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Eric Zemmour, l’homme qui ne s’aimait pas

Éric Zemmour fait frémir la droite qui en a marre d’être dans l’opposition. La société française devient plus conservatrice, la droite française se radicalise. La radicalisation est d’ailleurs à la mode, puisque tous les partis font dans la surenchère pour exister médiatiquement. L’exemple de Donald Trump a donné des ailes à tous les candidats aux fonctions suprêmes. L’étrange est qu’Éric Zemmour semble obsédé par un certain nombre de thèmes politiques que les partis de gouvernement refusent d’aborder tranquillement, publiquement et honnêtement. Il s’agit de la sécurité, de l’immigration, de l’intégration, de l’islam. Tous ces éléments fabriquent une identité inquiète, comme si les Français ne savaient plus ce que signifie être français.

Éric Zemmour, 63 ans, adore transgresser les règles depuis qu’il a échoué deux fois à l’ENA, cette école de l’élite à laquelle il n’appartiendra pas. Né à Montreuil mais issu d’une famille juive de tradition, rapatriée d’Algérie, le garçon au père ambulancier et à la mère au foyer a été élevé surtout par des femmes. Il se lance dans le journalisme plutôt à droite, au Quotidien de Paris, à Valeurs actuelles et au Spectacle du monde, au Figaro et au Figaro-Magazine, avant d’aborder l’audiovisuel avec RTL, i-Télé et CNews. Au milieu des années 2000, il se radicalise avec Le premier sexe, publié en 2006, un essai sur la féminisation de la société et la perte des valeurs masculines. Petit frère, roman publié en 2008 insiste sur l’angélisme antiraciste tandis que Le suicide français en 2014 montre l’affaiblissement de l’État-nation à cause des idéologies gauchistes de mai 1968. Son dernier livre, paru en septembre 2021, La France n’a pas dit son dernier mot, a été refusé par Albin-Michel, scandale de la liberté d’expression pour cet anarchiste de droite à la Edouard Drumont.

Mais son livre initiateur, qui révèle son auteur, est sur Jacques Chirac : L’homme qui ne s’aimait pas, paru en 2002. Car Éric Zemmour lui non plus ne s’aime pas. Originaire d’Algérie, français par hasard d’un décret de 1899, il déteste les immigrés algériens. Issu d’une famille juive, élevé dans la tradition, il affirme que la patrie est le sol où l’on est enterré et que l’assimilation pure et simple doit gommer les identités, donc la judéité qui est la sienne. Petit mâle guère sportif dont l’agressivité n’a pas permis de gagner la compétition au concours des grandes écoles, il affirme le pouvoir masculin contre le féminisme. Il se dit gaullo-bonapartiste, oubliant volontiers que c’est le général De Gaulle qui a donné l’indépendance à l’Algérie, sa patrie originelle. Pour lui, les peuples sont en lutte pour une compétition à mort et seul l’État-nation conduit par un homme providentiel, César, Duce, Führer ou populiste gueulard à la Trump ou Le Pen (mâle), peut permettre de survivre à l’évolution darwinienne. Son obsession de la décadence, son souverainisme intégral en faveur de l’État national, son affirmation qu’une nation doit être unitaire, donc homogène culturellement, religieusement et ethniquement, le situent dans les courants autoritaires d’il y a un siècle.

Toutes ces idées sont opposées à celles les Lumières, mouvement qui a pourtant accordé aux Juifs l’égalité avec les autres citoyens, à l’inverse d’un Ancien régime raciste (le sang bleu), aristocratique (par la naissance) et totalitaire (l’Etat c’est moi). Décidément, Zemmour ne s’aime pas. Ni en tant qu’homme, ni en tant que Juif, ni en tant que citoyen, ni en tant que Français. Il considère l’État de droit comme contraire à une mythique « volonté populaire » et préférerait le plébiscite. C’est ainsi que Mussolini a gagné il y a un siècle et qu’Hitler a remporté les élections en 1933. Ces deux modèles, nationalistes allant jusqu’au racisme, inspirent notre polémiste. Faut-il rappeler que les Arabes sont aussi des Sémites et qu’être antisémite, pour un Juif, est une forme de la détestation de soi ? Pour la France, travail, famille, patrie, cette devise du catholique conservateur autoritaire Pétain, maréchal de France et cacochyme en 1940, représente pour Zemmour le nec plus ultra de la politique. Est-ce vraiment s’adapter au monde moderne pour la compétition mondiale ? L’éducation caserne qui disciplinait les garçons (seulement) dans le rabâchage du par-cœur ? Le calvaire des quelques 330 000 garçons (au moins) de 10 à 13 ans violés par quelques 3000 religieux catholiques en France de 1950 à nos jours est-il le modèle patriarcal hiérarchique autoritaire des citoyens pour l’avenir ? Vraiment, c’était mieux avant ?

Les soutiens du futur ex-candidat probable sont à l’extrême-droite, Jacques Bompard maire d’Orange, Sarah Knafo d’origine juive algérienne née en 1993 et énarque depuis 2017, ou dans les milieux libertariens tel Charles Gave, financier millionnaire international, et quelques banquiers de chez Rothschild. Tous ces gens flattent l’ego zemmourien et l’incitent à se présenter à l’élection présidentielle. Éric Zemmour observe surtout l’envolée des ventes de son livre, publié par sa propre maison d’édition en guise de libre parole. Sera-t-il vraiment candidat ? Rien n’est moins sûr tant il faut réunir des parrainages d’élus, ce qui est loin d’être gagné, et présenter un vrai programme économique et social aux électeurs. Parler de ce qui fâche ne suffit pas. Si le milieu médiatique est essentiellement parisien et intello, la France qui vote est en majorité provinciale et soucieuse de son pouvoir d’achat comme de la façon d’élever ses enfants. Rembarquer les immigrés n’est pas un programme. Non seulement parce qu’il faudrait changer le droit et dénoncer les traités européens et un certain nombre de traités internationaux, abandonner ce qui fait le fond de l’identité française sur la scène internationale – les droits de l’Homme – mais aussi parce que la remigration engendrerait des conséquences économiques extrêmement fortes avec un bouleversement dans l’emploi, comme le montre dans une moindre mesure le Brexit pour les Anglais.

Éric Zemmour profite de l’usure de Marine Le Pen, toujours aussi nulle depuis son débat il y a cinq ans avec l’actuel président, de la lassitude des incantations de l’extrême gauche – de la néo-Rousseau aux Jacobins trotskistes – de l’effondrement des idées de gauche qui s’éclatent en egos démagogiques (allez que je te double le salaire des profs fonctionnaires en 5 ans !), ainsi que – ce qui est pire – des incertitudes de la droite traditionnelle. Elle ne parvient ni à trouver une procédure de choix incontestable de son candidat, ni à faire émerger un candidat crédible, ni même à faire figurer dans son programme quelques idées fortes pour la prochaine législature… Vers qui donc se tourner lorsque le débat politique ne fait figurer aucune de vos idées ? Ce fut Coluche en 1981, Zemmour en 2021.

Un Éric (dont le prénom – scandinave – signifie le roi) qui profite des tabous idéologiques refusant le parler vrai sur l’islam et sa dérive islamiste, sur la culture française et ses dérives mondialistes, sur la place des femmes et sa radicalité victimaire anti domination, sur la génération fragile élevée dans du coton depuis 25 ans et qui mesure à peine les menaces actuelles du climat, de la santé, de l’énergie, de l’agriculture, des migrations, et des religions. Mais pour réussir il faut d’abord être soi, donc s’aimer un tantinet ; cela afin d’établir un programme complet avec des objectifs à long terme. Décadence et pessimisme ne sont pas des projets. Je crois pour ma part à un prochain dézemmour dans les sondages, la plupart étant actuellement effectués par Internet pour des raisons d’économie auprès de ce qui veulent répondre, donc des plus militants. La réalité est bien au-delà de cette illusion.

Sur Zemmour et son courant

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Le dernier complot

Toute crise désoriente les esprits peu sûrs d’eux-mêmes ; la raison fuit devant la croyance. Ce pourquoi les religions font recette particulièrement en ces moments-là :

  • Autour de l’an mil c’était l’Apocalypse, qui prépara l’élan des croisades comme celui des bâtisseurs de cathédrales (les deux faces d’une même foi) ;
  • dans les années 1970 au moment des deux chocs pétroliers (1973 et 1979), la Malédiction satanique de l’Associé du diable exigeant l’Exorciste ;
  • à la fin des années 2010, c’est désormais la Cabale de l’Etat profond contre le Blanc moyen que des hordes d’immigrés orientaux ou latinos doivent envahir en Europe et aux Etats-Unis tandis que leurs gènes seront submergés par le Mélange et leurs enfants, selon Q, éradiqués par le kidnapping, le soutirage du sang, le viol et la torture. Le viol comme arme de guerre, ce n’est pas nouveau mais fait toujours recette.

Le sang serait destiné à l’adénochrome qui donnerait aux puissants longue vie. Rien de nouveau sous le soleil, boire le sang était déjà considéré comme prendre la force de son ennemi durant la préhistoire et les Romains accusaient déjà les chrétiens d’égorger les petits enfants, ce que le Moyen-Âge reprendra pour les Juifs. Inutile non plus de décortiquer cet adénochrome : il n’est que l’oxydation de l’adrénaline en laboratoire qui sert contre l’épilepsie et pour guérir les hémorroïdes (donc les épanchements du Q). On le fabrique industriellement et chacun peut le trouver facilement sous les noms des médicaments Adona, Phleboside, Anaroxyl, Medostyp ; pas besoin de saigner des enfants… Mais cette preuve ne sert à rien car ce qui compte est la croyance.

Or nul être sensé ne peut rien contre un croyant. Il est imperméable à tout, sauf à la force. Les islamistes le savent bien qui s’intoxiquent d’Allah (et certains de haschisch) pour devenir assassins. La foi rend blindé, robocop discipliné du gourou, soumis au dieu vengeur. L’empathie envers les enfants maltraités est humaine ; elle conduit tout naturellement à croire, donc à suivre aveuglément ceux qui sont contre. Jusqu’aux absurdités qui ont conduit au Pizzagate en 2016 et, rien qu’en 2020, à la tuerie allemande de Tobias Rathjen et à l’accusation de vendre des enfants sous le nom d’armoires par l’entreprise de meubles Wayfair à Boston !

La pédocriminalité est, avec le nazisme, le fantasme le plus violent du Mal au début du XXIe siècle. De quoi en avoir un orgasme, bien plus qu’avec les égorgeurs d’Allah. Être nazi, le rêve ! On peut tout faire, tout se permettre, on est le plus fort. Violer les enfants, rendre esclaves les femmes, torturer le mécréant, égorger l’apostat. On peut transgresser tous les tabous, surtout juifs et chrétiens, donc les Commandements de la Bible, l’inverse même de la morale américaine. Être antéchrist une bonne fois pour jouir de tout sans entraves, c’est atteindre le septième ciel sans attendre l’au-delà. Dès que vous reconnaissez cet Ennemi absolu du nazi pédo – le Diable incarné – si vous n’êtes pas pervers, vous vous trouvez forcément dans le camp du Bien. Hein ? des doutes ? vous seriez donc pervers ? Soyons décent, inutile de penser, suivez : le Bien sait tout. Il encadre la morale. Il est le Q, la puissance réactive en électrotechnique. Il vous donne des règles simples à suivre. Restez dans les clous et avec les bons : croyez !

L’effroi du petit Blanc paupérisé, la peur du Grand remplacement par les colorés dans le monde blanc, font monter l’insécurité intime et culturelle. Les errements des gouvernements trop technocratiques qui ne savent pas et décident en aveugle tourmentent la passion politique : sur la pandémie (Castex et le casse-tête des Qltes et le Q de Tobin appliqué à la rentabilité des pistes skiables) ; sur l’économie (Hollande qui voulait réduire le chômage tout en augmentant massivement les impôts !). Le sentiment démocratique de ne jamais être entendu (les gilets jaunes), entraîne ressentiment et méfiance. Tout ce qui est dit par le pouvoir et par les élites devient mensonge et entraîne par réaction la tendance à faire l’inverse, en ado rebelle qui n’a jamais su grandir :

  • Le masque ne sert à rien ? – Si, si au contraire, j’en veux un !
  • Le masque devient obligatoire ? – Non, non, je me sens libre de ne pas le porter !
  • Pas de vaccins ? – Mais que fait le gouvernement ?
  • Des vaccins bientôt disponibles ? – Je me méfie, je ne me ferai pas vacciner, ils pourraient contenir des nanopuces de contrôle par les GAFAM ou des produits abrutissants pour le FBI ou la CIA… (tous les monstres fantasmés du Complot, le numérique IA et l’empire américain)

Rien de rationnel là-dedans, que de la rumeur, de la croyance, de l’abandon de soi à la horde de ceux qui pensent « bien » – c’est-à-dire comme sa bande. Dans les années 1970 le complot était celui des multinationales, dans les années 1990 la Trilatérale, c’est désormais Davos le forum des riches et des puissants bientôt immortels par transformisme et régnant par l’intelligence artificielle augmentée par la 5G… (tant qu’à faire, amalgamons tout). La nanopuce, est-ce la crainte d’avoir enfin du plomb dans la cervelle ? Ou de garder la cervelle dans le Q ?

Tout événement majeur déstabilise : la crise financière puis économique et sociale 2008 ; la pandémie 2019 et la crise de la mondialisation 2020 aggravée par un Trump agressivement tweeteur. Chacun cherche alors à se rassurer et à retrouver ses marques. Pour cela trois choses :

  1. Donner un sens (même absurde) pour reprendre le contrôle – le délire paranoïaque est toujours très logique ; il n’en reste pas moins un délire hors du réel
  2. Agir pour résister – faire n’importe quoi mais faire – pour avoir le sentiment de garder prise
  3. Se sentir relié, donc s’affilier à une tribu de croyants, à une communauté de religion (de religere, relier), à des gens qui pensent comme vous et vous confortent dans le nid – même au prix du déni.

La théorie du Complot trouve des échos parmi les plus fragilisés, les perdants, les « esclaves » (au sens métaphysique de Nietzsche), ceux qui sont incapables de penser par eux-mêmes ou d’oser seulement le faire. Ils préfèrent suivre la foule, lyncher en cœur dans l’anonymat de masse (c’est pas moi c’est l’autre), manifester sans projet, casser des biens publics pour se plaindre des moindres biens publics, faire du bruit pour ne pas entendre.

Il n’existe plus de vérité autre que celle à laquelle on croit ; plus de faits autres que ceux qui nous intéressent ; plus de débat entre gens de raison évoluée mais la haine entre bêtes d’instincts primaires. Plus de régime démocratique mais la guerre civile. Aux Etats-Unis, nous n’en sommes pas passés loin au moment de la défaite de Trump. En France ? ça vient… Comme toujours depuis des décennies les petits intellos français imitent ce qui vient des Amériques. Et rarement pour le meilleur.

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A l’est d’Eden d’Elia Kazan

Salinas, près de Monterey en Californie, 1917. Un adolescent est malheureux (James Dean, 24 ans). Il n’est pas aimé, il n’a pas de mère, son père et son frère se liguent contre lui en l’accusant depuis l’enfance d’être « mauvais ». Au sens de la Bible, car ces bigots superstitieux savent tout grâce au Livre donné aux médiocres grâce à Dieu. Or la Bible, pour les protestants, est à lire au sens littéral et par chacun sans filtre ; les cinq livres juifs comptent donc plus que les quatre évangiles car ils sont placés au début. Le message du christianisme est justement l’inverse : Jésus est venu dire aux docteurs de Jérusalem, puis aux marchands du Temple, que le judaïsme se fourvoie dans la superstition des rites et des formules et que Dieu réclame mieux que ça.

Chacun peut mesurer, en Europe, les ravages du biblisme aux Etats-Unis : obsession névrotique du texte, croyance assurée en sa propre vertu, obéissance sans recul aux Commandements. Autrement dit, singer le règlement pour se faire bien voir dans l’au-delà, au lieu d’aimer ici-bas ceux qui nous sont proches et faire le bien autour de nous. Le catholicisme, malgré son détournement d’église vers le pouvoir, a au moins le mérite de replacer le Pentateuque dans l’ensemble du Message, celui du Christ, qui déclare qu’aimer (à l’image du Dieu créateur père de tout ce qui existe) suffit à la foi – et que les rites, tabous et gloses autour du texte ne sont que simagrées.

Tiré d’un roman de John Steinbeck paru en 1952, le film rend plus nette la parabole de Caïn et Abel. Caleb et Aaron sont deux frères jumeaux que leur mère a abandonnés tout bébés. Le père Adam (Raymond Massey) dit qu’elle est morte, puis qu’elle l’a quitté pour aller dans l’est. Mais Cal n’y croit pas ; un homme lui a parlé dans un bar et il sait sa mère proche, il veut la voir, la connaître, savoir qui il est et d’où il vient. Le père est un monument de Vertu qui ne jure que par la Bible et la cite à tout propos. Il croit à l’obéissance, au travail, au progrès du bien. Cal ayant toujours été rebelle et sauvage n’est pour lui qu’un rebut, au contraire de son frère Aaron (Richard Davalos, 25 ans), modèle de bon fils obéissant au Père.

Aaron porte cravate en civilisé conforme, Cal garde le col ouvert (et plus dans l’excitation) en jeune animal proche du naturel ; Aaron travaille bien à l’université, Cal se moque de l’école ; Aaron a déjà une fiancée, Cal laisse tourner autour de lui les filles sans s’attacher – et ainsi de suite. Le père n’est ni violent ni même autoritaire, il est seulement sûr de lui, de son bon droit, de sa vertu. C’est pour cela que sa femme l’a quitté, après avoir pondu deux fils ; elle ne supportait plus qu’il veuille diriger sa vie au nom du Livre.

Cal est éperdu de solitude. Personne ne le reconnait pour ce qu’il est, lui-même doute puisque tous répètent le père et le frère qui disent qu’il est « mauvais », seul le shérif (Burl Ives) se montre plus humain. Mais un enfant mal aimé ne peut qu’en vouloir à la société entière, non ? James Dean lui-même a été élevé dans une ferme sans mère et sans amour de son père. Ce pourquoi il semble le seul naturel et vivant dans le film ; les autres acteurs sont si conventionnels… Mais parce que le scénario le veut. On imagine mal aujourd’hui le conformisme et la bigoterie de cette population américaine d’il y a un siècle – ou même un demi-siècle ! Seule la fiancée Abra (Julie Harris, 20 ans) comprend l’adolescent. Elle doute elle-même d’aimer vraiment Aaron, sentant que ce lien est socialement bien vu mais de circonstance, alors que la profondeur de son promis lui échappe. Il apparaît trop comme un clone de son père, aussi assuré d’être dans le bon, le droit, le vrai parce qu’il obéit au père comme au Père et applique les ordres tels qu’ils sont donnés et le Livre tel qu’il est écrit.

Adam dans sa candeur de fils aimé d l’Eternel croit que mettre des laitues dans la glace permettra de les exporter jusque dans l’est ; Cal croit au contraire que planter des haricots secs est de meilleur rendement en raison de la proche entrée en guerre des Etats-Unis contre l’Allemagne du Kaiser. Le père bourre un convoi entier de chemin de fer de ses laitues de Salinas Valley – mais un éboulement retient le train des heures durant et la glace fond. Il est ruiné. Cal, qui l’a aidé de tout son corps, de tout son cœur et de toute son intelligence en inventant une rampe inclinée pour le rangement des salades et en prenant l’initiative lui-même, est effondré. Il voudrait tant aider son père à se refaire pour être enfin reconnu comme fils égal à l’autre ! Mais le père temporel est aussi borné que le Père éternel du Pentateuque : il agrée les offrandes d’Abel mais ignore les offrandes de Caïn.

Cal, qui suit d’abord Kate sa présumée mère (Jo Van Fleet, 40 ans mais ravagée) avant de forcer sa porte pour se faire reconnaître d’elle, la convainc de lui prêter 5000 $ pour lancer son affaire. Touchée de son obstination et reconnaissant en lui un rejeton qui lui ressemble (beau gosse, rebelle, doué en affaires), elle consent. Aidé d’un adulte associé, Cal achète 5 cts le kilo de haricots secs pour le revendre 18 cts au bureau du ravitaillement de guerre anglais, dégageant un beau bénéfice. Mais l’argent, pour Adam, est fils du péché ; c’est voler le paysan qui a produit. Il ne veut pas de ce don du fils et Cal désespère de tout amour. Lui qui voulait bien faire est rejeté. La scène entre le père et le fils, sous les yeux du frère et de la fiancée, est un moment très fort du film. Le spectateur foutrait volontiers son poing sur la gueule du Vertueux et jetterait sa « Bible » au feu illico s’il était dans l’histoire. A quoi sert un « guide de se bien conduire » si l’on se conduit de façon aussi égoïste et obtuse avec tant de bonne conscience dévoyée ?

Alors Cal veut suivre l’exemple de Caïn qui « se retira de devant l’Éternel, et séjourna dans le pays de Nôd, à l’est d’Éden » (Genèse 4, 16). Il veut garder le don refusé et partir, faire ses affaires ailleurs, loin du géniteur qui ne l’aimera jamais. Mais avant, il veut mettre son jumeau face à la réalité : il le conduit chez leur mère. C’est dans un « bar louche » – en fait un bordel chic – que Kate se saoule dans son bureau. Aaron tombe de haut, lui qui s’est fait une image illusoire d’une mère belle et bonne. Du choc, et voyant Abra se détacher de lui, il court s’engager dans l’armée.

Cela cause au père une rupture d’anévrisme qui le laisse quasi paralysé. Il n’en a plus pour longtemps avant de passer en jugement devant l’Eternel son Dieu. Il devra rendre des comptes sur ce qu’il a fait ici-bas et expliquer comment il a confondu le cœur et la lettre. Abra le convainc non de « pardonner » au fils rebelle (ce qu’il a fait durant des années parce que cela renforçait sa bonne conscience sans en penser un mot) mais de lui demander de faire quelque chose pour lui afin de prouver qu’il tient à lui. Car il n’y a définitivement pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour !

Golden Globe du Meilleur film dramatique 1956.

DVD A l’est d’Eden (East of Eden), Elia Kazan, 1955, avec James Dean, Julie Harris, Raymond Massey, Jo Van Fleet, Burl Ives, Warner Bros 2008, 1h53, €7.99

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Ecologie comme idéologie

Les écologistes sont bien gentils, ils poursuivent une utopie de la vie future sur le modèle (américain) de Disneyland : fleurs et petits oiseaux, climat doux de Floride, gentils animaux et aventures sans prédation. Les écologistes sont passés de la science à la religion, du savoir sur la planète à la croyance au Paradis. Et c’est là que je décroche. Nous n’avons pas remis à leur place les curés, banni les communistes ni regardé s’embourgeoiser lamentablement les gauchistes et dénoncé les islamistes pour accepter une autre religion !

Il faut certes être conscient de l’épuisement des ressources, des effets sur le climat de nos émissions de gaz à effet de serre, des conséquences sur la santé des microparticules, des produits phytosanitaires et des additifs de l’alimentation transformée. Il faut être conscient que l’être humain reste un prédateur et que son existence même, sa prolifération sans limites, consomme des matières, des végétaux et des animaux, de l’énergie. Cela est la part de la science. On y répond par la science : c’est en effet plus de savoir (y compris en sciences sociales) qui nous permettra de limiter la prolifération incontrôlée de l’espèce humaine, de faire mieux avec moins, d’économiser et de substituer.

Toute autre est la croyance. Elle est un fantasme vers l’immobilité, vers la régression, vers un Âge d’or mythique qui n’a jamais existé et qui n’existera jamais, une sorte d’équilibre divin tel que décrit dans le Paradis biblique. Les humains n’y mangeaient alors que des herbes et des fruits – sauf un, interdit, tentateur : le fruit de l’arbre de la connaissance. Le manger était vouloir savoir comme le Père, égaler Dieu, orgueil punissable dans l’univers patriarcal juif d’il y a 4000 ans. Eve a péché, Adam s’est laissé faire, ils ont vu qu’ils étaient « nus » et en ont ressenti (nul ne sait pourquoi) de la « honte » : Dieu ne les avait-il pas pourtant « créés à Son image » ? Chassés du paradis paternel où ils se laissaient vivre en infantiles béats, ils ont été soumis au travail forcé, obligés d’accoucher dans le sang et la douleur et de manger de la viande. Ainsi Caïn, auquel Dieu préfère son frère Abel selon son bon plaisir inique de père tout-puissant qui condamne l’autre fils à désespérer en se détournant de lui (nul ne sait pourquoi), donc à tuer par jalousie. Après le Déluge, Dieu autorise Noé à manger de la viande parce que les végétaux ont « tous » été engloutis et qu’il faut bien survivre. Le pire sera d’exiger d’Abraham qu’il égorge en holocauste son fils adolescent Isaac en l’honneur de Dieu pour « prouver » son obéissance ! Mais la viande n’est qu’un pis-aller entouré d’un tas de précautions symboliques contre certaines chairs et le sang chez les Juifs, les Chrétiens et même les Musulmans, derniers arrivés.

C’est que la chair est haïssable, elle rappelle que nous sommes faits de matière et pas de pur esprit, une boue insufflée par Dieu pour lui donner vie. Donc tuer est condamnable, manger de la viande une horreur et consommer le sang est capter la vie même – réservée à Dieu qui la donne et la reprend. D’autant que l’on dit chez les hommes que la viande fait le muscle et attise la sensualité. Et c’est là tout le « mal » ! Pas de viande pour les femmes, conseillait-on au XIXe siècle bourgeois, au risque d’hystérie à la Bovary – mais de la viande rouge pour les garçons pour qu’ils soient forts au travail, à l’armée et au lit. Avoir du plaisir, caresser, contempler, baiser, jouir, ne sont qu’horreurs pour les clercs chétifs et ayant juré chasteté qui ne rêvent qu’à la Vie éternelle et vilipendent celle d’ici-bas. Seul « un autre monde » est possible pour ces épris d’absolu, trop souvent incapables de bien vivre dans leur société. D’où les tabous sur la nudité, le plaisir, le sexe, la viande.

Tabous que les écologistes reprennent curieusement comme un credo. Plus austère que moi, tu meurs ! Car « il faut » faire pénitence pour être pardonné. Il faut se restreindre pour que la terre nous tolère. Thomas d’Aquin, docteur de l’Eglise cité par la revue L’Histoire n°466 de décembre 2019, déclare que « le jeûne a été institué par l’Eglise pour réprimer la convoitise des plaisirs du toucher qui ont pour objet la nourriture et la volupté. » Et pourquoi ? Parce que la luxure est un excès de sexualité, comme l’égoïsme un excès de liberté ?  Du tabou de la chair au péché de chair il n’y a qu’un pas. Or ce n’est pas le corps ou la sensualité qui compte, mais l’excès, la démesure. C’est valable en tout, en démographie comme en finance, dans l’alimentation comme dans le sexe, dans la guerre comme dans le sport. Pourquoi les écolos reprennent-ils l’austérité ascétique des errants du désert comme modèle plutôt que la tempérance stoïcienne qui fut celle de Montaigne ?

Aujourd’hui, l’on nous dit que les vaches pètent, que les moutons rotent et que les porcs puent – autant de gaz immondes qui font serre. Qu’il faut donc ne plus manger de viande pour éviter « en urgence » de les accumuler et ainsi « sauver » la planète comme jadis le Sauveur s’est crucifié pour l’Humanité. Mais ces prétextes d’équilibre dynamique en apparence rationnels masquent surtout l’idéologie. Rien n’est reproché à la Chine par les Thunberg et autres braillards prophétiques, mais tout à la France. Les Etats-Unis sont précautionneusement évités mais la vieille Europe est sommée de réagir – toute seule semble-t-il. Pointer Bolsonaro sur les feux de forêt amazonienne serait du colonialisme, mettre en cause les grévistes du rail qui engendrent 500 km de bouchon chaque jour en Île-de-France un déni de « domination », dénoncer le natalisme de l’islam et de l’Afrique une « stigmatisation », accuser Poutine une mort certaine.

