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Gabriel Matzneff, Maîtres et complices

Dans les années 1990 post-SIDA et avec le retour de la droite au pouvoir, le balancier est reparti vers l’ordre moral (et nous n’en sommes pas sortis, malgré les incantations « à gauche » des histrions médiatiques). Matzneff le sulfureux, écartelé entre « jeunes personnes » et pompes orthodoxes, a éprouvé alors le besoin d’étayer sa position littéraire. Lui qui hait la famille, parce que la sienne fut un désastre, s’est donné des pères de substitution en Italie romaine, en Allemagne romantique, en Russie tsariste originelle, en Angleterre et tout naturellement en France, dont la langue qu’il trouve admirable lui est maternelle.

« Rendre hommage à ses éducateurs (…) c’est nommer la famille esthétique et spirituelle à laquelle on appartient ; c’est s’inscrire dans une lignée » p.13.

Bien sûr, lorsque l’auteur évoque ses maîtres et ses complices, il parle surtout de lui ; il les lit avec ses propres lunettes, cherche dans leurs œuvres des résonances. Mais qu’importe ? N’est-ce pas pour cela que nous lisons Matzneff plutôt que Weininger, Nicole, Bouhours ou Léontieff ? Matzneff peut nous servir de passeur si nous voulons en savoir plus sur ces inconnus ; il nous offre un autre regard sur les connus découverts avant lui, de Bossuet à Hergé, de La Rochefoucauld à Dumas.

Matzneff ne renie rien, ni les grandes lettres, ni les petites : « Athos captive les petits garçons par son pessimisme byronien ; Porthos par sa force ; d’Artagnan par son impétueuse générosité ; Aramis par ses amours » p.118. Il ne s’agit pas de poser à l’érudit mais de trouver des exemples de bien vivre. « J’avais déjà éprouvé une pareille sensation de me reconnaître dans quelque chose que je n’avais pas vécu, à onze ans avec Athos, à quinze ans avec Manfred, à dix-sept ans avec Stavroguine ; et voilà que le héros de Montherlant [Don Juan], comme ceux de Dumas, de Byron et de Dostoïevski, me tendait un miroir où je déchiffrais un visage inconnu et qui pourtant, j’en étais sûr, serait un jour le mien » p.291.

Qu’est-ce que bien vivre ? C’est occuper le temps en créateur « Une journée où le matin j’ai écrit une belle page, l’après-midi aimé une jeune personne, le soir vidé une bonne bouteille avec un vieux copain, est une journée bénie… » p.103. C’est que ce prônent justement Pétrone, Sénèque, Montaigne, Nietzsche, Baudelaire, Flaubert… « Pour Sénèque, le temps est notre bien le plus précieux, le seul qui nous appartienne en propre ; aussi se montre-t-il très sévère à l’égard des gens qui ne font aucun usage créateur de celui, si bref, si fugitif, que Dieu leur accorde ; qui, au lieu d’ordonner chaque journée comme si elle devait être la dernière, font des plans sur la comètes et laissent les fallacieuses promesses d’un hypothétique avenir les distraire de l’unique réalité : le bel aujourd’hui » p.72.

Car « la morale, le sens du bien et du mal, n’ont rien à voir avec le lit ou la table. Il y a des salauds chastes et des libertins au cœur noble et bon. Il y a des buveurs d’eau méchants et de charmants ivrognes » p.104. Il y a surtout des Tartuffe : ce personnage si bourgeois, si catholique Grand Siècle, si « français » au fond, abonde – chacun en reconnaîtra les traductions contemporaines. « Lorsque nous étions adolescents, nos professeurs nous ont appris que les plus grands écrivains français du XVIIIe siècle sont Montesquieu, Voltaire et Rousseau. Pour ma part, j’ai vite substitué à cet officiel triumvirat une trinité moins orthodoxe, formée par Saint-Simon, Casanova et Sade (…) Pour la défense de Rousseau, de Voltaire et de Montesquieu, il faut dire que la façon très rasoir dont nous les étudiâmes en seconde et en première était propre à nous dégoûter d’eux à jamais » p.129. La cuistrerie des profs et des programmes de l’Education nationale ne sont plus à démontrer.

On ne dira jamais combien l’enseignement « à la française », magistral et dogmatique, a fait de mal au plaisir de lecture des jeunes gens. « La vérité est qu’un artiste, qui est une âme multiple, se situe aux antipodes d’un homme de parti, qui est un esprit court. Si engagé qu’il paraisse, un artiste n’attache qu’un prix relatif à ses idées politiques : l’essentiel pour lui est ailleurs » p.164. Cette remarque à propos de Chateaubriand vaut pour les lycéens d’aujourd’hui : les profs veulent en faire des citoyens mobilisés, au lieu que les adolescents ne rêvent que d’épanouir leurs propres talents et de vivre leurs émotions en tentant de les comprendre.

Or il importe de bien vivre lorsque l’on veut bien écrire. « La littérature d’imagination vieillit vite : seuls résistent à l’usure les livres où l’auteur a mis son cœur à nu » p.209.

« Si je ne me suis pas laissé dévorer par l’arrivisme, le journalisme, le gendelettrisme et les autres pièges auxquels j’ai vu tant de jeunes hommes et de jeunes femmes succomber, c’est parce que j’avais Flaubert pour modèle et Maxime du Camp pour repoussoir. Celui qu’il ne fallait devenir à aucun prix, c’était Maxime du Camp ; celui dont il fallait imiter l’exemple, la rigueur, le dédain de l’opinion, l’amour du travail bien fait, l’indifférence aux modes, le courage esthétique et moral, c’était Flaubert » p.217. Mais qui lit aujourd’hui Flaubert ?

Matzneff trouve des leçons de style chez Pétrone, Bossuet, Chateaubriand, Littré, Flaubert. « Le style si pur dans lequel Pétrone décrit les pires impuretés, son désabusement des chimères de la passion, sa misogynie, le regard railleur et sceptique qu’il porte sur la comédie du monde, ce mélange de dépouillement et de voluptuosité, cet amalgame de luxe et de deuil, qui sont sa marque singulière, ont fait de lui l’auteur préféré des libres esprits du Grand Siècle. Il a été leur maître dans cet art trinitaire suprême qu’est l’art de vivre, d’écrire et de mourir » p.51.

Le style ne suffit pas, il faut accepter ses propres contradictions et aimer sa vie. « Le principal titre de Montaigne à ma gratitude est d’être un de ceux qui m’ont aidé à n’avoir pas peur de mes contradictions, de mes passions, et à oser les confesser dans mes livres » p.97. Religieux et libertin ? « Nietzsche, qui a écrit des pages émouvantes sur Pascal et sur Port-Royal, observe que le mérite cardinal du christianisme est d’avoir augmenté la température de l’âme. Un autre mérite de l’Evangile est d’être une aventure toujours renouvelée » p.93. « Ai-je tort de mêler Francesca et Port-Royal, mes amours et la religion, le profane et le sacré ? Je ne le crois pas. Le christianisme, c’est la fusion du divin et de l’humain, c’est Dieu s’incarnant et prenant un visage » p.121. Mais est-ce pour abaisser Dieu dans la chair ou à élever l’humain vers l’âme divine ? Pour Matzneff, russe de cœur et d’âme, la religion orthodoxe ne réduit pas l’Evangile à un code moral restrictif, comme le font selon lui catholicisme et protestantisme, « l’orthodoxie n’a rien à voir avec la religion d’esclaves que Nietzsche m’a appris à mépriser » p.259.

