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Libéral, libertin, libertaire, ultra-libéral, libertarien – Partie 2

Suite de notre note précédente, aujourd’hui Libertaire, ultra-libéral, libertarien.

LIBERTAIRE

L’État maintenu à distance. L’idéal se veut entre les petites communautés affectives et sexuelles à la Fourier et les soviets à la Bakounine. Mais la terre, c’est dur et les chèvres n’ont eu qu’un temps. Le plus gros des soixante-huitards a intégré le fonctionnariat « social », la poste ou l’enseignement. Ceux qui voulaient conserver leur jeunesse sont allés chez les « Verts ». Les autres ont goûté du trotskisme, gardant l’idéal sans le carcan. Certains, enfin, se sont intégrés à la société bourgeoise tout en affectant de la critiquer. Mariés, déclarés catholiques, vivant bien de leur plume et régentant le monde de l’édition, ils ont pris du libertaire la partie qui les intéresse le plus, ils sont « libertins ». Le sexe est toujours subversif, Gabriel Matzneff comme Philippe Sollers en ont été les plus représentatifs.

L’idéal libertaire subsiste en politique grâce à quelques philosophes qui restent dans leur tour d’ivoire sans jamais se mouiller dans un quelconque parti, comme Michel Onfray qui se dit volontiers disciple de Proudhon en économie, et girondin en organisation de l’État. Le jacobinisme (avec ses variantes bonapartiste, pétainiste, gaulliste, mitterrandienne, etc.) est pour lui l’Ancien régime d’aujourd’hui.

Tout pouvoir a tendance à l’hégémonie s’il n’est pas flanqué de contre-pouvoirs, Montesquieu l’a admirablement montré. Car l’État, même démocratique, « ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige; il force rarement d’agir, mais il s’oppose sans cesse à ce qu’on agisse; il ne détruit point, il empêche de naître; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n’être plus qu’un troupeau d’animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger. » Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique (1840). Tout comme le chat, le citoyen a le devoir d’esquiver cette contrainte d’autant plus dangereuse qu’elle est parfois « douce ». Qui ne voudrait être caressé dans le sens du poil ? Être materné sans avoir à chasser ?

ULTRA-LIBÉRAL

Quant au libéralisme « ultra », il est une invention polémique de la gauche française dans la suite du stalinisme triomphant des années 1950 et 60. Il s’agissait alors d’être absolument anti-américain et de dénigrer systématiquement tout ce qui pouvait être une valeur revendiquée par l’Amérique. Dont la liberté, surtout économique : la liberté de faire, d’entreprendre, de réussir. Seuls les États-Unis le permettent à plein, ce pourquoi tant d’immigrants se pressent à ses frontières – bien plus qu’à celles de la gauche redistributrice d’assistanat sans compter.

L’« ultra » libéralisme désigne aujourd’hui la loi de la jungle des pétroliers texans (Halliburton raflant les contrats de reconstruction de l’Irak), la politique républicaine de Georges W. Bush à Donald Trump (discours religieux fondamentaliste, politique en faveur de l’armée, diminution des impôts et des aides sociales, protection des grands groupes d’affaires, anti-immigration affirmée à cause de leur « sang » qui viendrait contaminer les « bons » Américains) et le nationalisme yankee appliqué à la planète hier sous le nom de globalisation, aujourd’hui sous le nom d’impérialisme (vous faites ce que je dis ou je vous coupe les crédits et je ne vous protège plus). Au fond, l’ultra-libéralisme est le libéralisme de l’« hyper » puissance, sauce républicaine yankee, pas le nôtre. Mais la gauche adore exagérer les termes pour en faire des caricatures, donc des boucs émissaires facile à épingler, ça fait bien dans les meetings.

LIBERTARIEN

Cet « ultra » libéralisme ressort plus du libertarianisme. Il s’agit de la mentalité du Pionnier, mythe agissant en Amérique comme le soldat de Valmy chez nous. Le Pionnier est seul et ne veut compter que sur lui-même. En cow-boy solitaire il n’a que sa bite, son Colt et sa Bible – autrement dit ses instincts de survie, ses armes actives et sa croyance morale. Le libertarien limite l’intrusion des autres à cette bulle. L’État est un ennemi, la société une gêne quand elle ne suit pas, les autres des rivaux à vaincre.

Ce courant vient de l’état de nature chez Hobbes, pour qui « l’homme est un loup pour l’homme », et qui ne consent à coopérer que par crainte de la mort et lorsqu’il y trouve son intérêt, sans que cela aille jamais plus loin. Le droit naturel est irréductible. Tout ce qui n’est pas interdit par la loi est permis, c’est le le « silence de la loi ». Mais les lois humaines sont limitées par le « droit naturel », c’est-à-dire par la liberté ou puissance de chacun. Alors chacun a le droit de désobéir et de résister par la force : c’est ce qui a motivé Trump et ses partisans lors de l’assaut contre le Capitole.

Aussi récuse-t-il toute assistance, gaspillage selon lui, affirme le droit de porter des armes et de dire tout ce qu’il pense sans aucune censure. Elon Musk et son réseau X sont dans ce cas, Donald Trump en est le représentant le plus égotiste, un individualisme radical et armé que défend la droite dure aux États-Unis – « ultra » droite dit la gauche. Le libertarien Tim Moen, candidat aux législatives canadiennes de 2014, avait un slogan qui résume tout : «Je veux que les couples gays mariés puissent défendre leurs plants de marijuana avec leurs fusils.»

Économiquement, il s’agit d’un anarcho-capitalisme où la concurrence est reine dans un libre-marché, le « deal » son arme, et le droit du plus fort sa valeur phare. Ron Paul, sous Reagan, a influencé le président. Javier Milei en Argentine, éduqué à la dure par un père violent, en est un partisan, brandissant sa tronçonneuse pour couper toutes les dépenses inutiles de l’État. Le désir individuel est tout-puissant, présenté comme un progrès pour tous, dans une indifférence absolue des gouvernements et des acquis sociaux collectifs. Car rien de ce qui est collectif n’est bon pour le libertarien. Esprit start-up, uberisation, autoentreprise, hunger games (combats à mort télévisés où des adolescents s’entretuent pour de divertir les dirigeants)  : voilà ce qui est préféré. Et que le meilleur gagne, tant pis pour les losers.

C’est un libéralisme de tout-puissant, plus mythifié que réalisé, tant les États-Unis se sentent en déclin et contestés de toutes parts (par la Chine, la Russie, les pays arabes, l’Afrique…). Rien d’étonnant à ce qu’ils se replient sur eux-mêmes et exacerbent leurs « valeurs » traditionnelles du « gros bâton » : celles du Pionnier libertarien.

Issu des travaux de Ludwig von Mises et Friedrich Hayek en économie, le libertarianisme est théorisé politiquement par Robert Nozick dans Anarchie, État et utopie, où il prône un État minimaliste. En France, Gaspard Koenig frôle cette approche en vilipendant les normes abusives, mais sans exclusive.

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