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Christiane Desroches Noblecourt, La reine mystérieuse Hatshepsout

Pour une reine d’Égypte d’il y a plus de 3500 ans, dont les effigies ont été martelées et dont les historiens savent très peu l’autrice, Conservateur général du Département des Antiquités égyptiennes du Louvre décédée en 2011 à 97 ans, a réussi à en parler sur plus de 500 pages. Il faut dire qu’il y a de multiples illustrations, en noir et blanc et en couleurs, cinquante pages de notes, dix pages d’index et quatre pages de chronologie.

Il s’agit d’une enquête archéologique minutieuse parmi les sources, les papyrus, les inscriptions, les monuments, les statues. Assez passionnante, il faut le dire, pour qui s’intéresse à l’Égypte antique. La vie quotidienne royale et religieuse est bien reconstituée et illustrée par des peintures sur les temples.

La reine Hatshepsout, héroïne du roman La dame du Nil de Pauline Gedge, serait née vers 1495 avant notre ère et morte vers 1457, ce qui lui ferait moins de quarante années de vie, dont quelques 22 ans de règne comme reine consort. Elle est la fille de Thoutmosis 1er et la demi-sœur de Thoutmosis II, né de la première épouse, lequel se mariera avec la première fille d’Hatshepsout Neférourê. Lequel engendrera Thoutmosis III, le neveu, qui épousera la deuxième fille d’Hatshepsout Mérytrê-Hatshepsout. Comme le II était un brin débile et que le III était trop petit à son avènement, c’est la douairière Hatshepsout qui assura la régence comme « reine ».

Elle était intelligente et voyait loin pour garder le royaume de ses ennemis hyksos ou nomades, subtile pour déjouer les pièges et les machinations de la cour et des prêtres, d’esprit aventureux pour aller explorer le pays de Pount au-delà de la 5ème cataracte du Nil et en rapporter des olibans (arbres à encens), des guépards et autres produits exotiques à Thèbes, d’esprit créateur aussi pour modifier les relations aux dieux et faire bâtir des temples. C’est elle qui ouvrit la Vallée des rois aux tombeaux et mit en usage le terme « pharaon » pour désigner les souverains d’Égypte.

Si elle a entretenu probablement une relation avec Senenmout, le Grand intendant nubien, et en a sans doute eu un fils, Maïerpéra, ce n’est pas pour cela qu’elle a été effacée des mémoires de la pierre des temples. Cela s’est produit plusieurs années après sa mort, une hypothèse avancée par l’autrice veut qu’elle avait osé bouleverser les rites religieux d’Osiris et que le clergé, toujours réactionnaire comme tout gardien du Dogme, ait voulu effacer sa mémoire.

L’archéologue fait la part des faits avérés et des supputations probables ; elle rend cette enquête riche de ses doutes et de ses observations.

Christiane Desroches Noblecourt, La reine mystérieuse Hatshepsout, 2002, Pygmalion Gérard Watelet, 503 pages, €22,90 ou J’ai lu 2003, occasion €2,69

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Elizabeth Peters, L’énigme de la momie blonde

1903, la famille Emerson se retrouve en Egypte pour ses fouilles archéologiques annuelles des tombes antiques égyptiennes dans la Vallée des Rois.

Né en 1887, leur fils Ramsès a désormais 16 ans et est devenu un homme, ayant passé six mois dans le désert avec les bédouins en compagnie de son ami David, neveu du raïs Abdullah qui est le contremaître des fouilles depuis des années. Les deux garçons ont le même âge et sont devenus des « géants » comme le dit Amelia, la mère de Ramsès. Ce dernier, qui a été initié aux rites de virilité des bédouins, arbore désormais une moustache et s’est développé en force et en souplesse ; il a appris à se battre au couteau comme il se doit. Sa « sœur » adoptive Nefret a 19 ans, toujours trois ans de plus, et a effectué deux ans au service de santé à Londres pour apprendre la médecine. Le trio « des enfants » est soudé et prend son autonomie.

Mais la famille ne saurait passer ses mois en Egypte en effectuant paisiblement fouilles et relevés ; il faut que l’aventure s’en mêle, tout comme les gamins du Club des Cinq. Emerson, éructant et tonnant en Maître des imprécations, se voit forcé par le destin (et par sa femme Amelia) à s’intéresser à une tombe non répertoriée, la « 20-A », qui n’existe pas officiellement. Elle devrait se trouver sur le terrain entre les tombes 20 et 21. Un message enjoint les Emerson de se garder de la chercher ! Rien de mieux que de piquer la curiosité d’Amelia et celle d’Emerson, qui vont, bien-entendu, s’empresser de le faire.

