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Rosemary’s Baby de Roman Polanski

A la veille de mettre le pied pour la première fois sur la lune, l’Amérique intello s’angoisse de ce qu’elle vit sur la terre. Tout va mal depuis l’assassinat de Kennedy et la guerre du Vietnam : le Mal (biblique) est en nous. Il suffit de peu pour le révéler. Le film de Roman Polanski est tiré du roman d’Ira Levin, paru en 1967, Un bébé pour Rosemary. Ira Levin était juif athée new-yorkais, ce qui n’est pas neutre pour comprendre cette histoire.

Un jeune couple décide de s’installer à Manhattan, dans le vieux New-York dont le travelling de titre donne le contraste avec les immeubles neufs alentour. Rosemary (Mia Farrow) et Guy (John Cassavetes) sont bien un peu préoccupés de la réputation de la maison Bramford, où ils visitent l’appartement d’une vieille dame récemment décédée (mais à l’hôpital). Il se dit que les sœurs Trench y mangeaient de jeunes enfants, que le sorcier Mercato y fut et qu’une sorcière nommée Adrian y tuait les gens dans les corridors pour leur sang – tous personnages inventés, comme le building. Ce Dakota Building, qui fait office de maison Bramford, a été construit dès 1880 et John Lennon y fut vraiment assassiné en 1980. Mais Rosemary et Guy n’y croient pas, en bons Yankees de leur époque scientiste.

Sauf que : la vieille dame a mystérieusement bouché un placard par un gros secrétaire ; l’immeuble tout entier incite à faire l’amour, comme ils le font à l’emménagement par terre, dans la pièce encore vide ; la jeune fille au pair des Castevet, Terry Gionoffrio (Angela Dorian), qui l’ont recueillie dans la rue où elle se droguait et dont Rosemary a fait la connaissance à la laverie commune du sous-sol, s’est jetée du 7ème étage pour mourir, justement leur étage – mais aussi les 7 jours de la création du monde, les 7 branches du chandelier juif, les 7 péchés capitaux, les 7 sceaux de l’Apocalypse, tous symboles juifs ; Minnie et Roman Castevet (Ruth Gordon et Sidney Blackmer) sont leurs voisins de palier et s’invitent chez eux sans discuter, inquisiteurs et impérieux ; Minnie va même jusqu’à offrir un vieux bijou « porte-bonheur » à Rosemary, une boule ajourée qui contient de la racine de tanis puante (herbe inventée soi-disant venue de la ville d’Égypte du même nom), un porte-malheur plutôt car c’est le même qu’elle avait offert à sa jeune fille au pair.

Tout cela n’est pas très catholique, comme on dit en France, or Rosemary est catholique et le dit ; son jeune mari Guy ne croit pas, bien qu’élevé dans la norme protestante américaine. Il sera le passeur du Mal qu’il considère, en tant qu’incroyant, comme un fantasme. Il sera d’autant plus manipulé par les forces sectaires qu’il socialise avec elles volontiers, alléché par ses perspectives de carrière comme acteur. Roman, en effet, lui raconte les acteurs qu’il a connus et veut l’aider à obtenir son premier grand rôle. Cette naïveté, accompagnée d’une certaine lâcheté, sera fatale à sa femme et au bébé. Lequel n’est pas le sien mais celui de Satan. Ou comment vendre sa femme au diable pour obtenir des bienfaits.

Car Guy est vite appelé au téléphone pour un rôle qu’il a raté, celui qui avait été choisi étant brusquement devenu aveugle. Il devait en attendant tourner des spots publicitaires, notamment pour les motos Yamaha. Et c’est Hutch (Maurice Evans), un vieil ami de Rosemary, venu en visite dans leur nouvel appartement bien redécoré et repeint par la jeune femme, qui perd un gant et se retrouve brutalement dans le coma, d’où il ne sortira pas. Roman Castevet était venu en voisin justement au même moment. Guy l’avait prévenu… Et posséder un objet de la personne à laquelle jeter un sort est le b.a. ba de la sorcellerie.

Rosemary s’inquiète de tous ces événements, d’autant que Minnie leur offre un soir le dessert, une mousse au chocolat bien « chargée » pour elle, afin qu’elle tombe en sommeil et se laisse faire. Elle n’en mange qu’un peu et jette le reste, à l’insu de son mari qui insiste pour qu’elle finisse. Ce pourquoi elle sera à demi-consciente de ce qui lui arrivera dans la nuit. Une GHB de sorcière qui permet à Satan de venir la violer au vu et su de toute la secte. Guy prétend, au matin, que c’est lui qui s’est emparé d’elle tant il était en vigueur, et puisqu’ils voulaient tous eux un enfant. Mais, après tout, le mâle n’est-il pas « le diable » pour les angoisses féminines ? Il s’agit dans cette histoire d’un viol, d’une pénétration non consentie, même si l’époque considérait les choses autrement, le mariage étant un contrat implicite de relations sexuelles permises dès le départ.

Rosemary se retrouve enceinte, elle en est heureuse, mais la vieille Minnie, un brin vulgaire lorsqu’elle mange, ce qui révèle son caractère profond, lui conseille de laisser son gynécologue le docteur Hill (Charles Grodin) pour avoir recours, sur sa recommandation et avec des prix réduits, au docteur Sapirstein au nom yiddish (Ralph Bellamy). Lequel demande à Minnie d’offrir chaque jour à la femme enceinte une potion vitaminée de sa composition. Rosemary ressent des douleurs, mais le docteur lui affirme que c’est normal et qu’elles passeront. Dans les faits, l’épouse et future mère se retrouve entièrement sous la coupe de son mari, de ses voisins, du docteur qui lui est attribué, de la secte satanique, de ce qu’elle ingère… Elle n’a plus aucune autonomie, ses amis sont écartés, parfois au prix de leur vie. La femme n’est pas encore libérée, l’emprise est totale.

C’est qu’il s’agit de donner un fils au diable, tout simplement, tout comme la Vierge en a donné un à Dieu. Mitou ! s’exclame Satan en globish, et il va de ce pas y pourvoir, sans envoyer un ange comme l’Autre. On voit ses mains brunes et griffues caresser le corps nu et tendre de Rosemary inerte sur le lit. Mia Farrow nue se fantasme sur un bateau. Il la chevauche comme un bouc et lui enfourne sa semence jusqu’à plus soif. Son fils sera un bébé comme lui, yeux fendus, doigts crochus, pieds fourchus – toute la mythologie judéo-biblique inventée par les puritains en manque, sur l’exemple ésotérique de la Kabbale. Le spectateur peut noter que tous les sorciers passés et présents sont juifs, du couple Castevet (ex-Mercato, au docteur Sapirstein), jusqu’à l’auteur de l’histoire Ira Levin et au réalisateur du film Roman Polanski. De là à évoquer un Complot kabbaliste, l’intromission du germe juif dans le ventre d’une catholique tel le coucou dans le nid des autres, il n’y a qu’un pas symbolique. Ce contre quoi l’ami Hutch met en garde Rosemary par-delà la mort, via un livre sur le sujet qu’il lui fait parvenir par une amie : Tous des sorciers. Il y est révélé qu’un sorcier célèbre qui habitait le bâtiment et qui a été lynché par la foule, Mercato, était le père de Roman, lequel a changé son nom par anagramme.

Les sciences occultes ne sont pas des sciences mais des croyances et des savoirs rituels, il ne faut pas se laisser circonvenir par les mots. Les apparences sociales ne sont pas la réalité des êtres, et même les paranoïaques ont des ennemis. La confiance ne droit pas rester inconditionnelle, même envers son mari, ses voisins et son médecin. Se laisser enfermer par le couple, l’appartement, la sociabilité de convenance, n’est pas un bon moyen de penser par soi-même et d’être libérée des déterminismes. Le corps personnel n’est pas inviolable, or Rosemary a été carrément violée : oralement par les potions, génitalement par Satan, moralement par son mari, socialement par ses voisins, et religieusement par le diable (le Juif incarné pour les catholiques). Se souvenir qu’un an plus tard, le 9 août 1969, Sharon Tate enceinte de Roman Polanski, a été assassinée à Los Angeles par la secte de Charles Manson, un meurtre rituel. Elle avait d’ailleurs été violée par un soldat à 17 ans, comme elle le raconte à son mari en 1966, qui l’épouse en janvier 1968…

Malgré tout, Rosemary est mère et cela compte dans sa mythologie personnelle. Elle ressent le besoin naturel et social de s’occuper de son bébé, même s’il est diabolique et probablement maléfique dans le futur. Le mal est banal et ordinaire, pourquoi s’en faire ? Ne vaut-il pas mieux faire avec ? Une mère aime toujours son petit monstre.

L’histoire monte savamment en paranoïa. Tout paraît de moins en moins normal, mais à chaque fois une explication rationnelle peut fonctionner… jusqu’à la scène finale et la dépression post-partum. Le fameux placard, bouché par la vieille et que le couple a rétabli, ouvre chez les voisins sataniques et là tout se révèle à cru, la réalité soupçonnée derrière l’apparence. Le dénouement, à mon avis inutile, est bien amené avec les doutes qui se lèvent, le cœur qui s’interroge, le corps qui se rebelle – les maux pour le dire. Peut-être aurait-il mieux valu laisser le doute…

DVD Rosemary’s Baby, Roman Polanski, 1968, avec Mia Farrow, John Cassavetes, Ruth Gordon, Sidney Blackmer, Maurice Evans, Paramount Pictures France 2023, 2h17, 4K Ultra HD + Blu-Ray €32,78

DVD simple 2021, €19,79

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2 Riga musée d’art national

Dès notre arrivée, nous prenons le bus pour le musée national des Beaux-arts de Lettonie, un bâtiment du XIXe siècle. Il présente surtout de la peinture locale, principalement du début du XXe siècle. Je vois de belles choses sur la nature, les hommes, les saisons, mais rien de mondial. Il s’agit d’une peinture traditionnelle et régionale, centré sur le pays. Guita, notre guide de la journée, est purement lettone de culture mais lituanienne de nationalité. Elle parle un français chantant un peu archaïque, très clair et plutôt précis. Elle vante la sensibilité à la nature des gens de son pays, capables de manifester contre la coupe des arbres plus que pour l’âge de la retraite. C’est une sensibilité « un peu païenne », dit-elle. Elle est issue de la culture des Vieux Prussiens avant les conquêtes teutoniques et polonaises des XIIe-XIVe siècle.

Un grand escalier s’ouvre pour accéder à l’étage. Ses vitres donnent sur le parc solitaire et glacé où trois ados en survêtement font du skate à grands raclements de planche. Ils ne sont pas très doués. Le hall du premier est orné de cartouches présentant les paysages du pays, dans le style Europe centrale de tradition.

Une belle femme de Johan Nepomuks Hibers en 1845 : elle est sereine en mauve pâle sur fond de vert. La nature, les bouleaux, les lacs gelés, la neige, sont chantés par Janis Roberts Tilbergs.

Les paysages de Mihaels Aleksandrs Mihelsons, peintre du plein 19ème, sont à la fois réalistes et romantisés. Julijs Feders, à la même époque, fait de même. Il présente la nature telle qu’il la voit et la célèbre en sa natureté.

Arturs Baumanis va jusqu’à en faire une Arcadie pour des humains au naturel, demi-nus, vivant en communauté sous l’égide d’un patriarche. Johans Walters fait se baigner des enfants nus en 1904. Janis Rozentals n’hésite pas, en 1901, à peindre des enfants jubilant, au printemps, le torse nu, le garçon de 12 ans comme la fille du même âge. Ils sont amis par la nature. Leur chair chante de joie au soleil renaissant ; ils sont le cosmos qui bouillonne, la sève qui monte, la vie qui s’élance.

Le même peintre expose une mère apaisée, tenant son bébé dans les bras en 1905.

J’aime aussi ce moulin pâteux, coloré, exacerbé, d’Uga Skulme en 1936. Une maison est au fond, un bois sur la gauche ; la forêt et le vent fournissent l’énergie aux hommes. Nikolajs Breikss, en 1936, chante la marqueterie des champs et des prés aux abord d’un village, la nature domptée, adaptée à l’humain par l’humain, havre de paix et de douce prospérité… qui va être bouleversé et ravagé par la guerre qui vient et qui est déjà prévisible en cette fin des années trente.

Le printemps de Vilhelms Purvitis n’en est que plus éclatant, explosant de pétales, la vie en fleurs en 1933 encore, le tragique du végétal exubérant.

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L’audition d’Ina Weisse

Anna Bronsky (Nina Hoss) – nom juif de rigueur pour un film franco-allemand politiquement correct qui parle de violon – est une femme mûre, mère d’un garçon de 10 ans, Jonas (Serafin Gilles Mishiev) et qui découvre lors d’une audition préparatoire à l’entrée au conservatoire de musique un adolescent de 14 ans, Alexander (Ilja Monti). Remuée par son talent au violon, touchée par sa grâce maladroite d’adolescent rosissant, elle le prend sous son aile malgré l’opposition de deux de ses collègues sur les cinq. Le président Christian Wels, qui est amoureux d’elle, vote en sa faveur. Elle se fait donc professeur du jeune homme pour le préparer à l’Audition, celle qui le consacrera en fin d’année comme élève prometteur.

Dur travail qui nécessite un maintien physique, une tenue sociale, outre la parfaite connaissance des notes et des partitions – et du rythme. Chaque musicien a le sien, chaque interprète le conduit à sa manière. Le tout est d’incarner la musique, de faire corps avec elle. Pas facile lorsqu’on est encore adolescent, un corps en devenir et un esprit immature. Mais Alexander s’accroche, il aime la musique, il aime la sévérité de son professeur qui le considère, lui, et cherche à l’élever en musique. Il va jusqu’à aller sonner un soir chez elle pour travailler encore une leçon qu’il n’a pu mener à son terme, saignant du nez.

Ce qui pousse à la jalousie le gamin d’Anna, qui fait lui aussi du violon avec une autre prof du conservatoire, mais qui n’est pas reconnu pas sa maman. Lorsqu’il les voit à travers une vitre de la salle où Anne enseigne à Alexander, elle est bien différente avec son élève d’avec son fils : elle s’occupe de lui, lui met la main sur l’épaule pour le redresser, lui parle. Son père Philippe (Simon Abkarian) cherche à s’occuper de Jonas, l’emmenant au hockey, sport viril, ou dans son atelier de luthier pour travailler le bois façon artisanale. Mais le garçon est obnubilé par sa mère, son talent de violoniste, son attention pour un autre. Quand elle essaye de les faire jouer ensemble pour tenter d’amadouer son fils, la prestation de Jonas est bien inférieure et il se braque – erreur basique de pédagogie.

Anna Bronsky a été violoniste de talent dans un orchestre avant de devoir le quitter pour enseigner, atteinte d’une maladie qui fait trembler sa main. Lorsque son collègue Christian le violoncelliste, du conservatoire, l’invite à rejoindre leur quatuor pour faire le quatrième violon, Anna hésite, anxieuse, accepte puis renonce, revient – et gâche le concert en perdant son archet en plein jeu.

Perfectionniste mais désormais incapable d’atteindre l’excellence, Anna reporte son exigence sur Alexander, le poussant à bout. Elle va jusqu’à lui arracher sa ceinture de pantalon pour l’harnacher d’un poids sur l’épaule droite, qu’il garde toujours trop levée quand il joue. C’en est trop pour l’adolescent, qui se rebelle, quitte le cours a deux semaines de l’audition, et ne revient plus. Il applique cependant chez lui les conseils de sa prof et travaille désormais quatre heures par jour au lieu de deux.

Lors du grand jour, pour l’Audition, Anna ne le voit pas se présenter. Il ne répond pas non plus à l’appel de son nom. Elle se dit qu’elle a été trop loin, qu’elle l’a découragé au lieu de l’élever. Elle sort dans le couloir pour y penser. C’est alors qu’elle entend, par la porte de l’auditorium, s’élever les premières notes de la sonate pour violon numéro un de Bach, le morceau préparé par Alexander. Il est sur scène et joue – magnifiquement. Le jeune acteur de 14 ans Ilja Monti pratique le violon depuis l’âge de 5 ans et interprète lui-même la sonate, sans play-back.

Elle va pour le féliciter mais Alexander, qui la voit, s’enfuit. Il dévale les escaliers où Jonas traîne avec des copains du conservatoire. Jaloux comme un fils qui a vu sa place prise en apparence par un autre, faute d’explication maternelle, il tend la jambe pour faire un croche-pied. Son rival s’effondre sur les marches et dévale l’escalier jusqu’à se fissurer la nuque. Il est vivant mais passera des mois à l’hôpital ; peut-être ne retrouvera-t-il jamais sa mobilité. Jonas va se défouler au hockey et revient à l’appartement comme si de rien n’était. Anna n’a rien vu, ou voulu voir. Le rival n’est plus là, mais les relations en sont-elles changées ?

Comment une mère névrosée et dépitée de ne plus pouvoir exercer son talent au violon pourrait-elle enseigner valablement à des élèves tout en élevant son propre enfant ? Elle manque d’empathie, de compréhension ; son fils Jonas n’est pas sa « chose », elle l’a confié à une autre pour le violon et à son père pour l’éducation, elle ne peut en faire ce quelle veut. D’où son délaissement, malgré quelques tentatives au bord du lit pour renouer. C’est qu’elle a été elle-même élevée sévèrement, à l’allemande, à l’ancienne. Son père a volontairement plaqué la main de Jonas dans un nid de fourmis lorsqu’il a vu qu’il le fouaillait avec un bâton. Sans parole, sans explication, juste pour « lui apprendre la vie ». Elle-même reproduit avec Jonas ce qu’elle a subi. Pourtant, lorsqu’elle voit Jonas jouer avec ses camarades au conservatoire, elle s’aperçoit qu’il a un certain don. Pourquoi ne lui a-t-elle pas dit ?

Une introspection de l’Allemagne sur elle-même, son modèle familial, ses relations parents-enfants, sa propension au dressage. Un beau film peu connu, sublimé par l’adolescence d’Ilja Monti et par la prestation inquiète de Nina Ross.

DVD L’audition (Das Vorspiel), Ina Weisse, 2019, avec Nina Hoss, Simon Abkarian, Jens Albinus, Ilja Monti, Serafin Mishiev, Doriane films 2020, 1h34, €20,00 (liens sponsorisés Amazon partenaire)

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Elisabeth George, Une chose à cacher

Une bonne enquête (la 21ème) du trio bien connu Thomas Lynley, commissaire par intérim, et son équipe, les sergents Barbara Havers (grosse, laide et mal fagotée) et Winston Nkata (l’ex-racaille devenu flic et bien sapé). La série ronronne, sans aspérité, laissant les personnages figés dans leur caricature. Le lecteur n’apprend en effet rien de nouveau sur aucun d’entre eux – ils restent plus vrais que nature. Trop même, ce qui agace un brin, comme s’ils restaient dans l’ornière, gardant le même âge et la même vie.

Mais l’enquête est intéressante, plongeant à pieds joints dans le choc des cultures et le politiquement correct. Nous sommes à Londres, ce qui permet à l’autrice américaine d’oser son propos en l’attribuant à l’exotisme européen. Manière de ne pas froisser les susceptibilités exacerbées par les réseaux des Noirs woke en butte aux lois et aux mœurs des Blancs.

Car il s’agit d’un meurtre d’une policière noire, Téo Bontempi, d’origine nigériane, dont l’autopsie révèle qu’elle a été excisée dans son enfance. Une brigade spéciale de la Met, la police de Londres, a été créée pour endiguer ce fléau contraire aux Droits de l’Homme et à l’égalité entre homme et femme. Mais les coutumes ancestrales ont la vie dure et l’immigration s’en moque. Ce n’est qu’à la troisième génération, peut-être, que la raison et le droit peuvent l’emporter. L’intégration dans la communauté nationale plutôt que dans la communauté tribale est à ce prix.

Il est curieux d’ailleurs que les Offensés, qui s’effarouchent de tout manque de « respect » pour les coutumes particulières ou ethniques, combattent quand même le machisme africain et les mutilations génitales des femmes. Ne devraient-ils pas, dans leur théorie, respecter ces façons de vivre non-blanches ? Pourquoi les Blancs leur feraient-ils la morale ? Elisabeth George n’évoque pas ce dilemme, se contentant d’affirmer la loi et l’égalité au-dessus de tout.

