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Pierre Ménat, L’Union européenne et la guerre

L’ambassadeur de France honoraire qui fut en poste en Europe centrale et conseiller du président Chirac, livre un essai tout récent sur les événements en cours. C’est une analyse classique, un exposé Science Po ancien style en trois parties et dix chapitres qui rappellent l’histoire, font le point et livrent des hypothèses. Dans six mois il sera probablement obsolète mais a le mérite de fixer la situation de l’Union européenne dans ce qui survient avec l’agression de Poutine sur l’Ukraine, pays souverain.

La première partie analyse « la guerre d’Ukraine, l’Europe et le monde ».

La guerre d’Ukraine était-elle évitable ? L’auteur croit que la diplomatie, à condition qu’elle fût plus nette et plus ferme, aurait pu éviter un conflit armé. L’exemple du président Sarkozy dans l’affaire de Géorgie n’a pas été renouvelé, la faute aux complexités du processus de consensus et de décision à 27. Les prétextes de Poutine pour déclencher la guerre sont inexacts, et l’auteur de rappeler « les trois memoranda de Budapest » (p.18) du 5 décembre 1994 qui prévoient la remise des armes nucléaires de l’Ukraine à la Russie, à condition de respecter l’intégrité territoriale et les frontières. Ces memoranda sont signés de la Russie, des États-Unis et du Royaume-Uni. Poutine s’assied carrément dessus en 2014 puis en 2022. De même sur l’élargissement de l’Otan, que Poutine n’a pas contesté en 2004, après ceux approuvés par Eltsine en 1997. Pour la Crimée en 2014, « à l’époque, la démarche russe est surtout préservatrice de ses intérêts commerciaux. Un dialogue aurait pu s’ébaucher entre Bruxelles et Moscou » p.21 Depuis, l’objectif de promenade de santé de Poutine pour établir un gouvernement prorusse en Ukraine, est devenu, avec la résistance ukrainienne, un antagonisme viscéral et désormais assumé contre l’Occident. « L’utilisation du mot nazi, la référence aux ‘drogués’ sont des codes idéologiques qui participent à la diabolisation de l’Occident. Un Occident qui, désormais,, est le véritable ennemi de la Russie. L’Ukraine doit être punie car elle a voulu se couper de sa patrie naturelle, a choisi le modèle de la démocratie libérale et a aspiré à s’arrimer à l’Occident » p.31. Dès lors, la guerre était inévitable, en attendant l’escalade avec l’Otan, puis l’éventuel recours au nucléaire.

De plus, l’Europe est partagée entre unité et fractures, l’unité face aux aléas du monde, dont la crise financière, la crise climatique, la crise pandémique, la crise ukrainienne, la crise énergétique, la crise inflationniste… et les fractures du populisme et des petits intérêts nationaux mal compris. Le « couple » franco-allemand (dont les Allemands contestent l’image) bat de l’aile avec deux présidents affaiblis, Macron pour son dernier mandat sans majorité absolue et Scholz à la tête d’une coalition hétéroclite. La France a perdu de sa puissance avec son déclin industriel et ses revers diplomatiques en Afrique, et l’Allemagne voit remise en cause ses liens énergétiques avec la Russie et industriels avec la Chine post-Covid. Alors, « quelle place pour l’UE dans l’ordre international de 2023 ? » : bien faible. Ce sont les États-Unis ou rien. Pourtant, l’UE a des relations commerciales dont la rupture ferait mal à la Chine si elle était sanctionnée pour avoir agressé Taïwan… Encore faudrait-il le vouloir.

L’auteur donne quatre missions à l’UE : 1/ « valoriser son statut de principale zone de prospérité dans le monde », 2/ « mieux gérer la contribution européenne au défi écologique » (ce jargon bruxellois vise la décarbonation), 3/ « retrouver son rayonnement scientifique et intellectuel » (qui ne va pas sans financements, l’exemple du vaccin anti-Covid le prouve, découvert en Allemagne, exploité aux États-Unis sous gestion d’un Français), 4/ « disposer d’instruments plus robustes (…) marché, commerce, monnaie, agriculture – peuvent être mieux gérés » (par qui ? comment?) p.65. Tout cela apparaît un peu comme des vœux pieux à long terme qui ont peu d’effet sur la conjoncture analysée dans cet essai immédiat.

La seconde partie s’interroge : « sommes-nous entrés en économie de guerre ? »

La politique de sanctions est partiellement efficace mais a subi les retards et tergiversations des petits intérêts nationaux ou sociaux. Elle ne mettra pas fin à la guerre ni ne fera reculer Poutine, apparemment devenu psychorigide et persuadé d’avoir raison à lui tout seul.

L’énergie est une arme de guerre mais aussi un « passeport écologique », sans que ce terme recouvre grand-chose – disons qu’il peut permettre d’accentuer la transition vers d’autres énergies que celles vendues par la Russie, mais avec quel financement et à quelle échéance ? Le paquet européen pour 2030 semble bien pusillanime, même s’il a le mérite de faire un premier pas avec « l’ajustement du carbone aux frontières » p. 82. Mais la pénurie d’électricité de cet hiver (pas encore fini…) montre combien la politique de sanctions envers le pétrole et le gaz russe a fait naître des problèmes internes aux États en fonction de leur mix-énergétique : la ressource devient une arme de guerre.

La troisième partie analyse « l’avenir de l’Union européenne dans un environnement conflictuel ».

La Défense a repris de l’avenir dans les discussions européennes, souvent l’écho assourdi de celles des cafés du commerce. Les soi-disant « dividendes de la paix » n’étaient que des naïvetés entretenues par la propagande soviétique à l’usage des pacifistes hippies, puis par la propagande russe à destination des mêmes, embourgeoisés devenus écologistes. Une « boussole stratégique » a été mise en place fin 2022 par l’UE avec listage des menaces, augmentation des budgets et – surtout – objectifs industriels. Cela conduit surtout à renforcer l’Otan, qui s’est réveillé brutalement de sa mort cérébrale sous l’électrochoc asséné par le Dr Poutine. Malgré cela, peut-on faire toujours confiance aux États-Unis ? La période Trump a montré que non, une défense proprement européenne en complément paraît faire son chemin lentement dans les esprits. La politique des petits pas prévaudra sans doute, alors que des accords plus contraignants entre certains États sont possibles – mais voulus par qui ?

Le défi migratoire demeure, car l’islamisme ne s’est pas arrêté avec la guerre et la Russie conquérante déstabilise chaque jour un peu plus les pays d’émigration au Proche-Orient et en Afrique. Quant aux Ukrainiens qui ont fui la guerre en masse, et les quelques Russes jeunes et éduqués qui en font autant à bas bruit, il s’agit de les accueillir, donc de trouver « un système multicritère » d’accueil européen et « d’accords de gestion des flux migratoires » avec les pays tiers p.109. Vastes discussions à venir, qui vont accoucher… de quoi ? Et quand ?

Le risque de l’élargissement de l’UE demeure, les « petits » pays candidats de la mosaïque balkanique ayant chacun une histoire différente et des institutions à refaire. Les élargissements précédents ont été mal préparés, allant même jusqu’au « laxisme » p.113 à propos de la candidature de la Turquie. Un élargissement à 36 membres « limiterait rapidement à une zone de libre-échange accompagnée d’une caisse de solidarité », dit joliment l’auteur p.116. Quant à la Turquie, « une population de 86 millions d’habitants lui assurerait la première place en nombre de voix au Conseil, tandis que son faible niveau de développement garantirait à Ankara l’octroi de subventions de l’ordre de 25 milliards d’euros par an. Très difficile à constituer, la cohésion et l’identité européennes seraient mises à mal » p.118. Quant à l’Ukraine, l’ampleur des besoins seraient du même ordre pour sa reconstruction et augmenterait l’influence de l’Allemagne dans l’UE.

« Une longue guerre de position semble s’engager, dès lors qu’une victoire de l’un des deux camps est improbable » p.123. Les relations futures de l’UE et de la Russie, une fois la guerre terminée ? Cinq principes ont été définis en 2016 par Mme Mogherini : 1/ strict respect des accords de Minsk, 2/ relations renforcées avec les partenaires orientaux de l’UE (Ukraine, Moldavie, Asie centrale), 3/ renforcement de la résilience UE dans l’énergie et les cyberattaques, 4/ coopération sélective avec la Russie (ayant une valeur ajoutée pour l’UE et pas seulement pour les États), 5/ soutien aux contacts entre personnes (acteurs, universitaires, scientifiques, groupes démocratiques). La suite a eu lieu sous Macron dès 2019 sur la sécurité, les défis communs UE-Russie, les conflits régionaux, les principes et valeurs. L’Otan a méprisé, les pays de l’Est ont été réticents, l’Allemagne et l’Italie assez d’accord (à l’époque). Ces initiatives pourraient être remises sur la table en montrant combien Moscou a peu à gagner avec le concept d’Eurasie où une immense Chine avalerait tout cru la démographiquement étique Russie.

Qui peut incarner la souveraineté européenne ? Là, vaste débat. Dans le maquis des institutions toutes plus obscures les unes que les autres pour le grand public afin de savoir qui fait quoi, il faudrait clarifier nettement – et rapidement – entre « la souveraineté partagée » p.132, la « gouvernance » p.133, « l’espace intérieur de sécurité et de justice » p.134, « affaires étrangères et défense » p.134. La bordélisation des instances de décision de l’UE, pour reprendre un thème à la mode, et la ligne politique sur le plus petit dénominateur commun n’ont pas abouti à grand-chose. D’où l’exigence d’un nouveau traité – pour les États qui souhaitent approfondir. Mais lesquels ? Cet essai pose plus de question qu’il n’en résout.

La conclusion de toutes ces réflexions est donnée dans l’introduction : « Une guerre mondiale n’est pas certaine. Mais ses ingrédients sont en place : l’exacerbation des nationalismes, l’évocation de l’emploi d’armes nucléaires, la formation de nouvelles alliances antagonistes » p.14. Voilà qui est dit.

Au total, un court essai qui fait le point, utilement, sur l’état des lieux européens face au défi de la guerre à nos portes.

Pierre Ménat, L’Union européenne et la guerre, 2023, éditions Pepper L’Harmattan, 142 pages, €15,00

Les essais – et le roman – de Pierre Ménat déjà chroniqués sur ce blog

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

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Stratégie française

L’Union européenne n’est pas un Etat souverain comme le sont les Etats-Unis ou la Fédération de Russie, mais une souveraineté partagée par 27 Etats sur certains sujets d’intérêt commun. Il ne peut donc y avoir une stratégie européenne en matière de défense ni d’armée, seulement des convergences. Une stratégie militaire et diplomatique ne peut être donc que française.

Dans ses différents discours de mi-mandat, le président Macron tente une approche par tâtonnements. Un rapprochement avec Poutine (sinon avec la Russie) a eu lieu l’été dernier, suivi par l’interview à The Economist pour constater la « mort cérébrale de l’OTAN », puis le sommet de l’Alliance Atlantique à Londres, le sommet de Pau sur l’engagement de la France au Sahel, le discours sur la dissuasion nucléaire à l’École militaire, le voyage en Pologne et enfin la Conférence de Munich sur la sécurité où la délégation américaine fut nombreuse et étoffée, marquant son intérêt vaguement inquiet pour la stratégie en Europe.

Selon Trump, l’Europe doit rester vassale et surtout ne pas s’unir ; elle doit augmenter ses budgets militaires mais acheter américain et rester sous l’égide nucléaire (non automatique) des Etats-Unis. En bref, une position de dépendance adaptée à son état démographique vieillissant et pusillanime – et un grand marché privilégié pour les produits made in USA.

Evidemment, les forces jeunes en Europe ne voient pas les choses de la même façon. Retrouvant l’intuition stratégique du général de Gaulle, Macron expose avant les autres (et peut-être avec un peu trop d’assurance) ce qu’il faudrait penser pour aller de l’avant, c’est-à-dire conserver son indépendance. Il le résume d’une formule choc frappée au coin du bon sens : « Pour construire l’Europe de demain, nos normes ne peuvent être sous contrôle américain, nos ports et aéroports sous capitaux chinois et nos réseaux numériques sous pression russe ».

Car le monde a changé en trois décennies plus que durant les décennies précédentes. Les deux blocs d’après-guerre avaient figé les doctrines, la stratégie et les armées dans un format confortable. Il est remis en cause, non seulement par l’éclatement du bloc de l’Est et l’effondrement de l’idée même de « communisme », mais aussi par la technique, ce que Karl Marx aurait apprécié en connaisseur. Les infrastructures ne commandent peut-être pas aussi mécaniquement aux superstructures que ses épigones l’ont dit, mais elles en sont le soubassement et offrent les outils. C’est ainsi que la puce a permis l’Internet et la communication instantanée tout azimut – et dans le monde entier. Des pays totalitaires comme la Chine tentent bien de réfréner l’indépendance nouvelle qu’offre la technologie numérique, mais elle n’y parvient guère. La liberté d’expression, même entravée, s’infiltre partout, y compris dans l’Iran des mollahs qui doit se résoudre à couper l’Internet provisoirement lors des manifestations les plus graves – mais il ne peut s’en passer, même si c’est une invention du Grand Satan.

Dans ce contexte de mondialisation et de communication, la donne a changé : le secret n’est plus viable longtemps pour assurer sa suprématie. Mieux vaut surfer sur la vague pour rester à la hauteur des autres. Ce pourquoi chaque Etat retrouve l’idée d’indépendance.

La première contradiction semble être l’Union européenne, à qui chaque Etat délègue une part de souveraineté sur les normes, l’environnement et parfois le voisinage. Si chacun reste in fine maître chez soi, seule l’Union permet la puissance nécessaire pour accorder les usages et financer les infrastructures en vue d’une l’indépendance de chacun : le système de positionnement par satellite Galileo est un exemple, l’avion militaire de transport A400M un autre, le futur avion de combat un troisième – et peut-être plus tard les porte-avions et la force de dissuasion nucléaire, jusqu’à présent exclusivement française parmi les 27 restants après la sortie du Royaume-Uni.

La seconde contradiction est sans conteste l’attitude américaine depuis l’irruption de Trump en éléphant dans le magasin de porcelaine des accords internationaux. Même l’OTAN n’est plus assurée, le climat est méprisé, le commerce revenu à l’égoïsme sacré et le dollar toujours roi – y compris par la contrainte des lois extraterritoriales. L’Amérique devient réactionnaire face à la perte de son hégémonie. Mais tout essor d’une nation dans le monde, la Chine, l’Inde, le Brésil, le Nigéria, implique un relatif recul de la puissance américaine. A l’Europe de rester dans la course.

Ce qui n’est pas simple, tant l’Union européenne connait un centre franco-allemand vacillant. L’interminable succession Merkel, les dissensions du parti majoritaire CDU, le bilan à la Chirac de la chancelière (en Fout-rien stratégique, hormis un accueil migratoire incongru en 2015), ne militent pas pour que l’on sorte rapidement de la glu. Emmanuel Macron est impatient mais la lourdeur allemande est proverbiale. Tant que Trump n’aura pas taxé l’auto germanique, les naïfs croiront toujours que cela va passer et qu’il faut surtout ne rien faire pour fâcher l’importun ; tant que l’ours russe ex-soviétique n’aura pas donné un coup de patte brutal sur un territoire irrédentiste de plus, Berlin fera mine de ne rien craindre.

Les paroles, les promesses, les perspectives stratégiques, c’est bien – mais qu’en est-il des actes ? Avec le boulet allemand, qui sera suivi par un probable renouvellement d’un Trump provoquant et dominateur qui ne connait pas d’alliés, puis des élections présidentielles en France, les Européens risquent de ne pas voir grand-chose survenir à horizon connu. Dialoguer avec la Russie ? Cela empêche-t-il des officines « indépendantes du Kremlin » de jouer à déstabiliser la démocratie par la cyberguerre (gilets jaunes, exacerbation des positions retraite, candidature à la mairie de Paris…) ? Renforcer la défense ? Avec quels moyens dans un contexte de politique budgétaire partout restrictive sur le modèle du compte de ménagère teutone ? L’épargne européenne file vers la zone dollar pour trouver où s’investir.

Le monde n’est pas simple, il devient même de plus en plus compliqué. D’où le sentiment qu’il faut tout remettre à plat et « renverser la table », ce qui ne serait pas la solution miracle mais un chaos propice à toutes les mauvaises aventures. Là encore, des « forces hostiles » (qui ne sont pas que russes ni chinoises) œuvrent pour déstabiliser les Etats européens afin d’assurer leur emprise. Ne nous laissons pas faire.

Et cela commence en chacun : délaissez Facebook, remplacez Google, préférer les logiciels libres à ceux de Microsoft, n’achetez pas de mobile Apple ni ne souscrivez auprès d’un opérateur qui optera pour la technologie Huawei, limitez les informations que vous donnez sur Linkedin, ne croyez pas « les sites Internet » comme s’ils étaient des organes d’informations fiables… et achetez local, sans conforter « les accords » transatlantiques ou CETA, ne buvez pas ce poison qu’est le Coca, ne malbouffez pas MacDo, regardez attentivement les étiquettes des produits transformés et refusez la viande venue d’ailleurs ou le « bio » venu de Chine.

Une stratégie française pour l’Europe commence par une stratégie personnelle envers le monde. Et tout devient plus simple.

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National-populisme américain

Trump est un clown improbable mais le trumpisme est une vague de fond de la politique américaine. Les Yankees ont prôné la mondialisation libérale et la dérèglementation tout azimut tant que cela servait leur commerce et leur prospérité. Dès que la Chine a commencé à prendre de l’importance et la Russie se réveiller militairement au Proche-Orient, rien ne va plus : repli sur soi et America first ! Un bon article de Marya Kandel, historienne de Paris 3, le montre dans le dernier numéro 208 de la revue Le Débat de janvier-février 2020.

Bien que parfois confus et redondant, le propos est assez clair : la vague Trump est un national-populisme comme on en connait en Europe, avec ses particularités américaines. Le candidat-clown n’avait aucun projet autre que son narcissisme et son Art of the Deal ; ses équipes ont donc repris les détestations communes des petits Blancs de l’Alt-right américaine, cette extrême-droite hostile aux globalistes, adepte des théories du complot et hantée par le grand remplacement des Blancs par les colorés. Avec pour marque de fabrique yankee l’allégeance à la Bible. Le Grand Old Party (républicain) adapte son discours à son électorat, il ne fait pas l’inverse comme les partis français trempés d’idéalisme platonicien. Le trumpisme devrait donc survivre à Trump si celui-ci est battu.

Ce courant est antilibéral, nationaliste, conservateur, religieux, isolationniste.

Tout ce qui est « progressiste » est rejeté, et il faut dire que la propagande utopique des « droits à » l’infini et des mamours aux extrêmes-minorités est devenue une scie improductive, source de ressentiment. Que veulent dire au fond « l’universalisme » ? les « droits de l’Homme » ? Ont-ils des limites dans l’humain même où ne sont-ils que le faux-nez de l’impérialisme européen sur les valeurs ? Ne doit-on pas les cantonner aux traditions chrétiennes propres à l’Amérique ?

Tout ce qui est déréglementation est remis en cause. Les multinationales deviennent un danger dès lors qu’elles vont produire ailleurs, engendrant chômage, déficit du commerce extérieur et dépendance stratégique, en plus d’éviter l’impôt via les Etats complaisants des « paradis fiscaux ». Les inégalités augmentent entre très riches nomades biberonnés aux dividendes multinationaux et cols bleus et blancs moyens et populaires qui ont construit les Etats-Unis. La mondialisation profite désormais à la Chine et l’Amérique ne veut plus payer pour son développement destructeur des industries nationales. Mort aux libertariens et vive l’Etat interventionniste ! Avec un certain retour à l’impôt comme levier… et la volonté de réguler les GAFAM.

Tout ce qui est ordre international est de même rejeté, au nom d’un égoïsme sacré : America first ! Toute l’architecture de sécurité et les institutions internationales bâties depuis 1945 par les Etats-Unis avec leurs alliés sont balayées : ils n’y ont plus avantage. Ce pourquoi l’OMC devient une coquille vide, que l’OTAN est en état de « mort cérébrale » et que l’accord de Paris sur le climat une vaste blague que ne reprennent les Chinois que pour se faire une vertu. La bête noire des trumpistes (comme on dit lampistes) est l’Union européenne dont la construction supranationale contraignante leur donne des boutons. Feu sur le quartier général de Bruxelles ! On est mieux chez nous à décider nous-mêmes pour nous, croit-ils. D’où l’encouragement au Brexit et aux extrémismes nationaux et socialistes d’un Stephen (dit Steve) Bannon en Europe.

Le nationalisme est désormais la mission américaine qui succède au mondialisme – et les élites européennes, toujours en retard d’une demi-génération, ne l’ont pas encore intégré. Il se fonde sur la tradition chrétienne, revue et corrigée par les sectes américaines. En bonnes protestantes, elles privilégient la lecture de la Bible et, en bonnes incultes, sa lecture littérale : c’est écrit, donc c’est vrai. L’Ancien testament, bien plus gros que le Nouveau en nombre de pages, et placé en premier dans le Livre, est donc favorisé. Les Etats-Unis s’identifient à Israël comme Terre promise au Peuple élu du Dieu unique qui a fait alliance. Il s’agit donc d’obéir aux Commandements et de rejeter tous les « droits » qui les enfreignent : avortement, homosexualité, mariage gai, féminisme, droits civils pour les fils de Cham et même la théorie (complotiste ?) de l’Evolution : Dieu a créé une fois pour toutes l’homme à son image, puis donné une femme créée d’une côte prise au mâle, enfin élu le Blanc et pas les autres – tout le reste est complot égalitariste d’esclaves emplis de ressentiment pour le Maître. C’est ce que disait Steve Bannon en 2016…

Ce recentrage sur le pays, sur le national et sur le traditionnel chrétien, inverse les valeurs. Plus de multiculturel en interne, plus de mondialisation économique, plus de multilatéralisme international mais la réaffirmation de l’Amérique blanche, chrétienne, industrielle et soucieuse de ses seuls intérêts. Les ennemis principaux sont la Chine et l’islam politique. Un rapprochement intellectuel avec la Russie serait possible s’il ne subsistait aux Etats-Unis une structure idéologique militaire et du renseignement qui restent antisoviétique par inertie. Mais, qui sait, plus tard ?

Ce revirement idéologique, qui a pour base les intérêts bien compris des états-uniens votant, rencontre la jeunesse qui, selon les sondages, pense que le pays devrait rester à l’écart des affaires du monde et privilégier sa sécurité. Il rencontre aussi l’étude The Next America du Pew center qui constatait en 2017 que la population des Etats-Unis née à l’étranger passait déjà les 44%, que les immigrants illégaux étaient plus de 10 millions et que, vers 2050, les White Anglo-Saxons Protestants (WASP) deviendraient minoritaires dans leur propre pays et que ceux nés avec le siècle vivraient moins bien que leurs parents.

Ce conservatisme national a été exacerbé par les ingérences russes dans l’élection présidentielle, avec création de faux comptes Facebook, Instagram et Twitter, de faux blogs et de fausses associations des deux bords extrémistes, pour exacerber les contradictions (selon la politique léniniste orthodoxe). Cela afin d’engendrer le chaos dans « la démocratie » et montrer son inefficacité. L’article suivant du même numéro Débat, par le journaliste Roman Bornstein, détaille la façon précise dont l’officine russe proche du Kremlin s’y est prise. Elle n’a fait qu’exploiter nos faiblesses réglementaires et libertaires.

Ces idées, il faut les connaître pour ne pas rester sur la dérision à propos de Trump. Même si le paon narcissique passe, subsistera l’idéologie national-populiste biblique d’une bonne partie de la population ouvrière et moyenne blanche. Les Etats-Unis ne sont plus pour l’Europe des alliés militaires fiables ni des partenaires économiques intéressants mais des égoïstes impériaux, agitant leurs lois extraterritoriales pour inhiber toute politique qui ne sert pas leurs intérêts : sur le commerce avec l’Iran, sur les fortunes américaines, sur la multinationale de l’énergie nucléaire Alstom, sur l’exclusion de Huawei dans la 5G en Europe. Le président Macron se dit que, puisque l’Amérique s’éloigne, se rapprocher de la Russie a du sens. Peut-être : c’était la politique du président de Gaulle. Mais tisser des liens avec la Russie de Poutine, c’est dîner avec le diable et nécessite une longue cuiller. La fable Griveaux vient opportunément le rappeler. En 2022, n’y aurait-il pas une succulente vidéo d’un candidat à la présidence française en position sabreuse en préparation ?

Face aux Etats-Unis qui deviennent hostiles et égoïstes, face à la Russie haineuse et pleine de ressentiment contre nous, seule l’Union européenne peut offrir la cuiller assez longue pour s’établir au banquet sans se griller les pattes. Les Allemands, toujours lourdauds en politique internationale à cause de leur passé, ne viendront que lorsque la divine Amérique leur tapera sur les carrosseries. Mais les Italiens ? les Espagnols ? les Polonais ? les Irlandais ? les Belges ? Si les nordiques suivent plutôt le monde anglo-saxon et l’Allemagne, les autres pays peuvent avoir conscience qu’une position commune est nécessaire pour compter comme une force au XXIe siècle face aux géants américain et chinois. Le président Macron pourrait s’en préoccuper plutôt que de faire d’excessives courbettes à Poutine.

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British go home !

Contrairement à ce que j’ai longtemps pensé, l’Europe n’a pas besoin des Anglais, au contraire : ce pays reste un frein. Theresa May apparaît nulle, un peu comme François Hollande il y a peu. S’obstiner est une vertu – jusqu’à ce que l’excès en fasse un vice. Représenter une fois de plus le même texte déjà rejeté par trois fois sur le compromis européen est une impasse. La Première ministre se trouve obligée de partir, contrainte et forcée début juin, au lieu de choisir son moment !

Démissionner avant aurait été un choc pour les irréductibles de son parti comme pour les électeurs, mais un choc salutaire. La politique réclame un théâtre que l’animal a sang trop froid de Madame May ne sait pas monter. Elle n’est ni Margaret Thatcher, ni Tony Blair et cela se voit.

La gauche Corbyn ou la droite Johnson n’apparaissent pas plus brillantes, comme si cette génération née après-guerre était incapable de saisir les enjeux de l’Union européenne, au contraire de ceux qui avait connu les combats fratricides et les bombardements. Politiquement, la droite conservatrice est morte pour un moment, poussée par l’extrémisme de Farage qui veut sortir aveuglément, et défiée en même temps par les Travaillistes de l’opposition qui profitent de l’impéritie du gouvernement.

La rancœur des électeurs est grande, ce qui se comprend aisément, et va probablement susciter un vote aux élections européennes pour des listes carrément anti Theresa May. Le nouveau Premier ministre du parti majoritaire actuel, après le départ de Madame, ne pourra se légitimer que par de nouvelles élections législatives – qu’il risque évidemment de perdre.

La date butoir du 31 octobre, fixée pour la sortie définitive du Royaume-Uni de l’Union européenne, après plus de deux ans d’inertie, de tergiversations et de psychodrames entre soi des politiciens amateurs, aboutira-t-elle à une renégociation du délai une fois de plus ?

C’est clairement l’Europe qui en pâtira, justifiant a posteriori le veto que le général De Gaulle, qui connaissait bien les Anglais pour les avoir côtoyés durant la guerre, avait mis à l’entrée du Royaume-Uni dans la CEE. Ce pays est une île, il ne s’est jamais senti continental même si, dans l’histoire, il a été envahi par les Romains, les Danois, les Norvégiens et les Normands, ces trois derniers du peuple viking. Il se voit en porte-avions de l’Amérique aux côtes du continent Europe où la puissance industrielle est allemande et l’immensité du territoire est russe. Il est tourné vers la mer, l’empire du Commonwealth, le grand large. Seuls de vils intérêts de boutiquier ont pu l’arrimer un temps à l’Union européenne mais l’élargissement trop rapide, l’essor économique allemand et la réglementation commune croissante ont fini par emporter le repli.

Les Anglais vont malheureusement voter aux élections communes prochaines. Leur enjeu ne sera naturellement pas européen mais purement britannique et ce détournement de vote va déstabiliser la répartition des partis au Parlement, influer sur la nomination du président de la Commission. Tout cela parce que l’Union européenne a interprété de façon laxiste le droit. En bonne logique, un pays qui sort ne devrait pas voter ni avoir de parlementaires, puisque la suite ne le concerne pas. Mais, par ce nouvel abandon, ce n’est pas le cas. Ce qui déconsidère un peu plus la gouvernance actuelle de l’Europe.

Oui, il faut probablement changer de modèle ! La technocratie molle qui nous gouverne ne peut constituer une politique, ni les décisions à la petite semaine, comme on le constate, un projet.

Que les Anglais sortent une bonne fois pour toute, par un Brexit dur s’il le faut. Ces palinodies de « retenez-moi ou je fais un malheur » n’ont que trop duré et ont assez fait de mal aux autres comme cela. Emmanuel Macron a raison d’insister sur un délai ferme, mais peut-être ne prend-t-il pas les moyens politiques de forcer les Allemands qui rechignent, comme d’habitude, par répugnance à s’adapter à ce qui change dans l’équilibre des forces ? Notre président a parfois jusqu’à la caricature les travers reprochés en général aux Français : des paroles mais peu d’effets, des plans mais pas de moyens, une politique mais aucun allié pour la mener.

Au risque que l’enchaînement des conséquences n’aboutisse à cet inévitable que personne ne veut consciemment, à en croire les sondages dans tous les pays européens : l’éclatement de l’Union européenne, la fin de l’euro et la sortie définitive de l’histoire. Avec une inféodation aux États-Unis ou à la Russie en perspective.

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Pierre Ménat, France cherche Europe désespérément

Né en 1950, énarque à 32 ans et diplomate, conseiller de deux ministres des Affaires étrangères puis de deux présidents pour l’Europe, Pierre Ménat a été ambassadeur en Roumanie, Pologne, Tunisie et Pays-Bas. Pour lui, la France a besoin d l’Europe, faute de quoi elle serait riquiqui, sous la domination économique de la zone mark ou du dollar et sous la domination politique des Etats-Unis – comme l’Europe a besoin de la France, sans laquelle elle ne serait pas, l’Allemagne pesant d’un trop grand poids sans contrepartie.

Dans cet essai-bilan en deux volets, l’auteur dresse un historique de la construction européenne, indispensable pour comprendre les enjeux d’aujourd’hui, puis propose un certain nombre de réponses aux critiques les plus recevables. Il s’appuie notamment sur le réquisitoire fait en 2003 devant l’Assemblée par Philippe de Villiers, brillant polémiste, qui explique les refus successifs du Traité en 2005 et les votes populistes en 2017. Le clan des mécontents de leur sort font de « Bruxelles » le bouc émissaire commode de tout ce qu’ils rejettent : la mondialisation, la désindustrialisation, la dérèglementation, l’ultralibéralisme, le recul de l’Etat-Providence – et le trop d’impôts.

Depuis le projet initial favorable à la France, les pays ont avancé pragmatiquement au gré des changements historiques, diluant la France dans les 28 Etats membres (bientôt 27).

Quatre erreurs majeures ont affecté l’Union :

  1. l’entrée du Royaume-Uni, toujours fermement arrimé aux Etats-Unis et farouchement îlien, qui a sapé de l’intérieur la construction à visée fédérale pour tendre à la limiter à une vaste de zone de libre-échange ;
  2. la réunification allemande, qui a fait passer la RFA au premier rang pour la population et lui a assuré une clientèle fidèle de pays de l’Est ;
  3. l’élargissement brutal à dix pays supplémentaires en 2010 qui a changé l’identité et les institutions, introduisant des Etats avides de souveraineté retrouvée et adeptes du parapluie américain lointain contre l’ennemi russe trop proche ;
  4. enfin le lamentable abandon institutionnel du traité de Lisbonne pour la double souveraineté (Etats et population) qui a assuré à l’Allemagne une prépondérance évidente avec ses alliés économiques, et pourrait donner à la Turquie un poids prépondérant, si jamais elle devait entrer.

