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Stephen King, Différentes saisons

Elles sont quatre les saisons, comme les Trois mousquetaires, mais la comparaison s’arrête là. Elles content chacune une histoire, l’espoir d’une évasion pour le printemps, la fascination pour l’horreur nazie en été, l’aventure d’un quatuor de garçons de 12 ans pour retrouver un cadavre dans la Maine encore sauvage à l’automne, et l’histoire d’un accouchement post-mortem racontée dans un club de vieux bourgeois newyorkais un peu particulier en hiver.

Stephen King écrit mal mais sait conter. Il écrit comme il cause, direct et banal, mais sa verve est sans égale, ses observations très justes et son imagination galopante. Il sait se mettre à la place de ses personnages et frôler à chaque fois les abîmes.

Andy Dufresne est un ex-banquier accusé d’avoir tué sa femme adultère avec son amant alors qu’il jure ne pas l’avoir fait. Emprisonné à Shawshank dans le Maine (état qui n’a pas la peine de mort), il commande une affiche de Rita Hayworth pour orner le mur de sa cellule. A l’aide de cette photo presque grandeur nature, il réussira à s’évader au bout de 27 ans… Et contrairement à d’autres, moins intelligents, il ne sera pas repris.

Todd Bowen, 13 ans, a tout du petit Américain type, râblé avec ses 1m72 et ses 65 kg déjà, casque de cheveux blonds et yeux bleus, bon en classe et en sport. Mais il s’est trouvé fasciné brutalement un après-midi de congé dans le garage d’un copain par une pile de magazines à sensation qui évoquaient la Seconde guerre mondiale. Notamment les nazis, les juifs et les camps. Les profs adultes ne voient pas, dans leur stupidité scolaire bien-pensante, combien le spectacle complaisamment étalé de l’Horreur peut fasciner un prime adolescent. Les corps torturés, l’uniforme, les armes, le fantasme de domination remuent les instincts primaires exaltés par les hormones et suscitent de violentes émotions. Cet âge-là bascule facilement dans l’extrémisme et la cruauté. Croire qu’exposer le pire de l’humanité pour vacciner les ados est une erreur psychologique : depuis trois générations que sont diffusés le film Nuit et brouillard, la terreur de la Shoah et les scies moralistes « contre le racisme », l’attrait pour le nazisme ne s’est jamais aussi bien porté. Stephen King est juif et il a peut-être le tort de prendre comme héros un jeune WASP car il prête probablement une part de sa propre fascination pour ce que les zélateurs de la Race supérieure ont fait à son peuple qui se croyait le seul Elu. J’ai souvent constaté cette hypnose morbide quasiment suicidaire de ceux qui se sentent juif pour leur Ennemi historique qui voulait les éradiquer de la surface de la terre. Toujours est-il que le jeune Todd sonne à la porte d’un vieil homme de 76 ans immigré d’Allemagne des décennies auparavant, Arthur Denker : il a reconnu en lui le portrait d’un commandant du camp de Bergen-Belsen puis d’Auschwitz, Kurt Dussander, qu’il a vu en photo dans son uniforme tiré à quatre épingles sur les magazines. Dès lors qu’il est reconnu, le vieux est piégé et le gamin le fait chanter : il veut qu’il lui raconte toutes les horreurs, mais en détail. Cela enfièvre son imagination, l’excite, le fait bander dès que la puberté le tourmente. Il niquera sa première copine en pensant aux cadavres encore chauds d’Auschwitz puis, se rendant compte qu’elle est youpine, la vire ; elle le dégoûte. Pourtant elle aime ça, la bite, et croyait avoir trouvé son étalon fougueux pour la ramoner tant et plus. Todd vient voir le vieux cinq jours par semaine et ses notes scolaires s’en ressentent, même s’il a obtenu un A+ pour une rédaction sur les camps nazis. Stephen King donne la recette infaillible pour évoquer avec délectation les Interdits : il suffit de dire toute la répulsion que cela doit inspirer – mais on en a parlé quand même… Morale King, le vieux sera reconnu à l’hôpital et se donnera la mort mais l’adolescent américain Todd, à 17 ans, sera abattu par la police après avoir tué une bonne dizaine d’inconnus par fantasme de toute-puissance, lui devenu impuissant à cause de la pornographie des camps. On comprend mieux, par cette longue nouvelle publiée en 1982 et intitulée Un élève doué, combien « le nazisme » représente le summum de l’emprise du Mal sur la jeunesse déboussolée aujourd’hui. Du grand King.

L’histoire suivante du recueil, tout aussi longue et passionnante, a pour titre Le corps. Il est celui d’un garçon de 12 ans disparu depuis des jours et que des jeunes retrouvent mort au bord de la voie ferrée de marchandises qui traverse les forêts du Maine. Des jeunes prolos de 17 ou 18 ans qui rôdent en voiture, se bourrent à la bière et baisent les filles à la va-vite sur les sièges arrière. De vrais cons. Mais leurs petits frères sont encore à l’âge où l’on croit à l’Aventure et à l’Amitié et, lorsque l’un d’eux entend le grand frère évoquer leur découverte avec son copain, il décide ses propres camarades à tenter une expédition pour aller voir le cadavre. C’est encore une fascination pour l’horreur, un jeune garçon comme eux bousillé par un train ou peut-être massacré par un violeur, mais elle n’est ici que le prétexte à une épreuve en commun quasi scoute, une initiation au monde adulte et à la mort. Gordon le narrateur, son ami Chris le leader et les comparses Teddy le taré fils de taré et Vern le nullard, forment une drôle de bande mais c’est la leur. Ils sont un pour tous et tous pour un. Dans la touffeur de l’été du Maine, les garçons vont se déchirer le torse aux ronces, échapper de peu à un train lancé à toute vitesse sur une passerelle au-dessus du vide, se terroriser aux hurlements de femme violée des lynx dans la nuit, se faire griller la peau au soleil ou meurtrir le cuir aux grêlons, parcourant 25 km aller et autant au retour pour enfin découvrir leur alter ego mort, Ray Brower, sauf que… Mais je vous laisse le découvrir, comme ce qui va s’ensuivre. Stephen King n’est pas tendre avec les gamins de 12 ans et il les éprouve presqu’autant que Dickens ses petits Anglais. C’est ce qui fait son charme, d’autant que Gordon est celui qui aime raconter des histoires et que ses copains sollicitent, le soir à la veillée, serrés torse nu sous les couvertures. Le cinéma en a tiré un film, Stand by me (Compte sur moi) en 1986, avec Will Wheaton (13 ans) en Gordon et River Phoenix (15 ans) en Chris (Young Artists Awards 1987), avec une musique de Nitzsche.

