Egypte

Christiane Desroches Noblecourt, La reine mystérieuse Hatshepsout

Pour une reine d’Égypte d’il y a plus de 3500 ans, dont les effigies ont été martelées et dont les historiens savent très peu l’autrice, Conservateur général du Département des Antiquités égyptiennes du Louvre décédée en 2011 à 97 ans, a réussi à en parler sur plus de 500 pages. Il faut dire qu’il y a de multiples illustrations, en noir et blanc et en couleurs, cinquante pages de notes, dix pages d’index et quatre pages de chronologie.

Il s’agit d’une enquête archéologique minutieuse parmi les sources, les papyrus, les inscriptions, les monuments, les statues. Assez passionnante, il faut le dire, pour qui s’intéresse à l’Égypte antique. La vie quotidienne royale et religieuse est bien reconstituée et illustrée par des peintures sur les temples.

La reine Hatshepsout, héroïne du roman La dame du Nil de Pauline Gedge, serait née vers 1495 avant notre ère et morte vers 1457, ce qui lui ferait moins de quarante années de vie, dont quelques 22 ans de règne comme reine consort. Elle est la fille de Thoutmosis 1er et la demi-sœur de Thoutmosis II, né de la première épouse, lequel se mariera avec la première fille d’Hatshepsout Neférourê. Lequel engendrera Thoutmosis III, le neveu, qui épousera la deuxième fille d’Hatshepsout Mérytrê-Hatshepsout. Comme le II était un brin débile et que le III était trop petit à son avènement, c’est la douairière Hatshepsout qui assura la régence comme « reine ».

Elle était intelligente et voyait loin pour garder le royaume de ses ennemis hyksos ou nomades, subtile pour déjouer les pièges et les machinations de la cour et des prêtres, d’esprit aventureux pour aller explorer le pays de Pount au-delà de la 5ème cataracte du Nil et en rapporter des olibans (arbres à encens), des guépards et autres produits exotiques à Thèbes, d’esprit créateur aussi pour modifier les relations aux dieux et faire bâtir des temples. C’est elle qui ouvrit la Vallée des rois aux tombeaux et mit en usage le terme « pharaon » pour désigner les souverains d’Égypte.

Si elle a entretenu probablement une relation avec Senenmout, le Grand intendant nubien, et en a sans doute eu un fils, Maïerpéra, ce n’est pas pour cela qu’elle a été effacée des mémoires de la pierre des temples. Cela s’est produit plusieurs années après sa mort, une hypothèse avancée par l’autrice veut qu’elle avait osé bouleverser les rites religieux d’Osiris et que le clergé, toujours réactionnaire comme tout gardien du Dogme, ait voulu effacer sa mémoire.

L’archéologue fait la part des faits avérés et des supputations probables ; elle rend cette enquête riche de ses doutes et de ses observations.

Christiane Desroches Noblecourt, La reine mystérieuse Hatshepsout, 2002, Pygmalion Gérard Watelet, 503 pages, €22,90 ou J’ai lu 2003, occasion €2,69

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Elizabeth Peters, La malédiction des pharaons

Un opus de la série aventures égyptiennes à la fin du XIXe siècle parfaitement réussi. Il allie avec bonheur égyptologie, enquête policière, scènes d’action, humour anglais et psychologie des personnages.

Amelia Peabody et Radcliffe Emerson ont eu un fils, surnommé Ramsès par son air impérieux et décidé, et ils le laissent grandir à l’abri du Kent en Angleterre. Le bébé est précoce et terrorise déjà cousines et nounou ; il dit maman et papa à 6 mois, crapahute à 8 mois, marche à 10 mois et parle couramment. Laissé à 3 mois pour des fouilles en Égypte à sa tante, ses parents ne le reconnaissent plus quand ils reviennent trois mois plus tard. Ils restent avec lui jusqu’à l’âge de 5 ans, son père lui lisant chaque soir un chapitre de son Histoire de l’Égypte ! Le gamin ne sait pas écrire méchant correctement mais ne fait aucune faute à hiéroglyphe. En bref, tout le portrait de son père, avec le côté cabochard de sa mère.

Mais il est encore trop petit pour aller en Égypte et les Emerson le quittent à regret pour six mois de fouilles lorsque lady Baskerville (qui se révélera une chienne, mais rien à voir avec le chien de Sherlock) assiège Emerson pour qu’il reprenne les fouilles entreprises par son mari dans une tombe de la Vallée des Rois à Thèbes (Louxor). Celui-ci résiste, ne voulant abandonner ni femme, ni enfant, mais sa tendre épouse le persuade de partir car il s’ennuie, elle ne le voit que trop. Elle-même n’est pas fâchée de laisser le bébé turbulent à quelqu’un d’autre pour un temps. Elle n’a guère la fibre maternelle, Amelia ; malgré les mamours constants avec son mari, qui pimentent le roman, elle n’aura qu’un seul enfant.

Sir Henry Baskerville est mort d’une façon étrange, après avoir ouvert la tombe et s’être couché en pleine santé. Les journalistes parlent de la malédiction des pharaons, d’autant que son adjoint Armadale a disparu. Mais la police britannique en Égypte, pressée d’étouffer un quelconque scandale s’il en était, conclut à une crise cardiaque. Il n’empêche que ces effacements suspects, un mort et un disparu, piquent la curiosité de l’entreprenante Peabody. Elle s’allèche d’une belle et bonne énigme à résoudre.

Les voilà donc partis, car Emerson accepte à la fin la mission de chef de l’expédition de la belle lady Baskerville, laquelle se pâme dès qu’une émotion trop forte l’atteint. Toujours à proximité des bras d’un gentleman, cela va de soi. Ce sera successivement Milverton, photographe et beau comme un jeune anglais blond, Vandergelt, riche américain tiré à quatre épingles, et Emerson bien-sûr, qui s’en agace. La tombe ouverte recèle un amas de débris qu’il faut lentement retirer et tamiser dans la chaleur et la poussière du désert d’Égypte. Le mollah du coin éructe ses imprécations contre cette profanation de tombe, mais Emerson, superbe, lui réplique en arabe en citant le Coran. Selon les dires du temps, « les Arabes » aiment les belles histoires et l’éloquence de théâtre ; Emerson y excelle – sans parler de ses bakchichs, qui sont généreux. L’autrice excelle à évoquer l’atmosphère des bords du Nil, la douceur des matins pépiants d’oiseaux, la chaleur sèche accablante des montagnes bordant le désert, les couchers de soleil très colorés sur le fleuve et qui rosissent les montagnes. Il faut être allé en Égypte pour le connaître.

Évidemment, une série d’incidents plus ou moins graves vont entacher le séjour : un poignard qui manque de blesser Emerson lorsqu’il ouvre la porte d’une armoire à l’hôtel, un fantôme de dame blanche qui effraie les ouvriers la nuit, une grosse pierre lancée avec force au travers de la fenêtre (ouverte) contre Emerson qui n’en est qu’effleuré, l’effondrement du plafond de la tombe, le pauvre Milverton dans le coma après avoir été sauvagement assommé, une tentative de pillage… D’ailleurs, Milverton ne s’appelle pas Milverton, tout comme lady Baskerville n’est pas ce qu’elle paraît, tandis que la grosse alcoolique Berengeria s’impose en falbalas informes par ses prédications de l’au-delà. Jusqu’à ce jeune allemand très rigide et correct qui tombe amoureux de la fille de la voyante, une Mary effacée et soumise mais qui a un vrai talent de dessinatrice.

Lorsque le couple retourne à Londres pour retrouver leur fils Ramsès, leur mission est accomplie et les assassins (car il y en a) sont sous les verrous. Ils ramènent une énorme chatte tigrée d’Égypte, qui appartenait à Armadale, et qu’Emerson destine au petit Ramsès…

Elizabeth Peters, La malédiction des pharaons (The Curse of the Pharaohs), 1981, Livre de poche 1998, 382 pages, occasion €1,44

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Robert Solé, Dictionnaire amoureux de l’Egypte

L’auteur, d’origine syro-libanaise dont la famille était établie en Egypte depuis plusieurs générations, a grandi près d’Héliopolis jusqu’à ses 17 ans où il a émigré en France. Devenu journaliste, il est entré au journal Le Monde en 1969 et y a fait carrière, dirigeant sur la fin le Mondes des livres jusqu’à sa retraite en 2011. Il livre en cet opus d’une collection bien établie sa culture personnelle de l’Egypte, pays natal et phare de l’humanité depuis 5500 ans.

Bien sûr, chacun se fait une idée antique de l’Egypte, ses pyramides, son sphinx, les tombes des rois dont le jeune Toutankhamon. Mais le pays est bien autre chose. Un désert dont le Nil fait un jardin sur une étroite bande de terre fertilisée par sa crue, son gigantesque barrage d’Assouan voulu par Nasser qui a créé un lac, la mégalopole proliférante du Caire avec ses dix millions d’habitants au moins, ancienne Memphis renommée « la Victorieuse » par les Arabes, le parti islamiste des Frères musulmans et les jeux ambigus du pouvoir avec la religion…

Ses 150 entrées vont d’Abbasseya, un faubourg désormais du grand Caire, là où est né l’auteur, à Zaghloul (Saad) figure nationaliste né en 1856 qui a su réunir le pays pour en faire une nation. Où l’on apprend que les Français étaient bien vus jusqu’en 1956 et la malheureuse opération de représailles contre la nationalisation du canal de Suez avec les Anglais, que c’est désormais l’anglais (américain) qui fait la loi, que les Italiens ont donné à l’Egypte Dalida, les Grecs Moustaki et les Juifs qui n’ont pas donné que Moïse.

L’antiquité n’est pas omise et prend sa place avec Abou Simbel le temple sauvé des eaux, Akhenaton l’inventeur du monothéisme, Alexandrie avec son Pharos qui a donné le mot phare et sa très grande bibliothèque (mise à sac par les Romains puis les chrétiens puis les musulmans), Champollion né à Figeac en Dordogne et parlant déjà quatre langues à 13 ans qui déchiffrera les hiéroglyphes, Cléopâtre la reine grecque qui a fait de son corps un instrument politique, Edfou et son temple fou, égyptologues et égyptomanes, Isis la déesse mère, Karnak et son temple à forêt de colonnes, les momies dont on faisait un médicament au XVIe siècle, Néfertari la reine favorite de Ramsès II, les obélisques dont l’un de Louxor se trouve érigé sur la place de la Concorde à Paris, le papyrus aux belles ombelles qui servit au papier, le pharaon roi dieu qui stabilisait le monde (un peu comme le roi/reine d’Angleterre de nos jours), Philae une île au sud d’Assouan, la pierre de Rosette qui permit le déchiffrement des hiéroglyphes après huit siècles d’obscurantisme chrétien puis musulman, les pyramides pour l’éternité assurant la jonction de la terre et du ciel, le scribe figure de l’intellectuel lettré comptable et prêtre, le fameux sphinx que le vent du désert fait chanter, Toutankhamon et les ors de sa tombe…

Chacun y puisera son miel, même si l’actualité s’est arrêtée à Moubarak, depuis renversé. Mais l’Egypte change peu en ses profondeurs.

Robert Solé, Dictionnaire amoureux de l’Egypte, 2001, Plon 2006, €24.00 e-book Kindle €16.99

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Elizabeth Peters, La pyramide oubliée

Je retrouve avec plaisir la famille Emerson, Amélia Peabody, Radcliffe Emerson, leur fils Ramsès et leur fille adoptive Nefret. Des années ont passé et les enfants ont grandi. Ramsès est désormais au début de sa vingtaine tandis que Nefret a toujours trois ans de plus. Lui n’a pas suivi l’université mais s’est formé tout seul aux langues de l’Égypte antique et a publié une grammaire égyptienne reconnue par les scientifiques de son temps. Il déchiffre aisément toutes les écritures hiéroglyphiques depuis les origines. Elle a suivi des études de médecine sans passer le diplôme, les femmes n’étant à cette époque pas admises.

Toute la famille se prépare au printemps à passer la saison en Égypte, comme d’habitude, pour fouiller une zone attribuée par le commissaire aux antiquités du pays. Ce sera cette fois une pyramide oubliée non loin du Caire, peu prestigieuse et peu connue. Mais, avant de partir, des objets égyptiens font leur apparition chez les antiquaires et Emerson en à vent. On lui propose notamment un gros scarabée de faïence bleue ouchebti gravé mais, lorsque Ramsès traduit le texte, il est incohérent, mêlant des fragments d’inscriptions hiéroglyphiques prises ici ou là à propos d’explorations maritimes. Il s’agit manifestement d’un faux, très bien imité, dont le scandale réside dans la provenance affichée : la soi-disant collection personnelle du pillage d’Abdullah, l’ancien raïs des Emerson, décédé il y a peu. Or Abdullah n’a jamais conservé des objets pour les vendre, il se serait attiré les foudres du Maître des imprécations qu’est Emerson. Quelqu’un en veut donc à la famille, surtout que David, le petit fils aîné d’Abdullah, s’apprête à se marier avec Lia, la nièce des Emerson, fille de son frère Walter.

Qui en veut donc à ce point aux Emerson ? Est-ce Percy, le neveu vil et lâche qui aimerait bien épouser Nefret et se fait mousser en publiant des livres d’aventures où il se donne le beau rôle ? Est-ce l’ennemi juré Sethos, déjà rencontré dans de précédents volumes ? Est-ce une jalousie de confrères qu’Emerson étrille trop souvent ? La famille est décidée à tirer cette histoire de faux au clair, laissant David en-dehors de tout cela durant son voyage de noces.

Une fois en Égypte, Peabody s’empresse d’aménager une maison confortable pour se reposer des fouilles, de leur poussière et de la chaleur infernale qui règne en été, tandis que Ramsès court les rues du Caire, déguisé comme il aime l’être, afin d’éviter à David, nationaliste égyptien, des mésaventures politiques. Un trafic de drogue est également établi qui aurait pour origine un Anglais et le chef de la police du Caire, anglais lui aussi, engage à l’insu de sa mère Ramsès comme espion pour en savoir plus. Le Frère des démons, ainsi est nommé en Egypte le garçon depuis son enfance turbulente, est à son affaire dans l’action et la ruse. Il n’a pas la carrure de son père mais le même teint brun et le corps svelte mais étonnamment musclé. Comme lui, il porte rarement une chemise sur les chantiers de fouilles ainsi qu’il est dit p.217, et dort torse nu comme tout garçon dès la préadolescence. Sa mère fait semblant d’enrager contre cette accroc aux convenances victoriennes mais est secrètement ravie d’avoir un mari aussi vigoureux et un fils aussi sain.

Ramsès est amoureux de sa sœur adoptive Nefret, laquelle est loin d’être insensible à cet ex-petit garçon devenu adulte. Mais les convenances, une fois encore, les empêchent de se déclarer leur désir, sauf une fois lors d’un danger pressant où Percy est mêlé. Un égarement passager car un proxénète du Caire connu vient proposer une fillette de deux ans qui ressemblent étonnamment à Amélia. Il suggère que Ramsès en est le père puisque la petite l’appelle papa, mais celui-ci dément ; il a connu la mère et l’enfant lors de ses pérégrinations déguisées dans les rues, les a mis hors du ruisseau, et croit qu’il s’agit de l’enfant bâtard de Percy, que celui-ci a rejeté comme un déchet de race. Il va donc s’occuper de la gamine avec l’aide de sa mère et du gros chat Horus, fasciné par l’enfant. Nefret, toujours absolue dans ses passions, ne réfléchit pas une seconde pour se sentir offensée et quitter la maison ; elle se marie aussitôt avec Geoffrey, un jeune anglais aimable et fluet qui aide aux fouilles et qui lui fait lui aussi la cour.

Des accidents mystérieux se produisent sur les fouilles, on tire sur Amélia, on fait s’écrouler une structure sur Ramsès, on précipite au bas d’un puits de plusieurs mètres l’amoureuse américaine du garçon, et ainsi de suite. Qui veut éloigner les Emerson du site de Zawaiet el-‘ Aryan ? Y aurait-il quelque chose à découvrir ? Une tombe royale peut-être ?

Tout se résoudra comme par magie à la fin, les petites cellules grises sollicitées et mises en commun, les émotions partagées et surmontées, les convenances mises à mal et courageusement rattrapées. Le lecteur sera surpris du coupable découvert, ce qui offre un plaisir supplémentaire à la lecture enlevée de ce récit d’aventure aux personnages bien typés, et toujours passionnant.

Elizabeth Peters, La pyramide oubliée (The Falcon at the Portal), 1999, Livre de poche 2008, 543 pages, occasion €3.11

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Elizabeth Peters, Un crocodile sur un banc de sable

Le premier opus de la série des aventures d’Amelia Peabody, ci-devant vieille fille anglaise de 31 ans ayant hérité d’une fortune de son père, et qui trouve en quelques mois – dans cet ordre – une belle-sœur, un beau-frère, enfin un mari et même un enfant. Tout cela parce qu’elle se décide enfin à bouger, papa une fois enterré, au lieu de rester tranquillement dans sa chambre. Comme quoi la vie est bien faite : qui ne tente rien n’a rien et seul celui qui ne fait rien ne commet jamais d’erreur.

En 1880, les femmes étaient moins que rien dans la société chrétienne, aristocratique et bourgeoise de l’empire britannique, surtout sous la reine Victoria, 1m52 de haut mais d’une superbe rare et d’une pruderie sexuelle restée célèbre, même si elle a eu neuf enfants. Elle régna de 1837 à sa mort, en 1901 seulement et a légué une hémophilie à son arrière-petit-fils Alexis Romanov, assassiné par les bolcheviques ancêtres de Poutine. Peabody s’affirme en prenant des décisions et fonçant comme un homme, ce pourquoi elle détonne. Ce pourquoi aussi elle séduit le grand et fort Radcliffe, ours pratique féru d’égyptologie, qui n’a que faire des pimbêches et pétasses. Son jeune frère Walter, en revanche, fin et racé comme l’Endymion des tableaux selon la narratrice Peabody, était tout à fait à même de charmer dans les règles de l’amour romantique la belle héritière déshéritée Evelyn qui, séduite par un Italien puis laissée pour compte une fois l’argent évaporé, s’est retrouvée un beau jour à défaillir au milieu des ruines de Rome, sous les yeux d’une Peabody en train de siroter son thé.

Il n’en faut pas plus pour qu’elle la prenne sous son aile, lui assure un gîte et le couvert, la rhabille et l’emmène comme dame de compagnie jusqu’en Égypte où elle poursuit son voyage. Ce n’est qu’à la page 48, au musée du Caire, qu’elle rencontre Radcliffe et son frère, puis vogue sur sa dahabieh louée avec Evelyn jusqu’à El-Amarna où les deux frères ont obtenu du conservateur du musée du Caire Maspero une concession de fouilles. L’ouverture est un peu longue mais la suite accélère et prend enfin son rythme de croisière. L’intrigue développe d’étranges événements, ponctués de bisbilles personnelles. Vont se produire la découverte d’un pavement décoré sous les ruines de la cité d’Akhenaton, dont Evelyn fait le relevé, la survenue d’une momie vociférante qui semble ne s’en prendre qu’à Evelyn à l’exception de tous les autres, et la fuite superstitieuse de tous les ouvriers égyptiens, pourtant désireux de gagner de l’argent tant leurs enfants vivent nus dans des villages de terre et de roseaux, parmi les immondices.

La scène est cocasse. Délaissant leur dahabieh confortable et leur cuisinier hors pair, les deux femmes – ou plutôt Evelyn traînée par Peabody – vont s’installer sur le chantier avec les hommes pour les soigner, les aider, et participer aux fouilles. Non sans heurts, mais non sans humour. Evelyn ne peut que tomber amoureuse du beau Walter, et c’est réciproque, jusqu’à ce que son cousin Lucas, qui n’était pas héritier du grand-père jusqu’à la fuite (organisée?) d’Evelyn, vienne la rejoindre pour lui proposer un mariage. Est-il amoureux ? Gentleman ? Perfide ? Peabody va passer par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel à son sujet. Les femmes ont élu domicile dans une tombe sur le site, ce qui donne des phrases cocasses et incongrues comme « quand je sortis de ma tombe… », « Radcliffe émergea en trombe de sa tombe » et autres joyeusetés. Outre le pavement, une momie hellénistique (donc nettement plus récente qu’Akhenaton) est découverte dans une tombe royale par des villageois et Radcliffe la débande pour trouver les amulettes. Mais ne voilà-t-il pas qu’elle se réveille en pleine nuit et vocifère des malédictions avant de s’enfuir à toutes jambes ?

