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Dead Man de Jim Jarmusch

Un jeune homme qui n’a plus de famille, William Blake (Johnny Depp), part de Cleveland au sud du lac Érié pour aller au bout du chemin de fer de l’Ouest, symbole du rêve américain. Il se rend à la station terminus de Machine, ou une aciérie lui a envoyé une lettre d’embauche comme comptable. Les paysages se font de plus en plus arides, rocheux, morts, et des carcasses d’animaux et des crânes humains parsèment les environs de la voie. Des trappeurs fous tirent même du train sur des bisons qui passent, signe que le convoi quitte toute civilisation. Le train de l’Ouest remonte le temps, de la civilisation industrielle et cultivée à la sauvagerie des coureurs des bois où l’homme est un loup pour l’homme.

Le temps de régler ses affaires et de faire le voyage en train, deux mois ont passé. Ce pourquoi, lorsqu’il se présente, tout le monde s’esclaffe. Il insiste pour voir le patron, Mister Dickinson (Robert Mitchum), mais celui-ci le renvoie, impérieux et hautain. Dès lors, Blake est perdu dans cet Ouest sans règles, où un cow-boy se fait sucer dans la rue, pistolet à la main contre qui y verrait offense. Rejeté par la société normale, le jeune homme fait la connaissance d’une fille facile poussée dans la boue hors du saloon par un nomme éméché. Il la reconduit chez elle et elle couche avec lui. C’est à ce moment que surgit son ancien amant, qui regrette de s’être disputé avec elle et de l’avoir quittée. Elle lui dit qu’au fond elle ne l’a jamais aimé, ce pourquoi il sort un pistolet et tire, blessant William Blake mais surtout tuant la donzelle. Effrayé, réagissant par réflexe devant la mort en face, le jeune homme saisit le pistolet sous l’oreiller et riposte, ratant deux fois sa cible faute d’avoir ses lunettes sur le nez, avant de percer par chance son adversaire en plein cœur. Lui qui n’avait jamais touché une arme, il a tué pour la première fois.

Il s’enfuit très vite par la fenêtre à demi-habillé, vole le cheval pinto du fiancé, et s’enfonce dans le veld. Évanoui, il est réveillé par un Indien solitaire qui tente d’extraire la balle fichée dans son épaule gauche. Il lui apprend qu’il est métis de deux tribus différentes, donc d’aucune, ce pourquoi il s’appelle Personne (Nobody) ou ‘parle fort pour ne rien dire’ (Gary Farmer). Il a été enlevé enfant par des hommes blancs qui lui ont fait traverser l’Atlantique pour l’exhiber en Angleterre et en Europe, où il a eu l’astuce d’imiter les Blancs et de s’instruire. Adulte, il a retraversé la mer pour revenir chez lui. Les deux solitaires lient une certaine amitié, l’Indien initiant le Blanc à la vie sauvage et aux relations brutales de l’Ouest. Il le prend pour le peintre poète anglais pré-romantique qu’il a lu en Europe (1757-1827), citant même un poème : « Certains naissent pour le délice exquis, certains pour la nuit infinie » (Auguries of Innocence).

Pendant ce temps, le vieux Dickinson a mandaté trois tueurs chasseurs de primes pour se venger de celui qui a tué son fils et sa fiancée. Cole Wilson (Lance Henriksen), Conway Twill (Michael Wincott) et Johnny « The Kid » Pickett (Eugene Byrd) ont chacun une réputation redoutable, Cole ayant « baisé et tué ses parents – oui, les deux – avant de les faire cuire et de les manger » (dixit Conway), Conway ayant prouvé son professionnalisme de tueur à gage, tandis que l’adolescent noir Pickett « compte plus de tués à son actif qu’il n’a encore d’années » (dixit Dickinson). Mais les trois paraissent assez peu sûrs au vieux pour qu’il offre en plus une prime publique par affichage ; il veut (wanted) William Blake « dead or alive », mort ou vif. L’humour montre la prime qui augmente à mesure des morts, passant de 500 à 2000 $.

Tous les tués par balles vont dès lors être attribués à William Blake. Le jeune blanc-bec qui n’avait jamais touché un revolver jusqu’à sa rencontre avec Dickinson, a désormais la réputation d’un tueur sans pitié. Le film montre tout son humour noir, caricaturant l’Ouest mythique avec ses chasseurs de primes, ses affiches de recherche, les balles qui partent le plus souvent par accident, ou les gens qui s’entre-tuent en avant même d’avoir Blake au bout de leur fusil. Ce sont deux Marshall qui observent les traces plutôt que d’observer l’homme qui vient vers eux, les trois tueurs professionnels qui se mettent une balle dans la peau professionnellement par derrière, le dernier mangeant l’avant-dernier, selon sa réputation dans l’Ouest, ou trois homos qui veulent se farcir un « Philistin » comme il est soi-disant autorisé dans l’Ancien Testament, dont Iggy Pop déguisé en gouvernante. Il est vrai que la jeunesse imberbe et les longs cheveux de William Blake lui donnent un air féminin qui excite la sexualité des bravaches de l’Ouest réduits aux putes des saloons, lorsqu’ils sont en fonds, ce qui n’arrive pas souvent. Cole, le plus méchant des tueurs pro engagé par le patron de l’aciérie de Machine, va même jusqu’à singer le coït en détachant les syllabes de son nom : dick-in-son, autrement dit en anglais ‘bite en fils’, ou acte pédocriminel. C’est assez cocasse. L’Ouest révèle son lot de tarés, d’hallucinés, de psychopathes, bien loin de l’image d’Épinal qu’Hollywood en a faite.

L’errance se poursuit, comme un voyage sans retour, un chemin vers la mort. Car William Blake, pris pour le poète anglais par l’Indien faux savant qui l’accompagne, est un mort en sursis, a Dead Man. En prenant une autre balle dans l’épaule gauche, par derrière suivant le fameux courage de l’Ouest, il descend son adversaire à 30 m d’un seul coup de Winchester. Il a pris l’habitude. Son ami indien le hissera dans un canot qui descendre la rivière jusqu’au village de la tribu ou une cérémonie lui sera assurée, un enterrement à la viking. Le corps encore vivant mais pour peu de temps sera placé dans un canoë sur des branches de cèdre, poussé vers le large et la fin de toutes choses. Mais pas sans avoir encore tué deux fois sans toucher un fusil, Cole ayant enfin rattrapé les fuyards et tirant dans sa direction, tandis que l’Indien le descend et que lui riposte dans le même temps, ce qui fait deux morts de plus ajoutés à la réputation dans l’ouest du hors-la-loi William Blake.

Les riffs de guitare électrique de Neil Young font beaucoup pour l’atmosphère du film durant l’errance, cette lente élévation des esprits vers l’infini et l’éternité, l’accomplissement du destin de chacun. Un acteur envoûtant, une histoire étrange et l’ironie du sort, font de ce long film (plus de deux heures) un périple dans l’Ouest mythique en noir et blanc.

DVD Dead Man, Jim Jarmusch, 1995, avec Johnny Depp, Gary Farmer, Lance Henriksen, Michael Wincott, Robert Mitchum, BAC films 2008, 2h14, €11,90

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Edith Wharton, Vieux New York

En quatre longues nouvelles – de petits romans – Edith Wharton, née en 1862, croque à belles dents la société qui fut la sienne, le New York du XIXe siècle. Chaque nouvelle est dédiée à une décennie, de 1840 à 1870. Elles racontent toutes la même situation inférieure de la femme, considérée comme mineure et sous la domination pleine et entière du père, puis du mari, et la situation impériale de l’homme, macho, pater familias et protecteur obligé. Le portrait du vieux Raycie, dans L’aube mensongère (première nouvelle), est édifiant : « sa tyrannie tracassière à l’égard des femmes de sa famille ; son ignorance inconsciente mais totale de la plupart des réalités, livres, êtres, idées, qui remplissaient maintenant l’esprit de son fils et, par-dessus tout, l’arrogance et l’incompétence de ses jugements artistiques » p.45. Ce qu’on appelle depuis mai 68 un vieux con.

Ce ne sont pas seulement les filles qui sont sous la tutelle du père, mais les garçons aussi lorsqu’ils sont trop faibles. C’est le cas de Lewis qui, à 21 ans, est envoyé faire son Grand tour en Europe pour se mûrir rt se viriliser. Mais pas sans conditions : son père le charge de constituer une collection de tableaux de grands maîtres italiens pour frimer en société. Lui veut épater la galerie en constituant une galerie qui sera, pense-t-il, enviée par les autres familles aisées de New York, une manière de renforcer sa réputation et sa position sociale. Évidemment, le fils une fois émancipé de la tutelle de son père par le voyage et ses rencontres, choisira des œuvres à la mode plus moderne, et son père en sera épouvanté. Il le déshéritera, sauf des tableaux qu’il a rapportés… et qui (mais 50 ans plus tard) auront vu leur valeur multipliée par cent.

Au fond, tout est là : dans la position sociale. Il s’agit de tenir son rang, de conserver ses richesses, de respecter la tradition. Pour le rang, il ne faut pas déroger aux codes et convenances, non plus qu’aux opinions reconnues. D’où le goût très conventionnel de « l’art », qu’on exhibe non par plaisir ni connaissance du sujet, mais en fonction de ce qu’il vaut sur le marché, qui est fonction de ce qu’apprécie la « bonne » société. Tout le « nouveau monde » est croqué en une phrase, assassine : « Issus de la bourgeoisie anglaise, ils n’étaient pas venus dans les colonies mourir pour une foi, mais vivre pour un compte en banque » (La vieille fille) p.80.

On se marie donc entre soi pour éviter la déperdition des biens et des gènes, et l’on s’effraie de tout écart qui pourrait affecter la pureté maternelle. Non sans terreur de la nuit de noce pour ces oies blanches conservées ignorantes et pures jusqu’à 25 ans, âge limite de consommation maritale. On ne parle pas de « ces choses là », ce serait indécent, et même la mère répugne à les évoquer in extremis avec sa fille qui lui pose candidement des questions à la veille du jour fatal. Ce pourquoi la « vieille fille » est obligée de l’être après avoir « fauté » avec un amoureux et conservé l’enfant adultérin noyé dans un « orphelinat » de charité constitué à cet effet. Charlotte a heureusement en sa sœur Delia, légitimement mariée et mère de famille, une alliée qui va lui permettre de sauver la situation. Mais le dilemme est : garder sa petite fille ou épouser un riche parti. Le choix sera vite fait, mais un autre risque va surgir : révéler qu’elle est sa mère au risque du scandale social et de la rendre immariable, ou garder le silence et n’être considérée par la progéniture que comme une vieille tante maniaque, une « vieille fille ».

Si l’on prend son plaisir, il faut que cela reste secret. L’incendie de l’Hôtel de la Cinquième Avenue est l’accident qui révèle le pot aux roses, lorsqu’on voit sortir une jeune femme en robe simple qui n’aurait pas dû y être. Elle se remarque parce que toutes les autres sont en robes de bal en plein hiver, avec des chapeaux extravagants à la dernière mode de Paris, et pas elle. Des fenêtres d’en face, où une vieille famille à réputation regarde le spectacle des pompiers, cela se remarque. Lizzie Hazeldean, femme mariée à un avocat qui se meurt du cœur, est dès lors bannie de la « bonne » société. On ne fraie pas avec une putain, même de luxe, lorsqu’elle est surprise à donner rendez-vous à son amant. Lequel veut bien l’épouser après la mort du mari, mais s’aperçoit que Lizzie était intéressée et pas amoureuse de lui. Il finançait ce que son mari avocat ne pouvait plus produire, inapte à l’activité. Les femmes n’ayant pas de biens, ne pouvant gérer ni travailler, il faut bien user d’expédients, même s’ils sont réprouvés par la morale sociale.

Car la société biblique inoculée dans le nouveau monde fonctionnait sur le mythe de l’Éden où la femme ne fait rien, obéit à son mari, et à la morale de Dieu-le-Père, en bref « la jeune fille sans argent ou vocation, mise au monde apparemment dans le seul but de plaire et ne possédant aucun moyen de s’y maintenir par ses propres efforts. Seul le mariage pouvait empêcher une telle jeune fille de mourir de faim, à moins qu’elle ne rencontrât une vieille dame ayant besoin de quelqu’un pour sortir ses chiens et lui lire le journal paroissial » (Jour de l’An) p.289.

Une satire fouillée de son milieu huppé et conventionnel de l’entre-soi, qui n’a guère changé au fond dans la plupart des sociétés. Un délice psychologique.

Edith Wharton, Vieux New York – nouvelles (Old New York), 1924, Garnier-Flammarion 1993, 305 pages, €8,00

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Terminator 3 de Jonathan Mostow

Voici la suite de la série culte des films de termineurs, ces machines implacables et obtuses destinées à éliminer dans le passé tous les humains qui pourraient vouloir les éradiquer dans le futur. Vous suivez ? John Connor a 23 ans (Nick Stahl). Depuis la mort de sa mère d’une leucémie, il vit au jour le jour, de petits boulots, sans cesse en mouvement et sans compte bancaire, carte de crédit, téléphone mobile, ni adresse fixe – pour ne pas se faire repérer.

Il circule en moto pour aller plus vite, mais un daim le plante en bordure d’une forêt. Il rejoint lourdement en camion stop Los Angeles et son ancien quartier où il sait trouver des médicaments dans une clinique… vétérinaire. Un peu niais, l’ex-ado « élevé » par un terminator gentil. Car il va s’enfiler une poignée de pilules à stériliser les chiens.

Pendant ce temps, deux boules de métal surgissent du néant. L’une dans une vitrine de mode pour femme – et ce terminator évolué TX est une femme (féminisme oblige), un canon aux normes américaines, c’est-à-dire outrées (Kristanna Loken). L’autre terminator, plus néandertalien, le T850, est un homme, le nègre noir lui-même, Schwarzenegger en majesté musculeuse.

Ce troisième film ne joue pas dans la psychologie comme les deux premiers, mais dans les grands effets. Il reproduit sans vergogne les scènes cultes des films précédents : le terminator tout nu qui s’empare de vêtements de sa carrure, d’un véhicule qui lui correspond et d’une arme à sa taille (un riche tailleur cuir, une voiture de sport et un pistolet pour la femelle, un jean, tee-shirt noir et veste de cuir, pick-up V8 et fusil à pompe pour le mâle).

Et c’est parti ! La TX a pour mission de tuer une douzaine de futurs lieutenants de Connor, encore dans leur prime jeunesse. Ce qu’elle fait sans état d’âme puisqu’elle est une robote. Mais elle va vite dévier vers le plus croustillant, Connor lui-même, objectif numéro 1, qu’elle découvre par hasard dans le chenil de la clinique vétérinaire où la patronne qu’elle vise – qui n’est autre que Katherine une ex-petite amie du garçon (Claire Danes), l’a enfermé après lui avoir retiré son pistolet à billes, appelée à 4 h du matin pour un chata qui tousse. Un peu niais, l’ex-ado « élevé » par une mère maniaque des armes.

Heureusement, le terminator protector survient et empêche la maléfique de sévir. Il apprendra au jeune Connor, toujours largué, que c’est sa future femme, ex-petite amie de ses 13 ans, qui l’a reprogrammé pour le protéger dans le passé, après qu’il l’ait tué dans le futur (vous suivez ?).

L’intérêt filmique n’est pas là, mais dans les grands boums permanents, typiques de l’action vue par Hollywood, les poursuites spectaculaires en voiture, en moto, en camion, en engin de chantier, en corbillard, les fusillades interminables suivies d’explosions multiples – en bref du grand barouf populaire comme les Yankees adorent (ils croient que ça résout tout). Un camion grue va raser tous les poteaux d’une rue, un corbillard arrosé de balles qui ne touchent aucun passager à l’intérieur va raser son toit sous un camion pour déloger la TX qui attaquait le toit à la scie circulaire…

Une fois ce guignol assuré, place à l’histoire car il faut bien expliquer où l’on en est. Le général géniteur de la future femme de John est Robert Brewster (David Andrews), le père de Katherine Brewster, le maître de Skynet, un programme informatique de lancement de fusées de défense à têtes nucléaires. Skynet n’est pas encore relié au réseau, lequel plante à cause d’un « virus » impossible à éradiquer. Le chef d’état-major américain ordonne au général de relier Skynet à l’ensemble des réseaux civils et militaires pour assurer la Défense du pays, certain que Skynet balaiera le virus. Brewster hésite car il sait que Skynet contrôlera tout, sans plus aucune décision humaine. Mais ses supérieurs insistent, confiants, lui disant que lui Brewster contrôlera toujours Skynet…

Sauf que Skynet s’avérera « être » le virus, produit par les machines pour prendre le pouvoir sur l’humain. C’est donc de son geste fatal – la touche oui (Y) plutôt que la touche non (N) – que découleront les trois milliards de morts instantanés pulvérisés par les bombes H, et la vie souterraine en résistance durant des décennies contre les machines toute-puissantes qui s’auto-répliquent et apprennent en IA à devenir plus intelligentes.

Connor et son amie, aidés du terminator mâle, vont parvenir à la division Armes autonomes de la section des recherches cybernétiques de l’US Air Force (où ils entrent semble-t-il comme dans un moulin) et préviennent le général père qui, malheureusement, a déjà appuyé sur le bouton. Skynet prend aussitôt le pouvoir, la robote blonde à gros nichons sous cuir rouge le zigouille de quatre balles qui ne le tuent pas tout de suite, le temps de dire à sa fille où sont les codes et où ils doivent aller. Les robots militaires, stockés dans le centre de Défense, reprogrammé par la femelle machine du futur entrent en action et descendent tout le monde – sauf nos héros.

Lesquels vont parvenir en petit avion de tourisme à la base souterraine antinucléaire de Crystal Peak dans le Montana, où il vont pouvoir pénétrer in extremis en lisant le dossier de codes dans l’urgence, tandis que la robote les menace et que le terminator les protège encore un peu. Mais cette base n’est qu’une base de survie, elle n’est pas le centre de commandement qui permettrait de faire sauter les ordinateurs de Skynet… Car ce réseau Skynet s’est divisé en des milliers de terminaux informatiques dans le monde entier via le net, et ne peut ni être débranché, ni endommagé – il est toujours ailleurs. Ce pourquoi les Russes paranoïaques ont décidé de débrancher le réseau internet russe de celui du monde, voulant contrôler leurs propres missiles. Car le croyez-vous ? Skynet existe… et ce n’est pas une infox. Même Le Monde l’avoue (mais réserve la révélation à ses abonnés).

Il est 18h18 et c’est comme prévu le Jugement dernier (référence biblique obligée chez les Yankees). Voilà notre jeune couple improbable réuni, prêt à assurer la résistance de l’humanité et à faire des petits pour la perpétrer.

Bien inférieur aux premiers films, mais pas tourné par Cameron, ce tome 3 se laisse voir pour ses fusillades et poursuites, mais pas pour sa psychologie niveau zéro. La termineuse n’est qu’une poupée gonflable sans aucun intérêt, John Connor qu’un jeune imbécile et le terminator revenu de l’avenir qu’un pâle reflet du précédent modèle.

DVD Terminator 3 – le soulèvement des machines, Jonathan Mostow, 2003,avecArnold Schwarzenegger, Nick Stahl, Claire Danes, Kristanna Loken, David Andrews, Sony Pictures 2005, 1h45, €9,99, Blu-ray €16,73 (attention aux éditions Blu-ray, pas toujours doublées en français !)

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Herbert Lieberman, Le Maître de Frazé

L’auteur est connu pour ses romans policiers, dont le célèbre Nécropolis – la cité des morts, paru en 1976. Décédé il y a un an à 89 ans, en mai 2023, Herbert Lieberman était New-yorkais et possédé par toutes les hantises de l’Amérique des pionniers. Ce roman-ci met en scène une bande d’adolescents des deux sexes, frères et sœurs, élevés en cage dorée dans un vieux château français du XIIe siècle transporté pierre à pierre dans une île du nord-est des États-Unis et entouré de grandes forêts où vit une tribu de nains consanguins dégénérés aux mœurs primitives. Nous sommes entre le roman policier, la science-fiction et la fable philosophique.

Car il y a une intrigue policière : le meurtre du père, venu comme chaque année passer une semaine à interroger un à un ses enfants sans qu’ils le voient, pour se garder de toute émotion. Il ne veut juger que des résultats de l’éducation et de l’hygiène qui leur est imposée. Un policier est venu du continent, le colonel Porphyre, accompagné de quelques-uns de ses hommes. Qui a tué ? Chaque adolescent voulait le faire, mais qui l’a vraiment fait ? L’énigme se résoudra à la fin.

Mais pas sans un passage obligé par les autres thèmes du roman. Il est d’anticipation car il se situe vers les années 2070, bien longtemps après l’époque de son écriture ; là encore, le lecteur découvrira pourquoi vers la fin. Science car le père est un milliardaire excentrique (l’argent conduit à tout pouvoir, ou presque), qui a décidé de faire faire des recherches sur la longévité. Il a embauché pour cela un ancien médecin nazi (la grande mode aux États-Unis au début des années 1990), lui a installé un laboratoire secret dernier cri où il peut réaliser toutes es expériences sur les souris blanches, les rats de laboratoire, les chiens et les singes. Les années passent et les recherches sont prometteuses. D’où son application à l’humain.

Fiction car Jones, le père, teste la molécule, ça marche. Il décide alors d’une expérimentation à grande échelle dans des conditions soigneusement contrôlées depuis la naissance ; pour cela, il lui suffit d’engendrer ses propres enfants avec différentes femmes choisies sur plan, en fonction de paramètres génétiques, d’hygiène et de santé. Engrosser une femme par jour (comme Georges Simenon), lui permet assez vite de disposer d’un cheptel suffisant pour tester son protocole de longévité. D’où ce château fermé où les ados vivent en vase clos.

Des sept adolescents du château (il existe d’autres centres de par le monde), Jonathan est le narrateur. Il est le puîné derrière Cornélius, un peu retardé. Puis suivent Sofi, Ogden et Leander, Letitia, et la plus petite : Cassie. Les âges ne sont pas à très assurés car nul ne connaît sa date de naissance, ni ne fête son anniversaire, et il n’y a pas de miroir dans les pièces pour se regarder. Tout est soigneusement maîtrisé dans ce château, l’éducation classique littéraire, mathématique, musicale et sportive, le nombre de calories par repas, pas plus de 600, et la température extérieure fraîche qui garde les corps en légère hypothermie à 32° centigrades. Les fenêtres sont closes et les ados ne sortent jamais pour conserver une atmosphère contrôlée, comme en laboratoire. Ce sont les conditions les meilleures pour vivre le plus longtemps.

L’assassinat de Jones va briser cette routine et remettre en question l’expérience. Devant le colonel policier, Sophie avoue avoir transpercé d’une fléchette la gorge de son père qui dormait, après la soirée et le bal en son honneur. Puis c’est Jonathan qui avoue l’avoir d’abord étouffé avec un oreiller. Mais la cause de la mort n’est, selon le légiste, ni la plaie au cou, ni l’asphyxie… Tous sont perturbés par la disparition brusque de Leander, le plus joli et le plus gentil de la fratrie. Il est plus jeune que Jonathan et son frère préféré. En revanche, Ogden le défie sans cesse et le hait. La rumeur veut qu’une fois l’an l’un des enfants soit appelé ailleurs, après entretien avec le père. Cette année, c’est le tour de Leander, qui disparaît lors d’un tour de magie de l’oncle Toby. Ce dernier, frère cadet de Jones, assure avec le signor Parelli et Madame Lobkova, l’éducation des enfants et la bonne marche du château. Amateur de jeunesse, il couche volontiers avec ses nièces.

D’ailleurs, la sexualité est non seulement permise mais aussi encouragée chez les adolescents. Cassie vient rejoindre Jonathan la nuit dans son lit :« J’embrasse les seins de ma petite sœur, elle gémit doucement. Nous nous frottons l’un à l’autre, exactement comme nous l‘ont appris oncle Toby et Madame Lobkova au début de notre puberté – que Jones considère comme l’âge idéal pour commencer sa vie sexuelle. N’ayez de relations qu’avec les membres les plus proches de votre famille, ceux dont vous savez qu’ils n’ont pas de maladie. Ressentez de la joie, nous prêchait-t-il. Pas de la concupiscence. La concupiscence vous ravale au rang des bêtes » p.43. Une philosophie libérale de l’éducation contrôlée bien loin de Rousseau. Le sexe, la reproduction, tiennent d’ailleurs une grande part dans ce roman d’anticipation.