Il est nécessaire d’aimer les autres, de savoir les écouter comme l’ont fait Montherlant, Hergé et Cioran, dont Matzneff s’est honoré d’être l’ami. Montherlant, il l’a connu très jeune : « Ce prétendu solitaire avait cette vertu rare que les spirituels chrétiens nomment ‘l’attention à l’autre’. La plupart des conversations sont des monologues, car les gens suivent leur propre idée et n’écoutent pas. Montherlant, lui, écoutait » p.288. Qui écoute, de nos jours, en dehors de sa propre idée ? Le narcissisme est peut-être le pire défaut de notre époque ; il engendre le cynisme et l’indifférence, le mépris des autres et la fermeture aux idées venues d’ailleurs que la tribu. Le narcissisme est physiquement une provocation, affectivement un égoïsme, moralement une démission et spirituellement un enclos. Et trop souvent ceux qui accusent les autres de ne pas écouter n’écoutent eux-mêmes personne – en toute bonne conscience.

Décliné par ordre chronologique, débutant par les Romains et terminant par Cioran, ce panorama de l’univers matznévien ravira tous ceux qui aiment l’écrivain mais aussi ceux qui ne le connaissent que de (mauvaise) réputation. Il ne faut pas confondre littérature et morale (sauf à ne lire que des ouvrages édifiants comme sous Victoria), ni morale d’aujourd’hui avec morale d’hier (sauf à nier tout passé et à se croire par orgueil le premier humain sensé), ni encore romancé et réel (car ce serait nier la vertu de sublimation). François Mitterrand, qui appréciait l’auteur, n’avait aucun de ces travers ultra contemporains.

Gabriel Matzneff, Maîtres et complices, 1994 revu 1999, La Table Ronde petite Vermillon 2018, 320 pages, 8.70€

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George L. Mosse, Les origines intellectuelles du Troisième Reich

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J’ai déjà parlé de cet ouvrage de l’historien juif américain, né en Allemagne, qui a pu fuir le nazisme à 15 ans à quelques heures de l’obligation de visa. Je voudrais y revenir aujourd’hui non pour analyser ce qui y est dit, mais pour sélectionner ce qui fut hier et se reproduit aujourd’hui. Car, si l’histoire ne se répète jamais, les êtres humains et les sociétés ont des réactions identiques aux événements qui les mettent en cause.

S’indigner contre le nazisme est stérile, comprendre les ressorts du nazisme est utile.

Ceux qui braillent dans la rue « contre le fascisme » (ou contre Trump) sont aussi vains que ceux qui pissent dans un violon en croyant jouer la musique. Le fascisme est un état réactif de toute société menacée. Il vaut mieux comprendre ce qui menace et les moyens d’y faire face – que de gueuler pour rien dans le désert. Et c’est bien la faute de la gauche minable des Indignés, Frondeurs, Atterrés, pseudo-ministres et autres impuissants, qui n’a plus aucune idée ni projet, si l’extrémisme monte en notre pays plus qu’ailleurs en Europe et dans le reste du monde.

« Chaque pays développe son propre fascisme, approprié à son propre nationalisme », écrit George Mosse p.33. Le nazisme allemand comme le fascisme italien sont nés des unités nationales, fragiles, qu’il fallait conforter par une langue et une culture commune. Le fascisme français n’a pour l’instant jamais pris, nous n’en avons eu qu’un ersatz sous Pétain, vieillard conservateur et surtout cacochyme, qui a laissé faire sous la botte les petits agitateurs intellos séduits par la communauté masculine nazie.

Ce que montre George Mosse, étayé par une vaste documentation, est que le nazisme n’est pas une aberration : il a été appelé par des électeurs normaux, adulés par des gens normaux et suivis par la majorité de la population – comme Trump. Pourquoi ? Non par une quelconque essence satanique, comme voudrait le faire croire la morale de la bonne conscience après Auschwitz ; non par un quelconque développement des forces productives ayant secrété leur antidote par réaction, comme a longtemps voulu le faire croire la propagande marxiste stalinienne au mépris des documents historiques. Mais selon Mosse par une véritable « religion civique ». La propagande n’a aucun effet si elle ne répond pas aux attentes de la société – tout comme la publicité ne vous fera jamais acheter si vous ne désiriez pas déjà le faire.

Robert Paxton, historien américain spécialiste de la France de Vichy récemment : « je crois que le fascisme c’est avant tout le pouvoir, la prise du pouvoir, l’exercice du pouvoir. Je pense que le fascisme est aussi animé par de forts préjugés et des sentiments profonds, des sentiments d’aliénation, un désir de revanche nationale, la colère contre ceux dont vous pensez qu’ils ont poignardé le pays dans le dos«  (sur Slate.fr).

Toute société nécessite une cohésion : le besoin d’une communauté organique, une continuité historique, une normalité bien établie.

Cette normalité évolue avec le temps, mais lentement. L’imprégnation des mœurs et de l’idéologie subsiste au-delà des générations. Ce pourquoi George Mosse ne condamne en rien les « traditions », au prétexte que les nazis les auraient utilisées à leur profit. La morale n’a jamais rien à faire avec la vérité, mais bien plutôt avec le confort de ceux qui la brandissent.

La cohésion sociale se manifeste dans les rituels collectifs, que préparent la famille, qu’encouragent l’école, que la communauté locale puis nationale font exister. Le sentiment de participer à la vie politique sous le nazisme était plus fort que sous la démocratie de Weimar, constate l’historien. La faute en est non pas au nazisme – qui a su séduire – mais à Weimar, dont l’indigence de gauche fut patente. Si nous pouvions en tirer une quelconque leçon sous le président Normal…

La dimension religieuse du politique est ignorée des positivistes et des marxistes, qui croient la « science » politique presqu’aussi exacte que la science économique ou physique. Or l’adhésion à la collectivité passe par l’esthétique, par l’émotion, par les rassemblements qui permettent d’agir ensemble. Encore une fois, l’élection de Trump nous le montre après le Brexit, la débâcle socialiste aux Européennes et ainsi de suite…

C’est ici que l’Allemagne et la France divergent.

La première croit à la culture, nous croyons à la civilisation. La culture est un enracinement dans le sang et le sol des valeurs ; la civilisation une adhésion volontaire et de raison à la vie en commun. Bien sûr, ces deux concepts ressortent de l’idéal-type, des caricatures de ce qui se passe en réalité. Aucun Français n’adhère seulement par raison, mais aussi par habitude, par ses ancêtres ou par volonté de s’approprier la culture francophone, de se joindre à cette lignée historique qui va « du sacre de Reims à la révolution française », selon les mots de Marc Bloch. Aucun Allemand ne croyait complètement au pur Aryen blond et athlétique, issu des forêts de Germanie depuis les temps les plus reculés ; l’Allemagne est resté un carrefour de peuples, venus de l’est et du sud, poussés par les encore plus à l’est, et accaparant les exilés de l’ouest ou du nord (les Huguenots, les commerçant hanséatiques, les Russes germanophiles…).

