument ! En ce sens, Zemmour et Mélenchon sont les plus mal partis. La blonde, en revanche, a des chances de figurer au second tour parce que femme et par ce que « blonde » (avec tout ce que ce vocable connote). Mais cela n’enlève rien aux côtés mussoliniens de son programme où le socialisme tend à l’emporter sur le national pour le moment. C’était l’inverse il y a quelques mois encore, contre les étrangers, l’immigration, les diktats de Bruxelles et la souveraineté nécessaire. Aux extrêmes, le national ne reste jamais loin du socialisme.

Il reste au Rassemblement national une haine contre-révolutionnaire issue des royalistes, reprise sous Pétain et avivée par les déçus de la guerre d’Algérie contre le parlementarisme, la liberté libérale, les institutions démocratiques et la promotion de l’individu. Tout est orienté vers le collectif : la famille, l’église, le parti, l’État, la nation. Tout est bon pour y parvenir, les promesses comme le mensonge, la mise en scène comme la provocation. Les souverainistes ne croient pas aux traités internationaux et considèrent que chaque État n’a que des intérêts particuliers. Les nationalistes ne croient pas à l’individualisme et considèrent que chaque patrie doit imposer sa morale. En cela la religion y aide, comme à Moscou avec Kirill, et elle est chrétienne catholique en France. La religion musulmane est conçue comme un défi de civilisation qu’il faut combattre, bouc émissaire commode qui a pris aujourd’hui la place qu’avait le judaïsme avant Hitler. L’Etat peut tout, croit-on aux extrêmes, à condition que le chef donne les directives. Les syndicats sont réduits au corporatisme contre les intérêts marchands. Les médias sont contraints par les règles, les lois et une autre conception de la liberté d’expression, comme en Pologne et en Hongrie. L’école est favorisée comme lieu d’élevage des portées saines de petits nationaux, voués à une propagande patriote. C’est ce qui se fait en Russie, en Turquie et en Chine, c’est ce que Marine Le Pen, comme le Z, voudraient voir s’établir en France.

Le débat va probablement se produire entre deux conceptions du monde, le « retour à » et la « marche en avant », la réaction vers l’ordre moral et la liberté laissée à chacun avec la responsabilité nécessaire qui va avec – la contre-révolution et la révolution, pour faire simple. Quant au « peuple », Proudhon le disait déjà : « rien n’est moins démocratique, au fond, que le peuple. Ses idées le ramènent toujours à l’autorité d’un seul ».

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Remise en cause politique

Poutine envahit l’Ukraine comme jadis Hitler l’Autriche. Il veut l’Anchluss avec le « peuple frère », au prétexte, comme jadis, qu’elle est gouvernée par des démocrates décadents et souvent juifs. Lui, le nazi mongol qui agit comme un nazi, veut « dénazifier » l’Ukraine – autrement dit la soumettre à sa botte.

Est « nazi » pour lui ce qui n’est pas lui et quiconque le conteste se voit qualifier d’ennemi, voire de sous-homme digne à être jeté aux chiens mafieux (comme Anna Politkovskaïa), en prison (comme ceux qui osent se présenter comme candidat, dont Alexeï Navalny, ou qui enquêtent sur la corruption comme Sergueï Magnitski), voire empoisonnés (Alexandre Litvinenko), pendus (Boris Berezovski) ou tués par balle (Boris Nemstov, Stanislas Markelov, Anastasia Babourova, Sergueï Iouchenkov). Ce sont des pratiques de gestapiste, pas de « démocrate » – ou alors l’Allemagne nazie était une démocratie à la Poutine, plébiscitaire, où le Führer Président incarnait à lui seul le Peuple et la Race.

Que les Etats-Unis et l’Union européenne aient été légers sur l’élargissement de l’OTAN, sans associer véritablement la Russie post-soviétique à la sécurité en Europe est un fait. Que Poutine ait prévenu depuis des années de ce qu’il ferait, tout comme Hitler dans Mein Kampf, rien de plus vrai. Qu’on l’ait laissé faire lors de divers « Munich » récents sans sauter le pas d’une grande négociation, est une ironie de l’histoire. Les démocrates ne croient pas à la guerre, ils croient que tout est négociable. Pas les Hitler ni les Poutine – l’histoire n’a-t-elle servi à rien ?

Reste que le gouvernement russe agresse directement un peuple frère à ses frontières, et en Europe même, tout comme Hitler l’a fait. Avec d’identique « bonnes raisons ». Est-ce acceptable ? Evidemment non. Il faut donc en tirer toutes les conséquences.

La première est que le monde a désormais changé et que les alliances se ressoudent après la parenthèse Trump : l’Europe ne peut être assimilée à la brutalité tyrannique russe ni au cynisme de la lointaine Chine ; elle ne peut que se rallier aux Etats-Unis, malgré tout ce que nous pouvons avoir contre ces égoïstes vantards.

La seconde est que le monde se montre dangereux, ce qu’il a toujours été mais que les naïfs ont volontiers oublié : l’Europe doit elle-même mieux assurer sa défense, sans se défausser « sur l’OTAN » américain ni laisser cette OTAN faire tout ce que veulent les Etats-Unis. L’organisation est une alliance, pas une soumission, là aussi nombre de politiciens naïfs l’ont volontiers oublié.

La troisième est que la montée au point Godwin de la menace nucléaire, assumée par Poutine, ne doit ni être sous-estimée, ni être objet de panique. Le nucléaire tactique est dans la doctrine d’emploi de l’armée russe ex-soviétique. Sera-t-il employé en Ukraine pour faire plier la résistance ? Les citoyens russes pourraient cette fois réagir émotionnellement plus fort qu’envers les dégâts de la guerre conventionnelle, mais ce n’est pas à exclure. Poutine n’a pas réussi sa guerre éclair comme Hitler en Pologne, reculer serait l’humilier, il ira jusqu’au bout.

La quatrième est qu’Hitler n’est pas mort, ni le « nazisme » comme doctrine nationale et socialiste à arrière-plan racial blanc. A l’inverse, il se réveille. Il fascine par son absolu, par son usage sans tabou de la force brute, par son virilisme et son exclusion de toute faiblesse (dont « discuter », hésiter, avoir de l’empathie, comprendre l’autre, font partie). La jeunesse est de moins en moins démocrate, les écologismes de plus en plus autocrates, les « souverainistes » de plus en plus ouvertement poutiniens – c’est-à-dire in fine nazis.

La cinquième conséquence est évidemment que les candidats à la prochaine élection présidentielle française sont pris à revers. Soit ils continuent à cautionner Poutine, ce « patriote qui aime son pays », ce conservateur des valeurs traditionnelles face à la « décadence » des nouvelles valeurs gay et multiculti, ce rempart de la religion chrétienne face à l’islam, ce croisé de Troisième Rome pour la race blanche – soit ils font virer leur discours, montrant combien ils ont été niais à « croire » la propagande du Kremlin et le « bon droit » du plus fort.

Comme en 40, il faut choisir son camp. Il y aura donc celui des résistants, qui préfèrent la démocratie (toujours imparfaite) car elle garantit (à peu près) les libertés – et celui des collabos qui préfèrent se rallier au plus fort et se soumettre à sa doctrine populiste où « le chef » adulé par acclamations a toujours raison car il a des visions de l’Histoire.

En ce sens sont disqualifiées à mes yeux les trois « putes à Poutine » que sont (dans l’ordre d’ignominie) Zemmour, Le Pen et Mélenchon (lui qui défendait déjà Chavez et Bachar el-Assad…). Les réfugiés ukrainiens (blancs et chrétiens) seront-ils rejetés comme les réfugiés syriens ou africains (basanés et musulmans) – ou faudra-t-il par solidarité de… race peuple les accueillir ? Tout est renversé pour les souverainistes !

Les écolos montrent qu’ils sont plus idéologues niais que propres à conduire la politique réelle : le pacifisme affiché depuis trente ans, leur rejet sans concession du nucléaire, les jettent tout droit dans la gueule de Poutine qui écrase les faibles et les rend dépendants au gaz durant la nécessaire (et longue) « transition énergétique ». Quelle prescience du monde qui vient !

Les socialistes sont socialistes, c’est-à-dire indigents : comme en 36, ils n’ont pas prévu la guerre, méprisé la défense, cru aux belles paroles (« verbales » comme disait l’autre). Qu’a donc fait Hollande après l’annexion de la Crimée ? Pas grand-chose, sinon aller faire diversion au Mali. Qu’ont donc faits les sociaux-démocrates allemands, cet exemple pour le PS français, sinon se lier un peu plus au gaz poutinien en répudiant d’un coup le nucléaire et en laissant leurs anciens dirigeants se laisser corrompre par l’argent russe (Schroder, ex-chancelier).

Le candidat communiste peut-il être antisoviétique, puisque Poutine revendique le « retour à » ? Il botte pour le moment en touche en demandant une négociation… des prix. La seule guerre qu’il voit est celle du pouvoir d’achat.

Ne restent que deux candidats crédibles à ce stade : le sortant Macron et son défi Pécresse. Sera-ce le duo du second tour ?

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5G, la panne

Le tout dernier sondage Ipsos Sopra Steria France-info Le Parisien-Aujourd’hui en France (ouf !), réalisé du 6 au 8 décembre sur 1500 électeurs représentatifs, montre la gauche en capilotade et l’extrême-droite en érection. Un sondage à quatre mois des présidentielles ne pronostique en rien du résultat final mais donne une indication de tendance. C’est net : la France est à droite et la gauche déconsidérée.

Si l’on additionne tous les pourcentages de gauche, seulement 27% des électeurs disent vouloir voter pour elle, soit à peine plus que pour le président sortant tout seul. Dont 25% pour la 5G (Mélenchon, Jadot, Hidalgo, Montebourg, Roussel – le reste, résidus archaïques du gauchisme des années 70, étant négligeable).

D’où l’appel désespéré d’Anne Hidalgo à une nouvelle « primaire », comme si voter et revoter encore et encore, après les primaires dans chacun des partis, allait changer la donne. « Annie », comme l’appellent volontiers les gens de province qui ne connaissent d’elle que son image de bobote parisienne pro-gays de tous sexes et antibagnole, favorable au 10 km/h en ville et à 110 km/h sur autoroute, « Annie Dalgo » donc n’est pas populaire hors des arrondissements de l’est parisien. Elle apparaît trop tard dans le socialisme, avec une personnalité trop apparatchik pour les désirs d’avenir aujourd’hui.

L’extrême-droite a le choix entre Le Pen, Zemmour et Dupont-Aignan (laminé) et forme 31.5% des intentions déclarées. Mais ce socle est divisé et ne parviendra peut-être pas au premier tour : faudrait-il une « primaire » à l’extrême-droite dans la lignée de l’appel Hidalgo ? C’est peu probable tant chaque ego tient à briller tout seul, au détriment de ses idées. Car les idées sont des habits qu’on endosse, pas la chair même car, si tel était le cas, chacun s’allierait sans état d’âme pour conforter « la France »… Gageons qu’ils s’en foutent bien de « la France », c’est la leur qui compte, ni « le peuple », ni « le pays ».

L’extrême-gauche, à 9% d’intentions de vote déclarées aujourd’hui ne paraît plus crédible (je ne mets pas Jadot dans cette extrême, avec Rousseau cela eût été différent). L’écologie reste de témoignage, trop divisée, trop idéologique, trop portée à se prosterner avec une soumission de secte devant tout ce qui vient des USA : l’ultra-féminisme de dénonciation, le décolonial avancé jusqu’au néolithique, l’anticulture woke, les sempiternel « offensés ».

C’est clairement la droite qui séduit, à 33.5% sans Macron. Il est probable que les extrêmes à droite se rallieront en majorité à Pécresse en cas de second tour contre tout candidat de gauche ou de quasi-gauche contre le président actuel.

Nous verrons comment va évoluer la tendance une fois que la campagne sera officiellement commencée, probablement en janvier. Il me semble raisonnable de penser que Montebourg va descendre – ou se rallier à Hidalgo, étant le maillon faible – que Zemmour va stagner à mesure que Pécresse reprendra certains de ses thèmes sans la haine ni l’extrémisme qui vont avec, et que Macron peut se conforter en jouant habilement les diagonales, proposant ce que ses adversaires les plus sérieux proposent aussi, pour le réaliser lui-même : l’en même temps du changement sans le risque.

Qu’en sera-t-il de Marine Le Pen ? C’est la grande question en ce début décembre.

L’envol Zemmour l’a fait paraître plus sérieuse et plus raisonnable à l’extrême-droite (c’est dire), mais l’exaspération des exclus légitimistes réactionnaires de la vie politique depuis la fin de la guerre d’Algérie sort renforcée de l’expérience Trump et bénéficie du soutien actif des réseaux de déstabilisation stratégique russe ; elle ne risque pas de retomber d’un coup. Coincée entre l’extrémisme d’idées et l’aptitude à gouverner, Marine Le Pen a peu de marges de manœuvre.

En Marche pourrait encourager tactiquement les parrainages en faveur de Zemmour afin de diviser l’extrême-droite – mais ce serait assurer pratiquement un second tour Macron-Pécresse, plus redoutable que Macron-Le Pen. Si Zemmour ne parvient pas à obtenir les signatures de 500 élus, craignant leur marquage extrémiste si cela se sait, est-il certain que les voix pro-Zemmour se porteraient sur Le Pen ? Rien n’est moins sûr pour une bonne partie d’entre elles, surtout si Pécresse muscle son programme sécuritaire avec Ciotti en bonne place.

Ce sont les délices de la politique que ces pronostics avant la fête. Une fois les lampions éteints, c’est moins drôle.

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Préoccupations politiques à six mois de la présidentielle

Après le Covid, pas d’An 01 d’un nouveau monde comme certains intellos l’espéraient : la politique saisit les Français au plus concret de leurs préoccupations. Ce ne sont pas « le climat » ni les « grandes réformes sociales » de gauche mais bien plutôt des choses toutes simples : « Réduire la délinquance » (51 %, en hausse de 5 points), « Réduire les inégalités sociales » (43 %, en recul de 2 points), « Réduire l’immigration » (42 %, en hausse de 5 points), « Réduire le chômage » (41 %, en recul de 10 points). C’est ce qu’indique le tout dernier indicateur de protestation électorale vague 5 d’octobre 2021 de la Fondapol.

Ce qui marque nettement la défaite sociologique de la gauche, notamment dans « le peuple », abandonné sous Hollande au profit des minorités. La disponibilité déclarée à voter à droite est largement majoritaire chez les répondants sans diplôme ou faiblement diplômés (63 %), appartenant aux catégories socioprofessionnelles inférieures (60 %), ou ceux qui estiment s’en sortir difficilement à la fin du mois (60 %) ou que leur niveau de vie s’est dégradé ces dernières années (60 %). 72 % des répondants envisagent soit de voter pour les partis extrêmes, soit de s’abstenir ou de voter blanc – mais en recul de 6 points par rapport à avril.

Macron n’a pas si mal géré la pandémie, malgré les mensonges et cafouillages du début, ni l’économie puisque la croissance reprend et que le chômage décroit. C’est moins vrai pour la sécurité, l’islam (66 % à gauche comme à droite estiment que « la plupart des immigrés ne partagent pas les valeurs de notre pays et cela pose des problèmes de cohabitation ») – mais aussi les inégalités sociales (reste de la crise des gilets jaunes, province et petites villes, accentué par le recours au télétravail plus difficile durant la pandémie et par l’envol récent du prix de l’énergie).

Si LR et LREM ont des électeurs les plus disposés à voter, le RN s’érode et les partis de gauche s’effondrent, y compris les écolos. Mais les partis ne font plus recettes et le retrait (abstention ou vote blanc) est une arme qui peut délégitimer celui qui arrivera en tête. 43 % des personnes interrogées répondent qu’ils pourraient « voter pour un candidat qui ne viendrait pas d’un parti politique » – signe de protestation électorale. Ils se méfient : 72 % ne font pas confiance aux médias (+3 points).

Ils préfèrent comme première source d’information YouTube, les blogs, les forums ou les réseaux sociaux dont TikTok ou Twitter. Sans avoir le plus souvent les outils intellectuels ou de méthode pour analyser la viabilité des sources ; sans s’apercevoir non plus de l’algorithmique qui ne leur propose que des liens en accord avec leurs convictions. Ils s’enferment donc dans leur illusion et forment bande, sans le savoir.

Ce pourquoi Zemmour est arrivé, comme Zorro, pourfendant le politiquement correct et la langue de bois bien qu’il commence à tourner en rond sur les mêmes thèmes ressassés de l’Histoire de France réécrite façon storytelling. Zemmour rafle particulièrement à droite, chez les électeurs Le Pen et Dupont-Aignan, et sur les classes d’âge les plus élevées qui aspirent à un retour à l’ordre moral comme à une France masculine fière d’elle-même.

Les clivages traditionnels de gauche et de droite font donc moins recette puisque les partis traditionnels n’ont semble-t-il rien à dire de probant sur ce qui préoccupe le plus les électeurs. 37 % des interrogés déclarent se situer à droite, 20 % à gauche et 18 % au centre, tandis que 23 % répondent ne pas vouloir se situer (2 % ne savent pas). Ce quasi quart-là est à mon avis important, il s’ajoute aux 18 % qui se situent « au centre », c’est-à-dire ni à droite, ni à gauche, le signe que la société change et ne se reconnait plus – à 41 % – dans les vieilles lunes.

En revanche, 79 % des personnes interrogées souhaitent que la France reste dans l’Union européenne et 82 % veulent conserver l’euro – ce qui relativise le vote positif en faveur de l’extrême-droite. Au fond, les Français semblent être devenus comme le reste du monde après l’épreuve pandémique plus frileux, plus soucieux de se retrouver soi, dans leurs traditions et valeurs. Il suffirait qu’un ténor affirme l’avenir de la France et de ses lois (qu’attend-t-on pour appliquer intégralement la loi de 1905 sur les religions ?) pour que le climat s’apaise et retrouve des accents plus habituels, sur le pouvoir d’achat et la répartition des richesses.

Emmanuel Macron saura-t-il l’incarner ? Ou un leader enfin désigné de la droite, où la nostalgie Fillon fait grimper la radicalité sur le « retour à » ? Les médias se trompent à interroger toujours les mêmes, les socialistes sectaires ou les écologistes immatures ; les partis de gouvernement se trompent à ressasser les mêmes vieilles lunes économiques et sociales sans lien avec la sécurité et l’immigration ; les gouvernants eux-mêmes se trompent de ne pas développer beaucoup plus vite et de façon mieux organisée les débats citoyens et les panels tirés au sort sur des sujets concrets.

La démocratie ne réclame pas la révolution, seulement l’écoute et l’attention. Le phénomène Zemmour est la provocation de certains électeurs éduqués et déçus, relayés par des intérêts financiers bien compris et par des médias sans cesse en quête de coups. Je ne crois ni à sa candidature lorsque le temps sera venu, ni à son élection – mais il faut se souvenir que l’exaspération de ceux que l’on n’écoute jamais peut parfois se traduire par l’intronisation de clowns, plus ou moins dangereux (aux Etats-Unis, en Ukraine, en Islande…).

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Niaiserie européenne sur les vaccins

Nous sommes « à Bruxelles » dans le meilleur des mondes où des Pangloss de bureaux « croient » dans leur optimisme béat à l’efficience de leurs règles de droit. Sans « constater » que le monde alentour est peuplé de requins, même s’ils se déguisent en vieillard démocrate à la cape étoilée ou en primus inter pares d’empire. Les relations internationales sont le territoire où s’affrontent les plus forts et pas le jeu réglé du doux commerce. Pas quand il s’agit de vie ou de mort, pas quand il s’agit de son propre peuple à défendre. « Niais : dont l’inexpérience va jusqu’à la bêtise », dit le dictionnaire.

« Nous sommes en guerre » a dit un certain Européen : qu’à cela ne tienne ! Les Etats-Unis ont carrément activé le Defense Production Act pour protéger la capacité de production nationale, même si cela « gêne » la disponibilité des composants des vaccins pour les fabricants étrangers. L’organisation de la chaîne d’approvisionnement est mondiale mais les Etats-Unis sont les plus forts… s’ils ne rencontrent aucun obstacle. Le Royaume-Uni, qui a tenté de faire de même avec « son » vaccin AstraZeneca produit sur le sol européen, a dû reculer face à l’opposition ferme d’une Europe aux abois. Comme quoi se laisser faire n’est JAMAIS la bonne solution, n’en déplaise aux niais moutons qui tendent l’autre joue en espérant un monde meilleur… après décès. Mais, si « nous sommes en guerre », où est donc notre Loi de production pour la Défense ?

