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11-Septembre Vingt ans après

Les moins de 20 ans ne savent pas quel monde alors a été perdu.

Le 11 septembre 2001 entre 8 h 14 et 10 h 03, dix-neuf terroristes armés de couteaux à lame rétractable détournent quatre avions de ligne et commettent attentats-suicides islamistes.  2 977 personnes sont tuées dont 310 étrangers (4 Français) à New York, Washington, Arlington et Shanksville, lieux symboliques des États-Unis. Les tours jumelles du World Trade Center à Manhattan s’effondrent. Ces attentats sont revendiqués par Al-Qaïda dans une vidéo diffusé le 17 avril 2002 par la chaîne de télévision arabe MBC, puis à plusieurs reprises par le saoudien Oussama ben Laden, qui sera tué au Pakistan par un commando américain le 2 mai 2011.

C’est la stupeur parmi les dirigeants, les militaires et la population. À 12 h 15, plus aucun vol commercial ou privé ne survole les États-Unis. À 13 h 04, George W. Bush met l’armée américaine en alerte et déclenche le FPCON DELTA, le plus haut niveau d’alerte terroriste. La bourse reste fermée jusqu’au 17 septembre et perd autour de 15%.

Depuis cette date, les Américains sont devenus « fous ».

Ils sont désormais paranoïaques, croyant que tout le monde leur en veut. Tout comme les islamistes, ils ont cristallisé une série de règles et d’interdits qui les rend introvertis, voire xénophobes. Les stratèges ont cru pouvoir jouer impunément avec le feu mais, avec la courte-vue habituelle aux Yankees les yeux sur la bourse, ils n’ont aidé les islamistes pour contrer le communisme que pour mieux les voir, désormais armés par leurs soins, se retourner contre eux. Car communistes ou capitalistes, tous sont des mécréants aux yeux fanatisés des musulmans ; tous sont à dominer ou à tuer car impurs aux yeux de Dieu.

Si Ben Laden réside alors en Afghanistan, sous la protection des Talibans, aucun Afghan n’est parmi les terroristes. Au contraire, ce sont en majorité des Saoudiens, un Égyptien, un Émirati et un Libanais. La responsabilité écrasante de certains Saoudiens est attestée par les enquêtes du FBI et les révélations des terroristes arrêtés ultérieurement. Le consulat saoudien à Los Angeles est notamment pointé du doigt ainsi que l’ambassade d’Arabie Saoudite à Washington et de riches Saoudiens de Sarasota en Floride. Ils savent qu’il y aura impunité faute de preuves directes et ces croyants islamistes ont continué à soutenir Al-Qaïda, puis Daech. En juillet 2016, le Congrès des États-Unis a publié un document de 28 pages crédibilisant les accusations de Zacarias Moussaoui, qualifié de « dérangé » par l’Arabie saoudite. D’autre part, les Saoudiens sont ses principaux actionnaires la banque Al-Taqwa par le biais de la banque privée saoudienne Dar al-Mal al-Islami, connue pour ses sympathies islamistes. Les plaintes concernant l’Arabie saoudite ont été déboutées en 2005, le juge responsable arguant que les supposées activités illégales de l’Arabie saoudite relevaient de son « pouvoir souverain » et lui conférait l’immunité. En mai 2020 encore, le FBI révèle par inadvertance l’identité d’un responsable de l’ambassade saoudienne à Washington soupçonné d’avoir fourni un soutien crucial à deux des pirates de l’air.

Mais l’Arabie Saoudite a-t-elle été inquiétée comme l’Afghanistan (envahi) et l’Irak (envahi) l’ont été ? Pas le moins du monde. Tout juste peut-on dire que les relations se sont un peu « rafraîchies », un charter en urgence ayant réexpédié en Arabie les membres des hautes familles dans les jours qui ont suivis le 11 septembre. Les riches Saoudiens, Emiratis, Qataris, Libanais, et tant d’autres, continuent à financer l’aide aux élèves en religion, qu’ils soient pacifiques, sous couvert humanitaire, nationalistes guerriers ou terroristes. Financer la foi, pas les actes, permet de se dédouaner la conscience à bon compte : telle est la charité, la zakât (aumône légale) qui est l’un des cinq piliers de l’islam. L’opinion américaine a été soigneusement tenue à l’écart de « mal » penser des « alliés » saoudiens contre l’Iran et des détenteurs des principales réserves de pétrole.

Au contraire, « on » a laissé fleurir les théories du Complot pour détourner les esprits des vraies causes du 11-Septembre…

Car la sécurité aux Etats-Unis est très dense mais très bureaucratisée, la rendant jusqu’ici peu efficace. Tout est mis sur le numérique… mais les pirates de l’air ont usé des bonnes vieilles cabines téléphoniques, de portables prépayés, des financements à crédit en plusieurs fois, et du transfert direct de liquide par des réseaux humains. Rien ne vaut l’enquête de terrain, mais les agences de renseignements préfèrent les gros budgets en matériel. C’est ainsi qu’ils ont failli rater Ben Laden, pourtant sous leurs yeux, dans une maison située entre deux régiments de l’armée pakistanaise. Quant aux avions, la porte de la cabine de pilotage n’était même pas sécurisée et la déclaration de piratage très longue à être envoyée.

Pour faire comme si tout cela n’était rien, l’implication saoudienne et la sécurité minable, le président Bush a décidé l’invasion de l’Afghanistan, désigné comme le siège opérationnel d’Al-Qaïda, dès octobre 2001 puis, dans la foulée du succès rapide, l’invasion de l’Irak et le renversement du régime de Saddam Hussein en 2003 au prétexte d’armes de destruction massive dans le pays (jamais trouvées).

Il en a profité aussi pour recentraliser la sécurité intérieure des Etats-Unis par deux lois qui restreignent nettement les libertés. L’USA Patriot Act voté le 26 octobre 2001, qui permet au FBI de pouvoir sans justification espionner les associations politiques et religieuses, de perquisitionner et saisir les documents et effets possédés par des citoyens, de pouvoir faire emprisonner quiconque, y compris des citoyens, indéfiniment et sans procès, sans qu’elles soient accusées, ni qu’elles puissent être confrontées à celles qui auraient déposé contre elles. Le Homeland Security Act, voté le 25 novembre 2002, crée le département de la Sécurité intérieure des États-Unis et permet l’accès par l’administration à des fichiers constitués par des firmes privées sur des citoyens en contournant la protection donnée par le IVe amendement. Si votre compte Facebook (et messagerie What’s app), Micorsoft (le Cloud) ou Google (gmail) est sous la loi d’un état américain, le FBI peut avoir accès à toutes vos données qui y transitent, sans que ni vous, ni la France, ni l’Europe, ne puissent s’y opposer ! Enfin le Military Commission Act, signé le 18 octobre 2006 par le président Bush, abroge avec effet rétroactif le droit des personnes jusqu’alors reconnu dans les traités internationaux signés par les États-Unis, et définit les « combattants illégaux » qui peuvent être traités selon les lois de la guerre.

Vingt ans après, les acteurs ont vieilli, ont-ils appris ?

Rien n’est moins sûr : les attentats de l’aéroport de Kaboul surveillé par les Talibans mais commis par une branche dissidente déjà connue pour son fanatisme – et toujours installée en Afghanistan même – montre que le foyer du terrorisme sunnite est loin d’être éteint. Le jeu de faux cul du Pakistan et de l’Arabie Saoudite, alliés par devant et traîtres par derrière, continuent d’être minimisé ou ignoré. La sécurité américaine est toujours plus intense, traquant toujours plus de données, sans qu’on en voie vraiment les effets concrets. Et la politique internationale, toujours aussi foutraque et arrogante, surtout à l’ère Trump, n’a en rien réconcilié l’Amérique avec le reste du monde. Alors, paranoïaques les Yankees ? Ils ont peut-être de plus en plus de raison de l’être.

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Trump et les quatre causes du fascisme

Mercredi 6 janvier, jour de la certification par le Congrès du résultat des élections présidentielles américaines, le président battu Donald Trump incite ses partisans à manifester à Washington. A la fin du meeting, il excite les militants échauffés à marcher sur le Capitole comme jadis Mussolini a marché sur Rome – 4 morts. C’est le fait d’un putschiste pour qui seule « sa » vérité compte et non les faits – il pourtant a été battu de 7 millions de voix (306 contre 232 grands électeurs). J’ai raison et pas le peuple car JE suis le peuple à moi tout seul. Cette façon de voir et de se comporter est proprement fasciste. Il n’est pas allé jusqu’au bout à cause de son tempérament foutraque adepte du « deal » et parce que l’armée a fait savoir qu’elle ne suivrait pas. Mais qu’en serait-il d’un prochain démagogue organisé et décidé ?

Le fascisme est né en Italie il y a juste un siècle de quatre causes cumulées : la brutalisation due à la guerre, la crise économique et sociale, le nationalisme de pays menacé et frustré rêvant à l’Age d’or mythique, et la démagogie d’un agitateur habile.

  1. Brutalisation : la guerre de 14-18 a duré longtemps et a été éprouvante non seulement par la violence des combats mais par la technique qui a amplifié la guerre, monstre industriel contre lequel on ne peut quasiment rien comme dans Terminator. L’habitus de férocité et de décisions brutales pris dans les tranchées conduit vers 1920 à considérer la violence comme régénérant l’homme, donc la société, ce qui fut théorisé par Georges Sorel. Ce fut la même chose sous Lénine et surtout Staline en URSS, puis en Allemagne sous Hitler. Il faut être « inhumain » pour forger l’homme nouveau, dirigeant à poigne, homme de fer. Aux Etats-Unis en 2020, après le choc belliqueux des attentats du 11-Septembre 2001, deux millions d’anciens combattants des guerres du Golfe, d’Afghanistan et d’Irak ont été brutalisés (et souvent traumatisés) ; ils ont formé l’essentiel des militants qui ont marché sur Washington.
  2. Crise économique et sociale : l’Italie est secouée par une grave crise de 1919 à 1922 ; l’Allemagne sortie ruinée de la guerre en 1918 est précipitée dans la crise par la Grande dépression qui suit l’effondrement des spéculations boursières américaines en 1929 et diffuse par effet domino à tout le monde développé les faillites financières et son cortège de fermeture d’usines et de chômage. En 2008, les Etats-Unis ont subi de plein fouet l’équivalent de la crise de 1929 et se font de plus en plus tailler des croupières par la Chine, forte de trois fois plus d’habitants et de l’avidité des capitalistes de Wall Street qui n’hésitent pas à brader leur technologie pour des profits à court terme. Trump est élu en 2016 sur des idées de protectionnisme et de relance économique par la baisse des impôts et la liberté reprise sur les traités internationaux, voulant relocaliser l’industrie au pays et initiant une guerre commerciale d’ampleur inégalée aux autres puissances comme à l’immigration.
  3. Nationalisme : tout pays menacé dans son niveau de vie se voit menacé dans son « identité », cherchant fébrilement à se « retrouver », un peu comme un adolescent inquiet au lieu d’un adulte mûr. La « victoire mutilée » de Mussolini, le « coup de poignard sans le dos » d’Hitler, le « projet Eurasie » de Poutine, le « make America great again » de Trump sont un même prétexte à vouloir régénérer la nation par la mobilisation des natifs. Il s’agit toujours d’un conservatisme botté, d’un retour à un mythique Age d’or qui n’a jamais existé que dans l’imagination : l’empire de Rome, la race pure aryenne, la Russie éternelle, l’Amérique des Pionniers. Il est donc enjoint de prendre le contrepied de tout ce qui se pensait auparavant : la raison, les Lumières, l’individualisme, l’hédonisme post-68, l’humanisme onusien. Retour contre-révolutionnaire au droit divin, à la religion, à la nation organique, au romantisme de l’émotion, à l’égoïsme sacré et au culte de la force qui tranche. Une frange de militants est mobilisée pour entraîner la société et embrigader les esprits : squadristi italiens, SA et SS allemands, siloviki russes, milices trumpistes. Ce que l’Action française a su faire au début du siècle précédent, Q anon veut le faire au début du siècle présent.
  4. Démagogue : pas de succès de l’irrationnel nationaliste et xénophobe sans un agitateur habile. Mussolini, Staline, Hitler, Trump (pour ne prendre que quelques exemples occidentaux) ont su agréger autour de leur personnalité tous les frustrés, les enthousiastes, les fana-mili, les activistes. Il s’agissait de conquérir le pouvoir – puis de le garder. Seul Trump a échoué pour le moment à rester président même s’il a déclaré qu’il « ne reconnaîtrait jamais la défaite ». Mais il profite des failles du système représentatif de la démocratie (aggravées par le système électoral archaïque des Etats-Unis) pour contester le vote des citoyens. Sa « vérité » est qu’il ne peut être battu. Comme dans la télé-réalité, le show doit continuer. C’était hier la radio et le cinéma qui servaient la propagande ; c’est aujourd’hui l’Internet, les réseaux et la télé qui s’en chargent, matraquant la théorie du Complot et amplifiant tout ce qui mine inévitablement le parlementarisme : le clientélisme, la corruption, la lâcheté, la combinazione. Anarchistes, complotistes et croyants se liguent pour porter les coups de boutoir au « Système » de la règle de droit comme si celui-ci, une fois renversé, n’en générerait pas un autre – en pire : le fascisme, le communisme, le nazisme, etc.

Ces quatre causes sont universelles ; l’histoire ne se répète jamais mais ses mécanismes se répliquent. La montée de la violence, les frustrations sociales augmentées par les ravages de la pandémie, l’absence de nouvelle « frontière » à explorer pour les citoyens (l’espace et le transhumanisme sont réservés à quelques élites, seul le « retour à » est accessible à tous sans limites), la politique-spectacle augmentée par les réseaux sociaux sans digues, ont créé le phénomène de Trump le trompeur, le champion du parti des éléphants.

Si les normes non écrites, les règles informelles et les conventions sont la colonne vertébrale d’une démocratie, celle-ci a du mouron à se faire car l’exemple vient du phare mondial : les Etats-Unis de la grande révolution de 1776. Mélenchon doit regarder cela avec grand intérêt.

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Anne-Lise Blanchard, Carnet de route

Investie depuis 2014 dans l’association SOS Chrétiens d’Orient, l’auteur parcourt le Proche-Orient lors de missions d’aide et d’assistance aux chrétiens persécutés par les milices islamiques en Irak et en Syrie. Ce livre est son carnet de voyage d’août 2017 à août 2018. Danseuse et thérapeute, elle est sensible aux chants, à la musique, au jeu des corps et notamment des enfants ; la foi lui a donné cet optimisme du projet en commun pour rebâtir, reconstruire, ressusciter les communautés.