Ils vont y découvrir une momie… un peu spéciale : blonde, récente, énigmatique. Une série de diversions viennent compliquer le tableau. Donald, homme mûr trop romantique, est embringué par une voyante habile dans la quête d’une princesse égyptienne dont il était amoureux dans les temps anciens. Un colonel américain sudiste, habitué à commander et à faire servir les femmes, est en quête de sa cinquième épouse disparue, « enlevée » par un certain Scudder – lequel est un as du déguisement. Sa fille Dolly, une pétasse à gifler qui prend tous les mâles pour des esclaves ou pour des sex-toys, « doit » être protégée des vues de Scudder qui cherche à l’enlever, on ne sait pourquoi. Ramsès se sent « obligé » de veiller sur elle, par les convenances bien-sûr, alors que ce n’est pas son type de fille et qu’il aime depuis toujours Nefret, laquelle est naturellement jalouse sans vouloir se l’avouer… De plus, la chatte Sekhmet s’est prise d’un amour félin pour Ramsès et grimpe sans cesse sur ses genoux, ce qui l’horripile car, s’il aime les chats, il ne supporte pas l’incruste baveuse.

C’est après une série d’actions et de réactions, de quiproquos mondains et de convenances piétinées, de bagarres mettant en danger la vie de chacun, que les liens entre tous ces éléments vont se nouer pour une fin assez convenue mais pas vraiment prévisible. Les fouilles vont enfin pouvoir débuter !

Elizabeth Peters, L’énigme de la momie blonde (Seeing a Large Cat), 1997, Livre de poche 2002, 472 pages, occasion €1.52

Les romans policiers historiques égyptiens d’Elizabeth Peters déjà chroniqués sur ce blog

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Vallée des Rois

Ce matin, nous visitons la Vallée des Rois. Un guide verbeux et peu intéressant nous attend – le même nul déjà subi à Edfou. Parmi les guides qui nous ont fait visiter les sites, un seul s’est révélé cultivé ; les autres sont des bavards pour masse ignorante. Ce baratin pour touristes m’ennuie. Certains guides en français ou en anglais, entendus dans les tombes royales étaient plus concrets, décrivant et expliquant les illustrations peintes sur les parois. Pas le nôtre, il discourait sur l’histoire et la chronologie, en historien pour vieilles dames ; nous aurions pu être à l’extérieur tant ce qu’il disait avait peu à voir avec ce que nous avions sous les yeux. Nous visitons les tombes de Ramsès IV et de Menenthep.

vallee des rois

Les groupes se pressent et se suivent en rangs serrés. Il y a trop de monde pour voir bien et cela beugle dans toutes les langues. Les guides verbeux et creux les retiennent à mi-couloir et au fond, au grand dam d’une saine conservation des peintures sur les parois : le gaz carbonique dégagé par les respirations abîme les couleurs. Mais qui s’en soucie en Égypte ? Nous retrouvons une fois de plus le laxisme, la corruption, l’absence complète de vision de l’avenir, le goût du lucre immédiat de cette population. « Inch Allah ! » est le slogan facile – Dieu y pourvoira. Cette courte-vue me laisse pantois.

toutankhamon chambre du sarcophage vallee des rois

Ma stupéfaction est amplifiée par la fraîcheur et le riant des couleurs qui subsistent au travers des millénaires. Nous descendons dans la salle funéraire par de longs hypogées en pente dont les parois sont couvertes de peintures et de hiéroglyphes sur les murs et les plafonds. Les artisans antiques travaillaient pour éterniser le réel, c’est pourquoi sans doute leur art est si vivant ; ils ne figuraient pas une impression d’individu mais obéissaient à des canons fixés par la tradition. Les parois sont décorées d’inscriptions et de représentations religieuses qui illustrent les « livres funéraires ». Surtout le tombeau de Ramsès IV, qui fut désigné par les savants de l’expédition de Bonaparte comme « le triomphe de la métempsycose ». Ce sont des cosmographies qui décrivent la course du Soleil dans l’autre monde. La vertu magique des images peintes et des mots gravés devaient permettre la renaissance du roi, identifié à l’astre solaire dans sa barque après son triomphe sur les mille dangers terrifiants de l’obscurité et du royaume des morts. Les Égyptiens inventent « la magie imitative » en dessinant sur les parois des tombeaux tout ce dont le défunt aurait besoin dans l’au-delà. Car le corps momifié ne reprenait vie qu’à condition de recevoir la nourriture du culte funéraire afin d’entretenir son Ka – l’énergie vitale – près du corps. Au fond d’une paroi, une frise de prisonniers nus, sans tête, les mains liées derrière le dos, figurent les ennemis de l’Égypte démonisés.

toutankhamon

La tombe de Toutankhamon a été découverte par hasard par Howard Carter le 4 novembre 1922. C’est la plus petite tombe de la Vallée. Elle n’a jamais été pillée et a livré des trésors. Sa découverte est peut-être la plus extraordinaire aventure des annales de l’archéologie. Elle touche à la mort, à l’art, à la richesse, et remue ainsi beaucoup de pulsions puissantes en l’homme. Toutankhamon, « symbole vivant d’Amon » est ce tout jeune roi, amoureux et audacieux, rendu universellement célèbre par la presse. Il est figé ici dans sa tombe.