C’est que la croyance compte plus que les faits dans l’idéologie. Et celle des écologistes ne fait que reprendre la vieille – très vieille ! – antienne biblique qui s’est déclinée en Cité de Dieu et en Missions catholiques, en Nouveau monde puritain aux Amériques, en Avenir radieux léniniste en Russie, en Cuba libre castriste, en Juste solution des contradictions au sein du Peuple maoïste, en Révolution permanente gauchiste… Comme rien de tout cela n’a fonctionné, l’idéologie se recycle en écologisme.

Une nouvelle croyance bien loin des constats et remèdes scientifiques qui réclament recherche, capitalisme et progrès. Car seule la recherche permettra de vivre mieux en consommant moins ; seul le capitalisme (je ne parle pas de la finance mais de la technique de comptabilisation des emplois et ressources) permettra de produire plus efficacement avec le moins de travail, d’énergie et de matière possible ; seul le progrès permettra de faire accepter la nouvelle donne aux peuples sans qu’ils aient l’impression de régresser spirituellement et matériellement au Moyen âge ou de retrouver les disettes et le bon plaisir royal d’Ancien régime.

Ce n’est certes pas en braillant « contre » les dirigeants (curieusement tous mâles, blancs et européens avec peu d’enfants) ni en « marchant » dans les rues que le respect de l’environnement sera mieux assuré. Pas plus que de danser pour faire venir la pluie.

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Misère sexuelle début de siècle

Michel Houellebecq avait raison, il y a plus de vingt ans, de dénoncer la fausse « libération » sexuelle post-68. L’exigence de la mode était de baiser à tout va, n’importe où, et avec n’importe qui. « On aime s’envoyer en l’air » décrétait un vieux couple – jeune en 1968 – dans une récente publicité pour un comparateur de vols aériens. Mais être dans le vent ne signifie pas que le vent vous porte : il peut aussi vous souffler.

Pire est la sexualité adolescente d’aujourd’hui, avant tout numérique. Le réel fait peur, la faute aux parents timorés qui enjoignent à leurs petits de ne pas faire confiance, à personne, jamais. Ni sourire dans la rue, à peine un salut (et seulement aux gens déjà connus), ne pas suivre. L’hystérie télé est passée par là avec les « affaires » médiatiques de pédophilie. Même si elles sont statistiquement rarissimes (et à 75% en famille…), pas plus fréquentes hors domicile que les homicides, et moins que les morts par accident de voiture, elles contraignent le comportement de tous, tous les jours. A force de s’enfermer, la société crée des autistes : pourquoi cette pathologie se développe-t-elle autant ces dernières décennies ?

Certains rigoristes, en général esclaves de morales religieuses jamais pensées, mettent en cause la capote, la pilule et l’avortement comme un lâcher de freins. Les femmes, désormais libérées d’une grossesse non désirée, se débonderaient. Goules hystériques, elles sauteraient sur le premier venu pour se faire jouir, allant d’amants romantiques (mais bien membrés) aux sex-boys et aux tendres sex-toys éphèbes des cougars. Mais le fantasme mâle patriarcal des religions du Livre ne fait pas une réalité. Les filles sont tout aussi tendres et affectives que les garçons et, si leur jouissance est plus lente à venir, exigeant tout un environnement physique, affectif et moral, elles n’en sont pas plus animales.

Contrairement à ce que voudrait faire croire la doxa machiste – et le commerce bien pensé. L’industrie du porno fleurit en effet d’autant plus que les outils du net sont désormais à sa disposition depuis une génération. Des acteurs et actrices payés pour cela « jouent » un rôle en exhibant leur sexe, soigneusement maquillé  (épilation, lustrage rose des petites lèvres pour les filles, huilage des muscles et viagra pour les garçons). Ils caricaturent « l’acte » en le multipliant, prenant des poses de cascadeurs, émettant des sons de jouissance comme les rires mécaniques des émissions drôles. Tout cela vise à divertir, à exciter, à vendre – tout cela n’est pas la réalité.

LA BOUM, Alexandre Sterling, Sophie Marceau, 1980

On ne fait pas des bébés dans l’outrance pornographique mais dans l’amour partagé. Et c’est cela qu’il faut expliquer aux enfants. Les tabous iniques des religions du Livre (toujours elles) empêchent les parents de jouer leur rôle de guide. « On ne parle pas de sexe, c’est grossier ; ce n’est pas de ton âge ; on verra ça plus tard ; le docteur t’expliquera ; tu n’as pas de cours d’éducation sexuelle à l’école ? » ; « pas de torse nu à table » ; « cachez ce sein que je ne saurais voir » ; « ferme ta chemise ; met un tee-shirt ; met tes chaussures ! » Ces injonctions du rigorisme puritain effrayé par le qu’en dira-t-on, que n’en avons-nous entendu ! Or ne pas dire, c’est cacher. Induisant donc la tentation de l’interdit et son revers : la solitude devant l’émotion.

Les enfants dès le plus jeune âge sont confrontés aux images pornographiques. Non seulement dans la rue parfois, mais surtout sur le net. Vousentube diffuse des vidéos sans filtre ou presque ; d’autres sites en accès libre sur Gogol permettent d’observer des corps nus s’affronter dans des halètements ou sous des coups violents, les pénis érigés comme des masses et pénétrant comme des couteaux terroristes le corps des victimes esclaves – qui ont l’air d’en profiter et de jouir, comme les mémères appelées à la consommation par les magazines à la mode lus chez le coiffeur.

Que font les parents ? Ils chialent lorsqu’on leur met le nez dedans, comme des toutous peureux la queue entre les jambes. « Je ne savais pas ; ma petite puce ! » ou « mon cher ange ! Comment penser qu’à cet âge innocent… » Ils ne voient pas parce qu’ils ne veulent pas voir. Ils se cantonnent dans leurs soucis et leurs problèmes de couple, indifférents au reste, sauf à Noël et aux anniversaires peut-être. Ils n’écoutent pas, ils ne répondent pas aux questions.

Pourtant légitimes : comment fait-on les bébés ? c’est quoi l’amour ? mes petites lèvres sont-elles trop grandes ? mon zizi est-il trop petit ? comment on met une capote ? sucer, c’est mal ? Si les parents répondaient avec naturel à ces questions intimes, sans fard mais avec raison, les enfants et les adolescents ne seraient ni intrigués par l’interdit, ni traumatisés par l’expérience. Mais voilà, les tabous ont la vie dure – sauf sur le net, où tout se trouve comme au supermarché.

Vaste hypocrisie des sociétés « morales » qui ont pour paravent la religion mais laissent faire et laissent passer sans filtre tout et n’importe quoi. Les Commandements sont affichés et revendiqués, mais nullement pratiqués. Tout comme ces « règlements et procédures », en France, qui ne durent que le temps médiatique : on fait une loi – et on l’oublie : tels l’interdiction des attroupements d’élèves devant les écoles, le voile en public, l’expulsion des imams salafistes, l’enquête sur les habilités au secret Défense, et ainsi de suite. La loi, pour les Latins, est toujours à contourner, par facilité, laxisme, lâcheté.

Dès lors, comment ne pas voir la misère sexuelle de la génération qui vient ? Regardez successivement deux films et vous en serez édifiés. La Boum sorti en 1980 et Connexion intime, sorti en 2017. Ils ont 37 ans d’écart – une génération. Ils sont le jour et la nuit. Ils se passent tous deux en lycées parisiens, à la pointe des tendances sociologiques. Les parents des deux films sont toujours occupés et ne prennent pas le temps de parler à leurs adolescents, garçon ou fille – qui cherchent ailleurs communication et affection. Mais autant La Boum est romantique et pudique, autant Connexion intime est égoïste et mécanique. La sensualité n’existe plus, les cols sont fermés, les torses enveloppés de tee-shirts larges et de sweaters informes, les manteaux boutonnés – seules les filles s’exhibent, mais dans leur chambre et à distance, en sous-vêtements coquins, se prenant en selfies pour poster sur les réseaux.

« L’amour » s’y réduit au sexe et les caresses n’ont plus leur place : on ne se touche plus le visage, les épaules ou la poitrine, on ne se caresse pas les seins ni les tétons. Seules la bouche et la bite sont sollicitées avec pour summum « d’Acte »… la pipe. On suce dans les toilettes, on se branle devant un film – mais on ne parvient à rien sur un lit avec un ou une partenaire réelle. D’où Félix accro au porno et Luna qui se met en scène comme une star sur un site de rencontres. Chloé, 15 ans, provinciale parachutée à Paris, cherche l’amour et ne le trouve pas ; ni son amitié avec Luna (qui la manœuvre), ni son inclination pour Félix (qui l’utilise) ne sont de l’amour. Ce n’est que du sexe, égoïste, mécanique. Les ados de La Boum étaient tendres, mignons ; ceux de Connexion intime sont froids, répugnants.

Entre les deux films, le net. Outil qui est la meilleure et la pire des choses, comme tous les outils. Mais surtout la démission égoïste des parents, portée par cet individualisme du « ils n’ont qu’à se démerder » ou du « que fait l’Etat ? », déjà pointé par Michel Houellebecq dans Les particules élémentaires en 1999.

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Inégalités scolaires plus que fiscales

La redistribution via la fiscalité est secondaire en France, illusion de gilet jaune qui ne voit pas plus loin que son rond-point. Eux sont trop avancés dans la vie pour modifier leur trajectoire mais ce n’est pas cela qui compte pour bâtir une société meilleure dans l’avenir.

Une étude de France Stratégie parue en juillet 2018, « Nés sous la même étoile » et sous-titrée « Origines sociale et niveau de vie » montre que « la France, qui par ailleurs parvient à contenir le creusement des inégalités de revenus, accuse des inégalités de chances importantes, notamment aux deux extrémités de la distribution sociale. Un enfant de cadre supérieur a ainsi 4,5 fois plus de chances qu’un enfant d’ouvrier d’appartenir aux 20 % les plus aisés ». Pire : d’autres facteurs comme l’âge, le sexe ou l’ascendance migratoire « sont faibles, voire négligeables ».

Le constat est sans appel : « L’inégalité des chances en France est d’abord une inégalité des chances éducatives ». Or l’école a été le lit des socialistes : ils l’ont détruite sous Mitterrand, sous Jospin et sous Hollande. L’inégalité scolaire a augmenté par l’ineptie des programmes, le corporatisme syndical de gauche qui refuse de voir noter les notants et de voir nommer les agrégés et expérimentés dans les lycées de banlieue. L’enseignement s’est réduit à l’animation et le savoir a été déconsidéré au nom des tabous raciaux ou religieux. Misant tout sur « les moyens », on a trop souvent laissé faire et s’installer la non-culture, « remontant » les notes au bac lorsqu’elles étaient scandaleusement trop basses.

Or, montre l’étude, le niveau de diplôme influence directement le niveau de rémunération de l’individu mais aussi celui de son éventuel conjoint. L’inégalité des chances en France comme dans les autres pays développés est fortement conditionnée par les écarts de réussite éducative entre milieux sociaux. Les enfants ayant un père exerçant une profession libérale (médecin, avocat, etc.) sont par exemple surreprésentés en haut de l’échelle : ils sont un sur dix parmi les enfants de cadres, mais un sur quatre parmi les enfants de cadres faisant partie des 1 %.

Contrairement à la doxa misérabiliste, l’origine migratoire a moins d’influence sur la probabilité d’accès aux 20 % des plus aisés qu’aux 20 % les plus modestes. Ce qui compte est l’école, acquérir des savoirs et surtout des compétences à penser par soi-même, à savoir chercher l’information mais surtout à la trier et à la traiter pour en faire quelque-chose. « L’inégalité des chances éducatives contribue pour moitié aux écarts de niveau de vie moyen entre enfants d’ouvriers et enfants de cadres et pour moitié également à l’écart de chances entre eux de faire partie des 20 % des ménages les plus aisés », souligne l’étude.

La fiscalité est certes importante pour ceux qui ont quitté l’école et, avancés en âge et en sclérose intellectuelle, ont peu de chances de modifier leur trajectoire sociale (bien qu’existe la formation continue, que les syndicats soutiennent en vain).

Mais ce qui compte, pour « changer la société », c’est l’éducation. Elle passe par l’école mais pas seulement : par la famille, le milieu, les associations, les médiathèques, l’accès à l’étranger. Encore faut-il « vouloir » se former, ne pas rester inféodé à la bande, aux préjugés des parents, au regard des autres. Là, c’est moins simple – mais faire société n’est jamais simple. Connaître ses limites plutôt que trouver un bouc émissaire commode est un premier pas vers le changement.

Non, ce n’est pas la fiscalité qui est cruciale, même si l’on peut la simplifier et la réformer ; ce qui est crucial est l’éducation, l’égalité des chances éducatives. Il y a du travail plutôt que la paresse des yaka !

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Christian de Moliner, L’année du Front

Faisant suite à sa série de romans de politique fiction que sont Le pays des crétins, Trois semaines en avril, et La guerre de France, Christian de Moliner approfondit la vision qu’il peut avoir de notre pays dans les années et les décennies à venir. Nous sommes cette fois quelque part au présent. L’année du Front conte comment le parti nationaliste prend le pouvoir : dans le délitement des élites et les magouilles des gouvernants.

Le président Barrors est un démocrate à principes, mais il se meurt d’un cancer en phase terminale. Il reste cependant le seul recours contre la montée du Front français, avatar du Front national. Sa duchesse blonde et nulle a été remplacée par un habile, François Marèche. Le pouvoir lui est ouvert comme un boulevard car l’opinion est mûre. Les sectaires de l’islam ont en effet pris la main sur les majoritaires et enflammé « les jeunes » qui veulent en découdre avec la police et tous les incroyants. Idriss, député à la proportionnelle intégrale (dérisoire tentative de noyer les extrêmes dans les parlotes de parlement), est désormais impuissant à « négocier » quoi que ce soit. Ce sont les émirs autoproclamés des quatre coins qui font la loi, leur loi locale comme en Syrie. La République n’entre plus sur leur territoire et des barrages filtrent ceux qui sont autorisés et ceux qui sont exclus. Quant aux extrêmes de la droite, une partie des modérés ont ralliés l’extrémisme au Parlement tandis que celui qui se fait appeler « l’Archange » décide de descendre tous les Maghrébins qu’il rencontrera si la police ne reconquiert pas les territoires perdus de la République. Il en tue deux en stoppant un TGV à titre d’avertissement.

Le président de la République répugne à enclencher l’article 16 de la Constitution, qui permet les pleins-pouvoirs afin de rétablir l’ordre républicain. Son ministre de l’Intérieur Vallorgues, pourtant un copain, ne parvient pas à le convaincre de dissoudre simultanément le parti islamiste après un attentat meurtrier dans un lycée du nord, en représailles à celui du TGV, et le parti nationaliste qui a riposté par des manifestations ayant engendré des morts. Cela aurait pourtant été la solution politique la plus réaliste.

Mais les humains étant ce qu’ils sont – trop humains, voire humanistes – ils attendent, ils tergiversent, ils modulent, à la François Hollande. C’est donc la catastrophe annoncée qui survient. La tentative de placer le président devant le fait accompli du recours à la force le pousse à enclencher enfin l’article 16 – mais pour nommer aussitôt Marèche comme Premier ministre sans plus aucun garde-fou. L’engrenage a pris tous les gouvernants dans l’urgence et aucun n’a eu le cran d’imposer une décision en temps voulu.

Le roman, écrit comme un thriller avec un découpage horaire, se lit aisément et passionne. Les héros positifs que sont Saïd Elkraff, énarque beur, et Julie, journaliste canadienne, donnent de la hauteur aux événements qui ballottent les « minables » (terme socialiste) qui gouvernent. La guerre civile est proche car les tabous idéologiques ont empêché d’y voir clair et de prendre les décisions nécessaires à temps.

L’article 16 de la Constitution de 1958, voulu par le général de Gaulle, est précis mais taillé à sa mesure. Il faut « avoir les couilles » de l’enclencher (selon un terme littéraire à la mode). On ne voit pas un mou social et démocrate l’envisager. Et lorsqu’il s’y résigne, c’est bien trop tard ! Les consultations des présidents des Assemblées et du Conseil constitutionnel sont obligatoires, ce que l’auteur néglige un peu vite et qui aurait permis d’approfondir. L’état d’urgence et l’état de siège sont aussi trop rapidement confondus, alors que leur gradation permet justement de prendre les mesures appropriées tout en préparant l’opinion au séisme de l’article 16.

Mais ne boudons pas notre plaisir, les romans de politique fiction sont assez rares pour qu’on les goûte, surtout de la part d’un auteur autoédité qui mérite d’être connu. Exposer le fait que les islamistes seraient ravis d’avoir un gouvernement d’extrême-droite pour souder leur communauté est prouvé par le récit ; la montée des violences populistes dès que les institutions républicaines flanchent est tout aussi magistralement démontré par ce roman. Chacun est pris dans un tourbillon et perd sa hauteur de vue, pourtant nécessaire en temps de crise. Seuls les caractères survivent – ce pourquoi il faut toujours élire des présidents qui ont de la personnalité, pas un vague programme de promesses électorales !

Christian de Moliner, L’année du Front, 2017, éditions du Val, 138 pages, broché €4.50, e-book Kindle emprunt sur abonnement

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Attachée de presse Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 balustradecommunication@yahoo.com

Coquilles à corriger à l’attention de l’auteur :

  • p.9 le traveller’s-cheque n’existe quasiment plus, il est remplacé par les cartes bancaires internationales
  • p.11 filtrera
  • p.11 Chambre ne se dit plus, Assemblée est le terme officiel
  • p.39 sur écoutes
  • p.77 qui a été volé dans le TGV
  • p.99 un martyr (sans e)
  • p.115 on n’écrit pas émail même si cela fait brillant… mais soit e-mail à l’américaine, mél selon le mot forgé par l’Académie (« message électronique ») ou courriel, mot canadien bien adapté (« courrier électronique »).
  • p.116 qu’est-ce qu’une Q.C. ? pas plutôt un Q.G. – quartier général ?
  • p.124 members (sans majuscule et avec un m au lieu d’un n)
  • p.133 klaxon sans majuscule, ce n’est pas un nom propre
  • p.136 la veille… phrase incompréhensible
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On a marché dans Paris

Dimanche dernier, des marcheurs ont arpenté les rues de la capitale. Pourquoi ? Pour le climat. Combien ? 14 500, soit 0.66% de la population parisienne – et encore, il y avait des banlieusards. Moins que n’importe quelle manif sociale. La cause ? Le sujet trop abstrait, passant par-dessus la tête du citoyen moyen. Les écologistes français ont ce travers intello d’annoncer sans cesse la catastrophe imminente (depuis le rapport du Club de Rome en 1972) et de proposer des solutions toujours radicales (issues de leur tropisme gauchiste) : rien qui satisfasse le goût du changement modéré que réclament les citoyens. Ce pourquoi Eva Joly n’a réuni que 2.31% des électeurs sur son nom à la dernière présidentielle où les écologistes présentaient un candidat, à peine plus que René Dumont en 1974.

Si la France s’arrêtait de produire et de consommer demain matin, les tendances du climat ne changeraient en rien : elle ne produit que 1% du PIB mondial et son énergie est largement décarbonée grâce au nucléaire, produisant beaucoup moins de gaz à effet de serre (qui participe au réchauffement) que l’Allemagne. Celle-ci a en effet abandonné le nucléaire… pour des centrales au charbon ! Malgré l’essor des énergies renouvelables sur les bâtiments (éolienne de cheminée, panneaux solaires) ou les fermes (méthanisation), l’énergie est insuffisante. Le nucléaire, malgré ses défauts (la gestion des déchets pour le moment insoluble), reste l’énergie de transition la plus intéressante avant de changer de monde – mais cela, c’est de la raison, pas de la croyance.

Car rêver d’un An 01 d’une existence durable est bien dans l’esprit messianique et impotent de la pensée abstraite. L’écologie est devenue en France une nouvelle religion qui a pris la suite du marxisme et du christianisme. Il faut y « croire » à la suite des « prophéties » apocalyptiques et suivre « les grands prêtres » qui prêchent les Dix commandements :

Tu n’auras pas d’autres dieux que moi, la planète.

Tu ne feras aucune idole de consommation, aucune image de ce qui est là-haut dans les cieux, ou en bas sur la terre, ou dans les eaux par-dessous la terre. Tu ne te prosterneras pas devant ces objets à la mode, pour leur rendre un culte. Car moi, la Terre-mère, je suis un Dieu jaloux : chez ceux qui me haïssent, je punis la faute des pères sur les fils, jusqu’à la troisième et la quatrième génération ; mais ceux qui m’aiment et observent mes commandements, je leur garde ma fidélité jusqu’à la millième génération.

Tu n’invoqueras pas le nom de la nature pour la dominer, car la planète ne laissera pas impuni celui qui veut s’en rendre maître et possesseur.

Tu feras de la jachère et de l’abstinence un mémorial, un temps sacré : tu ne feras aucun gaspillage, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni tes bêtes, ni l’immigré qui réside dans ta ville.

Honore ton père le climat et ta mère la Terre, afin d’avoir longue vie que te donne la nature.

Tu ne commettras pas de meurtre d’animaux pour les manger, ni de plantes au-delà de ta nécessité.

Tu ne commettras pas d’adultère avec d’autres planètes.

Tu ne commettras pas de vol des richesses du sous-sol.

Tu ne porteras pas de faux témoignage contre le naturel.

Tu ne convoiteras pas ce que tu n’as pas et que tu désires par caprice hors de tes besoins vitaux.

Mais qui est prêt à subir une nouvelle religion alors qu’il a été très difficile déjà de se libérer des précédentes ?

Est-ce pour cela qu’il ne faut rien faire ? Non – mais soyons rationnels et réalistes : ce ne sont pas nos bonnes actions personnelles qui ralentiront le réchauffement climatique. Seules les grandes masses énergivores, les Etats-Unis, la Chine, l’Inde et, en Europe, les Etats industriels peuvent « faire » quelque chose, à condition qu’ils le fassent en commun. Ce n’est pas en « marchant » que l’on fait baisser la température, pas plus que les sorciers en dansant ne faisaient jadis venir la pluie. Il faut sortir des incantations et de la pensée magique !

La révolution durable passe par le bon sens augmenté du savoir, donc avant tout par l’éducation.

C’est le rôle de l’Etat, qui a prélevé en 2017 1038 milliards d’euros d’impôts et taxes, dont 37 % seulement au titre du social à redistribuer. C’est 43.3 milliards de plus qu’en 2016 et 368.5 milliards de plus qu’en 2002. Avec un prélèvement sur la production de 45.3% et une dépense publique de 56.1% du PIB (contre 44% en Allemagne), les Français vivent-ils mieux et plus durable que leurs voisins ? Les Français 2018 vivent-ils mieux qu’en 2002 sous Jospin ? On en doute… même si le « bas niveau en lecture et en calcul » en cours préparatoire et l’année suivante est largement dû aux enfants défavorisés, en général issus de l’immigration, qui n’ont pas le français courant ni la maitrise des chiffres dans leur famille. Militer pour l’environnement, c’est aussi militer pour améliorer l’environnement social, surtout l’éducation. Elle seule permet de comprendre les enjeux pour la planète et de ne pas consommer par ostentation, de ne pas suivre aveuglément la mode, de moins gaspiller l’eau, l’énergie, les aliments.

A ce stade, il y a du boulot… Car ceux qui « ont les moyens » ont peu de mérite. Voiture électrique, isolation de l’habitat, loisirs peu énergivores, jardin aménagé, alimentation bio : tout cela est bon mais coûte plus cher. Ceux qui ont reçu le capital éducatif, qui savent trouver et jauger l’information, qui sont aptes à penser par eux-mêmes, peuvent se sentir responsables de la planète et agir pour le durable. Mais les autres ? La grande majorité peu lettrée, insatisfaite, avide de consommer et envieuse de l’aisance des « riches » (4000 € par mois selon l’ineffable Hollande), se préoccupe peu de la nature et des ressources ; elles lui paraissent des injonctions d’intellos pour les rabaisser ou des ordres de dominants pour les maintenir dans leur statut social inférieur.

Souvent l’élite donne le ton et le reste les imite, avec une ou deux générations de retard. C’est pourquoi, s’il n’y a pas lieu de se glorifier de faire « bien », il est nécessaire de donner le bon exemple. La France, plus qu’ailleurs, reste une « terre de commandement » formatée par le droit paternaliste romain, la hiérarchie catholique d’église et la société de cour – que l’Administration a aisément remplacée. La « civilisation des mœurs » décrite par Norbert Elias devrait s’appliquer et les mœurs devenir plus durables, mais avec le temps. On constate des changements depuis deux ou trois décennies sur le sujet ; des initiatives fleurissent, plus à la base, dans les communes et les associations locales qu’au sommet de l’Etat. Mais tout changement est nécessairement lent : les nouvelles croyances ne s’imposent que peu à peu, même si certains rêvent de « la révolution » comme en 89 ou en 17, sur quelques années, ou des « moines guerriers » du christianisme à ses débuts qui renversaient les idoles et massacraient les philosophes en brûlant leurs livres « païens ».

Mais la raison doit l’emporter, comme la pratique démocratique. Convertir par le réel, pas par la terreur ni par l’incantation à l’Apocalypse ; appliquer par le débat et les initiatives citoyennes, pas par un pouvoir central autoritaire.

Il faut donc dénoncer ceux qui interprètent les données du GIEC comme les augures romains le faisaient des entrailles des vaches : les scientifiques bâtissent des modèles qui ne sont qu’une caricature simplifiée de la réalité très complexe de ce qui compose le climat. Tout modèle est perfectible, il n’est pas absolu. En témoignent les modèles démographiques : aucune année ne passe sans que l’on « révise » les projections de population sur la fin du siècle – et pourtant la démographie est plus simple à modéliser que le climat. La prévision actuelle est de 11,2 milliards d’humains sur la planète en 2100 : il faudra les nourrir, les chauffer, les loger, leur donner du travail. Qui dénonce le nombre comme prédateurs de la planète ? Qui critique le Pape, les imams et les rabbins pour leurs prêches en faveur du « croissez et multipliez » biblique ?

Les religions sont, comme les grèves, un tabou des écologistes. Ils préfèrent « marcher » pour les médias que porter la réflexion sur ce qui compte.

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Christian de Moliner, La guerre de France

Christian de Moliner n’est jamais meilleur que lorsqu’il quitte le présent pour conter une histoire. Dans ce thriller de politique fiction, il imagine la France de 2035, vingt ans après les premiers attentats islamiques de 2015 au Bataclan sous le pantin mollasson qui présidait alors socialement « la démocratie ». Vingt ans et trente mille morts plus tard, c’est la guerre en France. Deux clans s’affrontent : les islamistes qui font de leurs ghettos de banlieues des forteresses où la République ne rentre plus – et les nationalistes qui organisent les représailles et pratiquent le biblique œil pour œil.

C’est donc l’impasse et le gouvernement reste impuissant malgré ses moyens régaliens, empêtré de tabous et de morale.

C’est alors qu’une étudiante à Science Po habitant rue du Dragon, Djamila Loufi, est abordée dans la rue par un mystérieux agent qui se fait appeler Charles Maur… non, pas lui, Maurras, mais Mauréan. Ce qu’il lui propose est inouï : aller rencontrer les deux chefs des clans islamique et nationaliste à la conférence de Chisinau, organisée conjointement par les Russes et les Saoudiens dans la minuscule République de Moldavie, à peine 500 000 habitants, coincée entre l’Ukraine et la Roumanie.