La stratégie européenne pour s’approvisionner en vaccins est passée du chacun pour soi initial (car la santé n’est pas une compétence de l’UE) à un effort de coopération louable pour l’efficacité des négociations comme pour la solidarité de la répartition. La mise en commun par les gouvernements des moyens permet des économies d’échelle, de partager les risques d’autorisations ou non de mise sur le marché, l’efficacité relative de chaque vaccin, et de couvrir les éventuelles pertes sur un raté.

Mais la Commission européenne a clairement montré ses limites en dévoilant son ADN : la méthode technocratique. Elle a négocié le prix avant la disponibilité, en bon juridisme comptable d’argent public, sans se préoccuper des priorités de livraison. Elle a ainsi fait le contraire des pays efficaces.

Cette stratégie est très différente de celle déployée par les États-Unis, où le gouvernement a organisé et subventionné lui-même une chaîne d’approvisionnement pour la fabrication et la distribution du vaccin en achetant par anticipation des vaccins pas encore testés (dont une biotech de Nantes délaissée par la bureaucratie française), en soutenant des laboratoires pour les essais cliniques, en travaillant « en même temps » (comme aime à dire certain Européen sans pourtant le faire) avec des fabricants moins connus et des fournisseurs d’équipements et d’ingrédients. Le gouvernement américain a également passé des contrats avec des entreprises spécialisées pour étendre la capacité de production d’intrants. C’est toute la chaîne stratégique depuis les start-ups pharmaceutiques jusqu’à l’administration des vaccins à la population qui a été pensée et organisée. Ce même Européen qui se vante d’être à la tête d’une « start-up nation » n’a rien fait de tel – il a laissé la technocratie juridique européenne agir comme un rouage sans direction, tout en laissant sa propre bureaucratie interne avancer à son train de sénateur dans le cafouillage des querelles de préséances pour organiser qui va faire quoi et qui va piquer qui. Le « quoi qu’il en coûte » du même Européen trop bavard et pas assez acteur s’est traduit aux Etats-Unis par 21,7 milliards de dollars de dépenses pour soutenir les laboratoires, les fabricants sous contrat et les fournisseurs d’équipement et d’intrants. Combien en Europe ? Combien en France ?

L’approche laissée à la technocratie européenne a laissé sans contrôle la population à la merci des capacités de production des labos sans qu’elle puisse « juridiquement » intervenir pour réduire les problèmes d’approvisionnement. Car les contrats ont été signés avec une clause « d’effort maximal » et pas avec une clause « d’exclusivité » comme le Royaume-Uni l’a fait. Résultat : un retard de plusieurs mois dans la livraison – donc un confinement supplémentaire qui coûte encore plus et des morts qui se multiplient dans l’impuissance générale. AstraZeneca n’aurait livré que 30 millions de doses sur 120 au premier trimestre et seulement 70 millions de doses sur les 180 prévues « seraient » livrées au deuxième trimestre – car une partie de la production réservée par l’UE s’est dirigée vers le Royaume-Uni pour obéir à la clause « d’exclusivité ».

  • La niaiserie européenne est cette illusion juridique du « respect des contrats » face à la puissance des pays qui les signent.
  • La niaiserie des gouvernements nationaux est de laisser la Commission européenne sans direction politique sur ce sujet précis et de laisser faire la bureaucratie lente, pointilleuse, à courte vue – alors que « nous sommes en guerre ».

Parler c’est facile, agir c’est mieux. L’Union européenne, sous la pression des opinions publiques « inquiètes », a fini par se rendre compte de cette erreur stratégique et elle a acheté de nouvelles doses à d’autres fournisseurs (on évoque 10 millions de Pfizer/BioNtech). Elle a durci fin janvier le contrôle et la transparence des exportations de vaccins, permettant de bloquer ceux produits sur le territoire de l’UE en cas de retard dans la livraison d’un fournisseur – mais tout en respectant « juridiquement » le principe de réciprocité et de proportionnalité selon la situation de l’épidémie et la population déjà vaccinée. Mais elle n’a pas « saisi » préventivement les 29 millions de doses d’AstraZeneca « découvertes » en stock dans une usine italienne alors qu’il aurait fallu : ce coup de semonce aurait montré que le droit du plus fort ne saurait rester à sens unique et aurait amené plus vite et mieux le Royaume-Uni à « négocier ».

Il n’est certes pas question de faire cavalier seul – puisque nous n’en avons pas les moyens. La chaîne de fabrication des vaccins est mondiale car ses composants sont produits un peu partout. Mais si la coordination politique entre pays est essentielle et le « nationalisme vaccinal » inepte parce qu’il décourage le financement des capacités de production aux différents niveaux de la chaîne de valeur, il s’agit de se défendre et d’exister face aux requins du monde. C’est là qu’un juriste sera toujours plus débile qu’un politique. C’est là qu’une fois de plus est démontré que l’économie, le droit, le social, sont soumis à la politique et non l’inverse. Savoir ce qu’on veut et où l’on va, puis financer les moyens nécessaires pour ce faire, enfin désigner un opérateur qui dirige et contrôle – voilà ce qui aurait dû être fait et qui ne l’a pas été. La guerre nécessite un général d’armée, pas un quarteron de bureaucrates laissé à leurs procédures inadaptées !

Pour augmenter la capacité de production en Europe, la Commission a (pour plus tard…) mis en place une « task-force » pour détecter les problèmes de production et y répondre. Un nouveau plan européen de préparation à la bio-défense contre les variantes de la Covid-19 introduit une autorisation accélérée des vaccins adaptés aux variants, et l’incubateur HERA soutiendra leur mise au point ou leur adaptation grâce à un financement européen. Le projet Fab UE doit aussi (après la bataille) augmenter la capacité de fabrication dans l’Union par des aides à l’investissement d’usines de fabrication, la réaffectation d’installations pour produire des vaccins et des médicaments spécifiques. En bref recréer une filière autonome : il serait temps ! Car la lenteur vaccinale et les mutations qui se multiplient risquent de faire durer les masques, gels, confinements réguliers, télétravail et autres restrictions de voyage au-delà de la fin d’année, voire au-delà de l’élection présidentielle française prévue.

L’irresponsabilité a conduit à la panique – et la courte vue à ignorer les risques d’une pandémie probable depuis les deux alertes du SRAS 2002 et du H1N1 2009. Les gouvernements nationaux se sont empressés de se défausser sur l’Europe en abandonnant leur pouvoir de décision à sa technocratie. Boris Johnson peut se réjouir : le Brexit, à court terme, ça marche, 50% de la population adulte est déjà vaccinée contre 10% en France. Lui gouverne, les autres se rejettent la faute sans avoir rien préparé depuis un an que le virus est connu.

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Adolescence au temps du Covid

Macron a recausé dans le poste le mardi 24 novembre à 20 h. Il est beaucoup trop long et trop verbeux, son message politique se brouille. Qu’il laisse donc les détails aux ministres ! Le citoyen a l’impression non d’un discours à la nation mais d’un rapport de présentation à une société comme j’en ai entendu de nombreux au cours de ma carrière : des chiffres qui ne prouvent pas grand-chose, des arguments de spécialistes, une kyrielle de remerciements démagos. Un quart d’heure aurait suffi pour faire le point, fixer les étapes et donner les grandes orientations politique – le reste n’est qu’accessoire. Au lieu de se répandre en bavardage, comme cet incongru « ouvrez les fenêtres toutes les heures ». Ce n’est pas son rôle de président. En tout cas, le message est clair : pas de déconfinement avant le 15 décembre « si les conditions sanitaires, etc. » et aucun retour à une certaine normalité avant le 20 janvier au moins, début février pour les universités !

Les autorisations autorédigées infantiles subsistent. La stupidité technocratique en plus comme ces « 30 personnes » dans les lieux de culte, quelle que soit la taille du lieu ! Le retoquage du Conseil d’Etat est une réaction de bon sens que l’on aurait aimé voir aux ministres, à commencer par le premier… Il y a encore ces stations de ski « ouvertes » mais privées de remonte-pentes, situation aussi stupide qu’une valise sans poignée ou qu’une messe sans Elévation. Les fonctionnaires prennent vraiment les citoyens pour des cons, Castex est le premier chef de cette armada de parasites qui se gaussent de la paille du calibrage des bananes « à Bruxelles » alors qu’ils ne se rendent même pas compte de la poutre de leurs prescriptions absurdes depuis Paris. Comme si les pistes de ski étaient plus contaminantes que les trottoirs des métropoles !

Il s’agit en fait de lâcheté politique : surtout ne pas frustrer les lobbies des stations et des sacro-saintes « vacances scolaires » des bobos tout en maintenant un semblant d’isolement sanitaire global juridiquement inattaquable. Une demi-mesure fait deux fois plus de mécontents, c’est la rançon de la lâcheté. D’autant que s’entasser en bas des pistes sans bar, ni restaurant, ni discothèque, ni sport en salle, ça sert à quoi ? A augmenter la proximité entre les personnes ? Et, depuis plus de six mois, nul fonctionnaire « de la santé » n’a mesuré la contamination du Covid à 2000 m, ce serait trop rationnel sans doute. Il s’agit d’exercer son pouvoir mesquin, pas de gérer le pays. De toutes façons, ils seront payés pareils alors pourquoi prendre une quelconque responsabilité ? J’enrage de cette bêtise qui n’a jamais failli depuis les théoriciens en chambre de « la Révolution » et fustigée par Courteline. A quand le retour aux département carrés et au décadi pour (télé)travailler ?

Quant au « quoi qu’il en coûte », plus ça dure, plus ça coûte cher – et les impôts futurs se profilent. Seul le travail produit la richesse, pas « l’argent ». Payer les gens à rester chez eux est contreproductif. La dette explose, les industries licencient, les commercent ferment, les petits boulots se multiplient, précaires, peu payés, incertains. Contrairement à l’idéologie flemmarde des « 35 heures » et des « écologistes » de théorie, ce n’est pas vivre mieux que de travailler moins : c’est obtenir un niveau de vie plus bas. Ce doit donc être un choix et ne pas être imposé à tous comme un oukase venu d’en haut. Que l’on fasse des études (qui créent de l’emploi) pour savoir si un commerce de dix mètres carrés avec quota de clients en même temps et gestes barrière est plus nocif qu’un trottoir encombré de fumeurs, joggeurs, bouffeurs et téteurs de gourde qui ne portent pas le masque ou seulement sous le nez. Ils n’en n’ont rien fait : interdire est plus simple.

En voyant un très jeune voisin de ma banlieue qui sort de chez lui en courant pour attraper le RER qui le mènera au collège, la gorge découverte de s’être trop pressé de s’habiller, le masque enfilé sur la tronche comme un slip, les cheveux trop longs faute de coiffeur autorisé, les yeux trop bleu égarés par l’angoisse d’être en retard, je songe que le Covid va retirer aux collégiens, aux lycéens et aux universitaires deux ans de leur vie normale. Cet état de fait touche moins les primaires, heureux en enfance, mais beaucoup plus ceux entre 11 et 25 ans, âge où l’identité se construit, où l’on se mesure avec les pairs, où se compose l’estime de soi. Que vaut un bac 2019 sur notes de contrôle en deux trimestres ? Va-t-on s’en gausser durant dix ans comme après le bac 1968 ? Que vaut une année scolaire 2020-2021 enserrée entre gel, masque, distance, demi-groupes, Internet obligatoire après l’école ? Pour ce gamin de 11 ans que j’ai vu grandir, deux années représentent un cinquième de sa vie jusqu’à présent. C’est beaucoup.

Quant à son frère aîné, qui vient de franchir en quelques mois deux étapes du passage à l’âge adulte, le bac et le permis, il est frustré depuis un mois de sa copine connue (bibliquement mais contre l’Eglise) lorsqu’il n’avait pas même 15 ans. Il a entamé une première année d’université croupion sans préparation, laissé à lui-même par les cours sans prof, mépris à distance, et les bibliographies à consulter sans bibliothèques. Il n’aura que six mois de février à juillet pour valider son année on ne sait d’ailleurs trop comment en apprenant tout seul, en s’organisant dans son coin, avec un réseau Internet peu vaillant et saturé. Les fameux MOOC (massive open online course – cours ouverts à tous en ligne) dont on faisait grand cas il y a dix ans sont des monuments rébarbatifs où il faut suivre dans la durée sans être aidé. De qui se MOOC-t-on ?

Je les regarde pousser et je me dis qu’il n’est pas facile d’être adolescent aujourd’hui. L’avenir est incertain, les études ardues, l’emploi compromis, la solitude assurée. Heureusement que la famille, réunie par la force du confinement, forme nid. Dans le meilleur des cas (qui est le leur). Mais les autres ?…

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Risques politiques de la pandémie

L’étrange année que nous vivons – dans le monde entier – remet certaines pendules à l’heure, y compris en politique. Le paon égoïste yankee était bien parti pour un second mandat avant le Covid ; il s’est vu signifier vertement « vous êtes viré ! » par les électeurs, dont la participation a été massive cette fois-ci, puisqu’il a nié l’évidence que le virus chinois tuait. Son slogan mauvais de télé-réalité est devenu réalité, même si trumpisme et réalité se situent dans deux univers parallèles. N’est « vrai » – donc « réel » – que ce qu’il croit, veut et désire, pas ce qui est… Dure baffe que ce retour au réel, tout comme Bolsonaro en connait avec ses municipales. Demain Erdogan ?

Car si l’économie est vitale, la santé aussi. Peut-être même est-elle première chez le plus grand nombre, celui qui a de la peine à joindre les deux bouts et sait que sa retraite sera amputée pour cause de chômage et de petits boulots après CDI plus que de réformes à venir. Mais il y a la manière. Les sincères, les humbles, les authentiques, ceux qui s’informent et dialoguent, sont mieux vus que ceux qui délivrent des oukases de leur bureau ou de leur Olympe. Ainsi Biden contre Trump, mais aussi Merkel contre Macron ou Philippe contre Castex.

Bon élève, le président fait tout ce qu’il peut pour « changer » mais on ne se refait pas. Quand on est, a été et sera bon élève, les autres sont quantité négligeable – ou à séduire pour les convaincre que la voie choisie est la seule raisonnable. Edouard Philippe était trop intelligent pour ne pas faire de l’ombre dans la phase deux du quinquennat, celle qui prépare la réélection. Jean Castex est certainement plein de qualités mais il n’a pas la même aura. Son caporalisme de maître d’école à l’ancienne quand il parle en public lui donne un ton ringard, provincial et décalé. Les Français ne sont pas des gosses qu’on mène à la baguette comme dans les années cinquante, même un béret sur la tête.

Sa décision « sanitaire » de reconfiner est probablement juste au vu des capacités médicales du pays qui consistent moins en « lits » ou en « moyens » immédiats qu’en personnel formé. Le numerus clausus médical n’est pas de la faute des gouvernements successifs mais bien du syndicat des médecins appelé « ordre » car fondé sous Vichy. Même si le système de santé est sûrement à repenser et à sécuriser, les « coupables » ne sont pas uniquement les hauts fonctionnaires ni les ministres car la formation des infirmières et des médecins dure des années – et rien n’a été prévu, pas même pour rendre le métier attractif à l’hôpital.

Mais la décision de fermer les rayons des grandes surfaces sur les « produits non essentiels » est probablement une faute politique qui va se payer dans les urnes. Cela pour au moins trois raisons :

La première est cet égalitarisme malvenu, de « principe », abstrait et niveleur, qui met tout le monde sur le même plan, les gros et les petits, les équipés informatiques et les retardataires, les compétents et les incompétents. Chacun peut mesurer l’absurdité des courses où le cheminement en « grande » surface est réduit à cause des barrières entre rayons (d’où un côtoiement accru pas vraiment « sanitaire »). Chacun peut mesurer combien est infantile la liste par décret de produits jugés « essentiels » par un quarteron de fonctionnaires en chambre. C’est prendre les gens pour des cons. Exiger ce que Chirac demandait il y a une génération aux chiens à Paris : « je fais où on me dit de faire ». Pas vraiment moderne ni citoyen de traiter les gens comme des chiens… Il faudrait les « guider » comme s’ils n’étaient pas capables tout seuls de juger ? Pendant ce temps, les métros et les bus sont bondés, les écoles ouvertes à plein et les TGV permettent de manger sans masque à sa place, devant les autres en face, tandis qu’il est autorisé de fumer (donc sans masque) dans la rue passante alors qu’il est « interdit » sous peine d’amende d’ôter le masque en grande banlieue où il n’y a personne à cent mètres à la ronde ! « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui », dit pourtant l’article 4 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen qui fait partie de la Constitution de 1958. Il serait tellement plus clair, mieux admis et efficace, de dire que le masque est obligatoire en tous lieux dès qu’il y a plusieurs personnes, mais pas là où les distances entre les gens dépassent la dizaine de mètres.

La seconde raison est bien plus profonde, laissant dubitatif sur la capacité des gouvernants à « apprendre » du premier confinement – il y a déjà six mois. Condamner des rayons, c’est mettre au chômage partiel des milliers d’employés des grandes surfaces, des transports logistiques et mettre en péril les producteurs de biens durables puisqu’ils ne peuvent écouler leur production. C’est provisoire, dit-on. Mais le Covid sera encore là dans un an car les vaccins ne seront pas encore répandus et l’on ne sait trop s’ils seront longtemps immunisants ni s’ils agiront aussi efficacement selon les âges. C’est donc affaiblir sinon tuer l’industrie des biens de consommation, notamment ce qui en reste en France, au profit de l’importation de produits des multinationales asiatiques à bas coûts qui, elles, pourront résister grâce à leurs marchés internationaux et à des gestions de crise moins brutales.

La troisième raison est que le chômage partiel est payé par le budget, donc par nos impôts, et que c’est bel et bien gaspiller l’argent public que de prendre une mesure inutile, voire néfaste au souci sanitaire (autant de gens dans une surface réduite). Les dettes, c’est bien, mais qui va les payer ? L’article 15 de la même Déclaration des droits qui a force constitutionnelle stipule que « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». Le Premier ministre n’en est pas exclu. Laisser ouverts les « petits » commerces comme en Allemagne – avec exigences accrues sur le cahier des charges sanitaire – aurait été bien plus « politique » et aurait moins suscité l’exaspération. D’autant que nous nous rapprochons de « Noël » et du tiers de la consommation annuelle du pays. Le « coup de menton » Castex apparaît plus comme un agacement fébrile que comme une mesure raisonnée, pensée jusqu’à la cascade de conséquences qu’elle entraîne. Gouverner, c’est prévoir : où est la prévision dans ce désastre économique et sanitaire. En mars, passe encore puisque personne ne savait rien. Six mois plus tard, le citoyen aurait espéré que son gouvernement ait appris.

Je mesure combien la balance entre sanitaire et économique est délicate – mais pourquoi ne pas s’inspirer des autres et écouter les commerçants autant que les médecins ? Le pouvoir médical nous a assez baladé ces derniers mois en affirmant tout et son contraire, en « croyant » (sans vérifier selon les protocoles scientifiques stricts) que le masque ne « servait à rien », puis en la vertu des molécules de perlimpinpin – dont la fameuse chloroquine du fameux professeur Raoult. Le pouvoir médical n’a entrepris depuis avril aucune étude de contamination suivant les milieux pour mieux cibler les risques : la rue encombrée, la rue aérée, la boutique spacieuse, la boutique moyenne, l’école primaire, le collège, le bar sur la rue, et ainsi de suite. Ne restent que des affirmations péremptoires et le réflexe mauvais du Mal français qu’est le « tous pareils ». Les médecins soignent mais ils ne sont pas des savants, ils tâtonnent, apprennent par l’expérience. Comme nous tous avec cette nouvelle grippe asiatique.

Les politiciens au pouvoir ne devraient pas négliger l’exaspération qui monte, non seulement sur les restrictions de libertés pas toujours justifiées mais aussi sur le mépris des citoyens véhiculé par un discours infantilisant et parfois contradictoire. Les complotistes font recette, les extrémistes se positionnent, le repli mental engendré par le Covid incite à un ressentiment qui mène au conservatisme botté. De la frustration d’être traité en mineur et de voir son emploi menacé faute de débouchés dans les boutiques peut naître très rapidement le défoulement violent du « sortez les sortants » ! Au profit du pire…

D’où une question : pourquoi ce gouvernement reste-t-il si maladroit ? Le président ne sait-il pas s’entourer ? Ne diversifie-t-il pas assez ses « conseillers » ? Est-il trop persuadé de son excellence ? Reste-t-il trop le nez sur le guidon sans prendre le temps de penser plus loin ? Ne mobilise-t-il pas assez les forces vives, à commencer par les élus et les syndicats ? J’ai pourtant entendu des choses sensées dites sur les radios par ces derniers.

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Fatale erreur !

