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Daniel Keyes, Des fleurs pour Algernon

De l’ambition infinie de la science… Les laboratoires tentent toutes les expériences, dont celle pour augmenter l’intelligence à la fin des années cinquante est prometteuse. La souris blanche nommée Algernon court de plus en plus vite dans ses labyrinthes en évitant les pièges. Une opération du cerveau plus un traitement hormonal permettent de la faire progresser. Pourquoi, dès lors, ne pas passer à l’expérimentation humaine ? Les protocoles ne sont pas encore au point ? La durée de l’expérience ne permet-elle pas encore de constater la stabilité de la transformation dans la durée ? Qu’à cela ne tienne, les financeurs de la Fondation n’attendent pas ; il leur faut du résultat rapide.

C’est dans ce contexte que les professeurs ambitieux Nemur et Strauss, dont le premier doit soutenir sa thèse de doctorat, vont choisir le déficient mental Charlie Gordon parmi un panel offert par le cour d’études Bikman pour adultes attardés. Il n’a un QI que de 70 mais il est motivé à apprendre. Une fois l’opération et le traitement donnés, son intelligence s’améliore en effet nettement et rapidement, lui permettant d’atteindre en quelques mois un QI supérieur à 185. Les professeurs et la psy qui le suivent lui ont conseillé de noter chaque jour ses impressions et ce qu’il retient en vue d’un « compte-rendu » scientifique. De fait, son orthographe et son vocabulaire se bonifient, le lecteur qui avait un peu de mal avec son charabia indigent du début est vite soulagé.

Dès lors, Charlie se prend d’affection pour Algernon, son alter ego souris qui progresse comme lui. IL est boulimique d’apprendre, lit des livres de plus en plus érudits, ingurgite plusieurs langues ; son esprit s’ouvre et effectue les corrélations à son insu, ce qui lui permet de découvrir des choses nouvelles en mathématique et d’en discuter avec d’éminents professeurs. Mais aussi de trouver la faille dans les recherches des professeurs Nemur et Strauss… Son traitement ne va pas durer. Il va redevenir aussi bête qu’avant, voire pire. Il s’y attend et les prévient. Les apprenti sorciers sont des savants fous.

Car l’esprit tout seul ne suffit pas à l’épanouissement humain. Le cœur a ses raisons, tout comme le sexe, et « la science » n’en tient pas compte. Charlie comme Algernon se révoltent de se voir traités comme des objets de laboratoire et non pas comme des êtres à part entière. « Comprenez moi bien. L’intelligence est l’un des plus grands dons humains. Mais trop souvent la recherche du savoir chasse la recherche de l’amour. (…) Je vous l’offre sous forme d’hypothèse : l’intelligence sans la capacité de donner et de recevoir une affection mène à l’écroulement mental et moral, à la névrose, et peut être même à la psychose. Et je dis que l’esprit qui n’a d’autre fin qu’un intérêt et une absorption égoïstes en lui même, à l’exclusion de toute relation humaine, ne peut aboutir qu’à la violence et à la douleur. Quand j’étais arriéré, j’avais des tas d’amis. Maintenant, je n’en ai pas un. »

Charlie a eu une enfance malheureuse, névrosé par sa mère qui ne l’aimait pas à cause de son handicap, avait peur pour sa petite sœur et restait hantée religieusement par le sexe. Charlie ne peut pas avoir des relations sexuelles adultes, une fois devenu intelligent, sans que le Charlie infantile profond de son inconscient ne ressurgisse. Il faut qu’une fille libérée le saoule pour qu’il se lâche, et encore pas la première fois. Il tombe amoureux de sa psy Alice, mais est inhibé, puis trop arrogant devant son intelligence qu’il a dépassée. Ce n’est que lorsqu’il régressera inexorablement qu’un moment surviendra d’équilibre éphémère où ils seront égaux en capacités d’esprit et en phase question sexe.

Science sans conscience n’est que ruine de l’âme, écrivait Rabelais dans Gargantua. Cette maxime de sagesse n’a pas vieilli. La connaissance sans les capacités à la comprendre est vaine – et dangereuse : c’est être apprenti sorcier que de manier les poudres et protocoles sans savoir leurs conséquences. Le savant poussé par la finance en devient fou car il ne laisse pas le temps à l’expérience. Car « l’âme » (ce qui anime l’être) est bien plus vaste que le seul esprit qui acquiert la science (le savoir) ; la conscience est aussi l’effet des capacités des instincts et des affects, autrement dit des pulsions et du cœur. Ne pas être conscient des trois étages de l’humain mène au dessèchement scientiste, à la cruauté rationaliste, à la psychopathie sociale (les psychopathes n’ont aucun affect pour les êtres). Ce roman de fiction est donc une grave réflexion sur les dangers d’une science sans ordre ni limites, laissée à elle-même et à l’avidité des militaires ou des financiers.

Ralph Nelson en a tiré un film en 1968 et plusieurs téléfilms des 2000 à 2015 ont été tournés, ce qui indique la permanente actualité de l’histoire et des thèmes qu’elle remue.

Daniel Keyes, Des fleurs pour Algernon (Flowers for Algernon), 1966, J’ai lu 2012, 544 pages, €6,90 – édition augmentée avec le roman, la nouvelle originale de 1959 « Des fleurs pour Algernon », et l’essai autobiographique « Algernon, Charlie et moi ».

DVD Charly, Ralph Nelson, 1968, avec Cliff Robertson, Claire Bloom, Lilia Skala, Leon Janney, Ruth White, MGM 2005, 1h43, €15,54

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Mary Higgings Clark, La clinique du docteur H

La romancière adore utiliser l’angoisse de son milieu et de son temps en situant ses personnages et ses intrigues dans le réel social. Ce pourquoi elle est lue par son public : les femmes mûres de la classe moyenne aisée. Mais elle donne à l’étranger une vision de l’Amérique précieuse, de ses valeurs collectives, de son idéalisme naïf, de ses intérêts avides. C’est pourquoi j’aime ses romans policiers, même anciens, car ils racontent les Etats-Unis avant de raconter l’humain.

Dans celui-ci, nous sommes dans une banlieue chic de New York et une clinique par-dessus tout attire la clientèle : celle qui promet aux femmes en mal d’enfant d’avoir une grossesse et d’accoucher. Le docteur Edgar Highley est un spécialiste. Froid comme un petit glaçon, il est expert adulte en gynécologie et obstétrique. De nombreuses femmes qui ne pouvaient avoir d’enfant en ont eu un grâce à lui – pour leur bonheur. La clinique pratique aussi les avortements, même si le docteur les réprouve.

Katie DeMaio est procureur adjoint de son comté. Récemment devenue veuve par le décès par cancer de son juge de mari, elle est sujette à des saignements en-dehors des règles et doit se faire soigner. Malencontreusement, elle dérape sur le verglas après avoir gagné un procès et se retrouve à la clinique du docteur H. Bien que seulement contusionnée, elle est gardée pour la nuit et, par le store relevé de sa chambre, aperçoit en fin de soirée une personne transportant un gros paquet vers un coffre d’automobile. Un coup de vent soulève la couverture : c’est un visage. Un cadavre sur le parking ? Katie croit avoir rêvé mais…

Lorsqu’elle est appelée par la police pour un décès le lendemain, elle reconnait le visage de la morte : le même que celui du parking. Elle est dès lors persuadée que le suicide a été mis en scène et qu’il s’agit bien d’un meurtre.

L’intérêt du livre est que le lecteur sait tout de suite qui est le coupable ; ce qui fait le sel de l’intrigue est donc non pas l’assassin mais la façon dont il peut s’en tirer ou non. Précis, méticuleux, scientifique, le meurtrier agit non par lucre mais pour la recherche. Sauf qu’il transgresse la loi et que ce qu’il expérimente est illégal. Cela doit donc rester secret – et les meurtres s’enchaînent. Car il y a toujours quelqu’un de plus qui a vu, entendu ou qui sait : une patiente, une employée de l’accueil, un ancien médecin… Jusqu’à Katie qui a parlé de sa vision du parking et qui doit subir un curetage dans la clinique du docteur H. pour arrêter ses saignements.

Katie que courtise Richard, le médecin légiste, qui voudrait bien la remarier et faire une ribambelle de petits avec elle, sur l’exemple de la sœur Molly qui a six enfants (comme la romancière). Car tout tourne autour des enfants et du désir d’enfant dans ce roman orienté femmes américaine dans la trentaine en ce début de décennie 1980. Celles qui désespèrent d’en avoir et celles qui en ont, celles qui croient au miracle avec le docteur H. et celles qui se méfient et l’attaquent même en justice.