C’est l’histoire qui a abouti à ce mélange de renoncements et de lâchetés politiques, tout en assurant quand même quelques réussites majeures, tel l’euro, Airbus et Aérospatiale. Les maillons cachent la chaîne et il est nécessaire de reconstituer la perspective d’ensemble pour y voir clair. Ce que l’auteur fait brillamment, d’un style simple qu’on dirait parfois dicté, parfois repris de fragments de rapports diplomatiques, mais toujours lisible. Ainsi, l’échec de la Communauté européenne de défense en 1954, sous les coups de boutoir à la fois des gaullistes et des communistes, a fait échouer la fameuse Europe de la défense qu’on appelle aujourd’hui de nos vœux. Mais on oublie trop souvent que le général de Gaulle lui-même voulait une Confédération d’Etats pour l’Europe, « faire de cette organisation l’une des trois puissances planétaires » (Mémoires de guerre). Ce que l’on aimerait aujourd’hui afin de contrer l’offensive industrielle chinoise, l’offensive numérique américaine et sa prétention à nous imposer ses lois extraterritoriales…

Le projet européen reste cependant très différent d’un pays à l’autre : la France, dans l’histoire « pays de commandement », rêve toujours d’une « Europe puissance » et d’interventionnisme étatique tandis que l’Allemagne, échaudée par l’hyperinflation des années trente et la dictature nazie, rêve de règles claires, de discipline budgétaire et du parapluie militaire américain ; et que les Pays-Bas ou le Royaume-Uni préfèrent le libre-échange et le libéralisme poussé à tout carcan contraignant. L’Union européenne ne peut vivre que de compromis, sans qu’un modèle ne l’emporte sur l’autre.

Le Royaume-Uni a habilement manœuvré pour obtenir des avantages par des exceptions, jusqu’à sa sortie programmée. Reste le couple franco-allemand, écartelé dans sa vision respective, mais forcé à s’entendre pour survivre et avancer. Jamais « l’Europe » n’acceptera les gros impôts clientélistes et l’interventionnisme d’Etat français ; jamais la France n’acceptera l’ultralibéralisme batave ou l’ordo-libéralisme allemand rigide. Les autres pays se sont réformés progressivement, ayant fait reculer l’intervention de l’Etat au profit de l’emploi et de la croissance, et cela n’a pas trop mal réussi. La France, avec ses prélèvement obligatoires record, son système social hypertrophié qui dysfonctionne et ses carcans réglementaires sur les échanges et l’emploi, n’a pas de leçon à donner : sa population se révolte – pas celle des pays partenaires.

Faut-il pour cela sortir de l’Europe, dans un Frexit aussi aventureux qu’utopique ? Non, répond l’auteur de façon argumentée. Il décline sur 45 pages huit critiques faites à l’Union dans son chapitre IX.

Abandon de souveraineté ? Oui pour la monnaie, mais c’est heureux sous peine d’être dominé par d’autres, dont le mark ou le dollar. Mais cela n’empêche pas de chercher une meilleure « gouvernance » de la zone euro par les pays qui y adhèrent et un meilleur usage des marges de manœuvre et des instruments européens pour notre budget. Dans les domaines de souveraineté volontairement partagée (par décision des chefs d’Etat et de gouvernement successifs), il est nécessaire de faire respecter la subsidiarité et de trouver des solutions efficaces sur l’immigration, l’énergie et le climat. Mais tout citoyen d’un Etat de l’Union est aussi citoyen de l’Union – ce qui lui permet de se présenter aux élections et aux postes de la fonction publique des autres pays, ce qu’on ignore trop souvent.

Trahison du vote populaire contre la Constitution européenne par la ratification parlementaire du Traité de Lisbonne ? Les proposition institutionnelles reprises n’ont pas été celles qui ont été critiquées ; quant à celles qui le sont, elles ont été reprises telles quelles des traités antérieurs, dont celui de Rome en 1957 ou celui de Maastricht en 1992 – que par exemple Mélenchon a approuvé.

Excès de libéralisme ? Contrairement aux Français, les autres peuples sont plus pragmatiques et moins idéologues. Mais la politique de la concurrence ne s’est pas accompagnée d’une politique industrielle, dont le refus de la fusion Alstom-Siemens est le dernier exemple malheureux, sur des considérations juridiques et non d’opportunité économique. Pour que l’Europe « protège », la France doit poursuivre son effort de conviction sur les autres.

Austérité ? Sans aucun doute, au moins de « rigueur » pour ajuster ses dépenses à ses recettes. Ce pourquoi la monnaie européenne est forte et permet d’importer du pétrole et des matières premières sans peser sur les coûts de production ; ce pourquoi les emprunts des Etats de la zone euro sont prisés sur les marchés, permettant un endettement à taux réduits (notamment les OAT françaises) ; ce pourquoi la Grèce a été sauvée de ses démons clientélistes par des prêts faramineux. Mais si d’aventure un grand pays comme l’Italie faisait défaut, la zone euro ne dispose pas d’instruments à la mesure du risque.

Elargissement négatif ? Oui car les chefs d’Etat et de gouvernement (dont Chirac) ont été incapables de négocier un compromis institutionnel AVANT l’entrée des dix pour limiter le nombre de commissaires (un par Etat !) engendrant depuis une inflation réglementaire inévitable, chacun devant justifier son poste. Quant à l’abandon de l’occupation de Chypre au profit de l’intégration, elle a fourni des armes à la Turquie, qui exige d’entrer alors que personne ne le veut parce que ce pays musulman de 100 millions d’habitants ferait basculer l’Union européenne dans une vaste zone de purs échanges sans aucune identité culturelle. D’où la montée des extrémismes à droite, alimentés par la dérive autoritaire et pro-djihadiste d’Erdogan.

Immigration ? Les décisions de l’Union ne sont pas appliquées et nombre de pays font cavalier seul, à commencer par l’Allemagne de Merkel qui accueille sans prévenir ses partenaires de Schengen « un million » de réfugiés ! L’Italie de Salvini a raison de dire que l’Europe ne l’aide pas.

Europe-puissance viable ? L’Union est de fait une puissance, par son poids démographique et économique dans le monde. Mais elle ne s’est pas dotée des attributs de la puissance que sont une diplomatie commune et une force armée. Les atlantistes ne jurent que par l’OTAN les européistes que par l’armée européenne : mais la seule force crédible, à part celle de la France, est celle du Royaume-Uni qui sort de l’Union… La seule période où l’Union européenne a agi efficacement a été lors de la présidence du Conseil européen par Nicolas Sarkozy : il a très bien géré la crise financière de 2010 et la guerre russo-georgienne tout en commençant à régler la crise grecque. L’échec lamentable de l’Union lors de la crise ukrainienne ultérieure montre combien l’absence de volonté politique (Van Rompuy et Tusk) rend l’Europe incolore et inexistante.

Coût ? La France a longtemps bénéficié de la politique agricole commune et de l’aide aux régions défavorisées ; c’est à son tour d’aider les autres, étant le troisième contributeur net au budget européen.

L’Europe n’est pas la France et qui veut aller de l’avant doit quitter le cocon idéologique confortable et la croyance d’être un pays-phare pour se regarder au miroir de ses partenaires. Non seulement les autres pays prélèvent moins de taxes et d’impôts et vivent mieux, mais une part importante de notre population se sent délaissée, déclassée, méprisée et tourne en rond avec un gilet jaune sans trop savoir quoi faire que de l’exprimer avec violence. Peut-être serait-il temps de quitter les postures pour se mettre pragmatiquement à l’ouvrage ? Les puissances jouent chacun pour soi, seuls les pays européens de l’Union ont décidé d’en discuter entre eux. Pour les Français, il est temps de mettre sur la table tous les sujets qui fâchent et cet ouvrage y aide, replaçant dans l’histoire longue les petits problèmes d’aujourd’hui.

Il sera utile aux étudiants par son panorama au galop de l’histoire de la construction européenne, aux citoyens qui s’apprêtent à voter pour leurs députés au Parlement européen et se demandent pour quoi faire, à tous les curieux de cette institution inédite qui cherche à mettre en commun certains pans de souveraineté tout en souhaitant conserver à chacun son identité propre.

Pierre Ménat, France cherche Europe désespérément, février 2019, L’Harmattan éditions Pepper, collection Témoignages dirigée par Sonny Perseil, 319 pages, 29€

Pierre Ménat est également l’auteur d’un roman, Attendre encore, chroniqué sur ce blog

Attachée de presse Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

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Elire, c’est choisir

Une femme ou un homme ? Une héritière populiste ou un bon élève ex-banquier ? Pour beaucoup, le choix est difficile ; certains le refusent parce qu’ils considèrent qu’entre ces options le bien commun ne figure pas. Ils voteront blanc ou nul, ou se résigneront à voter pour le moins pire – ou pour le moindre bien.

Pour beaucoup, il s’agit d’encore plus de multiculturalisme où va se perdre sa culture, se dissoudre « la France » dans le grand métissage indifférencié d’une Union européenne qui vire au melting-pot américain, ou encore de diluer nos petits blonds dans le noir crépu issu de la guerre des ventres – puisqu’il suffit de naître à Marseille ou Roubaix, même clandestin, pour « être » français, sans aucunes références familiales, culturelles et historique.

Mais tout cela, ce sont de grands mots.

Il suffirait à notre culture d’être vigoureuse (comme avant) pour qu’elle accepte avec bienveillance les cultures venues d’ailleurs, qu’elle s’en enrichisse (comme elle l’a toujours fait) ; il suffirait que la France dise clairement au Conseil européen (des chefs d’Etat et de gouvernement – auquel elle participe) ce qu’elle veut, au lieu de démissionner lâchement comme Chirac et Hollande l’ont fait trop souvent ; il suffirait que nos bobos blancs « de souche » fassent plus de bébés au lieu de jouer aux gais ou aux féministes sectaires, et de papillonner en égoïstes. La question migratoire et la mal-intégration sont à régler au Conseil européen et au Parlement français – sous la pression de l’opinion publique – comme les Néerlandais et les Danois l’ont fait, comme les Allemands vont faire, et pas sous la pression médiatique de la gôch’ bobo hors sol qui ne représente RIEN.

Dans le concret aujourd’hui, ce qui compte est moins « le capitalisme » ou « le grand remplacement » que l’insécurité.

Le souci démocratique est celui des frontières, car nul vote ne peut rien contre l’universel. Le citoyen appartient, il vote pour qui doit le représenter, lequel représentant négocie des lois pour une société sur un territoire. Dès lors, l’immigration de masse sans contrôle apparait comme le plus grand danger. A tort ou à raison, pour des motifs culturel (les odeurs de Chirac), de tabou patriotique (la France, c’est prendre sa carte selon Hollande) ou d’ignorance béate de la profondeur historique (il n’existe pas de « culture française » selon Macron). Le terrorisme – musulman par prétexte – vient ajouter une couche à cette insécurité fondamentale qui recoupe les insécurités sociales, territoriales et économiques.

Le fond du vote Le Pen, ce sont moins la « sortie de l’euro » (remis en cause récemment par Le Pen sous la pression Dupont-Aignan) et les billevesées de la planche à billets via une Banque de France aux ordres de l’Exécutif qui permettrait tous les rêves démagogiques en distribuant des tonnes d’argent (au prix d’une évidente et immédiate inflation), que le retour de la souveraineté sur QUI est Français ou pas. Même l’immigration ethnique est désormais au second plan des craintes, au profit des ayants-droit qui viennent « pomper » (fantasme sexuel ou réalité comptable) le budget déjà limite de l’Etat-providence, tout en refusant la façon française commune de vivre et de se vêtir.

Sur ce sujet, la gauche « frondeuse » n’avait rien à dire, sinon encore plus d’impôts pour une redistribution égalitariste universelle (une sorte d’Etat soviétique modernisé) ; elle a été virée au premier tour. La droite classique n’avait rien non plus à dire, focalisée sur l’austérité budgétaire et le recul (nécessaire mais pas suffisant) de la dépense publique ; elle a, elle aussi, été virée au premier tour. Quand les partis traditionnels n’osent pas prendre à bras le corps un problème populaire, par honte ou lâcheté, le peuple se venge en les « dégageant » (y compris l’apôtre du dégagisme Mélenchon, trop chaviste pour espérer séduire).

D’où l’irruption – dans ce vide – du centre, du « ET droite ET gauche » du jeune Emmanuel, alias « Dieu est avec nous ».

En effet, « Dieu » semble être avec ce candidat neuf, en la personne des intellos multiculturels qui se sentent aussi à l’aise à New York qu’à Paris, à Tel Aviv ou à Singapour ; en les instances patronales qui voient une adaptation pragmatique de la social-démocratie au nouveau capitalisme mondialisé ; en l’idéologie individualiste et branchée des start-upeurs inventifs expatriés ou ceux de la Chevreuse Vallée. « Dieu » est le sens de l’histoire, le « progrès » tel qu’il va.

Bien loin du « diable » incarné par la blonde au sourire commercial, dont le seul souci est d’enclore et de fermer pour faire mariner la France dans un mélange de volontarisme du verbe et de bricolage de gouverne, de verbe gaulliste sans l’esprit et de recettes tirées de l’économie fermée des années 50. Emmanuel et Marine vont naviguer à vue ; mais qui est le mieux armé dans le monde d’aujourd’hui pour mener la barque ?

Avez-vous constaté, du fait des règles rigides du temps de parole égal aux deux candidats restants, que les conseillers, porte-parole et autres économistes de Marine Le Pen surgissent désormais dans le débat public ? Qui les connaissait, ces Bay, Murger, Benoist et autres obscurs ? Tous ne sont pas antipathiques, ni aussi insignifiants que Gilbert Collard (« avec deux n ? » raillait Jean-Marie le père) ; mais qu’ont-ils à dire de neuf ? Pas grand-chose, que du digest de littérature sur le sujet ou des procédés oubliés depuis longtemps comme la planche à billets pour financer les déficits, les dévaluations compétitives (et à répétition) pour éviter l’effort d’investissement, les droits de douane modulés pour contrôler les biens étrangers importés, les droits sociaux réservés aux nationaux et – au fond – le contrôle total d’Etat sur tout : le droit, la monnaie, les industries, la pensée. Voyez Poutine… il est le Modèle pratique de Marine.

Or il s’agit d’une illusion. Sauf à changer la Ve République, donc à réaliser un coup d’Etat à la Erdogan ou à la Chavez pour instaurer un pouvoir fort… dont le Modèle théorique est Mussolini. Mais si, comme le dit Marine Le Pen, il s’agit de demander aux Français via le référendum s’ils veulent ou non sortir de l’euro, puis de l’Europe, puis de la Ve, les lendemains risquent de bien vite déchanter.

L’Exécutif ne peut pas tout et, sous la Ve République, s’il peut beaucoup ce n’est qu’en raison de la personnalité du président.

Après de Gaulle et Mitterrand incarnant la fonction monarchique, même après Pompidou et Giscard plus chefs de majorité à l’anglaise, les successeurs apparaissent bien falots. Chirac, cet histrion, n’aimait que gagner ; il ne foutait plus rien ensuite. Le désastre a été ce fameux « contrat première embauche » destiné à rendre plus facile aux jeunes l’entrée dans l’emploi : le Parlement l’avait voté, le Conseil constitutionnel ratifié, le président promulgué… et voilà que le Chirac le 31 mars 2006 ânonne 9 minutes à la télé qu’il demande que cette loi ne soit pas « appliquée ». On croit rêver ! Quant au Villepin, ci-devant Premier ministre, loin de démissionner, il continue à gouverner comme si de rien n’était ! Hollande ne fut pas meilleur, névrosé de la décision, incapable de choisir, inapte à commander. « Mon ennemi la finance » est devenu un très cher ami, Leonarda expulsée pouvait rentrer, le oui au référendum de Notre-Dame des Landes surtout pas mis en œuvre…

Ce sont probablement ces impuissants qui ont poussé nombre d’électeurs à accuser le capitalisme mondialisé ou Bruxelles de tous les maux économiques et sociaux des Français :

  • Ce n’est pas l’euro : l’Allemagne a le même
  • Ce n’est pas « Bruxelles » : tous les 28 pays européens ont le même Conseil et la même Commission
  • Ce n’est pas « le capitalisme » : pourquoi serait-il innovant aux Etats-Unis, efficace en Allemagne et en Suisse – mais pas en France ?

Ne croyez-vous pas plutôt que ce sont les carcans rigides des lois, règlements et autres administrations d’un Etat plus lourd qu’ailleurs, en plus des impôts, taxes et autres charges plus lourds qu’ailleurs qui – en France tout particulièrement – conduisent au chômage le plus élevé de l’UE, aux prélèvements les plus gros de l’OCDE, aux handicaps les plus forts sur les agriculteurs, les industriels et les investisseurs ?

Selon la force des personnalités, la Ve République est forte ou faible.

Dès lors, quelle est la force de Marine ou d’Emmanuel ? La grande gueule ou l’intelligence des situations ? La com’ ou la négociation ? Macron est un libéral assumé (contrairement à Hollande) ; le libéralisme, c’est avant tout la liberté. Non de tout faire, mais de faire au plus près du terrain, dans des cadres généraux.

Le contraire du libéralisme, c’est le caporalisme, donc avant tout la contrainte. Il s’agit d’obéir, d’être surveillé et puni.

Elire, c’est choisir.

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Vers la démocrature ?

Le raccourci entre démocratie et dictature est un mot de Pierre Hassner, disciple de ce Raymond Aron qui – bien plus que Sartre et Beauvoir ! – fut lucide sur le totalitarisme marxiste en URSS, en Chine, à Cuba et ailleurs dans les années 50, 60 et 70. Ce qui n’a pas été vu hier peut n’être pas vu aujourd’hui. La démocrature donne les apparences de la libre décision démocratique (partis, élections, parlement, droit) mais assure dans la réalité l’essentiel du pouvoir aux mêmes.

La Russie de Poutine est une démocrature, l’Algérie et la Chine à parti unique en connivence avec l’armée aussi, la Turquie d’Erdogan en devient une, le Brésil du sénat destituant en est un embryon, et c’est le rêve de Donald Trump (la trompette trompeuse du parti des Éléphants !) comme de Marine Le Pen ou de Jean-Luc Mélenchon de la réaliser en France. Leur idéologie, c’est le Peuple. Magnifié, idéalisé, massifié : le Peuple en soi, sans aucune distinction particulière, le peuple en masse comme hier sous Hitler et Staline, « l’immense majorité » disait-on à l’époque, la « volonté générale » disait Rousseau, ce totalitaire émotionnel. Et c’est vrai : les Allemands comme les Soviétiques des années 30 votaient régulièrement ; ils élisaient massivement les mêmes, nazis et communistes – la démocratie apparente était sauve.

democratie dictatoriale

C’est que « le Peuple » n’existe pas ; comme Dieu, il lui faut des interprètes qui disent Sa pensée et qui agissent en Son nom… En URSS et en Chine pop, c’est le Parti communiste qui est le détenteur de la vérité révélée comme de l’exégèse des œuvres des grands révolutionnaires (Marx-Engels, Lénine, Staline, Mao). Dans la Russie de Poutine, c’est ce mélange de conservatisme petit-bourgeois et de nationalisme ravivé par les guéguerres aux ex-frontières qui est populaire, entretenu par une propagande massive des médias aux mains des dirigeants (tous manipulateurs experts de l’ex-KGB). En Turquie, Erdogan prend tous les pouvoirs, surtout après la tentative de putsch ratée de généraux pusillanimes qui n’ont pas pris les moyens de leurs ambitions ; le parti d’Erdogan est soutenu par une confrérie islamique sunnite puissante – et Allah est convié à soutenir le Pouvoir.

Mais la démocrature tente aussi les pays jusqu’ici démocratiques : le Royaume-Uni vient de vivre un hold-up institutionnel avec le Brexit en faisant croire que tous les maux étaient dus à la bureaucratie européenne ; certains se repentent aujourd’hui d’avoir cédés aux mensonges et aux sirènes de la souveraineté solitaire. Les États-Unis sont en train de vivre le psychodrame présidentiel, éclatés entre un Trump qui parle haut, proclame publiquement le politiquement incorrect et renverse la table – et une femme traditionnelle trop raisonnable, bien connue et longtemps au pouvoir.

Nous ne sommes pas exempts, en France, de ce genre de tentation, surtout après le troisième attentat de Nice, contre lequel le culbuto content de lui qui reste notre Président répète tout sourire que « tout va être fait » pour éviter un quatrième (puis un cinquième, puis un sixième ?) attentat – sans surtout ne rien changer aux institutions, aux procédures, ni aux manières de faire, malgré « l’état d’urgence ». Mais à quoi sert-il donc concrètement, cet état ? Le petit barrage de tapettes assuré par les diverses forces de police à Nice n’a pas de quoi rassurer les foules : il était aussi inefficace que l’entrée du bâtiment qui abritaient les parachutistes à Beyrouth, dans un pays en guerre, en 1982. Les « spécialistes » et les « décideurs » ne comprendront-ils donc jamais ?

Faut-il attendre à chaque fois la réalité meurtrière de la vraie guerre pour prendre enfin des mesures qu’on aurait dû prendre avant ? Les juges (administratifs) en restent à la lettre du droit, sans considérer les circonstances et les 240 morts français à cause de l’islam radical ? L’islam existe depuis 1300 ans et le burkini est une nouveauté : qu’a-t-il à voir avec la religion musulmane ? La provocation n’est-elle pas manifeste ? C’est ce que disent les femmes saoudiennes… contre les idiots utiles du gauchisme bobo. Toutes ces provocs ne sont-elles pas orchestrées ? C’est la thèse que défend Fatiha Boudjahlat, militante pour l’égalité en droits des femmes et secrétaire Nationale du MRC à l’Éducation… contre la bien-pensance qui se dit anti-réactionnaire et qui réagit au quart de tour. Manuel Valls a raison de dire que cet arrêt n’épuise pas le débat « politique ». L’arrêt juridique, rendu par le Conseil d’État au sujet des arrêtés des maires sur le burkini défend « les libertés » mais reste dérisoire : Tuot, l’auteur du rapport socialiste 2013 sur l’intégration a été l’un des juges. Il persiste à minimiser l’islam en religion « comme les autres », donc soumise au même droit commun – alors que l’islam est un projet global, totalisant, comme l’était le catholicisme jusqu’en 1905. Si l’idée française de nation est  la volonté de vivre ensemble, qu’en est-il de ces comportements ? Peut-on être « français comme les autres » quand on rejette volontairement et violemment ce projet collectif ? Revenons aux origines de la IIIe République, celle qui fonde la France actuelle : « Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n’en font qu’une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L’une est dans le passé, l’autre dans le présent. L’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs ; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis. » C’est Ernest Renan qui le dit – fort justement ! Faut-il en revenir à la conception allemande du droit du sang, qui était celle de la France d’Ancien régime ? Pourquoi, dès lors, les intellos de gauche tortillent-ils du cul comme s’ils étaient gênés face à la volonté manifeste des islamistes (pas des musulmans) de renverser ce qui fait la France ? Comment devons-nous comprendre cette « soumission » volontaire au plus fort parce qu’il brandit un couteau ?

« L’homme n’est esclave ni de sa race, ni de sa langue, ni de sa religion », disait encore Renan : la liberté existe, celle d’aller vivre ailleurs, en conformité avec ses convictions. Mais l’exercice des libertés n’est possible que dans la neutralité et je souscris à la déclaration de Raphaël Enthoven (dans La morale de l’info sur Europe 1 le 24 août) : « interdire un interdit, c’est lui donner de la force ». Laisser faire cette « mode » aussi inconfortable que ridicule du burkini, n’est-ce pas la vouer à disparaître ? Ce qu’il faut quand on est sûr de soi ? – « défendre sans trembler la laïcité et la République qui défend aussi la majorité des musulmans contre la prise de pouvoir d’un islamisme rétrograde », dit aussi Michel Santo sur son blog. Le meilleur du libéralisme est sans doute là.

Sûr de soi, sans trembler… mais quel politique est sûr de soi et ne tremble pas ? Mais quel politique va-t-il expliquer à la fois le droit et son application POUR TOUT LE MONDE ? N’y a-t-il pas des islamistes intolérants ? des racistes musulmans ? Des bobos qui crient à l’écorché dès que l’on OSE aborder ces questions pour eux taboues ? Les électeurs sont lassés de se retrouver avec les mêmes incapables, qui trustent les postes sans résultats concrets. Et nous allons rejouer en 2017 le duo des bras cassés Hollande-Sarkozy, comme si de rien n’était ? Si les primaires sont aussi indigentes qu’elles le promettent, l’électeur sera tenté plus qu’ailleurs de renverser la table, de passer un violent coup de karcher sur ces nuisibles qu’il a assez vus.

islamisation a peine voilee 2016 a saint denis

Car, après les attentats à répétition excusés par la boboterie de la repentance et de padamalgam, des mosquées financées à guichet ouvert par les intégristes wahhabites, des prêches haineux laissé sans réaction, des provocations en tous genres donnant lieu à « polémiques » entre intellos bien au chaud ; après l’éclatement partisan à la suite de Nice ; après la dislocation européenne initiée par l’Outre-Manche attisant le pourquoi pas nous ; après l’explosion turque, « pays candidat à l’Union européenne » – les électeurs sont désormais sans aucune illusion.

Ils ont l’impression qu’une démocratie directe, où ils auraient enfin leur mot à dire, serait préférable à la démocratie représentative qui balance les pouvoirs, équilibre les institutions et demande des débats avant toute décision. Si « nous sommes en guerre » comme le dit le président, alors pourquoi ne pas adopter les processus de décision raccourcis de la guerre ? 1914-18 a montré combien l’autoritarisme s’est amplifié avec le conflit ; la guerre contre le terrorisme pourrait bien avoir de semblables effets, exigés d’en bas comme en Turquie ou aux États-Unis par la population, contre les résistances des bobos mondialistes et des élites confortablement installées dans le fromage public. L’électeur à qui l’on a appris à obéir plus qu’à réfléchir se demande : tous ces garde-fous des institutions (la double délibération des Assemblées, le recours au Conseil constitutionnel ou au Conseil d’État, l’élaboration rituelle du droit, l’indépendance de la justice, la surveillance de la police), sont-ils encore utiles ? Ne faut-il pas les raboter ? les suspendre ? les supprimer ?

Ces vertus du libéralisme politique sont fragiles, d’autant que le libéralisme est attaqué de toutes parts, à gauche comme à droite, au nom de l’État, de la Nation en armes une et indivisible, de la neutralité jacobine qui ne reconnaît aucun particularisme – ni corse, ni basque, ni breton, ni catholique, ni musulman. Le multiculturalisme est à la mode chez les gendegôch et les bobos parisiens, alors que la fécondation de la culture par l’Ailleurs est conditionnée avant tout par la santé de sa propre culture. Tout ne vaut pas tout, dans le grand méli-mélo métissé des gauchistes hors sol. Être fier d’être soi serait-il bien en Kabylie ou à Tahiti, mais horrifique en France même ? Montaigne doit-il être traduit en novlangue texto et simplifié au politiquement correct dans une jacklanguerie « artiste » du dernier chic ? Pourquoi introduire l’arabe en classe alors qu’on ne sait même pas apprendre le français correctement ?

moins de libertes contre le terrorisme

Mais si tout va mal et que les pires conservateurs apparaissent comme ceux qui sont au pouvoir et autour (en France la gauche bobo depuis Mitterrand ; aux États-Unis le clan Clinton), c’est aussi parce que la promesse de la démocratie libérale n’est plus tenue depuis le nouveau millénaire. Les excès de la finance, « la crise », la puissance des lobbies bancaires, le droit extraterritorial imposé par les États-Unis, la prosternation envers les pratiques chinoises de voyou, ont laissé stagner, voire régresser, le pouvoir d’achat – en Europe comme aux États-Unis.

L’immigration massive et incontrôlée, la culture sociologique de l’excuse qui justifie la vengeance islamiste par l’injustice passée, le rejet des fils d’immigrés mal intégrés à cause de leur idéologie radicale, l’intolérance croissante aux différences revendiquées (burkini, voile… mais aussi torse nu en ville, seins nus à la plage, short en vélo !), apparaissent à l’électeur en régression sociale comme d’insupportables provocations : les élites s’occupent des « victimes » autoproclamées par la repentance coloniale (France) ou le culte du fric et de la performance individuelle (USA), elles ne s’occupent pas de l’électeur moyen ou populaire.

Sauf qu’il a le droit de vote. Et qu’il va s’en servir. Même si les partis politiques ne font guère recette, Internet dit tout, permet tout, entraîne tout. Les vieux rassis, au pouvoir depuis trop longtemps, n’en ont aucune conscience ; ils n’y « croient pas ». Dommage pour eux, le phénomène Trump et la grossière erreur des sondages anglais le montrent.

Je déplore à titre personnel la haine irrationnelle du libéralisme, tant politique qu’économique, qui agite nos élites de gauche comme de droite, tout comme la distorsion vers le monopole du libéralisme aux États-Unis ou en Allemagne. Car le leg libéral est aussi politique : celui des institutions. Il assure la tempérance et la raison par la séparation des pouvoirs et le débat organisé. S’il venait à disparaître dans l’illibéralisme comme en Russie, en Turquie ou en Hongrie, tous les petits « révolutionnaires » indignés qui manifestent à longueur d’années pour revendiquer des « droits » seraient les premiers à en pâtir. Lénine les avait éradiqués sans état d’âme… Et nous aussi en pâtirions.

Il est difficile de résister à la pulsion de mort qui taraude nos sociétés malsaines, face à des contre-sociétés plus vigoureuses et sûres d’elles-mêmes. La psychologie de masse rencontre le petit moi étriqué laissé à lui-même par la famille déstructurée à la mode et par l’école démissionnaire du tout vaut tout. Mais il faut résister, affirmer ce qui vaut, faire appliquer les lois existantes, modifier celles qui le doivent pour assurer de vivre ensemble, renforcer l’Union européenne en posant clairement ses frontières et ses normes – comme le font les États-Unis, la Chine ou l’Inde, sans état d’âme. Cela sous peine de disparaître dans une prochaine nuit des longs couteaux.

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Géopolitique de l’Europe après Brexit

L’Europe est une unité de civilisation au cap ouest de l’Asie ; la Turquie n’en fait manifestement pas partie, de même que l’autre rive de la Méditerranée ; la Russie aurait vocation à y entrer, mais pas sans remettre en question beaucoup de ses façons de faire. Cette unité de civilisation n’est jusqu’à présent pas une unité politique. Le rêve (naïf et vaniteux) de « République universelle » chanté avec enflure par notre Hugo national s’est brisé sur la réalité : celle du refus anglais, celle de la réticence des pays de l’est, celle de la montée partout du souverainisme. L’Europe n’est aujourd’hui qu’un agrégat de nations de forces inégales où la puissance armée équilibre de moins en moins la puissance économique. Disons-le tout net : Hitler a en partie réussi, l’Europe sans les Anglais est aujourd’hui allemande.

revue le debat 190 mai 2016

Passons sur la nullité passée de Chirac et présente de Hollande : aucun dessein, aucune idée, aucun projet sur l’Europe. Seule compte la survie au jour le jour en fonction de petits intérêts parisiens liés au parti du président ; les rodomontades hollandaises présentées depuis le Brexit sont dans l’urgence, sans rien de préparé de longue date – elles ont peu de chances d’aboutir ; la nomination de pitoyables, exilés à Bruxelles vaut placard de la politique ; la poursuite des idéologies nationales bornées se prolonge à Bruxelles au lieu de s’élever au niveau. L’adoration de la technocratie par les énarques et la confiscation de toute démocratie par les petits partis qui font cuire leur petite soupe à petit feu dans leurs petits coins (selon les mots inénarrables du général de Gaulle), ont rendu l’Union européenne non seulement illisible au citoyen moyen, mais flanquée d’une image de contrainte qui permet aux politiciens lâches de se défausser sur « Bruxelles » de tout ce qu’ils n’osent pas présenter aux électeurs.

Nombreux sont les sceptiques, Européens mais pas comme ça, allergiques aux intrusions sans explication sur l’économie et la finance, aux règlementations maniaques sur des détails de production, mais emplies d’indulgence pour les lobbies chimiques, industriels et de santé – au détriment des gens. Inquiets aussi de la montée des nationalismes dans le monde et refusant de plus en plus viscéralement cette espèce d’intégration sans frontières de tous les pays « ayant vocation » sur les seuls critères du droit, sans aucune considération de culture ni de civilisation. Il existe en ce sens une vraie fracture entre l’Europe de l’est, restée très nationale, et une Europe de l’ouest devenue très multiculturelle. Les premiers refusent de changer de civilisation, les seconds constatent le fait des cultures qui se côtoient sur leurs sols et sont tentés d’en faire une idéologie « de progrès ». Comme si le progrès résidait dans le mélange, l’égalisation, la moyenne.