Le logiciel du gouvernement Macron bogue : sur l’écran de l’actualité s’inscrit cette mention bien connue : Fatal Error ! Les librairies sont en effet fermées par décision administrative pour cause de Covid-19. On devrait plutôt fermer Internet et les réseaux pour cause de contamination islamiste, ce serait plus sain.

Les livres ne sont pas considérés comme des « produits de première nécessité » – en revanche les ordinateurs, les smartphones et les baladeurs le sont ! C’est du grand n’importe quoi des ignares de bureau. Pire : sous prétexte de concurrence « faussée », les rayons des grandes surfaces qui vendent du tout culturel sont forcés à fermer. Même là, pas de livres pour les clients ! Au moment où les écoles restent ouvertes et « obligatoires », empêcher d’acheter des livres est un non-sens absolu.

Je comprends que la contamination galopante soit une préoccupation de santé légitime. Mais pourquoi fermer les librairies alors que les cosmétiques, l’électronique et la bouffe sont autorisées ? Va-t-on se contaminer plus encore en allant au rayon d’à côté dans le même magasin, ou dans la librairie du coin où il y a moins de monde qu’à la boulangerie où dans le métro « autorisé » à travailler ?

La précipitation gouvernementale montre une chose qui ne sera pas oubliée : la « seconde vague » annoncée n’a absolument pas été préparée. On a laissé faire « les jeunes » et leurs fiestas, les vieux et leurs mariages, baptêmes, enterrements, les mûrs leurs « réunions » d’entreprise, d’association, de culte ou de copains. Il ne fallait surtout pas toucher aux sacro-saintes « vacances » avec l’hédonisme qui va avec, les déplacements de masse et les frotti-frotta y afférents. Depuis, le « déconfinement » a accouché d’un minable couvre-feu qui n’a pas couvert grand-chose (les fiestas se sont déroulées en privé, à huis-clos et toute la nuit). Il aurait fallu agir avant. Tout le monde le savait. Personne n’a osé.

Jupiter en son Olympe décide tout seul. Il dépend d’un aréopage de « scientifiques » en conseil qui crient haro après avoir crié tant d’autres choses, du haut de leurs « compétences » : que les masques ne servaient à rien, que l’été allait voir disparaitre la pandémie, que les hôpitaux pourraient faire face, que les tests allaient tout régler, que « le » vaccin était imminent… Sauf que « le système » ne suit pas parce que trop centralisé, hiérarchisé, attendant les ordres, ne proposant aucune initiative de terrain. Et que la solitude du pouvoir de la Ve République, héritage militaro-catholique romain, rend les conseillers du prince inefficaces parce que larbins et le sommet inaccessible à tout ce qu’il ne désire pas entendre. Nous sommes loin de la décentralisation allemande, suisse, espagnole, italienne, américaine ou même anglaise !

Alors on ferme. Style guichet de prison. Vous êtes condamnés. J’veux pas l’savoir ! Castex en vortex : obstiné jusqu’à être borné.

Les livres ? Un luxe pour intellos. Y a Internet, ça suffit bien. Pour les ignares vautrés dans l’économisme, le livre n’est qu’un produit à vendre comme les autres. Je connais l’économie et la mentalité économiste : Macron en est un pur produit. Ce qui ne se calcule pas n’existe pas, ce qui ne rapporte pas n’est que fumée. Le pain et les jeux oui – mais la culture non. Ça sert à quoi ?

Eh bien, cher président (des banques et des grandes entreprises plutôt que des Français), la culture ça sert contre le terrorisme des incultes qui croient agir à la place de Dieu. Les livres permettent de balayer toute cette rhétorique à prétexte religieux avec les grands auteurs comme Molière (Tartuffe) ou Voltaire (Traité sur la tolérance), avec les chercheurs (les vrais, ceux qui publient, pas ceux qui bavassent à la télé). Les livres permettent de réfléchir au lieu de suivre les plus grandes gueules, d’étudier au lieu de dire n’importe quoi, de devenir plus sage au lieu de moutonner avec la foule des « réseaux ».

Malgré la tendance générale réformiste qui me plaît chez En marche, cette réduction à l’économisme me débecte. Ah, ils sont loin les de Gaulle, Pompidou, Mitterrand et Giscard, qui lisaient des livres, qui écrivaient des livres, qui soutenaient le livre, qui aimaient la compagnie des auteurs ! La France a rayonné dans le passé par sa culture et notamment par sa littérature et par sa pensée politique. Plus aujourd’hui.

On voit pourquoi : le réformisme économiste ne jure que par les nouvelles technologies qui font « jeune », par l’hédonisme flemmard de se bourrer les oreilles de « musique » à la mode ou de films venus des Yankees. Le livre ? Même l’école démissionne : ça prend la tête. D’où les têtes mal faites qui n’agissent que sur l’émotion, dans le seul immédiat, via les réseaux tribaux offerts par l’électronique. Réfléchir ? Ça va pas ! Pavlov oui, Tchékhov non : c’est ça l’économisme – le pire hier du communisme, le pire aujourd’hui du réformisme.

Au moment où le monde entier tourne la tête vers la France et son martyr Paty, mort pour l’Ecole ; au moment où l’immigration incontrôlée montre combien passoires sont les frontières qui définissent le citoyen et les droits ; au moment où l’on cherche dans la patrie des droits de l’Homme et de la pensée des Lumières un sens… il n’y en a pas. Le livre est interdit : moins « de première nécessité » qu’un paquet de lessive (autorisé). Et un boulevard est ouvert aux GAFAM du pays de Trump pour qu’ils déversent leurs fausses informations malveillantes à guichets ouverts sans contradiction, et se fassent plein de fric sur nos données concédées gratuitement.

La France a perdu son âme. Une sacrée Fatale erreur !

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Municipales biaisées

Le coronavirus et les pratiques restrictives exigées font que l’élection n’a connu ni la liberté de vote (« restez chez vous » et « allez voter » !), ni la circulation normale de l’information sur les points de vue et les programmes. Ce n’est que vendredi, in extremis, que les tracts électoraux ont été mis en boite à Paris : bonjour la concurrence libre et non faussée !

Les trois listes majeures plus celle des mélenchonistes ne présentent que des femmes au poste de maire, après l’éviction par vie russe de Griveau : bonjour la parité !

La loi inique de 1982 qui concerne seulement Paris, Lyon et Marseille, dite « loi Deferre », est une élection à trois tours qui élit « le » maire, à Paris la mairesse, avec très peu de monde. Elle permet de gagner tout en perdant – gagner en votes tout en perdant en voix. Les 163 conseillers de Paris s’ajoutent aux 340 conseillers d’arrondissements sur 17 secteurs et pour le Grand Paris. Ce sont eux qui décideront du nom de la mairesse, 503 personnes pour 1 300 000 électeurs : bonjour la représentativité !

Les résultats d’une élection ne sont pas légitimes juste parce qu’ils ont été proclamés. Ils réclament au préalable l’affrontement contradictoire des points de vue et l’absence de risque sanitaire ou civil. 28 % des électeurs disaient ne pas vouloir se déplacer pour voter en raison des risques, selon un sondage IFOP ; de fait l’abstention est en hausse, la belle journée de printemps qui incite à sortir compensant à peine la hantise d’être contaminé par les multiples contacts. Le président demande de protéger les plus fragiles et « en même temps » de leur faire prendre le risque de se réunir dans les bureaux de vote : quelle contradiction !

Il faut y voir la pression des partis d’opposition, droite et extrême-gauche, qui veulent « se compter » et pouvoir dire leur légitimité « contre » le gouvernement. Ces politicards à courte vue ruinent un peu plus la politique – comme d’habitude. Emmanuel Macron aurait pu, cette fois-ci, prendre les accents gaulliens et se situer vraiment au-dessus des partis en jouant au Père de la nation et en faisant reporter l’élection. Il aurait renvoyé les « petits partis qui cuisent leur petite soupe à petit feu dans leur petits coins », selon l’expression fameuse du général. Après tout, que sont trois ou quatre mois dans une mandature ? Mais cette fois il a joué au démago, il a « écouté », ressemblant plus au Hollande synthétique (aussi terne et sans saveur) qu’au Charles (le grand). Quelle dérision !

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Bourse en avril

La situation globale reste favorable parce que la bourse américaine commande et qu’elle va bien. Moins qu’avant, d’où la forte hésitation de l’automne, mais pas si mal, d’où le rebond depuis. Les dernières Minutes du comité fédéral des marchés (FOMC) déclarent une pause dans les actions de politique monétaire de la Banque centrale américaine. L’opinion des gouverneurs sur la croissance passe de Forte à Solide, ce qui est moins optimiste mais encore soutenu.

L’inflation américaine reste sous les 2% avec un quasi plein emploi et 3.9% de chômeurs seulement. La croissance se tient, bien qu’inférieure à ce qu’elle était au dernier trimestre de l’année 2018. La consommation croit un peu avec les hausses de salaires tandis que les entreprises profitent toujours des impôts qui ont baissés grâce à Trump. Seul l’investissement immobilier résidentiel décline, mais n’est-ce pas sain au vu du niveau de l’endettement privé des citoyens américains ?

La création de monnaie favorable au crédit ne sera pas limitée et la taille du bilan de la Réserve fédérale ne sera pas réduite pour le moment. Donc ni hausse de taux attendue, ni retour sur le marché des achats fédéraux précédents.

Tout irait donc bien s’il n’existait le reste du monde, ce boulet pour les Américains, et s’il n’existait également le Trump, ce trublion pour le monde.

Car l’éléphant dans un magasin de porcelaine continue à sévir. Après avoir joué des matamores avec les Coréens du nord pour un « deal » ridicule où n’a rien obtenu de concret ; après avoir roulé des mécaniques pour relocaliser les usines tournevis du bon côté de la frontière avec le Mexique et juré de bâtir un mur (d’à peine 200 km) sans que le Congrès veuille lui avancer les fonds ; après avoir trompeté, tempêté, menacé l’ennemi principal – la Chine – le voilà qui se tourne, faute de mieux, contre ses alliés. Car la Chine résiste, pas l’Europe, qui s’effrite et doit bientôt voter, tandis que les Anglais clament qu’ils la quittent tout en refusant de le faire depuis trois ans. Le Boeing 737 Max est cloué au sol ? Attaquons Airbus ! Une bonne amende antisubventions, selon la loi territoriale américaine, ferait du bien à l’ego.

Tout va mieux côté chinois, donc soulagement ; tout va aller mal côté européen et la guerre commerciale va toucher les proches alliés, mais c’est tout bénéfice pour les spéculateurs du nord-est et les bouseux du centre-ouest : aux Etats-Unis, seuls comptent les bénéfices et on ne les obtient que le Colt à la main et la Bible juridique dans l’autre. La Turquie, alliée de l’OTAN, se tourne vers la Russie, cet ennemi juré du Département d’Etat ? Trump n’a pas le même ennemi : il est pour lui chinois et, au contraire de son Administration, il aime bien les Russes, même s’il a été « blanchi » officiellement de toute collusion avec leurs hackers pour être élu. Trump a ralenti le commerce mondial avec ses droits de douane ? Touché les exportations et fait monter les prix ? Que lui importe puisque le marché américain est très peu ouvert au reste du monde et presque autosuffisant.

Donc tout va bien pour la bourse américaine malgré le ralentissement de la croissance mondiale, l’escalade des tensions commerciales, la hausse des dettes publiques et privées, le ralentissement accentué en Chine et les risques politiques dans de nombreux pays. Si la bourse américaine va bien, les bourses du reste du monde n’iront pas trop mal car la planète finance est globale. Il reste probablement plusieurs mois de hausse des marchés actions.

Si l’on observe un graphique du SP 500 (indice Standard & Poors des 500 plus grandes valeurs de la bourse américaine), nous semblons nous situer à la fin de la phase de correction qui devrait précéder la dernière vague de hausse du cycle. Le schéma graphique de la période récente ressemble à la correction de fin 2015 et début 2016 – avant la grande hausse 2017-2018. Commence aujourd’hui une phase plus dangereuse car plus spéculative, mais aussi plus rapide et plus brutale peut-être.

Se terminera-t-elle à l’automne 2019 (les mois d’octobre sont meurtriers) ou courant 2020 ? Difficile de le savoir pour le moment : 2020 sera l’année où Trump joue sa réélection, avec toutes les outrances possibles d’un tel clown – mais représentatif d’un Américain réel sur deux. D’ici la fin de cette année auront lieu le Brexit et les élections au Parlement européen, Macron devra montrer qu’il baisse autant les impôts qu’il le dit, mais aussi la dépense publique pour compenser – faute de quoi la dette dépassera les 100 % du PIB comme en Italie, et Merkel sera remplacée par AKK à échéance dans deux ans.

Il y a donc des risques – il y a toujours des risques. Mais les autres actifs ne rapportent rien ou peu, seules les actions ont un rendement compatible avec l’évolution de l’économie et supérieur à la hausse des prix.

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Désert

La « crise » est certes économique puisque le numérique bouleverse tous les processus de production. Elle est évidemment sociale puisque le système de redistribution est à bout de souffle, prélevant trop et ne redonnant jamais assez pour toutes les quémandes. Elle est politique puisque toute confiance envers les dirigeants a quasiment disparue et que les seuls qui s’en sortent sont ceux qui mentent le plus effrontément, promettant la lune aux imbéciles qui les croient (Trump et les mineurs de charbons, les brexiteurs excités avec la fortune économisée par la sortie de l’UE, la Le Pen et son n’importe quoi complotiste sur tout sujet qui passe à sa portée…) Mais la crise est surtout spirituelle par manque de sens. Oh, certes, les naïfs soixantuitards qui partaient en Inde pour trouver « la Vérité » ne sont plus la majorité, mais ceux qui veulent « une autre société » ou « qu’un autre monde soit possible » ne manquent pas. Sans jamais s’entendre et ne discutant sans fin à la fortune du pot, la convivialité d’être ensemble suffisant à être heureux momentanément sans déboucher sur un projet. Et chacun sait qu’un pot est tout ce qu’il y a de plus sourd.

L’égalitarisme revendiqué jusqu’à plus soif est un extrémisme comme un autre. Si on le mène jusqu’au bout, il va jusqu’au libertariens américains, forme d’anarchistes riches du chacun pour soi où l’on se bâtit soi-même (self-made) et où l’homme est un loup pour l’homme (le Colt à la main ou « le droit » si vous êtes capables de payer une armée d’avocats compétents). Cet égalitarisme, venu du christianisme plus que de la Bible qui connaissait le Père tout-puissant et la hiérarchie des rois et prêtres, a été avivé par la révolution bourgeoise et « accompli » (donc poussé à l’absurde) par les révolutions populaires inspirées par le marxisme. Elles ont échoué, comme chacun sait. Une économie ne se réduit pas à l’administration des choses comme le croyait Lénine pour qui la société devait fonctionner « sur le modèle de la Poste ». Le Grand bond en avant maoïste a été une lamentable régression qui a engendré famine et millions de morts avant que la Révolution baptisée « culturelle » fasse du non-savoir des brutes l’alpha et l’oméga de l’obéissance au Parti dirigé par le seul Grand timonier…. qui a fini par crever, comme la biologie l’exige, libérant la société et les forces entrepreneuriales du commerce et de l’initiative.

Le Parti tient la société et impose la morale traditionnelle issue de Confucius en Chine ; Poutine fait de même avec l’Eglise orthodoxe en Russie ; Israël a le droit de la Bible et les Etats-Unis se croient encore une vocation de nouveau monde élu pour construire la Cité de Dieu pour l’humanité entière. Que reste-t-il en Europe ? Le seul idéal (donc inatteignable) de la société marchande pour laquelle chacun est un consommateur lambda – d’autant plus consommateur que lambda – apte à être manipulé par les modes et la foule qui décrète le qu’en dira-t-on.

Nous sommes passés du laisser-passer mercantiliste au laisser-faire libéral et jusqu’au rousseauisme pour qui la société (toute) société est oppressive, toute éducation une contrainte et toute connaissance (même le savoir scientifique) un colonialisme. Dans cet état d’esprit, le sujet est économique, pas politique ni ethnique. L’individu est premier, monade autonome donc universelle qui peut s’installer partout et être chez lui nulle part. Le globish remplace les langues nationales (même en Europe d’où les Anglais vont partir !), le calcul égoïste est la seule relation politique et la culture se réduit aux vogues des pubs, des réseaux sociaux et des séries télé.

Exit la communauté, l’histoire, le sacré – sauf à les utiliser pour exiger un égalitarisme des « droits » encore plus absolu. La politique nationale se réduit à la bureaucratie, la loi aux textes abscons de technocrates et les décideurs deviennent administrateurs : en témoigne la machine européenne, experte à pondre des règlements juridiques mais inapte à susciter enthousiasme et élan, même contre les ennemis économiques que sont Américains et Chinois, qui seront bientôt ennemis politiques par leur impérialisme insidieux mais obstiné. Les derniers grands politiques français furent de Gaulle et Mitterrand, avec Sarkozy en sursaut durant la crise financière et durant la crise avec les Russes en Géorgie. Entre temps et depuis : rien. Même Macron, qui promettait, navigue à vue.

La seule philosophie est l’enrichissez-vous du bourgeois. Sauf que la richesse se fait rare comme en témoignent les gilets jaunes qui n’en peuvent plus des fins de mois, et le niveau de prélèvements obligatoire en France qui atteint des sommets : toujours plus d’argent pour de moins en moins de revenus ! La seule morale est celle du « pas plus que moi » de l’égalitarisme jaloux et « que personne n’obtienne si je n’obtiens pas aussi ». En contrepartie de quoi ? De rien : c’est « un droit », comme de vivre et de respirer, c’est tout. Et qui paye ? Forcément « les riches », ceux qui ont plus. Pourquoi ont-ils plus ? Parce qu’ils ont mieux travaillé à l’école, ont persévéré dans l’effort ou ont quelques talents différents du commun des mortels. Mais ce qu’on accepte des footeux et des stars apparaît intolérable chez les entrepreneurs créateurs de biens ou les bêtes à concours reconnus aptes à diriger.

Il s’agit de profiter plutôt que de donner, de jouir et posséder plutôt que de bâtir ensemble. Le bobo sera nomade ou ne sera rien ; il sera colonisé de l’intérieur ou sera éliminé dans le lumpenproletariat du précaire et de l’assistanat réduit au minimum. Comme aux Etats-Unis où on le laisse dans sa mouise – comme en Chine où on le qualifie d’asocial avant de le rééduquer en camp spécialisé. Big Brother aura gagné dans les filets de Matrix.

Les remèdes ?

Les religions ? (et elles reviennent en force, encore plus obscurantistes, intégristes, autoritaires). Mais la majorité les craint – avec raison, au vu de l’intolérance et de l’hypocrisie dont elles font preuve. On a déjà donné avec l’Eglise catholique et avec l’islam Wahhabite ; même la religion hébraïque montre de quoi elle est capable avec les Palestiniens.

La nation ? Elle n’a plus guère de sens dès lors que le monde des réseaux est globalisé, l’univers économique interdépendant et que « les alliés » sont les pires ennemis (USA de Trump et amendes records aux entreprises pour viol de la loi purement américaine ; Brexit de nos plus proches voisins qui préfèrent s’isoler ; refus du commun par certains pays européens qui ne veulent pas avancer).

Le retour à une certaine forme de féodalisme, comme lors de toutes crises ? C’est un processus peut-être en cours, si l’on considère que des « tribus » se forment sur les réseaux et s’agglutinent en bandes qui ne reconnaissent qu’un seul gourou, s’opposant à tous les autres dans une sorte de guerre civile froide que seuls quelques excités qui mériteraient des opposants physiques à leur mesure poussent jusque dans la rue lors des samedis jaunes. La lutte des casses a remplacé la lutte des classes puisque les classes ont quasi disparu : tout le monde est devenu bourgeois, sauf les immigrés de fraîche date qui ne savent pas encore ce que c’est mais sont venus justement pour « gagner » et acquérir.

Alors le monde nouveau ? Sera-t-il celui des fermes autonomes peuplées d’écologistes intégristes, protégés de hauts murs (et sachant tirer) du rêve libertarien américain ? Celui des bidonvilles de Calcutta face aux quartiers aérés des très riches qui vivent entre eux ? Celui de la partition des régions et communes libres battant monnaie locale et exigeant une solidarité communautaire sous peine d’exclusion ? Le socialisme est mort, la Nuit debout n’a pas vu le jour et les gilets jaunes ne réfléchissent pas mais tournent en rond ou cassent la baraque. Il ne reste au fond plus guère que Macron…

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La France vire-t-elle fasciste ?