Ce qui ne va pas de soi, évidemment. Abeo, le macho nigérien aux deux familles pour avoir le plus d’enfants possibles, signe selon lui de sa virilité, soumet sa femme Monifa et la roue de coups si elle n’obéit pas. Celle-ci, malgré les aides sociales qui lui permettraient d’échapper à son sort, est contente comme ça, pour ne pas mécontenter ni la coutume ni sa mère. Ce qui fait bouillir le fils, Tani, tout frais émoulu de ses 18 ans, qui veut protéger mère et petite sœur. Car son père veut « préparer » Simi, 8 ans, pour la marier à un Nigérian au pays, ce qui veut dire excision du clitoris au rasoir dans une arrière-cuisine, jambes et bras tenus par des tantes, et infibulation du vagin sans anesthésie pour l’empêcher d’avoir des relations avant mariage.

Tani va se battre avec son père, obliger sa mère, entraîner sa copine noire comme lui mais « évoluée », s’adjoindre la force de la police, pour sauver Simi de la mutilation afin de lui permettre d’avoir du plaisir plus tard. Quant à la victime, Teo, le traumatisme de la mutilation a été à l’origine de sa vocation. Elle a fait la connaissance d’une association de lutte qui aide les femmes nigériane et somaliennes à éviter l’excision. Est-ce pour cela qu’elle a été tuée ?

L’enquête est longue et tordue, bien menée, longuement pour faire durer le plaisir (notamment en voyage), les coupables potentiels multiples, et la fin n’est pas devinée.

Le dernier roman policier de l’Américaine, tout à fait dans l’air du temps.

Elisabeth George, Une chose à cacher (Something to Hide), 2022, Pocket 2023, 863 pages, €10,80,e-book Kindle €13,99 (liens sponsorisés Amazon partenaire)

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Bunny Lake a disparu d’Otto Preminger

Ann Lake (Carol Lynley), une jeune femme un peu nunuche, vient d’arriver d’Amérique à Londres par bateau. Elle est accueillie par Stevie (Keir Dullea), bel homme journaliste, qui joue au protecteur depuis leur enfance. Il s’agit de tout faire vite : la dépose à la nouvelle école de la petite Bunny de 4 ans (Suki Appleby), l’emménagement dans un nouvel appartement, le harcèlement du propriétaire curieux et graveleux, les courses nécessaires… Lorsque Ann va rechercher à midi sa fille à l’école, elle a disparu.

Les 4 ans descendent de l’étage et elle n’est pas avec eux. Dans les classes vides, personne. Les institutrices ne l’ont pas remarquée et celle qui devait la prendre en charge n’était pas là à l’arrivée, et est partie en urgence à midi chez le dentiste. Seule la cuisinière (Lucie Mannheim), une Allemande à l’accent yiddish, se souvient de lui avoir conseillé de la laisser dans la pièce d’accueil où est déjà un bébé, mais elle a rendu son tablier et fait sa valise pour rentrer en Allemagne par avion l’après-midi.

En fait, tout apparaît faux aux Anglais – décalé – dans le comportement du couple. Ann est agressive, elle ne comprend pas, son comportement « américain » est anormal pour les mœurs anglaises. D’ailleurs, elle n’est pas mariée et Steve, qui l’accompagne, est son frère. Le papa n’existe pas, Ann est fille-mère, ce qui reste indécent dans la société européenne du début des années soixante.

Le frère s’en mêle, il parle haut, logique et ferme. Cette école est un foutoir, on y entre comme dans un moulin, les institutrices ne savent même pas qui est là ; il menace de faire son métier de journaliste et de révéler ces carences publiques. La police est alertée et le superintendant (commissaire dans la version française) Newhouse (Laurence Olivier) mène l’enquête – avec pléthore de moyens et diffusion d’un appel à la télé. Mais il faut se rendre à l’évidence : pas de Bunny Lake. Ses affaires à l’appartement ont disparu – il ne subsiste aucune trace d’elle. Personne ne l’a vue – à croire qu’elle n’existe pas.

C’est le propos que rapporte la « sorcière » du dernier étage, l’ancienne directrice dont l’appartement est au-dessus de l’école et qui ne sort plus guère. Confite dans sa bonbonnière, elle prépare un « livre » sur son expérience des enfants, leurs cauchemars, leurs inventions, leurs fantaisies. Pour elle, tout est possible. Stevie lui aurait dit qu’Ann sa sœur avait, petite, inventé une amie imaginaire qu’elle prénommait Bunny. Ce n’est pas rare chez les enfants ; c’est un signe pathologique chez une adulte. Ann, mère célibataire très attachée à son frère serait-elle fabulatrice ou dérangée ?

Newhouse va éplucher les listes d’arrivée du bateau indiqué : personne. Ni la mère, ni la fille. Les quelques passagers débarqués qu’on a pu retrouver ne se souviennent pas d’une petite fille. Normal, dit la mère, Bunny était enrhumée et je ne voulais pas qu’elle sorte. Mais est-ce la bonne date d’arrivée ? Ann a déclaré avoir passé cinq nuits dans la grande maison prêtée par un ami de Stevie absent, le temps de trouver un appartement. Non, corrige le frère, quatre nuits seulement.

Ce petit détail va tout faire basculer. Outre qu’Ann se souvient d’une poupée donnée à réparer dans une boutique spécialisée de Londres, nommée Hôpital des poupées. Elle s’empresse d’aller la chercher comme preuve le soir venu. Sauf que tout ne se passe pas comme prévu… Elle se retrouve à l’hôpital et doit fuir de nuit discrètement.

L’opiniâtreté de la mère faussement nunuche et la sagacité du superintendant faussement sceptique vont résoudre l’affaire et mettre au jour la psychose d’un personnage que l’on ne croyait pas si atteint. Le groupe de rock anglais The Zombies, créé en 1961 quelques années avant le tournage, rythme l’histoire sombre par des apparitions à la télévision, montrant combien la société anglaise se remet peu à peu de sa dépression post-guerre mondiale avec le tumulte grandissant des baby-boomers.

Preminger n’est pas Hitchcock mais l’intrigue est bien menée et la chute inattendue. Ce ne sont pas les scènes qui font monter la tension, ce sont les personnages qui sont de moins de moins nombreux à être soupçonnés et apparaissent de plus en plus tendus. Tout est logique dans ce film noir mais le spectateur se laisse embarquer dans des impasses successives.

DVD Bunny Lake a disparu (Bunny Lake Is Missing), Otto Preminger, 1965, avec Laurence Oliver, Carol Lynley, Keir Dulea, Wild Side Video collection les Incontournables du cinéma, 1h43, €19,21

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Musée Frans Hals de Haarlem

Il est situé dans un hospice de 1608 aux salles dallées de marbre lisse, racheté en 1908 par la municipalité pour y loger les collections d’art néerlandais des XVIe et XVIIe siècles, dont les biens des couvents, congrégations ou institutions religieuses catholiques de la ville, confisqués après 1578.

Frans Hals a fait le portrait des administrateurs, ou régents, un homme pour les vieux et une femme pour les vieilles. Le peintre s’était spécialisé dans ce que voulait sa clientèle : du portrait, le plus souvent collectif.

Les officiers des arquebusiers sont attablés pour leur banquet annuel et le peintre les a rendus vivant grâce aux couleurs de leurs habits, à la diversité de leurs expressions et aux bonnes choses à manger sur la nappe.

Les régents et régentes de l’hospice de vieillards sont au contraire en vêtements noirs et ont l’air austère. Un gamin à la bonne bouille ronde s’esclaffe dans un recoin.

Le guide nous donne quelques clés de lecture des tableaux. Les personnages qui regardent le spectateur sont les notables. Les gens les plus importants sont ceux qui sont assis. La diagonale guide le regard et la perspective est donnée par la table ou par la position des pieds de ceux qui sont représentés. Les mains sont assurées sur les accoudoirs et en bord de table, ou bien accueillantes et ouvertes, dirigées vers le spectateur pour l’inviter à participer, ou encore affectives, placées sur le cœur pour témoigner de sa bonne foi.

Les Douze membres de la Fraternité des pèlerins de Jérusalem, peints par Jan Van Scorel en 1528, alignent leurs têtes. Celles-ci étaient peintes et disposées au dernier moment selon la hiérarchie des Importants : ceux qui vous regardent le sont plus que ceux qui ne vous regardent pas. Chacun est surmonté de son blason pour bien les reconnaître.

Frans Hals, en peignant en 1541 les Régents de l’hôpital St Elisabeth, a fait qu’aucun des personnages ne regarde le spectateur, ni ne se préoccupe du dernier arrivé ; tout se concentre sur le Régent assis en bout de table, toutes les mains vont vers lui et les siennes ont un mouvement d’enfermement sur sa personne. C’est un instant suspendu, comme surpris, un instantané. Le tableau est beaucoup plus vivant que l’alignement de têtes pur et simple.

Ces tableaux étaient exposés soit à l’entrée des hospices pour inspirer confiance, soit à l’entrée des guildes de commerçants pour donner une idée de l’importance et de la prospérité de ceux avec qui l’on venait signer des contrats commerciaux. Chacun connaissait les codes et pouvait ainsi savoir à qui il avait à faire avant même de le rencontrer.

Frans Hals n’a par exemple pas été tendre avec les vieilles régentes de sa fin de vie lorsqu’il a peint, à plus de 80 ans, les Régentes de l’hospice des vieillards en 1664. Il a dû se retirer à l’hospice lorsqu’il fut tombé dans la misère et a peint un tableau commandé par les régentes. Il ne les aime pas et les peint de façon très réaliste, sinon lucide : elles sont plutôt un repoussoir.

Outre les Frans Hals, on y voit aussi le Triptyque de la Naissance, de la Flagellation, de la Crucifixion et de la Résurrection du Christ d’un suiveur d’Hans Memling.

Une Madone au Bambin blond.

Le Mariage de Thétis et Pélée avec profusion de personnages à poil de Cornelis Cornelisz van Haarlem

Le Moine et la Béguine où un moine pince le sein d’une nonne devant le raisin et le vin (tous deux de 1591).

Un Massacre des Innocents montre de jeunes enfants torturés et égorgés, hurlant, tandis que les corps musculeux nus des mâles qui les massacrent arborent des fesses et des torses en pleine euphorie sexuelle. Le contraste est un raffinement de sadisme, mêlant la cruauté au plaisir dans un paganisme tourmenté.

Une Tentation de saint Antoine de Jan Mandijn (1555) est, à la Jérôme Bosch, un grouillement de bestioles infernales issues de l’imagination enfiévrée de l’ermite continent qui peine à se concentrer sur sa Bible.

Jan de Braij peint en 1663 Peter de Braem et sa famille, accueillis par le Christ qui déclarait : « laissez venir à moi les petits enfants. » Il y a en effet profusion de petites filles blondes, outre deux garçons adultes.

La mère et l’enfant de Peter de Grebber (1622) reprend les codes de la Vierge à l’Enfant, mais version protestante, terre-à-terre : il s’agit d’une véritable mère qui donne le sein à son bébé déjà grand, tout en lisant un livre. Le démarquage du catholicisme se fait avec le livre – petit pour une Bible – et la coiffe de la femme – qui évoque l’auréole de Marie.

J’aime bien l’Accueil des enfants à l’hospice de charité pour les orphelins de Jan de Braij en 1663. Il figure trois des sept vertus de charité : nourrir les affamés, abreuver ceux qui ont soif, vêtir ceux qui sont nus. Un robuste gamin de 12 ans, en premier plan sur la droite, a déjà ôté toutes ses guenilles pour commencer à enfiler une culotte ; son copain vis-à-vis, déjà vêtu, s’enfile avidement de la nourriture dans la bouche.

La Partie à l’intérieur de Dirk Hals en 1628 met en garde le spectateur contre le libertinage, la gaieté et la fièvre du jeu en présentant des personnages rigolards, paillards et soiffards qui braillent, éclusent et se bâfrent dans un tintamarre de plats heurtés et de viole. Pendant ce temps, un couple de petit garçon et petite fille, tous deux vêtus comme les adultes, se prennent la main au-dessus d’un gros chien placide aux yeux fatalistes. C’est truculent et plein de vie.

Pieter Brueghel II, en 1625, peint ses fameux Proverbes hollandais dans un village imaginaire : humains et animaux font ce qu’il ne faut pas faire et mettent le monde sens dessus-dessous. Près de 90 proverbes moralisateurs sont ainsi illustrés et l’on passe plusieurs minutes à les chercher et les deviner. Il y a : jeter l’argent par les fenêtre, tenter de faire de l’ombre au soleil, qui trop embrasse mal étreint, tondre la laine sur le dos, et ainsi de suite.

En face, la Maison de poupée de Sara Rothé van Amstel, du XVIIIe siècle, donne une idée des Intérieurs de maison dans la bourgeoise marchande prospère. Au rez-de-chaussée la cuisine d’un côté de l’entrée, la salle à manger de l’autre, au premier étage le salon et la bibliothèque, au second étage les chambres, au dernier étage les cellules des bonnes et nurses.

Les natures mortes me ravissent par leur minutie et par le traitement de la lumière. Elles ont un sens moralisateur, montrant la brièveté de la vie qu’il faut saisir à pleines dents, l’huître encore vivante offerte à la mort sans coquille, un citron à demi-épluché doux en apparence mais astringent aux gencives, comme la vie. Les fleurs vives se fanent, la nourriture se gâte, la belle argenterie se ternit. La tarte aux mûres de la nature morte peinte par Willem Claeszoon Heda (1660) est crevée et dégouline de fruits cuits parfaitement morts. Les harengs sont fumés et le gibier faisande. Parfois est ajouté un crâne pour insister sur le symbole.

La nature morte aux fruits, noix et fromages de Floris van Dijck, peinte en 1613, offre du dessus un empilement de fromages flanqués de fruits et de pain, une épluchure pendante au premier plan. Le tout soigneusement coloré, de façon à sentir la texture de chaque bonne chose. Le guide nous fait remarquer que souvent les plats sont en déséquilibre, on dirait qu’ils vont tomber. C’est une façon de happer le spectateur qui a le réflexe immédiat de tendre la main pour le rattraper.

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Hélène Rumer, Mortelle petite annonce

Un bon roman à suspense écrit de façon originale. Tout part d’une petite annonce pour trouver une baby-sitter pour enfant de 5 ans, nourrie à condition qu’elle prépare les repas et logée dans un studio de 25 m² indépendant à côte de la grande maison dans un parc. Résumé par « un commandant » de police, il s’agit « d’un truc bien glauque dans une ville bien bourge » (p.166). On dirait plutôt les propos d’un adjudant, qui jadis menait les enquêtes, aujourd’hui, il faut qu’il ait au moins le grade de commandant – à quand le général ? L’histoire commence donc par un massacre en pleine nuit d’une famille aisée de Versailles avec trois enfants, par le père lui-même, au bout du rouleau. Un drame à la Dupont de Ligonès avec famille catho tradi, modèle maths-sup pour les garçons et machisme ambiant dans le couple.

Seule la baby-sitter en réchappe, puisqu’elle devait partir pour une semaine de vacances et que son train vers l’ouest a été supprimé par la SNCF pour « travaux » jusqu’au lendemain matin. Les éternels « travaux » de la SNCF qui, comme Sisyphe, pousse chaque année son rocher pour recommencer l’année suivante parce qu’il a dévalé. Laurie est décalée, issue d’un milieu populaire et élevée par sa mère seule, une égoïste inculte. Mais elle s’est attachée au petit dernier, Paul dit Polo, 5 ans, qui manque d’amour à la maison.

En effet, le père travaille beaucoup dans la sécurité informatique pour une société d’armement et n’est pas reconnu par son N+1, pervers narcissique typique. La mère est prof de maths mais en dépression depuis huit ans pour avoir perdu une petite Pauline de quelques mois à cause de la mort subite du nourrisson. Les deux autres enfants sont des mâles de 17 et 15 ans qui gardent leurs distances avec la jeune baby-sitter, poussés par leur père vers les maths et la physique, et engueulés pour leurs résultats pas toujours en progression.

S’ajoute à ce tableau de stress et d’amertume le fantôme d’un mystérieux « Nicolas » dont personne ne veut parler, et dont la chambre occupée un temps à l’étage a été condamnée, laissée en l’état et fermée à clé. Sauf qu’une fuite d’eau, due à une branche tombée du cèdre sur le toit lors d’une tempête versaillaise, exige son ouverture, ravivant des souvenirs qu’on aimerait mettre sous le tapis.

L’histoire est racontée par les témoins du drame, les principaux personnages de la famille, la baby-sitter la tante, les voisins, le commandant de police, des amis, des témoins au travail. Elle progresse ainsi par des visions croisées, partielles et complémentaires, dévoilant à mesure le drame de couple complexe qui s’est joué.

Le père a toujours été fêtard et flambeur, il est rattrapé par sa propension aux addictions en sombrant dans l’alcoolisme, d’autant que ça va mal dans son couple, mal à son travail, mal avec son banquier – et mal dans sa tête. Curieuse façon d’écrire, il « ouvre une bouteille de scotch ou de whisky » (p.94), comme si le scotch n’était pas un whisky d’Écosse – dirait-on « un scotch-terrier ou un chien »… ? Le père se sent coupable du naufrage qui vient, de plus en plus coupable.

La mère subit la violence de l’alcoolique qui sert d’exutoire aux frustrations, d’autant qu’elle reste passive, dans son rôle tradi de catho effacée, bien que n’étant pas mère au foyer. Ses enfants sont des garçons, ce pourquoi elle n’intervient pas pour eux. Laissé sans échanges sur l’oreiller ni à table, fautif d’avoir eu un moment de colère qui a fait rompre les ponts à « Nicolas », le père monte en pression. Son épouse et mère ne sert à rien, ni de raison ni de soupape, elle ne songe au contraire qu’à le fuir, dénier les problèmes, divorcer peut-être malgré la réprobation sociale catholique bourgeoise de la ville. Chacun se révèle victime et coupable, tournant en rond dans le huis-clos familial, accentué par les confinements Covid.

C’est l’impasse, donc le drame. Quand tout repose sur les épaules du père, accusé un peu vite de machisme par le féminisme d’ambiance, quand l’épouse reste sans rien tenter ni dire, préférant le confort mental de sa dépression et ses médocs adjuvants, quand les garçons n’osent pas dire ce qu’ils veulent et s’opposer – il finit par craquer. A l’effarement de Laurie, qui en parle au moins avec son psy. Les non-dits des souffrances sont ravageurs pour la personnalité, qu’on se le dise.

Oui, c’est un bon roman à suspense, original.

Hélène Rumer, Mortelle petite annonce, 2023, Pearlbooksedition Zurich, 201 pages, €18,00

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

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Mary Higgins Clark, Douce nuit

C’est un conte de Noël. Un conte policier avec un enlèvement d’enfant, et un conte catholique où la prière et saint Christophe sauvent le gamin, comme le saint a porté le Christ. Tout pour faire une belle histoire, avec du sentiment et un peu de suspense, même si la lectrice (majoritaire chez MHC) « sait » que ce sera une happy end. Malgré cela, la mayonnaise prend et le savoir-faire de la narration envoûte ; la nuit est douce à consommer le livre.

« C’était la veille de Noël à New York » est la première phrase. Catherine, une mère gourde, toujours à « oublier », à craindre et en général à penser à autre chose qu’à l’instant présent, emmène ses deux fils, Michael et Brian, 10 et 7 ans, voir les vitrines de la Cinquième avenue et le sapin illuminé. Un violoniste de rue chante Douce nuit et la gourde saisit son portefeuille trop garni – car elle a « oublié » de laisser la liasse de dollars à la maison – pour donner un billet à chacun des enfants afin de donner au musicien. Michael y va, Brian tarde. Il s’aperçoit que sa gourde de mère a laissé tomber le portefeuille à côté de son sac, toujours ailleurs, jamais à ce qu’elle fait.

Et une femme le ramasse, hésite et part avec. C’est une pauvre, elle en a besoin, mais a un peu honte quand même pour la morale. Brian la suit car il veut surtout récupérer la médaille de saint Christophe, grosse comme une pièce de 1 $ et suspendue au bout d’une chaîne, qui a sauvé son grand-père d’une balle allemande durant la Seconde guerre mondiale. Granny l’a donnée à maman pour quelle la porte à son mari qui est son fils, hospitalisé pour une grave opération. Elle « croit » qu’elle peut le sauver, elle a la foi et Brian veut partager la même.

Le petit garçon de 7 ans disparaît donc en suivant Cally qui revient chez elle. Un minuscule appartement miteux où elle vit avec sa fille de 4 ans, venant tout juste de sortir de prison pour avoir aidé son vaurien de frère Jimmy à fuir la police. Or le vaurien s’est évadé le jour même, blessant à mort un gardien. Il compte une fois de plus sur sa sœur pour lui donner des vêtements civils et quelque argent. Brian est là au mauvais moment.

Alors qu’il écoute à la porte, Jimmy l’entend, l’attrape et le menace. Il apprend par le gamin que Cally a un portefeuille bien garni qui ne lui appartient pas et s’en empare. En tombant, la bourse laisse échapper la médaille que Brian accapare pour se la passer au cou sous son pull, directement sur sa poitrine. Jimmy l’emmène avec lui comme otage pour museler sa sœur, l’avertissant que, si elle prévient la police qu’il est passé, il tuera le gamin d’une balle dans la tête.