Il y avait en Allemagne, bien avant le nazisme, un courant Völkish issu du romantisme qui désignait non seulement le peuple, mais son « âme ». Celle-ci était réputé issue de la terre même, des atmosphères et paysages. D’où la célébration du sang et du sol, composantes indispensables au peuple sain ; d’où la méfiance envers les villes, qui déracinent, et envers l’industrie, qui désocialise. Ce courant, un brin ésotérique, a été chanté par les Wandervögel, ces jeunes gens itinérants, randonneurs du pré-scoutisme, qui vivaient quasi nus dans la nature et célébraient le soleil et l’eau. Il a été repris par les organisations nazies, qui ont vanté le stéréotype mâle au corps classique de la beauté grecque, sculpté par l’effort individuel et la volonté collective. L’attirance sexuelle de la camaraderie masculine devait être refoulée par sublimation pour créer le type du chevalier qui se contraint, héros et chef.

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C’est bien cette religion Völkish, en conjonction avec le nationalisme, puis avec les rancœurs de la défaite de 1918 et de la crise économique majeure des années 30, qui a fait émerger le nazisme. L’auteur précise, en historien : « Le nazisme n’était pas une aberration : pas plus qu’il n’était dénué de fondement historique. Il fut plutôt le produit de l’interaction de forces économiques, sociales et politiques, d’une part, et de perceptions, d’espérances et d’aspirations humaines à une vie meilleure, d’autre part » p.32.

Avons-nous aujourd’hui une telle conjonction ?

La religion écologique célébrant Gaïa la Terre-Mère que ses fils industrieux ne cessent de blesser malgré la grand-messe rituelle des COP numérotés, la défaite face au terrorisme islamique qui engendre une rancœur contre les « basanés » sans reconnaissance pour la France qui les accueille, la crise économique de la mondialisation mais surtout de l’essor technologique très rapide – cela peut-il faire conjonction comme dans les années 30 ?

La culture était alors réputée authentique, assurant l’accord de l’être humain avec les autres et avec la nature ; la civilisation était vue comme superficielle, adonnée à la simple satisfaction béate des besoins matériels, sans solidarité ni spiritualité. Ne voyez-vous rien de cet hier qui ne surgit aujourd’hui ?

Qu’en est-il de la haine envers « le capitalisme » des multinationales, contre l’avidité matérielle de « la finance » ou l’impérialisme économique, culturel et militaire des Yankees ? Le Juif a été remplacé par le Capitaliste (encore qu’on confonde volontiers les deux dans l’islamo-gauchisme à la mode). Mais le « retour à la terre », l’accord avec la nature, les aliments « bio », la vie saine détressée à la campagne, l’aspiration à la chaumière de la retraite paisible… tout cela a fait le lit des états d’âme Völkish, du nationalisme protectionniste – et du nazisme.

Si les écolos d’aujourd’hui sont aussi inaudibles (7000 militants et 17 000 sympathisant si l’on en croit leurs primaires… 0.03% du corps électoral de 47 millions !), c’est qu’ils mêlent l’eau et le feu en célébrant la nature ici et maintenant tout en prônant l’universalisme éternel et l’internationalisme hors sol.

Si les socialistes d’aujourd’hui sont devenus quasi inaudibles, c’est qu’ils restent attachés à cette chimère du « matérialisme scientifique » qui court après l’évolution du climat et l’accord écologique homme-nature sans les relier au présent des gens et des revendications de classe.

La petite-bourgeoisie allemande – qui a permis le nazisme – voyait en Hitler une « révolution de l’âme » qui ne menaçait en réalité aucun des intérêts économiques de sa classe moyenne. Le nazisme édifiait l’idéal, et désignait l’Ennemi de principe – le Juif apatride, cosmopolite et capitaliste. L’écologie d’aujourd’hui et son fade avatar déconsidéré, « le socialisme », proposent une même révolution de l’âme et son ennemi de principe – le Capitalisme industriel et financier. Mais cela ne séduit manifestement pas « la France périphérique »,  pas intello comme les bobos urbains, prête à voter – en réaliste – pour la famille Le Pen. Même s’il est à craindre que, comme sous le nazisme, la déception soit d’autant plus grande et rapide que les attentes auront été plus fortes.

Nous n’avons pas l’humiliante défaite de 1918 mais le terrorisme, issu d’une frange étroite de l’islam. La rancœur deviendra-t-elle de même ampleur pour qu’elle produise les mêmes effets ? Il suffirait selon certains d’un attentat ou deux de plus pour que… Un tiers des policiers et gendarmes seraient prêts à voter extrême-droite, si l’on en croit les médias.

Le nationalisme est-il assez puissant dans les profondeurs françaises pour emporter l’adhésion à un parti Völkish qui mêle sang et sol dans une célébration de destin ? Pour ma part, j’en doute, mais il en est qui y croient.

Reste qu’il vaut mieux comprendre par soi-même que suivre les hordes moutonnières. Afin d’avoir le choix de participer ou de se retirer, pour résister.

George L. Mosse, Les origines intellectuelles du Troisième Reich – La crise de l’idéologie allemande, 1964, Points Seuil 2006, préface de Stéphane Audouin-Rouzeau, 512 pages, €11.80

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Purification ethnique ?

L’incitation vient d’un commentaire sur ma note à propos des bobos de gauche et du Comité de vigilance anti-daeshiste qu’ils n’ont toujours pas fondé… Faut-il « purifier » l’Europe de tous ceux qui sont « allogènes » et non-assimilables ? Mon commentateur déclarait : « la seule solution possible est l’épuration ethnique. Je rappelle pour les amnésiques que les musulmans sont des experts en le domaine d’abord en Égypte dès 1947 où l’administration du roi Farouk faisait en sorte que les Égyptiens n’ayant pas un patronyme musulman soient dans l’impossibilité de trouver un travail ou d’acheter un bien immobilier, ce qui a amené progressivement mais assez vite à l’éradication du sol de l’Égypte des égyptiens d’origine grecque et italienne par exemple. Voir aujourd’hui ce qu’est Alexandrie par rapport à l’Alexandrie de Durrel… Est-il besoin de rappeler le célèbre « la valise ou le cercueil » à Alger en 1962 ? » Il s’agirait donc d’appliquer aux musulmans ce qu’ils pratiquent eux-mêmes : la purification de la société.

Mais nos valeurs « républicaines » de Liberté-Egalite-Fraternité et notre aspiration à l’universel représentent-elles l’équivalent d’une « religion » ? Notre neutralité laïque est-elle un instrument de combat intolérant à toutes les croyances ? Refermer ce qui a fait notre histoire, la libération progressive de toutes les contraintes pseudo « naturelles » qui déterminent chacun, est-elle la solution ? Certains le prônent : fermer les frontières, renationaliser l’économie, établir un État fort et inquisiteur. Je ne crois pas que cela améliorerait les choses. Réaffirmer tranquillement le droit – et le faire appliquer sans faiblesse malgré les zassociations et les bêlements outrés des bobos angéliquement « de gôch » – OUI. Chercher dans ce qui nous arrive une sorte de péché originel à confesser pour faire amende honorable – NON. Pas de « révolution nationale » – on a vu ce que cela avait donné : une démission collective dans la lâcheté.