Cet itinéraire spirituel accouche d’un journal militant pour assurer l’emprise chrétienne sur les terres ancestrales et la mémoire de la foi en pays islamique. Ce qui ne va pas sans hagiographie : tous les humbles sont des saints, toutes les femmes violées des vierges martyres, tous les enfants orphelins qui ont vécu des horreurs des anges meurtris. Quand aux prêtres, ils sont des chevaliers. C’est bon à entendre lorsque l’on est de la partie, un peu candide si l’on est analyste géopolitique.

Choisir le camp opposé à Saddam Hussein et Bachar El Hassad est choisir les principes contre les réalités humaines ; les minorités chrétiennes sont protégées sous les dictatures laïques… Ce pourquoi la France de gauche a choisi le camp du Bien, comme par hasard celui des Etats-Unis, mais aussi celui des islamistes, puisqu’ils sont anti-Hassad. La religion chrétienne encouragerait-elle le statu quo ? L’auteur incrimine plutôt le délaissement des pays musulmans pour ce qui n’est pas leur foi, par exemple à propos de Shobak en Jordanie : « Nous tournons les talons en silence, partagés entre la beauté du lieu et la tristesse du délaissement dans lequel sont maintenus les lieux historiques du proto-christianisme ou de la chrétienté franque » p.58.

Alliée dans l’OTAN, la Turquie joue l’islam en solo contre le reste de l’Occident – non musulman. « Malheureusement la poussée turco-musulmane continue de refouler les chrétiens plus loin en territoire kurde, les éloignant des terres fertiles, me racontait le Père Charbel en janvier 2015, alors que nous nous arrêtions à Qarawella » p.75. Quant au Père Ephrem, « rescapé de Qaraqosh avec vingt-six autres personnes de sa famille, en cette fameuse nuit du 6 août 2014 (…) : ‘On ne peut pas faire confiance aux Kurdes, pas plus qu’on ne peut vivre avec les musulmans. Dès qu’ils sont plus nombreux, ils imposent la charia, la conversion ou la mort. Méfiez-vous de l’Islam’ » p.76. Les musulmans radicaux agissent en effet au XXIe siècle comme Isabelle-la-Catholique au XIVe siècle par inquisition, conversion forcée ou expulsion. La « tolérance » n’est qu’une vertu de nanti majoritaire.

« Partout où je serai passée, où j’aurai recueilli des témoignages, en Irak, en Syrie, j’aurai entendu le même récit : le village a été pris avec la complicité des voisins musulmans, ma maison est maintenant occupée par les voisins musulmans, du jour au lendemain les voisins musulmans ont refusé de nous serrer la main » p.77. Le rêve de modération et d’harmonie (catholique veut dire universel) n’est pas pour demain. « Le Père Fadi (…) à Kazdanan en 2015, avait exprimé sans détour ce que la longue cohabitation de son peuple avec l’islam l’autorisait à dire : ‘L’islam modéré, ça n’existe pas. L’Islam, c’est l’Islam, une religion de conquête où le mot amour n’existe pas » p.77.

Ce qui n’empêche pas, « une fois les situations d’urgence passées » p.120, l’association de s’intéresser aux autres composantes des sociétés dans lesquelles les chrétiens d’Orient vivent.

Attachant témoignage sur le vif, à prendre comme un regard particulier teinté de foi chrétienne clairement militante sur ces sociétés mosaïques en guerre qui cherchent à survivre.

Anne-Lise Blanchard, Carnet de route – de l’Oronte à l’Euphrate les marches de la résurrection, 2020, Via Romana, 132 pages, €15.00

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American sniper de Clint Eastwood

Comment renouveler le western ? En le plaquant sur la réalité contemporaine. Les acteurs sont en Irak mais ce sont bien les mêmes cow-boys, la Bible dans une main et le fusil à lunette de l’autre, qui font régner l’ordre sur la planète – au nom de Dieu. Ils sont missionnés pour civiliser les sauvages et éradiquer le Mal.

Ah, le « Mal » ! Il est tout ce qui n’est pas dans la morale américaine, biblique, familiale, patriote, puritaine. Les islamistes ne sont pas une « race » à part mais l’incarnation dans leurs comportements du Mal qui vient du diable. Il ne tiendrait qu’à eux de s’élever au Bien – et devenir américains. D’ailleurs, certains collaborent, conscients que la guerre ne justifie pas tout.

Chris Kyle (joué par Bradley Cooper) a réellement existé et Clint Eastwood chante sa gloire dans un film patriotique qui touchera la fibre populaire et populiste, tiré de de son livre American Sniper : l’autobiographie du sniper le plus redoutable de l’histoire militaire américaine. Mais il opère aussi une réflexion sur ce qu’est être américain. C’est en effet toute une culture qui se bat pour mettre à mort. La télé en continu qui horrifie et sidère en passant en boucle les attentats de Nairobi puis du World Trade Center, rendent fou le citoyen moyen ; la bande dessinée ou le « roman graphique » qui caricature les héros et met en scène les Vengeurs ; l’éducation paternelle rigoriste aux garçons qui veut en « faire des hommes » aptes à se battre et à défendre leur famille depuis tout gamin ; le paroxysme du Texas où ces valeurs viriles, machistes, sûres d’elles-mêmes et dominatrices se donnent libre court dans un individualisme paroxystique fondé sur les armes, la chasse, le rodéo et le body building.

American sniper est l’histoire des quatre Opex (opérations extérieures) effectuées en quelques années par un tireur d’élite des Navy Seals particulièrement doué. Formaté à défendre son petit frère contre les gros méchants, initié à la chasse dès 7 ans par un père dans l’esprit des pionniers, bouleversé par les attentats du 11-Septembre sur le sol même des Etats-Unis, il s’engage dans ce que l’armée propose de plus dur : les commandos marines comme on dit chez nous. Il est calme, rationnel, bien qu’en tension constante ; son devoir est de protéger et il se moque des buts de guerre ou de l’idéologie : éradiquer le Mal lui suffit. Tout est simple, voire simpliste, dans cette démarche. Elle met en scène l’efficacité même du capitalisme : faire son boulot, juste à sa place. L’ordre divin surgira comme une Main invisible de chacun des actes individuels effectués au nom du Bien.

Malgré un début un peu poussif et peu convaincant sur les motivations profondes du gars, le film prend son essor avec les premières actions et captive. Le spectateur ne sait pas au juste pourquoi défendre sa patrie attaquée est supérieur à défendre sa famille en formation – et la femme est là pour ramper de pitié et appeler à « l’Hamour » (Sienna Miller). Ses deux enfants, un garçon et une fille, apparaissent plus comme une propriété que comme des êtres objets d’affection à protéger et aider à grandir. Chris paraît doué d’une belle paire de couilles, plus que son petit frère (Keir O’Donnell) qui s’engage aussi mais crève de peur et ne comprend pas cette guerre, mais Chris semble plus mené par ses hormones que par son cerveau. S’il parle si peu c’est qu’il n’a rien à dire, et s’il n’a rien à dire c’est qu’il ne réfléchit guère. Il est le cow-boy type, le chien de berger de son troupeau, ici sa section de Marines qu’il doit protéger des « traîtres » embusqués.

L’attrait du métier, qu’il fait bien au point de devenir « la Légende » avec 255 ennemis tués à son actif, est doublé d’un duel comme au saloon avec Mustafa (Sammy Sheik), le tireur d’élite syrien quelques années plus tôt sur le podium des jeux olympiques, venu en Irak défendre ses « frères » musulmans (une invention du film pour illustrer la maxime biblique « œil pour œil, dent pour dent »). Des exactions de Saddam Hussein, il n’en est jamais question ; du comportement conquérant et méprisant de l’armée américaine en Irak non plus ; de la stupidité stratégique des généraux aux commandes ou des politiciens ras du front encore moins. Le film est tout entier à la gloire de l’individu, pas des Etats-Unis. Chris est un pionnier en milieu hostile, un cow-boy lâché parmi les nouveaux Indiens basanés et sauvages qui n’hésitent pas à torturer et à bafouer la décence commune.

Ce pourquoi il n’hésite pas à descendre un enfant, « un gamin qui avait à peine quelques poils aux couilles » parce que sa mère lui a passé une grenade (russe) de sous sa burqa et qu’il s’apprêtait à tuer une dizaine de Marines qui s’avançaient pour « sécuriser » le périmètre. Il descendra la mère aussi, puisqu’elle récupère la grenade pour la lancer à son tour. Notons que le vrai Chris Kyle n’a pas tué l’enfant. Tous sont atteints par « le Mal » et les renvoyer dans les Ténèbres extérieures est le devoir moral d’un « croisé de Dieu ». Les ennemis sont de vrais suppôts de Satan, métaphore biblique bien facile qui évite de penser au pourquoi d’une telle résistance au néocolonialisme yankee. Car les adversaires, croyants d’une autre religion tout aussi totalitaire que le puritanisme botté, appellent Chris « le diable de Ramadi ». Chacun a l’Ennemi qu’il peut.

Chris n’est pas une machine mais un homme formaté par sa culture. La guerre lui est une addiction, plus parce qu’il peut révéler sa vraie nature de Protecteur de ses camarades que pour le plaisir de tuer ou l’adrénaline du combat. Mais il est fragile au fond, comme la plupart des Ricains qui reviennent de guerre traumatisés à vie faute de sens réel à leur combat (la Bible n’est qu’un paravent) et par manque de structure psychologique dans une société où tout est trop facile. Le spectateur au fait du métier des armes s’étonnera de voir le tireur d’élite appeler sa femme en plein combat pour lui susurrer des mots doux, complètement ailleurs que dans l’action, déconcentré, psychologiquement vulnérable. La technologie affaiblit parfois plus qu’elle n’aide, car un combat se gagne par le mental, pas par les seules armes.

La fin de Chris Kyle, tué misérablement au stand de tir par un vétéran atteint de stress post-traumatique qu’il essayait de soigner par les armes, montre combien cet « héroïsme » culturel est vain – et combien « les armes » sont mortelles, malgré le lobby puissant (et principalement texan) de la National Rifle Association. La patrie n’est pas reconnaissante, la famille est laisse à elle-même, l’individu est seul face à son destin.

DVD American sniper, Clint Eastwood, 2014, avec Bradley Cooper, Sienna Miller, Kyle Gallner, Ben Reed, Elise Robertson, Warner Bros 2015, 2h13, standard €6.99 blu-ray €8.46

Chris Kyle, American sniper: L’autobiographie du sniper le plus redoutable de l’histoire militaire américaine, Nimrod 2015, 350 pages, €21.00  

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Etat islamique ou mercenariat d’Etat ?

Xavier Raufer, criminologue reconnu, s’interroge dans la revue Le Débat n°193 de janvier 2017, sur l’Etat islamique. Faut-il croire à son mythe de création d’Etat théologique ayant vocation à absorber par guerre et conversion la totalité de la planète ? Ou faut-il y voir le bras armé d’un Etat en particulier qui pousse ses pions via des groupuscules fanatisés ?

L’ennemi ne va pas de soi. En général un Etat, il peut devenir ce que la théorie a prévu, une entité de partisans planétaires (Kosmospartisanen selon Carl Schmidt en 1938). Quelle est donc la nature de l’autoproclamé « Etat islamique » ? Déjà, nous pouvons constater qu’il a une histoire de 30 ans, fondé en Jordanie en 1989 par Abou Moussab al-Zarqawi sous le nom des Soldats du Levant. L’Etat islamique n’est ni un groupe terroriste, ni une guérilla, mais peut-être le glaive vengeur de l’islam sunnite. Encore que… « sur ses ‘terres’ (son ‘califat’), l’administration adoptée par l’Etat islamique (contrôle des populations, contre-espionnage, etc.) n’a rien de religieux, comme c’est par exemple de cas en Arabie saoudite, mais est à l’inverse et en tout point calquée sur le modèle baassiste-laïc du binôme quadrillage-cloisonnement », écrit Raufer.

Dans le contexte stratégique, l’Etat islamique a été soutenu financièrement jusque vers 2014 par l’Arabie saoudite pour combattre l’influence iranienne dans la région – dont le pouvoir chiite établi à Bagdad. Mais, après la mort du roi Abdallah en janvier 2015, tout change. Un attentat tue au Yémen le gouverneur d’Aden pro-saoudien et Abou Bakr al-Bagdadi « rompt un silence de sept mois » et « accable le royaume saoudien traître au salafisme et allié des ‘croisés’ ». Dès lors, quel Etat soutient l’Etat islamique ?

Les acteurs ne disent pas grand-chose, al-Zarqawi n’est pas un théologien mais un voyou paumé, tatoué et alcoolique, incarcéré dans les années 1980 pour agression sexuelle. Devenu provocateur et assassin à gages, il a pour protecteur l’afghan Hekmatyar, puis se réfugie en Iran avec son groupe d’entraînement lors de l’offensive américaine. Il est « évacué » vers la Syrie après un attentat manqué anti-juif en Allemagne en 2002. On ne sait pas qui l’héberge, ni contre quoi… Il sera tué par une frappe américaine en Irak en 2006.

Lorsqu’émerge l’entité islamique en Irak, dont l’un des proches d’al-Zarqawi a pris la tête, « un minutieux travail d’identification (…) révèle qu’à la tête de cette entité sunnite fanatique, il n’y a pas d’islamistes »… Les ensembles d’informations combinées montrent « que la direction de l’Etat islamique est l’apanage d’anciens officiers de l’armée irakienne et cadres du parti Baas » – dont plus de 150 officiers de Saddam Hussein ont été identifiés. Veulent-ils se venger de l’attaque américaine ? Prolongent-ils le financement prosélyte du wahhâbisme saoudien ? Roulent-ils (bien que sunnites) pour l’Iran pour raisons stratégiques ?

Il est clair que les Iraniens veulent contrôler l’Irak, voire la Syrie. Ils ont aidé Zarqawi tactiquement vers 2002-2006 contre les Américains, qui demeurent leur ennemi principal (et que cet éléphant dans un magasin de porcelaine au nom de Trump ravive avec ses gros sabots).

« Nous savons qu’au Moyen-Orient le terrorisme d’Etat a pour intangible but d’appeler l’adversaire du moment à négocier ou à évoluer », écrit encore Xavier Raufer. Est-ce l’Iran pour forcer les Occidentaux à lever les sanctions et à réhabiliter le pays persan sur l’arène internationale ? En ce cas, la Russie de Poutine et la Turquie d’Erdogan sont-ils des alliés de circonstance ou des contraintes conjoncturelles ?

Nulle réponse à ces multiples questions, mais une réflexion qui va bien au-delà des propos convenus des politologues complaisants de télé, des sociologues qui décortiquent la religion affirmée et ses écarts au Coran (comme si cela importait en géostratégie…), et des lamentations humanitaires sur les conséquences de la guerre des médias en mal de scoop. Réflexion qui doit conduire la France à trouver son intérêt dans cet imbroglio.