Et la cavale commence pour Jimmy et Brian, et le calvaire commence pour la maman et Michael. Après avoir claironné qu’il voulait joindre le Mexique, Jimmy part naturellement vers le Canada, plus proche. Il vole une voiture à des bobos insouciants. Brian a peur mais se dit que s’il parvient à se jeter par la portière… Sauf qu’il y a de la neige et que les voitures mal conduites font des tête à queue. Jimmy conduit bien, il a bricolé des voitures dès l’âge de 12 ans, et sa manœuvre empêche Brian de mettre son dessein à exécution.

Il faudra des heures avant que Cally ne se décide enfin à appeler l’inspecteur de police qu’elle connaît pour lui révéler où va Jimmy et qu’il a pris avec lui le gamin disparu, recherché partout à la télé. Elle cède à l’émotion de la gourde, pardon, de la mère, qui n’a rien surveillé, rien vu, rien pensé. Elle ne fait que culpabiliser et pleurer. C’en est écœurant. A croire que seul le père hospitalisé est l’élément stable de la famille et que sa femme est une incapable de naissance. Michael, 11 ans, est comme son père, il guide sa mère devant les médias de façon raisonnable pour un garçon de son âge.

Après moult péripéties de savoir qui a vu qui et quand, du shérif local astucieux et des supérieurs pas idiots, tout se terminera par un doux carambolage et Brian sera sauvé. Non sans avoir provoqué lui-même l’accident en balançant la fameuse médaille de saint Christophe dans l’œil du ravisseur, s’aidant afin que le Ciel l’aide. C’est mignon, édifiant, catholique. On applaudit le gamin de 7 ans qu’on serait fier d’avoir comme fils.

Un roman qui se lit bien, malgré la niaiserie de la mère. Dans le froid glacial de l’hiver new-yorkais, l’espoir demeure dans l’église illuminée et pleine de monde en prières. Un polar de la foi, un policier de Noël.

Mary Higgins Clark, Douce nuit (Silent Night), 1995, Livre de poche 2004, 187 pages, €7,70, e-book Kindle6,49

Les romans policiers américains de Mary Higgins Clark chroniqués sur ce blog

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Thierry Gineste, Souviens-toi de moi dans les ténèbres

L’auteur de Victor de l’Aveyron, dernier enfant sauvage premier enfant fou, publié en 1983, n’a pas fait des recherches ni écrit ce livre par hasard. L’enfance abandonnée est le thème de son livre, le thème de sa vie. Car Thierry, quatrième d’une fratrie de cinq enfants (dont quatre filles) n’a pas connu son père, mort lorsqu’il avait 2 ans. Il a sauté sur une mine en Indochine à la tête de sa section,lieutenant légionnaire. Quant à sa mère…

C’était une foutraque dépressive, fille égocentrique trop gâtée autoritaire, issue d’une mère fille unique égocentrée autoritaire. Elle a « déporté », dit l’auteur en utilisant exprès ce mot fort, les cinq enfants en les égrenant successivement à 6 ans dans des pensions militaires – gratuites – et ne les a vus qu’épisodiquement. L’été, tous parqués en colonies de vacances « pour leur bien » – mais surtout pour le sien.

L’auteur n’est pas tendre pour celle qui aurait dû le protéger et l’aimer mais qui l’a laissé sur le bas-côté, toute à ses plaisirs intello-lesbiens. Car, si elle n’a pas été capable d’avoir même le bac, elle s’entichait de littérature et voulait vivre dans l’idéalisme. En piétinant l’existence’ des autres, notamment de ses enfants. L’auteur hésite d’ailleurs curieusement sur le nombre de sa fratrie, passant de cinq (p.14) à quatre (p.16) au fil des pages, puis revenant à cinq, ou quatre. Mais la matriarche est dépeinte telle qu’en elle-même n’a jamais su se voir : « Les tyrannies de son univers psychique, ses excentricités, ses excès, ses incertitudes émotionnelles, ses fréquentations tumultueuses et bigarrées, auquel l’incertain semblait ajouter, pour elle, une fascination irrésistible et hypnotique, l’ivresse de ses rêves, en magnifiant les défaillances psychologiques communes à son clan, m’ont brisé le cœur » p.180.

L’enfant Thierry n’a pas connu « la résilience », cette tarte à la crème des nouveaux psy qui croient ainsi mettre sous le manteau les souffrances en inversant la responsabilité – en oubliant qu’il faut un tuteur à toute résilience. Adulte, il a voulu se « reconstruire » en retrouvant l’histoire personnelle de son père, trop tôt disparu. C’était un homme ouvert, cultivé, généreux, aimé de ses hommes – et de sa femme. Mobilisé en 1940, il s’est engagé dans l’armée malgré la défaite. Il a servi d’instructeur dans les maquis durant la Résistance et a opéré des coups de main contre les Allemands ; il a été pour cela décoré. Il a suivi l’armée de Lattre au-delà du Rhin puis a cherché à intégrer le service actif malgré le snobisme des militaires de carrière qui ne l’ont pas félicité, jaloux de ses états de service. Ce pourquoi il a été envoyé en Indochine.

Il a aimé ce pays et ses habitants, a envoyé des photos successives de ses découvertes à sa femme et entretenu une correspondance abondante que l’épouse, une fois vieille, a lacérée, coupant ainsi les enfants des souvenirs de leur père. C’est par hasard, et par un coup d’audace que l’on aurait aimé plus fréquent, que le seul fils de Paul le Légionnaire a sauvé de la destruction maternelle un cahier de récit sur ses début en Indochine. Ce qui lui a permis de remonter sa trace dans les archives militaires et grâce à des témoignages – émouvants – de ses compagnons de l’époque.

Pour le fils qui n’avait pas 4 ans à la mort de son père, ces états de services glorieux le remettent dans son histoire et compensent les errements de sa mère comme la maltraitance psychique infligée par ses abandons. « Quant à moi, je n’ai jamais trouvé d’autre étayage contre l’interminable chagrin de la disparition de mon père et de ce qu’elle engendra depuis mon exil en pension, que de devenir médecin, ni contre les folies affectives et les débordements psychiques de ma mère, que de devenir psychiatre » p.220.

En 2024, il y aura un demi-siècle que la France s’est retirée d’Indochine après l’inepte défaite de Diên Biên Phu due à l’incapacité stratégique du général Navarre. Si le général Leclerc était envoyé par De Gaulle en 1946 pour chasser les Japonais et les Chinois qui occupaient la région avec la complicité de l’administration pétainiste, son départ, comme celui de De Gaulle du gouvernement, inverse la situation « J’ai recommandé au gouvernement la reconnaissance de l’État du Vietnam, il n’y avait pas d’autre solution », a écrit Leclerc. Les gouvernements de la IVe République n’en ont pas tenu compte, empêtrés dans la corruption et l’instabilité ministérielle. Trente mille soldats sont donc morts pour rien lors de la guerre d’Indochine, pour des politiciens incapables et spéculateurs. Le trafic de piastres a sévi durant de longues années comme le rappelle Pierre Lemaitre dans son récent roman Le grand monde (chroniqué sur ce blog).

Thierry Gineste, Souviens-toi de moi dans les ténèbres, 2023, éditions Les impliqués www.lesimpliques.fr, 227 pages, €21,00

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

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Colette, Sido

En quelques dizaines de pages, Colette à 56 ans évoque sa famille. Sa mère en premier, Sido (pour Sidonie), puis son père, le Capitaine, enfin ses deux frères aînés, les Sauvages. La sœur aînée n’apparaît qu’évanescente, déjà partie de la maison quand Colette était enfant.

La mère, c’est la province opposée à Paris. Non par jalousie car Sido va volontiers à la capitale et montre de la curiosité, mais parce qu’il y manque les jardins. Le jardin, est la deuxième caractéristique de Sido. Elle aime les fleurs, les bêtes, le climat. Tous les points cardinaux sont sollicités, l’ouest d’où vient la pluie, l’est d’où vient le vent froid, le sud où est le voisin et le nord la voisine. Sido savait tout, aimait tous, critiquant volontiers tel ou tel. Laïque, terrienne, pragmatique, elle était partisan du « ne touche pas » – pour que l’enfant y touche, la curiosité alerte et les sens en éveil.

Le père, c’est autre chose. Amputé de guerre, glorieux capitaine, il parle peu mais se met en grandes colères. Il idolâtre sa femme et volontiers sa dernière fille, mais il est taiseux, comme ses fils. Il est méconnu. A sa mort, on découvrira plusieurs tomes de ses œuvres… bien reliées, mais dont il n’existait que le titre. Il aurait voulu écrire, par impuissance il n’a rien fait.

Les deux frères sont l’orgueil de Colette, même s’ils sont trop grands pour qu’elle les connaisse vraiment durant l’enfance. Longs, osseux comme le père, ils vaguent à l’aventure, font des farces, s’entendent comme larrons en foire. Le premier fera médecine, le second scribe, trop paresseux pour utiliser ses dons musicaux. Pourtant, à 6 ans, il savait reconstituer au piano tous les airs d’orphéon qu’il avait entendus à la fête.

En bref un hymne au village, à la nature, à la mère, à la famille, par une femme sur le retour qui a beaucoup vécu. Un parfum de nostalgie.

Colette, Sido, 1929, Livre de poche 1991, occasion €19,99, e-book Kindle €2,49

Colette, Œuvres, tome 3, Gallimard Pléiade 1991, 1984 pages, €78,00

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Michel del Castillo, Tanguy

Né en 1933 en Espagne, Michel porte le nom de sa mère issue d’une riche famille espagnole car son père, Français, n’a pas voulu de lui et s’est séparé. Maman est républicaine sans être « communiste » (injure facile de ce temps d’intolérance et de haine) mais elle est forcée à fuir en France à cause des républicains pour s’être inquiétée du sort des prisonniers faits par eux. Aidée un temps par le père de son enfant, elle ne résiste pas à l’attrait du militantisme et est internée en camp de républicains espagnols en France, avec son fils. A l’arrivée des Allemands, elle veut fuir au Mexique mais laisse le gamin au passeur catalan avant de joindre Madrid, d’où elle se désintéressera de son sort.

Tanguy est un double de Michel, sans être tout à fait lui, ainsi que le dit l’auteur dans sa longue et bavarde préface de 1994, bien loin du style du roman paru en 1957. Je prie le lecteur de ne lire ce pensum préfacier qu’après avoir lu le texte lui-même, car il aurait une mauvaise impression.

Tanguy est un enfant sensible qui n’a connu que des ruptures affectives, ce pourquoi il aime sans condition et accepte l’amour sans condition – y compris celui des garçons. Son père était trop lâche, imbu de « respectabilité » sociale, pour accepter ce fils qu’il n’a pas désiré ; sa mère était trop lâche, imbue de « justice sociale » (pour les autres mais pas pour son enfant) et trop emplie de haine de classe pour être tout simplement humaine. Lui n’a pas répondu aux appels au secours de Tanguy ; elle l’a abandonné de ses 9 ans à ses 18 ans sans même chercher à savoir ce qu’il était devenu dans la tourmente de la guerre. Et c’est Tanguy qui l’a recherchée, après avoir trouvé son père.

Son destin est simple : pris avec des Juifs, lui qui ne l’était pas, il a été interné en camp de concentration en Allemagne malgré ses 9 ans. Il n’a dû son salut qu’à l’amour de Günther, jeune et « très beau » prisonnier allemand interné avec les autres car probablement homosexuel, en tout cas pas dans les normes de la Nouvelle Allemagne aryenne et nazie. Libéré à 13 ans, le garçon a été renvoyé en Espagne après un trop bref séjour en France parce que son père, ne l’ayant pas reconnu, n’en a pas fait un Français. Là, fils de républicaine « rouge », il a été enfermé au bagne des Frères, une maison de redressement tenue par des prêtres catholiques férus de fouetter nus les garçons dans les douches, de les punir sadiquement, et de violer les 8 à 13 ans qui leur plaisaient en piquant l’un ou l’autre au gré des soirées. Tanguy va s’évader à 16 ans avec Firmin, un « parricide », qui a fait la peau de son père, ivrogne sans travail qui battait sa femme et son fils, incitant ce dernier à se prostituer pour rapporter de l’argent. Tout un univers ancien régime de mâle dominant et pervers, où femmes et enfants ne sont que des objets, situation bénie alors par la sainte Église et par le régime autoritaire.

L’attrait de Tanguy est que l’enfant traverse les épreuves comme immunisé contre le mal. Il ne le voit pas, le ressent à peine dans sa chair. Il est comme les gamins de Dickens, miraculeusement au-delà des travers et méchancetés humaines pour ne garder que l’amour – qui existe aussi parmi les hommes. Quant à Dieu… N’en déplaise aux croyants, l’hypothèse de son existence n’a aucune utilité dans sa vie. Mieux vaut un padre réel qui écoute ou une veuve humaine qui compatit. A Tanguy qui avouait au Père jésuite qu’il n’était pas sûr de croire en Dieu, l’homme bon a répondu : « Laisse en paix ses histoires !… Mange, dors, joue, étudie, ne mens pas, sois bon avec tes camarades, travaille, agis loyalement. Quand tu auras fait toutes ces choses, et qu’en plus tu te sentiras capable d’aimer ton prochain jusque dans tes actes, alors demande-toi si tu crois en Dieu ; pas avant. La plupart de nos « croyants » cessent de se comporter en croyants dès qu’il s’agit de donner 1000 pesetas »  p.251.

Une parole de sagesse, qui est le bon sens même, bien meilleure que ce « moralisme chrétien, dolent et sentimental » inculqué alors par la société catholique, selon l’auteur (p.12). Le mal existe, la jouissance de la souffrance des autres et de leur humiliation, des nazis en camp aux pères catholiques en maison de redressement, de papa qui refuse son rôle à maman qui néglige le sien. Une naïveté qui fait la fraîcheur de ce roman, une sorte de mythe impossible à vivre dans la vraie vie.

Ce pourquoi notre société qui refuse le réel le conseille en lecture aux collégiens, poursuivant l’irénisme béat du tout-le-monde-il-est-beau-et-gentil qui sévit trop volontiers dans l’éducation « nationale ». En témoignent les « réactions » à la mort d’un professeur de collège, Dominique Bernard, tué trois ans après Samuel Paty : on se propose de discuter, « échanger » (quoi ?), de blablater sans fin dans des communions collectives de lamentations et de « recueillements » face aux fanatiques qui tuent au couteau – au lieu de se demander quelles solutions concrètes et efficaces il y aurait lieu de prendre. Mais surtout « ne pas » ! Ne pas assimiler, ne pas exagérer la réponse, ne pas humilier, ne pas… Donc on ne fait rien, en « priant » (laïquement) qu’en laissant tout en l’état rien de grave n’arrive plus – jusqu’au prochain meurtre.

C’est pourquoi ma lecture de ce roman célèbre est mitigée. Jeune, j’ai adhéré dans l’émotion et l’empathie aux malheurs de ce petit garçon jeté aux lions ; mûr, je me demande si la morale de l’histoire est la bonne, si la moraline chrétienne d’ambiance est encore de mise. Le monde est dur, la société se durcit, les humains se murent dans leur ego et leur nationalisme. Ni l’Occident, ni les États, ni les sociétés éclatées ne sont plus en mesure d’imposer une morale saine. Il faut voir les situations et les gens tels qu’ils sont, leurs ressentiments, leur haine attisée par des trublions trotskistes convertis à l’islamisme par tactique électoraliste comme Mélenchon. Le Tchétchène Ingouche expulsable en 2014 et dont « les zassociations » ont eu pitié, a tué en 2023, pour « commémorer » le Tchétchène islamiste qui a égorgé Samuel Paty. Les zassociations de pauvres âmes – pas si belles qu’elles le croient – sont responsables ; tout comme les fonctionnaires des diverses administrations qui se contentent de fonctionner au prétexte que « la loi » les empêche d’agir. A quoi cela sert-il, le « fichage S », s’il y a plus de 10 000 noms dans les fichiers ?

C’est tout cela qu’évoque finalement Tanguy aujourd’hui, ce roman d’une autre époque. Sa candeur un peu niaise envers le mal, qu’il accepte comme un destin, doit nous faire réagir.

Michel del Castillo, Tanguy, 1957 revu 1995, Folio 1996, 338 pages, €9,20

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Colette, La naissance du jour

Colette, en 1927, passe l’été dans sa petite maison de la baie des Caroubiers à Saint-Tropez, village de pêcheur encore inconnu des touristes. Elle la nomme Treille muscate à cause de ses vignes. Elle a 54 ans et débute son troisième mariage, avec Maurice Goudeket – de quinze ans plus jeune qu’elle.

La naissance du jour est une œuvre de transition, entre autobiographie romancée et roman à réminiscences biographiques. En effet, si Colette parle de sa mère et évoque des « lettres », elle en invente plusieurs et réécrit les vraies ; si Colette est la narratrice, la narratrice n’est pas tout à fait Colette ; si Colette évoque sa petite maison en Provence avec réalisme, tout comme ses chiens et chats et ses plantes, elle invente les personnages d’Hélène Clément et de Valère Vial. Non sans emprunter toujours quelques traits à la réalité, comme les quinze ans d’écart de Vial avec la narratrice qui évoquent les quinze ans d’écart avec Maurice Goudeket. Mais l’œuvre est neuve, ce pourquoi elle a eu beaucoup de mal à en accoucher, et que son style s’en ressent, trop recherché, parfois ampoulé.

Ce qui fait son charme est le mélange des genres. La réminiscence de maman, le sentiment de vieillir, le désir qui s’éteint, la sensualité de la nature, l’amour apaisé. Proust venait juste de publier le premier tome de sa Recherche et Colette en avait été impressionnée. Mais elle n’est pas Proust, trop réaliste et insérée dans le vivant. Ce « je qui est moi et qui n’est peut-être pas moi », écrivait-elle dans un brouillon (cité p.1378 Pléiade). Colette explore son présent en y intégrant son passé pour avoir l’illusion de maîtriser sa vie – fort agitée.

Un élément de la réalité interpelle une réminiscence et, par sympathie, l’écriture procrée une œuvre. Jusqu’à inventer des personnages en les composant de réalité, ce qui influera sur la réalité même du futur. La narratrice invente Vial qui la désire et Colette caresse l’idée de poursuivre sa carrière de femme mûre avide d’un amant plus jeune. « Je me mis à rire, et je flattais son beau poitrail accessible, dans la chemise ouverte, au vent du matin et à ma main » p.350. La séduction animale de certains hommes est irrésistible et la femme de cinquante ans flatte cette poupée magique qu’elle crée de toutes pièces.

Mais tout s’arrête en chemin, comme par exorcisme, comme si elle n’osait plus. La narratrice se fait même entremetteuse entre Hélène la timide gauche et Valère l’inhibé fier. Leur admiration sensuelle commune pour elle, l’écrivaine, la grande dame, celle qui ose assouvir ses désirs, en fera un beau couple, imagine Colette. Quant à elle, dans la vraie vie, elle poursuivra avec Maurice qui apparaît en filigrane comme le « Favori » et qui restera son dernier mari jusqu’à la fin.

La lettre de Sido la mère, qui refuse de venir voir sa fille provisoirement parce qu’un cactus rare va fleurir en rose, est l’image première de ce genre d’exorcisme. Vial ne va pas éclore sous la main de la narratrice ; elle renoncera comme la mère de Colette, pour conserver le plus précieux, le lien de mariage. Non par convention sociale, mais par dépassement du désir sexuel en amour plus profond. Tel celui du « petit marchand de laine » évoqué par sa mère en sa fin de vie, qui aime à jouer aux échecs simplement, sans que le sexe ne vienne perturber l’entente.

C’est par l’écriture que Colette retrouve sa mère, ses désirs, ses amours – et les leçons de vie qu’elle en tire.

Colette, La naissance du jour, 1928, Garnier-Flammarion 2023, 192 pages, €7,50, livre audio abonnement Audible €1,95

Colette, Œuvres, tome 3, Gallimard Pléiade 1991, 1984 pages, €78,00

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Colette, La maison de Claudine

Vers la cinquantaine – c’est l’âge habituel – l’auteur se penche sur son passé. C’est que la guerre de quatre ans et des millions de morts par boucherie est passée par là, ramenant chacun à l’essentiel de son existence. Que sa fille Bel-Gazou grandit et lui rappelle sa propre enfance. Que son mari Henry de Jouvenel est accaparé par ses affaires diplomatiques. Que son beau-fils aîné Bertrand, 16 ans et demi, au bord de la mer en Bretagne, à Rozven, fait parler la belledoche : « Pourquoi ne racontes-tu pas ton enfance, puisque tu l’as aimée ? »

De fil en aiguille naissent ces contes de l’enfance de Claudine/Colette. Le frère aîné qui, à 13 ans, composait des cercueils et leurs épitaphes deviendra étudiant en médecine… La belle-sœur aînée aux longs cheveux qui lisait tant et plus des romans deviendra mère de famille et fâchée avec Sido. Les chiens et les chattes sont de la famille.