Pourquoi elle ? Parce qu’il lui révèle qu’elle est la fille du dirigeant nationaliste, issue « d’un viol » selon sa mère, sa condisciple étudiante (devenue bizarrement aide-soignante) avant de se suicider quatre ans auparavant. Mais « le viol » – ce fantasme récurrent de l’auteur – est une histoire construite par la mère, pas forcément la réalité… C’est ce que va découvrir peu à peu Djamila/Anne, étant forcée d’accomplir malgré elle tout ce qu’on lui demande. Car sa copine Pauline a été enlevée et une voiture manque de l’écraser dans la rue ; mais elle est désignée major du concours de journalisme à Science Po et obtient passeport et visa en deux jours.

La guerre de France va-t-elle faire une pause grâce à la négociation, sinon s’arrêter ? Car aucun des deux clans ne peut gagner pour le moment ; les islamistes comptent à terme sur leur natalité galopante, les nationalistes sur le rejet croissant des valeurs incompatibles avec la république – et cela fait vingt ans que cela dure.

Tout citoyen peut contester le parti-pris historique de l’avenir en objectant par exemple que l’Etat – pourtant quasi-monarchique sous la Ve République avec l’article 16 de la Constitution – a bien plus de pouvoir que le lamentable exemple hollandais a laissé ; que « les Français » ne supporteraient pas vingt ans d’attentats croissants et un tel nombre de morts sans élire « démocratiquement » un gouvernement fort sur l’exemple autrichien, hongrois, italien, américain et même allemand, qui n’hésiterait pas à remettre en cause les « aides sociales » aux terroristes et à déchoir de nationalité puis expulser les pires ; que la minorité religieuse qui se met volontairement en infraction avec les lois républicaines ne pourra qu’être rejetée massivement par les électeurs si elle devient trop menaçante – avec l’aide probable des autres pays européens affectés des mêmes maux ; que les tabous de la morale ne résistent pas longtemps quand on tue vos enfants.

Mais l’intérêt du livre est de projeter une hypothèse vraisemblable sur le futur, comme Jean Raspail l’avait fait en son temps sur l’immigration venue de Méditerranée avec Le camp des saints. L’arrestation, après que ce livre fut écrit, d’une cellule anti-islamiste qui se proposait de répliquer par des attentats ciblés aux attentats ciblés – prémisse d’une guerre de France – vient conforter la fiction.

Ce livre qui sort le 30 août devrait alimenter le débat lors de la rentrée littéraire. Il offre un divertissement utile en forçant à penser l’impensable : comment éradiquer le terrorisme ? comment faire vivre en bonne entente des communautés sous une même loi laïque ? ou comment expulser in fine les incompatibles ? L’histoire est écrite sans fioritures, les caractères approfondis et l’action progresse de chapitre en chapitre sur un alléchant mode complotiste. Voici un bon livre, dans la lignée de l’étude sur l’islam en pratique mais surtout du premier roman d’anticipation politique qu’est Trois semaines en avril et qui forme une suite. Qu’on se le lise !

Christian de Moliner, La guerre de France, 2018, Pierre-Guillaume de Roux, 140 pages, €23.00

Les œuvres de Christian de Moliner chroniquées sur ce blog

Attachée de presse Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 balustradecommunication@yahoo.com

PS : dans la version définitive, corriger SVP le sigle SDCE p.127 qui ne veut rien dire : le SDECE a changé de nom sous Mitterrand pour devenir DGSE, s’il s’agit d’un autre service, le préciser.

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Philip Roth, La plainte de Portnoy (Portnoy et son complexe)

A 33 ans, le narrateur juif, avocat travaillant pour la municipalité à promouvoir l’égalité américaine, entre en psychanalyse. Il veut se connaître. Enfance couvée, adolescence sexuellement rebelle, débuts dans l’âge adulte désastreux avec les femmes, son long monologue interpelle, gémit, proteste et souffre. Il est pathétique et comique, Alexander Portnoy, au prénom de conquérant goy blond et au nom juif quasi pornographique (porn toy ? jouet sexuel). C’est qu’il est partagé entre ses origines qui l’enchaînent dans la juiverie la plus repliée et son aspiration à intégrer le rêve américain.

Injonctions contradictoires issues de son éducation. « Les Juifs, je les méprise pour leur étroitesse d’esprit, pour leur bonne conscience, pour le sentiment de supériorité incroyable et bizarre que ces hommes des cavernes que sont mes parents et les autres membres de ma famille ont acquis Dieu sait comment – mais dans le genre clinquant et minable, en fait de croyance dont un gorille même aurait honte, les goyim [chrétiens] sont tout simplement imbattables. A quelle espèce de pauvre connards demeurés appartiennent donc ces gens pour adorer quelqu’un qui, primo, n’a jamais existé et qui, secundo, à supposer qu’il ait jamais existé, était sans aucun doute, vu son allure sur cette image, la grande Pédale de Palestine. Avec des cheveux coupés comme un page, un teint de Bébé Cadum – et affublé d’une robe qui, je m’en rends compte aujourd’hui, venait sûrement de Frederick’s of Hollywood ! [chaîne de lingerie féminine des années 40] Ras le bol de Dieu et de toutes ces foutaises ! A bas la religion et cette humanité rampante ! » p.374 Pléiade. Tout le monde en prend pour son grade, juifs comme chrétiens. Tous des croyants, tous des enchaînés pas près de se libérer, et qui enchaînent leurs enfants à leurs névroses. C’est truculent et libertin – mais pas faux.

L’auteur décrit l’Amérique des années 40 et 50, la juxtaposition des milieux qui se mélangent peu (l’apartheid envers les Noirs ne sera levé que dans les années 60). Il provoque par son déballage verbal, il est impitoyable avec les milieux sociaux, qu’ils soient WASP ou juif, il offre une satire de la psychanalyse de base posée comme réponse à tous les maux. Les critiques, souvent instinctives, émotionnelles et superficielles, confondent l’auteur et son personnage, le roman avec une confession. Mais la littérature sert justement à sublimer l’intime dans une fiction plus vraie que nature. Philip Roth est entré en psychanalyse de 1962 à 1967 après son divorce désastreux ; il a assisté au grand déballage polémique sur la guerre du Vietnam, la libération sexuelle, le Watergate. Lorsqu’il publie son roman, en 1969, il se lâche. Foin de l’hypocrisie, la vérité. Tout est bon à dire, même si ce n’est pas sa biographie. « Qui d’autre, à votre connaissance, a été effectivement menacé par sa mère du couteau redouté ? Qui d’autre a eu la chance d’être si ouvertement menacé de castration par sa maman ? Et qui d’autre, en plus de cette mère, avait un testicule qui ne voulait pas descendre ? Une couille qu’il a fallu amadouer, dorloter, persuader, droguer ! Pour qu’elle se décide à descendre s’installer dans le scrotum comme un homme ! Qui d’autre connaissez-vous qui se soit cassé une jambe à courir après les shikses (non juives) ? Ou qui se soit déchargé dans l’œil lors de son dépucelage ? Ou qui ait trouvé un véritable singe vivant en pleine rue de New York, une fille avec une passion pour La Banane ? Docteur, peut-être que d’autres font des rêves, mais à moi, tout arrive. J’ai une vie sans contenu latent. Le fantasme devient réalité » p.445. Voilà une vie en résumé plein d’humour.

Le personnage est issu du quartier populaire juif de Newark et grandit dans un appartement modeste entre une mère castratrice, un père constipé et une sœur effacée. Il est l’enfant-roi, le petit garçon à sa maman vers lequel tous les espoirs de réussite de la famille se portent. Ce cocon étouffant, ces parents tyranniques à force d’amour fusionnel, le font heureux durant l’enfance – qui a besoin de protection. Mais l’adolescent se révolte devant ce comportement de tortue en diaspora qui a une sainte terreur de toute souillure, de la nourriture comme du contact. L’obsession de la pureté engendre la névrose. Ce n’est pas qu’une névrose juive, mais elle est fort présente dans cette famille où la Mère régente sa maisonnée, rend impuissant le père, efface sa fille et menace d’un couteau son garçon lorsqu’il ne veut pas manger la nourriture issue de son propre sein. La rébellion pubère est de prendre le contrepied de tout cela : jaillir au lieu de retenir, manger dehors des mets interdits comme des hamburgers non kasher et des frites goy, partir en vacances avec une fille protestante à 17 ans, pour ses premières vacances universitaires…

C’est cocasse et émouvant, cet oisillon qui se débat pour sortir de sa coquille et émerger enfin à la lumière. Le sexe est au fond la seule chose qui lui appartienne, lorsqu’il est en âge de s’en apercevoir. Il patine sur le lac en poursuivant des filles goy à 13 ans, ému par leur blondeur et inhibé de les aborder – jusqu’à se casser une jambe – juste châtiment ! Il se masturbe plusieurs fois par jour, d’une inventivité fiévreuse pour son plaisir, tronchant une tranche de foie de veau derrière un panneau dans la rue, puis chez lui dans le frigo (avant de la manger benoitement en famille au dîner), violant une pomme évidée ou une bouteille de lait au goulot graissé, éjaculant dans son gant de baseball au cinéma ou dans une chaussette dans son lit… Les titres des chapitres sont édifiants, volontairement immergés dans le foutre : La branlette, Fou de la chatte.

Mais les lecteurs qui s’arrêteraient au sexe ne comprendraient pas le roman.

Si les rabbins se déchaînent à la sortie du livre, c’est que l’auteur juif traite du monde juif et de son intolérance, de sa mentalité de ghetto. Même en Israël, où le personnage voyage et découvre avec émerveillement que « tout le monde est juif », les mœurs sont intolérantes : la kibboutzim sportive et volontaire qu’il rencontre le rend impuissant parce qu’elle exsude le moralisme militant – comme sa mère à Newark une génération avant.

Si les psychanalystes se déchaînent, c’est que l’auteur montre combien les psys sont des acteurs avides d’argent plutôt que de cure : son Spielvogel (au nom qui signifie jouer avec son oiseau) a un accent germanique yiddish et garde le silence (car le silence est d’or). Pirouette ultime, la dernière phrase du livre incite le personnage à tout reprendre car, après la diarrhée verbale (celle que son père n’a pas su provoquer), le travail peut commencer.

Si les confrères écrivains se déchaînent, c’est que l’auteur montre l’autre face de l’Amérique, son hypocrisie coincée entre grands principes et mots généreux – mais la réalité tout autre. Le style oral choisi par Philip Roth est en écho au stade oral de Freud (le personnage n’aime rien tant que de se faire sucer) et à l’obsession maternelle de lui faire ingérer sa nourriture. « Pourquoi donc, je vous le demande, toutes ces règles et ces interdits alimentaires, sinon pour nous exercer, nous autres, petits enfants juifs, à subir la répression ? » p.303. L’oralité est censée lever les tabous, curer par la parole, déballer les complexes. La « libération » des déterminismes biologiques, familiaux, ethniques, culturels, va-t-elle intervenir ?

Le sexe pousse à s’ouvrir à l’autre, à entretenir des relations. C’est pourquoi la masturbation adolescente est une impasse, engendrée par la névrose de la mère juive castratrice hantée de souillure. Baiser à couilles rabattues – et si possible des shikses (femelles non juives) – est une conquête de l’Amérique. Ce pourquoi le personnage va en enfiler une brochette représentative : Kay au grand cœur et gros cul dite la Citrouille, Sarah l’aristo de Nouvelle-Angleterre dite la Pèlerine, et Mary Anne la vulgasse illettrée issue de culs terreux de l’Amérique agricole. Que des blondes, que des White Anglo-Saxon Protestant (WASP). L’alternative aurait été d’épouser une juive de sa rue et de reproduire indéfiniment le schéma familial : épouse fidèle gardienne des traditions juives, flopée de gosses juifs, partie de softball le dimanche matin avec les hommes juifs du quartier juif.

Dans ce roman passionnant, écrit comme un monologue par associations et qui se lit fluide, l’auteur nous fait aimer ce monde juif new-yorkais et son personnage désemparé de devoir se débattre dans toutes ces contradictions. Rabelaisien en prouesses sexuelles, il est aussi psychologue, dressant un portrait soigné d’un névrosé qui cherche à en sortir, et sociologue, sur une certaine Amérique moyenne où chacun cherche à se différencier par affirmation de son milieu. Contre l’esprit de sérieux, mais avec profondeur, ce roman est profondément réjouissant.

Philip Roth, Portnoy et son complexe, 1969, Folio 1973, 384 pages, €6.66

Traduit sous le titre La plainte de Portnoy dans l’édition Pléiade : Philip Roth, Romans et nouvelles 1959-1977, Gallimard Pléiade édition Philippe Jaworski 2017, 1204 pages, €64.00

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Liberté ou égalité en France ?

Les Français ont une devise : Liberté, Égalité, Fraternité. Tout paraît bien équilibré, la liberté en premier qui seule permet le reste, l’égalité en second qui permet à chacun de se révéler, la fraternité pour le tout afin de ne laisser personne sur le bord du chemin.

Sauf que, selon les périodes, la liberté est vue comme opportunité ou comme aliénation, comme l’expression de sa propre responsabilité ou comme une soumission aux forces qui dépassent : le capitalisme, le monde, le destin, la religion. Si ceux qui ont fui Pétain et les nazis à Londres en 1940 avaient agi comme les gréviculteurs d’aujourd’hui, crispés sur leurs acquis, la France ne serait plus la France mais une province éloignée de l’Hinterland allemand. Résister, c’était faire preuve de sa responsabilité en faisant le pari de la liberté. Oh, ils étaient bien peu nombreux, ceux qui ont osé ! La majorité attendait de voir, tergiversait avant de se décider, accrochée par mille liens trop respectables aux habitudes, aux droits acquis, au regard de leur milieu, à la révérence envers l’autorité, à la force imposée…

2016 n’est pas 1940 et nulle armée n’occupe encore la France pour enjoindre de se soumettre ou de mourir. Mais le dilemme entre liberté et abandon est toujours là. L’égalité est ce qui permet de se justifier lorsqu’on ne veut rien changer : tout le monde pareil, évidemment figé dans les positions acquises… Tiens, cela ne rappelle-t-il rien à ceux qui se piquent d’un peu d’histoire ? Mais si, souvenez-vous : ce fameux Ancien régime que l’on se vante tellement, deux siècles après, d’avoir renversé par « LA » Révolution !

Le statut était d’Ancien régime : on naissait noble et nanti ou réduit au tiers et asservi ; seuls « les ordres » religieux (encore un statut !) permettaient de botter en touche lorsqu’on avait quelque talent. La révolution a voulu mettre la chose du peuple (la république) avant les privilèges de quelques-uns et le pouvoir du peuple (la démocratie) au-dessus du pouvoir de quelques privilégiés. Mais, pour fonctionner efficacement, la démocratie exige que chacun y mette du sien : chacun doit trouver sa place, elle n’est plus acquise ; initiative et compétences font avancer la machine, hier figée dans l’idéologie d’un Ordre divin.

Or, aujourd’hui, chacun se réfugie en ses statuts et privilèges, cherchant à reconstituer cet Ordre immobile d’Ancien régime face au mouvement du capitalisme, à la déferlante du monde, aux changements de la modernité. Ce pourquoi la « démocratie » est moins démocratique, les privilégiés s’arrogeant le droit de gouverner dans l’abandon général. Les gens s’effraient de voir que tout va plus vite, que rien n’est plus acquis, que toutes les situations peuvent être remises en cause. C’est humain.

sempe dessin bonheur

Mais ce qui est humain aussi est de savoir réagir, « prendre ses responsabilités » comme dit la langue de bois politicienne. Il s’agit en fait de voir le monde tel qu’il est et de s’adapter aux réalités. Pas forcément en démissionnant des règles et procédures élaborées pas à pas depuis longtemps, mais en les adaptant, en en créant de nouvelles.

C’est ce que refusent de comprendre une partie des syndicats, des partis politiques, des fonctionnaires, des employés, des citoyens. Oui, l’économie est désormais globalisée et il est nécessaire d’adapter notre façon de produire et ce que nous produisons pour simplement survivre : existe-t-il encore des allumeurs de réverbères ? des rempailleurs de chaise ? des chaisières dans les parcs ? Pourquoi voulez-vous que certains métiers restent les mêmes alors que tout change autour d’eux ? Pourquoi les taxis garderaient-ils leur monopole ? Pourquoi telle usine, de moins en moins rentable, ou telle raffinerie, inadaptée à la mutation anti-diesel, ne devraient-elles pas fermer ? Pourquoi tel service administratif, qui produit des règles et du papier, ne devrait-il pas être aminci, précisé et réorganisé ? Pourquoi tant de collectivités locales emboitées en poupées russes, avec à pour chacune sa bureaucratie ? Ne sommes-nous pas à l’ère du numérique où nombre de procédures peuvent s’effectuer en ligne ?

Aujourd’hui, la démocratie, la technique et le capitalisme (qui sont liés), demandent de l’autonomie, pas de l’obéissance ; de l’initiative, pas de la discipline militaire. Schumpeter a remplacé Ford. Il est nécessaire de s’affranchir des habitudes pour adapter son travail à une consommation et à des services publics de moins en moins standards (pareil pour tout le monde, montraient les magasins soviétiques avec un seul paquet de lessive sans possibilité de choix – tout le monde pareil, clamait l’Administration à la française qui ne voulait voir qu’une tête). Chacun exige aujourd’hui qu’on le considère dans sa personne particulière et pas comme un « ayant-droit » lambda ou un consommateur « de masse ». Même les téléphones portables sont customisés.

Employés du privé habitués à suivre et fonctionnaires habitués à obéir aux règles sans jamais se poser de question se trouvent perdus, renvoyés à leurs compétences et à leur autonomie – qui, justement, ne s’apprennent pas dans les écoles : le savoir-vivre, le savoir-être. L’obéissance était un confort, un art d’être conforme, une protection contre la responsabilité (c’est pas moi, c’est la règle). Aujourd’hui que la génération rebelle a enjoint chacun d’être différent – parce que l’autonomie de l’individu a progressé – il faut se distinguer ou stagner. Le statut acquis par un concours ou un premier emploi vers 20 ans n’est plus acquis : il faut prouver ses compétences année après année.

D’où la « souffrance au travail », les périodes de chômage et de reconversion, la dépression dans le couple, la « perte du lien social » que pointent tant de sociologues. Et les échappatoires vers le déni, l’alcool et les drogues, ou vers la violence, conjugale, parentale ou sociale. Ce sont tous des symptômes de cette liberté qui ne passe pas.

Il est bien loin, ce mois de mai 1968 où les forces de la jeunesse, les énergies du printemps et l’élan de la vie faisaient craquer les gaines, tomber les tabous, briser les carcans, et libérer le désir comme les initiatives ! Mai 68 a permis la libération des déterminismes : être soi-même devenait possible. Sauf que… a-t-on toujours le cœur de se regarder tel qu’on est ? Un coming out est-il personnellement libérateur ou bien socialement dangereux ? Le regard des autres est parfois fatal à l’estime de soi.

N’est-on pas mieux, au contraire, dans le nid fusionnel où tous égalent tous, grognant ensemble (pas une voix plus haute que l’autre), dormant ensemble dans le même panier formaté, tétant ensemble, en ayant-droits bien sages le même lait standard des mamelles en apparence inépuisables de l’État-providence ? (Mais qui paye ?) De Ford à Schumpeter, de la chaîne à l’innovation, le capitalisme (cette technique d’efficacité économique) s’est adapté – pas la société française. Car le Français n’aime rien tant que de se savoir à sa place, en hiérarchie et statut, là où la fonction crée l’organe (même inutile), où l’on n’est rien si l’on « n’appartient » pas : à une grande école, à un corps d’État, à telle entreprise, tel parti ou telle association d’anciens ci ou ça. Presque tous les Français rêvent d’être « président » – le plus souvent d’une insignifiante association sportive de quartier – mais ils « appartiennent », là est leur honneur, leur seule personnalité. Ils ne sont rien sans le titre, la carte ou l’uniforme. Ils ont trop peur d’être simplement eux-mêmes, tout nu face à tous les autres et au monde entier qui regarde comment ils sont foutus et comment ils s’en sortent… Hier il fallait obéir, aujourd’hui créer – cela change tout !

D’où la peur sociale : du changement, de la mondialisation, des jeunes (« qui ne sont pas comme nous » – air connu), du progrès, des autres. D’où l’angoisse intime : de ne plus être soi, de ne pas être capable, de se montrer à la hauteur, d’être submergé par des forces qui dépassent, voire par les mœurs étrangères. Les Français ne veulent pas être libres, ils veulent être égaux. Ils préfèrent appartenir que s’appartenir ; ils se disent non pas citoyens, ni producteurs, mais fonctionnaire, cheminot, profession libérale, corps des Mines, franc-maçon, socialiste… Ils ne veulent pas penser par eux-mêmes, ni décider en conscience de par leur libre-arbitre – ils préfèrent obéir aux consignes, suivre les mouvements, voter selon la ligne. Et tant pis si leur petite décision individuelle fait crever le collectif : ils se seront trompés avec tout le monde – irresponsables. Cela fait 40 ans que les politiciens, les syndicalistes, les idéologues des partis, les corps de métier, nous prouvent tous les jours que cela se passe ainsi. Mérah évitable ? – C’est pas moi, c’est la règle. Brétigny une erreur ? – C’est pas moi, c’est faute de moyens. Le chômage plus qu’ailleurs ? – C’est pas moi, ce sont les patrons, Bruxelles, l’euro, le droit du travail, les charges sociales et j’en passe – ce ne sont jamais les politiques néfastes des gouvernants, ni les règles tatillonnes et prolifiques des faiseurs de lois.

La grande peur de la liberté fait se précipiter les gouvernants dans le convenu, les fonctionnaires dans les procédures, les employés dans l’attente des ordres et les syndicats dans les manifs rituelles (aussi braillardes, voire violentes, qu’inefficaces). Quant aux pauvres en esprit, pauvres gens, inadaptés du système, paumés du changement, flemmards et profiteurs (mais oui, il y en a), ils sont laissés pour compte. Personne ne s’occupe d’eux. Ils se précipitent donc vers ce qui brille, ce qui promet, ce qui gueule plus fort : les religions, les partis extrémistes. Eux promettent protection, barrières, surveillance, souveraineté.

gamin s envoie en l air avec une gamine

Mais les autres ? Les jeunes, les ouverts, les responsables, les coopératifs (qu’ils soient californiens technologiques ou écolos de proximité) ? Ceux qui préfèrent la liberté dans les règles à l’égalité d’obéissance ? Ils existent aussi, ils sont de plus en plus nombreux comme en témoignent tous les mouvements « alternatifs » – parfois naïfs et velléitaires, mais qui prouvent une quête de neuf : Occupy Wall Street, Los indignados, Nuit debout, En avant, Rassemblement pour l’initiative citoyenne – et tout le reste.

Gageons que les perdants seront les vieux, les rigides, les privilégiés du statut. Et les gagnants seront tous les autres, à commencer par ceux qui représentent l’avenir. Cette note est loin d’être pessimiste, au contraire !  Elle fait le pari de la jeunesse, du futur, de la vie qui va et qui s’adapte. Sans cesse. Contre les vieux cons…

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François Heisbourg, Secrètes histoires

francois heisbourg secretes histoires

Fils de diplomate luxembourgeois et énarque français, François Heisbourg a été conseiller du Prince avant d’être théoricien de la géopolitique. Secrètes histoire est son 14ème livre depuis 2001 mais il a atteint désormais 66 ans, ce qui le laisse un peu plus libre de propos. Membre du Centre d’analyse et de prévision du ministère des Affaires étrangères (1978-79), premier secrétaire à la représentation permanente de la France à l’ONU (1979-1981), conseiller pour les affaires internationales au cabinet du ministre de la Défense (1981-1984), directeur-attaché à Thomson-CSF (1984-1987), directeur de l’IISS (1987-1992), directeur désigné de l’Institut universitaire de hautes études internationales de Genève, directeur du développement stratégique de Matra Défense Espace (1992-1997), responsable d’une mission interministérielle sur la recherche et l’enseignement sur les questions internationales et de défense (1998-2000) et directeur de la Fondation pour la recherche stratégique (2001-2005) – il sait de quoi il parle, tout en n’ayant pas toujours eu la hauteur de vue exigée par l’implication directe dans les événements. Ce livre de souvenirs géopolitiques tente de réparer cet aspect « nez sur le guidon » comme la propension à aduler l’Administration.

Le livre est écrit avec bonheur, presque avec jubilation, sept chapitres probablement repris d’articles divers raboutés et refondus. Le ton est vivant, avec des anecdotes personnelles et quelques révélations peu connues du grand public : combien le système automatique de riposte nucléaire soviétique RYAN a failli vitrifier une grande part de l’Amérique (p.74), combien le monde est passé juste à côté d’un drame nucléaire à Cuba en 1962 alors qu’un sous-marin soviétique armés de missiles atomiques était grenadé par la marine américaine et que seul son commandant a refusé d’actionner sa clé sur les trois requises (p.147), combien la France, l’Allemagne et l’Italie ont failli faire la bombe ensemble en 1957 – avant que de Gaulle n’y mette le holà (p.158).

Pour l’auteur, acteur et théoricien, l’histoire n’est écrite nulle part et les événements sont parfois contingents, tenant à peu de choses.

Fondateur du concept d’hyperterrorisme, il note que l’hyperpuissance militaire américaine est inopérante face aux suicidés de Dieu, mais que la résolution de ce qui n’est PAS une guerre dépend de l’efficacité de la police et des services de renseignements. L’Europe, en ce sens, est bien indigente, en retard par inertie, chaque État, chaque service même gardant jalousement ses informations ou ne tenant pas compte de celles des autres par éparpillement bureaucratique.

Le système international n’est plus celui de la guerre froide mais multipolaire – sauf que la Russie de Poutine ne l’a pas compris et poursuit sa course à la puissance contre l’Occident : les sanctions étaient-elles le meilleur moyen d’apaiser les tensions ? L’erreur de Bush d’occuper l’Irak en 2003, suivie de l’erreur d’Obama de ne pas faire respecter la ligne rouge des armes chimiques en 2013, a déstabilisé un Moyen-Orient compliqué et éclaté entre tribus, sectes et religions. L’Arabie Saoudite s’est crispée en 1979 lorsque des salafistes ont attenté à La Mecque, obligeant le Royaume à faire intervenir les Français du GIGN pour les neutraliser. Désormais, l’Arabie Saoudite se veut plus salafiste que les salafistes (p.312), le wahhabisme n’étant après tout qu’une interprétation littérale du Coran. D’où les financements publics d’Al Qaida, les financements privés de Daech, les complaisances aux imams rigoristes, l’exportation de la foi en Europe…

Les tabous idéologiques (l’islam « respectable » – d’où personne n’a vu surgir Daech p.88), économiques (réduire le déficit public est indispensable à la croissance… sans cesse future, ce « qui pousse les citoyens à se tourner (…) vers la situation intérieure, le cas échéant au profit des choix xénophobes du Front national et des options protectionnistes des extrêmes de gauche et de droite » p.326), social (« ce n’est pas au nom de la lutte contre le terrorisme qu’il convient de réformer l’Éducation nationale, mais bien au nom de l’intégration sociale » p.140), politiques (tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil), diplomatique (« plusieurs de ces pays ont réellement utilisé armes chimiques et vecteurs balistiques, ce qui donne à penser que le tabou pesant sur le recours éventuel à l’arme nucléaire n’est plus aussi absolu que pendant la guerre froide » p.177) dessinent un monde irénique.

Poutine devrait-il savoir que l’Occident ne déclenchera pas la guerre – alors que sa paranoïa monte en raison de « l’étroitesse des cercles de prise de décision et les restrictions croissantes sur le débat public d’experts qualifiés » p.24 ? Et « la Chine actuelle rappelle, à bien des égards, la montée de l’Allemagne avant 1914 » p.217. Les pays issus de la décolonisation, plus la Russie et la Chine, ne suivent pas l’idéologie hédoniste égalitariste occidentale : « à des degrés divers, l’on y récuse le droit à l’avortement, l’homosexualité, la séparation des religions et de l’État. Cela est déplorable, mais le fait est que, sur ces questions comme sur d’autres, différents systèmes de valeurs existent, y compris entre démocraties et parfois au sein même des démocraties » p.235.