La dernière « novelle » (plus de 20 000 mots qui font nouvelle mais moins de 40 000 qui donnent un roman, dit l’auteur en postface) ressort plus du fantastique habituel de Stephen King. La méthode respiratoire est celle pour accoucher. Mais elle prend un autre relief lorsque la mère est morte d’accident de voiture et décapitée ! Contée par un vieux médecin dans un club confortable en plein hiver de New York, parmi une bibliothèque aux romans très bons mais inconnus et aux poèmes jamais publiés, devant un cognac hors d’âge servi par un maître d’hôtel étrange, cette dernière histoire fournit de quoi terminer la soirée avec de quoi penser pour toute la nuit.

Cette œuvre un peu décalée du Stephen King classique de Shining, Carrie et autres Cujo ou Christine – dont on a tiré autant de films à succès ! – est captivante, surtout les novelles du milieu, les plus longues et les plus ressenties.

Stephen King, Différentes saisons (Different Seasons), 1982, Livre de poche 2004, 735 pages, €8.90 e-book Kindle €9.49

DVD Stand By Me – Compte sur moi, 1986, Columbia, 1h29, €9.90

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Joseph Kessel, Makhno et sa Juive

La folie d’une époque, libérée par la révolution bolchevique de 1917, s’est incarnée en divers monstres. Kessel fait de Nestor Ivanovitch Makhno l’Ukrainien l’un d’eux. La sauvagerie le fascine, cette libération des instincts primaires qui éclatent en viols et pillages, massacres sadiques, violence trouble et raffinements de barbarie. L’auteur, qui a recueilli durant des années les témoignages des rescapés Blancs de Russie, n’est pas objectif et son portrait de Makhno a tout de la caricature, mais il décrit un « type » psychologique né de la révolution qui s’est incarné en diverses figures de « cœurs purs » dans la première moitié du XXe siècle.

Un blogueur du monde.fr d’une intelligence aussi aiguë que paranoïaque avait un temps sévi sous ce pseudonyme dans les années 2000, c’est dire la fascination que le personnage de Makhno exerce encore aujourd’hui sur les âmes faibles.

Le conte populaire de Kessel forme l’image d’Epinal du fanatique sanguinaire dompté puis dominé par un ange de bonté naïve qui ne veut voir que le meilleur en l’humain : la Bête dans les rets de la Belle. Deux « cœurs purs » opposés comme l’eau et le feu. Le « psychopathe inculte (…) à l’ombre du drapeau noir » (notice p.1705 Pléiade) justifiait ses crimes par la libération des paysans et ouvriers de l’emprise des barines, des bourgeois et des Juifs – boucs émissaires faciles et constants de l’histoire russe orthodoxe. Makhno reste un personnage contesté, sali par la propagande blanche comme par la bolchevique, magnifié à l’inverses par les groupes anarchistes encore aujourd’hui. Il ne fut pas un ange sauveur du peuple, pas plus peut-être qu’un monstre dénué de toute conscience. Mais les pogroms sanglants des paysans déchaînés en Ukraine restent un fait historique incontestable. Makhno ne fut pas le seul, il a même démenti mais que vaut sa seule parole contre celle de tous les autres ? Il y eut aussi Boudienny, Grigoriev et Petlioura car c’était dans l’air du temps et l’avidité des bandes armées. La fascination de certaines femmes pour la barbarie et les hommes violents est aussi un fait psychologique certain. De cela, Kessel réalise une fable morale qui lui permet d’explorer les limites de l’âme humaine.

Juif lui aussi, l’auteur rachète la Juive en lui offrant de raisonner la Bête en l’homme. Il n’en fait pas une mission religieuse puisque Sonia se convertit à l’orthodoxie sous les ordres de Makhno pour l’épouser. C’est la peinture de la réalité du temps, Makhno comme le reste des Russes et des Ukrainiens (et de beaucoup d’Européens) voue une haine antisémite viscérale et irrationnelle « à la race qu’il aurait voulu écraser tout entière sous sa botte ». Joseph Kessel est passionné en cette matière puisqu’il sera l’un des fondateurs de la Ligue internationale contre l’antisémitisme en 1928. Il fait de Sonia la Juive une Pure intransigeante dont la force candide fait ramper le serpent de la haine et du vice.

Joseph Kessel, Makhno et sa Juive, 1926, Folio 2€ 2017, 98 pages, €1.58 occasion, e-book €1.99

Joseph Kessel, Makhno et sa Juive dans Les cœurs purs, Folio 1988, 192 pages, €6.90 e-book Kindle €6.49

Joseph Kessel, Romans et récits tome 1 – L’équipage, Mary de Cork, Makhno et sa juive, Les captifs, Belle de jour, Vent de sable, Marché d’esclaves, Fortune carrée, Une balle perdue, La passagère du Sans-Souci, L’armée des ombres, Le bataillon du ciel, Gallimard Pléiade 2020, 1968 pages, €68.00

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Kathya de Brinon, La femme aux cicatrices

Dans un précédent roman, Des larmes dans les yeux et un monstre par la main, l’autrice a raconté ses années d’enfance. Née en 1948, elle est confiée à ses grands-parents paternels jusqu’à l’âge de 9 ans et elle vivra ses meilleures années. Lorsqu’elle retrouve ses parents, son autre grand-père, le maternel, la violera et la prostituera à ses amis aussi vieux que lui. Elle l’appellera le Monstre et, devant le déni de sa mère qui la culpabilise, elle aura une relation perturbée avec la maternité. Comme tous les enfants violés sauvagement, elle tentera de s’autodétruire par dégoût de soi via dépression, boulimie, anorexie, amnésie et tentatives de suicide.

C’est à 30 ans que débute le second livre, La femme aux cicatrices. Elles sont physiques : frigidité vaginale, sein balafré par une opération mal conduite ; elles sont morales : dépréciation de son corps par le viol enfantin, regret éternel de l’avortement de son premier bébé pas assumé à 25 ans. Muriel a choisi de renaître sous l’égide d’un psychiatre sous le prénom de Kathya à l’orthographe improbable en français. C’est un prénom  de pornstar, de voyante ou d’escort… Quant au nom, elle a choisi celui de sa mère, la fille du Monstre qui ne l’a jamais écoutée, et qui fait référence à un collabo notoire fusillé à la Libération. C’est dire l’image que cette femme a d’elle-même et se donne au monde entier !

En 1980, année où débute ce second volume, Kathya, mère d’un petit Mickaël, rencontre Julien, en instance de divorce avec deux petits enfants, Maeva et Adrien. Ils vont faire leur vie ensemble et un second bébé pour Kathya, Alexandra. Mais Christiane, l’ex-épouse de Julien, voudrait garder maison et gosses plus obtenir une pension alimentaire, ce qui permettrait à son nouveau couple de vivre à l’aise avec allocations familiales et logement. Elle poussera René, séducteur gigolo et malfrat, à harceler la nouvelle, à payer la femme de ménage pour l’empoisonner grâce à son allergie à la naphtaline, allant jusqu’à l’agresser dans l’ascenseur et à foncer sur elle avec une voiture.

