Roman du confinement, moment qui met face à soi et à sa solitude lorsque l’on s’aperçoit que l’on n’est indispensable à personne ni au monde. Un financier débarqué de Lehman Brothers lors de la crise de 2008 a créé des fonds internationaux de finance durable grâce à un algorithme de choix des valeurs. Il se retrouve devant la Brigade financière…
Il déroule alors devant l’inspecteur du 36 – non plus quai des Orfèvres mais rue du Bastion dans le 17ème – le pourquoi des soupçons d’escroquerie dont il est l’objet. Il ressortira libre, faute de preuves, après une démonstration brillante d’escroquerie philanthropique pour les infirmières.
Durant son existence de bon élève des grandes écoles aspiré par les montages financiers de haute volée, il s’est laissé vivre, faisant partie de « la caste » comme disent les Italiens. L’effondrement du château de carte de la finance mathématisée à outrance en 2008, l’équivalent de la crise de 1929, lui a fait prendre conscience que la prédation sur les gens, sur l’économie et sur la planète faisait courir à la catastrophe. « Chaque automne, j’explique à mes étudiants de Science Po pourquoi la finance a fait fausse route, comment nous avons voulu éliminer l’émotion et l’intervention humaine de notre métier, comment nous avons érigé les modèles mathématiques et les programmes de trading en dieux suprêmes, et à quel point tout cela était une bêtise. Ils ouvrent de grands yeux étonnés » p.33. Il s’est converti, comme en religion, dans l’écologie à la mode. Il a fondé des fonds « durables » comme il en existe de plus en plus, voués à ne financer que les entreprises dont le projet est éthique, respectueux de l’environnement et contre l’obsolescence programmée.
Les crises du système ont lieu tous les sept ans. « 2001-2015. Un cycle se terminait. Le siècle avait débuté par une explosion de haine. Ce choc foudroyant avait engendré un sursaut collectif, sept années de croissances folles, de dérégulation financière et de guerre contre l’axe du Mal. Pour conjurer le mal, nous avions succombé aux sirènes de la croissance, à la fuite en avant de nos rêves, toujours plus d’objets connectés, de voitures, de voyages, de vêtements, et pour financer cela, toujours plus de dette » p.92.
Et puis le Covid a surgi. Un complot chinois comme le soupçonne l’un de ses adjoints, laissé seul lui aussi. Une interrogation métaphysique pour le dépressif PDG qui s’est mis en retrait de ses conférences, réunions, symposiums et autres présences « indispensables » qui ne le sont en fait pas du tout. « Depuis l’apparition du virus, les privilèges avaient été rétablis. En quelques semaines, notre société avait fait un bond en arrière de plusieurs siècles. Nous étions revenus à l’Ancien régime. L’aristocratie oiseuse s’était installée en télétravail sous des lambris parisiens ou dans le confort discret de riches demeures provinciales, alors que chaque matin, aux aurores, le Tiers-état était jeté dans les rues des villes désertées pour servir, nettoyer faire la police, ramasser les ordures » p.47. Qui est utile dans la société ? Le financier ou l’infirmière ? Le matheux qui joue avec les milliards abstraits ou la technicienne qui soigne au cas par cas ?
Même la finance convertie au vert, au durable, à l’écologique, « est un jeu, une comédie. Il y a des règles. Si vous les respectez, vous gagnez le droit à l’illusion d’avoir transformé les choses. Si vous ne les respectez pas, le jeu vous absorbe comme un sable mouvant » p.74. Les primaires, en retard d’un siècle, incriminent « le capitalisme » ; les plus primaires encore, qui ne comprennent pas et veulent à tout prix donner du sens en distordant toute vérité, croient au Complot mondial. Mais la réalité est pire : « J’ai pris conscience que le verrou ne se situait pas dans le capitalisme ou dans les marchés financiers, mais dans la cohésion sociale de la caste dirigeante. Il est difficile de lutter contre des hommes qui se croient détenteurs d’une légitimité naturelle » p.75. J’en témoigne : le capitalisme n’est qu’un outil d’efficacité économique, applicable au durable et à la préservation de la planète ; le complot n’est qu’une religion de ceux qui n’osent pas penser par eux-mêmes. La caste est toute-puissante – et il est difficile d’agir sans bain de sang : cela s’appelle une révolution…
« Nous ne sommes rien sans les autres. L’économie n’est qu’une coquille vide sans la santé de tous. Au bout du compte, mon intérêt, le vôtre aussi, c’est l’intérêt général » p.130. Depuis le message d’alarme de son contrôleur du système informatique, il invente l’arnaque sans parade et sans preuves, le détournement de quelques pourcents seulement des fonds déposés par les épargnants, mais pour le bien de toute l’humanité souffrante. Nous sommes tous solidaires est un slogan qu’il se contente d’appliquer selon son expertise. Ce n’est pas éthique mais peut-être moral ; le droit est contre lui mais pas le dieu. Peut-être. Le lecteur jugera… si sa propre épargne n’a pas été réduite.