La religion est un écran de fumée idéologique pour masquer de réels intérêts. Quels sont-ils ? Faut-il continuer de soutenir ces Américains de plus en plus égoïstes et imprévisibles ? Faut-il se rapprocher de la Russie sur le seul projet commun de contenir le terrorisme ? Faut-il jouer l’Iran contre la Turquie pour amener Erdogan à meilleure composition ? On le voit, non seulement tout est plus complexe qu’il n’y paraît, mais l’ennemi de notre ennemi pourrait bien ne pas être de nos amis.

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François Heisbourg, Secrètes histoires

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Fils de diplomate luxembourgeois et énarque français, François Heisbourg a été conseiller du Prince avant d’être théoricien de la géopolitique. Secrètes histoire est son 14ème livre depuis 2001 mais il a atteint désormais 66 ans, ce qui le laisse un peu plus libre de propos. Membre du Centre d’analyse et de prévision du ministère des Affaires étrangères (1978-79), premier secrétaire à la représentation permanente de la France à l’ONU (1979-1981), conseiller pour les affaires internationales au cabinet du ministre de la Défense (1981-1984), directeur-attaché à Thomson-CSF (1984-1987), directeur de l’IISS (1987-1992), directeur désigné de l’Institut universitaire de hautes études internationales de Genève, directeur du développement stratégique de Matra Défense Espace (1992-1997), responsable d’une mission interministérielle sur la recherche et l’enseignement sur les questions internationales et de défense (1998-2000) et directeur de la Fondation pour la recherche stratégique (2001-2005) – il sait de quoi il parle, tout en n’ayant pas toujours eu la hauteur de vue exigée par l’implication directe dans les événements. Ce livre de souvenirs géopolitiques tente de réparer cet aspect « nez sur le guidon » comme la propension à aduler l’Administration.

Le livre est écrit avec bonheur, presque avec jubilation, sept chapitres probablement repris d’articles divers raboutés et refondus. Le ton est vivant, avec des anecdotes personnelles et quelques révélations peu connues du grand public : combien le système automatique de riposte nucléaire soviétique RYAN a failli vitrifier une grande part de l’Amérique (p.74), combien le monde est passé juste à côté d’un drame nucléaire à Cuba en 1962 alors qu’un sous-marin soviétique armés de missiles atomiques était grenadé par la marine américaine et que seul son commandant a refusé d’actionner sa clé sur les trois requises (p.147), combien la France, l’Allemagne et l’Italie ont failli faire la bombe ensemble en 1957 – avant que de Gaulle n’y mette le holà (p.158).

Pour l’auteur, acteur et théoricien, l’histoire n’est écrite nulle part et les événements sont parfois contingents, tenant à peu de choses.

Fondateur du concept d’hyperterrorisme, il note que l’hyperpuissance militaire américaine est inopérante face aux suicidés de Dieu, mais que la résolution de ce qui n’est PAS une guerre dépend de l’efficacité de la police et des services de renseignements. L’Europe, en ce sens, est bien indigente, en retard par inertie, chaque État, chaque service même gardant jalousement ses informations ou ne tenant pas compte de celles des autres par éparpillement bureaucratique.

Le système international n’est plus celui de la guerre froide mais multipolaire – sauf que la Russie de Poutine ne l’a pas compris et poursuit sa course à la puissance contre l’Occident : les sanctions étaient-elles le meilleur moyen d’apaiser les tensions ? L’erreur de Bush d’occuper l’Irak en 2003, suivie de l’erreur d’Obama de ne pas faire respecter la ligne rouge des armes chimiques en 2013, a déstabilisé un Moyen-Orient compliqué et éclaté entre tribus, sectes et religions. L’Arabie Saoudite s’est crispée en 1979 lorsque des salafistes ont attenté à La Mecque, obligeant le Royaume à faire intervenir les Français du GIGN pour les neutraliser. Désormais, l’Arabie Saoudite se veut plus salafiste que les salafistes (p.312), le wahhabisme n’étant après tout qu’une interprétation littérale du Coran. D’où les financements publics d’Al Qaida, les financements privés de Daech, les complaisances aux imams rigoristes, l’exportation de la foi en Europe…

Les tabous idéologiques (l’islam « respectable » – d’où personne n’a vu surgir Daech p.88), économiques (réduire le déficit public est indispensable à la croissance… sans cesse future, ce « qui pousse les citoyens à se tourner (…) vers la situation intérieure, le cas échéant au profit des choix xénophobes du Front national et des options protectionnistes des extrêmes de gauche et de droite » p.326), social (« ce n’est pas au nom de la lutte contre le terrorisme qu’il convient de réformer l’Éducation nationale, mais bien au nom de l’intégration sociale » p.140), politiques (tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil), diplomatique (« plusieurs de ces pays ont réellement utilisé armes chimiques et vecteurs balistiques, ce qui donne à penser que le tabou pesant sur le recours éventuel à l’arme nucléaire n’est plus aussi absolu que pendant la guerre froide » p.177) dessinent un monde irénique.

Poutine devrait-il savoir que l’Occident ne déclenchera pas la guerre – alors que sa paranoïa monte en raison de « l’étroitesse des cercles de prise de décision et les restrictions croissantes sur le débat public d’experts qualifiés » p.24 ? Et « la Chine actuelle rappelle, à bien des égards, la montée de l’Allemagne avant 1914 » p.217. Les pays issus de la décolonisation, plus la Russie et la Chine, ne suivent pas l’idéologie hédoniste égalitariste occidentale : « à des degrés divers, l’on y récuse le droit à l’avortement, l’homosexualité, la séparation des religions et de l’État. Cela est déplorable, mais le fait est que, sur ces questions comme sur d’autres, différents systèmes de valeurs existent, y compris entre démocraties et parfois au sein même des démocraties » p.235.

Francois Heisbourg

Le panorama est vaste, le propos mesuré, souvent les chapitres se lisent sans qu’on en conclût grand-chose – vieille habitude des ministères… Mais s’en dégage quand même une vaste fresque d’aujourd’hui, une synthèse étonnante. « Le lecteur aurait quelques raisons de trouver peu agréable le tableau du monde qui lui a été servi ici : la menace de l’hyperterrorisme, la société de surveillance, le risque croissant d’emploi des armes nucléaires, un Moyen-Orient en implosion, l’Europe en crise face à la violence au Sud et à l’Est, les risques de conflits en Asie, un monde multipolaire désordonné face aux défis planétaires comme le réchauffement climatique, l’ensemble étant aggravé par la proposition que, si ça va moins bien qu’hier, ça ira encore plus mal demain… » p.343. Mais « nous ne vivons pas la fin des temps, (…) ni une situation inédite ni une situation particulièrement dramatique » p.343. Nous avons déjà vu l’équivalent et nous avons les moyens de faire face.

La leçon d’expérience de l’auteur est qu’« un bon analyste aura réussi dans sa tâche en donnant du sens au présent, de manière à fournir des clés permettant d’avoir prise sur la formation de l’avenir » p.84. Car l’avenir est fabriqué par le présent, il n’est pas « découvert » comme s’il était écrit. Ayant été moi-même analyste, ailleurs qu’en administration, je confirme.

  • Première règle : « ne pas confier aux seuls services de renseignements la conduite de l’analyse des mystères » p.85.
  • Deuxième règle : « se méfier comme de la peste des phénomènes de troupeau ».
  • Troisième règle : « l’intérêt de toujours aborder les problèmes de manière pluridisciplinaire » p.86.
  • Quatrième règle : « laisser travailler en paix ceux qui se livrent à » l’analyse p.87.

Un bon livre de géopolitique pas aussi organisé que celui de la regrettée Thérèse Delpech, et qui laisse plus de questions ouvertes qu’il n’apporte de réponses claires, mais qui aide à comprendre le monde où nous vivons.

François Heisbourg, Secrètes histoires – La naissance du monde moderne, 2015, les essais Stock, 372 pages, €21.50

e-book format Kindle, €14.99

Biographie ISS (international Institute for Strategic Studies)

Attentats de Paris-Bruxelles : Parler d’armée et de guerre concernant Daech, c’est se tromper de combat, Huntington Post 22/03/2016

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Purification ethnique ?

L’incitation vient d’un commentaire sur ma note à propos des bobos de gauche et du Comité de vigilance anti-daeshiste qu’ils n’ont toujours pas fondé… Faut-il « purifier » l’Europe de tous ceux qui sont « allogènes » et non-assimilables ? Mon commentateur déclarait : « la seule solution possible est l’épuration ethnique. Je rappelle pour les amnésiques que les musulmans sont des experts en le domaine d’abord en Égypte dès 1947 où l’administration du roi Farouk faisait en sorte que les Égyptiens n’ayant pas un patronyme musulman soient dans l’impossibilité de trouver un travail ou d’acheter un bien immobilier, ce qui a amené progressivement mais assez vite à l’éradication du sol de l’Égypte des égyptiens d’origine grecque et italienne par exemple. Voir aujourd’hui ce qu’est Alexandrie par rapport à l’Alexandrie de Durrel… Est-il besoin de rappeler le célèbre « la valise ou le cercueil » à Alger en 1962 ? » Il s’agirait donc d’appliquer aux musulmans ce qu’ils pratiquent eux-mêmes : la purification de la société.

Mais nos valeurs « républicaines » de Liberté-Egalite-Fraternité et notre aspiration à l’universel représentent-elles l’équivalent d’une « religion » ? Notre neutralité laïque est-elle un instrument de combat intolérant à toutes les croyances ? Refermer ce qui a fait notre histoire, la libération progressive de toutes les contraintes pseudo « naturelles » qui déterminent chacun, est-elle la solution ? Certains le prônent : fermer les frontières, renationaliser l’économie, établir un État fort et inquisiteur. Je ne crois pas que cela améliorerait les choses. Réaffirmer tranquillement le droit – et le faire appliquer sans faiblesse malgré les zassociations et les bêlements outrés des bobos angéliquement « de gôch » – OUI. Chercher dans ce qui nous arrive une sorte de péché originel à confesser pour faire amende honorable – NON. Pas de « révolution nationale » – on a vu ce que cela avait donné : une démission collective dans la lâcheté.

Il convient de parler de tout pour réactualiser sans cesse la « liberté d’expression », mais selon la raison, afin de bien comprendre ce que recouvrent de fantasmes sous-jacents les slogans affichés. Ce démontage raisonné permet d’être mieux être à même de les évaluer s’ils envahissent le paysage politique

Je ne crois pas pour ma part à l’intérêt pratique d’un transfert de masse de populations reconnaissables à leur faciès, ni ne souscris aux fantasmes de pureté qu’il recouvre. Le mythe de la « race » pure ou de la religion des origines, le mythe d’un l’âge d’or à retrouver, l’an 01 des bases « saines » ne sont que des illusions consolatrices. Tous les millénarismes ont joué de cette corde sensible pour rameuter les foules ; tous les totalitarismes se sont imposés sur ces fantasmes régressifs pour assurer leur pouvoir. Sans résultat : nous sommes ici et aujourd’hui, pas dans le passé imaginaire, sur une planète où tout réagit sur tout (à commencer par le climat et les ressources), dans une ère de communication instantanée qui ne fait que prendre son essor. C’est au présent qu’il nous faut agir – sans se réfugier dans le jadis.

La purification ethnique, ce n’est pas nouveau, ce n’est pas la solution. Sans remonter trop loin (expulsion des Maures d’Espagne en 1492, révocation et exil des Protestants sous Louis XIV, lois discriminatoires de Vichy), prenons trois exemples emblématiques de purifications ethniques réalisées : la turque, la nazie, la salafiste. À chaque fois ce sont les mêmes fantasmes manipulés, à chaque fois les mêmes ressorts politiques, à chaque fois les mêmes conséquences antihumaines – tant pour les victimes que pour les bourreaux.

armeniens nus genocide turc 1915

En 1908 accèdent au pouvoir les Jeunes Turcs qui veulent refonder le pays en État-nation après la fin de l’empire. Les défaites des guerres balkaniques 1912-13 et la perte des territoires européens entraînent en 1912, à initiative des autorités, le boycott des chrétiens Grecs et Arméniens de Turquie. La volonté du nouvel État est : islamisation, turquification, restauration conservatrice. Il s’agit de purifier le pays afin d’homogénéiser la population et de favoriser son assimilation. L’idée de départ est de vider le territoire turc de tous les Grecs, Syriaques et Arméniens, pour y importer des musulmans migrants depuis le reste des Balkans. C’est la guerre de 14 qui rend propice l’éradication physique des Arméniens, les puissances ayant leur attention détournée. Héritage des massacres sous le sultan Abdullamid II en 1894-96, les Arméniens sont considérés comme des ennemis de l’intérieur et n’ont pas d’État protecteur (la Russie se méfie d’eux tandis qu’elle a protégé les Bulgares, et les Occidentaux les Grecs). La décision d’extermination est prise entre 20 et 25 mars 1915 et confiée de façon non-officielle à des groupes paramilitaires. Il y aura près de 2 millions de morts, les Grecs seront expulsés en masse dans les années 1920. La Turquie n’a pas encore fini, en 2015, de payer ce crime contre l’humanité. Son entrée dans l’Union européenne tarde (et n’est pas souhaitable) car elle reste un pays archaïque et sa réislamisation l’éloigne des valeurs du reste de l’Union ; son appartenance à l’OTAN pourrait être remise en cause, tant elle aide les daeshistes en leur achetant en contrebande leur pétrole et en laissant ses frontières ouvertes aux combattants internationaux et aux blessés salafistes.