Mais la niaise ne fait rien, se laisse dominer, ne porte jamais plainte, comme si tout ce qui lui arrivait était de sa faute. Merci maman ! Kathya va jusqu’à se fourrer bêtement dans la gueule du loup, allant confier Mickaël, 3 ans, à son oncle, le frère du Monstre ! Si l’oncle ne viole pas le gamin, il l’enferme dans le placard et le terrorise : la mère, tout à son ego blessé, ne voit rien, n’entend rien, ne fait rien. A elle ensuite d’assumer l’énurésie, la jalousie et les colères du petit enfin récupéré… Au lieu de virer la femme de ménage qui a sciemment dissimulé des boules de naphtaline dans son armoire pour lui nuire, elle la garde ! Au lieu de déménager sans rien dire à ses harceleurs, elle le clame sur tous les toits ! Au lieu de choisir un endroit pratique et agréable, elle emménage avec son mari juif près de Dreux, ville où le Front national a emporté la mairie ! Au lieu de choisir des vacances en famille, elle confie ses enfants à sa propre mère indigne ! Pourquoi être masochiste à ce point ?

Si ce n’est de la bêtise (après tout, ça existe), le lecteur comprend que ce sont les séquelles des viols durant l’enfance qui poussent à répéter de façon compulsive les situations de domination, jusqu’à lasser (j’avoue, sur la fin, avoir sauté des pages). Une phrase de septième ciel est aussitôt suivie de trois pages de déboires, revers et lamentations, avec amnésies régulières où Muriel sort de la réalité tandis que des réminiscences pédopornographiques lui font détailler les sévices à un tel point qu’on peut y voir une certaine fascination : attachée nue, écartelée entre deux arbres, fourrée par deux libidineux ; en poney fustigée par une ceinture et pénétrée ; fouillée au doigt à la caisse sous le comptoir devant les clients… Tous les détails croustillants sont donnés afin que tous parents puissent se mettre à la place de leur fillette prise comme objet de plaisir par des adultes. Pour cela, le livre est intéressant : il développe les conséquences d’actes sexuels qui paraissent anodins aux violeurs, tout à leurs désirs pervers. Pénétrée par le doigt et le sexe dans la bouche, le vagin et l’anus, la fillette (en âge du mariage selon le Coran) en est brisée à vie, frigide et suicidaire, entraînant ses enfants avec elle.

Son témoignage tient plus du roman à la Zola écrit par un Musso pour la collection Harlequin que d’un véritable « récit autobiographique » car tous les noms et prénoms de personnes et les noms de lieux ont été changés. De plus, en 1980, Kathya déclare que son ami Luc « est mort du sida » or, si la maladie existait, personne n’avait encore fait le lien avec un nouveau virus et le terme « sida » en 1982 n’existait pas encore. Le sigle AIDS n’est en usage aux Etats-Unis qu’à l’été 1982 et le terme français « SIDA » ne sera en vigueur que l’année suivante, écrit sans majuscule depuis la fin des années 1980. L’histoire est donc « arrangée » comme on le dit d’un rhum, la vérité « alternative » reconstituée comptant seule pour la mémoire.

Cela dit, car il ne faut pas être dupe, ce livre se lit bien. Le retour à la ligne presque à chaque phrase donne un ton haletant et les péripéties s’enchaînent sans temps mort, à croire que la vie entière de Muriel n’a jamais été un long fleuve tranquille mais un torrent agité. Des amis « très chers » disparaissent on ne sait comment, tel Karim le confident, dont on n’entend plus parler sans aucune raison. Mais oui, la destruction de soi va jusque-là. Les incidents des colonies de vacances que Kathya et sa clique dirigent sont cocasses. Il semble que la directrice s’occupe plus des enfants qui ne sont pas les siens que de ceux dont elle est mère. Cyclothymique, alternant autoritarisme et lâcheté, intolérance et amnésies, adonnée aux somnifères et parfois à l’alcool, elle présente un bien piètre exemple pour des enfants qui demandent avant tout stabilité et attention personnelle. Cela explique la rébellion adolescente, la rupture dès la majorité pour les garçons et pour les filles, réflexes de santé car l’égoïsme est parfois la seule façon de se préserver d’un parent toxique. Ce que Muriel n’a jamais réussi à faire, bondissant d’un bout de l’Europe à l’autre pour être « au chevet » de tout malade de la famille, comme pour se racheter.

« Kathya de Brinon » a enseigné sous son vrai nom le droit en lycée après avoir été hôtesse de l’air ; elle est devenue journaliste dans la presse électronique, créant une revue bilangue avant la faillite due au virage numérique. Elle a coulé la société de cosmétiques héritée de son père par naïveté et « bons salaires » versés à la famille, tandis que les coûts de production n’ont pas été maîtrisés. Elle vient de créer l’association SOS Violenfance pour laquelle ce « témoignage » est écrit. Les pédocriminels doivent être prévenus, écartés et soignés. La vie entière des enfants tient à cela. Sans hystérie mais sans concession.

Kathya de Brinon, La femme aux cicatrices – Survivante de l’inceste, « récit autobiographique », éditions Maïa, 2019, 317 pages, 24€

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

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François Mitterrand par Hubert Védrine

François Mitterrand m’a toujours captivé. Littéraire, provincial, florentin, attaché aux relations humaines et fidèle, il avait le sens de l’État et celui de la France dans un univers qui évoluait vite, sous l’influence de l’économie–monde américaine.

Bien sûr, tout n’est pas rose dans le personnage : son côté caméléon, son ambition forcenée, sa capacité à tourner casaque, ses transgressions de la légalité selon son bon vouloir (les écoutes de journalistes, sa maitresse cachée, sa fille élevée aux frais de l’Etat). Mais la complexité de sa personnalité me fascine, sa richesse, sa profondeur. François Mitterrand, s’il n’a pas la stature historique d’un Charles de Gaulle, tranche sur les technocrates gris et superficiels qui peuplent trop souvent nos gouvernements.

C’est l’un des mérites du livre d’Hubert Védrine de le rappeler à propos des affaires étrangères, lui qui fut conseiller du président pendant quatorze ans. L’un des aspects de son livre consiste à dégager la cohérence et les lignes de force de la diplomatie mitterrandienne ; un autre aspect de tracer un portrait en actes du président. C’est cette seconde lecture qui m’intéresse ici.