La mère, Sidonie, prend peu à peu de l’importance, révélée par les souvenirs qui affluent. Elle s’est mariée avec « le Sauvage », le capitaine Colette. Elle bouffe du curé mais va de ce pas sonner à sa porte… pour se faire offrir une bouture de pélargonium qu’elle convoitait. Elle ne manque aucune messe, mais avec son chien. Quand le curé lui fait remontrance, elle rétorque « qu’est-ce que vous craignez donc qu’il apprenne ? ». Le chien se lève et s’asseoit comme les fidèles – sauf qu’il grogne à l’élévation. « Mais certainement ! (…) Un chien que j’ai dressé pour la garde et qui doit aboyer dès qu’il entend une sonnette ! » Sido est une femme qui pleure à la mort de son mari le Capitaine cul de jatte, mais qui ne peut s’empêcher de rire le soir même devant le jeune minet qui fait des cabrioles, fou comme un chat au printemps.

« Minet-Chéri », ainsi l’appelait sa mère, est une enfant garçon à la sensualité de bête. Elle aime les plantes, les animaux, les gens. Elle les regarde avec tendresse et ironie. Telle cette « petite Bouilloux », trop belle pour tous, promise par les commères à un destin de dévergondée qui fait tourner les têtes mâles et oriente les queues vers le ballon – et qui pourtant deviendra ouvrière, dansera mais ne se donnera pas, restera vieille fille, aigrie parce que nul ne lui convient tant on lui a monté la tête. Ou ce clerc de notaire dont elle a « oublié le nom », célibataire mal habillé, mal nourri, à figure triste, dont se moquent les petites adolescentes abêties par les hormones le midi – les copines de Colette au village. Un jour, le clerc est en retard, le saute-ruisseau de l’office notarial est déjà assis sur le banc de pierre à bouffer son pain. Lorsqu’il surgit, affairé, il porte un journal et confie au gamin : « Ybañez est mort. Ils l’ont assassiné. » C’était un coup du cardinal de Richelieu dans le feuilleton du jour…

La scandaleuse Colette passe un nouveau pacte avec ses lecteurs ; elle met en avant sa jeunesse pure et familiale, les valeurs conservatrices prisées de ceux qui lisent. Des textes propices à donner en « rédaction » aux élèves du primaire (je n’y ai pas échappé). Même si l’enfant est une enfant, donc « marquée par la malice originelle », comme le note un critique en référence à la Bible.

Colette, La maison de Claudine, 1922, Livre de poche 1978, 158 pages, €7,70, e-book Kindle €4,99

Colette, Œuvres tome 2, édition Claude Pichois, Gallimard Pléiade 1986, 1794 pages, €69,44

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Eva Björg Aegisdottir, Les filles qui mentent

L’Islande est à la mode, peut-être parce qu’il y fait plus frais en été en notre période de réchauffement climatique et de canicules durables à répétition. Peut-être aussi à cause de la mode viking due à la série du même nom (excellente !) et au tropisme identitaire qui saisit les Européens face à la déferlante migratoire trop bronzée. Arnaldur Indridason reste l’auteur de polars inégalé (chroniqué sur ce blog), mais Eva Björg Aegisdottir (fille d’Aegis – le nom du bouclier d’Athéna) se lance. Elle est femme, ce qui devrait encore plus plaire à la mode d’époque… D’ailleurs ce polar a pour objet les filles – et leur principal défaut semble-t-il : le mensonge permanent. Tout le monde ment, tout le monde se veut autrement qu’il n’est, tout le monde réécrit ce qu’il a fait.

Son inspectrice est Elma, 33 ans, ex-enquêtrice de la brigade criminelle de Reykjavik qui revient dans la petite ville d’Akranes où elle a d’ailleurs passé son enfance (comme l’autrice). Tout est donc véridique dans les lieux et les gens. L’Islande est un pays étroit avec peu d’habitants et tout le monde se connaît dans les villages et les petites villes ; il n’y a guère qu’à la capitale que l’on peut retrouver un certain anonymat. Ce qui n’est pas anodin pour notre histoire.

Tout commence évidemment par un cadavre : celui d’une jeune femme découverte dans une faille de lave sur les pentes du volcan (éteint) Grabok, par deux gamins qui jouaient aux sauvages. Ils ont cru voir un gobelin mais ce n’était qu’un corps décomposé depuis quasi un an. On découvrira très vite qu’il s’agit de Marianna, mère célibataire un peu bizarre qui n’a guère aimé son enfant, une fille nommée Hekla qui a désormais 15 ans et qui préfère sa famille d’accueil à Akranes et ses copines de collège Dina et Tinna.

Qui en voulait donc à Marianna ? Les chapitres d’enquête, avec les inévitables problèmes de famille et de collègues pour faire humain, sont entrelacés avec de mystérieux chapitres qui relatent les relations d’une mère avec sa fille, depuis bébé jusqu’à ses 10 ans. Relations guère affectueuses et même carrément toxiques. Allez vous étonner après ça que… Mais aucun prénom n’est donné jusque fort tard dans le livre et le lecteur se sait pas de qui l’on parle. Il croit deviner, et puis pschitt !

Dans un pays aussi petit où la jeunesse n’a guère de loisirs autres que « faire la fête » en éclusant de l’alcool et en baisant à tout va dès la plus jeune adolescence, la rumeur peut enfler d’un coup et briser une vie. Unetelle est une pute trop facile ou Untel est un violeur. Ou briser plusieurs vies – jusque fort tard dans l’existence car il n’est nul lieu où vraiment se refaire une nouvelle vie.

Elma et son collègue Saevar ont pour patron un dénommé Hördur… Cocasse en français – mais ça se prononce oeurdur car le ö est un oeu. Ce n’est pas le seul exotisme, ce qui donne du sel à ces polars nordiques, plongés dans la nuit six mois par an, le frais et la brume tout le temps, avec les stations-services en guise de « dépanneurs » comme disent les Canadiens, les supermarchés locaux où l’on vend de tout, y compris du carburant, mais aussi de l’agneau séché à mettre dans un pain plat pour en faire un met à la Lord Sandwich. Entre autres.

Eva Björg Aegisdottir, Les filles qui mentent, 2019, Points policier 2023, 427 pages, €8,90 e-book Kindle €8,99

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Ann Rule, Un tueur si proche

L’auteur, journaliste proche des milieux d’enquête de la police pour avoir appartenu à leurs rangs avant de mettre au monde quatre enfants, retrace la macabre épopée du premier tueur en série américain identifié comme tel, dans ces années 1970 d’une naïveté confondante. Tout le monde il était beau, tout le monde il était gentil… et l’auto-stop la règle. Ann Rule a connu personnellement Ted Bundy à Seattle en 1971, alors qu’elle faisait du bénévolat sur une ligne d’assistance téléphonique pour personnes suicidaires. Ted était l’un de ses coéquipiers deux soirs par semaine et ils sont devenus amis.

Elle l’a donc suivi jusqu’à la chaise électrique, en 1989, marquant enfin la terme de ses meurtres prémédités de jeunes filles et de ses évasions rocambolesques. Ted Bundy était intelligent, un QI de 124 à l’université. Il a fait des études de droit et de psychologie, sans toujours finaliser ses diplômes. Il a participé à la campagne électorale du gouverneur républicain Evans pour sa réélection puis est devenu assistant de Ross Davis, le président du Parti Républicain de l’État de Washington. Il aurait pu devenir avocat et faire une belle carrière en politique, étant d’une intelligence aiguë, avec un sens de l’écoute, un conservatisme affirmé et une agressivité de squale. Il n’en a rien été.

Ted Bundy a été rattrapé par ses démons. Le premier est d’avoir été abandonné trois mois par sa mère à sa naissance, bâtard d’une fille réprouvée qui « avait couché ». On soupçonne aujourd’hui que c’était avec son propre père bien qu’elle ait désigné tout d’abord un soldat de l’Air force ou un marin comme géniteur envolé : elle n’a jamais vraiment su. Comme fils de pute – il n’y a pas d’autre nom pour les coucheries de sa mère – le gamin s’attache à son (grand?) père mais en est séparé à l’âge de 4 ans. Il l’adorait mais les faits révèlent que ce père de sa mère était violent, emporté, macho, raciste et un brin psychopathe. Les gènes ne mentent pas… Il en a gardé une fixation morbide sur « les femmes », leur reprochant leur sexualité irrépressible et leur exhibition sur les photos des magazines. Tout petit déjà, il avait découvert des revues porno chez son (grand) père et prenait plaisir à les regarder.

Il est probable qu’il ait tué sa première victime à l’âge de 15 ans,  une fillette de 9 ans jamais retrouvée. Sa première victime « officielle » est à l’âge de 20 ans et son corps n’a jamais été retrouvé. Bundy aimait en effet déshabiller les filles une fois assommées à coups de barre de fer ou de bûche, puis étranglées avec un bas nylon, les mordre à pleines dents sur les fesses et les seins, les violer par le vagin et l’anus, leur enfoncer des objets loin dans les orifices, puis en séparer la tête pour la collectionner sur un lieu qu’il aimait bien dans les montagnes. En bref un vrai psychopathe qui voulait se venger de « la » femme, sa mère dont il n’a jamais été aimé tout petit.

L’auteur liste ses victimes reconnues, celles probables, plus celles possibles. Il y en a 36 vraisemblables (plus une survivante), avouées ou non, et une centaine possibles de 1962 à 1978. Toutes des filles – aucun garçon – et jeunes, de 9 à 26 ans. Les filles avaient en général les cheveux bruns, longs et séparés par une raie centrale. Les attirer n’était pas difficile, Ted Bundy étant beau mec, se présentait souvent comme handicapé, un bras en écharpe ou une jambe dans le plâtre, portant une sacoche ou une pile de livres. Il demandait gentiment assistance pour les mettre dans le coffre de sa Volkswagen Coccinelle, la voiture fétiche des jeunes Yankees post-68. Il les assommait alors d’un coup de barre de fer avant de les hisser dans son auto dans laquelle il avait ôté le siège passager avant (une fonction que seules les Coccinelles offraient), puis allait « jouer » avec elles plus loin sur la route.

Il entrait alors en état second, devenant une sorte de berserk, un fou sanguinaire sans aucune limites mentales. Le jeune homme affable, gentil et bien sous tous rapports devenait alors autre, un monstre démoniaque agi par ses pulsions primaires.

Ann Rule, qui l’a personnellement connu puis l’a suivi par lettres, appels téléphoniques et suivant les progrès des enquêtes dispersées dans plusieurs états (la plaie du système judiciaire américain), en fait un livre de journaliste, purement factuel et d’un style plat qu’affectionnent particulièrement les boomers. Un style de mille mots, pas plus, accessible aux primaires, selon les canons du journalisme papier d’époque. Un style à la Annie Ernaux qui « se lit bien » mais sans personnalité, qui pourrait être écrit par un robot. D’ailleurs le journalisme aux États-Unis se meurt pour cette raison et les gens sont remplacés de plus en plus par des machines et des algorithmes.

Si les tueurs en série vous passionnent, si le sort de Ted Bundy vous intéresse, si vous aimez lire sans penser ni vous préoccuper du style, ce genre de « roman policier » qui n’en est pas un est fait pour vous. Il dit la réalité d’un tueur mais n’entre jamais dans les profondeurs qui fâchent.

Ann Rule, Un tueur si proche, 2000, Livre de poche 2004, 544 pages, €2,77, e-book Kindle €6,99

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Gilbert Cesbron, C’est Mozart qu’on assassine

L’époque était au divorce, fort à la mode dans le mouvement d’émancipation des femmes ; Gilbert Cesbron en saisit l’essence au travers de l’enfant, le petit Martin de 7 ans. Il est déchiré entre ses deux parents, ayant autant d’amour pour l’une comme pour l’autre, la première parce qu’elle est un nid, le second parce qu’il apprend la vie. Les années soixante d’optimisme à tout crin et d’essor de la consommation, était à l’individualisme ; le plus forcené arrivera dans les années 1980 sur le modèle trader des Yankees – qu’on se souvienne des affairistes socialistes au pouvoir sous Mitterrand ! Mais les rôles sexués des parents de Martin étaient ceux de la génération d’avant : l’homme au travail et la femme à la maison.

Agnès est gosse de riches ; elle n’a jamais eu à s’en faire pour faire quoi que ce soit, ni à compter l’argent : son père a tout fait pour elle, fille unique. Marc est fils de médecin provincial, il a commencé des études de médecine pour suivre la tradition familiale puis a secoué le joug du père par l’offre de son beau-père de l’associer à son affaire – où il a appris les règles et est devenu patron. Saisi par le démon de midi, à la quarantaine (cela commençait plus tôt en ces années soixante où l’espérance de vie était moindre), il baise avec délices une Marion qui se meurt pour lui, ce qui le flatte. Car chacun joue un rôle dans la société, chacun se met en représentation par le costume, le maquillage, l’attitude. Il n’y a que l’enfant qui soit brut de naturel – et ne comprend pas comment les adultes peuvent se changer en personnages différents.

C’est tout l’art de Cesbron de se glisser durant neuf mois dans la peau fine d’un petit garçon de 7 puis 8 ans, de voir le monde à sa hauteur et les adultes par ses yeux. Et ce n’est pas joli. Son père l’oublie, bien qu’il l’aime ; sa mère est incapable de s’occuper de lui, bien qu’elle l’ait en elle, charnellement ; son parrain préfère briller devant ses maîtresses plutôt que de s’occuper de son filleul esseulé, et se contente de lui offrir des gadgets. C’est que l’enfant n’est pas encore considéré comme une personne, ce pourquoi Françoise Dolto à son époque insistera tant dans toutes ses émissions radiophoniques sur ce sujet. L’enfant « ne peut pas comprendre » ; « l’enfant s’adapte à tout » ; « l’enfant croit ce qu’on lui dit de croire ». Il n’en est rien. L’enfant n’est pas un objet que l’on pose ici ou là ou que l’on range dans un coin : l’enfant est une personne qui demande attention et amour, protection et enseignement.

Les avocats s’amusent aux divorces, ils poussent les uns contre les autres et en font une affaire d’ego. Celui du mâle cabotine et prêche, il est retord ; celle de la femelle se raidit de féminisme et incite à aucun compromis. Il n’y a que Martin qui n’aie pas d’avocat, pas même le juge car « l’intérêt de l’enfant » n’existe pas encore dans les mentalités. La garde est donc partagée tous les trois mois avec avantage à la mère.

Mais comme celle-ci part en « cure de sommeil » sous médicaments parce que son petit ego d’épouse a été malmené et parce que c’est elle qui a demandé le divorce après avoir mandaté un détective privé pour prendre en flagrant délit son mari et sa maîtresse, elle ne peut garder Martin. On inverse alors les périodes et c’est Marc qui en a la garde en premier. Mais il est pris par ses affaires et ne peut s’occuper d’un enfant ; il le confie donc à son père, le docteur de Sérigny, qui ne sait pas trop apprivoiser un jeune garçon qu’il a très peu vu. Marin écrit donc des lettres à sa mère pour lui dire qu’il l’aime et pour lui montrer qu’il ne serait heureux qu’avec elle et son père. L’avocate, informée, fait reprendre Martin pour le placer chez l’ancienne nourrice d’Agnès. Mais elle vit dans une masure sans eau ni électricité, à la campagne, et l’école du village rejette le Parisien et le Riche, coiffé « en fille » avec ses cheveux un peu longs à la mode des années Beatles. Son père, qui vient le voir en coup de vent, s’aperçoit de l’indigence et, comme la vieille refuse la modernité qu’il est prêt à payer pour que son fils vive décemment, le reprend aussitôt – pour le confier à son parrain Alain. Lequel, célibataire, ne sait pas ce qu’est un enfant et, ancien commando qui aime l’action, n’a aucun goût de se mettre à sa portée.

Martin, abandonné tout un week-end, fugue. Il veut rejoindre Zélie la petite copine de son âge, dans le village de la nounou où il a été heureux d’aimer, mais se trompe de Châtillon et se perd dans Paris. Branle-bas des parents et du parrain pour le retrouver. Ce n’est que deux jours plus tard, n’ayant nulle part où aller parce qu’il ne se souvient pas des adresses, qu’il retrouve celle de la maîtresse de son père sur un papier dans sa poche. Il s’y rend et Marion l’accueille, prévient non son père mais son parrain qui vient le chercher et le rendre à sa famille. Marion a compris que l’enfant était l’Obstacle à la rupture de Marc et d’Agnès – et elle renonce. Elle ne veut pas briser Martin, qui montre son besoin de ses deux parents.

Notre époque a moins de conscience et chacun des parents, de son côté, est plus égoïste. Ce sont les enfants qui trinquent mais « ils ne peuvent pas comprendre, ils s’adaptent à tout, ils croient ce qu’on leur dit de croire ». La bonne conscience ne recule jamais devant des mensonges consolants.

Un bon roman psychologique plein d’émotion, au ras d’enfant.

Gilbert Cesbron, C’est Mozart qu’on assassine, 1966, J’ai lu 2001, 307 pages, €3,66 e-book Kindle €5,99

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Pearl Buck, L’exilée

Notre époque ne lit plus guère Pearl Buck et c’est dommage car elle écrit admirablement et raconte la Chine au début du XXe siècle. Elle a obtenu le prix Nobel de littérature en 1938. Née américaine en Virginie, elle part à l’âge de trois mois en Chine où ses parents sont missionnaires. Elle deviendra elle-même épouse de missionnaire en Chine une fois adulte, jusque dans les années 1920. Elle raconte dans L’exilée l’histoire de sa propre mère, qu’elle prénomme Carie et se met en scène sous le prénom de Consolation.

Carie est née aux États-Unis d’un couple originaire de Hollande chassé par la répression des sectes chrétiennes. Hermanus son père est blond et délicat, artisan minutieux ; sa mère est fille de huguenots français. Installés en Virginie, ils cultivent la terre avec la communauté qui a suivi leur pasteur de père. Ils y ont prospéré. Carie est née, active, joyeuse, décidée. Elle a l’esprit d’aventure. Ce n’est pas facile de convaincre son père de lui laisser épouser un missionnaire, gentil blond mais perdu dans ses hautes pensées tournées vers Dieu et sa mission.

En Chine, à la fin du XIXe siècle, c’est le grouillement populeux de la misère, la crasse omniprésente et toute morale absente. Le père a le droit de tuer son bébé fille d’un coup de pierre s’il le souhaite, le fils aîné est élevé comme un roi et exempté de toutes tâches domestiques, les femmes sont méprisées et réduites à pondre ou à putasser. Carie va les écouter, au ras des soucis du quotidien, alors que son mari prêche aux hommes la vie éternelle. Il lui fera sept enfants dont trois seulement survivront dans ce bouillon de culture de maladies (qui n’a guère changé) : diphtérie, choléra, paludisme, peste… Deux petits garçons et deux petites filles périront ainsi jusqu’à ce que Carie, excédée de ne savoir pourquoi et en rébellion de mère contre ce père charnel et ce Père éternel qui s’en foutent, exige d’habiter une maison saine et de ne plus déménager au gré des missions.

Elle enverra ses enfants en Amérique à leur adolescence pour qu’ils prennent les goûts et les usages de leur patrie. En Chine, elle reconstituera la beauté de son pays par un jardin, des plantes, des meubles et une propreté sans faille. Dieu ne l’a pas touchée de son aile et si elle croit, c’est selon le pari de Pascal : « Je pense que c’est ainsi que nous devons envisager la question divine – croire simplement que Dieu existe et qu’il prend soin de nous » p.120. Elle ne comprendra jamais pourquoi il a repris quatre petits enfants alors qu’elle et son mari se dévouaient pour Son œuvre dans ce pays de païens. Sa religion est toute pratique : « elle devait venir en aide à tous ceux qui s’approchaient d’elle et avaient besoin de son secours, ses enfants, ses voisins ses serviteurs et les passants » p.198.

Andrew et Carie sont la nuit et le jour. « Elle avait épousé cet homme pour satisfaire le côté rigide et puritain de sa propre nature, et à mesure que la vie avançait, c’est l’élément humain, si riche, qui se développait profondément chez elle » p.283. Le père, cet étranger sans amour… « Étrange âme lointaine que celle de cet homme qui discernait Dieu au fond du ciel avec une telle certitude et ne voyait pas la fière et solitaire créature à ses côtés. Pour lui elle n’était qu’une femme » p.288. Ces remarques devraient réjouir les féministes. La fille juge son père obtus et intolérant, obéissant aveuglément à saint Paul qui a tordu le christianisme par ses obsessions rigoristes juives, dont le statut inférieur de la femme.