Il convient de parler de tout pour réactualiser sans cesse la « liberté d’expression », mais selon la raison, afin de bien comprendre ce que recouvrent de fantasmes sous-jacents les slogans affichés. Ce démontage raisonné permet d’être mieux être à même de les évaluer s’ils envahissent le paysage politique

Je ne crois pas pour ma part à l’intérêt pratique d’un transfert de masse de populations reconnaissables à leur faciès, ni ne souscris aux fantasmes de pureté qu’il recouvre. Le mythe de la « race » pure ou de la religion des origines, le mythe d’un l’âge d’or à retrouver, l’an 01 des bases « saines » ne sont que des illusions consolatrices. Tous les millénarismes ont joué de cette corde sensible pour rameuter les foules ; tous les totalitarismes se sont imposés sur ces fantasmes régressifs pour assurer leur pouvoir. Sans résultat : nous sommes ici et aujourd’hui, pas dans le passé imaginaire, sur une planète où tout réagit sur tout (à commencer par le climat et les ressources), dans une ère de communication instantanée qui ne fait que prendre son essor. C’est au présent qu’il nous faut agir – sans se réfugier dans le jadis.

La purification ethnique, ce n’est pas nouveau, ce n’est pas la solution. Sans remonter trop loin (expulsion des Maures d’Espagne en 1492, révocation et exil des Protestants sous Louis XIV, lois discriminatoires de Vichy), prenons trois exemples emblématiques de purifications ethniques réalisées : la turque, la nazie, la salafiste. À chaque fois ce sont les mêmes fantasmes manipulés, à chaque fois les mêmes ressorts politiques, à chaque fois les mêmes conséquences antihumaines – tant pour les victimes que pour les bourreaux.

armeniens nus genocide turc 1915

En 1908 accèdent au pouvoir les Jeunes Turcs qui veulent refonder le pays en État-nation après la fin de l’empire. Les défaites des guerres balkaniques 1912-13 et la perte des territoires européens entraînent en 1912, à initiative des autorités, le boycott des chrétiens Grecs et Arméniens de Turquie. La volonté du nouvel État est : islamisation, turquification, restauration conservatrice. Il s’agit de purifier le pays afin d’homogénéiser la population et de favoriser son assimilation. L’idée de départ est de vider le territoire turc de tous les Grecs, Syriaques et Arméniens, pour y importer des musulmans migrants depuis le reste des Balkans. C’est la guerre de 14 qui rend propice l’éradication physique des Arméniens, les puissances ayant leur attention détournée. Héritage des massacres sous le sultan Abdullamid II en 1894-96, les Arméniens sont considérés comme des ennemis de l’intérieur et n’ont pas d’État protecteur (la Russie se méfie d’eux tandis qu’elle a protégé les Bulgares, et les Occidentaux les Grecs). La décision d’extermination est prise entre 20 et 25 mars 1915 et confiée de façon non-officielle à des groupes paramilitaires. Il y aura près de 2 millions de morts, les Grecs seront expulsés en masse dans les années 1920. La Turquie n’a pas encore fini, en 2015, de payer ce crime contre l’humanité. Son entrée dans l’Union européenne tarde (et n’est pas souhaitable) car elle reste un pays archaïque et sa réislamisation l’éloigne des valeurs du reste de l’Union ; son appartenance à l’OTAN pourrait être remise en cause, tant elle aide les daeshistes en leur achetant en contrebande leur pétrole et en laissant ses frontières ouvertes aux combattants internationaux et aux blessés salafistes.

Qu’est-ce que le massacre ethnique a apporté à la Turquie ? Un appauvrissement en compétences durant tout le reste du XXe siècle, une population toujours en majorité soumise à la superstition et peu éduquée, une suspicion de ses alliés occidentaux. Le nationalisme ethnique ne permet pas d’être plus fort, mais plus faible…

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La purification ethnique nazie est d’une ampleur inouïe, mais n’a pas mieux réussi à redresser le pays. C’est au contraire la défaite – totale et humiliante – de l’Allemagne en 1945 qui a permis l’essor économique, la stabilité politique et la réintégration de ce grand peuple à l’histoire du monde. Tout commence avec l’antijudaïsme chrétien : peuple déicide et communauté à part qui refuse de s’assimiler car persuadée d’être le peuple élu, le Juif est écarté de la propriété féodale et des corporations, il n’exerce que des métiers méprisés comme le commerce, l’usure, le prêt sur gage. L’essor industriel et le déracinement capitaliste aggravent les tensions économiques, culturelles et sociales. Les Juifs ont l’habitude de manier l’’argent et de faire du commerce, ils participent bien plus que d’autres à la prospérité économique sous Bismarck ; ils font donc des envieux. Nombre d’intellectuels rêvent du retour à la nature, de la santé à la campagne (si possible tout nu au soleil), ils critiquent la modernité aliénante de la ville et de l’usine pour rêver d’un âge d’or tout imbibé de romantisme. Des liens se nouent entre nationalisme pangermanique, doctrine raciale, antisémitisme et darwinisme social. La République de Weimar, née de la défaite de 1918, promeut tous les citoyens à égalité, donc les Juifs : c’est insupportable pour les pangermanistes qui les voient comme des traîtres. Les révolutionnaires de gauche sont souvent juifs (Karl Marx, Rosa Luxembourg). Les Juifs sont les boucs émissaires commodes de toutes les injustices commises en Allemagne et contre elle. La crise mondiale des années 30 et l’hyperinflation s’ajoutent à l’amertume de la défaite et la perte de territoires. Le peuple traumatisé entre en régression émotionnelle et cherche refuge sous la poigne d’un homme fort. Hitler fait du Juif le principe cosmique du Mal, l’acteur même du complot politique mondial, le bacille infectieux de tout ce qui affaiblit : internationalisme, démocratie, marxisme, pacifisme, capitalisme apatride, marchandisation. Dans son discours au Reichstag le 30 janvier 1939, Hitler éructe qu’il va exterminer tous les Juifs d’Europe. Dès 1938, l’Allemagne encourage l’émigration juive, puis choisit l’expulsion des Juifs allemands jusqu’en 1941. La défaite française ouvre Madagascar (proposé fin 1938 à Ribbentrop par le ministre français des Affaires étrangères Georges Bonnet), mais la résistance de l’Angleterre empêche le plan. Suivent la déportation en Pologne puis la concentration en camps d’extermination industrielle : tous les Juifs doivent disparaître de l’espace vital de la race allemande – mais aussi comme diaspora menaçante et complotiste hors de cet espace vital (conférence de Wannsee en janvier 1942). Car la guerre qui se retourne en URSS et l’entrée des USA poussent à la « solution finale ».