Peut-on se prendre pour Dieu ? Jouer à l’apprenti sorcier ? Penser que l’on est tout-puissant face à la loi et aux hommes ?

Chapitre après chapitre, l’intrigue se noue et se complique avant un final haletant où Katie joue tout simplement sa vie.

Mary Higgings Clark, La clinique du docteur H (The Cradle will Fall), 1980, Livre de poche 1982, 311 pages, €8.20 e-book Kindle €7.49

Les romans policiers de Mary Higgings Clark déjà chroniqués sur ce blog

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Joaquin Scalbert, Nouvelles du temps présent

Deux nouvelles dont une courte sur l’expérience de mort imminente, pas la meilleure car trop didactique. Mais l’auteur s’en tire avec une pirouette à la fin.

La plus intéressante, Zoël et ses pères, fait 85 pages, soit 70% du recueil. Elle met en scènes les conséquences (inattendues) de l’exigence de transparence pour les donneurs biologiques de sperme.

Zoël est un garçon de 16 ans qui a des doutes sur ses origines parce que ses parents – qui l’aiment – parlent toujours de ses succès en se référant à la famille de sa mère mais jamais en comparaison avec son père, ce qui est curieux. Personne ne lui a dit qu’il était né d’un donneur de banque, à Los Angeles pour être plus précis, car la législation était plus libérale vingt ans auparavant en Californie que dans le vieux pays catholique engoncé dans son juridisme bureaucratique qu’est la France.

L’auteur élimine d’emblée les problèmes familiaux, le couple est sans histoire, avec deux filles après Zoël ; tout le monde s’aime bien. Mais la quête de l’intelligent aîné, poussée par la mode de la transparence pour tout et rien, va perturber l’équilibre longuement acquis. Le père officiel se sent diminué, renvoyé à son impuissance spermatique, fin de race d’une lignée d’aristos portant un nom. La mère se sent pousser des ailes, elle a tout décidé, choisi les critères du géniteur sur catalogue (blond, intelligent, artiste, sportif…). Le fils se découvre un nouveau père, justement dans le domaine professionnel qu’il affectionne, le cinéma, dont il veut faire son métier.

Mais qu’en dira-t-on ? Dans la famille collet monté, dans la société où les « amis » vont jaser, à l’école, auprès des filles ? D’ailleurs, le père des filles est-il leur père ? Non, bien-sûr – et elles, qui n’ont rien demandé, vont devoir vivre avec cette révélation. Du côté du père biologique, Victor, trouver un fils supplémentaire seize ans après est plutôt flatteur, une curiosité, mais du côté de sa femme et de ses fils, cela pose question. D’autant que l’épouse se sent flouée de ne pas avoir été mise au courant de ces dons de sperme aux Etats-Unis et de l’autorisation donnée aussi à ce que le géniteur puisse être un jour contacté. Journaliste d’investigation, elle veut en écrire une enquête en forme de scoop, ce qui est plutôt gênant pour tout le monde !

L’auteur, qui affectionne de façon manifeste les retournements de situation, va conclure sans conclure. Car il affectionne aussi de poser les problèmes sans les résoudre, laissant à chacun la réflexion ouverte. Il n’est certainement pas un « écrivain engagé ».

Mais il est vrai que toutes ces manipulations sociales sur la procréation, PMA, GPA, eugénisme euphémisé des banques de sperme ou d’ovocytes, opérations transgenres, obligent à la recomposition par étape des familles. Elles ne sont pas faites pour l’équilibre mental des enfants, ni pour une stabilité affective et éducative des couples. Les apprentis sorciers du « j’ai l’droit », qui savent tout mieux que tous leurs ancêtres, jouent avec la génétique et l’enfance comme aux dés. Juste pour voir. Juste pour le plaisir. Car le « droit » individuel est devenu sacré et les désirs des ordres. La société occidentale, menée par le consumérisme libertarien américain, génère des citoyens qui trépignent comme des gamins de 2 ans : « moi je », « moi d’abord », « moi aussi » ! Comme s’ils étaient sûrs d’avoir « le choix » de leur destin… Ils n’ont jamais lu Darwin, ni Nietzsche, ni Marx, ni Freud – ni même Bourdieu ! Ils sont conditionnés, ils sont cons tout court de ne pas le soupçonner à l’ère pourtant universelle du soupçon des com(plots).

Quant aux masses démographiques d’autres continents, elles guettent l’instant propice où le suicide collectif fournira l’occasion d’imposer « leur » culture, « leurs » mœurs, « leur » vision du monde. A nos dépens – mais ce sera tant pis pour nos descendants avides d’égoïstes « droits » particuliers. L’auteur se garde bien d’aller jusque-là, trop mainstream comme ancien pubard pour l’oser. Mais il pose avec ironie les bonnes questions.

Joaquin Scalbert, Nouvelles du temps présent – Archives du lendemain, éditions Douin, 2021, 123 pages, €14.00

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

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La Mouche de David Cronenberg

Alors qu’en 1978 – année de La Mouche – Arber, Nathans et Smith découvrent des enzymes aptes à couper l’ADN et qu’en 1983 Kary Mullis invente la technique d’amplification d’ADN par polymérisation en chaîne, le génie génétique fait peur. D’autant plus que le SIDA vient de sortir et que la hantise de la contamination règne. C’est l’occasion pour Hollywood de sortir un film bien juteux et gore qui attise toutes les craintes, d’après le roman de George Langelaan. Cronenberg aime à se faire mousser.

Un savant précoce et doué (Jeff Goldblum) que l’on dit avoir été proposé pour le prix Nobel à 20 ans (sic !) a découvert la téléportation d’objets et vise désormais à téléporter le vivant. Ses yeux globuleux et son museau acromégalique d’ado prolongé font craquer une jeune et ambitieuse journaliste (Geena Davis) à qui il confie « un secret » lors d’un cocktail. Elle est séduite – surtout par ambition – avant de tomber nue dans les bras musclé du jeune savant qui ne possède qu’un seul modèle de costume et de chemise pour éviter d’avoir à y penser. Lui travaille seul car il se croit trop intelligent et c’est ce qui va causer sa perte.

L’entraînant dans son antre, un entrepôt dans un quartier sordide, il lui téléporte son bas d’une machine à l’autre. Mais le vivant ? Un babouin inséré dans la machine en ressort en lapin écorché passablement explosé. C’est qu’ « l’ordinateur » est aussi con que celui qui le programme… et qu’il faut donc lui dire tout pour lui faire faire ce qu’on veut. Qu’à cela ne tienne ! Une série de clics plus tard, l’inventeur génial et apprenti sorcier croit avoir trouvé la solution. Un autre babouin est téléporté et tout se passe bien apparemment. Il faudrait cependant attendre les tests biologiques pour en être sûr.

Mais la belle le délaisse un moment parce que son ancien mec – qui est aussi son chef (John Getz) – la poursuit de ses assiduités. Le savant, qui n’en est pas moins animal saisi par ses hormones, veut alors l’épater. Et c’est là que tout dérape : qui veut faire l’ange fait la bête – adage biblique.

Un peu saoul, il se prend lui-même pour expérience. Tout nu, il s’introduit dans la machine après avoir programmé son ordinateur à la voix. Chpouf ! Dans un nuage de fumée blanche (pour faire magique) la machine numéro deux s’ouvre sur… un savant tel qu’en lui-même semble-t-il.

Sauf que… Une mouche s’était introduite dans la capsule au dernier moment, d’un vol erratique imprévisible propre aux mouches (gros plan sur la mouche à l’intérieur de la capsule). Elle ne se retrouve pas à l’arrivée. C’est que « l’ordinateur » – toujours aussi con – a « fusionné » les codes génétiques faute d’instructions autres. C’est cela « l’intelligence artificielle » : aller jusqu’au bout de la connerie sans y penser. L’homme se retrouve donc mouche et réciproquement.

Cela ne se voit pas autrement que par son goût immodéré du sucre (gros plan sur les cuillerées qu’il met dans son café), son agressivité inexpliquée (le bras de fer dans un bar pour lever une pute) et son excitation erratique et imprévisible (gros plan sur les exercices de muscles qu’il effectue torse nu dans son labo). Des poils lui poussent bien d’une blessure qu’il s’est faite au dos en baisant un peu trop fort, et il semble capable de copuler pendant « des heures » jusqu’à l’épuisement de sa partenaire – mais ce ne sont que vétilles pour un mâle américain gonflé d’orgueil scientifique dans les années 1980.