Comme après la crise boursière des années 1930, vite devenue financière, économique et sociale, la crise boursière des années post-2008, vite devenue financière, économique et sociale, suit son cours. La dernière étape est inévitablement politique. Comme dans les années 30, le populisme un peu partout dans le monde occidental développe ses outrances, ses naïvetés et ses mensonges intéressés. Cela a abouti hier à Mussolini en Italie, à Hitler en Allemagne, à d’autres régimes ou partis plus ou moins autoritaires en Europe (Franco en Espagne, Horthy en Hongrie, le rexisme en Belgique, Pétain et Laval en France…).

Et aujourd’hui ? L’histoire ne se répète jamais, sauf que le tempérament humain reste le même. Les « réactions » pavloviennes aux mêmes événements produisent des mêmes comportements malgré l’histoire qui enseigne, la culture qui progresse, les années qui passent. Ce qui est arrivé hier arrive donc aujourd’hui : la révolte antiparlementaire, anti-représentative, anti-élite, anticapitaliste, antilibérale, anti-étrangers ; la peur du déclassement culturel, la hantise de dégringoler l’échelle sociale, de payer trop d’impôts par rapport aux autres, de ne pas avoir sa part du gâteau redistributif, d’être exclu du petit rebond de prospérité après crise. Ce fut le cas en 1925 en Italie, en 1933 en Allemagne, en 1936 en Espagne, en 1940 en France…

Les classes moyennes et populaire s’unissent alors pour contester « le système » : dans les années 30 les petits capitalistes, artisans et commerçants, les petits fonctionnaires et les intellos mal reconnus, les ouvriers qualifiés déclassé par le lumpenprolétariat, les retraités grugés par les impôts, les paysans laminés par la distribution. Tous ont formé le terreau du fascisme, du nazisme, du franquisme, du pétainisme, du rexisme… Le Parti populaire français rivalisait avec le Rassemblement national populaire et Solidarité française pour contester le pouvoir et prôner la démission du gouvernement et l’instauration d’un plébiscite par appel direct au « peuple ».

La passion était l’Etat seul et ni les partis, ni les élites, ni les administrations : « Tout dans l’Etat, rien hors de l’Etat, rien contre l’Etat ! » braillait Mussolini, ancien combattant et militant socialiste engagé devenu homme fort du fascisme naissant. Comme à l’école primaire, les gens primaires en appelaient au maître contre les frustrations dues aux copains plus habiles ou plus forts. L’Etat allait égaliser tout et tous, protéger la nation et « le peuple », nationaliser les profiteurs et rétablir les frontières contre les « étrangers » (tout en allant soumettre quelques pays nègres – comme l’Ethiopie – pour offrir de la promotion sociale aux incapables – mais blancs).

La revendication des frontières, de la France seule, l’égalitarisme jaloux et des impôts pour « les riches » reviennent aujourd’hui chez les fachos des ronds-points ; ils portent gilet jaune en guise de chemise noire, sauf que… manquent dans la France d’aujourd’hui les partis de masse et les hommes forts – machistes à la Poutine, Trump ou Bolsonaro. Cela fait une différence : si le terreau social est le même, la solution n’est pas trouvée.

Le fascisme voulait l’héroïsme contre l’égoïsme ; le gilet jaune étale son égoïsme (et moi ? et moi ? et moi ?), refusant toute organisation, programme ou porte-parole. Leur seul héroïsme consiste à tourner en rond – uniquement le samedi –  et à laisser casser les biens publics par des bandes couvées avec indulgence (ça fait du buzz à la télé). Tout patriotisme est absent, une seule revendication aussi vaine qu’inepte réussit seule à faire un semblant d’unanimité : « Macron démission ». Le président Macron, élu sans conteste en 2016, ne démissionnera pas. Alors quoi ?

Qui proposer à sa place ? La duccesse marinée en la peine, au casque chevelu décoloré pour faire propre aryen ? Le ducce du camion qui ne connait ni droit ni loi ? Le Dupont trop feignant pour vérifier ses affirmations avant de balancer un gros mensonge afin de Trumper son monde ? Quand ces matamores de ronds-points l’ouvrent, c’est pour se rendre ridicules. Faut-il écouter les leçons de démocratie de l’Italien arrivé par hasard au pouvoir contre l’immigration ? Le pays qui a inventé le fascisme tout comme la Russie qui a inventé stalinisme et goulag sont-ils vraiment des « modèles » pour la France ? Mélenchon se tait, ne voulant pas subir de sort de Karl Liebknecht ou de Rosa Luxembourg, tant les extrémistes de droite sont survoltés, jouant volontiers du couteau au Brésil ou en Pologne et menaçant « de mort » en France même les députés de la République. Le « socialisme » est inaudible, même si « Pépère » essaie de chevroter qu’un président ne devrait pas faire ça. L’opposition Wauquiez est aux abonnés absents, une hémorragie de militants centristes éclaircissent les rangs de « La » République (LR), sauf une poignée de sénateurs qui justifient leur fauteuil en creusant « l’affaire » des possibles dysfonctionnements de l’Elysée.

Alors qui, les gilets ? Un bon gros beauf tiré au sort ? Referait-on des élections présidentielles aujourd’hui, selon les sondages, ce serait… Macron qui repasserait : faute d’alternative crédible. Le problème avec le mouvement jaune est qu’il s’agit d’un agrégat sans lien autre que brailler ensemble et frire des merguez dans la grande fête « où l’on se parle » – pas d’un parti politique proposant un programme politique et des leaders politiques aptes à gouverner. Se sentir bien ensemble (un seul jour par semaine) ne fait pas un projet dans la durée. Un sac à patates, selon le mot de Marx, n’est pas une classe sociale consciente de ses intérêts.

Ce qui domine est l’anarchie. Ni Dieu, ni maître, ni Macron. Bon : et l’on se gère comment ? Par des référendums sur tout et n’importe quoi ? Par une mosaïque de revendications locales, tribales, minoritaires ? La juxtaposition des égoïsmes a-t-il jamais accouché d’un projet collectif ? On comprend sans peine pourquoi les gilets jaunes ne veulent surtout pas « participer » au grand débat : il est national et devra formuler des propositions de lois concrètes. Or ils sont bien incapables de s’élever au niveau de la nation (encore moins de l’Europe face aux géants du monde !), incapables de formuler des projets d’intérêt collectif autres que « Macron démission » et que « moi y’en a vouloir des sous » pour moi !

Ils se disent « apolitiques » ce qui est le signe, depuis Alain, d’un conservatisme qui ne propose aucun progrès. L’anarchisme de droite (à la Céline) est proche de l’extrême-droite mais refuse l’embrigadement (à la Brasillach) : il est une maladie infantile du fascisme, peut-on dire en paraphrasant Lénine. Seul le processus de brutalisation des années 1930, l’accoutumance à la violence verbale et physique – jusqu’aux menaces de mort – est préoccupant : il fait le lit du premier macho fort en gueule qui passera ramasser les miettes et les pétrira en parti puissant. Mélenchon aurait bien voulu jouer ce rôle, las ! l’époque est plutôt à droite et, sauf à virer Doriot (passé du communisme au fascisme d’un seul élan), peu de chance qu’il y arrive.

Le « mouvement » des gilets jaunes apparaît donc comme un geste, pas comme un acte ; comme une velléité, pas comme une volonté ; comme une jacquerie à prétexte fiscal, pas comme un projet pour le pays. Alors, non, la France ne vire pas fasciste. Pour le moment.

Les années 30 sur ce blog

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Fin du monde contre fin du mois

Cette expression frappante d’un gilet jaune colza résume à merveille le grand écart entre les inclus et les exclus, les bobos urbains et les smicards ou érémistes périurbains ou provinciaux. L’écologie – française, parisienne, intello – révèle la lutte des classes.

Dès lors, pas de consensus sur la planète. D’un côté ceux qui ont les moyens d’avoir le temps ; de l’autre les pauvres qui n’ont pour échéance que la fin du mois.

C’est en principe au Politique d’opérer la synthèse entre le court et le long terme, de définir les étapes et les efforts, d’expliquer aux uns et aux autres les enjeux communs malgré leurs intérêts particuliers divergents.

Hollande, brimé par l’économie sur le court-terme (pour avoir massivement augmenté des impôts), s’est lancé dans la « grande cause » de la COP 21. De grandes idées et de grands mots – qui ont accouchés de petites décisions, vite remises en cause par le populiste en chef d’outre-Atlantique.

Macron a bridé Hulot, qui s’est démis. C’est que gouverner n’est pas célébrer, la politique n’est pas une cléricature ni le gouvernement une grand messe. L’écologie est une chose trop sérieuse pour la laisser aux écologistes, surtout français, surtout parisiens, surtout intellos.

La base se rebiffe car, s’il faut décider, donc choisir, la facilité de taxer une fois de plus est une fois de trop. Où vont les sous ? Ce serait démocratique de le dire, que le Parlement le contrôle, que la Cour des comptes ponde des rapports qui ne servent pas à s’asseoir dessus.

La boussole politique doit être l’intérêt général et le sens des étapes : on ne change pas la société par décret, ni un parc automobile et des habitudes de travail et de vie d’ici 2022. Hulot avait du culot de pousser à aller toujours plus vite. Enfiler des taxes à sec fait mal et le populo se rebiffe. Il veut bien reconnaître que la médication est pour sa santé à long terme, mais en attendant ? Il lui faut aussi manger, travailler et vivre.

Le gouvernement infléchit son intransigeance et surtout son budget – avec raison. Car seul le raisonnable peut convaincre, pas la trique fiscale  (dite « incitative » – comme si un suppositoire pouvait l’être !), ni l’émotion de foule portée à tous les excès de l’instant.

Pour agir en raison, il faut convaincre. Et pour cela s’appuyer sur les relais naturels et indispensables que sont les corps intermédiaires, à commencer par les maires des communes. Auxquels il faut ajouter les parlementaires à condition qu’ils fassent leur métier qui est de voter le budget, de mûrir les lois et de contrôler l’Exécutif (pas sûr que cela se passe correctement). Mais aussi les syndicats, qui reflètent le monde du travail et la base, en dépit de leurs œillères idéologiques ou trop intéressées par les intérêts de leurs diverses corporations. Et les associations, plus informelles, les experts, les universitaires, les médias.

Le tort du président est de les ignorer superbement. On ne gouverne pas tout seul, même en France, pays de « L’Etat c’est moi ». Emmanuel Macron est probablement plus impatient et pressé qu’imbu de sa personne mais, en un an et demi, le mal est fait : son image s’en ressent.

La fin du monde est théorique, le Club de Rome l’avait déjà prévue imminente en 1972, après saint Jean qui nous voyait mal passer l’an mille. Le pic du pétrole est annoncé pour demain depuis deux décennies, alors que les découvertes se multiplient et que le pétrole de schiste n’était pas vu. Il est probablement nécessaire de remplacer les énergies fossiles par des énergies durables, mais substituer l’électricité au carburant issu du pétrole consomme inévitablement du nucléaire sur le court et le moyen terme. Sans parler des métaux rares pour les piles.

L’intelligence serait l’adaptation : remplacer par exemple progressivement une partie du diesel issu du pétrole par du « diesel vert » issu des végétaux, dont le colza. Le biogazole existe, permettant (après adaptation) de rouler avec ses voitures en cours d’usage, le temps de la transition. Mais qui le prône ? Qui l’encourage ? Qui le développe ?

Non, mieux vaut « taxer » pour inciter, et punir pour dresser les mentalités. Pauvre écologie politique…

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Gilets jaunes et grande peur

La mutation accélérée de la société après la révolution numérique et la crise de 2008 ressemble à la mutation accélérée de la société après l’essor des chars et des avions et de la guerre de 14. Mais la grande peur aujourd’hui se focalise à très court terme sur les taxes et le diesel, à moyen terme sur « l’invasion » arabe immigrée et à plus long terme sur le changement du monde (climat, numérisation, réduction des emplois, angoisse pour la retraite, raréfaction des matières premières, lutte pour la vie des nations pour l’accès aux ressources).

L’autre, et plus généralement le changement, font peur. Le mâle, Blanc, périphérique et peu lettré ne suit plus l’élite mixte, diversifiée, parisienne et diplômée, censée le conduire – sinon vers un vers un avenir radieux comme hier – du moins vers le progrès et la hausse du niveau de vie.

Les années 1920 aux Etats-Unis avaient fait naître les lois restrictives sur l’immigration tout comme aujourd’hui Trump menace les migrants massés aux frontières du Mexique de leur envoyer l’armée. Les années 2010 en Europe voient la montée des partis de droite extrême un peu partout, la parenthèse d’accueil massif Merkel se retournant très vite contre elle. Il n’est pas étonnant qu’Emmanuel Macron veuille se situer sur la ligne de crête, généreux en discours et frileux en accueil : la population ne veut pas d’immigration massive.

Il ne s’agit pas de « racisme » (ce gros mot galvaudé qui ne concerne que les Blancs mâles et bourgeois mais ne s’applique nullement aux colorés victimaires qui auraient tous les « droits », selon les experts sociologues, en raison du « contexte »). Les immigrés individuellement et les familles sont secourus et accueillis : ce qui fait peur est la masse. Surtout après les attentats racistes de 2015 qui ciblaient les journalistes libre-penseur, les Juifs, les policiers, avant de frapper indistinctement tous ceux qui ne pensaient et n’agissaient pas comme Allah le voudrait, écoutant de la musique, buvant de l’alcool, s’exhibant aux terrasses de la ville ou sur la promenade des Anglais en tenue très légère. Masse allogène plus religion sectaire forment la grande peur des gens « normaux ».

L’heure est donc à la « réaction ». Au retour sur le monde d’avant, réputé « paisible » parce qu’il est bien connu, donc apprivoisé. Les manifestations contre le mariage gai, l’avortement, le féminisme agressif, l’écologie punitive – et toujours les taxes – ne sont qu’un symptôme de ce grand frisson de la pensée face aux dangers de la mondialisation et du futur menaçant.

Isolationniste, protectionnisme et nationalisme font leur grand retour. On sait ce qu’il est advenu dans les années 1930, la décennie suivant les années folles : la crise boursière, financière et économique de 1929 a conduit à la crise sociale et aux révolutions politiques qui ont abouti à la guerre.

Aujourd’hui, la déréglementation qui se poursuit pour capter les nouveaux métiers numériques et mondialisés, la raréfaction des ressources publiques pour aider les éprouvés de la vie, et la guerre commerciale initiée par le paon yankee, aggravent les effets de cette désorientation sociale.

Un nouveau cycle politique commence. Il est initié en France par le grand refus 2017 des vieux caciques focalisés sur leurs petits jeux de pouvoir entre egos, sur le rejet des partis et syndicats traditionnels bloqués dans leur langue de bois et par leurs postures. Emmanuel Macron se posant comme « ni de droite ni de gauche » assure la transition nécessaire (et raisonnable). Mais il n’est qu’un pis-aller pour les gens, un recul réflexe face aux extrémismes, notamment celui de la droite Le Pen qui apparaît comme peu capable.

En revanche, l’étatisme centralisateur jacobin renouvelé – qui est le mal français déjà pointé par Alexis de Tocqueville et Alain Peyrefitte – attise le ressentiment entre ceux qui se sentent de plus en plus pressurés et exclus, et ceux qui vivant à l’aise dans l’inclusion. Les « gilets jaunes », dans leur anarchisme spontanéiste, révèlent cet écart grandissant. La technique permet de se sentir entre soi au-delà des affinités de quartier ou de village : Facebook est passé du fesses-book des débuts (où chacun exhibait son corps et ses états d’âme) en moulin à pétitions en tous genres. Avec cet égoïsme et cette niaiserie spontanée d’une population qui ne lit plus, ne réfléchit plus et se contente de « réagir » par l’émotion aux images dont elle est bombardée via les smartphones et les gazouillis. Aucune hauteur mais chacun dans sa bande, sa tribu ; tous ceux qui ne pensent pas comme le groupe sont exclus, surtout les journalistes qui « osent » publier les points de vue différents. L’intérêt personnel purement égoïste et le nombril tribal remplacent la citoyenneté.

La « démocratie » recommence à la base, comme à l’école maternelle. Comment s’étonner que « les pouvoirs » reprennent le rôle du maître d’école ou de la maîtresse ? Macron comme Trump (ou Poutine, Erdogan, Xi Jinping, Bolsonaro et d’autres) savent qu’il faut s’imposer face aux « enfants » – soit en gueulant plus fort qu’eux pour les entraîner à sa suite (modèle du fascisme), soit en restant ferme sur ses positions argumentées et se fondant sur la lassitude des violences et des casseurs qui dissout vite toutes les révoltes quand il faut chaque jour faire bouillir la marmite (modèle jacobin).

Mais cela n’a qu’un temps car la révolte est un symptôme : à ne pas traiter les causes de la grande peur, les politiciens risquent gros. Si une nouvelle crise financière (donc économique) devait survenir prochainement, nul doute que les jacqueries se transformeraient cette fois en révolte ouverte et que les partis les plus attrape-tout et tribuniciens l’emporteraient en raz de marée irrépressible. Avec les conséquences que l’on peut entrevoir au regard de l’histoire.

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Patrick Buisson, La cause du peuple

Les années Sarkozy ont passé et le citoyen a l’impression que c’était dans l’autre siècle. Il faut dire que les années Hollande ont été pires. Dans ce gros livre qui mêle chronologie et philosophie, Patrick Buisson règle ses comptes avec Nicolas Sarkozy mais montre qu’il déteste viscéralement la gauche. « Toujours j’avais contesté à la gauche le droit qu’elle s’arroge de définir les termes de la légitimité, de fixer les limites du pensable et de l’impensable, du dicible et de l’indicible » p.10.

Passons sur Nic Sarko, son cas est réglé en quelques phrases qui touchent juste : « Tout le temps qu’il avait été au pouvoir, Nicolas Sarkozy n’avait jamais eu pour conviction que son intérêt instantané et, son intérêt changeant, il n’avait jamais cessé de changer d’idées en y mettant toute l’énergie de ces insincérités successives » p.16. Ce narcissique ambitieux qui veut qu’on l’aime est et reste hors-sol, aussi brillant et aussi fade qu’une tomate hydroponique : « Plante aquatique au développement tout en surface médiatique, Nicolas Sarkozy se savait dépourvu de racines » p.21. Ce pourquoi il n’a eu aucune stratégie pour le peuple de France mais seulement une tactique pour gagner le pouvoir. La pratique de la triangulation récupère les idées et les symboles des autres pour séduire, non sans contradictions, tel « un trader de la politique » p.39.

Plus intéressante est la vision du monde sous-jacente portée par Patrick Buisson et qu’il a cru un moment pouvoir insuffler au président : celle de la droite traditionaliste. Foin de l’internationalisme abstrait où la gauche sans frontières rejoint curieusement le monde sans barrières de la droite affairiste, l’identité nationale redevient la grande préoccupation du temps : « la souffrance de la sous–France ». « Elle n’est pas, contrairement à ce que raconte la gauche, rejet de l’autre, mais refus d’une dépossession de soi et de devenir autre chez soi » p.52. Les races existent, malgré la doxa de gauche, car la Halde et SOS racisme les ont rencontrées : « Ce n’est pas la pauvreté qui interdit d’accéder à la réussite ou à l’emploi, mais uniquement l’origine ethnique et le sexe des individus. Voilà que les races, déniées par les scientifiques en tant que fait biologique, resurgissent comme fait social au nom d’un antiracisme qui réfutait l’existence même des races » p.41. Pas faux… Que la gauche balaye donc devant sa porte avant de se précipiter pour faire la leçon.

« À l’ère de la communication, ainsi que l’avait pressenti Antonio Gramsci, la relation de domination ne repose plus, en effet, sur la propriété des moyens de production. Elle dépend de l’aliénation culturelle que le pouvoir est en mesure d’imposer via le réseau de représentation qui double le réel et détermine ce qu’on doit ou ne doit pas savoir et penser de la réalité » p.131. Par exemple, en 2005, « s’il y avait mouvement social, c’était dans le sens où une micro-cité violente défendait par délégation le double système d’économie souterraine et d’économie parallèle qui, avec la manne de l’argent public et la rente des aides sociales, fait vivre les cités. Les ‘territoires perdus la république’ avaient fait jusque-là l’objet d’une concession implicite de la part de la gauche comme de la droite dans le cadre d’une sous-traitance mafieuse. Le non-droit ne perdurait dans ces zones que par ce qu’il recouvrait un non-dit » p.61. Plutôt que l’autorité d’Etat via la police, acheter la paix sociale par « les aides » ressort de ce côté américain détesté : « Les formes de manipulation et d’assujettissement plus enveloppantes et plus insidieuses qui trouvent leurs modèles inconscients dans l’emprise maternelle sont désormais jugés plus performantes et donc préférables aux anciennes formes patriarcales de domination » p.133. Pas faux non plus. Mais le voulons-nous ainsi ? A-t-on voté pour ?