Qui ne finit rien du tout et ne ramène nul âge d’or – malgré les quelques 6 millions de Juifs exterminés… L’Allemagne a perdu des cerveaux inestimables tels que les physiciens Albert Einstein et Max Born, le biologiste Otto Fritz Meyerhofle, les compositeurs Arnold Schönberg, Kurt Weill et Paul Hindemith, le chef d’orchestre Otto Klemperer, les philosophes Theodor Adorno, Hannah Arendt, Ernst Bloch et Walter Benjamin, les écrivains Alfred Döblin et Lion Feuchtwanger, les architectes Erich Mendelsohn et Marcel Breuer, le sociologue Norbert Elias, les cinéastes Fritz Lang, Max Ophuls, Billy Wilder, Peter Lorre et Friedrich Hollandern, l’actrice Marlène Dietrich…

arabe muscle

Aujourd’hui Daesh, sur ce territoire laissé vide entre Irak et Syrie, instaure le Califat pour éliminer de sa population tous les éléments “impurs“. Il œuvre à éradiquer à la fois Chiites, Chrétiens, Yézidis, Zoroastriens – et les Juifs, s’il en reste ! Il rejette la conception occidentale de l’État-nation (construction d’un vouloir-vivre en commun forgé par une population hétérogène) au profit de la Communauté (oumma) des « seuls » croyants en l’islam dans sa version salafiste djihadiste, régie par la « seule » loi divine intangible (charia). Tous les individus sont niés au profit du collectif – ceux qui résistent sont éliminés. Leur retour de l’âge d’or est celui des premiers temps (salaf = compagnon du Prophète) et leur avenir est la fin des temps (qu’ils croient toute proche). Il faut donc se purifier et éliminer les impies par la violence. Ce culte de la force mâle à qui tout est permis au nom de Dieu attire les déclassés du monde entier qui peuvent assouvir leurs bas instincts sans connaître grand-chose de l’islam. Décapiter est la pratique rituelle envers les animaux : elle vise à faire sortir les victimes de l’humanité, tout en leur ôtant l’âme éternelle (qui siège dans la tête). Établir la Cité de Dieu sur la terre entière permet de faire rêver, les sites Internet et surtout les vidéos de propagande attisent la soif d’action et le ressentiment. Le nazisme avait déjà séduit une partie des dirigeants arabes dans les années 30 (Nasser, le grand mufti de Jérusalem…). Daesh partage avec l’Arabie Saoudite la même vision salafiste de l’islam, la glorification du djihad, les mêmes adversaires chiites. Mais les Saoud ont instrumentalisé la religion pour imposer leur légitimité politique sur les Lieux saints et contre le nationalisme arabe alentour. Ben Laden avait dénoncé l’hypocrisie de la monarchie qui ne respecte pas les principes salafistes (en autorisant par exemple des soldats impies – et même des femmes soldates dépoitraillées ! – sur le sol béni en 1991).

Quel avenir a ce millénarisme ? Probablement aucun, tant il coalise contre lui les États de la région, les grandes puissances mais aussi les opinions un peu partout sur la planète, outrées de voir de petites Shoah fleurir un peu partout selon le bon plaisir des sectaires. Quant à l’islam majoritaire… il se tait, fait profil bas devant la violence des Frères. Lâchement.

daesh crucifie les chretiens

Mais les États jouent chacun leur petit jeu diplomatique, sans guère se préoccuper de la menace pour l’humanité que sont ces crimes quotidiens. Barak Obama, qui ne cesse de décevoir depuis sa première élection, ignore l’Europe, ne veut pas fâcher la Russie ni mécontenter l’Iran, avec qui il négocie sur la prolifération nucléaire. Il joue l’inertie et son opinion manifestement s’en fout, puisqu’il n’y a pas d’Américains ni de Juifs crucifiés (comme les chrétiens d’Irak), décapités (comme les journalistes japonais ou les coptes d’Égypte), ni grillés vifs (comme un pilote jordanien). L’Europe est impuissante, nain politique, les seules puissances militaires (Royaume-Uni, France) gardant la culpabilité du colonialisme et des budgets exsangues. Quant à la Turquie, elle joue le même rôle ambigu avec les daeshistes que le Pakistan avec les talibans et le Qatar avec les Frères musulmans : une complicité objective.

Ce que veulent les quelques 2 à 3000 salafistes sectaires en France, c’est aller « faire le djihad » puis, auréolés d’une gloire factice auprès des « petites frères » des banlieues laissées pour compte par l’indifférence de la droite (yaka mettre des flics) et l’angélisme de la gauche (yaka mettre des moyens), tenter de déstabiliser la société mécréante par des attentats, du prosélytisme, des réactions violentes. Dès lors, la « purification ethnique » est ce qu’ils veulent : que la société des « sous-chiens » chasse les « arabes » afin qu’ils n’aient plus qu’à se soumettre aux « bons » salafistes qui vont les accueillir (à condition d’obéir). En bref quelque chose analogue au scénario juif (qu’ils envient), la terre promise après les camps…

Ce noir-et-blanc peut-il régler définitivement les problèmes de démocratie en France, d’inanité scolaire, de pauvreté, d’étatisme forcené ? J’en doute. Expulser les délinquants récidivistes et les priver de leur nationalité française imméritée (s’ils en ont une autre…), est possible. Mais ce sont les banlieusards nés et élevés en France – donc Français – qui ont sombré dans le salafisme sectaire après être passés par la case voyou. Tout comme les gauchistes idéologues d’Action directe il y a peu contre « le système ». Faudrait-il réviser – comme sous Vichy – les naturalisations sur trois générations ? Ou faire des « tests ADN » (autre nom du compas nazi à mesurer les crânes) pour décréter qui est digne d’être Français ou pas ? Nous serions aussi ridicules que la Corée du nord et sûrement pas suivis par les pays de notre Europe… C’est pourtant le parti des Le Pen qui laisse prôner ce « grand remplacement » à l’envers. L’histoire montre ce que cela a donné. Vous me pourrez pas dire que vous avez voté sans savoir !

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Hellénisme et christianisme selon Camus

Dans son diplôme d’études approfondies de philosophie, écrit en 1936 sous le titre ‘Métaphysique chrétienne et néoplatonisme’, Albert Camus tente de comprendre le christianisme au regard des Grecs et d’opérer comme une synthèse de la ‘mentalité’ méditerranéenne.

« C’est ainsi qu’on peut mettre à jour chez les Grecs et les Chrétiens des attitudes devant le monde irréconciliables. Tel qu’il se formule vers les premiers siècles de notre ère, l’hellénisme implique que l’homme peut se suffire et qu’il porte en lui de quoi expliquer l’univers et le destin. Ses temples sont construits à sa mesure. En un certain sens, les Grecs acceptaient une justification sportive et esthétique de l’existence. Le dessin de leurs collines ou la course d’un jeune homme sur une plage leur délivrait tout le secret du monde. Leur évangile disait : notre Royaume est de ce monde. C’est le « Tout ce qui t’accommode, Cosmos, m’accommode », de Marc Aurèle.

Cette conception purement rationnelle de la vie, – le monde peut être tout entier compris – conduit à l’Intellectualisme moral : la vertu est chose qui s’apprend. Sans toujours l’avouer, la philosophie grecque fait du sage un égal de Dieu. Et Dieu n’étant qu’une plus haute science, le surnaturel n’existe pas : tout l’univers se contre autour de l’homme et de son effort. Si donc le mal moral est une ignorance ou une erreur, comment insérer dans cette attitude les notions de Rédemption et de Péché ?