L’archéologie se mêle aux histoires intimes et aux escroqueries pour tisser un beau roman d’aventures exotiques dans la lignée d’Henry Rider Haggard – né en 1856 et qui commence ses romans dès 1885, époque de notre héroïne. Dédié à son fils Peter, ce premier roman de la saga Peabody par Elizabeth Peters vaut la lecture et prépare tous les suivants. Vous êtes déjà emporté à la 49ème pages.

Elizabeth Peters, Un crocodile sur un banc de sable (Crocodile on the Sandbank), 1975, Livre de poche 2007, 314 pages, occasion €1,35

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Elizabeth Peters, Le maître d’Anubis

Inutile de lire dans l’ordre les opus de la série Peabody, les événements sont resitués à chaque fois. Les histoires se passent à la toute fin du XIXe siècle lorsque les Anglais, impériaux et maîtres du monde, occupent l’Egypte et laissent leurs archéologues fouiller pour trouver de beaux objets. Le professeur Radcliffe Emerson et son épouse Amelia Peabody sont en avance sur leur temps puisqu’ils cherchent moins les objets que leur contexte pour comprendre enfin la vie des Egyptiens de l’antiquité à travers les millénaires. Chaque année ils partent six mois en expédition pour revenir se ressourcer dans la verte Albion le reste du temps, sacrifier aux mondanités des relations, éduquer leur fils Walter dit Ramsès ainsi que la sœur adoptée d’un précédent voyage Nefret, fille d’un lord disparu dans l’oasis secrète.

L’expédition de l’année a lieu à Amarna, ville neuve du pharaon Akhenaton, dans laquelle serait enterrée Néfertiti sa reine. Peabody trouve bien un oushebti à l’effigie de Néfertiti pour la servir dans l’autre monde, mais l’expédition est surtout un leurre. L’ennemi juré du couple, Sethos, tente par tous les moyens de connaître l’emplacement de cette fameuse oasis cachée dans les confins du désert sud égyptien afin de piller ses trésors. Il veut pour cela la carte sommaire dessinée par Forth, le père de Nefret, avant de disparaître. Il devine que les Emerson l’ont trouvée et que Nefret en vient. Ce pourquoi il cherche à enlever Peabody pour faire parler Emerson, puis Emerson pour le droguer et le faire révéler les secrets, dans le même temps qu’il tente de découvrir la cache de la carte originale qui devrait être restée dans le Kent, et cherche à faire enlever Ramsès. Dans la lutte, Emerson perd la mémoire et Peabody, qui finit par le délivrer avec l’aide d’Abdullah le fidèle contremaître des fouilles et du riche américain Cyrus qu’elle n’a pas revue depuis des années, prend les choses en main. Elle garde toujours avec elle son ombrelle en acier trempé, fabriquée selon ses désirs, une arme redoutable.

Amarna, idéalement située pas trop loin du Caire mais désertique à souhait pour voir qui entre et qui sort, est le piège rêvé pour faire venir l’ennemi et le forcer à se découvrir. Sauf que rien ne se passe jamais comme prévu et que l’ennemi est peut-être double… ou déjà dans la place. Dans le même temps, les lettres de Ramsès informent les parents de ce qui se passe en Angleterre. La mère feint de se scandaliser de la précocité, de l’audace et de l’imagination de son fils de 11 ans alors que le lecteur un peu avisé des enfants est ravi des initiatives et du tempérament du gamin. Il cumule les qualités et les défauts de ses deux parents, ce qui le rend redoutable et impressionnant. Il va jusqu’à lâcher un lion (apprivoisé par lui) dans le parc pour garder les abords de la demeure dans laquelle des bandits cherchent à s’introduire ; il se bat avec Nefret contre une tentative d’enlèvement sur sa personne ; il invente avec sa tante et sa gouvernante un piège machiavélique pour faire découvrir la fameuse carte par une espionne introduite dans la maison et faire ainsi cesser momentanément les attaques – car il va sans dire que la carte ainsi « volée » est fausse. Le ton ampoulé et un brin verbeux de ses lettres est un trait d’humour de l’autrice qui ajoute au plaisir. Le lecteur (et peut-être aussi la lectrice) serait heureux de rencontrer ce surdoué qui n’a pas froid aux yeux s’il existait ailleurs que sur le papier.

Le titre français fait référence à Anubis, qui est un gros chat égyptien confié par une connaissance peu recommandable mais qui cherche à s’amender alors qu’il doit se déplacer à Damas. Emerson qui, comme son fils Ramsès, a l’oreille des animaux, est vite adopté par le félin qui le suit partout et se transporte lors des longues distances sur son épaule. Le titre anglais fait référence plutôt à un conte égyptien traduit par Peabody, qui dit comment un prince soit surmonter les épreuves de trois animaux pour conquérir la princesse. Et c’est bien ce qui va se passer pour Emerson et elle-même. Le redoutable Sethos, à moins qu’il ne s’agisse du rusé autre ennemi inconnu, va s’efforcer de tuer l’un ou l’autre pour assouvir sa vengeance et faire parler le survivant quel qu’il soit.

Aventure et archéologie plus histoires de couple font un mélange détonnant, très agréable à suivre bien que parfois un peu échevelé étant donné les caractères de chacun. Emerson est fonceur mais diablement intelligent ; Peabody dévouée mais absurdement obstinée ; Ramsès cumule tous les critères du sale gamin adorable. Qui accepte ainsi ces personnalités hors des normes, comme c’est mon cas, aime beaucoup le récit sans cesse renouvelé de leurs aventures.

Elizabeth Peters, Le maître d’Anubis (The Snake, the Crocodile and the Dog), 1992, Livre de poche 2000, 446 pages, occasion €0,97

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Christian Jacq, La pierre de lumière 2 La femme sage

La suite des aventures des artisans d’élite de la Place de Vérité entre vallée des rois et vallée des reines à Thèbes, en Égypte antique. L’ambitieux général Méhy, gouverneur militaire et trésorier de Haute-Egypte poursuit son ascension, aidé de son épouse lascive et sadique Serkéta, qui aime assassiner les indics une fois leur mission accomplie. Méhy, poussé par le savant Daktair qui prépare pour lui de nouvelles armes plus puissantes, voudrait bien voler la pierre de lumière, cet objet mystérieux du village interdit des artisans, sorti dans les grandes occasion pour sanctifier de vie les tombeaux et les temples.

Un traître parmi les artisans le renseigne, les chefs du village s’en rendent compte mais il reste insaisissable. Il communique par lettres codées via sa femme lorsqu’elle part au marché, avec substitution de paniers comme dans les films d’espionnage. Le chef de la police Sobek, qui protège la cité interdite sur ordre direct du pharaon, a beau multiplier les espions et faire suivre tout artisan qui sort, il ne découvre rien. Deux sont tour à tour soupçonnés, mais blanchis. Nefer le Silencieux est accusé pour déstabiliser son pouvoir sur son équipe, mais en vain. Paneb l’Ardent son garde du corps et ami, désormais père d’un gamin robuste qui lui ressemble, est accusé de vol pour affaiblir sa protection, mais à tort. Entre le scribe de la Tombe et la Femme sage, l’équipe est bien tenue et protégée des maladies comme des mauvais sorts. Méhy se heurte à un mur.

Ce tome deux se passe sous le règne du nouveau pharaon Merenptah, après la mort de Ramsès le grand. Lorsqu’il meurt à son tour en fin de volume, son tombeau est prêt, creusé et décoré à marche forcée par les travailleurs artisans, ce qui permet à Paneb, désormais la trentaine, de parfaire son art et d’égaler son maître peintre Cheb, qui perd la vue. Un nouveau pharaon va monter sur le trône, peut-être le fils de Merenptah, Sethi II, mais il est contesté par son propre fils Amenmnès, la vingtaine dévorée d’ambition. Méhy l’encourage, tout en assurant de sa fidélité le pharaon. Deux fers au feu sont le bon moyen d’être toujours du bon côté lorsque penche la balance.

Paneb s’occupe d’enseigner tout ce qu’il sait à son fils Aperti, tout d’abord à se battre, mais pas seulement ; il doit aussi exercer son esprit par les hiéroglyphes et les calculs, tout en affinant sa main par de menus travaux. « A six ans, Aperti avait déjà la stature d’un adolescent », écrit avec quelque exagération l’auteur au chapitre 67. Il aime à faire de son héros Paneb et de son rejeton des surhommes bourrés d’énergie et de libido. Paneb n’a-t-il pas assommé une centaine de Libyens venus attaquer l’Égypte alors qu’il était allé à Memphis pour être initié aux proportions des pyramides ?

Ce second tome est à mes yeux meilleur que le premier car inscrit dans la cité interdite, lieu clos où la secte des artisans d’élite déploie son art, protégée du monde autant que faire se peut. Une sorte de franc-maçonnerie avant la lettre qu’affectionne l’auteur.

Christian Jacq, La pierre de lumière 2 La femme sage, 2000, Pocket 2002, 480 pages, €7,95

Toute la série en Pocket

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Christian Jacq, La pierre de lumière 1 Néfer le Silencieux

Ardent a 16 ans en Haute-Egypte il y a 3500 ans. Il est grand et musclé, empli d’une énergie que la baise des filles depuis quelques années ne parvient jamais à épuiser. Il en veut plus : savoir, créer, faire. Au lieu de garder les vaches comme paysan auprès de son père, il veut dessiner dans les temples.

Il existe pour cela, sous le règne de Ramsès le Grand, un village interdit de la vallée des Rois près de Thèbes (ville qui n’est pas seulement américaine ou grecque, comme le croient les ignares). En cet endroit vivent une trentaine d’artisans voués à leur art, chargés de bâtir et de décorer les tombeaux des pharaons, des reines et des enfants royaux. Il se nomme la Place de la Vérité parce que placé sous le signe de Mâat, la déesse du juste et du vrai, de l’harmonie du cosmos comme de la rectitude morale.

Ce haut lieu secret du savoir suscite des convoitises des ambitieux de la cour, notamment de Méhy, simple lieutenant de chars au début du volume, devenu chef de l’armée de Thèbes et trésorier de la ville à la fin. Le général Méhy, proche du pharaon Séthi 1er, est attesté comme conspirateur contre Ramsès II dans l’archéologie. Il est avide, cruel, rusé et sans scrupules ; il assassine volontiers ceux qui en savent trop et ne lui servent plus à rien, comme son beau-père, non sans l’avoir préalablement fait soupçonner de démence sénile et de violences sexuelles sur de très jeunes filles. Son portrait édifiant nous est brossé chapitre 52 : « Le vieux monde des pharaons ne tarderait pas à disparaître pour être remplacé par un Etat conquérant, doué d’une foi inaltérable dans le progrès, et capable de s’imposer aux civilisations décadentes. Pour parvenir à en prendre la tête, Méhy utiliserait les talents de son ami Daktair qu’aucun scrupule moral n’embarrasserait. Grâce à un clan d’hommes neufs dans son genre, sans aucune attache avec la tradition, l’Egypte se transformerait rapidement en un pays moderne où régnerait la seule loi que respectait Méhy : celle du plus fort. Un habile maquillage juridique et quelques déclarations publiques bien senties apaiseraient les consciences réticentes de certains hauts dignitaires, vite conquis par le bénéfice personnel qu’ils retireraient de la situation nouvelle. Quant au peuple, il était fait pour être soumis, et nul ne se révoltait longtemps face à une police et à une armée bien organisée ». Ecrit en 2000, ce paragraphe sonne étrangement familier : le lecteur reconnaît sans peine le tyran Poutine et ses siloviki, ces dignitaires des organes de force ! Comme quoi la déchéance humaine dans le mal et l’ordure sont inscrits dans les âmes. Seule la civilisation permet une autre voie, celle de la justice et de la vérité.

Elle est celle que propose la cité de l’élite des artisans et du savoir d’Egypte, au plus près des mystères des mathématiques et des proportions, de la mort et de l’éternité. Une mystérieuse « pierre de lumière » éclaire les âmes et les cœurs et fait chanter les corps. Méhy donnerait cher pour s’en emparer. Surpris alors qu’il n’est encore que simple lieutenant à espionner le village fermé du haut des collines qui l’entourent, il tue le garde. Sobek le Nubien, chef de la police qui protège le lieu dont Pharaon est le suprême protecteur, enquête sans résultat. Il soupçonne successivement un postulant évincé, un artisan de l’intérieur aigri ou, pire, un haut dignitaire avide…

Après de multiples épreuves mais grâce à son courage et à son obstination, Ardent parviendra à se faire reconnaître comme dessinateur de la Place de la Vérité ; il prendre alors le nom de Paneb, « le maître ». Son énergie qui défonce tous les obstacles devra être domptée et canalisée, mais elle sera une force incomparable pour la communauté. La jeune Ouâbet la Pure décide qu’il sera son mari et s’installe chez lui, même si sa maîtresse insatiable est Turquoise – mais celle-ci ne veut surtout pas se marier et s’est dédiée comme prêtresse à Hathor. Paneb l’Ardent a bien assez de forces pour contenter les deux filles, qui trouvent chacune leur intérêt comme leur plaisir à ce partage du garçon.

Outre l’intrigue policière du roman et le récit d’initiation d’un jeune en homme accompli, l’auteur, en égyptologue averti, s’étend complaisamment sur les mœurs et façons de vivre de l’Égypte antique, beau complément aux voyages que l’on peut y faire en touriste aujourd’hui. Il ouvre surtout les clés de la spiritualité égyptienne . Au chapitre 70 sont ainsi détaillées les valeurs de tout créateur : « La prise de conscience de la vie sous toutes ses formes, la largeur du cœur, la cohérence de l’être, la capacité de maîtrise et la puissance de concrétisation. Mais elles n’ont de valeur que si elles mènent à la plénitude et à la paix, et nul artisan n’a jamais atteint les limites de l’art ». Ce qui ne va pas parfois sans phrases intellos assez drôles, comme au chapitre 72 : « Souviens-toi que grand est le grand dont les grands sont grands ». Il faut lire à deux fois avant de saisir le sens et d’acquiescer.

Reste que le roman se lit bien, même si l’intérêt surgit surtout lorsqu’Ardent est admis à l’intérieur de la Place de la Vérité, les chapitres d’exposition précédents et la mise en place des personnages au début étant parfois maladroits.

Christian Jacq, La pierre de lumière 1 Néfer le Silencieux, 2000, Pocket 2001, 415 pages, €7,95

Les 4 tomes de La pierre de lumière

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Michelle Moran, Les soleils de Néfertari

Néfertari est la nièce de Néfertiti et l’épouse reine de Ramsès II. Michelle Moran, formée en littérature, se lance dans son second roman. Elle utilise les sources historiques et les mêle d’imagination lorsqu’elles font défaut. Elle écrit donc un roman « arrangé » comme on le dit d’un rhum, ce qui donne du liant et de la saveur à l’histoire. Bien que formé à la méthode scientifique, soucieux des sources et de n’en pas dévier, j’aime ces romans qui mettent de la couleur humaine sur la sécheresse des traces écrites ou archéologiques.

Tout commence en 1283 avant notre ère. L’Egypte est ce pays puissant fécondé par le Nil qui permet des récoltes abondantes et une population industrieuse. Mais Les Hittites menacent au nord comme les Nubiens au sud et il faut sans cesse à Pharaon guerroyer pour s’affirmer. Néfertari est de la famille des « hérétiques », cet Akhénaton qui a renié Amon au profit du dieu soleil unique, Aton. Curieusement, la famille de la princesse a brûlé dans un incendie déclenché par un prêtre, cette engeance qui fait des dieux un prétexte à sa propre puissance.

Mais la cour est un nœud d’intrigues pour le pouvoir et une princesse jolie et décidée se découvre très vite des alliés, notamment la tante cadette du futur pharaon et son amant le vizir Pasès. Le jeune Ramsès, fils de Ramsès 1er Séthi, a trois ans de plus que la princesse de sang royal Néfertari mais l’a pris sous sa protection affectueuse depuis sa tendre enfance. A l’adolescence, il l’aime comme on aime une femme même si, puisque la gamine n’a que 13 ans, le fils de Pharaon va devoir épouser à 16 ans Iset, une autre fille, pour assurer une descendance à son père vieillissant. Inet lui donnera un garçon, mais il mourra peu après sa naissance. Ramsès épousera donc Néfertari aussi lorsqu’elle a 14 ans et lui 17, et en fera sa première reine un an plus tard. Elle lui donnera deux garçons jumeaux, avant quatre autres enfants par la suite. Iset, manipulée par le grand prêtre d’Amon Rahotep et par la tante aînée du jeune Ramsès, est jolie mais bête et se résoudra à rester dans l’ombre.

Car Néfertari est emplie de curiosité et douée pour les langues. Elle aide son mari pharaon à décrypter les missives diplomatiques comme les messages des espions ; elle le sauvera de la déroute lorsque le jeune impétueux voudra reprendre Quadesh, bizarrement désertée par l’empereur hittite qui l’a conquise. C’est en écoutant à leur insu deux espions faits prisonniers que Néfertari va comprendre le piège et ordonner aux réserves de se lancer à l’aide de Pharaon.

Le roman ne manque pas de scènes sensuelles entre les deux jeunes gens qui vivent poitrine nue, en pagnes courts ou tunique transparente, ni de scènes parentales tendres et enjouées avec les deux bébés. Les scènes de conseil sont vives d’intelligence. L’auteur fait apparaître le personnage inventé d’Ahmosis, chef des Habirus incorporés dans l’armée égyptienne, dans lesquels – tropisme bien américain – elle voit volontiers les Juifs retenus avant l’Exode. Elle introduit aussi des Grecs troyens dans ces « pirates » Sherden tout en faisant accompagner Ramsès de Néfertari lorsqu’il part les combattre. Quoi de mieux qu’une réputation de « reine guerrière » pour effacer dans l’esprit frustre et impressionnable du peuple son image de reine « hérétique » ?

A lire ce roman, vous passerez un bon moment de magie égyptienne antique par ces temps de  troubles et d’anxiété existentielle.

Michelle Moran, Les soleils de Néfertari (The Heretic Queen), 2008, J’ail lu 2010, 441 pages, €4.17

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Pauline Gedge, La dame du Nil

La dame date du XVIe siècle avant notre ère, elle est égyptienne, elle est reine et un temps pharaonne. Elle se nomme Hatchepsout. La romancière canadienne en son premier roman d’histoire antique la cueille à 10 ans lorsqu’elle est déjà garçon manqué, déambulant en simple pagne dans le palais et ses jardins, rêvant de tirer à l’arc et de conduire les chars comme un adolescent. Ce qu’elle fera dès 12 ans, comme un garçon, car son père Touthmôsis 1er en est fière et son frère, le futur Touthmôsis II préfère la nourriture et la compagnie des femmes à l’exercice et au pouvoir.

C’est un beau roman historique que nous propose l’autrice préféministe, dans la lignée des grandes femelles qui ont fait l’Histoire d’Egypte bien avant l’islam, telles Néfertiti et Cléopâtre. Le pays autour du Nil séduit par son climat doux, ses monuments célèbres et la sensualité de ses corps quasi nus. Mais il n’est pas simple de gouverner un état rendu opulent par la crue annuelle et dont les richesses sont convoitées par les pillards des marges, moins chanceux par la nature mais aussi moins enclins à faire l’effort de travailler la terre.

Hatchepsout va assister à l’empoisonnement de sa grande sœur de 14 ans par le grand prêtre d’Amon pour raisons politiques. Les religions, partout sur la planète, sont de constantes plaies car elles profitent des peurs pour imposer la Croyance, donc le pouvoir des prêtres. Sonnée, la fillette qui va être mariée à son demi-frère de 16 ans, se précipite le soir dans les jardins, sème sa nounou et son gardien, et va nager dans le lac sacré… d’où elle est tirée d’une poigne de fer par un novice adolescent du temple d’Amon, Semnout, fils de paysans du Nil qui rêve de devenir architecte. Le garçon, qui a 14 ans et déjà de robustes épaules selon la romancière, la sèche et la console avant de savoir à qui il a affaire. Mais Hatchepsout lui est reconnaissante de s’être intéressée à sa personne plus qu’à son titre et elle lui voue une fidélité qui durera jusqu’à la fin de sa vie.

Entreprenant son papa pharaon qui ne peut rien lui refuser, elle fait de Semnout un apprenti architecte auprès du plus grand du temps, puis son vizir, le second du pouvoir après elle lorsqu’elle assure la régence après la mort de son époux Touthmôsis II. Elle aurait pu l’épouser, le faisant pharaon qu’on sort, mais elle reste fidèle aussi à la tradition qui veut que la détentrice du sang royal se marie de préférence avec un demi-sang royal, en l’occurrence son frère issu d’une autre mère puis, au décès de celui-ci par maladie, le fils, son neveu. Car elle-même n’a eu que deux filles de sa liaison avec Touthmôsis II et celui-ci a dû faire d’une danseuse sa seconde épouse officielle pour engendrer un fils.