Leander est peut-être encore vivant et Cassie part à sa recherche, une porte de poterne étant mystérieusement ouverte alors que les issues restent toujours closes. Pourquoi ? Elle laisse un message à Jonathan, son grand-frère préféré, qui part à sa recherche en pleine nuit. La forêt est sombre et les huttes des Hommes des bois ne tardent pas à apparaître, avec de grands feux devant. Cassie est-elle prisonnière ? Jonathan n’a pas le temps d’en savoir plus, il est assommé et se retrouve nu, enchaîné, dans une hutte crasseuse où il est laissé dans boire ni manger durant une journée entière. 

Puis un groupe de jeunes des bois viennent le rosser avant que surgisse une femelle adulte qui les chasse, le nettoie, l’abreuve et le nourrit, avant de l’exciter et de le chevaucher sauvagement. Il jouit comme jamais, dans la crasse alentour et sous le corps difforme de la naine qui se tortille en un rythme savant. Il est alors rhabillé d’une simple tunique et emmené enchaîné vers un temple où on le place dans un cercueil, celui de Jones, et où il reste enfermé, couvercle vissé, une nuit complète. Au petit jour il en est extirpé, puis emmené devant la foule, où il est couronné roi. Sa seule fonction sera de baiser chaque nuit avec la Femme des bois pour l’engrosser et engendrer une espèce moins dégénérée. Il ne peut rien faire d’autre. Il revoit Leander et Cassie, prisonniers, mais ne peut les approcher. Leander est comme absent, terrifié par ce qui lui est arrivé. Lui qui devait être roi n’a pas supporté l’épreuve de l’enlèvement et du cercueil. Trop sensible, il est devenu fou et parqué avec les spécimens dans un baraquement de camp entouré de barbelés.

C’est le colonel Porphyre qui va délivrer Jonathan, Leander et Cassie, avant de les ramener à grand peine au château. Où les Hommes des bois ne tardent pas à les assiéger, tandis que les membres du personnel et les savants ont fui en emportant richesses, armes et nourriture. Porphyre attend des renforts du continent, mais le téléphone est coupé par les sauvages et le siège devient critique. Occasion pour les adolescents d’apprendre quel âge ils ont et à quoi leur existence a pu servir… La trame ne se dévoile en effet qu’à la fin, et tout ce que j’ai pu dire ci-dessus n’est qu’en guise d’apéritif.

Il y a quand même une incohérence logique due au temps qui passe. Les adolescents ne cessent d’apprendre et de s’exercer, durant des années. Mais on se demande à la fin pourquoi ils ont si peu retenu durant tout ce temps passé. Avec ce protocole d’éducation soigné, ils devraient être devenus des génies, ou du moins des garçons et des filles avisés et intelligents. Or il n’en est rien – paradoxe de l’intrigue… Leur développement mental ne semble pas suivre leur développement corporel.

Curieux roman inclassable que ce policier de science-fiction philosophique, quelque part entre Dix petits nègres (réédité sous le titre woke Ils étaient dix), L’île du docteur Moreau, La ferme des animaux, Sa majesté des mouches et Le monde perdu. Une puissance onirique rare en ce siècle de spécialisation étroite où les gens ne veulent plus sortir de leur case, ni les romans de leur nombrilisme ou de l’Hâmour convenu. A lire ou relire !

Herbert Lieberman, Le Maître de Frazé (Sandman, Sleep), 1993, Points Seuil 1995, 459 pages, occasion €1,97

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Mary Higgings Clark, Ce que vivent les roses

Kerry McGrath est procureuse et son mentor, le sénateur Jonathan Hoover, envisage pour elle de la faire nommer juge. Elle est divorcée et mère d’une fille de 10 ans, Robin. Son ex-mari, Bob, ancien procureur, est devenu avocat des malfrats, notamment d’un certain Jimmy Weeks, affairiste sans scrupule qui n’hésite pas à commanditer des gros bras pour intimider ou tuer.

Robin a eu un accident de voiture avec son papa, qui conduit trop brutalement, et elle n’avait pas attachée vraiment sa ceinture. Blessée au visage, elle est soumise aux soins du docteur Charles Smith, chirurgien esthétique réputé. Il la soigne, elle n’aura aucune séquelle, sa beauté sera préservée. C’est que le docteur Smith attache une importance vitale à la beauté ; elle est pour lui comme une porcelaine fragile qu’il faut préserver. D’ailleurs passe, au sortir de son cabinet, une stupéfiante belle jeune femme, refaite du visage. Kerry se dit qu’elle l’a déjà vue quelque part, mais où ?

Cela la turlupine, et elle finira par faire l’association d’idée avec un crime commis jadis, dont elle a condamné le coupable selon la justice, celui de Suzanne Reardon, épouse de Skip l’entrepreneur. Suzanne était magnifique vivante, mais horrible en cadavre avec les yeux exorbités et la langue pendante. Elle a été étranglée et une brassée de rose de la race Sweetheart répandue sur elle (d’où le titre en américain). La fille que Kerry a vue chez le docteur Smith ressemblait trait pour trait à Suzanne. D’ailleurs, elle ne tarde pas a à apprendre que la Suzanne assassinée était sa fille…

Elle se penche alors sur l’accusé Skip Reardon, désormais en prison, et qui en a pour trente ans. Est-ce vraiment lui le coupable ? Il jure que non, les jurés ont été d’un avis opposé, mais l’enquête a-t-elle été au bout ? Kerry va donc la reprendre sur son temps libre. Elle ne tarde pas à s’apercevoir que personne ne veut plus en entendre parler, ni son patron qui aspire au poste de gouverneur et voit d’un sale œil surgir le spectre d’une erreur judiciaire sous sa responsabilité, ni son mari Bob que son client malfrat presse de faire abandonner Kerry, ni son mentor le sénateur Hoover qui fait suspendre sa nomination comme juge, ni le docteur Smith qui commence à filer sa nouvelle réussite esthétique dans la rue.

D’ailleurs, Robin se fait poursuivre dans la rue par une voiture qui fonce sur elle après que son conducteur l’ait prise en photo… Il en faut plus pour impressionner la procureuse qui désire devenir juge. Elle prend toutes les précautions possibles pour sa fille et va de l’avant. Elle reprend les témoignages écartés, comme celui de la voisine en face de la maison du crime, qui a vu le soir une voiture noire arrêtée devant la maison. Et le petit garçon handicapé de 5 ans qu’elle gardait qui s’est exclamé : « c’est la voiture de grand-père », signifiant par là que c’était un vieux modèle. Aidée de Geoff, un avocat encore célibataire, devenu ami et qui se prend de béguin pour elle, et de son enquêteur Joe, elle va creuser l’affaire.

Et découvrir la vérité.

Le roman est bien ficelé mais les personnages surgissent à profusion, ce qui déroute au début. On se demande ce que viennent faire Grace, l’épouse du sénateur, Jason Arnott, le dandy richissime qui aime les belles choses, Haskell le comptable qui cherche à se dédouaner, et ainsi de suite. Les coupables potentiels du meurtre de Suzanne sont au moins quatre et le lecteur ne peut décider entre eux jusqu’à ce que cela s’éclaire sur la fin. Tous les fils se nouent pour un final imprévu. Un bon cru Clark des années 1990.

Mary Higgings Clark, Ce que vivent les roses (Let Me Call You Sweetheart), 1995, Livre de poche 1998, 316 pages, €7,90, e-book Kindle €7,49

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Les romans policiers de Mary Higgings Clark déjà chroniqués sur ce blog

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Aftermath d’Elliot Lester

Ce film intimiste et dépouillé recycle Arnold Schwarznegger comme on ne l’imaginait pas : en vieux papa brisé par un accident d’avion où sa femme, sa fille et le bébé à naître ont péri. Le scénario reprend la tragédie de la zone d’Überlingen en Allemagne arrivée réellement en Juillet 2002, où une erreur du contrôle aérien a fait entrer en collision deux avions, un de ligne et un cargo. Le film transpose les faits aux États-Unis et fait se crasher deux avions de ligne avec 271 victimes.

Roman Melnyk (Arnold Schwarzenegger) est un contremaître en bâtiment qui part attendre l’arrivée de sa femme Olena et de sa fille enceinte Nadiya par le vol AX112 en provenance de New York. A l’aéroport, le vol est « délayé » et, lorsqu’il se renseigne, on le conduit à part dans une salle vide, où on lui apprend que l’avion s’est crashé et qu’il n’y a aucun survivant. Son petit bouquet de fleurs à la main, Roman est anéanti. La guirlande souhaitant la bienvenue pour Noël dans sa maison l’avait averti : elle s’était détachée et pendait à terre.

Le vieux mari et père mettra des mois à se remettre, envisageant le suicide du haut du bâtiment en construction qu’il entreprend. Il cherche surtout à comprendre, à trouver un coupable. Ni la compagnie aérienne, avec ses avocats, ne lui présentent d’excuses publiques, personne ne regarde sa famille. Les gens ne sont que des numéros de dossier, pas des personnes. Les bâches sous lesquelles sont les cadavres récupérés au sol le montrent. Alors que Roman s’est engagé comme sauveteur volontaire pour retrouver sa fille morte ; il a tenu son corps sans vie dans ses bras, c’était une personne, pas un numéro. L’argent est censé compenser la perte affective, mais c’est dérisoire. Roman se promène avec la photo de sa femme et de sa fille, mais nul ne les regarde, c’est cela qui lui fait le plus mal. Il veut que chacun reconnaisse sa responsabilité et avoue, présentant ses excuses. Mais ce n’est plus la norme dans la société bureaucratique d’aujourd’hui.

Au fond, dans cette catastrophe que personne n’a voulue, chacun cherche à se défausser : c’est pas moi, c’est l’autre ; je n’ai commis aucune erreur, c’était un accident ; je ne suis pas coupable, c’est le système. Le contrôleur aérien était seul dans sa tour, en soirée. Son acolyte était parti « manger » et deux techniciens sont venus permuter le téléphone (donc le couper provisoirement) en pleine activité de la tour de contrôle. Jonglant entre le fameux téléphone pas réactivé et ses écouteurs de contrôle sur deux postes, Jacob Bonanos (Scoot McNairy) n’a rien vu de la collision proche. Ce n’est pas de sa faute mais c’est de sa faute. Juif, il se sent coupable des vies perdues, ses voisins ne lui font sentir en taguant sa maison de sigles « assassins, meurtrier » ; employé, il est recyclé dans une autre ville sous une autre identité avec un autre travail, après une confortable indemnité. Façon de dire que la compagnie reconnaît ses manquements et son peu de rigueur, et les masque sous la banalité du destin.

Outre les vies fauchées dans le crash aérien, ce sont deux couples qui sont aussi brisés par cette catastrophe. Aftermath est en anglais une seconde coupe, une séquelle. Roman n’a plus de famille, lui qui était venu d’Europe centrale avec le rêve américain en tête ; Jacob voit son couple exploser parce qu’il devient irritable et obstiné, servant des œufs pas cuits à son fils Samuel que pourtant il adore, et ne comprenant pas pourquoi son épouse veut les faire recuire – comme s’il était incompétent, comme dans son travail de contrôleur aérien.

Un an plus tard, tout serait-il apaisé ? Non pas, Roman cherche à retrouver Jacob et use pour cela d’une journaliste qui s’asseoit sur la déontologie en lui donnant le nouveau nom et la nouvelle adresse de l’ex-contrôleur. Un cancer que cette presse qui veut tout savoir sur tout et exige la vérité de chacun, au risque du pire. Car c’est bien le pire qui survient. Si l’hypocrisie et la poussière sous le tapis de la compagnie aérienne doit être dénoncé, la vérité sur le bouc émissaire commode aussi. Ni le mensonge, ni la vérité ne sont absolus – mais relatifs aux circonstances, aux nuances, à l’humain. Les médias comme les compagnies aériennes ne le veulent pas. Pas plus Jacob que la compagnie ne veut penser à lui, Roman, à sa famille et aux victimes. Lorsque Roman vient sonner à la porte de son appartement, après avoir hésité (il est déjà venu une fois et est parti sans attendre), Jacob se contente de crier que c’était un accident, refusant de voir la réalité en face : la photo de la femme et de la fille – enceinte. C’en est trop pour Roman, vous le découvrirez dans le film.

Dix ans plus tard le fils de Jacob, Samuel (Lewis Pullman), est jeune adulte. Il retrouve Roman mais n’applique pas la loi du talion, qui est celle de sa religion. Il laisse aller Roman avec sa peine et avec la séquelle de son acte qui lui a valu la prison. Il lui donne une leçon : la vengeance ne sert à rien, qu’à perpétrer le crime. Roman aurait dû agir comme lui au lieu de s’enfermer dans sa douleur.

Tout le film se passe en hiver ou dans des atmosphères froides, grises, anonymes, comme une tristesse sur le monde. L’aéroport est banal, la maison de Roman conventionnelle, le nouvel appartement de Jacob sans âme. La musique même de Mark Todd insiste de façon lancinante. Tout le début est en rodage, comme un moteur grippé par l’ampleur de la catastrophe. Ce n’est que lorsque les deux personnages sont présentés alternativement, Roman et Jacob, que l’histoire peut commencer.

Au total un petit film avec le grand Schwarzy, endormi dans l’intimisme et qui se révèle bon acteur.

DVD Aftermath, Elliot Lester, 2017, avec Arnold Schwarzenegger, Maggie Grace, Scoot McNairy, Kevin Zegers, Hannah Ware, Metropolitan Films et Video 2017, 1h31, €8,99 Blu-ray €14,99

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Libéral, libertin, libertaire, ultra-libéral, libertarien – Partie 2

Suite de notre note précédente, aujourd’hui Libertaire, ultra-libéral, libertarien.

LIBERTAIRE

L’État maintenu à distance. L’idéal se veut entre les petites communautés affectives et sexuelles à la Fourier et les soviets à la Bakounine. Mais la terre, c’est dur et les chèvres n’ont eu qu’un temps. Le plus gros des soixante-huitards a intégré le fonctionnariat « social », la poste ou l’enseignement. Ceux qui voulaient conserver leur jeunesse sont allés chez les « Verts ». Les autres ont goûté du trotskisme, gardant l’idéal sans le carcan. Certains, enfin, se sont intégrés à la société bourgeoise tout en affectant de la critiquer. Mariés, déclarés catholiques, vivant bien de leur plume et régentant le monde de l’édition, ils ont pris du libertaire la partie qui les intéresse le plus, ils sont « libertins ». Le sexe est toujours subversif, Gabriel Matzneff comme Philippe Sollers en ont été les plus représentatifs.

L’idéal libertaire subsiste en politique grâce à quelques philosophes qui restent dans leur tour d’ivoire sans jamais se mouiller dans un quelconque parti, comme Michel Onfray qui se dit volontiers disciple de Proudhon en économie, et girondin en organisation de l’État. Le jacobinisme (avec ses variantes bonapartiste, pétainiste, gaulliste, mitterrandienne, etc.) est pour lui l’Ancien régime d’aujourd’hui.

Tout pouvoir a tendance à l’hégémonie s’il n’est pas flanqué de contre-pouvoirs, Montesquieu l’a admirablement montré. Car l’État, même démocratique, « ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige; il force rarement d’agir, mais il s’oppose sans cesse à ce qu’on agisse; il ne détruit point, il empêche de naître; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n’être plus qu’un troupeau d’animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger. » Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique (1840). Tout comme le chat, le citoyen a le devoir d’esquiver cette contrainte d’autant plus dangereuse qu’elle est parfois « douce ». Qui ne voudrait être caressé dans le sens du poil ? Être materné sans avoir à chasser ?

ULTRA-LIBÉRAL

Quant au libéralisme « ultra », il est une invention polémique de la gauche française dans la suite du stalinisme triomphant des années 1950 et 60. Il s’agissait alors d’être absolument anti-américain et de dénigrer systématiquement tout ce qui pouvait être une valeur revendiquée par l’Amérique. Dont la liberté, surtout économique : la liberté de faire, d’entreprendre, de réussir. Seuls les États-Unis le permettent à plein, ce pourquoi tant d’immigrants se pressent à ses frontières – bien plus qu’à celles de la gauche redistributrice d’assistanat sans compter.

L’« ultra » libéralisme désigne aujourd’hui la loi de la jungle des pétroliers texans (Halliburton raflant les contrats de reconstruction de l’Irak), la politique républicaine de Georges W. Bush à Donald Trump (discours religieux fondamentaliste, politique en faveur de l’armée, diminution des impôts et des aides sociales, protection des grands groupes d’affaires, anti-immigration affirmée à cause de leur « sang » qui viendrait contaminer les « bons » Américains) et le nationalisme yankee appliqué à la planète hier sous le nom de globalisation, aujourd’hui sous le nom d’impérialisme (vous faites ce que je dis ou je vous coupe les crédits et je ne vous protège plus). Au fond, l’ultra-libéralisme est le libéralisme de l’« hyper » puissance, sauce républicaine yankee, pas le nôtre. Mais la gauche adore exagérer les termes pour en faire des caricatures, donc des boucs émissaires facile à épingler, ça fait bien dans les meetings.

LIBERTARIEN

Cet « ultra » libéralisme ressort plus du libertarianisme. Il s’agit de la mentalité du Pionnier, mythe agissant en Amérique comme le soldat de Valmy chez nous. Le Pionnier est seul et ne veut compter que sur lui-même. En cow-boy solitaire il n’a que sa bite, son Colt et sa Bible – autrement dit ses instincts de survie, ses armes actives et sa croyance morale. Le libertarien limite l’intrusion des autres à cette bulle. L’État est un ennemi, la société une gêne quand elle ne suit pas, les autres des rivaux à vaincre.

Ce courant vient de l’état de nature chez Hobbes, pour qui « l’homme est un loup pour l’homme », et qui ne consent à coopérer que par crainte de la mort et lorsqu’il y trouve son intérêt, sans que cela aille jamais plus loin. Le droit naturel est irréductible. Tout ce qui n’est pas interdit par la loi est permis, c’est le le « silence de la loi ». Mais les lois humaines sont limitées par le « droit naturel », c’est-à-dire par la liberté ou puissance de chacun. Alors chacun a le droit de désobéir et de résister par la force : c’est ce qui a motivé Trump et ses partisans lors de l’assaut contre le Capitole.

Aussi récuse-t-il toute assistance, gaspillage selon lui, affirme le droit de porter des armes et de dire tout ce qu’il pense sans aucune censure. Elon Musk et son réseau X sont dans ce cas, Donald Trump en est le représentant le plus égotiste, un individualisme radical et armé que défend la droite dure aux États-Unis – « ultra » droite dit la gauche. Le libertarien Tim Moen, candidat aux législatives canadiennes de 2014, avait un slogan qui résume tout : «Je veux que les couples gays mariés puissent défendre leurs plants de marijuana avec leurs fusils.»

Économiquement, il s’agit d’un anarcho-capitalisme où la concurrence est reine dans un libre-marché, le « deal » son arme, et le droit du plus fort sa valeur phare. Ron Paul, sous Reagan, a influencé le président. Javier Milei en Argentine, éduqué à la dure par un père violent, en est un partisan, brandissant sa tronçonneuse pour couper toutes les dépenses inutiles de l’État. Le désir individuel est tout-puissant, présenté comme un progrès pour tous, dans une indifférence absolue des gouvernements et des acquis sociaux collectifs. Car rien de ce qui est collectif n’est bon pour le libertarien. Esprit start-up, uberisation, autoentreprise, hunger games (combats à mort télévisés où des adolescents s’entretuent pour de divertir les dirigeants)  : voilà ce qui est préféré. Et que le meilleur gagne, tant pis pour les losers.

C’est un libéralisme de tout-puissant, plus mythifié que réalisé, tant les États-Unis se sentent en déclin et contestés de toutes parts (par la Chine, la Russie, les pays arabes, l’Afrique…). Rien d’étonnant à ce qu’ils se replient sur eux-mêmes et exacerbent leurs « valeurs » traditionnelles du « gros bâton » : celles du Pionnier libertarien.

Issu des travaux de Ludwig von Mises et Friedrich Hayek en économie, le libertarianisme est théorisé politiquement par Robert Nozick dans Anarchie, État et utopie, où il prône un État minimaliste. En France, Gaspard Koenig frôle cette approche en vilipendant les normes abusives, mais sans exclusive.

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Poltergeist de Tobe Hopper

Un film d’époque, dans les 100 Thrills américains, qui reprend les fantasmes de Steven Spielberg, son scénariste et producteur. Occupé par le tournage d’E .T., il a laissé à Tobe, le massacreur à la tronçonneuse, le soin de la réalisation.

Comme toujours, prenez une famille moyenne américaine, trois enfants, habitant une banlieue pavillonnaire en Californie, un père agent immobilier qui fait bien son travail, réussit et lit une biographie de Reagan le nouveau président républicain, en bref Monsieur et Madame Tout-le-monde avec enfants et chien. Ajoutez quelques épices, des incidents inexpliqués comme cette télévision allumée après la fin des programmes qui scintille et dans laquelle la benjamine de 5 ans entend des voix, ou ces chaises qui bougent toutes seules. Agitez bien en faisant monter la mayonnaise dramatique des événements – puis faites exploser en apothéose, en livrant une explication sinon rationnelle, du moins crédible. Et vous avez un thriller à grand succès à sa sortie (123 millions de dollars), qui fera des petits (Poltergeist 2, Poltergeist 3, novelisation – et même une série). Spielberg sait y faire.

Fatigué, Steven (Craig T Nelson) s’endort devant la sempiternelle télé américaine, dont il regarde les émissions jusqu’à la fin sans vraiment les voir, juste en bruit de fond. Sa fille cadette Carol-Anne (Heather O’Rourke) se réveille et descend l’escalier ; elle s’assoit devant la neige qui a envahi l’écran après l’hymne américain qui clôt les programmes. Elle voit des choses, entend des voix ; c’est une enfant, elle perçoit ce que les adultes ne perçoivent plus.

La nuit suivante, un orage gronde et éclate, les petits ont peur, ils se réfugient dans le grand lit des parents. Une fois de plus, la télé se termine et émet de la neige. Carol-Anne se remet devant l’écran et une apparition surgit, nuée fantomatique qui envahit la chambre ; toute la maison se met à trembler comme sous séisme. Et la petite fille déclare : « ils sont ici » (They’re Here – titre du film en américain). C’est qu’une tornade est passée sur la maison, laissant planer un doute.

Le lendemain, grand soleil, mais au petit-déjeuner, le verre du garçon de 9 ans Robbie (Oliver Robins) se brise plein, inondant sa grande sœur de 16 ans Dana (Dominique Dunne)  ; ce n’est pas de sa faute. De même, ses couverts sont tordus. C’est le chien qui fait le beau devant personne, comme si un être se tenait au-dessus de lui. Puis ce sont des chaises qui se déplacent, la table qui est desservie sans intervention de quiconque, les chaises qui s’empilent alors que la maîtresse de maison Diane (JoBeth Williams) exige qu’elles soient toujours rangées à leur place contre la table ronde.

La nuit est pire, les phobies de chacun se révèlent. Le vieil arbre taillé et tordu du jardin fait peur à Robbie, mignon années 1980 avec ses cheveux en casque et ses dents de lapin, mais son père minimise : il a toujours été là. Au lieu de tirer les rideaux ou de baisser les stores, il laisse la vitre directement sur la nuit américaine, selon la manie de ne jamais fermer les volets du style ‘on a rien à cacher’. L’arbre tend soudain ses branches au travers de la vitre et emporte le gamin terrorisé en pyjama. C’est le père qui va le sauver, grimpant au-dehors par le tronc, les deux chuteront dans la piscine en train d’être creusée et ressortiront couverts de boue (autre fantasme quasi sexuel de Spielberg). Pendant ce temps, Carol-Anne est aspirée dans le placard à jouets de la chambre d’enfant par une force maléfique ; sa mère ne la surveille même pas, croyant « la chambre » un sanctuaire de sécurité (autre fantasme américain, au point de créer désormais la « pièce sécurisée » de la maison dans ladite chambre).