« Toute sa vie avant 1980, François Mitterrand a été un individualiste et un rebelle. Élu président, il ne change pas de conception. Il entend bien être et rester le seul détenteur de l’ensemble des informations, seul maître de la totalité des réflexions et projets, et naturellement l’arbitre final des décisions de la présidence comme du gouvernement. D’où la méfiance que, d’instinct et expérience, il nourrit vis-à-vis des corps qui se prétendent détenteurs de la vraie légitimité, des bureaucraties qui phagocytent les ministres, des organisations qui pourraient entraver sa démarche » p.30. En quelques mots, beaucoup est dit : Mitterrand n’est pas un technocrate, il aime réfléchir par lui-même et ne pas laisser une décision importante à l’anonymat irresponsable des « experts » ou des « bureaux ». Il décide « en méditant seul longuement, mais aussi en éprouvant sur l’un, sans le lui dire, les idées de l’autre, puis sur un troisième une combinaison des idées des deux premiers, avant d’adopter cette idée ainsi transformée, non sans l’avoir modifiée à nouveau ou, au contraire, de la stocker en mémoire, d’où il la ressortira, en cas de besoin, trois mois ou trois ans plus tard » p.34.

Comme centre de pouvoir autour duquel tout gravite, il exerce un ascendant et laisse se former une cour. Mais il reste personnellement libre envers tout cela. S’il crée des dépendances, il stimule ; s’il séduit, il contrôle. Ce ne sont pas les « favoris » qui emportent les décisions, mais bien lui-même, homme de caractère et de volonté. « Il y a eu une fascination, un envoûtement Mitterrand (…). Ce bonheur Mitterrand a été mal rendu par les témoignages » p.72.

Sa personnalité, il la nourrit par la culture, notamment par l’histoire et par la pensée des grands hommes. Il reste en cela un humaniste, tempérament ou qualité qui a tendance à se perdre dans le laisser-faire ou la frivolité de nos jours. L’humanisme est d’essence libérale au sens du XVIIIe siècle, attaché à ce qui est précieux en chaque individu, à ses capacités uniques d’intelligence et d’invention, que la société a pour devoir de développer et d’épanouir. « Sa vraie passion, insatiable, sa source de vie jamais tarie, c’est la littérature. Les livres, neufs ou anciens, les libraires et les librairies, les ventes et, bien sûr, les auteurs, leur écriture. Ses goûts sont hors de toute mode, loin des best-sellers intemporels. S’il aime la compagnie des romanciers contemporains, il est peu porté sur les « grands écrivains » de son temps, à l’exception peut-être de Mauriac, de Giono et de grands créateurs non-européens qui écrivent comme coulent les fleuves : Gabriel Garcia Marquez, William Styron, Yachar Kemal. Plutôt Renan, Chateaubriand, Lamartine, Zola, le XIXe siècle. Et Casanova, Casanova bien sûr, et Venise, ville-talisman » p.76. J’ajouterai pour ma part Jacques Chardonne, Louis Ferdinand Céline et Ernst Jünger – mais ce n’était pas politiquement correct en gauche socialiste d’évoquer ces sulfureux écrivains portés à droite, bien que Mitterrand les aimât fort.

Car nourrir sa réflexion ailleurs que dans ce qui est tout proche est une forme intellectuelle de liberté. « Ce qui a beaucoup agacé chez lui est peut-être qu’il le peu de cas qu’il faisait de toute une cuistrerie contemporaine, de tout un pathos indigeste de sciences de l’Homme, de Progrès, de Morale, sur la nature humaine, qu’il en ait tant, qu’il en ait trop su, d’instinct, sur l’immuabilité de cette dernière » p.77.

Pragmatique, héritier du passé français, historien et géographe en politique étrangère, il était de « culture classique, français dans ses tripes, européen de raison, occidental par le hasard de la géopolitique » p.86. Il se méfiait des hypocrisies et paravents d’intérêts que dissimule le discours libéral, surtout anglo-saxon. S’il a le goût de la précision, il a aussi « tact, pudeur, souci de ménager les étapes, conviction qu’il vaut mieux faire que dire et que cela risque d’aller moins bien en le disant » p.406.

Nourri de la Bible par sa mère, « les leçons de l’histoire étaient pour lui quotidiennement présentes, presque obsédantes » p.749. Celles qui ont fixé les lignes géo-ethniques par exemple en Europe, idée plus que centenaire qui permettra peut-être de « civiliser la mondialisation » en préservant le meilleur de la vieille Europe et de sa culture, dont celle de la France.

Hubert Védrine, Les mondes de François Mitterrand – à l’Elysée 1981-1995, 1996, réédition Fayard 2016, 784 pages, €34.00 e-book Kindle €32.99

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Olivier Guez, La disparition de Josef Mengele

Un livre qui vient d’obtenir le prix Renaudot et se trouve en sélection pour le prix Landerneau 2017, occupe le terrain à la mode du nazisme. Plutôt qu’un « roman » il s’agit qu’une quête journalistique romancée, comme en témoigne les 5 pages de bibliographie en trois langues à la fin.

L’auteur débute par deux citations en exergue, l’une de Milosz sur le souvenir de la souffrance et l’autre de Sade sur le bonheur qui ne peut se connaître que dans le crime. Tout y est dit des présupposés du roman : l’éternel ressassement de l’Evénement du XXe siècle que fut la destruction des Juifs d’Europe et l’orgueil des Lumières qui a poussé la quête scientifique jusqu’à nier l’humain.

Josef Mengele débarque en Argentine en 1949 sous le nom d’Helmut Gregor et là seulement commence le récit. L’avant n’intéresse pas l’auteur mais seulement la fuite, l’expiation. Il aura même une complaisance « sadique » à imaginer sa déchéance. Mengele fuira au Paraguay puis au Brésil, où il finira par mourir paranoïaque, malade et seul en 1979. La réticence de l’Allemagne (RFA et RDA confondues) à traquer les ex-nazis, l’intérêt des nations sud-américaines à accueillir des ingénieurs et spécialistes allemands recherchés pour améliorer leurs économies, l’enlèvement d’Eichmann par les Israéliens qui ne sera pas suivi de celui de Mengele pour cause de la guerre des Six jours et des exigences diplomatiques qui suivront, le combat du procureur « juif-homosexuel-social-démocrate » Fritz Bauer (sur lequel Olivier Guez a écrit un livre), aidé par la grosse caisse experte en fake news militantes Simon Wiesenthal (selon l’auteur) – sont bien décrits. Le lecteur comprend pourquoi Mengele ne fut jamais jugé.

Mais tous les crimes du docteur-capitaine SS Mengele au camp d’Auschwitz ne sont expliqués que par le nazisme, ou plutôt par la vulgate politiquement correcte véhiculée par notre époque bien-pensante. Pourquoi la « recherche » sur les jumeaux ? Quelles étaient les « avancées » des expériences in vivo sur la résistance au froid et aux maladies ? Le docteur Mengele aux deux thèses universitaires n’était-il qu’un tortionnaire sadique sans aucune préoccupation scientifique ? Même si « le bétail » juif (et autres, peu présents dans ce roman) était déshumanisé par l’idéologie, les expériences ont-elles abouti à quelque chose ? Le lecteur n’en saura rien, l’auteur ne s’y est pas intéressé. Approfondir aurait pu permettre un caractère plus emblématique du temps des camps. Notamment de comprendre pourquoi « le nazisme » fascine tellement aujourd’hui : serait-il la préfiguration de Daech, de ses tortures et massacres au nom de l’idéologie ? Ou la poussée aux extrêmes de la volonté de savoir des Lumières ?