Qu’est-ce que le massacre ethnique a apporté à la Turquie ? Un appauvrissement en compétences durant tout le reste du XXe siècle, une population toujours en majorité soumise à la superstition et peu éduquée, une suspicion de ses alliés occidentaux. Le nationalisme ethnique ne permet pas d’être plus fort, mais plus faible…

mesurer la race blonde le roi des aulnes film

La purification ethnique nazie est d’une ampleur inouïe, mais n’a pas mieux réussi à redresser le pays. C’est au contraire la défaite – totale et humiliante – de l’Allemagne en 1945 qui a permis l’essor économique, la stabilité politique et la réintégration de ce grand peuple à l’histoire du monde. Tout commence avec l’antijudaïsme chrétien : peuple déicide et communauté à part qui refuse de s’assimiler car persuadée d’être le peuple élu, le Juif est écarté de la propriété féodale et des corporations, il n’exerce que des métiers méprisés comme le commerce, l’usure, le prêt sur gage. L’essor industriel et le déracinement capitaliste aggravent les tensions économiques, culturelles et sociales. Les Juifs ont l’habitude de manier l’’argent et de faire du commerce, ils participent bien plus que d’autres à la prospérité économique sous Bismarck ; ils font donc des envieux. Nombre d’intellectuels rêvent du retour à la nature, de la santé à la campagne (si possible tout nu au soleil), ils critiquent la modernité aliénante de la ville et de l’usine pour rêver d’un âge d’or tout imbibé de romantisme. Des liens se nouent entre nationalisme pangermanique, doctrine raciale, antisémitisme et darwinisme social. La République de Weimar, née de la défaite de 1918, promeut tous les citoyens à égalité, donc les Juifs : c’est insupportable pour les pangermanistes qui les voient comme des traîtres. Les révolutionnaires de gauche sont souvent juifs (Karl Marx, Rosa Luxembourg). Les Juifs sont les boucs émissaires commodes de toutes les injustices commises en Allemagne et contre elle. La crise mondiale des années 30 et l’hyperinflation s’ajoutent à l’amertume de la défaite et la perte de territoires. Le peuple traumatisé entre en régression émotionnelle et cherche refuge sous la poigne d’un homme fort. Hitler fait du Juif le principe cosmique du Mal, l’acteur même du complot politique mondial, le bacille infectieux de tout ce qui affaiblit : internationalisme, démocratie, marxisme, pacifisme, capitalisme apatride, marchandisation. Dans son discours au Reichstag le 30 janvier 1939, Hitler éructe qu’il va exterminer tous les Juifs d’Europe. Dès 1938, l’Allemagne encourage l’émigration juive, puis choisit l’expulsion des Juifs allemands jusqu’en 1941. La défaite française ouvre Madagascar (proposé fin 1938 à Ribbentrop par le ministre français des Affaires étrangères Georges Bonnet), mais la résistance de l’Angleterre empêche le plan. Suivent la déportation en Pologne puis la concentration en camps d’extermination industrielle : tous les Juifs doivent disparaître de l’espace vital de la race allemande – mais aussi comme diaspora menaçante et complotiste hors de cet espace vital (conférence de Wannsee en janvier 1942). Car la guerre qui se retourne en URSS et l’entrée des USA poussent à la « solution finale ».

Qui ne finit rien du tout et ne ramène nul âge d’or – malgré les quelques 6 millions de Juifs exterminés… L’Allemagne a perdu des cerveaux inestimables tels que les physiciens Albert Einstein et Max Born, le biologiste Otto Fritz Meyerhofle, les compositeurs Arnold Schönberg, Kurt Weill et Paul Hindemith, le chef d’orchestre Otto Klemperer, les philosophes Theodor Adorno, Hannah Arendt, Ernst Bloch et Walter Benjamin, les écrivains Alfred Döblin et Lion Feuchtwanger, les architectes Erich Mendelsohn et Marcel Breuer, le sociologue Norbert Elias, les cinéastes Fritz Lang, Max Ophuls, Billy Wilder, Peter Lorre et Friedrich Hollandern, l’actrice Marlène Dietrich…

arabe muscle

Aujourd’hui Daesh, sur ce territoire laissé vide entre Irak et Syrie, instaure le Califat pour éliminer de sa population tous les éléments “impurs“. Il œuvre à éradiquer à la fois Chiites, Chrétiens, Yézidis, Zoroastriens – et les Juifs, s’il en reste ! Il rejette la conception occidentale de l’État-nation (construction d’un vouloir-vivre en commun forgé par une population hétérogène) au profit de la Communauté (oumma) des « seuls » croyants en l’islam dans sa version salafiste djihadiste, régie par la « seule » loi divine intangible (charia). Tous les individus sont niés au profit du collectif – ceux qui résistent sont éliminés. Leur retour de l’âge d’or est celui des premiers temps (salaf = compagnon du Prophète) et leur avenir est la fin des temps (qu’ils croient toute proche). Il faut donc se purifier et éliminer les impies par la violence. Ce culte de la force mâle à qui tout est permis au nom de Dieu attire les déclassés du monde entier qui peuvent assouvir leurs bas instincts sans connaître grand-chose de l’islam. Décapiter est la pratique rituelle envers les animaux : elle vise à faire sortir les victimes de l’humanité, tout en leur ôtant l’âme éternelle (qui siège dans la tête). Établir la Cité de Dieu sur la terre entière permet de faire rêver, les sites Internet et surtout les vidéos de propagande attisent la soif d’action et le ressentiment. Le nazisme avait déjà séduit une partie des dirigeants arabes dans les années 30 (Nasser, le grand mufti de Jérusalem…). Daesh partage avec l’Arabie Saoudite la même vision salafiste de l’islam, la glorification du djihad, les mêmes adversaires chiites. Mais les Saoud ont instrumentalisé la religion pour imposer leur légitimité politique sur les Lieux saints et contre le nationalisme arabe alentour. Ben Laden avait dénoncé l’hypocrisie de la monarchie qui ne respecte pas les principes salafistes (en autorisant par exemple des soldats impies – et même des femmes soldates dépoitraillées ! – sur le sol béni en 1991).

Quel avenir a ce millénarisme ? Probablement aucun, tant il coalise contre lui les États de la région, les grandes puissances mais aussi les opinions un peu partout sur la planète, outrées de voir de petites Shoah fleurir un peu partout selon le bon plaisir des sectaires. Quant à l’islam majoritaire… il se tait, fait profil bas devant la violence des Frères. Lâchement.

daesh crucifie les chretiens

Mais les États jouent chacun leur petit jeu diplomatique, sans guère se préoccuper de la menace pour l’humanité que sont ces crimes quotidiens. Barak Obama, qui ne cesse de décevoir depuis sa première élection, ignore l’Europe, ne veut pas fâcher la Russie ni mécontenter l’Iran, avec qui il négocie sur la prolifération nucléaire. Il joue l’inertie et son opinion manifestement s’en fout, puisqu’il n’y a pas d’Américains ni de Juifs crucifiés (comme les chrétiens d’Irak), décapités (comme les journalistes japonais ou les coptes d’Égypte), ni grillés vifs (comme un pilote jordanien). L’Europe est impuissante, nain politique, les seules puissances militaires (Royaume-Uni, France) gardant la culpabilité du colonialisme et des budgets exsangues. Quant à la Turquie, elle joue le même rôle ambigu avec les daeshistes que le Pakistan avec les talibans et le Qatar avec les Frères musulmans : une complicité objective.

Ce que veulent les quelques 2 à 3000 salafistes sectaires en France, c’est aller « faire le djihad » puis, auréolés d’une gloire factice auprès des « petites frères » des banlieues laissées pour compte par l’indifférence de la droite (yaka mettre des flics) et l’angélisme de la gauche (yaka mettre des moyens), tenter de déstabiliser la société mécréante par des attentats, du prosélytisme, des réactions violentes. Dès lors, la « purification ethnique » est ce qu’ils veulent : que la société des « sous-chiens » chasse les « arabes » afin qu’ils n’aient plus qu’à se soumettre aux « bons » salafistes qui vont les accueillir (à condition d’obéir). En bref quelque chose analogue au scénario juif (qu’ils envient), la terre promise après les camps…

Ce noir-et-blanc peut-il régler définitivement les problèmes de démocratie en France, d’inanité scolaire, de pauvreté, d’étatisme forcené ? J’en doute. Expulser les délinquants récidivistes et les priver de leur nationalité française imméritée (s’ils en ont une autre…), est possible. Mais ce sont les banlieusards nés et élevés en France – donc Français – qui ont sombré dans le salafisme sectaire après être passés par la case voyou. Tout comme les gauchistes idéologues d’Action directe il y a peu contre « le système ». Faudrait-il réviser – comme sous Vichy – les naturalisations sur trois générations ? Ou faire des « tests ADN » (autre nom du compas nazi à mesurer les crânes) pour décréter qui est digne d’être Français ou pas ? Nous serions aussi ridicules que la Corée du nord et sûrement pas suivis par les pays de notre Europe… C’est pourtant le parti des Le Pen qui laisse prôner ce « grand remplacement » à l’envers. L’histoire montre ce que cela a donné. Vous me pourrez pas dire que vous avez voté sans savoir !

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Sur la gauche bobo

La gauche libertaire est l’une des 4 gauches définies avec brio par Jacques Julliard mais c’est la plus visible – et c’est contre elle que je m’élève parce qu’elle qui occupe les médias en boucle (intellos, experts autoproclamés, universitaires qui ont fait 68, etc.) Il ne s’agit pas de Manuel Valls, de Pierre Joxe ni de certains autres, mais de la constellation des « conseillers » et autres intellos « de gauche » bobo, ultra-parisiens (rapport Tuot sur « la société inclusive », préconisations Terra Nova sur les nouvelles majorités électorales, etc.).

Les dessinateurs de Charlie (et l’économiste) étaient de la génération d’avant, antiautoritaires (antigaullistes et antisoviétiques) dans la lignée de la Commune de Paris, sans être vraiment anarchistes (ils se déclaraient pour le droit).

Ce qui m’agace dans les assauts « d’émotion » et de « vertu républicaine » de la gauche intello-médiatique impériale à la télé, à la radio, dans les journaux est cette posture « d’indignation »… sans aucune conséquence pratique. « Ah non, pas interdire le voile ! Ah non, pas publier de statistiques ethniques ! Ah non, pas de classes de niveaux, tous pareils ! Ah non, il ne s’agit pas de guerre ! Ah non, l’islam n’est pas une religion à dérive totalitaire ! »

« Islam violent ? You dare ! » : IMAGE CENSUREE en juin 2019 A LA DEMANDE DES AUTORITES PAKISTANAISES

C’est la même posture du déni que la gauche sous Jospin à propos de la délinquance et du « sentiment » d’insécurité. On a vu ce que les électeurs de base en ont pensé le 21 avril 2002

Les spécialistes de l’islam savent bien expliquer la distinction entre foi et politique, entre islam et dérives wahhabite puis intégriste, puis terroriste. Mais les intellos ne le font pas, soucieux avant tout d’éviter « l’amalgame », la « stigmatisation » et autres dénis de réalité : ils parlent sans savoir, comme d’habitude, se précipitant pour occuper la première place à l’audimat de l’indignation.

caricatures mahomet

Pourquoi ne constituent-ils pas CONCRETEMENT un Comité de vigilance des intellectuels comme la gauche en 1934 après les émeutes nationalistes du 6 février contre les parlementaires ? C’est ce sur quoi je m’interrogeais dans ma note d’avant-hier. Ce serait un laboratoire de réflexion, une force de propositions trans-partisane, traduisant dans les faits cette « unité » qu’ils revendiquent – tout en restant jusqu’ici dans leur fauteuil confortable.

Il s’agirait de réfléchir aux failles de la société française :

  1. l’immigration fantasmée : or elle est « incontrôlée légalement » (90% de ceux qui entrent chaque année le font parce qu’ils en ont le DROIT par mariage, regroupement familial, asile politique accordé ; 100% des minorités visibles nées en France SONT français, qu’on le veuille ou non) – doit-on changer le droit ? dénoncer les traités internationaux signés ? les renégocier ? invoquer une exception ? – ou les accepter tels quels, mais sans alors accuser sans nuances « l’immigration » ;
  2. la faillite scolaire : l’enseignement resté figé aux années 60, pédagogo, élitiste, matheux, méprisant, inadapté aux nouvelles populations (tous jeunes confondus) et aux nouvelles communications. « J’ai voulu, au travers de mon parcours, raconter que la fermeté à l’égard de ces jeunes est une marque de respect ; la complaisance une forme de mépris » écrit par exemple Zohra Bitan, banlieusarde d’origine et ex-PS. Distinguer la foi de la mauvaise Foi, apprendre à penser soi-même, à travailler avec les autres, à s’exprimer avec des mots (et pas en manipulant des items linguistiques !), apprendre les règles de la vie en société…
  3. la faillite du « vivre ensemble » : violé à la fois par les partis extrémistes de droite ET de gauche (à qui on laisse dire à peu près n’importe quoi) et par le gouvernement socialiste bobo (qui braque les sentiments des gens moyens et des croyants par « le mariage » gai ou le vote « des étrangers », toutes revendications communautaristes bien loin de l’Unité nationale hypocritement revendiquée). Les intellos ne cessent de critiquer, saper et déconstruire la culture occidentale, les associations communautaristes ne cessent de culpabiliser la France entière en rappelant sans cesse les croisades, la colonisation, la Shoah… alors que c’est aujourd’hui qui compte le plus : les pouvoirs autoritaires en Arabie Saoudite, en Syrie, en Algérie, etc., la corruption et le clanisme des élites politiques des pays émergents notamment africains et proche-orientaux, l’attitude d’Israël au mépris de l’ONU depuis des décennies, les petites Shoah en Bosnie, au Rwanda, au Soudan, en Palestine, en Irak qu’on laisse faire comme si de rien n’était. Comment se sentir « français » dans cette culture du mépris et de la honte permanente ? Françoise Sironi, psychanalyste et psychologue du Magazine de la rédaction de France-Culture hier, a pointé la « fragilité personnelle » des terroristes, leur « métissage » entre deux cultures, leur absence de certitudes sur ce qu’ils sont ou ceux qui peuvent les reconnaître. Le multicuturel ne fonctionne QUE lorsqu’on possède déjà une culture; on peut alors s’ouvrir aux autres cultures. Mais lorsque l’on n’est pas sûr de soi, reconnu nulle part, sans modèle de construction pour sa personnalité, le multiple en soi fait se perdre ; la tentation rigoriste des « sectes » ou des religions totalitaires est alors une tentation de facilité : « on » vous dit ce qu’il faut penser et comment il faut vivre. Le communisme a été l’une de ces « religions », il y a deux générations; c’est aujourd’hui l’islamisme radical. La liberté fait peur, il faut être armé pour être libre. Quand on ne l’est pas en soi-même et qu’on se sent impuissant, on utilise un substitut : une kalachnikov.
  4. la faillite de l’emploi : la lutte « contre le chômage » (qui touche particulièrement les jeunes et particulièrement les banlieues) invoquée comme une « priorité » alors que François Hollande pratique l’exact INVERSE : hausse générale des impôts, taxe à 75% symbolique, injures aux entrepreneurs et aux « riches », menaces (verbales) aux étrangers investissant en France (surtout pas d’amendes comme les États-Unis le font !). Comment le chômage pourrait-il reculer, étouffé par les réglementations, les taxes en cascade, l’état d’esprit anti-croissance (écolo), anti-entreprises (gauche du PS), anti-richesse (PDG Mélenchon), anti-réusssite (vieille austérité catho reprise par les jansénistes socialistes à la Martine Aubry) ? Pour la gauche, la seule « réussite » sociale ne passe que par le service d’État (la polémique anti-Macron sur les milliardaires en est l’exemple plus récent) : serait-ce « déroger » d’être entrepreneur, comme sous l’Ancien régime ?
  5. la faillite républicaine enfin : qui bâtit des lois mal ficelées, inapplicables (sur le voile…), qui fait du tortillage de cul lorsqu’il s’agit de l’appliquer (le survol « interdit » des drones au-dessus des centrales nucléaires : pourquoi ne pas les détruire sans sommation ? Il n’y a personne dedans et c’est clairement dit et répété : c’est interdit – haram en arabe) ; qui gère la délinquance par le seul répressif, tout le monde pareil, au risque de radicaliser les jeunes en prison – sans leur donner un modèle alternatif ; qui émet des incantations à « l’union nationale » tout en s’empressant aussitôt d’exclure tel ou tel (fatwa Hidalgo et consorts) sous prétexte qu’ils ne seraient pas « républicains » : c’est quoi être républicain en république ? Obéir aux lois et respecter les institutions ? Alors tous les partis légalement autorisés SONT républicains – ou alors le mot ne veut plus rien dire : la gauche intello adore « déconstruire » et embrouiller le sens commun afin de se poser en seule interprète du Bien… Faillite républicaine manifeste chez François Hollande, qui invoque l’unité dans un discours essoufflé dont il a le secret – tout en laissant son parti dire le contraire et appeler à manifester chacun sous sa pancarte : PS, PDG, écolosLV, CGT, etc. L’identité, ce serait mal à droite mais « vertueux » à gauche ? On mesure combien un Hollande n’arrive pas à la cheville d’un de Gaulle, d’un Mitterrand, ni même d’un Chirac (Allah sait combien je le considère peu, pourtant). Lui-Président apparaît comme président-croupion, technocrate à langue de bois toujours dans la synthèse horizontale sans rien de la hauteur d’arbitre au-dessus des partis requise par la fonction – encore moins l’incarnation de « la France ».