La piscine, justement. On sait les maisons américains bâties de préfabriqué en cloisons comme du papier à cigarette sur une charpente de bois sans aucune fondation. Or la piscine doit être creusée, entamer la terre. Un lieu qu’occupait jadis un ancien cimetière et que le promoteur a eu pour presque rien pour cette raison. Il a dès lors engagé des vendeurs pour ses pavillons, et Steven est le meilleur d’entre eux, responsable de 42 % des ventes. Sa maison est la première construite et lui a été confiée pour habiter. Le sacrilège – mais il ne le savait pas – est de creuser pour déterrer les morts car son patron (James Karen) n’avait pas fait « déplacer le cimetière » mais seulement les pierres tombales.

Morts dérangés qui se vengent via la petite fille blonde craquante (un vrai rêve WASP américain – qui mourra à 12 ans de septicémie par la carence du système de santé américain). Elle représente pour eux la vitalité qu’ils ont perdue, selon une médium engagée pour « assainir » la maison. Car les parents s’empressent d’aller consulter des parapsychologues de l’université de Californie, les docteurs Lesh, Ryan et Marty, après s’être enquis auprès de leurs voisins s’ils avaient eux aussi connu des événements anormaux chez eux. Ils sont les seuls, et les savants apportent une débauche de matériel d’enregistrement pour étudier le phénomène. Spielberg s’en moque un peu, celui qui photographie à la va-vite (Martin Casella) a oublié de retirer le bouchons de l’objectif, celui chargé de surveiller les écrans (Richard Lawson) ne voit rien, n’entend rien, ne sait rien, lisant un magazine tout en ayant des écouteurs sur les oreilles.

Dana l’ado va chez son petit copain, Robbie le gamin est envoyé chez ses grands-parents. Les parents restent, persuadés que Carol-Anne est encore là ; ils l’entendent parfois lorsqu’elle est appelée, mais elle ne peut revenir. La médium Tangina (Zelda Rubinstein) est alors convoquée, une naine au chignon qui parle d’une voix de petite fille mais s’avère efficace. Elle met en place tout un processus avec balles écrites et corde, pour récupérer Carol-Anne, prisonnière des âmes perdues qui ne « sont pas entrées dans la lumière ». L’entrée vers l’autre dimension est dans le placard de la chambre des enfants où Carol-Ann a disparu, et la sortie au travers du plafond de la salle de séjour… Après bien des cris et des extrêmes émotionnels, Diane revient avec sa fille Carol-Anne, toutes deux engluées de matières organiques comme si elles sortaient d’un ventre maternel. Signe de leur renaissance.

Tout va bien, la maison est désormais « assainie », les âmes perdues ont trouvé le chemin. Mais la famille veut déménager, le père ne supporte pas les mensonges de son patron sur l’origine du terrain, ce qui l’a obligé lui-même à omettre ces faits aux clients à qui il a vendu les pavillons. Sauf que… le film n’est pas fini.

La dernière soirée avant le départ, le camion des effets personnels et des principaux meubles étant déjà parti, tout recommence. Steven va régler les derniers détails de son départ au bureau, Dana l’ado va dire adieu à son petit copain, Diane, Robbie et Carol-Anne restent seuls dans la maison. Diane couche les enfants, prend un bain, se délasse en sécurité. Croit-elle.

C’est alors l’apothéose. Ce ne sont plus les âmes perdues mais carrément la « Bête » qui entourloupe Diane en la faisant grimper au plafond (métaphore sexuelle) et tente d’enlever Robbie à l’aide du clown qui est sur la chaise en face du lit. Spielberg a toujours eu peur des clowns. Moi-même je ne les aime pas. Leur sourire idiot et leur maquillage forcé au nez rouge m’ont toujours parus tristes, leurs rires grinçants et menaçants, comme s’ils voulaient se venger des autres par leur ressentiment déguisé en blagues. Robbie en a une peur bleue, il voile la face de clown chaque soir avant de s’endormir. Mais celui-ci lui saute dessus, tente de l’étrangler avec ses bras souples de poupée (il a failli en vrai, les fils de marionnette étant mal réglés!). Le gamin, robuste, se défend en pyjama rouge à col ouvert comme une tenue de judo ; il maîtrise le gnome et le jette dans le placard. Lequel tente alors d’aspirer les enfants dans « l’autre » dimension. Diane les sauve en parvenant à prendre la main de son fils tandis que lui tient la main de sa sœur (fantasme de fraternité familiale typiquement américain).

Ils fuient la maison hantée mais Diane chute dans la boue de la piscine, où les cercueils remontent à la surface, crèvent la terre, libèrent leurs cadavres décomposés et grimaçants (de vrais squelettes humains, non crédités). Steven vient tout juste de revenir et tous se précipitent dans la voiture, en happant Dana au passage, que son petit copain motorisé vient de ramener. Plus une minute dans cette maison ! Laquelle d’ailleurs implose et se replie comme un château de cartes, emportée dans la nuit – la seule du lotissement – sous les yeux des voisins suspicieux.

Dans le motel où ils couchent durant le trajet vers leur nouvelle vie, Steven évacue le perpétuel téléviseur de la chambre sur le balcon…

Sous couvert de conte horrifique, le duo Spielberg/Hopper fait une satire de l’american way of life des années contentes d’elles-mêmes : la famille en banlieue, les enfants tous beaux et bien faits, le père qui travaille au mieux, le patron toujours véreux, les maisons en préfab, les frayeurs nocturnes des enfants en-dessous de 12 ans, la télé par laquelle le mal s’insinue dans la famille. Du grand art.

DVD Poltergeist (They’re Here !), Tobe Hopper, 1982, avec JoBeth Williams, Craig T. Nelson, Beatrice Straight, Dominique Dunne, Oliver Robins, Warner Home Video 2007, doublé français ou sous-titres, 1h54, €14,81, Blu-ray Universal Pictures €14,27

DVD Poltergeist 1, 2 et 3, Warner Bros 2020, anglais sous-titré français, 4h50, €19,95 Blu-ray €25,87

Pour les Poltergeist 2 et 3 doublés en français, voir les liens en début de texte.

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Brainstorm de Douglas Trumbull

Enregistrer les émotions, les partager, léguer une bande intégrale des âmes mortes… tel est le propos ambitieux de ce film de science-fiction du tout début des années 1980, époque où la science apparaissait comme un espoir et comme un danger. Espoir pour approfondir l’humain en l’homme, danger parce qu’elle tentait diablement les militaires.

Lilian Reynolds (Louise Fletcher) est une femme chercheuse toujours la clope au bec – manie de ces années-là. Elle décédera d’une crise cardiaque, emportée par son projet, en léguant à son chercheur associé Mike Brace (l’étrange Christopher Walken) l’enregistrement de sa mort effectué in extremis alors qu’elle est à l’agonie. Mais la Science exige le sacrifice ultime. Tous deux ont expérimenté un casque qui absorbe et restitue les sensations d’un corps et d’un cerveau. On peut ainsi lire dans l’âme humaine, bien mieux que les psy, ou piloter à distance un aéronef. Mais aussi, ce qui est plus dangereux, se repasser en boucle un orgasme jusqu’à épuisement ou diffuser à ses proches des traumatismes enfouis. Car la science reste un outil, elle est comme la langue d’Esope la meilleure ET la pire des choses – à la fois, selon son usage.

C’est ainsi que le couple de Mike et de Karen (Natalie Wood), lassé d’une douzaine d’années de mariage, peut se ressourcer lorsque Mike revit les émotions enfouies toujours intactes de son amour premier. Le gamin issu du couple, Chris (Jason Lively), un ado de 12 ans toujours en slip et curieux de ce que fait son père, n’est qu’un accessoire, « innocent » selon l’imagerie d’Hollywood. Le chercheur s’occupe peu de lui et le rattrape in extremis lorsqu’il coiffe le casque aux émotions et qu’il en reçoit un choc psychotique qui le mènera à l’hôpital.

Le film est assez peu explicite sur les recherches et sur ses buts, préférant les effets spéciaux, ce qui le rend touffu. La romance du couple compense l’obsession de la chercheuse tandis que les dangers sont démontrés par plusieurs expériences de choc émotionnel. Mais l’humanisme prévaut. Mike, après le décès au travail de sa chef et partenaire Lilian, va visionner en entier sa bande et pénétrer son âme morte. Même si les captations sont espionnées par les militaires qui cherchent à faire de cette découverte une arme pour laver le cerveau ou piloter de futurs drones plutôt qu’un soin psychique, Mike monte tout un scénario pour déjouer les codes auxquels il n’a plus accès, la surveillance de son chef de centre qui l’a viré et a mis sous coffre la bande.

C’est là que l’ironie apparaît, dans le centre de recherche où les robots affolés par les instructions pirates de Mike déglinguent leur atelier, menacent les gardiens comme des bandits humains, protègent la bande qui tourne alors que Mike la pirate. Car la Science peut tout, y compris contrer ceux qui s’insurgent contre elle ou veulent la faire servir à de mauvais desseins.

Au total, un film assez bizarre aujourd’hui, aux effets spéciaux vieillis, mais qui incite comme toujours à la réflexion. Natalie Wood s’est noyée inexplicablement durant le tournage, sans rapport apparent avec le film, mais cela a contribué à son aura sulfureuse.

Grand prix du Festival international du film fantastique d’Avoriaz 1984 pour le réalisateur.

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DVD Brainstorm, Douglas Trumbull, 1983, avec Christopher Walken, Natalie Wood, Louise Fletcher, Warner archives 2016, €29,20 Blu-Ray €29,20

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Ken Follett, Pour rien au monde

Personne n’a vraiment voulu la Première guerre mondiale, écrit l’auteur en préambule ; et pourtant, l’enchaînement des causes l’a fait advenir. Et si, en 2024, nous revivions la même chose ? Poutine sera vexé, mais Ken Follet ignore carrément la Russie, un pays marginal dans la géopolitique des forces réelles d’aujourd’hui. Le rival systémique est la Chine, qui manipule l’Occident et est manipulée par ses « alliés » de circonstance, le tyran psychopathe de la Corée du nord et l’éternel général au pouvoir au Tchad – sans parler de ces « djihadistes » qui sont surtout des trafiquants de droit commun.

L’auteur part de la lutte antidrogue et antidjihadiste (c’est la même chose) dans le désert du Sahara. Deux agents secrets, français et américain, pistent des terroristes tandis que la CIA surveille. Abdul, américain d’origine libanaise se fait passer pour un immigrant cherchant à gagner l’Europe via des passeurs – qui sont les djihadistes et passeurs de drogue. Tout en pistant la came, piégée par une puce au Brésil, il protège une jeune veuve des bords asséchés du lac Tchad dont le mari a été tué par les djihadistes, et son enfant de deux ans. En suivant la piste des ballots, il va découvrir un camp caché d’exploitation aurifère, un trafic d’êtres humains, une cache d’armes de gros calibre et « le » terroriste du Sahel le plus recherché. Bien documenté, l’auteur montre les liens multiples qui relient la manipulation géopolitique au trafic de drogue, d’armes et d’êtres humains, sous le prétexte religieux du djihad.

Mais tout part en quenouille : le général tchadien vaniteux veut se venger d’un tir djihadiste sur le pont frontière du Tchad avec le Soudan et bombarde un chantier de construction chinois dans ce pays, en tuant une centaine de Chinois, dont les deux enfants jumeaux de 10 ans de l’architecte. Il a pour cela piqué un drone américain soi-disant « perdu ». Pékin s’émeut, riposte par le meurtre de deux Américains, géologues dans un bateau de prospection pétrolière vietnamien dans les eaux territoriales de ce dernier pays, mais revendiquées par la Chine. La présidente américaine républicaine tente d’apaiser les tensions par la diplomatie, mais l’exaspération des uns et des autres, la montée aux extrêmes des populistes dans chaque pays, les désirs belliqueux des communistes réactionnaires comme des républicains obscurantistes, vont faire déraper la situation.

L’apocalypse viendra de la Corée du nord, en faillite perpétuelle et au bord de la famine. Des généraux se révoltent contre le guide psychopathe et tiennent des bases de missiles nucléaires. La Chine ne veut pas intervenir, bien qu’elle ait fermement déclaré au tyran de la Corée du nord que toute utilisation d’armes chimiques ou biologiques terminerait à jamais toute aide de la Chine à son pouvoir. Le satrape taré s’en fout et en use, la Chine ne réagit pas comme elle l’avait dit. Les États-Unis se posent la question de la riposte – jusqu’à ce que la Corée du sud, alliée des États-Unis mais avide de réunification sous l’égide de sa présidente, décide d’attaquer le nord. Les rebelles balancent un missile à tête nucléaire sur Séoul… C’est le début d’une escalade – fatale. La Chine riposte, les États-Unis sont liés… le Machin (l’ONU) ne fait rien, l’Europe criaille mais se terre – vous imaginez la suite.

Dans chaque pays des gens raisonnables tentent de négocier, de régler par la diplomatie les rodomontades des machos. Ainsi en Chine un « petit pince » rouge, fils de compagnon de Mao, qui lutte contre les vieux vrais faux-cons. Ou aux États-Unis la présidente raisonnable contre les piques et les affirmations gratuites du matamore trumpiste qui brigue la présidence à sa place. Les préjugés et la propagande empêchent de raisonner juste.

L’auteur rend compte implacablement du jeu des escalades, des manœuvres complexes et de l’engrenage des alliances, mais il assaisonne de façon un peu trop facile ce thriller d’espionnage par des romances mièvres entre chacun des protagonistes : Abdul le libano-américain désire la veuve tchadienne Kiah, l’arabe français de la DGSE Tab désire la juive de Chicago de la CIA Tamara, le petit prince rouge Chang Kai sous-directeur de l’espionnage chinois désire sa star de feuilleton d’épouse, la présidente des États-Unis Pauline Green désire son conseiller à la Maison-Blanche noir Gus… On sent le procédé, la facilité convenue usée de la série télé, le politiquement correct avec son métissage obligé, « naturellement ». Ce qui gâche le plaisir de l’analyse.

Ce thriller se lit bien mais ses ficelles sont bien grosses. S’il a le mérite de montrer la complexité des liens entre pays et de démonter les idéologies et religions qui masquent les gros intérêts égoïstes des uns et des autres, la montée aux extrêmes est caricaturale. La présidente américaine se laisse entraîner « naturellement » vers la trique, « à cause » d’un connard populiste à la Trump qui menace sa réélection ; en Chine se rejoue le ballet des faucons et des colombes déjà usé à propos de l’URSS – et dont on a vu qu’il déguisait surtout l’absence d’analyse stratégique.

Les jeunes chinois sont plus nationalistes que les vieux, restés méfiants, donc prudents. Dézinguer d’un missile américain un porte-avion chinois en représailles à trente militaires japonais pulvérisés sur un îlot contesté est peu crédible : envoyer une frégate pour les déloger et les faire prisonniers serait plus réaliste ; balancer une torpille sur le gouvernail du mastodonte aussi – pas besoin de grimper aux rideaux nucléaires pour cela ! On sent que l’auteur était pressé de conclure.

Malgré l’intérêt d’actualité du thriller, ce sont les limites réalistes du sujet, trop vite et trop mal traité, sans même fouiller un peu les personnalités.

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Ken Follett, Pour rien au monde (Never), 2021, Livre de poche 2023, 924 pages, €11,90, e-book Kindle €11,99

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Tony Hillerman, Le peuple de l’ombre

Tony Hillerman, décédé à 83 ans en 2008, était fils de descendants allemand et anglais, mais il est né en Oklahoma et s’est intéressé en anthropologue journaliste aux Indiens Navajos et Hopi. Il invente en 1980 le personnage de Jimmy Chee, Navajo élevé à l’université des Blancs mais qui n’oublie pas ses racines car son univers indien crée harmonie et beauté. Bien loin de celui des Blancs, prédateurs et violents.

Chee est membre de la police des réserves et envisage d’intégrer le FBI, dont il a passé les épreuves avec succès. « Ce premier pas consistait, pour Jimmy Chee, à étudier l’homme blanc et ses coutumes. Lorsqu’il serait parvenu à comprendre le monde de l’homme blanc, ce monde où se mouvait son Peuple, il pourrait prendre une décision. S’incorporerait-il au monde de l’homme blanc ou resterait-il un Navajo ? » Pour cette affaire policière, il est contacté par Madame Vines, épouse d’un riche ex-prospecteur de la région, pour retrouver un coffret volé, alors que son mari est à l’hôpital. Elle sait qui a fait le coup, un Indien du Peuple de l’ombre, membre de l’église américaine dit du peyotl car elle use des pouvoirs hallucinogènes de ce petit cactus contenant de la mescaline pour avoir des visions.

Justement, il y a trente ans, une vision du grand prêtre a écarté du puits de mine en cours de forage pour y trouver du pétrole six Navajos. Le puits a explosé, tuant tous les employés à proximité, y compris le géologue. On n’a retrouvé que de rares restes humains tant le souffle a été puissant. B.J. Vines et arrivé deux ans plus tard et a racheté le terrain délaissé, prospectant pour son propre compte. Il y a trouvé de la pechblende, autrement dit du minerais d’uranium hautement radioactif, qui a fait sa fortune. Il a revendu sa mine et jouit d’une immense richesse, mais ne parle jamais de son enfance ni de sa jeunesse. Il garde dans une cassette déposée dans un coffre de son bureau, derrière la tête empaillée d’un tigre qu’il a tué, diverses babioles souvenirs. Il a été un grand chasseur et des trophées sont exposés un peu partout dans sa maison.

Jimmy Chee découvre vite qui a volé le coffret, malgré les bâtons dans les roues mises par le shériff de l’État Sena, dont le grand frère a été tué lors de l’explosion, et qui garde jalousement toutes les informations sur cette enquête qui n’a jamais abouti. Le « sorcier » navajo du peyotl est mort d’un cancer, son fils aussi, et son petit-fils se meurt également. Très vite, son cadavre est volé à l’hôpital, ainsi que ses effets. Pourquoi ? A quelles fins ? Chee enquête, usant de la langue navajo autant que de l’anglais pour interroger vieilles femmes et jeunes garçons et remonter la piste de qui sait quoi. Il rencontre Mary, une Blanche et blonde anglo à une vente de charité et l’adjoint à son enquête. Ils prospectent la presse, se font tirer dessus.

Car un mystérieux tueur qui ne laisse aucune trace élimine des gêneurs sur commande anonyme depuis plusieurs années dans divers États sans que le FBI puisse lui mettre la main dessus. Il va croiser involontairement la route de Jimmy Chee…

Un bon roman policier ethnologique qui change des rodomontades et du machisme habituel des Yankees avec leur lot de défouraillement à tout va et d’explosions spectaculaires. Ici, c’est plus la relation humaine et l’usage des petites cellules grises qui importe.

Tony Hillerman, Le peuple de l’ombre, 1980, Folio 2015, 272 pages, €9,40

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Stephen King, Marche ou crève

Cent garçons concurrents entre 12 et 18 ans au départ, une longue marche, un seul à l’arrivée – pour les autres une balle dans la tête. Nous ne sommes pas dans le roman policier ni vraiment dans la « science » fiction, mais plutôt dans la sociologie fiction : celle d’une société américaine qui pousse jusqu’au bout son tropisme à la compétition. Chacun est Pionnier, libertarien à mort, jusqu’à vouloir gagner aux dépends des autres. Même si l’auteur situe l’histoire dans un univers parallèle où par exemple un soldat « a pris d’assaut une base nucléaire allemande » – qui ne saurait avoir existé en 1979.

Ray Garraty a 16 ans et a décidé de participer à la Longue marche annuelle du 1er mai. Pourquoi ? C’est assez mystérieux, il ne le sait pas vraiment lui-même, et la Marche révélera peut-être un désir inconscient de mort. « C’était un grand garçon bien charpenté », le champion du Maine encore au lycée. Les adolescents sont tirés au sort et doivent postuler, sachant qu’il ont une chance sur cent d’en sortir vivants… Tout le sel du roman est dans cette contradiction qui fascine et répugne à la fois, le modèle de la société totalitaire à l’américaine que les émissions de télé-réalité à la Boccolini (Le maillon faible) vont populariser en France dans les années 2000 avec comme slogan : « vous êtes viré ! ». Les garçons candidats sont soumis à des épreuves physiques et mentales par le Commandant, « un sociopathe entretenu par la société », avant de se voir attribuer un numéro, et ont jusqu’à une certaine date pour, s’ils sont choisis, renoncer.

Mais comment renoncer ? Tout est mis en œuvre pour que la pression sociale les force à aller jusqu’au bout. C’est moins le Prix au vainqueur, la toute-puissance offerte par la société américaine devenue totalitaire, que l’orgueil mâle ; les mamans en larmes n’y peuvent rien. Celle de Percy, un peu moins de 14 ans, en deviendra hystérique mais le gamin sera « ticketé » (tué après trois avertissements). Ils sont adolescents, donc épris d’absolu, en quête d’identité, avides de se prouver qu’ils sont des hommes. Le Commandant, qui dirige la Marche, est pour eux un modèle. Avec ses lunettes miroir, il n’est rien, il ne fait que renvoyer leur image à ceux qui le regardent. Ils se voient sous son uniforme, avec sa prestance et ses galons. Il est le Pouvoir, ils veulent devenir comme lui.

Quelques trois cents cinquante pages, quatre jours et quatre nuits, cinq cents kilomètres plus tard, le numéro 47 Ray Garraty reste le seul. Non sans douleur, mais la souffrance est formatrice (masochisme très chrétien) ; non sans avoir perdu tous les amis qu’il s’est fait durant ces longues heures passée à mettre un pied devant l’autre à au moins 6,5 km/h (contrôlé au radar par les soldats armés qui les suivent), soumis aux avertissements dès qu’il ralentit plus de 30 secondes (par exemple pour chier) ou sort de la route (lorsqu’il dort debout) – le troisième avertissement étant le dernier avant la balle fatale : il n’y a pas de quatrième avertissement. Mais tout avertissement est effacé au bout d’une heure de bonne tenue. Il faut donc flirter avec la mort pour tenir malgré ampoules, crampes, diarrhée, insolation, pneumonie, chute, perte de connaissance, panique… Le claquement des fusils qui éliminent un à un ceux qui flanchent rythme les heures.

Le pire ? C’est la Foule. Compacte, vociférante, hystérique, malsaine. La foule acclame les marcheurs mais adore voir tuer un faible, sa cervelle éclatée sur la route, son jeune corps ensanglanté, ses vêtements déchirés. La foule est inhumaine, cruelle, elle est la Société dans son égoïsme passionné – l’essence des États-Unis pionniers et libertariens. A l’inverse, les concurrents deviennent pour certains des amis, des êtres que l’effort en commun vers le même but rapprochent. McVries est le plus proche de Ray, ils se sauvent mutuellement de l’élimination. Il est même sensuellement attiré par lui car les garçons s’observent entre eux, se mesurent, leur désir est mimétique comme dirait René Girard. La sexualité, en cette fin des années soixante-dix, s’est libérée des conventions et préjugés, elle se fait naïve, directe. Scramm, l’un des concurrents, 15 ans, est marié et sa femme attend un petit – il mourra, victime de pneumonie et « tué » d’une balle après sa mort. Ray a une petite amie, Jan, qui ne voulait pas qu’il fasse la Marche et a même proposé de coucher tout de suite avec lui s’il renonçait. Mais ce serait renoncer à sa virilité sociale, et Ray n’a pas voulu. Il reste puceau, comme McVries, qui ne le désire qu’en paroles.