Au reste et dans l’ordre physique, les Grecs croyaient encore à un monde cyclique, éternel et nécessaire, qui ne pouvait s’accommoder d’une création ‘ex nihilo’ et partant d’une fin du monde. »

Pour ma part, ayant été endoctriné chrétien petit, avant de l’être marxiste adolescent, j’ai rejeté toutes ces illusions morales. Je ne crois ni en l’Ailleurs, ni en la Vérité comme absolu inscrit dans le ciel des Idées. Je crois au contraire que ces illusions sont dangereuses pour l’homme d’ici et de maintenant. On massacre toujours pour « obéir à Dieu » ou « créer l’Homme nouveau » et l’on promet toujours de raser gratis… demain. Ce qui m’importera toujours est l’aujourd’hui et mon prochain.

J’ai donc jeté par-dessus bord ces illusions dangereuses.

D’abord parce qu’elles ne permettent pas de vivre au présent mais seulement de récriminer sur ‘ce qui devrait être’ d’un avenir fumeux.

Ensuite parce qu’elles tendent à l’autoritarisme, sinon au totalitarisme, de ceux qui sont persuadés d’avoir raison contre les autres. Ils considèrent les autres hommes, pourtant égaux en dignité, comme des sous-citoyens, des ignorants primaires à l’âme d’enfant, incapables d’être adultes à part entière, aliénés par leur condition où atteints par hérédité de bêtise incurable. C’est malheureusement le lot des curés, des imams et des militants socialistes de vouloir imposer les vérités révélées par Moïse, par Jésus, par Mahomet ou par Marx, au commun des mortels. Dieu nous préserve des ‘missionnaires’ !

Je crois, comme Camus, que « l’homme peut se suffire et qu’il porte en lui de quoi expliquer l’univers et le destin. » Il construit un monde à sa mesure. Cela ne signifie pas qu’il ne puisse chercher à dominer, à jouer à l’apprenti sorcier, ou à se prendre pour Dieu. Il est certes des choses dans le monde, Othello, qui dépassent toute la philosophie. Il est des mystères, dans l’esprit humain même, que les sages tibétains ou les moines zen découvrent comme le firent certains soufistes musulmans ou mystiques chrétiens. Mais restons dans ce monde-ci puisque nous sommes incapables, sauf présomption ou soif luciférienne de pouvoir, d’en concevoir un autre.

« Le surnaturel n’existe pas » car tout est inclus dans la nature – y compris ce qu’on ne comprend pas. Donc « la vertu est chose qui s’apprend » (alors que la morale, toute extérieure, s’impose), Aristote le disait déjà. La discipline zen comme la voie taoïste, l’éveil bouddhiste ou la simple éducation humaniste, sont des pistes bien plus généreuses que l’obéissance passive aux dogmes des religions du Livre, Marx inclus, soi-disant révélées un jour à de rares clercs qui en conservent les arcanes pour imposer leur pouvoir.

Albert Camus, Métaphysique chrétienne et néoplatonisme, 1936, Pléiade OC t.1 p.1000, €67.45

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Hier et aujourd’hui dans l’art breton

La Bretagne est Venise : l’aller-retour perpétuel qu’effectue le regard entre hier et aujourd’hui. Cela ajoute de l’intéressant aux visites, testez-le ! Les artistes du 15ème ou du 18ème siècle se sont inspirés des modèles vivants qu’ils avaient sous les yeux. Nous les retrouvons de nos jours, presque intacts, dans les visages, les attitudes et les postures.

Qu’ils le fassent exprès (la petite fille) ou non (le garçon), ils retrouvent sans effort les positions des sculptures. Tels les gisants. J’en suis amusé, un peu ému. C’est là l’humanité, la chair éternisée dans la pierre, l’essence de l’art peut-être. Il donne à voir, il fixe des attitudes naturelles et oblige ainsi à les regarder ce que, dans la vie courante, nous faisons trop rarement.

Ange et larron sont aussi d’aujourd’hui… Particulièrement chez les enfants.

Deux exceptions à cet aller-retour entre hier et aujourd’hui.

Il n’est peut-être pas indifférent qu’elles portent sur saint Sébastien, personnage historique devenu fantasme pour un certain imaginaire. Commandant de la garde prétorienne nommé par l’empereur Dioclétien, il est martyrisé parce que chrétien prosélyte, donc hostile au culte des dieux de la cité.

Arrêté, il est condamné à être « fusillé » – percé de flèches – par deux soldats. Jeune et de belle prestance, il est recueilli encore vivant et soigné par Irène, veuve de martyr. Une fois guéri, le jeune homme va défier l’empereur qui, cette fois, le fait lapider et jeter dans les égouts de Rome. Il apparaîtra en songe à une matrone romaine et chrétienne pour lui indiquer où se trouve sa dépouille afin de le faire ensevelir avec ses condisciples dans les catacombes.

Militaire et séduisant, Sébastien plaît manifestement aux femmes qui, seules, lui viennent en aide. Mais, dès le 13ème siècle, apparaît de lui une représentation qui va triompher à la Renaissance : celle du bel éphèbe nu torturé à la colonne. Une jeunesse qui plaît aux hommes, notamment aux prêtres, empêchés de femme. C’est sans doute à cette conception, trop d’ici-bas et perçue comme maligne, que les artistes bretons ont voulu réagir. Ils présentent la chair émaciée comme simple enveloppe du squelette sur le grand calvaire de Guimiliau (1588). Les famines, endémiques en fonction du climat et des récoltes, fournissaient les modèles sans compter. L’aujourd’hui montre des corps sains, sportifs et bien nourris sur les plages. Et contrairement aux idées moralistes, l’étalage de chair et de muscle ne suscite pas le désir : il le rassasie en inhibant l’imagination, trop prompte aux fantasmes.

Les artistes religieux en ont conscience, qui voyaient de jeunes pêcheurs nus ou des ramasseurs d’algues. Ils pointent alors le désir trop terrestre en perçant la jeunesse mâle en ses zones les plus érogènes : bite et téton ! On peut le voir avec effarement sur la statue de Lampaul-Guimiliau, datant du 18ème (photo centrale ci-dessus en haut)… L’époque était trop libertine, en réaction à la bigoterie de Létacémoi, le « grand » roi de France Louis Quatorzième.

En art breton d’église, le naturel restait de mise – même dans les messages de moralité.

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Christianisme et paganisme

L’émérite professeur de Yale University Ramsay McMullen analyse avec forces notes et références (210 pages, presque la moitié du livre !) ce passage obscur entre paganisme au IVe siècle de notre ère et christianisme, définitivement majoritaire au VIIIe siècle. Occident et orient connaissent des évolutions contrastées en raison de la séparation de l’empire entre Rome et Byzance. Pour faire bref, disons que l’orient plus urbanisé et plus cultivé assimilera le christianisme plus vite et plus fort que l’occident resté largement barbare, surtout aux marges. La thèse de l’auteur est que les païens étaient trop loin de l’abstraction chrétienne pour adopter le monothéisme d’un coup ; c’est au contraire le paganisme des dieux proches et guérisseurs qui a progressivement phagocyté le christianisme pour en faire cette légende merveilleuse du moyen-âge.

 En 5 chapitres mais 3 parties, l’auteur examine la persécution des païens, la superstition endémique du temps, enfin l’assimilation du paganisme par le christianisme qui s’en trouve transformé.