Le temps passe – et de plus en plus mal. La mouche prend le pas sur l’humain sans que l’on explique pourquoi, si les codes sont « fusionnés » (gros plans sur les boutons sur la gueule, les ongles qui tombent, les dents inutiles qui se déchaussent, le suc gastrique qui sort en jet pour dissoudre les aliments…). Le savant tente bien d’inverser la machine, mais celle-ci – toujours aussi conne – ne reconnait plus sa voix déformée d’insecte et les téléportations successives faites dans l’urgence sans théorie précise semblent aggraver les choses.

Le film ne fait pas dans la dentelle et le dernier tiers est répugnant. La mouche humaine perd sa belle apparence de jeune David pour devenir une sorte de Goliath repoussant dont « les instincts » commencent à devenir ceux d’un insecte programmé pour bouffer. La fin est gore, dans une explosion de bidoche et la suite est prévue parce que la fille est enceinte. Mais on ne sait pas si le sperme était celui d’avant la fusion ou d’après ; quant à la fille, elle fait le rêve si romantique d’accoucher d’une grosse bite. La mouche humaine, qui marche au plafond et vole sans ailes, refuse qu’elle avorte et vient l’enlever tel King-Kong. Le remake La Mouche 2 dira quelle fut la bonne hypothèse. L’apprenti-sorcier, qui se prend de plus en plus pour Dieu par désespoir, désire fusionner avec sa maitresse et leur enfant à naître afin de créer par recombinaison génétique en ordinateur un « être parfait ». Tout ne peut que mal se passer au pays de la hantise biblique.

Au total, le sujet est original et l’uniforme de mouche réalisé par Chris Walas horrible à souhait, mais le traitement est assez lourd, les fameux gros plans venant appuyer systématiquement le procédé narratif. Les acteurs sont de qualité et même Cronenberg apparaît en avorteur, mais le parti-pris de sadomasochisme du savant trop jeune et trop humain qui aime à se torturer le corps pour expérimenter ses fantasmes est un brin daté des années affairistes.

A éviter avant 13 ans (bien qu’indiqué 12) sous peine de cauchemars et de répulsion irrésistible pour la viande saignante.

DVD La Mouche (The Fly), David Cronenberg, 1986, avec Jeff Goldblum, Geena Davis, John Getz, Joy Boushel, Leslie Carlson, 20th Century Fox, 1h33, standard €7.99 blu-ray €11.20

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The Undead de Roger Corman

Malgré la couverture racoleuse à tête de mort, il ne s’agit pas d’un film de zombies. L’histoire est tirée d’un fait divers réel survenu en 1952 aux Etats-Unis : un hypnotiseur amateur a plongé son épouse en transe et elle s’est retrouvée un siècle auparavant incarnée en Irlandaise nommée Bridey Murphy.

Roger Corman transforme le XIXe siècle en siècle du roi Mark, dans la Cornouaille médiévale de Tristan et Yseut. Un soir de brume intense à Londres, un psychiatre qui revient de longues années d’initiation au Tibet vient trouver son ancien professeur à l’Institut de psychologie américaine. Il tient une jeune femme à la main, pas frileuse car elle est décolletée comme si de rien n’était.

Parce qu’elle a plusieurs vies, sinon une vie éternelle en plusieurs corps. C’est ce que veut démontrer le psy. Il joue pour cela à l’apprenti sorcier en hypnotisant Diana pour la faire régresser dans ses vies antérieures. Avec ce qu’il a appris au Tibet et au Népal, il veut fusionner son esprit avec elle et donc explorer l’époque où elle reviendra de mémoire.

Ce qui est fait. Diana se révèle être Hélène, accusée d’être sorcière en ces temps où le christianisme peinait encore à s’imposer ; il fallait frapper par la terreur, comme Lénine le fit pour imposer la croyance communiste. Hélène est donc enfermée dans la tour de la mort et sera exécutée à l’aube. Pendragon, qui l’aime, veut la sauver mais ne sait trop comment faire. Il est poursuivi par une Diana ophidienne qui ondule de la croupe par lascivité et qui veut à tout prix le baiser. Lui refuse ; Diana est une véritable sorcière maléfique dont la mère a scellé un pacte avec le Diable. La jeune femme, pour parvenir à ses fins, propose alors à Pendragon de sauver Hélène s’il consent à vendre son âme au Diable.

Nous sommes évidemment dans la nuit du sabbat et le Prince des enfers apparaît à minuit juste dans le cimetière du lieu. Tous les exploités, les nullards, les bancroches, viennent signer pour accéder à une vie normale et Pendragon se laisse faire. Jusqu’à ce qu’un chevalier en armure – qui est le psy dont l’esprit a réussi à suivre sa patiente hypnotisée – l’en dissuade.

Nous avons jusque là une histoire de sorcières classique où les filles se transforment en chattes noires ou en chauve-souris et où Meg Maud, sorcière bénéfique vouée à soigner, amuse par sa laideur, sa canne torte et son gros bon sens paysan. Le film est tourné en noir et blanc dans une brume campagnarde édifiante, avec des cottages typiques et un croque-mort sentencieux qui se croit ensorcelé – peut-être parce qu’il dit la vérité ? Mais l’hypnotisme a changé le cours de l’histoire d’Hélène et de Diana dans le temps. Si Hélène est sauvée, sa vie s’achèvera à son terme et sans plus ; si elle meurt à l’aube comme prévu, elle aura des vies sans fin et sauvera Diana la sorcière.

Ce dilemme shakespearien fait tout le sel du film. D’autant que le deus ex machina, le psy revenu du Tibet, voit son orgueil puni de s’être pris pour Dieu. Et le Diable en rit encore.

DVD double The Undead, Roger Corman, 1957, avec Pamela Duncan, Richard Garlan, Allison Hayes, Richard Devon, 1h10 (+ bonus La cité des morts, John Moxey, 1960, 1h16), Pinnacle 2003, €15.98

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Sorcerer de William Friedkin

Le salaire de la peur revu Hollywood sur une musique de Tangerine Dream est moins macho et flamboyant que le film de Clouzot avec Yves Montand, mais plus actuel. Le roman de Georges Arnaud n’a pas fini de faire des vagues. Car le monde est une jungle, que ce soit dans la ville avec les mafias, les attentats, les casses et les affaires, ou en Amazonie avec la végétation, la boue, l’exploitation et les terroristes. Tout le film de Friedkin, tourné en République dominicaine, baigne dans cette atmosphère glauque un brin paranoïaque où le danger peut surgir à tout moment.

Le début désoriente, le spectateur passe d’un tueur à Vera-Cruz (Francisco Rabal) à un attentat à Jérusalem par des Palestiniens déguisés sous kippa juive dont un seul parvient à fuir la police (Amidou), puis à une casse d’une loterie d’église (Dieu et Mammon font-ils si bon ménage ? Jésus n’avait-il pas chassé les marchands du temple ?) où le chauffeur (Roy Schneider) a un accident lorsque deux des bandits se menacent, enfin la faillite retentissante pour spéculation d’une compagnie financière à Paris que préside un ex-colonel (Bruno Cremer) marié à la fille d’un baron.

Mais la suite prend sens : tout ce beau monde, chassé par les actes maléfiques accomplis, traqué par des vengeurs, se retrouve dans ce trou du cul du monde qu’est cet endroit d’Amérique latine où règne un dictateur féroce, défié par des guérilleros dépenaillés. Nous sommes à la fin des années 70 et le monde est en noir et blanc, en deux blocs antagonistes menés par deux idéologies radicales, le capitalisme et le communisme. Rien entre deux, sinon de se faire massacrer par l’un ou l’autre, pris dans la fusillade ou explosé par une bombe, exploité par la firme ou par le parti.

Dans ce village de jungle, une compagnie (probablement nord-américaine) creuse un puits de pétrole ; les terroristes locaux font sauter les installations, tuant des ouvriers du village. Mais pour remplir le tanker qui sera bientôt prêt à partir et ainsi éviter une perte de rentabilité, il faut impérativement produire assez de pétrole dans les délais. Pour cela, éteindre l’incendie qui jaillit du puits. La seule solution éprouvée est l’effet de souffle : faire sauter suffisamment de dynamite pour éteindre le feu comme on souffle une bougie. Sauf que la dynamite est entreposée à 300 km de l’endroit et qu’elle explose au moindre choc car dégradée en nitroglycérine suintante par l’humidité et la négligence. L’hélicoptère est exclu en raison des remous, reste le camion. Quatre chauffeurs expérimentés sont donc testés puis engagés pour convoyer les explosifs en deux véhicules pour qu’au moins un parvienne là où il faut.