Francois Heisbourg

Le panorama est vaste, le propos mesuré, souvent les chapitres se lisent sans qu’on en conclût grand-chose – vieille habitude des ministères… Mais s’en dégage quand même une vaste fresque d’aujourd’hui, une synthèse étonnante. « Le lecteur aurait quelques raisons de trouver peu agréable le tableau du monde qui lui a été servi ici : la menace de l’hyperterrorisme, la société de surveillance, le risque croissant d’emploi des armes nucléaires, un Moyen-Orient en implosion, l’Europe en crise face à la violence au Sud et à l’Est, les risques de conflits en Asie, un monde multipolaire désordonné face aux défis planétaires comme le réchauffement climatique, l’ensemble étant aggravé par la proposition que, si ça va moins bien qu’hier, ça ira encore plus mal demain… » p.343. Mais « nous ne vivons pas la fin des temps, (…) ni une situation inédite ni une situation particulièrement dramatique » p.343. Nous avons déjà vu l’équivalent et nous avons les moyens de faire face.

La leçon d’expérience de l’auteur est qu’« un bon analyste aura réussi dans sa tâche en donnant du sens au présent, de manière à fournir des clés permettant d’avoir prise sur la formation de l’avenir » p.84. Car l’avenir est fabriqué par le présent, il n’est pas « découvert » comme s’il était écrit. Ayant été moi-même analyste, ailleurs qu’en administration, je confirme.

  • Première règle : « ne pas confier aux seuls services de renseignements la conduite de l’analyse des mystères » p.85.
  • Deuxième règle : « se méfier comme de la peste des phénomènes de troupeau ».
  • Troisième règle : « l’intérêt de toujours aborder les problèmes de manière pluridisciplinaire » p.86.
  • Quatrième règle : « laisser travailler en paix ceux qui se livrent à » l’analyse p.87.

Un bon livre de géopolitique pas aussi organisé que celui de la regrettée Thérèse Delpech, et qui laisse plus de questions ouvertes qu’il n’apporte de réponses claires, mais qui aide à comprendre le monde où nous vivons.

François Heisbourg, Secrètes histoires – La naissance du monde moderne, 2015, les essais Stock, 372 pages, €21.50

e-book format Kindle, €14.99

Biographie ISS (international Institute for Strategic Studies)

Attentats de Paris-Bruxelles : Parler d’armée et de guerre concernant Daech, c’est se tromper de combat, Huntington Post 22/03/2016

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France, fille aînée de l’église intellectuelle

L’exception française, en matière de réflexion et de pensée, n’est pas un vain mot.

  • Chacun sait que la France est un pays centralisé à Paris, et que le « milieu intellectuel » à Paris est centralisé encore plus dans les quartiers centraux, en gros entre Notre-Dame et Saint-Germain des Prés – deux églises comme vous pouvez noter.
  • Chacun sait que « le Français moyen » des sondages révère l’État et que le rêve de tous ses fils et filles est à 73% de « travailler dans la fonction publique ». Un peu moins globalement qu’en 2004 à cause de l’hôpital (désorganisé et stressé par les 35h), mais nettement plus qu’en 2004 dans la fonction publique d’État !
  • Chacun constate aussi que la moindre parcelle de petit pouvoir fonctionnaire fait gonfler l’ego de qui le détient – comme s’il était investi d’en haut d’une Mission de service public et de gardien de l’ordre (observez la guichetière, le flic, lisez la réponse du fisc ou de la Sécurité sociale ou de Pôle emploi…).
  • Chacun peut observer, comme le sociologue Philippe d’Iribarne, que celui qui exerce un métier en France sait mieux que tout le monde ce qu’il faut faire et comment il faut le faire, n’acceptant qu’avec répugnance des ordres venus de sa hiérarchie ou des autres métiers pourtant dans la même entreprise. Le « sens de l’honneur » dans le privé est équivalent à la « mission de service public » du fonctionnariat.

« Les intellectuels », en France, ne regroupent pas tous ceux qui pensent, qui réfléchissent à leur pratique, qui philosophent ou qui cherchent – loin de là ! Les intellectuels de droit se réduisent surtout à ceux que les médias nomment de ce nom, c’est-à-dire ceux que le quatuor de presse qui veut faire l’Histoire à Saint-Germain des Prés – donc à Paris, donc en France, donc dans le monde entier – érige en phares de la pensée. Ce quatuor est composé de Joffrin à Libération, de Kahn à la radio après Marianne, de Plenel à Médiapart, de Birnbaum au Monde. Ils sont leaders culturels, faisant la pluie et le beau temps pour désigner les livres que l’on « doit » lire et les pensées qui « méritent » d’être suivies.

Hier volontiers antiparlementaires et pourquoi pas fascistes (Maurras, Drieu La Rochelle, Brasillach, Céline, Jouvenel, Maulnier, Fabre-Luce…), les « intellectuels » ainsi proclamés sont aujourd’hui évidemment « de gauche », évidemment dans le vent, évidemment imbibés de Morâââle. Comme s’il n’y avait pas aussi des intellectuels à droite ou au centre – ou ailleurs.

Si l’on réfléchit un tant soit peu sur ce qu’il est convenu d’appeler ces « intellectuels », force est d’observer qu’ils agissent en bande comme des clercs d’une église. Ils pensent en meute, se veulent toujours « d’accord » avec les gens du même bord « moral » qui est le leur, répètent comme perroquets la doxa du moment, imitent leur leader légitime dont l’infaillibilité donne le ton. Pourquoi ? Pour exister publiquement, pour être reconnus par leurs semblables, pour se poser à la pointe du Progrès, des Droits de l’homme et de l’égalité, voire de l’Histoire en marche.

Rien n’a vraiment changé depuis la naissance de l’intellectuel au moyen-âge…

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À l’époque, quiconque n’était pas « bien né » ne possédait aucun pouvoir de fait. La seule façon « noble » d’arriver en société était l’Église. En faisant peur aux chrétiens, par la confession et les prêches enflammés, par la puissance temporelle de son organisation (qui fascinait tant Staline), l’Église « sainte, catholique, apostolique et romaine » se voulait seule légitime dépositaire du message même de Jésus-Christ – c’est-à-dire de Dieu. Sa voix était la voix d’En-haut, sa morale le Commandement-du-Père, son savoir issu des Saintes-Écritures – que nul ne saurait contester sous peine de blasphème, excommunication et damnation éternelle.

D’où la chasse aux hérétiques, l’instauration de l’Inquisition, la mise à l’Index et les bulles du Pape, déclaré « infaillible » en 1870, dès que la puissance de l’Église a commencé à décliner… Ce fut la même chose sous Staline, et les « compagnons de route » même pas membres du Parti communiste criaient haro comme les kamarad sur les boucs émissaires qui osaient critiquer un tout petit peu les « excès » du régime (Gide, Souvarine, Nizan, Camus, Kravchenko, Aron, Soljenitsyne, Simon Leys…).

Aujourd’hui, malgré les incantations à « la démocratie », aux « droits des minorités » – et à la « libre expression » après l’attentat contre Charlie – la posture intellectuelle garde la même trajectoire. Comme les clercs d’église, les intellos se posent comme :

  • Répugnant à l’argent (leur anticapitalisme ne va cependant pas jusqu’à refuser les piges ni les droits d’auteur scandaleusement au-dessus du SMIC lorsqu’ils sont conférenciers, chanteurs ou « artistes »)
  • Pour l’unité de tout le genre humain (ledit genre devant obligatoirement se calquer sur leur propre caste, eux-mêmes se voulant avant-garde du sens et du Progrès)
  • Aimant l’autorité (quand ils en font partie… donc pas De Gaulle tout proche mais Staline ou Mao au loin, oui à l’Écologie… mais pas dans leur jardin)
  • Adorant faire la Morale à tout le monde, investis du rôle de Commandeurs des croyants en leur église germanopratine
  • Poétisant sur « le peuple » et « la nature » en romantiques… urbains

Tout cela vient du dogme catholique et de la pratique séculaire de l’Église catholique. Même les athées, même les « marxistes », tous ces « progressistes » reprennent intégralement le programme catholique qui a si bien réussi dans l’histoire. Les intellos français sont les seuls à le faire en Occident, notons-le. Les Russes tentent de les imiter avec l’orthodoxie, mais cette église-là n’a aucune légitimité « universelle » comme la catholique.

Rousseau, Victor Hugo, Maurras, Sartre, Bourdieu, BHL, Badiou proclament leur répugnance à l’argent, leur aspiration à l’unité, leur préférence pour l’autorité, les commandements de la (seule) Morale, tout en se pâmant d’attendrissement sur les gamins sales et demi-nus du « peuple » des banlieues (ah, le mythe de Gavroche, le mythe de Cosette !), tout en rêvant de « la nature » simple, évidente et « faite pour l’homme » (à condition  de l’organiser en parcs protégés sous la « domination » de fonctionnaires acquis à la cause).

Si d’aventure vous avez le malheur de critiquer leur point de vue, de railler leur naïveté, de rappeler leurs constantes erreurs historiques – vous voilà catalogué : « de droite », « fasciste », « faisant le jeu du Front national » – en bref l’incarnation du Diable comme dans l’Église ! Michel Houellebecq, Alain Finkielkraut, Michel Onfray, en font l’expérience, vrais intellectuels (contrairement à Eric Zemmour qui n’est que journaliste). Ils sont les nouveaux boucs émissaires de la violence mimétique chère à René Girard, les intellos dans le vent rejetant ainsi la part sombre d’eux-mêmes sur des sujets extérieurs voués à l’exécration – afin de « fusionner » bien au chaud dans le nid, avec leurs semblables.

Narcissisme du miroir, égoïsme forcené de la reconnaissance mutuelle, posture théâtrale en public : voilà donc ces « pseudo-intellectuels » – comme dit la ministre, qui n’en fait pas partie. Ils sont donnés en exemple par le quatuor médiatique, en opposition aux autres intellectuels, critiques mais non adulés par les médias. Ne sont-ils pas en carton-pâte  ? Car leur pensée se racornit à mesure qu’ils se posent, tant la soif d’être reconnus et à la mode appauvrit toute réflexion. D’où les tabous du « débat » intellectuel français, les cris d’orfraie à la mention de certains mots, la « reductio at hitlerum » des commentaires sur les blogs. Les invectives moralisatrices remplacent l’argumentation, la violence toute raison. Il s’agit moins de débattre que de se poser, moins de considérer l’autre et ses interrogations que de se considérer soi, comme si beau en ce miroir et surtout devant les autres.

Mais comme le dit Michel Onfray, avec son art si populaire de mettre les pieds dans le plat, « interdire une question, c’est empêcher sa réponse ».

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Robert-Louis Stevenson, L’étrange cas du Docteur Jekyll et de Monsieur Hyde

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Henry Jekyll et Edward Hyde sont aussi connus que Laurel et Hardy ou Smith et Wesson. Ils sont l’incarnation scientifique dix-neuvième du mythe biblique du Bien et du Mal, du fuit défendu de l’arbre de la Connaissance. Frankenstein, Dorian Gray, le Golem, naissent vers la même époque, tandis que Jack l’Éventreur allait surgir deux ans plus tard.

Pour fonctionner, le mythe exige que les lecteurs soient imbibés des religions du Livre, qu’ils croient en la dualité ange ou bête, et qu’ils croient également aux idées darwiniennes du progrès et de l’Évolution – où l’homme descend du singe en s’élevant sur l’échelle des êtres, selon le Dessein intelligent. Cela fait beaucoup de connivences mais, 130 ans après sa parution, cela fonctionne encore.

Jekyll est un bon docteur, bourgeois et londonien. Hyde est son double hideux (hide signifie caché en anglais) qui assouvit ses passions sans remords. Le premier est grand et le front élevé, le second petit et simiesque – comme on envisageait le Cro-Magnon tout juste découvert (en 1868).

De quelles « passions » s’agit-il ? Nul ne sait, l’auteur garde un voile très pudique sur ces sujets. Gageons qu’elles sont sexuelles, peut-être même sadiques, car l’époque de la reine Victoria était à la fois très contrainte (au point de mettre une jupette aux « jambes » des guéridons !) et très relâchée (hors du « monde » des gentlemen). S’il ne s’agissait que d’appétits, le docteur Jekyll aurait pu les rassasier sans déchoir, comme tout le monde. Ce devait être pire, mais le flou est entretenu exprès par l’auteur, qui préfère laisser galoper l’imagination…

Stevenson, lorsqu’il écrit ce livre, est malade du croup (infection virale de la trachée et du larynx) ; la suite de crises, de rémissions et de récidives lui font décrire in vivo les métamorphoses sur la santé et sur l’humeur. C’est au réveil, après un cauchemar, qu’il jette sur le papier une première version de cette « histoire de fantôme ». Elle le rendit d’un coup célèbre – pensez : une transgression de la Morale sociale et religieuse, un jeu avec le Mal, le défi aux Commandements de Dieu, l’orgueil faustien !… Dans l’univers victorien, le scandale est assuré.

Si le plaisir est péché, il ne saurait être le mien – autant se dédoubler pour en jouir malgré soi, mais en toute impunité. Piétiner une enfant ? Battre le vieillard respectable à coups de canne ? Qui, en ce temps-là, n’en a jamais eu envie ? Ce que Jekyll n’ose, Hyde le peut. D’où sa fascination et peu à peu son addiction qui ira jusqu’à répugner au retour à la vie normale de cet être banal, le docteur Jekyll.

Dr Jekyll and Mr Hyde fredric march

C’est que, pour l’auteur et pour la religion, le Mal est une drogue à accoutumance. Qui a succombé une fois succombera toutes les fois. Surtout que le diable est dans les détails. Il reste des traces nettes de cette mentalité peureuse et bornée dans les tabous d’aujourd’hui : la science est maléfique, toute nudité tentatrice, la facilité une faiblesse. Ne cherchez pas à savoir : croyez. Survêtez-vous afin de cacher ce sein que nul ne saurait voir (baignez-vous habillés, car même le soleil serait choqué). Levez-vous tôt, travaillez tout le jour, dînez sobrement (bio) et lisez quelques pages édifiantes avant de faire votre prière ou votre examen de conscience, afin de dormir en paix sans « mauvaises » pensées…

Dr Jekyll and Mr Hyde maurice philips

Si le savant se fait apprenti sorcier, poussé par la curiosité, l’écrivain n’est-il pas lui-même un démiurge, qui fait naître héros et monstres de son inspiration – une sorte d’égal de Dieu ? Freud n’est pas encore célèbre, mais Faust est déjà né.

Les dix épisodes de la narration sont découpés comme fera plus tard le cinéma, les points de vue se répondent, les procédés aussi, de l’aventure aux dialogues, des lettres aux témoignages. La vérité ne peut qu’être approchée, tant elle est étrange et fait peur. Ces petites touches successives entretiennent le suspense et envoûtent le lecteur. Où est la volonté quand le personnage et son double en détiennent chacun une part ? D’où l’importance des écrits (lettres, billets, testament, témoignage) : ils scellent un moment comme le chœur antique du théâtre, avant que tout ne bascule à nouveau.

L’un meurt d’expérimenter, l’autre meurt d’apprendre combien chacun peut être à double face, le dernier ne fait que traverser l’histoire. C’est un notaire, un juriste qui ne se préoccupe que des formes et des écrits. Lui est le témoin. L’écrit vain.

Robert-Louis Stevenson, L’étrange cas du Docteur Jekyll et de Monsieur Hyde, 1886, Livre de poche 2000, 286 pages, €4.10
Format Kindle, €0.99
Robert-Louis Stevenson, Œuvres 1, Gallimard Pléiade 2001, 1296 pages, €59.00
Les œuvres de Robert-Louis Stevenson chroniquées sur ce blog

Films en DVD :
1931 Dr. Jekyll et Mr. Hyde de Fredric March, Warner Bros, €3.80
1932 Dr. Jekyll et Mr. Hyde de Spencer Tracy, Warner Bros, €12.90
1932 et 1941 Dr Jekyll & Mr Hyde d’Ingrid Bergman, Warner Home Video, €5.88
1990 Dr. Jekyll et Mr. Hyde de Michael Caine, Elephant Film, €10.19
2003 Dr. Jekyll et Mr. Hyde de Maurice Philips, Arcade Video, €3.98
2015 Dr Jekyll & Mr Hyde avec Dougray Scott (version transposée à l’époque actuelle, à l’américaine…), Dazzler – en anglais, €9.12

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Démocratie et grands principes

La démocratie est l’exercice concret du pouvoir par les citoyens, directement (référendum) ou par représentation (élections). Les grands principes sont ces devoirs de la morale qui viennent soit des coutumes généralement admises (common decency), soit de catégories philosophiques (considérées comme « universelles »), soit de commandements religieux.

Il peut y avoir écart théorique entre l’exercice du pouvoir dans la cité et les grands principes moraux ; mais comme la cité est dans l’histoire et obligée de la vivre, les grands principes ne peuvent parfois être appliqués en même temps.

Dans le cas individuel, nous avons ce qui compose une tragédie. Ainsi Antigone, écartelée entre la fidélité à la cité et à son oncle, et la fidélité aux devoirs religieux et à son frère. Ainsi Albert Camus, plus proche de nous, qui déclarait « Je crois à la justice, mais je défendrai ma mère avant la justice » (Maison des étudiants de Stockholm, le 12 décembre 1957).

Dans le cas moral, la hiérarchie des principes est légitimée par l’universel : ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fit ; une norme est objectivement valable si elle est valable pour tout être raisonnable (Kant), ou si elle est acceptable par les autres (Rawls, Habermas). Par exemple, Camus considère la révolte comme légitime jusqu’à ce que la liberté totale de se révolter rencontre sa limite : celle de tuer. Car donner la mort est incompatible avec les raisons mêmes de se révolter, qui sont l’exigence de justice pour tous les hommes. Ainsi s’explique la réponse de Camus sur la justice : si c’est là VOTRE justice, alors que ma mère peut se trouver dans un tramway d’Alger où on jette des bombes, alors je préfère ma mère à cette injonction totalitaire qui utilise le terrorisme pour imposer sa pseudo-justice.

Dans le cas collectif, c’est le choix des priorités. Le gouvernement de la cité ne peut autoriser à la fois la plus grande liberté et exiger que quiconque respecte la loi, condamner la peine de mort de façon absolue et faire la guerre, respecter à la fois la cohésion sociale et pratiquer l’hospitalité maximum envers les étrangers. En politique, il s’agit non d’absolus mais de hiérarchie ou d’alternance : la liberté existe – jusqu’à ce que la loi ou la liberté du voisin la contraigne ; la peine de mort n’est pas admise – mais légitimée en cas de légitime défense, de résistance armée aux forces de l’ordre, et en cas de guerre ; l’asile politique est légitime mais l’immigration économique est contrainte – et peut-être des quotas doivent-ils être institués afin que la population arrivante ne se concentre pas en ghetto mais s’assimile progressivement ; l’égalité de tous est revendiquée, mais les aides aux moins chanceux ou moins lotis est instaurée.

En démocratie, les principes les plus légitimes ne peuvent pas cohabiter dans le même temps. Ils ne peuvent surtout pas faire l’objet d’un compromis ou d’une « synthèse ». Il n’y a pas de « juste milieu » entre la liberté d’expression et le blasphème. Il y a soit l’un, soit l’autre. « En matière de presse, il n’y a pas de milieu entre la servitude et la licence. Pour recueillir les biens inestimables qu’assure la liberté de la presse, il faut savoir se soumettre aux maux inévitables qu’elle fait naître. Vouloir obtenir les uns en échappant aux autres, c’est se livrer à l’une de ces illusions dont se bercent d’ordinaire les nations malades… qui cherchent les moyens de faire coexister à la fois, sur le même sol, des opinions ennemies et des principes contraires » Alexis de Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, II, 3.

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Ces « malades » qui braillent « pas d’amalgame » devraient se demander pourquoi les terroristes naissent dans les idéologies totalitaires, avant-hier le communisme et le nazisme, hier le gauchisme italien, allemand ou français, il y a peu les Palestiniens et aujourd’hui même la religion musulmane dans sa lecture intégriste. Oui, il y a bien du marxisme dans Marx, même si Marx n’eut probablement pas été « marxiste » au sens où les années 1960 l’ont déformé. De même y a-t-il de l’islam dans l’islamisme, comme du christianisme dans l’Église de l’Inquisition.

Ceux qui accusent « les autres » (jamais eux-mêmes) de « jeter de l’huile sur le feu » sont des lâches qui refusent de voir, d’analyser et de comprendre. Ils préfèrent le déni, « surtout ne rien faire qui pourrait…» remettre en cause leur petit confort intellectuel, fonctionnaire ou bourgeois. Le problème n’est pas l’huile, mais le feu : qui met le feu ? Ces indécis le cul entre deux chaises sont les soumis de Houellebecq, des irresponsables qui refusent d’assumer leur position intellectuelle ou politique. Ils font de nécessité vertu en parant leur lâcheté du beau mot de « prudence » – en bons adeptes du « principe de précaution » des nations malades, des pays vieillis et des âmes faibles.

Ce n’est pas insulter l’islam que de caricaturer les imams et le Prophète, démontrait Raphaël Enthoven : c’est au contraire intégrer l’islam dans la république, en France où l’ironie et l’esprit critique sont des traits nationaux. Appliquer sans tabous à toutes les religions les mêmes principes, c’est élever l’islam au rang des autres. Refuser qu’on le « critique » ou qu’on s’en « moque » serait au contraire une preuve de mépris. Pire même, n’est-ce pas insulter « Dieu » que de croire qu’il est incapable de se défendre, lui l’Omniscient Tout-Puissant ? A-t-il besoin de vermisseaux ignares, qui ne savent pas lire le texte qu’il a livré et qui croient aveuglément – plus que Dieu lui-même ! – n’importe quel autoproclamé savant ? Charlie avait sur ce point raison, il est vraiment « dur d’être aimé par des cons ».

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Anna Politkovskaïa, La Russie selon Poutine

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Voulez-vous comprendre la Russie contemporaine ? Plongez-vous dans le livre d’Anna Politkovskaïa, paru mi-2004 et réédité en Folio-documents. Cette journaliste moscovite a été assassinée – ce qui montre qu’elle dérangeait pas mal de gens puissants, donc qu’elle dévoilait un certain nombre de vérités. C’est ainsi que les méthodes de nervis se retournent contre leurs instigateurs.

En 375 pages, la Politkovskaïa brosse un portrait au vitriol de la « nouvelle société » normalisée de Vladimir Poutine : une société formatée KGB, aux idées aussi courtes et brutales que celles d’un lieutenant-colonel à la mentalité soviétique « qui n’a jamais réussi à atteindre le rang de colonel » p.340. L’armée, gardienne du régime, opère en toute impunité ; la justice demeure aux ordres ; l’économie mafieuse pille sans vergogne les biens publics avec la complicité active des services de l’État ; la société déstructurée prend des mœurs de sauvage tandis que l’élite a pour elle un profond mépris, n’hésitant pas à massacrer plus de civils que de terroristes lors des prises d’otages.

Qu’il est donc beau, le post-communisme, brutalité léniniste et grossièreté stalinienne réinventées. Qu’ils sont naïfs, ces électeurs français tentés par le poutinisme, extrême-gauche comme extrême-droite, alors qu’ils ont là-bas le modèle « réalisé » de leurs vœux, en expérience ‘live’ depuis des décennies ! Et qu’on ne m’objecte pas que la Russie est « arriérée », qu’elle a « toujours connue le knout », que ce serait impossible en France. Ben voyons !

Qui dit communisme ou nationalisme dit pensée totalitaire parce qu’à prétention « scientifique » ou ethno-matérialiste : « est-ce qu’on discute le soleil qui se lève ? » disait Staline avec son gros bon sens.

Qui dit certitude de posséder « la vérité » (les lois de l’Histoire ou les intérêts nationaux) ne peut que les imposer par la force, pour le bien de tous, pour faire accoucher ce monde inévitable. Ceux qui résistent sont des « malades » à rééduquer ou à éradiquer si irrécupérables : on ne va pas marchander l’avenir ! Tout communisme, tout national socialisme est donc un yaka, et ce yaka tend à régner par la dictature.

Mais lorsque la réalité du monde reste obstinément rétive à cet avenir annoncé, que les mouvements sociaux ne s’agrègent pas « naturellement » en lutte de classes porteuses d’élites nouvelles, que les ethnocentrés ne parviennent pas à faire entendre leur voix nationaliste – la tentation est grande de « composer ». C’est ce que fit la Chine de Deng Xiaoping, c’est ce que tente de réaliser la Russie de Vladimir Poutine. A cette aune, la Russie apparaît plus « asiatique » que la Chine : tout aussi autoritaire mais moins réfléchie, moins contrôlée. La Chine est un centre qui impulse et qui garde ; la Russie est un éclatement où chaque proconsul de province fait à peu près ce qu’il veut. La Chine n’est pas tendre avec ses citoyens, mais elle écoute les doléances et agit quand même pour améliorer le sort du plus grand nombre ; la Russie considère ses soldats comme du « matériel humain » où les hommes de troupe sont esclaves des officiers, où l’on abandonne sans remords les blessés sur le champ de bataille, où l’on repousse avec dédain bureaucratique les tentatives d’une mère pour avoir des nouvelles de son fils militaire envoyé (de façon « non-officielle ») hors de Russie.

vladimir poutine chevauchant un ours

Pour Anna Politkovskaïa, ce retour conservateur aux coutumes soviétiques vient probablement de la guerre en Tchétchénie. Celle-ci fixe un « ennemi », mobilise les « vrais Russes », justifie tous les passe-droits officiels et conforte l’armée, soutien de Poutine.

Mais la guerre et ses exactions, le terrorisme en retour, la sauvagerie du contre-terrorisme, brutalisent les comportements. Tout comme la guerre de 14 l’a fait dans les démocraties européennes. « Un à un les tabous sont brisés et l’ignominie se banalise. Des meurtres ? Bof, nous en voyons tous les jours. Des attaques à main armée ? C’est notre lot quotidien. Des pillages ? Ils font partie de la guerre. Ce ne sont pas seulement les tribunaux qui ne condamnent pas les coupables, c’est la société tout entière. » p.308 La haine du Tchétchène rend raciste et le politiquement correct moscovite s’empresse de licencier les employés d’origines « douteuses », sans autre cause que celles de la xénophobie ambiante. Le même processus a été mis en œuvre à propos de l’Ukraine, dont le gouvernement a été qualifié de « fasciste » parce qu’il avait réticence à s’aligner sur les intérêts de Moscou.

Pendant ce temps – est-ce un hasard ? – les oligarques (presque tous issus de l’ex-KGB) font main basse sur les usines, les monopoles, les commerces. « La doctrine économique de Poutine, c’est l’idéologie soviétique mise au service du grand capital. » p.138 Elle déclasse la classe moyenne pour en faire des pauvres et promeut l’ancienne nomenklatura, cette élite de bureaucrates qui dirigea l’URSS et se tiennent comme une mafia. Les Russes d’aujourd’hui désirent plus que tout la loi et l’ordre, aussi « la nomenklatura doit donc consacrer l’essentiel de son temps à empêcher que la loi et l’ordre ne viennent faire obstacle à son propre enrichissement. » p.139 Aux dirigeants, désormais tout est permis; ils sont au-dessus des lois.poutine baise un gamin

La corruption a pris un essor qu’on ne voit pas en Chine : « Pour garder mes magasins, je dois mettre la main au porte-monnaie. Qui n’ai-je pas arrosé ? Les fonctionnaires de la préfecture, les pompiers, les inspecteurs de l’hygiène, le gouvernement municipal. Sans compter les gangs qui contrôlent le territoire où se trouvent mes boutiques. » p.153 Tous les ambitieux veulent réussir ; ils doivent pour cela faire allégeance au nouveau tsar et à sa cour. Les investisseurs étrangers qui croient à la Russie feraient bien de méditer le récit véridique livré entre les pages 215 et 218 sur la façon cosaque dont sont traités « les actionnaires » dans la Russie de Poutine.