La sexualité est le désir de vie, la négation du désir de mort qui a saisi les adolescents au moment de leur inscription. C’est probablement ainsi qu’il faut comprendre la dernière scène où Garraty se retrouve seul avec un concurrent, Stebbins, jusqu’ici marcheur automatique car fils naturel du Commandant, mais qui s’est épuisé. « Stebbins se retourna et le regarda avec des yeux immenses, noyés, qui ne virent d’bord rien. Mais au bout d’un moment il le reconnut et tendit la main pour ouvrir, puis arracher la chemise de Garraty. La foule protesta à grands cris mais seul Garatty était assez près pour voir l’horreur dans les yeux de Stebbins, l’horreur, les ténèbres ; et seul Garatty savait que le geste de Stebbins était un dernier appel au secours. » Désir sexuel de voir sa poitrine nue, désir de vie. Stebbins tombe, il meurt. Garraty a gagné mais il délire, il croit être encore en lice avec une ombre, il poursuit…

Un grand premier roman écrit en 1966 d’un auteur de 19 ans qui allait s’imposer comme un grand de l’anticipation dystopique. Refusé une première fois, le roman est publié en 1979 sous le pseudonyme de Richard Bachman.

Stephen King (Richard Bachman), Marche ou crève (The Long Walk), 1979, Livre de poche 2004, 384 pages, €8,90, e-book Kindle €7,49 (mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

Stephen King déjà chroniqué sur ce blog

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Blow out de Brian de Palma

Tout commence comme un film porno de série Z où l’on voit des étudiants à poil baiser, se caresser ou danser seins nus au rez-de-chaussée de leurs chambres sans rideaux, le soir, lumières allumées, tandis qu’un psychopathe au couteau levé, comme le vampire Nosferatu de Murnau, vient les zyeuter avant d’entrer dans le bâtiment et de viser les douches où une fille nue est en train de se laver. Lorsqu’elle voit le couteau, elle pousse un cri comme dans Psychose, mais ce n’est qu’un miaulement de souris. Le spectateur découvre alors qu’il est dans un abyme, un film dans un film. Le réalisateur de série Z (Peter Boyden) se tourne vers son preneur de son et lui dit qu’il faudra trouver un meilleur cri et le doubler au montage.

Nous suivons alors Jack le preneur de son en action (John Travolta) lorsqu’il erre dans la nuit pour saisir au micro directionnel le froissement des feuilles d’arbres dans la brise, les murmures de deux amoureux un peu plus loin, le croassement d’une grenouille, le bouboulement du hibou… Lequel oriente ses petites oreilles sensibles vers un autre son qui monte : le moteur d’une voiture qui arrive à vive allure. C’est une limousine blanche qui s’engage sur le pont au-dessus de la rivière et là – un éclatement (blow out, mot ambigu entre éclater et éteindre), le bris de la barrière de sécurité et la descente au Styx, ce fleuve des enfers.

Jack plonge, aperçoit le conducteur inerte, sans doute mort du choc ou évanoui, et une jeune femme à l’arrière, bien vivante. Il ne peut sauver les deux, il choisit la fille, casse une vitre avec un caillou du fond et la tire de cette baignoire. C’est Sally (Nancy Allen claustrophobe, qui a eu du mal à tourner la scène enfermée sous l’eau). Sally est une jeune gourde, maquilleuse dans un grand magasin, inapte à tout sauf à séduire. Elle est conduite à l’hôpital comme Jack, une fois les secours alertés.

Un « commissaire » interroge alors le jeune homme sur ce qu’il a vu et ce qu’il a fait. Il semble croire qu’il n’y avait pas de fille, ce que Jack est pourtant bien placé pour le savoir. Mais le politiquement correct veut q qu’il ne faille pas flétrir la mémoire du mort. Jack apprend en effet que la victime dans la voiture est le gouverneur de l’État, jeune homme brillant promis à un avenir présidentiel – un avatar de John F. Kennedy. L’accident fait d’ailleurs référence à un autre accident de voiture, celui du sénateur Ted Kennedy dans son Oldsmobile Delta 88 à la hauteur du Dike Bridge, sur l’Île de Chappaquiddick en juillet 1969 – ce qui l’empêcha de se présenter aux élections présidentielles de 1972.

Dès lors, Jack va être obsédé par le complot : on veut l’empêcher de dire la vérité. Dans le mythe démocratique populaire américain, tout le monde a le droit de tout savoir, tout comme les étudiants baisent à poil toutes fenêtres offertes. En réécoutant la bande son, Jack découvre qu’il y a eu deux sons, un coup de feu puis l’éclatement du pneu – comme dans le film pris par le spectateur Abraham Zapruder lors de l’assassinat de Kennedy. Un paparazzi se trouvait opportunément à proximité et il se trouve que Sally connaît ce Manny (Dennis Franz) : elle avoue avoir été payée par lui, sur instruction d’un mystérieux commanditaire, pour piéger le jeune gouverneur et aboutir à un scandale. Jack, avec les photos publiées du paparazzi, reconstitue un film avec sa bande son. Une théorie-vérité qui n’est pas un véritable document.

Mais il n’était pas question de tuer, seulement de réaliser des photos compromettantes avec une call-girl pour empêcher le politicien de se présenter contre son rival. Sally la gourde s’est fait embrumer par Manny le niais, sur commande d’un intermédiaire naïf qui s’est laissé déborder. Car la série continue : le tireur se révèle un psychopathe de série Z qui adore étrangler les jeunes filles avec un fil d’acier enroulé autour du cadran de sa montre comme un vrai pro de l’espionnage. Il déclare « jouer » au tueur en série pour égarer les soupçons sur l’élimination de Sally, mais jouit de pénétrer les ventres au pic à glace, substitut de pénis, ce qui suggère son impuissance.

Phil, un journaliste d’investigation, a appris de ses sources (mystérieuses) que Jack a réalisé un film sur l’accident et veut le voir. Mais le tueur Burke (John Lithgow) intercepte les communications et convoque Sally à sa place, à la gare centrale de Philadelphie. Il veut la tuer au pic à glace comme les autres, en traçant sur son ventre la Cloche de la liberté dont c’est la fête en ville, sa signature de tueur psychopathe. Jack se méfie et équipe Sally d’un micro pour qu’il puisse suivre la conversation et intervenir si besoin est, mais la gourde ne donne aucun détail pour que Jack puisse venir à son secours lorsqu’elle s’aperçoit que « Phil » a de mauvaises intentions. Elle se contente de se laisser aller, tout comme la pute qui lui ressemble, récemment assassinée par Burke dans une cabine téléphonique où elle faisait des pipes aux jeunes marins pour 30 $. Elle est donc tuée, ce qui est logique au vu de sa bêtise, mais ne plaira pas aux spectateurs qui bouderont le film.

Tout le scénario se présente en effet comme une mise à distance du cinéma comme de la politique. Ce sont tout deux des arts de l’illusion. Ils créent des doubles acceptables, une « belle histoire », alors que la réalité est tout autre. Un seul tireur pour John Kennedy ? Aucun complot contre ce président qui allait contre la Mafia et contre les Cubains exilés ? Est-ce un maquillage de la vérité ? Le film que regarde le spectateur est-il un film politique d’action ou une amplification de série Z ? Car le preneur de son minable qui révèle un complot termine comme un preneur de son minable qui réussit un cri – le cri même poussé par Sally lorsqu’elle est saisie par le tueur. Tout un complot pour un cri !

L’on se rend compte progressivement que le fringuant gouverneur trompe sa femme, que la jeune fille naïve qu »il a pris dans sa voiture comme doudou est en fait une femme vénale payée pour le compromettre, que le photographe Manny a été mis en scène pour réaliser son scoop soit-disant spontané, que le tueur politique est en vérité un tueur sexuel sadique – et même le danseur adolescent de la Fièvre du samedi soir, le doux velu Travolta, joue son premier rôle d’adulte au cinéma avec cynisme, loin de l’amoureux fleur bleue de son image. Le vrai na rien à voir avec l’apparence, tout comme l’habit ne fait pas le moine.

En voulant prouver à tout prix ce qu’il a vu et entendu – la Vérité selon lui – Jack n’hésite pas à mettre en danger la fille dont il est tombé amoureux. Comme quoi la Vérité considérée comme un absolu d’ordre religieux est aussi fanatique que le Dieu jaloux hébreux, la Morale sectaire d’Église ou qu’Allah intolérant qui exige la soumission. La vérité, comme toute chose sur cette terre, est mêlée de réel et de croyances, de faits prouvés et d’hypothèses, de probabilités in fine. Elle n’est pas «prouvée » de façon incontestable par la technique, qui a ses limites de mesures, elle n’existe pas en soi, pas même en sciences physiques où tout dans notre univers humain borné reste relatif… La « vérité » ne peut qu’être sincère, « honnête ». Or l’utile ne doit pas supplanter l’honnête, disait Montaigne. Jack franchit la ligne.

Pour plaire aux gens de gauche épris de complots capitalistes, ce film est sorti l’année de la victoire de Mitterrand en 1981 et, pour plaire aux féministes, la version française double John Travolta par la voix de Gérard Depardieu – Travolta lui-même l’a demandé.

DVD Blow out, Brian de Palma, 1981, avec John Travolta, Nancy Allen, John Lithgow, Dennis Franz, John McMartin, Arkadès 2013, 1h47, €8,61 (liens sponsorisés Amazon partenaire)

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Georges Blond, Le survivant du Pacifique

George Blond est un ancien marin – donc hostile par préjugé ancré de la Royale à l’Angleterre. Après avoir collaboré avec l’Allemagne dans les années de guerre, il est amnistié en 1953 et devient romancier. Il écrit des histoires policières et des fresques historiques sur la guerre qui vient de se terminer. Il est décédé en 1989 à Paris à 82 ans. Il raconte très bien et son livre sur la guerre du Pacifique, chroniqué ici, est un survol magistral de ce que furent les opérations. Le « survivant » du Pacifique fut le porte-avion américain Enterprise, surnommé le Big E, qui a été souvent endommagé mais jamais coulé. Ayant fait toute la guerre et participé à toutes les opérations importantes, il est un lieu d’observation privilégié.

Ce navire mis en service en 1938, long de 246 m, armé par 2919 hommes et portant jusqu’à 90 avions, est arrivé quelques heures après l’attaque japonaise sur Pearl Harbor en décembre 1941, qui a précipité les États-Unis « sidérés » dans la guerre. Comme d’habitude, on l’a vu le 11-Septembre 2001, ils n’avaient rien vus, ou plutôt ignoré la montée à la guerre. Les Japonais ont osé, étirant leurs lignes au maximum pour réduire Hawaï, île avancée dans le Pacifique, afin que la flotte américaine (3 porte-avions seulement sur le Pacifique) se replie sur la Californie et laisse le champ libre à l’expansion nippone en Asie du sud-est et du sud-ouest. Les sévères sanctions économiques prises par les Américains après l’invasion japonaise de l’Indochine française (collaborationniste) et des Philippines (protectorat américain), ont poussé le Japon à s’étendre pour assurer son espace vital et l’accès aux matières premières indispensables à son économie.

Mais cette « traîtrise » de Pearl Harbor a généré selon l’auteur une véritable haine contre « les petits hommes jaunes » (les Japonais étaient à l’époque, en fonction de leur alimentation, plus petits en taille que les Chinois). D’où le raid de Doolittle en avril 1942 pour bombarder Tokyo, où l’Enterprise a assuré la protection aérienne du porte-avions Hornet, porteur de 16 B-25. Ce raid audacieux, où les bombardiers n’ont pas regagné leur porte-avions mais ont été abattus ou se sont posés en Chine nationaliste ou en URSS, a permis de « venger » Pearl Harbor et de lancer la mécanique industrielle américaine pour la guerre.

En effet, la puissance des États-Unis ne s’est jamais montrée aussi forte que lorsque le pays était menacé. De quatre porte-avions dans le Pacifique contre onze pour les Japonais on est passé à une trentaine en quelques mois, sans compter les croiseurs, destroyers, frégates, vedettes rapides et autres engins de débarquement. Les avions américains se sont améliorés à grande vitesse, rendant le chasseur Mitsubishi Zero japonais si manœuvrant mais fragile, moins efficace. Les pilotes américains ont été formés dès 18 ans, car l’extrême jeunesse était plus habile à la manœuvre des avions ; les besoins de pilotage des bateaux de transport ont été aussi assurés par des jeunes aux formations en six mois. L’énergie, l’inventivité, la puissance américaine, ont gagné la bataille. Ce n’était qu’une question de temps.

L’Enterprise a participé à la bataille de Midway, la bataille des Salomon orientales, la bataille des îles Santa Cruz, la bataille de Guadalcanal dans les Salomon, la bataille de l’île de Renell dans les Nouvelles-Hébrides, le débarquement sur l’île de Tarawa puis de Kwajalein dans les Marshall, celui des îles Truk dans les Carolines, les Palaos, la bataille de Saipan la bataille de la mer des Philippines, la bataille du golfe de Leyte et un soutien aérien aux débarquements sur Iwo Jima et Okinawa, sous le feu des avions kamikaze. A chaque fois, les Japonais s’étaient fortifié largement et de façon inventive, les assauts n’étaient pas des parties de plaisir car les bombardements massifs – à l’américaine – laissaient intacts les ouvrages enterrés. La disproportion des morts dans les deux camps était abyssale, par exemple 21 000 tués japonais à Iwo-Jima contre 4500 morts ou disparus américains. L’honneur japonais exigeait le sacrifice jusqu’à la mort. Certains soldats sortaient quasi nus, en une excitation quasi sexuelle de la souffrance pour se faire hacher par les balles, percer par les baïonnettes, ou griller par les lance-flammes.

Cette fresque, outre un exemple de sacrifice patriotique où chacun « fait son boulot » pour accomplir la grande œuvre stratégique, montre combien la puissance économique et industrielle fait le sort des guerres. C’est la tare de la Russie actuelle de l’ignorer encore, commandée par des mafieux qui ne songent qu’à leur intérêt propre ; c’est l’objectif de l’Iran, qui évite tant se faire que peut la guerre ouverte pour se renforcer d’abord, malgré son régime religieux qui incite peu au patriotisme ; ce devrait être la préoccupation de l’Union européenne, engluée dans la paresse de la paix. Mais les nigauds préfèrent toujours leur fin de mois à la fin de leur monde.

Georges Blond, Le survivant du Pacifique – l’odyssée de l’Enterprise, 1957, Livre de poche 1962 réédité 1976, 442 pages, occasion €12,00 (liens sponsorisés Amazon partenaire)

– édition pour les 9-12 ans adaptée par Raoul Auger en e-book Kindle, €6,99

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Tom Wolfe, Acid test

Un document ! Celui de la génération qui a eu 20 ans dans les années soixante en Californie – le laboratoire du siècle. Les États-Unis étaient à leur apogée, vainqueurs incontestés de la Seconde guerre mondiale, ayant contenu le communisme en Corée et tentant de le faire au Vietnam, première puissance militaire et industrielle de la planète. Après les Atomic boys des années cinquante, place aux hippies et aux freaks. Un mélange de mystique et de technologie unique à l’univers américain. La drogue de synthèse LSD, la musique électro et le cinéma se mêlent dans un trip d’enfer pour briser les gaines des conventions sociales et découvrir l’au-delà de la perception.

L’expérience est l’aboutissement des années d’après-guerre américaines, ce sentiment que tout est possible, que tout reste à explorer. « Il n’avaient que 15, 16 ou 17 ans, et portaient des chemises Oxford roses, style haute couture, des pantalons tirés, des ceintures étroites et souples, des chaussures de sport – avec tout ce Straight et ce V8 en poudre dans le coffre et cette splendeur de néons au-dessus. Cela rejoignait les supers-exploits technologiques des jets, de la TV, des sous-marins atomiques, des supersoniques – les banlieues américaines de l’après guerre – un monde merveilleux  ! Et merde pour les intellectuels délicats de la civilisation américaine qui dégénère… Ils ne pouvaient comprendre, à moins de lui avoir donné le jour – cette impression – ce que c’était que d’être des Super-Kids » p.43.

Tom Wolfe, décédé à 88 ans en 2018, était un essayiste inventeur du Nouveau journalisme. Il s’agissait d’écrire ses enquêtes comme un roman, tout en conservant la vérité des faits. « L’investigation est un art, laissez-nous juste être des sortes d’artistes », disait-il. Ce pourquoi Acid test est sous-titré « chronique ». « Je me suis efforcé non seulement de raconter l’histoire des Pranksters mais aussi d’en recréer l’atmosphère mentale, la réalité subjective. Je ne crois pas que l’on aurait pu, sinon, comprendre quoi que ce soit à pareille aventure. Tous les événements que je rapporte, tous les dialogues ici consignés, j’en ai été témoin » p.407.

La chronique raconte l’odyssée en 1964 des Merry Pranskters à bord d’un vieux bus scolaire peinturluré psychédélique, comme les hallucinations colorées du LSD. Le personnage principal, sans être « le chef », est l’écrivain Ken Kesey (auteur en 1962 de Vol au-dessus d’un nid de coucouqui donnera le film avec Jack Nicholson) avec sa femme Faye et leurs quatre petits blonds, ainsi que le célèbre Neal Cassady (héros de Sur la route de Jack Kerouac, bible de la Beat generation publiée en 1957). D’autres suivent, agglomérés à la suite des expériences ddu psychologue Vic Lovell sur les drogues modifiant l’état de conscience. Kesey a été volontaire et a la sensation, avec le LSD, de voir s’étendre son état de conscience. « De fait, comme tout le reste ici, cela ressortit à la même… expérience, celle du LSD. Cet autre monde auquel le LSD ouvrait votre esprit n’existait que dans l’instant – maintenant – et toute tentative de planification, de composition, d’orchestration, d’écriture, ne pouvait que vous le dérober, vous rejeter dans un monde de conditionnement et de routines où l’esprit n’était plus qu’une soupape de sûreté… » p.62.

C’est dès lors un voyage vers « l’Hailleur » (Further) en bus à travers le sud-ouest américain qui commence, dans un déluge de guitares électriques, de sons remixés et de peinture Day-Glo (fluorescente). Il s’agit de coller à l’instant pour le vivre intensément, défoncé donc sans plus aucune contrainte. Un film de quarante heures est tourné sur le vif pour montrer « juste la vie ». Les fondateurs de religion sont tous comme Kesey : tout commence par une Expérience, puis sa communication avec un rituel de chants, danses, liturgie à l’acide pour communier ensemble, donc un sentiment de communauté conduite à l’extase, les êtres synchronisés. Pour convaincre les autres, rien de mieux que le Test de l’acide (Acid test). « Les tests étaient à l’origine du style psychédélique et de pratiquement tout ce qui en était sorti. (…) Les Spectacles complets – il procédaient directement de leur combinaison de lumières, de projections cinématographiques, des stroboscopes, des bandes magnétiques, du rock’n’roll et de la lumière noire mêlée. Le Rock acide – aussi bien Sargent Peppers des Beatles que les vibratos électroniques aigus des Jefferson Airplane, des Mothers of Invention, et de tant d’autres groupes – c’étaient les Grateful Dead (traduit par les Morts reconnaissants) qui avaient tout inventé, au cours de ces Tests » p.246.

Ce voyage aboutira aux Trips festivals de San Francisco et Los Angeles en 1966 après avoir attiré les Beatles et les Hells Angels, et contribué à créer le groupe des Grateful Dead. Ken Kesey voudra « dépasser la drogue » pour aboutir à l’état de conscience augmentée sans LSD. Ce sera le mouvement psychédélique des « acid tests » où les sons et les effets de lumière, les projections d’images sur les murs et au plafond permettront la transe puis l’extase – sans extasy. Quoique… chacun arrive déjà défoncé et le FBI veille.

Une expérience, une impasse mais féconde.

Tom Wolfe, Acid test (The Electric Kool-Aid Acid Test), 1968, Points Seuil 1996, 412 pages, €8,90 (liens sponsorisés Amazon partenaire)

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Philippe Hériat, Les enfants gâtés

Il est étonnant que ce roman ne soit pas réédité car il est captivant et très bien écrit. Agnès, une fille de 24 ans, revient à Paris auprès de sa grande famille de haute bourgeoisie, les Boussardel. Établie dès le Premier empire, enrichie au Second, elle a essaimé par des mariages successifs dans le cercle étroit des relations de la banque, du notariat et des agents de change jusqu’à acquérir un patrimoine immobilier et financier important. Mais ce qui importe avant tout, c’est « le sens de l’argent. »

C’est pourquoi lorsque la jeune Agnès revient des États-Unis où elle a passé deux ans, fille rebelle au matriarcat de l’hôtel particulier du parc Monceau, la Famille régentée par Bonne-Maman, dépêche son frère aîné Simon pour s’enquérir d’un éventuel mariage… hors du cercle. Ce serait entamer le patrimoine familial. Il n’en est rien, bien qu’Agnès ait eu une aventure avec un jeune Américain, Norman.

La première scène la montre en train de petit-déjeuner dans les étages élevés de son hôtel de New York avant de prendre le bateau pour la France. Elle regarde deux étudiants torse nu qui balayent la terrasse ouvert en plein vent, et leur jeunesse tout comme leurs corps bien faits, lui rappellent Norman. Cet étudiant de son âge, qui faisait des études d’architecte dans la même université de Berkeley, l’a invitée un soir à rouler en voiture pour « admirer le clair de lune à Monterey » – autrement dit flirter, voire plus si affinités. Les girls se laissent en général faire, pas fâchées d’être dépucelées, mais pas Agnès, d’une réserve toute européenne. Norman n’insiste pas, il est prévenant et l’admire. Ce ne sera que plus tard, lorsqu’il l’invitera à le suivre dans les montagnes où, diplôme obtenu, il doit construire des chalets de tourisme, que l’amour sera consommé.

Au bout de quelques mois, Agnès voit que Norman ne sera pas l’homme de sa vie et, à l’américaine, lui dit franchement. Il comprend et la laisse. De retour au pays, Agnès l’oublie jusqu’à ce qu’un jour il lui téléphone au parc Monceau pour lui dire qu’il passe à Paris, en route vers le Tyrol où il doit étudier les chalets là-bas. Ils renouent, font l’amour. Agnès se retrouve enceinte mais ne songe même pas lui dire ni à le suivre. Tout a été dit entre eux.

Que faire ? Vu sa famille redoutable et le qu’en-dira-t-on impitoyable de ce milieu, elle est mal partie. Jusqu’à ce qu’elle songe à Xavier, une jeune cousin de 21 ans qui vient de rentrer de Suisse où il a passé en exil plusieurs années à cause de la tuberculose. Il est guéri mais reste fragile. Xavier, comme Agnès, n’est pas contaminé par le poison d’argent de ces grands-bourgeois parisiens. Il reste frais, solitaire, nature. Agnès s’ouvre à lui de son problème et Xavier, tout uniment, lui propose de l’épouser. Ils s’apprécient, s‘aiment suffisamment et le futur bébé sera le sien. Curieusement, la famille paraît soulagée : le patrimoine est préservé ! La fortune reste dans la famille. Agnès ne va pas introduire un étranger dans le cercle patrimonial et Xavier, le pauvre Xavier, sera bien heureux de se marier.

Sauf que… la tante Emma, cette vipère égoïste restée vieille fille et qui a pris pour « filleul » Xavier quand ses parents sont morts, va tout bouleverser. L’annonce qu’Agnès est enceinte va lui faire apprendre au jeune marié un secret sur lui qui va le dévaster. Et sonne le glas de toute espérance. Difficile d’en dire plus sans déflorer le mystère. Toujours est-il que la jeune fille se retrouve deux ans plus tard sur Hyères, dans la maison de Xavier, avec son enfant tout nu sur la plage. Un voisin qui s’intéresse à elle va la faire raconter son histoire.

Prix Goncourt 1939.

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Philippe Hériat, Les enfants gâtés – Les Boussardel II, 1939, Folio 1971, 320 pages, occasion €11,60

La famille Boussardel en 4 tomes – Famille Boussardel / Les enfants gâtés / Les grilles d’or / Le temps d’aimer, Livre de poche 1963, occasion €27,15 les quatre

Philippe Hériat déjà chroniqué sur ce blog.