S’égrènent au fil des pages des anecdotes, une histoire de vie, des pensées. Et se trace un beau portrait de femme et de mère, morte trop tôt vers 60 ans de « la maladie tropicale », une sorte de dépression physique due à l’usure et aux bactéries. On ne sait pas ce qu’est devenu Andrew l’époux, et le lecteur s’en moque, Dieu y pourvoira. C’était ce qu’il avait coutume de dire lorsque l’un de ses enfants mourait.

Pearl Buck, L’exilée (The Exile), 1936, Livre de poche 1976, 320 pages, occasion €

Pearl Buck, Vies de femmes : Pavillon de femmes – Impératrice de Chine – Pivoine – L’Exilée, Omnibus 1997, 1130 pages, €2,44

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Claude Rodhain, Le temps des orphelins

« Comment un enfant abandonné au lendemain de la guerre, qui craint de finir dans un caniveau comme un chat crevé et s’échine à gravir les échelons de l’échelle sociale dans le seul but de séduire celle qui l’a délaissée. C’est la suite de mon autobiographie, Le destin bousculé », déclare dans un entretien (référence en bas de la note) l’auteur de son nouveau roman 2022. Il s’agit donc d’un roman, d’une enfance, de l’abandon, des services sociaux, de la méritocratie – et d’un fort parfum d’autobiographie.

Claude Rodhain a calqué le roman du petit Charles sur sa propre existence de bébé abandonné à l’Assistance publique durant l’Occupation par un père ivrogne et violent et par une mère dépassée avec ses cinq enfants qu’elle ne parvient plus à nourrir. A 7 ans, le bébé se retrouve en institution, pensionnat disciplinaire où l’on fait payer aux petits délaissés leur rejet. Certaines surveillantes, sadiques, se font un plaisir malin à fouetter nus les jeunes corps attachés aux sommiers métalliques des lits ou a les assommer par une douche glacée. Au point de susciter la haine, et une réaction surprenante de maturité chez l’enfant, à 12 ans.

Il décrit l’univers carcéral et la cantine infecte, sa camaraderie de solidarité avec les autres, son évasion et ses trois mois passés dans la campagne à se nourrir de lait pris au pis des vaches consentantes, d’œufs volés aux poules et de légumes déterrés en plein champ ; ses pieds ornés d’ampoules, ses galoches en capilotade, ses vêtements en ruine. Il veut rallier Versailles pour savoir auprès de l’Assistance où est sa mère, celle qui l’a abandonnée mais qui ne peut pas l’avoir oublié, à moins qu’elle ne soit morte. C’est cette image de la Mère qui va faire tenir le garçon ; il voudra sans cesse s’en rendre digne, lui montrer. Pour cela réussir : auprès de ses copains, à l’école, en apprentissage, au CNAM, dans son premier emploi… Il rencontrera au fil de son histoire son frère aîné Robin, puis une sœur qu’il ne soupçonnait pas.

Encore puceau à 19 ans (ce qui était fréquent dans les années cinquante et au début des années soixante), Eva la pute le dépucellera avec tendresse une fois ; puis il se mettra avec Sophie, 16 ans, qui deviendra sa femme au retour de son service militaire comme sergent en Algérie, puis la mère de sa fille Charlotte. Pris par un conseiller juridique de multinationales qui veut sa capacité à travailler beaucoup et à bien parler, il s’épanouira en adulte – même si ce n’est pas le seul hasard qui l’a fait entrer dans la profession. Il saura trop tard pourquoi. Son mentor mort, il fonde son propre cabinet, qu’il mènera jusqu’à passé 75 ans. Il divorcera de Sophie sur la demande de son épouse, lasse de ses trop nombreuses absences, et se mettra avec Valérie, qui lui donnera un fils. Sa propre fille enfantera un jeune Guillaume. La partie adulte est plus au galop que la partie enfance ; elle résume trop le personnage devenu. Ce sont évidemment les jeunes années qui vont intéresser le plus le lecteur, par empathie.

City éditions n’est pas Robert Laffont et ne fait pas son plein métier d’éditeur. Des coquilles subsistent, comme haillon mis pour hayon de voiture, ou des incongruités chronologiques comme cette expression « cool » qui ne surgira que dans les années 1990 et n’avait vraiment pas cours dans les années cinquante ; pas plus que « zen », ni « Black » : on désignait les Noirs par le terme de Nègres jusqu’aux indépendances et à la fin de l’apartheid aux États-Unis, soit vers le milieu des années 1960 ; on n’ose même plus dire « Black » aujourd’hui mais on euphémise, et même « Coloured » devient mal vu, trop typé ; « Afro-American » a eu la vogue pour un temps, bien qu’il soit connoté un brin affreux ; on dit plutôt « African-American » (ce qu’on ne dit pas des Chinois, ni des Indiens…). Quant au département de l’Essonne, il n’a été créé qu’en 1968 ; dans les années 50 et 60, c’était encore la Seine-et-Oise.

Au soir de sa vie, après le Covid, Charles fait retour sur son existence mouvementée, qui n’était pas gagnée. L’enfant de personne, laissé pour compte comme un chat crevé dans le caniveau, a su montrer sa volonté. Celle de vivre et celle de s’ouvrir aux autres comme au monde. Il montre la résilience et sa puissance lorsqu’on rencontre enfin quelqu’un qui vous écoute et vous soutient. Ce fut pour lui le cas d’un homosexuel qui lui a donné des cours de rattrapage en primaire, l’a encouragé à prendre des cours au CNAM pour devenir ingénieur, et l’a mis en contact avec un employeur. Il montre aussi que la méritocratie existe, ouverte même aux plus défavorisés, à condition de vouloir et de s’accrocher. Le travail et l’effort : deux valeurs oubliées par notre époque d’assistanat et d’hédonisme.

L’auteur a été tout cela en son temps, bébé abandonné en 1942, orphelin à l’Assistance ballotté entre institutions, victime des sévices d’un aîné en famille d’accueil ; il est devenu ingénieur CNAM, avocat spécialisé en propriété industrielle, fondateur d’un cabinet qui porte son nom. Puis écrivain aux dix romans à ce jour.

Un bon livre populaire.

Claude Rodhain, Le temps des orphelins, 2022, City éditions, 301 pages, €19,00 e-book Kindle €13,99

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

Entretien de juin 2022 sur Boojum

Biographie de l’auteur

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Bellissima de Lucino Visconti

Après-guerre, après fascisme, l’Italie se reconstruit. Les pauvres rêvent, les Romains d’autant plus que Rome est la capitale du pays et le phare du monde chrétien. Mais la nouvelle religion s’appelle cinéma. Il est la modernité, le monde en noir et blanc, les héros de pellicule. L’infirmière Maddalena Cecconi (Anna Magnani) s’échine à piquer les diabétiques et autres malades obèses de la ville pour gagner de l’argent. Elle a péniblement économisé sur son livret d’épargne, tandis que son mari rêve de faire construire sa maison à lui. En attendant, ils habitent un immeuble à bas loyers, empli de matrones grosses comme des baleines et criaillant comme une horde de pies. La Cecconi n’est pas la moindre à couper la parole et à imposer sa plantureuse façon.

Mais elle veut s’en sortir et rêve que sa fille unique de 7 ans, Maria (Tina Apicella) ne soit pas comme elle obligée de trimer pour le ménage et d’être battue par son mari irascible. Cinecittà, dans Rome, demande des figurantes de son âge. Comme plusieurs centaines d’autres mamas, elle se précipite pour proposer sa fille. Elle commence par la perdre dans le dédale, la gamine se moquant de faire du cinéma ; elle est trop petite pour affabuler. Lorsqu’elle la retrouve, elle est abordée par un fringuant jeune homme, Annovazzi, qui fait partie de l’équipe du réalisateur (Walter Chiari). C’est là sa chance, elle n’est plus anonyme mais « connaît quelqu’un ». Tout se passe au piston en Italie.

Sauf que le cinéma est un miroir aux alouettes. N’entre pas qui veut, il faut être élu, comme pour la Terre promise. La fillette doit prendre des leçons de diction car elle articule mal et zozote ; prendre des leçons de danse et de maintien car elle ne sait pas se tenir et une scène du film sera dansée ; changer sa coiffure, les nattes popu n’entrant pas dans le scénario ; se vêtir en petit rat d’opéra et non plus en robe d’été ; faire faire des photos par un professionnel pour le dossier. Il faut tout cela avant même de tourner le bout d’essai, à condition d’y être admise.

Le jeune homme donne le marché : elle sera pistonnée pour le bout d’essai si elle couche ou si elle paye « pour les frais ». La Cecconi donne 50 000 lires, laborieusement accumulées sur son livret, l’équivalent des charges que le couple doit payer prochainement. Elle se fait entuber, même si ce n’est pas au sens physique, car l’argent va direct dans la poche du jeune – qui achète avec une Lambretta, un scooter d’occasion. Son piston n’est que fumée, même si le bout d’essai est tourné. Déjà la scène avec le coiffeur « indispensable » tourne à la farce, le merlan déléguant un sous-fifre pour couper les pointes de la petite et faire un rinçage, lequel sous-fifre délègue à un gamin apprenti le soin de le faire – ce qui aboutit à couper les nattes et à la coiffer en garçon ! Pendant ce temps, Annovazzi entraîne la mère au parc pour la draguer.

Il n’y réussira pas, la Cecconi ayant la tête sur les épaules et les pieds sur terre. Elle rêve d’élever socialement sa fille, mais pas au prix de son honneur. Le bout d’essai tourné, la monteuse indiquée par le jeune homme (qui dit tout cru sa désillusion du cinéma), la parlote affective pour voir le bout de film, font que la mère est derrière le projecteur lorsque les essais sont présentés à l’équipe de réalisation. Maria paraît toute petite face aux autres, plus godiche avec sa frange ; elle ne parvient même pas à souffler les bougies qu’elle doit, ni à réciter son poème pourtant appris par cœur. Elle pleure, comme un bébé. L’aréopage masculin s’esclaffe, sans pitié pour la faiblesse enfantine et femelle.

Cette fois la mère s’insurge. C’en est assez de se moquer du monde ! Son honneur de femme est en jeu, tout comme celui de sa fillette, qui n’est pour rien dans les simagrées qu’on lui demande. Elle déboule dans la salle et dit son fait au célèbre réalisateur Alessandro Blasetti (joué par lui-même) et à ses sbires avant d’être expulsée. Mais le producteur se demande si tous ces essais pour trouver la candidate idéale n’est pas une perte d’argent ; il pense se retirer. Le réalisateur demande alors à revoir les bouts d’essai et… c’est finalement Maria qui est choisie ! Elle est touchante et sincère, pas une chienne de cirque comme beaucoup d’autres. Annovazzi, qui vient d’être viré pour avoir proposé une candidate aussi ridicule, est rappelé. On lui demande de foncer au domicile des Cecconi – sur sa Lambretta – et de faire signer le contrat.

La mère et la fille sont rentrées à pied, Maria s’est endormie, ne comprenant rien à tout ce qu’on lui demande. C’est vrai qu’elle est godiche au fond, l’innocente, le spectateur s’en rend compte ; son père tonitruant et sa mère qui parle tout le temps et s’agite occupent toute la place. Elle n’existe pas par elle-même, seulement comme objet social dans sa famille. Le mari Spartaco (Gastone Renzelli) attend dans la cuisine avec le contrat et les délégués du réalisateur. Arrive enfin Maddalena, portant Maria dans ses bras comme une Vierge de piéta. C’est 250 000 lires tout de suite, puis 250 000 la semaine prochaine, en tout 2 millions si elle signe. Maria fera son cinéma. Toute la bande de grosses mamas de l’immeuble attend le verdict, alléchée et caquetant comme un chœur antique.

Mais la Ceccaldi, qui en a rêvé, a trimé pour cela, s’est fait escroquer et moquer, se rebelle. C’est NON ! Pas de contrat, pas de cinéma, pas de starlette dressée selon les normes. Le couple a fait Maria pour qu’elle soit bien en famille. Ne pétons pas plus haut que notre cul s’il faut faire semblant d’être une autre. Le monde artificiel du cinéma est trop éloigné humainement du monde réaliste des grands ensembles populaires. L’unité de la famille prime sur le succès individualiste, les valeurs traditionnelles sur les paillettes éphémères. Cinecittà met des illusions dans la tête des mères et des filles, faisant croire que l’on peut arriver sans prostituer son corps, ses habitudes, son image. Il n’en est rien : en ces années cinquante, le cinéma reste un monde d’hommes qui réalisent, régi par des financiers qui produisent ; les femmes n’en sont que les ustensiles pour susciter le désir. Autour de lui gravite une industrie parasite de rabatteurs, dialoguistes, monteurs, coiffeurs, modistes, photographes, donneuses de cours d’art dramatique ou de maintien. Les actrices sont prises parce qu’elles conviennent à un moment, comme le révèle la monteuse, puis jetées sans pitié une fois usagées – après avoir laissé son travail, son fiancé, sa famille.

Visconti en fait un mélodrame comique plutôt qu’une tragédie, avec happy end. Mais aussi un révélateur social qui n’a pas fini d’agir, la télé-réalité et les concours de starlettes continuant d’empoisonner les esprits par le rêve d’obtenir son quart d’heure de célébrité.

DVD Bellissima, Lucino Visconti, 1951, avec Avec Anna Magnani, Walter Chiari, Tina Apicella, Alessandro Blasetti, Films sans frontières 2011, 1h50, €15.00

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Juste la fin du monde de Xavier Dolan

Louis, jeune homme de 34 ans (Gaspard Ulliel) revient dans sa famille après douze ans ; il est connu dans les journaux, auteur de pièces de théâtre ; il a régulièrement envoyé des cartes postales. Mais il n’a pas vu grandir sa sœur de 17 ans et son frère aîné Antoine n’est plus complice comme lorsqu’il se lovait contre son torse étant enfant.

La mère, Martine, est foutraque, hyper maquillée, volubile, envolée (Nathalie Baye). Le frère Antoine est taiseux, aigri, jaloux, toujours en colère (Vincent Cassel). La petite sœur Suzanne (Léa Seydoux) est en admiration mais ne sait quoi dire. La belle-sœur, Catherine, c’est encore pire (Marion Cotillard) : elle bafouille, ne comprend pas (le pire moment ennuyeux du film), raconte n’importe quoi, parle des enfants – d’ailleurs, où sont-ils les enfants ? Pas même en photo ; pourtant le fils porte le prénom de Louis. Comme quoi tout le monde se fout de tout le monde dans cette famille. Ce n’est que « moi ! moi ! moi ! » Le petit moi des petites gens qui sont restés au bled et n’ont pas réussi à s’en sortir et qui en veulent au fils prodigue.

Pourquoi revient-il, le jeune homme ? La famille ne le sait pas vraiment et ne le saura pas. Il est marginal, gay, a-normal. Il a quitté la famille, le milieu, la province, tout ce qui est mesquin, replié, traditionnel faute de savoir s’élever et créer. Il a désormais le regard du citadin évolué sur la campagne isolée, les sentiments d’un auteur reconnu pour ceux qui ne sont rien – mais qui sont sa famille. « Famille, je vous hais », disait Gide ; « je vous est », dit Dolan. Car il reste l’un d’eux, le fils de, le frère de ; il s’en sent un peu responsable, juste un peu. Ce n’est pas lui l’aîné, il est seulement celui qui a les dons.

Il revient… pour repartir, aussitôt sa déclaration faite. Déclaration déviée, édulcorée, qui énonce qu’il viendra plus souvent, que chacun peu aller le voir, a le droit. Et c’est le drame, comme à l’arrivée, comme au déjeuner : le drame des petits moi qui ne se sentent rien. Et lui qui n’a rien à leur dire les écoute bafouiller, délirer – en étranger. Il n’a pas dit qu’il était gravement malade, probablement du sida ; il a seulement dit qu’il serait plus présent prochainement – et qu’il ne sortait plus. Comprenne qui peut. Pourtant son ami avec qui il baisait à 15 ans, « ton Pierre » comme dit Antoine, est mort du « cancer ». Ainsi dit-on dans la belle province catholique pour éluder la maladie des invertis.

Adapté de la pièce de théâtre de Jean-Luc Lagarce, mort du sida cinq ans après avoir écrit sa pièce en 1990, le film prend des libertés. Les visages filmés en gros plan enferment chacun dans ses mots, dessinant une famille faussement protectrice qui se chamaille, se pique, où nul n’est reconnu pour lui-même mais seulement pour l’image qu’il a, où personne n’écoute les autres, tous dans le trop-plein. Seul Louis parle peu, « trois mots » comme dit sa mère. Il subit, il va mourir, il est effaré de ce chaos. La meilleure scène où l’émotion affleure est celle du dessert en famille, longuement et amoureusement préparé par la mère, où Louis déclare qu’il va revenir fréquemment. Mais il rompt aussitôt pour ne pas en dire trop, incapable de se livrer, et invoque un rendez-vous urgent, peut-être médical, pour aussitôt partir. Suscitant incompréhension, émotions et bagarre. Revoir sa famille, c’est juste la fin du monde.

C’est au dernier moment que le coucou sonne l’heure dans des lueurs de soleil couchant ou d’incendie et un oiseau s’envole, un vrai et pas son idéal sculpté de la pendule. Il se cogne aux parois et aux vitres. Il est enfermé dans le réel, la maison familiale, comme Louis dans les névroses des proches. Il meurt de se heurter aux murs – irrémédiablement seul. Un peu lourdement symbolique mais une métaphore de l’artiste incompris, de l’amoureux déviant, du fils hors des normes.

Grand prix du festival de Cannes 2016 et Trois César en 2017

DVD Juste la fin du monde, Xavier Dolan, 2016, avec Gaspard Ulliel, Nathalie Baye, Marion Cotillard, Vincent Cassel, Arcadès 2019, 1h35, €66,20 blu-Ray €73,21

Les autres films de Xavier Dolan en français : Tom à la Ferme + Laurence Anyway + Les amours imaginaires + J’ai tué ma mère + Mommy, Potemkine Films, €34,98

Biographie en français du réalisateur québécois : Laurent Beurdeley, Xavier Dolan l’indomptable, chroniquée sur ce blog.

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Un crime dans la tête de John Frankenheimer

Pas facile d’être un héros… Raymond Shaw (Laurence Harvey) est un sergent de l’armée américaine en Corée en 1952. Il combat les communistes chinois et russes qui voudraient envahir le pays. Sous les ordres de son capitaine de compagnie Bennett Marco (Frank Sinatra), sa patrouille s’avance en reconnaissance vers les lignes ennemies mais, selon l’indigène traducteur qui les conduit, un marécage les empêche de marcher selon la procédure et ils doivent s’avancer en colonne. Ce qui leur est fatal : une compagnie les assomme et les enlève.

Elle ne les tue pas mais les conditionne selon les principes de Pavlov, le savant soviétique du réflexe conditionné. Additionné ici d’hypnose et de pas mal de psychologie sur les névroses (pourtant science juive donc « bourgeoise » selon les sbires moscovites), les soldats sont reconditionnés comme on le dit d’un produit de masse. Leurs cerveaux sont « lavés » et leurs souvenirs réimplantés. Une scène désopilante désoriente un temps le spectateur avant qu’il comprenne : une grosse botaniste chiante parle à une assemblée de bourgeoises emperlousées coiffées de chapeaux à fleurs tandis que le groupe de soldats américains, assis derrière elle s’ennuient à mourir. On ne sait pas ce qu’ils font là mais on ne tarde pas à le comprendre. La grosse est un épais communiste de Moscou, membre du Politburo, qui étale sa science devant un parterre de militaires chinois, coréens du nord, castristes et évidemment soviétiques. Il se vante d’avoir lessivé les cerveaux et d’avoir implanté un programme de tueur dans celui de Raymond Shaw. A titre d’exemple, il lui donne l’ordre d’étrangler l’un de ses hommes qu’il déteste le moins – ce qu’il fait – puis de tirer une balle dans la tête du plus jeune, la mascotte du groupe – ce qui est accompli sans un battement de cil.