Le dogme en histoire voulait qu’après Constantin (312), tous chrétiens. Cette légende dorée répandue par les moines est loin d’avoir été la réalité. Il a fallu en effet quatre siècles, des persécutions physiques, l’élimination par crucifixion et décapitation de toute une élite intellectuelle, son remplacement à la Staline par une nouvelle élite moins éduquée venue du peuple, la destruction par le feu et le martelage de grands centres de savoir antique (destruction du Sérapis en 390, iconoclasme après 408, martelage du temple d’Isis à Philae en 530), la manipulation de foules ignares et brutales pour écharper les bons orateurs philosophes (telle Hypatie d’Alexandrie lynchée en 415, dissolution de l’école d’Athènes en 529), l’interdiction par la loi, la confiscation fiscale et la terreur militaire… pour que la foi chrétienne s’impose contre les fois anciennes. Les Chrétiens d’alors n’avaient rien à envier en cruauté, brutalité et ignorance fanatique aux talibans d’aujourd’hui.

Car le paganisme était ancré dans les siècles, il était rationnel, décentralisé et tolérant. Remplacer cette foi personnelle, locale et guérisseuse par un dogme unique, irrationnel et lointain n’allait pas de soi. La tolérance est un bel exemple d’incantation inefficace quand elle n’est pas appuyée par la force. Prenons-en de la graine aujourd’hui ! « Avant le IIe siècle et après, des appels à la tolérance se font entendre des deux côtés. (…) Naturellement ils sont lancés aux forts par les faibles avec la plus grande honnêteté ; on les entend donc d’abord dans la bouche des porte-paroles chrétiens, puis chez les chrétiens comme les non-chrétiens (…), enfin chez les non-chrétiens avec le maximum de publicité. On connaît bien l’appel que Symmaque lança vainement à saint Ambroise. Alors, en 384, il était trop tard pour parler de tolérance » p.27. Quand un Tarik Ramadan en appelle à la tolérance entre islam et laïcité, c’est simplement qu’il est faible ; une fois la moitié de la population ralliée à sa cause (certaines projections démographiques parlent de 2050…), sa fameuse tolérance disparaîtra tout aussi vite que celle des chrétiens au IVe siècle. L’église unissait en effet près de la moitié de la population vers l’an 400.

La nouvelle religion n’avait pas réponse à tout, contrairement à l’ancienne. A la base, les gens étaient préoccupés, tout comme aujourd’hui, de santé et de prévoir l’avenir, d’où la force des dieux guérisseurs, des sources contre les maladies, des oracles et des rêves faits dans l’enceinte des temples. Tout ramener à Satan ne résout rien, il faudra le culte des martyrs puis des saints réalisant des « miracles » (Antoine Théodore, Basile, Gervais, Etienne, Félix, Martin, Foy…), les exorcismes et même une intervention d’archange contre le dragon (saint Michel) pour que les pratiques chrétiennes se rapprochent des pratiques païennes et soient donc acceptées… L’église tolèrera aussi les danses parfois, la musique souvent (dont les chœurs des vierges ou de jeunes garçons) et les banquets funéraires – tous usages très païens des temples antiques – pour que le peuple reconnaisse son autorité sur la communauté. Pour les païens, « la conduite juste, c’était la joie. La joie était culte » p.170. Le christianisme a dû ainsi se paganiser par la joie pour être accepté.

Au sommet, les élites sceptiques, cultivées et aptes à la critique rationnelle devaient être remplacées. Staline n’a pas procédé autrement au Parti communiste dans les années 1930 : il a fait monter des illettrés fidèles pour les mettre aux postes de commande, marginalisant brutalement l’ancienne élite. Dioclétien a donné l’exemple : « on assista sous Dioclétien à une augmentation très rapide des effectifs du gouvernement. Elle se poursuivit pendant une centaine d’années. (…) Le nombre des fonctionnaires, environ 300 sous le règle de Caracalla (211-217) était passé à 30 000 ou 35 000 à un certain moment du Bas-empire » p.132. Conséquence inévitable : « Le spectre des croyances fut amputé de son extrémité sceptique et empirique. Il ne restait plus que le milieu et l’extrémité la plus crédule » p.133.

On assiste donc à une formidable régression de la pensée humaine qui durera… mille ans, jusqu’à la Renaissance ! Non, le progrès de l’humanité n’est pas linéaire : la pensée rationnelle du monde a laissé place à la croyance aveugle durant plus de 33 générations… Tertullien : « Nous, nous n’avons pas besoin de curiosité après Jésus-Christ, ni de recherche après l’Évangile » (cité p.138). Saint Augustin : « Pour lui, toute enquête que nous dirions scientifique s’expose au ridicule. Les Grecs, sots qu’ils étaient, perdaient leur temps et leur énergie à identifier les éléments de la nature, etc. (…) Inutile de savoir comment la nature fonctionne, car cette prétendue connaissance n’a rien à voir avec la béatitude » (p.139). Une certaine mentalité écologiste ne fonctionne aujourd’hui pas autrement.

Anglo-saxon, Ramsay McMullen n’a rien de cette clarté à la française où les chapitres sont divisés en paragraphes dont chacun ne contient qu’une seule idée à la fois illustrée d’exemples. Lui est plutôt touffu, très proche des sources qu’il cite avec abondance et redondance. Ce pour quoi il s’est senti obligé de rédiger une conclusion longue, qui fait le chapitre 5 et dernier, pour récapituler les idées qu’il avance et étaie. Mais que cela n’empêche pas de lire cet ouvrage court, écrit d’une plume fluide jamais ennuyeuse, et qui apprend beaucoup sur cette époque laissée volontairement dans l’ombre par l’hagiographie chrétienne qui a fait la loi en histoire durant deux millénaires. Ce n’est guère que dans les années 1980 en effet, selon l’auteur, que l’étude plus précise des sources a permis d’y voir plus clair. Nous sommes donc dans l’histoire en train de se faire, dans la révision du mythe au profit de la science – ce n’est pas rien !

D’autant que nous avons des leçons politiques très actuelles à en tirer.

Ramsay McMullen, Christianisme et paganisme du IVe au VIIIe siècle, 1996, collection de poche Tempus Perrin 2011, 453 pages, €10.45

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Leçons de Nietzsche aux socialistes

Il ne s’agit pas de ce que pensait Nietzsche des socialistes de son temps, mais des leçons que la philosophie nietzschéenne offre aux socialistes d’aujourd’hui. Nietzsche fait de la force de vie en chacun des êtres l’origine de la volonté. Pour lui, la politique est un instinct qui part de l’énergie pour aller au rationnel, en passant par les émotions. Or, sans vitalité propre, on attend des autres ou de « la Morale » un commandement de faire. Là où la volonté fait défaut, la foi survient qui fait marcher au pas cadencé des églises et des partis. Qui ne sait pas être soi-même, se maîtriser pour être un maître, qui ne sait pas vouloir – aspire à ce qu’un autre veuille pour lui. C’est le danger du socialisme embrigadé…

« La foi est toujours plus demandée, le besoin de foi est le plus urgent, lorsque manque la volonté : car la volonté étant la passion du commandement, elle est le signe distinctif de la maîtrise et de la force. Ce qui signifie que, moins quelqu’un sait commander, plus il aspire violemment à quelqu’un qui ordonne, qui commande avec sévérité, à un dieu, un prince, un État, un médecin, on confesseur, un dogme, une conscience de parti. » 347