C’est alors un périple angoissant qui commence à travers la jungle. Aucun des chauffeurs ne se connait mais aucun n’a le choix. La police – corrompue – menace de récuser les faux papiers grossiers (un soi-disant natif du pays qui ne parle même pas espagnol !), les vengeurs mafieux du casse de l’église menacent de débarquer à tout moment, le tueur a encore tué un chauffeur pressenti pour prendre sa place. Chacun doit surtout travailler pour payer son passage vers ailleurs. Les camions sont des débris antiques, rafistolés avec les pièces des épaves alentour ; l’un d’eux a une mâchoire de squale avec des écailles sur le capot pour faire brute ! La dynamite dégradée est calée dans les bennes avec du sable pour éviter les chocs, mais la pluie battante et les chemins à peine empierrés mettent à rude épreuve les talents des chauffeurs. Un Indien à demi sauvage joue à courir nu devant le camion qui avance sans à-coup, menaçant un moment de le faire caler – donc exploser ; faudra-t-il l’écraser sans vergogne pour remplir « la mission » pour la multinationale ? Les ponts de bois ou de traverses sur câbles sont des cauchemars, la séquence de 12 mn si prenante a demandé 3 mois de tournage en raison de la lumière, la pluie battante a été reconstituée par des pompes et des ventilateurs. Quant à l’itinéraire, il est vaguement indiqué sur une carte à grande échelle mais la végétation luxuriante a repris ses droits et les routes sont à peine tracées.

Tous ne parviendront pas à bon port… Le camion que conduit Bruno Cremer et Amidou est nommé Sorcerer – l’apprenti-sorcier – qui donne son étrange titre au film. Le réalisateur voulait instiller une dose de magie dans cette histoire de mecs. Mais c’est le chemin qui compte, celui vers la rédemption. Car on n’est pas d’Hollywood sans invoquer la Bible ! William Friedkin a déjà tourné L’Exorciste. Loin de capter ce qui fait l’esprit français, le Yankee a besoin d’une voie pour racheter ses crimes, même si la Grâce touche qui elle veut et se moque des œuvres. Malgré ce travers cul béni qui affaiblit le récit, le film nous tient par son aventure mâle et ses critiques sous-jacentes de l’exploitation éhontée des villageois de bidonvilles par grandes compagnies des Etats-Unis. Le monde a-t-il changé en quarante ans ?

DVD Sorcerer (Le convoi de la peur) avec DVD 2 bonus : Director’s cut avec entretiens, William Friedkin, 1977, avec Roy Schneider, Bruno Cremer, Francisco Rabal, Amidou, édition La Rabbia 2018, anglais et français, 1h56, standard €14.99 blu-ray €19.99

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Ernst Jünger, Premier journal parisien, 1941-43

La prose de Jünger semble être d’une matière céramique. Elle est composée de terre rare, et passer par l’épreuve du four la durcit. Les émotions sont là, mais le langage les fige. Retenue, pudeur, distance : Jünger écrit pour retrouver l’éternel sous le contingent. Il est sensible aux fleurs, aux bêtes, aux enfants, aux adultes. Il a le caractère profondément humain d’un être qui fut aimé durant son enfance. En même temps, il possède une exigence de vérité, une rigueur d’exécution, il a besoin d’absolu, ce qui le contraint et le raidit.

Son expression se fait froide, parfois sibylline, par souci d’exprimer exactement ce qu’il ressent. D’où ces termes d’entomologiste pour parler des êtres qu’il aime : de ces enfants, il parle rarement, sinon pour noter d’un trait rapide une attitude exceptionnelle. Il les appelle par un vocable neutre, « l’enfant » pour Alexandre le petit, « le jeune garçon » pour Ernstel l’aîné. Les prénoms viendront plus tard sous sa plume, en 1943 et 1944, où l’intensification de la guerre, les bombardements, la menace « lémure », la proximité de la mort sur leurs têtes l’incitera à se livrer plus avant. Alors ils deviendront ce qu’ils sont, Ernstel et Alexandre, et parfois même « mon fils ». Sa femme reste éternellement « Perpetua » une compagne de caractère, réfléchie, un référent dans son existence.

En ces années de guerre, où il lit la Bible chaque soir durant trois ans, il proclame son exigence de vérité. Il la trouve dans « l’inestimable et salutaire pouvoir de la prière », « la seule porte qui mène à la vérité, à la loyauté absolue et sans réserve ». La prière incite à tout dire à un juge muet, à s’analyser sans concession comme une catharsis, à confier son âme à une sagesse ultime. La prière, comme le journal sans concession, est une psychanalyse.

Cette vérité, il la cherche en lui-même, dans son « humanité » opposée au nihilisme de la « technique ». Celle-ci, en se développant, dévore l’homme de l’intérieur ; elle le rend mécanique, abstrait, inhumain. Elle en fait un robot, variante machinale du fonctionnaire. C’est une très ancienne forme de refus du savoir que cette crainte de l’inhumanité de la science. Déjà, au paradis, le serpent était le tentateur, puis vint Babel, la tour trop orgueilleuse où tous les hommes coopéraient pour la bâtir et qui fut donc détruite par le Dieu unique et jaloux. Nous sommes dans le thème éternel de l’apprenti sorcier, du Golem, de Frankenstein, du savant fou, du docteur Folamour, du savoir comme source du Mal. Pour Jünger, à son époque, il s’agissait d’une prodigieuse massification politique dans une période d’accélération technique. Tout allait trop vite pour les cadres traditionnels de pensée issus de la paysannerie. Il note les automatismes, les blindages, les rouages, « l’arsenal des formes vivantes qui se durcissent comme des crustacés » p.20. Il note aussi l’anonymat des bombardements, les tueries industrielles. « Des couches d’être commencent à se détacher de l’état humain proprement dit pour tomber dans l’inertie » p.51 – ce qu’il appelle « la monstrueuse puissance du nihilisme ».

Il cherche l’humanité en l’homme, la vérité de l’humain parmi ses semblables. « Les êtres cachent encore en en eux beaucoup de bons grains qui germeront à nouveau dès que le temps s’adoucira et reprendra des températures humaines » p.37. La ville lui est une amie « ou des cadeaux vous surprennent. J’éprouve de la joie surtout à voir les amoureux marcher, étroitement enlacés » p.44. Aux premières étoiles jaunes des Juifs aperçues dans Paris, le 7 juin 1942, il écrit : « je considère cela comme une date qui marque profondément, même dans l’histoire personnelle » p.136. Au lendemain de la rafle du Vel’ d’Hiv’ : « pas un seul instant, je ne dois oublier que je suis entouré de malheureux, d’êtres souffrant au plus profond d’eux-mêmes. Si je l’oubliais, quel homme, quel soldat serais-je ? » p.149. Il s’effraie de constater que certains restent aveugles aux souffrances de ceux qui sont sans défense et se glorifient même de les rudoyer. « La vieille chevalerie est morte. Les guerres d’aujourd’hui sont menées par des techniciens. Et l’homme est devenu cet homme annoncé depuis longtemps, et que Dostoïevski décrit sous les traits de Raskolnikov. Il considère alors ses semblables comme de la vermine, ce dont précisément il doit se garder il ne veut pas devenir insecte lui-même » p.290.

Face à cela, son attitude voudrait être celle du moine zen : « Lorsque que je vois les fleurs s’étaler si calmement au soleil, leur béatitude me paraît d’une profondeur infinie » p.22. Il cherche l’éternité dans les rites de la collection : « Il s’agit, dans la diversité, d’assurer des perspectives qui s’ordonnent autour du centre invisible de l’énergie créatrice. Tel est également le sens des jardins, et le sens, enfin, du chemin de la vie en général » p.185. Parce qu’en fait, « nous sommes de passagères combinaisons d’absolu » p.209. Alors, « l’œuvre doit atteindre un point où elle devient superflue – où l’éternité transparaît. (…) Il en est de même pour la vie en général. Nous devons parvenir en elle à un point où elle puisse passer de l’autre côté aisément, osmotiquement, à un niveau où elle mérite la mort » p.115.