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L’extravagant voyage du jeune et prodigieux T.S. Spivet de Jean-Pierre Jeunet

Tecumseh Sansonnet Spivet, dit T. S. (Kyle Catlett), a 10 ans (12 au tournage) ; son second prénom vient d’un piaf mort le jour de sa naissance. Il vit dans une ferme du Montana avec son frère jumeau dizygote Layton (Jakob Davies), sa grande sœur ado Gracie (Niamh Wilson) et ses parents, son père cow-boy texan Tecumseh Elijah (Callum Keith Rennie) et sa mère entomologiste Dr Clair (Helena Bonham Carter). T.S. est le laissé pour compte de la famille, bien moins pré viril et casse-cou que son frère, le préféré de papa, et en butte à l’indifférence de sa mère qui n’en a que pour les sauterelles et autres infects.

C’est que le gamin raisonne en scientifique, analysant les choses et les gens, ce qui est trop compliqué pour une tête de fermier texan et laisse de marbre la mère préoccupée d’autre chose. Quant à la sœur elle ne rêve que starlettes et concours de beauté de miss Montana… T.S. joue donc avec son frère du même âge, bien qu’ils soient très différents. Autant Layton aime les armes et tirer sur les boites de conserve à la winchester, autant T.S. préfère mesurer l’écart du son et calculer des statistiques. Il compte ainsi le nombre de regards échangés entre chacun des membres de la famille tout le long du dîner : son père ne le regarde jamais mais jette sept coups d’œil à Layton, sa mère ne le regarde qu’une fois. Conclusion : « il » ne m’aime pas.

Lors d’une visite au muséum de la ville la plus proche, le jeune garçon entend une conférence scientifique d’un professeur sur le mouvement perpétuel, impossible à réaliser selon lui. Enthousiasmé à l’idée d’avoir un but et d’exercer utilement son esprit, contrairement aux âneries qu’il est censé apprendre avec son prof de sixième, il décide de s’y mettre. Il envoie au Smithsonian American Art Museum de Washington les plans d’une roue à mouvement (presque perpétuel), le magnétisme ayant besoin d’être régénéré quand même – mais seulement tous les quatre cents ans. Il a la surprise de sa vie lorsqu’une sous-secrétaire (Judy Davis) téléphone à la maison pour lui annoncer que l’inventeur a gagné le prix Baird. T.S. est obligé de mentir, de parler pour son père, car il craint d’être disqualifié en raison de son âge. Mais on est en Amérique, où tout est possible.

Lors d’une visite au muséum de la ville la plus proche, le jeune garçon entend une conférence scientifique d’un professeur sur le mouvement perpétuel, impossible à réaliser selon lui. Enthousiasmé à l’idée d’avoir un but et d’exercer utilement son esprit, contrairement aux âneries qu’il est censé apprendre avec son prof de sixième, il décide de s’y mettre. Il envoie au Smithsonian American Art Museum de Washington les plans d’une roue à mouvement (presque perpétuel), le magnétisme ayant besoin d’être régénéré quand même – mais seulement tous les quatre cents ans. Il a la surprise de sa vie lorsqu’une sous-secrétaire (Judy Davis) téléphone à la maison pour lui annoncer que l’inventeur a gagné le prix Baird. T.S. est obligé de mentir, de parler pour son père, car il craint d’être disqualifié en raison de son âge. Mais on est en Amérique, où tout est possible.

Il est donc convoqué à Washington pour le recevoir et dit qu’il ira. Il ne sait comment, car ses parents ne sont au courant de rien, ignorent et méprisent ce qu’il peut faire, encore plus pris à ce moment par la mort de Layton. Le jumeau s’est tué d’une balle de winchester alors que les deux garçons jouaient seuls, sans surveillance, dans la grange. Le coup est parti et Layton est tombé raide mort – le fils cow-boy préféré du cow-boy.

Dans l’indifférence générale, T.S. prépare donc son voyage incognito, avec une lourde valise où il emporte un tas d’objets inutiles mais fétiches pour un garçon de 10 ans, comme deux sextants, un baromètre, un chronomètre, un spiromètre, un mètre, un squelette d’oiseau, huit caleçons et trois pulls mais aucune chemise de rechange, un canif multifonction et une peluche – plus le journal intime de sa mère. Il veut comprendre. Son père le dépasse sur la route au matin de son départ sans s’arrêter, comme s’il l’ignorait et voulait le bannir de sa vie après la mort de son préféré.

T.S. voile de rouge un signal ferroviaire pour arrêter un train de fret, monte à bord en se cachant, et réussit à traverser les États-Unis du Montana jusqu’à Chicago, terminus du fret. Il doit échapper à la sécurité ferroviaire, sympathiser avec un clochard céleste nommé Deux Nuages (Dominique Pinon), filer entre les mains d’un policier de Chicago qui la joue lourdaud viril (Harry Standjofski). C’est à ce moment qu’il se casse deux côtes en sautant d’une branche d’écluse. Un routier d’un énorme truck rutilant le recueille au bord de la route (Julian Richings), un peu inquiétant mais finalement épris de selfies qu’il collectionne.

Au Smithsonian, la sous-secrétaire n’en croit pas ses yeux, mais le garçon est reconnu sur ses talents à expliquer sa machine et ses capacités à calculer mesuré par électrodes. Il est soigné torse nu par un docteur avant d’être revêtu d’un costume pour la cérémonie. Il y fait un discours en trois points, malgré sa timidité devant une assemblée où presque tout le monde a un doctorat. Le troisième point lui a échappé et il embraye sur la mort de son frère qui explique sa solitude et sa venue ici. Grande émotion dans la salle, gros succès mondain.

Le voici médiatique et la secrétaire s’empresse de se faire mousser pour l’entraîner dans des shows télévisés. Mais sa mère, qui l’a vu à la télé au Smithsonian, vient le rejoindre et l’arracher aux griffes du show man qui lui pose des questions en ne laissant jamais que dix secondes pour chaque réponse, tant il tient à maîtriser le sujet et enchaîner le show. C’est là que le Texas se rebiffe contre Washington, la ferme contre la télé, la famille contre les histrions.

Car le sujet dépasse l’aventure pour enfants. Il s’agit de l’Amérique et de ses excès en tous genres, de l’inventeur de 10 ans récompensé, à la télé-réalité inepte. Des grandes distances entre États et entre mentalités, entre Ouest encore sauvage et Est civilisé décadent. Mais aussi de l’écart intime entre père et fils, mère et enfants.

Sont agités nombre de mythes américains : les indiens, car Tecumseh est un prénom qui signifie quelque chose comme étoile filante ou jaguar céleste ; la traversée du continent en train comme au temps de la Grande dépression ; les routiers et les routards comme dans les années soixante hippies de Kerouac ; l’atmosphère du Tour du monde en 80 jours de Jules Verne avec ses sociétés savantes et ses querelles d’ego ; l’ombre de Freud et des névroses familiales.

D’admirables paysages, des dialogues construits et intelligents, l’émotion d’un gamin au visage sensible qui se sent abandonné de tous mais qui part construire sa vie – un beau film. Ce n’est pas un film américain, ce qui explique sans doute pourquoi.

DVD L’extravagant voyage du jeune et prodigieux T.S. Spivet (The Selected Works of T. S. Spivet), Jean-Pierre Jeunet, 2013, avec Kyle Catlett, Helena Bonham Carter, Callum Keith Rennie, Judy Davis, Niamh Wilson, Gaumont 2014, 1h41, €7.00 Blu-ray €32,99 (liens sponsorisés Amazon partenaire)

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Mary et Carol Higgings Clark, Ce soir je veillerai sur toi

Mary Higgings Clark, décédée en 2020 à 92 ans, adorait écrire à la fin de sa vie avec sa fille Carol, morte à 66 ans en juin 2023 d’un cancer colorectal. Catholique fervente en bonne descendante d’Irlandais, Mary a été membre de l’ordre de Saint Grégoire le Grand, de l’ordre de Malte et de l’ordre du Saint Sépulcre de Jérusalem. C’est dire si la religion imbibe son œuvre. Il faut y voir sa patte dans ce court roman de Noël, où tout commence aux portes du Paradis chrétien.

Sterling Brooks attend depuis 46 ans au Purgatoire et voit passer devant lui des hordes de gens moyens, ni bons ni mauvais, mais pires que lui, juge-t-il. Il ne fait même pas partie de cette « amnistie de Noël » que (probablement Carol, qui a de l’humour) imagine aux juges du Paradis. Mais il est convoqué illico devant un jury d’ex-humains devenus saints chargés de juger les affaires courantes. Sterling en est une. Il a en effet fait preuve d’un égoïsme flemmard toute son existence, terminée d’une balle dans la tête à 56 ans : une balle de golf. Le jury le taxe même d’« agressif passif », un comportement à la mode et mal défini qui voit dans la méfiance envers les autres une sourde hostilité plus ou moins consciente et un déni de responsabilité qui fait se défiler au maximum. Sterling a, par exemple, fait languir durant des années sa « fiancée » sans jamais conclure, ce qui l’a conduite à rater sa vie, ce qui signifie rester célibataire et sans enfants.

Le jury céleste condamne donc Sterling à une épreuve : il devra retourner sur la terre comme un fantôme et aider quelqu’un, tel « une vieille dame à traverser » (autre trait d’humour du roman, les « vieilles » dames de nos jours étant fort capables de traverser toutes seules les rues au feu rouge !). Il doit ainsi montrer qu’il est capable d’empathie, donc d’entrer au Paradis. Expulsé sur la terre, il se retrouve au Rockefeller Center, au pied de l’arbre de Noël géant de tradition.

Sur la patinoire du Centre, une fillette de 7 ans, Marissa – elle aura 8 ans le jour de Noël. Elle est virtuose et aime patiner, mais elle est triste parce qu’elle le faisait avec son papa, qu’elle n’a pas vu depuis un an. Il lui téléphone souvent, tout comme sa grand-même, mais il ne peut pas la voir et elle croit qu’il ne veut pas, qu’elle a fait quelque chose de mal et qu’il la met en quarantaine. Ce qui est faux et poignant. Sterling est saisi de compassion, lui qui en s’est jamais intéressé aux enfants faute de les connaître, et veut tout faire pour aider cette bambine. Il va pour cela demander l’aide du Ciel, qui lui accorde volontiers.

Il va ainsi remonter dans le temps pour connaître les causes, découvrir la grand-mère Nor et son fils Billy, la première ex-chanteuse de cabaret tenant un restaurant-spectacle à succès, le second chantant et devenant de plus en plus apprécié. Jusqu’à ce qu’on les engage tous deux pour l’anniversaire de la vieille mère de deux truands, les frères Badgett. Mama Heddy-Anna vit au Kojaska, une contrée (imaginaire) à l’est où les mafias règnent, d’ailleurs le père est en prison. Les fils ont dû fuir, risquant la geôle à vie, et ils ne peuvent retourner voir leur mère qui s’ingénie, à chaque appel, à détailler ses maux imaginaires (écrits sur une ardoise à côte du téléphone) pour les appeler à elle. Bourrée à la vidéo lors de la retransmission pour son anniversaire à la réception de ses fils, à New York, Mama envoie foutre tous les invités chics. Les frères sont en colère et, comme l’un de leurs débiteurs réclame un délai, ils mandatent un truand pour incendier son entrepôt en signe d’avertissement ; l’informaticien qui tirait le diable par la queue en a une crise cardiaque. Billy et Nor, qui les avaient suivis dans la maison pour savoir s’ils devaient continuer à chanter ou partir après l’esclandre, entendent par inadvertance l’intimidation au téléphone et, s’ils s’éclipsent sans se faire voir des frères, l’avocat des mafieux les observe.

Ce Charlie est entré dans un engrenage dont il ne peut se dépêtrer sans craindre pour sa vie. Il a eu le tort d’accepter une mission légale pour les Badgett sans se renseigner sur eux puis, de fil en aiguille, a été forcé de recourir aux menaces pour les débiteurs en retard et, lorsqu’il s’agit d’aller jusqu’au meurtre, il se trouve acculé. Il va trouver une ruse pour s’en sortir, suggérée par Sterling qui va ainsi le sauver en même temps que la petite Marissa, son père et sa grand-mère. Et tout ira bien qui finira bien, juste pour Noël, cette fête du renouveau chrétien. Sterling a incarné le rôle du sauveur (sans majuscule) et il est donc digne du Paradis. Mais, dernier trait d’humour, il a pris goût à ce rôle d’aider les gens et il demande à accomplir d’autres missions…

Le scénario gentillet ne s’élève pas au-dessus de celui du Club des Cinq, et la naïveté de la foi du charbonnier fait sourire les non-Yankees. Mais c’est une belle histoire, sentimentale et sans trop de violence qui plaît aux lectrices de MHC. Il semble qu’elle tombe dans le rose bonbon dès qu’elle écrit avec sa fille Carol, élevée sans les épreuves qu’elle-même Mary a connues dans son existence.

Il en a été tiré un film par David Winning en 2002.

Mary et Carol Higgings Clark, Ce soir je veillerai sur toi (He Sees You When You’re Sleeping), 2001, Livre de poche 2003, 255 pages, €7,40

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Le 7ème voyage de Sinbad de Nathan Juran

Sinbad le marin est un héros persan de l’Orient. Ses voyages aventureux sous la dynastie des Abbassides, au début du IXe siècle de notre ère, sont contés dans les Mille et une nuits, de la 69ème à la 90ème. Sinbad (Kerwin Mathews) revient cette fois-ci en son septième et dernier voyage d’un royaume ennemi de l’océan Indien, où il a été négocier la princesse Parisa (Kathryn Grant) en mariage. Ainsi la guerre sera évitée. Mais la route maritime est pleine de dangers, dont le premier est la faim. Obligé de s’arrêter dans une île du parcours, Colossa, les marins emplissent les canots de fruits et d’eau douce quand un gigantesque cyclope les entreprend. Il n’a qu’un œil, comme il se doit dans le mythe, et des pieds de bouc. C’est donc une créature infernale pour l’imaginaire chrétien américain.

Un mage noir, Sokurah (Torin Thatcher), est prisonnier du cyclope et le capitaine Sinbad parvient à le faire embarquer. Le mage est possesseur d’une lampe à huile magique. En la frottant et en prononçant une formule rituelle, surgit un petit génie (Richard Eyer, 13 ans) qui réalise tous les souhaits, sauf ceux de tuer. Une barrière invisible sépare alors le cyclope à grandes pattes des humains qui s’enfuient sur leurs trop petites pattes. Mais le monstre a ses idées fixes : il veut les bouffer et envoie un énorme rocher qui fait se retourner la barque. Sokurah perd alors la lampe merveilleuse dans les flots. Tous rejoignent le navire et mettent les voiles, mais la lampe est perdue. Le cyclope la récupère parce qu’elle brille, en s’avançant dans la mer.

Sokurah n’aura alors qu’une idée fixe lui aussi : récupérer l’objet qui lui donne du pouvoir. Pour le reste, il n’est en effet qu’un charlatan, expert en illusions et en potions. Le mariage est programmé, le père de Parisa parvient à la cour, le mage ordonne la fête en magicien. Une foule d’esclaves mâles au torse nu porte de lourds coffres en osier desquels sortent une femme, puis un cobra. Une grande jarre est aussi apportée par les jeunes atlantes, tout à fait dans le style péplum hollywoodien de ces années d’après-guerre. La femme est jetée dedans, puis le serpent. Lorsque le mage casse la poterie, la femelle apparaît en femme-serpent, une Eve maléfique au teint bleu qui agite ses quatre bras et danse sur sa queue de reptile en dardant des yeux magnétiques. En fait, Sokurah n’aime pas les femmes, contrairement à Sinbad qui en est amoureux.

Ces deux pôles, l’un mauvais et l’autre bon, l’un orienté vers la vie et l’aventure, l’autre vers le pouvoir égoïste et personnel, vont s’affronter. Sinbad refuse de retourner sur l’île de Colossa et de mettre en péril un équipage pour récupérer la lampe, dont il n’a que faire. Sokurah use alors de ses pouvoirs magiques pour réduire Parisa à la taille d’une miniature – ce qu’elle est dans son esprit, un bel objet inutile qu’on renferme dans un écrin. La seule façon de lui redonner sa taille normale, énonce-t-il, est de lui faire avaler une potion dans laquelle il doit y avoir de la coquille d’oiseau roc à deux têtes – qui ne vit que sur l’île aux cyclopes.

Par ce moyen déloyal, le mage obtient de Sinbad qu’il se plie à ses désirs. Mais peu de marins sont prêts à le suivre, Sokurah leur fait peur et le souvenir du monstrueux cyclope reste à leur esprit. Ce sont donc des condamnés pour vols et meurtres qui sont embauchés, avec pour appât la grâce à la fin du voyage. Mais ces repris de justice n’ont évidemment ni foi ni loi ; ils se révoltent et, sous le nombre, parviennent à maîtriser Sinbad, le mage et le fidèle serviteur Karim (Danny Green). Ils veulent rallier les routes commerciales pour se livrer à la piraterie, l’envers de l’épopée de Sinbad orientée vers la découverte. Ces doubles négatifs vont cependant succomber aux diableries de Sokurah qui sait que les vents et les courants vont pousser le navire vers l’île et fait hurler les démons à son approche. Les mutins anesthésiés, beaucoup se noient ou s’écrasent du mât sur le pont, le navire peut enfin jeter l’ancre dans la passe qui le protège de la haute mer.

Sur les instructions du mage, Sinbad a fait construire une monstrueuse arbalète pour tuer le monstrueux cyclope, et elle est installée face à la grotte qui permet le passage vers la vallée où il gîte. Ce qui reste de l’équipage est alors séparé en deux groupes pour explorer les deux versants de la vallée, l’un sous les ordres de Sinbad, l’autre du mage. Lequel attend tout simplement que le cyclope fasse son affaire à Sinbad et à ses compagnons pour récupérer la lampe dans le trésor amassé par N’a-qu’un-oeil qui aime, comme tous les simples, ce qui reluit.

Commence alors la lutte pour la vie. Sinbad est pris par le cyclope avec ses hommes et enfermé dans une cage de bois tandis que le monstre commence à faire griller Karim au-dessus d’un feu en guise de déjeuner. Le mage se glisse incognito derrière les rochers et fouille le trésor caché là pour retrouver la lampe. Il a déclaré à ses compagnons qu’ils ne devaient pas boire l’eau rouge qui coule dans la rivière car elle les empoisonnerait. L’un d’eux n’y croit pas et, sur la provocation de ses compagnons, y goûte : c’est du vin ! L’islam interdit les substances qui égarent l’esprit, mais le vin est toléré à Bagdad et en Perse. Quand on le boit avec modération, l’esprit est aiguisé, pas égaré. Les hommes y trouvent donc le courage de rejoindre Sinbad et les siens au risque d’y perdre la vie.

Sinbad, jamais en peine d’imagination, sort Parisa de son écrin pour la faire passer au travers des barreaux et pousser le coin qui ferme la cage. Ce que, faible femme mais obstinée, elle parvient à faire malgré ses falbalas. Sinbad délivre Karim, se saisit d’une bûche enflammée et parvient, comme Ulysse, à aveugler le cyclope, tandis qu’il aide Sokurah à se tirer du recoin où il s’était caché. Les deux parviennent à trouver un œuf d’oiseau roc sur le point d’éclore. Les marins aident à fendre la coquille mais le jeune oiseau est agressif et ils le tuent à coups de lance ; ils font ensuite rôtir une cuisse sur la broche du cyclope qui erre sans vue. Sinbad a pris dans son giron un morceau de coquille salvatrice et garde la lampe merveilleuse en gage à sa ceinture, pour que le mage concocte la potion. Il porte toujours sur sa poitrine nue l’écrin où se tient Parisa, afin de ne pas la perdre mais, dans la lutte avec le cyclope, a laissé un instant la princesse – dont Sokurah s’empare.

Sinbad va le suivre à son repaire, une grotte gardée par un dragon crachant le feu, autre monstre que le mage a enchaîné. Une roue permet de raccourcir ou de rallonger la chaîne, permettant tout juste de passer sans se faire dévorer après s’être fait rôtir par la gueule enflammée. Les monstres, cyclopes ou dragons, adorent la viande grillée, celle que l’on sert avant le monothéisme en offrande aux dieux, dont ils n’ont que le fumet. Combat, menace, potion, Parisa est rétablie dans sa taille humaine. Baiser langoureux, projet de retour au navire mais Sinbad ne lâche pas la lampe par laquelle il tient Sokurah. Lequel va tout faire pour se la réapproprier. Il anime ainsi un squelette pour qu’il perce Sinbad, lequel se défend au yatagan avant de faire chuter le tas d’os qui se brise en mille éclats. Le mage regarde dans sa boule de cristal rougie les amants fuir dans la grotte et il fait s’écrouler un fragile pont pour les isoler de la sortie. Vont-ils y rester, à jamais unis dans la mort ?

Que non point : cette fois-ci, c’est Parisa qui agit. Elle a exploré, avec sa petite taille, l’intérieur de la lampe et a fait la connaissance du gamin génie Barani. Lequel lui avoue qu’il en a assez de servir d’esclave au mage qui le convoque selon son bon plaisir. Parisa réussit à le convaincre, non sans réticence, à lui donner les codes : le mot de passe qui le fait sortir de la lampe et – promesse à tenir – la façon dont il pourra être délivré. Elle l’évoque donc dans le péril où ils sont et il surgit, leur donnant une corde qui permet à Sinbad et à Parisa de s’évader. La princesse, au vu de la terre de feu qui glisse au fond de la faille, se souvient que Barani ne pourra être délivré que si la lampe est jetée dedans. Ce qui est aussitôt fait : on ne s’embarrasse pas de scrupules et de tergiversations, dans l’aventure. Le feu régénère, c’est connu, et le Phénix lui-même en ressort comme neuf.

Mais il faut tout d’abord regagner le bateau. Sinbad raccourcit le dragon et va sortir avec Parisa lorsque surgit le cyclope. Le couple rentre donc et Sinbad a l’idée de faire combattre le mal par le mal, les deux monstres affrontés. Il déchaîne alors le dragon aux quatre pattes et une queue, qui se jette aussitôt sur N’a-qu’un-oeil à deux pattes. Durant la lutte bestiale, Sinbad et Parisa s’échappent et courent vers l’entrée de la vallée, gardée par l’arbalète géante. Laquelle a juste le temps d’être bandée pour transpercer le dragon, qui a égorgé le cyclope, et que le mage traîne derrière lui comme un gros chien d’attaque. La flèche remplit son office et le monstre serpentiforme est terrassé, écrasant Sokurah par une heureuse occurrence. Mais le dragon n’est pas mort. C’est alors la course au bateau avant qu’il ne finisse par expirer sur la grève.

Sinbad a donc gagné sa princesse par toutes ces épreuves initiatiques, destinées à faire d’un jeune homme un homme accompli. Il peut se marier. Et le garçon génie Barani est là qui l’invite et qui l’aime, ayant entassé le trésor du cyclope dans la cabine du capitaine comme un cadeau de noce. Il sera son premier mousse et le suivra dans ses expéditions. Happy end merveilleux du conte, amplifié par Hollywood.

Les effets spéciaux sont spectaculaires pour l’époque et assez bons à nos yeux d’aujourd’hui. Ray Harryhausen a utilisé la technique d’animation en volume Dynamation. Le film a eu un grand succès d’époque et mérite d’être vu.

DVD Le 7ème voyage de Sinbad, Nathan Juran, 1958, avec Kerwin Mathews, Kathryn Grant, Richard Eyer, Torin Thatcher, Alec Mango, Sidonis Calysta 2019, 1h29, Blu-ray €10,78

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L’invraisemblable vérité de Fritz Lang

Jusqu’où le militantisme peut-il aller dans l’activisme ? A jouer de sa vie. C’est ainsi qu’Austin Spencer (Sidney Blackmer), un directeur de journal convainc l’un de ses journalistes vedettes Tom Garrett (Dana Andrews), qui doit épouser sa fille Susan (Joan Fontaine), de se prêter à une expérience judiciaire. Il est contre la peine de mort dans son État, qu’il considère barbare, surtout lorsque le condamné peut être innocent. Or la mort est souvent donnée sur des preuves qui ne sont que des convictions, pas des faits. Sa conscience est aux prises avec les affres de la morale.