Le temps est peut-être venu de déchiffrer plutôt qu’en rester à l’indignation en boucle. Cette longue et éprouvante « enquête » est peut-être une performance, saluée par les prix, mais nous sommes loin de l’universel représenté par exemple par La mort est mon métier de Robert Merle qui s’intéresse aux engrenages psychologiques et sociaux qui conduisent à obéir, au Roi des aulnes de Michel Tournier qui réactualise le mythe de l’ogre, ou encore aux Bienveillantes de Jonathan Littell qui dresse un portrait plus fouillé du nazi-type.

Mais Olivier Guez écrit fluide, son roman se lit très bien. Le lecteur s’aperçoit que l’auteur fait passer une certaine empathie pour l’exilé, le nazi errant chassé comme un paria. A croire qu’il voit une certaine parenté avec le destin du peuple juif, communautaire, aidé par la famille, allant même jusqu’à le faire se marier avec la veuve de son frère selon le lévirat, la loi de Moïse. L’obsession nazie de pureté ethnique ne ressemble-t-elle pas quelque part à l’obsession juive de se garder juif par la mère ? Il y a comme une fascination des victimes pour leurs bourreaux, une sorte de syndrome de Stockholm qui semble sévir encore trois générations après. Car qui aurait l’idée sans une certaine perversion de passer « trois ans » de sa vie à « vivre avec lui » (Wikipedia) en compulsant les manuels d’historiens et les témoignages du temps pour fantasmer un « roman » sur le bourreau d’Auschwitz ? Pourquoi se complaire dans la haine et le malheur ?

Ce pourquoi La disparition de Josef Mengele ne m’apparaît pas être de la littérature mais plutôt une enquête de journaliste et historien-amateur complétée par l’imagination. Ce roman appartient d’ailleurs à une œuvre plus communautaire que française, si l’on en croit les autres publications de l’auteur, centrées sur le destin des Juifs. Manque à ce récit, pour être littéraire, non seulement un style original et une peinture plus fouillée des caractères, mais aussi cette dimension d’universel sans laquelle il n’est pas de bon roman.

On peut lire Olivier Guez, notamment par curiosité sur le sujet, mais le lecteur s’aperçoit bien vite qu’il n’aura pas envie de relire. Au fond, la question est : peut-on faire de la bonne littérature avec du bon ressentiment ?

Olivier Guez, La disparition de Josef Mengele, 2017, Grasset, 239 pages, €18.50

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Henry James, Roderick Hudson

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Premier roman d’un auteur qui avait déjà nombre de nouvelles, de récits de voyage et d’essais à son actif, Roderick Hudson est un portrait psychologique en même temps qu’un récit romantique bien dans l’air de son temps. Américain vivant en partie en Europe, Henry James côtoie cette société de riches oisifs, grands bourgeois actionnaires, aristocrates à métayers, veuves pensionnées, où les salons et les mariages sont les lieux de sociabilité. D’où cette description maniaque de minutie des moindres mouvements des âmes que l’auteur affectionne, avec force adverbes et adjectifs. Il se voulait Balzac mais n’avait pas ce souffle qui mêle le décor à l’inconscient.

Le roman aujourd’hui peut encore se lire, mais il faut avoir du temps et lamper à grandes goulées les pages pour ne pas en perdre le fil. Découpé en 13 chapitres, peut-être par réminiscence biblique, le dernier se passe sous un orage dantesque sur les sommets des Alpes, où le Destin en statue du Commandeur semble se jouer des misérables volontés humaines.

Rowland, jeune et riche rentier américain, a la sagesse de dépenser modérément sa fortune tout en faisant le bien autour de lui. Il est épris de beauté et s’entiche de Roderick, un jeune homme extravagant à la beauté stupéfiante, qui montre en outre quelques talents de sculpteur. Sa statue d’un jeune Buveur d’eau irradie à la fois la force et la santé de la jeunesse, l’innocence et la soif de connaître. De l’éphèbe de bronze au jeune homme de chair, quoi de plus « normal » (bien qu’un peu érotique) d’envisager le talent ? Rowland emmène donc Roderick en Europe, à Rome même, où il le plonge dans l’ambiance du Beau selon les critères classiques : ce ne sont que lumières, paysages et ruines inspirées, que corps bronzés aux muscles affinés de travailleurs ou aux silhouettes de jeunes latines. Le coup de foudre artistique interviendra pour Roderick en la personne de Christina Light – la Lumière – d’une beauté froide de déesse, mais époustouflante d’inspiration.

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Roderick sculpte dans la fièvre. Son Buveur d’eau assoiffé, c’était lui-même adolescent ; son Adam nu, c’est « le torse bronzé d’un gondolier » dans l’épanouissement de la maturité dont il rêve ; sa Miss Light est son idéal de beauté féminine éternelle ; son Lazzaroni ivre (et dépoitraillé), c’est lui encore, désespéré de n’être pas aimé ; enfin sa Vieille femme, c’est son propre amour enfantin pour sa mère. Par ces œuvres, Roderick s’exprime. Même s’il n’exprime jamais que lui-même, il se vide. A la fin, hanté par la Beauté inaccessible d’une Light qui se refuse obstinément, prise elle-même dans les rets matrimoniaux exigés par son entremetteuse de mère, il ne sera plus rien : une coque sans noix. Ses œuvres auront pompé sa sève et sa vie même.

Entre temps, l’auteur nous entraîne dans les oppositions de caractères : Mary la fiancée de Roderick contre Christina la fille impossible ; Roderick le génie romantique contre Singleton le petit besogneux obstiné ; Rowland le riche et sage contre Mrs Hudson la mère de Roderick, veuve économe et craintive. Certains sont raisonnables, les autres passionnés. Certains s’ennuient courtoisement en société, d’autres y vivent des drames vertigineux.

A ces personnes s’ajoutent des thèmes, tout aussi contrastés : Northampton (Massachussetts) est la ville de province du Nouveau monde confite en calviniste austère ; à l’opposé, Rome la catholique est la capitale de l’art du Vieux monde depuis le paganisme. Comment ne pas se sentir pousser des ailes lorsque l’on est jeune et que l’on passe de l’une à l’autre ? A la création sortie des tripes, s’oppose alors le goût esthétique très moyen de la société ; à l’idéal s’oppose le commerce ; à la volonté, le destin. Car si Mary est fille, petite-fille et sœur de pasteur, si elle ne vole pas haut mais avec rigueur, morale et raison – Christina est une bâtarde illégitime, hantée d’idéal et flirtant avec la beauté du diable. Si Rowland ressemble à Mary au point d’en tomber amoureux, c’est avec Roderick qu’elle s’est fiancée, par contraste, tant il est émotif, tourmenté, égoïste et génial. Pourquoi les âmes désirent-elles à chaque fois leur contraire ?