Ce que viennent de dire les Anglais avec force est : NOUS VOULONS CHOISIR. Ils ne sont pas contre l’immigration (vue comme invasion ethnique et changement des mœurs) mais contre l’afflux de migrants (qui déstabilise le système social et l’Etat-providence). Ils veulent modérer le nombre et prendre en priorité ceux qui peuvent travailler et contribuer au revenu national. Il s’agit donc d’un raisonnement économique plus que d’une passion identitaire, le pragmatisme d’une « nation de boutiquiers » aurait dit Nietzsche. Mais les Anglais ont le mérite de ne pas s’enfumer l’esprit comme les Français par fièvre idéaliste. Leur vote fait partie de ce qu’Hubert Védrine appelle (avant le Brexit) un « retour au réel », dans un entretien à la revue Le Débat, n°190, mai-août 2016.

Les bobos idéalistes de gauche en France croient le monde composé de Bisounours, gentils par essence, unis dans une « communauté internationale » (qui n’existe que dans le discours paresseux des médias français), aspirant aux Droits-de-l’Homme véhiculés par un ONU qui aurait vocation à devenir l’État central du monde et aux méchants punis par une Cour pénale internationale. « Nous vivions sur une tradition intellectuelle qui a sa grandeur, certes, mais qui faisait de nous les responsables de toutes choses, les ordonnateurs du système international, les concepteurs du droit international, les missionnaires de nos fameuses ‘valeurs’. Pour ce courant de pensée, tout ce qui se passait dans le monde nous concernait soit au titre d’un remord, maladie expiatoire issue d’une histoire mal digérée, soit du fait de l’universalité de nos idées ou de notre responsabilité auto-décrétée ! », fulmine Hubert Védrine (lui aussi de gauche, mais pas de la même) dans l’excellent article cité. Attention au retour de bâton encore à venir : malgré sa clownerie vulgaire, Donald Trump trompette à l’envie ce que pense l’Amérique, Obama compris, que seuls les intérêts yankees comptent et que les États-Unis n’ont plus la mission de sauver le monde ni de protéger de leurs dollars des alliés qui ne font pas leur part.

bisounours rose

L’Europe n’est pas l’Europe lorsqu’elle laisse la Grèce à ses démons clientélistes au lieu de l’aider à construire un État viable dont l’administration collecte efficacement des impôts justes ; l’Europe n’est pas l’Europe lorsqu’elle reste à la remorque des États-Unis à propos de la Russie, de la Syrie ou d’Israël, sans affirmations calmes ni conscience de ses intérêts propres ; l’Europe n’est pas l’Europe lorsqu’elle laisse une Merkel sans contrôle négocier seule avec un Erdogan de plus en plus islamo-fasciste des avantages indus et une entrée programmée dont personne ne veut ; l’Europe n’est pas l’Europe quand elle prend des gants avec l’islam pour ne pas « stigmatiser » une religion, alors qu’il s’agit bien d’Allah dans les cris des tueurs, et bien de la religion dans les justifications idéologiques à massacrer les mécréants ; l’Europe n’est pas l’Europe lorsqu’elle laisse faire le laisser-passer des migrants à tout va, sans distinguer le droit d’asile de la migration économique. Sans les Anglais, l’Europe est un peu moins l’Europe, même si l’Écosse et l’Irlande du nord pourront peut-être négocier d’y rester.

Définissons clairement les frontières, distinguons clairement qui a droit ou pas, renvoyons clairement dans leur pays ceux qui n’ont pas droit de venir, négocions clairement avec les pays de départ et les pays passeurs les aides au contrôle et au développement (rétorsions financières à l’appui s’il le faut), établissons clairement un Schengen fédéral volontaire qui fonctionne en instantané (pas sur l’exemple du supporter nationaliste russe revenu aussitôt après expulsion parce qu’un fonctionnaire aux 35h était déjà parti en week-end et avait omis de mettre à jour la base…). Disons aussi ce que l’Europe veut et ne veut pas, avec la Chine, les États-Unis, la Russie, les pays hors Union. Pas besoin de faire les gros yeux, la force de la puissance réelle compte par inertie : un grand marché, de nombreux chercheurs, une industrie mondiale. Sans les Anglais, notre puissance est plus faible, mais elle reste importante.

Mais pour cela… il faudrait que les dirigeants de chaque pays de l’Union cessent de se défausser haut et fort à la Chirac-Hollande sur « Bruxelles » de tout ce qu’ils cautionnent tout bas par leurs votes en Conseil européen « des chefs d’État et de gouvernement » ! L’égoïsme sacré de chaque État existe, la mise en commun de certains pouvoirs bénéfique à tous existe aussi – autant l’expliquer et convaincre. Sans les Anglais, tout sera peut-être plus facile, mais la nullité Hollande fait encore moins le poids face à la légitimité Merkel – surtout si celle-ci perçoit une volonté de coaliser les « pays du sud » contre une Allemagne hégémonique !

attractivite france 2016

Et nous, Français, cessons d’accuser la « force » de l’euro, « l’ordo-libéralisme » allemand, l’égoïsme financier anglais, la xénophobie autrichienne, le traditionalisme chrétien hongrois et ainsi de suite. Lorsque nous serons exemplaires, nous pourrons donner des leçons à tout le monde. Mais pour être exemplaires, il nous faut réformer le pays tout entier : le millefeuille territorial, le cumul des mandats, la corruption des élites, le droit du travail, les entraves à l’entreprise, la fiscalité illisible, les conflits d’intérêt dans l’homologation des médicaments, la filière agricole ; il nous faut associer les citoyens aux « grands projets » d’État, assurer une meilleure représentation parlementaire et rendre les syndicats plus représentatifs… Tout ce que nous n’avons PAS su faire depuis la chute de l’URSS, depuis Chirac, depuis Hollande, avec la parenthèse Sarkozy qui avait commencé un peu, mais trop peu et avec changement de cap inexpliqué.

Revue Le Débat n°190, mai-août 2016, €20.00

Comprendre ne signifie pas excuser, comme certains illettrés le croient. Je rappelle que je suis POUR l’Union européenne. Ci-après quelques notes sur ce blog :

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Subprimes : comment l’engrenage s’est enclenché

Presque dix ans déjà…

Les attentats du 11 septembre 2001, suivis par la guerre en Afghanistan, puis en Irak, ont poussé aux excès financiers : excès de dépense publique pour financer la guerre et soutenir la consommation, excès de laxisme monétaire qui encourage l’endettement, excès de sophistication financière qui titrise n’importe quel crédit et répand les produits structurés sans marché autre que le gré à gré, dans l’ensemble des bilans des banques et des assurances. Ces excès ont créé des bulles d’actifs (actions technologie-media-télécoms, immobilier, matières premières, pays émergents), encouragé la reprise de l’inflation, poussé à la hausse le pétrole, et à la baisse le dollar.

La crise financière de l’été 2007 est tout d’abord une crise bancaire.

Elle met en scène plusieurs acteurs interconnectés dont aucun ne voit le risque global, ne considérant que son propre intérêt : la Fed, les banques, les mathématiciens spécialistes des modèles de trading, les techniques de l’information et de la communication, les chasseurs de primes, les agences de notation.

La Fed a créé par sa politique de taux bas une abondante liquidité. Toute croissance se fonde sur le crédit, c’est toute la différence entre prendre un risque pour innover et se contenter de gérer l’immobilisme ambiant. Tout risque entraîne une volatilité, c’est-à-dire des écarts constants d’évaluations et de perspectives ; cette gestion du risque s’appelle « spéculation », ce qui signifie un pari sur l’avenir ; c’est à ce niveau que des modèles de simulation mathématiques sont volontiers utilisés.

L’innovation financière des spécialistes des banques a fait le risque. Ce qui est innovant pour un établissement prend des proportions systémiques dangereuses lorsque le levier et l’opacité décalent des actifs réels et que les produits titrisés et dérivés sont vendus à ceux qui en ignorent tout. La titrisation consiste, pour une banque, à transformer un ensemble de créances en titres négociables sur un marché financier, via un SPV (Special Purpose Vehicle), afin d’améliorer ses conditions de refinancement et d’optimiser la gestion de ses fonds propres en cédant une partie de ces actifs ou en externalisant une partie des risques auxquels ces actifs sont exposés. La sophistication croissante des techniques de titrisation a rendu plus difficile l’évaluation des risques afférents aux portefeuilles de titres et l’identification des porteurs de ces risques.

Il est à noter que la crise des subprimes n’est pas venue des hedge-funds, mais bel et bien des banques (Bear Stearns, Lehman Brothers, Goldman Sachs, etc.) et des assurances (AIG), pourtant très « régulées ».

Les récentes techniques de l’information et de la communication rendent instantané et réflexif tout mouvement dans un sens ou dans l’autre ; on y voit la propension très humaine à l’imitation et au panurgisme amplifié par la technique. L’essor récent lui aussi de la globalisation (depuis 1991 en gros) diffuse les techniques nouvelles instantanément à l’ensemble du système financier de la planète ; les Chinois comme les Européens ont acheté des crédits titrisés contenant des subprimes ; sans plus en mesurer les risques comparés à leur rendement affiché.

La bulle des actifs immobiliers due à la liquidité encouragée par la Fed a amplifié le crédit facile aux remboursements gagés sur la hausse, notamment des prêts risqués subprimes allant jusqu’aux ninja (no income, no job, no assets – ni revenu, ni emploi, ni actifs en garantie). Les rabatteurs indépendants des banques, chasseurs de primes, leur ont apporté des clients peu garantis, fondés sur la hausse constante des prix. Comme le vélo, tant que dure le mouvement à la hausse, le remboursement des crédits ne pose aucun problème. Lorsque la hausse s’inverse, les problèmes commencent…

La titrisation de ces crédits à risques, mélangés avec de bons crédits sous la forme d’ABS (Asset Backed Securities), MBS (Mortgaged Backed Securities), PSV (Special Purpose Vehicles), CDO (Collateralized Debt Obligations), CMO (Collateralized Mortgage Obligations), CBO (Collateralized Bonds Obligations) ou CLO (Collateralized Loans Obligations) – a noyé le danger. Tous ces produits ont fait eux-mêmes l’objet de dérivés, contrats bilatéraux sur mesure d’échanges de risques entre banques ou CDS (Credit Default Swap).

Ces crédits sont évalués par des agences de notation dont le laxisme théorique a fait qu’il y a plus de crédit noté triple-A que d’actifs réels triple-A. Puis les hedge funds ont joué du levier sans fonds propres sur tout cela (dépôt de 1,5 % du montant acheté pour les CDO et CDS contre 10 % pour les obligations ordinaires).

subprimes engrenage resume alain sueur

La crise du crédit succède fin 2008 à la crise bancaire.

Le ralentissement du marché immobilier américain a entraîné, par effet de dominos, une contagion de la crise, avec effet de levier, à toutes les banques, et dans le monde entier du fait de la globalisation financière. Les mauvais crédits ont amplifié la baisse du marché immobilier réel, donc des produits titrisés vendus, donc des hedge funds qui doivent renverser leurs positions en prenant des pertes, donc des banques qui ont acheté leurs titres. Tous les prix sont entrés en mouvement, les actions, les obligations, l’immobilier, les monnaies, l’énergie, les matières premières – et même les denrées agricoles – pour tenter de trouver des placements alternatifs rentables. Le coût du risque a violemment fluctué. Les banques ne se font plus confiance, l’une d’entre elles – Lehman Brothers – ayant été laissée aller à la faillite le 15 septembre 2008 sans que les autorités publiques n’interviennent. C’est toute la confiance dans le système financier qui a été atteinte.

Toutes les grandes banques ont acheté sur le marché des tranches de dettes polluées par les prêts à risque mais supposées stimuler leurs rendements. Elles en ont parfois transféré le risque à des investisseurs sous forme de produits structurés complexes ARS (Auction Rate Securities), de CDO (Collateralized Debt Obligations) et CDO d’ABS (Auction Bonds Securities).

Par peur des mauvaises surprises dans leur bilan, non seulement les banques ne se prêtent quasiment plus entre elles, mais elles prêtent beaucoup moins à l’économie « réelle », ce qui entraîne baisse de l’investissement, de l’innovation, de la consommation, chômage, délocalisations, etc. Cet effet vient s’ajouter à une phase de ralentissement cyclique normal après le rebond des années 2003-2007. Le ralentissement économique, parti des États-Unis, se diffuse à l’Europe et aux pays émergents (qui exportent moins).

Le quatrième étage de la fusée a failli être constitué par une panique des ménages.

Ils ont eu la tentation de retirer massivement leurs dépôts des comptes bancaires et leurs titres des portefeuilles pour les stériliser sous forme d’or métal ou de billets en coffre-fort, se méfiant même des emprunts d’État qui, bien que réputés habituellement « sans risque », se trouvaient fragilisés par l’envol de la dette et le doute sur la solvabilité des plus petits (l’Islande entre autres).

Nous aurions pu avoir alors une atmosphère de méfiance généralisée, une crise aiguë de liquidité des banques et une spirale de grande Dépression analogue à celle des années 1930. C’est à ce risque qu’ont tenté de pallier le plan Paulson (secrétaire au Trésor américain) et les plans coordonnés issus des accords européens d’octobre 2008, sans parler des plans chinois, japonais, russes et autres.

La crise est mondialisée, or le contrôle des banques est national. Des faillites de grands établissements obligent les États à intervenir massivement par nationalisation, rachat de crédits en défaisance ou garantie des prêts entre banques, pour éviter une situation de crise généralisée du crédit. Les budgets restent ceux des États, contraints par leur dette, le niveau des impôts et leur balance des comptes. Ils doivent rassurer les épargnants en garantissant les dépôts, relancer la consommation par la fiscalité et la redistribution, et sauver le système bancaire. Seules les politiques monétaires sont par grandes zones devises, elles assurent la liquidité des banques en acceptant des prises en pension plus risquées, mais elles ne suffisent plus à elles seules à régler le système notamment parce que les taux de change politiques des pays asiatiques n’aident en rien au rééquilibrage.

La suite a été vécue dans les années 30 : crise économique égale crise sociale, donc crise politique.

Les extrémismes simplistes, le populisme démagogique et l’appel au chef à poigne sont la conséquence du ressentiment social. Sortez les sortants est le slogan. La démocratie représentative, lente et procédurale, parfois corrompue par des « affaires », est violemment contestée, à la fois par les démagogues manipulateurs des foules en colère, et par ceux qui aspirent à une démocratie plus directe.

Dans les années 30, nous avons eu la montée des autoritarismes : socialiste (URSS, Chine), fasciste (Italie, Japon), nazi (Allemagne, Autriche), conservateur (France pétainiste, Espagne franquiste, Portugal salazariste), démocratie de guerre à Exécutif fort (Royaume-Uni, États-Unis). Cela a abouti à la guerre.

Une telle montée s’observe aujourd’hui, heureusement dans un monde qui n’est plus le même. La guerre ne met en œuvre que l’intégrisme islamique avec le reste du monde. Mais chaque peuple se replie sur lui-même et l’Union européenne vacille tout comme le fédéralisme américain ou peut-être aussi allemand.

Les subprimes n’ont été qu’un élément de l’engrenage.

Cette note est tirée (avec son autorisation) de Gestion de fortune (2009). L’auteur a passé plusieurs dizaines d’années dans les banques et a écrit également Les outils de la stratégie boursière (2007). Il se consacre désormais aux chroniques, à la formation et à l’enseignement dans le supérieur.

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Non à la Turquie dans l’Union Européenne

Barack Obama a clairement fait savoir urbi et orbi quel est l’intérêt de l’Amérique : que la Turquie, partenaire de l’OTAN, rejoigne au plus vite l’Union Européenne, ce rival potentiel des États-Unis dans le nouveau monde multipolaire. Obama donne un souffle nouveau à beaucoup de choses – mais certainement pas à la géopolitique américaine, constante depuis un demi-siècle. Celle-ci, pilotée selon les idées d’Henry Kissinger et par les administrations militaires, reste de marbre face aux bouleversements du monde. Il s’agit d’America first et les intérêts bien compris des Yankees sont d’éviter la constitution de blocs puissants, de diviser pour régner. Ils ne font en cela que reprendre la vision de l’Angleterre impériale.

Une Union Européenne à identité affirmée parlerait d’une seule voix sur la scène internationale ; elle imposerait sa culture millénaire de nuances et de libertés, son capitalisme rhénan orienté vers le travail bien fait et la participation des salariés et des collectivités à l’entreprise ; elle serait un concurrent redoutable pour les États-Unis confrontés à une Chine qui grossit et qui commence à montrer les dents. Diluer l’UE dans une vaste zone de libre-échange, liée aux États-Unis par l’Organisation de défense, est la meilleure politique pour éviter la concurrence. Le Royaume-Uni y aide de toute son âme, préférant toujours le grand large à une quelconque convergence continentale. L’intégration des pays de l’Est y ont aidé, bien plus tournés vers l’Amérique des libertés que vers l’Europe des intérêts, occupation soviétique oblige.

Ajouter la Turquie, c’est diviser un peu plus et augmenter d’un lourd boulet économique et culturel ce concurrent dangereux (le PIB turc par habitant est le quart de la moyenne de l’UE). Tout en se déchargeant un peu plus sur l’Europe du handicap islamiste, mal contré par les experts militaires et du renseignement depuis 1945 ! Que la carotte du droit européen remplace donc le gros bâton armé américain, pense l’administration américaine. Une fois la Turquie dans l’UE, les frontières seront communes avec l’Irak, l’Iran et la Syrie, la diplomatie européenne ne pourra plus faire semblant de regarder ailleurs.

turquie arguments pour ou contre le monde 2004

Il y a de multiples arguments en faveur ou contre l’entrée de la Turquie dans l’UE.

  • Certains, dans la lignée romantique, y voient l’amorce d’un gouvernement mondial qui avancerait pas à pas par le droit, l’UE étant une sous-ONU en développement. C’est le rêve hugolien de République universelle par anticapitalisme, que chantent les gens de gauche (Pascal Lamy, La démocratie-monde), y compris aux États-Unis même (Immanuel Wallerstein). Pour ces postmarxistes, seules les sociétés barbares s’identifient à une ethnie, se transformant en sociétés closes, répétitives, immobiles.
  • D’autres ont justement ce rêve d’une Europe suisse, sortir de l’histoire pour se replier entre soi, dans un club chrétien, élevant des barrières protectionnistes à l’entrée et réservant l’État-providence aux nationaux. La méfiance envers le monde ouvert, envers l’étranger, la religion différente, sert de socle à une réaction en faveur d’un âge d’or où l’Europe dominait le monde.

Je ne suis pour ma part partisan d’aucun de ces projets.

Pour moi, l’Europe n’est pas qu’une entité économique et l’identité compte. Mais la xénophobie de l’entre soi et du communautarisme grégaire n’est pas mon fort. L’Europe est un projet politique (plus que juridique !) et plus le nombre des États augmente, plus ce projet se dilue dans le plus petit dénominateur commun : les seuls intérêts matériels. Ce n’est pas au moment où le capitalisme anglo-saxon, focalisé sur la seule rentabilité financière, fait faillite, que l’Europe va s’y convertir ! Notre culture est différente, nous devons la valoriser, le monde a besoin de diversité. Un projet, c’est un mouvement. Les deux puissances anglo-saxonnes sont des îles ; elles ont une identité forte et sont adeptes du chacun pour soi et du droit du plus fort. Elles ont donc tout le loisir de rester entre soi tout en côtoyant les autres, c’est l’esprit même du communautarisme. L’Europe continentale n’est pas dans le même cas, plus solidaire, plus collective.

Une intégration, compte-tenu du poids démographique et culturel de la Turquie, signifierait une dilution d’identité, une emprise des mœurs musulmanes par capillarité, une censure de fait de la liberté d’expression, une certaine islamisation de l’Europe qu’on le veuille ou non. Le soutien sans faille des milices islamistes turkmènes en Syrie montre que l’impérialisme religieux musulman turc est loin d’être un fantasme. En Turquie même, la laïcité d’Atatürk est bien loin sous l’AKP d’Erdogan, parti paravent des confréries religieuses sunnites… Une société libre, permissive et (pire encore) ‘démocratique’ apparaît aujourd’hui pour les musulmans de Turquie comme contraire à l’islam (égalité des femmes, seins nus, avortement, mariage gai, caricatures de Mahomet et neutralité de la religion). Comment un régime qui pose en souverain le peuple lui-même et pas Allah serait-il acceptable ?

J’ai montré comment islam et démocratie pouvaient ne pas être incompatibles : mais ni aujourd’hui, ni maintenant, ni avec la Turquie 2016. Surtout pas sous le satrape actuel, de plus en plus autoritaire, nationaliste, islamiste – l’inverse même des valeurs européennes. La régression culturelle, liée à la restriction socialement correcte des libertés publiques et des minorités (dont la kurde) est réelle. Kemal Atatürk était, certes, occidentaliste lorsqu’il voulait réformer la Turquie, mais c’était à une époque où la France apparaissait comme la première puissance militaire du globe. La Turquie d’aujourd’hui remet en cause la laïcité et l’esprit républicain d’Atatürk au profit des partis religieux et des mafias.

L’effacement de la foi chrétienne en Europe laisse un vide que l’islam est avide de remplir. La Turquie est musulmane à 98%, elle n’a rien de « multiculturel », au contraire ! La société turque a été homogénéisée volontairement par la force avec le génocide arménien 1915 et l’expulsion des Grecs dans les années 1920 ; elle poursuit dans cette voie avec la volonté de soumettre les Kurdes. Une telle Turquie contaminerait sans aucun doute nos mœurs, expressions, libertés et institutions. Déjà, Angela Merkel « accepte » des poursuites contre un humoriste allemand qui édite en Allemagne ! La « soumission » n’est pas loin… Michel Houellebecq ne s’y est pas trompé, ayant souvent des intuitions justes.

Les « pour » croient « civiliser » ce pays déjà de plus de 79 millions d’habitants par le droit, la politique étrangère et le marché : mais pour qui donc se prennent-ils, ces néo-colonialistes « de gauche » ? Les relations entre l’Europe et la Turquie peuvent avancer par partenariat, comme ils l’ont fait de façon constante depuis 1949. Ils n’ont pas besoin d’Union – sauf à dénaturer une telle union par son contraire.

pays qui n auront plus de majorite chretienne en 2050

L’identité n’est pas du ressort du raisonnable et il ne faut pas confondre les ordres, comme le disait Pascal, repris par Raymond Aron. L’Europe se cherche, son identité est floue. Cernons d’abord l’identité voulue du projet européen avant d’aller plus loin. Quiconque voyage sait bien ce qu’est l’Europe dans le monde. À Bamako ou à Pékin, le Français se sent avant tout « Européen ». Les limites géographiques sont floues, marquées par les flux et reflux de l’histoire. Elles sont plutôt naturelles au nord, à l’ouest et au sud, du fait des mers et océans ; elles sont historiques à l’est et au sud-est, l’Europe s’étant constituée contre les envahisseurs mongols et arabes, avant de se constituer CONTRE les religions intolérantes (l’islam et l’orthodoxie ont longtemps été les frontières de l’Europe, le catholicisme autoritaire français ou bavarois a été contré avec Waterloo 1815 et Berlin 1945). On dit que la Turquie a pris la suite de l’empire byzantin, qui était bien romain : certes ! Mais par conquête et conversion forcée à l’islam. Il a fallu le siège de Vienne en 1683 pour repousser les musulmans, après Poitiers, Lépante et la Reconquista. N’oublions pas qu’au 14e siècle la Chine, la Russie, l’Égypte, le monde arabe, le monde persan et une partie du monde indien étaient gouvernés par des princes turco-mongols. Ni l’histoire, ni la religion, ni le droit, ni les mœurs, n’ont été communs à la Turquie et à l’Europe. Comment envisager brusquement de faire civilisation commune ?

Intégrer la Turquie est un très gros morceau.

C’est renoncer à toute identité européenne propre car ce pays a 45% de sa population en-dessous de 24 ans et en aura près de 100 millions d’habitants dans 20 ans. Il serait alors le premier pays « européen » en termes démographiques, avec les conséquences institutionnelles que l’on peut aisément concevoir avec le traité de Lisbonne. Compte-tenu des écarts de niveau de vie, de mœurs et de projet de civilisation, ce n’est ni raisonnable ni souhaitable. Peut-être dans quelques générations mais pas tout de suite, et probablement avec l’entrée conjointe de la Russie – plus culturellement proche malgré sa dérive autoritaire à la Erdogan.

Ce n’est nullement mépris de ma part, j’ai voyagé en Turquie, travaillé avec des financiers turcs, eu de bons amis qui étaient Turcs durant mes études. Mais intégrer la Turquie dès maintenant, c’est donner la victoire à une certaine conception de l’Europe que je refuse : celle du seul libre marché, indépendant de toute affiliation culturelle, comme de tout projet commun.

Or la culture commande à la forme de capitalisme que nous pratiquons. L’Union européenne comme seul grand marché libre est le rêve affirmé du libéralisme à l’américaine perroquetté par les Anglais. Ces deux puissances anglo-saxonnes ont une identité forte et donc tout le loisir de rester entre soi tout en côtoyant les autres, c’est l’esprit même du communautarisme. L’Europe continentale n’est pas dans le même cas : une intégration signifierait une dilution d’identité, une emprise des mœurs musulmanes par capillarité (ces maillots de bain islamistes pour dames), une censure de fait de la liberté d’expression, une turquisation de l’Europe qu’on le veuille ou non (on commence à le voir sous Merkel…).

union europeenne percue selon sociologie

L’Europe, comme chacun d’entre nous, doit se choisir un destin.

C’est toute la philosophie de l’histoire d’un Raymond Aron tout comme l’existentialisme d’un Sartre. Je ne crois pas que les suivants les aient dépassés en ce sens. Le « non-choix » est simplement de poursuivre les tendances, sous le prétexte sous-jacent que le mouvement seul est « bon » et que la multiculture communautaire une fatalité. Je ne suis pas d’accord. C’est même le principal du rejet qui mine la construction européenne. Un temps de réflexion, d’approfondissement de ce que l’on VEUT s’impose. Une fois confortés dans le projet, nous pourrons envisager de poursuivre l’intégration. Ici et maintenant, je dis NON à l’incorporation de la Turquie dans l’Union Européenne.

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Président pour rien ?

Chômage, entreprise, terrorisme, Union européenne, vivre-ensemble – il semble que François Hollande ait tout faux. Echec sur toute la ligne. Echec à gauche où « la morale » est bafouée, échec surtout pour le pays, laissé dans le même état qu’il y a quatre ans – sans l’excuse de la crise cette fois. François Hollande a-t-il été un président pour rien ? Le chantre de l’impuissance publique ?

Je précise que je n’ai rien contre l’homme, sympathique en privé et volontiers blagueur, comme Jacques Chirac. Je dirige mes traits contre l’homme public, hésitant, velléitaire, sans grand sens de l’histoire, tout à son souci d’équilibrer sans cesse les contraires, les intérêts, les trois France…

Le chômage, cette fameuse et obstinée « inversion de la courbe » qui ne cesse de narguer – depuis quatre ans ! – le président. La faute à Sarkozy ? Comme c’est facile… Le quinquennat de Nicolas Sarkozy a connu la double crise des subprimes et de l’euro – celui de François Hollande connait à l’inverse la conjonction des bonnes fées : chute de l’euro, du prix du pétrole, des taux d’intérêt. Grâce à cette triade, toute l’Europe s’est redressée… Toute ? Non, le petit village gaulois de Hollandie résiste encore et toujours au mouvement du monde. Mais oui, augmenter les impôts, surtaxer les services à la personne, refiscaliser les heures supplémentaires, réglementer le logement à la Duflot n’encouragent pas l’emploi ; mais oui, réglementer à tour de bras sur tout n’encourage pas la création d’entreprise ni la prise de risque ; mais oui, la passation en force d’une réformette inutile à force de reniement sur le code du travail n’encourage pas les étrangers à venir installer des emplois, ni les salariés à faire confiance aux syndicats. Le chômage est cette fameuse « exception française » que les Français un tant soit peu éduqués fuient par milliers à l’étranger depuis 4 ans, une exception encouragée par les pouvoirs publics qui préfèrent protéger les inclus, désirée depuis toujours par la CGT pour renverser le Système parce que seuls comptent, dans son esprit borné par l’idéologie, « les prolétaires » (et que les chômeurs sont un lumpenprolétariat « jaune », prêt à brider le niveau des salaires pour simplement travailler), attisée par Sud et autres anars qui refusent tout « dialogue social » pour le bonheur de l’affrontement, regardée avec plaisir par le Medef qui y trouve argument pour contraindre les salaires… Le chômage qui empêche toute « intégration » des minorités visibles car, quand l’emploi est rare, on prend plus volontiers le candidat neutre et le moins polémique. Échec sur toute la ligne, tant la conjonction des intérêts reste en faveur du statu quo.

socialisme rose promise chom'du

L’entreprise – qui crée l’emploi – est-elle encouragée sous Hollande ? Technip fusionne avec l’américain FMC Technologies pour aussitôt installer son siège social à Londres, comme Arcelor-Mittal l’a fait au Luxembourg, Rhodia-Solvay en Belgique, Alcatel-Lucent-Nokia en Finlande, Lafarge-Holcim en Suisse. Serait-ce à cause d’une administration à la française trop coûteuse et tatillonne ? Notre pays reste-t-il aussi attractif économiquement, fiscalement ou socialement que François Hollande voudrait nous le faire croire ? Le sujet, au gouvernement (et évidemment à gauche) semble bel et bien tabou. Car le parti Socialiste n’a jamais réglé la question de la « lutte des classes » : une partie est pour la production afin de redistribuer avec de gros impôts, l’autre partie est pour la guerre civile classe contre classe afin de faire rendre gorge aux patrons (génétiquement) exploiteurs. Hollande comme d’habitude fait « la synthèse » – c’est-à-dire qu’il ne fait rien, il laisse bloquer toute rénovation.

2016 patrick artus VA manufacturier et Dette publique comparee

Le terrorisme, dans toute son ampleur franco-française, a été découvert avec surprise par les technocrates en charge du pouvoir ou dans l’opposition depuis quatre décennies. Ils n’ont rien voulu voir venir, ce n’était pour eux pas croyable, et surtout pas d’amalgame ! « Tout le monde » peut être terroriste mais surtout pas les Arabes, ni les islamistes en particulier… Tous les terroristes passés à l’acte étaient connus des services, mais aucun personnellement surveillé, cela aurait été « cibler au faciès ». Ce pouvoir, depuis quatre ans, a laissé les corporatismes policiers ou gendarmes se cacher des informations et se hausser du col pour le matériel ou la gloire, augmentant d’autant la dépense publique pour la sécurité et diminuant d’autant son efficacité. Quoi ! Le RAID et le GIGN en même temps pour arraisonner deux frères Kouachy dans une imprimerie vide ? Alors qu’au même moment, un Coulibaly tirait à la kalach sur des Juifs à Paris dans un hyper-casher ? La leçon de l’après-Merah n’a pas été retenue, faute de volonté politique. Pour Hollande, seul compte le blabla symbolique devant le Congrès, mais quels sont les actes concrets ?

L’Union européenne a connu une absence totale de la France, jamais un président n’a été aussi ectoplasme dans le débat européen. L’immigration venue de Syrie ? – aucune entente avec Angela Merkel, aucune position à propos de l’accord inique avec la Turquie d’Erdogan, aucune proposition de gardes-frontières Schengen – RIEN. La finance ? « Mon ennemi » semble devenu mon ami et la lutte contre le dumping fiscal dans l’UE même, hors rodomontades enflammées, est absente. Le président pense à sa réélection et discourt en Pangloss sur le meilleur des mondes possibles, ou joue avec le « sans moi le chaos ». Mais il suffira que le taux d’intérêt directeur de la Banque centrale européenne remonte à 2% (bientôt), que le prix du pétrole passe (dans quelques mois) à 60$ le baril au lieu de 25 en janvier, que cette hausse pousse l’euro à la hausse pour que, selon l’économiste de Natixis Patrick Artus, le Budget français soit contraint et que la Dépense publique devienne insupportable. Or Hollande n’a qu’à peine atténué la courbe de la hausse, il n’a en RIEN diminué la dépense, au contraire ! Les cadeaux électoraux commencent à pleuvoir un an avant la présidentielle, comme l’avait fait Jospin avant de finir comme on sait.