Il est en opposition avec le District attorney Thomson (Philip Bourneuf), fanatique de la Loi et en course pour sa réélection, qui fait condamner par un jury après avoir énoncé toutes les preuves directe et indirectes. Lui n’a pas de cas de conscience, ce n’est pas lui qui condamne, mais le jury populaire. Il ne fait que rassembler les éléments de culpabilité.

Les deux journalistes vont donc mettre en œuvre une machination secrète, visant à démontrer l’inanité des preuves apparentes. Tom va jouer le meurtrier d’une danseuse de bar, Patty Gray, retrouvée étranglée dans un ravin proche de la ville. Aucun indice jusque là découvert par la police ne permet une piste. Qu’à cela ne tienne, les deux compères vont en fabriquer. Mais non sans prendre à chaque fois un cliché de ce qu’ils font et conserver les factures de ce qu’ils achètent pour établir – in fine – l’innocence du probable condamné.

C’est ainsi que Garrett achète un pardessus gris comme un témoin croit en avoir vu un sur le dos de l’homme qui a pris Patty dans sa voiture noire d’un modèle récent. Garrett possède le même véhicule, ce qui est pratique. Il va laisser des traces de crème à maquillage utilisé par les filles sur la banquette ainsi qu’un bas de femme dans la boite à gant. Puis son briquet, un modèle de luxe offert par Susan pour leurs fiançailles, avec son prénom gravé dessus. Le tout dûment pris en photo, avec la date à l’arrière. Il lie connaissance avec Dolly, une camarade de danse de Patty, puis l’emmène dans sa voiture noire, revêtue de son pardessus gris, jusque près du ravin fatal. Dolly, que ses copines incitent à se méfier de ce bel homme riche que nulle ne connaît dans le bar, prévient le lieutenant de police Kennedy (Ed Binns) qui suit l’auto et interpelle Garrett alors qu’il cherche à embrasser Dolly et qu’elle résiste.

Garrett est arrêté, les preuves contre lui s’accumulent, le procès a lieu. Le District attorney fait son travail de conviction au vu des preuves et laisse au jury le soin de conclure. Garrett a beau affirmer maintes fois qu’il ne connaît pas Patty, le jury hésite longuement – puis le juge coupable de meurtre avec préméditation et le condamne à mort. Thomson est content, il a fait son boulot.

C’est alors que Spencer sort les preuves de la machination de son coffre, les met dans une enveloppe, et sort sa voiture du garage pour aller les porter au tribunal afin de faire invalider la peine en prouvant l’innocence de Tom. Mais il recule sans regarder et un camion le percute de plein fouet, renversant le véhicule, le tuant sur le coup et répandant le feu sur la scène. Les preuves sont détruites… Garrett va être exécuté. Son avocat, qui n’est pas au courant de la mise en scène, et Susan, qui croit aimer son fiancé malgré le jugement de meurtre, vont tout mettre en œuvre pour retarder l’exécution et trouver des preuves contraires afin de réviser le procès. Mais le secret a été trop bien gardé et personne ne sait que les preuves incriminables ont été fabriquées. Les photos ont même été prises avec un appareil à développement instantané, ne laissant ni double ni négatif ! Aucune copie n’a été faite des factures du pardessus, de la crème à maquillage. Le spectateur se dit que les militants anti peine de mort ont été bien légers de jouer avec le destin…

Sauf que Spencer a quand même laissé une lettre qui décrit en détail la mise en œuvre des fausses preuves, retrouvée après sa mort – mais avec un long délai – dans l’un de ses coffres-forts par son exécuteur testamentaire. Une précaution bienvenue qui se révèle in extremis pour gracier Tom. Susan va le voir en prison pour lui apporter cette bonne nouvelle, tandis que la grâce est présentée au gouverneur de l’État. Mais, retournement de situation : Tom se coupe en donnant le vrai prénom de « Patty » qui était Emma, alors que la presse n’en a pas parlé. C’est donc qu’il la connaissait ! Il serait donc coupable ?

Cela reste à prouver, mais les preuves ayant été falsifiées, comment s’y retrouver ? Condamne-t-on un homme juste sur un lapsus ? Tom va cependant avouer à celle qu’il croit amoureuse que « Patty » était sa première femme, épousée par complot, et qui n’a pas voulu divorcer au Mexique, comme il l’avait payée pour le faire. Pour épouser Susan, il devait la faire disparaître. Quant à elle, Susan se révèle très en-dessous de la femme amoureuse telle qu’elle se croit. En fait, elle n’aime pas Tom mais voulait s’allier à lui par convenances, parce qu’il plaît à son père, c’est là la faiblesse du film. On ne croit pas une seconde à l’amour entre Susan et Tom même s’ils s’embrassent à tire-larigot entre deux clopes et deux verres, ces scies de mise en scène des années cinquante à Hollywood.

Drame de conscience assez court pour Susan. Puisqu’au fond elle ne l’aime pas, elle n’hésite que quelques instants avant de le dénoncer. Elle aurait pu se taire devant l’acte d’amour que Tom avait fait pour elle. Mais non, la Conscience la tourmente, ce ramassis de conventions sociales auquel elle n’a aucun courage de déroger. Le personnage manque ainsi de dimension tragique ; elle n’apparaît que comme une poupée sociale qui ne mérite pas d’être aimée. Le gouverneur saisit sa plume, le téléphone sonne, le Dictrict attorney lui passe Susan, il l’écoute, puis range sa plume. Il ne signera pas la grâce. Tom Garrett est ramené en cellule en attendant son exécution.

DVD L’invraisemblable vérité (Beyond a Reasonable Doubt), Fritz Lang, 1956, 1h20, Lang & l’Amérique : 2 Films de Fritz Lang – La cinquième Victime + L’invraisemblable vérité [Édition Collector] Masters restaurés avec le livre « La nuit américaine de Fritz Lang » de Bernard Eisenschitz (80 pages) 2012, €181,13

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La cinquième victime de Fritz Lang

Un tueur de dames sévit à New York alors que la cité dort. Comme il a laissé un message au rouge à lèvre disant « demandez à ma mère », il est surnommé par la presse le Tueur au rouge à lèvres (Lipstick Killer). Le journaliste Edward Mobley (Dana Andrews), présentateur de la télévision Kyne, va même jusqu’à dresser son profil psychologique : jeune, enfant gâté à sa maman (Mama’s Boy), développant une haine de sa mère (d’ailleurs adoptive) qui voulait une fille et n’a obtenu qu’un garçon. Cette haine s’étend aux femmes, toutes des menteuses hypocrites, ce qui le rend impuissant. Sa pulsion sexuelle s’évacue alors par le meurtre. De quoi mettre en rage le tueur qui regarde la télé, visage halluciné et corps adolescent (John Drew Barrymore, 24 ans).

Au sortir de l’info, le grand patron des entreprises de médias Amos Kyne (Robert Warwick) ordonne à ses directeurs de mettre le meurtre à la Une. Mobley reste le dernier, il le charge de l’enquête. Puis il meurt. Le fils de Kyle, Walter (Vincent Price) est considéré par son père comme un incapable, trop gâté. Mais il prend les rênes de l’attelage agence d’information Kyne, télévision Kyne et quotidien Kyne The Sentinel. Il ne veut pas diriger, par manque de compétences, il le sait, mais tout contrôler via un Directeur général, poste qui n’existe pas du temps de son père. Il met donc en concurrence les trois directeurs pour décider qui sera l’élu.

Mark Loving (George Sanders) dirige l’agence de presse, John Griffith (Thomas Mitchell) The Sentinel et Harry Kritzer (James Craig) la télévision. Ce dernier semble le mieux placé, étant ami avec Walter qui le reçoit chez lui – et en outre amant de sa jeune femme Dorothy (Rhonda Fleming). Ils se retrouvent lorsqu’elle dit qu’elle va « voir sa mère » et compte l’utiliser pour acquérir du pouvoir sur son mari. Les trois services qui marchaient ensembles sont désormais en concurrence féroce, nouvelle donne des États-Unis dans les années cinquante ; le collectif de la guerre a fait place au chacun pour soi.

Le journaliste Mobley est ami de lycée avec le lieutenant Kaufman (Howard Duff) qui dirige l’enquête. Cette source privilégiée va lui donner une longueur d’avance, mais qui favorisera-t-il pour le scoop qui offrira le poste de directeur ? Après avoir été équitable dans la distribution de l’information (logiquement l’agence de presse, la télé puis le journal), il met au point avec Griffith un plan pour débusquer le tueur. Il s’agit de le provoquer pour qu’il réagisse, avec pour appât la belle et jeune secrétaire de Loving, Nancy Liggett (Sally Forrest) dont Mobley est amoureux. Celle-ci consent, jusqu’à ce qu’une rumeur coure la rédaction selon laquelle Mildred, amante de Loving, ait séduit Mobley un soir dans un taxi après l’avoir saoulé. Ce n’est pas faux mais Mobley, bourré, n’a été capable de rien et il ne s’est rien passé.

Mais si Nancy se retire du plan, le tueur n’en a cure. Il la traque. Elle se méfie et n’ouvre pas lorsqu’il sonne et il se rabat sur la voisine d’en face, une blonde qui rentre chez elle. Il s’agit justement de Dorothy Kyne, l’amante de Kritzer… Lutte, le tueur est assommé, arraisonné, sa confession dûment enregistrée par les policiers – et donnée en exclusivité à Mobley pour publication scoop dans The Sentinel.

Mobley, écœuré par les pratiques de concurrence du fils Kyne, le traite de médiocre au bar, devant Kyne qui vient d’arriver, et démissionne pour se consacrer à son mariage avec Nancy, en Floride. Là, il apprend par le journal local que Kritzer est nommé à l’international pour l’éloigner, que le poste de directeur est allé de façon juste à Griffith et que lui-même est nommé – sans lui demander son avis – à la tête du Sentinel. Il déclare qu’il ne sera pas acheté, mais l’avenir reste ouvert. Le téléphone sonne dans la chambre, il ne répond pas mais entreprend de déshabiller Nancy, indiquant par là ses priorités hédonistes sur la compétition professionnelle.

C’est un bon film noir avec de l’action et une certaine tension psychologique. Un signe des temps aussi que l’Amérique était en train de changer, ce qui explosera dans les années soixante. Pour l’époque, les femmes étaient ici présentées moins comme des poupées que comme des partenaires.

DVD La cinquième victime (While The City Sleeps), Fritz Lang, 1956, 1h39, Lang & l’Amérique : 2 Films de Fritz Lang – La cinquième Victime + L’invraisemblable vérité [Édition Collector] Masters restaurés avec le livre « La nuit américaine de Fritz Lang » de Bernard Eisenschitz (80 pages) 2012, €181,13

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Caleb Carr, L’aliéniste

Un grand roman policier décalé, par un auteur new-yorkais né en 1955 et fils de beat. Il situe son histoire en 1896, dans un New York en plein essor dû à l’afflux d’immigrants et fait intervenir des protagonistes de choix, les trois amis d’Harvard que sont Theodore Roosevelt (pas encore président mais préfet de police de la ville), le journaliste criminel de la bonne société Schuyler Moore et l’aliéniste d’origine hongroise Laszlo Kreizler. La psychiatrie n’existe pas encore vraiment et l’on nomme aliéniste ceux qui s’occupent des « fous ».

Le livre offre un triple intérêt : d’abord une bonne histoire policière de tueur en série et de sa traque minutieuse ; ensuite une peinture imagée de la ville de New York à la fin du XIXe, alors que les États-Unis ne sont pas encore une économie-monde et que les grandes fortunes (dont J.P. Morgan) règnent sur son gouvernement ; enfin des méthodes d’enquêtes tout à fait révolutionnaires, modernes pour l’époque, en faisant appel à toutes les techniques para-policières, y compris la philosophie de William James – les flics étant embauchés au bas de l’échelle et notoirement corrompus.

Tout commence par un meurtre, celui d’un prostitué mâle adolescent de 13 ans, immigré italien pauvre qui avait quitté sa famille parce que son père le fouettait pour avoir cédé dès 7 ans aux plus grands qui lui demandaient des fellations puis ses fesses. Non seulement le garçon déguisé en fille a été tué, mais mis en scène sur une tourelle en construction du pont sur l’East River, atrocement mutilé, éviscéré, énucléé et châtré, une main coupée. Post mortem heureusement. Mais pas violé. Pourquoi ce rituel ?

L’horreur se double d’une information et d’un constat amer : ce n’est pas le premier crime a avoir été commis de cette façon sur des adolescents invertis des bas-fonds de New York  – et tout le monde s’en fout. La « bonne » société ignore tout simplement ces disparitions par le déni des miséreux étrangers ; les religieux chrétiens y voient – de façon peu chrétienne – le châtiment normal de pécheurs irrécupérables ; les flics en profitent pour violenter, violer et se faire offrir des pots de vin – ils ne vont pas se mettre en quatre pour des rebuts de la société que personne ne considère ; les malfrats qui tiennent la ville, enfin, tout comme les grandes fortunes, ont intérêt à « tenir » le bas-peuple immigré par ce genre de violence : c’est ce qui leur pend au nez s’ils ne se tiennent pas tranquille, dotés d’un travail décent et avec une morale irréprochable.

Ce roman va donc bien plus loin que la simple enquête policière. Il traque les origines de la violence, non seulement personnelle, mais aussi institutionnelle et sociale. Un psychopathe peut assouvir ses instincts en toute liberté si la société est permissive à ce type de comportement, car sur des personnes ne présentant aucun intérêt social. La méthode d’enquête va donc bien vite quitter la police pour créer une cellule à part, sous les ordres du préfet Roosevelt, 38 ans et six enfants, président du pays dans cinq ans et futur prix Nobel de la Paix en 1906. Deux détectives, une assistante, le journaliste et l’aliéniste vont se mettre au travail, aidés par les domestiques de ce dernier, le nègre Cyrus et le jeune Stevie, 12 ans, petit délinquant récupéré après qu’il ait tué un gardien qui tentait de le violer.

Dès lors, ils vont traquer ce Jack L’Éventreur américain mais, contrairement à l’anglais, vont le trouver. Ils usent pour cela de la méthode inverse : partir des caractéristiques des crimes pour remonter au profil du tueur, puis identifier l’individu réel. Le lecteur mis en appétit ne sera pas déçu. Aucun chapitre ne se termine sans un quelconque progrès et les tâtonnements, observations, déductions et raisonnements sont aussi passionnants que ceux de Sherlock Holmes. Leur travail est collectif et chacun apporte sa vision.

Le meurtrier continue à frapper, mais un schéma commence à se dessiner : c’est toujours lors de fêtes chrétiennes du calendrier, toujours sur de jeunes garçons qui offrent leur corps, toujours après les avoir enlevés sans que personne ne le voie ; toujours sans viol mais avec des mutilations post mortem. Il doit y avoir dans le passé du tueur des traumatismes violents qui le poussent à détruire la jeunesse en fleur. Peut-être un rejet de sa mère, maltraitante même si cette façon de voir fait socialement l’objet d’un déni ; peut-être des scènes d’horreur qui l’ont marqué enfant ; peut-être même un viol à l’âge de ses victimes…

Malgré le sujet de la vie sexuelle des jeunes garçons devenu « tabou » pour la pruderie conservatrice d’aujourd’hui ; malgré la tendance très bourgeoise et chrétienne du déni envers tout ce qui dérange la morale commune bienséante ; malgré les abominations parfois décrites de façon clinique, ce qu’on n’ose désormais plus dans les livres, à la télé ni à la radio (mais qui se défoule sur le net) – ce roman policier est très prenant et se dévore littéralement jusqu’au bout.

Grand Prix de littérature policière et le prix Mystère de la critique 1995, le roman a fait l’objet en 2018 d’une série en 18 épisodes sur (évidemment) Netflic et Anal+. Le roman est probablement bien plus intéressant que sa déclinaison télé – forcément résumée, altérée et formatée grand public.

Caleb Carr, L’aliéniste (The Alienist), 1994, Pocket 2004, 574 pages, occasion €1,88, e-book Kindle €13,99

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Lisa Unger, L’île des ombres

Un roman policier américain un tantinet bavard, avec des personnages contrastés par paires, et qui fait la part belle aux femmes. C’est d’elles que tout vient – qu’on se le dise. Les mâles ne sont que des comparses, plus ou moins de hasard, jamais fiables ou jamais là quand « on » aurait besoin d’eux, voire carrément des non-existences, comme ce bel éphèbe qui fait flasher Chelsea, 16 ans, parce qu’il aime la musique et la littérature plus que la baise ou le sport, mais qui est totalement inventé par sa copine et son petit ami pour la forcer à sortir.

Kate est une mère sans cesse en mouvement, divorcée évidemment d’un premier mari écrivain alcoolique et violent (choisi on ne sait pourquoi, par faiblesse de vagin ?), et qui lui a donné Chelsea. Laquelle est une jeune fille sage qui ne s’intéresse pas aux garçons parce que ceux-ci ne s’intéressent pas à elle, n’ont aucune passion en commun avec elle, ne la regardent même pas. Car, selon Lisa Unger, autrice yankee dans le vent, les garçons de 16 ans ne voient dans une fille que le cul, la femelle en chaleur, la possibilité de se vider… Telle est Lulu, la grand copine de Chelsea, qui est populaire sur Fesses-book parce qu’elle couche, mais qui est nulle en maths et en littérature et exploite sa grand copine pour qu’elle fasse ses devoirs à sa place. Triste Amérique.

Kate a aussi un fils, Brendan, mais il n’a que 10 ans et reste donc encore mignon car dépendant, bien que fan de foot américain, donc casse-cou. Il sera probablement comme le grand-frère de Kate, Gene, un athlète qui s’émancipera de maman et de toutes les femmes pour agir en prédateur – comme ils ne font tous, selon l’autrice yankee dans le vent.

Quant à Sean, le second mari et père de Brendan, il est sûr et protecteur, mais jamais là quand il le faut. Pas plus que Joe, le père de Kate et mari de Birdie, laquelle ne l’a épousé que par raison car son grand amour était pour un écrivain alcoolique et violent, dépressif, qui s’est noyé. Le lecteur saura pourquoi et comment tout à la fin.

Surgit aussi Emily, une pauvre conne de 20 ans qui ne sait jamais où elle en est, commençant des études d’institutrice pour les arrêter très vite parce qu’elle est amoureuse de Dean, un loser qui n’a jamais rien fait de bien, jamais sûr de lui, mal élevé par un père qui l’humiliait, et qui s’est lié avec un malfrat psychopathe, Brad, qui lui fait faire à peu près tout ce qu’il veut. Emily sait, par raison, ce qu’elle devrait faire, mais choisit systématiquement l’inverse, par lâcheté du bas-ventre. Elle « aime » son nullard Dean qui la manipule et l’exploite, mais voudrait « le sauver »… Triste niaiserie américaine.

Nous avons donc une suite de paires : Birdie et Kate, mère et fille – qui ne s’entendent pas mais ne peuvent s’ignorer (on ne sait pourquoi) ; le frère de Kate, Théo, est absent, il ne veut plus voir sa mère trop rigide. Chelsea et Lulu, deux copines – le jour et la nuit mais qui s’admirent l’une l’autre pour ce qu’elles ne sont pas et qu’elles trouvent en complément. Joe et Sean, le grand-père et le père, qui évitent la famille, pris par « leur travail » mais soucieux surtout d’un peu d’air. Emily et Dean – deux amants que tout oppose, reliés seulement par la lâcheté vaginale de la femelle. Dean et Brad, deux compères dont l’un suit l’autre comme un toutou soumis.

Tout va se nouer autour d’une île privée, isolée au milieu d’un lac à quelques heures de New York. Birdie y vit presque à l’année, c’est « son » île, sa mère y a vécu et aimé, elle y a grandi, l’a gardée par héritage. Elle invite rituellement tous ses enfants et petit-enfants à venir passer quelques jours chaque année pour les vacances. Cette obligation ennuie tout le monde, malgré quelques souvenirs d’enfance ravie à nager, canoter et jouer au Robinson sur une île loin de tout et sans électricité – dont l’eau est à 15° – et qui capte très mal le réseau. Joe s’enfuit pour la ville ; Sean prétexte une maison à vendre comme agent immobilier, Brendan est pris par une entorse au foot brutal en vogue aux USA. Restent les filles : Birdie, Kate, Chelsea et la comparse Lulu, « une traînée » selon la grand-mère qui voit bien qu’elle ne fout rien d’autre que d’aguicher.

Pendant ces longs préliminaires d’exposition bavarde, Emily fait des siennes. Elle travaille comme serveuse à mi-temps dans un restaurant de la banlieue de New York et sa patronne Carol l’aime bien ; elle assure le viatique du ménage car Dean est incapable de trouver du boulot ou, quand il en décroche un, est foutu dehors très vite pour avoir pété les plombs. Mais Dean a un plan : il rameute Brad, un copain de tôle rencontré quand il était mineur, pour voler la recette hebdomadaire en liquide du restaurant de Carol. Emily doit leur ouvrir la porte arrière en prétextant vouloir s’épancher auprès de sa patronne. Elle sait qu’elle devrait lui dire d’appeler la police mais n’en fait rien, par lâcheté. Elle trahit sciemment son substitut de mère qui est bonne pour choisir le mal, par faiblesse. C’est une conne, une larguée, une femelle tenue par la touffe comme dirait Trump – qui en sait quelque chose. En 2012, le trumpisme est passé dans l’écriture des romans américains, on s’en rend compte ici.

Évidemment tout se passe mal, il y a des morts, des blessés. Emily persiste et signe, elle emballe ses malfrats meurtriers avec elle pour rejoindre l’île de « son père » (qu’elle croit), sorte de refuge protecteur comme un paradis, où tout pourrait recommencer (qu’elle croit). Tant de stupidité laisse pantois. Et puis c’est le huis-clos sur l’île entre la bande de femelles et les deux potes. Évidemment, rien ne va comme prévu et les secrets de famille s’en mêlent. Vous ne pourrez que noter, à la fin, que tous les morts de ce roman sont mâles. Un « féminisme » qui dérive vers l’extermination de la moitié humaine, un signe des temps. Un extrémisme américain à fuir.

Au total, un roman intéressant, plus sur ce qu’il montre des États-Unis en train de se métamorphoser en un pays de plus en plus étranger aux nôtres, malgré la colonisation des esprits qui adorent parler globish et écrire bancal comme là-bas. Un style bavard et des personnages un peu caricaturaux, mais dans une ambiance à la Mary Higgings Clark. Peut se lire, mais ne se relit pas, signe d’une qualité littéraire médiocre. Il est fait pour faire du fric, très vite, selon la mode du temps.

Lisa Unger, L’île des ombres (Heartbroken), 2012, Livre de poche 2014, 549 pages, €7,90 e-book Kindle €11,99

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Terminator 2 de James Cameron

Un film culte, sorti en 1991 après la guerre du Golfe, suite d’un précédent film sorti en 1984 après l’arrivée de Ronald Reagan au pouvoir. Ce n’est pas anodin : l’Amérique s’est réveillée et craint la guerre totale universelle. Moins celle menée par les Soviétiques ou les Arabes que celle que rend possible la technologie.

Le mot est lancé : ce sont bien les machines qui menacent l’humanité. Et parmi elles, « l’intelligence » artificielle, les processus automatiques sans âme qui reproduisent la bureaucratie anonyme des bas esprits binaires chez qui tout doit être blanc ou noir. L’envoi par « le rectorat » de Versailles de la lettre aux parents de l’adolescent harcelé qui s’est suicidé dans les Yvelines en septembre 2023 montre combien « l’intelligence » artificielle n’est pas réservée aux machines. Et combien le comportement administratif des je-m’en-foutistes et je-t’emmerde-c’est-le-règlement déshumanise les relations humaines.

La fiction veut que la découverte de puces électroniques révolutionnaires ait permis l’automatisation des bombardiers (aujourd’hui les drones) grâce à un processus automatique livré à lui-même (tir à vue sur cibles). L’hubris des militaires – évidemment américains – a poussé à la machinisation poussée de tout le système de défense afin d’éviter les émotions humaines et autres retards de riposte. L’ordinateur qui contrôle les machines, Skynet (le nom est aujourd’hui repris par un site de livraisons), a déclenché la Troisième guerre mondiale en atomisant l’Union soviétique afin d’assurer en riposte la pulvérisation des humains à Washington qui voulaient l’empêcher d’agir et reprendre la main.