Pour bien mourir, il faut avoir bien rempli sa vie, l’avoir aimée à chaque instant, avoir touché à la vérité du monde.

Les pages indiquées sont celles de l’édition Livre de poche 1998 épuisée

Ernst Jünger, Premier journal parisien, Journal 1941-43, Christian Bourgois 1995, 318 pages, €11.61

Ernst Jünger, Journaux de guerre, coffret 2 volumes, Gallimard Pléiade 2008, 2396 pages, €120.00

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The Gosts of Mars, film de John Carpenter

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John Carpenter est musicien ; et il adore illustrer sa musique battante avec des images, prises dans une histoire de base bien frappée. Il nous entraîne ici sur Mars en 2176. Quelques 640 000 Terriens exploitent la planète pour ses ressources minérales, disséminant des cités minières ici ou là, reliées entre elles par des trains.

Particularité de la planète et de la nouvelle époque, Mars est régie par le Matriarcat : les femmes sont toutes à des postes de responsabilité, inversant la situation 2001. Ce décalage n’est pas sans intérêt, montrant les gros machos en sergents et jeunes recrues plus bêtes que la commandante (Pam Grier) et la lieutenante (Natasha Henstridge) qui les dirigent. Plus bêtes et plus obsédés sexuels, le sergent (Jason Statham), un tombeur appelé Jéricho (en hommage aux murailles à faire tomber ?) ne pensant qu’à baiser avant l’apocalypse. Mais la lieutenante aux yeux de glace ne l’entend pas de cette oreille ; si elle consent à l’embrasser entre deux portes, c’est bien le tout, car l’urgence commande et le pistolet-mitrailleur s’exhibe avant la queue.

Le détachement de flics, pas moins de cinq personnes dont deux chefs femelles, doit aller chercher un délinquant soupçonné d’horribles meurtres avec pendaison et décapitation, qui a été pris la main dans le sac de billets de la gare qu’il a braquée (il y a encore des billets en 2176 ?). James Williams, surnommé « Desolation » (Ice Cube), est un affreux Américain de minorité visible, signe que le futur est imaginé multiethnique, sinon mélangé. Ce mauvais gars deviendra bon par la magie de l’aventure, sauvant la vie de la lieutenante et réciproquement. Il a été bien sur accusé à tort, ces meurtres étant le fait des fantômes de Mars.

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Car une fois arrivés à destination par le train – qui doit les reprendre plus tard, mission accomplie – le détachement trouve une cité morte, les gardiens de prison décapités et pendus mais les prisonniers toujours enfermés vivants dans leurs cellules. Que s’est-il donc passé ? Une météorologue spécialiste des tempêtes de poussières sur Mars (Joanna Cassidy) s’est fait enfermer volontairement après avoir fui en ballon-sonde une mine où une étrange découverte venait d’être faite : un couloir souterrain barré d’une porte qui, ouverte, a laissé échapper un vent de poussière – rouge évidemment, comme la planète, comme le sang, comme la guerre, comme le diable. Et d’expliquer que, sur la Terre, des bactéries vivantes s’enkystaient lorsque l’eau venait à manquer, puis revenaient à la vie des centaines ou des milliers d’années plus tard, lorsque l’eau revenait. L’année 2016 a prouvé ce fait, le dégel dû au réchauffement climatique ayant libéré de bactéries d’anthrax dans la toundra sibérienne, puis un virus géant !

Ce sont ici les Martiens qui s’éveillent, une forme de vie indigène qui veut repousser les envahisseurs – comme les Indiens américains. Lesdits Martiens prennent le contrôle des formes de vie envahissantes, les mineurs, les transformant en zombies scarifiés et piercés, des sortes de loup-garou possédés… sauf la lieutenante qui, aidée d’une pilule de drogue que Desolation lui insère dans la bouche après l’avoir sortie du médaillon qu’elle porte, réussit à résister et à expulser la créature. Le LSD comme armure mentale, voilà une inversion très critique à la John Carpenter !

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Amazone, apprenti sorcier, hors-la-loi luttant pour sa liberté, esprit pionnier, possession par le démon – sont autant de mythes agités dans ce space-western. D’où son aspect à la fois primitif et profond. Ce qui compte, au fond, est la vie – et la lutte pour la vie par tous moyens. Du coup de karaté à l’explosion programmée d’une centrale nucléaire en passant par les fusils-mitrailleurs, les pistolets, les épées et les bâtons de dynamite, tout vaut mieux que les palabres, le droit et autres moralismes intellos. Le film ne manque ni d’action, ni de scènes de sulfateuses et d’explosions comme Hollywood adore.

Tourné un an avant les attentats du 11-Septembre, le film montrait que l’Amérique était prête à ce genre d’attitude. John Carpenter, auteur acide de la société dans laquelle il vit, a donné avec ces Fantômes de Mars une illustration actualisée de Christine, déjà chroniqué ici. La technique, comme toujours, asservit les humains et les rend bêtes, sinon des bêtes. Seul le héros, ici une héroïne avec lui, peuvent sortir l’humanité tout entière de ses dérives technologiques – sur un air de hard-rock, nouvel avatar d’opéra wagnérien.

DVD The Gosts of Mars (en français dans le texte), film de John Carpenter, 2001, Natasha Henstridge, Ice Cube, Jason Statham, Pam Grier, Clea DuVall, M6 vidéo 2009, €6.59

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Mystique écologiste

Europe-écologie-les-verts se cherche, comme d’habitude. Leur nom à rallonge ne les incite pas à se simplifier ; leurs leaders multiples, aux ego affirmés, bataillent comme des chiffonniers sans la noblesse de ce métier qui est de récupérer pour recycler ; d’aucuns ne pensent qu’aux ministères, ne faisant rien une fois nommés, ou démissionnant avec fracas pour oser le coup médiatique. Si les Roses ont encore à dépasser leur Surmoi gauchiste, les Verts ont encore à éradiquer chez eux leurs écolos mystiques.

Car aujourd’hui, leur opinion est faite : nous allons vers la catastrophe, politique, économique, sociale, climatique, écologique.

Pourquoi pas ? Encore faut-il savoir de quoi on parle et en débattre avec des arguments. Les convictions intimes ne suffisent en rien. Surtout quand l’ignorance est reine, permettant tous les fantasmes, poussant à tous les millénarismes les avides de pouvoir exploitant la crédulité des foules. C’est le rôle premier des intellectuels – ceux qui ont acquis un bagage de méthodes et de savoirs – que de remettre en cause la doxa, cette opinion commune chaude et confortable parce que grégaire, mais le plus souvent fondée sur des on-dit et des rumeurs glanées ici ou là sur la toile ou entre complotistes plutôt que sur des faits établis, et fondée sur des instincts et sur des sentiments plutôt que sur des arguments rationnels.

Il en est ainsi de la « biodiversité ». Le constat est clair : des espèces disparaissent, d’autres migrent, certaines apparaissent. Les causes ? Les modifications du climat, les catastrophes naturelles, les autres espèces. Et en premier lieu l’homme qui, depuis 10 000 ans, a entrepris non plus d’être un prédateur nomade parmi d’autres mais de maîtriser en sédentaire la nature. De ce constat factuel (que l’on est loin d’avoir exploré complètement), nous sommes tous d’accord. Mais les écolos mystiques induisent un jugement de valeur : « c’est mal ».

Et c’est sur cela qu’il nous faut réfléchir. Nous, Occidentaux, sommes imbibés de Bible, même si certains se disent laïcs :

  • Nos instincts sont formatés selon le mythe du Paradis terrestre duquel nous aurions été chassés pour avoir (ô scandale !) voulu user de nos capacités intelligentes pour connaître par nous-mêmes. Ne plus simplement subir, ni « obéir » : l’intelligence, voilà le péché originel de l’homme ! D’où l’instinct de « bêtise » qui ne cesse de titiller tous ceux qui se sentent mal à l’aise dans cette liberté humaine. D’où le refuge en l’État, ce fromage protecteur, ou le social-grégaire de l’entre-soi en clubs, mafias, grandes écoles et ghettos urbains des quartiers chics.
  • Nos sentiments tiennent à la gentillette illusion édénique que « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil ». Les ours sont par exemple d’aimables peluches, la mer un liquide amniotique bordé d’un terrain de jeu sablé et les plantes un suc originel qui soigne mieux que les pharmaciens et qu’il ne faut surtout pas « modifier ».
  • Et la raison, dans tout ça ? Elle prend les miettes, ce qui reste après les convictions intimes. Ou plutôt, elle tente de rationaliser des fantasmes et des préjugés, comme souvent.