Le vivre-ensemble, la corruption des élites, le corporatisme, l’islam ? Rien de cela, qui taraude en ses profondeurs la société française, n’est abordé, expliqué, corrigé. Le président se contente de dire « c’est pas bien » quand on tague une mosquée – mais il ne dit rien quand on vandalise une église. Cahuzac ? – Je ne savais pas… Mais qui donc l’a fait ministre ? Le financement des mosquées ? – le wahhabisme saoudien ou le Qatar intégriste. Mais qui s’en soucie ?

L’incroyable boboterie du victimaire, ces pôvres gais lesbiens empêchés de se marier, d’adopter, de procréer assistés – ce que les gais et lesbiens soixantuitards s’étaient bien gardé de réclamer – ce pôvre rapeur de Black M empêché à Verdun alors qu’il insulte dans ses litanies les « koufars » (nous – les mécréants, un équivalent aussi méprisant et condescendant en langue coranique que « nègre » en langue française), voire les « pédés » à châtrer et autres « youpins », cette « courageuse » entreprise d’un ministre de défendre contre « le fascisme » un  rappeur comme s’il s’agissait d’un Dreyfus en prison, cet incroyable « amalgame » qu’un Noir ne serait nullement raciste lorsqu’il prononce les mots interdits alors qu’il n’est qu’un pôvre riche chanteur à succès des banlieues !… On a vu plus démagogique, rarement plus bête. La multiculture du fric et de l’insulte érigée en modèle pour la France. Vive le socialisme, qui prend la défense de ces pôvres victimes qui ont bien « le droit » d’être gaiement mariés ou papa, ou minoritaires racistes !

Rap par Rita Mitsouko

Nul doute que – vu le succès sur tous ces sujets – le socialisme hollandais a encore dégringolé d’un cran dans l’estime (déjà faible) que le populaire lui porte. Nul doute aussi que – si l’on retombe à la présidentielle sur les deux bras cassés que sont l’Agité et la Synthèse – le premier tour ne réserve une belle surprise. La faute à qui ? – Au président pour rien…

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Si nous décidions de notre avenir ?

L’essor économique des Trente glorieuses, l’explosion scientifique depuis la deuxième guerre mondiale, les nouvelles technologies de l’information et de la communication ont modifié notre rapport aux autres, au temps et à l’avenir. La marche triomphale du Progrès vers l’Histoire inéluctable a fait long feu : la guerre de 14, la confiscation léniniste des soviets, Auschwitz et Hiroshima, le réchauffement climatique et les pesticides, l’ont remis en cause. Notre culture humaniste est-elle encore émancipatrice ? Ou la raison en délire de la bureaucratie, de l’atome, de l’État, de la finance, est-elle devenue néfaste ?

La rupture avec cette tradition des Lumières et du Progrès a été le fait d’artistes, de « rebelles » ; elle est aujourd’hui devenue tellement à la mode qu’elle en est devenue un néo-conformisme. Les désillusions du progrès et la revendication victimaire médiatique ont emporté l’histoire, notre histoire, et ont déconsidéré la civilisation, notre civilisation. D’où cette opinion aberrante mais répandue que n’importe quelle secte de l’islam a « droit » à sa différence, même en « jouissant » sexuellement de fillettes prépubères – tandis que l’église catholique n’a aucun droit à cette même pédophilie. Parce que la première est réputée être une victime colonisée, dominée et stigmatisée, alors que la seconde est reconnue impérialiste, dominante et avec pignon sur rue.

L’ethnocentrisme sûr de soi et dominateur a été remis en question par les idéologies du soupçon, de Nietzsche, Marx et Freud, en attendant le structuralisme puis Bourdieu. Cela était utile et bénéfique. Mais ceux qui doutent de la tradition ont appris à douter de tout. Puisque tout est relatif, autant vaut le lointain et le sauvage que le proche et le civilisé, trop connus. La « civilisation » n’a-t-elle pas produit la boucherie de 14, les camps de Staline et de Hitler, l’irradiation d’Hiroshima à Fukushima et le Big Brother bureaucratique, étatique et informatique ? Une certaine écologie aspire à vivre nue, austère, en marge, éclairée à la bougie et cultivant son propre jardin.

gamin console

Mauvaise conscience et mésestime de soi marquent l’époque – qui ne croit plus à rien. Les sectes trouvent un terreau fertile où se multiplier dans ce tout vaut tout et rien ne va plus. Du New Age à Daesh, en passant par toutes les « thérapies » alternatives qui visent à se faire du bien pour soi, entre soi.

En politique, c’est le vide : blanc bonnet et bonnet blanc, UMPS, gauche et droite tout aussi technocratique et velléitaire, tout aussi portée à s’en mettre plein les poches et à faire de la com’ plutôt que de la… politique. Il y a très loin de De Gaulle à Chirac, de Mitterrand à Hollande. Mesurettes et réformettes suivent les promesses plus grosses que le bœuf.

L’Union européenne s’est construite sur le processus du cliquet, chaque avancée étant réputée irréversible. Sauf que l’économie l’a emporté, puisque non politiquement sensible – et que le grand méchant marché s’en est emparé, puisque le monde se globalise. Les négociations à 28 s’éternisent, accouchent avec lenteur de souris ; chaque État souverain dispose d’une voix, le Luxembourg minuscule comme l’Allemagne formidable – on n’avance pas. Dans l’atonie du sur-place, c’est la loi du plus fort : la puissance industrielle allemande, le potentiel militaire (affaibli) français, le pouvoir financier anglais. L’Europe hésite entre une Union à tendance fédérale et un libre-marché aussi étendu que possible. Turquie or not Turquie, that is the question. Si on l’intègre, adieu l’Europe en tant que communauté culturelle ; si on ne l’intègre pas, où sont définies les frontières ?

Car, de la cellule aux sociétés humaines, nul être vivant ne subsiste sans frontières sûres et reconnues. En deçà, nous pouvons organiser notre existence par nos votes et nos gouvernements ; au-delà, ce sont les États qui négocient en bloc. Sans frontières, pas de politique : un vaste laisser-faire, laisser-passer, un vaste foutoir. Dont je m’étonne que le « gauchisme culturel » puisse y aspirer : quoi, laisser-passer pour les hommes mais pas pour les capitaux ? laisser-faire pour les émigrés mais pas pour les marchandises ? Si l’on est « antilibéral », pourquoi faire exception pour les mœurs et les personnes ?

Mon explication à cette contradiction est que l’économisme a remplacé la politique, le yaka idéologique a supplanté le débat démocratique, le zapping permanent du présent éternel a submergé la vision longue de l’histoire. Pourquoi donc, sinon par démission politique, le grand méchant marché s’est-il imposé comme légitime ? Pourquoi donc la compétition, l’ouverture sans frein, le laisser-faire généralisé s’est-il imposé au détriment de la vie bonne, des droits de douane justifiés et des contrôles de qualité sur les marchandises ? La libre concurrence est-elle angélique ? N’est-elle pas – avant tout – le droit du plus fort ? Et que fait-on pour s’en défendre, pour être fort à notre tour dans les domaines où c’est le cas, pour négocier des échanges mutuellement fructueux ?

ado s eclate et jouit en fontaine

S’il faut être « moderne », cela ne veut pas dire épouser la moindre idée venue des Amériques. Cela voudrait plutôt dire adapter à nos façons d’être et de faire les techniques d’efficacité et de productivité qui nous sont données en exemple. Sans angélisme : l’État fédéral américain n’est PAS libéral, il impose ses normes à la planète entière (normes audit, IFRS, FATCA, amendes BNP et UBS…), ses grandes entreprises ne reconnaissent pas les lois autres qu’américaines (Google, Facebook,…), son département de la Défense finance largement la recherche industrielle et informatique pour garder une longueur d’avance. La fuite en avant moderniste est sans but, agitant sans cesse les molécules et les gens, sans projet, sans savoir où l’on va. D’où les Grandes peurs chez nous comme au Moyen-Âge, le nucléaire, le fichage généralisé, les colorants et pesticides, la « grande » distribution, la fiscalité confiscatoire…

Tout paraît mieux ailleurs que dans notre culture : les arts « premiers », les comportements machos musulmans, les écrivains caraïbes, la sagesse des Andes – voire pour certains les muscles virils de Poutine. Et si l’on se posait un peu ? Si l’on reprenait le fil de l’histoire ? Si nous changions ces élites ineptes et nuisibles ? Si nous élisions des gens plus jeunes et plus ambitieux ? Si nous décidions de notre avenir sans nous le laisser dicter ?

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Dans la caboche des djihadistes

David Thomson est journaliste, il travaille à RFI. La mention « internationale » de sa radio l’incite à écrire en franglais « jihadiste » au lieu de « djihadiste ». Comme c’est transcrit de l’arabe, la lettre d permet seule la bonne prononciation, mais le snobisme n’a pas de prix. Faut-il écrire comme un Américain pour avoir l’air d’un « pro » ? Les attentats de 2015 et 2016 remettent au goût du jour une enquête qu’il a publiée en 2014, fondée sur une vingtaine d’entretiens avec des Français partis combattre en Syrie. La réédition a été augmentée. De quoi en apprendre un peu plus, malgré le faible nombre d’interviewés, sur ce qui se passe dans la tête d’un tueur au nom de Dieu.

djihadistes attentats Paris Bruxelles

Les profils des djihadistes sont très divers : immigrés de la troisième génération majoritaires, mais aussi catholiques blancs convertis ; majorité de garçons mais aussi des filles – et pas si soumises ; quartiers populaires, mais aussi monde rural ; désocialisés mal dans leur peau, mais aussi installés dans la vie active avec bon emploi de classe moyenne et famille.

Il y a les délinquants en rupture qui trouvent dans « la religion » une justification, une « excuse théologique » à leurs plaisirs violents.

Il y a les frustrés sexuels qui subliment leurs pulsions dans le viol de fillettes de neuf ans avant l’apothéose : se faire sauter en public.

Il y a les croyants qui cherchent désespérément une logique à leur foi et qui trouvent dans l’islam, la dernière mouture des trois religions du Livre, un monothéisme clair et simple qui résout les mystères catholiques de la trinité. « J’ai même rencontré des djihadistes issus de familles juives », déclare paradoxalement l’auteur !

Il y a les ados de 15-30 ans tourmentés de puberté et de problèmes d’identité, de place dans la société, tourments qui sont le propre des ados. Ils se font mousser à publier des photos d’eux virils, kalachnikov en main, et les filles les plus connes les adulent parce qu’ils ont l’air macho et sûrs d’eux-mêmes, un substitut de papa autoritaire en place de la majorité efféminée molle des jeunes mâles occidentaux – tentés par le féminisme de devenir pédés (toutes « perversions et abominations » pour l’islam rigoriste !).

djihad ado

Il y a des humanitaires lassés de la misère du monde et qui se lancent dans une quête spirituelle, leur opposition à la guerre occidentale, aux séquelles de la colonisation maghrébine et à l’occupation israélienne les conduisant, étape par étape, à épouser les thèses de l’islam le plus radical.

Il y a les criminels repentis qui, tels des Jean Valjean, se sentent touchés par la grâce et se font désormais très soumis à Allah.

Il y a ceux qui ne supportent ni la liberté personnelle ni la responsabilité qui va avec et cherchent désespérément à remplir le vide spirituel qu’ils ressentent autour d’eux.

Il y a ceux qui croient au Complot judéo-maçonnique des financiers juifs américains et à la fin de l’histoire apocalyptique racontée à titre symbolique dans le Coran. Auquel cas, foin de la démocratie, il faut « obéir » à Dieu (donc au texte intégral) pour être sauvé !

cerveau djihadiste

Il y a les immigrés de deuxième, troisième ou quatrième génération qui, bien que Français, se sentent mal vus ou discriminés par leur patronyme ou leur faciès. Ils croient être les seuls à atteindre un plafond de verre et renvoient à la société leur sentiment d’échec (qui est pourtant le même que celui de la majorité des Français, puisque l’élite au pouvoir dans l’État, les entreprises et les médias est très restreinte, soigneusement entre-soi et cooptée…)

Il y a les indignés qui rétablissent leur dignité en optant pour ce qui révulse a priori la société française, blanche, républicaine et laïque : la communauté tribale des basanés maghrébins clanique et croyante. Ils sont passés de la laïcité scolaire à l’islam de leur père, puis de la version commune à la secte salafiste, puis de la pratique rigoriste à la violence terroriste. Pas à pas, sans que personne ne s’aperçoivent de rien ni ne fasse rien, surtout pas la famille – démissionnaire. Jusqu’à tuer au nom de Dieu les membres au hasard de la société qui les avait recueillis, enfants compris – tous des mécréants, donc des « choses ».

tuer courageusement pour allah

Ils se sentent tous mal dans leur être, « sales » de péchés imaginaires, stigmatisés dans le regard des autres. Ils veulent se venger, appliquer implacablement leur foi pour « se purifier ». Ils croient au paradis dans l’au-delà (s’ils savaient…). Le code de conduite islamique de la vie quotidienne, aussi contraignant qu’un règlement de caserne selon Lévi-Strauss, les rassure, leur donne un guide, les font se sentir supérieurs, « élus ».

Le déclencheur a été la Syrie. « Pour moi, la diffusion ouverte de l’idéologie djihadiste dans l’internet public émerge ensuite véritablement en 2012 : c’est à partir de ce moment-là que des Français commencent à poster des photos d’eux en armes sur leur page Facebook ». Cela commence par le retour identitaire à la tradition, continue par les prêches de la mosquée, se poursuit enfin sur Internet où la rupture a lieu avec le quiétisme des adultes. Il suffit d’un frère, d’un copain – ou d’une fille sur Internet – pour que s’opère le saut vers la Syrie ou le Yémen.

L’irénisme de la gauche au pouvoir dans les médias, le tabou de l’islamophobie, le déni de trop d’universitaires reconnus (qui ne parlent pas arabe et qui préfèrent édicter une fatwa contre Kamel Daoud), le laxisme de la police et des services de renseignements désorientés, mal organisés et en sous-effectifs, l’absence de lien fait entre filières de la drogue et du banditisme et communautarisme islamique, ont fait que le danger a été sous-estimé. Merah était connu des services, il a été laissé sans surveillance ; l’un des frères belges qui s’est fait sauter à l’aéroport avait été signalé aux services bruxellois par les Turcs mais le foutoir entre Flamands et Wallons dans un État fédéral aux trois langues officielles avec des services et sous-services qui ne se parlent pas pour cause de bisbilles linguistiques a fait ignorer le renseignement. L’absence de coopération européenne offre en plus un terrain de jeu sans frontières ni contrôle à tous ceux qui reviennent faire le djihad jusque dans leur nid.

david thomson les francais jihadistes

Tous, « même lorsqu’ils tuent, ils sont convaincus de faire le bien ». Ils ne sont pas fous, simplement délirants car la religion, comme toute croyance totalitaire, abuse ceux qui s’y soumettent. Les « civils » ne sont pour eux que des mécréants et des soldats passifs, puisqu’ayant voté pour les gouvernements qui bombardent l’Irak, la Syrie et le Mali musulman. Porter la guerre au cœur des attaquants est la meilleure défense, croient-ils. La loi du talion – bien que juive – ne pose aucun problème aux croyants d’Allah.

« Ceux qui rentrent sont souvent déçus par ce qu’ils ont vécu, ou fatigués, mais peu se repentent : la plupart restent fidèles à l’idéologie djihadiste dans laquelle ils sont ancrés ».

Il faut dès lors analyser pour comprendre (l’exact inverse d’un Manuel Valls porté à user plus du menton que du cerveau). Cette analyse faite, prendre des mesures : diplomatiques envers l’Arabie saoudite et les Émirats, foyers d’intégrisme qui exportent leurs prêcheurs radicaux ; militaires en Syrie, Libye, Yémen et ailleurs ; policières et de renseignements en interne ; agir sur l’Europe, voire par un coup de force à la Thatcher/Cameron (qu’avait utilisé de Gaulle en son temps…) ; surveiller les trafiquants et le banditisme apte à basculer dans la croyance ; isoler et condamner lourdement les terroristes attrapés. Cesser de croire en la bonté naturelle de l’Homme, surtout lorsqu’il devient aveuglément croyant.

Il y a ceux qui pensent que seule une contre-croyance peut éradiquer le terrorisme : donner du sens à la vie. Les Identitaires exaltent alors le nationalisme et la communauté ethnique blanche. Ils tombent dans le même fanatisme borné et leur système de narration est mimétique : pas la peine de revenir au nazisme pour éradiquer ceux qui agissent en nazis. Nous valons mieux que cela !

David Thomson, Les Français jihadistes – qui sont ces citoyens en rupture avec la République, pour la première fois ils témoignent, 2014, Les Arènes, 256 pages, €18.00
e-book format Kindle, €12.99
Entretien sur Slate

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Philippe de Villiers, Le moment est venu de dire ce que j’ai vu

philippe de villiers le moment est venu de dire ce que j ai vu
Philippe de Villiers est de droite, dans sa version « légitimiste » détectée par René Rémond, cela ne fait aucun doute – et je ne suis pas de son bord. Ce n’est pas une raison pour ne pas le lire car, comme tous les humains intelligents qui réfléchissent sur leur pratique, il énonce quelques vérités bonnes à entendre.

Ce parler-vrai détonne dans une classe politique engluée de moraline et réduite aux 300 mots du politiquement correct que formate l’École nationale d’administration. L’auteur en sort, il sait ce qu’il dit : « ce n’est pas une école, c’est un moule, un laminoir sémantique (…) vous en sortez (…) le cerveau formaté (…) et le cœur vide » p.21. Son livre est donc plaisant à lire, empli de « révélations » et de formules bien frappées. Pas étonnant à ce qu’il soit la meilleure vente des livres politiques 2015 selon les libraires.

Ce qui plaira aux lecteurs avides de confidences people est le portrait qu’il dresse de quelques politiciens français encensés en leur temps. Disons qu’il les replace dans leur inanité au regard de l’histoire.

  • Chirac : « Pour lui, les mots n’ont guère de sens » p.32. Démagogique, il a une « affectivité profuse sur l’instant » p.33 – ce pourquoi les Français l’aiment – mais « il ne sait quoi penser » p.35 et surtout, « il s’en fout ».
  • Giscard : « Son œil de colin froid » p.40 montre qu’il « appartenait à un autre monde, le monde anglo-saxon » p.42. Ingénieur des âmes, il veut intégrer la France dans une Europe fédérale libérale et atlantiste.
  • Mitterrand : le grand roublard séducteur, créa la performance en incitant Yves Montand à présenter le tournant de la rigueur de 1983 comme un moment positif pour la France. L’émission Vive la crise, en 1984, fait avaler le revirement vers la globalisation libérale : des mesures pour débloquer les capitaux et décider du maintien du franc dans le Système monétaire européen. C’est aussi Mitterrand qui suscite SOS racisme avec BHL, Pierre Bergé et Harlem Désir, en 1984 toujours, pour promouvoir la haine de soi et, par réaction, le Front national – cela afin de déstabiliser la droite. Mitterrand lui-même l’avoue à l’auteur (p.135). « Sous couvert d’antiracisme, SOS racisme sauve le racisme. Fabriquer des racistes pour mieux les dénoncer. Provoquer et nourrir la haine pour s’en repaître » p.110. Villiers n’a pas de mots assez durs pour cette entourloupe politicienne – que la gauche benêt continue d’alimenter aujourd’hui.
  • Sarkozy : « Moi qui le connais bien, je ne crois pas qu’il mente. Il est dans l’instant. Et c’est l’instant qui change. C’est un capteur d’ondes (…) Sur le fond, il ne change pas (…) il est Américain, du ‘parti républicain’, citoyen du monde (…) Il n’a pas de doctrine. Il veut simplement être aimé » p.295.
  • Delors, Camdessus, Lamy, Lagayette, Peyrelevade : tous démocrate-chrétiens « iraient bientôt coloniser les instances internationales (…) partir évangéliser au nom de l’économie œcuménique mondialisée, toutes les nations » p.50.

Il a un jugement sans nuances sur la politique, que je partage. « Je suis entré en politique par effraction. Et j’en suis sorti avec dégoût. Aujourd’hui, je la déteste » – c’est dit dès l’introduction, p.9. Que ceux qui veulent se faire mousser en transformant leurs projets en mensonges se lancent dans l’arène. Pour ma part, et je crois que beaucoup d’électeurs partagent ce point de vue, je n’ai pas besoin d’être élu pour exister. S’il faut des candidats qui se dévouent, bien peu sont dignes de rester en politique au bout de quelques mandats…

  • En cause le politiquement correct du « tribunal médiatique », analogue au « tribunal révolutionnaire » sous la Terreur. « C’est le journaliste insinuateur qui distribue les bons et les mauvais points » p.16 Ivan Levaï « le malveillant » le lui a démontré lors d’une Heure de vérité en 1992. Les médias, qui veulent se faire bien voir du Mainstream, en rajoutent dans la moraline. La centralisation parisienne des médias comme la concentration des holdings accentuent ce phénomène. Ils en rajoutent aussi dans le divertissement consumériste, ainsi Le Lay de TF1 avouera sans nuance qu’il s’agit de vendre du temps de cerveau disponible pour les publicités Coca Cola. « Ce n’est pas ce qu’on dit qui compte. C’est l’impression qu’on produit » p.192. Philippe de Villiers montre comment, avec le milliardaire Jimmy Goldschmidt, il a berné les médias en commandant des sondages tout en spéculant sur l’action TF1 – afin d’avoir de l’antenne et de la notoriété. Si vous payez les sondeurs, ils vous considèrent vous donnent les quelques pourcents dans l’épaisseur du trait. Sinon, rien.
  • En cause aussi la construction européenne, qui est une déconstruction : « Le but n’est pas de faire émerger une nouvelle entité politique, mais d’en finir avec le politique » p.159. Passer du gouvernement des hommes à l’administration des choses. Claude Cheysson lui avoue (p.157), l’UE est « le système de l’engrenage », on ne peut jamais reculer. Ce pourquoi le traité de Maastricht apparaît comme « un changement de régime. Le passage de la démocratie à l’oligarchie » p.156.

Député européen, Philippe de Villiers a vu les lobbyistes en action à Bruxelles. Ils servent les intérêts privés et les politiciens sont bien peu immunisés contre leurs tentations (visites, spectacles, restaurants, notes argumentées, amendements tout rédigés…). « Derrière chaque vote, il y a un lobby » p.199. Ces auxiliaires législatifs dicteraient 75% des normes européennes, remplaçant le gouvernement (politique) par la gouvernance (administration). « À Bruxelles, l’essentiel de ce qui se fait ne se voit pas » p.200. Opacité des procédures et faible contrôle démocratique livrent l’Union européenne aux industriels et aux idéologies. Pour un quart, les députés seraient membres de l’intergroupe LGBT (lesbiens-gais-bi-trans) – en quoi cela sert-il la politique ? L’Europe dépossède : « la grande aliénation, la grande dépossession, la grande infiltration » p.205, énonce Villiers.

Remembrement et agrochimie tuent la terre et le travail bien fait. « On a tué les métiers indépendants : le paysan avec la mondialisation des marchés, l’artisan avec les délocalisations, le commerçant avec la grande distribution, les pêcheurs avec les bateaux racleurs de fond qui viennent de Corée ou du Japon sur nos côtes » p.104. Où l’auteur attrape tout et ajoute au péril de mondialisation le vieux péril jaune de son enfance… Mais il n’a pas tort lorsqu’il dit que la perte d’indépendance dans le travail conduit à la perte de l’indépendance d’esprit : Karl Marx l’a décrit sous le terme « d’aliénation ». La réflexion, la durée et l’application sont remplacée par le mobile, le provisoire et le futile.

Mais Philippe de Villiers vise plus haut. Il porte un jugement sur l’époque postmoderne, devenue insensiblement post-démocratique par dessaisissement de la politique par l’administration et la bureaucratie. L’ENA, l’Union européenne et l’euro sont, pour Villiers, des démons qui, sous la beauté du diable, ensorcellent les pauvres âmes pour les lier aux lobbies industriels et financiers – eux-mêmes inféodés à Satan lui-même : l’Amérique toute-puissante via l’OTAN (p.335). Théorie du Complot ? Presque… Ce qu’il décrit n’est pas faux, les conclusions qu’il en tire sont biaisées.

Ainsi fait-il un lien entre la béatification à Rome de Marie-Louise Trichet, morte en 1759, et son vague descendant Jean-Claude Trichet, à l’époque président de la Banque centrale européenne. « Nous sommes devant un phénomène s’apparentant à la religion : le salut par l’euro, la rédemption des nationalismes coupables, l’accès, par la monnaie unique, à la fraternité universelle. On ne raisonne plus, on accomplit » p.239. Certains hauts-fonctionnaires sont peut-être des niais spirituels, justifiant de façon cucul leurs décisions économiques, mais la ménagère sait bien ce qu’elle a dans son porte-monnaie. L’euro a été une chance pour les Français : ce n’est pas la faute de la monnaie unique si les gouvernants n’osent jamais toucher aux empilements administratifs d’instances et de codes qui handicapent l’emploi. L’euro est bon aux Hollandais, aux Belges, aux Italiens – pourquoi pas aux Français ? Il ne faut pas confondre la température avec le thermomètre. Ce pourquoi le projet Le Pen (soutenu par Villiers) de sortir de l’euro ne suscite pas l’adhésion enthousiaste !

Pour sa réflexion de haut vol, Philippe de Villiers en appelle à Alexandre Soljenitsyne, qu’il a reçu dans sa propriété de Vendée. Il fait du dissident russe le « mythe universel de la conscience dressée » p.76. Le lecteur apprend d’ailleurs combien les Vendéens étaient cités en exemple de Terreur réussie par Lénine, au début de la révolution. Vendéens comme dissidents sont une insurrection contre l’Idéologie, mythe que le vicomte reprend à son compte.

« Vendéen de père lorrain et de mère catalane » p.54, Philippe de Villiers vante sa réalisation du Puy-du-Fou, « l’anti-Disney » où « le rêve consumériste fait place au rêve historique » p.55. Volontiers libertaire, version féodale, il n’hésite pas à comparer sa gestion à l’autogestion de type yougoslave vantée par la Deuxième gauche des années 1970. « Pas de subventions, pas de dividendes, c’était un capitalisme sans capitaux, une création sans marketing, où l’on n’y développait pas la culture du profit, il n’y avait pas de droits d’auteurs et tous les bénéfices étaient réinvestis » p.52. Aversion catholique contre l’argent, aversion de caste nobiliaire contre la production – puisqu’il suffit de naître.

Il oppose cette culture enracinée au chaos post-68 globalisé où la « génération morale » prône le droit « à la différence » pour promouvoir un multiculturalisme militant où tout vaut tout – afin d’en finir avec « la tradition assimilatrice de la France ». Dans les années 70, on dénonce la France collabo pour susciter la « honte d’être Français », ce qui « tue l’espoir ». « Mai 68 fut le berceau de la nouvelle société bourgeoise (…) agents actifs ou idiots utiles d’un nouveau capitalisme » p.87. Ni frontières, ni limites, seul compte le « marché du désir » : tout est monnayable, la consommation infinie comme le désir ; tout est interchangeable, jouir est se dépenser – donc un devoir (Pierre Bergé) – ce qui dispense de penser. « État post névrotique, désinhibé », cerveau disponible.

« Peu à peu, le patriotisme allait devenir une pathologie, la frontière une déviance, la nation une mare aux diables xénophobes » p.67. Les élites ont trahi. L’anticolonialiste Georges Boudarel, devenu tortionnaire par idéalisme gauchiste auprès du Viet Minh sous le nom de Dai Ding, est reconnu en 1991 au Sénat où il représente le CNRS, sa trahison amnistiée, ses « droits » universitaires rétablis, son nom blanchi… Et toutes les belles âmes de gauche – sauf Lionel Jospin – de soutenir ce suppôt du « camp progressiste » qui a torturé des Français pour le bien de l’Humanité !

Contre la « maladie du vide » (Soljenitsyne, cité p.340), Philippe de Villiers appelle à remettre l’esprit au-dessus de la matière – de façon bien chrétienne et platonicienne. Identité est souveraineté, dit-il face à Poutine, qu’il admire.

Peuple sain enraciné contre élites corrompues et nomades, spiritualité de tradition (donc catholique) contre les nouveaux immigrés (donc islamistes), glorification de la vie contre l’agrochimie, l’avortement et le dénigrement de soi – il y a de tout chez Villiers. Un tout qui forme une constellation en forme de droite légitimiste : terroir, régions, corps intermédiaires, souveraineté, la nation en corps organique. Ne manque qu’un roi pour l’incarner, un non politicien pas obligé d’être élu… Mais revenir avant 1789 est-il un idéal ?

Philippe de Villiers, Le moment est venu de dire ce que j’ai vu, 2015, Albin Michel, 348 pages, €21.50
Format Kindle €14.99

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Les droites extrêmes et le pouvoir

Pour accéder au pouvoir, rien de tel que de participer à des alliances de gouvernement dans les pays à système parlementaire tels que l’Autriche, l’Italie, les Pays-Bas, le Danemark. Dans un régime semi-présidentiel comme la France, le système électoral non-proportionnel ne permet pas aux petits partis d’émerger. Il faut soit s’allier à un grand parti (comme récemment EELV avec le PS), soit préférer une candidature à la présidentielle pour se compter. Les élections locales permettent quelques victoires avec le système de liste.

Un succès du Front national en France dépend surtout d’une alliance avec l’ex-UMP rebaptisée Les Républicains. Mais le parti reste très divisé sur le sujet, une faible minorité souhaitant pour l’instant ce genre d’alliance, même pour gagner la présidentielle. D’autant que, côté Le Pen, s’associer aux partis de gouvernement, c’est se renier : les élites ont trahi, qu’elles s’en aillent. S’allier avec elles serait politiquement dommageable.

Sauf qu’il faut savoir ce que l’on veut :

  • ou le populisme qui ne fédère qu’en « sac de pommes de terre » les ressentiments divers de tous les exclus et les aigris, en plus des convaincus du déclin
  • ou le réalisme qui établit un programme et des alliances pour gouverner un jour.

D’un côté la radicalité de tribune ou de propos à la Jean-Marie, de l’autre la stratégie de grignotement électoral à la Marine. Cet écart de stratégie explique une bonne part du feuilleton de l’été dont les médias – ravis en secret et affectant de se boucher le nez en public – ont abreuvé leurs papiers faute d’avoir quoi que ce soit de pertinent à écrire.

marine desodorisant bien agiter

Tentées par le populisme, le rejet des élites et la crise mondiale qui n’en finit jamais, les droites extrêmes sont portées par un courant électoral puissant en Europe, mais elles restent très divisées. Réunir par exemple 25 élus de 7 nationalités différentes pour créer un groupe au Parlement européen a été très difficile à Marine Le Pen. C’est que l’idéologie et la stratégie diffèrent en presque tout…

Le nationalisme autoritaire du Jobbik hongrois ou de l’Ataka bulgare, voire nostalgiques du nazisme comme le grec Aube dorée ou le NPD allemand, côtoie sans se mêler les souverainistes radicaux qui rejettent les élites coupées du peuple, l’immigration musulmane et le libéralisme économique des technocrates bruxellois, tels le Front national français, la Ligue du Nord italienne ou le FPÖ autrichien.

noir et blanc avec bebeDes écarts flagrants se manifestent dans l’attitude envers la démocratie parlementaire, l’Europe et l’immigration.

Certains acceptent le parlementarisme, comme le Front national ; ils ne veulent parvenir au pouvoir que par la voie des urnes. Rappelons cependant que Mussolini comme Hitler n’ont rien fait d’autre. Car la démocratie parlementaire peut être soit représentative, soit directe. C’est plutôt par l’appel direct au peuple que ces droites radicales veulent passer. Même si, rappelons-le aussi, l’élection présidentielle directe et l’usage du référendum par de Gaulle allaient exactement dans ce sens. Question de mesure : disons que les droites non gouvernementales cherchent à court-circuiter les élites (cooptées entre-soi) et le système (des « copains et des coquins » comme disait feu le communiste Marchais) pour en appeler directement aux électeurs. Ils se placent dans la lignée des tribuns romains, des orateurs de la Révolution française et des populistes d’Amérique du sud.