Alors, la Russie ? Si la Chine s’envole dans un développement accéléré avec l’adhésion d’une majorité de la population qui voit son sort s’améliorer malgré l’absence de libertés, la Russie de Poutine s’enlise dans un non-développement global qui réserve à une élite mafieuse des richesses qui vont se réfugier en Suisse ou s’investir sur la Côte d’Azur ou à Paris. Les Russes sombrent dans la dépression sociale, la brutalité des mœurs, la passivité politique. Ils s’alcoolisent, ne font plus d’enfants, cherchent à émigrer. Rares sont encore les patriotes – Anna Politkosvkaïa en a rencontrés, commandants de sous-marins nucléaires en Extrême-Orient. Ceux-ci sont mal payés, assignés à résider à quelques minutes de leur vaisseau, sans aucun moyen pour entretenir le matériel dangereux et sophistiqué dont ils ont la charge. No future ?

Anna Politkovskaïa, La Russie selon Poutine, 2005, Folio 2006, 384 pages, €9.00

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Claude Berger, Itinéraire d’un Juif du siècle

claude berger itineraire d un juif du siecle
Né français en 36, originaire de juifs roumains, enfant-caché entre 7 et 9 ans sous Pétain, devenu dentiste, pied-rouge médical un temps dans l’Algérie indépendante, féru d’alpinisme et combattant le salariat par lequel il voit toute société sombrer, Claude Berger tente en ce livre un essai partiellement autobiographique. Essai parce qu’il reste en chantier, partiellement autobiographique car, hormis l’enfance terrorisée, le reste de sa vie est présentée en mosaïque bien décousue. Il a du mal avec le fil conducteur : c’est ainsi qu’aux deux-tiers du livre, on découvre à l’auteur un fils de 16 ans. Et seulement vers la fin qu’il a ressenti une « vibration » au mur des Lamentations « avec son plus jeune fils ».

Mais là où l’auteur est passionnant, c’est lorsqu’il déroule son itinéraire intellectuel, le cheminement qui l’a conduit de la religion hébraïque et de la « fierté de porter l’étoile jaune » comme les grands – à 6 ans – à la conception humaniste hébraïque, livrée page 173 seulement mais qui résume tout : « La pensée de Jérusalem était bien née d’un double rejet, celui de toutes formes d’idolâtrie et celui de toutes formes d’esclavage ». C’est la même chose, selon moi, pour la pensée d’Athènes où l’on était citoyen sans se revendiquer d’être du peuple élu. Notons que l’esclavage était aussi répandu dans l’Ancien testament juif que dans le monde antique.

Claude Berger est un « révolté libre », enfant qui relativise les passions humaines parce que traqué, parcours africain qui le rapproche des humbles, un temps « dans les ordres » du parti communiste « pour en déceler le vice caché » – l’obéissance hiérarchique stalinienne aux gens de pouvoir – avant d’expérimenter Lip, le Larzac, la révolution portugaise des œillets, la résistance parisienne à l’expulsion de l’ilôt 16 dans le Marais. Il développe en quelques lignes une philosophie dentiste, la bouche étant le « lieu le plus relationnel de tout individu » p.109. Il pose son hypothèse selon laquelle l’antisémitisme vient de l’idolâtrie de la Vierge mère et du rejet du père – le juif Joseph, impur parce que voué à enfanter dans le sperme. Il aura connu et fréquenté Jacques Lanzmann, Georges Perec, Kateb Yacine, Serge July.

Ce qui réjouit le libéral politique que je suis est le sens critique aiguisé par l’humour de cet homme entre deux siècles, qui a vécu une grande part du pire. « On peut être sensible à l’art des cathédrales comme à celui des pyramides sans être dupe. Ressentir l’émotion sans dissoudre la critique » p.67. Et l’auteur ne s’en prive pas !

A propos du Monde : « Le quotidien illustrait le roman de la victoire obligée de la révolution [algérienne]. Il taisait qu’elle serait peut-être soviétique ou musulmane au vu de ses actes et minimisait les signes d’une autre issue possible. Il invoquait l’objectivité et nous buvions cette prose comme parole scientifique et sacrée qui faisait passer Camus pour un ‘traître’ » p.75. L’aveuglement bien-pensant du Monde n’a jamais cessé, la dernière polémique à propos des sponsors du festival de Cannes le montre encore… « J’apprends à lire la presse, celle qui se targuait de servir la bonne cause, celle qui, assise dans son fauteuil, avait idéalisé le ‘révolution algérienne’ et tu des vérités essentielles. A ce titre, elle me semblait détenir une responsabilité dans les intransigeances partisanes et les refus d’une recherche en identité apte à fonder une nation » p.140. Depuis cette époque, les journalistes sont, avec les hommes politiques, ceux qui sont le moins crédibles par l’opinion.

Sur le tiers-mondisme de bon ton dans les années 60 : « Dans l’imagerie ‘anticolonialiste’ ordinaire de l’époque, il était de mode » d’ignorer « l’autre violence, celle que portaient en leur sein les sociétés tribales et fétichistes » p.105. Avec les indépendances, les dictateurs noirs ont remplacé les colons blancs – mais les peuples restent toujours asservis. Le Front de « libération » nationale en Algérie n’a libéré que les avides de pouvoir – et massacré les vrais maquisards. « Pendant la guerre, le référent de l’insurrection en majorité, ce n’était pas la démocratie ou le socialisme, c’était la culture musulmane, l’alcool et le tabac interdits sous peine de mutilation ! » p.139.

Non, « les victimes » ne sont pas toujours bonnes ni n’ont toujours raison. Intuition d’époque mais toujours actuelle : la gauche niaise en reste à ces tabous aujourd’hui encore à propos de ces « pauvres » tueurs islamistes à la religion « persécutée » – si l’on en croit l’outrancier Todd. J’espère pour ma part qu’il reste une gauche intelligente, elle se fait assez rare ces temps-ci, mais Claude Berger lui appartient sans conteste.

Bien plus que les philosophes en chambre. « Ils produisaient des gloses sophistiquées dont la seule fonction était d’empêcher le questionnement sur la dictature communiste et d’ériger un mur contre les curieux » p.144. La pratique d’un cabinet médical associatif en banlieue rouge l’a conduit à être exclu du PC ! « Si la réalité ne convenait pas au ‘Parti’, il lui suffisait de la travestir, de la rigidifier dans la langue de ciment des apparatchiks et d’en trafiquer les photographies » p.150. La gauche, même socialiste, même écologiste, a parfois du mal à se dépêtrer de ces pratiques bien staliniennes de nos jours. « Suivez le Guide : il est mort !… » écrivait pourtant Claude Berger à la disparition de l’idole des jeunes, Mao Tsé-toung, dans Libération (p.172).

Étatisme, jacobinisme, parti unique, crise économique… tout est lié : « J’avais compris cette maladie de la social-démocratie, communiste ou socialiste qui, pétrie de dogmes, avait fourvoyé depuis longtemps les espoirs d’une société associative qui ne serait pas fondée sur l’exploitation des esclaves salariés, donc sur le salariat lui-même, fût-il d’État » p.154. Comme plus tard Michel Onfray, Claude Berger enfourche son grand dada : le proudhonisme plutôt que le marxisme, l’association libre contre le parti militaire de Lénine. Telle est « l’erreur de la pensée de gauche » selon l’auteur, p.162 – et j’y souscris pleinement. Mieux que l’autogestion, qui se contente de démocratiser l’existant, l’association est « une communauté d’existence dominant les unités de production comme dans les kibboutzim » p.178.

Claude Berger veut répandre les associations sur le type du kibboutz pour créer une « société de la gratuité et de la solidarité » p.222. Il écrit plusieurs livres pour exposer ses idées : Marx, l’association, l’anti-Lénine (Payot 1974), Pour l’abolition du salariat (Spartacus 1975), En finir avec le salariat (éditions de Paris Max Chaleil, 2014). Ses thèses mériteraient un développement séparé, je me contente hélas de constater que les seules communautés qui aient duré dans l’histoire ont été celles qui étaient tenues par un ordre supérieur : domus romaine avec esclaves, religion des monastères, expériences sociales sexuelles hippies, développement militaire israélien. Toutes les autres ont fini par échouer dans l’intolérance (sectes) ou le dépérissement (hippies reconvertis dans l’éducation nationale la quarantaine venue et les bourses asséchées) ; même les phalanstères du père Fourier, cités idéales associatives, se sont émiettées rapidement sous la force centrifuge de l’individu…

En revanche, le libéralisme politique a réussi la démocratisation progressive via les corps intermédiaires. Les associations en font partie, tout comme les syndicats et les collectivités territoriales. Reste à leur faire une place, comme en Suisse, donc à démanteler ce jacobinisme centralisateur français qui n’est vraiment plus d’actualité.

Malgré ses manques, un itinéraire intellectuel qui vaut à mon avis d’être lu et médité.

Claude Berger, Itinéraire d’un Juif du siècle, 2014, éditions de Paris Max Chaleil – avec le soutien de la Fondation pour la mémoire de la Shoah, 237 pages, €20.00

Blog de Claude Berger
Attachée de presse Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

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Boris Cyrulnik, Sous le signe du lien

boris cyrulnik sous le signe du lien
Neurologue et psychiatre, Boris Cyrulnik sait écrire simplement. Même lorsqu’il use du jargon de sa profession, il s’empresse de traduire pour faire comprendre. C’est un vrai pédagogue comme on en trouve chez ceux qui s’intéressent aux êtres – et comme on n’en trouve plus chez ceux qui en font profession – si l’on en croit la cuistrerie étalée dans « les programmes ».

S’intéresser aux êtres est s’intéresser aux liens entre les êtres car, pour l’humain plus que pour les animaux, la sociabilité est primordiale : comment un petit d’homme né nu et vulnérable, qui ne sait ni se nourrir, ni se vêtir, ni se protéger, n’est enfin à peu près adulte que vers 15 ou 16 ans (mais pas encore fini), pourrait-il être dans le monde en restant tout seul ? Boris Cyrulnik, enfant abandonné et immigré exilé, s’est reconstruit peu à peu. Ce pourquoi il est probablement plus sensible que les nantis affectifs sur l’importance du lien.

Il prend les petits d’homme quand ils ne sont pas encore sortis du ventre de leur mère. Il montre par expériences (reconductibles par tout scientifique) que le fœtus entend très bien les sons, qu’il réagit aux changements, qu’il épouse étroitement les humeurs de sa mère. Ce n’est que vers 6 mois après être né que l’empreinte du père peut se construire, lorsque le bébé reconnaît les visages. Non que le père soit absent auparavant mais la mère prime, soit qu’elle se sente bien avec l’homme auprès d’elle (père biologique ou non !), soit que le mâle qui s’occupe du bébé en l’absence de femme fasse fonction de « mère » pour le nourrisson.

maman et bébé

Les mêmes expériences montrent que la différence des sexes non seulement intervient très tôt, mais qu’elle est indispensable pour que l’être humain se construise une identité sociale. Ce n’est donc pas en « élevant une fille comme un garçon » qu’on la transforme en garçon… Ce serait plutôt la mutiler, puisque les observations fines effectuées par caméra et analysées par ordinateur montrent que (maman ou papa) les adultes traitent différemment les bébés-filles des bébés-garçon. « Les garçons s’engagent dans le monde d’une manière plus visuelle, plus spatiale, plus anxieuse, plus collective et plus compétitive. Les filles s’engagent dans la vie d’une manière plus sonore, plus verbale, plus paisible, plus intime et plus affiliative » p.164. Les filles sont plus touchées, caressées ; les garçons sont traités plus rudement, on leur montre plus qu’on leur parle. La vocalise contre le postural, disent les spécialistes.

Ce n’est que lorsqu’ils ont été sécurisés par les bras maternants, stimulés par les jeux paternels, que les enfants (des deux sexes) peuvent se fondre harmonieusement dans leur groupe de pairs. Ils y apprennent la relation sociale, fondée sur l’identité et la reconnaissance de l’autre. Mais il ne peut y avoir d’ouverture aux autres sans être assuré un minimum de soi. Les comportements des petits abandonnés très tôt sont révélateurs : ils se replient sur eux-mêmes, s’auto-caressent, ne parlent pas. Il leur faut des « objets d’attachement » stables (des adultes mieux que des peluches) pour que la « résilience » s’opère. Les manifestations de joie sont plus intenses que celles des enfants aimés lorsqu’un petit abandonné retrouve la personne qui s’occupe de lui après une courte séparation.

De même, les « enfants-poubelles », abandonnés par contrainte ou par volonté, se sentent sans histoire, donc sans liens ; ils ne vivent qu’au présent, sans morale ni sociabilité. A moins que l’histoire qu’on leur conte soit socialement valorisée : alors, même sans parents réels, ils se sentent réinscrits dans la société, améliorés, ce qui les pousse à réussir leur vie. En 1945, les communistes avaient accueilli des enfants sans famille à Arcueil. Malgré les éducateurs très jeunes et inexpérimentés, malgré les conditions de pauvreté et une hygiène douteuse, 42% des enfants ont réussi le concours d’une grande école ou suivi des études supérieures. Pourquoi ? Parce que les adultes ne cessaient de leur dire : « Tes parents sont morts pour la France, pour une idée… quelle noblesse ! Tu as souffert, tu as perdu ta famille, mais c’est grâce à eux aujourd’hui que nous sommes libres… quelle dignité ! » p.274. Si vous avez des enfants, dites-leurs de temps à autre qu’ils ont été désirés, que vous tenez à eux, que vous les aimez ; dites-leurs que vous avez apprécié ce qu’ils ont fait, que vous les félicitez pour la performance réussie. Rien que cela… est tout !

papa et bebe francesco scavullo 1968

L’éthologie – la science des comportements – s’applique à l’homme comme aux bêtes. Pour les humains, elle permet de comprendre les tabous comme l’évitement de l’inceste, ou les rituels sociaux comme la parade amoureuse. Certes, les hommes ne sont pas des animaux, ils ont un cerveau plus malléable et le langage en plus. Mais il est étonnant de constater combien les schémas bêtes imprègnent les conduites humaines malgré nous. Les gestes des adultes envers le bébé sont sexués dès la naissance, l’histoire d’amour est universelle mais se différencie bien vite entre émoi hormonal et attachement – qui reproduit celui du bébé à sa mère –, montrant combien l’empreinte tout petit organise le lien et détermine même les orientations sexuelles. L’excès d’attachement à sa mère, dû à l’enfance troublée de sa génitrice, empêche de jouer, de se socialiser, d’apprendre les rituels de son groupe et à connaître l’autre sexe. On ne naît pas homo ou hétéro, on le devient… sans le vouloir. Mais quand le lien se renforce, le désir s’éteint – et c’est bien ainsi, montre Cyrulnik.

Le beau aurait une fonction biologique, si l’on en croit la truite saumonée. La nature n’a pas en général besoin du mâle, mais c’est en apportant la différence génétique que les espèces peuvent survivre à des environnements qui changent. Ce pourquoi la différence sexuelle est « économiquement » efficace, ce pourquoi donc les parents, dès la naissance et poussés par la culture sociale (qui est une sorte de génétique augmentée), traitent différemment petits garçons et petites filles. Chacun, avant d’accéder à la conscience, a été façonné par les gènes, par les parents, la famille, le milieu, la société, la culture. On ne nait pas de rien ; le nier aveugle et empêche d’évoluer. Mais rien n’empêche, une fois adulte, autonome et responsable, de corriger ses propres comportements ; le fait de se donner un idéal ou une méthode emporte l’imitation.

amis gosses

Voici un bien grand livre qui nous ouvre l’esprit, sans asséner de vérités définitives. C’est tout l’objet de la conclusion de pointer ces « butées » à franchir, qui montrent que la recherche n’a jamais de fin et qu’il faut sans cesse décentrer son regard pour remettre en cause ses certitudes. Nous sommes bien loin des slogans idéologiques des uns et des autres ! Nous sommes dans l’intelligence et l’humilité, tout le contraire des dogmes et de l’arrogance dont le « débat » sur le genre fait trop souvent montre.

Boris Cyrulnik, Sous le signe du lien, 1989, Livre de poche Pluriel 2012, 319 pages, €8.10

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Maladie de la politique française

En politique, un bon résultat peut être ignoré dans les urnes, voir Lionel Jospin en 2002. Les électeurs sont ingrats mais les politiciens en général promettent et ne tiennent pas, leurs mots sont déconnectés de la réalité. D’où l’impression de mépris que ressentent les citoyens dont les préoccupations ne sont à leur avis pas prises en compte par les élus. Monte alors le vote protestataire, de plus en plus extrémiste, l’appel à la vengeance par la démocratie directe contre la démocratie représentative.

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La faute en est au monde qui se complexifie, mais aussi aux politiques.

Le pouvoir est passé de leurs mains à l’Union européenne pour une part, aux régions pour une autre part, à l’administration et aux « autorités » indépendantes enfin (CSA, Hadopi, ARCEP, AMF, etc.). Ils l’ont désiré, ils l’ont voulu, ils ont signé.

Pour la marche du monde, la globalisation a donné du pouvoir aux marchés financiers pour la dette des États, aux grandes entreprises pour les emplois et la fiscalité, tous deux en concurrence ; l’essor de l’éducation et l’accès désormais à l’Internet permet aux citoyens, mieux formés, de se renseigner tout seul sans passer par les instances. Si l’information, c’est le pouvoir – le pouvoir est aujourd’hui bien plus dilué et moins bien contrôlé qu’auparavant (lanceurs d’alerte).

Les politiciens seraient-ils devenus impuissants ?

Pas vraiment, disons qu’ils tissent le plus souvent eux-mêmes la toile dans laquelle ils s’enserrent. Discipline de parti, aveuglement idéologique, tabous du politiquement correct, ils ne parlent plus « vrai ». Ni consciemment, ni surtout inconsciemment.

« Tout le monde » – dit-on (voir encadré p.24 de la publication) – sait ce qu’il faudrait à la France pour que son taux de chômage ressemble à celui de ses voisins : une flexibilité plus grande du travail, des coûts de production plus en rapport avec ce qu’elle produit (coûts qui concernent moins les salaires que surtout les charges sociales et les taxes gouvernementales), une meilleure formation initiale (lire-écrire-compter-s’exprimer) et professionnelle (accaparée par des syndicats très peu représentatifs ou privilégiant des intérêts « particuliers »).

Même chose sur le racisme musulman, minimisé au nom du « pas d’amalgame » alors qu’il y a autant de mauvais chez les musulmans qu’ailleurs – mais dont on mesure concrètement les effets (ravageurs) sur les bateaux de migrants en Méditerranée. Ou par l’alya des Français juifs, réelle et de plus en plus importante ces derniers mois (édifiante émission Interception sur France-Inter).

Or, rien de tout cela n’est dénoncé ou entrepris… par tabou idéologique et « peur » d’une éventuelle réaction de « la rue ». Mais « la rue » n’est pas aussi infantile que les élites le croient – si elles sont capables de donner le cap et d’expliquer le chemin. « La rue » n’est pas aussi stupide que les nantis au pouvoir le croient – s’ils ne manipulent pas les groupuscules braillards à leur seul profit politicien en vue d’un motion de congrès, d’une place à la primaire… ou d’une minute de gloire médiatique.

Les multiples exemples suédois, canadien, allemand, et même italien sont là pour montrer que quand on veut, on peut, quand la politique fixe un cap et une méthode, le pays avance. Pas le nôtre, malgré les analyses.

Pour qu’il avance :

  1. il serait nécessaire que les petits jeux de pouvoir n’accaparent pas la « cour » élyséenne – donc il serait nécessaire de bien définir par la Constitution les pouvoirs respectifs du chef du gouvernement et du président – et il serait nécessaire que la presse enquête systématiquement et dénonce (comme dans les pays nordiques ou anglo-saxons) tout manquement éthique ou manipulation politicienne ;
  2. il serait nécessaire que les parlementaires, dotés de meilleurs moyens d’enquête et de contrôle par la réforme de 2008 (sous Sarkozy, boudée par une gauche inconséquente), ne cumulent pas les mandats au point de n’en exercer aucun de façon efficace – donc il serait nécessaire de supprimer radicalement tout cumul, à la fois des mandats mais aussi des mandatures : un seul mandat à la fois, une seule réélection maximum : un peu d’air frais !
  3. il serait nécessaire que les élus et les nommés, tous responsables de l’argent des contribuables, soient mieux évalués et sanctionnés dans leur égoïsme individualiste (Big millions, Guérini, Vallini, Andrieux, Kucheida), leur légèreté ou irresponsabilité (Saal, DSK, Lamblin, Woerth, Lagarde), quand ce n’est pas carrément le flagrant délit de mensonge (Cahuzac, affaire Karachi).
  4. il serait nécessaire que les médias, fort paresseux et parisiano-centrés, cessent de voir dans de petits bouts de phrases autant de scoops à faire mousser, ou prétexte à rigoler lâchement, pour enfin offrir une réflexion sur le fond et dans la durée – ce pourquoi les journaux dits de réflexion voient leurs abonnés se réduire et la radio publique dite culturelle dilapide l’argent public en « directs » inutiles : ce n’est pas ce qu’on leur demande.

Est-ce beaucoup exiger de la république à la française ? Faut-il exiger la démocratie enfin « participative » ? Ou faut-il laisser les citoyens tenter n’importe quel grand méchant loup, sur sa réputation à remettre de l’ordre dans le bruit et la fureur ? Résistance ou soumission ?

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Morne Paris de février

Il pleut fin février, les vacances sont venues, les Parisiens ont déserté.

ado solitaire paris jardin du luxembourg fevrier
Le jardin des sénateurs, au Luxembourg, est désert et un ado solitaire tente de placer des balles dans le filet ; même sans rivaux, il n’y parvient pas toujours.

ado qui suis je jardin du luxembourg paris
Un autre s’interroge face au Lion de bronze, dans les bosquets du même jardin : qui suis-je ? où vais-je ? que sais-je ?

institut monde arabe est charlie
Est-il « Charlie », comme il est affiché par conviction sur la façade de métal de l’Institut du monde arabe ? Un musulman s’est-il jamais prénommé Charlie ?

ado charlie devant institut monde arabe
Un ado a compris que ces slogans, ce volontarisme de propagande – qui ne veut pas voir simplement ce qui est – n’a aucun intérêt : il s’est couché au rare soleil de février sur les marches. Soumission ? Non, indifférence. Que les politicards blablatent, il ne lit pas Charlie ni n’a envie de se convertir à quoi que ce soit.

parti socialiste solde a paris
Surtout pas au socialisme, tant le parti socialiste n’a plus rien de neuf à offrir.  La boutique accouplée affiche les soldes, « deuxième démarque », tant personne n’en veut plus de cette religion socialiste usée jusqu’à la corde. Le « concept store » Cambadélis est mort. Pas la gauche, non, qui est un élan vers l’avenir, mais le parti, crevé de l’intérieur par le copinage, les zacquis et les tabous de la génération 68 au pouvoir – bien loin de la « révolution » qu’elle affirmait… lorsqu’elle était jeune et vivante.

arbre creve paris jardin du luxembourg
Crevé comme ces arbres du Luxembourg, en train d’être sciés pour être remplacés par de plus sains, de plus verts, de plus vigoureux.

Paris pont de l archeveche cadenas
Crevé comme ce parapet du pont de l’Archevêché, derrière Notre-Dame,  dont le poids des cadenas de la mode imbécile a fait chuter un élément dans l’eau. Comme une dent manquante dans une mâchoire branlante.

Paris square viviani effondre fevriver 2015
Crevé comme le jardin du square Viviani, face à Notre-Dame sur la rive gauche, dont un affichage de la Mairie illustre la langue de bois bureaucratique – typiquement socialiste (on se croirait sous Mao !). Manquent les « excuses » ou le « merci de votre compréhension » de rigueur depuis l’ère Chirac.

buvez du vin bar parisien
Buvez du vin ! affirme un caviste parisien pour redonner de l’optimisme à une ville qui sombre. Au moins c’est du vrai rouge, pas du rose fané…

gamins devant musee orsay fevrier
La culture officielle révérée par les bobos n’enthousiasme pas les gamins assis tournant le dos au musée d’Orsay : puisque tout se vaut, que la France n’a pas d’identité, que l’Occident est coupable quoi qu’il en soit (d’esclavage, colonialisme, exploitation capitaliste, pollution, pillage des ressources, impérialisme militaire…), laissons courir.

bouquinistes paris quai montebello
Même les livres ne les intéressent pas, les kids ; les bouquinistes n’attirent que les vieux, les provinciaux, de rares étrangers.

patinoire hotel de ville paris fevrier
Ce qui les amuse est la patinoire devant l’Hôtel de ville, une bonne idée Delanoë… quand la température s’y prête : ce n’était pas le cas en décembre (ouh, la facture d’énergie pour glacer une piste lorsqu’il fait 15° dehors !) mais c’est le cas en février, où les températures oscillent entre 2 et 10°.

Paris kid bd st germain en fevrier
Certains ont même chaud pour se balader bonnet sur la tête mais gorge nue.

Paris rue de l odeon sous la pluie fevrier
Paris, sous la pluie, prend parfois une brillance étrange.

velo sous la pluis paris quai malaquais fevrier
On y déambule en Vélib, sous la pluie, sur le quai Malaquais, devant la péniche-restaurant.

Paris louvre au port des saints peres
Paris s’engloutit dans les eaux, comme au port des Saint-Pères… Fin février, il valait mieux être ailleurs.

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Convalescence économique après la grippe Hollande ?

La France a attrapé la grippe avec le virus socialiste, en témoignent les courbes statistiques depuis l’élection de François Hollande. De 2012 à 2014, la croissance n’a jamais dépassé 0.4% par an alors qu’elle a été supérieure à 2% sous Sarkozy, en 2006 et 2007, 2010 et 2011 – sauf le trou 2009 dû à la crise, mais moindre qu’en Allemagne et au Royaume-Uni. L’indice PMI (Purchasing Management Index) qui enquête chaque mois auprès des directeurs d’achat des entreprises (industries et services), montre que la confiance s’est écroulée dès l’arrivée – en fanfare idéologique – du gouvernement Hollande vers la mi-2012, et qu’elle ne s’est toujours pas relevée.

2014 2005 croissance en france insee ravages ideologie hollande

Les moulinets petit bras en faveur de la compétitivité des entreprises (CICE) et d’un « pacte » de responsabilité et solidarité sont arrivés laborieusement et bien tard pour compenser les rodomontades de campagne électorale (taxer les revenus à 75%, mettre au pas les « patrons », augmenter massivement les impôts, inventer de nouvelles taxes, multiplier les normes écologiques et foncières…). Le constat est là : la France depuis mai 2012 stagne, maladive, perdant de la demande par les impôts sur les ménages et de la compétitivité par les entraves idéologiques à l’entreprise et au travail. Notons que c’est plus « le discours » que « le socialisme » qui est responsable de la méfiance de chacun à investir, entreprendre ou embaucher : Lionel Jospin avait su redonner de la confiance, pas Jean-Marc Ayrault ni surtout François Hollande.

L’année 2014 s’est terminée en stagnation (+0.4%) et à inflation zéro, signe que la demande est en panne et que l’investissement ne repart pas.

  1. Les impôts sur les ménages et surtout le chômage pèsent sur le pouvoir d’achat, donc sur la consommation comme sur l’investissement privé dont la composante principale est le logement, effondré en raison de la désastreuse politique Duflot ;
  2. les entreprises n’ont pas les marges suffisantes pour investir et être assez compétitives à l’exportation, en raison des taxes, de la rigidité de l’emploi et de la pression idéologique « contre » les profits ;
  3. le déficit public et la dérive des embauches de fonctionnaires en collectivités locales pèsent sur l’investissement public.

Globalement, l’investissement est en recul de 1.6% sur 2014, dont -5.8% pour les ménages et +0.2% pour les entreprises.