C’est bien contre l’américanisation du monde que s’insurge Patrick Buisson. Au lieu de toujours en revenir à Sarkozy pour se venger, il aurait pu en élaborer une théorie. Ledit Sarkozy « s’érigea en référent ultime de l’individu tout-puissant qui ne supporte ni carcan ni contrainte et ne s’accomplit que par la réalisation de son désir » p.84. La caricature ultime en est Trump, ce paon bouffonnant gonflé de son ego et qui gouverne par le verbe en reconstruisant la réalité telle qu’il la veut.

Buisson se veut anti individualiste, antiaméricain et anticapitaliste – donc antimoderne. « Une convergence souterraine réunit les antimodernes, qu’ils soient catholiques, contre-révolutionnaires ou proudhoniens. Elle s’exprime dans l’idée de société organique, de justice distributive et commutative et dans un même refus du peuple atomisé, livré à la domination absolue de la bourgeoisie financière et industrielle » p.228. Marxisme, libéralisme, capitalisme, socialisme : même combat ! Buisson, lui, combat tout ceux-là. Il est pour la communauté, pas pour la sociabilité ; pour l’organique de la naissance pas pour le contrat social ; pour l’enracinement au pays pas pour le hors-sol cosmopolite. Il appartient à ce courant de « droite légitimiste » théorisé par René Raymond jadis, qui n’a jamais accepté la Révolution française ni les idées des Lumières. Pour ce courant, le monde ne change pas, il croit comme une plante ; l’industrie qui déracine de la terre est l’ennemie ; les nouvelles technologies qui exaltent l’individu, l’enfer. « Le capitalisme consumériste a su utiliser l’énergie destructive des contestataires pour délégitimer et démanteler toutes les digues institutionnelles et civilisationnelles susceptibles de faire obstacle à son expansion » p.233. Buisson cite Pier Paolo Pasolini qui en appelle à l’église contre la consommation ! Il aurait pu en appeler aussi à nombre d’écolos qui veulent revenir à la terre et aux valeurs de lenteur et de respect qu’elle est censée enseigner.

L’idéologie multiculturaliste venue des États-Unis exige un corps social sans aucune identité propre afin de pouvoir juxtaposer comme autant de cubes multicolores d’un jeu de bébé les identités particulières présentes au hasard un moment donné. « On choisirait dorénavant son identité passagère et sa communauté d’appartenance comme on choisissait un forfait d’opérateur téléphonique ou un fournisseur d’accès Internet, mais avec l’option de résiliation instantanée. L’homme, devenu autoentrepreneur de lui-même, ne rencontrerait plus d’obstacles à son autofabrication au sein de la société de l’indétermination » p.341 Exemples : Michaël Jackson, l’utopie transhumaniste, l’univers tactique des fake news et rose du performatif trumpien. D’où l’abominable « contrainte » de l’assimilation, d’où ces « droits » offerts à la moindre minorité ethnique ou sexuelle, d’où ce diktat de l’ONU contre la loi française interdisant le voile dans l’espace public, d’où cette immigration acceptée et encouragée au nom de l’universel social, moral et marchand. Au contraire, pour le courant traditionaliste, culture et patrimoine expriment l’identité ; ils sont supérieurs à la politique ou à l’économie.

« Entretenir la culpabilité coloniale à longueur de récits, démissions, de films, de reconstitutions historiques biaisées, avait été sans conteste été le plus sûr moyen d’enfermer les jeunes de l’immigration dans une culture de l’excuse qui les dispensait du moindre effort, tout en attisant en permanence un racisme à rebours qui ne demandait qu’à sourdre » (…) « Il s’agissait, à travers cette entreprise de culpabilisation collective, de faire accepter une immigration de peuplement comme la juste réparation des crimes du colonialisme due aux peuples anciennement assujettis » p.266. Buisson combat « le souverain poncif qui voulut que la France eût été toujours été une terre d’immigration, alors qu’entre la chute de l’empire romain et le milieu du XIXe siècle, le socle de la population française était resté pratiquement identique pendant près de 1500 ans en l’absence de flux migratoires quantitativement significatifs (…). L’arrivée d’une immigration européenne entre 1850 et 1950 ne modifie pas sensiblement la donne » p.251. Sur 3,5 millions d’immigrants italiens entre 1870 et 1940, selon Pierre Mirza, près des deux tiers n’avaient pas voulu s’intégrer et sont repartis.

Effet du capitalisme et de la lâcheté politique : « Le recours à la main-d’œuvre immigrée créait un profit qui allait essentiellement aux entreprises (bas salaires, restauration des marges, désyndicalisations du salariat), tandis que les coûts d’intégration (formation, éducation, sécurité) et les coûts sociaux (santé, logement, aides et prestations sociales) de cette main-d’œuvre était à la charge de la collectivité » p.371. D’où le toujours plus d’impôts, payés par le toujours moins d’assujettis : la classe moyenne en a marre et se radicalise.

Quand les sociétaires n’ont plus de langage commun, ils vivent dans l’entre soi : les riches vivent en ghetto tout comme les pauvres, mais à Neuilly plutôt qu’à Sarcelles. Quant aux musulmans qui sont heureux de vivre en France, le progressisme de gauche les blesse : « Le mépris que leur inspire la société française, jugée à la fois apostate et décadente, est pour beaucoup dans leur refus croissant d’intégrer la communauté nationale. De la banalisation de l’avortement à la légalisation du mariage gay, de l’exaltation du féminisme à la marchandisation de la maternité, de la dévalorisation de l’autorité masculine à la proscription des vertus utiles, de la théorie des genres à l’ABCD de l’égalité, de l’obscénité à la pornographie télévisuelle, les musulmans se sentent et se disent agressés en permanence dans leur être de croyants comme dans leur identité la plus profonde par nos lois et nos mœurs » p.320. Une identité affirmée ne permettrait-elle pas de mieux intégrer ceux qui le veulent ? « Le moment n’est-il pas venu de conclure que ni le vide de la laïcité, ni le trop-plein de la société de marché, n’offrent d’alternative crédible face à l’islam ? » p.321. C’est bien la honte du socialisme de parti en France de n’avoir pas eu la moindre idée sur le sujet.

L’article 58 Convention européenne des droits de l’homme permet la dénonciation unilatérale de cet article 8 honni qui donne « droit » à une vie familiale ; des clauses dérogatoires sont possibles comme le Royaume-Uni, Danemark, Irlande l’ont choisi. Pourquoi pas la France ? Car, « avec la combinaison pour la première fois dans l’histoire d’un vieillissement démographique, d’une immigration de peuplement et d’une recherche frénétique du bien-être, l’explosion économique et l’implosion politique de notre prétendu modèle social sont inéluctables » p.436. Sauf à ce que les politiciens avisés prouvent le contraire. Macron le tente mais aura-t-il le temps de voir les fruits qu’il attend mûrir ?

Il faut lire Patrick Buisson car les idées qu’il défend emportent l’adhésion de ceux que les « experts » appellent les populistes. Retrouver ses racines, affirmer son identité historique, faire une pause dans le grand chambardement de la mondialisation et du métissage de tout avec tous : ce sont les grandes causes du siècle. Elles touchent tous les pays – même les Etats-Unis ! Refuser de les considérer c’est faire l’autruche qui se cache la tête dans le sable. Les bobos y sont experts, du moment que leur petit confort n’est pas troublé, mais tous les citoyens auront à se prononcer lors des élections futures. Si les politiciens raisonnables ne prennent pas en compte cette insécurité culturelle, en plus de l’insécurité sociale et physique, les extrémismes l’emporteront – dans une grande vague comme celle des années 30, conséquence de la crise de 1929, tout comme les conséquences de la crise de 2008 le menacent.

Les références des pages sont celles de l’édition originale 2016.

Patrick Buisson, La cause du peuple – l’histoire interdite de la présidence Sarkozy, 2016, Perrin Tempus 2018 (édition augmentée), 640 pages, €10.00 e-book Kindle €11.99

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Cycles

Je suis frappé depuis plusieurs décennies par les cycles qui bouleversent à peu près tous les dix ans les façons de faire et de penser. Depuis ma naissance, ils reviennent régulièrement, comme si la société s’ébrouait à intervalles réguliers pour chasser des puces importunes ; avant ma naissance, ils remontent au moins au grand-père, sinon avant. Ils concernent surtout la France, puisque j’y suis né ; mais le monde n’est pas absent des cycles majeurs.

1918 : fin de la guerre la plus con qui a vu le suicide de l’Europe et amorcé son déclin. L’utopie communiste a été instrumentalisée par une caste autoproclamée avant-garde pour instaurer la dystopie d’une tyrannie socialiste durant 75 ans, se réfugiant dans le nationalisme lorsque la révolution mondiale échoua. Mais la moitié du monde en fut contaminée, de Mao à Pol Pot en passant par Castro.

1929 : krach boursier du siècle aux Etats-Unis qui se diffuse ailleurs, suivi de ses conséquences économiques, sociales, politiques et géopolitiques avec l’exacerbation du chômage et des nationalismes.

1939 : seconde guerre due à la première, où les nationalismes exacerbés par la crise donnent à plein, faisant s’écrouler les empires.

1948 : grandes grèves insurrectionnelles menées par la CGT et le PCF qui attend de Moscou un feu vert pour la révolution. Des militants communistes font dérailler le train Paris-Tourcoing et font 16 morts ! Le matois Staline ne donnera pas le feu vert, faute de moyens militaires ; FO fait scission de la CGT et les surréalistes rompent avec les communistes – Camus publie La Peste. La France adopte cette année-là le plan Marshall d’aide au redressement industriel.

1958 : après une guerre civile absurde pour les colonies considérées comme des départements (selon Mitterrand, ministre de l’Intérieur), coup d’Etat légal et instauration par référendum de la Ve République. Fin des petites magouilles rituelles entre politiciens de micro-partis qui font et défont les gouvernements, empêchant l’Etat d’agir efficace. Celui-ci se débarrasse du boulet algérien en 1962. Le Traité de Rome entre en vigueur, fondant un début d’Europe économique.

1968 : explosion sexuelle, affective et spirituelle de la jeunesse qui fait craquer les gaines du vieux monde patriarcal, autoritaire et catholique. Les étudiants fraternisent – un court temps – avec les ouvriers pour un monde meilleur ; il y a 8 millions de grévistes avant les accords de Grenelle, le licenciement d’un tiers des journalistes de l’ORTF et la large victoire des gaullistes aux législatives de juin. L’écologie naît à la suite du mouvement hippie et le gauchisme veut se débarrasser du « système » en changeant la vie par le sexe, la drogue et le rock’n roll. Mais l’URSS envahit la Tchécoslovaquie, rendant le communisme encore un peu plus impopulaire après les révélations en 1956 des crimes de Staline par le rapport Khrouchtchev – et la Révolution culturelle de Mao finit en quasi guerre civile. Stratégie du déni, Soljenitsyne est interdit de publication en URSS. Marine Le Pen naît le 5 août à Neuilly. Le Front de libération de la Bretagne commet plusieurs attentats, profitant de la crise pour revendiquer un micro-nationalisme.

1978 : aux élections législatives le PS supplante le PC, préparant la voie au programme commun pour la présidentielle de 1981 où toutes les utopies se donneront libre cours. Pendant 18 mois seulement… la dévaluation du franc sonnera trois fois (comme l’arrière-train), et le choix de l’Europe par Mitterrand aboutira au « tournant de la rigueur » et à la démission du trop vieille-gauche Mauroy. Le Système monétaire européen est créé, embryon du futur euro. Georges Perec publie La Vie mode d’emploi qui retrace la vie d’un immeuble parisien sur un siècle.

1987 : les prix sont enfin libérés en France depuis 1945. Krach léger en bourse (il dure à peine trois mois) mais qui signale le début de la financiarisation du monde, menée par les Etats-Unis. La Réserve fédérale américaine mène les taux et, lorsqu’elle les remonte, la bourse va mal – et avec elle toutes les bourses occidentales (donc, à cette époque, mondiales). Deux ans plus tard le mur de Berlin tombera et, en 1991, l’URSS explosera sans tirer un seul coup de fusil, minée de l’intérieur.

1998 : instauration des 35 h en France et début de l’ère numérique effective (mobile, Internet, réseaux). Krach des pays émergents dû au retrait précipité des capitaux à court terme des pays occidentaux. Ce krach intervient un an à peine après le krach du fonds spéculatif LTCM, géré par deux prix « Nobel » d’économie américains qui a failli emporter le système financier. Assassinat par des nationalistes corses du préfet Erignac : à chaque moment de crise, mes micro-nationalismes renaissent… Même si la France est championne du monde de foot et que l’euro va naître comme monnaie deux ans plus tard.

2008 : nouveau krach séculaire, équivalent à celui de 1929, mais avec des conséquences économiques, sociales, politiques et géopolitiques qui sont atténuées par l’apprentissage monétaire et diluées par la mondialisation. Mais les nationalismes retrouvent des couleurs avec les rancœurs de la crise et du chômage, sans dégénérer comme en 1939. Les anarcho-autonomes croient précipiter la fin en sabotant le réseau SNCF et Coupat est présumé coupable. Le Traité de Lisbonne sur l’Europe est ratifié par les Assemblées. Kerviel sévit à la Société générale (4.5 milliards d’euros de pertes) tandis que le rapport Attali, demandé par le président Sarkozy, prépare les réformes qu’entreprendra Macron… dix ans plus tard.

2017 : nous sommes une décennie après le krach séculaire… et les nationalismes se font menaçants, de Trump aux Etats-Unis au Brexit anglais, jusqu’à la bouffonnerie catalane où le président de région fuit se réfugier à Bruxelles pour échapper au droit de son propre pays. Pendant ce temps, la Chine fait rempiler le Mao-bis Xi Jinping qui promet la puissance pour la décennie à venir – et soutient en sous-main le dictateur nord-coréen et sa bombe. Les attentats secouent les sociétés considérées comme mécréantes par les fanatiques musulmans et les gens se durcissent progressivement, malgré les cris d’orfraie de certains intellos qui crient au loup pour tout, acceptant sans guère d’état d’âme les restrictions successives aux libertés et la surveillance généralisée permise par l’intelligence artificielle. Les pays se ferment, comme les cultures. Les citoyens bazardent tous les vieux routiers de la politique et se désengagent des partis au profit de vagues « mouvements ». Les idéalistes et les métis rêvant d’universel et de mélange sont de plus en plus considérés comme des curiosités importunes ; l’identité l’emporte, « appartenir » plus que penser par soi-même. Choquer le bourgeois non seulement ne fait plus recette, mais la majorité rêve de plus en plus d’être bourgeois – au point de se plaindre d’être en France périphérique.

Comme on le voit, depuis la guerre les illusions de fraternité sont mises à mal par les idéologues (communistes, gauchistes, écologistes, socialistes) tandis que l’égoïsme sévit sans vergogne (krachs et spéculation). La construction de l’Europe apparaît comme un « en même temps » miraculeux (l’union, mais dans l’intérêt), cependant bien précaire. L’irrationnel des religions emporte le repli sur soi, du cocooning aux frontières, tandis que les nationalismes et les micro-nationalismes en profitent.

J’ai eu jusqu’ici deux fois l’impression d’un changement de monde : en 1968 et en 2008. Même la disparition de l’URSS et du communisme ne m’apparait pas comme majeur. Mai 68 a vu un changement de société bien plus concret, et la crise de 2008 a lézardé l’optimisme international, écologique et technologique déjà touché par les attentats de septembre 2001. Les Etats-Unis ne sont plus la superpuissance qu’ils ont été depuis 1918 – pour eux, un siècle s’achève et nul ne sait ce qui adviendra. La montée des intolérances, le retrait personnel et nationaliste (jusqu’au « clocher » opposé à « Paris »), sont accentués par les gros bataillons du baby-boom qui se retirent du travail. La jeunesse est peu lettrée, trop avide d’immédiat pour penser l’avenir, nomade comme jamais, et semble vouée plus à « réagir » qu’à agir. Sauf à s’en mettre plein les poches si c’est possible dans le foot, la chanson, la start-up, la politique ou le hacking.

Si les cycles se poursuivent, j’attends 2027 avec un optimisme mitigé.

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Wauquiez le redresseur

C’est parti ! Les ambitions s’affichent, une fois la rentrée faite et la gauche monopolisée par Mélenchon. Laurent Wauquiez veut redresser la droite, la rendre fière d’être de droite sans s’excuser de l’être. Très bien.

Mais pour cela il faut emporter le parti. Les Républicains sont partagés entre les ex-Fillon et les ex-Juppé. « Redresser » fait garde chiourme, celui qui fait marcher au fouet à la Poutine, sinon au pas. L’air du temps est à l’autoritarisme anti-libertaire, anti-génération 68. Les tentations de déviance par rapport à « la ligne » doivent être étouffées par un jacobinisme bonapartiste sans fard. Pas question de chienlit à droite comme c’est le cas à gauche. Les droitiers préfèrent l’Ordre.

Pour rassembler « contre » (car on ne se pose qu’en s’opposant), il faut virer les ralliés et tacler Macron, jeune président qui veut aller vite, avec le dynamisme d’un premier de cordée ; il faut aussi marquer à la culotte celui qui s’est instauré premier opposant de France. D’où la caricature que fait Wauquiez devant les intervieweurs du Journal du dimanche, celui-là même auquel Mélenchon venait de se confier. Il reprend les propos Mélenchon en les assaisonnant à la sauce droite popu. Il se présente en président de région contre le président parisien, en réaliste du terrain contre le technocrate urbain – et pourquoi pas en représentant du pays réel contre celui du pays légal ? Car il n’hésite pas à opposer la France mondialisée à la France périphérique, comme si « les villes » étaient riches et « les campagnes » pauvres, alors que les villages sont souvent bien plus dynamiques que les villes moyennes ou les banlieues.

S’il s’agit de tactique pour rallier les élus locaux et emporter la présidence du parti, on n’en parlera plus dans trois mois.

S’il s’agit d’une stratégie long terme pour les présidentielles prochaines, les idées de cette droite popu apparaissent vraiment très fades. It’s the economy, stupid ! Opposer les « identités » est-il réaliste dans une période où le chômage et la crainte pour les études, l’emploi, la santé, les retraites l’emporte sur tout le reste ? Qu’a-t-il à dire de concret, Wauquiez, sur l’économie ? Du Fillon-plus ou du Juppé-moins – ce qui revient à suivre les Constructifs et à imiter Macron ? Qu’a-t-il à dire sur l’Europe, sur la réforme de son fonctionnement et sur son délitement révélé par le nationalisme de riche catalan, flamand ou lombard ? Qu’a-t-il à dire sur le monde et sur ses menaces (en dehors du surveiller et punir chauvin) ?

L’impression vague que la droite popu est larguée par le tempérament start up et le dynamisme de premier de cordée présidentiel ne peut que traverser le citoyen, à ce stade de la pensée.

Laurent Wauquiez commence par le basique, pourquoi pas ? Mais il part en retard après les premières réformes Macron et les prises de position Mélenchon. Désigner « l’ennemi » est de bonne guerre politique, mais les gens en ont marre de cette atmosphère de guerre civile permanente où tout ce que fait le clan au pouvoir est forcément négatif et tout ce que propose l’opposant idyllique.

D’autant que, fils de banquier par son père et descendant d’une dynastie d’industriels par sa mère, le jeune Wauquiez (42 ans) a été élevé en couveuse parisienne à Louis-le Grand et Henri IV avant d’intégrer Normale Sup, puis Science Po et l’ENA – d’où il est sorti major en 2001, ce qui signifie parfaitement intégré aux codes de l’Ecole et de la caste. Excusez du peu… plus parisien technocrate que lui, tu meurs ! Faites ce que je dis, pas ce que je fais – ou plutôt : je change d’avis à chaque fois que mon intérêt le commande, je m’adapte (voir les « fluctuations » de l’impétrant sur l’Europe, sur le FN). Du vrai Trump.

Les fake news sont-elles pour lui le modèle du renouveau en politique ? Epater les quelques 200 000 militants et 30 000 élus LR peut réussir – séduire les 43 millions de citoyens électeurs sera nettement plus difficile avec de telles fausses vérités.

La droite est en mauvais état après le rejet successif de ses ténors : Sarkozy au primaires premier tour, Juppé aux primaires second tour, Fillon aux présidentielles premier tour. La gauche est pire, mais elle a déjà une grande gueule. Wauquiez ambitionnerait-il d’être la grande gueule de la droite ? Croit-il avec cela rallier les transfuges du Front national ? Parce qu’il porte un anorak rouge, croit-il donner une image peuple qui travaille ?