Mais pour que l’arme fonctionne, il faut que Shaw rentre aux États-Unis, que ses hommes chantent ses louanges et que son capitaine le propose pour une décoration. Ce qui est fait : chacun se voit implanter son rôle et le groupe resurgit indemne trois jours plus tard dans les rangs américains. Le sergent Shaw est crédité d’avoir sauvé neuf hommes malgré la perte de deux autres au combat. Il est accueilli par plusieurs généraux au garde à vous à sa descente d’avion, puis par le président des États-Unis qui lui remet la médaille d’honneur, plus haute distinction militaire du pays. Sa mère ne manque pas de s’ingérer dans ce succès pour vanter les mérites de son sénateur Iselin de second mari, beau-père de Raymond. Celui-ci, un con fini paranoïaque du style MacCarthy dont le rentre-dedans ressemble au style de Trump, brigue la candidature du parti Républicain aux prochaines présidentielles. Pour cela il dénonce les communistes infiltrés dans l’armée et jusqu’au sénat, citant des chiffres fantaisistes, jamais les mêmes, mais qui font impression. Comme quoi les histrions des fake news à la Donald ne sont pas une nouveauté aux États-Unis, déjà les années soixante les connaissaient bien ; ils étaient même élus !

Le machiavélique de la chose est que tout le monde manipule tout le monde dans ce thriller politique. Le sénateur Iselin (James Gregory) est une marionnette aux mains de sa femme (Angela Lansbury), laquelle se révélera agent de Moscou et manipulée comme telle, et qui manipule elle-même son fils Raymond rentré de guerre, lequel est manipulé par son conditionnement pavlovien mais aussi par son ancien béguin d’avant-guerre, la blonde Jocelyn (Leslie Parrish), fille du sénateur de l’État voisin (John McGiver), qui l’a sauvé en slip d’une morsure de serpent. Le complot est d’assassiner le candidat républicain en pleine convention afin qu’Iselin, second de la liste, soit choisi par défaut et devienne le nouveau président des États-Unis. Il instaurera un pouvoir fort, voire dictatorial (comme Trump a tenté de le faire). Une fois le pouvoir bien assuré, les liens avec Moscou permettront au communisme de l’emporter dans le monde, au moins aux deux Grands de gouverner de concert (ce que Trump a été tenté de faire, si l’on en croit ses liens affairistes avec les poutiniens).

La mère Iselin demande donc à Moscou de lui envoyer un tueur. Elle ne sait pas qu’il s’agit de son propre fils et, lorsqu’elle le découvre, jure de se venger. Mais les soviétiques ont déjà fait assassiner à Shaw son patron, un grand journaliste libéral, puis le sénateur Jordan qui savait des secrets sur Iselin, et sa fille Jocelyn dans la foulée parce qu’elle était accourue. Tout cela sans le savoir, conditionné par une réussite au jeu de carte où la dame de carreau sert de déclencheur et un coup de téléphone lui désigne la cible. Sans dévoiler la fin, lui aussi se vengera, à sa façon.

Mais les gens ne sont pas des machines que l’on programme comme des robots. Même implantés, les souvenirs se superposent aux souvenirs gravés en mémoire, qui restent dans l’inconscient. Il suffit de peu de choses pour les faire ressurgir : un cauchemar où la désinhibition du conscient parle, une scène qui déclenche l’ouverture d’un compartiment fermé de la mémoire, un déconditionnement à base des cartes mêmes. C’est ce que va entreprendre le capitaine Marco, devenu commandant, tourmenté par un cauchemar récurrent où il voit Shaw tuer deux hommes du groupe devant une assemblées de gras communistes. Mis en congé maladie pour malaises et manque de sommeil, il se rend à New York pour voir Shaw et lui en parler. Il se croit l’objet de fantasmes culpabilisants avant de s’apercevoir que le soldat Allen Melvin de sa section revenue des lignes nord-coréennes, qui a écrit à Shaw son héros (implanté), fait le même cauchemar. Il trouve en outre engagé comme domestique chez lui le traître nord-coréen qui a fourvoyé volontairement la patrouille dans les bras de l’ennemi. Pour le commandant, il y a donc anguille sous roche.

Aidé du FBI et de la CIA, il va donc examiner la situation, observer le comportement parfois aberrant de Shaw et tenter de le déprogrammer une fois découvert le pouvoir de la dame de carreau sur son cerveau. Il utilise un vieux truc de magicien : le jeu composé d’une seule carte, rien que des dames de carreau. Raymond Shaw est donc « retourné » dans le bon sens et feindra d’obéir aveuglément aux ordres tout en les accomplissant à sa sauce jusqu’au final.

Un bon thriller en noir et blanc tiré d’un roman de Richard Condon, The Manchurian Candidate, sorti en 1959. Certes, Richard Condon n’est pas Truman Capote mais son histoire se tient, tout à fait dans le style scientiste et paranoïaque de ces années de guerre froide qui culmineront avec la crises des missiles de Cuba, l’assassinat du président Kennedy, puis la guerre du Vietnam. Les services secrets tenteront à l’époque des expériences de manipulation psychologique à base de conditionnement et de drogues, infiltrant des espions qui se feront retourner, parfois en agents triples. Tout cela pour pas grand-chose, tant c’est l’économie qui mène la puissance – ce que prouveront l’effondrement du bloc soviétique et son contre-exemple jusqu’ici réussi : l’essor de la puissance chinoise.

DVD Un crime dans la tête (The Manchurian Candidate), John Frankenheimer, 1962, avec Frank Sinatra, Laurence Harvey, Janet Leigh, Angela Lansbury, Henry Silva, Riminiéditions 2018, 2h01, €7.45 blu-Ray €12.00

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Noblesse oblige de Robert Hamer

La fille cadette d’Ascoyne, duc de Chalfond, épouse contre sa famille et les convenances le ténor italien Mazzini dont elle est amoureuse. Cinq ans de bonheur suivent, dans un petit appartement de Londres, bien loin des fastes du château de Chalfont (tourné à Leeds). Las ! Au premier bébé, crise cardiaque du père ; « on comprendra que je n’ai guère de souvenir de lui », dira avec un humour tout britannique le jeune homme dans ses Mémoires.

La mère se retrouve seule et sans ressources. Elle écrit pour renouer avec sa famille mais essuie une fin de non recevoir nette. De même plus tard lorsqu’il s’agit d’éduquer Louis (Dennis Price), quand même de la famille d’Ascoyne. Elle se place donc chez un docteur à qui elle sert de bonne mais a le gîte et le couvert. Louis se lie avec Sibella, la fille du médecin, qui copine avec Lionel, un gosse de riches du quartier. Une fois adulte, Sibella (Joan Greenwood) flirte ouvertement avec Louis mais ne peut l’épouser puisqu’il n’a aucune fortune et n’est donc rien à ses yeux de petite bourgeoise arriviste. Bien qu’il lui ait raconté son histoire, sa famille maternelle, et déclaré qu’il pourrait même devenir duc, elle ne le croit pas et épouse son lourdaud assommant mais qui fait des affaires.

Louis se place grâce au docteur comme calicot à orner des vitrines et vendre du tissu au mètre aux oisives emperlousées des quartiers chics de Londres. Le film dresse un portrait au vitriol de cette aristocratie édouardienne vaniteuse et vaine. Viré parce qu’il avait oser rétorquer à un lord Ascoyne « ne me touchez pas ! » lorsque celui-ci l’avait tapoté de sa canne pour qu’il s’écarte, comme une merde qu’on repousse du chemin, il jure de se venger. Il a perdu son éducation, puis sa mère, puis son amoureuse, enfin son boulot, c’en est trop !

Le roi Charles II avait anobli les d’Ascoyne en les faisant duc pour services rendus à sa personne ; il avait ajouté plus tard la faveur de transmettre le titre par les femmes pour services rendus à la reine – Louis peut donc légitimement revendiquer le titre. Sauf qu’il existe dix prétendants avant lui dans l’ordre de succession, sans parler des enfants à naître.

Il épluche les journaux et raye avec application chaque décès dans la famille et se voit rapprocher peu à peu de la couronne ducale. Mais les survivants sont jeunes ou bien établis, un coup de pouce au destin serait bienvenu. Louis imagine donc à chaque fois un « accident » différent pour éliminer l’un après l’autre tous les d’Ascoyne qui lui font de l’ombre. Une noyade dans les écluses avec sa poule pour le lord qui l’a snobé et fait virer, de l’essence dans une lampe à paraffine pour son jeune cousin féru de photographie, du poison dans le porto du pénible révérend, une flèche qui perce le ballon de la suffragette d’Ascoyne, une bombe russe dans un pot de caviar pour le général, un accident de chasse pour le duc en titre qui voulait épouser une vache normande pour lui faire pondre des fils… Seul l’amiral, en aristo borné plein de morgue, se noie tout seul avec son navire lorsqu’il donne un ordre absurde puis s’obstine jusqu’au bout – scène tirée d’un fait réel, le naufrage en 1893 du HMS Victoria à cause d’une sottise de l’amiral George Tryon.

Voici donc Louis propre à devenir duc. Après le calicot et grâce à l’enterrement du premier décédé, il a trouvé une place chez son oncle d’Ascoyne, le banquier, au bas de l’échelle mais avec perspectives. Il passe de 2 £ par semaine à 5 £ puis à 500 £ par an. Le vieux d’Ascoyne reconnaît sa précision et sa courtoisie de bien éduqué malgré sa pauvreté. A sa mort (naturelle), il lègue tous ses biens à Louis à titre de réparation pour le préjudice qu’il a subi durant toute son enfance.

Louis devient donc le dixième duc de Chalfont. Il est accueilli au château, qu’il avait visité comme touriste pour six pence, acclamé. Mais le soir même, un inspecteur de la police de Londres vient l’arrêter pour le meurtre… du mari de Sibella, qu’il n’a pas commis. La fille est vaniteuse et égoïste comme les aristos, mais des bas-fonds : la société se reproduit en pire à chaque fois qu’on descend une strate sociale. Elle se mord les lèvres de n’avoir pas cru Louis ni épousé ce garçon courtois qui l’a toujours fait rire, au lieu de cet affairiste barbant et grossier, déjà dès l’enfance. Lionel, croit qu’il est copain avec Louis devenu banquier et peut donc l’utiliser comme garant pour ses affaires véreuses. Après un effet douteux quand même escompté par la banque, il se sent assuré. Mais Louis n’a jamais aimé ce gosse de riches qui s’est toujours mis en travers de ses relations naturelles avec Sibella. Ce n’est pas parce qu’on a grillé des châtaignes ensembles à dix ans dans la même cheminée qu’on est copain comme cochons. Lionel, qui a bu, veut le poignarder à l’énoncé de son refus de le soutenir et Louis le repousse. Ruiné, l’affairiste se suicide plutôt que d’affronter sa femme et la société. Il laisse une lettre, mais la rusée Sibella veut s’en servir pour faire chanter Louis et le forcer à l’épouser. Elle l’accuse donc du meurtre puisqu’il est le « dernier » à l’avoir vu vivant.

Devant la cour des pairs, car jusqu’en 1948 justement la Chambre des Lords avait le privilège de juger elle-même les lords, Sibella toute en noir affecte le chagrin et la pudeur offensée ; elle ment effrontément et les lords la croient, plutôt que de croire les invraisemblances – pourtant vraies – de Louis. L’épouse du cousin d’Ascoyne, tué dans son labo photo, a fini par épouser Louis qui lui a déclaré son amour ; elle vient aussi déclarer sa confiance. Mais cela ne suffit pas. Condamné à mort, Louis rédige dans sa cellule ses Mémoires. Sibella vient lui rendre visite, après sa femme. Elle lui met le marché en mains : « s’il y avait une lettre », il pourrait être innocenté ; mais il faudrait alors que l’actuelle et récente épouse disparaisse, comme les autres. Sinon, tout serait dévoilé. Louis a fait en effet la bêtise d’avouer à sa maîtresse qu’il est bien l’auteur de l’hécatombe qui abat les d’Ascoyne les uns après les autres.

Le matin de la pendaison, un ordre arrive in extremis du ministère : une lettre a été retrouvée. Louis est donc libéré. A la porte de prison, deux voitures l’attendent : celle de sa femme, celle de sa maîtresse. Que va-t-il choisir ? Avant qu’il puisse trancher le nœud gordien, un journaliste l’aborde pour lui acheter ses futures Mémoires. Et Louis pense brusquement qu’il a laissé son manuscrit dans sa cellule, là où avoue tout et en détails !

Sur le ton convenable propre aux conversations, le film conte avec un humour très noir les turpitudes de l’aristocratie anglaise et ses conséquences sur les esprits inférieurs. Nul n’est épargné, sauf peut-être la mère qui a fauté socialement – par amour. Pour tous les autres, le cynisme règne et les rôles sont interchangeables. Alec Guinness interprète d’ailleurs tous les rôles d’Ascoyne, huit en tout, dont une femme.

DVD Noblesse oblige (Kind Hearts and Coronets), Robert Hamer, 1949, avec ‎ Alec Guinness, Dennis Price, Valerie Hobson, Joan Greenwood, Audrey Fildes, StudioCanal 2012, 1h46, €13.00 blu-ray €19.30

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Esteros de Papu Curotto

Ce film argentin sensible n’est pas encore englué dans la pruderie quaker qui envahit le monde depuis l’Amérique réactionnaire. Il dit la nature – la sensualité, l’affection et l’attirance. Il dit le passage béni de l’enfance à l’âge adulte et la naissance du désir, focalisé sur « la première fois ».

Deux amis d’enfance argentins, parce que leurs parents sont eux-mêmes amis, vivent une relation fraternelle jusqu’à leurs 13 ans où les émois surgissent. Matías (Joaquín Parada ado, Ignacio Rogers adulte) est plus gai, plus exubérant et plus sensuel, préférant porter un débardeur plutôt qu’un polo, aimant rire et danser, prenant l’initiative, encouragé par sa mère aimante et attentive aux motions de son garçon. Jerónimo (Blas Finardi Niz enfant, Esteban Masturini adulte) est plus cérébral, en retrait, tenu par son père exigeant plus que par sa mère effacée.

La mère de Matias les voit encore enfants alors qu’ils deviennent adolescents. Elle les encourage à se battre à la mousse à raser torse nu pour le carnaval ; elle les fourre ensemble sous la douche lorsqu’ils reviennent trempés de pluie et de s’être roulés dans la boue ; elle les fait coucher dans la même chambre où le froid ne tarde pas à les faire se rejoindre nus dans le même lit ; elle les prend en photo en slip, endormis dans le même hamac au soleil du matin, le bras passé autour du corps de l’autre. Elle est touchée, admirative, fière de ces deux petits mâles qui savent aimer simplement.

Le film découpe l’action, somme toute banale des retrouvailles dix ans après, entre l’univers onirique de l’adolescence où tout reste possible et celui réaliste de l’âge adulte où tout se referme. Matias n’a guère réussi sa vie ; il est resté amputé affectif, velléitaire créatif, s’occupant d’effets spéciaux et d’animation plutôt que de réaliser un film. Jerónimo a réussi des études de biologie au Brésil, où son père s’est exilé pour trouver du travail lors de leur séparation à l’adolescence ; sa carrière de chercheur sur un soja plus résistant lui assure un bon salaire ; il a une copine, celle-là même qui a remis les deux amis en relation, embauchant Matias pour maquiller Jeronimo en zombie pour le carnaval.

Zombie, le thème préféré des deux ados dans les films lorsqu’ils s’échangeaient des cassettes magnétiques ; zombie, l’image de ce qu’est devenue la vie pour chacun d’eux. Car elle n’est plus irradiée par l’amour, le plaisir de l’autre, la joie de l’échange, le soutient dans les efforts. Après le carnaval, où la petite amie déclare à Jeronimo qu’elle le sent parfois décalé, absent, où elle se retrouve comme avec son premier béguin partagée entre la carapace belle et aimable et le quant à soi de son compagnon, elle décide de rester en ville avec ses amies (car elle préfère la ville) tandis que Jeronimo va retourner à la ferme des parents de Matias où ils furent tous les étés jusqu’à celui des 13 ans où le père de Jeronimo a décidé d’émigrer au Brésil pour suivre la modernité.

Les deux jeunes hommes au début de leur vingtaine replongent dans les « esteros », ce paysage mouvant d’étangs et de lagunes de la province argentine de Corrientes. La nature y est vierge, des plantes et des animaux y vivent librement, plus de quatre mille espèces, dont les enfants avaient appris par cœur les principales : le capibara, le loup à crinière, le cerf des marais, l’anaconda, le piranha et le caïman. Malgré ces espèces dangereuses, ils se sentent maternés dans cette nature où se mêlent la terre et l’eau. Ils font des bagarres de boue, plongent dans l’eau glauque des étangs, jettent leurs shorts aux orties, se frottent et s’étreignent dans une exubérance virile et enfantine à la fois. Ils sont dans le sein maternel, au cœur de l’été, tout à leurs sensations et sentiments. Ils retrouvent adultes les émois de leur adolescence et se remémorent leur « première fois », entre eux, dans le même lit, sous le même drap. Peau à peau ils se sont caressés, excités, ont joui. Ce fut leur dernier été, leur seule fois, sans rien de plus, mais inoubliable.

Une fois la décision du père de partir au Brésil, Jeronimo s’est éloigné volontairement de Matias ; il a considéré ce dernier été comme un égarement et s’est remis sur les rails sociaux admis. On le voit parler filles avec les autres garçons tandis que Matias, en retrait, cherche à l’attirer vers lui. Il se refuse. Adulte, Jeronimo reviendra sur ce rejet et le relativisera. Il n’est pas au fond amoureux de sa petite amie, ni prêt à fonder une famille comme tout le monde, ni peut-être même à poursuivre ces recherches de la modernité qui lui semblent un brin vaines. Il choisit la nature, l’éros de l’esteros, et la mère de Matias plutôt que la science, le thanatos de la science, et son propre père. Un hymne au désir, à l’affection et à l’amour plutôt qu’à l’orgueil, l’ambition et la réussite. Léger et pudique, joliment tourné avec des acteurs en empathie.

DVD Esteros, Papu Curotto (Argentine), 2016, avec Ignacio Rogers, Esteban Masturini, Joaquín Parada, Outplay 2017, 1h23, €20.00 espagnol sous-titré français ou anglais

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Tremblement de terre de Mark Robson

L’un des premiers films catastrophe, sorti en 1974 juste après le premier choc pétrolier qui allait remettre en cause tout le mode de vie (et la domination) de l’Occident. Dans les profondeurs de la psyché américaine, « Dieu » rappelait aux bâtisseurs de Babel qu’ils étaient dans sa main et que sa Création était, est et restera plus forte qu’eux. Los Angeles, la cité des anges, s’est construite sur une faille sismique mais sans en tenir compte, faisant comme si de rien n’était. Les immeubles sont aux normes minimales, voire moins, tant le coût de construction de l’anti-sismique est élevé. Orgueil, insouciance, appât du gain, voilà des péchés punissables !

Donc la terre s’ébroue et gronde. Oh, une petite secousse au départ pour dire que le dragon se réveille ; juste de quoi faire dévier les boules de billard et s’empoigner des rustauds qui en sont restés à mesurer la plus grosse. Querelle de bac à sable qui indiffère au pochetron coiffé d’un chapeau claque rouge cardinal qui écluse whisky sur whisky, tout à son vide intérieur. Qui laisse de marbre aussi le flic Lew (George Kennedy) – prononcez Lou – suspendu pour avoir empiété sur le comté voisin et endommagé une clôture de milliardaire, dans sa poursuite échevelée d’un « jeune » (évidemment con) qui a renversé sans s’arrêter une fillette bougnoule – pardon, « mexicaine », en 1974 aux Etats-Unis, c’est pareil.

Et puis c’est une secousse plus grave et plus longue qui agite toute la ville. Elle pousse la fille à papa gâtée dans la quarantaine Remy (Ava Gardner, insupportable) à se jeter dans les bras de son mâle Stewart (Charlton Heston), l’ingénieur en chef en bâtiment de l’entreprise de son riche père Sam (Lorne Green), qui devrait prendre sa suite. Lequel en a marre de cette infantile alcoolique et collante (tout à fait Ava Gardner) et passe voir sa protégée Denise (Genevieve Bujold) plus jeune et nantie d’un gamin fan de soccer (Tigger Williams), dont le mari est mort sur ses chantiers et dont il n’a pas encore fait sa maîtresse ainsi que les compte-rendus ignares l’affirment. Justement, tout le (mince) ressort du film est là, dans cette tension entre l’épouse légitime avec la position sociale, et l’amour bohème qui renaît dans les ruines. Qui sauver quand on est obligé de choisir ?

Car la ville s’écroule, les bâtiments s’effritent et se délitent déjà par pans entiers tandis que les orgueilleuses maisons sur pilotis construites dans la pente voient leurs poutrelles sombrer dans le sol qui se dérobe. Les maisons de carton-pâte et de plâtre se plient comme des châteaux de cartes et ne sont vite que débris dans lesquels des humains se trouvent empêtrés. Le commissariat du comté s’est effondré sur les flics et seul le suspendu est indemne parce que hors les murs. Lui est un flic à l’ancienne, qui croit que la loi est faite pour protéger les plus faibles et non pas les plus riches et puissants ; il organise le sauvetage en équipes – les hommes valides à la pioche pour relever les blessés, les femmes avec les gosses dans les maisons indemnes (nous sommes dans l’ère encore machiste des années 1970).