Ledit neveu, futur Touthmôsis III qui ressemble à son grand-père Touthmôsis 1er, aurait bien épousé à 17 ans sa tante, à la mort de son père, mais Hatchepsout de vingt ans plus âgée a refusé. Elle voulait régner seule encore un petit peu de temps tout en admirant la force, la vitalité et le sens politique du garçon. Ce n’est que quelques années plus tard que, devenu jeune homme athlétique et bon guerrier, Touthmôsis s’est lassé d’attendre et a fait assassiner ses soutiens, à commencer par Semnout, avant de l’engager à se retirer du pouvoir. Elle a donc bu la coupe – empoisonnée comme il se doit.

Hatchepsout jeune a conduit les troupes à la guerre et a combattu elle-même sur un char lorsqu’elle n’était encore que princesse héritière. Son seul amour, hors son père, a été pour Semnout par qui elle a fait construire son tombeau, le complexe de temple de Deir-el-Bahari qui se fond avec la falaise, face à Louxor.

Un beau roman de rêve, de pouvoir et d’amour, dans lequel manque un peu de la sensualité du Nil – mais l’époque de sa parution était encore imbibée de la morale coincée évacuée par 1968 mais qui, malheureusement, revient.

Pauline Gedge, La dame du Nil (Child of the Morning), 1977, Balland 1980, 404 pages, occasion €1.68 ou J’ai lu 2 tomes, €19.00  

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Christian Jacq, La reine soleil

Tout le monde connait Toutankhamon « l’image vivante d’Aton », le pharaon adolescent dont le masque d’or a ébloui les expositions. Mais qui connait sa tendre épouse, la reine Akhésa (Ankhes-en-pa-Aton de son nom complet, parfois écrit Ânkhésenpaaton) ? C’est pourtant elle qui a initié le tout jeune prince, son demi-frère né d’Akhenaton et de la « Young Lady » des fouilles, vers 12 ans (né vers 1345 avant) alors qu’elle en avait elle-même deux de plus. Femme forte, troisième fille d’Akhenaton (Amenhotep IV) et de Néfertiti, elle est descendante royale, celle qui désigne le pharaon qui sera son époux. Car la lignée se transmet par les femmes, sauf rupture brutale, comme le fera le général Horemheb à la fin de l’histoire.

Akhésa est cueillie toute fraîche par le romancier historien à ses 14 ans, devenue femme depuis peu, avec de « petits seins arrogants » qui pointent sous la tunique de lin transparente tout comme le triangle de ses cuisses. Akhésa est une belle fille, élancée, svelte, dorée. Le jeune Toutankhaton en est ébloui, séduit, amoureux, lui qui porte encore le nom voué au dieu soleil Aton imposé par le pharaon Akhenaton son père malgré l’ire des grands prêtres d’Amon à Karnak. Comme partout, le clergé d’une religion totalitaire est une plaie civique. Ces intermédiaires entre les hommes et les dieux qui captent une bonne partie des richesses du pays « au nom des dieux » se croient au-dessus du commun des mortels et veulent régenter l’humanité. Ils supportent mal le politique et n’hésitent pas à tuer, par le poison le plus souvent, en serpents qu’ils deviennent dans l’obscurité des temples et des intrigues entre soi. C’est ainsi que finira Toutankhamon, à 18 ans en 1327 avant notre ère, selon le scénario privilégié par l’auteur (mais pas historiquement établi – il aurait pu décéder d’une plaie au crâne, d’une plaie infectée à la jambe, d’un accident de char).

Entre temps les intrigues de la cour, le mysticisme d’Akhenaton en sa capitale isolée du pays, le retrait de la reine Néfertiti devenue aveugle et indifférente au monde, vont faire bouillir les ambitions. Le « divin père » Aÿ est vieux mais de bon conseil, il deviendra pharaon pour quelques mois avant de partir pour l’au-delà, choisi par Akésa à la mort de Toutankhamon. Le général scribe Horemheb est organisé mais trop ambitieux, encore heureux qu’il soit légitimiste et ne veuille pas attenter à la vie de Pharaon. Il n’obtiendra la double couronne d’Egypte que lorsque tous les autres recours seront épuisés, faisant condamner malgré lui à mort Akhésa (invention du romancier) pour avoir comploté un mariage avec un prince hittite pour contrer son ambition. Akhésa mourra à 20 ans, une année à peine après son amour Toutankhamon.

Elle le trouvait enfant lorsqu’elle a dû se marier avec lui qui avait 8 ou 10 ans pour assurer la succession d’Akhenaton, mort en 1338 ; mais il était touchant. La puberté l’a tourmenté de désir et rendu insatiable. Il aimait sa femme superbe et de plus en plus à mesure des années. Ils baisaient un peu partout, dans la chambre, dans les bosquets, sur la rive du Nil, dans les roseaux, dans une grotte au-dessus des tombeaux. Malgré ses innombrables coups de queue, l’adolescent ne lui a fait que deux filles, mortes-nées. Il y avait un défaut de santé chez le jeune prince. On suppose aujourd’hui par des études poussées sur sa momie qu’il était atteint de malaria et de la maladie de Khöler (une anomalie de la croissance des os). A la fin de son adolescence, il avait encore du mal à supporter longtemps sur la tête le poids de la double couronne, seule son épouse le réconfortait et lui donnait la force.

C’est du moins ainsi que romance Christian Jacq, centré avant tout sur la femme, à la mode de notre temps. C’était avant l’ère biblique (peut-être inspirée d’ailleurs par le culte du dieu unique Aton, imposé par Akhenaton en avance sur son temps) ; la femme était moins dévalorisée que par la suite. Hatchepsout, Téyé (ou Tiyi), Néfertiti, Akhésa, Cléopâtre, sont de grandes égyptiennes, réhabilitées par notre siècle – et par le souci commercial de plaire à un lectorat surtout féminin. Intrigues et eau de rose suffisent à faire de ce roman un plaisir de lecture. La sensualité des adolescents, leur beauté juvénile, l’ambition des adultes, le climat doux et l’aménagement luxuriant des jardins, le savoir-faire luxueux des objets, la majesté des temples de pierre et le grandiose des tombeaux, composent un décor qui ravit. L’Egypte des pharaons était alors « la » civilisation, peut-être la mère de toutes les occidentales, dont la nôtre mâtinée de grecque, de romaine, de juive et de germanique.

Christian Jacq, La reine soleil – L’aimée de Toutankhamon, 1988, Pocket 2018, 576 pages, €7.95

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Voyage en felouque sur le Nil par Argoul

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Guy Rachet, Cléopâtre le crépuscule d’une reine

Guy Rachet n’est pas archéologe, bien qu’il ait conduit des fouilles gallo-romaines sur un seul chantier ; Guy Rachet n’est pas égyptologue bien qu’il ait beaucoup lui, beaucoup rencontré et beaucoup écrit sur l’Egypte antique. Guy Rachet est écrivain. Cancre scolaire à Narbonne et autodidacte à Paris, il a toujours fait ce qu’il a voulu. Pour le bonheur du lecteur.

Sa Cléopâtre est fondée sur des sources citées largement en fin de volume, mais romancée pour les périodes de sa vie non documentées. Notamment sa jeunesse, lorsque mariée à 18 ans avec son frère de 13, Ptolémée XIII, comme cela se faisait à l’époque sans remuer les indignations des frigido-médiatiques, elle est victime d’une tentative d’assassinat de la part des précepteurs ambitieux qui manipulent (dans tous les sens du terme) le jeune roi adolescent. Cléopâtre descend des Grecs, ce pourquoi sa chevelure est blonde. Ses représentations en cheveux noirs sont l’artifice d’une perruque. Si elle se vêt d’une tunique translucide plissée, elle vaque le plus souvent nue dans son palais, comme les régnants et les enfants d’Egypte. Nous apprenons ainsi beaucoup de choses sur la vie quotidienne en ce temps-là, bien plus qu’à l’école où ces sujets sont tabous depuis l’emprise des religions du Livre.

C’est donc à poil que Cléopâtre va s’échapper à la nage de son palais investi par les conjurés. Elle émerge nue de la vague, comme une nouvelle Aphrodite, sur les rochers en face et se fond dans la nuit. Mais où aller, solitaire et dévêtue, dans la ville d’Alexandrie ? Le quartier des putes est celui où une femme à poil couverte de bijoux a le moins de chance d’être repérée. Cléopâtre s’installe donc et entreprend la conversation avec les filles qui attendent le client. Elle parle de multiples langues, y compris l’argot d’Alexandrie. C’est alors que ses aventures commencent…

Une fille l’invite à dormir chez elle, lui fait boire une infusion revigorante de miel parfumé aux herbes… et Cléopâtre se retrouve au matin attachée, dépouillée de tous ses bijoux, et vite violée par le mac de la fille, un Romain qui veut la vendre sur le marché aux esclaves. Ce qui est fait, toujours à poil pour allécher les chalands. Un cueilleur musclé de papyrus des marais la veut mais il doit payer en monnaie, pas en papier ; un couple de paysans l’achète pour leur âne intelligent. Ils veulent les accoupler dans leur naïveté comme Léda et le cygne, croyant que l’âne est un dieu qui doit se révéler dans le coït avec une belle mortelle. L’âne se couche mais ne consomme pas. Il y a de l’humour chez l’auteur qui invente.

Le cueilleur, qualifié « d’Ethiopien » pour sa peau noire du sud de l’Egypte, vient la voler et l’emporte dans sa hutte ; ils baisent. Mais des galères du palais la cherchent et leur enquête remonte aux paysans floués ; elle n’y échappe que parce que Memnon, serviteur d’un précepteur, la viole en lui promettant double jeu. Nageant vers la terre ferme, Cléopâtre rencontre un vigneron chargé de grappes qui l’incite à venir travailler dans ses vignes pour la saison des vendanges. Elle y fait la connaissance du bel Apollodore, Grec de Sicile beau, bien bâti et entièrement nu, qui l’aide à fouler le raisin en cuve à ses côtés. Le soir, elle couche avec lui. Avec ses gains, elle peut s’acheter une tunique.

Puis de péripéties en aventures, baisant ici ou là pour l’intérêt ou le plaisir mais toujours libre d’elle-même, elle parvient jusqu’au temple de Memphis où elle s’installe une nuit comme pute sacrée avant d’être retrouvée par les sbires des précepteurs. Elle réussit à fuir dans le saint des saints avec ses amis, le bel Apollodore et la toute jeune Iras encore vierge. C’est interdit sauf aux prêtres et à la reine d’Egypte. Elle se fait donc reconnaître…

C’est alors que débute la seconde partie, cette fois historique et renseignée par les sources romaines. Elle est livrée par Apollodore à César empaquetée dans un tapis pour tromper les précepteurs ? Elle veut rencontrer et séduire le nouveau maître de l’Egypte, parvenu à Alexandrie avec ses légions. Ce qui fut fait derechef, jusqu’à lui faire un fils, Césarion, qui sera tué à 15 ans par Octave, l’adopté de César et futur Auguste, hypocrite, cruel et donc parfait politique, au prétexte « qu’il ne peut y avoir deux Césars ».

Cléopâtre laissera éliminer son frère et mari lors d’une bataille perdue, se mariera avec le frère suivant pour la forme car trop jeune pour baiser, séduira Marc-Antoine le rival d’Octave et lui fera trois bébés, avant qu’Octave ne parvienne à rester vainqueur en raison de l’impulsivité brouillonne d’Antoine.

La reine va donc en terminer volontairement avec la vie grâce à un panier de figues sous lesquelles dort un aspic qui lui mordra le sein, selon l’image d’Epinal. Fin d’une belle aventure emplie de fastes, d’intrigues politiques, de sensualité délicate et d’hédonisme. Nous sommes à l’acmé de l’écriture post-68 où la « libération » sexuelle est quasi complète. C’est enlevé, érotique et permet une évasion romantique dont on aurait tort – homme ou femme – de se priver malgré les glapissements indignés, forcément indignés, des harpies.

Guy Rachet, Cléopâtre le crépuscule d’une reine, Criterion 1994, 359 pages, €6.48

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Gilbert Sinoué, L’Egyptienne

Une passion torride au prétexte du rêve oriental de Bonaparte en 1798, voilà qui fait aimer l’histoire aux lectrices férues d’un peu de culture. Gilbert Sinoué, Égyptien né grec catholique melkite comme son héroïne Schéhérazade, date de l’irruption française sur le Nil le développement industriel et mental de son pays. Bonaparte ne fera que passer, bloqué par les Anglais, et Mohammed-Ali poursuivra son œuvre d’Etat, se détachant de la Porte et combattant le wahhabisme saoudien.

Tout commence en 1790 lorsque Schéhérazade a 13 ans, troublée par la « peau chaude et âpre » de Karim, son amoureux de 17 ans qui roule sur elle en jouant. Le fils de Soleiman le jardinier fut son amour d’enfance ; il deviendra grand amiral de la flotte égyptienne jusqu’à sa fin à la bataille de Navarin. Il l’appellera sa « princesse » et ils feront une fois l’amour, mais ne s’uniront jamais pour former couple. C’est un autre catholique grec melkite, Michel, qui deviendra son mari et lui donnera un fils, Joseph, après un premier bébé en fausse couche parce qu’elle s’était affolée pour Karim lors des troubles du Caire. Ce mariage social restera de raison, un amour tiède de convenances et d’habitude, qui se terminera avec la mort de Michel lorsque des émeutiers musulmans raseront et brûleront sa maison, épargnant miraculeusement Schéhérazade parce qu’elle tient en ses bras son bébé. L’amour véritable, fusionnel, des corps et des âmes, elle le trouvera avec le Vénitien Ricardo, de fort caractère comme elle et qui n’hésite jamais. Ces trois amours parcourent le panel des passions que peut vivre une femme.

Cela au bord du Nil, ce fleuve de vie dont la crue est comme une rosée vaginale pour les plantes nourricières de ses abords, le blé, les légumes, le coton. Schéhérazade a été ainsi prénommée parce que, petite dernière d’une fratrie de trois, son accouchement a duré et que le père a conté durant tout ce temps des histoires à sa mère pour lui faire oublier. Sa grande sœur Samira se mettra en couple avec un officier français marié qui l’emmènera en France et la larguera avec un môme, la forçant à faire la pute pour survivre. Son grand frère Nabil se prendra de passion patriotique et fondera un mouvement de résistance aux envahisseurs français pour finir décapité après avoir tué d’un coup de lance un général en pleine rue. Seule Schéhérazade survivra, obstinée, se desséchant et se régénérant à chaque fois comme le Nil.

L’auteur s’est documenté sur l’expédition de Bonaparte en Egypte et cite ses sources en annexe au roman. La cruauté était à la mesure de l’hostilité et des opérations de guérilla mais la fondation d’instituts scientifiques apportait autre chose que la guerre et la destruction. Ce savoir, et l’esprit qui l’animait, a permis à l’Egypte de s’émanciper de la tutelle prédatrice de l’empire Ottoman et des exactions des tout-puissants mamelouks. Joseph, le fils de Schéhérazade, deviendra ingénieur et pas guerrier. Mohammed-Ali, que l’on écrit habituellement Méhémet Ali pour le distinguer du boxeur noir américain contemporain, était un mercenaire albanais né en Macédoine. Il a profité du retrait français et de la faiblesse des gouverneurs turcs pour s’emparer du pouvoir en 1805 avec l’aide des ulémas nationalistes du Caire. Protecteur du peuple et éradiquant les mamelouks dans le sang, négociant avec le sultan ottoman, Méhémet Ali que l’auteur appelle toujours Mohammed-Ali, fonde une Egypte indépendante et modernisée en faisant creuser des canaux, encourageant l’irrigation et le remembrement des terres, créant une industrie textile.

L’auteur place dans la bouche de Mohammed-Ali ces propos : « C’est un problème de mentalité. Si les Arabes infestent les routes et harcèlent les garnisons égyptiennes placées dans les villes, c’est qu’ils ne parviennent pas à se débarrasser de cet esprit maraudeur et indépendant qui de tous temps les a habités. Le drame du monde arabe c’est qu’il a toujours été dominé par des individualités despotiques et incompétentes ; incapables de concevoir un plan dont les parties seraient bien ordonnées et solidement établies ; ne s’accommodant d’aucune règle d’aucune discipline et ne s’animant de son plus bel élan que fanatisé par une foi religieuse. Est-ce sensé ? » (chapitre 36). En 1839, l’Egypte sera à nouveau sous tutelle, cette fois des Anglais dont l’intérêt cynique visait la route des Indes.

La passion et la guerre, l’amour fécondant de la femme et du pays, forment une fresque à l’ancienne qui se lit bien, et le début d’une saga.

Gilbert Sinoué, L’Egyptienne, 1991, Folio 1993, 681 pages, €10.90

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Mort sur le Nil de John Guillermin

Ce célèbre film sorti en 1978 tiré du célèbre roman policier d’Agatha Christie paru en 1937, met en scène une enquête difficile menée par le gros détective belge Hercule Poirot à la moustache en crocs. Même si l’on se souvient vaguement de la fin, l’intrigue est suffisamment tordue pour que l’on en ait oublié une grande partie, ce qui ne gâche pas le plaisir de revoir (ou de relire). Il est d’ailleurs dit dans le film que ce qui compte est le voyage, pas le but. Ce pourquoi je ne comprends pas cette déception de gamin de deux ans frustré de sa sucrerie envers les « spoilers » comme on dit en étranger. C’est un concept qui n’est pas français : on peut très bien connaître la fin sans déprécier le chemin. Il n’y a que les Yankees pour se moquer des moyens et pour courir avidement à la gagne.

Pour ma part, j’ai bien vu Mort sur le Nil cinq ou six fois et lu au moins trois fois le roman depuis mes 11 ans ; cela n’a jamais été avec ennui. Surtout que le décor du Nil reconstitué fin des années trente à la fin des années soixante-dix, et la brochette d’acteurs et d’actrices au mieux de leur forme professionnelle, sont un enchantement. Avec ces scènes d’humour telles l’accueil du capitaine égyptien qui croit deviner qui est qui, ces gamins qui montrent leur cul nu à la vieille anglaise collet monté et gantée en train de prendre le thé sur le pont, et cette succession de cadavres que l’on descend en brancard en arrière-plan de Poirot et du colonel qui philosophent sur la vie.

Peter Ustinov est moins bon que David Suchet en Poirot imbu de lui-même, snob jusqu’au bout des ongles et à l’intellect acéré, mais David Niven est parfait en colonel resté Intelligence Service et devenu avocat (ce qui est la même chose dans les affaires). Quant aux veuves emperlousées, Dame Christie n’a jamais été aussi féroce avec ses congénères oisives britanniques. Angela Lansbury en écri(vaine) hantée par le sexe a l’attitude ondulante et le maquillage outré d’un serpent obsédé de sa proie, voyant dans le temple de Karnak des béliers « priapiques, lascifs et lubriques », tandis que Bette Davis en vieille riche portée sur les perles fait un duo de charme avec une Maggie Smith desséchée sur pied en infirmière gouvernante. La fille Ridgeway (Lois Chiles, 30 ans quand même au tournage) en est la version moderne avec Jane Birkin en soubrette folle dingue d’un mec marié tandis que Mia Farrow joue la folle couronnée de cheveux roux.

L’enjeu des jeunes dames est le magnifique mâle anglais Simon (Simon MacCorkindale, 26 ans au tournage) lisse, blond, sportif, intelligent – mais qui n’a pas le sou. Il aimait Jakie de Bellefort (Mia Farrow) mais a épousé pour son fric la fille Ridgeway lorsqu’il l’a rencontrée dans son château anglais où Jakie voulait le faire nommer intendant. D’où jalousie et poursuite de harpie harcelant partout où il va le nouveau couple, jusqu’au sommet d’une pyramide.

Mais la trop riche et trop gâtée fille Ridgeway, qui n’est qu’une héritière « parasite social » comme le dit l’étudiant marxiste du bord (Jon Finch), a l’art de se faire des ennemis de tout le monde. Elle est trop arrogante, provocante, trop sûre du pouvoir de son argent, trop pressée pour se préoccuper des autres, sauf peut-être de Simon – en bref trop américaine. On sent là le ressentiment des vieux Anglais après la guerre fratricide de 14 pour les nouveaux riches d’Outre-Atlantique, vulgaires et parlant haut. Ridgeway a piqué son mec à sa meilleure amie et désormais la déteste ; elle a insulté le docteur de clinique allemand Bessner parce qu’une vague connaissance à elle a été prise de pelade sous son traitement ; elle s’est découverte insultée par l’obsédée sexuelle auteur de romans « passionnés » qui l’a décrite sans guère de gants ; elle a refusé la dot promise à sa soubrette lorsqu’elle se marierait… Elle va crever c’est fatal et le lecteur comme le spectateur s’y attendent : haine accumulée et juste retour des choses sont les ressorts du roman policier.