Par exemple que « la nature » est en-dehors de l’homme. Puisque lui-même est « image de Dieu », on ne saurait confondre le limon vil avec la chair glorieuse… L’homme, exilé sur terre pour éprouver son obéissance (ou son amour fusionnel) avec Dieu, se verra peut-être récompensé (s’il est obéissant) par un retour au Paradis, d’où il fut chassé pour avoir voulu s’égaler au Créateur en voulant connaître (notamment le sexe, qui permet de « reproduire » l’œuvre de Dieu en faisant naître d’autres hommes – quelle horreur !). Qu’est-ce que cette religion vient faire dans un discours écologiste qui se veut appuyé sur “la science” ?

Par exemple que toute action humaine est « mauvaise » par définition, puisque rompant un « équilibre » que “la nature” avait sans lui. Comme si l’être humain était en-dehors de toute “nature”…

Par exemple qu’il faut « conserver » en l’état tout ce qui est « naturel », puisque toute disparition est un appauvrissement du donné paradisiaque originel, toute mutation un danger, toute migration une erreur, cause de conséquences en chaîne. Comme si la création des planètes et l’évolution biologique n’avait pas été une suite de “catastrophes” radicales…

Ces trois exemples de raisonnement faussé constituent bel et bien une « mystique ». Aucun argument rationnel ne parviendra jamais à la percer, car c’est le propre de toute mystique d’être inspirée par l’ailleurs et en butte au rejet du grand nombre. Se sentir initié et entre-soi est une satisfaction bien plus grande qu’avoir raison.

cuir femme nature

Or, cette opinion commune, parce qu’elle gueule plus fort que les autres et qu’elle impressionne les gogos, court les media – toujours avides de sensationnel. Elle contamine les politiques – toujours avides de se trouver « dans le vent » pour capter des voix. L’écologie est une science, respectable et fort utile pour étudier les interactions des espèces dans leur environnement (homme compris). L’écologie est aussi un savoir-vivre humaniste de l’homme dans son milieu, ce que l’historien Braudel appelle tout simplement une « civilisation ». Elle parle du monde qui est occupé par l’homme, et de la terre où l’homme concurrence les autres espèces.

En revanche, l’écologie mystique est une pathologie, un discours délirant à base de fantasmes et de peurs millénaires. C’est contre lui que nous élevons cette critique :

  • contre ceux qui font du paysan l’avatar du clerc au moyen-âge, intermédiaire obligé entre Dieu et les hommes, entre Mère Nature et ses enfants ;
  • contre ceux qui se prennent pour de nouveaux saint Georges, terrassant les dragons de la modernité au nom d’une Inquisition d’ordre religieux : pas touche au « naturel » ! Retour à l’original !

Comme si « la nature » était un donné immanent et pas un éternel changement naturel pour la terre, doublé d’une construction culturelle et historique du monde ! L’écolo illuminé a pour livre de chevet l’Apocalypse de Jean. Il n’en démord pas : l’homme est intrinsèquement « mauvais » et ne peut être « sauvé » que s’il se retire du monde. Concrètement, cela se traduit par :

  • la « résistance » à toute recherche scientifique (au nom du principe de précaution), à toute expérimentation en plein champ (au nom de la terreur de l’apprenti sorcier), à toute industrialisation d’une transformation du vivant (cet orgueil de vouloir créer comme Dieu – ou « la Nature »), et ainsi de suite. Certains vont même jusqu’à refuser les vaccinations et à ne se soigner que par les plantes. On se demande pourquoi ils n’ont pas fait comme ces Américains (toujours pragmatiques) qui (aussi délirants mais pour une autre cause) se sont retirés dans les Rocheuses dès le 15 décembre 1999, avec armes, provisions et manuels de survie, pour y attendre « l’an 2000 ». Les « terreurs » millénaristes renaissaient avec, pour vernis technologique, le Bug. Comme il ne s’est point produit, les apocalyptiques se rabattent sur les OGM (des aliens !), la fin programmée du pétrole (la punition de Sodome et Gomorrhe) et le réchauffement du climat (annonce des feux de l’Enfer).
  • la continence, vieille revendication morale chrétienne, que Malthus a appliqué à l’économie jadis. Pas assez de pétrole ! Pas assez de métaux ! Il faut économiser, se mortifier, ne plus jouir sans entraves (des gadgets, jouets, emballages, moteurs trop puissants, piles électriques, claviers d’ordinateurs, etc.), battre sa coulpe et se réfugier à la campagne (« au désert » disaient les mystiques chrétiens, jadis).
  • l’austérité morale, illustrée par les discours d’un José Bové, selon lesquels « la terre ne ment pas ». Juste ce qu’avait dit un Maréchal de triste mémoire. Avec les références identiques au « fixisme » naturel, au climat qui ne change jamais dans l’histoire de la terre, au « luxe » que serait une humanité vivant dans le confort moderne. Et une méfiance viscérale envers tout ce qui vient de “l’étranger” (mondialisation, OGM, produits bio chinois, bœuf anglais, poulet américain…)

Notez-vous combien tout cela est instinctivement régressif, psychologiquement rigide et mentalement réactionnaire ? Refouler, se contenir, s’arrêter : comme si l’on regrettait un quelconque Paradis avant la Chute, comme si l’on avait la nostalgie des interdits cléricaux, comme si « tout était mieux avant »…

biodiversite pas forcement menacee

Les scientifiques sont bien loin d’avoir cette mystique à la bouche, lorsqu’ils évoquent leurs sujets d’études, car :

  • tout change sans cesse : le climat, les feux de forêt, les équilibres entre espèces – « conserver » ne veut pas dire grand-chose. L’historien Leroy Ladurie a écrit toute une « Histoire du climat depuis l’an mil » qui montre combien alternent les phases de réchauffement et de refroidissement dans les cycles courts de la terre.
  • les perturbations sont utiles aux espèces, à leur diversité, à leur vigueur, par exemple les incendies aux forêts – « protéger » n’a pas cette valeur absolue qui court les médias.
  • l’homme est une espèce comme une autre, dangereuse elle aussi – et il faudrait plutôt apprendre à mieux vivre « avec » l’espace naturel plutôt que « contre », « en dehors » ou fusionné « au dedans ».

Donc, si l’on veut tenir un discours rationnel qui permette de débattre – donc de décider d’une « politique » à mettre en œuvre, il est nécessaire de considérer quatre choses :

  1. première chose, il faut savoir – et l’on sait encore très peu.
  2. deuxième chose, il faut impliquer les gens – et ce n’est pas le discours apocalyptique qui y réussira mais bien plutôt des projets concrets de recyclage, d’économie d’énergie, d’agriculture autrement, de développement durable, et l’éducation.
  3. troisième chose, l’analyse se doit d’être mondiale – et les organismes internationaux restent encore dispersés, soumis aux divers lobbies avides de financement, de bénéfices ou d’audience médiatique.
  4. quatrième chose, l’information doit être transparente ET rationnelle – ce que les médias grand public sont en général loin de livrer ! Et que les lobbies en quête de bénéfices (les industriels) ou de financement (les ONG et les organismes publics de recherche) répugnent à livrer.

Ce n’est qu’avec tout cela qu’on pourra tous débattre – en connaissance de cause. C’est cela, la démocratie…

C’est-à-dire l’exact inverse de la sommation à la Croyance et du chantage à l’Apocalypse que les illuminés utilisent, avec cet art consommé de la manipulation qui fut celui des prêtres catholiques jusqu’après la Révolution et les experts communistes avec Staline. Le chanoine de Nevers s’en désole en 1824 : « La défiance a remplacé la simplicité chrétienne ; sans être plus savants, ils sont devenus plus raisonneurs, plus présomptueux, moins confiants en leurs pasteurs, moins disposés à les croire sur parole. Il ne suffit plus de leur exposer les vérités de la foi ; il faut les leur prouver » (Georges Minois, Histoire de l’enfer, 1994 Que sais-je ? p.114). Eh oui, les Lumières étaient passées par là.

L’obscurantisme, se parût-il d’« écologie », est d’essence « réactionnaire » – au sens de l’Ancien Régime.