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Ce roman est le bal de la fascination et de l’aveuglement. Il est un peu bavard et s’étale complaisamment sur les méandres de la pensée comme elle va ; il est un peu long pour nos habitudes un siècle et demi après, mais brasse des « types » humains éternels : le créateur et le rentier, le passionné et le raisonnable, la beauté et la réalité, le garçon (qui peut tout oser) et la fille (qui doit se conformer).

Car la société de son temps est la cible des critiques de Henry James, trop observateur pour n’être pas acéré : « Tout est vil, sombre, minable, et les hommes et les femmes qui composent cette prétendue brillante société sont plus vils et plus minables encore que tout le reste. Ils n’ont aucune spontanéité véritable ; ce sont tous des lâches et des fats. Ils n’ont pas plus de dignité que des sauterelles » p.184 Pléiade.

C’est pourtant dans cette société-là qu’il nous faut vivre et tracer son chemin. Créer ? – impossible sans l’inspiration, et elle ne vient que de l’idéal ; faire le bien ? – impossible sans abnégation totale, car les espérances sont gaspillées ; vivre à propos ? – impossible dans la rigueur mercantile nord-américaine, mais tout autant dans l’immersion de beauté italienne. Roderick, Rowland et Mary sont tous trois, à des degrés différents, déçus, ils s’étaient faits des illusions sur l’avenir : sur son talent pour le jeune sculpteur, sur l’épanouissement artistique de son compagnon pour le rentier, sur sa capacité à faire craquer son rigorisme et à accepter le génie pour Mary.

Henry James, Roderick Hudson, 1875, Livre de poche Biblio 1985, €9.00

Henry James, Un portrait de femme et autres romans, Gallimard Pléiade 2016 édité par Evelyne Labbé, 1555 pages, €72.00

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Massacre à la tronçonneuse

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La production courante du cinéma américain ne brille pas par son originalité, ni par son intérêt. Elle est faite pour consommer de suite, sans l’emballage du désir, ni la nostalgie du revoir. Ni rêve, ni imagination, mais l’excitation morbide – et unique – d’un instinct. Une fois vu, le produit est usé, bon à jeter tel une capote anglaise. Pourquoi donc interdire aux junkies de se shooter, puisque la pseudo-culture de masse américaine leur sert du film sur le modèle de la seringue jetable ?

L’attrait de ces productions prêtes à consommer est des plus primaires : l’horreur, l’excès, l’imprévu inexorable. La construction en reste au schéma de base : présentation des personnages au quotidien, anesthésie du bonheur tranquille et naïf en famille standard – voiture Ford, maison Levitt, jean Levis et tee-shirt Fruit-of-the-Loom – puis mise en situation par quelque excentricité qui tourne très vite à l’anormal inquiétant, paroxysme et hystérie de rigueur, et final rapide où le Bien se fait souvent avoir. Malgré l’espoir de happy-end ancré au cœur de l’Amérique. Pimentez tout cela d’un brin de sexe, de beaucoup de violence et d’une histoire plate aux images banales – et vous avez le navet-qui-se-vend. Car seule la mise en scène, qui vise au spectaculaire, est au niveau. Or la technique est tout ce qui importe aux incultes.

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Tels sont ces films médiocres pour middle-class désœuvrée en fin de semaine. Fast-food, fast-film, tout est sur le même modèle industriel formaté du vite fait-mal fait. En 1974, le Texan de 28 ans Tobe Hopper fonde avec Massacre à la tronçonneuse le genre consommable du film d’horreur ; il va faire des émules. Le titre est accrocheur, attisant cette fascination malsaine pour la fureur et l’hémoglobine, jouant sur toute la palette du sadomasochisme enfouie en chacun. Une catharsis, bien sûr, mais qui la demande ? Ces pauvres solitaires voués à la masturbation en cabines individuelles pour 1$ alors qu’une fille se trémousse nue derrière la vitre ? Les films défouloirs sont dans le même rapport que la pipe l’est à l’amour partagé : l’effet physique est le même, mais les conséquences psychologiques et la profondeur durable de l’acte n’ont rien à voir !

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Le film est vide : vite vu, vite perdu ; on ne le revoit pas car on connait la fin, ce qui se passe pendant n’est que progression technique glauque sans littérature, malgré son prix de la critique au Festival du film fantastique d’Avoriaz en 1976. Cinq jeunes insouciants – typiquement des ‘innocents’ américains – s’enfoncent lors d’un bel été – la saison hédoniste – dans les tréfonds du Texas en minibus, à la recherche de la maison d’enfance de l’une des filles. Retour aux origines… ce qui va prendre un tour macabre. Kirk et Pam se baignent dans un étang, près d’une vieille ferme loin de tout – et le tueur futur s’amuse à les approcher sous l’eau. En quête d’essence – ce sang de l’Amérique – ils vont voir s’ils ne peuvent en acheter à la ferme ; Kirk est massacré à coup de marteau par un primate masqué, Pam est empalée sur un croc de boucher et mise au congélateur ; Jerry, qui les cherche, est assassiné au marteau. Seuls restent deux survivants dans la nuit qui tombe… Franklin est découpé à la tronçonneuse et Sally s’enfuit, seins nus. Slurp ! Sexe et cruauté font bon ménage.

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Inspiré de l’histoire véridique d’Ed Gein, « le boucher du Wisconsin » arrêté en 1957, profanateur de tombes et meurtrier de 33 êtres humains, qui portait un masque de chair et décorait sa maison des restes de ses victimes, le film ne laisse surnager au fond que les obsessions de la société américaine : la peur de la campagne isolée ‘où-l’on-ne-sait-jamais-ce-qui-peut-se-passer’ ; la hantise des pauvres, dégénérés par la solitude, l’endogamie, le puritanisme bigot, la sauvagerie et la mauvaise éducation ; la culpabilité biblique du massacre historique des Indiens natives ; l’hystérie automatique des femelles – sauf si elles font ‘mec’ par féminisme (alors : respect !) ; la normalité ‘innocente’ et désarmée de l’Américain moyen (surtout jeune au teint frais) face au Mal, cette violence gratuite qui viole tous les tabous sociaux, religieux et humains ; l’angoisse devant la machine, pourtant créée par l’homme et que l’homme pervertit, le banal outil utilitaire devenant arme brutale pour crime atroce.