Tous les protagonistes se retrouvent à l’hôtel Old Cataract d’Assouan chère à Christie, puis embarquent sur le bateau à roue Karnak (en réalité le Memnon), réservé aux touristes de première classe avec ses cabines spacieuses et son bar-salle à manger en bois vernis. Il est l’unité de lieu propice aux coups de théâtre avec cour et jardin, bâbord et tribord. L’unité de temps est la remontée du Nil, durée déjà grosse des drames accumulés qui vont électrifier l’atmosphère jusqu’à l’éclatement de l’orage. L’unité d’action commence une fois le méfait accompli, la mort tragique de celle qui n’était qu’en sursis à cause de ses malveillances : l’enquête, les subtilités de l’intrigue, la maestria des déductions. Et tout se résout au salon, en dernier acte, devant les survivants réunis comme souvent chez Christie. Who done it ? – Qui l’a fait ?

Avec cette fin morale tirée de Molière assénée par Poirot au colonel : « La grande ambition des femmes est d’inspirer l’amour ». Jusqu’à la haine.

Une nouvelle version cinéma de Mort sur le Nil réalisée et jouée par Kenneth Branagh en Poirot est prévue pour 2021.

DVD Mort sur le Nil (Death on the Nile), John Guillermin, 1978, avec Peter Ustinov, David Niven, Lois Chiles, Mia Farrow, Jane Birkin, Maggie Smith, StudioCanal 2008, 2h20, €8.99 blu-ray €10.95  

Coffret 3 DVD Hercule Poirot : Le Crime de l’Orient Express + Mort sur Le Nil + Meurtre au Soleil réalisés par Sidney Lumet, John Guillermin, Guy Hamilton, StudioCanal 2011, 6h21, €70.00

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Christian Jacq, Néfertiti l’ombre du soleil

L’Egypte ne connaissait pas le machisme patriarcal des religions du Livre ; les femmes avaient du pouvoir, y compris en politique. C’est Tiyi, l’épouse d’Amenhotep III, qui règne sur la politique étrangère du pharaon, c’est Néfertiti, l’épouse du fils de Tiyi Amenhotep IV dit Akhenaton, qui surveille les peuples menaçants et soutient son roi mystique. Néfertiti signifie « la belle est venue », autrement dit d’incarnation d’Hator, la déesse des étoiles, donc de la bonne navigation et de l’amour.

Néfertiti, avant d’être épouse du prince héritier du pharaon, est adolescente rebelle, fille d’un administrateur d’une province de Haute-Egypte. Christian Jacq romance son histoire avec sa connaissance précise de l’Egypte antique. Ay est appelé à Thèbes pour servir l’administration du pharaon et sa fille aînée Néfertiti, à 17 ans, est remarquée par le prince Amenhotep lors de la soirée de présentation. Il a le coup de foudre et c’est réciproque. Tiyi va convoquer la jeune fille, la percer de son regard, puis consentir. Néfertiti se marie à 17 ans, comme Christian Jacq. Le couple restera amoureux jusqu’à la fin, se caressant nus, se baisant sous les yeux de la foule, copulant pour six filles successives en quinze ans. Cette païennerie mystique avant la Bible et surtout le Coran est très rafraîchissante et Christian Jacq l’évoque avec une pudeur admirative.

Amenhotep IV aime la vie et ce qui donne la vie : la lumière, le soleil, la fécondation, la femme. Son frère aîné était destiné au trône mais il est mort trop tôt. C’est donc à lui qu’échoit la tâche et il y répugne, préférant les papyrus et la méditation sur les choses éternelles. « Le pharaon n’était pas un tyran agissant selon son bon plaisir ; premier serviteur de Maât et soumis à sa loi, il composait avec les principaux corps de l’Etat, soucieux de l’équilibre et de la prospérité du pays » ch.27. Maât est la déesse de l’équilibre, de la vérité, de l’équité et de la justice. Néfertiti va l’aider, volontiers autoritaire et toute dévouée au projet du pharaon. Il est de contrer les prêtres d’Amon, le dieu principal d’une multitude qui ne s’adore que dans l’ombre et le secret. Lui préfère Aton, le dieu soleil, l’unique à donner la vie et à féconder humains, bêtes et plantes. Contre la tradition et le conservatisme de servants repus et trop enrichis qui complotent volontiers pour servir leurs intérêts au nom des dieux, Akhenaton va fonder une nouvelle religion, un nouveau temple, une nouvelle capitale.

Entre Thèbes et Memphis, entre le Nil et les collines, s’élèvera Amarna, la ville du désert fertilisée par les puits et par le soleil levant. Son temple à Aton sera entièrement ouvert au soleil et, de cette capitale utopique, naîtra une existence nouvelle. Tout est conçu, bâti et achevé en deux ans, prenant de court les réactionnaires et forçant les indécis à choisir le camp de pharaon et de l’avenir. Les filles naîtront, vivront nues dans la nature au cœur de la ville, assisteront leur père aux cérémonies. Akhenaton donnera l’image d’un père fécondateur heureux qui veut le bonheur de son peuple, offrant en exemple sa famille. Sa femme est à son ombre, en retrait mais accolée à lui et lui à elle.

Néfertiti meurt vers 1333 avant notre ère, vraisemblablement avant son mari. Son probable neveu Toutankhamon, né dans la douzième année du règne, deviendra pharaon vers sa dixième année et épousera la troisième fille de Néfertiti de cinq ans plus vieille, ce qui le légitime. Il quitte Amarna pour Thèbes et la terminaison Aton pour Amon. Amarna sera rasée et les prêtres tradi rétablis dans leurs privilèges gras. Le jeune pharaon mourra à 18 ans d’une blessure, laissant à la postérité une sépulture inviolée jusqu’en 1922, 3250 ans plus tard, et un masque d’or de toute beauté. Le général Horemheb deviendra pharaon et fondateur de la dynastie des Ramsès.

Malgré les hypothèses qui circulent sur le destin de Néfertiti, faute de documents probants, Christian Jacq privilégie celle qui rassemble le plus de faits établis. Ce pourquoi la forme du roman est à mon avis la meilleure pour rendre vivante cette reine exceptionnelle. Il est écrit en 77 courts chapitres qui font progresser l’action par de courtes phrases directes et beaucoup de dialogues, à la moderne, sans jamais ennuyer. Car son voyage de noce en Egypte à 17 ans en 1954 l’a ébloui. Il a poursuivi des recherches en égyptologie sous la direction de Jean Leclant jusqu’en 1979, année de soutenance de sa thèse de doctorat sur les rites funéraires égyptiens. Ecrivain prolifique (plus de 200 titres !) il connait le succès par ses sujets ésotériques ou égyptiens. Il dirige l’Institut Ramsès chargé de publier des transcriptions de textes anciens et crée un fonds photographique sur les monuments d’Égypte.

Ce bonheur de lecture ne dispense pas de lire des ouvrages de chercheurs sur l’Egypte antique, mais il nous fait vivre de l’intérieur la mentalité reconstituée du temps, ce qui est précieux pour entrer en empathie avec ceux du passé.

Christian Jacq, Néfertiti l’ombre du soleil, 2013, Pocket 2014, 448 pages, €7.95

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Andrée Chedid, Nefertiti

L’auteur est égyptienne d’origine libanaise de nationalité française, ce qui lui donne un regard à la fois cultivé et sensuel sur la vallée du Nil plus d’un millénaire avant notre ère. Sa reine de prédilection est Nefertiti, première femme traitée d’égal à égal par son pharaon Akhenaton (dont elle supprime le e dans le nom).

Nefertiti naît en 1388 avant, l’année qui précède la naissance d’Akhnaton, fils d’Aménophis III et de la puissante reine Tyi. Le garçon est malingre, les hanches plus larges que les épaules, le crâne allongé vers l’arrière. Il n’est pas le prototype du mâle guerrier qui tient en respect ses adversaires toujours prêts à fondre sur la riche vallée du Nil, mais plutôt porté à la paix, à la conciliation, aux éléments féminins du caractère.

Contre le pouvoir des prêtres qui règnent par la crainte des dieux et de l’au-delà, tout en accumulant grandes richesses et forte influence, le futur Aménophis IV choisit le dieu soleil Aton, au détriment d’Amon et de sa cohorte de dieux à têtes d’animaux. Cela le condamnera. Il mourra en 1354 avant, sur la barque qui remonte le Nil depuis sa nouvelle cité Horizon (Tell el Amarna) jusqu’à Thèbes, l’ancienne capitale. On ne sait pas de quoi il périt, peut-être de maladie, peut-être d’un empoisonnement commandité par les prêtres. Il avait 33 ans (tiens, comme le Christ !).

L’auteur évoque d’ailleurs Moïse, dont nul ne sait s’il a vraiment existé, comme fuyant l’Egypte (avec les Juifs) à la mort d’Akhnaton. Ce dernier, par le culte du seul dieu solaire, le même pour tous et égalitaire, aurait inspiré le Jéhovah unique au détriment du Veau d’or et autres divinités juives de l’époque. « Le mystère du soleil qui n’en finit pas de renaître, du sang qui nous maintient debout, de l’arbre qui s’élance… Voici le divin, voilà la vie ! » fait dire la reine Nefertiti à son mari pharaon Akhnaton : « Il en voit partout la marque : dans le bruissement des feuilles, dans un jeune veau qui gambade, le poussin qui heurte l’intérieur de sa coquille, la brise qui gonfle la voile (…) Si Dieu existe, il est mouvement, vigueur et turbulence de l’amour. Il est ce qui passe, il est ce qui demeure. Il est dans l’instant et dans l’ailleurs. Il se fait jour en nous » p.141. Ce n’est pas si mal dit, et autrement plus séduisant que le dieu tonnant du haut de sa montagne, secret, jaloux et autoritaire qu’aurait construit Moïse.

Sur le Nil, on vit nu jusqu’à 7 ans et vêtu d’un simple pagne au-delà. Le Pharaon s’affiche avec sa compagne presque nu en public, leurs quatre petites filles entièrement. Ils sont sensuels et affectueux, en phase avec le peuple qui les acclame. Ils se tiennent la main en plein soleil qui irradie, se caressent les reins et le torse, mignotent les corps nus gracieux et élastiques des fillettes qui grimpent sur eux. C’en est trop pour la morale cléricale qui préfère le sombre et le contraint, la discipline qui plie les âmes et le mystère qui donne le pouvoir par la crainte.

Lors de la publication du livre, en 1988, l’Occident était en pleine période de rébellion contre la Morale et la répression patriarcale-bourgeoise du sexe encouragée par les églises. L’insistance d’Andrée Chedid sur le corps et les sens, véritable re-ligion entre le terrestre charnel et le transcendant spirituel, ne serait plus de mise aujourd’hui où « la vertu » consiste à se voiler le corps, à se masquer la face, à maintenir les autres à distance et à n’autoriser « l’amitié » que virtuelle sur des réseaux loin de chez soi, à porter des gants prophylactiques et à se nettoyer névrotiquement les mains avec du gel pour alcoolique. Ces vingt ans de règne anticonformistes du printemps égyptien sont comme un rêve prémonitoire de 1968 et de ses suites – jusqu’au SIDA et à la réaction laborieuse et moraliste des années 90. Relire ce roman d’il y a plus de trente ans est une bouffée de chaleur solaire dans un monde où vient la nuit.

Nefertiti survivra dix ans à son roi, exilée dans un palais excentré de la cité d’Horizon. La ville sera rasée sur ordre du général Horemheb qui a pris le pouvoir après Nebkhéré, mort à 22 ans après sept ans de règne, appelé alors Toutankhaton (devenu Toutankhamon pour faire plaisir au clergé tradi).

L’auteur use de poésie pour un dialogue de Nefertiti avec son scribe inventé, le nain Boubastos, et les chapitres alternent entre les dits de la reine et la prose du scribe. Ce livre court se lit comme un enchantement, une imagination sur le réel. Le lecteur pourra sans dommage sauter la préface à prétention intello d’un doctorant littéraire qui accumule le naming pour accoucher d’une creuse paraphrase ampoulée : tel était le snobisme « de gauche » des années 80 lorsqu’on pondait une thèse sur la littérature et le social.

Andrée Chedid, Nefertiti et le rêve d’Akhnaton – Les mémoires d’un scribe, 1988, GF Garnier-Flammarion poche  1993, 224 pages, €1.68 e-book Kindle €5.49

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Philip Kayne, Les conquérants d’Aton 1

1358 ans avant notre ère chrétienne, le quatrième Amenhotep est fait pharaon avant de changer son nom en Akhenaton (Bénéfique à Aton) en l’an VI de son règne. Il s’est marié par amour à Néfertiti (La Belle est venue), malgré son père et malgré les traditions qui voulaient que la promise de son frère aîné lui soit dévolue. Or Thoutmosis est mort des suites de blessures d’un lion, lors d’une chasse au désert avec son frère. Les deux s’aimaient fort mais l’aîné n’était pas destiné à ceindre la double couronne. C’est donc Khétarâ, le cadet, plus spirituel, qui va prendre les rênes de l’empire avant ses 16 ans.

Il est disciple d’Aton, le dieu unique représenté par le soleil, et a pour adversaire résolu les prêtres du culte d’Amon, dieu traditionnel de l’Egypte et qui prend de multiples formes. Khétarâ va imposer le culte d’Aton et devenir Akhenaton, transmettant à sa mort la double couronne au fils qu’il a eu d’une sixième concubine : Toutânkhaton, 9 ans. L’auteur fait du futur Toutankhamon le fils même tant désiré de Néfertiti, mais la reine n’a semble-il eu que des filles. A 12 ans, le gamin déjà marié depuis trois ans, prendra le nom de Toutankhamon par retour aux traditions. Son père Amenhotep IV est en effet mort vers 33 ans nul ne sait de quoi ; l’auteur évoque une crise cardiaque. C’est bien solliciter l’histoire.

Philip Kayne, Belge et éclectique, a fait des études d’histoire classique avant d’aborder les civilisations du Moyen-Orient. Il se passionne pour l’Egypte dans laquelle il découvre les Origines du monothéisme, à la suite d’un certains nombres d’égyptologues et de Freud lui-même, sans compter les ésotéristes. C’est pourquoi le roman est « préfacé par Roger Sabbah », dont l’auteur me pardonnera de n’avoir pas su qui il est. Disons pour résumer que Roger Sabbah s’intéresse à l’histoire du Proche-Orient ancien et qu’il épouse une vision particulière de la Bible et des Juifs. Ces derniers seraient des Egyptiens chassés de la vallée du Nil lors de l’Exode sous l’égide d’un prince juif, Moïse, et partis s’établir en Palestine. Tout cela parce qu’ils pratiquaient le culte du dieu unique et non le polythéisme traditionnel. Abraham serait même l’autre nom d’Akhenaton, AbRâAmon et Israël AïSaRâAï… Ce ne sont que des hypothèses, déclinées sous des titres à sensation tels que Le secret des Juifs, Les secrets de l’Exode, Le pharaon juif, Les secrets de la Bible, Le secret du 3ème millénaire – la terre des pharaons était la terre d’Israël… Les éléments archéologiques ou les textes égyptiens n’apportent aucune preuve tangible de ce rêve unificateur juif, des religions à la psychanalyse, en passant par une obscure ésotériste nazie, Savitri Devi. Les pensées totalisantes ramènent à elles tout le progrès humain, les chrétiens avant-hier, les Aryens hier comme les communistes interprétés par Marx et Engels, les Juifs avec Sabbah.

Malgré ce biais un brin fantasque et son parti-pris idéologique, le roman de Philip Kayne s’attache à évoquer la vie quotidienne de pharaon, sa jeunesse et son amour pour Néfertiti, son accession au trône. Il donne de la chair et du cœur au récit historique, nous rendant les personnages attachants. Il s’ingénie surtout à nous montrer la sensualité très naturelle des Egyptiens antiques, baignés par un climat doux dans une nature soumise au rythme saisonnier du fleuve. Les amoureux sont « toujours main dans la main, à [se] bécoter, à échanger des serments ou de secrets, peut-être ? Et tout cela, souvent peu vêtus (… voire à) se balader entièrement nus » p.114. L’initiation sexuelle commençait tôt en Egypte ancienne et Khétarâ a déjà un enfant d’une union avec une concubine avant ses 13 ou 14 ans, le prince Sémenkarâ. Néfertiti l’affole, caressant sa peau nue, frottant son pubis contre le sien, plaquant ses seins durcis par le désir sur sa poitrine. Il défait vite son pagne et la robe quasi transparente de sa compagne avant de rouler derrière un buisson pour l’étreindre, à même la terre, et faire jaillir la vie comme l’eau du Nil féconde les champs.

C’est donc un bonheur de lecture, pimenté par les intrigues de cour du grand prêtre d’Amon appelé ironiquement Aânen et la perpétuelle adversité des tenants des anciens cultes qui essaient de tuer le pharaon hérétique tout en détournant à leur profit clérical une partie de l’impôt royal.

Mais une question vient : comment un tel naturalisme du plaisir, qui se manifestera dans l’art amarnien, se transformera-t-il du tout au tout en rigorisme puritain, physique, affectif et moral une fois la Bible établie ? Le monothéisme conduit-il au fanatisme par croyance de détenir la seule Vérité ? Tant la religion juive sous Moïse que la chrétienne avec Paul et la musulmane avec Mahomet récusent la chair au profit de la prière, et l’amour physique au profit du seul digne : l’amour éthéré du Dieu unique et jaloux qui commande tout.

Philip Kayne, Les conquérants d’Aton – tome 1 : La part de vérité, 2019, éditions Baudelaire, 429 pages, €22.00

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

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Gustave Flaubert, Voyage en Orient

flaubert voyage en orient
L’Orient (moyen) était le rêve romantique, le voyage d’une vie. Maxime Du Camp était parti en Orient en 1844, l’année où il est devenu l’ami de Flaubert. Gustave s’est mis à en rêver, surtout après avoir voyagé en Italie en 1845. En 1847, il randonne à pied et en voiture trois mois en Anjou, Bretagne et Normandie avec Maxime Du Camp. L’amitié se consolide, le rêve se développe, un long voyage est désormais envisageable. Maxime veut repartir en Orient pour photographier, ce qui est neuf en ce temps ; Gustave, à 28 ans, veut en être. Non pour publier (il gardera ses carnets pour lui) mais pour « la sensation ». Voir et sentir valent mieux que tous les livres et l’on sent bien plus fort quand on est jeune. L’Orient lui inspirera les romans et contes qui révéleront son talent : Salammbô, la Tentation de saint Antoine version 2, Hérodias

Il lui faudra un an pour convaincre sa mère, six mois de préparation, nécessitera six cents kilos de bagages, un domestique appelé Sassetti, deux ordres de mission des ministères de l’Instruction publique et de l’Agriculture pour favoriser les autorisations locales de visites – et durera pour Flaubert 19 mois. Les compères visiteront Egypte, Liban-Palestine (Syrie), Rhodes, Asie mineure (Turquie), Grèce, Italie. Mais pas la Perse, pourtant prévue au départ, mais dangereuse d’accès ; Flaubert y renoncera sur les instances de maman… Il est vrai qu’il est sujet à des « crises nerveuses », en fait une épilepsie due à une ancienne syphilis. Ce qui ne l’empêchera pas de coïter avec enthousiasme les almées, courtisanes et autres putains d’Egypte et d’ailleurs. Il tombera même amoureux de Kuchiuk-Hanem, célèbre fille de joie dans la trentaine qu’il baisera plusieurs fois la même nuit (« coup » puis « recoup », écrit-il sobrement). De quoi choquer les lecteurs de la première édition (posthume) en 1910, aussi prudes et coincés que les islamistes rigoristes aujourd’hui. L’éditeur Conard – c’est son vrai nom – a expurgé soigneusement ces baisades et autres allusions au sexe.