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Robert-Louis Stevenson, L’étrange cas du Docteur Jekyll et de Monsieur Hyde

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Henry Jekyll et Edward Hyde sont aussi connus que Laurel et Hardy ou Smith et Wesson. Ils sont l’incarnation scientifique dix-neuvième du mythe biblique du Bien et du Mal, du fuit défendu de l’arbre de la Connaissance. Frankenstein, Dorian Gray, le Golem, naissent vers la même époque, tandis que Jack l’Éventreur allait surgir deux ans plus tard.

Pour fonctionner, le mythe exige que les lecteurs soient imbibés des religions du Livre, qu’ils croient en la dualité ange ou bête, et qu’ils croient également aux idées darwiniennes du progrès et de l’Évolution – où l’homme descend du singe en s’élevant sur l’échelle des êtres, selon le Dessein intelligent. Cela fait beaucoup de connivences mais, 130 ans après sa parution, cela fonctionne encore.

Jekyll est un bon docteur, bourgeois et londonien. Hyde est son double hideux (hide signifie caché en anglais) qui assouvit ses passions sans remords. Le premier est grand et le front élevé, le second petit et simiesque – comme on envisageait le Cro-Magnon tout juste découvert (en 1868).

De quelles « passions » s’agit-il ? Nul ne sait, l’auteur garde un voile très pudique sur ces sujets. Gageons qu’elles sont sexuelles, peut-être même sadiques, car l’époque de la reine Victoria était à la fois très contrainte (au point de mettre une jupette aux « jambes » des guéridons !) et très relâchée (hors du « monde » des gentlemen). S’il ne s’agissait que d’appétits, le docteur Jekyll aurait pu les rassasier sans déchoir, comme tout le monde. Ce devait être pire, mais le flou est entretenu exprès par l’auteur, qui préfère laisser galoper l’imagination…

Stevenson, lorsqu’il écrit ce livre, est malade du croup (infection virale de la trachée et du larynx) ; la suite de crises, de rémissions et de récidives lui font décrire in vivo les métamorphoses sur la santé et sur l’humeur. C’est au réveil, après un cauchemar, qu’il jette sur le papier une première version de cette « histoire de fantôme ». Elle le rendit d’un coup célèbre – pensez : une transgression de la Morale sociale et religieuse, un jeu avec le Mal, le défi aux Commandements de Dieu, l’orgueil faustien !… Dans l’univers victorien, le scandale est assuré.

Si le plaisir est péché, il ne saurait être le mien – autant se dédoubler pour en jouir malgré soi, mais en toute impunité. Piétiner une enfant ? Battre le vieillard respectable à coups de canne ? Qui, en ce temps-là, n’en a jamais eu envie ? Ce que Jekyll n’ose, Hyde le peut. D’où sa fascination et peu à peu son addiction qui ira jusqu’à répugner au retour à la vie normale de cet être banal, le docteur Jekyll.

Dr Jekyll and Mr Hyde fredric march

C’est que, pour l’auteur et pour la religion, le Mal est une drogue à accoutumance. Qui a succombé une fois succombera toutes les fois. Surtout que le diable est dans les détails. Il reste des traces nettes de cette mentalité peureuse et bornée dans les tabous d’aujourd’hui : la science est maléfique, toute nudité tentatrice, la facilité une faiblesse. Ne cherchez pas à savoir : croyez. Survêtez-vous afin de cacher ce sein que nul ne saurait voir (baignez-vous habillés, car même le soleil serait choqué). Levez-vous tôt, travaillez tout le jour, dînez sobrement (bio) et lisez quelques pages édifiantes avant de faire votre prière ou votre examen de conscience, afin de dormir en paix sans « mauvaises » pensées…

Dr Jekyll and Mr Hyde maurice philips

Si le savant se fait apprenti sorcier, poussé par la curiosité, l’écrivain n’est-il pas lui-même un démiurge, qui fait naître héros et monstres de son inspiration – une sorte d’égal de Dieu ? Freud n’est pas encore célèbre, mais Faust est déjà né.

Les dix épisodes de la narration sont découpés comme fera plus tard le cinéma, les points de vue se répondent, les procédés aussi, de l’aventure aux dialogues, des lettres aux témoignages. La vérité ne peut qu’être approchée, tant elle est étrange et fait peur. Ces petites touches successives entretiennent le suspense et envoûtent le lecteur. Où est la volonté quand le personnage et son double en détiennent chacun une part ? D’où l’importance des écrits (lettres, billets, testament, témoignage) : ils scellent un moment comme le chœur antique du théâtre, avant que tout ne bascule à nouveau.

L’un meurt d’expérimenter, l’autre meurt d’apprendre combien chacun peut être à double face, le dernier ne fait que traverser l’histoire. C’est un notaire, un juriste qui ne se préoccupe que des formes et des écrits. Lui est le témoin. L’écrit vain.

Robert-Louis Stevenson, L’étrange cas du Docteur Jekyll et de Monsieur Hyde, 1886, Livre de poche 2000, 286 pages, €4.10
Format Kindle, €0.99
Robert-Louis Stevenson, Œuvres 1, Gallimard Pléiade 2001, 1296 pages, €59.00
Les œuvres de Robert-Louis Stevenson chroniquées sur ce blog

Films en DVD :
1931 Dr. Jekyll et Mr. Hyde de Fredric March, Warner Bros, €3.80
1932 Dr. Jekyll et Mr. Hyde de Spencer Tracy, Warner Bros, €12.90
1932 et 1941 Dr Jekyll & Mr Hyde d’Ingrid Bergman, Warner Home Video, €5.88
1990 Dr. Jekyll et Mr. Hyde de Michael Caine, Elephant Film, €10.19
2003 Dr. Jekyll et Mr. Hyde de Maurice Philips, Arcade Video, €3.98
2015 Dr Jekyll & Mr Hyde avec Dougray Scott (version transposée à l’époque actuelle, à l’américaine…), Dazzler – en anglais, €9.12

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Que faisiez-vous le 11-Septembre 2001 ?

Je rentrais de vacances, justement de trois semaines au Pakistan. Les attentats ont été préparés par Ben Laden et ses complices, cachés quelque part dans la zone floue entre Afghanistan et Pakistan. Cette zone tribale d’ethnie Patan déborde des deux côtés de la frontière, mêlant clanisme familial et seigneurs locaux de la guerre. Le Pakistan n’a jamais voulu s’aliéner ces ethnies montagnardes, soucieux de conserver une profondeur stratégique à son pays, s’il était menacé par l’Inde. Les États-Unis ont soutenu cette idée en finançant à tour de bras les islamistes contre les soviétiques.

Ce qui m’a surpris, le 11-Septembre, est que cette haine affichée de l’Occident n’existait absolument pas quelques jours avant dans les bazars de Peshawar, grande ville la plus proche de l’Afghanistan et de la fameuse passe de Khyber. Notre guide à moustaches, Karim, nous a emmenés à l’intérieur de la mosquée Jakeola. Les dalles de marbre étaient chaudes aux pieds nus en cette heure méridienne. Des gamins se poursuivaient sous l’œil protecteur des adultes qui les réprimandent rarement tant l’exemple joue pour ces gosses qui sont constamment mêlés aux hommes. Nombre d’adultes en turbans faisaient la sieste allongés sur les dalles, à l’ombre de la galerie ; quelques-uns priaient à l’intérieur de la mosquée. Le bruit dominant était celui des jeunes garçons ânonnant le Coran pour l’apprendre par cœur, en balançant le haut du corps en rythme. Un lettré barbu par groupe, baguette à la main, lançait les versets et reprenait la récitation fautive des élèves dans une indifférence agacée. Nul doute que notre présence ne perturbait les séances bien que nous tentions de nous faire discrets. Mais des petits quittaient l’école pour s’agglutiner autour de nous. Ils étaient mis en récréation, de toute façon ils ne pouvaient plus être à leur devoir. Ils nous disaient « hello ! » et «what’s your name ? » Ils n’attendaient pas vraiment de réponse car les plus jeunes ne savaient même pas ce que ces expressions anglaises voulaient dire. Ils copiaient les grands. Mais ils étaient en tout cas amicaux envers les Occidentaux et soucieux de faire la conversation.