ecole islamiste

Ce sont ces faillites qui fragmentent la France en autant d’égoïsmes communautaires, chacun replié sur ses petits « droits ». Dans ces interstices, les daechistes veulent frapper comme les fascistes hier, pour accentuer les fractures et monter les communautés les unes contre les autres. Ils sont aidés en cela par les suiveurs du « pas de vagues », « mieux vaut la paix », « ils ont été trop loin » et autre état d’esprit de collaboration pétainiste à l’œuvre dans toutes la société française. Et dont Houellebecq a rendu la texture dans une fiction récente – dont je reparlerai.

islamiste et gamin

Cela dans une tendance mondiale au national-quelque chose : national-islamisme daechiste, pakistanais ou turc, national-judaïsme de la droite israélienne, national-‘socialisme’ de l’extrême gauche française, national-étatisme de l’extrême droite française, du pouvoir algérien et du Poutine russe, national-jacobinisme de la majorité socialiste, national-affairisme américain, national-communisme chinois, et ainsi de suite. Qu’y a-t-il dans l’islam qui facilite la tentation totalitaire ? Est-ce différent des autres religions ? L’exigence théocratique réclame-t-elle un  État appelé califat pour les croyants de l’Oumma ? L’histoire est-elle autre ? Est-ce un simple « retard » de développement (théorie un peu ancienne et passablement condescendante) ?

Le danger radical est donc l’épuration ethnique. Je me souviens d’avoir été interloqué lorsque mon directeur de thèse, alors professeur associé à Paris 1, ministre plénipotentiaire et conseiller spécial du ministre des Affaires étrangères Claude Cheysson à l’époque (donc de gauche socialiste bon teint), m’avait dit que « finalement, la meilleure solution en ex-Yougoslavie serait la partition ethnique, comme les Turcs l’ont faits aux Grecs en 1920 »… Avait-il tort ? Pas sûr, rien n’est jamais tout blanc ni tout noir, ce serait trop simple.

ignorance et mauvaise foi islamiste

Le chacun chez soi ne conduit pas forcément à la guerre, mais limite l’épanouissement. Désolé d’être brutal, mais rester entre soi rend con. Chacun peut le constater dans les milieux très bourgeois (pour faire plaisir à la gauche) ou chez les islamistes sectaires (pour faire plaisir à la droite). C’est la même chose pour les nations : est-ce par hasard si les nations les plus ouvertes sur le monde, dans l’histoire, ont été les plus grandes et les plus prospères ? Rome, Venise, Amsterdam, Londres, New York – aujourd’hui Singapour ou Rio.

En cas de guerre ouverte (Turquie des années 20, Allemagne des années 30, ex-Yougoslavie des années 90, Russie et Syrie 2014), l’exil des « allogènes » est peut-être la solution d’urgence. Mais certes pas une solution à long terme.

Car, à long terme, le nomadisme est historique – depuis les premiers hominidés sortis d’Afrique, avant nos ancêtres directs partis du Proche-Orient vers 200 000 ans. Le mélange fortifie – à condition qu’il soit dosé. Comme le poison ou l’ingrédient de cocktail, tout est question de posologie : trop d’eau dans le whisky (ou de lait dans le thé) rend le breuvage insipide ou écœurant ; un peu d’eau ou de lait avive les saveurs, enrichit les arômes, permet d’explorer de nouvelles sensations. L’immigration est donc à la fois une chance et un danger.

Ce que je reproche à la gauche est de nier les problèmes posés par l’accueil « sans frontières » ; ce que je reproche à la droite est de nier la réalité des traités signés (souvent par des gouvernements de droite) sur le « droit » à immigrer. Il faudrait donc en débattre, mettre des chiffres fiables sur la table, sérier les problèmes posés, mieux répartir les lieux d’accueil, avoir enfin une véritable politique du logement (et pas à la Duflot !), réaffirmer clairement les droits et les devoirs, à commencer par la neutralité laïque (ce qui veut dire aussi, surtout à gauche, faire taire les ayatollahs de la laïcité militante).

paisible islamisme

Quant à « déchoir de nationalité française » les retours de Syrie, d’Irak ou autres lieux djihadistes, c’est irréaliste : un slogan populiste qui ne tient aucun compte du droit actuel. Car si vous êtes « né » français, vous ne pouvez être déchu ; seuls les doubles-nationaux peuvent l’être s’ils se comportent comme les nationaux du pays étranger dont ils sont AUSSI ressortissant. On ne peut devenir arbitrairement apatride. Ou bien l’on change le droit (et les traités internationaux que la France a volontairement signés), ou bien il s’agit de proposer des solutions applicables, comme le rétablissement de l’autorisation de sortie de territoire pour les mineurs, l’obligation de visa pour se rendre en Turquie ou la consultation par les services antiterroristes des listes de passagers d’avion dans l’UE (refusé jusqu’ici parce que portant atteinte aux libertés publiques).

poutine flingue

Nous sommes un régime démocratique (et pas poutinien), nous devons donc suivre les règles démocratiques. Ce qui n’exclut pas la force : inutile de « rétablir la peine de mort » par exemple, autre slogan simpliste (aux effets secondaires jamais évoqués…) : nous sommes en guerre parce que les daechistes déclarent la guerre et portent des armes de guerre ; la police ou les services spécialisés doivent avoir contre eux un comportement d’état de guerre, ce qui signifie tuer s’ils sont directement menacés – ou plus généralement « neutraliser » si déférer à la justice est possible. Ce qui est socialement plus pédagogique.

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On attend un Comité de vigilance des intellectuels antidaechistes

Requiem pour la presse libre, en tout cas pour la douzaine de Charlie Hebdo, massacrés hier aux armes lourdes. Ah, je sais ! Pas d’amalgame, pas de stigmatisation, « attendons » que la justice fasse son travail, blabla… Mais un tel attentat est signé. Commando cagoulé, armes lourdes, punition contre les livres (Haram les booko !) et contre la liberté de se moquer : on reconnait sans peine (et sans aucun tabou) l’islamisme radical. Après Toulouse et Bruxelles, les retours de flamme du califat se poursuivent et signent.

charlie hebdo prophete

Ne serait-il pas temps d’affirmer les limites ? Car en nos sociétés européennes vivent des minorités attirées par le djihad, par une version tordue de la religion, par un intégrisme de revanche. Ne serait-il pas temps de distinguer publiquement l’islam de l’islamisme, la foi du permis de violer et d’asservir, le crime de guerre du combat identitaire ?

Notre gauche braillarde des ‘Indignés’ constitue-t-elle un Comité de vigilance des intellectuels antidaechistes, comme hier antifasciste ? Ou une Action antidaechiste Paris-Banlieue ? Il semble que non… L’indignation a ses humeurs, les valeurs attendront ; elles ne sont après tout que des cache-sexe pour faire jouir sa bonne conscience. Surtout quand les bobos intellos pètent de trouille, n’osant même pas lire Houellebecq de crainte de rencontrer le diable ! C’est votre lâcheté, bobos « de gauche » bénévolante qui trouve « pittoresques les petites mosquées », « relativisent » les prêches radicaux, trouvent « incroyablement romantiques ces jeunes qui vont en Syrie », comme avant-hier Malraux guerroyer républicain en Espagne et Régis Debray guerriller marxiste auprès de Guevara.

charlie hebdo voiler violer (2)

Aujourd’hui est Daech, donc certainement le daechisme – car l’islam radical est une foi totalitaire et impitoyable. Demain verra peut-être le fascisme, car la réaction des nations est brutale lorsqu’on touche à l’intime.

D’où vient ce daechisme brutal ? Du kyste juif dans la chair arabe depuis 1947 sans doute, mais cela ne fait qu’exacerber ce qui est plus profond : le grand vide de nation, d’État, de projet social, d’identité – de tous les pays de l’arc musulman, du Maroc au Xinjiang. Autoritarisme, népotisme, corruption, sous-développement – malgré les dons, les subventions, le pétrole. Le « printemps arabe » avait donné un certain espoir; il s’effondre dans l’archaïsme, l’ignorance et les mafias cléricales qui captent Allah à leur seul profit.

La guerre entre Juifs et Arabes sur le territoire biblique revendiqué par les deux religions est en train de devenir une guerre de cent ans. Depuis les négociations de Camp David, chacun s’est enfermé dans la bonne conscience, se voyant comme unique victime de la barbarie de l’autre. La guerre apparaît à chaque flambée comme une impasse, la politique comme une surenchère démagogique d’intransigeance des deux côtés. L’immigration juive orthodoxe a radicalisé le national-judaïsme, la Terre idéalisée bloquant tout gouvernement par la représentation strictement proportionnelle qui empêche d’être légitime sans une large alliance de compromis. Le Hamas national-islamiste est paranoïaque pour la Palestine dans les années 40 et fondamentaliste par contamination des Frères musulmans dans les années 50. Ce mouvement est cruel par sectarisme, n’hésitant pas à exécuter – en pleine guerre contre Israël – certains de ses militants soupçonnés de faiblesse, ni à utiliser la population comme bouclier pour cacher des armes, des entrées de tunnels ou des réunions de chefs. Malgré l’ONU (impuissante), les bonnes intentions des pays occidentaux (soumis au veto du lobby juif américain) et le cynisme russo-chinois (tout chaos permet d’affaiblir les États-Unis), la situation négociée des « deux États » n’est pas prêt de voir le jour.

amants arabe et juif
Dans la région alentour, la naïveté missionnaire des États-Unis poussée par le désir de se venger des attentats terrestres (World Trade Center 1993, base militaire américaine de Dhahran en Arabie saoudite 1996, ambassades des États-Unis à Dar es Salaam en Tanzanie et à Nairobi au Kenya 1998), maritime (USS Cole 2000) et aérien (World Trade Center 2011), a créé le chaos. Les talibans sont chassés d’Afghanistan mais survivent dans les zones tribales frontalières du Pakistan, tandis que « l’État des purs » (musulman) joue double jeu, son gouvernement acceptant les subsides américains pour son armée mais ses services secrets (ISI) protégeant largement les groupes islamistes opposés à l’Inde, l’ennemi héréditaire. Jusqu’à « ignorer » la retraite paisible de Ben Laden, le tueur en série, à Abbottabad, un kilomètre et demi proche de la plus grosse académie militaire pakistanaise…

charlie hebdo mahomet et les cons

Dans ce vide créé par la guerre depuis 2001 – puis par l’abandon américain dès 2013 – prolifèrent tous les extrémismes mafieux qui revendiquent Allah pour imposer leur bon plaisir sur un territoire qu’ils appellent « califat ». Un nouvel empire de mille ans au nom de la race ? Non, de la religion – ce qui revient au même ou presque : qui n’obéit pas aux mêmes rites, même s’il est musulman, est envoyé en camp et réduit en solution finale. Ce Nationalisme et cet islamisme font un cocktail détonnant, qui a œuvré sous d’autres climats au siècle précédent pour créer le pire totalitarisme. Le marxisme laïc du parti Baas a échoué, comme le nationalisme arabe ; ne reste plus que l’archaïsme fondamental du Livre, interprété littéralement. Cette foi totalitaire attire dans le monde entier car elle rassure les mal dans leur peau qui cherchent leur virilité, offrant une revanche aux frustrations sociales et à la victimisation historique. Les Italiens de Mussolini comme les Allemands de Hitler, ont connu ces mêmes moments de ressentiment et de haine de soi, avec les conséquences que l’on sait.

ado chiite se fouette

Mais sunnites et chiites s’affrontent pour l’interprétation fondamentale du Coran. Selon Mathieu Guidère, professeur d’islamologie à l’université Toulouse 2, « pour les sunnites, le chef de la communauté musulmane doit être un homme ordinaire, élu par d’autres hommes, parmi les membres de la communauté des fidèles. Pour les chiites, la communauté musulmane ne peut être dirigée que par les descendants de la famille de Mahomet, des imams qui tirent directement leur autorité de Dieu et qui sont donc meilleurs et infaillibles » (revue Le Débat 182, novembre 2014). Reste que les deux sont d’accord par leur refus de séparer Dieu et César : l’islam est un guide de vie total, alliant politique et religion. Or le Livre dit tout et son contraire, justifiant de faire la guerre aux juifs et chrétiens mais leur permettant aussi un statut protégé ; interdisant d’asservir un musulman mais permettant des exceptions au bon vouloir des imams… et ainsi de suite.

Daesh massacre

L’effondrement ou l’illégitimité des États nés de l’occupation américaine (Afghanistan, Irak), l’opportunité ouverte en Syrie par la répression aveugle, font que « le djihad » attire dans la région tout ce que le monde compte de croyants, d’exaltés et de psychopathes. Les dirigeants américains sont restés longtemps complaisants envers l’islamisme, ils voient tous les mouvements religieux menés par une exigence spirituelle et une rigueur morale analogues à la leur, chrétienne – bien loin de « l’immoralité » qu’ils attribuent aux marxistes, baasistes ou anarchistes. Les vidéos par Internet ont diffusé dans le monde entier la violence et la licence sans limites des « croyants » brandissant Allah pour éradiquer l’infidèle, qu’il soit arabe ou blanc, sur le territoire de chasse reconquis de l’islam historique.

Mais disons-le : Daech n’est ni État, ni islamique ; il est une bande de nervis inféodés à un chef sanguinaire qui veut imposer sa terreur par le viol, le meurtre et le pillage. Les daechistes sont les fascistes d’aujourd’hui, avec la même foi en le sang et le sol, la même volonté de domination sur les « esclaves », la même hystérie guerrière pour tremper leur virilité machiste menacée par la modernité.

daesh crucifie

Sommes-nous toujours humanistes des Lumières et démocrates libéraux ?