Un assistant au centre d’observation sismique de la ville (Kip Niven) croit à la théorie de son maître, parti sur le terrain installer des instruments de mesure, selon laquelle une grande secousse serait précédée de deux plus petites en intensité croissante. Selon ses calculs de probabilité, la première ayant été de 3,5 sur l’échelle de Richter, si une seconde plus forte se produit, la Big One de 7,5 à 8 se produira alors dans les 48 h. Le professeur parti sur le terrain meurt dans une faille et le directeur du centre (Barry Sullivan) doit décider de prévenir ou non les autorités. Si la théorie s’avère, il sauvera des centaines de milliers de gens ; si c’est une fausse alerte, il sera ridiculisé et le centre probablement fermé. « Mais à quoi sert un centre d’observation, si c’est pour ne pas prévenir lorsque l’on craint ce qu’on observe ? », dit alors à peu près le jeune assistant sans grade mais avec bon sens. La seconde secousse se produit et le directeur alerte le maire (John Randolph), lequel active le gouverneur (d’un parti opposé au sien, ce qui ajoute de la réticence), qui active à son tour la garde nationale.

Celle-ci est composée de citoyens réservistes qui, alertés par la radio, doivent quitter sur le champ leur travail pour revêtir l’uniforme et patrouiller armés dans les rues afin d’éviter les pillages. L’organisation des secours n’est pas de leur ressort, propriété d’abord, nantis en premiers. Le gérant d’une supérette est justement l’un d’eux (Marjoe Gortner), fana mili, grand admirateur de muscles et d’armes, et même sous-officier. Ses voisins racailles se moquent de lui et l’accusent d’être pédé – injure suprême du machisme prégnant en ces années 1970, et qui revient en force avec les trumpiens. Le film ne lui fait d’ailleurs pas de cadeau ; apparemment puceau et attiré par les grands mâles demi nus qui tapissent les murs de sa turne, Jody a flashé dans sa boutique sur une jeune fille sexy, Rosa (Victoria Principal), qu’il retrouve arrêtée par la garde nationale pour « pillage » – elle a volé un petit pain dans une boutique en ruines, tout en lorgnant sur la caisse mais sans avoir le temps d’y toucher (on ne saura pas si elle l’aurait fait). Il la prend sous son aile et la séquestre dans un coin pour la séduire avec l’intention de la violer et de se prouver ainsi qu’il est un homme. Il n’en aura pas le temps, la crise précipitant les choses. Le flic Lew, qui passait par là avec Stewart dans son 4×4 rempli de blessés qu’ils mènent au centre de soins le plus proche, entend les appels à l’aide de la jeune femme à qui il a été présenté par un cascadeur en moto vaguement copain (Richard Roundtree) le matin même au bar ; c’est la sœur de son associé Sam (Gabriel Dell) et elle arbore sur une paire de seins bien tendus le nouveau tee-shirt publicitaire de la cascade. Le flic ruse et intervient à temps pour descendre le proto-violeur devenu fou et dont les hommes se sont égaillés à la recherche d’un officier. Celui qui se croyait un héros n’est pas celui qui en prend l’apparence.

Stewart, dans son immeuble de bureaux qui croule, sauve sa femme et son patron qui est son beau-père dans une séquence haletante où un escalier qui donne sur le vide après l’effondrement d’une partie de la façade permet, avec le tuyau d’incendie en guise d’encordement, de se laisser descendre un à un douze mètres plus bas pour retrouver un escalier intact. Les imbéciles qui ont pris l’ascenseur dans la panique sont tous morts écrabouillés lorsque la cabine – inévitablement – s’est détachée. On vous le dit bien, pourtant, et on vous le répète, de NE JAMAIS PRENDRE L’ASCENSEUR en cas d’incendie ou de tremblement de terre. Si l’électricité est coupée, la cabine devient un cercueil ; si les câbles sont coupés, elle devient un shaker pour viande humaine. Une fois sa famille à l’abri, dans le centre de soins en sous-sol d’un immeuble qui a résisté, Stewart part à la recherche de Denise la jeune comédienne et de son fils Corry, lequel est parti se promener en vélo autour de la maison.

Lorsque j’ai vu ce film au cinéma à la sortie il y a cinquante ans, avec ces fameux infrasons du procédé sensurround qui vous mettaient illico dans l’ambiance tendue du stress sismique, j’ai retenu moins l’histoire générale (banale) que deux séquences : la première était cet homme poussé par la foule dans l’escalier béant sur le vide et qui se raccrochait à une poutrelle en acier qu’il ne pouvait tenir, chutant alors dans le vide avec un hurlement que l’attaque terroriste des Twin Towers a renouvelé à la mémoire; la seconde était ce gamin en vélo précipité en bas d’une passerelle en bois surplombant le canal de dérivation du barrage de Los Angeles, vide d’eau, et ces câbles à haute tension rompus par la secousse qui crépitaient et sautaient comme des serpents autour du jeune corps inerte. La maman a agi en tigresse en descendant le prendre contre elle, mais elle n’a pu remonter seule ; le cascadeur moto noir et son associé, qui ont vu leurs espoirs de spectacle s’écrouler avec le tremblement de terre, passant justement en camion pour l’aider.

Tous les protagonistes se retrouvent alors dans le centre de soins où le beau-père de Stewart décède d’une crise cardiaque, Remy sa fille erre dans le parking en sous-sol en attendant des nouvelles, Corry est soigné de son traumatisme crânien léger par le docteur Vance (Lloyd Nolan) et sa mère attend la suite. C’est là que la grande secousse survient, comme prédit par la théorie. Evacuer des millions d’habitants en 48 h aurait été la panique, aussi les autorités n’ont rien fait d’autre que préparer les soins et les refuges pour après. Avis à la population : démerdez-vous. Après tout, l’Amérique est le pays des pionniers, il ne faut pas compter sur la cavalerie pour vous sauver de votre bêtise si vous avez choisi d’habiter sur les pentes instables, sur les collines sous le barrage, ou dans des immeubles du centre-ville construits à l’économie.

Ce Big One fait s’effondrer en grande partie l’immeuble des premiers secours et les proches de Stewart, ainsi qu’une soixantaine d’autres personnes, sont enfermés par les gravats au troisième sous-sol. Le barrage se fissure et, bien que des eaux soient lâchées dans le canal, arrivant à flot pour le suspense juste au moment où le cascadeur sauve la mère et l’enfant, il s’effondre à son tour. Les eaux rugissantes s’engouffrent dans les égouts et les sous-sols, pour le suspense final juste au moment où Stewart et Lew sont parvenus à percer au marteau-piqueur le mur de béton du troisième parking et à sauver les gens pris au piège. Mère et fils sont ramenés à la surface, Remy monte à l’échelle mais le grimpeur précédent lui marche sur les mains, ce qui lui fait lâcher prise ; elle se retrouve dans le flot écumant. Stewart hésite : sauver sa femme qu’il veut quitter ou rejoindre sa future maîtresse ? L’acteur Charlton Heston a fait inscrire dans le scénario qu’il voulait que le héros meure à la fin, ne désirant pas tourner un Tremblement de terre 2. Il choisit donc la morale de son temps et la fidélité au couple plutôt que la transgression post-68 de l’amour d’abord.

Sans les infrasons, le film paraît bien-entendu plus fade. Il permet de mesurer le scénario de Mario Puzo (l’auteur du Parrain), pas simple à synthétiser en deux heures avec George Fox, et réduit à quelques protagonistes seulement dans la grande catastrophe de la ville. Seul le canevas autour de l’ingénieur en bâtiment Stewart est crédible, les autres ne sont que des comparses à peine esquissés : le flic, le cascadeur, la sœur de l’associé. L’époque ne montre que le minimum, sans hémoglobine ni râles d’agonie, le spectaculaire est réservé aux choses. Nous avons vu pire depuis, dans la réalité comme au cinéma, mais il est doux de se remémorer le temps où l’humanité au spectacle était plus douce.

DVD Tremblement de terre (Earthquake), Mark Robson, 1974, avec Charlton Heston, Ava Gardner, George Kennedy, Genevieve Bujold, Universal Pictures France 2002, 2h01, €12,38

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Amal Bakkar, Les perles du Tao

« Apprends à écrire tes blessures dans le sable et à graver tes joies dans la pierre » dit Lao Tseu en incipit. Ces quatre nouvelles y répondent ; elles portent sur la femme : épouse, mère ou fille.

Elles explorent la difficulté des relations quand on vient d’un pays différent et que l’on porte sa couleur sur sa peau, le Mali par exemple. Ou que le choc des cultures se révèle inconciliable, tel l’islam avec la république, du moins cet islam dérivé, dégradé, intégriste, qui fait la fierté des mauvais, des faibles et des perdants. Ou que l’histoire familiale soit tissée de non-dits qui deviennent insupportables, non que « la vérité » soit la solution miracle par elle-même, mais la sincérité des paroles, oui.

Relève-toi, Majda ! Surmonte ton père, Maki ! Découvre ta mère, Majda ! Ecris pour tromper le cancer, Hélène !

Majda est marocaine immigrée de seconde génération et épouse un Yohan blond aux yeux bleus, commercial qui voyage au Liban, en Jordanie, au Yémen, en Algérie et se prend de passion pour la religion musulmane – au point d’être « fiché S » pour radicalisme. Le lecteur trouve cependant un peu bizarre qu’il aille tous les jours à la mosquée mais que l’autrice affirme sans sourciller « qu’il boit un coup de trop à l’apéro » p.18. Imposer le voile à sa femme et la traiter en serpillère n’est pas un commandement ; éviter l’alcool et tout ce qui endort la vigilance de l’esprit, si. Majda reste mariée cinq ans et passe trois ans au Palais de la Femme, centre d’hébergement pour femmes battues à Paris, d’où elle parvient à divorcer et à retourner au Maroc où, selon l’autrice un peu optimiste, « Tout est ouvert. La tolérance et le respect y règnent » p.20. Je connais le pays, il n’est pas si parfait…

Maki et Saya sont fils et fille d’un couple de Maliens immigrés qui végètent dans de petits boulots d’esclaves. Maki choisit le théâtre, Saya médecine, ils réussissent parfaitement leur intégration. Mais le père vieillit, s’aigrit, jalouse leur bonne fortune. Avare parce qu’il a trop manqué, il n’est jamais content de l’argent que ses enfants lui donnent – lui doivent. Maki tente la drogue puis le suicide malgré une épouse et un enfant qui naît. Il se rate, le père se repent.

Une femme est la fille du père de sa mère Zoubida. Drame du non-dit, sa mère ne veut pas parler. Et puis elle jure que si.

Une autre, Hélène, fantasme que son mari Antonio la trompe avec sa sœur Angela. En fait, c’est le cancer. Ecrire pour échapper à la tristesse est le remède complémentaire à la chimio. Ce qui justifie Lao Tseu.

Toujours une fin heureuse à des histoires misérables. D’un optimisme ancré qui donne du bonheur, l’autrice franco-marocaine utilise son expérience d’assistante en ressources humaines pour écrire ces histoires, issues du vrai. Elle est mère de deux enfants, Issa et Tino, et se dit « femme épanouie ». Ses thèmes sont intéressants et pile dans l’actualité, mais bruts de décoffrage. Il s’agit de canevas qui devraient être enrichis de psychologie et d’action pour donner à chaque fois un portrait qui permette d’adhérer aux personnages. Mais l’autrice a su éviter l’écueil du politiquement correct et de la complainte woke, ce qui est clairement à encourager.

Amal Bakkar, Les perles du Tao, 2021, Editions Claire Lorrain, 50 pages, €17.00

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Jules Vallès, L’Enfant

Premier tome de la trilogie romancée de son autobiographie, Jules Vallès se met en scène sous les traits de Jacques Vingtras (mêmes initiales), de sa naissance en juin 1832 à 16 ans en 1848. Bien qu’il écrive au présent pour qu’on s’y croie, le personnage n’est pas lui. Il est l’enfant vu par la distance critique de l’âge (la quarantaine avancée) et à la lumière de la Commune de 1871 puis de la IIIe République qui suit. Il s’est rendu unique bien qu’il soit le troisième enfant du couple ; les deux autres sont occultés pour l’acuité de l’épure.

Les derniers lecteurs à pouvoir comprendre ces mœurs et cette époque sont encore vivants aujourd’hui car il subsistait de ces Folcoche abusives jusqu’avant les années post 1968, où la société a radicalement changé de paradigme. Seuls ceux qui ont vécu leur enfance au début des années soixante encore ont pu avoir une mère telle que décrite et un père fonctionnaire humilié tel qu’il est présenté. La mère est obsédante, l’enfant la craint, voire la hait car elle le bat par principe (on dit qu’elle « le corrige ») et le lave tout nu à grands coups de bassine d’eau froide dans la cuisine ; l’adolescent puis l’adulte la comprennent et pardonnent. Cette Julie, sortie de la paysannerie par son mariage avec un petit intello fonctionnaire, aspire à la bourgeoisie. Elle méprise ouvertement artisans et commerçants de la « petite » classe pour viser à la « moyenne », celle qui pose en société, le milieu cultivé. Ne travaillant pas comme le font les paysannes, les ouvrières et les commerçantes, sa seule activité valorisante est de « dresser » son moutard et de « tenir » la maison (et les cordons de la bourse). « Qui remplace une mère ? Mon Dieu ! une trique remplacerait assez bien la mienne » p.212 Pléiade.

Méfiante, avare, elle veut le mieux pour faire réussir l’enfant et, pour cela, il faut le « contraindre » – pour son bien. Tout ce qui est nature est proscrit, tout ce qui est domptage social requis. Voudrait-il avoir la liberté du corps ? On l’enferme dans des cols et des redingotes, on lui interdit de sortir jouer avec les petits du peuple, on l’enferme en classe et étude. Aime-t-il les poireaux ? On lui refuse. Déteste-t-il les oignons ? On le force. Nourri au gigot la première semaine du mois, cuit, réchauffé, froid, en hachis, en boulettes, le gamin est vigoureux et « râblé » ; il « a du moignon » (du muscle) et aime s’en servir. Dès 11 ans, il en remontre à ses cousines paysannes en sautant à pieds joints une barrière ; à 14 ans il porte les bagages ; à 15 ans il séduit (sans le vouloir laisse-t-il entendre) Madame Devinol, une femme mariée qui l’emmène à la campagne pour lui faire son affaire avant que, cocasserie où l’ombre de la mère paraît, sa classe de collège en goguette reconnaisse à l’entrée son chapeau prétentieux imposé par maman et interrompe l’idylle.

Le jeune Jacques/Jules aime la liberté, la nature, l’espace. Il est contraint par les convenances, les vêtements, la maison et le collège. Il se trouve enfermé et angoisse, ne s’évadant que par les livres, Robinson Crusoé enfant, le récit des grands hommes adolescent, puis celui de la Révolution. A 8 ans il ôte sa cravate pour aller col ouvert embrasser sa tante qui sent si bon ; à 11 ans sa cousine un brin amoureuse de sa vigueur lui fourre un bouquet souvenir à même sa peau nue par le col de sa chemise ouverte. L’enfant est énergique, sensuel. « Cet air cru des montagnes fouette mon sang et me fait passer des frissons sur la peau. J’ouvre la bouche toute grande pour le boire, j’écarte ma chemise pour qu’il me batte la poitrine » p.232.

Quant à son père, il est distant, il est « pion » même à la maison. Faible devant sa femme, il a peu de moments complices avec son fils. Celui-ci, dans le même lycée où il enseigne, peut lui faire honte et entacher sa carrière besogneuse, peu reconnue. « Je m’étais rappelé tout d’un coup toute l’existence de mon père, les proviseurs bêtes, les élèves cruels, l’inspecteur lâche, et le professeur toujours humilié, toujours malheureux, menacé de disgrâce ! » p.345. Si le gamin n’est pas mauvais en thème grec et en version latine, s’il comprend la géométrie parce qu’un maçon italien réfugié lui a montré avec les mains, il n’accroche à aucune abstraction, ni mathématique, ni philosophique, ni religieuse. Qu’il faille énumérer « les preuves de l’existence de Dieu » ou « les sept facultés de l’âme » le laisse froid ; d’ailleurs il pourrait y en avoir huit – ce qui lui fera rater son bac la première fois. Il préférerait comme ses oncles la vie à la campagne, « se dépoitrailler aux chaleurs comme un petit vacher » ou manier les outils d’artisans. L’exemple de son père ne lui fait aucune envie : « bien » travailler et « dur » – pour ça !

La famille à trois suit la carrière de Monsieur le professeur, d’abord répétiteur puis agrégé, du Puy à Saint-Etienne, enfin à Nantes. Le fils est envoyé à Paris à 15 ans après l’histoire de femme revenue aux oreilles du proviseur qui a conseillé à son père d’éloigner le scandaleux. L’adolescent découvre Paris, la pension minable certes, où il n’est pris que pour gagner les concours comme un veau de comices, mais aussi les copains avec qui il sort au café et déambule sur les boulevards. Et puis le journalisme sous les traits d’un républicain farouche qui loge son ami de collège et avec qui il découvre le peuple révolutionnaire (qui ressemble aux siens) ainsi que les fracas et senteurs de l’imprimerie. Au bout d’un an, sa mère vient le chercher pour qu’il retourne à Nantes ; il a quelques duvets de moustache et a beaucoup grandi. Ses vêtements confectionnés à la maison dans des chutes de vieux tissus le rendent ridicule et il exige, cette fois contre sa génitrice, un costume sur mesure.

Il a trouvé à Paris comment briser les chaînes de servitude qui lient l’individu, la famille et la société, l’enfant dressé contre sa nature pour « arriver », l’éducation idéologique qui force l’adhésion sociale, les postes conquis par l’entregent et le piston. Tout cela est décrit en phrases simples, charnues, qui reviennent vite à la ligne. Une ironie féroce court dans les descriptions de maman, l’auteur affectant de prendre son parti tout en montrant ses ridicules prétentions en même temps que son illusion de bien faire son travail de mère en le taillant, le dressant et le corrigeant pour son bien.

Une grande œuvre sur un moment de l’éducation enfantine – mais aussi sur un moment de l’évolution sociale.

Jules Vallès, L’Enfant, 1876 revu 1884, Folio 2000, 416 pages, €7.50

Jules Vallès, Œuvres tome II 1871-1885, Gallimard Pléiade 1990, édition de Roger Bellet, 2045 pages, €72.00

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De Locmaria au Palais

C’est notre partie la plus facile du tour, mais le dernier jour et sur 17 km quand même. Le vent a tourné au nord, ce qui nous permet de l’avoir dans le nez, mais moins fort qu’hier et sans grains cette fois-ci.

Dans une anse près de Locmaria est installé un camp scout. La plage de sable dans la crique est juste au-delà de la route. Les gamins, que l’on voit en chemise par ce matin venteux, doivent être excités par le vent et l’eau froide vu qu’ils sont peu boutonnés. Le climat breton incite à discipliner sa libido.

À la pointe de Kerdonis, le phare qui culmine à 37,90 mètres au-dessus de la mer fait l’objet d’une légende contemporaine. Une famille était gardien de phare et le père, le soir du 18 avril 1911 est mort en nettoyant la lentille. Comme le mécanisme était démonté, sa femme et ses enfants ont fait tourner le phare toute la nuit à la main, avec le cadavre à leurs côtés, pour ne pas que les marins soient privés du feu annonçant les abords de Belle-Île et l’entrée dans le golfe du Morbihan. Le chanteur Théodore Botrel les a appelés « les Petits Gardiens du feu » et la veuve Matelot a reçu la médaille d’honneur des Travaux publics.

À Port An Do, tout près de là, est la plage où ont débarqué les Anglais en 1761.

Nous marchons parmi les fougères avec quelques criques en dénivelée, mais moins accentuées que sur la côte sud. La maison idéale de Sandrine est tout en pierre de granite, une plage au pied dans sa crique. Il faut simplement clôturer le terrain avant la pente si l’on a des enfants petits.

Nous passons le hameau de Samzun, qui me rappelle Anaïck portant ce même nom de famille, une archéologue que j’ai bien connue. Puis surgit la plage des Grands sables, la plus grande de l’île, où la chienne court et aboie aux vagues mais surtout au kit-surfeur dont la voile lui fait peur. Un ado s’essaie à la planche mais il y a moins de rouleaux que sur la Côte sauvage.