Certains acceptent l’Union européenne mais veulent la recentrer ; d’autres la rejettent. Le Front national honnit par exemple la mondialisation et « les traités » européens, préférant un capitalisme national d’État (d’essence para-fasciste) protecteur des classes populaires. Exactement ce que Hitler prônait lors de son arrivée au pouvoir. Le Parti populaire danois (DF) veut rester dans les traités européens, mais avec une plus grande autonomie nationale. La Ligue du nord en Italie souhaite une Europe des régions et pas des États. Le parti AfD (Alternative pour l’Allemagne) souhaite seulement quitter la zone euro et l’UKIP anglais quitter l’Union européenne.

Certains acceptent l’immigration, mais veulent réserver les avantages accordés par l’État exclusivement aux nationaux, surtout pas aux immigrés d’où qu’ils viennent. Ceux-ci devraient se débrouiller dans la plus pure tradition libertarienne américaine – tout en subissant la pression sociale de constater qu’ils ne sont pas les bienvenus. D’autres sont clairement racistes et xénophobes, comme Aube dorée. D’autres encore, comme le Front national ou le DF danois, veulent surtout assurer la sécurité sociale, culturelle et militaire des Français républicains contre les « hordes » menaçantes venues des pays de l’islam intégriste.

Devant ce constat, les droites extrêmes en Europe ne sont pas encore une vraie menace, seulement un signal aux élites représentatives actuellement au pouvoir que toute inaction de leur part pour répondre aux défis sociaux, culturels et géopolitiques du présent les fera sanctionner. Certains commencent à bouger : Cameron au Royaume-Uni, Merkel en Allemagne, Tsipras en Grèce, Renzi en Italie.

Et en France ? L’inerte Hollande poursuit à tout petits pas tremblants ses réformettes et ses discours lénifiants, sous la menace de la gauche de la gauche de la gauche toujours plus à gauche puisque qu’il n’y a pas de chef à gauche (comme Mitterrand ou Jospin surent l’être) et – côté droit – par l’essor du lepénisme, canal historique ou canal politique avec le père et la fille.

PS logo

Au fond, avec le régime semi-présidentiel différent de celui des autres pays européens, c’est peut-être en France que la droite extrême pourrait représenter le danger le plus grand. Les Français aiment être gouvernés, dirigés, guidés – vieux reste romain, catholique et scolaire. Quand ils sentent la main molle, ils radicalisent leurs positions. Même si Manuel Valls (avec l’accord du président) fait un pas vers le réalisme après l’inaction et le déni Ayrault.

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Migrants : boulets ou aiguillons ?

Dans l’opinion commune, l’immigration est un problème. Trop de chômage, pas assez de logements, trop de décalage de mœurs, pas assez de qualifications : l’immigré, surtout clandestin, apparaît comme l’ennemi : de l’emploi, du vivre-ensemble, des prestations sociales. Les réactions vont de la charité (provisoire) au rejet (haineux).

Mais parlons clair : cette immigration qui est rejetée, est celle des ex-colonisés français, qu’on imagine (pas toujours à tort mais pas entièrement à raison) emplis de ressentiment et de volonté de se venger en « nous » imposant leur religion, leurs coutumes, leurs groupes de pression. Ils sont souvent vus comme des « profiteurs » de l’État-providence (en accouchant à Marseille ou par le regroupement familial des polygames), État français qu’ils ont rejeté par la lutte pour l’indépendance et où ils veulent imposer leur communauté identitaire séparée, fondée sur la religion.

refugies 2014

L’immigration qui arrive est différente, elle ne vient pas des ex-pays colonisés français et elle rejette massivement l’intégriste islamique. Pourquoi fuir en effet l’Irak ou la Syrie si ce n’est pour fuir la morale d’asservissement des incultes du Coran ? On peut penser que ces nouveaux migrants seront vaccinés contre les dérives sectaires de l’islam à l’œuvre en Afghanistan, Pakistan, Irak, Syrie, Libye, Somalie – et adopteront la laïcité civile plus facilement. Ils sont aussi habitués à vivre en pays mosaïque, pour les Syriens par exemple occupés dans l’histoire par les Cananéens, les Phéniciens, les Hébreux, les Araméens, les Assyriens, les Babyloniens, les Perses, les Grecs, les Arméniens, les Romains, les Nabatéens, les Byzantins, les Arabes, les Croisés, les Turcs et quelque temps par les Français. L’attrait de l’Union européenne est pour eux réel : zone riche, gérée par le droit, où l’on peut s’exprimer en paix. L’inverse du califat islamique.

Il est donc possible que ces migrants là soient mieux acceptés que les autres.

Au risque de jalousies et de frictions entre les nouveaux, bien accueillis, et les anciens, rejetés plus ou moins sourdement.

Reste la question du logement et des aides sociales. Grâce à l’ineffable Duflot, la construction a perdu trois ans tant les « normes », les « avis » et la paperasse se sont multipliés sous l’écologiste de ministère. L’urgence est saturée, il va falloir faire appel aux régions moins demandées et aux églises et associations qui ont des locaux vides. Mais tout cela est provisoire, d’autant que les quelques milliers annoncés par les politiciens risquent de devenir un flux constant de plusieurs centaines de milliers à horizon d’un an ou deux. Il va donc falloir construire – et vite – pour assurer du logement « social » ou proche. Donc alléger la paperasserie inhibante.

Est-ce avec le notable indécis et passif à la tête de l’État que la France sera à la hauteur du défi ?

L’autre question est celle du « modèle social », qui comprend les valeurs, les taxes et l’économie.

Sur les valeurs, il faut réaffirmer tranquillement mais avec une force concrète la république, bien loin des discours insipides pondus par un énarque sans culture (l’Éducation nationale a démissionné depuis une trentaine d’années…) et ânonné par un président manifestement sans convictions. Sans laisser les procédures judiciaires se multiplier durant des années, rendant ridicule la décision finale, ni les populistes « de gauche » et les zassociations de gauche toujours plus à gauche faire de l’angélisme internationaliste en répétant que tout le monde il est gentil. Il est nécessaire – évidemment – que l’Éducation nationale fasse évoluer son crétinisme bureaucratique pour enseigner la France à ces nouveaux arrivés : ce qui veut dire la langue française (et pas le charabia toléré jusque dans l’orthographe au bac), son histoire « nationale » insérée dans celle de l’Europe et du monde (et pas ces vastes ensembles politiquement correct où tout vaut tout) – et son esprit. Ce dernier passe par la littérature, l’éducation civique et la philosophie. Sans démagogie : les immigrés nouveaux ne sont pas de « pauvres incultes » à qui il faudrait faire la charité « égalitaire » de donner le bac sans effort. Ils ne réclament pas cela, mais probablement – au contraire ! – de travailler pour s’assimiler.

Car l’assimilation reste le modèle français, pas la juxtaposition communautariste sur le modèle anglo-saxon.

La France a une aura au moyen-orient : autant qu’elle corresponde à cette image valorisante, plutôt qu’aux petits arrangements syndicaux entre profs et administration sous peine de grève… Mesure-t-on assez, à l’Éducation nationale, la mesquinerie et le ridicule de ces grèves à répétition vues de l’étranger ? Elle fait rêver, la France, de loin… de près, comme elle paraît moche quand personne ne fait un effort. De cette désillusion naît parfois le ressentiment : les promesses vaniteuses ne sont pas tenues.

Sur le modèle social, l’égalité pour tous ne se conçoit pas sans frontières. Je l’ai déjà montré, le contribuable français, par son impôt sur le revenu comme par la TVA, ne peut pas financer la misère du monde entier, « l’aide au développement » » étant parfois curieusement répartie. A l’intérieur, il ne saurait être question de rogner sur les prestations populaires au profit des étrangers nouvellement arrivés. Il va donc falloir faire des choix – réels ! Encore plus d’impôt ? Une zakat à l’envers, cet impôt religieux pour tolérer la présence des croyants qui ne croient pas comme nous ?

En termes économiques, cette immigration est un choc, mais aussi une chance. Contrairement aux malthusiens des 35 heures qui pensent le gâteau fini et veulent « partager » le travail en travaillant de moins en moins (tout en étant payé pareil…), en économie la croissance de la production intérieure est la somme des gains de productivité ET de la croissance de la population qui travaille. Mais oui, c’est bien en travaillant plus qu’on gagne plus ! Car on produit plus, générant donc plus de salaires, de taxes, de biens…

Reste l’adéquation entre les emplois proposés et les migrants arrivés. Pour les plus qualifiés et pour les moins qualifiés, ce devrait être possible ; dans le milieu ce sera plus dur. Là il y aura concurrence… à moins que les besoins grandissants de cette population nouvelle ne crée sa propre croissance par sa consommation. C’est souvent ce qui se passe, le cas de l’Espagne entre 2000 et 2008 montre qu’une arrivée massive de migrants peut conduire à une forte hausse de la construction et de la consommation.

hassad et melenchon copains

Inutile donc de se lamenter sur le bon vieux temps où chacun restait chez soi. Ce qui arrive arrive, et il aurait fallu laisser les dictateurs en place (Saddam Hussein, Muhamar Kadhafi, Bachar el Hassad) pour qu’ils « tiennent » leur population. Est-ce cela que l’on voulait ? Puisque non (sauf Mélenchon), subissons-en les conséquences. Et regardons ce qu’il peut y avoir de positif… à condition que le hollandisme secoue un peu sa lourdeur contente d’elle-même pour – enfin ! – encourager clairement l’emploi, baisser les taxes et faire reculer le mammouth paperassier.

Vaste programme, comme disait de Gaulle d’un autre (presqu’aussi vaste)…

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Pas d’égalité sans frontières

La visée démocratique est d’assurer à chaque citoyen l’égalité en dignité et en droits, l’égalité des chances et les filets de solidarité en cas d’accidents de la vie. L’exercice de ces droits exige la cohésion sociale nécessaire pour que chacun contribue en fonction de ses moyens, en étant d’accord sur le vivre ensemble.

Tout cela ne peut se réaliser que dans le cadre de frontières définies, territoriales et de civilisation.

gamins aventure

Il ne s’agit pas d’ériger des barbelés (comme aujourd’hui en Hongrie et en Israël, hier en Europe avec le rideau de fer), ni même de revenir au souverainisme gaullien (traditionnellement nationaliste) de la génération passée. Les valeurs de démocratie parlementaire, majoritaires en Europe, ne doivent pas être bradées au non de « l’urgence » ou des « circonstances ». Devant les drames syriens ou libyens, l’Europe doit rester terre d’accueil – et offrir une hospitalité digne (même si elle est définie comme temporaire) aux demandeurs du droit d’asile. Mais confondre immigration de peuplement et immigration sous peine de mort est une imposture des politiciens. Ils doivent avoir le courage de dire à leurs peuples qu’accueillir les vies menacées n’est pas la même chose qu’accueillir « sans frontières » la misère du monde. A ce titre, l’allemande stricte Angela Merkel apparaît plus dans le ton des Lumières que le falot hésitant François Hollande, dont on se demande s’il incarne les « valeurs de la république » ou si ce ne sont, pour lui, que des mots. Il est vrai que le gauchisme des tribuns populistes ou des féministes arrivistes, et jusqu’aux frondeurs de son propre parti, lui font manifestement peur. La multiplication des « il faut que nous puissions… il faut que nous puissions… » dans son discours d’hier montre combien il pose de préalables, conscients et inconscients, à toute action.

Cette « gêne » des politiciens, particulièrement français, tient à ce qu’ils récusent « l’identité » nationale au profit d’un universalisme aussi vague que creux. Et lorsque les politiciens ne savent plus ce que signifie « être français » (sinon résider en France, d’après certains bobos de gauche…), le peuple de France ne veut pas voir « diluer » sa manière de vivre et ses mœurs dans un melting pot sans but ni queue, ni tête. Les Français sont accueillants à la misère du monde (voyez toutes les associations d’aide aux migrants) ; ils refusent cependant qu’on leur impose (par lâcheté) d’accepter que les miséreux viennent imposer leur foi et leurs façons. cela se comprend. La France, comme l’Europe, ne peut être accueillante aux menacés pour leur vie QUE si elle est sûre d’elle-même, de ses valeurs et de sa civilisation. Pour cela, il lui faut un espace, délimité par des frontières, et une charte du « vivre ensemble » commune à laquelle tous les postulants à s’installer soient soumis. C’est le rôle du politique que de définir le territoire, les règles, et de les faire respecter : où sont donc ces pleutres au moment où les enfants se noient à leurs portes ? Ne rien faire est pire que décider car, au moins, le peuple sent qu’il a des décideurs et pas des couards à sa tête.

Les enfants devraient être heureux de vivre (voir ci-dessus), pas mourir pour rien (voir ci-dessous).

enfant syrien noye

Plus généralement, dans un monde qui se globalise et qui devient plus dangereux, les petites nations fermées sur elles-mêmes sont amenées à disparaître. Je crois en l’Union européenne qui harmonise le droit et fait discuter entre eux les pays voisins, comme en la Banque centrale européenne qui assure la liquidité au grand ensemble monétaire, tout en surveillant les risques financiers du système international. Même si l’affaire grecque a été mal gérée, revenir au « franc » et aux petites querelles d’ego entre politiciens avides de dépenser sans compter pour leurs clientèles me paraît dépassé. Ce serait une régression, un renferment sur soi, avec barrières protectionnistes et montée de haine pour tous les hors frontières (pour ceux qui étaient là, rappelez-vous les années 50…)

Mais en contrepartie, la tentation des fonctionnaires européens de niveler les cultures au profit d’un politiquement correct neutre, où la diversité des projets politiques et la diversité des approches paralyse la décision, me paraît tout aussi une impasse. Les palinodies du Conseil européen sur l’accueil des migrants en est un exemple, le faux « débat » sur la Grèce également : si les Grecs veulent rester dans l’euro, ils doivent obéir aux règles définies en commun et acceptées précédemment par leurs gouvernements ; s’ils veulent sortir, ils le votent et l’on aménage leur repli. Un peu de clarté serait nécessaire aux citoyens.

La convergence du droit est utile à l’Europe, la convergence des cultures non. C’est la diversité qui fait la concurrence économique (selon les règles pour le bien-être des citoyens), et la diversité encore qui fait l’originalité culturelle du continent. Les exemples de la Chine et de la Russie, unifiées sous un empire centralisateur, montrent que le progrès humain avance mieux dans les ensembles de liberté que dans les ensembles autoritaires en termes de curiosité scientifique, de création culturelle, d’innovations techniques, d’entreprises. La Cour européenne des droits de l’homme et sa définition neutre, par exemple, de « la religion » montre combien ses jugements peuvent être biaisés, incompréhensibles et inefficaces. Car le neutre nie le particulier. Qu’y a-t-il de commun entre le christianisme, dont le modèle est le Christ pacifique tendant l’autre joue et rendant à César son dû, et l’islam, dont le modèle est le croyant guerrier qui veut convertir la terre entière à la loi unique (charia) et se bat même contre ses propres démons (djihad) ? Regarder chaque religion en face, c’est reconnaître en l’autre sa différence, donc le respecter – tout en pointant bien les règles communes que tous les citoyens en Europe doivent eux aussi respecter, comme partout ailleurs.

La France est paralysée parce qu’elle a abandonné beaucoup à l’Europe, mais l’Europe est paralysée parce que nul politicien national ne veut se mettre dans la peau d’un citoyen européen. Parce qu’il n’existe qu’en creux : vous ne comprenez ce qu’est « être européen » qu’uniquement lorsque vous allez vivre ailleurs qu’en Europe…

L’Union européenne doit avoir des frontières sûres et reconnues : à l’est, au sud (le nord étant pour les ours et l’ouest pour les requins). Le flou entretenu sur les frontières au nom de l’intégration sans limites est dommageable pour l’identité de civilisation européenne (identité qui n’est en rien une « essence » figée, mais qui évolue à son rythme et par la volonté de ses membres – pas sous la contrainte extérieure). D’où les partis nationalistes qui ressurgissent ça et là, un peu partout, et qui montent en France même.

Car la France socialiste a peine à incarner une identité nationale dans cet ensemble flou européen. L’universalisme, la mission civilisatrice, la culture littéraire existent ; mais c’est une identité du passé. Que dire d’universaliste aujourd’hui, sinon des banalités de bonnes intentions jamais suivies d’effets concrets, ou avouer une soumission plus ou moins forte aux empires alentours (l’argent américain ou qatari, la brutalité russe, la croyance islamiste) ? L’Éducation « nationale » veut délaisser l’histoire « nationale » pour en souligner dès le collège ses péchés (esclavage, colonialisme, collaboration, capitalisme) – sans présenter de modèles positifs auxquels s’identifier, à cet âge de quête. L’histoire est-elle notre avenir ? Si François Hollande l’affirme du bout des lèvres, dans un discours convenu en juin au Panthéon écrit probablement par un technocrate, ce n’est qu’un mot creux comme le socialisme sorti de l’ENA en produit à la chaîne. Dans le concret, ce « mouvement » qu’il appelle semble sans but. Consiste-t-il à s’adapter au plus fort dans le monde – comme le montre la loi sur le Renseignement ? Où au vent de la mode chère aux bobos qui forment le fond électoral du PS, prônant une vague multiculture furieusement teintée américaine ?

France Vidal de la Blache

L’écart est moins désormais entre la gauche et la droite qu’entre les nomades globalisés hors sol et les sédentaires solidaires nationaux. Reste, au milieu, l’Europe – mais elle ne fait pas rêver, trop tiraillée, trop honteuse, sans objectif clair.

Les grandes idées en soi sont des moulins à vent. Il ne s’agit pas de céder la morale au cynisme des intérêts, mais d’élaborer une morale pratique. Entre deux légitimités, la politique doit adapter les moyens possibles. Il faut désormais sauvegarder la sociabilité au détriment de l’hospitalité car, comme le disait Michel Rocard, nous ne pouvons accueillir toute la misère du monde – même si nous devons en prendre notre part. Les conditions d’un bon accueil est de préserver la cohérence de la société. Ce qui exige le rejet de ceux qui refusent de suivre les règles, qu’elles soient de mœurs, économiques ou religieuses. Pour qu’il y ait vie commune, il faut le désirer ; qui n’en a pas envie n’a pas sa place – ce qui est valable aussi bien pour la Grèce que pour l’islam salafiste.

A l’époque où la modernité agite non seulement la France et l’Europe, mais plus encore les grandes masses aux frontières que sont la Russie et les pays musulmans, la « république moderne » chère à Hollande (reprise à Brossolette et Mendès-France) reste à construire. Lui n’a pas même commencé. Au lieu de mots creux et des yakas de tribune, établir des frontières distinctes pour dire qui est citoyen et quels sont des droits, quels sont ceux qui sont accueillis au titre du droit d’asile, faire respecter la loi sans faiblesse contre les autres, les hors-la-loi (salafistes, UberPop) ou les non-citoyens illégaux (imams interdits de territoires et qui sont revenus prêcher dans les mosquées – comme l’avoue Nathalie Goulard, député). Les repères d’identité française dont parle Patrick Weill dans son récent livre – égalité, langue, mémoire, laïcité par le droit – doivent être appris, compris et acceptés par tous ceux qui aspirent à vivre en France. L’assimilation, dit Patrick Weill, est le fait d’être traité de façon similaire. L’égalité en droits n’est possible que s’il existe un consensus minimum sur cette culture du droit.

L’éternelle « synthèse » du personnage actuellement à la tête de l’État comme s’il était à la tête d’un parti est non seulement fadasse, mais inefficace : elle entretient l’insécurité sociale, culturelle et militaire.

Il n’y a pas d’égalité sans frontières définies : qui est citoyen ou accueilli, avec quels droits, sur quel territoire.

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Montebourg, grande gueule et petit pois

Arnaud Montebourg a quitté la politique… dit-il, pour mieux la consommer. S’il n’en vit plus, il en jouit. D’où son énième coup de gueule, Chômage : les raisons de la colère, publié dans le JDD et sur son blog. Que dit-il de si expert sous des dehors polémiques ?

Son raisonnement est le suivant :

  1. Le Front national monte en raison du chômage que le quinquennat Hollande se montre impuissant à arrêter.
  2. Pourquoi ? Parce qu’il a massivement augmenté les impôts.
  3. Et la raison de cette hausse serait « Bruxelles » et sa politique d’austérité visant à ramener la dette des États dans les clous des 3% du PIB.
  4. Montebourg prône donc de refuser ce diktat européen et de baisser massivement les impôts des seuls ménages.

Point à la ligne. C’est un peu court…

arnaud montebourg

Ce qu’il oublie est qu’un État trop endetté devient paralysé par le poids de ses frais financiers annuels, remboursements des emprunts et salaires des fonctionnaires. Et que le seuil des 3% a été négocié et signé… par Mitterrand dans un traité qui engage la France.

Ce qu’il oublie, ce sont les complexités des lois, règlements, décrets et circulaires secrétés en France – plus que partout ailleurs en Europe – tant par des « experts » qui n’ont jamais quitté l’Administration, que par des élus qui n’ont jamais quitté l’Administration, et par des fonctionnaires qui n’ont jamais quitté l’Administration. Il oublie un peu vite les quelques 320 pages de règlementation produites CHAQUE JOUR, dit-on, par tous ces parasites qui veulent justifier leur fauteuil plus qu’organiser l’intérêt général.

Ce qu’il oublie, c’est que baisser les impôts pour les ménages seuls signifie relancer la consommation. Or depuis Mitterrand – presque 35 ans déjà – à CHAQUE FOIS que la France a distribué du pouvoir d’achat pour relancer la consommation, elle a augmenté les importations, donc le déficit commercial – sans aucun intérêt pour l’emploi en France. Cette politique « de la demande » a été un échec constant pour relancer l’économie depuis trois décennies. D’où le choix Hollande de privilégier « l’offre », c’est-à-dire les coûts de production des entreprises – même si le CICE n’est qu’une réformette et que le poids des multiples « taxes » pèse bien plus lourd que le coût des salaires.

Ce qu’il oublie est la formation professionnelle, le manque d’éducation utile à l’employabilité. Selon Patrick Artus, économiste (à gauche) de Natixis, le « niveau aussi élevé d’emplois vacants révèle un désajustement important entre les offres et les demandes d’emplois, qui est cohérent avec la faiblesse des compétences de la population active en France ».

Ce qu’il oublie est que l’Union européenne a sauvé la France de ses démons d’avant : clientélisme politico-économique, dépendance de l’État, endettement sans frein. Que la discipline de l’euro a sauvé la France de cette permanente suite de stop and go : augmentation des salaires suivie de dévaluation du franc. Que les grandes entreprises françaises se sont – enfin ! – ouvertes au large, avec une stratégie mondiale.

Ce qu’il oublie est que le vote Front national est moins un vote POUR quitter l’Europe et ses traités qu’un vote CONTRE l’acculturation globalisée chère aux bobos de gauche en ministères, contre des élites qui ont largué les amarres des traditions pour être à la mode américaine, contre la redistribution aux profiteurs et aux non-travailleurs. En bref, que les politiciens ne sont plus aussi représentatifs et que les électeurs peu éduqués le leurs font payer.

En fait, il « oublie » beaucoup de causes, Montebourg, au profit de la pose théâtrale et des effets de manches. Son « coup de gueule » se ramène, lorsqu’on le lit la tête froide, à cette politique archaïque de la vieille gauche, pratiquée dès juin 1981, qui est de redistribuer encore et toujours un argent qu’on n’a pas, en attendant encore et toujours une croissance qui ne viendra pas, parce qu’on n’a encore et toujours pas analysé les véritables causes de la paralysie française par rapport à ses voisins.

Du baratin d’élite coupée des réalités… qui va profiter au vote Front national une fois de plus !

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Maladie de la politique française

En politique, un bon résultat peut être ignoré dans les urnes, voir Lionel Jospin en 2002. Les électeurs sont ingrats mais les politiciens en général promettent et ne tiennent pas, leurs mots sont déconnectés de la réalité. D’où l’impression de mépris que ressentent les citoyens dont les préoccupations ne sont à leur avis pas prises en compte par les élus. Monte alors le vote protestataire, de plus en plus extrémiste, l’appel à la vengeance par la démocratie directe contre la démocratie représentative.

Dictatorial_Democraty

La faute en est au monde qui se complexifie, mais aussi aux politiques.

Le pouvoir est passé de leurs mains à l’Union européenne pour une part, aux régions pour une autre part, à l’administration et aux « autorités » indépendantes enfin (CSA, Hadopi, ARCEP, AMF, etc.). Ils l’ont désiré, ils l’ont voulu, ils ont signé.

Pour la marche du monde, la globalisation a donné du pouvoir aux marchés financiers pour la dette des États, aux grandes entreprises pour les emplois et la fiscalité, tous deux en concurrence ; l’essor de l’éducation et l’accès désormais à l’Internet permet aux citoyens, mieux formés, de se renseigner tout seul sans passer par les instances. Si l’information, c’est le pouvoir – le pouvoir est aujourd’hui bien plus dilué et moins bien contrôlé qu’auparavant (lanceurs d’alerte).

Les politiciens seraient-ils devenus impuissants ?

Pas vraiment, disons qu’ils tissent le plus souvent eux-mêmes la toile dans laquelle ils s’enserrent. Discipline de parti, aveuglement idéologique, tabous du politiquement correct, ils ne parlent plus « vrai ». Ni consciemment, ni surtout inconsciemment.

« Tout le monde » – dit-on (voir encadré p.24 de la publication) – sait ce qu’il faudrait à la France pour que son taux de chômage ressemble à celui de ses voisins : une flexibilité plus grande du travail, des coûts de production plus en rapport avec ce qu’elle produit (coûts qui concernent moins les salaires que surtout les charges sociales et les taxes gouvernementales), une meilleure formation initiale (lire-écrire-compter-s’exprimer) et professionnelle (accaparée par des syndicats très peu représentatifs ou privilégiant des intérêts « particuliers »).

Même chose sur le racisme musulman, minimisé au nom du « pas d’amalgame » alors qu’il y a autant de mauvais chez les musulmans qu’ailleurs – mais dont on mesure concrètement les effets (ravageurs) sur les bateaux de migrants en Méditerranée. Ou par l’alya des Français juifs, réelle et de plus en plus importante ces derniers mois (édifiante émission Interception sur France-Inter).

Or, rien de tout cela n’est dénoncé ou entrepris… par tabou idéologique et « peur » d’une éventuelle réaction de « la rue ». Mais « la rue » n’est pas aussi infantile que les élites le croient – si elles sont capables de donner le cap et d’expliquer le chemin. « La rue » n’est pas aussi stupide que les nantis au pouvoir le croient – s’ils ne manipulent pas les groupuscules braillards à leur seul profit politicien en vue d’un motion de congrès, d’une place à la primaire… ou d’une minute de gloire médiatique.

Les multiples exemples suédois, canadien, allemand, et même italien sont là pour montrer que quand on veut, on peut, quand la politique fixe un cap et une méthode, le pays avance. Pas le nôtre, malgré les analyses.

Pour qu’il avance :

  1. il serait nécessaire que les petits jeux de pouvoir n’accaparent pas la « cour » élyséenne – donc il serait nécessaire de bien définir par la Constitution les pouvoirs respectifs du chef du gouvernement et du président – et il serait nécessaire que la presse enquête systématiquement et dénonce (comme dans les pays nordiques ou anglo-saxons) tout manquement éthique ou manipulation politicienne ;
  2. il serait nécessaire que les parlementaires, dotés de meilleurs moyens d’enquête et de contrôle par la réforme de 2008 (sous Sarkozy, boudée par une gauche inconséquente), ne cumulent pas les mandats au point de n’en exercer aucun de façon efficace – donc il serait nécessaire de supprimer radicalement tout cumul, à la fois des mandats mais aussi des mandatures : un seul mandat à la fois, une seule réélection maximum : un peu d’air frais !
  3. il serait nécessaire que les élus et les nommés, tous responsables de l’argent des contribuables, soient mieux évalués et sanctionnés dans leur égoïsme individualiste (Big millions, Guérini, Vallini, Andrieux, Kucheida), leur légèreté ou irresponsabilité (Saal, DSK, Lamblin, Woerth, Lagarde), quand ce n’est pas carrément le flagrant délit de mensonge (Cahuzac, affaire Karachi).
  4. il serait nécessaire que les médias, fort paresseux et parisiano-centrés, cessent de voir dans de petits bouts de phrases autant de scoops à faire mousser, ou prétexte à rigoler lâchement, pour enfin offrir une réflexion sur le fond et dans la durée – ce pourquoi les journaux dits de réflexion voient leurs abonnés se réduire et la radio publique dite culturelle dilapide l’argent public en « directs » inutiles : ce n’est pas ce qu’on leur demande.

Est-ce beaucoup exiger de la république à la française ? Faut-il exiger la démocratie enfin « participative » ? Ou faut-il laisser les citoyens tenter n’importe quel grand méchant loup, sur sa réputation à remettre de l’ordre dans le bruit et la fureur ? Résistance ou soumission ?

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Purification ethnique ?

L’incitation vient d’un commentaire sur ma note à propos des bobos de gauche et du Comité de vigilance anti-daeshiste qu’ils n’ont toujours pas fondé… Faut-il « purifier » l’Europe de tous ceux qui sont « allogènes » et non-assimilables ? Mon commentateur déclarait : « la seule solution possible est l’épuration ethnique. Je rappelle pour les amnésiques que les musulmans sont des experts en le domaine d’abord en Égypte dès 1947 où l’administration du roi Farouk faisait en sorte que les Égyptiens n’ayant pas un patronyme musulman soient dans l’impossibilité de trouver un travail ou d’acheter un bien immobilier, ce qui a amené progressivement mais assez vite à l’éradication du sol de l’Égypte des égyptiens d’origine grecque et italienne par exemple. Voir aujourd’hui ce qu’est Alexandrie par rapport à l’Alexandrie de Durrel… Est-il besoin de rappeler le célèbre « la valise ou le cercueil » à Alger en 1962 ? » Il s’agirait donc d’appliquer aux musulmans ce qu’ils pratiquent eux-mêmes : la purification de la société.

Mais nos valeurs « républicaines » de Liberté-Egalite-Fraternité et notre aspiration à l’universel représentent-elles l’équivalent d’une « religion » ? Notre neutralité laïque est-elle un instrument de combat intolérant à toutes les croyances ? Refermer ce qui a fait notre histoire, la libération progressive de toutes les contraintes pseudo « naturelles » qui déterminent chacun, est-elle la solution ? Certains le prônent : fermer les frontières, renationaliser l’économie, établir un État fort et inquisiteur. Je ne crois pas que cela améliorerait les choses. Réaffirmer tranquillement le droit – et le faire appliquer sans faiblesse malgré les zassociations et les bêlements outrés des bobos angéliquement « de gôch » – OUI. Chercher dans ce qui nous arrive une sorte de péché originel à confesser pour faire amende honorable – NON. Pas de « révolution nationale » – on a vu ce que cela avait donné : une démission collective dans la lâcheté.

Il convient de parler de tout pour réactualiser sans cesse la « liberté d’expression », mais selon la raison, afin de bien comprendre ce que recouvrent de fantasmes sous-jacents les slogans affichés. Ce démontage raisonné permet d’être mieux être à même de les évaluer s’ils envahissent le paysage politique

Je ne crois pas pour ma part à l’intérêt pratique d’un transfert de masse de populations reconnaissables à leur faciès, ni ne souscris aux fantasmes de pureté qu’il recouvre. Le mythe de la « race » pure ou de la religion des origines, le mythe d’un l’âge d’or à retrouver, l’an 01 des bases « saines » ne sont que des illusions consolatrices. Tous les millénarismes ont joué de cette corde sensible pour rameuter les foules ; tous les totalitarismes se sont imposés sur ces fantasmes régressifs pour assurer leur pouvoir. Sans résultat : nous sommes ici et aujourd’hui, pas dans le passé imaginaire, sur une planète où tout réagit sur tout (à commencer par le climat et les ressources), dans une ère de communication instantanée qui ne fait que prendre son essor. C’est au présent qu’il nous faut agir – sans se réfugier dans le jadis.