  • Si oui, « le daechisme ne passera pas ».
  • Sinon, attendez-vous à la servitude volontaire, car les « droits de l’homme »vont être réduits aux seuls droits des mâles islamistes armés, la politique daechiste consistant à accaparer, violer et tuer, réduisant légitimement en esclavage toutes les femmes et tous les garçons non convertis, faisant des autres des soldats au service du chef. Comme cela se passe en Syrie selon les repentis de retour. En Europe, Charlie Hebdo le prouve après les juifs de Merah et le musée de Bruxelles, il s’agit de menacer, de terroriser, de faire taire tout esprit critique. Tout en cherchant à monter les Français « de souche » contre les Arabes « immigrés », afin que le chaos s’installe et que prolifèrent les mafias comme en Syrie, en Irak, en Afghanistan, au Nigeria, au Mali – sur l’exemple de la Bosnie d’hier.

Pour ces barbares, il s’agit de promouvoir « les idéaux de ‘rénovation’ nationale et de puretéécrit la doxa Wikipedia. Croire, obéir, combattre deviennent des valeurs, analyser et critiquer de l’insubordination. Il est donc nécessaire de faire naître un sentiment d’urgence, de désigner un ennemi commun cherchant à détruire le collectif et contre lequel le groupe tout entier doit se mobiliser. » L’article concerne le fascisme…

Abdallah Tintin au pays de l or noir

Pasolini l’écrivait déjà, en 1975 : « Une bonne partie de l’antifascisme d’aujourd’hui, ou du moins ce qu’on appelle antifascisme, est soit naïf et stupide soit prétextuel et de mauvaise foi. En effet elle combat, ou fait semblant de combattre, un phénomène mort et enterré, archéologique qui ne peut plus faire peur à personne. C’est en sorte un antifascisme de tout confort et de tout repos. » Il voyait le fascisme contemporain à combattre dans la société de consommation molle de son époque ; voyons-y de nos jours l’imprégnation de la violence et du romantisme sexuel et guerrier du ‘tout est permis’ Daech.

Alors, à quand votre vigilance contre le daechisme, intellos bobos ? A moins que Daech ne constitue la nouvelle « révolution culturelle » chère à votre vieille jeunesse, cette resucée de la « révolution nationale » des années 40 ?

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Esclavage dans le monde arabe 7ème 20ème siècle, Murray Gordon

murray gordon l esclavage dans le monde arabe 7e 20e siecle
L’esclavage n’a pas concerné que la traite atlantique ; le territoire africain et les marchands arabes ont également trafiqué des êtres humains, bien avant et durant bien plus longtemps – jusqu’à la mi-XXe siècle. Les études sur le sujet sont plus rares et font moins parler d’elles. Murray Gordon, qui a enseigné les sciences politiques à la City University de New York et travaillé aux Nations Unies, y voit quatre explications :

  1. la mauvaise conscience occidentale au passé colonial enrichi dans le commerce triangulaire,
  2. le manque de documents historiques de première main,
  3. l’écart de définition de l’esclave entre Occident et Islam (objet sans âme pour les premiers, personne vendable pour les seconds),
  4. enfin l’absence de diaspora noire comme aux États-Unis et en France qui ne pousse pas à l’étude du sujet.

Son livre, qui se lit facilement et donne de copieuses notes et bibliographies, complète ceux de Jacques Heers, Les négriers en terre d’islam – la première traite des Noirs VIIe-XVIe siècle et de Robert Davis, Esclaves chrétiens maîtres musulmans – l’esclavage blanc en Méditerranée (1500-1800).

Des historiens se sont quand même penchés sur ce sujet délaissé, surtout depuis le mouvement abolitionniste né au XIXe siècle en Angleterre pour raisons religieuses ; Murray Gordon en fait la recension. Si les chiffres sont à prendre avec les précautions scientifiques d’usage, les témoignages et les écrits historiques sont indéniables. Il y aurait eu traite vers les pays arabes pour environ 7 millions d’esclaves du VIIe siècle au XVIe siècle (p.149), pour environ 10 millions de 1600 à 1800 (p.150), et pour environ 2 millions de 1800 à 1950 (p.172, p.188). Il y aurait eu encore de 500 000 à 700 000 esclaves en Arabie Saoudite dans les années 1950… Ce sont principalement des « nègres », réputés physiquement forts pour être soldats mercenaires, gardes du corps ou compagnons de jeux, agriculteurs, eunuques de harem castrés entre 8 et 12 ans, intendants, artisans spécialisés ou nourrices, concubines ou mignons – voire « chèques de voyage » pour payer les frais durant le pèlerinage à La Mecque. Mais ce sont aussi des « Slaves » des Balkans, de Grèce ou des bords de la mer Noire, les chrétiens pris en Méditerranée, et des « Blancs d’Asie » capturés en Inde ou ailleurs.

La carte des traites draine principalement l’Afrique du nord et du centre, le XIXe siècle voyant l’apogée des routes ouvertes : « A l’ouest, s’étendait la route du Maroc à Tombouctou en passant par Taoudeni, avec son important embranchement sur Mabruk et Touat. Au centre, passait la route Ghadamès-Aïr-Kano qui menait au pays des Haoussas. Plus à l’est, on trouvait la route Tripoli-Fezzan-Kawar qui se terminait au Bornou. Enfin, la dernière reliait la Cyrénaïque au Ouaddaï par Kufra » p.155.

esclavage arabe routes du commerce

Pourquoi l’esclavage en pays arabe ? Parce qu’il est plus ancien que l’islam, la pratique courante d’une société machiste de bédouins prédateurs qui considèrent déshonorant tout travail autre que la guerre. Parce que l’islam – mais plus encore la charia, cette interprétation juridique de la religion – a légitimé l’esclavage des non-croyants, avec une exception théorique pour les croyants du Livre non-musulmans : juifs et chrétiens. Mais la pratique a toujours su jouer habilement des textes pour justifier la capture, la captivité et la mise au travail de croyants, y compris musulmans, lorsque cela arrangeait les affaires. Le mythe de Cham, présent dans la Bible et repris par le Coran, rend les « nègres » inférieurs, plus loin de Dieu et plus « enfants ». « Tant que l’esclavage reposa sur un système multiracial, les propriétaires turcs et arabes d’esclaves favorisèrent leurs esclaves blancs par rapport à leurs esclaves noirs, dans l’attribution du travail et dans ce que l’on pourrait appeler les perspectives de carrière. Les concubines blanches étaient préférées aux noires… » p.102. Le Prophète veut cependant corriger les abus pratiques de la société de son temps (p.25) et la religion musulmane qu’il instaure fait des esclaves des êtres humains à traiter correctement. On peut d’ailleurs « expier ses péchés » en affranchissant ses esclaves. Mais « il n’y a rien dans les prescriptions du Prophète qui permette de conclure qu’il aurait en aucune façon favorisé l’abolition même graduelle de l’esclavage. Une approche aussi radicale lui aurait aliéné les gens mêmes qu’il voulait gagner à son enseignement » p.25.

D’ailleurs, la conversion à l’islam après la capture ne rendait aucunement libre : le juriste musulman marocain Ahmad al-Wansharisi, au XVe siècle « déclara qu’elle n’invalidait pas la propriété ou la vente de l’esclave » p.39. L’esclavage en islam « fait partie de l’ordre naturel des choses », justifié au nom de la religion par le sentiment d’être élu d’Allah, habilité à convertir la terre entière. « L’abus de la notion de jihad se manifesta particulièrement dans les déprédations des pirates barbare[sques] à l’encontre des navires chrétiens sur les côtes d’Afrique du nord (…) qui se poursuivirent jusqu’au début du XIXe siècle » p.33.

L’Arabie Saoudite, les Touaregs, les sultans turcs, les riches égyptiens, Oman, Zanzibar, furent les plus gros consommateurs d’esclaves. « Au milieu du XVIIIe siècle, le harem et le voile, symboles du statut des peuples soumis chez les Byzantins et les Perses, furent adoptés par les Arabes » p.64. Les habitudes d’avoir des domestiques, de garder ses femmes et concubines à l’abri de tous regards, et la caution de la religion – firent que l’esclavage a duré en Arabie Saoudite jusqu’en 1962 et en Mauritanie jusqu’en 1981 ! « Partout où l’islam s’implanta, le harem entra dans les mœurs » p.94. Même l’Afghanistan, pourtant réputé plus arriéré, a aboli l’esclavage en 1923, l’Irak en 1924, la Transjordanie et l’Iran en 1929. « En Égypte, dans les années 1870, les beys et les pachas les plus riches achetaient encore des garçons blancs pour servir de compagnons de jeu à leurs fils » p.61. « Un marché aux esclaves fonctionnait encore à La Mecque en 1941 » p.227. « Des chargements de jeunes garçons avaient été débarqués à Oman en 1947, venant de la côte du Makran, au Baloutchistan. (…) on faisait venir des jeunes filles d’Alep en Syrie pour les vendre comme esclaves en Arabie » p.227.

esclave torse nu ligote 14 ans

Ce sont les pressions diplomatiques, commerciales et militaires des pays occidentaux – avec arrière-pensées coloniales – qui ont forcé à abandonner le système social confortable de l’esclavage et les profits fructueux de la traite (de 300 à 500 % de bénéfices pour les marchands p.161, malgré les nombreux morts dus au transport – traverser le Sahara à pied… – et aux mauvais traitements). Les pays devenus colonies ont abandonné de force la traite et l’esclavage : Tunisie et Algérie en 1846, Tripoli en 1853. Certes, les conférences internationales de 1885 et 1890, la SDN en 1926, l’ONU en 1956, se sont saisis du problème. Mais, « en réalité, le facteur déterminant dans cette affaire ne fut pas le respect des textes interdisant l’esclavage, respect intermittent dans le meilleur des cas, mais plutôt l’apparition de nouveaux moyens de transport plus pratiques et de nouvelles opportunités commerciales » p.170. Le développement des échanges et l’industrialisation ont rendu l’esclavage sans intérêt pratique.

Quoique… les salariés mercenaires importés du Népal ou d’Indonésie en Arabie Saoudite ou dans les Émirats aujourd’hui, parqués sans passeport dans des clapiers construits à la hâte, et exploités 12 heures par jour pour bâtir des buildings, ne sont-ils pas la forme moderne de l’esclave en islam ? Et la secte islamiste Boko Haram (ce qui veut dire “l’éducation occidentale est un péché”) qui a annoncé que les adolescentes nigérianes enlevées seraient traitées comme des esclaves, mariées de force aux militants du groupe islamistes ou vendues pour 12 $ sur les marchés – ne reprend-t-elle pas la tradition des origines de l’islam ? Retour aux sources et anticolonialisme font aussi partie d’aujourd’hui. Connaître l’histoire permet de comprendre ce qui se passe ici et maintenant.

Quant à « commémorer » l’abolition de l’esclavage, autant n’oublier aucune des formes qu’il a pris et qu’il prend encore. Car trop souvent, pour les politicards avides de faire mousser leur politiquement correct, la « mémoire » est sélective – selon leur idéologie du moment. Or l’histoire est une science en mouvement, pas une réserve d’indignations morales gratuites.

Murray Gordon, L’esclavage dans le monde arabe – VIIe-XXe siècle, 1987, collection Texto Tallandier 2009, 271 pages, €7.60

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John Connolly, Les murmures

Incultes d’Américains ! Toute généralité de ce genre fait pousser les hauts cris des politiquement corrects, en général relativistes et multiculturels. Mais  les Américains ont toléré, perpétré et encouragé l’inculture de masse : il s’agit d’un choix politique, pas d’une essence anthropologique. La culture consiste justement à ne jamais confondre les niveaux… On peut donc critiquer ce choix, puisqu’il dépend des Américains eux-mêmes (ou de certains d’entre eux) de modifier leur comportement.

Je persiste donc face au conformisme de ceux qui se croient la vérité en marche parce qu’ils sont au chaud dans le troupeau dominant : incultes d’Américains ! Ils envahissent Bagdad en 2003, poussés par le génie géopolitique de Rumsfeld, sans moyens ni objectifs – et ils laissent piller le musée archéologique, tout en « montant la garde » à 50 m. « Savez-vous que 17 000 objets ont été dérobés dans ce musée pendant les journées d’avril ? » p .425. Dix ans après, les Américains sont encore là, l’Irak est loin d’être « pacifié », encore moins « démocratique » et les États-Unis sont haïs comme jamais dans le monde, malgré l’élection d’un président noir. Oui, elle est belle, l’Amérique !

John Connolly, Irlandais, n’a pas son pareil pour décrire avec jubilation les travers de cette nation en dérive. Traumatisée par le 11-Septembre (comme auparavant avec Pearl Harbour grâce à ce bon M. Hoover qui n’avait rien dit de ses renseignements…), elle sombre dans la psychose paranoïaque. Le biblisme, version Ancien testament, jure que les Yankees sont le Peuple élu de Dieu, missionnés pour régenter la planète et « éradiquer » les méchants. Rien que ça. Sauf que les démons veillent… surtout ceux enfouis dans les caves du musée archéologique du plus vieil État du monde, Sumer, civilisé bien avant ces péquenots d’Américains.

C’est cela qu’ils ne peuvent supporter, les Yankees. Il faut donc qu’ils volent les ‘antiques’, qu’ils fassent du fric « pour la bonne cause » sur ces saloperies de vieilleries (fucking oldies) – mais précieuses – qui les renvoient à leur inanité culturelle : leurs hamburgers, leur bière et leur télé mercantile. Pire : comme toutes les bureaucraties au monde, l’américaine est bornée, avare et menteuse. Les « anciens combattants » n’ont que leurs yeux pour pleurer s’ils sont salement blessés en opérations et les bureaucrates feront tout pour ignorer leur droits, rogner leur pension, les condamner au rebut. C’est pourquoi, par idéalisme boy-scout très américain, un groupe d’anciens combattants « se débrouillent » pour faire du fric et financer les fauteuils roulants, les médicaments post-traumatiques et les soins psy de ceux qui sont revenus abîmés.

Sauf qu’une compagnie particulière, roulant en véhicules blindés Stryker, voit ses anciens mourir un à un de mort violente. Pourquoi ? Charlie Parker, le détective fétiche de Connolly, pas le saxophoniste noir, se voit confier l’enquête par le père d’un jeune militaire suicidé sans cause. « Pas clair » est ce qu’il va découvrir : le sergent du gamin s’est reconverti dans le transport routier, comme par hasard entre l’état du Maine et le Canada. Il vit très bien, est-ce uniquement de ce métier ? Pourquoi un amputé des deux jambes, de la même compagnie, s’est-il fâché devant témoins contre le sergent ? Pourquoi d’anciens amis ont-ils été écartés des enterrements malgré la famille ?