L’Orient représente à l’époque cet espace de liberté sexuelle que l’Europe a réduit et Gustave comme Maxime en profitent, avides d’expériences avec, pour Flaubert, le goût des gens. Contrairement à ce que croient certains, Flaubert n’a eu qu’une ou deux expériences homosexuelles « pour voir » avec un jeune garçon de bain en Égypte ; il ne l’évoque pas dans ces carnets « sérieux » mais en passant dans sa Correspondance à ses amis masculins. Il relate en revanche pour la couleur locale les anecdotes piquantes qu’il a recueillies : « Il y a quelque temps un enfant sur la route de Choubra [5 km au nord du Caire] se faisait enculer par un singe » (p.624 Pléiade). Ou encore à Damas, raconté par le supérieur des Lazaristes : « M. Guyot a surpris, ces jours derniers, deux de ses élèves, âgés de douze ans environ, qui s’entreculaient à la porte du couvent ; l’un d’eux avait appris la chose d’un chrétien qui l’avait dépucelé moyennant la somme de vingt paras. Selon le supérieur, la pédérastie est ici excessive » p.793. Il semble que les psys aient aujourd’hui remplacés les curés en faisant du traumatisme l’équivalent scientifique du péché originel, mais l’interdit social à l’expérimentation sexuelle des adolescents reste sans changement. Gustave préfère les femmes, il aura même le coup de foudre pour une inconnue en Italie (p.1012). Ce ne sont que descriptions du visage, de l’allure, des seins à demi découverts pour l’allaitement de celles qu’il rencontre. Êtres vivants ou statues, Flaubert ne voit que les femmes – en Égypte, en Grèce, en Italie, les hommes, les vieillards et les éphèbes ne lui sautent pas aux yeux.

Il a beaucoup lu avant de partir mais cite peu ses références durant le voyage (contrairement à Maxime qui les confirme, les infirme ou les complète en érudit). Flaubert préfère le vivant, le matériau brut, la sensation. Ce pourquoi il décrit longuement visages ou paysages, statues ou monuments, comme si la photo n’avait pas été inventée. « J’ai vu une petite fille de douze ans environ, nue, charmante, avec son petit caleçon de cuir battant sur ses cuisses et ses petites mèches tressées tombant sur ses épaules – ses yeux d’émail souriaient – ses reins cambrés – elle avait un petit collier rouge et des bracelets à grains bleus. Elle portait un panier dans une pauvre maison et elle en est ressortie » p.671. C’est parfois fastidieux à lire, mais c’était surtout pour lui un aide-mémoire, pour affiner sa plume, un exercice de précision, de concision et d’exactitude. D’où le ton parfois détaché qu’il prend pour décrire les turpitudes, la misère des mômes, la bêtise brutale des muletiers envers un chien ou la crasse des femmes dans les montagnes d’Asie mineure. D’où l’aspect parfois « peinture », chaque mot étant un trait de pinceau pour composer un ensemble en couleurs.

1849 sphinx egypte maxime du camp

Il a aimé en Égypte les chameaux (« la première chose [que j’ai vue] sur la terre d’Égypte » p.613 ; ils apparaissent hiératiques comme des vaisseaux de haut bord chaloupant au-dessus du khamsin, ce vent qui soulève le sable au ras du sol, leur face a parfois des ressemblances risibles avec des personnages connus. Il a ressenti une intense émotion en découvrant le Sphinx : « il nous regarde d’une façon terrifiante » p.626. Il a vécu une jouissance indicible devant Thèbes, qu’il tente pourtant d’exprimer en mots dérisoires : « C’est alors que jouissant de ces choses, au moment où je regardais trois plis de vagues qui se courbaient derrière nous sous le vent, j’ai senti monter du fond de moi un sentiment de bonheur solennel qui allait à la rencontre de ce spectacle ; et j’ai remercié Dieu dans mon cœur de m’avoir fait apte à jouir de cette manière. Je me sentais fortuné par la pensée, quoiqu’il me semblât pourtant ne penser à rien – c’était une volupté intime de tout mon être » p.658. Il a aimé les couchers de soleil fulgurants sur le Nil, avec les nuances du rouge vif au bleu pâle du ciel ; le dégradé d’ombre des montagnes au Liban. Bon vivant, blagueur et bien accepté, il n’hésite pas à « régaler de Vénus nos trois bourriquiers moyennant la somme de soixante paras » (p.643) – autrement dit à leur payer des putes.

Il est aussi capable d’impatience, de spleen, de mélancolie de l’exil ou de la destinée, d’ennui qui le saisit et l’empêche de faire quoi que ce soit. Jérusalem, après un émerveillement devant ses murailles, le déçoit. Cette ville arabe est d’une crasse indicible : « Jérusalem me fait l’effet d’un charnier fortifié – là pourrissent silencieusement les vieilles religions – on marche sur des merdes et on ne voit que des ruines – c’est énorme de tristesse » p.754. De même au Saint-Sépulcre : « Ce qui frappe le plus (…) est la séparation de chaque église, les Grecs d’un côté, les Latins, les Coptes – c’est distinct, retranché avec soin – on hait le voisin avant toute chose – c’est la réunion des malédictions réciproques, et j’ai été rempli de tant de froideur et d’ironie que m’en suis allé sans songer à rien plus ». D’ailleurs « les clés sont aux Turcs, sans cela les chrétiens de toutes sectes se déchireraient » p.758. En revanche, Bethléem l’enchante, malgré l’excès baroque des bondieuseries : « Rien n’est suavité plus mystique et d’une splendeur plus douce que l’entrée de la crèche par le côté gauche : l’œil se perd dans l’illuminement des lampes qui brillent au milieu des ténèbres, on en voit devant soi une longue enfilade – à droite et à gauche et au fond » p.761.

1849 le caire egypte maxime du camp

Les Européens sont mal vus en Orient, surtout dans l’empire turc après l’indépendance de la Grèce. Un racisme latent éclate parfois en mimiques ou en coups de fusil, auquel se mêle une xénophobie religieuse envers les chrétiens mécréants. En Asie mineure au village de Bordall (ou Bodzal) : « Rencontré deux Grecs, le gamin est à cheval et le jeune homme à pied. L’enfant de douze ans qui est l’aide de notre moucre (muletier), resté en arrière avec Sassetti, lui propose de couper le cou aux Grecs, et comme il ne comprend pas il lui fait signe avec son couteau » p.845. La haine ethnique n’est pas un vain mot en Turquie musulmane. La corruption et la dépravation non plus, comme en témoigne un jeune derviche : « autour de lui il ne voit que putains : ‘Qu’est-ce que fait un Turc ? Il prend une femme, la baise trois jours ; puis il voit un jeune garçon, lui soulève son bonnet, le prend chez lui et quitte la femme, qui se fait enfiler par le jeune garçon !’ » p.860.

Mais la politique laisse les deux amis indifférents, ils ne s’intéressent en rien à la question d’Orient. Et Flaubert n’est pas raciste, il ne se sent pas supérieur parce qu’il est Blanc venu d’un pays développé, il juge seulement de la beauté des visages et de la vertu des âmes. « Le regard n’est ni sémitique ni nègre, il est doux et malicieux », dit-il par exemple des hommes du Sennahar en Haute-Egypte (p.678). Il décrit le rameur du Nil Mohammed : « J’ai avec moi un petit raïs de quatorze ans environ, Mohammed ; il est de couleur jaune, une boucle d’oreille d’argent à l’oreille gauche ; il ramait avec une vigueur plaine de grâce, il criait, chantait en passant les courants, menant tout le monde, – ses bras étaient d’un joli style, avec ses biceps naissants. Il a ôté sa manche gauche, de cette façon il était drapé sur tout le côté droit, avait le côté gauche et une partie du ventre à découvert. Taille mince – plis du ventre qui remuaient et descendaient quand il se baissait sur son aviron. Sa voix était vibrante en chantant ‘el naby, el naby’. C’est là un produit de l’eau, du soleil des tropiques, et de la vie libre ; – il était plein de politesses enfantines : il m’a donné des dattes et relevait le bout de ma couverture qui trempait dans l’eau » p.679. Les deux amis ont dîné à Constantinople avec le général Aupick, beau-père du poète Baudelaire, dont Flaubert a vanté les vers choquant le bourgeois sans le savoir.

1839 athenes parthenon

Il a repris au propre ses carnets d’Égypte, au retour ; l’Asie mineure n’a pas été oubliée mais il l’a moins aimée. Quant au Liban, à la Palestine et à la Grèce, il a été souvent déçu et a laissé ses notes en l’état. C’était l’hiver, le voyage s’étirait, il a vu Marathon sous la pluie, il a galopé trempé et transi, enfoncé dans la boue parfois jusqu’aux cuisses. Il passera le reste du voyage, d’Athènes à l’Italie à se contenter de décrire les statues des musées et des églises, sans plus. On sent moins l’enthousiasme, le retour au scolaire et à la vie bourgeoise, la préparation des œuvres envisagées. L’ironie ressurgit parfois, mais fugace, comme au passage du Jardanus en Grèce : « En face de nous, dans cette maison : servante bossue avec de gros seins : de quel côté la prendre si son mari aime les tétons durs ? » p.941.

Parti de Paris avec Maxime le 29 octobre 1849, Flaubert y revient fin juin 1851 sans Maxime, qui a prolongé ailleurs, mais avec maman qui l’a rejoint à Venise. Les deux amis ont passé 8 mois en Égypte, dont 4 et demi sur le Nil, 4 mois en Palestine 3 mois et demi en Grèce, 1 mois et demi en Turquie et 5 mois en Italie. L’Égypte et la Turquie sont une mine de renseignements, de descriptions et d’anecdotes intéressantes au voyageur d’aujourd’hui – comme à ceux qui préfèrent voyager par procuration, bien au chaud dans leur lit, l’imagination enfiévrée sous la lampe.

Gustave Flaubert, Voyage en Orient, 1851, Folio classique 2006, 752 pages, €12.90
Gustave Flaubert, Œuvres complètes tome 2 – 1845-1851, Gallimard Pléiade 2013, 1680 pages, €72.00
Gustave Flaubert chroniqué sur ce blog

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Daniel Easterman, Le nom de la bête

daniel easterman le nom de la bete
La Bête est celle de l’Apocalypse et son nom est salafisme. Il y a plus de 20 ans, ce qu’écrivait sous forme de divertissement le professeur d’histoire de l’islam à l’université de Newcastle était prémonitoire. L’Égypte – le plus peuplé des pays arabes musulmans – voit une secte léniniste prendre le pouvoir après des décennies de préparation idéologique par les Frères musulmans. A sa tête l’Antéchrist annoncé par l’Apocalypse, la Revanche de l’islam, le Croisé inverse qui veut reconquérir Al Andalus.

Peu importe le grand guignol de la fin (Easterman ne sait pas finir ses thrillers) ; peu importe le procédé par attentats à la bombe (bien passés de mode faute d’artificiers éduqués aujourd’hui) ; peu importe la passivité coupable des Instances internationales comme des grands pays impliqués (les États-Unis laisseraient-ils faire sans rien faire ?). Reste le message : les sectaires sont des illuminés, donc des ordures particulièrement sadiques et dangereuses, parce qu’agissant (ils le croient) au nom de Dieu.

Michael Hunt est anglo-égyptien ; ex-membre des services secrets britanniques, il a quitté le MI6 il y a des années pour devenir obscur professeur à l’université américaine du Caire. C’est un ancien ami anglais toujours en activité qui va le convaincre de rempiler lors de son retour temporaire à Londres pour l’enterrement de son père – mais aussi une jeune femme d’Égypte qu’il lui présente l’air de rien, Aïcha, émancipée et laïque, épouse de l’opposant démocratique enlevé puis disparu dont Michael tombe raide dingue lorsqu’il la voit pour la première fois… Le premier chapitre donne le ton (Easterman est expert en premier chapitre haletant).

Al-Kourtoubi (le Cordouan) est un ex-prêtre catholique qui s’est découvert une ascendance mauresque remontant jusqu’à Mahomet ; il s’est converti à l’islam et – plus royaliste que le roi – a fondé une secte activiste efficace. « C’était un groupe secret au sein même d’une organisation clandestine. Au départ, leur but était de travailler à l’étranger, de convertir des gens à l’islam en Occident, particulièrement de jeunes catholiques. (…) Ils prenaient également des contacts. Avec les déracinés, les mécontents, les enragés. A la fin, il en faisait des extrémistes, des terroristes. Al-Kourtoubi se moquait de savoir s’ils étaient de droite ou de gauche, nationalistes ou religieux : ils n’étaient que du combustible pour l’incendie » p.295. Édifiant, n’est-ce pas ? Le daechisme imaginé en 1992 enfin réalisé vers 2012. Abou Bakr al-Baghdadi – qui se présente lui aussi comme un descendant du prophète Mahomet – s’est proclamé calife. A-t-il lu Easterman dans sa jeunesse (il avait 21 ans lors de sa parution) ? Il applique en tout cas toutes les méthodes exposées dans le roman.

Al-Kourtoubi, son double imaginaire, est cultivé, redoutablement intelligent, et connaît les arcanes du pouvoir dans chacun des pays européens. Avec la complicité d’influents politiciens d’extrême-droite au Royaume-Uni, en France, en Allemagne, en Italie, il lance une campagne d’attentats contre les civils en Europe qui font des milliers de morts. L’objectif ? Déstabiliser les sociétés, les terroriser et les faire réagir par la peur – ce qui signifie la désignation de boucs émissaires et l’anesthésie de toute morale universelle humaniste. Les Européens exaspérés des tueries au nom de l’islam devraient chasser en masse tout musulman présent sur leur sol.  Al-Kourtoubi, fort de sa prise de pouvoir dans un État influent – l’Égypte – pourrait alors les protéger et, en négociant avec les gouvernements européens, récupérer l’Andalousie qui faisait partie du territoire converti. Une « purification ethnique » aurait alors lieu sans pitié, chassant tous les chrétiens et tous les juifs d’Al Andalus pour offrir la province reconquise aux musulmans expulsés de toute l’Europe.

On voit combien les mêmes idées reviennent avec régularité : massacre des Arméniens « cinquième colonne » par les Turcs nationalistes en 1915, expulsion des Grecs « chrétiens donc non-musulmans » par les mêmes Turcs nationalistes en 1920, purification de classe par les staliniens en URSS en 1930, purification raciale des non-Aryens par les nazis dès 1933, purification des « Quatre vieilleries » par les étudiants de la Révolution « culturelle » manipulés par Mao en 1966, purification ethnique par les Serbes en Bosnie, génocide Hutu par les Tutsis… Les problèmes des « Purs » ne peuvent être réglés que par l’éradication de tous les « impurs », arrachement en général violent de tous ceux qui ne sont pas ou ne pensent pas comme les sectaires au pouvoir.

L’auteur, en bon spécialiste du monde arabe et de la religion islamique, décline les premières mesures : rétablissement de la charia intégrale ; police religieuse qui arrête les trains et traque toutes les déviances (une balle dans la tête pour lire un livre traduit) ; obligation du voile pour toutes les femmes qui ne sont plus autorisées ni à conduire, ni à travailler, ni à voter ; fermeture des musées non islamiques et destruction par la foule fanatisée des pyramides, pour édifier un gigantesque Mur entre l’Égypte et le reste du monde ; pogroms anti-coptes (ces vils chrétiens…) avec crucifixions, flagellations, couronnes de lames de rasoir ; accusations gratuites de propager la peste (donc assimilation aux rats) de tous les non-cairotes non-musulmans non-salafistes ; encouragement aux gestes spectaculaires (comme brûler Le Caire pour la récurer somme Sodome et Gomorrhe).

Tout ce qu’accomplit Daesh aujourd’hui était prédit dans les discours exaltés des sectaires de l’islam il y a plus de 20 ans : il suffisait d’attendre. « Je suis pure compassion – déclare Al-Kourtoubi par qui attentats et massacres interviennent – je suis submergé par la douleur et la pitié. (…) Mais c’est Dieu qui a chargé mes épaules, c’est Dieu qui me conduit » p.90. Ce cynisme révoltant ne réclame qu’une balle dans la tête : qui se retire de l’humanité volontairement ne peut plus être traité avec humanité. Les daechistes agissent comme des nazis, avec aussi peu d’état d’âme : « Il n’y avait rien sur son visage. Rien qu’une terrible impassibilité, l’impavidité de la foi qui a dépassé l’émotion ou l’a assassinée. Il pouvait tuer pour son Dieu aussi facilement que d’autres pleurent. Les mains étaient douces, les doigts manucurés ; il était propre et soigné, strict dans ses ablutions, en bref il observait tous les commandements de la religion sauf la compassion » p.468. Un vrai tueur de camps.

Ce bon thriller haletant est épicé d’une histoire d’amour au-delà du conventionnel, il a le mérite de nous faire comprendre les arcanes des sectes contemporaines dans l’islam et – ce qui est plus précieux – la mentalité de ces bourreaux au nom d’Allah qui n’hésitent pas à souiller son Message au profit de leurs bas instincts et de leur petit arrivisme personnel.

Daniel Easterman, Le nom de la bête (Name of The Beast), 1992, Pocket 1997, 543 pages, €0.01 occasion

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Souk et dernier dîner à Louxor

Dji me demandera plus tard si j’ai vu l’inscription de Rimbaud sur les colonnes du temple de Karnak : non, je ne l’ai pas vue, le guide nullard ne nous en a rien dit ; il ne savait peut-être même pas de qui il s’agissait. Alain Borer, spécialiste du poète, décrit précisément l’endroit : « sans doute a-t-il gravé lui-même sur la pierre ce nom, RIMBAUD, que l’on voit au fond du dernier sanctuaire (…) Sur le mur ouest de la salle de la naissance d’Aménophis III, la signature se trouve à une hauteur de 2 m 80 environ, en lettres capitales, et le soleil de midi qui l’éclaire laisse dans l’ombre toutes les autres inscriptions. » (Rimbaud en Abyssinie, Seuil 1984, page 313)

egypte obelisque et lune

Dji me cite Alain Borer, mais pour l’accuser de s’être attribué une découverte « déposée à la société Rimbaud » qui ne lui appartient pas. Or, dans son livre, Borer ne dit rien de tel ! La note 24 stipule : « la signature Rimbaud fut l’objet d’une note simultanée en 1949, comme si elle devenait secondairement lisible – Jean Cocteau (…) mais aussi plus sûrement Henri Stierlin (…) et Théophile Briant. »

Il ajoute : « Deux autres inscriptions RIMBAUD figurent également (…) sur la colonne la plus proche, en petites capitales. Tracées beaucoup plus bas et presque en face de la grande signature (…) l’une est seulement esquissée, RIMB., à la façon dont Rimbaud signera sa correspondance parfois en 1889, et semble, comme sa voisine, une ébauche de la grande signature. »

hiéroglyphe egyptien signifiant enfant

Le bus nous reprend pour nous lâcher devant le souk, derrière le temple de Louxor que nous n’aurons pas le temps de visiter. Durant une heure et demie, les femmes négocient diverses marchandises à « rapporter ». Il s’agit de tee-shirts pour les enfants, de tuniques-pyjamas pour elles, de châles pour les grands-mères, d’écharpes pour les grands-pères, de bijoux et d’autres babioles. L’une ne sait pas marchander ; elle se bute sur son prix sans jamais négocier, avec un air pincé qui n’amuse pas les vendeurs. Un autre marchande mieux, il les fait rire. D’ailleurs, il tient absolument à poser un vase canope sur sa cheminée. Il ne sait pas qu’ils vont en général par quatre, un pour chaque organe du mort. Il trouve un vendeur compatissant qui lui en cède un seul, en augmentant le prix de l’unité pour l’occasion. Il a dû être séduit par le physique de blond costaud car, en partant, il laisse errer sa main sur son épaule un rien trop amicalement.

profil egyptien

Nous reprenons un petit bateau pour rallier le restaurant El Ghezira, où le repas nous attend. Dji est là avec Adj. Nous dînons somptueusement à l’égyptienne, de crème de sésame, légumes confits et poulet grillé. Nous claquons nos dernières livres égyptiennes en bières – et il nous en reste encore. Enak demande à la plus jeune fille du groupe de poster une lettre en France pour une mademoiselle. Il est, sinon « amoureux », du moins sexuellement attiré par une touriste venue ici il y a quelque temps. Alix, sur le sujet, élude soigneusement les questions.

egypte

On le sent, ce soir, plus tendu. Notre départ imminent le rend émotif. D’ici une heure ou deux il sera rejeté dans son exil. Même volontaire, celui-ci n’est pas toujours facile à vivre. Il nous quitte simplement devant la bétaillère qui va nous ramener à l’hôtel. Seul Adj nous accompagne jusqu’à l’aéroport.