La purification ethnique, ce n’est pas nouveau, ce n’est pas la solution. Sans remonter trop loin (expulsion des Maures d’Espagne en 1492, révocation et exil des Protestants sous Louis XIV, lois discriminatoires de Vichy), prenons trois exemples emblématiques de purifications ethniques réalisées : la turque, la nazie, la salafiste. À chaque fois ce sont les mêmes fantasmes manipulés, à chaque fois les mêmes ressorts politiques, à chaque fois les mêmes conséquences antihumaines – tant pour les victimes que pour les bourreaux.

armeniens nus genocide turc 1915

En 1908 accèdent au pouvoir les Jeunes Turcs qui veulent refonder le pays en État-nation après la fin de l’empire. Les défaites des guerres balkaniques 1912-13 et la perte des territoires européens entraînent en 1912, à initiative des autorités, le boycott des chrétiens Grecs et Arméniens de Turquie. La volonté du nouvel État est : islamisation, turquification, restauration conservatrice. Il s’agit de purifier le pays afin d’homogénéiser la population et de favoriser son assimilation. L’idée de départ est de vider le territoire turc de tous les Grecs, Syriaques et Arméniens, pour y importer des musulmans migrants depuis le reste des Balkans. C’est la guerre de 14 qui rend propice l’éradication physique des Arméniens, les puissances ayant leur attention détournée. Héritage des massacres sous le sultan Abdullamid II en 1894-96, les Arméniens sont considérés comme des ennemis de l’intérieur et n’ont pas d’État protecteur (la Russie se méfie d’eux tandis qu’elle a protégé les Bulgares, et les Occidentaux les Grecs). La décision d’extermination est prise entre 20 et 25 mars 1915 et confiée de façon non-officielle à des groupes paramilitaires. Il y aura près de 2 millions de morts, les Grecs seront expulsés en masse dans les années 1920. La Turquie n’a pas encore fini, en 2015, de payer ce crime contre l’humanité. Son entrée dans l’Union européenne tarde (et n’est pas souhaitable) car elle reste un pays archaïque et sa réislamisation l’éloigne des valeurs du reste de l’Union ; son appartenance à l’OTAN pourrait être remise en cause, tant elle aide les daeshistes en leur achetant en contrebande leur pétrole et en laissant ses frontières ouvertes aux combattants internationaux et aux blessés salafistes.

Qu’est-ce que le massacre ethnique a apporté à la Turquie ? Un appauvrissement en compétences durant tout le reste du XXe siècle, une population toujours en majorité soumise à la superstition et peu éduquée, une suspicion de ses alliés occidentaux. Le nationalisme ethnique ne permet pas d’être plus fort, mais plus faible…

mesurer la race blonde le roi des aulnes film

La purification ethnique nazie est d’une ampleur inouïe, mais n’a pas mieux réussi à redresser le pays. C’est au contraire la défaite – totale et humiliante – de l’Allemagne en 1945 qui a permis l’essor économique, la stabilité politique et la réintégration de ce grand peuple à l’histoire du monde. Tout commence avec l’antijudaïsme chrétien : peuple déicide et communauté à part qui refuse de s’assimiler car persuadée d’être le peuple élu, le Juif est écarté de la propriété féodale et des corporations, il n’exerce que des métiers méprisés comme le commerce, l’usure, le prêt sur gage. L’essor industriel et le déracinement capitaliste aggravent les tensions économiques, culturelles et sociales. Les Juifs ont l’habitude de manier l’’argent et de faire du commerce, ils participent bien plus que d’autres à la prospérité économique sous Bismarck ; ils font donc des envieux. Nombre d’intellectuels rêvent du retour à la nature, de la santé à la campagne (si possible tout nu au soleil), ils critiquent la modernité aliénante de la ville et de l’usine pour rêver d’un âge d’or tout imbibé de romantisme. Des liens se nouent entre nationalisme pangermanique, doctrine raciale, antisémitisme et darwinisme social. La République de Weimar, née de la défaite de 1918, promeut tous les citoyens à égalité, donc les Juifs : c’est insupportable pour les pangermanistes qui les voient comme des traîtres. Les révolutionnaires de gauche sont souvent juifs (Karl Marx, Rosa Luxembourg). Les Juifs sont les boucs émissaires commodes de toutes les injustices commises en Allemagne et contre elle. La crise mondiale des années 30 et l’hyperinflation s’ajoutent à l’amertume de la défaite et la perte de territoires. Le peuple traumatisé entre en régression émotionnelle et cherche refuge sous la poigne d’un homme fort. Hitler fait du Juif le principe cosmique du Mal, l’acteur même du complot politique mondial, le bacille infectieux de tout ce qui affaiblit : internationalisme, démocratie, marxisme, pacifisme, capitalisme apatride, marchandisation. Dans son discours au Reichstag le 30 janvier 1939, Hitler éructe qu’il va exterminer tous les Juifs d’Europe. Dès 1938, l’Allemagne encourage l’émigration juive, puis choisit l’expulsion des Juifs allemands jusqu’en 1941. La défaite française ouvre Madagascar (proposé fin 1938 à Ribbentrop par le ministre français des Affaires étrangères Georges Bonnet), mais la résistance de l’Angleterre empêche le plan. Suivent la déportation en Pologne puis la concentration en camps d’extermination industrielle : tous les Juifs doivent disparaître de l’espace vital de la race allemande – mais aussi comme diaspora menaçante et complotiste hors de cet espace vital (conférence de Wannsee en janvier 1942). Car la guerre qui se retourne en URSS et l’entrée des USA poussent à la « solution finale ».

Qui ne finit rien du tout et ne ramène nul âge d’or – malgré les quelques 6 millions de Juifs exterminés… L’Allemagne a perdu des cerveaux inestimables tels que les physiciens Albert Einstein et Max Born, le biologiste Otto Fritz Meyerhofle, les compositeurs Arnold Schönberg, Kurt Weill et Paul Hindemith, le chef d’orchestre Otto Klemperer, les philosophes Theodor Adorno, Hannah Arendt, Ernst Bloch et Walter Benjamin, les écrivains Alfred Döblin et Lion Feuchtwanger, les architectes Erich Mendelsohn et Marcel Breuer, le sociologue Norbert Elias, les cinéastes Fritz Lang, Max Ophuls, Billy Wilder, Peter Lorre et Friedrich Hollandern, l’actrice Marlène Dietrich…

arabe muscle

Aujourd’hui Daesh, sur ce territoire laissé vide entre Irak et Syrie, instaure le Califat pour éliminer de sa population tous les éléments “impurs“. Il œuvre à éradiquer à la fois Chiites, Chrétiens, Yézidis, Zoroastriens – et les Juifs, s’il en reste ! Il rejette la conception occidentale de l’État-nation (construction d’un vouloir-vivre en commun forgé par une population hétérogène) au profit de la Communauté (oumma) des « seuls » croyants en l’islam dans sa version salafiste djihadiste, régie par la « seule » loi divine intangible (charia). Tous les individus sont niés au profit du collectif – ceux qui résistent sont éliminés. Leur retour de l’âge d’or est celui des premiers temps (salaf = compagnon du Prophète) et leur avenir est la fin des temps (qu’ils croient toute proche). Il faut donc se purifier et éliminer les impies par la violence. Ce culte de la force mâle à qui tout est permis au nom de Dieu attire les déclassés du monde entier qui peuvent assouvir leurs bas instincts sans connaître grand-chose de l’islam. Décapiter est la pratique rituelle envers les animaux : elle vise à faire sortir les victimes de l’humanité, tout en leur ôtant l’âme éternelle (qui siège dans la tête). Établir la Cité de Dieu sur la terre entière permet de faire rêver, les sites Internet et surtout les vidéos de propagande attisent la soif d’action et le ressentiment. Le nazisme avait déjà séduit une partie des dirigeants arabes dans les années 30 (Nasser, le grand mufti de Jérusalem…). Daesh partage avec l’Arabie Saoudite la même vision salafiste de l’islam, la glorification du djihad, les mêmes adversaires chiites. Mais les Saoud ont instrumentalisé la religion pour imposer leur légitimité politique sur les Lieux saints et contre le nationalisme arabe alentour. Ben Laden avait dénoncé l’hypocrisie de la monarchie qui ne respecte pas les principes salafistes (en autorisant par exemple des soldats impies – et même des femmes soldates dépoitraillées ! – sur le sol béni en 1991).

Quel avenir a ce millénarisme ? Probablement aucun, tant il coalise contre lui les États de la région, les grandes puissances mais aussi les opinions un peu partout sur la planète, outrées de voir de petites Shoah fleurir un peu partout selon le bon plaisir des sectaires. Quant à l’islam majoritaire… il se tait, fait profil bas devant la violence des Frères. Lâchement.

daesh crucifie les chretiens

Mais les États jouent chacun leur petit jeu diplomatique, sans guère se préoccuper de la menace pour l’humanité que sont ces crimes quotidiens. Barak Obama, qui ne cesse de décevoir depuis sa première élection, ignore l’Europe, ne veut pas fâcher la Russie ni mécontenter l’Iran, avec qui il négocie sur la prolifération nucléaire. Il joue l’inertie et son opinion manifestement s’en fout, puisqu’il n’y a pas d’Américains ni de Juifs crucifiés (comme les chrétiens d’Irak), décapités (comme les journalistes japonais ou les coptes d’Égypte), ni grillés vifs (comme un pilote jordanien). L’Europe est impuissante, nain politique, les seules puissances militaires (Royaume-Uni, France) gardant la culpabilité du colonialisme et des budgets exsangues. Quant à la Turquie, elle joue le même rôle ambigu avec les daeshistes que le Pakistan avec les talibans et le Qatar avec les Frères musulmans : une complicité objective.

Ce que veulent les quelques 2 à 3000 salafistes sectaires en France, c’est aller « faire le djihad » puis, auréolés d’une gloire factice auprès des « petites frères » des banlieues laissées pour compte par l’indifférence de la droite (yaka mettre des flics) et l’angélisme de la gauche (yaka mettre des moyens), tenter de déstabiliser la société mécréante par des attentats, du prosélytisme, des réactions violentes. Dès lors, la « purification ethnique » est ce qu’ils veulent : que la société des « sous-chiens » chasse les « arabes » afin qu’ils n’aient plus qu’à se soumettre aux « bons » salafistes qui vont les accueillir (à condition d’obéir). En bref quelque chose analogue au scénario juif (qu’ils envient), la terre promise après les camps…

Ce noir-et-blanc peut-il régler définitivement les problèmes de démocratie en France, d’inanité scolaire, de pauvreté, d’étatisme forcené ? J’en doute. Expulser les délinquants récidivistes et les priver de leur nationalité française imméritée (s’ils en ont une autre…), est possible. Mais ce sont les banlieusards nés et élevés en France – donc Français – qui ont sombré dans le salafisme sectaire après être passés par la case voyou. Tout comme les gauchistes idéologues d’Action directe il y a peu contre « le système ». Faudrait-il réviser – comme sous Vichy – les naturalisations sur trois générations ? Ou faire des « tests ADN » (autre nom du compas nazi à mesurer les crânes) pour décréter qui est digne d’être Français ou pas ? Nous serions aussi ridicules que la Corée du nord et sûrement pas suivis par les pays de notre Europe… C’est pourtant le parti des Le Pen qui laisse prôner ce « grand remplacement » à l’envers. L’histoire montre ce que cela a donné. Vous me pourrez pas dire que vous avez voté sans savoir !

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Jean Monnet, Mémoires

jean monnet mémoiresJean Monnet est l’un des fondateurs de l’Union européenne et une personnalité que j’admire fort : calme, têtu, méthodique, il croit aux faits et aux relations humaines. Il a été, sa vie durant, une force tranquille. Ce sont ces forces-là qui, dans les époques de chaos, impriment leur marque à l’histoire. J’aime en Jean Monnet trois traits : son pragmatisme, sa faculté de communiquer et sa détermination. Tout ce qu’il faudrait aujourd’hui au projet européen !

Pragmatisme

Point de grandes idées mais des maximes d’expérience, tirées d’un don d’observation et d’une mémoire peu commune. Ne comptent que les faits. Aussi, quand ils surviennent, il n’y a jamais surprise puisqu’ils ne peuvent entrer en contradiction avec les idées abstraites, a priori. « Quand le moment vient, tout est simple ». D’où le goût de Monnet pour les États-Unis : « l’expansion américaine n’avait pas besoin d’être expliquée. Elle était spontanée comme la nécessité. » Vouloir le nécessaire – non seulement l’accepter comme tel mais vouloir qu’il soit, l’aider à advenir – ainsi est Jean Monnet. Non pas un fataliste mais plutôt un tragique. Je sais que ce mot aujourd’hui fait sourire, mais il faut l’entendre dans le sens antique d’adaptation au destin : jamais une résignation mais une nécessité interne qui fait que l’on va jusqu’au bout de ce que l’on entreprend, quelles qu’en soient les conséquences. Ce qu’on ne peut changer, il faut s’y adapter ; ce qu’on peut changer, il faut l’accomplir.

Une personnalité de ce genre peine à écrire ses Mémoires : comment raconter l’évident, expliquer le nécessaire ? « Aussi loin que me ramènent mes souvenirs, je me vois appliqué à ma tâche que je ne discute pas. Je n’ai pas l’imagination de ce qui ne me paraît pas nécessaire ». Tout Jean Monnet est là et l’on retrouve cette idée plusieurs fois dans le livre. L’utopie des possibles ne l’intéresse pas. Il se place face à ce qui est, voilà tout. « Ce que j’ai fait, ou ce que j’ai contribué à faire, et que j’ai raconté dans ce livre, est né des circonstances lorsqu’elles se sont présentées. Elles ne m’ont pas marquées et j’étais toujours prêt à les accueillir. C’est peut-être cette disposition d’esprit, ou cette disponibilité de l’esprit, qui est le plus important dans l’action – la vie est généreuse en occasions d’agir, mais il faut s’être préparé longtemps par la réflexion pour les reconnaître et les utiliser lorsqu’elles surviennent ». Être prêt signifie être solide, ne pas être désarçonné par les circonstances.

Rien de tel pour cela que d’être né dans un milieu aisé et laborieux, où l’on se fait une vertu du travail de longue haleine. Nul doute que la famille de négociants en cognac, où naquit Jean Monnet, ne possédât ces qualités au plus haut point. Élaborer un cognac est un luxe qui exige des années et du soin ; le vendre réclame de l’habileté ; conserver sa clientèle exigeante, de haut niveau, nécessite du doigté et le sens des relations sociales. Rien de cela n’est négligeable dans la construction d’une personnalité. Ainsi, la naïveté affichée par Jean Monnet à ce sujet reste-t-elle un peu touchante : « Il me semblait que j’avais toujours suivi la même ligne continue dans ces circonstances, sous des latitudes différentes mais avec une seule préoccupation : unir les hommes, régler les problèmes qui les divisent, les amener à voir leur intérêt commun. Je n’en avais pas l’intention avant de l’avoir fait et je n’en ai tiré de conclusions qu’après l’avoir longtemps fait ». L’habitus familial est parfaitement intégré. Le commerce est le métier de conciliation par excellence, fait de concessions réciproques par nécessité. L’intérêt objectif des parties est que l’échange se fasse, pour un profit mutuel. Ainsi en Europe, malgré les intégristes.

La limite évidente est ceux qui refusent de négocier quoi que ce soit parce qu’ils convaincus de détenir tout seuls la vérité. Jean Monnet cite les communistes, on peut dire la même chose de tous les croyants, écologistes, gauchistes, socialistes, islamistes ou intégristes catholiques compris : « Certes, j’ai rencontré des résistances politiques venant d’horizon divers, mais aussi longtemps que la discussion reste ouverte, je les respecte et fais ce que je peux pour les surmonter. Ce n’est pas la politique des communistes qui m’a le plus gêné, c’est leur refus de discuter ».

Faculté de communiquer

D’où son attention portée à l’information et son goût des relations. Le pragmatisme implique d’être au courant des faits. La négociation implique que l’on mette au courant les autres. Ainsi convainc-t-on de la nécessité des choses.

La bonne circulation de l’information dépend des conditions psychologiques. Pour convaincre, il faut lever les blocages. Une fois des rapports détendus et amicaux établis, l’information passe d’elle-même et, avec elle, les nécessités ; Jacques Delors savait pratiquer cette méthode. Il faut contourner les questions de susceptibilités. Il faut « trouver un langage commun à ceux qui savent et à ceux qui décident » dit Monnet. Encore faut-il qu’une idée parvienne à ceux qui ont le pouvoir : « C’est là que se mesure le prix de la confiance lentement acquise dans les échanges quotidiens fondés sur la sincérité ». Une conviction : la vérité est le fait ; elle est la même pour tous. Ce qui empêche chacun d’agir selon le fait est son aveuglement idéologique, sa légèreté à observer, ou bien les questions de personnes. La confiance lèvera le troisième obstacle ; l’attention lèvera le second ; la sincérité lèvera le premier.

Pour cela, rabâcher : « Si je n’ai jamais trouvé plusieurs manières d’expliquer les mêmes choses, c’est parce que les mots ont un sens et un seul. Je ne vois pas la possibilité de les changer, je n’en sens pas le besoin. Je vois même beaucoup d’avantages à mettre les mêmes formules dans la tête des gens. On appelait ma grand-mère maternelle ‘Marie-la-rabâcheuse’. Je crois qu’elle avait seulement quelques idées très simples et qu’elle y tenait ». Si l’on est convaincu soi-même, on convaincra – surtout à notre époque de chaos philosophique et de surinformation. C’est ainsi que l’on fait de la politique selon Jean Monnet ; l’Europe en manque cruellement.

carte union europeenne 2013

Détermination

Mais l’efficacité est aussi de rester inébranlable contre vents et marées. Rabâcher, mais avec hardiesse et tranquillité. Ne pas craindre de répéter dix fois le même thème aux mêmes personnes – mais avec sérénité, en écoutant les doléances et les critiques, les intégrant, ne se fâchant jamais. C’est l’un des secrets de réussite de Jean Monnet : agir par nécessité de longue date en poursuivant une seule pensée à la fois. En même temps, ne rien laisser faire : « rien ne doit être approximatif, conclu par lassitude et en raison de l’heure ». Ne pas se laisser aller au doute : « il faut agir sans faire d’hypothèses sur les risques de ne pas aboutir ». Parfois faire passer son idée par un coup de force, en se présentant comme le seul recours dans la débâcle, le mieux préparé dans la faiblesse générale – à condition toujours de bien savoir ce que l’on veut : « la précipitation est favorable à ceux qui savent où ils vont. Combien de fois ai-je réussi à substituer au dernier moment le texte que j’avais patiemment élaboré à celui qu’un homme politique indécis et nonchalant avait négligé de mettre au point ». Importance des mots : on découvre ce contre quoi Monnet s’élève par tout son caractère et toute son éducation : l’indécision et la nonchalance – ces deux plaies du commerce, qu’il soit de marchandises ou entre les hommes. « Il n’y a pas de limites, sinon celles de la résistance physique, à l’attention que l’on doit porter à ce que l’on fait, si l’on veut réellement aboutir ». Toute une morale du labeur ; tout l’honneur du travail bien fait.

La gloire ? Très peu pour lui. Mieux vaut l’efficacité dans l’ombre, car qui réussit trop bien au grand jour se voit démasqué et s’attire les jalousies. D’où sa méfiance envers la politique et le souci de ne pas piétiner les platebandes des politiciens. Le prétexte : « puisqu’ils ont les risques, ils ont besoin de lauriers ». Jean Monnet, lui, préfère la liberté de la réflexion durant les longues promenades dans la campagne, où les problèmes du moment prennent leur juste mesure et se décantent d’eux-mêmes.

En bref, voici un grand acteur du projet européen. « Ai-je moi-même obéi, je ne saurais le dire, je ne connais d’autre règle que d’être convaincu et de convaincre. Personne ne m’eut fait faire ce que je ne croyais pas bon et utile de faire, et en ce sens je n’ai pas eu de maître ». Jean Monnet reste pour moi un modèle d’esprit supérieur en notre siècle.

Jean Monnet, Mémoires, 1976, Livre de poche 2007, 825 pages, €8.17

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Politique économique zéro

Le président Hollande prend son temps pour tout, pesant et soupesant, n’osant pas avancer, sauf sur les promesses qui ne l’engagent à rien (mariage gai, prostitution). Même pour la mort de Nelson Mandela, il a attendu l’après-midi pour accoucher d’un discours écrit par un autre, au français incertain (Hollande et orthographe sur Google montre combien l’Éducation nationale rend illettré même les énarques : 812 000 résultats !) Le Premier ministre Ayrault a été plus rapide, tout comme le président Obama et le Premier anglais.

Or, en interne, le temps est compté au président. Puisque le socialiste Jospin a forcé le soi-disant « gaulliste » Chirac à transformer le septennat en quinquennat, tout va plus vite : le président n’est plus à l’époque Mitterrand où il pouvait « donner du temps au temps ». Surtout lorsque les gouvernements successifs, de gauche comme de droite, n’ont réformé qu’à la marge depuis 30 ans. Le processus actuel reste velléitaire, soumis aux lobbies politiciens et syndicaux, cantonné dans les bureaux fermés de l’Élysée ou de Matignon.

  • Nous sommes loin de la démocratie quand le Premier ministre demande avant toute chose leur avis aux syndicats sur la réforme de l’impôt plutôt qu’aux représentants élus de la nation dont la première mission est de voter le budget !
  • Nous sommes loin de la transparence républicaine quand les rumeurs qui « filtrent » dans les médias ou les « sites internet » des ministres sont la seule information aux électeurs.
  • Nous sommes loin de l’efficacité de la dépense publique que les citoyens sont en droit d’exiger vu l’ampleur des impôts plus grande qu’ailleurs en Europe, lorsqu’on se contente d’enterrer rapport après rapport, évaluation PISA après évaluation PISA, sans faire aucun effort pour changer les choses en mieux que le clientélisme du « plus de moyens ».

francois hollande profil

En externe, l’Union européenne mais surtout la monnaie unique obligent. La France ne peut se permettre de laisser grandir l’écart économique entre elle et les autres. Car l’austérité poursuivie depuis 2008, voire depuis la réunification dans le cas allemand, a maintenu le cours de l’euro tout en améliorant la compétitivité à l’exportation de la zone. Les excédents du commerce extérieur sont recherchés pour créer de la demande aux entreprises de la zone euro, donc de l’emploi – et redresser les budgets. Depuis l’an dernier, la balance commerciale de la zone est passée en excédent. Cela augmente la demande d’euros et réduit la demande de dollars : ce pourquoi l’euro est « fort » contre dollar, même s’il est désormais moins demandé en Asie, où le yuan partiellement convertible a pris le relai. Depuis l’été, l’inflation est plus forte aux États-Unis que dans la zone euro – parce que la croissance des pays du sud, France incluse, est quasi nulle – ce qui conforte encore l’attractivité de la monnaie unique par rapport au dollar.

La politique des autres (excédents commerciaux), la répugnance française à baisser la dépense publique au lieu d’augmenter les impôts (entraînant déflation de consommation, d’investissement, d’actifs), font que la France conduit une politique en contradiction avec celle des autres. L’euro est fort et la France s’enfonce ; les pays de la zone sont confortés, la France décline. Des critères du rebond (demande accrue de biens et de services, désendettement des ménages et des investisseurs, croissance technologique, nouvelles sources d’énergie, réformes économiques) – la France ne choisit RIEN. Nous sommes dans la politique-zéro, le pilotage à vue en fonction des braillements dans la rue, des éclats syndicaux ou patronaux et des remontrances des « zélus de terrain » à l’œil fixé sur les municipales.

Comme le résume – avec un brin d’humour – un texte qui tourne en boucle sur les réseaux sociaux : « Les problèmes des boulangers sont croissants et pain bénit pour les revendications. Alors que les bouchers veulent défendre leur bifteck, les éleveurs de volailles se font plumer, les éleveurs de chiens sont aux abois, les pêcheurs haussent le ton ! Et bien sûr, les éleveurs de porcs sont « dans la merde », tandis que les céréaliers sont sur la paille. Par ailleurs, alors que les brasseurs sont sous pression, les viticulteurs trinquent. Heureusement, les électriciens résistent. Chez EDF, les syndicats sont sous tension, mais la direction ne semble pas au courant. Mais pour les couvreurs, c’est la tuile et certains plombiers prennent carrément la fuite. Dans l’industrie automobile, les salariés débrayent, dans l’espoir que la direction fasse marche arrière. Les cheminots voudraient garder leur train de vie, mais la crise est arrivée sans crier gare. Les veilleurs de nuit, eux, vivent au jour le jour. Pendant que les pédicures travaillent d’arrache-pied, les dessinateurs font grise mine et ne peuvent plus voir le gouvernement en peinture, les militaires partent en retraite, les imprimeurs dépriment et les météorologistes sont en dépression. Les prostituées, elles, se retrouvent à la rue. Ah, j’oubliais : les bonnets rouges sont verts de rage ! »

Un sondage BVA pour iTélé montre que 52% des interrogés voteraient pour un « nouveau parti politique qui viendrait de se créer » aux municipales et européennes de 2014. Même si les sympathisants de gauche ne sont que 39% prêts, 46% le sont à droite (tant l’UMP de Copé apparaît nulle). Mais ce qui fait la différence, comme l’élection, sont les personnes ni de la droite ni de la gauche partisane, ce « marais » – qui sont à 76% prêts à voter pour une nouvelle formation !

Autrement dit : « sortez les sortants ! »

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Réformer l’État

Les marchés commencent-ils à douter de la France ? Ce que disent depuis un moment certains économistes de marché comme Patrick Artus (Natixis) et Laurence Boone (Bank of America) commence-t-il à se voir ? L’Espagne, la Grande-Bretagne, l’Irlande, vont mieux, l’Allemagne va toujours bien – seule la France reste à la traîne selon les chiffres novembre de la Commission européenne :

  • 0.9% de croissance en 2014 contre 1.1% pour la zone euro, 1.7% pour l’Allemagne et 2.2% pour le Royaume-Uni ;
  • 0.6% de prévision d’investissement contre 1.9% pour la zone euro, 4.4% pour l’Allemagne et 5% pour le Royaume-Uni ;
  • 11.2% de chômeurs contre 12.2% pour la zone euro mais 5.3% pour l’Allemagne et 7.5% pour le Royaume-Uni ;
  • un déficit commercial de 1.5% contre un excédent de 2.9% pour la zone euro et de 6.6% pour l’Allemagne ;
  • un déficit budgétaire de 3.8% du PIB encore contre 2.5% dans la zone euro et un excédent de 0.1% pour l’Allemagne…

commission europeenne

Croissance plus faible que les autres, déficit public persistant, impôts qui rentrent moins et sont contestés ouvertement jusque dans la rue, déficit commercial faute de compétitivité, investissement en berne, chômage en hausse – malgré la méthode Coué du président Hollande qui affirmait « inverser la courbe d’ici la fin de l’année ». L’absence de visibilité sur l’avenir obère la confiance, donc l’initiative : les consommateurs épargnent pour les impôts de l’an prochain (toujours cette exception de ne pas prélever à la source), les entreprises se gardent d’investir en France (ailleurs, oui) et d’embaucher (si elles ont trop de salariés, elles ne pourront pas débaucher sans délais, paperasserie, procès – ou se mettre en faillite), les créateurs d’entreprise vont créer ailleurs, insultés par les politiciens de gauche, tracassés par une administration courtelinesque, taxés comme des malfrats dès le premier bénéfice, mal vus par les envieux amplifiés par les médias.

Paul Krugman a presque félicité la France de ne pas faire assez d’économies budgétaires. Mais ce prix Nobel n’est pas à la première erreur près : il avait pronostiqué l’explosion de l’euro (elle ne s’est pas produite) et la dévaluation de la monnaie lettone sur le modèle du peso argentin (il ne s’est pas produit). Alors, quand il préconise de faire encore plus de dépense publique pour soutenir la consommation, il se trompe d’époque et de zone. L’Union européenne n’est pas les États-Unis : ses États ne sont pas unis, seule la monnaie l’est pour 18 d’entre eux sur 28. Même si la gauche adore la version superficielle et médiatique de John Maynard Keynes, l’économiste qui a prôné l’intervention de la dépense d’État pour corriger les déséquilibres du marché, John Maynard Keynes n’a JAMAIS prôné la dépense publique à guichets ouverts et trente années de suite !

Corriger un déséquilibre ne signifie en aucun cas en créer un, artificiel et public. La preuve : dans une union économique et monétaire telle que l’Europe de l’euro, les pays vertueux, qui ont en dix ans réduit leur dépense publique, réorganisé leur intervention pour une meilleure efficacité, et laissé au marché le soin d’ajuster offre et demande, ont nettement mieux réussi que les pays immobiles, englués dans le clientélisme de la dépense d’État à vue trop souvent électorale (Grèce, Italie, Portugal, France, voire Espagne). En 5 ans, de 2008 à 2013 – années de crise aiguë – l’Allemagne, l’Estonie, la Finlande, la Lettonie, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Pologne et la Suède, ont réussi à réduire leur déficit public à une moyenne de 1.6% de leur PIB, contre une moyenne de 4.8% des 19 autres pays qui n’ont pas engagé les réformes suffisantes. Ce n’est pas par plaisir masochiste : ces 8 pays vertueux ont eu une croissance économique de 1.4% sur la période, tandis que les 19 pays handicapés ont une croissance négative de 0.8%.

Car ce qui fait la croissance, ce n’est pas l’argent distribué, mais l’équilibre entre offre adaptée et demande solvable. Donner de l’argent public, c’est encourager la dépense immédiate, donc les importations. Ce ne peut être qu’un coup de pouce conjoncturel, en aucun cas une politique permanente. Jamais les entreprises locales ne vont investir dans plus de capacités de production pour de l’argent donné d’en haut, qui peut être repris à tout moment (par l’arrêt des subventions et la hausse des impôts). Les entreprises ont besoin de visibilité sur la demande, elles ont besoin de la croire durable, pour investir et produire. Elles ont besoin aussi de coûts fixes qui puissent supporter la concurrence extérieure.

Or la distribution d’argent public s’appuie toujours sur de gros impôts, sur les ménages et sur les producteurs, coût qui handicape le prix de revient, donc la marge nécessaire pour investir. Les idiots accusent le doigt sans voir la lune, ils pointent « les actionnaires » sans regarder avant tout les bénéfices. On peut discuter de la distribution quand il y a bénéfice – c’est un bavardage stérile quand il n’y en a pas. Si l’entreprise vend à perte, à prix coûtant ou avec un faible profit, comment peut-elle investir pour le futur ? Ou même assurer de l’emploi aujourd’hui à ses salariés ? Car si « les salaires » ne baissent pas, c’est l’emploi qui baisse, donc la masse salariale globale.

Le circuit économique forme un tout et la dépense publique non maîtrisée distord l’équilibre. L’investissement public est utile à l’intérêt général – en ce cas, la dépense publique est bonne. La distribution sociale est utile aux malchanceux, aux peu dotés par l’éducation et à la transition entre deux emplois – mais à condition d’apprendre aux inaptes comment pêcher le poisson, plutôt que de leur donner tout congelé. Regarder ce qui se fait chez les voisins – par qui on est lié par traité – est indispensable pour ne pas diverger des équilibres nécessaires pour maintenir l’euro. En France, on en est encore loin :

  • réformer le Mammouth éducatif, décentraliser, encourager l’initiative pour intéresser enfin les élèves et leur apprendre la base (lire, écrire, compter, s’exprimer en public) ;
  • réformer Pôle emploi, à qui on demande de faire tout et qui ne fait donc rien (rien de suffisant, rien de bien, rien de suivi) ;
  • réformer la manne de la formation permanente, financée par les entreprises et les salariés, et qui reste dans les mains des lobbies syndicaux, sans contrôle ;
  • réformer la vision médiatique et professorale sur les « métiers manuels » ou les formations pratiques ; réformer le millefeuille administratif où tout le monde est compétent sur tout : la commune, la communauté de commune, le département la région, l’État et même l’Europe sur le chômage !
  • réformer la bureaucratie envahissante, qui exige dossiers, lenteur et signatures arbitraires pour n’importe quelle activité
  • réformer la fiscalité, proliférante, illisible, gâchée de niches populistes et de privilèges clientélistes accumulés sans ordre, fiscalité injuste par cette flat tax à la Thatcher qu’est la CSG à 15.5% sur TOUS les revenus sans distinction, alors qu’au moins la TVA est modulée selon les produits, et permet un choix de consommation à ceux qui ont beaucoup comme à ceux qui ont peu.