Le Skynet du futur avait envoyé en 1984 un Terminator, cyborg tueur T-1000 en « métal liquide », pour éliminer Sarah Connor (Linda Hamilton), mère du futur John Connor qui deviendra chef de la résistance humaine contre les machines. Raté ! Skynet envoie donc un nouveau tueur cyborg en 1995 (Robert Patrick), juste avant le début de la guerre atomique survenue en 1997, pour éliminer John adolescent (Edward Furlong, 13 ans au tournage). Le John du futur, vers ses 45 ans, envoie lui aussi un cyborg afin de le protéger du tueur, mais ce n’est qu’un modèle T-800 plus ancien (Arnold Schwarzenegger). Il est capable d’apprendre, doté d’une IA assez performante (plus que le niveau atteint aujourd’hui par les chercheurs). Le gamin prendra un malin plaisir à lui enseigner ses expressions d’ado de l’époque comme « claque m’en cinq, hasta la vista Baby ou reste cool sac à merde ». Il est aussi capable de sourire, ce que ne fait pas le T-1000. Ces moments d’humour font beaucoup pour l’empathie du spectateur envers John et envers T-800.

La mère découvre en outre que le cyborg serait « un père parfait » pour son fils, elle ayant raté tous ses amants successifs avant d’être internée en hôpital psychiatrique. En effet, la machine est toujours disponible, prête à jouer à tout, sans jamais l’engueuler ou le battre, et le protégera quoi qu’il arrive. Un bizarre féminisme de la part d’une mère devenue quasi androïde dans sa paranoïa… Mais cette relation ado-cyborg est bien le cœur du film, ce qui en fait probablement le meilleur de la série Terminator.

Terminator 2 se voit et se revoit avec plaisir tant il est empli d’action sur fond d’apocalypse, comme notre époque angoissée le chérit. L’ado est assez banal, ni très costaud ni vraiment sexy malgré sa mèche à la mode, mais débrouillard et d’un calme jamais vu à cet âge en de telles circonstances. La mère séduit moins, en névrotique musclée pas très aimante, fascinée par le cliquetis des armes. Les cyborgs sont comme ils se doit : des machines sans âme qui font leur boulot inexorablement (ainsi qu’on demande à tout militaire américain et à tout bureaucrate français). Le T-800 paraît plus sympathique parce qu’on lui a ordonné de protéger un jeune humain et que cette fonction lui donne le comportement d’une figure paternelle. Le T-1000 est implacable et rusé, tout à fait dans son rôle, le visage-masque impassible comme un soviéto-nazi de caricature.

Les effets spéciaux font moins d’effet depuis qu’ils se sont multipliés avec l’électronique au cinéma, mais les séquences cultes ne manquent pas. A commencer par la première qui voit Schwarzenegger sortir tout nu d’une sorte d’œuf électro-magnétique dans la banlieue industrielle de Los Angeles. Sa prestation dans le bar-billard donne le ton : il en impose par sa prestance, sait ce qu’il veut, résiste aux coups et casse toute résistance des machos rockers bikers californiens fort à la mode en ce temps-là. Il obtiendra vêtements, moto et fusil à pompe sans vergogne et descendra les marches sur un riff de guitare électrique mémorable.

Une autre séquence est la poursuite du gamin en moto que menace un énorme truc américain, un camion comme dans Duel de Spielberg. Ce ne sera pas le seul camion à poursuivre les héros mais reste le symbole de la machine macho par excellence qui écrase de sa puissance tout insecte humain sur sa route.

La séquence explosions où la bande des quatre (avec Joe Morton en chercheur coupable) fait tout sauter du labo de technologie de pointe afin d’empêcher (ou de ralentir…) la recherche sur la puce du futur est aussi d’anthologie, avec tirs continus et massacre de bagnoles de flics à l’américaine.

Enfin l’ultime séquence du suicide du cyborg protecteur dans la fonderie, après une violente et douloureuse bagarre avec le cyborg agresseur dont le métal liquide se reforme au gré des formes qu’il prend, reste dans les mémoires comme un moment d’émotion. L’ado a récupéré sa mère mais perd son père de substitution : il devient adulte. Mais l’IA a compris le sens de l’émotion humaine via les larmes. Peut-être est-elle capable de s’humaniser et de quitter le binaire glacé des machines ? C’est du moins le sens que tente maladroitement de suggérer Sarah Connor en voix off.

DVD Terminator 2 – Le jugement dernier (Terminator 2: Judgment Day), James Cameron, 1991, avec Arnold Schwarzenegger, Linda Hamilton, Robert Patrick, Edward Furlong, Joe Morton, StudioCanal 2017, 2h11, édition remasterisée €9,99 Blu-ray 3D €36,61

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La prochaine guerre sera celle des opinions

Hier c’étaient le nombre des hommes, leur armement, leur commandement et leur courage. Aujourd’hui, ce sont les opinions, les émotions manipulées et les réseaux. Ce qui compte est aujourd’hui moins d’afficher la plus grosse (armée) que de convaincre les (petits) cerveaux de la masse mondiale.

Nous changeons de monde – une fois de plus

Les États-Unis, forts de leur économie, de leur sens de l’initiative, de leur esprit d’entreprise et de leur aptitude à tout oser, ont durant un siècle (depuis la crise de 1929) assuré leur hégémonie sur le monde. Exit le vieux continent, le Royaume-uni décati, la France affaissée, l’Allemagne en ruines, l’Italie ridiculisée et l’Espagne marginalisée : les États-Unis assuraient tout, de l’économie avec le Plan Marshall et les exportations de biens de consommation, la mode des marques technologiques (Chevrolet, IBM, Apple, McDonald, Coca Cola – avant Google, Microsoft, Tesla…), le soft power culturel avec le cinéma, la musique, les artistes d’avant-garde, les thrillers, les séries, les applis – et la protection militaire avec de gros missiles, une flotte imposante, une armée mobilisable partout dans le monde, des interventions massives.

Ce monde-là, dans lequel ma génération a vécu, est terminé. C’est une fin de cycle. Pas de nouvel imperium pour le moment. Il se pourrait qu’il soit chinois, croit-on – il se pourrait aussi que non, les problèmes de la Chine étant de plus en plus avérés : démographie en berne, économie qui ralentit, dettes internes abyssales, contestations dans les courants du parti communiste, commerce international qui se ferme, notamment sur la haute technologie. Nous sommes dans le flou malgré la boussole de l’histoire, sans gendarme du monde – et l’ONU, ce « Machin » selon de Gaulle, continue de faire rigoler.

La seule parade possible semble être aujourd’hui de dissuader.

C’est ce que fait Poutine quand il agite l’arme nucléaire, dont son armée peut user tactiquement, ce qui est tacite depuis le temps de l’URSS. C’est ce que recherche l’Iran et la Corée du nord, qui veulent à tout prix la bombe pour dissuader l’empire américain de les soumettre.

Mais la dissuasion peut être aussi non-nucléaire. Elle peut être :

  • économique – sur les métaux stratégiques, les flux commerciaux (détroit d’Ormuz, mer Noire, mer de Chine), les sanctions ;
  • énergétique – sur le pétrole et le gaz contrée par la construction de centrales nucléaires nouvelles et l’accélération des panneaux solaires et des éoliennes ;
  • migratoire – en favorisant ou non le passage des migrants vers l’Europe faible, incapable par humanisme bêlant de les arrêter et de les expulser.
  • culturelle – par un contre-modèle ; Poutine cherche à en établir un, mais ses actions ne font pas rêver… Xi en stabilise un, mais il reste fragile et peu attrayant ; Orban tente de le faire pour son pays. Mais que fait l’Europe ? Que fait la France ?

L’Amérique continue d’être la boussole car rien n’est encore terminé. Les élections présidentielles restent pour définir tous les quatre ans ce qui est possible. La période Trump fut une vaste blague qui a abouti à un vaste chaos, personne ne comprenant plus rien dans le monde à la politique étrangère étasunienne. Trump était contre le terrorisme mais a laissé les Talibans revenir en Afghanistan ; Trump était contre la Corée du nord mais a joué les matamores pour accoucher… d’une souris jaune ; Trump a voulu mettre à bas l’Iran mais son retrait du Traité l’a au contraire encouragé… Trump est un foutraque qui n’a d’autre politique que médiatique, une grande gueule de télé, sans rapport avec la réalité. Tout ce qu’il veut, c’est « une belle blague» – et les gens le croient – car les gens sont bêtes, surtout lorsqu’ils se mettent en bande sur les réseaux sociaux où la raison se réduit au plus petit commun dénominateur, ce qui n’est pas grand-chose.

Ce sont les opinions publiques qui vont commander

Via les réseaux sociaux à diffusion instantanée hors de tout contrôle, elles vont dire qui ressort vainqueur des conflits, parfois même si l’armée a gagné. C’est ce qui est train d’arriver à Israël, il est vrai mal servie par un gouvernement réactionnaire qui a porté les religieux intégristes juifs au pouvoir. Comment déplorer encore et toujours les attentats odieux du Hamas – qui n’ont duré que deux jours à peine – alors que Gaza est sous les bombes depuis quarante jours – comme dans la Bible ? Les réseaux ont bruissé un moment des atrocités islamiques, mais les atrocités des bombes israéliennes durent depuis un plus long moment. Souvent opinion varie, et l’aiguille est focalisée sur ce qui dure.

Les États ne sont plus en mesure de désigner l’ennemi

C’est pourtant ce qui définit leur souveraineté politique. Ce sont les arènes cognitives qui prennent le relais depuis quelque temps, c’est-à-dire les espaces sociaux où se construisent les perceptions du monde. Les États-Unis avaient cette capacité à gros débit avec leur soft power carotte, aidé du gros bâton armé. Désormais, l’info devient infox et ils ne maîtrisent plus grand-chose. La ferme à trolls de Prigogine a manipulé sciemment les élections américaines ; les réseaux de Wagner ont tenté d’accuser l’armée française de crimes de guerre au Mali en dissimulant des cadavres sous le sable (heureusement détectés par un drone de surveillance qui les a filmés) ; deux Moldaves, semble-t-il inféodés aux réseaux mafieux de Poutine, ont tagué des étoiles de David bleues sur les murs de Paris pour faire croire à une provocation d’extrême-droite ou d’extrême-gauche, en tout cas pour raviver l’antisémitisme et encourager le chaos social.

En cas de réélection de Trump, les institutions américaines vont de plus en plus probablement se bloquer. La Cour Suprême ne représente plus la conviction de la majorité de l’électorat, certains États se démarquent des décisions fédérales pour inscrire par exemple le « droit » à l’avortement dans leur propre constitution. La démocratie américaine, phare du monde libéral depuis Tocqueville, montre ses limites et craque. L’hyperpuissance n’est plus acceptée comme un modèle par l’opinion mondiale , notamment après l’assaut des supporters d’un président battu aux élections sur le Capitole, siège du pouvoir, comme dans une vulgaire république bananière ou africaine. Trump a ruiné l’image des États-Unis.

L’Europe et ses vieilles démocraties, parfois républicaines oligarchiques, parfois monarchiques, parfois fédérales ne réussit mieux. Elles font et ont fait la morale au monde entier (cette plaie qu’a longtemps incarné la gauche française), mais montrent dans les faits leur deux poids-deux mesures, sans parler de leurs divisions. Israël bafoue l’ONU depuis des dizaines d’années ? On ne la contraint pas, on ne la sanctionne pas, on ne manifeste pas sa réprobation. Même quand des Juifs orthodoxes extrémistes veulent soumettre la Cour suprême, personne ne bronche, ce serait de l’antisémitisme que de même en parler. Les pays arabes ont laissé – sciemment – prospérer des « camps de réfugiés » aux portes d’Israël depuis 1948 ? Nul ne s’en offusque, c’est pourtant le signe que l’exil serait provisoire, que l’État d’Israël est un imposteur qui ne saurait durer – et cela entretient le ressentiment, suscite l’appel religieux au djihad, le terrorisme. Mais qui s’en offusque ? Deux poids-deux mesures.

Le « Sud global » – expression qui n’a guère de sens puisque le « sud » inclut semble-t-il la Russie – a beau jeu de dire que les démocraties n’ont pas de leçons à donner et qu’elles pourraient balayer devant leurs portes. Elles ne respectent pas leurs promesses et ne contraignent pas ceux qui les servent. Pourquoi donc se mêlent-elles des affaires intérieures ? Au nom de quelle morale supérieure – souvent bafouée ?

Bon, il y a les nations, mais quelle régression ! Les idéologies rigides ont toujours fait perdre les guerres démontre l’historien anglais Paul Kennedy.

La conscience planétaire liée à la connectivité accrue de l’humanité est désormais la meilleure arme.

Aux plus habiles de la manipuler pour gagner la guerre, la vraie – celle de l’opinion. Le vainqueur est celui qui raconte la meilleure histoire sur X-twitter ou sur Youtube. Les sciences du comportement peuvent faire basculer les croyances et les valeurs des individus, ainsi que leur capacité à décider, via les émotions.

Les biais cognitifs et les dissonances morales (doutes de conscience coupable, hésitations d’humanisme dévoyé) s’engouffrent à plein dans les réseaux sociaux, sur les plateaux de télévision, les think tanks, les ONG, et autres « zassociations » toujours prêtes à se donner le beau rôle de la posture morale.

La prochaine guerre mondiale sera celle des opinions.

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JFK d’Oliver Stone et Enquête

John Fitzgerald Kennedy, le 35ème président des États-Unis, a été assassiné à Dallas le 22 novembre 1963 – cela fait soixante ans. Il y a trente ans, et quasi trente ans après les faits, Oliver Stone remet en cause les conclusions de la commission sénatoriale Warren, semble-t-il inféodée aux intérêts « d’État », autrement dit aux services secrets CIA et FBI comme aux Renseignements militaires et plus généralement au lobby militaro-industriel, si puissant dans la première puissance de la planète qui entend le rester.

Le film met en scène l’étonnement puis la mission du procureur général de la Nouvelle-Orléans Jim Garrisson qui décide de porter devant un tribunal les complicités d’un mafieux utilisé par la CIA, Clay Shaw. Moins pour gagner que pour remettre en cause la version officielle et inciter les citoyens américains à utiliser leur raison et leur bulletin de vote pour contrer ce qui devient, insidieusement, « le fascisme » (le terme est prononcé). Au moment où la violence fait irruption en politique en Europe et en France, et pas seulement à l’extrême-gauche comme d’habitude, où l’on brûle la maison d’un maire, où l’on tabasse un neveu par alliance d’un président, où l’on caillasse des permanences d’élus cette incitation au sursaut civique nous parle toujours.

C’est ça, le fascisme : la libération des pulsions primaires, le permis de casser, de torturer, de violer, de tuer impunément ; dans la démocratie, seul l’État a le monopole de la violence légitime, il ne la délègue pas à des nervis privés. Mussolini a commencé par l’huile de ricin introduite de force dans la gorge des opposants avant de carrément les assassiner ; Hitler a lancé ses Sections d’assaut bourrées à la bière contre les magasins juifs et contre les « pédés communistes » avant de les enfourner en camps, destinés à l’extermination ; Poutine a accusé ses opposants politiques des pires turpitudes sexuelles ou fiscales avant de les empoisonner ou de les « suicider » par pendaison. Dans l’Amérique de Lyndon Johnson, devenu président sur un tarmac d’aéroport, – selon Oliver Stone – le lobby des puissants se servait des « services » comme Poutine et usait de la mafia comme Poutine, pour leurs intérêts : inciter à la guerre, vendre des armes, faire la grande gueule contre l’URSS, parquer les Noirs revendicatifs. Robert Kennedy, ministre de la Justice, puis Martin Luther King seront assassinés à la suite de JFK, pour les mêmes raisons.

Le film d’Oliver Stone est trop long, son montage trop haché et fébrile, notamment au début, faisant tourner la tête – ce qui est peut-être voulu. L’histoire de couple si conventionnelle de l’épouse cherchant à retenir son cher mari à la maison « avec les enfants » (cinq en 8 ans dans ces années baby-boom), opposée au mari en chevalier combattant les moulins comme un preux à l’extérieur, est bien niaise. Les méchants sont clairement identifiés et marqués comme gros, machos ou pédés, en tout cas véreux. Les bons doutent mais ne renoncent jamais. C’est un peu Stone comme conte.

Mais le fond du propos reste un point d’histoire non encore véritablement élucidé, et une réflexion sur le pouvoir, ses limites et ses abus. L’Enquête, sur un DVD séparé (en version originale sous-titrée en français), issue des travaux de la Commission de révision des dossiers d’assassinat en 1994 et 1998, offre quelques documents et témoignages qui n’apprennent pas grand-chose de plus mais confirment en 2021 ce qui est dit dans le film de 1991. Comme quoi on « savait » malgré les précautions, il manquait seulement les « preuves » juridiques concrètes des implications des uns et des autres, notamment l’accès au film de Zapruder qui dure 26 secondes et qui a tourné en direct la mort de John Kennedy. Il y aurait eu trois tireurs et au moins quatre balles en tir croisé, dont deux mortelles ; Oswald était un bouc émissaire facile, préparé pour cela à son insu ; d’autres complots avaient été préparés selon les mêmes modalités, à Chicago et à Tampa, avec à chaque fois un bouc émissaire plausible pour masquer l’équipe d’une douzaine de personnes autour ; l’autopsie a été falsifiée et « la balle magique » retrouvée pas la bonne.

Selon cette thèse, les assassins ne seraient ni l’URSS, ni Cuba, ni la Mafia américaine, mais bel et bien une partie réactionnaire des « services », aigris du refus de Kennedy d’assurer la couverture aérienne de la désastreuse tentative d’invasion de Cuba par les anti-castristes préparés par la CIA, puis par son désir d’arrêter l’escalade au Vietnam tout en promouvant une politique de détente internationale. Ils auraient été aidés par l’ambiance de droite radicale du Texas à tous les échelons, de l’administration à la police, qui n’offre qu’une protection très laxiste au cortège présidentiel à Dallas, « cité de la haine ».

A noter que le Texas reste un bastion de l’extrême-droite réactionnaire aux États-Unis encore aujourd’hui. Oliver Stone met de la cohérence dans le flot de documents et témoignages contradictoires. Il a l’avantage de proposer une « belle histoire » qui oppose progressistes et conservateurs ; elle séduit par sa logique mais sélectionne ses preuves. Est-ce vrai ou seulement véridique ? Tout est là.

Les complotistes plongeront à pieds joints dans l’histoire telle qu’ainsi racontée, les citoyens moyens soupçonneront que les politiciens leurs cachent des choses et se méfieront d’eux (ils vireront Nixon par Impeachment une dizaine d’années plus tard), les historiens douteront – c’est leur métier – d’autant que l’ensemble des documents ne sera pas déclassifié avant 2029, notamment le témoignage de Jacqueline Kennedy elle-même !

Mais ce beau moment de cinéma remet l’ouvrage sur le métier et incite à réfléchir sur la communication, la présentation des faits par les officiels, les médias et l’opinion commune, toutes entités manipulables à merci.

DVD JFK, Oliver Stone, 1991 + JFK L’enquête (JFK Revisited – Through the Looking Glass), 2021, 2 DVD, édition 60ème anniversaire – Version longue Director’s Cut, avec ‎ Kevin Costner, Tommy Lee Jones, Kevin Bacon, Donald Sutherland, Jay O. Sanders, L’Atelier d’images 2023, 3h17, €19,99 Blu-ray €24,99

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Alien le huitième passager de Ridley Scott

L’alien, c’est l’étranger en anglais, terme qui vient du latin alienare, égarer la raison, transformer, rendre hostile. Le mot a donné « aliéné » en français, celui qui est hors de sa raison, le fol.

L’Alien est un monstre de l’espace, suprêmement intelligent, télépathe, et sans aucune conscience « humaniste ». Le rêve des libertarien américains. Il est efficace, cruel pour arriver à ses fins, n’hésitant jamais à faire tout ce qu’il peut pour se reproduire et prendre le pouvoir; un vrai psychopathe. Le rêve des capitalistes yankees. A noter que les créatures extraterrestres « aliens » sont des reines qui se reproduisent en agrippant au visage n’importe quel être vivant sans avoir besoin de mâles. Le rêve des féministes anglo-saxonnes. D’ailleurs, l’héroïne du film est la troisième lieutenante du vaisseau, Ellen Ripley (Sigourney Weaver), ce qui accentue le message.

Ce film, dont le scénario de Dan O’Bannon n’est pas très bon à cause des invraisemblables manquements aux règles les plus élémentaires de sécurité dans l’espace au début, est devenu un mythe. Il s’est décliné en six suites et plusieurs jeux vidéos ou jeux de rôle. L’Alien est l’étranger qui s’inocule chez vous, dans votre cocon, dans votre ventre même, et qui vous transforme en esclave pour ses besoins propres. Une allégorie de « l’immigration » non consentie ou du « viol » physique, thèmes qui résonnent toujours fort de nos jours.

Le cargo interstellaire Nostromo, qui transporte une cargaison de 20 millions de tonnes de minerais pour une puissante compagnie privée, retourne vers la Terre. L’ordinateur de bord appelé « Maman » réveille les sept membres de l’équipage maintenus en biostase pour une raison non-commerciale mais militaire : un signal radio inconnu a été capté, émis depuis un planétoïde du système binaire Zeta Reticuli. Les consignes exigent d’aller voir pour enquêter sur toute vie extraterrestre. La navette attenante au vaisseau est donc détachée avec tout l’équipage pour atterrir sur la planète.

Si le lieutenant Ellen Ripley, l’officier scientifique Ash (Ian Holm), l’ingénieur Parker (Yaphet Kotto) et le technicien Brett (Harry Dean Stanton) restent à bord de la navette, le capitaine Dallas (Tom Skerritt), son second Kane (John Hurt) et la navigatrice Lambert (Veronica Cartwright) débarquent à pied en scaphandre pour aller voir le signal, qui émet à 2000 m de leur atterrissage. Les scaphandriers contiennent des enfants, les fils de Ridley Scott, pour rendre le décor plus grand qu’il n’est.

Kane, qui ne prend aucune précaution élémentaire devant l’inconnu et qui explore comme un gosse, tombe devant des « œufs » qu’il s’empresse d’approcher de près et de toucher. Il ne lui vient pas une seconde à l’esprit que ce pourrait être dangereux. D’autant que nul n’a eu l’idée de faire décoder le signal radio par « Maman », ce qu’entreprend en attendant le retour des trois la lieutenante Ripley. Kane est donc victime – par imprudence et bêtise – d’un parasite qui explose d’un œuf pour se fixer à son visage comme un masque.

Il est ramené au vaisseau et, malgré l’ordre de Ripley, commandante de la navette en l’absence du capitaine, est introduit dans la cabine par Ash. Pire, au lieu d’être mis immédiatement en hibernation afin d’en savoir plus et de le soigner sur terre, il est conduit à l’infirmerie où l’officier scientifique l’examine et dit que tout va bien.

Et ce n’est pas entièrement faux. Kane se réveille, le masque qui le couvrait étant tombé tout seul. Il plaisante, a soif et faim, se restaure comme un ogre… avant d’être pris brutalement de nausées et d’expulser par le ventre un xénomorphe qui ressemble à un jeune dragon. Ash empêche Parker de le poignarder au sortir du ventre. Kane meurt et tous les autres sont menacés, comme l’avait prédit Ripley.

Seul l’ingénieur technique noir Parker a du bon sens dans tout cet équipage de demeurés. Lui veut éliminer carrément l’alien alors que le scientifique Ash tergiverse et que le capitaine s’en lave les mains. Quant à la navigatrice, elle est gourde et tétanisée, elle ne sera d’aucune utilité et victime consentante du monstre qui la viole d’une antenne et jouit de ses cris.