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Le début des années 1970 représentait le pourrissement de l’Amérique et le délitement de ses valeurs ancestrales : jeunesse massacrée au Vietnam, mensonges politiques du Watergate, récents assassinats politiques (John Kennedy, Martin Luther-King), génocide historique des Indiens, chômage dû à la crise du pétrole – tous les cadavres ressortent du placard pour engendrer des monstres et tuer les jeunes vies. Le film rend compte de cette psychologie d’époque.

massacre a la tronconneuse seins nus

Mais il est difficile pour nous Européens d’entrer aujourd’hui dans ce jeu pervers où les bas instincts se défoulent, où la foule se fascine pour le morbide, où le Mal absolu sort vainqueur du pauvre bien – que l’on croit naïvement ambiant. Ce révélateur social yankee ne révèle rien de nous ; ce pour quoi nous l’appelons médiocre. Mais il rapporte des dollars et encore plus de temps de cerveau disponible ! Aujourd’hui les ados, déculturés par toute la génération post-68 adorent. Si ça vous dit…

Massacre à la tronçonneuse, 1974, version restaurée StudioCanal 2004, €19.00

Massacre à la tronçonneuse (remake plus soigné que l’original), blu-ray Metropolitan 2013, €19.71

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Emmanuel Carrère, L’Adversaire

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« Si tout se passe bien, il sortira en 2015, âgé de soixante et un ans », dit l’auteur p.202. Cela après une description plate et événementielle d’un quintuple crime (au moins), celui de ses parents, puis de sa femme et de ses deux enfants. Ce n’est pas l’auteur qui parle, mais Jean-Claude Romand. Pourquoi diable Carrère a-t-il été se fourrer dans cette galère ?

Se sent-il en empathie avec le personnage de grand dépressif, débonnaire et menteur invétéré, fondateur dix-huit ans durant d’une double vie aussi étanche que grandiloquente ? Ses problèmes personnels sont-ils si profonds qu’il se passionne pour les pédophiles (La classe de neige) et les tueurs (L’adversaire) ? Quelle est cette fêlure intime autour de laquelle il tourne sans jamais y entrer autrement que par des « exemples » pris dans la réalité ?

Jean-Claude Romans était un mignon petit garçon des montagnes du Jura, enfant unique assez solitaire et peu viril mais intelligent. Il a réussi le concours d’entrée en médecine mais a calé – sans raison – sur une seule épreuve en deuxième année. Il n’a pas échoué : il ne s’est pas présenté. De cet événement fondateur, aboulie procrastinante, date tout un échafaudage de fantasmes et de mensonges qui vont durer deux décennies. Il laisse croire qu’il a réussi, puis qu’il a obtenu son diplôme, qu’il est embauché par l’OMS à Genève, qu’il poursuit des recherches de pointe. De quoi vit-il ? D’escroqueries sur ses proches, parents, amis ou relations. Ils lui confient des sommes qu’il va placer au noir en Suisse, soi-disant. Il les utilise en fait pour faire vivre sa famille, l’épouse très catho qu’il a fini par convaincre de l’épouser, et ses deux petits, fille et fils.

daniel auteuil dans l adversairePlus le temps passe, plus il peut se faire prendre. Va-t-il avouer, dans une catharsis qui le libérerait ? Pas du tout : il ne vit qu’en virtuel, plus beau, grand et fort qu’en vrai. Il est incapable de rester dans le réel, malgré les apparences. Pourquoi personne n’a-t-il rien vu ? D’une part parce le milieu bobo bien-pensant, catholique en médecine, est très conformiste sous une apparence obligeante : leur star est Kouchner, ce qui en dit long sur le vide intellectuel de ces bourgeois. D’autre part, parce qu’au fond tout le monde préfère croire que savoir, faire confiance naïvement plutôt que chercher à connaître. Romand le sent : à qui manque-t-il lorsqu’il se trouve seul ? À personne. Ce pourquoi il s’invente une agression jeune homme, une grave maladie ensuite, un poste dont l’importance le fait se déplacer loin et souvent adulte, une amitié avec le fameux Bernard Kouchner « vu à la télé »…

Lui n’est rien, son personnage est tout. Ce n’est que lorsqu’il est acculé qu’il désire tout effacer : ses parents qui l’ont vu naître et grandir, son épouse à qui il a toujours menti sur tout, ses enfants qui ne le verraient plus du même œil. Le 9 janvier 1993, à son domicile de Prévessin-Moëns, route Bellevue, il tue…

Jean-Claude Romand est-il intéressant ? Pas le moins du monde. S’il agite l’empathie popu, c’est par quelque fascination morbide pour la mort et la psychologie de tueur. Ou par christianisme dévoyé qui « pardonne » aux plus grands criminels pour se donner bonne conscience, « les discours angéliques sur l’infinie miséricorde du Seigneur » cités p.216. Emmanuel Carrère aurait pu développer cet angle, mais non. Il n’y a aucun moment littéraire dans cette écriture plate, dans ce compte-rendu presque administratif d’un cas. Nous sommes loin de Stendhal dans Le rouge et le noir, roman issu lui aussi d’un fait divers !

jean claude romand

Malgré ses « doutes » et son « opinion », distillés au long du livre, il n’effectue aucune analyse psychologique du personnage, il s’en tient aux faits comme un vulgaire juriste. Cela donne un ton glacé, mais ne s’élève jamais du ras de dossier. Peut-être Emmanuel Carrère, une fois la soixantaine venue, une kyrielle de longs articles de gare semblables à celui-ci écrits et publiés, ses propres enfants élevés, ce qui remet beaucoup de choses à leur place, pourra-t-il écrire un « vrai » roman et se tailler une place dans la littérature ?

Dans cet opus de deux cents pages, vite lu et aussi vite jeté, il en est loin. Ça plaît parce que c’est court à lire entre deux stations de RER ou un périple en métro. Parce que c’est facile à suivre – le fluide réduit à 300 mots. Parce que le voyeurisme du fait divers est éternel chez les liseuses qui se croient cultivées, bien que ce criminel ne soit justement pas l’un des nôtres mais un mystère social. Et parce que la mode fait qu’on « doit » avoir lu le fils de sa mère (Hélène Carrère d’Encausse) qui cause si bien à la télé. Mais franchement, où a-t-on vu qu’un biopic à l’américaine produise autre chose qu’un scénario de film ?

Emmanuel Carrère, L’Adversaire, 2000, Folio 2002, 221 pages, €6.40
Film DVD L’Adversaire de Daniel Auteuil avec Daniel Auteuil, Géraldine Pailhas, François Cluzet, StudioCanal, €13.00

La véritable histoire de Jean-Claude Romand:

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Guerre contre qui ?

Vendredi 20, vendredi vain ? A « déclarer la guerre » au terrorisme, ne nous trompons-nous pas de cible ? Un État fait la guerre à un autre État, pas à une nébuleuse millénariste.

Quels sont donc nos États ennemis ? – Évidemment ceux qui soutiennent le terrorisme islamique…

Et quels sont ces États ? – C’était hier l’Iran et la Syrie d’el Hassad, plus aujourd’hui. Aujourd’hui, qui finance, achète, soutien ou laisse faire le salafisme Daech ? – C’est simple : l’Arabie saoudite, le Qatar, la Turquie. Voilà donc nos « ennemis ». Peut-être faudrait-il en prendre conscience ?