2008 2015 indice pmi composite credit agricole

L’année 2015 pourrait voir une petite embellie, avec une croissance anticipée entre +0.9% et +1.2%. La raison ? Une conjoncture exceptionnelle de baisse du prix du pétrole, de baisse de l’euro et de baisse des taux d’intérêts. Rare conjoncture, attendue comme le Messie par tout ce que la galaxie médiatique compte d’économistes « de gauche » ou « atterrés ». Elle va montrer combien tout le reste va avoir comme effet réel : la politique Hollande, la confiance que son gouvernement est capable de susciter, les frasques du parti socialiste, des frondeurs et autres syriza sur le gâteau. Il est rare de pouvoir expérimenter une potion économique « toutes choses égales par ailleurs ». Or le pétrole, la devise et le coût d’emprunt sont au plus bas : les immenses bienfaits de la politique socialiste menée devraient donc éclater aux yeux de tous… si c’est la bonne.

Malheureusement, la France part avec quelques handicaps :

  • Le chômage est à un niveau suffisamment élevé, et depuis suffisamment longtemps, pour que l’employabilité des écartés de l’emploi soit compromise ; il ne devrait se résorber, en cas de croissance retrouvée, que lentement et difficilement. 2017 est trop près pour que François Hollande et le parti socialiste en profitent politiquement.
  • Le déficit public ne se résorbe que sous la menace des sanctions européennes, nos politiciens comme à l’école attendent de voir gronder la maitresse pour cesser de chahuter et se mettre au travail avec sérieux (ce pourquoi Macron est populaire, plus que l’histrion Mélenchon ou le matamore Montebourg). Or un déficit persistant signifie des impôts élevés persistants, qui pèseront longtemps sur la demande et sur l’investissement.
  • Les entreprises le savent, qui n’embauchent en France que le minimum indispensable, n’investissent qu’à peine en raison des coûts élevés de production (pas seulement des salaires) et préfèrent, lorsqu’elles ont les moyens, soit investir à l’étranger (les entreprises du CAC40 investissent plus dans le monde qu’en France même), soit distribuer des dividendes à leurs actionnaires – faute de rentabilité de l’investissement en France même.
  • L’incapacité aux réformes d’un gouvernement sans cap long terme et sans majorité pour les faire. Le psychodrame de la « loi Macron », catalogue de bonnes intentions présenté comme « crucial », a montré combien les conservatismes à gauche étaient criants (surtout ne rien changer !) et combien l’UMP restait sectaire (surtout ne pas voter une loi qui va dans le bon sens !). L’opinion, qui soutenait massivement cette loi selon les sondages, ne peut que vomir ces petits corporatismes, ces poses théâtrales de congrès, cette immaturité parlementaire. Elle est de plus en plus persuadée que seul un Matamore maniant la trique (un Le Pen plus qu’un Valls avec le 49-3 ?) peut transgresser les tabous de vierges effarouchées et les sectarismes gauchistes ou notariaux. Dramatiser pour une réformette n’encourage pas non plus l’Europe à faire confiance à cette France légère qui ne sait pas décider, pas changer, pas jouer le jeu collectif européen…

La reprise américaine, même lente, a déjà un effet sur la parité devises (le dollar monte au détriment de l’euro) qui anticipe un effet sur les taux d’intérêts. La France emprunte publiquement autour de 0.50% l’an mais, lorsque l’État américain empruntera à taux plus élevé, en raison de l’inflation qui reprend avec la croissance, notre pays ne pourra plus offrir des rémunérations aussi dérisoires aux investisseurs internationaux. Il se verra obligé soit d’emprunter moins (et de faire des économies budgétaires forcées à court terme), soit de rémunérer plus (et d’augmenter la charge de la dette, aujourd’hui de 45 milliards d’€ par an).

francois hollande hilare

Alors que les réformes structurelles sont indispensables, elles deviennent urgentes. François Hollande a trop attendu, trop hésité, trop peu politique pour aller (comme un De Gaulle, un Mitterrand et même un Giscard) contre sa majorité. Ses technocrates sont restés dans un système scolaire où seuls les mauvais points et les retenues forcent à étudier et à fixer son attention. L’Europe joue ce maître que le président est incapable d’être. Or nous ne réformons pas pour les autres mais pour nous-mêmes, pour échapper au chômage et aux égoïsmes corporatistes qui minent le « pacte républicain » et incitent de plus en plus d’électeurs, écœurés de ces grandes gueules à petits bras, à se replier sur les acquis et à vouloir les réserver aux seuls nationaux.

Il ne faut pas croire que la tactique Hollande pour 2017 est particulièrement subtile ; FH n’est pas FM et ce que réussit hier Mitterrand pourrait ne pas réussir demain à Hollande. Tabler sur un duel au second tour Hollande/Le Pen pour l’emporter « haut la main » est de moins en moins crédible avec les mois qui passent, le chômage et le daechisme qui croissent, chacun faisant l’objet d’incantations rituelles d’une gauche impuissante faute de lucidité sur les faits. Sur deux ans, nous avons vu les électeurs UMP passer à 40% en faveur du Front national ; encore deux ans jusqu’en 2017 et, avec un Sarkozy qui réapparaît comme sa caricature, ce seront peut-être 20% de plus qui basculeront. Les citoyens exaspérés par la gauche (révolutionnaire en blabla et molle en action) comme de la droite (réduite à faire radoter des candidats déjà usés), voudront peut-être tenter l’expérience anti-système.

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Moraline socialiste

Balles tragiques à Charlie Hebdo, 12 morts. Les événements de janvier bouleversent les postures politiques, mais l’unanimisme en réaction à la barbarie fanatique ne fait que masquer les clivages. Puisque tout le monde – ou presque – se sent Charlie (sans décider entre « être » et « suivre » dans le slogan « je suis »), faisons vivre ce ton libertin qui, de Molière et Voltaire à Cabu et Wolinski – en passant par Flaubert, Daumier, Desproges et quelques autres – est un trait de la culture française. L’ironie plus que l’humour, la satire politique plus que la dérision : se moquer, c’est considérer l’autre, donc aimer s’affronter à lui civilement – pas le mépriser, encore moins le tuer ! Le véritable mépris se manifeste par la plus complète indifférence : on ne rit jamais de ce qui n’existe pas à nos yeux.

Le rire, disait Bergson, nait du mécanique plaqué sur le vivant. C’est pourquoi tous les sectaires, les croyants ânonnant, ont toujours été la cible privilégiée des humoristes – religion ou pas.

Les événements l’ont prouvé, s’il en était besoin, coexistent deux postures de gauche : celle qui veut agir (au gouvernement mais parfois en région), et celle qui préfère rester dans le confort de l’opposition (« frondeurs » ou intellos sans mission). J’ai déjà parlé des intellos de la gauche bobo ; je parle aujourd’hui des politiciens. Manuel Valls, Premier ministre, a été parfait durant la crise, le ton juste, les mesures choc, l’équilibre du droit. D’autres ministres ont été reconnus et les Français sondés le manifestent sans réticence. Mais d’autres politiciens de gauche, rencognés dans leurs fiefs et jalousant peut-être ce pouvoir auquel ils ne sont pas directement conviés, préfèrent le rappel à la Morale.

Les Grands Principes (évidemment figés une fois pour toutes quelque part entre 1789 et 1917) sont leur Bible et leur Coran. Lorsque j’évoque par exemple des mots tabous comme « épuration ethnique » (réponse à une question d’un blogueur) ou « lobby juif » (institution légitime aux États-Unis) – même si ma conclusion est nuancée – je me vois accusé aussitôt de « blasphème ». Quand vous avez un interlocuteur face à vous, son œil perd de son brillant, son discours devient monocorde, il dérape en pilotage automatique comme ces appareils où il suffit de mettre une pièce pour que sorte encore et toujours la même chanson. Les ténors de la Gauche bien-pensante édictent des fatwas dans les médias pour stigmatiser et déconsidérer ces loups démoniaques (de droite ou « ultra-libéraux » pas moins) qui osent souiller leur onde pure… Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?

J’aime la gauche pour son élan et quand elle est en mouvement ; je n’aime pas la gauche morale, figée dans son catéchisme. Ma génération a assez subi les curés, les cocos, les maos et les trotskistes (par ordre d’apparition à l’histoire). Nous subissons aujourd’hui la triste moraline socialiste. Ce mot de Nietzsche décrit cette glu édifiante qui se croit obligée d’enrober tout discours pour qu’il soit « acceptable » aux adeptes. La réalité toute crue ne saurait passer sans cette sauce – analogue au ketchup pour les ados (qui en mettent partout parce qu’ils craignent le vrai goût des choses).

Soyons donc impertinent et osons moquer les travers de ces « vaches sacrées » qui aiment à prendre trop souvent la position du missionnaire et s’affichent en précieuses ridicules.

La fin d’année 2014 a vu les grandes orgues du socialisme tonner sous les voûtes. La Charte des Socialistes pour le Progrès Humain rappelle les élans romantiques louis-philippards des proto-socialistes étrillés ensuite par Marx en termes « scientifiques » et par Lénine en termes « politiques ». La Charte fait ronfler les grands mots, ceux qui ne veulent rien dire et qui servent de réceptacles bien démagogiques à toutes les aspirations et fantasmes : émancipation, démocratie, égalité « réelle », progrès, justice « sociale », primat du politique, collectif. On voit combien la vraie vie fait voler en éclat ces grands principes, lorsque le droit tombe sous les kalachnikovs et combien l’émancipation promise toujours n’arrive pas à avancer sous la pression du victimisme (les assassins seraient de pauvres victimes de la société, la désintégration scolaire n’aurait rien à voir avec l’immigration, le collectif est forcément plus fort que les communautarismes…).

Le romantisme politique (qui a culminé en 1848) est caractérisé par le sens du spectacle (drame, héroïsme, sacrifice), par la sentimentalité et l’éloquence (appel à l’idéal, Lamartine, Hugo), par une insistance misérabiliste (les pauvres, les opprimés, Gavroche, Cosette, Michelet, Eugène Sue), enfin par l’appel ”religieux” (une vision morale étendue à l’univers, des dénonciations au nom de l’Infini, la mystique pédagogique et le Progrès comme justification). Ces thèmes viennent du catholicisme et le socialisme les a récupérés sous Jaurès, Blum et Mitterrand. Ils continuent à courir sous la surface soi-disant « laïque » des socialistes au pouvoir.

En décembre, Martine Aubry dénonce – contre son propre gouvernement qui voudrait desserrer les carcans sur l’emploi – « la promenade du dimanche au centre commercial et l’accumulation de biens de grande consommation ». Elle moralise brutalement, du haut de son impérium moral-socialiste : « Je me suis toujours engagée pour un dimanche réservé à la vie : vie personnelle, vie collective. » C’est oublier que la « vie collective » exige aussi des gens qui travaillent le dimanche : les conducteurs de train pour ne pas prendre sa voiture non-écologique, les cinoches pour projeter des films « culturels », les musées et leurs gardiens asservis à travailler quand les autres se baladent, les boulangers qui font le pain du matin, les marchés où les « producteurs » viennent présenter leurs récoltes, les policiers pour suivre les délinquants et sécuriser les lieux publics…

La consommation moralement acceptable de Martine Aubry apparaît comme celle des bobos urbains. Les autres, les prolos, campagnards ou banlieusards, en sont réduits à l’achat en ligne sur Internet, le dimanche – puisqu’ils travaillent toute la semaine. L’interdit sur le travail du dimanche a-t-il mis depuis des siècles « la culture au cœur de la vie » ? Il y a mis la messe, oui – la culture, non. Cette Culture aubryste serait-elle la nouvelle messe sociale à laquelle tous sont sommés d’assister ? Mieux ne vaudrait-il pas réformer le mammouth du conservatisme scolaire, ou ne pas faire payer (comme dans le Paris Hidalgo-socialiste) les musées de la Ville aux chômeurs, que d’énoncer ce genre de jugement moralisateur sur les activités des gens ? Ils sont censés en socialisme être libres, « émancipés », « égaux », ils font ce qui leur semble bon : de quoi l’État devrait-il se mêler ? La bonne conscience morale de classe est insupportable, édictée par ceux-là mêmes qui se parent de vertu populaire.

selfie nue

Même chose, le même mois, en plus immature. L’insupportable ado de Troisième, Cécile Duflot, pose avec Virginie Lemoine « pour lutter contre l’homophobie ». Est-ce cet « acte » qui va changer les comportements ? Si oui, on attend d’elle un selfie nue devant un HLM contre le mal-logement. Cela ferait encore plus ado et encore plus progressiste, les seins nus étant la transgression des normes bourgeoises qui fait causer dans le poste – et la posture féministe cette révolte anti-mecs qui fait tant jouir les anémiques intellos de gauche. Il est vrai que le bilan-logement du ministère Duflot n’est pas très flatteur… Détourner l’attention par un coup d’éclat ne rehausse pas le niveau de cette politicienne trop avide de célébrité médiatique pour être honnête.

C’est enfin l’ineffable président, François Hollande, qui lors de son « inauguration » de la Cité de l’immigration, a réduit la République à « l’adhésion à un projet commun ». Sans plus. « Parce que depuis 150 ans, la République n’est pas liée aux origines, c’est l’adhésion à un projet commun. » N’avez-vous qu’à venir et adhérer – comme au parti socialiste – pour devenir « français » ou « européen » ? « Vivre en France, c’est une somme de devoirs et de droits » : c’est un peu court, politicien ! On l’a vu juste un peu plus tard… avec les lamentables Kouachi et Coulibaly, « français » de ressentiment qui haïssaient la république, la civilité, la culture, la liberté… On l’a vu plus largement hors Hexagone après le printemps arabe : sans nation, pas de corps politique ni d’État qui fonctionne, pas de régulation organisée des intérêts particuliers mais une simple association d’ayants droit ou de mafias trafiquantes ou cléricales.

Tocqueville l’a bien montré, que Hollande n’a manifestement jamais lu : plus la démocratie avance, plus l’égoïsme croit et plus la solidarité recule. Plus les droits particuliers se multiplient, plus chacun se replie sur ses acquis, au détriment du collectif. C’est bien « de gauche morale » que de vouloir tout et son contraire, afin d’attraper le maximum de gogos dans les filets ! L’incantation au collectif est contradictoire avec les droits pointilleux des ultraminoritaires, l’élan progressiste commun est contradictoire avec les petits narcissismes qui rendent indifférent. Se sent-on français avec la simple « adhésion » par la carte d’identité ? On « adhère » à quoi ? Au système de copains du Moi-président ?

Moi president Hollande exemplaire

Les « racines » sont certes à critiquer et à renouveler pour les garder vivantes, mais ce n’est pas un projet aussi vague à la sauce hollandaise qui va rendre fier d’être français ! Ni donner envie de participer à la démocratie collective. Ni encourager la solidarité ou l’ouverture à l’autre. Il y a une rare maladresse chez Guimauve le conquérant – comme l’appelait Fabius (…avant d’être ministre).

La leçon socialiste apparaît donc comme un catéchisme : obéissez aux commandements ! Or ni le Bien ni le Mal ne sont fixés pour l’éternité (sauf dans la Bible et le Coran), ils dépendent d’une construction historique – variable selon les sociétés. Si les amours entre adolescents du même sexe sont une éducation chez les Baruyas, cela « ne se fait pas » en Europe et est clairement « haram » dans le monde musulman (même si des accommodements avec la réalité sont clairement avérés). Il n’y a pas que l’écologie ou le salafisme à vouloir être « punitifs », le socialisme moral aussi qui condamne les comportements du peuple (consommer le dimanche autre chose que « la » culture reconnue par les bobos), ou les sentiments envers les comportements minoritaires (on peut accepter que deux lesbiennes vivent ensemble, mais pourquoi remettre en question « le mariage », s’interrogent les gens – pour ma part, cela m’est indifférent mais le choc populaire est une réalité).

Nietzsche l’a exposé largement, « la » morale du temps est toujours la morale des Maîtres, de ceux qui dominent. Martine Aubry, Cécile Duflot, François Hollande, édictent « ce qu’il faut penser » – aussi ridicule ou courte-vue que cela puisse paraître. Car il s’agit dans ces trois faits de nier la réalité (acheter le dimanche, le mariage comme sacralité, les conditions réelles pour se sentir français) au profit d’arguments d’autorité qui abêtissent le citoyen, l’électeur, les gens du peuple.

Et ceux qui les profèrent impunément…

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Martin Amis, Poupées crevées

marin amis poupees crevees

Second roman de l’auteur, paru il y a presque 40 ans, Dead Babies révèle déjà le style inimitable de cet Anglais de la haute, torturé familial et englué dans son époque. So British est cet humour qui pousse à l’absurde des situations éphémères, so British ce sadisme comique qui va rarement jusqu’au bout, sauf à la fin, so British cette méfiance désinvolte d’aristocrate qui prend toute réalité avec les pincettes de son éducation.

Souvenirs de sa propre jeunesse, amplifiés et déformés, observés avec le recul en projetant les dates, l’auteur met en scène dix personnages et un auteur, tel le savant qui examine une colonie de singes dans la même cage. Il situe la scène dix ans plus tard, avec la volonté de présenter un futur probable qui accentue les travers du présent. Il reprendra ce procédé, pas très heureux, dans London Fields. C’est que la frénésie sexuelle décrite dans Poupées crevées reste celle des années 1970, après l’explosion 1968 qui a fait craquer toutes les gaines du vieux monde. Le titre Dead Babies signifie d’ailleurs « vieilles lunes », « tigres en papier » ou « baudruches », ces conventions sociales et jalousies qui ne devraient désormais plus être de mises. Dès 1984, le sida mettra un terme à ces mœurs débridées, prouvant que la réalité n’est pas la fiction et que tout n’est pas possible sans conséquences. Six garçons et quatre filles à peine dans la vingtaine se réunissent un week-end au presbytère d’Appleseed dans la campagne, la résidence secondaire de l’un d’eux. Ils ont pour objectif de « s’éclater » par tous les orifices, ingérant diverses drogues, divers alcools et diverses bites dans toutes les compositions qui leurs viennent à l’esprit.

Quentin est l’Anglais type, grand, blond, musclé, la voix chaude, le charme hypnotique, le maintien aristocratique ; Celia est sa femme, qui l’a draguée et est bien avec lui. Andy est l’ami contrasté de Quentin, brun, vigoureux, presque toujours torse nu, d’une vitalité animale, une sorte de sauvage du temps, jean coupé et moto ; Diana est sa compagne du moment, mais il ne veut pas s’engager. Giles est très riche, un placard entier d’alcools dans sa chambre, mais a de mauvaises dents, comme l’auteur, il est névrosé par sa mère et hésite à franchir le pas de la baise. Keith est un nain obèse et frustré, tellement ridicule qu’il repousse toute sexualité possible, sauf aux déjantés. C’est le rôle des trois Américains invités de servir d’aiguillons. Marvel est docteur et expert en chimie, sa valisette de drogues permet de donner à chacun ce qu’il souhaite – en théorie. Skip est son jeune compagnon, pédé jusqu’au trognon, élevé dans la violence et le viol. Roxeanne est l’Américaine type, vue d’un œil anglais, sorte de pute sans pudeur mais généreusement gratuite, qui accomplit la baise comme une gymnastique professionnelle. « A l’intérieur de son body transparent, ses seins grouillaient et clapotaient » p.240.

Elle est la candide qui dit tout haut que le roi est nu et que « personne, ici, ne sait baiser » – pique de l’auteur à ses compatriotes, qui se croient « libérés » en 1975 alors qu’ils ne font que transgresser les tabous et principes inculqués que pour mieux y retomber. Par exemple : « Pour Diana, le sexe n’était pas une préoccupation charnelle ; c’était un cadran de contrôle, comme dans une machinerie, qui entretenait la considération qu’elle avait d’elle-même, un hommage à son sens de l’élégance, une salve d’applaudissements pour tous ses exercices de gymnastique, un coup de chapeau à son régime, le compliment requis à son coiffeur, le moyen de se mesurer socialement aux autres » p.137. A l’inverse, la sexualité américaine se veut scientifique, loin des tabous sociaux de la vieille Europe (dont le socialisme voudrait faire table rase). Marvell : « Les mômes, là-bas, ils baisent à l’école primaire. Nous, on se croyait malins quand on se faisait dépuceler à douze ans. Là-bas, les mouflets se font des pipes dans leurs parcs » p.236.

ados en chaleur

Mais il n’y a ni page blanche ni an 01 : chacun a sa propre histoire qui l’a façonné, tordu plus ou moins. Le sexe n’est pas libre mais conditionné. Le nain peut-il baiser comme un grand ? Celui qui s’est construit une apparence et s’est vêtu d’une armure d’aristocrate est-il à l’abri d’un retour du refoulé, d’autant plus violent qu’imprévu ? « J’ai toujours pensé que baiser librement était une aubaine pour nous, les vieux, et une calamité pour les jeunes qui en ont eu l’idée les premiers. (…) Notre nature sexuelle était déjà formée, donc la pire des choses pour nous, c’était l’ennui. (…) Mais pour vous (…) les libérés (…) vous n’êtes pas libres du tout » p.303. Le risque est de rester immatures une fois adultes. Quentin : « Quand donc ces enfants élevés dans la promiscuité prendront-ils le temps de grandir ? Quand donc leurs émotions sexuelles auront-elles le temps de se développer ? Quand donc leur nature trouvera-t-elle le temps d’absorber la frustration, le désir, la joie, la surprise… ? » p.236. C’est ce que l’on reconnait aujourd’hui, ce pourquoi la pédophilie (vaguement admise hier) est à proscrire : les jeunes doivent découvrir, sans tabous mais entre eux, ce qui fait le désir et le respect de l’autre ; ce n’est que lorsque la maturation est avancée, 15 ans dit la loi, que des relations presque adultes peuvent naître sans dommage, dans le consentement et l’attention.

Ce ne serait pas drôle selon Martin Amis si tout ne finissait pas mal, et l’auteur pousse le bouchon très loin. Il a le regard féroce sur sa propre société, satirisant ses ridicules et revalorisant les sentiments, cette aversion des Anglais. Car si la raison pure est criminelle (tels ces « conceptualistes » qui font des « gestes » meurtriers pour frapper les spectateurs), les instincts bruts aussi (la baise à outrance depuis tout jeune lasse très vite et rend impuissant) : seules les émotions donnent couleur à l’existence et aux relations humaines. La scène révélatrice est celle où un baiseur frénétique depuis « à peine l’âge de 13 ans » (Andy) bande le plus fort est lors d’une vidéo érotique où les caresses habillées n’ont aucune conclusion – ni nu, ni baise.

Rien de ce qui avait été promis ne se passe comme prévu, ni l’effet des drogues concoctées pour chacun, ni le spectacle underground à la ville voisine, ni les vidéos importées des États-Unis mettant en scène diverses combinaisons dont un goret enfilant une fille ou un gamin copulant avec des singes, ni la baise absolue rêvée par Andy et Roxeanne… Un curieux tricker, Johnny, s’invite parmi les dix et nul ne sait qui il est. Il écrit des lettres enflammées, instille la haine entre eux, donne des envies de suicide. Qui est Johnny ? Comme dans les Dix petits nègres de tante Agatha, nul ne sait mais tous sont touchés à mesure.

Le lecteur ne s’ennuie pas à la lecture du livre. Il replonge dans l’ambiance génésique des années 1970 qui a pris aujourd’hui une teinte bistre, comme si elle datait de l’autre siècle et de la génération d’avant. Les drogues ne sont plus aussi tétées dans un souci de se fondre dans un grand tout, le sexe s’est apaisé, plus fluide, les jeunes passant d’un partenaire à l’autre en diverses « expériences », pour connaître les êtres plus que pour s’anéantir en « petites morts ». L’exemple de l’acteur Ezra Miller montre combien ces nouvelles sexualités expérimentées dans les années 1970 sont entrées dans les mœurs, mais sans l’excès des premiers temps.

Martin Amis, Poupées crevées (Dead Babies), 1975, Folio 2006, 395 pages, €7.51
Les romans de Martin Amis chroniqués sur ce blog

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Risques sur l’avenir

Pour Alain Ternier

Rien n’est solide, même si certains politiciens français se montrent porteurs de vérité révélée, au-dessus de tous et d’une suffisance agaçante. Prévoir l’avenir n’est pas aisé, mais aucune catastrophe annoncée n’est en vue.

En France, la croissance est faible

Il n’y a aucune raison que revienne une croissance forte. Nous avons une machinerie économico-politique trop lourde, des habitudes acquises trop ancrées, une absence quasi complète de flexibilité, des tabous ingérables. Puisque François Hollande et son gouvernement ont insulté stupidement « les riches », les fortunes vont en Suisse, en Belgique et même en Russie, ceux qui sont à l’aise sans être vraiment riches travaillent moins (professions libérales, chômeurs intermittents lassés de devoir payer cotisations sociales et CSG au même taux que s’ils travaillaient à plein temps), les jeunes qui pourraient devenir riches partent créer des entreprises ailleurs dans le monde, même les grandes entreprises commencent à petit bruit à « décentraliser » leur trésorerie, leur trading ou leur gestion.

L’organisation de Bercy fait que les impôts rentrent, illusion que tout va bien ; la perte des forces vives ne se voit qu’avec le temps, surtout lorsque les beaux parleurs se montrent incapables de rationaliser l’administration. Savez-vous qu’il existe encore deux « louvetiers » en Bretagne ? Fonctionnaires dont on se demande ce qu’ils font, vu que le dernier loup a été tué il y a un siècle…

tortue gaston lagaffe

Une implosion générale du système européen ?

Je n’y crois pas, toutes les crises Europe ou euro ont été gérées, avec retard et piaillements, mais cela s’est fait. Rançon de la démocratie, le débat à 27 et plus prend du temps et exige des compromis. Les différences entre pays ne sont pas plus grandes, elles ont toujours été là ; elles étaient seulement masquées par le désir d’entrer dans l’Europe. Malgré les tiraillements démagogiques, nul n’a intérêt à sortir de l’Union dans un monde globalisé ; ce sont des concessions au populisme ambiant de politiciens sans idées, ou une illusion d’ex-grand empire. Le Royaume-Uni par exemple croit pouvoir se sauver tout seul (mais peut-être sans l’Écosse et même le Pays de galles, désormais autonomes) ou avec un « allié privilégié » – les États-Unis – qui s’en moque, plus tourné vers l’Asie immense et émergente que vers une Europe vieillissante et en déclin.

La Grande inflation mondiale ?

Dans le monde, on assiste à une déflation des actifs plus qu’à une hausse générale des prix. Même les dettes d’États ne valent parfois plus leur nominal. Les actifs réels dégonflent quand la demande pour recycler les injections continues de liquidités de la part des banques centrales n’est plus là. D’ailleurs la bourse baisse, comme l’immobilier, depuis que Ben Bernanke a annoncé la fin de la partie. Ces injections ne préparaient pas la Grande inflation, elles permettaient tout juste d’éteindre les « dettes » dues aux spéculations des subprimes et autres constructions toxiques, et au système financier de ne pas s’être grippé dans des faillites en chaîne comme cela a failli être le cas fin 2008.

Mais l’économie réelle ne connait pas de dérapage car existe une « armée de réserve » de travailleurs pauvres dans un monde globalisé en Chine, en Inde, au Brésil, au Nigeria et même chez nous, prêts à s’investir pour améliorer leur condition (ce pourquoi les petits boulots en Allemagne ont eu autant de succès contre le chômage). Il existe une certaine inflation des actifs par des bulles sectorielles dues aux modes ou aux raretés, mais pas d’inflation générale due à une offre de biens inférieure à la demande. Qu’un immeuble au centre de Paris ne vaille plus que 7 millions d’euros plutôt que 10 millions, ce n’est pas cela qui va changer l’économie. Il n’y a pas perte réelle pour celui qui l’habite : il y a une moindre de valorisation de ses actifs (et moins d’ISF qui rentre dans les caisses de l’État), mais l’immeuble comme actif réel subsiste sans changement.