Sombrons dans le glauque américain des motels miteux, des amours tarifées, des filles bébêtes, des psys arrogants et des anciens combattants pas futés. Ajoutons la sauce biblique du Mal aux commandes, du Diable aux mille formes à l’œuvre dans ce monde. Avec un privé fêlé qui ne s’est jamais remis de l’assassinat de sa femme et de sa fille, de sa vengeance, de ses fantômes. Quant aux stressés post-traumatiques, ils imaginent sans peine des « bêtes » qui les pourchassent, issues de leur peur et de leurs remords.

L’irrationnel existe mais le rationnel en explique pas mal, lorsqu’on est autre qu’Américain porté à croire tout ce qui est écrit dans la Bible, version AT. « Vos neurones sont tellement pollués qu’ils n’arrivent plus à récupérer et votre cerveau commence à modifier ses circuits, à changer ses modes opératoires. (…) Le cortex médian préfrontal, qui participe à la sensation de peur et de remords, et qui nous permet de distinguer ce qui est réel de ce qui ne l’est pas, est touché. On trouve une détérioration similaire des circuits cérébraux chez les schizophrènes, les sociopathes, les toxicomanes et les détenus purgeant de longues peines » p.264.

Les Yankees savent expliquer scientifiquement.  Ils sont  aussi les rois de la technique : savez-vous comment utiliser Internet sans jamais être pisté par l’omniprésente surveillance du FBI ? Mieux que les banquiers suisses : « Ils avaient résolu le problème en ouvrant un compte e-mail dont ils étaient les seuls à connaître le mot de passe. Ils tapaient des e-mails mais ne les expédiaient jamais. Ils les gardaient à l’état de brouillon pour permettre à l’un ou à l’autre de les lire sans attirer l’attention des fouineurs fédéraux » p.214.

Un bon roman pour l’été qui pointe les tares de l’Amérique, celle qui s’écarte de plus en plus de nos croyances européennes, de nos modes de vie, de nos valeurs. Il y a 15 ans, nous aimions les États-Unis, aujourd’hui, beaucoup moins. Le monde a changé et eux aussi. En moins bien.

John Connolly, Les murmures (The Whisperers), 2010, Presses Pocket avril 2012, 492 pages, €7.22

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Alex Scarrow, La théorie des dominos

Avis aux âmes faibles et aux béquillards psychologiques ! Si vous entamez ce livre, vous ne pourrez plus le quitter et vous ferez des cauchemars la nuit. Construit comme un jeu vidéo, découpé comme une série TV, passionnant comme un thriller… ce livre parle d’un futur possible. Proche, très proche.

Imaginez, comme l’éditeur vous convie à le faire en quatrième de couverture :

  1. Lundi : série d’attentats sur les réserves pétrolières.
  2. Mardi : effondrement des marchés. Mise en quarantaine des transports.
  3. Mercredi : restriction de l’approvisionnement en vivres et en énergie.
  4. Jeudi : coupure de l’électricité, magasins pris d’assaut.
  5. Vendredi : La panique et le chaos s’emparent de la rue.
  6. Samedi… just imagine.

En une semaine, tout notre monde s’est écroulé, notre civilisation effondrée, notre culture a régressé aux âges farouches. Le chacun pour soi gagne, la débrouille supplante les diplômes et la capacité à cultiver des patates vaut mieux que l’étude approfondie du marketing. Nous sommes dans l’apocalypse, le complot, le chaos. Est-ce invraisemblable ?

Notre dépendance au pétrole est évidente. Notre civilisation le sait et gère la transition du pic pétrolier avec le temps : mais si le temps nous est compté ? Plus de transports, plus d’importations, plus d’alimentation, plus d’électricité ni d’eau potable dans les foyers. Police impossible, armée débordée, gouvernements impuissants. Il faut choisir qui préserver, instaurer la dictature, protéger des zones restreintes. Pour le reste, c’est la loi de la jungle, les bandes de jeunes qui bastonnent et violent, les racailles qui pillent, se saoulent et tuent. Avec ce plaisir primaire de l’espèce, ce fond de sado-masochisme à jouir de souffrir et faire souffrir.

Andy est un spécialiste de géostratégie. Juste avant la fin du siècle dernier, en 1999, un groupe mystérieux lui a commandé un rapport unique et confidentiel : que faudrait-il pour que la route du pétrole stoppe ? De fait, pas grand-chose : quelques nœuds de production et de transport immobilisés par explosions. La suite s’engendre d’elle-même, l’arrêt progressif de toutes les activités industrielles et technologiques, l’abandon social, la lutte pour la vie. De quoi imposer un régime fort rêvé par certains pour dominer à nouveau une planète régénérée…

Le scénario se déroule comme prévu : bombes à la Mecque, la Kaaba saute en tuant des centaines de pèlerins. Explosion des musulmans fanatiques partout dans le monde – voilà le principal. Faire sauter un tanker dans le golfe persique immobilise tous les pétroliers en attente. Faire sauter une raffinerie dans le Caucase, une au Nigeria et une au Venezuela empêche toute alternative au pétrole arabe. Et c’est plié : toute la société occidentale, très dépendante de l’énergie et de la chimie du pétrole, s’effondre. Scénario peu vraisemblable dans son enchaînement, mais puissant.

Andy est en mission d’études en Irak lorsque tout arrive. Mais il n’est pas seul. Sa femme veut divorcer et fait juste au mauvais moment un petit voyage en train à l’autre bout de l’Angleterre pour son entretien d’embauche. Lorsqu’elle veut repartir, plus de trains ni de bus, les autoroutes fermées ! Sa fille étudie dans une université près de Londres, les téléphones mobiles fonctionnent encore, à elle d’aller chercher le petit frère Jacob, 8 ans, dans son école privée pas trop loin de la maison. Mais un homme la traque : elle a vu il y a huit ans ce qu’elle n’aurait pas dû voir, le visage de trois des commanditaires mystérieux du rapport de son père. Elle ne doit ni passer dans sa chambre universitaire, ni rentrer à la maison, mais entraîner son petit copain parce qu’il a un véhicule…

Cet aspect familial très concret ajoute du piquant humain à ce scénario technique. Andy va-t-il rentrer auprès de sa famille ? La mère réussira-t-elle à rejoindre Londres ? La fille parviendra-t-elle à chercher son petit frère et à échapper au tueur ? Qu’arrivera-t-il ensuite ? Car le chaos ne s’arrête jamais du jour au lendemain.

L’auteur, né au Nigeria, vit au Royaume-Uni et écrit des livres de fiction et des scénarios de jeux informatiques. Son second roman, publié ici « à l’ancienne » est un livre (cékoi pianotent déjà les 15 ans sur leur fesses-book ?). Mais c’est aussi un bon support de jeu de stratégie. Après le film, voici que le monde du jeu s’introduit dans la littérature, que les frontières des genres s’effacent. Si vous êtes comme moi, préférez lire le livre, votre imagination travaillera bien plus que si l’écran vous livre ses images de synthèse ou que si vos doigts sont occupés aux manettes.

L’écologie, la vraie, loin des luttes technocratiques d’appareil, devrait vous inciter à réfléchir sur votre existence, sur vos savoirs utiles. Faire du vélo, savoir se défendre, cultiver son jardin… Bien loin des Duflot et autres histrions de l’apocalypse bobo.

Alex Scarrow, La théorie des dominos (Last Light), 2007, Livre de poche 2011, 572 pages, €7.22

DVD La théorie des dominos de Stanley Kramer avec Gene Hackman et Candice Bergen, Elephan films 2015, €17.59

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Le malentendu Mélenchon

La France vaniteuse et légère encense un mouton noir parmi une pléthore de moutons blancs en costume-cravate. L’inverse de l’Italie où la population comme la classe politique ont pris conscience de la gravité de la crise, après des années d’illusionnisme Berlusconi. Jean-Luc Mélenchon veut tout et son contraire ; il le tonitrue en brandissant le drapeau rouge des traditions. Dans ce folklore, beaucoup se reconnaissent… mais ils sont trop différents pour jamais s’amalgamer. Mélenchon pratique la politique « à l’ancienne », comme on le dit de l’andouillette ; mais ses partisans sont pour la plupart des jeunes, libertaires anarchistes – uniquement dans le présent.

La raison du bouffon

Les protestataires ne manquent pas dans les pays occidentaux depuis que sévit la crise. Les États-Unis de Bush et de Goldman Sachs ne sont décidément plus un modèle, aussi stupides dans la confrontation des cultures que dans la gestion de l’économie. L’Europe de l’Union est un gros « machin » impuissant qui doit prendre la moindre décision à 27 sans qu’il y ait une quelconque homogénéité. L’Eurozone est une union pratique plus efficace, mais dont le volet de convergence économique et fiscale a été laissé en déshérence par les politiciens de droite comme de gauche depuis Maastricht (1992). Les populations, dopées à l’endettement cigale, se sont trouvées fort dépourvue lorsque la bise fut venue. Elles se croyaient maîtresses du monde, plus avancées moralement, mieux expertes en gestion économique et en innovations… et patatras ! Voilà que l’Inde et la Chine, le Brésil et l’Afrique du sud, commencent à leur tailler des croupières. Certains s’en sortent, avec patience et discipline, conduisant des réformes pour s’adapter dans la durée : la Suède, le Danemark, le Canada, l’Allemagne… D’autres s’effondrent, comme feu l’empire romain : tous les pays riverains de la Méditerranée, dont peut-être la France.

Il y a donc partout des protestataires de l’austérité, du ressentiment contre la finance internationale, les banques, les politiciens en place. Ce sont les Grecs en résistance, les Indignés, les Pirates… et les Mélenchoniens. Car la gauche radicale a régulièrement échoué à rassembler les revendications populaires depuis des décennies. Trop intello, trop hédoniste, trop alter, trop écolo… Mélenchon a le talent de faire croire qu’il gagne, alors qu’il rassemble à peine plus que le total des voix de gauche extrême à chaque élection. Mais il remplit la fonction tribunicienne hier tenue par Georges Marchais puis par Jean-Marie Le Pen. Les proximités sont plus proches que l’on croit. Jean-Luc, comme Jean-Marie, fait haine ; les deux sont des enfants élevés sans père, comme Merah. La crise exacerbe les tensions, pousse donc les partis à la radicalité, ce pourquoi Sarkozy assume la droite, le centre avec Bayrou implose et Hollande flageole. Arrive qui ? La grande gueule « de gauche », franc-maçon que « tout le monde » attend, des bobos intellos aux profs stakhanovistes, et des fonctionnaires moyens aux jeunes en rupture, souvent ouvriers non qualifiés « grâce » à notre merveilleux système scolaire : sénateur socialiste, ex-ministre de Jospin et député européen Mélenchon !

Dans sa bio soigneusement repeignée sur Wikipedia, on apprend que le politicien du peuple a peut-être travailloté comme ouvrier durant ses études (arrêtées à la licence, juste avant les années recherche personnelle), mais qu’il a surtout été élu depuis 1983. A-t-il jamais effectué son service militaire, année « citoyenne » s’il en était ? Silence sur le sujet… Il vit de la politique, est payé par la politique, ne produit que de la politique depuis 30 ans. Que connaît-il du « vrai » monde du travail, de l’entreprise, de la production ? Affectif au point de prendre les expressions des masques nô, licencié de philo, un temps prof, vaguement journaliste, il préfère les grands mots. La révolution, le peuple, l’avenir, la dignité, le citoyen, ça fait bien. Ça chante dans les manifs et les meetings.

Mais pour réaliser quoi ?

Augmenter le SMIC, baisser l’âge de la retraite, distribuer du pouvoir d’achat… mais rester dans l’euro. Comment donc financer la dette abyssale sans les grands méchants marchés financiers ? « Je prends tout » aux riches est un slogan facile, qui ne se réalise qu’une fois s’il advient. Mais alors, plus d’entrepreneurs au-dessus de l’artisan, plus de financement extérieur, plus de convergence européenne – et certainement plus d’euro ! Il faut savoir ce qu’on veut : ou un programme coréen du nord (fermer les frontières et imposer l’égalité par la force) – ou un programme coréen du sud (ouvert au monde et compromis avec les forces mondiales, négociations avec les partenaires européens, et l’enrichissement personnel qui est la seule source du progrès – tous les pays du socialisme « réel » l’ont parfaitement montré).

L’insurrection civique, cela fait joli, mais concrètement ? Qui va canaliser ce vaste foutoir défouloir soixantuitard pour le traduire en intérêt collectif ? Un parti d’avant-garde ? Un leader maximo ? Un néo-Chavez ? Mélenchon se garde bien de trancher, lui qui admire tant Chavez que Morales, lui qui méprise les langues régionales et encense la politique du PC chinois colonisant le Tibet. Autoritaire, centralisateur, jacobin. Ses héros sont Robespierre et Saint-Just, grands humanistes français comme chacun sait. Quand la raison délire, elle n’atteint pas que la finance : sûre du Vrai, du Bon, du Bien, elle cherche à l’imposer à tous, malgré les résistances et les différences. Cela donne le rasoir républicain, la mission coloniale, le j’veux voir qu’une tête ! de l’administration à la française, le communisme léniniste, la Tcheka de Trostki, l’apanage Castro ou Kadhafi… Rien de ce que désire vraiment la base électorale du PDG, ce parti Mélenchon au sigle curieux pour des anticapitalistes.

Pour le comprendre, il faut aller voir ailleurs

Si l’on regarde aux États-Unis, la sociologie électorale montre un divorce croissant entre Boomers et Millenials. Les Boomers sont la génération baby-boom, nés entre 1946 et 1964, majoritairement Blancs anglo-saxons protestants et éduqués. Les Millenials sont la génération portable-mobile-internet-jeux vidéo, nés entre 1980 et 2000, beaucoup plus multiculturels, moins éduqués et racialement divers. Les premiers prennent leur retraite, les seconds entrent dans la vie active. La politique va en être changée. Les communicants agacent, puisqu’ils n’en savent pas plus que le citoyen lambda au vu des années Bush qui vont des attentats du 11-Septembre à la crise financière, en passant par l’occupation de l’Irak. L’Amérique, florissante sous Clinton, est en ruine lorsqu’arrive Obama. Que veulent les Millénials ? Revenir aux valeurs de l’Amérique, au self-made man et à l’esprit novateur. Mais avec plus d’État qui règle (et moins de politiciens). Cela donne à gauche Occupy Wall Street et à droite les Tea parties. Tout cela très libertarien…

Si l’on regarde en Allemagne, voici que monte le parti Pirate, qui entre aux parlements régionaux de Berlin et de Sarre. Il allie les alter, les Verts, les geeks et les protestataires. Tous militent pour la libéralisation d’Internet et leur seul programme est « méfiance » envers les politiciens. Leur insurrection civique consiste à prôner la transparence de tous les débats politiques et sociaux via le net. L’approfondissement du libéralisme vers l’anarchie plutôt que la centralisation bismarckienne…

Si l’on regarde en Espagne, Los Indignados pacifiques et vaguement hippies se radicalisent, aidés par les Black Blocs aux marteaux brise-vitrines. Anarchistes, antimondialistes, égalitaires et libertaires, ils sont contre la contrainte financière, les puissances anonymes et pour reconquérir la politique. Pas vraiment jacobins !…

En tout cela, un point commun : l’hyper individualisme postmoderne. Mélenchon, avec ses revendications collectivistes à l’ancienne fait vieux ringard face à ces courants. Le système politique doit se restructurer, la liberté personnelle est cruciale, l’exigence de participation citoyenne plus criante comme l’avait déjà montré en 2007 Pierre Rosanvallon. Les partis traditionnels échouent à convaincre. En cela Mélenchon a raison d’appeler à faire de la politique autrement… mais pas comme il la voudrait, pourtant.