Nous avons laissé nos affaires à la bagagerie des Cars bleus ce matin et nous les récupérons pour prendre le ferry de 16 heures qui nous mènera à Quiberon. Sur le pont supérieur du Bangor, j’observe un père aux trois fils ; il les cajole et leur parle à tour de rôle. Celui du milieu, 7 ans, vêtu d’un blouson de simili cuir, d’un pull et d’un polo, veut absolument se mettre sur son ventre nu, sous le T-shirt. Le plus petit, 4 ans et tout blond, l’imite, puis veut jouer l’avion à bout de bras. Un papa poule.

Les adieux sont très brefs, le Tire-bouchon part trois quarts d’heure plus tard et, si je tente d’attendre quelques minutes la navette qui ne vient pas, je décide très vite d’aller à la gare à pied. C’est éprouvant pour mon ampoule sous le pied droit mais efficace, car j’arrive vingt minutes avant le départ. Une fois installé, je suis sur le siège d’à côté où deux frères s’aiment d’amour tendre. Cela semble de plus en plus courant comme si le monde hostile incitait aux câlins. Le plus grand a 13 ans et écoute sa musique avec des oreillettes tandis que le petit a 6 ou 7 ans. Il pose sa tête sur le torse de l’aîné et se laisse câliner distraitement par la main. Un autre garçon plus grand et un cousin ou un ami, ou deux cousins, sur le siège derrière, écoutent eux aussi la musique de leur téléphone portable. La mère est assise sur le siège derrière moi et s’occupe de distribuer les vivres, un sachet de pomme pressée et un mini cake emballé pour chacun. Lorsque le train arrive à Auray, elle demande au petit frère de réveiller l’aîné « en lui faisant une caresse pour ne pas le brusquer ».

Dans le TGV pour Paris, un bobo qui lit Le Monde sur un siège parallèle face à moi est sans cesse sollicité par ses deux filles. La plus jeune a 8 ans, la plus grande 10 ans. Si la cadette fait très fille, l’aînée est un garçon manqué comme la Claude du Club des cinq. Fagotée d’un short de foot, d’un t-shirt vert pomme et d’un k-way rouge, elle porte des tongs. Je l’ai cru garçon avec ses cheveux blonds dans le cou, ses longues jambes nues et sa vêture foutraque, mais ses tongs sont roses et papa l’appelle Pépita. Lui casse la croûte avec une boite de sardines et une boite de thon. Il y a du pain et des crêpes, rien de plus. Les filles doivent s’en contenter ou « demander à Juliette », une amie, une tante ou une belle-sœur du wagon voisin, « si elle a du fromage ». Passe alors celui que le père appelle aussitôt « Cupidon chéri », un mignon petit blond de 5 ou 6 ans qui se prénomme en réalité Paul.

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Moi Daniel Blake de Ken Loach

Le Royaume-Uni a poussé plus que les autres Etats développés l’austérité sociale, mélange du devoir de se prendre en main protestant avec la liberté absolue libertarienne. Ce que la gauche française appelle « ultralibéralisme », tordant les concepts par haine du libéralisme des Lumières (au profit du collectivisme « socialiste », voire tyrannique). Ken Loach lance un coup de gueule très ironique dans son film de 2016, montrant à la fois les bêtises des administrations courtelinesques et l’inhumanité des fonctionnaires ou petites mains privées d’une délégation de « service » public.

Son personnage principal, Daniel Blake (Dave Johns), est un menuisier de 59 ans qui a eu une alerte cardiaque sévère et à qui son médecin traitant interdit de travailler. Un employeur, le sachant, serait soumis à des poursuites s’il passait outre. Mais l’Etat n’est pas soumis aux mêmes règles et « le système » des allocations chômage depuis 2008, exige de certains malades aptes partiellement au travail une recherche d’emploi. Pour cela, ce n’est pas un médecin qui décide, pas même du personnel médical, mais depuis 2010 une société privée à laquelle est faite concession pour l’éligibilité à la pension de handicap. Un interminable questionnaire de 50 pages pointe les critères requis : Daniel Blake n’en a que 12, il lui en faudrait 15. Il se trouve donc dans une situation ubuesque où il doit chercher du travail pour toucher les allocations chômage de l’ESA (Employment and Support Allowance) – mais sans pouvoir dire oui à une quelconque proposition par interdiction du médecin.

Il peut faire appel de la décision inepte du rouage pseudo-administratif incompétent, mais il doit pour cela attendre le coup de fil de la personne qui le suit (qui arrive tardivement sous forme de message téléphonique automatique), puis sa lettre de refus (qui arrive avant), avant de se connecter à Internet pour faire appel en ligne. Tout renseignement est accessible sur un numéro payant, submergé par les appels en incompréhension des usagers, ce qui demande près de deux heures d’attente ! Evidemment Daniel, vieux manuel, ne connait rien à Internet, tout juste s’il sait se servir d’un téléphone mobile. Mais aucun fonctionnaire de l’administration du Jobcentre n’a le temps de l’aider, chacun est minuté par souci de rentabilité. A lui de se prendre en mains et de se débrouiller.

Il doit s’inscrire malgré tout au chômage faute de pension de handicap, mais uniquement en ligne ! Tout juste si, au second rendez-vous, le rouage qui suit son dossier (Sharon Percy) lui prescrit une formation (obligatoire) en rédaction de CV, mot qu’il n’a jamais rencontré. S’il ne s’y rend pas et n’obéit pas aux consignes, il sera « sanctionné » : trois semaines d’allocations supprimées la première fois, plus si récidive. Il devra aussi consigner le détail de ses recherches d’emploi qui devront lui prendre 35 heures par semaine, cela dans un contexte de crise économique après l’explosion de la finance en 2008-2010. Et comment les prouver ? « Demandez un reçu, ou faite une vidéo avec votre smartphone », lui répond la fonctionnaire. « Je suis un homme malade, dit-il, recherchant des boulots inexistants ».

Lorsqu’il patiente au Jobcentre en attendant son tour, il prend le parti d’une mère célibataire, Katie Morgan (Hayley Squires) avec deux enfants de pères différents (Briana Shann et Dylan McKiernan). Elle vient d’emménager dans le quartier en logement social et a du retard au rendez-vous car elle connait mal encore les transports. Le fonctionnaire directeur, régulateur de flux comme à la SNCF (Stephen Clegg) la renvoie à un prochain rendez-vous qui lui sera fixé car « ici, on a des règles » (curieuse remarque de la part d’un mâle dominant). Daniel, avec bon sens, s’insurge : peut-être pourrait-on s’arranger en décalant le rendez-vous suivant avec son accord ? Rien à faire, l’administration est aveugle et ses sbires imbéciles. Le vieil anglais ouvrier veuf va nouer des liens d’amitiés avec la jeune paumée mère célibataire et les deux vont s’entraider.

Katie ne peut loger dans sa ville natale où réside sa mère car elle serait en foyer de sans-abri et ses deux enfants lui seraient retirés. Elle doit chercher du travail mais, malgré ses tracts dans les boites aux lettres bourgeoises pour des heures de ménage, elle ne trouve rien. Donc elle se prive pour nourrir ses enfants, allant jusqu’à craquer en ouvrant une boite de haricots à la tomate qu’elle enfourne dans sa bouche dans les locaux mêmes de la banque alimentaire. Et jusqu’à voler pour le superflu, lingettes ou crème pour le visage. Ce qui la fait convoquer par le directeur du supermarché, qui passe l’éponge à condition qu’elle ne recommence pas. Il est en fait rabatteur pour son agent de sécurité, Ivan (Micky McGregor), qui l’aiguille vers la prostitution… Elle pourra ainsi acheter des baskets neuves à sa fille, les vieilles prenant l’eau ce qui la fait moquer par ses petites camarades.

La société anglaise de notre siècle, comme au siècle Victoria décrit par Dickens, éjecte les vieux (Daniel Blake), marchandise les femmes (Katie Morgan) et oblige les jeunes non-qualifiés à frauder (le voisin noir de Daniel qui vend de la contrefaçon commandée directement en Chine, Daniel devenu tagueur pour qu’on l’écoute simplement). La toute-puissante Administration multiplie les obstacles bureaucratiques, avec ses règles incompréhensibles et ses automatismes de répondeurs, choix à touches, imprimés sur le net, règles tatillonnes, pour décourager les citoyens de « vivre aux crochets » de l’aide publique. Je crois que de nombreux braillards français devraient faire un stage Outre-Manche, comme George Orwell l’a fait dans les bas-fonds, pour apprécier le système social français au lieu d’en demander « toujours plus » comme des égoïstes avides ! La souffrance comme système politique pour maintenir les citoyens tentés par la révolte à faire profil bas : telle est la société de 1984 décrite plus tard par le même Orwell. Nous n’en sommes heureusement pas encore là en France.

Le scénariste Paul Laverty et le réalisateur Ken Loach ont enquêté auprès des chômeurs anglais pour connaître leur existence de tous les jours, et ce n’est pas du misérabilisme. Ils traitent le sujet avec ironie et tendresse, gardant confiance en l’humain sous les carapaces de statut. L’ANPE française dégradée en Paul en ploie a pris un temps le chemin anglais, convoquant les chômeurs exprès le lundi matin à 8h30 en banlieue pour un poste qui n’entrait pas dans leurs compétences selon leur CV, ou n’en assurant jamais plus le suivi s’il y entrait – j’en suis personnellement témoin. Il fallait faire du chiffre, tout en domptant les « ayant-droits » par un lever aux aurores et une « mobilisation » sans faille.

Pas de quoi rester « bon citoyen » très longtemps…

Palme d’or Cannes 2016

DVD Moi, Daniel Blake (I, Daniel Blake), Ken Loach, 2016, avec Dave Johns, Hayley Squires, Sharon Percy, Le Pacte 2017, 1h37, €10.00 blu-ray €15.00

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Joaquin Scalbert, Nouvelles du temps présent

Deux nouvelles dont une courte sur l’expérience de mort imminente, pas la meilleure car trop didactique. Mais l’auteur s’en tire avec une pirouette à la fin.

La plus intéressante, Zoël et ses pères, fait 85 pages, soit 70% du recueil. Elle met en scènes les conséquences (inattendues) de l’exigence de transparence pour les donneurs biologiques de sperme.

Zoël est un garçon de 16 ans qui a des doutes sur ses origines parce que ses parents – qui l’aiment – parlent toujours de ses succès en se référant à la famille de sa mère mais jamais en comparaison avec son père, ce qui est curieux. Personne ne lui a dit qu’il était né d’un donneur de banque, à Los Angeles pour être plus précis, car la législation était plus libérale vingt ans auparavant en Californie que dans le vieux pays catholique engoncé dans son juridisme bureaucratique qu’est la France.

L’auteur élimine d’emblée les problèmes familiaux, le couple est sans histoire, avec deux filles après Zoël ; tout le monde s’aime bien. Mais la quête de l’intelligent aîné, poussée par la mode de la transparence pour tout et rien, va perturber l’équilibre longuement acquis. Le père officiel se sent diminué, renvoyé à son impuissance spermatique, fin de race d’une lignée d’aristos portant un nom. La mère se sent pousser des ailes, elle a tout décidé, choisi les critères du géniteur sur catalogue (blond, intelligent, artiste, sportif…). Le fils se découvre un nouveau père, justement dans le domaine professionnel qu’il affectionne, le cinéma, dont il veut faire son métier.

Mais qu’en dira-t-on ? Dans la famille collet monté, dans la société où les « amis » vont jaser, à l’école, auprès des filles ? D’ailleurs, le père des filles est-il leur père ? Non, bien-sûr – et elles, qui n’ont rien demandé, vont devoir vivre avec cette révélation. Du côté du père biologique, Victor, trouver un fils supplémentaire seize ans après est plutôt flatteur, une curiosité, mais du côté de sa femme et de ses fils, cela pose question. D’autant que l’épouse se sent flouée de ne pas avoir été mise au courant de ces dons de sperme aux Etats-Unis et de l’autorisation donnée aussi à ce que le géniteur puisse être un jour contacté. Journaliste d’investigation, elle veut en écrire une enquête en forme de scoop, ce qui est plutôt gênant pour tout le monde !

L’auteur, qui affectionne de façon manifeste les retournements de situation, va conclure sans conclure. Car il affectionne aussi de poser les problèmes sans les résoudre, laissant à chacun la réflexion ouverte. Il n’est certainement pas un « écrivain engagé ».

Mais il est vrai que toutes ces manipulations sociales sur la procréation, PMA, GPA, eugénisme euphémisé des banques de sperme ou d’ovocytes, opérations transgenres, obligent à la recomposition par étape des familles. Elles ne sont pas faites pour l’équilibre mental des enfants, ni pour une stabilité affective et éducative des couples. Les apprentis sorciers du « j’ai l’droit », qui savent tout mieux que tous leurs ancêtres, jouent avec la génétique et l’enfance comme aux dés. Juste pour voir. Juste pour le plaisir. Car le « droit » individuel est devenu sacré et les désirs des ordres. La société occidentale, menée par le consumérisme libertarien américain, génère des citoyens qui trépignent comme des gamins de 2 ans : « moi je », « moi d’abord », « moi aussi » ! Comme s’ils étaient sûrs d’avoir « le choix » de leur destin… Ils n’ont jamais lu Darwin, ni Nietzsche, ni Marx, ni Freud – ni même Bourdieu ! Ils sont conditionnés, ils sont cons tout court de ne pas le soupçonner à l’ère pourtant universelle du soupçon des com(plots).

Quant aux masses démographiques d’autres continents, elles guettent l’instant propice où le suicide collectif fournira l’occasion d’imposer « leur » culture, « leurs » mœurs, « leur » vision du monde. A nos dépens – mais ce sera tant pis pour nos descendants avides d’égoïstes « droits » particuliers. L’auteur se garde bien d’aller jusque-là, trop mainstream comme ancien pubard pour l’oser. Mais il pose avec ironie les bonnes questions.

Joaquin Scalbert, Nouvelles du temps présent – Archives du lendemain, éditions Douin, 2021, 123 pages, €14.00

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

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Mary Higgings Clark, Un cri dans la nuit

Un des premiers, donc des meilleurs Mary Higgings Clark. Nous sommes au tout début des années 1980 où New York vibre d’activité et où les riches un peu snobs adorent les galeries de peinture. Surtout celles qui exposent des peintres américains, ils ne sont pas tant que cela, ni aussi célèbres que les peintres européens. Jenny, jeune femme méritante divorcée et mère de deux fillettes, a obtenu une licence d’art et s’occupe de mettre en scène avec talent et goût une galerie pour son patron. Elle jongle avec son emploi du temps, entre emmener les petites filles à la garderie puis les reprendre, arriver à temps pour accrocher les toiles, répondre aux collectionneurs par téléphone, accueillir les visiteurs intéressés, préparer la réception du nouveau peintre exposé…

Tout semble se passer à peu près bien dans l’hiver glacial enneigé de la Grosse pomme, Jenny s’en est sortie, son ex-mari, un bellâtre théâtreux sans le sou est venu la taper d’une centaine de dollars « pour payer le loyer » (ou ses petites amies). Elle a quitté un moment en pull la chaleur de la galerie pour regarder sa vitrine où elle a agencé la vue du meilleur tableau du peintre, une femme sur balancelle dans le soleil couchant alors que son petit garçon court vers elle. Elle a froid, elle titube sur la glace, des bras la retiennent. Dans son dos est un homme qui la soutient. Lorsqu’elle se retourne, elle est devant Erich Krueger, le peintre qu’elle expose et qui a surgi du Minnesota où il vit isolé dans une ferme depuis la mort de sa mère. Les deux ont un choc : elle parce qu’elle reconnaît l’artiste qui monte, lui parce qu’il reconnait en elle le portrait de sa mère !

Dès lors, tout va s’enchaîner très vite. Erich la veut, il ne peut se passer de celle qui lui rappelle sa perte ; il était très proche de sa mère et, lorsqu’elle est morte, il n’avait que 10 ans. Un accident, dit-on. Il s’est mis à peindre à l’âge de 15 ans comme elle le faisait dans sa jeunesse, avant que son mari, le père d’Erich, trouvant cette activité futile, ne l’oriente vers le patchwork et le tricot. La province paysanne du Minnesota n’est cultivée que de champs, pas de livres, de musique ni de peinture. Erich suit donc Jenny, l’invite à dîner, prend dans les bras ses petites filles, joue avec elles. Le meilleur moyen de se concilier la mère. Un mois plus tard, il l’épouse. Il a acheté l’ex-mari pour qu’il abandonne ses droits sur les enfants et il emmène toute la famille, « sa » famille désormais, dans sa ferme isolée. L’exploitation puis l’élevage de chevaux pur-sang, enfin les tableaux dont la cote monte, font qu’il est très riche et le seigneur du pays, succédant ainsi à son père et à son grand-père.

Jenny est heureuse, elle a trouvé le mari idéal, beau, riche, artiste, aimant.

Mais d’imperceptibles craquements fissurent ce bel idéal. La ferme est très isolée et Erich ne veut pas qu’elle soit trop familière avec le personnel, notamment le jeune palefrenier Joe, ni qu’elle lie amitié avec le voisinage, ni qu’elle participe aux activités du pasteur, ni qu’elle invite ses anciennes amies… Il la veut pour lui tout seul n’hésitant pas mentir et à accuser les autres. Les fillettes n’étant pas encore scolarisées car trop jeunes, le couple peut faire nid sans se préoccuper du monde. Mais il y a pire. Erich est maniaque, il ne veut surtout pas que Jenny redécore le salon ni qu’elle bouge les meubles. Erich se révèle fétichiste, il a conservé sa chambre d’enfant telle qu’elle était lorsqu’il avait 10 ans, juste avant que son père ne le mette en pension après la mort de sa mère. Erich est jaloux, il surveille courrier, téléphone et déplacements de Jenny comme un imam soupçonneux du pouvoir diabolique des femelles. Erich s’isole en son chalet exclusif, à vingt minutes dans les bois, où personne n’a le droit d’aller ni surtout d’y entrer.

Peu à peu, l’idylle se transforme en cauchemar. Jenny se trouve accusée par la rumeur locale d’avoir des amants, son ex-mari a voulu venir la voir et elle l’a rembarré, ne consentant pour s’en débarrasser qu’à le rencontrer dans une auberge à trente kilomètres de la ferme, mais elle a été remarquée lorsqu’il l’a embrassée de force et a « oublié » de le dire à Erich. Le Minnesota n’est pas New York et le puritanisme prend des proportions inouïes par rapport aux standards de la ville. De plus, cet ex disparaît et un soir le shérif apparaît. Jenny l’aurait appelé depuis la ferme et convié à venir lui rendre visite, un témoin l’a vu qui demandait son chemin ; puis Jenny aurait été aperçue en manteau marron monter dans la voiture blanche avec l’ex ; lequel a été retrouvé mort dans la belle auto neuve qu’il avait empruntée, un peu plus loin dans un coude de la rivière, enseveli sous la neige. Jenny est persuadé que tout cela est faux mais elle doute : ne serait-elle pas somnambule, sujette à des moments d’égarement ? Elle est enceinte et plus vraiment elle-même.

Erich applique le chaud et le froid, tendre et aimant pour la vie un moment, puis sec et défiant un autre. Jenny est seule, ne peut se confier à personne, les seuls proches comme Rooney la vieille folle qui a perdu sa fille partie à 17 ans et Mark le vétérinaire dont le père a aimé Caroline, la mère d’Erich, sont des rivaux pour le peintre. Jenny accouche d’un garçon mais le bébé a sa toison de naissance brun roux et non pas du blond d’Erich et celui-ci le rejette, convaincu que c’est le bébé de l’ex. Mais il est souffreteux comme tous les Kruger et ne tarde pas à être sujet à la mort subite. A moins que…

C’est à ce moment que tout bascule dans la folie. Erich n’est pas celui qu’on croit et Jenny n’est pas folle. Il veut la garder et prend en otage ses deux fillettes qu’il enlève sous prétexte d’un voyage en avion sans prévenir Jenny qu’elle n’est pas de la partie. Puis il exige d’elle qu’elle écrive une lettre manuscrite où elle s’accuse de tromperie et de crimes, qu’il gardera soigneusement en coffre au cas où elle voudrait le quitter… La jeune femme réagit enfin, elle se démène pour s’en sortir, aveuglée qu’elle était par le charme et la fortune mais s’étant laissée enfermer par abandon et lâchetés dans un filet d’interdictions inacceptables qu’elle avait par faiblesse laissé s’abattre.

Elle découvre le chalet, explore son contenu, observe les peintures… Et le dénouement s’approche.

Mary Higgings Clark, Un cri dans la nuit (A Cry in the Night), 1982, Livre de poche 1985, 311 pages, €8.20 e-book Kindle €7.49

Les romans policiers de Mary Higgings Clark déjà chroniqués sur ce blog

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