Cela nous paraît un peu léger… même si l’étudiant a cru maîtriser un jour les Mille et Une nuits.

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Survivre dans la mutation mondiale

J’ai eu le plaisir intellectuel de rencontrer Henri de Castries, ancien PDG d’Axa aujourd’hui volontairement retiré des affaires à 63 ans (mais devenu président Europe pour le fonds américain General Atlantic). Cet ancien scout catholique élevé à Passy, issu d’une famille de vieille noblesse et marié à une famille de vieille noblesse, a suivi les étapes de la méritocratie républicaine : HEC, ENA, colonel de réserve parachutiste, Inspecteur des Finances durant quatre ans avant d’intégrer l’entreprise privée d’assurances Axa, dont il a prolongé la stratégie de Claude Bébéar par une adaptation mondiale et numérique.

Dans un brillant exposé sans notes il a donné sa vision de l’avenir de la France, compte-tenu de la dynamique historique. C’est un message puissant, à la Fernand Braudel, pour déterminer les courants de long terme qui s’imposent malgré qu’on en ait, les tendances à moyen terme sur lesquelles on peut encore peser, et les actions à court terme prises dans le jeu pervers des ego et de la petite politique.

Ce qui détermine le monde global aujourd’hui, et qui s’impose à tous, c’est le climat, la démographie et le combiné éducation et technologies numériques.

Sur le climat, le réchauffement est inévitable. Ce qui veut dire montée des eaux marines, ouragans, modification de la flore et de la faune. Comme près de la moitié de la production mondiale se trouve à moins de 50 km de la mer, chacun peut imaginer les bouleversements induits – que l’on peut et que l’on doit prévoir.

La démographie est inscrite dans les naissances passées, dans les pratiques culturelles d’enfanter aujourd’hui, dans les progrès fulgurants de la médecine… et dans les pandémies inévitables en monde global. Le risque est majeur pour l’Europe, Russie comprise. Car, sur les douze pays à démographie déclinante, neuf se trouvent en Europe, notamment la Russie et l’Allemagne. En même temps, aux portes mêmes de l’Europe se trouvent une Chine démographiquement puissante et avide des matières premières des étendues dépeuplées de Sibérie, et une Afrique qu’une courte distance méditerranéenne sépare de l’eldorado économique fantasmé. D’ici 25 ans, 4 à 5 millions d’Africains ne trouveront pas de boulot chez eux chaque année. Où vont-ils aller ? Nous avons donc l’impératif devoir de développer l’Afrique (qui commence à bouger) et à encourager l’entreprise locale, parce que l’intégration de millions d’allogènes à cultures différentes menace le destin de la civilisation européenne. C’est moins la menace d’un islam radical que la menace du nombre et la rapidité de l’appel d’air qui doivent être gérés. Envers la Russie, confrontée aux mêmes problèmes que nous, il nous faut négocier et s’entendre. En restant ferme sur nos intérêts mais en reconnaissant des questions communes (sur le Moyen-Orient, l’énergie).

Le numérique chamboule toute l’éducation. Les gens de sa génération (et de la mienne) ont été formés à l’écriture à la plume et à la lecture de gros livres érudits. De « lire, écrire, compter » ne reste plus guère que compter… Les écrits se dictent ou se tapotent, la lecture se réduit à sa plus simple expression, l’image remplaçant très vite le texte et l’orthographe (voire la grammaire) étant ignorées comme inutiles. Ce qui est indispensable aujourd’hui est moins la faculté de lire que de rechercher et de juger des informations pertinentes. Notre école publique est-elle préparée à ce monde déjà là ? La formation professionnelle tout au long de la vie, puisque chacun va changer dix fois de métier et plusieurs fois de statut (salarié, autoentrepreneur, libéral, peut-être un temps fonctionnaire), devient impérative ; faut-il la laisser entre les mains de partenaires sociaux moins soucieux d’avenir que de cette manne ?

Les tendances à moyen terme se trouvent pour nous surtout en Europe. L’Amérique s’éloigne avec Trump et la mentalité de ses électeurs qui préfèrent ériger un mur entre eux et le Mexique, ériger une barrière mentale contre l’idée de réchauffement climatique, et une solide barrière monétaire sur leurs intérêts immédiats. Sans l’Europe, la France n’est rien, peut-être bientôt plus « une nation » tant les politiciens nationaux sont déconsidérés, leurs partis en miettes, et que le local (commune, intercommunalité, région) est nettement plus populaire. Sans parler du communautarisme qui vient, pas seulement religieux mais aussi idéologique, sectaire – dans les médias et le politiquement correct.

Partout en Europe est menacée la classe moyenne et, avec elle, la démocratie et les libertés. Car le libéralisme est associé aux classes montantes, avec pour fond mental le christianisme qui a assuré deux choses : chacun est considéré comme individuellement responsable pour discerner le bien et le mal, et on ne peut faire société sans considérer le sort des autres. Ce qui veut dire que la raison prévaut et que la modération doit être. Le « juste » n’est pas seulement la justice mais aussi la modération. C’est ainsi qu’il y a une « religion » de la laïcité qui va au-delà de ce qui est raisonnable, alors que nous devons associer les croyants d’autres religions que chrétienne dans la même nation.

Dans le court terme politicien, tout cela doit se traduire par une adaptation à l’Europe sur la fiscalité, le droit du travail, le fonctionnement commun des traités. Mais aussi par un effort crucial français sur l’éducation et la formation professionnelle, pour assurer un niveau de chômage moins indécent comparé aux pays voisins que nos 10% de la population active. Car on ne fait pas société sans travail, c’est le chômage qui a conduit historiquement aux extrémismes, avec la crispation religieuse en sus comme dans toutes les périodes de grand bouleversement du monde (Renaissance, Révolution, guerre de 14).

En ce sens, le gouvernement Macron va dans la bonne direction, même s’il ne va pas assez loin.

Que sera la France en 2025 ? Peut-être une nation qui continue de compter (avec le seul siège permanent de l’Europe au Conseil de sécurité de l’ONU depuis le Brexit) – mais à condition d’être soi-même un exemple. Ce qui ne va pas sans redéfinition de la dépense publique, qui dépasse aujourd’hui 56% du PIB pour des avantages d’Etat-providence qui se réduisent. Ce qui ne va pas non plus sans sélection des meilleurs, dans la bonne tradition républicaine (et sur l’exemple chinois actuel), pour assurer des élites de l’administration et des entreprises à la hauteur des défis permanents. Quand des gens de 30 ans créent en dix ans plusieurs entreprises qui valent des milliards, la génération des installés doit se poser la question du comment. La hiérarchie traditionnelle et la production classique sont-elles adaptées aux nouveaux besoins et aux nouvelles façons de vivre ?

Penser loin et analyser global est rare parmi nos dirigeants – notamment sous les socialistes et avec François Hollande. Henri de Castries a couché dans la même chambrée, comme Jean-Pierre Jouyet, lors de leur service militaire commun en 1977 à Coëtquidan. Il sait de qui il parle. « Ne pas jouer les hamsters qui tournent sur place dans leur roue » est le mantra qu’il récite… mais que trop peu appliquent parmi ceux qui ont à diriger aujourd’hui.

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Macron face au délire de la raison

La France, ce pays qui se croit cartésien, se veut rationnel contre les brumes germaniques, planificateur contre le pragmatisme anglo-saxon et organisé contre le souk méditerranéen. Cette position est légitime. Sauf lorsqu’elle dérape et oublie la mesure.

Voltaire a eu raison de fustiger la superstition et l’arbitraire ; mais nos critiques du soupçon depuis les années 60 ne voient que domination de classe voire Complot mondialisé en tout exercice d’autorité ou tout recours à la tradition. Mélenchon est le porte-parole du Complot plus que tout autre, qui soupçonne toujours une domination des « riches » via… le suffrage universel (évidemment manipulé !)

Les savants ont eu raison d’imposer la méthode scientifique aux illusions et croyances des temps mal éduqués ; mais les savants emportés par la politique ont voulu imposer les départements carrés et les semaines de dix jours au détriment du naturel des reliefs comme des phases des astres, avant d’opter pour le communisme, cette Vérité révélée « scientifique », ou pour le scientisme où le savoir scientifique est considéré comme le guide naturel du peuple. Bien que la science soit un processus cumulatif d’essais et d’erreurs vers une vérité toujours approchée et jamais atteinte, certains affirment et essentialisent – comme si « la Vérité » absolue avait été « découverte » (car jusqu’ici cachée), et ne changera donc jamais plus.

Les économistes ont eu raison de décrire les mécanismes de l’épargne, de la consommation et de l’investissement, de montrer que l’Etat jouait un rôle ; mais les saint-simoniens ont voulu régenter hier la société par la technocratie et les économètres s’enlisent aujourd’hui dans les modèles. Ils font du calcul la seule valeur du réel et de la production intérieure brute (PIB) la seule mesure du bonheur.

Les banquiers ont eu raison d’introduire les mathématiques dans leurs activités, de la comptabilité en partie double dès la Renaissance jusqu’aux calculs de risques en Black & Scholes pour évaluer le coût d’assurance ; mais les traders français, renommés dans le monde entier pour leur formatage mathématique ès écoles, gèrent les hedge funds comme des jeux vidéo. Entièrement immergés dans le virtuel, ils inventent des « machins » sur des abstractions totales comme hier Fabrice Tourre chez Goldman Sachs, ou jonglent avec les milliards comme Jérôme Kerviel à la Société générale sans penser une seconde qu’il existe derrière l’argent des gens réels qui pâtissent des erreurs.

Les profs ont eu raison d’organiser l’éducation pour le citoyen dès la IIIe République (sur le modèle prussien), de vouloir l’égalité des chances et d’offrir dans les campagnes ou les banlieues les plus ignorées une formation égale pour tous ; mais l’école d’aujourd’hui, centralisée, égalitariste, offre le même nombre de cours à chaque élève, la même dotation horaire à chaque établissement, les mêmes profs interchangeables à n’importe quelle classe, en banlieue illettrée comme dans les beaux quartiers cultivés, le même programme inatteignable – sauf aux enfants sages… qui ne sont qu’idéaux platoniciens du ciel des idées.

Tous ces exemples sont des dérives de la raison :

  • de la critique légitime au soupçon perpétuel ;
  • de la rationalité scientifique au scientisme ;
  • d’une science humaine à la comptabilité abstraite ;
  • de la gestion des capitaux aux instruments virtuels qu’on ne comprend même pas soi-même ;
  • de l’éducation à l’emboutissage égalitariste pour la seule convenance de la corporation.

Toutes ces dérives ont des conséquences humaines. De la paralysie à l’abstraction, du délire dans l’imaginaire à l’explosion des inégalités :

  • les intellectuels français ont rétréci en intello-médiatiques ;
  • les savants en spécialistes enfermés en tour d’ivoire ;
  • les économistes en communicants perpétuels de ce qu’il aurait fallu faire ;
  • les banquiers en spéculateurs hors contrôle pour leur propre compte ;
  • les profs en caste préoccupée de « moyens » à leur avantage, plus que des élèves tels qu’ils sont, de leurs rythmes et de leurs besoins différenciés…

Le rationnel est bénéfique, le rationalisme est un délire mental. Or tout est lié en mentalité.

La France a fait de la remise en cause du donné, dans les années soixante, sa croix et sa bannière : il fallait soupçonner pour rétablir la vérité. Mais le soupçon s’est infecté de social-politique et désormais tout ce qui est classique est connoté d’une valeur de classe. D’où l’abandon de la sélection par le latin, la dissertation, l’orthographe ou le vocabulaire : tout cela sent le bourgeois, le nanti, le blanc, le bien-pensant catholique ! Reste quoi ? Les mathématiques, bien sûr : abstraites, neutres, quantifiables, elles offrent le confort de notations vérifiables et d’évaluations incontestables (…quand les énoncés sont écrits en français correct, ce qui n’est pas toujours le cas, vu l’illettrisme de la profession et le filet très bas des notes aux concours de profs !).

La sélection par les maths forme des têtes raisonneuses, pas des têtes chercheuses. Si elles peuvent être bien pleines, elles se trouvent rarement rarement bien faites. Les bons élèves donnent des ego surdimensionnés, sûrs d’eux-mêmes et dominateurs… mais impuissants à réparer un évier bouché, à prévoir le temps demain, à écouter le subalterne ou – pire – à négocier pour agir avec les autres. Alors le citoyen, le salarié, l’élève, deviennent la « variable d’ajustement ». Cela donne des :

  • Alain Badiou, intello pour qui yaka supprimer la démocratie et instaurer la dictature des intellos. Beaucoup de technocrates pensent pareil sous le manteau.
  • Jack Lang qui, n’ayant jamais peur des mots, voyait en Mitterrand le passage de l’ombre à la lumière ; notez que le PS a récidivé en voulant créer une nouvelle civilisation – rien que ça.
  • Alain Minc pour qui yaka faire payer les malades sur leur patrimoine.
  • Alain Juppé, droit dans ses bottes, pour qui il n’y avait jamais qu’une seule solution – évidemment technique – à tous les problèmes.
  • Ségolène Royal, télévangéliste quaker du politiquement correct et du socialement acceptable, qui victimisait à tout va et sourit à la caméra sans que jamais le rire ne naisse derrière les dents.
  • Jérôme Kerviel, trader, pour qui yaka transgresser les règles puisque tout le monde le fait.
  • Fabrice Tourre qui invente des machins qu’il ne comprend pas lui-même (il l’avoue dans un mail) – mais qui rapportent gros (surtout quand lui-même spécule contre).
  • L’acharnement thérapeutique pour garder en « vie » des années un cadavre végétatif comme Vincent Lambert ;
  • L’acharnement médiatique à « retrouver » des boites noires d’Airbus plus d’un an plein après la catastrophe ;
  • L’acharnement judiciaire à refaire le progrès du petit Gregory, une génération après (à quand le procès du traître qui a vendu Vercingétorix ?) ;
  • L’acharnement mémoriel à ressasser encore et toujours les mêmes « péchés » de colonialisme, d’impérialisme, de pétainisme ;
  • L’acharnement théorique à construire le « plus grand » accélérateur de particules du monde pour un coût pharamineux, ou le réacteur expérimental ITER au prix d’une immobilisation de moyens et de dégâts environnementaux inouïs, ou l’EPR de Flamanville, jamais au point, affecté de normes toujours plus « sûres » – à quel prix ?
  • L’acharnement impérial à « intervenir » partout sur la planète – au Mali, en Syrie, en Libye, en Irak, en Centrafrique, en Somalie (et en France même !) – sans en avoir les moyens militaires et en budget de plus en plus contraint !
  • Les syndicats de profs pour qui yaka mettre toujours plus de moyens, payer plus de salaires, embaucher plus de personnel et traiter tout le monde pareil (SNES) – non pour des raisons raisonnables (démocratiques) mais pour qu’il n’y ait pas de jaloux… parmi la corporation fermée des profs ! Et les élèves ? quoi les élèves ? ils ont à subir l’éducation, non ? D’où le retour à la semaine de 4 jours pour bien fatiguer les petites têtes – mais donner un jour de vacances complètes aux instits et autres profs. Contrairement à ce que font les pays européens apaisés avec leur jeunesse.

Ce ne sont que quelques exemples dont les rapports de la Cour des comptes ou du Sénat sont remplis… Toujours plus, toujours plus pareil, toujours plus abstrait ! J’veux voir qu’une tête, scrogneugneu !… Formatage idem et portion congrue égalitaire forment l’identité française. Bonapartisme et caporal-socialisme forment le lait et le miel de la gent gauloise, volontiers bordélique. Et surtout ne changeons rien, on est tellement content de nous en France…

Il y a bien une exception française : le délire de la raison. Une maladie mentale, ne croyez-vous pas ?

Les électeurs ont viré le bonapartiste Sarkozy, puis le social-moraliste Hollande. Ils ont élu le ET droite ET gauche Macron, pour le meilleur et pour le pire – en tout cas pour 5 ans. Sera-t-il :

  • social-bonapartiste (mais ce serait plutôt le modèle Valls) ?
  • caporal-démocrate (à la Delors, mais un peu ancien) ?
  • paternaliste-démocrate (à la De Gaulle, mais avec les formes « participatives » de la nouvelle com’) ?
  • ou va-t-il inventer enfin la « présidence normale », celle qui est prévue par les textes de la Ve République et que les Français attendent ?

Il lui faudra alors dompter la raison en délire de ses fonctionnaires, éduquer les média pressés et peu lettrés qui ne retiennent qu’une seule phrase sur tout un discours, convoquer le bon sens citoyen, faire participer les civils aux expertises, ajuster les yeux diplomatiques au ventre de plus en plus plat militaire, remettre à leur place les technocrates – en bref faire comme tous les autres pays européens démocratiques, mais qui apparaît si étonnant en France !

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Partexit et Chambre introuvable

Ce n’est que le premier tour – mais il est vrai après les innombrables « tours » des primaires et de la présidentielle. Les Français sont las de voter encore et toujours pour dire Ça va pas ! « en même temps » que Ça peut changer ! Un an que cela dure… De quoi comprendre l’abstention massive – pas due seulement au trop beau temps de juin.

Partexit : l’exit des partis tradi. « ET droite ET gauche » est-il dialectique ou harmonie des contraires ? « En même temps » est une façon de voir : soit dynamique (thèse-antithèse-synthèse), soit immobile (les deux faces d’une même réalité, le yin dans le yang et réciproquement). L’ambiguïté du Mouvement fait son attrait auprès des déboussolés du cigare, qui se demandent si droite et gauche signifient encore quelque chose.

A mon avis, oui, c’est le socialisme qui est mort, pas la gauche. Droite et gauche sont deux tempéraments différents, suscités par deux positions sociologiques qui luttent pour le pouvoir. Mais force est de constater que le régime semi-présidentiel français ressemble en pratique (depuis la réforme Jospin-Chirac du quinquennat) au régime purement parlementaire anglais : là-bas le parti qui gagne emporte tout et nomme son Premier ministre; ici le président qui gagne emporte tout et façonne son propre parti hégémonique.

La participation est historiquement basse (49%) parce que le sentiment de tous est que tout est déjà joué, une bonne fois jusqu’à la prochaine élection. Balayés les partis hier « de gouvernement » (le socialisme est réduit à presque rien) ; balayés les caciques blanchis dans la langue de bois et le groupisme de secte (les Cambadélis, Hamon, Duflot, Filipetti, probablement Belkacem) ; balayés les archontes du PS, les minables frondeurs et les gourous de la gauche « morale », tout comme les caciques de LR (Guaino, Yade, probablement NKM) et les impuissants à changer la donne (l’ère Sarkozy a beaucoup déçu…). Ce n’est pas un Baroin à la diction monotone qui va réenchanter la droite.

Ceux qui ne se sont pas déplacés ont démissionné de la politique, montrant ainsi combien ils méprisent le Parlement – pourtant le lieu démocratique où un débat rationnel peut se dérouler dans les formes. Ce sont surtout – qui cela peut-il étonner ? – les partisans de la France insoumise et du Front national qui sont « allés à la pêche » plutôt qu’aller voter. On les comprend, ces autoritaires adeptes du chef (duce ou caudillo) n’ont que faire des « parlotes » parlementaires ! Leur politique se réduit à la présidentielle (vécue comme un coup de force) et à la rue (lieu de toutes les récupérations « populaires »). Ils n’aiment pas la démocratie parlementaire ; ils lui préfèrent la démagogie populiste. Pourquoi les créditer encore de vertu ?

La surmobilisation des votants En marche a touché surtout les milieux éduqués et mûrs, hier socialistes qui voulaient changer la vie, écolos qui voulaient changer le monde et républicains qui voulaient changer le carcan réglementaire – en bref les bourgeois. Peu de jeunes : plus des trois-quarts des électeurs de moins de 25 ans se sont abstenus. Comme pour le Brexit, le Partexit se fait sans la jeunesse : elle aura beau jeu, comme au Royaume-Uni, de crier ensuite à la trahison ! Mais la flemme démocratique a son revers : subir ce qu’on n’a pas su empêcher.

Le Front National passe de 21% à environ 13% en voix, de la présidentielle aux législatives ; il aura beau jeu de crier à l’immigration massive, à l’aplatissement devant Merkel, au bouleversement du code du travail – qui va encore l’écouter ? La France insoumise perd 11% et le Mélenchon (on n’ose la contrepèterie irrésistible) paye sa haine affichée pour les autres, malgré son talent de tribun « à l’ancienne ». Mais les jeunes en ont assez des récriminations du vieux ; ils veulent changer, pas humilier – et le jeune Macron n’est – tous comptes faits – pas si mal après un mois de présidence sur la scène internationale.