Quant à « la Morale », elle donne bonne conscience à ceux qui censurent et qui punissent, mais elle ne change ni les choses ni les êtres. Trois générations de redressement soviétique l’ont montré abondamment, aucun homme « nouveau » n’est né… sauf le bureaucrate obtus, l’apparatchik sadique et le gardien de camp égalitaire. Vouloir changer l’autre vous change, et pas toujours en mieux ! Qu’est-il donc préférable ? Plutôt que de blâmer, donnez l’exemple. C’est votre lumière, socialistes, qui éclairera ceux qui cherchent la voie. Cessez d’enduire de moraline tous les actes des autres, dans l’éternel ressentiment qui se contente d’être contre, de « réagir » : proposez du positif ! Proposez une alternative crédible et tentante, une voie vers la lumière ! Tous ceux qui sévissent et punissent plutôt que de créer et d’enthousiasmer sont des aigris, des mécontents, des esclaves de leur sinistrose – des faibles qui ne méritent pas les suffrages.

« Ne pensons plus autant à punir, à blâmer et à vouloir rendre meilleur ! Nous arriverons rarement à changer quelqu’un individuellement ; et si nous y parvenions, peut-être sans nous en apercevoir, aurions-nous fait autre chose encore ? – Nous aussi, nous aurions été changés par l’autre ! Tâchons plutôt que notre influence sur ce qui est à venir contrebalance la sienne et l’emporte sur elle ! Ne luttons pas en combat direct ! – et toute punition, tout blâme, toute volonté de rendre meilleur est cela. Élevons-nous au contraire nous-mêmes d’autant plus haut ! Donnons à notre exemple des couleurs toujours plus lumineuses ! Obscurcissons l’autre par notre lumière ! Non ! A cause de lui nous ne voulons pas devenir plus obscurs nous-mêmes, comme tous ceux qui punissent, comme tous les mécontents. Mettons-nous plutôt à l’écart ! Regardons ailleurs ! » 321

Certes, il est plus facile de critiquer ceux qui font que de faire soi-même. Cette attitude réactive est paresse, amour de la souffrance. Souffrir donne bonne conscience : voyez comme je suis vertueux parce que je suis malheureux ! Seule la souffrance des autres mobiliserait la volonté : or c’est là du négatif, une attitude « réactionnaire » qui se contente de réagir à ce qui survient sans avoir rien prévu, ni bâti pour l’avenir… Pourquoi se construire une chimère ? Pour mieux se sentir un héros en combattant les moulins ? Mieux vaut prendre à bras le corps les réalités telles qu’elles se présentent ! Il est tellement plus facile de se créer son propre ennemi, comme ces poupées vaudou qu’il suffit de piquer d’épingles pour se sentir vengé… C’est là manque de vigueur. Socialistes, vous n’êtes rien sans les autres, votre Sarko vaudou, vous manquez de force – alors que vous devriez (selon vos discours enflés) être ce dynamisme en marche vers l’avenir !

« Quand je songe au désir de faire quelque chose, tel qu’il chatouille et stimule sans cesse des milliers de jeunes Européens dont aucun ne supporte l’ennui, pas plus qu’il ne se supporte soi-même, – je me rends compte qu’il doit y avoir en eux un désir de souffrir d’une façon quelconque afin de tirer de leur souffrance une raison probante pour agir, pour faire de grandes choses. La détresse est nécessaire ! De là les criailleries des politiciens, de là les prétendues ‘détresses’ de toutes les classes imaginables, aussi nombreuses que fausses, imaginaires, exagérées, et l’aveugle empressement à y croire. Ce que réclame cette jeune génération, c’est que ce soit du dehors que lui vienne et se manifeste – non pas le bonheur – mais le malheur ; et leur imagination s’occupe déjà d’avance à en faire un monstre, afin d’avoir ensuite un monstre à combattre. Si ces êtres avides de détresse sentaient en eux la force de se faire du bien à eux-mêmes, pour eux-mêmes, ils s’entendraient aussi à se créer, en eux-mêmes, une détresse propre et personnelle. Leurs inventions pourraient alors être plus subtiles, et leurs satisfactions résonner comme une musique de qualité ; tandis que maintenant ils remplissent le monde de leurs cris de détresse et, par conséquent, trop souvent, en premier lieu, de leur sentiment de détresse ! Ils ne savent rien faire d’eux-mêmes – c’est pourquoi ils crayonnent au mur le malheur des autres : ils ont toujours besoin des autres ! Et toujours d’autres autres ! – Pardonnez-moi, mes amis, j’ai osé crayonner au mur mon bonheur. » 56

Quel avenir ? L’apitoiement sur lépludémunis ? sur ceukisouffr ? Se lamenter c’est surtout ne rien faire. Tandis que l’avenir est l’épanouissement de l’homme, sans les carcans économiques et sociaux qui l’inhibent et le rabaissent dans sa condition servile. Nietzsche exalte la vitalité parce qu’il veut un homme énergique complet, l’idéal grec antique, « le bonheur d’Homère » pour tous. On a cru un matin que les socialistes français voulaient incarner cette utopie d’avenir… mais quand on les regarde et les écoute, bof !

« Avoir des sens subtils et un goût raffiné ; être habitué aux choses de l’esprit les plus choisies et les meilleures, comme à la nourriture la plus vraie et la plus naturelle ; jouir d’une âme forte, intrépide et audacieuse ; traverser la vie d’un œil tranquille et d’un pas ferme, être toujours prêts à l’extrême comme à une fête, plein du désir de mondes et de mers inexplorées, d’hommes et de dieux inconnus ; écouter toute musique joyeuse comme si, à l’entendre, des hommes braves, soldats et marins, se permettaient un court repos et une courte joie, et dans la profonde jouissance du moment seraient vaincus par les larmes, et par toute la pourpre mélancolie du bonheur, qui donc ne désirerait pas que tout ceci fut son partage, son état ! Ce fut le bonheur d’Homère ! » 302

Au lieu qu’être socialiste aujourd’hui, dans le parti de Martine Aubry, c’est aller au pas, bien discipliné, obéissant aux ordres, sans élever la voix. Le Parti a toujours raison, le Parti seul sait, le Parti veut le Bien donc connaît seul la Vérité dans l’obscurité du Secrétariat et les fumées des Congrès. Dans le Parti, seul le tout petit noyau dirigeant sait ce qu’il y a à savoir, surtout pas les autres, les militants, les godillots qui vont à la soupe électorale et qui ont besoin de l’onction centrale. Cette allure-là rend lourd… Le socialisme se montre comme l’organe de ceux qui vont au pas, le ventre empli de pommes de terre et l’esprit au ras des sondages. Bien loin des ailes qu’on rêverait pour l’homme.

« Aller au pas – quelle existence !

Cette allure-là rend allemand et lourd.

J’ai dit au vent de m’emmener,

L’oiseau m’a appris à planer.

Vers le midi, j’ai passé sur la mer. » Appendice

Frédéric Nietzsche, Le Gai Savoir, 1887, Folio 1989, 384 pages, €7.41

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