FIN du voyage en Égypte

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Temple de Karnak

Nous joignons Thèbes, le temple est immense, 123 hectares, pas encore dégagés du sable dans sa totalité ; seuls 14 hectares sont fouillés jusqu’au sol antique. Nous sommes devant le gigantesque temple d’Amon, « le Caché », construit et remanié plusieurs fois par les pharaons du Nouvel Empire, de 1580 à 1085 BC. Les conceptions différentes, les vengeances et le souci d’effacer les traces des schismatiques ont fait construire et détruire les bâtiments. Il en reste un gigantesque chaos qu’il est difficile de comprendre aujourd’hui.

karnak architraves

Faisons plutôt comme Flaubert, laissons-nous impressionner : « la première impression de Karnak est celle d’un palais de géant. » Sous Ramsès III, 81 322 personnes servaient le temple dans toute l’Égypte, car son clergé possédait 2393 kilomètres carrés de champs le long du Nil. Le dieu Amon forme ici une triade avec Mout, déesse du ciel, son épouse, et Khonsou, dieu lunaire représenté en enfant porteur d’un croissant de lune, leur fils. Toute la famille était réunie, augmentant la puissance du lieu. On a comparé le temple à une centrale nucléaire où quelques techniciens, les prêtres, canalisaient des flux énormes d’énergie. Les multiples enceintes, les cours, les couloirs, les cachettes contenant des statues secrètes, accréditent cette idée de puissance formidable. Les prêtres rendaient des oracles par la barque d’Amon.

karnak horus pharaon

Une rangée de sphinx protège l’entrée, côté Nil. Ils ont des corps de lions gardiens (puissance agressive) et des têtes de bélier à cornes recourbées (image d’Amon). Le grand pylône d’entrée date des Ptolémée (III° siècle BC) et protège le temple des forces impures. Sa forme évoque le hiéroglyphe de l’horizon et signale la fonction cosmique du site. De hauts mâts en bois de plus de trente mètres étaient jadis encastrés dans les rainures verticales du pylône ; ils représentaient les piliers sur lesquels repose la voûte céleste. La surface du pylône elle-même est gravée de reliefs représentant la puissance et montrant la défaite définitive du chaos grâce à l’action du pharaon. Cinq pylônes de plus en plus petits se succèdent ensuite dans l’enceinte.

karnak colonnes

Dans la grande cour, une statue colossale de Ramsès II (1290 BC) se dresse. Ce pharaon a fait terminer la grande salle hypostyle que nous verrons après. Le roi se tient dans une attitude osirienne, les bras croisés sur la poitrine tenant la crosse et le fouet, symboles respectifs du pouvoir et d’Osiris. Sa reine, Nofretari, est représentée à ses pieds, toute petite. L’immense salle hypostyle de 134 colonnes a été construite entre les règnes d’Horemheb et de Ramsès II. Cette colonnade massive enserre, bien qu’aujourd’hui on voie le ciel. C’est du Monumenthâl à la germanique, du massif, du carré Kolossal ! Le temple est la version totalitaire de l’État, la première image du « roi-soleil » si chère aux nostalgies françaises d’où, peut-être, leur fascination actuelle pour ces vestiges ! Dans l’Égypte ancienne, le pouvoir royal était un attribut du créateur du monde, le dieu soleil Rê, dont le pharaon était le fils. D’essence divine, ce pouvoir était absolu, il ne pouvait se partager. Pharaon était acteur unique de l’histoire ; il combattait perpétuellement pour la sauvegarde de l’ordre idéal du monde et de la société, selon les Lois établies par le créateur contre le désordre de la réalité et les faiblesses humaines. Le politique était religieux, servi par la machine administrative des scribes fonctionnaires.

karnak pharaon

C’est peut-être ce symbolisme qui séduisait si fort Mitterrand, probable dernier roi-républicain, soucieux de l’équilibre du monde, de la place de la France et du progressisme scientiste. L’axe du temple figurait la course du soleil du jour à la nuit. Le passage graduel de la lumière à l’obscurité, des cours ouvertes aux salles obscures, conduisait au sanctuaire qui contenait la statue du dieu. Ce point figurait l’extrémité du monde, où terre et ciel se rejoignent dans les ténèbres du crépuscule. Résidence terrestre du dieu, microcosme sacré entouré de murs qui le protégeaient du profane, chaque journée voyait se rejouer le mystère de la création renouvelée. Chaque jour les prêtres réveillaient la statue de la divinité, l’habillaient et la promenaient ; au soir on la recouchait dans ses bandelettes, pour son séjour dans la nuit et dans le royaume des morts. Le Soleil était la vie, le dieu, l’espoir d’un monde après la mort, comme il resurgit de l’horizon à chaque aurore. Sur la statue d’un prêtre de la XXIIème dynastie à Karnak était gravée cette formule : « le fugitif instant où l’on perçoit les rayons du soleil vaut plus qu’une éternité passée à régner sur l’empire des morts. »

karnak bulle personnage

L’allée centrale rassemble une foule si grande que l’on se croirait à Lourdes ou au Vatican. Il n’en est rien. Ici, les touristes vont au temple comme au supermarché en Europe : le site se consomme allée par allée, il « faut tout voir ». Et les groupes ignares boivent les explications de guides incultes, en mitraillant de photos ineptes bobonne et les mioches devant les sphinx ou les colonnes. Remarquent-ils – mais il faut lever les yeux jusqu’à 22,40 mètres au-dessus du sol et se poser la question – que les fûts des colonnes sont comme des tiges énormes, et que le chapiteau est une fleur ouverte de papyrus ? Que les douze colonnes de la nef centrale sont plus hautes que la centaine d’autres qui les bordent (14,74 mètres) dont les chapiteaux ne sont que des fleurs de papyrus en boutons ?

L’ombre portée des colonnes est un havre de fraîcheur dans la touffeur du soleil impitoyable. Les scènes rituelles gravées sur les fûts sont parfois colorées comme des cases de bandes dessinées. J’apprécie quelques instants de solitude relative, loin du guide. Je visite aussi la suite seul. Une seconde cour recèle deux obélisques, pointus comme des broches à rôtir – c’est d’ailleurs ainsi que les ont nommé les grecs : obeliskos. Ils servaient de protection, tels des paratonnerres. Celui qui s’élève Place de la Concorde à Paris vient de Karnak ; il est celui de Ramsès II, offert par le gouvernement égyptien et ramené en 1833.

karnkar frise

Le lac sacré a été reconstitué. Des touristes idiots font sérieusement sept fois le tour du scarabée de granit « porte-bonheur » posé sur un bloc près de l’édifice du roi Taharqa. Quatre tas de chair affalés le long du mur des propylées du sud font rire les voyages scolaires indigènes. Ce sont trois femelles anglo-saxonnes rougeaudes aux épaules dénudées, et leur mâle qui a enlevé son tee-shirt sur sa chair pâle et tremblotante de poisson. Le ridicule non seulement ne tue plus mais n’affleure même plus à la conscience. L’Anglo-saxon, hors de chez lui, se sent tellement le représentant d’une haute civilisation qu’il s’imagine donner le ton au monde entier.

C’est ensuite une grosse allemande qui se fait prendre par son mec derrière une statue sans tête, sous les colonnes de la salle hypostyle. Rien de graveleux, rassurez-vous, mais une photo ringarde avec la grosse prenant le corps de déesse de la statue pour une photo en pied avec sa propre tête qui dépasse du corps de la statue. Un petit Blanc joue aux cailloux et ses parents le regardent, attendris, sans prêter aucunement attention aux bas-reliefs antiques. Une maman pose d’autorité sa petite blonde devant un colosse pour la photo – c’est déjà plus adapté, la petite devient la reine du pharaon ainsi statufié. Viendra-t-il un jour réclamer son dû ?

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Temple de Ramsès III à Médinet Habou

Retour à Médinet Habou, notre village, pour visiter enfin ce temple dont nous contemplions la porte dès le premier jour. Il est immense. Il comprend plusieurs cours successives. Ses décors sont souvent profondément incisés pour éviter d’être martelés par le pharaon suivant.

temple Ramsès III

Dès l’entrée nous accueille une statue de la déesse Sekhmet, à tête de lionne. Elle est « la puissance », l’aspect destructeur du Soleil. Elle répand les maladies, mais permet aussi de les soigner car ses prêtres sont les médecins. Lorsqu’elle feule, elle terrorise ; lorsqu’elle est apprivoisée, elle devient chatte, Bastet, et se contente de ronronner. Elle est l’ambivalence.

lionne temple Ramsès III

Le guide nous raconte quand même l’anecdote de ce prêtre d’Amon-Min, la forme humaine ithyphallique du dieu Amon, toujours représenté avec le sexe tendu. Amon-Min assimile un dieu local et symbolise la procréation comme la renaissance du dieu Soleil après son séjour dans la nuit. Il protège les routes du désert. Pendant que Ramsès guerroyait trois années, ce prêtre a réussi à engrosser presque toutes les femmes de Thèbes. Au retour, le roi le convoque pour explication. Habilement, le prêtre répond qu’il s’agit de préparer l’armée suivante de sa majesté, au cas où celui-ci ne serait pas revenu du désert. Le pharaon rit et lui laisse la vie sauve.

temple Ramsès III medinet habu b

Sur l’une des parois sont gravées les silhouettes des sept fils du pharaon, dont trois ont ensuite régné ; on reconnaît ces derniers au cartouche qui a été rajouté près de leur image.

gravures profondes temple Ramsès III

Des groupes scolaires locaux circulent parmi les ruines, accompagnés de leurs instituteurs. Des petits se font engueuler : discipline et silence dans les rangs. Les adolescents sont laissés plus à eux-mêmes ; ils chahutent moins mais se préoccupent plutôt de leur apparence : lunettes noires, chaînes au cou, chemises ouvertes, appareils photos avec lesquels ils se prennent entre copains, les mains sur les épaules. Un adolescent de famille riche, si l’on en croit ses vêtements, compense sa petite taille en jouant au chef dans son cénacle ; ils sont quatre ou cinq à graviter autour de lui. Il leur offre à tous une glace au marchand du temple.

temple Ramsès III couleurs

Le bus nous conduit ensuite pour déjeuner à la pension de famille où Dji a vécu jusqu’à ce qu’il se fasse construire une maison. Il s’est installé là dès son arrivée à Louxor, dans la famille d’Adj, qui venait alors de naître. C’était alors une maison en terre. Sa chambre était au rez-de-chaussée. Adj nous sert le repas, aidant son frère de trois ans plus âgé que lui, traumatisé pour avoir été enlevé et séquestré trois jours lorsqu’il avait neuf ans. Aubergines grillées à l’ail, tomates et concombres en salade, pommes de terre aux oignons et sauce tomate, courgettes au herbes, riz, précèdent et accompagnent le clou du repas : le canard grillé, savoureux et tendre sous la dent.

Après la visite rapide d’un trou au fond de la cave d’un paysan voisin (il croit avoir « découvert une tombe »), nous partons pour le temple de Karnak.

temple Ramsès III medinet habu

Avant de traverser le Nil pour rejoindre la rive droite, j’achète pour 5 livres une chatte d’albâtre à un douze ans qui m’en supplie, presque larmoyant. Lui aussi a de beaux yeux. Elle se révélera avec une patte avant cassée, artistement dissimulée par le morceau de journal qui l’enveloppait. La ruse commerciale prend la figure du suppliant pour arnaquer l’étranger. Je lui aurai laissé son billet de 5 livres, à ce gosse ; mais je regrette de ne pas avoir vu de suite ce défaut. Méfiez-vous de la pitié, elle aveugle.

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Vallée des Rois

Ce matin, nous visitons la Vallée des Rois. Un guide verbeux et peu intéressant nous attend – le même nul déjà subi à Edfou. Parmi les guides qui nous ont fait visiter les sites, un seul s’est révélé cultivé ; les autres sont des bavards pour masse ignorante. Ce baratin pour touristes m’ennuie. Certains guides en français ou en anglais, entendus dans les tombes royales étaient plus concrets, décrivant et expliquant les illustrations peintes sur les parois. Pas le nôtre, il discourait sur l’histoire et la chronologie, en historien pour vieilles dames ; nous aurions pu être à l’extérieur tant ce qu’il disait avait peu à voir avec ce que nous avions sous les yeux. Nous visitons les tombes de Ramsès IV et de Menenthep.

vallee des rois

Les groupes se pressent et se suivent en rangs serrés. Il y a trop de monde pour voir bien et cela beugle dans toutes les langues. Les guides verbeux et creux les retiennent à mi-couloir et au fond, au grand dam d’une saine conservation des peintures sur les parois : le gaz carbonique dégagé par les respirations abîme les couleurs. Mais qui s’en soucie en Égypte ? Nous retrouvons une fois de plus le laxisme, la corruption, l’absence complète de vision de l’avenir, le goût du lucre immédiat de cette population. « Inch Allah ! » est le slogan facile – Dieu y pourvoira. Cette courte-vue me laisse pantois.

toutankhamon chambre du sarcophage vallee des rois

Ma stupéfaction est amplifiée par la fraîcheur et le riant des couleurs qui subsistent au travers des millénaires. Nous descendons dans la salle funéraire par de longs hypogées en pente dont les parois sont couvertes de peintures et de hiéroglyphes sur les murs et les plafonds. Les artisans antiques travaillaient pour éterniser le réel, c’est pourquoi sans doute leur art est si vivant ; ils ne figuraient pas une impression d’individu mais obéissaient à des canons fixés par la tradition. Les parois sont décorées d’inscriptions et de représentations religieuses qui illustrent les « livres funéraires ». Surtout le tombeau de Ramsès IV, qui fut désigné par les savants de l’expédition de Bonaparte comme « le triomphe de la métempsycose ». Ce sont des cosmographies qui décrivent la course du Soleil dans l’autre monde. La vertu magique des images peintes et des mots gravés devaient permettre la renaissance du roi, identifié à l’astre solaire dans sa barque après son triomphe sur les mille dangers terrifiants de l’obscurité et du royaume des morts. Les Égyptiens inventent « la magie imitative » en dessinant sur les parois des tombeaux tout ce dont le défunt aurait besoin dans l’au-delà. Car le corps momifié ne reprenait vie qu’à condition de recevoir la nourriture du culte funéraire afin d’entretenir son Ka – l’énergie vitale – près du corps. Au fond d’une paroi, une frise de prisonniers nus, sans tête, les mains liées derrière le dos, figurent les ennemis de l’Égypte démonisés.

toutankhamon

La tombe de Toutankhamon a été découverte par hasard par Howard Carter le 4 novembre 1922. C’est la plus petite tombe de la Vallée. Elle n’a jamais été pillée et a livré des trésors. Sa découverte est peut-être la plus extraordinaire aventure des annales de l’archéologie. Elle touche à la mort, à l’art, à la richesse, et remue ainsi beaucoup de pulsions puissantes en l’homme. Toutankhamon, « symbole vivant d’Amon » est ce tout jeune roi, amoureux et audacieux, rendu universellement célèbre par la presse. Il est figé ici dans sa tombe.

Le couloir s’enfonce profondément et raide. Il n’y a presque rien à voir, mais délicieusement personne en cette heure de déjeuner. Seul, je médite un long moment sur les mystères antiques. Je suis heureux d’être venu ici. L’antichambre ne contient rien, l’une des chambres ne se visite pas. La salle funéraire de peut-être quatre mètres sur six était emplie de mobilier, aujourd’hui au musée du Caire. Elle ne contient plus qu’une auge de grès rose dans laquelle la momie repose toujours, le visage recouvert d’une copie de ce masque fameux, exposé dans le monde entier. Le sarcophage est orné aux quatre angles de figures protectrices, Isis, Nephtys, Neith et Selkis aux ailes étendues autour du corps. Plusieurs des sarcophages successifs de la cuve se trouvent au musée du Caire.

Le décor des parois est vivant, très coloré, sur fond ocre, bien que d’un style banal. Je reconnais cinq babouins, ils sont responsables du décompte des Heures de la Nuit ; puis la barque d’Amon et le dieu représenté en scarabée ailé. Nous sommes dans le monde des morts décrit par le Livre de l’Am Douat. En face, la momie du pharaon de 18 ans, accompagnée de son Ka (reconnaissable à la clé de vie qui pend à sa ceinture) est accueillie par Nout, embrassé par Osiris, mis en présence d’Anubis. Puis le pharaon est représenté une fois encore, face à au roi Ay vêtu d’une peau de panthère qui pratique le rite de l’ouverture de la bouche, symbole de résurrection, avec cette curieuse pince. Et Toutankhamon, accompagné par Anubis, reçoit la vie d’Hathor à l’aide de la clé de vie dirigée vers son souffle. Sur le mur de droite, neuf amis du mort et trois prêtres tirent la barque funéraire qui contient le sarcophage. C’est peut-être là que tout commence… J’ai regardé la scène à l’envers.

La nonchalance et le laisser-aller des fonctionnaires préposés à la surveillance de chaque tombe me permettent d’en visiter une nouvelle. Nous avons droit à trois tombes pour chaque billet. A chaque entrée, le fonctionnaire arrache un coin du billet. Je n’ai que deux coins arrachés et je peux donc voir un nouveau site. Je choisis alors la tombe de Ramsès IX, vers 1156-1136 BC. Elle est bien conservée, très colorée et, pour une fois, ses parois sont protégées des frottements par des plaques de verre. Sont illustrées les offrandes du roi à Rê à Osiris et à la déesse de l’Ouest, Meretseger. Je reconnais un démon à tête de chien décrit dans le Livre des Morts. Les babouins sont présents là aussi, comme le Soleil et la résurrection, les serpents.

vallee des rois carte

Nous ressortons et, sur le parking où les cars se croisent dans une noria incessante, un petit Blanc a ce trait d’humour de parader habillé en pharaon d’opérette, chemisette de soie translucide et coiffe trapézoïdale en tissu à bandes noir et or sur la tête. Il m’arrache un sourire. C’est bien lui qui a raison de se moquer du « sérieux » culturel de ces Égyptiens qui exploitent le passé comme à Disneyland, sans que « le » passé ne soit « leur » passé. L’arabisme est passé par là, encouragé par Nasser, ce fellah ignare et bien trop musulman pour tolérer que l’antiquité égyptienne soit autre chose qu’une mine à exploiter le touriste. Jean-Philippe Lauer, qui a passé plus de 70 ans de sa vie au service de l’histoire de l’Égypte, décrit parfaitement dans ses mémoires cette subite indifférence culturelle des nouveaux dirigeants de l’après-Farouk. Seul l’appât du gain les a retenus de transformer à nouveau les temples en carrières et de miner les pyramides pour faire place aux nouveaux quartiers du Caire. Ils ont laissé se dégrader les statues grecques découvertes à Saqqarah, et ils auraient bien englouti Abou-Simbel et Philae définitivement si la communauté internationale ne s’en était pas émue et n’avait financé les travaux de déplacement.

Et quel guide local nous aurait fait remarquer, par exemple, que la vallée des Rois est un désert hostile, sans eau, ni verdure, ni oiseau ? Il devait être effrayant dans l’antiquité, hanté par les chacals et les chouettes, et préserver ainsi le territoire des morts des convoitises des pillards. Qui a noté le sommet naturel en forme de pyramide qui domine à cet endroit la montagne thébaine ? Si les pharaons ne construisaient plus de pyramides, mais simplement leur tombeau au creux de la montagne, ce n’était pourtant pas à n’importe quel endroit !

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Louxor

Nous reprenons le minibus avec des paniers repas. Nous sommes aujourd’hui vendredi, jour férié musulman, et le restaurant ne sert pas. Pendant que l’auto attend à la sortie de la ville le convoi de police qui se formera jusqu’aux limites de la province, nous dévorons les provisions. Poulet grillé, purée de sésame en barquette plastique, yaourt au concombre et ail, une salade de tomates et concombres, des galettes de pain et du riz pour ceux qui ont faim ! Un pot de gelée au lait vient terminer ce repas, avec une bouteille d’eau de marque Baraka, embouteillée en Égypte par Perrier-Vittel.

voiture de flics egypte

Le minibus roule déjà dans la campagne, le long du Nil. Nous voyons depuis la terre les rives vues jusqu’ici depuis le fleuve. Ce ne sont que champs – pas très grands – et villages de terre – aux aouleds pieds nus en galabieh, aux vieux en turbans blanc, et aux ânes. Bien que jour saint, tout ce monde ramasse quand même la canne à sucre ou le trèfle ou emmène au marché des cageots de tomates empilées dans les bétaillères. Nous longeons de temps à autre la voie ferrée. Quelques trains passent, presque vides.