Le couloir s’enfonce profondément et raide. Il n’y a presque rien à voir, mais délicieusement personne en cette heure de déjeuner. Seul, je médite un long moment sur les mystères antiques. Je suis heureux d’être venu ici. L’antichambre ne contient rien, l’une des chambres ne se visite pas. La salle funéraire de peut-être quatre mètres sur six était emplie de mobilier, aujourd’hui au musée du Caire. Elle ne contient plus qu’une auge de grès rose dans laquelle la momie repose toujours, le visage recouvert d’une copie de ce masque fameux, exposé dans le monde entier. Le sarcophage est orné aux quatre angles de figures protectrices, Isis, Nephtys, Neith et Selkis aux ailes étendues autour du corps. Plusieurs des sarcophages successifs de la cuve se trouvent au musée du Caire.

Le décor des parois est vivant, très coloré, sur fond ocre, bien que d’un style banal. Je reconnais cinq babouins, ils sont responsables du décompte des Heures de la Nuit ; puis la barque d’Amon et le dieu représenté en scarabée ailé. Nous sommes dans le monde des morts décrit par le Livre de l’Am Douat. En face, la momie du pharaon de 18 ans, accompagnée de son Ka (reconnaissable à la clé de vie qui pend à sa ceinture) est accueillie par Nout, embrassé par Osiris, mis en présence d’Anubis. Puis le pharaon est représenté une fois encore, face à au roi Ay vêtu d’une peau de panthère qui pratique le rite de l’ouverture de la bouche, symbole de résurrection, avec cette curieuse pince. Et Toutankhamon, accompagné par Anubis, reçoit la vie d’Hathor à l’aide de la clé de vie dirigée vers son souffle. Sur le mur de droite, neuf amis du mort et trois prêtres tirent la barque funéraire qui contient le sarcophage. C’est peut-être là que tout commence… J’ai regardé la scène à l’envers.

La nonchalance et le laisser-aller des fonctionnaires préposés à la surveillance de chaque tombe me permettent d’en visiter une nouvelle. Nous avons droit à trois tombes pour chaque billet. A chaque entrée, le fonctionnaire arrache un coin du billet. Je n’ai que deux coins arrachés et je peux donc voir un nouveau site. Je choisis alors la tombe de Ramsès IX, vers 1156-1136 BC. Elle est bien conservée, très colorée et, pour une fois, ses parois sont protégées des frottements par des plaques de verre. Sont illustrées les offrandes du roi à Rê à Osiris et à la déesse de l’Ouest, Meretseger. Je reconnais un démon à tête de chien décrit dans le Livre des Morts. Les babouins sont présents là aussi, comme le Soleil et la résurrection, les serpents.

vallee des rois carte

Nous ressortons et, sur le parking où les cars se croisent dans une noria incessante, un petit Blanc a ce trait d’humour de parader habillé en pharaon d’opérette, chemisette de soie translucide et coiffe trapézoïdale en tissu à bandes noir et or sur la tête. Il m’arrache un sourire. C’est bien lui qui a raison de se moquer du « sérieux » culturel de ces Égyptiens qui exploitent le passé comme à Disneyland, sans que « le » passé ne soit « leur » passé. L’arabisme est passé par là, encouragé par Nasser, ce fellah ignare et bien trop musulman pour tolérer que l’antiquité égyptienne soit autre chose qu’une mine à exploiter le touriste. Jean-Philippe Lauer, qui a passé plus de 70 ans de sa vie au service de l’histoire de l’Égypte, décrit parfaitement dans ses mémoires cette subite indifférence culturelle des nouveaux dirigeants de l’après-Farouk. Seul l’appât du gain les a retenus de transformer à nouveau les temples en carrières et de miner les pyramides pour faire place aux nouveaux quartiers du Caire. Ils ont laissé se dégrader les statues grecques découvertes à Saqqarah, et ils auraient bien englouti Abou-Simbel et Philae définitivement si la communauté internationale ne s’en était pas émue et n’avait financé les travaux de déplacement.

Et quel guide local nous aurait fait remarquer, par exemple, que la vallée des Rois est un désert hostile, sans eau, ni verdure, ni oiseau ? Il devait être effrayant dans l’antiquité, hanté par les chacals et les chouettes, et préserver ainsi le territoire des morts des convoitises des pillards. Qui a noté le sommet naturel en forme de pyramide qui domine à cet endroit la montagne thébaine ? Si les pharaons ne construisaient plus de pyramides, mais simplement leur tombeau au creux de la montagne, ce n’était pourtant pas à n’importe quel endroit !

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