Du gamin au vieillard, les hommes portaient tous le pantalon large et la chemise longue ouverte sur la poitrine. Dans une société où les femmes et les mères sont confinées dans les intérieurs, les garçons vivent dehors dès qu’ils savent marcher. Comme tous les gosses, l’habillement est le dernier de leur souci, Les rues ne sont peuplées que de mecs dépoitraillés (il fait 40°) et les femmes mettent les voiles. Les très rares qui passaient rasaient les murs, en silence, voilées de la tête aux pieds avec un grillage serré devant les yeux. Élevés et éduqués sans jamais voir le sexe opposé, dans une théologie sexiste datant du 7ème siècle bédouin, les étudiants en religion (talibans) parviennent à l’âge adulte sans connaître la femme autrement que comme tentation, vulve à crocs, Satan incarné. Cet enfermement expliquerait leur peur de la simple vue d’une femme et les mesures délirantes qu’ils prennent pour conjurer leur immense émotion de puceaux tourmentés.

Si le Paradis promis aux croyants comporte « de jeunes serviteurs, pareils à des perles renfermées dans leur nacre » (Coran LII, 24) – jolie métaphore pour désigner le teint adolescent – il comprend aussi de jeunes vierges aux yeux noirs qui « ressemblent à l’hyacinthe et au corail » (LV, 58). Les musulmans ne sont pas insensibles à la beauté des femmes, mais ils la réservent à leur mari, leurs enfants, frères et neveux, pour lesquels tout inceste est prohibé. On considère, en islam, que la femme « encadrée » par le mariage et par les rites sociaux qui restreignent sa liberté, ne sera pas tentée de succomber à Satan et à ses pompes. « Les femmes sont votre champ ; cultivez-le de la manière que vous l’entendez » (sourate II, 223). Car « les maris sont supérieurs à leurs femmes. Dieu est puissant et sage » (II, 228) et en cas de partage des biens, « donnez au fils mâle la portion de deux filles » (IV, 12). En effet, « les hommes sont supérieurs aux femmes à cause des qualités par lesquelles Dieu a élevé ceux-là au-dessus de celles-ci » (IV, 38). C’est une tautologie, mais ce que Dieu veut… « Il ne convient pas aux croyants des deux sexes de suivre leur propre choix, si Dieu et son apôtre en ont décidé autrement » (XXXIII, 34). Le désir homosexuel existe inévitablement dans une société qui valorise tant le mâle et dévalorise tant la femelle. Si ce n’est pas le dessein de Dieu, c’est un péché véniel : « Dieu ne pardonnera point le crime d’idolâtrie ; il pardonnera les autres péchés à qui il voudra » (IV, 51).

Le fils de l’un de nos chauffeur de car, un Ali d’une beauté froide à 14 ans, restait debout alors qu’un siège lui tendait les bras. Ma compagne et moi avons bien mis une heure à comprendre, nous lui disions en anglais qu’il pouvait s’asseoir et il déclinait toujours. C’était la religion ! Nous avons échangé nos places, elle et moi. Ali s’est assis à mon côté presqu’aussitôt après : il ne pouvait supporter être assis près d’une femme, comme si elle était Satan en personne qui allait le violer.

Plus tard dans la montagne, un instituteur qui marchait avec moi pour revenir au village, m’a exposé son existence. Il ne faisait classe que le matin ici, l’après-midi ailleurs, faute de moyens. Il gagnait très peu, se faisant payer en nature par les paysans pour subsister. Impossible pour lui de songer à se marier car il n’était pas du clan, venait de la ville et restait trop pauvre. Comment résolvait-il ses problèmes de libido ? Il ne m’en a rien dit, mais on peut deviner avec tous ces jeunes garçons de la campagne curieux du plaisir…

J’ai lu une fois ‘The News’, le quotidien en anglais du Pakistan. Le numéro du lundi 6 août 2001 m’a permis de voir ce qui intéresse la fraction éclairée du pays. En première page, la fierté nationale : le Cachemire, la Palestine (où un chauffeur de car « a blessé dix Israéliens » en fonçant dessus), les Talibans (qui ont arrêtés dix membres d’ONG « prêchant le Christ »), un lama tibétain (« qui voudrait venir en visite »). On le voit, les « problèmes mondiaux » se réduisaient à l’islam. Le supplément hebdomadaire du journal laissait parler ses lecteurs : on y lisait les peines de cœur et les angoisses d’identité des filles et des garçons. Le conservatisme social et la morale – le « religieusement correct » – rendent les adolescents moins autonomes, Une fille qui utilisait internet s’étonnait que les tchats la conduise à « recevoir des propositions de rencontres directes » ! Réaction ingénue : les êtres humains sont-ils de purs esprits ?

La première force politique du Pakistan reste l’armée, la seconde le clergé musulman, viennent ensuite les propriétaires fonciers puis les industriels, enfin les petits commerçants. 44% de la population vit de l’agriculture (mais ne produit que 25% du PIB), 39% vit des services et 17% seulement de l’industrie. Poids de l’armée… L’industrie produit surtout du textile, de l’alimentaire et des boissons, des matériaux de construction, à destination du marché intérieur et, à l’exportation. Fait amusant : le Pakistan exportait en 2001 surtout vers les USA (22%), Hongkong, le Royaume-Uni et l’Allemagne (7%). Le Pakistan importait un peu plus qu’il n’exporte, principalement machines et pétrole, surtout des États-Unis et du Japon. Pays pauvre, surpeuplé, sous-éduqué, souffrant de disputes tribales et politiques internes, manquant d’investissement international et en coûteuse confrontation avec son voisin l’Inde, le Pakistan s’est constitué en entre-soi xénophobe. Il se voulait le Pays des Purs où seul l’Islam est permis.

Muhammad Saïd al-Ashmawy, ancien Président de la Haute Cour de justice du Caire, dit des fondamentalistes islamistes : « leur doctrine, système de vie total, sinon totalitaire, s’inspire de la même obsession d’une cité terrestre parfaite, conforme à la cité céleste dont ils déterminent l’organisation et la séparation des pouvoirs à travers les lunettes de leur lecture fantasmatique du Coran. » L’État n’est pas séparé de l’Église, ni la Morale du Livre : Dieu a tout créé, il veut tout. Pervez Hoodbhoy, professeur de physique pakistanais, déclarait à l’Express le 20 septembre 2001 : « cela me peine de le dire, mais l’Islam propose toujours des solutions faciles à des questions complexes. Voilà 700 ans que le monde musulman n’a pas produit un seul penseur marquant, dont les écrits auraient une valeur universelle. (…) Parce qu’elle a cristallisé une série de règles et d’interdits, l’orthodoxie islamiste nous rend introvertis, voire xénophobes. »

Cela dit, constatons que le fanatisme islamique a été encouragé par les États-Unis, notamment par Kissinger et Brezinski, ces brillants stratèges. Les États confessionnels non marxistes pouvaient résister efficacement aux sirènes soviétiques, cet ennemi de l’Amérique durant la longue guerre froide. La promotion de la vulgate coranique qui bloquait avec bonheur toute modernisation des pays musulmans ne pouvait que profiter au capitalisme américain, heureux de cette dépendance technique. La démographie galopante créait un marché pour les produits made in USA (armes, blé, machines) en échange de l’énergie vitale pour l’Amérique : le pétrole. C’est ainsi qu’ont été déstabilisés l’Égypte de Nasser, l’Iran du Shah et l’Irak de Saddam Hussein, brisant net leur développement. Mieux vaut reprendre la vieille diplomatie britannique impériale du « diviser pour régner ». D’autant que le fondamentalisme islamique ne saurait gêner les fondamentalistes protestants puritains…

Les attentats du 11-Septembre ont été un drame humain et un acte de terreur inacceptable qui a conduit à la guerre en Afghanistan puis en Irak, faisant des centaines de milliers de morts… surtout musulmans. Bravo Ben Laden, défenseur de l’islam, vous avez bien mérité d’Allah en tuant surtout ses fidèles. Convenons cependant que les États-Unis naïfs de Clinton ou cyniques va-t-en-guerre de Bush l’ont provoqué. La naïveté à courte vue est malheureusement le lot des experts de la CIA et des élites du pays. La priorité donnée aux liens commerciaux et financiers sur tout autre motif est la clé de la situation. Instrumentaliser les islamistes radicaux a peut-être protégé le pétrole un temps en contenant les appétits de l’URSS et en sous-traitant les problèmes en Méditerranée et en Asie centrale, mais l’apprenti sorcier se révèle avec le temps. La haine religieuse surprend les Américains, persuadés de leur mission sur cette terre ; il ne surprend hélas pas les Européens, habitués aux guerres de religion ou d’idéologie. Et les révolutions arabes, un mixte de 1848 et de 1968, sont une heureuse surprise… imprévue, comme le reste.

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