L’inflation se produit fondamentalement lorsque la demande dépasse l’offre possible. Or, de moins en moins de gens se trouvent prêts à augmenter la demande globale dans les pays développés : ils sont coincés par la stagnation des salaires, le chômage, les pensions réduites, les coûts obligatoires qui augmentent (assurances, énergie, impôts), la démagogie gouvernementale et la crainte de l’avenir. Quant aux pays émergents, ils ne font que satisfaire les besoins de consommation de leur propre population, livrant le surplus des biens courants à bas prix aux pays développés. Les bulles artificielles d’aujourd’hui sont transitoires et à mon avis pas inquiétantes.

Sur les matières premières et les denrées alimentaires, il y a sans conteste à long terme des  ajustements à faire, mais ils sont prévisibles et annoncés à grands sons de trompes apocalyptiques par les écologistes. Or une « apocalypse » ne peut survenir si tout le monde s’y prépare… Donc le long terme réglera les questions à mesure qu’elles se posent. Selon le rapport du Club de Rome en 1972, il y a des années que nous devrions être à sec de pétrole et en guerre ouverte pour d’autres matières vitales – et, chacun le constate, il n’en est rien… A court terme existent des tensions dans la répartition, mais elles sont conjoncturelles et se résorbent avec le système d’échanges mondiaux qui fonctionne plutôt bien (on l’a vu avec l’éthanol – invention écolo – qui a fait déraper à la hausse certains produits alimentaires – on est revenu dessus).

Et puis l’on trouve de nouveaux gisements (qui exploitait les gaz de schiste, pourtant connus il y a dix ans ?), on récupère, on adapte son alimentation. Les habitudes des générations changent dans le temps : les pays développés mangent moins de viande, plus de fruits et légumes produits localement, des poissons que l’on en élève en plus grand nombre (que l’on se souvienne du saumon, produit de luxe des années Mitterrand, fort démocratisé depuis). Même si le budget alimentation doit augmenter, il reste faible dans le budget global des ménages. C’est plutôt le budget énergie qui pèse, mais il s’agit d’une politique délibérée de l’État, pour motifs idéologiques : forcer écologiquement à consommer moins. Alors que c’est tout le monopole centralisé d’EDF qu’il faudrait remettre en cause…

Des guerres demeurent possibles

Surtout en Asie, avec la Chine pour protagoniste : moins une agressivité chinoise (qui préfère le développement économique) qu’une réaction nationaliste à des provocations sur des îles de la mer de Chine, dont les zones économiques exclusives sont remplies de matières premières à exploiter. Un dérapage de dirigeant maniaque, comme le « marxiste populaire » de la Corée du nord, reste toujours une possibilité. Il est certain qu’un « hiver nucléaire » en Asie du sud-est serait dommageable aussi bien aux populations qu’aux échanges mondiaux.

Mais on ne voit guère de risque majeur ailleurs. Les pays arabes contiennent leur agressivité en guerres civiles à motifs tribaux et religieux (même si la guerre en Syrie est susceptible de durer des années) car Israël est au cœur du Moyen-Orient et tous savent que les États-Unis interviendraient si les Juifs sont menacés. Et Assad comme l’Iran qui le soutient se sont déconsidérés gravement en usant d’armes chimiques contre des populations civiles.

Soyons donc modestes sur les prévisions

Chacun essaye d’être volontariste, mais il ne s’aperçoit qu’après coup s’il a agi dans le bon ou le mauvais sens (par exemple en Libye, qui a entraîné le Mali, qui a entraîné les enlèvements au Niger). Les tendances longues sont peu visibles mais ce sont elles qui commandent les transformations du siècle : la démographie, le changement climatique, les découvertes scientifiques, les progrès médicaux, la mondialisation des communications…

Reste ce qui ne peut être prévu : c’est là que l’incertitude demeure – mais le fait même de vivre est une aventure de tous les instants.

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Hollande aura-t-il raison sur le chômage ?

Inverser la courbe du chômage « d’ici la fin de l’année » (voire, dans ses derniers propos, en février ou mars 2014) est-ce réaliste ? Ah, mais « c’est la différence entre la prévision et la volonté », a ajouté le président. C’est confondre volonté et discours. Avoir la volonté de faire le maximum contre le chômage est une bonne chose ; affirmer que c’est fait, que la réussite est prévisible à horizon de 6 à 8 mois en est une autre. Ce n’est pas en disant les choses qu’on les règle. Cette communication « performative » a été suffisamment reprochée à Nicolas Sarkozy par la gauche ! A moins d’embaucher de quasi-fonctionnaires sans le dire, des « emplois aidés » invendables sur le marché du travail et qui revendiqueront dans quelques années « le droit » d’être régularisés dans la fonction publique ? Le problème Hollande est qu’il attend la croissance – et que ladite croissance ne reviendra pas au rythme nécessaire à la dépense publique traditionnelle…

La mondialisation et l’Internet sont passés par là :

Les frontières ne sont plus fermées, ni les citoyens dans l’entre-soi : nous avons signé plusieurs traités successifs d’Union européenne, nous sommes intégrés dans l’Organisation mondiale du commerce, partenaires du G8 et du FMI. Oui, la mondialisation n’est pas que pour les autres, les échanges de marchandises ne sont pas les seuls, mais aussi les échanges culturels, étudiants, touristiques. Nous savons désormais grâce à Internet et aux réseaux sociaux instantanés que certains voisins vivent mieux que nous avec un chômage plus bas, un État moins gros, une ponction moindre sur les salaires, des impôts moins lourds et des services publics souvent meilleurs (l’éducation, la justice, l’emploi). Il nous faut reconnaître que sur le chômage comme sur d’autres points, l’État-nation n’est plus capable, l’État-providence n’a plus les moyens, et que dire « je veux donc c’est fait » devient ridicule.

cout du travail compare europe 2013

L’impératif est de créer de la valeur non en fermant ses frontières ou en maintenant des activités à faible valeur ajoutée mais en occupant une place stratégique pour obtenir la plus forte valeur ajoutée. Ce qui exige une adaptation permanente et une culture du compromis qui manque en France – à l’inverse de la social-démocratie allemande, scandinave, suisse ou anglaise.

cout du travail compare europe 2013 tableau

La démagogie du tout-politique :

La France souffre de l’héritage politique de la Révolution qui garde une méfiance profonde envers tout intermédiaire entre l’État et le peuple. Or le compromis entre le travail et capital est aujourd’hui plus difficile en raison de l’avènement d’une économie ouverte et d’une mobilité du capital qui donne un pouvoir de négociation face aux salariés plus fort, surtout lorsqu’ils sont peu qualifiés.

preference francaise pour le chomage denis olivennes le debat novembre 1994

Denis Olivennes en 1994 (il y a presque 20 ans !) dénonçait déjà La préférence française pour le chômage dans une note de la Fondation Saint-Simon reprise en article dans la revue Le Débat n°82. « Avant d’être un problème, le chômage est une solution. Comme l’inflation hier, il a permis, au cours des dernières décennies, de contourner les questions aussi importantes que celle du partage optimal entre revenu et emploi qui, prise frontalement, menaçait de révolter le corps central de la société : les actifs occupés ». Les gouvernements de droite comme de gauche ont donc choisi la facilité électoraliste : salaires élevés via le SMIC, pour des cotisations sociales élevées qui permettent de redistribuer et d’assister les chômeurs. Ce consensus politico-syndical devient aujourd’hui plus fragile car la crise ne permet plus d’augmenter beaucoup les salaires, tandis que les prestations mal contrôlées se dispersent et que le Budget de l’État est en grave déficit.

Comme le notait déjà Olivennes : « En réalité, la croissance de nos salaires réels est moins imputable à la rémunération directe des salariés qu’à l’augmentation continue des charges sociales incorporées dans le coût du travail ». De fait, quand le patron paye 1000 en Suisse et en France, le salarié suisse touche 65% nets sur sa fiche de paie tandis que le salarié français ne touche que 48% nets. Sans compter les impôts et la TVA… En 1981, les prestations sociales représentaient en France 25%, mais 31,3% en 2009. Elles ont augmenté plus vite que le PIB, surtout les années de hausse du chômage : c’est donc bien une reprise de la croissance qui allègera les charges. Encore faut-il s’en donner les moyens.

emploi et valeur ajoutee 1980 2011

Compétitivité :

Le rapport présenté à la Conférence nationale de l’industrie en février 2012 (dit rapport Gallois) sur Les déterminants de la compétitivité de l’industrie française estime que « si les salaires horaires dans l’industrie sont actuellement équivalents en France et en Allemagne, ils ont progressé beaucoup moins vite outre-Rhin ces dernières années. Le niveau de charges sociales par rapport au salaire est en France supérieur de plus de quinze points à celui constaté en Allemagne ». « En outre, la part patronale des cotisations est plus forte en France : 2/3 des cotisations, contre 1/2 en Allemagne ». Il préconise de « décharger d’abord le travail dans l’entreprise du poids du financement d’une partie des prestations sociales, notamment celles de solidarité. » Pour Christian de Boissieu, professeur d’économie  à Paris I et membre du collège de l’Autorité des marchés financiers, « la perte de la compétitivité-prix de la France par rapport à celle de l’Allemagne au cours des années 2000 s’explique à la fois par l’évolution des coûts salariaux par celle des gains de productivité ».

Productivité du travail :

La France est bien classée en termes de productivité du travail (parce que les jeunes et les seniors sont exclus majoritairement de l’emploi), mais pas en gains de productivité (la robotisation est faible dans l’industrie, l’informatisation a été tardive dans les services et le travail reste trop hiérarchisé). Dans les pays où l’on travaille plus, le marché du travail accueille des personnes dont la productivité est plus faible. Les États-Unis ont une productivité comparable à celle de la France mais, en situation économique normale, même les personnes dont la productivité est faible occupent un emploi – pas en France !

En Italie, Espagne, Royaume-Uni ou l’Allemagne, quand le chômage augmente la croissance des salaires ralentit rapidement – alors qu’on observe le contraire en France. Le salaire ne réagit ni à la compétitivité, ni à la profitabilité, ni au chômage. Deux raisons : 1/ l’évolution du SMIC ne suit pas la conjoncture mais les prix ; 2/ Les syndicats ne représentent que les seuls salariés qui ont un travail dans l’entreprise – et non les chômeurs ; ils sont de plus majoritairement composés salariés de la fonction publique, non concernée par le chômage. Pour les Allemands, l’emploi et le pouvoir d’achat dépendent de la santé, de la pérennité de l’entreprise et de sa compétitivité – pas en France où la surenchère idéologique attise un climat de guerre civile entre « patrons » et « prolétaires ». Les syndicats de travailleurs allemands, majoritairement du privé, sont bien meilleurs critique de la réalité et donc mieux aptes à négocier.

interactions competitivite productivite marche du travail

Effet des 35 heures :

Le SMIC français a notamment progressé sous l’effet des 35 heures. Il s’est agi d’un choc de compétitivité négatif : les salariés travaillent moins, avec un mécanisme de compensation financé par le budget de l’État mais supporté à la fin par les entreprises. La France est donc l’un des pays de l’OCDE où le prix du travail dès le salaire minimum est le plus élevé (environ 80 % de plus que la moyenne). Dans un Rapport d’information de l’assemblée nationale le 27 mars 2013 rédigé par la mission d’information sur les coûts de production en France et présenté par Daniel Goldberg, Pierre Cahuc et Stéphane Carcillo soulignent que « la France a fait le choix d’un salaire minimum élevé progressant plus vite que les gains de productivité. Ce choix est en partie le résultat d’une protection sociale qui fait assumer à la politique salariale une partie du rôle normalement dévolu à la politique de redistribution. » Cette politique a désormais un coût d’environ un point de PIB chaque année.

Les récurrentes questions d’évitement :

La politique européenne de réduction des déficits publics dite « d’austérité » n’est pas le déterminant principal du chômage : même dans les années fastes, la France a toujours gardé un niveau de chômage plus élevé que ses voisins. En 1995 déjà, Denis Olivennes dans un autre article du Débat (n°85) renvoyait à leur ineptie théorique les critiques qui incriminaient la faute des autres : à l’époque les taux d’intérêt trop élevés qui restreignent le crédit, l’arrimage du franc au deutsche mark donc la force de la monnaie. « Aurait-on si vite oublié les piètres résultats de l’autre politique en économie ouverte et changes flexibles ? En 1980, le taux de chômage en France était de 6.3%. Quatre ans et quelques dévaluations plus tard, il était de 9.7%. » Mais la démagogie répète inlassablement les mêmes arguments, reprenant inlassablement les mêmes boucs émissaires, refusant inlassablement d’examiner ce qu’elle considère comme tabou. D’où leurs yakas : taxer les actionnaires, forcer les entreprises à financer la retraite à 60 ans.

Or en France la distribution des dividendes partait de très bas, puisqu’elle représentait deux points de valeur ajoutée lors du premier choc pétrolier ; malgré la progression de la rémunération des actionnaires, elle reste cependant près de 10 points inférieure à ce qu’elle est en Allemagne. Le rapport entre les montants distribués et les fonds propres des entreprises n’a pas beaucoup évolué. Ce n’est donc PAS la politique envers les actionnaires qui pénalise l’investissement – mais l’absence de débouchés en France et en Europe qui empêchent d’y investir.

Les Français vivant longtemps mais partant plus tôt à la retraite, la France est l’un des pays qui finance le PLUS grand nombre d’années à partir de l’âge de la retraite, ce qui fait peser un poids très important sur la collectivité. D’où la nécessité d’avoir plus de personnes en emploi.

La fausse bonne idée, les emplois aidés d’État :

Barbare Sianesi, cité par Pierre Cahuc & André Zylberberg, Le chômage fatalité ou nécessité ? a étudié le modèle suédois et, parmi les mesures tentées, les créations d’emplois non permanents dans le secteur public. Elle « trouve que, comparée à la moyenne des parcours des simples chômeurs n’ayant participé à aucun programme, les chances de retour vers un emploi « régulier » (un emploi non aidé) sont sensiblement plus faibles, tout au long des 5 années de suivi, pour les personnes ayant bénéficié d’un emploi temporaire dans le secteur public » p.181. Ces emplois n’augmentent pas les capacités de ceux qui les suivent et envoient un mauvais signal aux employeurs.

Mieux vaut subventionner directement l’emploi privé, ce que l’étude montre être la mesure la plus efficace dans la pratique. « La législation actuelle (française) protège les emplois des salariés dotés d’une certaine ancienneté, mais pousse les entreprises à utiliser abondamment les contrats à durée limitée. Elle accentue ainsi la segmentation du marché du travail entre, d’une part des salariés protégés ayant accès à des emplois stables et, d’autre part, des salariés contraints d’accepter des contrats à durée limitée et des chômeurs ayant, en moyenne, peu de chances de retrouver du travail rapidement » p.139.

C’est malheureusement ce qu’envisage Hollande avec les quelques 540 000 emplois « aidés », emplois jeunes, contrats de génération et sortie des statistiques de 30 000 chômeurs envoyés en formation. Toujours les vieilles ornières du clientélisme d’État à fins électoralistes, plutôt que de redonner de l’initiative aux partenaires salariés et créateurs d’entreprise en allégeant la ponction fiscale et sociale…

Les mesures testées ailleurs :

Exonérer de charges les bas salaires – donc transférer le financement de ces charges sur d’autres prélèvements fiscaux (TVA, CSG…). C’est tout juste entrepris, mais sans certitude que le surplus n’entre pas dans le Budget général.

Revoir la logique aveugle de redistribution égalitaire – mais inéquitable – de l’État-providence. C’est ce que tente Hollande en touchant aux allocations familiales et à la formation professionnelle.

Organiser une véritable cogestion de la négociation salariale à partir des gains de productivité attendus. C’est que qui s’est fait chez Renault et qui se tente chez Peugeot ou Michelin – malgré les syndicats les plus rigides. Quant à la SNCM, déjà pas rentable quand le problème s’est posé, la situation ne s’est pas améliorée et les syndicats ne veulent rien savoir.

Réviser la durée du travail dans une vie qui s’allonge, donc cotiser plus longtemps avant de toucher des prestations, plutôt que de rogner sur les retraites versées. La conférence sociale le dira.

Côté puissance publique, son rôle n’est plus de prescrire mais d’intégrer. L’emploi est partie d’une politique globale : industrielle, fiscale, éducative, internationale. Il faut donc :

  • favoriser l’investissement (et cesser d’insulter les étrangers qui veulent acheter des entreprises françaises ou les actionnaires qui mettent leur épargne),
  • négocier les délocalisations (et cesser d’insulter Peugeot qui a conservé pour son malheur plus d’emplois en France que Renault),
  • organiser des filières d’innovation (et ne pas refuser a priori la vente de Dailymotion par une France télécom qui n’en a jusqu’ici rien à faire),
  • aider les PME qui font plus de la moitié de l’emploi industriel (sans les décourager par des taxes tout de suite et un crédit d’impôt plus tard, illisible et trop complexe),
  • aider l’innovation et les créateurs d’entreprise (au lieu de taxer la revente au taux confiscatoire),
  • favoriser l’auto-entreprise puisque Pôle emploi ne peut rien (et ne pas s’empresser de restreindre et taxer ce qui commençait tout juste à marcher).

Il y a, chez François Hollande, ce mixte de socialisme du possible (mais sans les syndicats adéquats ni les partis alliés favorables) et de pensée magique (comparable au storytelling Sarkozy) qui mécontente à la fois la droite et la gauche, tout en prenant trop de temps sur le temps. De quoi avancer, mais trop peu et trop tard, sans projet clair, tout en louvoiements tactiques politiciens.

2013 previsions chomage insee

Aura-t-il raison sur le chômage ? C’est peu probable. S’il a raison, il n’aura rien réglé sur le fond, seulement reculé l’échéance par de la dépense publique en croissance durablement faible ; s’il a tort, il se déconsidérera un peu plus. De quoi jouer perdant-perdant.

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Pierre Drieu La Rochelle, Rêveuse bourgeoisie

Après État civil, récit d’enfance, voici le roman familial, entrepris juste après la mort de son père. Drieu y romance la déchéance bourgeoise et catholique de ses parents et grands-parents. C’est une psychanalyse salutaire à propos de son père, qu’il aurait bien voulu aimer mais qui l’a rejeté avec indifférence et auquel il ressemble, et une vengeance envers sa mère, coincée entre l’appétit du sexe et les préjugés de son milieu. Ne vous moquez pas, rien n’est pire pour l’estime de soi qu’avoir été mal aimé enfant. Vous, aimez-vous assez vos petits pour leur éviter plus tard la drogue ou l’extrémisme dû à la mésestime ?

Pierre Drieu La Rochelle Reveuse bourgeoisie

Le ton du roman est proche de Balzac au début, de Zola à la fin. Mais le roman est trop long, la cinquième partie inutile, redondante. Elle fait redescendre le lecteur porté au paroxysme par la rupture de l’auteur et son double avec sa famille maudite ; elle se traîne en longueur, les dernières pages particulièrement bavardes. L’impression reste d’un souffle mal maîtrisé, d’un manque de cohérence d’ensemble. Drieu n’avait pas l’esprit architecte de son grand-père.

Comme Zola, Drieu voit dans l’hérédité la cause de ses malheurs. Un père faible, une mère sensuelle – aucune éducation ne pouvait forcer ces deux là à s’élever. Le père n’a jamais pu arriver en affaires, plein d’imagination mais calant sur toute réalisation concrète (l’inverse de son beau-père, architecte). Il vivait de luxure tout en renvoyant à demain les éternels problèmes d’argent. « Que vaut l’intelligence sans le caractère » ? p.691. La mère n’a jamais pu se défaire du sexe, qu’elle n’avait connu qu’avec son mari, prise jeune et « ravie » jusqu’à la fin. Elle n’a pas divorcé, n’a pas protégé ses enfants, n’a pas refait sa vie ailleurs, « lâche devant son désir, comme lui » p.762 et « victime de son éducation » p.693. Mais le milieu débilitant des villes n’arrange rien : « La mauvaise hygiène, cette longue retraite confinée au fond des appartements qui au siècle dernier a privé à un point incroyable presque toutes les classes de la lumière et de l’air les avaient rapidement réduits ; mais la lésine morale avait fait plus encore » p.686.

Comme Balzac, Drieu voit le Préjugé catholique et petit-bourgeois engoncer les gens dans la routine du malheur en ces années 1890-1914 dite « la Belle époque ». On ne dira jamais assez combien l’Église – comme toutes les croyances rigides – a tordu les âmes en les corsetant de tabous. Le curé maquignon plaçait les filles comme les chevaux, en mentant sur leurs dents. Le mariage était affaire d’argent, de dot et d’espérances, pas d’amour – il viendrait avec le sexe, peut-être, sinon tant pis, la vertu et la piété en tiendront lieu. D’où cet humour balzacien de l’auteur : avant les fiançailles, les deux familles se testent « pourtant, vers le milieu du repas, tout s’éclaircit d’un coup. Camille désira Agnès. Cela arriva entre le gigot aux flageolets et le foie gras avec salade » p.585. Chaque famille tente de renforcer sa position en s’alliant un peu plus haut. Divorcer, cela « ne se fait pas », et tout est dit. Mieux vaut la faillite que la séparation, il faut tenir son « rang social ». Ce pourquoi Drieu vomira toute sa vie cette inversion bourgeoise des choses : faire passer son intérêt avant ses besoins. « Les petites gens s’effraient de voir sortir les leurs de la régularité médiocre, temple de l’honnêteté dont ils se sentent dépositaires dans la société » p.639.

petits blonds

Drieu se réinvente en Yves, petit garçon mince et pâle, éperdu de sensiblerie et d’admiration pour Napoléon, mais au final lâche et faible comme son père, tenu par la luxure comme sa mère. Il souffre de n’être pas aimé : « Entendant son père l’interpeller, Yves avait attaché les yeux sur lui encore plus vivement qu’auparavant, avec soudain une gratitude éperdue. Alors qu’il croyait qu’enfin son père allait s’occuper de lui, il fut déçu comme à son entrée » p.595. On a de la peine pour le gamin. Autoportrait à vingt ans : « Il était long, mince, flexible au point de paraître fragile » p.735. Mais il enjolive par l’amour qu’il avait pour une fille de la haute son échec à Science Po, et se glorifie au final d’être tué à la guerre. Il se crée aussi une sœur, Geneviève, de deux ans plus jeune que lui, qui l’aime et l’admire, dédoublement narcissique du moi, et peut-être penchants homosexuels allant jusqu’à séduire par elle son meilleur ami. Mais il ne peut s’empêcher de se vautrer avec délices dans le mépris de soi. Suicidaire perpétuel, Drieu… qui cherchera le salut dans le fascisme, cette grande fraternité raciale qui voue un culte à la force – tout ce dont il a manqué dans sa famille.

Des rêveurs petit-bourgeois, pas des hommes d’action – que lui rêve d’être.

Pierre Drieu La Rochelle, Rêveuse bourgeoisie, 1937, Gallimard l’Imaginaire 1995, 364 pages, €8.60

Pierre Drieu La Rochelle, Romans-récits-nouvelles, édition sous la direction de Jean-François Louette, Gallimard Pléiade 2012, 1834 pages, €68.87

Le numéros de pages des citations font référence à l’édition de la Pléiade.

Tous les romans de Drieu La Rochelle chroniqués sur ce blog

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Gai, gai, marions nous !

Les débats s’endorment à l’Assemblée, où l’absentéisme est toujours abyssal en raison du cumul des mandats. En raison de la rafale d’amendements de l’opposition aussi, mais c’est de bonne guerre, la gauche a tellement utilisé cette tactique depuis des années… Droite assez stupide d’ailleurs, qui se contente de bloquer toute évolution sans proposer aucun argument de raison autre que l’inceste et la polygamie (déjà légaux puisque les enfants nés ainsi à l’étranger peuvent rejoindre leurs parents établis en France : y a-t-on pensé ?…). Et les Français en ont déjà marre, têtes de linotte pour qui un « débat » doit se trancher très vite, habitude héritée du droit divin catholique et de la présidence impériale Vème République.

Il ne leur vient pas à l’idée que « la démocratie », dont ils ont d’habitude plein la bouche, exige le débat contradictoire, et jusqu’à ce que tous les arguments soient sur la place publique ? Mais il est vrai que les Français et la démocratie, ça fait deux. Entre une existence sociale éduquée à l’individualisme matheux, au fonctionnement pyramidal des entreprises et au système politique où règne le culte du Chef et où le Parlement est croupion, comment penser une seule seconde qu’une « démocratie » puisse sereinement exister ? Blanc seing est donc donné aux partis et aux zassociations (qui ne représentent qu’elles-mêmes), voire aux « experts » soigneusement sélectionnés par le bord politique au pouvoir, de « dire le droit ». Les citoyens se contentent de brailler dans la rue et sur le net, et leurs députés de faire les pitres, sans aucun intérêt pour le débat ni pour la démocratie. Les Anglais, au même moment et sur le même sujet, sont bien plus cohérents !

couple pigeons

Je n’ai aucun a priori sur l’union de deux êtres, fussent-ils de même sexe, à condition qu’ils soient adultes et consentants. Mais la société a quelque chose à dire sur la transmission : du nom, des biens, des devoirs. Il s’agit d’ordre public. L’origine du mot « marier » est intéressante : il s’agit de pure biologie, « unir des arbres à la vigne ». Autrement dit greffer une branche venue d’ailleurs sur une souche. Marier une fille est le sens dérivé d’associer deux familles par une union sexuelle, dans le but de produire des enfants et d’assurer la transmission de l’héritage (nom, réputation, biens, métier…). Le sens plus moderne (déjà au XVIIème siècle…) étend le concept jusqu’à « allier avec une idée d’harmonie », selon le Robert historique de la langue française.

Le mot « mariage » est né en français en 1135 comme une action de s’unir d’abord (constatation), puis comme un sacrement de l’église catholique, au moment où le mariage des prêtres devenait interdit par la réforme grégorienne. L’église protégeait d’ailleurs l’amour contre les intérêts, puisqu’elle demandait à égalité le consentement public de chacun des époux, mâle et femelle, et ne sacrait pas un mariage trop précoce. Ce n’est qu’avec Napoléon, après la Révolution, qu’apparaît la notion de « mariage civil », contrat bourgeois (et traditionnel) qui laisse le sacrement aux croyances de chacun. Nous vivons jusqu’ici sous ce régime résolument moderne, à l’exception du divorce et de l’égalité entre époux, conquêtes récentes du XXème siècle. Puisque le mariage en droit est un « contrat » entre égaux de répartition des biens (communauté réduite aux acquêts, communauté universelle ou séparation de biens), pourquoi ne pas en faire bénéficier tous ceux qui veulent s’allier ?

Mais le sexe vient par-dessus, ce qui agite les tabous profonds et met en question les religions du Livre, immobiles depuis 4000 ans (avec nouveau prophète tous les 1000 ans, Moïse, Jésus, Mahomet, Moroni)… L’évolution des mœurs fait que le sexe entre adultes consentants est désormais légal (c’est assez récent), mais il reste contesté par les églises, qui croient en une Révélation figée une fois pour toute. Le patriarcat méditerranéen, berceaux des trois religions du Livre, a soumis depuis des millénaires les femmes aux hommes ; les autoriser à se « marier » entre elles, c’est enfreindre le tabou ; quant aux hommes entre eux, c’est perdre de la semence vouée au « croissez et multipliez » et pervertir les « honnêtes gens » en les focalisant sur le plaisir sexuel au détriment du Salut. Même si le Christ a valorisé nombre de femmes, à commencer par Marie sa mère, mais aussi Marie-Madeleine « la pécheresse » (autrement dit la pute), saint Paul (comme le judaïsme intégriste et plus tard l’islam) a rigoureusement séparé les hommes (appelés à la spiritualité) des femmes (impures et tentatrices). Il n’y a donc que des tabous ou croyances à faire valoir contre le mariage entre personnes du même sexe, aucun argument rationnel.