Voilà ce qui est réformer l’État.

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Hollande aura-t-il raison sur le chômage ?

Inverser la courbe du chômage « d’ici la fin de l’année » (voire, dans ses derniers propos, en février ou mars 2014) est-ce réaliste ? Ah, mais « c’est la différence entre la prévision et la volonté », a ajouté le président. C’est confondre volonté et discours. Avoir la volonté de faire le maximum contre le chômage est une bonne chose ; affirmer que c’est fait, que la réussite est prévisible à horizon de 6 à 8 mois en est une autre. Ce n’est pas en disant les choses qu’on les règle. Cette communication « performative » a été suffisamment reprochée à Nicolas Sarkozy par la gauche ! A moins d’embaucher de quasi-fonctionnaires sans le dire, des « emplois aidés » invendables sur le marché du travail et qui revendiqueront dans quelques années « le droit » d’être régularisés dans la fonction publique ? Le problème Hollande est qu’il attend la croissance – et que ladite croissance ne reviendra pas au rythme nécessaire à la dépense publique traditionnelle…

La mondialisation et l’Internet sont passés par là :

Les frontières ne sont plus fermées, ni les citoyens dans l’entre-soi : nous avons signé plusieurs traités successifs d’Union européenne, nous sommes intégrés dans l’Organisation mondiale du commerce, partenaires du G8 et du FMI. Oui, la mondialisation n’est pas que pour les autres, les échanges de marchandises ne sont pas les seuls, mais aussi les échanges culturels, étudiants, touristiques. Nous savons désormais grâce à Internet et aux réseaux sociaux instantanés que certains voisins vivent mieux que nous avec un chômage plus bas, un État moins gros, une ponction moindre sur les salaires, des impôts moins lourds et des services publics souvent meilleurs (l’éducation, la justice, l’emploi). Il nous faut reconnaître que sur le chômage comme sur d’autres points, l’État-nation n’est plus capable, l’État-providence n’a plus les moyens, et que dire « je veux donc c’est fait » devient ridicule.

cout du travail compare europe 2013

L’impératif est de créer de la valeur non en fermant ses frontières ou en maintenant des activités à faible valeur ajoutée mais en occupant une place stratégique pour obtenir la plus forte valeur ajoutée. Ce qui exige une adaptation permanente et une culture du compromis qui manque en France – à l’inverse de la social-démocratie allemande, scandinave, suisse ou anglaise.

cout du travail compare europe 2013 tableau

La démagogie du tout-politique :

La France souffre de l’héritage politique de la Révolution qui garde une méfiance profonde envers tout intermédiaire entre l’État et le peuple. Or le compromis entre le travail et capital est aujourd’hui plus difficile en raison de l’avènement d’une économie ouverte et d’une mobilité du capital qui donne un pouvoir de négociation face aux salariés plus fort, surtout lorsqu’ils sont peu qualifiés.

preference francaise pour le chomage denis olivennes le debat novembre 1994

Denis Olivennes en 1994 (il y a presque 20 ans !) dénonçait déjà La préférence française pour le chômage dans une note de la Fondation Saint-Simon reprise en article dans la revue Le Débat n°82. « Avant d’être un problème, le chômage est une solution. Comme l’inflation hier, il a permis, au cours des dernières décennies, de contourner les questions aussi importantes que celle du partage optimal entre revenu et emploi qui, prise frontalement, menaçait de révolter le corps central de la société : les actifs occupés ». Les gouvernements de droite comme de gauche ont donc choisi la facilité électoraliste : salaires élevés via le SMIC, pour des cotisations sociales élevées qui permettent de redistribuer et d’assister les chômeurs. Ce consensus politico-syndical devient aujourd’hui plus fragile car la crise ne permet plus d’augmenter beaucoup les salaires, tandis que les prestations mal contrôlées se dispersent et que le Budget de l’État est en grave déficit.

Comme le notait déjà Olivennes : « En réalité, la croissance de nos salaires réels est moins imputable à la rémunération directe des salariés qu’à l’augmentation continue des charges sociales incorporées dans le coût du travail ». De fait, quand le patron paye 1000 en Suisse et en France, le salarié suisse touche 65% nets sur sa fiche de paie tandis que le salarié français ne touche que 48% nets. Sans compter les impôts et la TVA… En 1981, les prestations sociales représentaient en France 25%, mais 31,3% en 2009. Elles ont augmenté plus vite que le PIB, surtout les années de hausse du chômage : c’est donc bien une reprise de la croissance qui allègera les charges. Encore faut-il s’en donner les moyens.

emploi et valeur ajoutee 1980 2011

Compétitivité :

Le rapport présenté à la Conférence nationale de l’industrie en février 2012 (dit rapport Gallois) sur Les déterminants de la compétitivité de l’industrie française estime que « si les salaires horaires dans l’industrie sont actuellement équivalents en France et en Allemagne, ils ont progressé beaucoup moins vite outre-Rhin ces dernières années. Le niveau de charges sociales par rapport au salaire est en France supérieur de plus de quinze points à celui constaté en Allemagne ». « En outre, la part patronale des cotisations est plus forte en France : 2/3 des cotisations, contre 1/2 en Allemagne ». Il préconise de « décharger d’abord le travail dans l’entreprise du poids du financement d’une partie des prestations sociales, notamment celles de solidarité. » Pour Christian de Boissieu, professeur d’économie  à Paris I et membre du collège de l’Autorité des marchés financiers, « la perte de la compétitivité-prix de la France par rapport à celle de l’Allemagne au cours des années 2000 s’explique à la fois par l’évolution des coûts salariaux par celle des gains de productivité ».

Productivité du travail :

La France est bien classée en termes de productivité du travail (parce que les jeunes et les seniors sont exclus majoritairement de l’emploi), mais pas en gains de productivité (la robotisation est faible dans l’industrie, l’informatisation a été tardive dans les services et le travail reste trop hiérarchisé). Dans les pays où l’on travaille plus, le marché du travail accueille des personnes dont la productivité est plus faible. Les États-Unis ont une productivité comparable à celle de la France mais, en situation économique normale, même les personnes dont la productivité est faible occupent un emploi – pas en France !

En Italie, Espagne, Royaume-Uni ou l’Allemagne, quand le chômage augmente la croissance des salaires ralentit rapidement – alors qu’on observe le contraire en France. Le salaire ne réagit ni à la compétitivité, ni à la profitabilité, ni au chômage. Deux raisons : 1/ l’évolution du SMIC ne suit pas la conjoncture mais les prix ; 2/ Les syndicats ne représentent que les seuls salariés qui ont un travail dans l’entreprise – et non les chômeurs ; ils sont de plus majoritairement composés salariés de la fonction publique, non concernée par le chômage. Pour les Allemands, l’emploi et le pouvoir d’achat dépendent de la santé, de la pérennité de l’entreprise et de sa compétitivité – pas en France où la surenchère idéologique attise un climat de guerre civile entre « patrons » et « prolétaires ». Les syndicats de travailleurs allemands, majoritairement du privé, sont bien meilleurs critique de la réalité et donc mieux aptes à négocier.

interactions competitivite productivite marche du travail

Effet des 35 heures :

Le SMIC français a notamment progressé sous l’effet des 35 heures. Il s’est agi d’un choc de compétitivité négatif : les salariés travaillent moins, avec un mécanisme de compensation financé par le budget de l’État mais supporté à la fin par les entreprises. La France est donc l’un des pays de l’OCDE où le prix du travail dès le salaire minimum est le plus élevé (environ 80 % de plus que la moyenne). Dans un Rapport d’information de l’assemblée nationale le 27 mars 2013 rédigé par la mission d’information sur les coûts de production en France et présenté par Daniel Goldberg, Pierre Cahuc et Stéphane Carcillo soulignent que « la France a fait le choix d’un salaire minimum élevé progressant plus vite que les gains de productivité. Ce choix est en partie le résultat d’une protection sociale qui fait assumer à la politique salariale une partie du rôle normalement dévolu à la politique de redistribution. » Cette politique a désormais un coût d’environ un point de PIB chaque année.

Les récurrentes questions d’évitement :

La politique européenne de réduction des déficits publics dite « d’austérité » n’est pas le déterminant principal du chômage : même dans les années fastes, la France a toujours gardé un niveau de chômage plus élevé que ses voisins. En 1995 déjà, Denis Olivennes dans un autre article du Débat (n°85) renvoyait à leur ineptie théorique les critiques qui incriminaient la faute des autres : à l’époque les taux d’intérêt trop élevés qui restreignent le crédit, l’arrimage du franc au deutsche mark donc la force de la monnaie. « Aurait-on si vite oublié les piètres résultats de l’autre politique en économie ouverte et changes flexibles ? En 1980, le taux de chômage en France était de 6.3%. Quatre ans et quelques dévaluations plus tard, il était de 9.7%. » Mais la démagogie répète inlassablement les mêmes arguments, reprenant inlassablement les mêmes boucs émissaires, refusant inlassablement d’examiner ce qu’elle considère comme tabou. D’où leurs yakas : taxer les actionnaires, forcer les entreprises à financer la retraite à 60 ans.

Or en France la distribution des dividendes partait de très bas, puisqu’elle représentait deux points de valeur ajoutée lors du premier choc pétrolier ; malgré la progression de la rémunération des actionnaires, elle reste cependant près de 10 points inférieure à ce qu’elle est en Allemagne. Le rapport entre les montants distribués et les fonds propres des entreprises n’a pas beaucoup évolué. Ce n’est donc PAS la politique envers les actionnaires qui pénalise l’investissement – mais l’absence de débouchés en France et en Europe qui empêchent d’y investir.

Les Français vivant longtemps mais partant plus tôt à la retraite, la France est l’un des pays qui finance le PLUS grand nombre d’années à partir de l’âge de la retraite, ce qui fait peser un poids très important sur la collectivité. D’où la nécessité d’avoir plus de personnes en emploi.

La fausse bonne idée, les emplois aidés d’État :

Barbare Sianesi, cité par Pierre Cahuc & André Zylberberg, Le chômage fatalité ou nécessité ? a étudié le modèle suédois et, parmi les mesures tentées, les créations d’emplois non permanents dans le secteur public. Elle « trouve que, comparée à la moyenne des parcours des simples chômeurs n’ayant participé à aucun programme, les chances de retour vers un emploi « régulier » (un emploi non aidé) sont sensiblement plus faibles, tout au long des 5 années de suivi, pour les personnes ayant bénéficié d’un emploi temporaire dans le secteur public » p.181. Ces emplois n’augmentent pas les capacités de ceux qui les suivent et envoient un mauvais signal aux employeurs.

Mieux vaut subventionner directement l’emploi privé, ce que l’étude montre être la mesure la plus efficace dans la pratique. « La législation actuelle (française) protège les emplois des salariés dotés d’une certaine ancienneté, mais pousse les entreprises à utiliser abondamment les contrats à durée limitée. Elle accentue ainsi la segmentation du marché du travail entre, d’une part des salariés protégés ayant accès à des emplois stables et, d’autre part, des salariés contraints d’accepter des contrats à durée limitée et des chômeurs ayant, en moyenne, peu de chances de retrouver du travail rapidement » p.139.

C’est malheureusement ce qu’envisage Hollande avec les quelques 540 000 emplois « aidés », emplois jeunes, contrats de génération et sortie des statistiques de 30 000 chômeurs envoyés en formation. Toujours les vieilles ornières du clientélisme d’État à fins électoralistes, plutôt que de redonner de l’initiative aux partenaires salariés et créateurs d’entreprise en allégeant la ponction fiscale et sociale…

Les mesures testées ailleurs :

Exonérer de charges les bas salaires – donc transférer le financement de ces charges sur d’autres prélèvements fiscaux (TVA, CSG…). C’est tout juste entrepris, mais sans certitude que le surplus n’entre pas dans le Budget général.

Revoir la logique aveugle de redistribution égalitaire – mais inéquitable – de l’État-providence. C’est ce que tente Hollande en touchant aux allocations familiales et à la formation professionnelle.

Organiser une véritable cogestion de la négociation salariale à partir des gains de productivité attendus. C’est que qui s’est fait chez Renault et qui se tente chez Peugeot ou Michelin – malgré les syndicats les plus rigides. Quant à la SNCM, déjà pas rentable quand le problème s’est posé, la situation ne s’est pas améliorée et les syndicats ne veulent rien savoir.

Réviser la durée du travail dans une vie qui s’allonge, donc cotiser plus longtemps avant de toucher des prestations, plutôt que de rogner sur les retraites versées. La conférence sociale le dira.

Côté puissance publique, son rôle n’est plus de prescrire mais d’intégrer. L’emploi est partie d’une politique globale : industrielle, fiscale, éducative, internationale. Il faut donc :

  • favoriser l’investissement (et cesser d’insulter les étrangers qui veulent acheter des entreprises françaises ou les actionnaires qui mettent leur épargne),
  • négocier les délocalisations (et cesser d’insulter Peugeot qui a conservé pour son malheur plus d’emplois en France que Renault),
  • organiser des filières d’innovation (et ne pas refuser a priori la vente de Dailymotion par une France télécom qui n’en a jusqu’ici rien à faire),
  • aider les PME qui font plus de la moitié de l’emploi industriel (sans les décourager par des taxes tout de suite et un crédit d’impôt plus tard, illisible et trop complexe),
  • aider l’innovation et les créateurs d’entreprise (au lieu de taxer la revente au taux confiscatoire),
  • favoriser l’auto-entreprise puisque Pôle emploi ne peut rien (et ne pas s’empresser de restreindre et taxer ce qui commençait tout juste à marcher).

Il y a, chez François Hollande, ce mixte de socialisme du possible (mais sans les syndicats adéquats ni les partis alliés favorables) et de pensée magique (comparable au storytelling Sarkozy) qui mécontente à la fois la droite et la gauche, tout en prenant trop de temps sur le temps. De quoi avancer, mais trop peu et trop tard, sans projet clair, tout en louvoiements tactiques politiciens.

2013 previsions chomage insee

Aura-t-il raison sur le chômage ? C’est peu probable. S’il a raison, il n’aura rien réglé sur le fond, seulement reculé l’échéance par de la dépense publique en croissance durablement faible ; s’il a tort, il se déconsidérera un peu plus. De quoi jouer perdant-perdant.

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Pourquoi la Banque de France ne finance pas le Trésor

Les frontistes de droite comme de gauche, se demandent pourquoi ne pas « revenir » à ce qui existait avant 1973 ? Mais ils partent de sophismes sur la croissance et la spéculation, ils sombrent dans la démagogie et accusent indument l’ultralibéralisme d’être à l’origine de l’indépendance des Banques centrales ; quand il existe des solutions moins radicales (Angleterre, Japon), elles ne sont pas plus efficaces, et l’Eurozone a choisi d’agir collectivement, bien qu’en balbutiant, ce qui est tout de même un « progrès ». Au total, on se demande où sont passés les politiciens sur l’Europe… Grands discours – faibles effets : le Mal français.

1/ Fausses causalités

La croissance ne dépend pas de la planche à billets : « Les années 1950 et 60 étaient en croissance ET la Banque de France finançait le Trésor ». Mais ce sont deux affirmations fausses :

1/ la corrélation entre croissance et financement direct du Trésor n’est pas causale ; l’époque était à la reconstruction d’après-guerre, avec une démographie de baby-boom et sans concurrence des pays sous-développés – rien de tel aujourd’hui ;

2/ la Banque de France avait DEJA l’interdiction de financer sans limite le Trésor depuis… 1936.

La spéculation ne dépend pas du contrôle monétaire par le Trésor :

  • L’agiotage, dont les subprimes sont un récent exemple, est l’effet de la mathématisation de la finance et des techniques de l’information et de la communication. L’empêcher est le rôle de la loi et des organismes de contrôle, le financement direct du Budget de l’État par la Banque de France n’aurait aucun effet contre l’inventivité des ingénieurs-modèles.
  • Pas plus qu’il n’a d’influence sur le prix de l’immobilier – dont la cause est l’absence de tout encouragement à l’épargne alternative longue en actions ou en obligations, par la faute des États (dettes excessives qui dégradent les obligations et fiscalité des titres boursiers sans rapport avec le risque).
  • On ne voit pas non plus comment un ministère pourrait « contrôler » la masse monétaire mieux qu’une banque centrale : il disposerait des mêmes instruments, l’expérience professionnelle en moins.
  • Quant aux contrôles publics sur la finance, observons qu’ils ont été bien indigents dans tous les pays, y compris pour l’endettement des communes.

2/ Démagogie du financement politique illimité

Le financement direct de l’État par une Banque centrale aux ordres du gouvernement offrirait un boulevard à la démagogie. Créer une quantité de monnaie « politique », au gré des demandes et des lobbies, générerait de l’inflation incontrôlable. C’est ce qui s’est produit dans le système de Law avec les assignats – juste avant la Révolution – mais aussi dans l’Allemagne des années 20 et le Japon des années 30. Non seulement la misère sociale n’a pas été comblée, mais elle a été dramatiquement amplifiée, engendrant une réaction politique violente.

hyperinflation allemande annes 20

Ce pourquoi tous les États ont historiquement mis en place des institutions crédibles qui séparent le Budget de la création et de la surveillance de la quantité de monnaie en circulation. Les banques centrales sont devenues indépendantes non par complot, mais par rationalité.

Pour financer leurs déficits les administrations publiques émettent des titres publics de dette achetés par les banques auxquelles la Banque centrale peut imposer un taux d’intérêt ou des incitations ou restrictions quantitatives pour les contraindre à une politique de crédit plus ou moins dynamique et éviter la surchauffe. Le fait de passer par le système bancaire pour financer la dépense stérilise l’effet des déficits budgétaires et supprime le risque d’instabilité de la monnaie. L’État se trouve obligé de prévoir en temps utile les recettes pour couvrir ses dépenses et les remboursements des emprunts échus, et suivre un plan de trésorerie.

3/ La décision d’indépendance n’est pas « ultralibérale » mais rationnelle

Le Front populaire a nationalisé la Banque de France créée par Napoléon 1er, situation actée en 1945 par un gouvernement au tiers communiste. Les souverainistes voudraient donc « revenir à cet acquis ».

Une loi a précisé le 3 janvier 1973 que « le Trésor public ne peut être présentateur de ses propres effets à l’escompte de la Banque de France. » Mais le gouvernement Pompidou n’en est pas l’auteur, c’est une proposition du rapporteur général de la Commission des finances du Sénat, introduite en seconde lecture.

Qui ne change rien, car cette interdiction était déjà dans la loi du 24 juillet 1936, article 13 : « Tous les Effets de la dette flottante émis par le Trésor public et venant à échéance dans un délai de trois mois au maximum sont admis sans limitation au réescompte de l’Institut d’Émission, sauf au profit du Trésor public. » C’est toujours ce qui paraît « évident » qu’il faut interroger.

En revanche, jusqu’à la loi du 4 août 1993, le Trésor public français pouvait recourir à un financement du déficit auprès de la Banque de France sous la forme de conventions entre le ministre de l’Économie et le Gouverneur, lui-même autorisé par délibération du conseil général, et approuvées par le Parlement (qui les a plafonnées à 40 milliards de francs). Depuis, la Banque de France – comme toutes les banques centrales nationales de la zone euro – ne peut plus accorder de financement au Trésor public qui doit faire appel comme tout le monde aux autres agents économiques : banques, particuliers, institutions étrangères. Cela pour éviter les privilèges d’une garantie commune au financement d’un seul pays « privilégié ». Mais rien n’empêche de recréer cette forme de conventions au niveau européen… sauf la volonté politique des politiciens nationaux, toujours prêts aux discours mais rarement à l’action.

L’indépendance donnée à la Banque de France a marqué la volonté d’assurer la continuité de la politique monétaire en la dégageant des préoccupations de court terme. Pour être crédible, une politique monétaire doit être conduite en faveur de la stabilité des prix, quelles que soient les évolutions politiciennes nationales. C’est cela qui hérisse tous les « volontaristes » politiciens pour qui un vote signifie un blanc-seing. Or c’est justement le propre de la démocratie que d’instaurer des contrepouvoirs contre les tentations à l’excès de pouvoir de quelques-uns. Un politicien est toujours tenté par la dépense à court terme (les prochaines élections), rarement par la prévoyance à long terme : on se souvient de « la cagnotte » sous Jospin. Tenté aussi par l’attribution de privilèges exclusifs à ses propres électeurs – au détriment de tous.

Même la Banque de Chine est devenue autonome, le bras de l’État étant assuré par des « banques politiques » non vouées au profit, chargées de gérer les fonds de manière planifiée, de les collecter auprès de certains secteurs et de les utiliser à des fins déterminées. Elles existent chez nous : c’est le cas de la Banque publique d’investissement en France et de la Banque européenne d’investissement pour l’Europe. Au temps où la Chine pratiquait l’économie planifiée, les capitaux étaient répartis selon le Plan et il n’existait pas de marché financier. C’est ce que voudraient voir revenir les partisans des solutions autoritaires mais faisons confiance aux Chinois : si la solution ancienne était la meilleure dans l’économie moderne, ils l’auraient conservée !

4/ Il reste des solutions moyennes, mais pas plus efficaces

La Banque du Japon a pour devoir de soutenir la politique économique nationale jusqu’en 1997 ; elle est depuis responsable de la valeur du yen mais la frappe de monnaie reste de la responsabilité du Ministère des finances, qui décide par ailleurs des interventions de change. La Banque d’Angleterre n’est que relativement indépendante, ses statuts donnant à l’Échiquier un droit à reprendre le contrôle de la politique monétaire en cas de « circonstances économiques exceptionnelles » et dans l’intérêt public. On ne voit pas cependant ces pays réussir mieux que nous dans la crise financière et économique…

Mais l’indépendance des banques centrales exige leur responsabilité et elles doivent justifier leur choix devant les Parlements à intervalles réguliers. C’est le cas du témoignage Humphrey Hawkins du Président de la Fed aux États-Unis, de l’audition du Président de la BCE devant le Parlement européen. Elles communiquent aussi leur politique par des « minutes » (Banque d’Angleterre et Fed) ou des conférences de presse (BCE et Fed).

On peut penser que l’Union européenne n’est pas assez démocratique et peu relayée dans les médias – mais ce n’est pas le retour à la souveraineté nationale qui réglera les dettes inconsidérées des États. Que l’Europe ne soit pas assez harmonisée, pas assez fédérale, pas assez démocratique, oui, mais ramener au niveau français la décision ne règlerait pas les questions. Pour ceux qui se disent « internationalistes » et solidaires c’est même faire preuve d’un égoïsme national préoccupant.

5/ L’Eurozone a choisi d’agir collectivement, même si c’est lentement

La mutualisation européenne de la politique monétaire est pour les frontistes une intolérable atteinte à la souveraineté. Car l’article 104 du traité de Maastricht, qui crée l’Eurosystème, « interdit à la BCE et aux banques centrales des États membres, (…) d’accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux institutions ou organes de la Communauté, aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales, aux autres autorités publiques, aux autres organismes ou entreprises publiques des États membres ; l’acquisition directe des instruments de leur dette, auprès d’eux, par la BCE ou les banques centrales nationales, est également interdite. »

Mais le traité n’interdit pas aux banques centrales de créer et d’injecter de la monnaie en circulation par le moyen de rachats de titres publics sur le marché ou à des établissements publics de crédit. La pratique du quantitative easing (la régulation de la masse monétaire par l’achat ou la revente de titres) est le lien entre la politique monétaire européenne et les politiques budgétaires nationales. Il bat en brèche le mythe de la muraille de Chine dénoncée par les intégristes de la souveraineté. Rien n’empêche d’aller plus loin, mais ce n’est pas à la BCE de le faire ; c’est aux politiciens de faire plus d’union européenne. En distinguant plus qu’aujourd’hui l’Eurozone (à 17) de l’Union (à 27) dont les intérêts ne coïncident pas toujours.

mecanisme europeen de stabilite fonctionnement

La Banque centrale européenne (BCE) est composée du conseil des Gouverneurs des banques centrales nationales, donc chaque pays est représenté et discute avec tous les autres dans l’intérêt commun. La BCE définit et met en œuvre la politique monétaire de l’Eurozone, elle conduit les opérations de change euro et surveille le bon fonctionnement des systèmes de paiement. Il y a un véritable Plan européen pour contenir les dérapages inflationnistes et piloter la dette, avec pour objectif de limiter l’inflation autour de 2 % et de veiller au respect par les États membres des critères de convergence (décidés par eux) : déficit limité à 3 % du PIB (sauf circonstances exceptionnelles) et dette publique plafonnée à 60 % du PIB. Par l’accord de 2012 signé par tous les États membres a été ajouté : « un mécanisme de stabilité qui sera activé si cela est indispensable pour préserver la stabilité de la zone euro dans son ensemble. L’octroi, au titre du mécanisme, de toute assistance financière nécessaire, sera subordonné à une stricte conditionnalité ». L’Europe de l’euro n’est donc pas figée, immobile, comme voudraient nous faire croire les frontistes politiques.

6/ Mais où sont donc passés les politiciens ?

Rien n’empêche de mettre en place « une organisation sociale » pour contrer la déflation, comme le recommande James Galbraith pour l’Europe. Il s’agit d’une décision politique, fédérale et humaniste, mais qui passe aisément par les emprunts proposés au système bancaire, seuls à même de compenser l’effet inflationniste futur du déficit ainsi immédiatement creusé. L’orthodoxie monétariste n’empêche de le faire QUE parce que la volonté politique de fédéraliser l’Europe manque : on ne peut tout vouloir à la fois, dans l’anarchie. Pour agir en États unis sur le modèle américain, bâtissons d’abord l’union des États ; la Banque centrale européenne ne peut à elle seule compenser le déficit du vouloir des politiciens nationaux à mutualiser leurs pouvoirs. C’est à peu près ce que propose François Hollande, distinguant l’Eurogroupe (euro) de l’Eurofin (toute l’Europe).

Au total, désirer « revenir » à la situation d’avant apparaît comme de la poudre aux yeux, une fausse bonne idée fondée sur quelques erreurs de lecture de la loi de 1973 et surtout sur la nostalgie d’un âge d’or fantasmé. En revanche, « avancer » vers une Europe plus fédérale, plus unie et plus efficace, est beaucoup plus difficile que les grands discours. Elle est cependant du ressort de ces politiciens qui ne cessent de faire la leçon.

L’auteur de cette note a passé plusieurs dizaines d’années dans les banques. Il a écrit ‘Les outils de la stratégie boursière‘ (2007) et ‘Gestion de fortune’ (2009). Il se consacre désormais aux chroniques, à la formation et à l’enseignement dans le supérieur.

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Pourquoi voter Marine Le Pen serait une aventure ?

Certains lecteurs m’ont reproché d’analyser plus la gauche que la droite. Mais c’est que la gauche est au pouvoir, poussée sans arrêt aux illusions par son extrême trotskiste ; il m’a paru jusqu’ici plus utile d’analyser ce danger immédiat que le danger Le Pen plus lointain. J’ai déjà écrit une note Contre le Front national, en décembre 2010. J’examine aujourd’hui quelles pourraient être les conséquences d’une application du programme Le Pen.

Mais disons-le tout net : la majorité des électeurs qui votent Le Pen s’en moquent comme de leur premier slip. Ce qui leur importe est de marquer leur protestation vigoureuse vis-à-vis de l’UMPS, gens au pouvoir depuis des décennies qui ont préféré leurs petits jeux d’ego plutôt que le bien de la France. Bobos et technos ont délaissé la classe moyenne et populaire, s’appuyant ou sur les très riches ou sur les immigrés. Vieillissement démographique, mondialisation, technocratie de l’Union européenne, crise des finances publiques, induisent une angoisse diffuse et une perte de repères. La protestation pourrait s’afficher au premier tour de présidentielles, et être abandonnée en grande partie au second en raison de l’aventurisme du programme…

scores front national 2002 et 2012

Chacun peut le lire intégralement sur le site du Front national (ce qui est écrit en petit doit se lire avec une particulière attention). Il se résume ainsi :

  • en politique, souverainisme, bonapartisme, populisme ;
  • en économie, dévaluation, protection, inflation ;
  • en social, préférence nationale, politique nataliste, censure pour les enfants.

La volonté est celle d’une contre-révolution comme celle préconisée par Joseph de Maistre après 1789, mais la date ici retenue est 1968, l’année de la chienlit sociale, du départ programmé du général de Gaulle (qui démissionne en 1969) et des négociations sociales qui font déraper le budget. Il s’agit d’établir un État organique par un rassemblement de forces, unies par un parti de la nation en colère. La vie est une lutte, le monde une jungle, et toute liberté doit se construire par une volonté recentrée sur soi et ses proches : famille, patrie, travail. L’individualisme n’est pas toléré, la fraude, l’immigration ou le crime non plus ; la communauté de sang et de sol s’impose comme seul souverain politique – donc économique et social. Ni libéralisme, ni socialisme, la promotion de l’homme intégral communautaire, contraint par l’État, représentant souverain du Peuple comme ethnos. Une forme nationaliste du bonapartisme traditionnel.

1/ Politique :

Pouvoir international fort, souverain et austère qui inspire un idéal de vertu :

  • Sortir des traités européens pour une « association libre » (les autres en voudraient-ils et comment ?)
  • Partenariats industriels volontaires (type Airbus)
  • Maîtrise des frontières (fin de Schengen) et de la monnaie (fin de l’euro), indépendance énergétique (énergies vertes + nucléaire)
  • La Banque de France pourra prêter au Trésor public sans intérêts, ce qui permettrait d’augmenter salaires et pensions, de baisser les prix de l’énergie. C’est l’autre nom de la planche à billets – donc l’inflation – non compensée par des coûts à l’exportation abaissés puisque l’abolition du libre-échange entrainera rétorsions.

En politique intérieure, le Front national reprend le bonapartisme traditionnel :

  • Un mandat présidentiel unique de 7 ans non renouvelable.
  • L’appel au référendum pour toute modification de la Constitution.
  • Scrutin proportionnel à toutes les élections (comme dans toutes les sociétés organiques).
  • Fin de l’obligation bruxelloise de concurrence sur les services publics
  • Effort de défense à 2% du PIB, sortie du commandement intégré OTAN (mais pas de l’alliance). Institution d’une garde nationale de 50 000 réservistes + dissuasion nucléaire.
  • Réduction des subventions aux associations « ne relevant pas de l’intérêt général ». Lutte contre la fraude fiscale et la fraude sociale, contre le « coût de la décentralisation » (autrement dit recentraliser).

Un État fort signifie tolérance zéro pour les crimes, le communautarisme des banlieues et les attaques contre les forces de l’ordre. Leurs effectifs seront augmentés, comme les moyens de la justice ; la peine de mort et les peines incompressibles de perpétuité seront rétablies par référendum et 40 000 places de prison de plus seront ouvertes. Les mineurs seront responsables pénalement dès 13 ans.