A l’arrêt inter-région, où la voiture de police sensée nous accompagner prend la tête du convoi étiré sur plusieurs kilomètres, des gamins viennent nous proposer des boissons à vendre, ou des foulards. Adj en achète un « pour sa mère », pour 20 livres. Le vendeur, qui a à peu près son âge, embrasse le billet pour porter chance à son commerce. L’une de nous tente d’en acheter un pour le même prix, mais pas question : « ça, c’est le prix pour Égyptiens ; pour les étrangers c’est 25 livres ». Elle n’achète pas.

paysage egypte

Nous sommes de retour en fin de journée à Louxor, pour retrouver ses deux colosses et l’hôtel. Avant de dîner, nous décidons de passer le Nil pour aller voir Louxor. La barcasse qui nous fait passer est maniée par Omar, un autre jeune ami de Dji. Il a 14 ans, même s’il en paraît plus. Il l’avait pris comme aide-felouquier l’an dernier, mais une cliente a fait une remarque de bonne-conscience-repue sur « le travail des enfants » et il n’ose plus. Le grand rêve du gamin est quand même de quitter son petit boulot de passeur pour quelque chose qui lui fasse voir plus de pays et connaître plus de gens. Je reconnais bien là les aspirations constantes de la jeunesse. Ici, ils sont adultes bien plus tôt qu’ailleurs.

garcon égypte

En cherchant du change, nous passons devant l’hôtel Winter Palace. S’il est aujourd’hui noyé dans les constructions encore plus laides du monde moderne, Pierre Loti le dénigrait déjà en 1907 : « Winter Palace, un hâtif produit du modernisme qui a germé au bord du Nil depuis l’année dernière, un colossal hôtel, visiblement construit en toc, plâtre et torchis, sur carcasse de fer. » Je ne sais comment il a été construit, mais il dure encore. Loti affectait parfois un snobisme qui faisait chic dans les salons parisiens.

Quant au musée, nous le cherchons, mais il est bien plus loin que l’on ne le croyait. Dji nous avait dit : « du Winter Palace, vous en avez pour 6 ou 7 minutes » ; en fait il en faut une vingtaine ! Il est bien présenté, très aéré, avec de jolies choses. Les explications sont fournies au moins en deux langues, parfois en quatre. La lionne Sekhmet se dresse, en granit taillé en 1403 avant, babines avides pleine de crocs. C’est elle qui envoie les maladies, mais elle aussi qui procure à ses prêtres (les médecins) la capacité de guérir. Sobek le dieu crocodile, apparaît redoutable, bien qu’en calcite datée de –1403. Amenhotep III serre les poings, on ne sait pourquoi ; il a les yeux en amande et la bouche régulière. Il s’agit en fait d’un autre nom d’Aménophis III, père d’Akhenaton ; il fut un monarque raffiné et voluptueux qui, déjà, s’est méfié du pouvoir trop grand des prêtres. Moubarak, aujourd’hui, pourrait bien s’en inspirer pour se défier des mollahs. Thutmosis III, vers –1490 offre un torse juvénile et un sourire indéfinissable aux visiteurs. Il succède à Hatshepsout, la reine redoutable, et conquiert le Soudan jusqu’à la quatrième cataracte ; c’était un fameux gaillard. Celui qui est indiqué « Amenhotep IV » est en fait Akhenaton. La statue colossale de son visage présente des traits adolescents accentués à dessein : un profil de poisson avec des lèvres et des narines gonflées avançant comme pour un baiser. Une acromégalie typique de la jeunesse où l’hypophyse travaille fort. On dit que la bouche charnue et les narines palpitantes traduisent le goût de la vie. Le mur des talatates est une paroi reconstituée d’un temple d’Aton érigé à Thèbes et détruit par les successeurs d’Akhénaton, acharnés à extirper son hérésie. Extraits du 9ème pylône de Karnak où ils avaient été réemployés comme de vulgaires blocs de construction, ces 283 blocs présentent sur 18 mètres de long et 3 mètres de haut le roi et la reine rendant hommage à Aton, le disque solaire.

2001 02 Egypte ticket Louxor

Des flèches de Toutankhamon sont présentées en vitrine ; elles sont en bois, en roseau, en plume, en bronze et en os. Le pharaon est présenté tout jeune sous les traits du dieu Amon. Dans la salle du sous-sol, Horemheb est statufié devant Amon. Le dieu est pour lui comme un père, les deux mains touchant ses épaules, les yeux au loin. Un Aménophis III de granit rose montre un visage aux traits ronds, un torse plat, carré, rigide comme une sculpture du Troisième Reich. Parfois, la grandeur dégénère en caricature. En revanche, est présentée une délicieuse Mout aux seins pommés qui tient par l’épaule Amon. Elle a un doux profil nubien et une petite bouche mignonne. De Ramsès II reste un torse en albâtre presque transparent qui accentue son air de jeunesse éternelle ; les muscles sont à peine dessinés, comme s’il sortait de l’enfance – ou renaissait aux regards.

Nous cherchons ensuite le restaurant Jamboree, près de la mosquée, recommandé à la fois par Dji et par le guide du Routard. De par sa proximité religieuse, l’établissement ne sert aucun alcool, et nous devrons attendre pour assouvir notre éventuelle soif de bière. Tenu par des Anglais, il sert plus de plats internationaux (poulet frites, spaghettis bolognaises, pizzas, glaces) que de cuisine « orientale ». Je réussis quand même à trouver de la purée de sésame tahina en entrée, suivie d’une aubergine farcie aux poivrons et au fromage (malheureusement du… chedar !). Il aurait fallu aller là où vont les Égyptiens du cru.

Nous reprenons le petit bateau pour traverser le Nil et rejoindre la rive ouest. Les jeunes se battent pour attraper des clients, à 1 livre chacun la traversée. Ils font vivre en partie leur famille avec ces gains. Pour cinq autres livres, une bétaillère trouvée à l’embarcadère nous ramène à l’hôtel, où nous avons encore la force – ou la volonté ? – de boire une bière. Elle est la première depuis des jours ! Et, comme nous sommes bien ensembles, nous cherchons à retrouver l’atmosphère intime de la felouque en nous installant sur la terrasse de toit de l’hôtel.

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Philae

Le soleil est déjà là, ce matin, quand l’un de nous soulève un pan de la bâche. Nous rangeons tous les sacs et passons sur le bateau-restaurant. Adj paraît tout fringant au petit-déjeuner, la nuit a du être bonne. Royal de jeunesse, il est l’Enak de Dji, en référence à ce jeune compagnon de toutes les aventures d’Alix, héros romain de bande dessinée. Dji ne semble pas connaître Alix.

Une fois le fromage pris, avec de la confiture de figue et de la galette sans levain, nous découvrons qu’une corde s’est enroulée dans l’hélice. Nous sommes enfin obligés de partir à la voile sur une felouque ! Adieu, bruit honni du moteur. Les coussins de la barque sont assez larges pour nous contenir tous. Le felouquier qui a plongé pour tenter de dégager l’hélice grelotte de froid et Adj se met à la barre, grosse comme un tronc. L’atterrissage est à la braque, tout cogne et frotte ; heureusement que la coque est en métal !

philae temples

Nous débarquons à Assouan où un minibus nous conduira à l’embarcadère pour Philae. C’est à Assouan que François Mitterrand fit son dernier voyage, du 24 au 29 décembre 1995, avec Anne et Mazarine Pingeot plus quelques amis. « Comme chaque année, ou presque, il passe les fêtes de Noël en Égypte », selon son biographe, Jean Lacouture. Il s’est installé dans le vieil hôtel Old Cataract, ainsi qu’à son habitude. Jean Lacouture de préciser : « mais en ce séjour ultime à Assouan, il ne faut point trop chercher le déchiffrement du Livre des Morts. La recherche d’une beauté, oui, d’une lumière chaude, d’une envoûtante fête de ce monde qu’il va falloir laisser. » Qui sait ? Le biographe ne fait que reconstituer, il n’était pas dans son âme ces cinq jours-là.

philae souk

Pierre Loti, en 1907, trouvait la ville agréable, non sans humour ni understatement ! « Le soir, après la nuit tombée, les voyageurs de véritable « respectability » ne quittent pas les brillants « dining saloons » des hôtels, et le quai se retrouve plus solitaire sous les étoiles. C’est à ce moment que l’on peut apprécier combien sont devenus hospitaliers certains indigènes : si, dans un moment de mélancolie, on se promène seul au bord du Nil en fumant sa cigarette, on est toujours accosté par quelques-uns d’entre eux qui, se méprenant sur la cause de ce vague à l’âme, s’empressent à vous offrir avec une touchante ingénuité, de vous présenter aux jeunes personnes les plus gaies du pays. »

philae temple

Philae. Elle est l’île de la frontière, entre Égypte et Nubie. Là commence l’Afrique noire. Le temple d’Isis se dresse au-dessus de l’eau. Mis en chantier par les derniers pharaons de la XXXème dynastie, il a été terminé par les Romains !

philae colonnes du temple

Il a été déplacé avec l’aide de l’UNESCO en raison du second barrage, entre 1972 et 1980. Le premier barrage, construit du temps des Anglais en 1913 l’avait à demi noyé sous les eaux six mois par ans et on le visitait alors en barque. Le passé, à cette époque, ne valait que grec et romain. Et l’on ne considérait que « l’art » – prononcer l’Hhââârr, comme Flaubert se moquant du snobisme bourgeois. L’art, c’est-à-dire exclusivement les statues. Les monuments eux-mêmes pouvaient bien servir de carrière. Mais le temple a retrouvé, sinon sa place originelle, du moins sa situation antique au-dessus des eaux. Pour les Égyptiens, toute vie est sortie de l’eau.

philae architraves

Chaque matin les prêtres étaient chargés de réveiller Isis dans son sanctuaire ; à midi ils faisaient banquet ; et le soir, ils réenroulaient Isis dans ses bandelettes. Elle mourait pour renaître le lendemain. Le guide que nous avons est cette fois intéressant et, dans la foule qui se presse plus ici qu’ailleurs, il est bon de l’écouter de temps à autre. Toutes les langues se parlent autour de nous. Les gens sont fascinés par la mort et la résurrection en ce temple enseveli sous les eaux et resurgi pour être remonté. Ici, tout meurt et tout revient, comme Osiris, grâce à la puissance de l’amour et des larmes. Pierre blonde, ciel, bleu, grand soleil – le site m’apparaît plus mystique que les temples grecs. Le mythe de la résurrection suscite plus d’émotion que de raison. Il est mieux adapté aux foules sentimentales d’aujourd’hui. Vu du lac, avec ce beau temps, le temple est un joyau.

philae colonnes

Nous revenons en ville pour aller au souk. Ce marché local est pittoresque mais sans grand intérêt commercial pour ceux qui veulent investir dans un tee-shirt ou un cadeau à rapporter. Le choix est bien plus grand sur les sites touristiques, devant l’embarcadère du temple ce matin, par exemple. Seuls les grands châles, peut-être. Mais on trouve des galabiehs brodées « Egypt » en globish, des robes en lamé aussi transparentes que des cottes de maille, aux rondelles dorées brinquebalantes.

assouan souk

Les jeunes vendeurs vous abordent, vous sollicitent, vous interpellent, mais ils sont moins collants qu’ailleurs. Des femmes tout en noir font leurs courses, foulard sur la tête (je vous dis qu’il est pour se protéger de la poussière !). Elles rapportent de pleins sacs plastiques emplis de tomates bien rouges, de pommes de terre ou de courgettes.

assouan souk legumes

Un petit gavroche à casquette de jean me prend le poignet pour me traîner amicalement vers sa boutique de narguilés, mais je résiste en riant. Ces enfants sont gentils et l’on s’en sort par l’humour. Nous sommes dans le sud et la chaleur monte malgré le vent qui, aujourd’hui, s’est levé. Trois jeunes garçons montés dans une charrette à vélo manquent de heurter Dji et commentent le forfait avec un grand sourire. Ils sont si beaux avec leurs dents blanches dans leurs frais visages basanés qu’il leur pardonne immédiatement.

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Des attentats de Louxor en 1997

Le soleil n’est pas levé et il n’a manifestement pas l’intention de le faire avant un moment, encore tout encombré de draps et autres voiles nuageux. Les bateaux qui passent en trains successifs ont balancé notre coque toute la soirée d’hier. L’une du groupe a même vu une vague mouiller son duvet par-dessus le bordage.

felouques sur le nil

La question, toujours dans un arrière-plan de la conscience, devait à un moment être abordée. Elle le fut ce matin sur l’initiative de Dji : les attentats islamistes. S’ils devaient se multiplier, le tourisme en Égypte serait mort, entraînant une chute de 10% du PIB et 12% de la population au chômage. Déstabiliser le pays, engendrer le chaos, c’est ce qu’ils veulent – pour apparaître comme la seule force d’ordre en vertu de la religion.

freres musulman logo

Il nous parle de l’attentat du 17 novembre 1997 au temple d’Hatchepsout à Louxor, où 58 touristes et 4 Égyptiens ont été tués par balle, et environ 25 blessés, par cinq jeunes. Ceux-ci ont été « manipulés », selon lui, même si l’attentat a été revendiqué par la Gamaât Islamiya. L’Égypte n’est pas l’Algérie et les groupes incontrôlés n’existent pas. Les islamistes sont structurés et bien connus.

Certains ont pensé qu’étant donné le rôle de l’armée dans le pays, investir à long terme dans les académies militaires permettrait de pousser le régime de l’intérieur. Le jour de l’attentat de 1997, le général commandant la région était justement en congé. Il avait ordonné qu’aucune balle ne soit placée dans les armes des militaires et des gendarmes qui gardaient le site. Ils n’ont donc pu intervenir rapidement. Les jeunes « de 18 à 23 ans » selon Dji, ont été abattus – et non pris – « pour ne pas qu’ils parlent ». Le Président Moubarak est venu lui-même – sans chauffeur – interroger les témoins, se méfiant de la Sécurité Militaire. L’armée a été épurée dans les mois qui ont suivis et le général, opportunément absent, n’a jamais été revu. Il doit pourrir dans quelque geôle ou quelques pieds sous terre. Pour Dji « c’est probablement le dernier attentat en Égypte ». La stratégie islamiste n’a pas payé, l’armée surveille désormais l’armée et la réédition d’une telle infiltration paraît désormais impossible… Sauf pour Israël : un attentat en 2004 a visé clairement des juifs.

felouquier musulman

Un long bateau s’est amarré derrière nous sur la rive, dans la nuit. C’est le bateau de croisière luxueusement aménagé El Karim de 19 mètres de long et 7 m 50 de large pour six passagers et huit hommes d’équipage. Il est loué aux happy few des croisières à la carte, entre Louxor et Assouan. Le bateau est un sandal, un bateau traditionnel du Nil à deux mâts aménagé en une cabine principale de 25 m² avec deux banquettes, plus une cabine de 20 m² pour deux personnes avec salle d’eau et douche. Le capitaine en est aujourd’hui ce garçon que Dji a connu enfant et dont il s’est occupé parce que sa mère avait divorcé. Le jeune homme le révère comme un père, cela se voit lorsqu’il le rencontre, il le salue avec respect. Ce qui frappe sont ces yeux, ils sont grands et clairs, ce qui donne à son visage un charme certain. D’ailleurs, il plaît aux femmes et se complaît avec elles.

desert bord du nil

Une heure de plus dans les felouques – tirées au moteur – et nous voici prêts pour le désert. Au long des rives brumeuses, nous rencontrons de temps à autre une barge qui se charge de pierres de construction, chargées à dos d’hommes comme depuis des millénaires. Nous débarquons. La traversée d’une route qui longe le Nil à cet endroit, sur la rive ouest, une petite grimpée sur une éminence, et voici un beau panorama sur le Nil et sur les felouques qui quittent la rive, traînées par le bateau à moteur – le temps d’une photo expressive tandis que les autres s’éloignent vers les confins. Seul Adj, qui prend au sérieux sa fonction de chien de garde, attend que j’aie terminé, réservé et restant à une dizaine de mètres sans m’adresser un seul mot. Il apprend pourtant l’anglais à l’école et aurait pu se mettre au français avec Dji depuis le temps qu’il le connaît. Mais, là encore, nonchalance mâle, fierté mal placée ou manque d’idée arabe, il laisse s’écouler le temps sans rien entreprendre.

bord du désert egyptien

Nous cheminons sur le sable ocre et fin, entre des rochers effilés de grès et d’amas basaltiques. Migrations métalliques dues aux écarts de température ? La surface des pierres est patinée. Sur le sol, d’étrangement belles découpes se dressent comme autant de rasoirs. L’écorce du grès est coupante comme une lame, délitée par le vent et par l’abrasion des grains de sable. Elle est parfois devenue une dentelle de pierre. Par terre, nous trouvons des tessons de poteries d’un peu toutes les époques, selon la grosseur des éléments vus en coupe, notamment le dégraissant. Il fait chaud. De cette chaleur de désert due en grande partie à la réverbération du sol. Nous marchons un moment dans ce paysage minéral qui épure la pensée et simplifie les idées.

village egypte

Et nous revenons vers le Nil par un wadi. En cet endroit du wadi Koubbaniya, ont été découverts des grains d’orge cultivé, des mortiers et des meules, associés à un site Paléolithique daté d’environ 18 000 ans, montrant l’ancienneté d’occupation des bords du Nil. Aux approches du village de Koubbaniya, du nom des coupoles élevées sur les maisons, sur la pente qui descend vers le fleuve, affleurent des fragments de momies humaines desséchées. Il y a des morceaux de troncs enduits de toile, des fémurs blanchis. Ces ossements auraient 6000 ans. On enterrait les morts directement dans le sable quand on n’était pas riche. L’important n’était pas la cérémonie, mais la croyance en la résurrection. Durant des siècles après la disparition de la civilisation des pyramides, les momies ont été utilisées comme médecine. On les prenait en poudre contre les douleurs gastriques, on l’appliquait en poudre contre les blessures. François 1er lui-même ne se déplaçait jamais sans son morceau de « mummie » – ancien français qui a donné le mot anglais actuel.