Car l’alien devenu très vite adulte (Bolaji Badejo) massacre un à un tout l’équipage, sauf Ripley, moins bête que les autres, qui prend le temps de réfléchir avant de faire n’importe quoi. Il est assez pénible aujourd’hui de suivre les actions stupides de tous ces gens réputés entraînés, éduqués, prévenus (comme d’introduire l’inconnu dans le vaisseau, ne pas respecter la quarantaine, empêcher qu’on le tue au sortir du ventre, aller traquer le monstre à la torche). L’espace n’est pas un bac à sable, et pourtant ils font comme si.

La raison donnée est militaro-industrielle, scie des intellos hollywoodiens en mal d’idées. Ash, qui a remplacé le médecin militaire précédent sans raison, se révèle un androïde placé dans le vaisseau par la compagnie pour assurer la mission. Il tente de tuer Ripley dans un simulacre de viol en lui enfonçant une revue porno roulée dans la bouche lorsque, devenu capitaine après la mort du capitaine, elle apprend par Maman que les ordres sont d’assurer le retour de l’Alien aux laboratoires de la compagnie multinationale Weyland-Yutani, « même si cela implique la disparition de l’équipage ». Les « affaires » avant tout, ou plutôt la puissance militaire au mépris de la vie humaine – un air connu aux États-Unis entre Vietnam et Watergate.

La seule survivante de cette histoire avec le chat Jones (quatre chats roux différents ont joué le rôle) parvient à durer après avoir enclenché l’autodestruction du vaisseau et détruit ainsi symboliquement la Mère qui a trahi (Maman). Mais l’alien, rusé, s’est introduit dans la navette et Ripley doit ruser elle aussi, s’adapter en bonne humaine intelligente, pour éviter de penser à ce qu’elle va faire afin de ne pas alerter le monstre et le surprendre. Elle réussit à passer un scaphandre, à ouvrir le sas et à éjecter la créature dans l’espace d’un coup de harpon. Elle dicte un rapport sur les événements avant de se mettre en hibernation avec cap sur la terre.

DVD Alien le huitième passager (version cinéma 1979 et Director’s Cut), Ridley Scott, 1979, avec ‎ Sigourney Weaver, Tom Skerritt, Veronica Cartwright, Harry Dean Stanton, John Hurt, 20th Century Fox 2014, 1h57, Blu-ray €19,49 version classique DVD 2005 €11,47

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Ces garçons qui venaient du Brésil de Franklin Schaeffner

Le film, sorti en 1978, surfait sur la mode qui remettait les nazis au goût du jour. Il est adapté du roman d’Ira Levin sorti en 1976 et qui a connu un grand succès. Décédé en 2007, l’auteur était un juif new-yorkais connu surtout pour Rosemary’s Baby (une femme violée en rêve par le diable) dont Polanski a fait un film. Cette mode en croisait une autre mode surgie dans les années 70 : la génétique.

Depuis la Seconde guerre mondiale, en effet, la génétique a opéré des pas de géant. Dès 1944 il est démontré que l’ADN est le support biochimique des caractères héréditairement transmis ; en 1953 Watson et Crick prouvent la structure de l’ADN en double hélice ; en 1958 Jérôme Lejeune décrit la trisomie 21 ; dans les années 60 François Jacob, Jacques Monod et François Gros distinguent l’ADN mémoire de l’ARN messager. Au début des années 70, les méthodes et outils permettent le génie génétique et la manipulation des gènes en les recombinant. Et c’est en 1977, à la veille de la sortie du film, que débute le clonage des gènes humains.

Hitler et les nazis faisant de la « race » le socle de leur société et de leur projet politique, la rencontre des survivants du IIIe Reich et du clonage ne pouvait que s’opérer dans un thriller à succès. De quoi bien faire peur sur l’avenir avec les démons du passé.

Les garçons qui viennent du Brésil sont des bébés soumis à l’adoption dans des familles choisies à travers le monde. Il s’agit d’un complot mondial financé par d’anciens nazis, regroupés dans l’association des Kameraden (camarades), et dont la partie scientifique est opérée par le célèbre et démoniaque docteur Mengele (Gregory Peck, époustouflant dans le rôle). Celui-là même qui fit des expérimentations à vif sur les détenus des camps, juifs et non-juifs, femmes et enfants compris. Il s’est intéressé notamment aux jumeaux et à la génétique, comment l’environnement pouvait actualiser différemment les gènes. Après guerre, réfugié en Amérique du sud comme tant d’autres nazis, il est censé avoir poursuivi ses expériences sur les populations amérindiennes, considérées comme des sous-hommes même par les gouvernements latinos locaux.

Le vieil Ezra Lieberman (Laurence Olivier, remarquable avec son accent yiddish et sa bonhommie d’Europe centrale) est un célèbre chasseur de nazis sur le modèle de Simon Wiesenthal. Il vit à Vienne en Autriche avec sa sœur Esther (Lili Palmer) dans un appartement qui a des fuites et dont il peine à payer le loyer. Il reçoit un appel du Paraguay de la part d’un jeune juif activiste, Barry Kohler (Steve Guttenberg). Le jeune homme croit avoir un scoop : il a retrouvé des officiers nazis et même le docteur Mengele. Ce n’est pas neuf pour Lieberman, il le sait, comme tout le monde et conseille à Kohler de quitter le pays immédiatement s’il veut conserver la vie. Les nazis ne rigolent pas avec ceux qui les observent.

Évidemment l’aventurier excité par sa découverte n’en fait rien et va même jusqu’à soudoyer un gamin qui sert de portier à l’imposante demeure de Mengele. Il le convainc de poser un dispositif d’écoute dans le salon en échange d’une radio toute neuve. Ce qui lui permet d’entendre et d’enregistrer une conversation entre tout un groupe de nazis chargés d’assassiner 94 fonctionnaires de 65 ans dans différents pays, à des dates précises. Naturellement, le jeune juif inconscient est repéré et poignardé à mort, sa cassette confisquée. Il a eu juste le temps de téléphoner à Lieberman pour lui passer les premiers moments de l’enregistrement avant que l’autre entende sa mort en direct.

Le vieux chasseur de nazis se dit qu’il y a peut-être quelque-chose à creuser et surtout des meurtres à empêcher. Il joint un journaliste de Reuters à Vienne qui lui doit un service pour qu’il lui communique toutes les coupures de presse sur les morts d’hommes de 65 ans dans les prochaines semaines. Il cherche le point commun. Tous sont pères de famille, du même âge et avec une épouse de 23 ans plus jeune ; tous ont un garçon de 14 ans. Et pourquoi 94 ? Parce le chiffre est proche de 100, ce qui permet une bonne probabilité de réussite. Il va voir une famille à Londres dont le père vient de décéder d’un accident et la porte est ouverte par un garçon pas très aimable au teint pâle, aux cheveux très noirs avec une mèche sur le front, et des yeux très bleus (Jeremy Black, né en 1962 d’un père juif ashkénaze, presque 15 ans au tournage). Lors d’une seconde visite aux États-Unis, il a la surprise de rencontrer le même garçon, comme s’ils étaient jumeaux. Un activiste juif de la bande à Kohler, qui veut l’aider, va visiter une troisième famille et décrit un garçon semblable.

Lieberman sollicite alors un entretien avec Frieda Maloney (Uta Hagen), rattrapée par son passé de gardienne du camp d’Auschwitz et emprisonnée. Elle l’informe qu’elle a travaillé pour les Kameraden en livrant des bébés adoptables depuis le Brésil à des familles qui ne pouvaient avoir d’enfants. Elle n’en sait pas plus mais Lieberman se rend auprès du Dr Bruckner, biologiste qui lui explique les principes du clonage, tout juste découverts. En inscrivant au tableau noir les caractéristiques des enfants, Lieberman et Bruckner comprennent qu’il s’agit de cloner Adolf Hitler et de reconstituer son environnement familial le plus précisément possible : son beau-père Aloïs autoritaire et abusif décédé lorsque Adolf avait 14 ans ans, sa mère Klara de 23 ans plus jeune effacée et fusionnelle avec son fils – afin d’en faire des activistes politiques aptes, une fois adultes et dans chacun de leur pays, à soulever la race pour un IVe Reich.

Cette curiosité inquisitrice et surtout la célébrité médiatique d’Ezra Lieberman effraient les commanditaires nazis, qui veulent garder profil bas. Mengele dérape de plus dans la mégalomanie, se prenant pour le donneur d’ordre suprême de la SS et allant jusqu’à frapper un capitaine pour n’avoir pas obéi très exactement à ses ordres précis. De quoi attirer l’attention sur eux. Ils stoppent donc le projet contre l’avis du docteur et brûlent sa maison pour effacer les traces. Mais il est parti pour le lieu de la prochaine visite probable de Lieberman à une famille dont le chef doit mourir à ses 65 ans. Dans une ferme isolée, il tue le père adoptif après l’avoir isolé de ses dobermans de garde et attend Lieberman qu’il veut zigouiller aussi afin de poursuivre tout seul sa mission. Mais il tire comme un pied, ratant le Juif assis à deux mètres de lui – il est du genre à rater un éléphant dans un couloir, ce nazi haineux, ce qui est plutôt grotesque et une faiblesse du montage !

Lieberman parvient à ouvrir la porte aux dobermans qui sautent sur Mengele et le tiennent en respect parce que c’est lui qui tient l’arme ; ils sont dressés. Le gamin revient de l’école, ce clone-ci se prénomme Bobby, il ressemble évidemment aux autres et a du sens artistique en prenant des photos comme son ancêtre biologique qui peignait des aquarelles. Lieberman lui fait chercher son père adoptif et, lorsqu’il le trouve mort, il revient au salon et ordonne aux chiens d’attaquer ; ils égorgent Mengele. Bobby se délecte à prendre des photos bien gore. Lieberman ne dira rien à la police et il est emporté en ambulance pour être soigné de ses blessures superficielles par balle.

Dans sa chambre, l’activiste juif reconnaissable à sa coiffure quasi afro de cheveux bouclés serrés – signe racial comme Kohler ? – exige de Lieberman qu’il lui remette la liste des 94 clones afin de les éradiquer. Lieberman refuse : ce n’est pas parce qu’on est juif et que l’on a souffert de la barbarie nazie qu’il faut agir en nazi. Ces enfants n’ont rien demandés, ils sont innocents des crimes de leur père génétique et de leur médecin manipulateur ; ils ont le droit de vivre leur vie. Et il brûle la liste sous les yeux du jeune.

La caméra opère une transition où l’on retrouve Bobby dans une salle à lumière inactinique, où il développe ses photos. Il semble regarder les plaies de Mengele et les morsures des dobermans avec un certain plaisir, tout en manipulant le bracelet de dents de jaguars de Mengele. Cette scène a été coupée à la télévision allemande et n’a été rétablie que dans la version DVD. Ils préféraient le Juif qui pardonne à celui qui se pose des questions sur le Bien et le Mal, sur l’inné et l’acquis, sur les gènes et l’éducation. Ce sont pourtant les bonnes questions – toujours les nôtres.

Elles posent en effet le dilemme de faire société sur la biologie ou sur la culture.

Dans le premier cas, on est juif en société juive que parce que l’on est né d’un mère juive – c’est le cas d’Israël ; en conséquence symétriquement, pour l’activiste juif face à Lieberman, être né d’un père nazi (comme les 94 clones) fait de vous automatiquement un nazi.

Dans le second cas, être éduqué selon certaines valeurs d’une certaine culture font de vous un citoyen de tel pays ; il s’agit d’une forme de choix social, familial, personnel, culturel – pas d’une assignation génétique.

C’est toute la différence entre les sociétés anti-modernes d’Ancien régime, fondées sur le « sang » et le « sol », et les sociétés issues des Lumières fondées sur l’éducation et le contrat social, la « volonté » affirmée d’être par exemple français. A ce titre, toute personne humaine peut devenir « française » – à condition d’accepter les valeurs, la culture, le mode de vie français, et de s’y sentir bien : c’est ce que l’on appel l’universalisme.

Mais ces positions extrêmes sont chacune idéologiques. La position la plus juste est probablement de considérer que la biologie comme le territoire sont naturellement les bases de l’individu et de la société, mais que la culture et l’éducation – qui évoluent – les forment et les déforment tout au long de la vie.

C’est alors à chacun de choisir ce qu’il prend ou ce qu’il change, en fonction de sa propre histoire incluse dans la grande histoire. Chaque société choisit les individus qui veulent en faire partie, qu’ils soient dissidents de l’intérieur ou demandeur d’asile venus de l’extérieur. Les exemples de la Chine « communiste » de Mao devenue nationaliste, tout comme la Russie « révolutionnaire » anticapitaliste de Lénine, devenue réactionnaire et xénophobe, montrent combien ethnie et culture se combinent in fine.

Un film fait pour faire réfléchir.

DVD Ces garçons qui venaient du Brésil (The Boys from Brazil), Franklin Schaeffner, 1978, avec Gregory Peck, Laurence Olivier, James Mason, Lilli Palmer, Uta Hagen, Jeremy Black, Elephant films 2019, 2h02, nouveau master restauré HD €16,90

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Herbert Liebermann, La fille aux yeux de Botticelli

Des œuvres d’art sont massacrées au rasoir, tout comme des jeunes filles d’ailleurs. Y a-t-il un lien entre les deux ? Mark Manship, curateur du Metropolitan de New York, musée prestigieux, organise une exposition internationale de Botticelli, le grand peintre de la Renaissance, connu surtout pour son Printemps. Il cherche depuis cinq ans à regrouper le maximum d’œuvres pour en faire une rétrospective inédite qui assurera sa réputation d’expert et le propulsera comme directeur du musée.

Mais le mécène du Metropolitan, directeur du musée, est un inculte avide de promotion de sa personne, comme beaucoup de trop riches yankees. Il a entendu parler d’une jeune italienne qui ressemble à la Vénus de Botticelli, dont elle a les yeux, et veut sa présence au vernissage, en tunique transparente, pour attirer les médias. Manship est chargé de cette mission annexe. Or la Simonetta qui a servi de modèle au peintre était une courtisane de haut vol, prostituée de luxe, dont sa lointaine descendante ne veut pas suivre les traces. Elle refuse tout net.

Manship n’insiste pas mais laisse la porte ouverte. Il tient à son exposition, par amour de l’art et pas de l’argent. Mais Isobel a trouvé le chemin de son cœur par ses yeux extraordinaires et ses façons simples. Elle est tout l’inverse de son univers à lui, new-yorkais stressé par la réussite, pressé par le budget ; elle aime vivre à l’italienne, dans la douceur du climat et des relations humaines.

Tous les Italiens ne sont pas comme elle, notamment un ancien condisciple du lycée, le comte Borghini, d‘une illustre famille qui a choisi le fascisme sous Mussolini. Ludovico a été un enfant faible et timide que son père a humilié, le trouvant efféminé. Il l’a poussé à se battre à 6 ans et, lorsque l’enfant a donné une tapette à son adversaire du peuple qui l’avait rossé, le père a demandé au gavroche des rues de le rosser à nouveau, avec son consentement. Puis il l’a poussé à 15 ans dans les bras d’une pute, ce qui l’a dégoûté. Son père était violent, macho, militariste et fasciste ; il terrorisait son fils et a tué sa mère en maquillant le crime en celui d’un rôdeur. A sa mort, l’enfant blessé lui a voué un culte et a financé une milice d’extrême-droite où il apparaissait enfin comme le Chef. Nationaliste, xénophobe, intolérant, il ne supporte pas que le monde entier vienne « piller » les trésors du génie italien et préfère lacérer les toiles des grands peintres plutôt que de les offrir à la convoitise du public.

C’est donc un duel entre Manship l’Américain féru d’art et Borghini l’Italien fasciste perturbé qui va se jouer. Avec pour enjeu la fille aux yeux de Botticelli.

Le thriller n’est pas un roman psychologique et la caricature y règne. C’est dommage en ce roman car le thème aurait pu être développé sans tous ces détails sordides de la piètre vie de Borghini, un psychopathe pervers et narcissique faute d’avoir été aimé par son père. Mais l’aventure se lit bien, le suspense est à souhait et l’évocation de la grande peinture de la Renaissance constitue un décor somptueux.

Herbert Liebermann, La fille aux yeux de Botticelli, 1995, Points Seuil 1997, 419 pages, €6,60

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Délivrance de John Boorman

Un film post-68 fascinant : il révèle la nature et les instincts dans un monde des années soixante qui en avait perdu l’habitude et le goût. Quatre amis de la classe moyenne d’Atlanta décident le week-end, sous la direction du leader Lewis (Burt Reynolds), de descendre pour la dernière fois une rivière de Géorgie qui va bientôt être barrée pour en faire encore plus d’électricité pour les climatiseurs, dit l’un d’eux. Plus de nature, la civilisation d’abord. D’où le voyage dans le passé de l’Amérique, afin de retrouver la fraîcheur et la passion des pionniers.

Sauf que la vie aventureuse de découvreur est rude, et pas vraiment civilisée. Il faut savoir quitter les conventions, le droit et l’humanisme pour survivre dans la nature sauvage. Les quatre hommes vont le découvrir brutalement. Le virilisme de Lewis, beau macho velu et musclé en combinaison dépoitraillée, tireur à l’arc hors pair et leader incontesté, se voit remis à sa place par les circonstances. Les autres aussi, à commencer par Drew (Ronny Cox), bon père, bon époux, citoyen exemplaire soucieux des lois, et Bobby (Ned Beatty), jouisseur et primaire, qui ne sait pas dissimuler. Reste Ed (Jon Voight), suiveur et suceur de pipe compulsif, qui va se révéler endurant et courageux. Si sa main tremble lorsqu’il veut tuer un daim, il n’hésite pas face à un ennemi. La délivrance est celle de l’accouchement : chacun d’eux deviendra ce qu’il est – au fond de lui, sous le vernis du civilisé.

Car les quatre pénètrent une région sauvage, à peine atteinte par la civilisation, où les êtres humains sont isolés et se reproduisent entre eux. Le thème du dégénéré ne cessera pas dans le cinéma américain, Massacre à la tronçonneuse en donnera une illustration. Loin des autres, l’humain se ravale au rang de bête. La première séquence donne le ton, Drew improvise à la guitare, imité par un gamin autiste (Billy Redden) qui l’imite puis le défie au banjo. Mais l’autisme est bien le thème du film : deux univers qui ne s’interpénètrent pas : la civilisation et la nature, les urbains et les bouseux.

Les quatre payent deux frères du coin, qui bidouillent la mécanique, pour reconduire leurs voitures à l’arrivée, puis remontent avec eux la rivière en gros 4×4 avant de décharger les deux canoës. Ils partent, campent à la belle étoile, chassent le poisson à l’arc au bord de l’eau. Mais cette écologie est étouffante : la nuit bruit de dangers, l’humidité pénètre les os, le feu attire les prédateurs. Nul n’est en sécurité. L’idéalisme du naturel rencontre la réalité : a quête initiatique est brutale et violente.

Dès le jour suivant, Ed et Bobby accostent et sont pris à partie par deux dégénérés du coin, dont l’un est armé d’un fusil. Devant la menace, ils se soumettent, ne pouvant croire qu’en pays de droit on s’en prenne sans raison à eux. Ils ont tort. Ed sera attaché serré au cou avec sa propre ceinture, sa poitrine dénudée pour y tracer un sillon sanglant avant la suite ; sa pipe jetée laisse augurer du sort qu’il connaîtra. Bobby sera carrément dénudé et violé, son corps de grosse truie attirant par son rose imberbe et rappelant probablement à l’homme des collines ses premières expériences sexuelles avec les cochons. Celui qui tient le fusil rigole bêtement, laissant apparaître un râtelier pourri. Il voudra son plaisir par la bouche d’Ed, le suceur de pipe. Tout est montré brut (scènes censurées dans plusieurs pays, dont la Norvège luthérienne et le Brésil trop catholique), bien que le viol soit hors champ, ponctué seulement par les cris de truies que l’agresseur pousse et pousse sa victime à imiter. L’homo-érotisme soft des quatre gars en canoë contraste avec l’homosexualité hard des deux chasseurs dégénérés : nature et civilisation.

Lewis intervient avec son arc et sa main ne tremble pas lorsqu’il embroche silencieusement le violeur. L’autre s’enfuit et Ed, qui a pris son fusil, n’ose pas lui tirer dessus. Dommage pour lui, il devra l’expier ultérieurement. La nature étant impitoyable, qui ne tue pas est tué. Aucun sentiment ne joue lorsqu’il s’agit de sa vie. Quant à la morale, elle est celle de l’Ancien testament, favori des protestants yankees : œil pour œil, dent pour dent. Ce pourquoi les interminables palabres de conscience après la mort du violeur sont difficiles à suivre aujourd’hui, après les attentats et les émeutes de banlieue. Le droit, c’est bien – quand on le fait respecter. Dans les zones libres, la nature sauvage ou la sauvagerie des banlieues, le non-droit règne, autrement dit la loi du plus fort ou du plus rusé.

Le cadavre enterré – avec son fusil, malgré le danger possible des autres – les canoës repris, les compères se retrouvent non seulement dans les rapides, mais aussi sous le feu du dégénéré survivant. Il les suit du haut des falaises. Lewis dit qu’il a entendu un coup de feu, les autres non, mais Drew le légaliste borné plonge dans les ondes et, comme il a voulu ne pas porter le gilet – pourtant exigé par la loi – il crève. Bobby qui était avec lui ne peut maîtriser le canoë et l’autre vient le percuter, ce qui casse le premier et renverse le second. Ballottés par les rapides et cognés sur les rochers, Lewis en a la jambe cassée, il n’est plus bon à rien qu’à souffrir (en expiation « morale » selon la Bible yankee) et les deux autres qu’à se dépatouiller. Bobby se révèle, ses yeux se sont dessillés, il admet que c’est eux ou lui. L’adversaire est sur les sommets, il faut aller le chercher, ceux qui sont dans la rivière sont trop vulnérables à ses balles.

Ed se dévoue, escalade la falaise avec l’arc et les flèches, dans certaines attitudes irréalistes parfois, qu’on sent outrées dans un décor truqué pour la caméra. Mais il parvient au sommet, s’endort et, à son réveil, voit le bouseux pas très loin, tenant son fusil braqué sur la rivière. Il prend son arc, enclenche une flèche, bande la corde… et tremble comme devant la biche. Mais, cette fois, comme l’autre l’a vu et épaule son fusil, il tire sa flèche. C’est là que se situe le meilleur suspense du film, je ne peux en dire plus. L’a-t-il atteint ? L’autre s’avance…

Durant tout le week-end de canoë récréatif dans la nature sauvage, ce ne sont qu’erreurs, mensonges, lâcheté ou brutalité (son pendant ?) et, au fond, la panique. L’être humain urbain n’est plus habitué à la nature, ni aux hommes des bois. Ceux-ci ne sont pas de « bons sauvages » à la Rousseau (Sandrine comme Jean-Jacques), mais des bêtes humaines avilies par leur solitude. Chacun se révèle. Lewis le macho est impuissant, Bobby le cochon rose jouisseur se rend compte du prix à payer pour jouir, Drew y laisse sa peau par (mauvaise) conscience, et Ed est condamné à avoir tué, à n’avoir pas su protéger Bobby, à n’avoir pas su convaincre Drew de porter son gilet, à mentir à l’inévitable shérif.

Guerre du Vietnam qui s’enlise et Watergate qui remet en question les institutions américaines, l’an 1972 n’est pas rose. Il y aura bientôt la réaction Rambo (1972 pour le roman de David Morrel mais 1982 pour le film), cependant Délivrance est le premier à revenir aux sources pionnières du pays : la conquête de la nature et des sauvages. La dernière frontière de la rivière encore inviolée les tente, les bouseux de la montagne les font rire, mais la nature comme les dégénérés se referment sur eux. A eux de survivre. Le héros n’est pas celui qui en prend l’uniforme et la gueule ; nul n’est civilisé au fond de lui et la nature comme l’adversité le lui révèle ; la violence est inhérente à l’homme. L’insouciance n’est plus de mise.

DVD Délivrance (Deliverance), John Boorman, 1972, avec Jon Voight, Burt Reynolds, Ned Beatty, Ronny Cox, Billy McKinney, Warner Bors Entertainment France 2000, 1h50, €8,20 Blu-ray €19,75

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