Je ne peux cependant que m’étonner de voir le contrat bourgeois supplanter l’amour… Les soixantuitards qui avaient jeté slips et soutifs aux orties pour « s’unir » à hue et à dia sur le mode libertaire ont aujourd’hui 60 ans. Ils s’embourgeoisent, se voient atteints par le sida, la solitude, l’absence d’héritiers. Ils désirent alors (tout, tout de suite !) se marier comme les bourgeois, pour bénéficier du confort familial. C’est cela qui me fait douter du bien-fondé des arguments « pour ». Il s’agit d’instincts, pas de raison. Du vulgaire désir irrépressible d’État-providence au civil contre la vieillesse et la dépendance qui viennent, pas de grands principes. Déjà, nombre de ceux qui avaient fui « le système » pour aller vivre nus en Inde où la drogue était libre, étaient vite revenus, une fois la trentaine usée, s’enkyster dans la fonction publique. Combien en ai-je connu de ces soixantuitards-là (instit, profs, facteurs, cantonniers…) !

Reste l’intérêt des enfants : savoir de qui ils sont issus, de qui ils portent le (ou les) noms, qui est leur père et qui est leur mère (au sens biologique), qui va s’occuper d’eux en cas de disparition d’un « parent ». L’angoisse profonde de tous les gosses est d’être abandonnés. La littérature XIXème en a fourni de nombreux exemples (Cosette, Oliver Twist, Rémi de Sans famille, Un capitaine de 15 ans, Romain Kalbris, etc.). Mais peu importe qui s’occupe d’eux, l’important à leur yeux est que quelqu’un les aime, les protège et les élève. Une seule femme ou deux, un seul homme ou deux, un homme et une femme, pourquoi pas trois ou quatre avec les oncles/tantes, les grands-parents et les parrains. Ou même par les fratries (une sœur aînée ou un frère aîné jouant le rôle d’adulte pour les plus jeune). C’était le cas au Moyen-âge où l’on mourait jeune, c’est le cas aujourd’hui avec les divorces, des accidents, les familles décomposées. Même s’il est meilleur qu’un enfant soit élevé par ses deux géniteurs (parce que l’amour est plus « charnel ») il peut être aussi bien élevé par une, deux ou plusieurs personnes (aux rôles sociaux définis) sans que sa construction psychologique n’en souffre. Depuis le temps que le divorce et le veuvage existent, ça se saurait ! Il trouvera ses modèles masculin/féminin autour de lui, s’il est aimé et reconnu comme une personne par au moins un adulte sur lequel il peut compter.

Le mariage est un marchandage entre familles (et entre individus) pour les biens à user et à transmettre – plus aujourd’hui, avec le fisc. L’union est un sentiment durable entre deux êtres, que l’on peut sanctionner ou pas par un sacrement religieux, social ou païen. Je n’ai aucune opinion ni pour ni contre sur ce « droit » de proclamer son union sexuelle à la face de toute la collectivité. Mais avilir l’être en avoir m’étonne de ceux qui se proclament dans le fil des Lumières… Mieux vaudrait aménager la fiscalité (tabou à gauche !) et argumenter contre les religions homophobes en cessant de se coucher devant toute revendication communautariste comme le font si souvent les bobos.

Il y a aussi l’amour, même entre personne du même sexe. N’ayant pas cette expérience, je laisse la parole à un financier gai, Français de New York qui se fait appeler Hadrianus en référence à Yourcenar, découvert par hasard. « L’impossibilité pour certains de vivre l’amour qu’ils ressentent au plus profond de leur cœur, de toute leur âme, parce que la société, leur éducation, les autres, leur apparaissent comme autant d’obstacles qui empêchent la révélation au grand jour de leur amour. Une belle illustration au débat de société qui occupe la France en ce moment. Ici aussi on chuchote et on bouge. L’amendement californien qui revient sur les acquis de la communauté homosexuelle fait du bruit, le mouvement NO H8 se répand et reçoit le soutien de nombreux artistes et personnalités dans tout le pays. Pourtant je continue de m’interroger. N’est-ce pas un phénomène de mode qui pousse les plus jeunes d’entre nous à vouloir à tout prix révéler au monde entier leur inclination sexuelle ? Qu’on lutte contre la violence de l’homophobie latente dans notre monde est une chose, que chacun soit laissé libre de ses choix et de ses inclinations sans que cela nous regarde c’est fondamental et il est impensable qu’il en soit autrement. Mais le coming-out est-il obligatoire ? Est-on anormal quand on ne ressent pas le besoin de dire à voix haute et à tous ce qu’on est et ce qu’on vit ? L’amour, le sexe, nos désirs et nos répulsions, tout cela n’appartient qu’à nous. En quoi les autres, la famille, les amis, les voisins, ont-ils besoin de savoir avec qui et comment on couche ? » Je ne vous donne pas le lien, le politiquement correct ne l’autorise pas aux quelques collégiens qui suivent mon blog, mais la note est parue le 30 décembre 2012.

Ce n’est pas la loi qui fait l’amour, ce sont les gens. L’union fait la force, le mariage fait le divorce : quel « progrès »…

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François Furet, Inventaires du communisme

Si vous ne connaissez pas l’historien du XXe siècle François Furet, lisez ce petit livre ! Il contient la quintessence de ses réflexions sur la révolution et sur l’enchantement communiste. Après 7 ans au parti, de 1949 à 1956, les yeux de cet intellectuel exigeant se sont décillés au moment de l’invasion soviétique de Budapest. Spécialiste de la Révolution française, François Furet s’est mis à réfléchir à l’illusion démocratique, celle qui pousse à chercher encore et toujours l’égalité sans cesse à recréer. Contre le conformisme intello de gauche, il écrivit en 1995 ‘Le passé d’une illusion’, best-seller d’une fin de règne. L’URSS était morte et l’illusion communiste avec, Lénine emporté avec Staline et Trotski.

Mais si tout était fini, ce serait trop simple… La politique n’est pas que rationnelle, elle agite les passions, dont la principale, en démocratie de masse, est égalitaire. François Furet se rapproche donc de Tocqueville pour analyser notre temps. Contre les tabous, les boucs émissaires et les négations de la gauche, parti des nouvelles croyances. Au printemps 1996, le philosophe François Azouni a organisé un débat de l’historien François Furet avec le philosophe Paul Ricœur. Ce sont les bandes enregistrées, retravaillées par François Furet puis mises en titres par Christophe Prochasson, qui paraissent aujourd’hui dans cette pépinière intellectuelle qu’est l’EHESS, dont François Furet fut le président de 1977 à 1985. Ricœur n’a pas relu, Furet avait bien avancé. Ce pourquoi, tous deux étant morts, seuls les propos de François Furet sont retranscrits ici. Ils sont le testament intellectuel de l’historien, son message à l’histoire en train de se faire, le dernier texte auquel il aurait travaillé.

Il ne s’agit ni d’un texte militant (pour ou contre), ni moral (bien ou mal), mais d’un texte d’analyse (chercher à comprendre). « Il ne s’agit pas du tout de la fin de toute illusion de l’homme démocratique ; au contraire, je pense que la démocratie moderne est porteuse d’une illusion constitutive qui naît de l’exigence d’autonomie et d’égalité, avec laquelle nous vivons depuis plusieurs siècles » p.33. Mais force est de constater que l’empire soviétique, jamais battu militairement, s’est effondré de lui-même. « A peine ouvert à la liberté, le socialisme ‘réel’ s’est effondré comme un château de cartes, incapable de rivaliser avec la civilisation capitaliste » p.39. Parler de « civilisation » capitaliste est probablement un abus de langage, un mot pas relu… Nuançons : le capitalisme est un système d’efficacité économique qui est adopté par n’importe quelle « civilisation », pas une civilisation par lui-même.

« L’idée communiste, en tant qu’idée désincarnée, n’est effectivement pas morte avec la disparition de l’Union soviétique. Dans la mesure où elle naît des frustrations inséparables de la société capitaliste, et de la haine d’un monde dominé par l’argent, elle est indépendante de sa ‘réalisation’ ; il lui suffit de demeurer l’espérance abstraite d’un univers postcapitaliste » p.41. C’est sur cette espérance que joue Mélenchon, sur cet irrationnel non économique et quasi religieux. Sur l’absence d’alternative à l’argent ou aux rêveries de l’universel. « On le voit très bien aujourd’hui avec l’humanitarisme et les droits de l’homme. Ces idées fournissent moins que jamais un cadre à une politique, et évoquent inévitablement le mot de Pascal : ‘Qui veut faire l’ange, fait la bête’. Dans les faits, l’action politique au XIXe et au XXe siècle, passe par les intérêts et les passions des classes et des nations » p.53. Avec cette particularité française : « Dans l’histoire de France, l’idée révolutionnaire est inséparable de l’idée démocratique. Il n’y a pas moyen de les séparer. L’idée démocratique, l’idée constructiviste, l’idée de l’autocréation de l’homme par l’homme : tout cela est inscrit dans l’idée de la révolution. Nous ne sommes si malheureux aujourd’hui que parce que nous n’avons plus d’idée révolutionnaire » p.59.

Le mythe fondateur de la Révolution française a fait table rase des vieilles religions pour imposer la sienne : laïque, universelle, citoyenne. « La chimie politique qui a nourri l’aventure révolutionnaire française, à l’aube de la démocratie, ce mélange instable d’universel et de national, a reconstitué ses deux pôles un peu plus d’un siècle après, cette fois comme des éclats à travers l’Europe, la Russie devenue la patrie de l’internationalisme et l’Allemagne celle du nationalisme » p.44. Est-ce à dire que ces deux totalitarismes se ressemblent ? Oui et non. Furet a nuancé sa pensée sur ce point. « Pour lui donner du lest ‘matérialiste’, les communistes ont voulu l’inscrire dans l’économie en faisant du fascisme le produit du capitalisme financier dans sa phase ultime : dès lors le seul vrai antifasciste se devait d’être anticapitaliste, donc communiste. La thèse est absurde, mais le fait qu’elle a été si répandue (…) démontre qu’elle tire sa force de la passion politique plus que de sa cohérence intellectuelle » p.71. Le gauchisme façon Mélenchon tire toujours son énergie de ce genre de mythe historique.

Est-ce à dire que le nationalisme est condamné ? En partie. « En ce qui me concerne, si je suis Européen, c’est parce que c’est la moins mauvaise manière d’être fidèle à l’idée nationale, dans un paysage très déprimé, où l’Europe n’est plus ce qu’elle était, où il faut donc qu’elle unisse ses forces, donc ses nations, en face des ouragans et de l’état du monde » p.47.

Est-ce à dire que la passion égalitaire est condamnée ? François Furet pointe « l’ambiguïté constitutive du monde de l’égalité, qui peut conduire à la liberté, mais aussi à des formes inédites de despotisme » p.79. La tyrannie est du vocabulaire du monde classique ; l’âge des masses, l’âge démocratique, introduit le totalitarisme : « C’est ce côté démocratique qui entraîne l’aspect idéologique, parce qu’il faut, pour cimenter les masses, une sorte de corps de croyance commune, donnée par le parti et le chef du parti, et qui caractérise cette espèce de monarchie nouvelle qu’est la monarchie totalitaire » p.86.

Rien n’est ni tout bon, ni tout mal… contrairement aux naïves illusions des révolutionnaires, enthousiastes donc aveugles, jeunes donc ignorants, emportés par l’affectif donc sans raison. Et c’est d’un ton proche d’Albert Camus que François Furet conclut ces entretiens : « Ce qui m’étonne, c’est à quel point cette division est peu supportable, à quel point nous sommes tous, les citoyens modernes, toujours tendu vers cette espèce de recherche de l’unité de nous-mêmes, dont nous cherchons la solution dans la politique, depuis qu’il n’y a plus de religion. Et on ne peut pas la trouver. Il faut accepter de vivre amputé, brimé, de vivre dans la finitude et la division. (…) L’investissement psychologique dans le salut par l’histoire s’est révélé catastrophique » p.88.

Qui veut comprendre le présent dans son époque lira avec profit ce court ouvrage d’un historien des passions politiques.

Merci à Guilaine Depis, charmante et efficace attachée de presse par intérim des éditions de l’EHESS, de m’avoir fait connaître ce livre.

François Furet, Inventaires du communisme, 1997, édition Christophe Prochasson, éditions EHESS audiographie, mars 2012, 95 pages, €7.49

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Indigente campagne

Politique spectacle, positionnement théâtral, appel à la Morale… Les candidats sont comme des ados qui se prennent en photo devant le miroir, gonflant les muscles, prenant des poses. Le message n’émet pas d’idée mais des images ; il ne vise pas l’électeur mais le journaliste. L’histrionisme médiatique est à son comble, en circuit fermé. Rares sont les sujets vraiment abordés, comme la confrontation des deux discours sur l’école, plutôt fouillés. Mais les Français dans tout ça ?

Mi-octobre, après de longues primaires qui ont suivi les interminables péripéties sur Strauss-Kahn et ses putes, François Hollande a été adoubé contre Martine Aubry. Pour la gauche « ça y était », ils se voyaient déjà élus, au pouvoir. Fin février, Nicolas Sarkozy est entré en campagne comme « candidat hors système ». Toujours du changement : agitation ou cynisme ?

A L’Express le 23 mars 2007, le président alors premier candidat déclarait : « Et ma rupture, ce sera celle des promesses tenues, des engagements pris, de la confiance retrouvée entre le peuple et la parole publique. Ma vie, ma passion, c’est l’action. » Le président de la République ? « C’est un leader qui assume ses responsabilités. Il dit ce qu’il pense, fait ce qu’il dit, s’engage sur des résultats, par exemple le plein-emploi. Le président, ce n’est pas un arbitre, c’est un responsable. Il doit aussi rassembler le pays et non le diviser, au service d’un projet. » L’Europe ? (c’était avant la crise) : « Il faut aller à Bruxelles pour demander trois choses : un gouvernement économique de la zone euro ; une réflexion sur la moralisation du capitalisme dans la zone euro pour récompenser la création de richesse et pénaliser la spéculation (…) ; comment utiliser l’euro comme les Américains le font avec le dollar, les Chinois avec le yuan et les Japonais avec le yen. » Les idées, on le voit, n’ont pas changé : c’est l’action qui a fait quelque peu défaut. Confiance dans la parole publique ? Au plus bas. Engagement sur les résultats, notamment l’emploi ? Échec – évidemment il y a la crise, mais les blocages réglementaires et technocratiques sont toujours là. L’Europe ? Bon, on n’est pas tout seul, mais Angela Merkel est plus populaire que Nicolas Sarkozy dans tous les pays de l’Union, il y a donc déficit d’efficacité. Rassembler ? Là on rigole franchement…

Comment faire pour apparaître neuf quand on est usé par dix ans de pouvoir, ministre puis président ? Tout le monde prend pour cible le sortant, d’où son positionnement décalé. Il veut éviter d’être acculé à son bilan, donc en appelle directement au peuple par le référendum, prônant le rationnement des parlementaires. Il se présente « contre le système » – le mot vient des Le Pen ; contre les « corps intermédiaires » – mot bonapartiste. Autrement dit la Ve République ne permet pas de gouverner et les contrepouvoirs d’une véritable démocratie bloquent la décision. Est-ce la dictature qu’il nous propose ? Ou n’est-ce que tactique : récupérer l’extrême-droite ? Pour gagner, dans l’état actuel des opinions, Nicolas Sarkozy a besoin de 60% des électeurs Front national et de 45% des centristes.

Or le centre fuit : comment oser l’appeler à se rassembler lorsqu’il y aura second tour ? L’analyse politique est que la France est à droite ; que les valeurs de la « majorité silencieuse » s’extrémisent comme dans le reste de l’Europe ; que les médias comprennent des journalistes des mêmes milieux, formés dans les mêmes écoles, aux deux-tiers branchés, dans le vent, donc « de gauche ». Qu’il y a donc un pays réel opposé au pays légal – thématique habituelle d’ancien régime.

Récupérer les électeurs tentés par Marine signifie aller chasser sur ses terres : non au mariage homo, à l’adoption gai, à la recherche sur les cellules souches, à cette nébuleuse vague qu’on fourre sous le nom d’assistanat, à « l’immigration » (sans distinguer l’obligatoire due aux mariages et regroupement familial, de celle de travail due aux patrons et des étudiants attirés par notre aura intellectuelle…). Trop « d’étrangers » signifie trop de musulmans, qu’ils soient noirs ou arabes, la polémique sur la viande halal le prouve. Si ce n’est pas de la démagogie, tout ça… Et c’est en plus nauséabond. Les valeurs de la République sont autres, les Français n’évoluent pas forcément dans le sens intuitif : le vote des étrangers aux élections locales est mieux accepté qu’il y a 5 ans, la diversité au gouvernement aussi. Le staff des communicants sarkoziens le comprend-t-il ?

François Hollande, quant à lui, ne rassemble guère plus. Il veut rallier son camp, tournant le dos au reste de la France. C’est ainsi qu’il s’oppose à « l’ennemi sans visage » (la finance, les marchés, l’oligarchie, les riches, le mot race…). Il rejoue « la patrie en danger » comme en 1792 sous Robespierre, avec les accapareurs (banquiers) et les émigrés (fiscaux). Sauf que les glissements sémantiques l’emportent lui aussi vers le FN. En oubliant que le mot n’est pas la chose : que comprend le mot « système » ? comment définit-on en acte le mot « race » ? Si « La France est la solution » (comme ailleurs l’islamisme, parallèle douteux…), pourquoi le parti socialiste a-t-il si peu de diversité ethnique dans ses instances ? Pourquoi les gouvernements de gauche ont-il eu aussi peu de représentants colorés? Faire du symbolique, c’est agiter du vent, agir c’est mieux. Reconnaissons que Sarkozy, tout en stigmatisant l’immigration hors contrôle (ce que Hollande ne promet que du bout des lèvres), a mieux réussi l’intégration visible avec Rachida Dati, Rama Yade, le préfet beur.

La colère des électeurs est réelle envers ceux qui ont causé la crise et qui en profitent pour s’augmenter alors qu’ils restreignent les salaires. Mais taxer à 75% les revenus au-dessus d’un million d’euros est populiste. Cela touche quelques milliers de personnes, pas des plus malheureuses et loin de moi l’idée de les plaindre, mais le symbole est ambigu. Taxer le succès est-il encourageant ? Taxer l’héritage, pourquoi pas, mais le travail ? Confisquer est un mauvais réflexe de gauche, comme si les technocrates d’État étaient plus légitimes à dépenser que les salariés à hauts revenus. Outre que cela apparaît constitutionnellement difficile, le résultat réel serait qu’aucun revenu ne serait plus au-delà du million d’euros. Il y aura donc du caché : des dessous de table, du noir, de l’expatriation, des comptes étrangers… ou bien des passe-droits, des « niches fiscales » clientélistes. Cette réponse autoritaire aux provocations de Sarkozy encourage l’inquisition fiscale, la délation, dans la grande tradition jacobine. De quoi diviser un peu plus les Français. Est-ce cela la « bonne » politique ? Alors que l’organisation d’État n’est pas remise en cause, qui ne fout rien aux conseils d’administration des entreprises où le public est au capital, qui laisse faire les syndicats ripoux, qui ne fout rien sur les retraites chapeaux, les stock-options, les bonus, qui blanchit les mafieux du bon parti, les Haberer, les Tapie, les Dumas. Plutôt agiter une pancarte qu’agir contre les copains…

Taxer, est-ce cela la réponse au chômage ? Hollande flatte l’envie populaire et la jalousie égalitaire, cela plaît au populo, comme le montre BVA. Les CSP- (72%) sont plus nombreuses à approuver la mesure que les CSP+ (62%). Mais il ne règle rien à l’emprise de la finance… due à l’impéritie des politiciens (y compris de gauche) qui ont endetté la France depuis des décennies. Avoir moins de riches est-il préférable à avoir moins de pauvres ? Peut-on croire une seconde aux vases communicants du transfert de la richesse des uns aux autres, de la part de fonctionnaires nés dans le giron de l’État et qui n’ont jamais gagné un sou par leur propre talent d’entreprendre ? Les footeux, en général issus des milieux populaires… vont se voir taxer à quasi 100% avec la CSG et l’ISF, sur ce qui dépasse le million d’euros par an. Cela alors que leur carrière est forcément courte, puisque due à leur jeunesse.

Toute cette agitation d’évitement n’aborde pas le fond du problème : la place de la France dans la mondialisation, la place de la démocratie en Europe, la place de l’emploi dans les politiques économiques. Chacun rassemble sa bande pour la faire hurler à l’unisson, criant au populisme de l’autre camp. Désigner les riches en général comme des ennemis sans cibler la délinquance en col blanc ni distinguer le mérite personnel de l’héritage, c’est de la part de François Hollande stigmatiser les « quartiers », même s’ils ne sont pas les mêmes que ceux de Sarkozy. Désigner les étrangers, les élus et les élites multiculturelles de gauche comme responsables de l’état de la France, sans cibler l’empilement des niveaux administratifs, des réglementations touffues, des incohérences fiscales – et de ses voltefaces depuis 5 ans – est, de la part de Nicolas Sarkozy, populiste.

Valeurs républicaines contre identité nationale ? La gauche tombe dans le piège classique de la provocation droitière. Pointer la viande halal ? Ce serait raciste… alors qu’il s’agit de traçabilité pour le consommateur, ce qui devrait être consensuel. Évidemment les socialistes se rétractent sur leurs tabous et le peuple gronde. Sarkozy provoque Hollande à se radicaliser pour mieux le battre. Mais il apparaît comme jouant son va-tout. Que vont penser les centristes qu’il appellera au second tour ?

Second tour qu’il est idiot d’anticiper aujourd’hui car le premier sera un événement politique. Il changera les votes en fonction de qui sera arrivé en tête et du laminage des extrêmes. Il ne suffit pas d’additionner les voix car les deux électorats de Bayrou et Le Pen sont très fluctuants, n’étant ni à droite (conservatrice) ni à gauche (marxisante). « Probablement trop axée sur les attaques de personnes, la campagne n’est jugée intéressante que par 34% des Français, contre 65% qui ne la trouvent pas intéressante. Les Français semblent déçus par les thèmes abordés. Ils attendent qu’on parle davantage des domaines qui les préoccupent personnellement : le pouvoir d’achat (63% estiment qu’on n’en parle pas assez), les retraites (73%) et le logement (73%) ; plus que des domaines « macro » tels que la crise (43% trouvent qu’on en parle trop) et les déficits publics (34%) » (IPSOS).

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Tahar Ben Jelloun, Moha le fou Moha le sage

J’ai retrouvé dans un recoin ce livre daté, témoin des années 1970. Le relire aujourd’hui est édifiant : l’auteur, marocain, quitte son pays pour cause d’arabisation de l’enseignement (déjà !) ; il critique la misère sociale créée par l’affairisme autour du Palais (déjà !) ; il se plonge dans l’univers traditionnel où la femme est esclave et l’enfant garçon livré à lui-même (déjà !). Je suis stupéfait de constater que tout ce qui était DÉJÀ visible dans les années 1970 n’ait ni été vu ni même soupçonné : les intellos-médiatiques font semblant de le découvrir aujourd’hui, 40 ans plus tard. Il y avait vraiment des œillères dans les « années de gauche » qui ont suivi mai 68.

‘Moha le fou, Moha le sage’ a été prix des Bibliothécaires de France 1978 et prix Radio-Monte-Carlo 1979 – c’est dire s’il était populaire, reconnu par les média et encensé du grand public. Mais ni les intellos ni le grand public n’ont rien vu : ils ont joui d’être à la mode, ensemble, dans la fusion communautaire, enfermés dans leur ego occidental à bonne conscience de gauche. En 1978, j’y ai travaillé, au Maroc, j’ai pu ressentir ce que l’auteur disait de sa langue de poète, bien loin du voile d’illusion des idéalistes qui préfèrent toujours leur image narcissique à toute réalité de leur temps.

Si vous lisez aujourd’hui ce livre, il ne vous sera pas d’une grande révélation. Il joue sur le personnage du bouffon du roi, du « fou », toujours celui qui dit ce que tout le monde pense tout bas mais n’ose pas dire, dans les sociétés traditionnelles. L’enfant du conte d’Andersen était le seul à dire que le roi était nu, tous les bons bourgeois de cour faisaient semblant de ne pas le voir et s’auto-persuadaient que le roi était paré. Pareil dans les années 1970 :

  • l’islam ? – un archaïsme qui allait disparaître avec la modernité
  • la condition de la femme ? – rien qu’une bonne série de lois imminentes ne puisse contrer
  • l’affairisme ? – il suffit de le dénoncer, il s’écroulera de honte lui-même

Qu’il y avait donc de « bêtise » dans ces a priori idéalistes ! La franchouille moderniste, sûre d’être de gauche et progressiste, ne voulait pas VOIR ce qui était sous ses yeux. Cachez ce sexe féminin que je ne saurais voir, violé à répétition par le maître de maison macho et paternaliste. Cachez ce sexe de garçon pubère que je ne saurais voir, montré à tous les autres dans les terrains vagues, ou prostitué aux adultes pour se défrustrer. Cachez cette modernité que je ne saurais voir (puisque plus avancé), agressive et affairiste, mal partagée, mal expliquée, allant trop vite, dans un pays traditionnel resté féodal.

Tahar Ben Jelloun a obtenu un doctorat de 3° cycle en psychiatrie sociale dans l’université française, il sait de quoi il parle. ‘La Nuit sacrée’ est devenu le roman prix Goncourt 1987. Nicolas Sarkozy, président de la République française, lui remet en 2008 la Croix de Grand Officier de la Légion d’honneur. Dernier avatar du maître, il reçoit le Prix de la paix Erich-Maria Remarque pour son essai ‘L’étincelle dans les pays arabes’ le 21 juin 2011. C’est dire si Tahar Ben Jelloun, français d’origine marocaine est reconnu, « intégré », écrivain à part entière. Et pourtant, ceux qui l’ont lu n’ont rien vu, rien assimilé, rien compris…

C’est qu’il manie le conte, absorbe les rites maghrébins et traditionnels dans une symbiose avec le quotidien. Il replace dans ‘Moha’ la société marocaine entre la mémoire et la modernité en devenir. Il évoque les sujets tabous et les exclus de la parole. Les gamins, les putes, les fous, les déviants, les errants, sont dans ‘Moha le fou Moha le sage’. Engagé, Tahar Ben Jelloun ? L’époque adorait l’engagement, à la suite du Sartre sur son tonneau devant les ouvriers goguenards de Billancourt. Un divorce entre populo et intello, déjà…

Justement, le romancier ne reproduit pas les schémas idéologiques aisément étiquetés par les médias et les intello-progressistes. Il est poète, écrivant comme Brassens pour faire surgir en chacun cette petite étincelle d’universel humain. Ses personnages sont imaginaires, issus de la mémoire et reconstitués à la Proust. Aïcha qui fait le ménage dès 12 ans, Dada l’esclave soudanaise des plaisirs sexuels du patriarche, l’enfant « né adulte comme d’autres naissent infirmes » livré à lui-même et hanté de sexe et d’amour, Moché le vieux juif marocain lui aussi sage à sa manière, l’imam « jeune génération qui a fait des études dans les pays d’islam (…) fonctionnaire du ministère. D’après lui, l’islam a tout prévu », Milliard le banquier qui lui explique sa vie, le psychiatre au discours rigide – lacanien – aliéné par sa théorie, l’arbre refuge qui ne dit rien mais transmet la nature. Voix plurielle, mémoire au présent, poète « fou » qui dit la vérité, Moha périra sous la torture des sbires du Palais, semble-t-il. Il était d’époque de dénoncer la torture des puissants et de leur police.

Moha peut être l’abréviation de Mohammed, nom du Prophète et prénom répandu au Maroc pour dire le personnage lambda ; Moha en français, puisque l’auteur est le francophone le plus traduit au monde, sonne aussi comme ‘moi’, cet ego franco-marocain écartelé entre tradition et modernité, ancrage dans le patriarcat musulman et le contrat social.

Un message qui n’a pas été lu…

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