L’auteur, qui dirige la filiale finance durable dans un groupe bancaire, tel un ancien président, ne devrait pas dire ça. Les clients pourraient perdre leur confiance, concept-clé de la finance. Le titre lui-même peut apparaître comme un brin narcissique, en subliminal bien-sûr.
Ecrit au galop, peut-être au dictaphone, ce roman ultra contemporain de la finance prédatrice confrontée à la pandémie remet les pendules à l’heure, rythmé par des paroles de chansons d’une culture plus populaire que classique. Il a de l’allant, il va de l’avant, il prépare les esprits au nouveau monde qui vient. Moins égoïste ?
Philippe Zaouati, Applaudissez-moi ! 2020, éditions Pippa, 133 pages, €15.00
Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com
George Sand, Les maîtres sonneurs
Nostalgie, quand tu nous tiens… Certains « adorent » ce livre car il parle des paysans de jadis, avant la Révolution, vers les années 1775. Le Berry de Sand est évoqué par une parisienne de la haute et cette bonne dame de Nohant se penche avec tendresse sur une part de son enfance et de ces éternels enfants que sont pour elle les simples. C’est à la fois ridicule et touchant.
Le parler berrichon, si fort vanté dans les salons pour dire « l’authentique », est un sabir reconstitué de Rabelais et de Montaigne avec quelques mots grapillés de patois, pas une étude ethnographique d’une langue locale. Les personnages principaux sont des héros beaux, grands, vigoureux, gentils au fond d’eux et pas des pécores avaricieux et jaloux de l’élévation du voisin. Même « l’ébervigé » Joset (l’étonné Joseph) à demi idiot mûrit à l’intelligence une fois adulte (mais c’est dans la réalité impossible) par la musique de cornemuse.
Le roman porte bien son nom : il enjolive d’illusion un imaginaire idéal qui n’est pas et n’a jamais été. Tiennet le simplet, Brulette la coquette, Charlot le poupon affectif issu d’amours clandestines amené par un Carmes, Huriel l’archange surgi des forêts, Thérence fille des forêts forte comme une nageuse est-allemande, le Grand bûcheux qui est père des deux derniers cités, sont autant d’archétypes de l’ami fraternel, de la femme de tête, de l’enfant page blanche, de la fiancée idéale et du pater familias généreux. Autrement dit des mythes. Ils ne sont, une fois de plus chez Sand, que des uniformes pour les sentiments préconçus, pas des êtres de chair et de sang. Et ça se sent.
Le roman est trop long, étiré sur trente et une « veillées » ; il est trop compliqué, soufflant sur chacun le chaud et le froid, les rendant peu sympathiques, voire même antipathiques. La belle Brulette n’est qu’une garce à jouer de sa belle mine pour faire tourner les têtes, même (et surtout) de ceux qui l’aiment d’enfance. Une image de George Sand elle-même ? Chacun commente à l’envi ses pensées et sentiments sans même avoir appris à lire, les décortique et se repend a posteriori en bon chrétien avant de s’enfoncer à nouveau dans l’erreur par ignorance. Puis se rengorge de sa vertu en jurant fraternité à ses proches comme si de rien n’était.
Le pauvre Joset en pâtira, gonflé d’orgueil d’avoir été trop aimé, puis de rancœur d’avoir été finalement délaissé. Tiennet mariera la Thérence et se fera forestier avant que le pater ne décide pour tout le monde qu’il vaut mieux cultiver la terre. Car l’opposition, un brin factice, du champ et de la forêt, du Berry et du Bourbonnais, des chanvreurs et des muletiers, est un ressort de l’action.
A l’inverse de La petite Fadette ou de François le Champi, de même inspiration rurale, je n’ai pas aimé Les maîtres sonneurs, cette reconstitution laborieuse d’une campagne idéalisée par une théâtreuse de salons parisiens qui produit du roman au kilomètre pour faire entrer l’argent.
George Sand, Les maîtres sonneurs, 1853, Folio Classiques 1979, 527 pages, €9.50 e-book Kindle €2.49
George Sand, Romans tome 2 (Lucrezia Floriani, Le château des désertes, Les maîtres sonneurs, Elle et lui, La ville noire, Laura, Nanon), Gallimard Pléiade, 1520 pages, €68.00
Les romans de George Sand chroniqués sur ce blog