Pour eux, voter était presque inutile car le choix des électeurs s’est clairement exprimé aux présidentielles : pourquoi aller encore poser son bulletin alors que le soleil brille, qu’il faut se revêtir alors qu’on est si bien à poil sur l’herbe, qu’il faut aller affronter le regard social des autres et l’épreuve scolaire des institutions alors que le dimanche est calme et qu’il fait si bon jouir de sa pelouse ou aller faire jouer les niards ? Il suffit de voir les notes les plus demandées sur le blog en ce dimanche de premier tour… Sea, sex and sun : un vrai Club Med !

Les gagnants de la mondialisation ont gagné, et les perdants ne considèrent pas vraiment qu’ils ont perdu, fors le dernier carré d’irréductibles au ressentiment ancré dès l’enfance tels Mélenchon ou Le Pen. Emmanuel Macron en nouveau président attire le vote attrape-tout pour un nouvel avenir. Aigris s’abstenir.

La suite sera concrète et les batailles de rue se préparent. Le tour social (qu’on ne peut plus appeler troisième tour avec l’instauration des primaires) est appelé à jouer ce que le vote n’a pas pu. Pour contester encore et toujours la démocratie représentative, au nom d’un spontanéisme de démocratie directe qui frise trop souvent le plébiscite démagogique – et aboutit à la chienlit plus qu’au progrès.

Un président aussi adulé deviendra-t-il un omniprésident ? La cour qui va se former autour de lui pour le célébrer le rendra-t-il progressivement aveugle sur la réalité sociale ? Les mesures radicales et rapides qu’il propose de prendre auront-elles des effets bénéfiques rapides ? La reprise qui se dessine dans toute l’Europe – et le déclin américain dû à l’élection d’un caudillo démagogue – vont-ils donner un coup de pouce à l’emploi ?

Nous attendons de voir. Et comme la période est au champagne de la victoire, Moet and see !

Les notes politiques sur ce blog

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Le canon a tonné dans Paris

Ce dimanche 14 mai, les vingt-et-un coups ont retentis pour célébrer… non pas la révolution extrémiste de Mélenchon mais le rassemblement au centre de Macron.

Beaucoup de socialistes sont investis dans les circonscriptions ; un Premier ministre proche d’Alain Juppé est pressenti. La volonté de « et droite et gauche » montre que les idéologies reculent ; les Français en ont manifestement marre des indécis de synthèse, des acrobates de langue de bois, des tabous névrotiques sur l’identité crispée ou la Justice sociale aussi abstraite qu’absolue. L’heure est désormais au pragmatisme : résoudre concrètement les problèmes concrets – pas gloser sur le sexe des anges prolétaires ou immigrés.

C’est la première fois que je vais vivre sous un président plus jeune que moi. Je suis arrivé à l’adolescence sous le règne des grands-pères et ce n’est qu’avec Pompidou que j’ai eu l’impression de rejoindre le siècle. Mais surtout avec Giscard, président moderne, qui a tant rendu jaloux les conservateurs d’acquis de la CGT et les ringards de la gauche – déçue d’avoir échoué en 1974 – qu’ils ont distillé déjà « les affaires » avec les diamants et autres mesquineries à démoraliser les ménagères. Internet n’a rien inventé : la haine politicienne est de tous temps – et la gauche « Morââle » n’en est surtout pas exempte ! L’ère du grand-père est revenue comme une resucée nostalgique sous Mitterrand, déjà 65 ans et nombre de mandats lorsqu’il est investi en 1981.

Nous aurions dû nous méfier : une soi-disant « gauche du mouvement » qui porte au pouvoir un vieillard ayant commencé en politique comme camelot pour le Roy avant-guerre ne pouvait qu’être suspecte, préférer les incantations aux réalisations, les symboles aux adaptations, le conservatisme des zacquis à la modernisation du cadre économique. De fait, autant les autres pays sociaux-démocrates ont su s’adapter au nouveau monde, autant la gauche socialiste française est restée coincée dans les vieilles recettes, la berceuse « révolutionnaire » et autres élans romantiques (« changer la vie » !… rien que ça). Ces images d’Epinal de la gauche-passion que le vieillard Mélenchon (66 ans cette année) tente de relancer aujourd’hui, le verbe haut, la lippe amère, la haine de classe en bandoulière.

Oh, que vive la jeunesse ! Un Président né en 1977 et un Premier ministre né en 1970 sont juste de la génération d’avant le net ; ils n’ont connu la Toile, le téléphone mobile et les réseaux qu’autour de leur vingtaine, ils ne sont pas nés avec. Ils gardent donc encore le goût de la lecture, du théâtre, de la culture – même si la formation ENA n’est guère propice à l’esprit d’humanité. Macron préfère discuter que de consulter une bible, fût-elle socialiste ; il a fait merveille comme rapporteur de la Commission Attali nommée sous Sarkozy pour encourager la croissance de la France. Il persiste en nommant Premier ministre Edouard Philippe, venu du militantisme étudiant avec Rocard et membre de la conférence de Bilderberg, ce forum où se rencontrent et dialoguent en toute liberté les grands du monde. Ces hommes neufs ne restent pas enfermés dans leur parti, ni prisonniers d’une idéologie fermée : ils sont ouverts, prêts à négocier, pragmatiques. Nous verrons ce que cela donnera en actes et j’avoue quand même un certain scepticisme.

Mais cette génération va probablement nous changer des ringardises, grimpettes aux rideaux et autres moralismes du bon ton politiquement correct qui nous sortaient par les yeux et que le suffrage universel a durement sanctionnés.Enfin l’intérêt général plutôt que l’intérêt clientéliste, ce n’est pas trop tôt !

« La gauche » s’est fusillée elle-même en se réduisant au catéchisme pour enfants sages du progressisme et de la planète, suscitant les diables cornus de l’extrémisme gauchiste et cette risible gaucherie des « frondeurs » qui se sont révélés bien en peine de manier quelque fronde que ce soit (l’élastique leur en est revenu en pleine gueule).

« La droite » s’est dézinguée en permettant hier le duel inepte Coppé-Fillon, il y a peu le retour du Jedi Sarkozy, puis en virant Juppé, s’obstinant sur un Fillon décrédibilisé – moins par le fond des « affaires » que par la gestion désastreuse de sa communication face à elles.

Le président normal a enfin laissé la place au président vrai – nul doute que nous gagnions au change, même si Macron est peut-être le fils rêvé en politique de Hollande, comme je l’ai écrit. Je ne sais pas ce qu’il fera, probablement ce qu’il a dit, mais l’expérience est nouvelle, donc passionnante. Chacun peut noter aussi ce tropisme d’origine des nouveaux acteurs à remonter vers le nord, comme avec de Gaulle : Amiens et Le Havre plutôt que l’Auvergne, la Corrèze ou la Nièvre. Un nord plus industrieux que fonctionnaire, plus pratique qu’idéologue, plus collectif que notaire de droit romain peut-être ? Un nouveau clivage mental qui se superpose à métropoles/périphérie ?

En tout cas, le règne des cumulards de mandats, des agrippés aux prébendes et des barbons politiciens semble avoir pris fin. Provisoirement ? Je fais confiance aux fils ; j’en avais assez de ma génération des egos, les Hollanzy et autres Sarkollande.

Emmanuel Macron sur ce blog

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Bienvenue place Beauvau

Sous-titré Les secrets inavouables d’un quinquennat et publié après L’espion du président – au cœur de la police politique de Sarkozy en 2012, ce livre vite (et mal) écrit compile une série de fiches en 13 chapitres auxquels il manque une synthèse qui vole un peu plus haut que les dessous de la République. Du travail d’enquêteur, pas d’analyste.

Un coup à droite en 2012, un coup à gauche en 2017 – avec la présidentielle pour faire vendre. C’est la gauche hollandaise qui cette fois prend et Fillon qui fait la pub. La gauche est au fond très gauche avec l’ordre et la police, incapable de se gendarmer et poussée par lâcheté intime au laisser-faire. Car « Moi, président… » non seulement n’a rien fait de ce qu’il avait promis, mais s’est coulé avec délices dans l’organisation centralisée quasi mafieuse des « services » qui renseigne le politique – lui en premier.

La conviction s’affiche dès la première phrase : « La présidentielle se joue à l’Intérieur ». Hollande n’a jamais été ministre, encore moins de l’Intérieur, est-ce pour cela qu’il est si pataud dans l’usage de la Maison ? Valls a été ministre de l’Intérieur et a beaucoup aimé ça, est-ce pour cela que le Château n’a cessé de lui mettre des bâtons dans les roues ? « François Hollande a un quinquennat devant lui pour se servir des forces de l’ordre afin de renouveler le contrat social, lutter efficacement contre la délinquance, réparer les injustices, réduire les inégalités. Comme notre enquête le démontre, Hollande et ses ministres ont échoué » p.9 (pagination de l’édition numérique).

Sécurité ou liberté ? Efficacité ou Grands principes ? La gauche – et encore moins le parti socialiste – n’a jamais su trancher ni composer un équilibre acceptable. Et c’est le ballet de Valls et Taubira, celui qui gouverne et celle qui minimise, l’Intérieur et la Justice. Avec un Hollande édredon qui se garde bien de choisir. La gauche, pourtant prête à gouverner quand elle était dans l’opposition, se révèle n’avoir jamais travaillé sur le sujet, trop percluse de tabous idéologiques et sans leader légitime pour imposer une ligne. « Comme leurs concurrents, ils se sont montrés tout aussi incapables de réformer profondément le fonctionnement de la machinerie policière, sclérosée par des querelles de chapelle. Enfin, tout comme la droite, la gauche a été dans l’impossibilité de réconcilier la police et la justice » p.10.

Il y avait pourtant de grands flics sous Mitterrand – « amateurisme et imprévision » caractérisent avec Hollande le quinquennat raté d’un président raté.

Alors, « cabinet noir » ? C’est probable, et en même temps improuvable : Philippe Klayman devient patron des CRS, Jean-Marc Falcone patron de la police nationale, et Jérôme Leonnet directeur du renseignement territorial avec pour mission de ressusciter les fameux RG, supprimés en 2008 par Sarkozy, qui deviennent la Division nationale de la recherche et de l’appui (DNRA). « Le retour aux affaires de ces chiraquiens nourrit bien évidemment le soupçon sarkozyste de l’existence d’un cabinet noir. Il n’est pas possible d’en apporter la preuve formelle. Comme il n’est pas possible de prouver le contraire ! Mais l’addition d’indices troubles et de témoignages étonnants interroge. Plusieurs observateurs bien placés dans l’appareil policier nous ont ainsi décrit par le menu l’existence d’une structure clandestine, aux ramifications complexes, et dont le rayon d’action ne se serait pas cantonné au seul renseignement territorial » p.15. Donc Fillon ne ment pas (lui qui avait vu fonctionner la chose sous Sarkozy) et Hollande ment éhontément (lui, l’adepte de la morale affichée du « Moi, président… »).

Des preuves ? Elles sont indirectes mais vérifiées :

  1. « Tracfin, le service de renseignement financier de Bercy, le ministère piloté durant tout le quinquennat par Michel Sapin, un ami de quarante ans du Président. La plupart des affaires judiciaires qui ont empoisonné Sarko et les siens ont trouvé leurs racines ici » p.15
  2. « Un autre ami du Président, le directeur des affaires criminelles et des grâces, Robert Gelli, qui a partagé la même chambrée que François Hollande et Michel Sapin lors de leur service militaire » p.16 Depuis la Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) (…) Gelli peut suivre en temps réel l’avancement de tous les dossiers politico-financiers » p.16. « Sur l’opportunité d’ouvrir une information judiciaire, ‘des consignes sont données… mais oralement’, nous précise un magistrat. Chaque fois, ce sont les mêmes juges d’instruction qui sont désignés pour les affaires qui intéressent le Château. Ils sont moins de cinq, dont on retrouve le nom dans tous les dossiers qui concernent Sarkozy » p.16.
  3. « Ces magistrats qui additionnent les affaires sur le clan Sarkozy sont eux-mêmes alimentés et épaulés par une poignée d’officiers de police judiciaire, la plupart en poste à l’Office central de lutte contre la corruption, les infractions financières et fiscales, qui fut un temps piloté par Bernard Petit, un fidèle de Manuel Valls quand il était à l’Intérieur » p.17.
  4. Même le président s’en est vanté… « Sarkozy, je le surveille, je sais tout ce qu’il fait », fanfaronne le Président devant dix-neuf députés socialistes qu’il reçoit, le 17 février 2014, à l’Élysée » p.18.

« C’est la théorie d’un magistrat : « Le Château est passé maître dans l’art de pousser ou ralentir le feu sous les casseroles judiciaires. Pour enterrer sans classer, il suffit de donner consigne de continuer à creuser en préliminaire ad vitam æternam. Dans ce cas, le dossier reste sous le contrôle direct de la Chancellerie » p.21 Par exemple Borloo, mouillé dans l’affaire Tapie-Lagarde et dans le désastre Ecomouv… et laissé (opportunément) sans suites.

Mais pas seulement contre les adversaires. Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur imposé par Hollande, se garde bien d’informer Valls qu’il n’y avait aucun burkini sur la plage corse en août 2016. Façon de laisser s’enferrer le rival, comme Mitterrand agissait vis-à-vis de Rocard. « Au début de son mandat, il [Hollande] favorise l’ascension d’Emmanuel Macron, ce qui a pour effet de ringardiser le ministre de l’Intérieur » p.29. Ce qui apporte un argument de plus à ma thèse de septembre dernier que les « spécialistes de la gauche » rejetaient avec dédain.

« Laurent Fabius est honni par Hollande, qui sait qu’il lui doit le sobriquet de Fraise des Bois. Le 30 janvier 2016, au moment même où il clôture triomphalement la COP21 qu’il a présidée, son fils est mis en examen pour « faux, escroquerie et blanchiment », comme si quelqu’un avait voulu gâcher la fête. La grenade avait été dégoupillée deux ans plus tôt suite à une plainte de sa banque car ce joueur invétéré avait produit un faux e-mail pour débloquer un crédit de jeu au Grand Casino de La Mamounia à Marrakech. « Tant que Laurent Fabius était utile à Hollande au Quai d’Orsay, les dossiers judiciaires du fils ont étrangement mijoté à feux doux, puis quand il a été sur le départ après avoir bouclé la COP21 tout s’est accéléré », analyse un flic de la PJ » p.30. Vous avez dit gauche « morale » ? Apte à renvoyer un Fillon dans des affaires d’emplois légaux et de costume bien plus grave – sans aucun doute ! – que les mensonges Cahuzac et ces entourloupes entre socialistes ?

Prévarication et népotisme, avec l’argent des citoyens, n’est pas réservé à la droite : « Ce 6 avril 2014, jour du Marathon de Paris, la voiture du président de la République est bloquée porte d’Auteuil. Un des gardes du corps appelle en catastrophe la préfecture de police. Dans la salle de commandement de la Direction de l’ordre public et de la circulation, le permanencier comprend tout de suite que la demande est prioritaire. À peine a-t-il répercuté l’info à son chef que, dans la salle où une vingtaine de fonctionnaires veillent en permanence sur les 5 000 caméras vidéo de la police parisienne, c’est le branle-bas de combat. Ordre est donné de zoomer avec l’une des caméras de la porte d’Auteuil. Sur le mur vidéo apparaît alors en grand format le cortège présidentiel à l’arrêt, et soudain, sortant d’un buisson, François Hollande et… une jeune femme, que le Président va ensuite prendre en photo avec son iPhone. Ce dimanche, le Président et Julie Gayet se rendent à La Lanterne, l’ancien pavillon de chasse du château de Versailles, devenue résidence secondaire des Présidents depuis Sarkozy. Le préfet de police est aussitôt prévenu, tandis qu’une copie du film est mise à l’abri dans le coffre-fort de son directeur de cabinet » p.63. Et c’est « ce » président, qui s’est révélé à l’usage l’un des plus « minables » (mot socialiste) de tous ceux de la Ve République jusqu’ici, qui s’avise de donner des leçons ?

Petit fait vrai parmi d’autre, un exemple précis capté par l’un des trois journalistes auteurs : « Soudain, au milieu de notre conversation, le téléphone de Jacques Meric sonne. Au bout du fil, l’un de ses adjoints l’avertit que le fils de Valérie Pécresse, la présidente LR de la région Île-de-France, vient de se faire arrêter dans le 15e arrondissement de Paris, avec quatre grammes de cannabis sur lui. À peine a-t-il raccroché que le patron de la DSPAP en informe directement le préfet de police. Quarante minutes plus tard, alors que nous venons de prendre congé du policier, c’est à notre tour de recevoir un SMS. Un des collaborateurs de Claude Bartolone, le président de l’Assemblée nationale, est en train de faire le tour de ses contacts journalistes pour les mettre au courant de l’interpellation, avec force détails. Fait rarissime pour une aussi petite quantité de drogue, le jeune majeur interpellé a été placé en garde à vue. Le renseignement aura mis moins d’une heure à être exploité politiquement » p.71. Le service public au service des petits intérêts privés des partisans – voilà qui est « moral », sans doute ?

Est-il utile de citer Camus, « empêcher que le monde se défasse » (discours de Stockholm, 1957) en en-tête, pour se contenter de juxtaposer quelques faits et beaucoup d’hypothèses sans synthèse ? Ce livre bâclé apporte des révélations utiles, met dans l’ambiance des coups tordus entre services et entre pontes du même parti, montrent combien la pourriture git au cœur même de la morale politique (cet oxymore…) – surtout à gauche – mais il ne donne aucune piste pour que cela change. A lire (vite) pour être informé, mais à ne pas garder en bibliothèque car il s’agit d’un long article de circonstances plutôt qu’un « livre ».

Olivia Recasens, Didier Hassou, Christophe Labbé, Bienvenue place Beauvau, 2017, Robert Laffont, 264 pages, €19.50 

e-book format Kindle, €12.99

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La politique comme roman-photo

Les médias sont populistes par construction : au lieu d’analyser, ils romancent. Parce que cela fait vendre, le scoop engendre du buzz, les news du business, le fake du like. Pourquoi vous étonnez-vous que tous ces mots soient anglais ? Parce qu’on ne sait pas les dire en français. Parce qu’il s’agit de fric et que seul le monde anglo-saxon, pragmatique et près de ses sous, sait compter. Pas de Grands principes pour la philosophie anglo-saxonne – mais du bon gros pragmatisme à ras de terre, accessible au temps réduit du petit cerveau disponible de la masse.

C’est le danger du « capitalisme » que de ne pas savoir ce qu’il est. Les médias français sont remplis de petits procureurs contre « le système », contre « le capitalisme ». Mais, comme ils ne savent pas le définir, y mettant toute la réprobation « morale » qu’ils ont pour TOUT ce qui ne va pas sur la planète, ils se vautrent dans le pire capitalisme qui soit : celui de la bauge, de l’ignorance, de l’égoïsme forcené, du gros tirage, du fric… Voilà les conséquences de ne pas désigner les choses correctement. « Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde », écrivait fort justement Albert Camus… en 1944. Pléiade 1, p.908

Les médias ne sont pas politiques, ils sont bouffons. L’entertainment remplace l’entretien, le rejet le projet, la morale le national. Cet essentialisme du « tous pourris » ne fait pas avancer, il enfonce dans la fange. Ce faisant, il renvoie aux citoyens une image glauque de ceux qu’ils ont élus, il dégoûte de la chose publique et du débat politique, il marque la France à l’international d’une honte devant laquelle Trump et son trumpisme ferait presque pâle figure. Ah, qu’il était doux de donner des leçons au monde entier il y a quelques mois… quand il s’agissait des autres !

J’aime bien Mélenchon ou Fillon lorsqu’ils renvoient les médias dans les cordes, eux qui « posent des questions » souvent plus longues que les réponses très courtes qu’ils réclament, ou des questions qu’on aurait honte de poser tant elles sont ineptes, eux qui harcèlent l’interlocuteur quand sa réponse dépasse trente secondes (comme si le critère professionnel était de mitrailler les affirmations sans donner le temps de réponse), ou encore cet acharnement à « s’interroger » encore et encore sur l’écume immédiate par peur d’aborder les vrais problèmes du fond.

Le comportement de François Fillon, d’Emmanuel Macron, de Marine Le Pen (pour ne prendre que ceux qui sont pris) n’est plus supportable aujourd’hui – mais pour des pratiques pour une bonne part légales hier. Ou du moins dans les mœurs admises par l’ensemble de la classe politique depuis Mitterrand. On le sait, mais seuls les politiciens et les médias feignent de l’ignorer. Les gens en charge de la politique sont trop nombreux, cumulards, professionnels des partis de plus en plus loin du terrain, incontrôlés. Ils acquièrent avec le temps un sentiment d’impunité inadmissible.