Le malentendu

Quand on est né en 1951 on n’est plus vraiment jeune, bien qu’empli de ressentiment envers l’autorité parce que le père a divorcé quand il avait 11 ans, parce que le PS l’a « humilié » en donnant un faible score à son courant. Quand on a occupé depuis trente ans les fromages de la République, nanti d’un patrimoine frisant l’ISF et d’un revenu égal à cinq SMIC. Quand on a voté oui à Maastricht et qu’on reste député européen. Quand on se dit trotskiste lambertiste (dont une fraction a soutenu Marcel Déat en 1941, socialiste autoritaire devenu collabo parce qu’antilibéral et anti-anglais, ministre du Travail de Pétain). Quand on est pétri de toutes ces contradictions, comment convaincre dans la durée ? Le rassemblement des mélenchonistes apparaît bien hétéroclite : geeks du divertissement immédiat qui admirent le bouffon comme naguère Coluche ; bobos du « pas assez à gauche ma chère » de 2002 qui ont éjecté Jospin sans même y penser au profit de Le Pen pour le second tour ; nostalgiques de leur jeunesse gauchiste 68 bien enfuie ; volontaristes politiques qui croient encore qu’il suffit de dire « je décide » ; écolos militants qui prônent l’austérité morale ; cégétistes anars qui vivent la lutte des classes à ras d’usine ; militants organisés du parti communiste qui veulent recycler leur méthode…

Il y a une vraie interrogation sur la politique. Elle a été portée par Ségolène Royal en 2007, par les Verts de Cohn-Bendit aux dernières Européennes de 2009 et, hors de France, par le mouvement Occupy Wall Street, les Grecs en résistance, Los Indignados et les Pirates – sans parler de l’humoriste élu maire de Reykjavik en Islande. De la transparence, de la participation, du libertaire : loin, très loin, de Mélenchon ! Qu’il soit à la mode est-il un effet de la société du spectacle ? Son « message » une communication de plus ? Un malentendu ?

Au fond, à qui profite le crime ?

Mais à bon entendeur… La montée Mélenchon profite à Nicolas Sarkozy : tout comme François Mitterrand avait excité le Front national pour faire perdre la droite, tout comme la gauche caviar avait snobé Jospin pour faire advenir Le Pen en avril 2002, la surenchère Mélenchon repousse le centre vers Nicolas Sarkozy au détriment de François Hollande. Et qu’on ne vienne pas m’objecter qu’au second tour ce petit monde va se rallier : avez-vous jamais vu des têtes de linotte penser au-delà du présent immédiat ? C’est l’abstention à gauche qui va gagner, avec la surenchère ; à l’inverse la droite va se ressouder contre le gauchisme Robespierre. Sarkozy pourrait gagner : n’est-ce pas la stratégie du billard, encouragée en sous-main par les ex-UMP qui se disent « impressionnés » par le Mélenchon ?

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Que faisiez-vous le 11-Septembre 2001 ?

Je rentrais de vacances, justement de trois semaines au Pakistan. Les attentats ont été préparés par Ben Laden et ses complices, cachés quelque part dans la zone floue entre Afghanistan et Pakistan. Cette zone tribale d’ethnie Patan déborde des deux côtés de la frontière, mêlant clanisme familial et seigneurs locaux de la guerre. Le Pakistan n’a jamais voulu s’aliéner ces ethnies montagnardes, soucieux de conserver une profondeur stratégique à son pays, s’il était menacé par l’Inde. Les États-Unis ont soutenu cette idée en finançant à tour de bras les islamistes contre les soviétiques.

Ce qui m’a surpris, le 11-Septembre, est que cette haine affichée de l’Occident n’existait absolument pas quelques jours avant dans les bazars de Peshawar, grande ville la plus proche de l’Afghanistan et de la fameuse passe de Khyber. Notre guide à moustaches, Karim, nous a emmenés à l’intérieur de la mosquée Jakeola. Les dalles de marbre étaient chaudes aux pieds nus en cette heure méridienne. Des gamins se poursuivaient sous l’œil protecteur des adultes qui les réprimandent rarement tant l’exemple joue pour ces gosses qui sont constamment mêlés aux hommes. Nombre d’adultes en turbans faisaient la sieste allongés sur les dalles, à l’ombre de la galerie ; quelques-uns priaient à l’intérieur de la mosquée. Le bruit dominant était celui des jeunes garçons ânonnant le Coran pour l’apprendre par cœur, en balançant le haut du corps en rythme. Un lettré barbu par groupe, baguette à la main, lançait les versets et reprenait la récitation fautive des élèves dans une indifférence agacée. Nul doute que notre présence ne perturbait les séances bien que nous tentions de nous faire discrets. Mais des petits quittaient l’école pour s’agglutiner autour de nous. Ils étaient mis en récréation, de toute façon ils ne pouvaient plus être à leur devoir. Ils nous disaient « hello ! » et «what’s your name ? » Ils n’attendaient pas vraiment de réponse car les plus jeunes ne savaient même pas ce que ces expressions anglaises voulaient dire. Ils copiaient les grands. Mais ils étaient en tout cas amicaux envers les Occidentaux et soucieux de faire la conversation.

Du gamin au vieillard, les hommes portaient tous le pantalon large et la chemise longue ouverte sur la poitrine. Dans une société où les femmes et les mères sont confinées dans les intérieurs, les garçons vivent dehors dès qu’ils savent marcher. Comme tous les gosses, l’habillement est le dernier de leur souci, Les rues ne sont peuplées que de mecs dépoitraillés (il fait 40°) et les femmes mettent les voiles. Les très rares qui passaient rasaient les murs, en silence, voilées de la tête aux pieds avec un grillage serré devant les yeux. Élevés et éduqués sans jamais voir le sexe opposé, dans une théologie sexiste datant du 7ème siècle bédouin, les étudiants en religion (talibans) parviennent à l’âge adulte sans connaître la femme autrement que comme tentation, vulve à crocs, Satan incarné. Cet enfermement expliquerait leur peur de la simple vue d’une femme et les mesures délirantes qu’ils prennent pour conjurer leur immense émotion de puceaux tourmentés.

Si le Paradis promis aux croyants comporte « de jeunes serviteurs, pareils à des perles renfermées dans leur nacre » (Coran LII, 24) – jolie métaphore pour désigner le teint adolescent – il comprend aussi de jeunes vierges aux yeux noirs qui « ressemblent à l’hyacinthe et au corail » (LV, 58). Les musulmans ne sont pas insensibles à la beauté des femmes, mais ils la réservent à leur mari, leurs enfants, frères et neveux, pour lesquels tout inceste est prohibé. On considère, en islam, que la femme « encadrée » par le mariage et par les rites sociaux qui restreignent sa liberté, ne sera pas tentée de succomber à Satan et à ses pompes. « Les femmes sont votre champ ; cultivez-le de la manière que vous l’entendez » (sourate II, 223). Car « les maris sont supérieurs à leurs femmes. Dieu est puissant et sage » (II, 228) et en cas de partage des biens, « donnez au fils mâle la portion de deux filles » (IV, 12). En effet, « les hommes sont supérieurs aux femmes à cause des qualités par lesquelles Dieu a élevé ceux-là au-dessus de celles-ci » (IV, 38). C’est une tautologie, mais ce que Dieu veut… « Il ne convient pas aux croyants des deux sexes de suivre leur propre choix, si Dieu et son apôtre en ont décidé autrement » (XXXIII, 34). Le désir homosexuel existe inévitablement dans une société qui valorise tant le mâle et dévalorise tant la femelle. Si ce n’est pas le dessein de Dieu, c’est un péché véniel : « Dieu ne pardonnera point le crime d’idolâtrie ; il pardonnera les autres péchés à qui il voudra » (IV, 51).

Le fils de l’un de nos chauffeur de car, un Ali d’une beauté froide à 14 ans, restait debout alors qu’un siège lui tendait les bras. Ma compagne et moi avons bien mis une heure à comprendre, nous lui disions en anglais qu’il pouvait s’asseoir et il déclinait toujours. C’était la religion ! Nous avons échangé nos places, elle et moi. Ali s’est assis à mon côté presqu’aussitôt après : il ne pouvait supporter être assis près d’une femme, comme si elle était Satan en personne qui allait le violer.

Plus tard dans la montagne, un instituteur qui marchait avec moi pour revenir au village, m’a exposé son existence. Il ne faisait classe que le matin ici, l’après-midi ailleurs, faute de moyens. Il gagnait très peu, se faisant payer en nature par les paysans pour subsister. Impossible pour lui de songer à se marier car il n’était pas du clan, venait de la ville et restait trop pauvre. Comment résolvait-il ses problèmes de libido ? Il ne m’en a rien dit, mais on peut deviner avec tous ces jeunes garçons de la campagne curieux du plaisir…

J’ai lu une fois ‘The News’, le quotidien en anglais du Pakistan. Le numéro du lundi 6 août 2001 m’a permis de voir ce qui intéresse la fraction éclairée du pays. En première page, la fierté nationale : le Cachemire, la Palestine (où un chauffeur de car « a blessé dix Israéliens » en fonçant dessus), les Talibans (qui ont arrêtés dix membres d’ONG « prêchant le Christ »), un lama tibétain (« qui voudrait venir en visite »). On le voit, les « problèmes mondiaux » se réduisaient à l’islam. Le supplément hebdomadaire du journal laissait parler ses lecteurs : on y lisait les peines de cœur et les angoisses d’identité des filles et des garçons. Le conservatisme social et la morale – le « religieusement correct » – rendent les adolescents moins autonomes, Une fille qui utilisait internet s’étonnait que les tchats la conduise à « recevoir des propositions de rencontres directes » ! Réaction ingénue : les êtres humains sont-ils de purs esprits ?

La première force politique du Pakistan reste l’armée, la seconde le clergé musulman, viennent ensuite les propriétaires fonciers puis les industriels, enfin les petits commerçants. 44% de la population vit de l’agriculture (mais ne produit que 25% du PIB), 39% vit des services et 17% seulement de l’industrie. Poids de l’armée… L’industrie produit surtout du textile, de l’alimentaire et des boissons, des matériaux de construction, à destination du marché intérieur et, à l’exportation. Fait amusant : le Pakistan exportait en 2001 surtout vers les USA (22%), Hongkong, le Royaume-Uni et l’Allemagne (7%). Le Pakistan importait un peu plus qu’il n’exporte, principalement machines et pétrole, surtout des États-Unis et du Japon. Pays pauvre, surpeuplé, sous-éduqué, souffrant de disputes tribales et politiques internes, manquant d’investissement international et en coûteuse confrontation avec son voisin l’Inde, le Pakistan s’est constitué en entre-soi xénophobe. Il se voulait le Pays des Purs où seul l’Islam est permis.

Muhammad Saïd al-Ashmawy, ancien Président de la Haute Cour de justice du Caire, dit des fondamentalistes islamistes : « leur doctrine, système de vie total, sinon totalitaire, s’inspire de la même obsession d’une cité terrestre parfaite, conforme à la cité céleste dont ils déterminent l’organisation et la séparation des pouvoirs à travers les lunettes de leur lecture fantasmatique du Coran. » L’État n’est pas séparé de l’Église, ni la Morale du Livre : Dieu a tout créé, il veut tout. Pervez Hoodbhoy, professeur de physique pakistanais, déclarait à l’Express le 20 septembre 2001 : « cela me peine de le dire, mais l’Islam propose toujours des solutions faciles à des questions complexes. Voilà 700 ans que le monde musulman n’a pas produit un seul penseur marquant, dont les écrits auraient une valeur universelle. (…) Parce qu’elle a cristallisé une série de règles et d’interdits, l’orthodoxie islamiste nous rend introvertis, voire xénophobes. »

Cela dit, constatons que le fanatisme islamique a été encouragé par les États-Unis, notamment par Kissinger et Brezinski, ces brillants stratèges. Les États confessionnels non marxistes pouvaient résister efficacement aux sirènes soviétiques, cet ennemi de l’Amérique durant la longue guerre froide. La promotion de la vulgate coranique qui bloquait avec bonheur toute modernisation des pays musulmans ne pouvait que profiter au capitalisme américain, heureux de cette dépendance technique. La démographie galopante créait un marché pour les produits made in USA (armes, blé, machines) en échange de l’énergie vitale pour l’Amérique : le pétrole. C’est ainsi qu’ont été déstabilisés l’Égypte de Nasser, l’Iran du Shah et l’Irak de Saddam Hussein, brisant net leur développement. Mieux vaut reprendre la vieille diplomatie britannique impériale du « diviser pour régner ». D’autant que le fondamentalisme islamique ne saurait gêner les fondamentalistes protestants puritains…

Les attentats du 11-Septembre ont été un drame humain et un acte de terreur inacceptable qui a conduit à la guerre en Afghanistan puis en Irak, faisant des centaines de milliers de morts… surtout musulmans. Bravo Ben Laden, défenseur de l’islam, vous avez bien mérité d’Allah en tuant surtout ses fidèles. Convenons cependant que les États-Unis naïfs de Clinton ou cyniques va-t-en-guerre de Bush l’ont provoqué. La naïveté à courte vue est malheureusement le lot des experts de la CIA et des élites du pays. La priorité donnée aux liens commerciaux et financiers sur tout autre motif est la clé de la situation. Instrumentaliser les islamistes radicaux a peut-être protégé le pétrole un temps en contenant les appétits de l’URSS et en sous-traitant les problèmes en Méditerranée et en Asie centrale, mais l’apprenti sorcier se révèle avec le temps. La haine religieuse surprend les Américains, persuadés de leur mission sur cette terre ; il ne surprend hélas pas les Européens, habitués aux guerres de religion ou d’idéologie. Et les révolutions arabes, un mixte de 1848 et de 1968, sont une heureuse surprise… imprévue, comme le reste.

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