  • Ce qui paraît contradictoire avec la volonté affichée de protection des « enfants » (les moins de 13 ans ? avec la majorité sexuelle qui va avec la « responsabilité pénale » à 13 ans ?), en rétablissant la censure sur le net et toute forme de « violence » (y compris « morale », ce qui reste éminemment flou, donc propre à toutes les dérives…)
  • A l’école, retour aux fondamentaux : lire, écrire, compter, méthode syllabique obligatoire en CP, suppression du collège unique, promotion des filières manuelles et surtout discipline. Cela marchera-t-il à l’époque d’Internet et de l’ouverture au monde ?
  • Au total, la contrainte autoritaire remplacera partout le laxisme issu de la pensée-68.

electeurs du front national 2006

2/ Économie :

La souveraineté implique de quitter l’euro, donc de dévaluer drastiquement le néo-Franc (autour de 40% dans les années 1930 et 1982) et de bloquer la liberté des capitaux par nationalisation partielle des banques. Conséquences prévisibles :

  • Notons au préalable que l’ampleur de la crise mondiale des années 30 est due justement au protectionnisme, aux dévaluations compétitives, aux restrictions dans l’accès aux matières premières et aux politiques autarciques d’États. Faut-il replonger tout droit dans les mêmes erreurs ?
  • Ne plus être dans l’euro serait-il un véritable avantage ? L’exemple du Royaume-Uni et du Danemark en fait douter. A l’inverse, la Suède montre un pays prospère, mais qui tourne le dos à un programme type FN : refus de l’autarcie (50% du PIB à l’exportation), inflation domptée (pas de planche à billets), large libéralisation des services publics…
  • La contrainte euro sur l’Allemagne existe via le Mécanisme d’aide européen : 350 milliards € selon Christian Ott (économiste Natixis, juillet 2012) via les prêts accordés à la Grèce, l’Irlande, le Portugal, l’Espagne, et via ses participations auprès des pare-feu européens. Quitter l’euro = quitter toute aide.
  • L’Allemagne a subi avec l’euro une dévaluation de fait par diminution des salaires, augmentation de la durée du travail, allongement du nombre d’années de cotisation pour accéder à la retraite. Si l’Allemagne redevenait autonome, sa concurrence industrielle – donc à terme politique – redeviendrait redoutable. Il y a donc de multiples avantages pour la France à rester dans l’union.
  • La sortie française marquerait l’écroulement du système euro ; nos créances – importantes – sur les pays du sud (Italie et Espagne) ne seraient pas remboursées et certaines de nos banques feraient faillite, donc seraient nationalisées – et pèseraient sur le Budget.
  • Comme les deux tiers de nos échanges économiques se font avec l’Europe, quelles mesures de rétorsion prendraient les autres pays ?
  • L’abandon de l’union monétaire implique l’autarcie, donc l’appauvrissement : ce qui sera produit en France sera plus cher en raison du niveau de vie relatif du pays, ce qui sera importé sera plus cher en raison de la dévaluation du néo-Franc, des droits de douane ou contraintes phytosanitaires.
  • La fin de la discipline, sur l’exemple allemand, ferait retomber le patronat français dans sa paresse du passé : peu d’investissements, crainte de l’innovation, monopoles protégés par la puissance publique, ballon d’oxygène des dévaluations régulières, paix sociale par l’inflation auto-entretenue.
  • Les talents et les jeunes diplômés choisiront encore plus le large – et la liberté – qu’un pays préoccupé des vieux, du rural et du petit commerce.
  • La priorité nationale pour l’emploi et l’immigration choisie limitée (comment ?) à 10 000 entrées par an, ne permettront pas d’abaisser le chômage, contraint par la baisse programmée du nombre de fonctionnaires, le renchérissement de l’énergie importée et les moindres exportations…

3/ Social :

Le souverainisme se veut un pansement social pour les catégories d’électeurs du FN : ouvriers, employés, retraités, petits-commerçants et artisans, agriculteurs et pêcheurs.

  • Mais le patriotisme économique par le soutien au petit commerce ne sera pas compensé en termes de coûts par la simplification bureaucratique et la baisse d’impôts pour PME et entrepreneurs individuels.
  • La politique agricole française et la protection de la pêche dans la zone économique exclusive coûtera au budget national, même si l’outremer se trouve ainsi valorisé.

Pour compenser la perte économique par la fierté symbolique, promotion de l’ethnos français :

  • Suppression du droit du sol, naturalisation sous conditions strictes,
  • Interdiction de la discrimination positive à l’embauche et renvoi des étrangers chômeurs,
  • Pénalisation du « racisme anti-français », suppression des subventions aux lieux de culte et interdiction des signes religieux ostentatoires.
  • Réduction des budgets sociaux aux immigrés et politique nataliste : revenu de 80% du SMIC aux parents à partir du 2e enfant ; allocations familiales réservées aux familles dont un parent au moins est français
  • Un enfant devient un adolescent pénalement responsable de ses actes dès 13 ans, en apprentissage dès 14 ans (comme au moyen-âge où les rois se mariaient dès la puberté)
  • Refus du mariage gai (mais maintien du PACS), lutte contre l’avortement (mais pas abolition)
  • Solidarité organique entre les générations et régime contre la dépendance.

2012 1974 score-fn

En bref, un programme pour figer une France d’hier, immobile, essentielle : le retour aux années 1960 d’industrie forte, de gaullisme politique, d’autorité sociale et d’immigration marginale. Une sorte de pétainisme, mais revu XXIe siècle, qui irrigue souterrainement la psyché française – y compris à gauche – sous la forme d’un abandon masqué par le volontarisme bonapartiste. Le monde va plus vite et plus fort ? Levons le pont-levis, protégeons notre petite vie tranquille. Ce serait l’idéal suisse, si la Suisse ne montrait justement qu’on peut être sûr de son identité et plus démocratique, toujours ouvert sur le monde… A condition de se prendre en main.

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Jacques Attali, Demain qui gouvernera le monde ?

jacques attali demain qui gouvernera le monde

Jacques Attali est intelligent ; c’est un boulimique qui adore accumuler les informations pour les régurgiter sous forme de synthèses. Il a écrit 25 essais, 7 romans, 5 biographies, 5 mémoires, 5 rapports, 2 pièces de théâtre et même 1 livre pour enfant. Ce livre-ci, comme tout essai de l’auteur, répond à une question – qui est dans le titre : qu’en est-il du gouvernement mondial (rêve de Victor Hugo) que certains espèrent ? Jacques Attali fait 30 pages de diagnostic, 70 pages de propositions et… 275 pages de compilation depuis la préhistoire. La liste finale des 16 petites mains qui ont fait des fiches pour tout est édifiante !

Bilan ? Pas grand-chose. Une montagne de rappels historique pour accoucher d’une souris prospective, pas bien vive au demeurant. Au galop, nous survolons les tentatives religieuses, conquérantes, marchandes de dominer le monde – en alternance. Au siècle dernier, les totalitarismes athées ont rivalisé avec la finance et les totalitarismes intégristes religieux. Et puis il y a Internet, domination du monde technique si l’on veut, et même les théories du Complot.

Le dominant du monde est, depuis 1929, les États-Unis. Ce pays est en avance sur tout et négocie avec les puissances rivales, Chine, Inde, Union européenne, Japon. Il a ses faiblesses mais reste impérial. Les Nations-unies se sont créées sous sa houlette, l’OTAN aussi. Et la diaspora juive répand partout son soutien inconditionnel à Washington. Car les diasporas sont une tentative d’humanité Une, hors sol, détachées des États-nations, un vieux rêve de Dieu (du moins celui d’Abraham). Ce pourquoi Attali cite à plusieurs reprises Einstein, savant juif, allemand puis américain, et ses appels répétés à un gouvernement mondial (p.202). Il réhabilite Léon Bourgeois, Français radical et franc-maçon bien oublié, inventeur de la SDN.

Mais son galop lui suscite des raccourcis hasardeux, voire carrément faux, comme cette idée que Gorbatchev a été renversé en URSS « parce qu’il » aurait été mal reçu en juillet 1991 au G7 (p.220). C’est prendre l’histoire par le petit bout de la lorgnette, l’URSS était bien assez en déliquescence interne sans que l’humeur des pays étrangers puisse agir sur elle.

Au fond, ce qui marche dans l’unification du monde, ce sont les instances techniques de gouvernance : l’Union postale universelle, l’Organisation maritime internationale, l’Organisation de l’aviation civile, l’Office international des épizooties, l’Organisation mondiale de la santé, l’Organisation internationale du travail… Tout le monde a intérêt à adhérer et à négocier. Pour le reste, c’est moins sûr – quand Dieu ne le commande pas.

Jacques Attali voit dans l’Union européenne un modèle par étape d’intégration qui pourrait servir de schéma universel. Peut-être, mais en combien de générations ? Depuis 1950, l’idée d’Europe a certes avancé, mais contrainte et forcée, avec des reculs à chaque récession économique où les intérêts égoïstes priment.

Jacques Attali voit aussi dans « les hypernomades » une sorte d’humains plus enclins que les nationaux à penser monde, intérêt global. Est-ce vraiment le cas ? Ces cosmopolites déracinés voient-ils global ? L’observation montre qu’ils songent surtout à leur statut fortuné (et les cartes ‘Privilège’ qui vont avec), puis à l’intérêt exclusif de leur pays de référence qui résiste encore et toujours à l’envahisseur (par exemple… Israël).

Que pèse la « dynamique d’interstices » face aux intérêts vitaux des nations ? Le pacifisme internationaliste d’un Jaurès n’a pas résisté au nationalisme de 1914 jusque chez les ouvriers socialistes, pas plus que l’Internationale sous Staline n’a résisté au pacte germano-soviétique, ni que l’euro ne résistera aux égoïsmes allemand et hollandais, si la crise continue.

Le « minilatéralisme », autre mot inventé par la technocratie pour décrire ces petites avancées opérées quand personne ne regarde – et qui agrègent des intérêts ultérieurs – ne sont pas même l’embryon d’un gouvernement mondial.

Alors faut-il une « Alliance pour la démocratie » bottée et offensive, sur le modèle de l’OTAN ? Jacques Attali y souscrirait volontiers, notamment contre « les dictatures ». Entendez tous ces pays arabes qui menacent « la paix », puisque ce livre a été écrit avant le printemps arabe. Mais (à part le Dieu vengeur qui convoqua Moïse sur la montagne pour lui donner ses Commandements) qui jugerait qu’un pays n’est pas « démocratique » ? Selon quels critères « mondiaux » ? La Chine, comme l’Inde, le Brésil, le Pakistan et bien d’autres auraient beau jeu de dénoncer le préjugé occidental et le néocolonialisme d’une telle contrainte « au nom du Bien ».

La technique pourrait unifier selon Jacques attali, mais il ne faut pas surinterpréter Internet : il n’est qu’un outil pour des idéologies politico-religieuses qui préexistent. Il les répand avec efficacité, il ne les crée pas. Le village global est rempli de voix discordantes qui ne s’écoutent guère mais désirent surtout affirmer leur ego. Aussi l’idée des « e-votes » par des « e-manifestants » pour des « états généraux du monde » (propositions d’Attali) est une aimable utopie technocratique sans guère d’effets concrets. Quand on observe que deux départements d’une seule région culturellement homogène, avec une identité historique marquée – l’Alsace – ne réussissent même pas à s’unir par référendum, on se dit que « l’unification du monde » n’intéresse guère que les intellos en chambre ou les hypernomades hors sol.

Reste alors une instance extérieure :

  • Dieu ? mais il faut y croire ;
  • une menace venue de l’espace (météorites ou êtres malveillants) ? rien de tel qu’un ennemi commun pour souder l’humanité mais on ne le voit pas ;
  • ou encore la menace précise d’une destruction (pandémie, catastrophe climatique, terre devenue invivable) ?

La porte reste ouverte à l’imagination au pouvoir. En ce sens, Jules Verne n’a guère été égalé.

Cette compilation au galop qui reste dans l’eschatologie Ancien testament et qui s’achève comme un rapport international ne convainc pas. Il reste une liste de concepts, de tentatives et d’utopies qui peuvent intéresser les étudiants tentés par le sujet.

Jacques Attali, Demain qui gouvernera le monde ? 2010, Livre de poche Pluriel 2012, 439 pages, €9.50

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Démocratie occidentale en Chine confucéenne ?

La Chine n’est pas inapte à la démocratie conçue comme régime universel. Mais le pays de Confucius n’est pas prêt à adopter sans débat nos traditions libérales de 1789, issues de notre histoire particulière. Sous la direction de Mireille Delmas-Marty et Pierre-Etienne Will, un recueil de spécialistes a fait le point en 2007 sur La Chine et la démocratie.

delmas marty la chine et la democratie

Les fameux « droits de l’homme », phares de la pensée politique occidentale, ne sont pas rejetés. Ce qui ne passe pas, en Chine comme dans toute l’Asie (et probablement dans les pays musulmans et hindouistes – ce qui fait du monde…) c’est la prétention occidentale. Celle de faire des « droits de l’homme » une sorte de découverte ‘scientifique’ – un Souverain Bien dans un monde des Idées – qui s’imposeraient comme seuls critères de jugement à tous. L’Occident comme « mouvement social » de l’Universel dans l’Histoire, quelle blague ! On croyait ce genre de religion terminée depuis l’effondrement du mythe communiste… Car cela revient à nier aux autres cultures toute possibilité d’évaluer ou d’adapter les Normes sorties toutes armées du cerveau des penseurs du 18ème français.

Or le développement économique montre que les « valeurs asiatiques » telles qu’elles sont aujourd’hui permettent le décollage. Que le progrès n’est pas unique, sur un seul schéma, le seul qui avait jusqu’ici réussi : le capitalisme libéral et technique occidental. Les exemples successifs et renouvelés du Japon, de la Corée, de Taiwan, de Singapour, de Hongkong et de la frange côtière de la Chine Populaire ont encouragé le relativisme culturel de l’Asie. Ils opposent à l’individualisme compétitif occidental, les « valeurs asiatiques » de la famille et de la hiérarchie sociale. Selon eux, elles permettent solidarité, esprit d’équipe et respect du travail – tout ce qui disparaît peu à peu dans l’égoïsme au sein des sociétés occidentales. Toutes ces valeurs sont, pour les Chinois, confucéennes. Le livre examine ce discours chinois – et il s’interroge sur la supposée incompatibilité de la tradition politique chinoise avec le libéralisme démocratique moderne offert en exemple par l’Occident.

Une démocratie, c’est un système d’égalisation des conditions, l’absence d’une aristocratie de naissance ou de cooptation ; mais aussi une opinion publique en phase. Ce système réclame notamment l’État de droit, mais  avant tout un État central qui empêche les individus de dépendre d’une caste ou d’une clique. En Chine, l’État central joue clairement ce rôle, bien que le Parti – son bras armé – ait quelque chose d’une caste, même si les pratiques méritocratiques la renouvellent de génération en génération. L’instauration d’un État de droit ne crée pas de fait des pratiques démocratiques. Tocqueville l’avait bien montré, s’agissant de l’Amérique. Il faut que la société tout entière se saisisse de la souveraineté à la base, qu’elle se manifeste et s’exprime autrement que par les rituels de l’élection. Il faut qu’elle se crée en associations, qu’elle participe au pouvoir communal, qu’elle envoie des représentants à l’Exécutif provincial et national, qu’elle dispose d’une presse libre et critique, d’une justice indépendante… Si les formes de la démocratie existent en Chine, le Parti communiste reste le seul autorisé et le Pouvoir verrouille toute forme d’expression non autorisées. Seul le patriotisme lorsque l’étranger critique la Chine – voire le nationalisme lorsque les ethnies irrédentistes tentent de contester le pouvoir central han – jouent le rôle de ciment national. Mais les changements politiques en Chine depuis 35 ans se sont accompagnés de réformes juridiques et elles produisent des effets réels. Toute norme produit son champ autonome, comme chacun sait, et une conscience juridique apparaît chez les Chinois, selon les observations de Stéphanie Balme et des journalistes présents aux Jeux olympiques de 2008.

Selon Mireille Delmas-Marty, la globalisation du monde entraîne l’internationalisation du droit, ce qui crée des espaces virtuels sans frontières. Cela accentue la perplexité chinoise sur le fonctionnement « idéal » de la démocratie et de l’État de droit. La Chine est très attentive à ces dérives marquées par « l’impuissance » politique affichée de l’Union européenne, la « dépolitisation » égoïste des citoyens occidentaux, le pouvoir déstabilisateur des juges constitutionnels qui censurent la loi votée par le Parlement – pourtant représentant du peuple – et l’exigence de pouvoirs d’exception aux gouvernants dans la lutte contre le terrorisme global. Pourquoi donc, se demandent les Chinois, changer notre pouvoir autocratique qui fonctionne bien, si « la démocratie » occidentale, qui fonctionne assez mal, y vient d’elle-même ? Encore une fois, c’est notre exemple qui sert nos valeurs – pas les discours incantatoires de militants des droits de l’homme !

La pensée chinoise n’exclut en rien la notion de droit. Jérôme Bourgon va même jusqu’à faire du principe de légalité des délits et des peines, originalité du juriste occidental Beccaria, une possible invention chinoise ! Les lois rendues publiques, les sanctions clairement prévues, les décisions judiciaires contrôlées étaient assurés dans le système juridique chinois. Bien plus que sous l’Ancien Régime européen. Il existe cependant en Chine (comme ailleurs) un risque de déviance autoritaire, le renzhi (gouvernement par les hommes) opposé au fazhi (gouvernement par le droit). De plus, la tradition chinoise ne sépare pas plus les pouvoirs que nos rois. Les valeurs morales des dirigeants priment sur les lois votées, tout comme l’onction divine par le Sacre rendait le roi de France intermédiaire direct de Dieu, bien au-dessus des Parlements. Il y a donc un héritage mitigé, qui permet la démocratie tout en ne l’assurant pas. Pas plus que les États généraux de 1789 n’ont accouchés d’un coup de la Constitution de la Vème République…

La Chine n’est pas inapte à la démocratie. Pas plus que nous ne l’étions avant 1789. Elle suivra simplement sa tradition et ne tolère pas qu’on lui impose de l’extérieur. Pas plus que les Américains des États-Unis n’ont voulu du paternalisme colonial anglais jadis. La primauté du peuple par rapport au souverain existait explicitement dans les livres philosophiques chinois tels que Mencius et le Livre des Documents. Le peuple était le « fondement de la nation » (guoben ou bangben), « ce qu’il y a de plus précieux » (min wei gui). Il avait déjà le droit de se rebeller contre un souverain indigne. Selon Pierre-Etienne Will, il existait un certain contrôle légal des actes de l’État ou du souverain sous la dynastie Ming (1368-1644).

Yves Chevrier et Xiaohong Xiao-Planes regardent le « premier 20ème siècle » jusqu’en 1949. C’est l’échec des Cent Jours le 21 septembre 1898, l’échec de la démocratie parlementaire en 1913, l’échec du Mouvement du 4 mai 1919, la victoire de l’État autoritaire du Guomindang. Jusqu’à Mao qui se sert de « la démocratie » pour la « jeter après usage » ! La Révolution « Culturelle » lancée par lui, autocrate vieillissant, pour récupérer son pouvoir contre le parti, est jugée par les auteurs plus « fasciste » que démocratique. Ce qui fait que le modèle démocratique à l’occidentale réapparaît spontanément dans la jeunesse des années 1970. On réhabilite le droit contre l’anarchie, l’État contre le Parti et la légalité contre la violence arbitraire.

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Selon les dirigeants d’aujourd’hui, accrochés eux aussi à leur pouvoir, rien ne doit déstabiliser l’équilibre institutionnel. La Chine connaît trop de tensions dues à son développement accéléré pour que l’on joue avec le régime, comme Mao l’a fait. Plus jamais les coups de barre brutaux d’un Grand Timonier ! La « démocratie » formelle est jugée soit instrument maoïste dangereux, soit injonction coloniale inacceptable. L’arriération du peuple et de l’économie imposeraient pour le moment un système moins anarchique que la démocratie à l’occidentale : un despotisme éclairé fondé sur l’équilibre de couches sociales telles que les nouveaux capitalistes, les marchands cosmopolites, les paysans « sages », et des castes d’État telles le Parti et l’Armée. Selon Michel Bonnin, la théorie chinoise reste cependant déconnectée du fonctionnement réel du pays. Le Bureau politique n’est cité nulle part dans la Constitution chinoise. L’État est faible à cause du Parti qui l’investit totalement. « Le développement évident de la corruption, l’appropriation privée des biens de l’État par simple décision administrative, ainsi que la fracture entre les bénéficiaires des réformes et les laissés-pour-compte créent des risques d’éclatement que seule une réforme politique pourrait atténuer. » (p.515).

Urbanisation, éducation et développement se conjuguent pour faire des Chinois des citoyens moins passifs et plus éclairés. Ils jugent leurs dirigeants sur leurs résultats, comme on l’a vu durant le tremblement de terre du Sichuan. Le développement rapide crée de multiples tensions sociales et élève une conscience citoyenne nouvelle qui se manifeste par les actions juridiques, les réclamations aux autorités et les blogs. « La Chine est donc condamnée à se démocratiser », conclut Zhang Lun (p.517). Mais la transition démocratique devrait être progressive, « juste pour équilibrer les intérêts divergents de la société et du Parti en matière de participation et de contrôle » (p. 732). Cela prendra du temps mais sera clairement chinois. Pas de modèle « idéal » plaqué d’en haut, ni venu de l’extérieur.

Reste l’irrédentisme culturel tibétain. Mais c’est une autre histoire dont ce livre ne parle pas. Elle ne pourra être abordée sereinement que lorsque la détente démocratique arrivera dans la Chine han. Avant cela, toute velléité de contester Pékin aboutit aux raidissements que l’on constate dans tous les États centralisés : de la Russie de Poutine avec la Tchétchénie ou l’Ossétie à la France de Mitterrand-Chirac avec la Corse ou le pays Basque.

Mireille Delmas-Marty, Pierre-Etienne Will dir., La Chine et la démocratie, Fayard 2007, 893 pages, €34.68

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Autour de Tahiti

Rapa Nui est tentée par l’indépendance… comme Tahiti ! L’île menace de déclarer son indépendance vis-à-vis du Chili et de déposer un recours devant la Cour Internationale de justice de La Haye contre Santiago. Les Rapa Nui (1500 personnes sur les 5000 habitants) souhaitent freiner le tourisme de masse (65 000 visiteurs débarquent chaque année), contrôler l’immigration croissante des Chiliens venus du continent, obtenir des investissements dans la santé, l’éducation et le commerce. « Nous pourrions demander notre rattachement à la Polynésie, plus proche, puisque le Chili n’a pas rempli ses obligations ». Faudrait consulter Oscar Tane, spécialiste pour l’ONU.

Rapa-Nui film

Oscar Tane est en Amérique, à New York, à l’ONU, pour réclamer l’indépendance du peuple Maori et de son territoire. « Ce peuple qui se bat avec des lances de bois contre des armes à feu », qui réclame à cor et à cris l’indépendance mais – car il y a un mais ! – avec les gros sous de la France, cette puissance étrangère qui étouffe le peuple Maohi. Au fait le ministre popaa de l’outremer Victorin Lurel est arrivé le 20 janvier à Papeete et Oscar Tane n’est pas entré au fenua. Vous avez dit bizarre ? Non, c’est normal !

Victorin Lurel, ministre des Outremers n’a passé qu’une seule journée en Polynésie française, à cause du décès de sa mère. Mais le Père Noël a déposé plein de cadeaux en janvier ! Des milliards, des emplois d’avenir comme en France alors que le statut d’autonomie de Tahiti ne le permettrait pas, des contrats de projets, la défiscalisation, et même l’ouverture des robinets de 3 milliards pour le RSPF (Régime de solidarité de la P.F.). Un grand absent Temaru « parti à New-York pour rien ». Et le sénateur indépendantiste lui aussi en mission d’accompagnement auprès d’Oscar Temaru. Les élections territoriales sont fixées pour les 21 avril et 5 mai prochains. A quand le référendum pour l’indépendance ? Qui aurait peur de ce référendum ?

L’art de plumer les pigeons européens : c’est le Prosident  qui l’affirme, il faut que les Popa’a casquent et principalement les Farani : « la France nous doit ». Maintenant il existe des séminaires destinés aux maires et aux ministres pour apprendre comment mieux capter les financements de l’Union Européenne. Car si ici on est Maohi jusqu’au bout des ongles, il faut apprendre à drainer le maximum de pépètes avec des projets bidons  et là on peut espérer aussi le Nobel des mensonges !

makatea carte

Projet d’exploration des gisements de phosphate sur l’île Makatea. L’enquête d’utilité publique préalable à l’institution d’un titre minier vient à peine de commencer que déjà des querelles entre les partisans du projet et les opposants se font entendre ! Pour les uns on parle réhabilitation de l’île pour les autres, spoliation des terres. Qui croire quand on sait qu’en Polynésie le mensonge est sport national. L’extraction du phosphate s’est terminée en 1966, elle avait commencé en 1906,  plusieurs projets avancés mais aucun n’a abouti. Et le foncier en Polynésie… il y a 1200 personnes qui revendiquent à la source, certains regroupés en association. La compagnie australienne espère trouver des phosphates et si l’exploration du sous-sol se révélait propice ils l’exploiteraient. Si tout se passe comme prévu, le premier sac de phosphate serait chargé sur un cargo en janvier 2015. A suivre.

Hiata de Tahiti

[Vient de paraître chez Stock « L’homme qui voulut être roi » de Gérard Davet & Fabrice Lhomme, concernant Gaston Flosse et sa connivence avec Jacques Chirac, comme lui il aime « les femmes, les arts premiers, la boisson qui rend gai et la politique »…]

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Dans un siècle, 2113

Les prévisions sont d’autant plus difficiles qu’elles portent sur l’avenir, disait l’humoriste. Nous avons cependant quelques certitudes : dans cent ans, nous aurons tous disparus, nos enfants aussi, et nos petits-enfants connaîtront leurs dernières années. Le monde aura changé, comme il ne cesse de le faire, mais selon la pesanteur des forces présentes aujourd’hui. Une force va en effet toujours au bout de sa puissance. Voilà pour les certitudes.

Maintenant l’imagination. Ce sera le siècle de la troisième génération née de nous, l’équivalent des petits d’aujourd’hui pour un vieux qui a fait la guerre de 14. Ils vivront probablement plus longtemps, mais ce qui leur importera sera moins l’âge avancé (110 ou 120 ans) que rester lucide et valide jusqu’à l’extrémité. Le vieillissement ne sera pas éradiqué, mais peut-être atténué ; des prothèses miniatures issues des nanotechnologies pourraient y pallier. De nouvelles maladies seront apparues en raison du réchauffement planétaire sur des populations inadaptées. Quoiqu’il en soit, la démographie devrait s’être stabilisée vers 2030 déjà, le monde oscillant autour de 15 à 20 milliards d’habitants. Le développement économique plus égal, l’éducation mieux répandue notamment des femmes, et peut-être l’état de la planète, inciteront les humains à faire moins d’enfants. Peut-être y aura-t-il localement contrainte.

adolescence chemise blancheLes religions reculeront ; elles ne disparaîtront pas, mais leur messianisme assis sur la naïveté ne sera plus aussi fort. Les intérêts de pouvoir et d’argent apparaîtront bien plus pour ce qu’ils sont au travers du prétexte idéologique agité de la religion. Car les nouvelles technologies de la communication auront atteint un point irréversible. Plus personne ne sera épargné par les prothèses techniques qui vous brancheront en permanence. Et les migrations n’auront plus lieu d’être puisque la démographie sera stable et l’économie sans croissance. Ce qui produira selon toutes probabilités une humanité plus universelle, et en même temps plus localisée. Le monde sera la coque de tous, mais chacun vivra sur son petit territoire, entouré des siens et de sa communauté. Il n’y aura pas un gouvernement mondial mais de grandes fédérations de régions selon les pesanteurs d’aujourd’hui : la Chine (et le Japon ?), les Indes, l’Amérique du nord (avec le Mexique), l’Europe (avec la Russie mais peut-être sans la Turquie ni le Maghreb), un ensemble islamique proche-oriental, une Afrique noire.

Peut-être. Car les États-Unis seront nettement moins Blancs anglo-saxons protestants et beaucoup plus latinos et asiatiques. La Russie aura vu sa démographie s’effondrer, la ramenant à une population inférieure à celle de la France-Allemagne, moindre que celle de la Turquie. Elle aura dû abandonner l’orient sibérien aux Chinois, avides de ressources pour leur population immense (mais inférieure à celle des Indes). Ce pourquoi la Russie pourrait s’être rapprochée de l’Union européenne, offrant enfin à celle-ci son Far-East, réalisant enfin l’ambition constante depuis Charlemagne (en passant par Napoléon et Hitler) d’unifier la péninsule européenne de l’Atlantique à l’Oural. Mais pacifiquement cette fois, par les trends démographiques, économiques et géopolitiques. Ce qui pourrait repousser l’arc islamique, maintenu hors d’Europe par la volonté de ne pas noyer les pays du nord par la population trop nombreuse du sud. Ou peut-être pas, tout dépendra de l’évolution de l’intégrisme religieux durant le XXIème siècle.

Huntington carte des cultures religieuses

La Chine ne sera plus une menace pour les autres, elle aura trouvé son empire par simple étalement de puissance en tache d’huile. Sa population sera stable, ses ressources assurées par la Sibérie, elle ne voudra rien de plus. Les Indes en revanche, en pleine force durant le siècle, auront dépassé la Chine. Mais la culture du multiple ne rendra pas le pays agressif ; tout au plus ira-t-il tisser des liens étroits avec l’Afrique, juste de l’autre côté de l’océan indien, pour assurer ses ressources.

Mais le climat se sera réchauffé vraisemblablement de 5 à 7° en moyenne, changeant les saisons (plus de canicules en Europe, plus de cyclones en Amérique du nord, plus de sécheresse au Sahel), aggravant les pénuries d’eau au Maghreb et déréglant la mousson en Asie. Mais la route de l’océan Arctique sera ouverte aux bateaux, la mer restant libre de glace plusieurs mois par an. Cela devrait profiter aux économies du Canada et de la Russie, tandis que le transfert des ressources minières profiterait à l’Afrique du sud et à l’Australie. Tous ces pays sont déjà organisés et industrieux, ils devraient étaler cette puissance grâce aux nouvelles conditions.

Cependant, le pétrole aura été asséché, ne permettant plus cette énergie universelle bon marché qu’il est encore en 2013. Les savants n’auront toujours pas trouvé de substitut, l’énergie sera abondante, mais créée de multiples sources locales, liées au territoire : l’ensoleillement, le vent, la biomasse, le recyclage. Les capacités de stockage auront été améliorées, mais toucheront leur limite. Avec une société plus technologique et le renchérissement des coûts de déplacement, les gens devraient moins bouger. Les caprices d’un week-end à New York ou d’une semaine à Maurice devraient avoir disparus. Difficile de faire voler un avion à l’électricité, et le biocarburant coûtera cher en bilan carbone, réservant les airs aux pouvoirs publics et aux grandes entreprises.

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Les villes connaîtraient une désaffection au profit du rurbain, où les communautés offriront une existence plus paisible et des conditions plus saines de vie et de nourriture produite localement. Surtout que le temps de travail sera plus restreint, une grande partie des occupations auront lieu hors métier, dans la communauté locale. Le virtuel sera si développé que tous les fantasmes pourront se réaliser sans aucune conséquence dans le réel, sinon que les relations entre humains pourraient être plus libres. Mais sous l’œil des voisins, ce qui créera les limites inhérentes à toute société. Le couple nucléaire subsistera, mais ne devrait pas rester majoritaire, la recomposition des familles allant jusqu’à intégrer des membres non apparentés génétiquement, mais présents aux enfants et conjoints. Nous serons quelque part dans l’existence quotidienne du moyen-âge, la technologie en plus, tandis que la politique ressemblerait plus à l’empire romain.

ados en chaleurLe livre ne subsistera que comme les papyrus dans les musées, objet de folklore parfois retrouvé aux puces ou dans les greniers. On apprendra encore à lire, mais un livre tout entier nécessitera un trop gros effort, pour des histoires très datées au vocabulaire quasi incompréhensible. Car les langues auront évolué, intégrant un vocabulaire plus global, sans aucun souci des nuances d’orthographe et des subtilités de grammaire. Chacun en parlera au moins deux, le globish dérivé d’un anglais abâtardi et sa propre langue, bien changée. La communication aura remplacé le langage, la parole sera brève et efficace. Sauf pour la poésie, qui demeurera le chant des paroles, mais probablement moins écrite et plus associée aux sons, aux couleurs, aux parfums. Les fictions perdront le support papier pour passer dans le virtuel 4D, avec casque intégral qui immergera chacun dans un univers parallèle onirique. Écrire un roman sera un travail d’équipe, comme un film aujourd’hui, avec scénariste, réalisateur et techniciens. Les mots seront ornés de son, lumière, fragrances et saveurs, on s’y croira. L’histoire, d’ailleurs, sera interactive, chacun choisira son degré d’émotion au préalable, du plus noir au plus rose, avec possibilité de changer en cours de récit. Qui connaîtra encore Balzac ? Proust peut-être sera recyclé en remake avec parfums et désirs car il a toujours été un auteur ‘total’. Mais tout le monde aura oublié La Princesse de Clèves

Je pourrais en dire bien plus, mais ce ne seraient que possibles qui se réaliseront ou non. Et vous, posez-vous la question : comment voyez-vous le monde dans un siècle ?

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