Est-ce à dire que nous allons « déclarer la guerre » à ces États ? – Pas vraiment, au sens traditionnel, mais par la politique, qui est la continuation de la guerre par d’autres moyens. Et envers d’autres entités que les seuls États, notamment à nous-mêmes.

voile integral interroge sur France 2La leur et la nôtre : ils n’aiment pas ?  Nous si. Tant qu’à se faire sauter…

Femme seins nus entre 2 hommes torse nu

Cette politique passe par la diplomatie : assez de ronds de jambe envers les rigoristes qui ne supportent pas nos valeurs, assez de dérouler le tapis rouge et d’interdire les plages aux provençaux sous prétexte d’émir venant se prélasser sans qu’il veuille qu’on le voie, assez de vendre des armes et de se prosterner devant le roi dollar lorsqu’il s’agit d’exporter des avions, des missiles et des munitions.

Il y a donc une nette inflexion de notre politique étrangère à opérer d’urgence : au gouvernement, mais aussi dans le principal parti d’opposition, où Sarkozy ne devrait pas être fier de son bilan. Est-ce en cours ? Cela n’en prend pas le chemin…

Cette politique passe par l’application de la loi sur notre sol : ne pas le faire nourrit le populisme. Assez des femmes voilées intégrales se promenant impunément dans les rues parisiennes, marseillaises, toulousaines, roubaisiennes et j’en passe ; assez des mosquées financées par lesdits Émirats et par l’Arabie saoudite ou par le Pakistan ; assez des imams prêchant en arabe la haine et la violence ; assez de l’hypocrisie de l’Éducation nationale (à 67% assurée par des femmes) sur les « incidents » évidemment jamais religieux ni ethniques ; assez de la lâcheté à la RATP sur les pratiques islamiques – où d’ailleurs l’un des terroristes était conducteur de bus.

RATP collabo

Il y a donc un net durcissement de l’application de la loi à opérer d’urgence (sans faire de l’exception la norme, le droit actuel est suffisant s’il est appliqué) – pour éviter que les grands mots, votés à sons de trompe, soient aussi dévalorisés par l’absence quasi-totale de sanctions quand les textes ne sont pas respectés. Comment se fait-il que la télévision nationale ait interviewé une voilée intégrale de Saint-Denis sur l’opération de police du 18 novembre – sans même se poser la question de l’image que cela donne de la loi, de la ville, de la France ?

Cette politique passe par une dénonciation sans faille de nos erreurs mentales, intellectuelles et politiciennes : assez de la conception sociologique de la culture au nom de « la différence » des cultures : elles seraient toutes aussi légitimes sur notre sol ? Ce qui signifierait que s’enfermer dans sa religion ou ses mœurs serait « bien » tandis que s’ouvrir aux Lumières et accepter les échanges serait « mal » parce que dominateur ? Assez du rappel sempiternel à l’esclavage (disparus depuis deux siècles) et du colonialisme (disparu depuis un demi-siècle). Assez de la fausse réponse par le social et « les moyens » alors qu’il s’agit d’intégration, pour vivre vraiment ensemble, au-delà du slogan aussi niais que vain « padamalgam ». Assez du « tous pareils » et du « délit de faciès » sur les violences urbaines, la radicalisation et les soupçons de terrorisme : il faut cibler les lieux et les groupes potentiellement dangereux pour être efficace et ne pas faire « comme si » tout le monde était également beau et gentil…

Il y a donc un net changement de cap mental à commencer, surtout à gauche, contre l’irénisme, la tolérance à l’intolérable et au déni fondé sur la culture de l’excuse.

Oui, l’histoire de LA France doit devenir l’histoire partagée par les nouveaux immigrés et – plus encore ! – par les descendants d’immigrés de la deuxième ou de la troisième génération. Une histoire non fermée, qui s’inscrit dans le cadre européen et mondial, qui tient compte des autres cultures et montre comment l’une s’enrichit des apports de l’autre, sans dévaloriser a priori LA nôtre. Parce qu’elle est celle qui nous crée, celle qui est inscrite dans nos institutions et nos monuments, celle qui a établi nos fameuses « valeurs » de liberté, égalité, fraternité, laïcité, etc.

Non, la fraternité n’est pas à sens unique. Les immigrés comme les jeunes doivent se faire une place dans la société – pas se mettre en dehors et rejeter le monde entier à l’exception de leur bande sectaire aux croyances arrêtées au 8ème siècle.

Le modèle français est celui de l’homme en tant qu’universel et de citoyen ayant son mot à dire en politique : pas question de ces « accommodements » à la mode dans d’autres cultures citoyennes, par exemple celle du Canada fédéral. Nous ne sommes ni canadiens, ni en fédération ; la construction européenne ne contient encore ni le Maghreb, ni la Turquie. La conception européenne du citoyen ne saurait donc être celle d’ensembles multiculturels sans passé, comme sur le continent américain.

Tout ne se vaut pas, et le discours sociologique d’égalisation des cultures dans le salmigondis commercial du tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, conduit au nihilisme. Quand tout vaut tout, rien ne vaut. Castoriadis à propos de la première du Golfe en 1991 : « À de rares exceptions près, les intellectuels occidentaux ne se comportent pas beaucoup mieux jusqu’ici que leurs confrères musulmans. La grande majorité se tait. Parmi ceux qui s’expriment, les uns cèdent au chantage de ‘l’arabisme’, de ‘l’islam’, de la ‘culpabilité de l’Occident’, ou se laissent aller à leur haine stupide de l’Amérique, quoi qu’elle fasse, quand ce n’est pas à la fascination honteuse qu’exerce sur eux les tyrans et la force brute » (p.212 d’Une société à la dérive – entretiens).

terroristes du vendredi 13

Classe moyenne aux perspectives d’avenir qui régressent, pour 67% d’entre eux, jeunes entre 15 et 21 ans pour 63%, plus ou moins traités pour dépression à 40% – si l’on en croit l’enquête de l’UCLAT – les radicaux islamistes sont à considérer comme tels : des immatures à éduquer, des paumés à encadrer, des rebelles à désintoxiquer – qui ont choisi la cause de l’islam, encouragés par les financements saoudiens et qataris, manipulés par les anciens des services de Saddam passés côté Daech contre les Chiites mis au pouvoir à Bagdad par ces imbéciles d’Américains.

Nos ennemis, après ce vendredi 13, nous les percevons clairement : les États voyous qui financent ou laissent faire, la politique proche-orientale hasardeuse et courte vue des États-Unis depuis 1980 que nous ne sommes pas obligés de suivre, la lâcheté des administrations dont celle de la Justice sur l’application des lois, la démission éducative des profs, éducateurs et autres travailleurs sociaux, le déni idéologique de nombre d’intellos, en général très médiatiques.

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