La loi est dure ? Elle doit être la même pour tout le monde. Si elle est floue, elle exige d’être précisée ; si elle est mal rédigée par ceux-là mêmes qui répugnent à y être soumis, enlevons la loi aux députés pour la faire rédiger par des commissions indépendantes sans conflits d’intérêts. Mais comme ce serait quitter « la démocratie » pour la technocratie (ce qui n’est pas souhaitable), érigeons de véritables contrepouvoirs puissants – avec le moins de conflits d’intérêts possibles. Donc révisons les médias : leur financement par de gros capitalistes d’influence, leur rédaction trop monocolore politiquement, trop parisienne, leur droit d’enquête et la préservation des sources. Les médias sont essentiels au bon fonctionnement de la démocratie – il suffit d’observer la Turquie ou la Russie…

Mais c’est au lecteur et au spectateur de se désabonner ou ne plus regarder les médias et émissions qui préfèrent le feuilleton politicien au programme politique. Les ingrédients habituels des romans d’amour à l’eau de rose, style Harlequin, mettent en scène le sexe, le pouvoir et l’argent. Voilà ce qui fait vendre. En politique, les ingrédients sont repris avec des délices coupables : abus de pouvoir et argent à tous les étages sont le lot des politiciens selon la presse  (même Le Monde, bien nommé L’Immonde par les potaches) et la télé (même Arte, qui se croit intello). Reste le sexe : à quand les révélations ? Pas de partouze à 12 ans chez Fillon ? Pas de gigolos sexy chez Macron ? Pas de beuveries libertines chez Marine ? Allons, la presse, un peu d’imagination ! L’affaire Markovic a pourtant donné le ton, sous le général…

Gardons plutôt notre « temps de cerveau disponible » pour réfléchir par soi-même au lieu de le confier aux pubards et autres histrions de l’amusement médiatique. Macron reste-t-il dans le vague ? Faisons-le préciser. Fillon est-il trop comptable dans la rigueur ? Demandons-lui des explications. Hamon verse-t-il dans le côté Père Noël ? Exigeons de lui qu’il résolve sa contradiction entre distribuer et produire, payer tout le monde malgré la fuite devant l’impôt renforcé, faire l’Europe sans l’Allemagne. C’est cela qui est citoyen, pas une embauche familiale de 1988 ou un costume trop beau pour le pékin moyen envieux.

La loi n’est pas la morale, faut-il sans cesse le rappeler ?

Le projet politique n’est pas le comportement. Il importe beaucoup plus à la France, aux Français, à l’avenir, que l’élection porte à la présidence un candidat capable de décider et de voir loin. Pas que l’on rappelle sans cesse la « faute » d’il y a 30 ans, 15 ans, 5 ans. Fillon n’est pas Cahuzac, que diable ! Encore moins Macron. Quant à Le Pen, elle s’assoit sur les accusations – ce qui est peut-être la méthode la plus efficace, à défaut d’être éthique : les Français jugeront d’ici deux mois.

Après cinq années de gauche gouvernante plutôt lamentable (indécise, velléitaire, contradictoire, effacée), les électeurs semblent aspirer à la droite. Si ce n’est pas Fillon, ce sera Le Pen. Quant à Macron, il tente pour l’instant la « synthèse » équilibriste chère à Hollande et à ses disciples – et il risque autant d’échouer ou de décevoir.

Macron a pour lui sa jeunesse, son optimisme réformateur, sa dynamique hors parti. Il a contre lui l’aspect trop communication de ses discours, un projet incertain, des « papiers » d’école de commerce ou d’oral à l’ENA sur plusieurs sujets cruciaux. Il est le candidat qui agglomère le plus d’indécis sur sa personne, ce pourquoi les sondages le concernant sont artificiels.

Fillon assume une politique de droite qui remet l’Etat où il devrait être. Avant tout assurer la défense et la sécurité, faire appliquer la loi, contrôler les migrations massives. Ensuite aider à la modernisation de l’économie en débloquant les initiatives, seules à même d’adapter à la modernité et de rebâtir une industrie qui s’effiloche. Enfin quitter la posture de honte d’être français, la repentance à répétition, affirmer les valeurs des Lumières, la coopération européenne et une politique étrangère où les intérêts français priment sur les postures idéologiques. Il a pour défaut son côté tranchant et opiniâtre, ses « affaires » qui ne reluisent pas plus que les pompes cirées à l’Elysée par le conseiller présidentiel Morelle, son peu de cas de l’argent public tout comme le coiffeur salarié de Hollande à 9000 € par mois ou le logement de ses maitresses à la Lanterne. Mais on a trop oublié l’insignifiant sortant, dans les médias, tant l’absence de toute perspective historique est la marque du journalisme aujourd’hui.

Or ce devrait être cela la politique : un projet comparé et débattu entre candidats. Pas le feuilleton people de médias ignares et flemmards en mal de notoriété narcissique. Je suis las des médias qui « sortent » un scoop tous les deux jours – et toujours sur le même. Nombre d’électeurs, écœurés par ce cirque sans lendemain, vont déclarer « ne pas savoir » ou « voter Macron » jusqu’au dernier moment – jusqu’à ce qu’un sursaut de dégoût pour les mœurs dévoyées du médiatique leur fasse mettre dans l’urne le bulletin d’un vilipendé – juste pour envoyer foutre les donneurs de leçons pas plus purs que ceux qu’ils accusent.

Bel exemple de « démocratie » que le monde va de nouveau nous envier !

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Conservatismes

Comme il existe des progressismes, il existe plusieurs conservatismes : subi, graduel, radical. Car même ceux qui se qualifient de progressistes persévèrent dans le conservatisme de leur courant. Ils ne changent pas, seule change l’époque.

Le progressisme subi est celui du libéralisme, qui accepte ce qui vient, d’où que vienne le changement (du climat, des mœurs, des techniques, du mouvement social), mais avec l’habitude. Le courant récent va des radicaux sous la IIIe République à Emmanuel Macron, en passant par Pierre Mendès-France, Michel Rocard, Jacques Delors, Manuel Valls (avant d’être ministre, pas après) et… François Hollande (une fois élu seulement). Les modèles : Bill Clinton, Tony Blair, Gerhard Schröder.

Le conservatisme subiest le même : accepter ce qui vient, faire corps avec le changement en adaptant les lois et les mœurs, mais lentement, à son heure. Ce qui distingue progressisme et conservatisme subis ? La « bonne conscience » sociale : se dire de gauche est mieux valorisé, se dire de droite est plus le fait des retraités.  Centre gauche et centre droit, Macron et Juppé ou Bayrou sont proches, au fond. Le courant va des Girondins à Alain Juppé, en passant par Louis-Philippe, Alexis de Tocqueville, Antoine Pinay, Jacques Chaban-Delmas, Valéry Giscard d’Estaing, Raymond Barre, Edouard Balladur, François Bayrou. Accepter une interprétation humaine différente des mêmes lois de nature ou divines. La conscience s’améliore, elle « découvre » du neuf comme on découvre un corps en ôtant peu à peu le drap qui le recouvre. Ainsi des mathématiques : elles existent de tout temps comme règles d’organisation de (notre) univers ; les humains ont mis des millénaires pour peu à peu les mettre au jour ; ils ne les inventent pas, ils les révèlent – croient-ils. Les modèles sont les mêmes que pour les progressistes, avec Jean Monnet en plus pour l’Europe.

Le progressisme graduel est le réformisme, qui ne remet pas en cause le système global mais l’aménage progressivement – par exemple le socialisme ou le radical-socialisme. Valls ou Peillon l’incarnent aujourd’hui, un peu moins Montebourg (plus interventionniste), encore moins Hamon. Le courant est issu de la scission en 1920 de l’Internationale socialiste entre communistes (inféodés  à Moscou) et le socialisme (qualifié de trahison par les staliniens). La vieille SFIO de Guy Mollet (qui envoya le contingent en Algérie pour 24 mois au lieu de 18 en proclamant urbi et orbi l’Algérie française), et le Parti socialiste refondé par Mitterrand et Chevènement en 1971 jouent cette carte : radicalité en paroles (pour être élu) puis pragmatisme réformiste en actes (une fois au pouvoir). Martin Aubry, Laurent Fabius et les « frondeurs » sont de ce jet. Le (seul) modèle franco-français : François Mitterrand – autoritaire et manœuvrier.

Le conservatisme graduel considère qu’il existe des lois immuables, issues de Dieu ou de la Nature (par exemple l’hérédité), et qu’il est vain de vouloir changer l’homme – sauf par le dressage éducatif et les lois répressives. On ne change alors pas l’être humain, mais seulement son comportement par des lois normatives. Qu’elle soit acceptée ou imposée, la règle s’impose. Fillon suit cette voie, après Chirac (créé par Marie-France Garaud et Pierre Juillet), la politique est l’art du possible. C’est donc se faire « réactionnaire » que de réagir négativement à ce qui change trop vite – à gauche aux réformes des zacquis sociaux (par exemple Hamon qui abandonne le travail pour garder la redistribution, et qui veut « revenir » à la gauche 1981 avec certaines nationalisations), à droite aux réformes du mariage (hier le PACS honni, aujourd’hui accepté…). Ils acceptent 1789, revenir à l’avant 1968 suffit généralement à ces conservateurs graduels. Les modèles : Charles de Gaulle, Georges Pompidou, Jean-Pierre Chevènement.

gamins-sauvages

Le progressisme radical est celui qui veut renverser la table : changer le monde, changer l’homme, changer la nature ; donc le communisme, les divers gauchismes, et toutes les utopies d’avenir radieux. Mélenchon entre autres. Ce genre de courant utopique prolifère généralement en sectes et en sous-sectes selon les ego et les écarts théoriques : les innombrables ramifications écologistes, qui ont pris la suite des innombrables ramifications du gauchisme post-68, en sont l’illustration. L’écologie n’est pas chose sérieuse en France politique, juste un créneau où se faire mousser personnellement sans risques. Les modèles : Maximilien Robespierre, Mao Tsé-toung, Fidel Castro, Hugo Chavez.

Le conservatisme radical veut en revenir à l’avant 1789, avant les Lumières de la Raison dont l’orgueil trop humain bafoue les lois immuables établies par Dieu et par l’Ordre de l’univers. Ce courant s’est toujours révolté contre les changements trop brutaux : la Révolution (appelant à la Restauration), l’insurrection démocratique 1848 (appelant à l’empire Napoléon III), la Commune 1871 (appelant Thiers et la répression), la chienlit parlementaire 1934 (appelant les Anciens combattants), la défaite de 1940 (appelant la Révolution nationale), les accords d’Evian 1962 donnant son indépendance à l’Algérie de Belkacem (appelant à l’OAS), la chienlit sexuelle de mai 68 (appelant à l’Ordre nouveau), la loi Savary 1984 unifiant école publique et privée (appelant à la manifestation monstre), le mariage gai (appelant la Manif pour tous). Les lois sont des tables révélées qu’on ne peut contester : ainsi l’islam radical, le christianisme intégriste ou même l’athéisme souverainiste du Front national. C’est le seul conservatisme dont on peut dire qu’il est littéralement « révolutionnaire », dans le sens où il tente d’accomplir une révolution complète – comme les astres – ce qui veut dire un retour au point de départ… Faire l’Histoire pour établir la Perfection, disent les progressistes radicaux ; retrouver l’innocence parfaite par la rédemption, disent les conservateurs radicaux. Les modèles : Napoléon III, Mussolini, Poutine – voire Erdogan et même Trump (version souverainiste).

progressismes-et-conservatismes

Si les deux premiers conservatismes ne sont guère différents des deux premiers progressismes, le dernier est radicalement en miroir : l’un veut faire de l’humain un Dieu qui se crée par lui-même ; l’autre nie la liberté humaine pour se réfugier en Dieu et lui faire complète soumission. Les deux usent de la même méthode : la transparence. Il s’agit, pour la variante radicale des progressistes et des conservateurs, de l’utopie d’une nature et d’une humanité en parfaite concordance, d’un être humain en accord avec sa propre nature et avec la nature (ou la foi). La science positiviste du fait social pour les progressistes radicaux réactive – sans le voir – la théologie dogmatique des conservateurs radicaux. Les « progrès » du genre humain ne sont pas plus démontrables que les articles de la foi révélée (judaïque, chrétienne, islamique). Mussolini est à la fois le modèle autoritaire, souverainiste et populaire du courant Mélenchon (Mussolini activiste de l’aile maximaliste du parti socialiste italien) et du courant Le Pen (Mussolini des Faisceaux de combat et du parti national fasciste).

D’où la tentation du nihilisme de tous les radicaux. L’Histoire n’est Providence que si on le croit, donc le doute est ravageur… tout ne vaudrait-il au fond pas tout ? pourquoi ce choix plutôt qu’un autre ? La recherche du Génie « d’avant-garde » à gauche (Lénine, Staline, Mao…) et la quête du Sauveur à droite (Napoléon 1er et III, Pétain, de Gaulle…) sont l’aveu que ni l’Histoire, ni la Providence, ne sont évidentes à connaître. La soumission féodale à ceux qui affirment avoir des convictions ou l’attrait affectif de leur charisme suffisent à l’adhésion. Car spirituel et temporel sont ainsi mêlés, réconciliant avec soi-même. Comme si le monde n’était pas lui aussi mêlé et qu’il faille désirer le Bien en soi sur cette terre. Payer de sa vie est l’ultime « preuve » que l’on est dans la bonne voie car, de toute façon, la mort signe l’arrêt complet de toute voie pour la figer en éternité.

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Le tropisme radical de l’être humain, particulièrement fort à l’adolescence où l’envie d’action se conjugue aux idées courtes, n’a pas vraiment besoin de foi pour s’exacerber. Voter Le Pen ou Mélenchon, c’est tout un : peu importent les idées, ce qui compte est de foutre un coup de pied dans la fourmilière des nantis contents d’eux. D’où les Régionales, le Brexit, Trump, Juppé et Copé, Renzi… Mais quand la foi propose un cadre à la radicalité, le danger est immense de voir s’installer la Terreur : celle des jacobins en 1793, celle des bolcheviques en 1917, celle des gardes rouges en 1966, celle des gauchismes après 1968 avec les Brigades rouges, la Rote armee fraktion, Action directe, celle des salafistes aujourd’hui. La foi, qu’elle vienne de Dieu ou des hommes, fournit un justificatif aux pulsions violentes, sadiques et dominatrices, un cadre global au mal d’identité, un remède spirituel au mal être. Sans la foi, la radicalité n’est qu’un âge de la vie – avec la foi, elle est souvent la vie même… qui s’arrête par le sacrifice.

Comme si les radicaux ne pouvaient décidément pas accepter « ce » monde que les autres accompagnent ou font avec.

Les autres hésitent entre accepter le présent pour s’y adapter au mieux, ou « revenir » à l’avant : avant le tournant de la rigueur 1983 pour Benoit Hamon, avant la chienlit des mœurs de mai 68 pour François Fillon, avant la monarchie républicaine de la Ve République pour Jean-Luc Mélenchon, avant la constitution de 1946 et pour la Révolution nationale pour Marine Le Pen, avant 1789 pour les franges intégristes chrétiennes ou musulmanes (une foi, une loi, un roi).

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Hamon démissionnaire

Agiter le rêve au lieu de présenter du concret est soit de la démagogie, soit de l’impuissance. Il y a probablement des deux chez Hamon. Démagogie pour gagner contre Valls au Surmoi autoritaire qui hérisse les bobos libertaires ; impuissance à agir comme les autres pays européens qui ont su réformer à temps et dans le consensus – faute de savoir le faire, faute d’oser affronter les lobbies (la finance, les industriels, la bureaucratie européenne, les syndicats, les cheminots, les fonctionnaires…).

La croissance française est aussi « minable » (mot socialiste) que le gouvernement sortant : engluée, velléitaire, hésitante. Trop d’impôts, trop de strates administratives, trop de règlementations, pas assez de confiance, aucune stabilité pour les salariés, les indépendants ou les entreprises… la liste est longue des manques de la synthèse hollandaise. Cinq ans, c’est trop peu ? mais pourquoi alors, sous la « gauche plurielle » Jospin, avoir lâché sept ans pour cinq ? Par démagogie progressiste ? Par impuissance à déboulonner Chirac ?

Quand on ne sait pas, quand on ne peut pas, quand on ne veut pas, que reste-t-il ? Le rêve. Enfumer l’électeur est le B-A BA du politicien, l’opium du peuple. Les accros au cannabis en prennent pour oublier ce réel qui les meurtrit. Ils se sentent euphoriques un moment, dopés par les molécules. La retombée n’en est que plus cruelle – mais plus tard. Les lendemains qui déchantent sont leur lot quotidien. Il en sera de même des socialistes, bien mal orientés dans la voie du renoncement. Ce pourquoi le PS a des fuites, soit vers le gauchisme Mélenchon, celui qui ne veut surtout pas gouverner mais garder sa fonction tribunicienne à la Le Pen, soit vers le réformisme réaliste, revivifiant Macron que Hollande n’a pas osé adouber.

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Lisant par hasard le tome 2 du Journal de Gide en ces temps de victoire hamoniste, je tombe sur le 21 juin 1940. André Gide évoque le maréchal Pétain, après la victoire de l’Allemagne sur une France non préparée, vivant sur ses acquis, lâchée par ses élites incapables. « L’esprit de jouissance l’a emporté sur l’esprit de sacrifice. On a revendiqué plus qu’on a servi. On a voulu épargner l’effort ; on rencontre aujourd’hui le malheur ». Trois jours plus tard, précisons-le, Gide déchante aussi sec : « Hier soir nous avons entendu avec stupeur à la radio la nouvelle allocution de Pétain. (…) Comment parler de France ‘intacte’ après la livraison à l’ennemi de plus de la moitié du pays ? Comment accorder ces paroles avec celles, si nobles, qu’il prononçait il y a trois jours ? Comment n’approuver point Churchill ? Ne pas donner de tout son cœur son adhésion à la déclaration du général de Gaulle ? » (24 juin, p.702).

Comment parler de gauche intacte après la primaire ? La France socialiste a perdu la bataille économique avec l’Allemagne, la France hollandaise a perdu la bataille politique en Europe, le groupuscule d’électeurs primaires hamonistes (en gros 1.2 millions de voix sur 45 millions aptes à voter) choisit comme en 40 la démission, comme avant 40 l’esprit de jouissance plus que l’effort, la revendication plus que le service. Croissance 2016 de 1.6% en Allemagne, de 1.1% en France ; excédent public 0.4% en Allemagne, déficit public 3.3% en France… L’Allemagne a fait des efforts après la réunification ; la France s’est laisser jouir une fois l’euro en place.

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Les mesurettes et réformettes socialistes depuis 2012 n’ont fait qu’agacer le social sans rien régler au fond, dépenser plus pour maintenir l’acquis, tout changer pour ne rien changer : les nouvelles régions n’ont pas fait diminuer le nombre de fonctionnaires territoriaux recrutés, les nouvelles mesures sur l’éducation n’ont en rien remis en cause le mammouth syndical qui centralise le corporatisme et empêche les bons profs d’être affectés dans les zones sensibles où leur compétences seraient requises, la hausse massive des impôts n’a pas réduit la dette, ni permis d’avancer dans les économies de dépense publique. De « mon ennemi » la finance au corporatisme syndical enseignant, RIEN n’a bougé, aucune pédagogie n’a été faite : « l’intérêt général » en sort perdant.

C’est contre cela que les sympathisants PS ont voté dimanche. Mais que veulent-ils en échange ? D’en faire encore moins et d’être payés plus en partant à la retraite plus tôt, d’évacuer le travail au lieu de le faciliter, de jouir en gratuité de tous les biens… mais seulement communs. De quoi donner très peu mais à tous, afin que l’égalité et la justice – ces grands maux de la gauche – soient respectés en apparence. Mais qu’est-ce que l’égalité dans le dénuement ? Qu’est-ce que la justice lorsque les emplois sont réservés à ceux qui apprennent et qui besognent ? Les socialistes ont viré Grincheux pour adopter Simplet, confirmant bien qu’il s’agissait de la primaire des sept nains, le dernier ne passant pas le premier tour.

« Nous avions à choisir (à Munich) entre le déshonneur et la guerre. Nous avons choisi le déshonneur et nous avons eu la guerre », disait Churchill il y a 77 ans. Les socialistes avaient à choisir entre l’hédonisme et le malheur. Ils ont choisi l’hédonisme et il est probable qu’ils auront le malheur…

André Gide, Journal II 1929-1950, édition Martine Sagaert, Gallimard Pléiade 1997, 1649 pages (1106 pages sans les notes), €76.50 

André Gide, Journal – une anthologie 1889-1949 (morceaux choisis), Folio 2012, 464 pages, €9.30 

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