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Villages le long du Nil

Nous débarquons sur une rive pour prendre une bétaillère et aller voir un village de l’intérieur, Daraw. Il s’y tient habituellement un marché aux chameaux. Nous y trouvons peu de bêtes et aucun acheteur, mais une couche de crottes sèches, épaisse comme un tapis moelleux. Les quelques bêtes qui reposent pour la vente sont entravées, la patte avant étant liée repliée. Un adolescent monté sur un grand mâle blanc caracole et prend des poses. Il se plaît à proposer la photo pour « un stylo » ou pour le simple plaisir de se faire admirer. Il arrange artistement son chèche pour paraître à son avantage devant les filles, et peut-être pas seulement devant elles.

gamin sur chameau Egypte

Ensuite, le marché. Deux garçons ont sauté sur le marchepied arrière de la voiture et nous accompagnent par curiosité. Le plus grand a un physique princier avec son museau finement allongé et ses narines fièrement dessinées frémissantes d’émotion. Les boutons de sa chemise ont sauté depuis longtemps et sa mère les a sagement remplacées par du fil à coudre pour qu’il ne montre pas trop la nudité de sa poitrine. Il doit enfiler le vêtement par le haut, comme une tunique.Un autre a le tee-shirt punk, comme coupé au rasoir sur l’épaule.

adolescent egyptien

Nous ne passons guère plus d’un quart d’heure dans les rues marchandes. C’est un marché banal : des étals de fruits et de légumes, des chaussures, de la viande – mais les touristes-femmes aiment les marchés… Une boucherie chamelière offre aux regards un arrière-train d’où pend encore la queue de l’animal dépecé. Le gros gamin qui tient le stand brandit une patte à la large sole en rigolant, à mon attention. Il me montre aussi les yeux, gros comme des œufs et brillants comme des billes. Il croit ainsi me révulser. Mais j’examine tout cela comme s’il s’agissait de choses inertes (ce qu’elles sont) et je vois dans ses yeux qu’il commence à me prendre au sérieux. Il accepte que je prenne la photo de l’étal et du boucher en prime. Entre « mâles » on se comprend.

boucherie de village egypte

Quelques minutes de bétaillères nous reconduisent aux bateaux où nous embarquons pour déjeuner dans le grondement du moteur. Le bruit rend inutile toute conversation à plus de deux et abrutit en prime. N’étions-nous pas sensé aller à la voile ? C’est flemmardise de la part des bateliers car il y a un peu de vent et nous rencontrons des bateaux qui ont les voiles gonflées ! La vue de la viande morte ne m’a pas impressionné, ni coupé mon appétit. Les cuisiniers nous ont concocté une nouveauté, le foul, ce plat de fèves traditionnel. Ils ont frit aussi des beignets d’épinard, taillés comme des crottes de chameau. Les filles : « ah, tais-toi, ne dit pas ça, c’est immonde ! » Leur imagination travaille trop. Il ne faut pas avoir la magie des mots et croire qu’ils sont des choses réelles : le mot chien ne mord pas, que je sache ! L’aspect doré, l’odeur alléchante, le croustillant sous les dents, sont des réalités bien plus tangibles que les mots : cela ne fait rien, il restera plus de beignets pour ceux qui savent les aimer.

maison de fellah bord du nil

Le Nil, à cet endroit, n’est pas séduisant avec ses baraques de fioul et ses hauts pylônes électriques. L’après-midi, de même, est plutôt décevante. L’air est lourd, le soleil partiellement voilé. Nous allons marcher parmi les palmes. Le village de terre de Cherfadn, longé par un canal, n’a guère d’intérêt. Peu de gens vont et viennent, quelques gosses, des femmes allant chercher de l’eau. Sur le mur d’une maison est peinte à fresque la gloire d’un pèlerinage mecquois : l’avion d’Egyptair, le cube noir de la Kaaba, des inscriptions en arabes vantant la gloire de Dieu. Adj va nous acheter une boisson pétillante locale ; elle a un goût de pomme mais elle est surtout entièrement chimique avec une saveur acidulée typiquement anglaise. C’est gentil, lui aime ça, mais beurk !

porte musulmane bord du nil

Nous regagnons les rives du Nil et croisons des jeunes filles revenant du canal, la jarre d’eau sur la tête. « Salam aleikum ! » Elles ont des yeux de feu sombre et un teint d’abricot mûr. Nous reprenons le bateau… à moteur. Des felouques à voiles nous font la nique ; elles descendent lentement le Nil dans le silence des oiseaux. Pas nous. Nous suivons plutôt le train trépidant et quasi continu des bateaux usines qui descendent de Louxor. Nous croisons un bateau à aube, l’un des deux seuls qui subsistent sur le Nil. L’El Kharim a été construit en 1917. Il est plus racé que les modernes HLM flottants. Nos felouques n’ont de voiles que le décor : il est tellement facile de se faire traîner au moteur ! On invoque toujours le prétexte du vent qui n’est pas là, ou pas suffisant, ou pas dans le bon sens…

bateau usine sur le nil

De loin en loin, les rives sont bâties des « floating pump stations », stations construites en coopération avec le Japon pour pomper l’eau du Nil vers les canaux d’irrigation. La plage où nous nous installons ce soir a une rive de deux ou trois mètres, pas plus. Les abords sont très sales ; les tentes de toilette ont été montées dans une pente, ce qui est éminemment pratique pour se laver, en acrobatie sur un pied ! Les bateaux lourds qui fendent le Nil nous envoient leurs vagues d’étrave qui éclaboussent la rive et font tanguer les felouques. L’étape n’est pas intéressante. Les felouquiers se baignent avec Adj, heureux d’être tout nu dans l’eau fraîche. Un jeune homme du groupe les imite, au grand dam de sa femme qui craint les petits vers traîtres de la bilharziose. Elle en cache sa serviette : « il séchera, il ne s’essuiera pas avec ! » Lorsqu’il sort, ruisselant, il la trouve et s’essuie avec. Adj n’a pas de serviette, ou ne veut pas la mouiller. S’il renfile à cru son pantalon, il reste un long moment torse nu à offrir sa musculature, dont il est fier comme tout jeune homme.

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Kom Ombo

Le réveil a lieu vers sept heures, dans la transparence du matin. Le soleil fait se lever un voile sur la campagne et sur les eaux. Les couleurs sont plus douces, comme au lavis. Je n’ai pas le talent pour décrire la poésie de ces matins du Nil, bien plus beaux que les soirs à mon avis. C’est l’heure où le ciel se lève sur les eaux ; bientôt s’égosilleront les oiseaux ; le tout préparant la venue de l’astre du jour, frais comme un gamin sorti du lit.

petit dejeuner en felouque

Nous prenons le petit-déjeuner sur le bateau alors qu’il se met en marche pour remonter une heure durant le Nil. Le moteur tue la conversation ; il est trop bruyant. Et la longueur de la table ne permet pas d’avoir une conversation à plus de trois ou quatre. Chaque felouque a un équipage de deux felouquiers. La nôtre porte le chef de tous, un « vieux d’au moins 40 ans » (sic) à la belle prestance, et un « mousse » de 16 ans maigre et souple, fasciné par les fragments de chair nue des femmes qu’il peut apercevoir de temps à autre. Dérivent les rives vertes d’où émergent, ébouriffées, les palmes. L’eau, sombre et transparente comme un cul de bouteille, est – pourquoi pas ? – vert Nil. Le soleil y transforme les calmes en papier d’argent. Il fait bon au matin.

temple Kom Ombo

Nous sommes à 160 km de Louxor, dans une courbe du fleuve. L’eau a rongé la rive, dressant une falaise au-dessus du lit. Les felouques nous déposent dans une décharge près de la ville où sont ancrés les bateaux-usines. Nous marchons quelques centaines de mètres jusqu’au temple de Kom Ombo. Nous n’y pouvons pénétrer car il nous faut un guide : un étranger n’a pas le droit de guider, pour ne pas enlever les dollars de la poche des Égyptiens. Notre guide locale, une femme, s’est dégonflée, ou c’est son pneu, je ne sais plus, et nous l’attendons en buvant un thé dans de charmants jardins au bas de la terrasse du temple.

kom ombo personnages

De hauts-reliefs ornent les murs ; des bas-reliefs sont sculptés sur les colonnes. La ligne de coupe des blocs passe sur le nez pour la part Horus du temple ; elle passe sur l’œil dans la part Sobek. Ce temple d’époque ptolémaïque (332 BC) est en effet double. Il comprend deux sanctuaires dédiés au faucon et au crocodile, la puissance du ciel et la puissance des eaux. Horus est l’œil qui crée et fait ; il contrôle ainsi Sobek qui est museau dévorant, agressivité et fureur.

kom ombe bande dessinee

Ce temple était lieu de soins pour le corps et l’esprit. Une vaste cour aux colonnes portant encore des couleurs vives, puis deux salles successives aux colonnes ornées de bas-reliefs saisissants de vie.

kom ombo steles

Si l’architecture est massive et présente esthétiquement peu d’intérêt, les stèles sont de vraies bandes dessinées. Sur le mur d’enceinte sont figurés des instruments de chirurgie, dont « des pinces pour tirer les vers du nez ». Isis est assise sur un siège d’accouchement. Un pavillon à l’entrée contient la momie de deux crocodiles du Nil embaumés et desséchés. Ils attendent sous verre les visiteurs dans la chapelle d’Hathor.

kom ombo vautour

Les détails des mains entrelacées et du pied aux doigts tous sur le même plan sont délicieux ! Ils disent toutes les règles obligatoires de l’art égyptien : ne rien oublier des corps dans l’éternité.

kom ombo mains et pied

Plusieurs classes d’écolières visitent le site et nous regardent avec curiosité. Elles ont douze ou quatorze ans et portent le foulard. Leur goût est peu éduqué mais on sent dans leur vêture une recherche de parure. Les garçonnets en visite, de deux classes plus jeunes, paraissent plus bruts. Certains portent deux pulls malgré les 30° de cette fin de matinée. Un gavroche se distingue par sa chemise ouverte sur la peau et exhibe des pectoraux effrontés. Il n’a pas dix ans et il joue déjà au petit mâle.

kom ombo bas reliefs

Les abords du temple font tiers-monde. Alors que nous regagnons les felouques, ce ne sont que gravats, sacs plastiques au vent, béton inachevé ou constructions extravagantes, tel ce « Café Horus » multicolore et tarabiscoté.

colonnes temple kom ombo

Une heure de felouque nous permet de consulter les guides de voyage pour en savoir un peu plus sur le temple que l’on vient de voir et pour rédiger quelques pages de carnet. Il fait chaud. Adj et l’un des felouquiers se sont mis nus entre hommes et s’arrosent ; ils rient comme des gosses.

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Vie locale du Nil

« Les fumées noires sont toujours des usines de canne à sucre. » C’est ainsi que Dji répond à nos interrogations sur la pollution du ciel à certains endroits.

Nous descendons marcher un moment dans la palmeraie des rives. Passent des fellahs montés sur des bourricots, au sommet de grosses bottes de trèfle d’Alexandrie. Des champs, des plantations, des huttes de roseaux ponctuent le chemin poussiéreux. Pas d’enfants, ils doivent être à l’école, mais des chameaux. Nous revenons en bord de Nil pour rejoindre le bateau et y déjeuner.

chameaux egypte

Nous nous arrêtons devant les balcons du Nil, ces dunes qui montrent le niveau des plus hautes crues. Deux heures de marche entre Nil et canal secondaire nous attendent, sur la rive est cette fois. Des champs et des fellahs, des villages de terre entourés de grands murs, établis en hauteur, loin des plus hautes crues : rien ne change dans le paysage. Quatre ou cinq gamins enlèvent leurs habits – sauf le short – et traversent le canal secondaire, un sac à la main. Il contient, outre les vêtements qu’ils viennent d’ôter, une serpette pour cueillir les « mauvaises herbes ». Dji grommelle vaguement qu’ils vont couper le haschich, mais peut-être ai-je mal compris. Les jeunes garçons sont minces et musclés, beaux à voir ; leur corps est bien dessiné.

facade maison village nilotique

Sur les questions incessantes des femmes du groupe, Dji se lance alors dans une grande série de réponses entrecoupées d’anecdotes. Tout y passe, la condition des femmes, la vie sexuelle, l’existence au village. La conclusion de tout cela est curieusement « politiquement correcte » : les femmes-fellahs sont de maîtresses femmes qui mènent leur barque et souvent leur mari. Les Occidentales sont contentes, c’est ce qu’elles voulaient entendre. En cas de répudiation ou de divorce, c’est à la femme que sont confiés les enfants, les filles jusqu’à 12 ans, les garçons jusqu’à 14 ans. Les problèmes des mariages mixtes avec des étrangères ? C’est là où il y a souvent contresens : l’Égypte est un pays musulman. Lorsque le père est musulman, les enfants sont réputés l’être également. La mère, étrangère, n’est pas musulmane, sauf si elle se convertit (ce qui arrive rarement…). Les enfants ne peuvent être confiés à une non-musulmane et c’est le père qui les garde ! Dji commente, un brin goguenard : « Avis à vous, Mesdames, il faut toujours examiner le droit et l’histoire avant de conclure naïvement une histoire d’amour par un mariage avec une autre culture. »

villageois bord du nil

Mais ce qu’il ne dit pas, Rachid Mimouni le dit crûment : « une femme pour un islamiste, c’est comme un Juif pour un Nazi », une espèce différente, inférieure, soumise. Si les femmes traditionnelles, peu scolarisée et rurales, sont peu concernées par l’intégrisme musulman, les femmes modernes des villes, éduquées et travaillant, réagissent différemment. Certaines choisissent l’islamisme et ses symboles. Le voile permet aussi d’éviter la promiscuité dans les transports, de bien séparer l’espace privé et familial (dévoilé) et public (voilé). Mais, dans une société aussi fermée, ont-elles vraiment le choix ? Je ne souscris pas, en tout cas, à son optimisme sur l’islam. La terreur des religieux et des croyants conservateurs ressentie face à toute expression de la sexualité ne rend pas optimiste. En témoigne « l’affaire du baiser » d’adolescents marocains de 14 ans.

felouquier bord du nil

Claude Lévi-Strauss le disait très bien dans Tristes tropiques, en 1955 déjà : « si un corps de garde pouvait être religieux, l’islam paraîtrait sa religion idéale : stricte observance du règlement (prière cinq fois par jour, chacune exigeant cinquante génuflexions) ; revues de détail et soins de propreté (les ablutions rituelles) ; promiscuité masculine dans la vie spirituelle comme dans l’accomplissement des fonctions organiques ; et pas de femmes. » Lui, Dji, s’en accommode fort bien : il préfère vivre avec les garçons. Moi, pas ; j’ai besoin des femmes, de leur conversation, de leur contact. Les anciens Égyptiens avaient un hiéroglyphe imagé pour écrire l’amour : une houe devant un homme qui porte la main à sa bouche. Quand à « faire l’amour », il était dessiné par un phallus et deux pulsations. Rien à voir avec cette ségrégation musulmane d’aujourd’hui !

crepuscule sur le nil

Toujours pas d’avancée à la voile. Nous reprenons le bateau à moteur pour nous échouer un mille plus loin sur une rive déserte, où les felouques de camping attendent déjà pour la nuit. Les felouquiers, qui ont entre 16 et 40 ans, ont allumé un feu de palmes et chantent en s’accompagnant d’un tambourin. Nous allons chanter avec eux, le rythme et la mélodie étant les seules formes de communication entre deux langues trop éloignées pour se comprendre. L’une du groupe déchaîne « Alouette » et d’autres chansons traditionnelles lorsque vient notre tour de chanter. Dans la fraternité des autres, Adj est rayonnant. Ils sont tous plus moustachus que lui, mais il a les épaules plus larges et le teint plus frais. Tous les yeux brillent et les dents blanches sourient jusqu’aux oreilles dans les faces basanées. La joie affleure vite chez nos felouquiers : un feu, du rythme, et c’est parti. Pas besoin d’alcool ni de femme pour se faire plaisir. On se presse les uns contre les autres par camaraderie et on rigole en connivence. Aux lueurs dansantes des flammes qui les éclairent par en-dessous, les hommes révèlent des « gueules » à la Breughel ; ils ont chacun leur caractère et attirent la sympathie.

Au dîner, les dix plats sont apportés simultanément et chacun pioche comme il veut dans la montagne de riz, les poivrons farcis, les crudités « de saison », les beignets d’aubergine, les patates à la tomate, les cuisses de poulet ou le potage aux pois chiches. Une toilette à l’eau chaude, sur un réchaud posé au bord du Nil, nous dépoussière et nous rassérène avant la nuit tombée.

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Carrière et tombes du Nil

Nous allons explorer les carrières en bord de Nil. Arturo Berti, de l’armée de Bonaparte chassant les Mamelouks, est passé par ici. Il y a laissé son nom gravé dans la pierre. Ses compagnons et lui aiguisèrent leurs sabres sur le grès, aujourd’hui marqué d’entailles.

graffitis carrieres bord du nil

C’est sans doute en Égypte que le futur Napoléon a rapporté l’abeille dont il a semé son manteau. Les hiéroglyphes la dessinent de profil, de façon expressive. L’abeille construit une demeure géométrique, elle observe une hiérarchie sociale, elle produit de l’or liquide, le miel : n’est-elle pas le parfait symbole de l’État ? Elle signifie aussi « bonne action », « bon caractère » ou « être de qualité » ; elle symbolisait le pharaon de Basse-Égypte. C’est ce que m’apprend mon petit Champollion illustré écrit par Christian Jacq (Robert Laffont 1994), un abrégé de culture par l’écriture.

abeille egypte antique

Des tombes subsistent, ouvertes sur le Nil. On reconnaît sur les parois une belle Nubienne gravée. Nubienne, car reconnaissable à sa poitrine plus imposante que celle des frêles égyptiennes. Sur une paroi, Dji nous fait remarquer une fresque non terminée : un réseau de carrés de couleur rouge couvre la surface. Il permettait de déterminer certains points remarquables pour tracer les silhouettes. L’art égyptien est en effet fondé sur la géométrie, la proportion des nombres, comme ce fameux nombre d’or venu de l’architecture et repris par la franc-maçonnerie.

grotte bord du nil

Une tombe recelait un fœtus ou un petit enfant, tant le sarcophage était étroit, au dire de Dji. Une scène de couple y est gravée, pleine de tendresse, une main de la femme sur l’épaule de son mari, l’autre sur son bras. Plus loin, une jeune fille respire une fleur de lotus. L’âme est le souffle en Égypte ; si l’on veut que la « présence » du personnage disparaisse de la tombe, il faut détruire le nez par où passe le souffle. Et c’est ce qu’ont fait les vandales venus ici bien avant nous. « En bas-relief sur toutes les parois, une même peuplade obsédante de personnages qui gesticulent, qui se font les uns au autres des signes avec les mains – éternellement ces mêmes signes mystérieux, répétés à l’infini partout. » C’est ainsi que Pierre Loti ressentait ces bas-reliefs multipliés, volonté pathétique de laisser une trace humaine dans les siècles.

graffitis et lotus carrieres bord du nil

Les carrières étaient exploitées selon une division du travail taylorienne. Deux équipes d’ouvriers se relayaient par décade. Ils habitaient le village en face, sur l’autre rive du Nil. Les outils étaient numérotés ; ils n’étaient pas en fer jusqu’à l’époque de Ramsès II, mais en silex ou en bronze. Ce dernier métal étant fragile, il nécessitait une refonte en cuivre sur chaque fil tous les dix jours. Ils étaient donc réparés à chaque changement d’équipe. Le grès, ici, est très fin, idéal pour la construction des temples ; la proximité du Nil était une bénédiction, pas besoin de gros efforts pour transporter les blocs, directement chargés sur les radeaux.

Pour dégager chaque bloc, on piquetait une ligne de pointillés à la hauteur standard ; puis on enfonçait des coins de bois dans le grès et on les arrosait. La dilatation du bois forçait la pierre, qui se brisait selon les lignes de fracture préparées ; il suffisait ensuite de rectifier le bloc pour qu’il soit prêt. On le faisait glisser au Nil sur un lit d’argile humidifié, ou sur des rondins de bois. Les trous encore visibles dans les angles des pierres non détachées servaient à porter les cordes destinées à retenir les gros blocs durant leur descente jusqu’au Nil. La pierre était chargée sur des radeaux de roseaux ; on emplissait chaque radeau jusqu’à ce qu’il s’enfonce. Les Égyptiens utilisaient le principe d’Archimède sans le savoir : bien que maintenu sous l’eau, le radeau de roseau portait la charge de pierres en surface. Aujourd’hui il pousse toujours des roseaux sur les rives. De leurs plumeaux chargés de pollen s’envolent des filaments qui recouvrent les pierres et les végétaux d’une sorte de toile d’araignée très dense.

gravures bords du nil

Sur les tombes sont gravés des hiéroglyphes. Ils se lisent de trois façons : purement figurative (un dessin de canard signifie un canard) ; symbolique (associés, plusieurs dessins signifient autre chose, une métaphore, comme le dessin d’un canard surmonté d’un soleil signifie « fils ») ; phonétique (le dessin « canard » se prononce et les syllabes associées de plusieurs dessins forment d’autres mots). Toute image est une réalité agissante, un pouvoir magique, car seul l’écrit assure l’immortalité en abolissant le temps. L’on sait que Champollion a déchiffré les hiéroglyphes en 1822 à l’aide de la pierre multilingue de Rosette ; ce que l’on sait moins est que l’on était encore capable, en Italie romaine, d’écrire correctement en hiéroglyphes. L’historien Ammien Marcellin traduisait couramment un obélisque. Le hiéroglyphe, comme la culture qui allait avec, a été détruite par la christianisation intolérante, puis par le vandalisme arabe.

canard hieroglyphe

Des hiéroglyphes d’oies figurent sur les parois. Dji nous dit que les oies égyptiennes de l’antiquité pouvaient être gavées. Certains soupçonnent même que la tradition du foie gras s’est introduite dans le sud-ouest de la France par les Juifs d’Espagne, héritiers des traditions égyptiennes !

femmes egypte antique teton pointu

Une tombe est gravée en couleur. Les coloris sont encore frais malgré les millénaires. Les pigments ont tenu malgré les inondations et l’humidité. Ocre, rouge, bleu égyptien sur fond blanc cassé, ces pigments ont dû subir un procédé technique de cuisson pour subsister aussi longtemps sans altération à la lumière du jour. J’aime les femmes gravées ici : leur tunique leur laisse les seins nus et un téton pointe toujours, tout droit, érotique, signe de santé et de vigueur. Jaune et rouge, lune et soleil, ce sont la Haute et la Basse-Égypte qui s’unissent dans cette dualité.

crepuscule bord du nil

Plus loin, nous découvrons la stèle de Ramsès II. Ses côtés racontent une histoire : Ramsès II naît devant les dieux et celui à tête d’ibis le note sur un papyrus. Ramsès II (son nom signifie « Rê est celui qui l’a engendré ») se fera déifier à Abou-Simbel, mais nous n’irons pas voir son temple, ce n’est pas prévu dans notre semaine. Ce temple est bâti de telle façon qu’au 21 février (date de sa naissance) et au 21 octobre (date de son couronnement), le soleil (le père mythique) pénètre les 33 mètres de profondeur du temple pour illuminer la tête de son fils Ramsès II. Durant 13 minutes exactement, mesure-t-on aujourd’hui.

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