Andrée Chedid, Nefertiti

L’auteur est égyptienne d’origine libanaise de nationalité française, ce qui lui donne un regard à la fois cultivé et sensuel sur la vallée du Nil plus d’un millénaire avant notre ère. Sa reine de prédilection est Nefertiti, première femme traitée d’égal à égal par son pharaon Akhenaton (dont elle supprime le e dans le nom).

Nefertiti naît en 1388 avant, l’année qui précède la naissance d’Akhnaton, fils d’Aménophis III et de la puissante reine Tyi. Le garçon est malingre, les hanches plus larges que les épaules, le crâne allongé vers l’arrière. Il n’est pas le prototype du mâle guerrier qui tient en respect ses adversaires toujours prêts à fondre sur la riche vallée du Nil, mais plutôt porté à la paix, à la conciliation, aux éléments féminins du caractère.

Contre le pouvoir des prêtres qui règnent par la crainte des dieux et de l’au-delà, tout en accumulant grandes richesses et forte influence, le futur Aménophis IV choisit le dieu soleil Aton, au détriment d’Amon et de sa cohorte de dieux à têtes d’animaux. Cela le condamnera. Il mourra en 1354 avant, sur la barque qui remonte le Nil depuis sa nouvelle cité Horizon (Tell el Amarna) jusqu’à Thèbes, l’ancienne capitale. On ne sait pas de quoi il périt, peut-être de maladie, peut-être d’un empoisonnement commandité par les prêtres. Il avait 33 ans (tiens, comme le Christ !).

L’auteur évoque d’ailleurs Moïse, dont nul ne sait s’il a vraiment existé, comme fuyant l’Egypte (avec les Juifs) à la mort d’Akhnaton. Ce dernier, par le culte du seul dieu solaire, le même pour tous et égalitaire, aurait inspiré le Jéhovah unique au détriment du Veau d’or et autres divinités juives de l’époque. « Le mystère du soleil qui n’en finit pas de renaître, du sang qui nous maintient debout, de l’arbre qui s’élance… Voici le divin, voilà la vie ! » fait dire la reine Nefertiti à son mari pharaon Akhnaton : « Il en voit partout la marque : dans le bruissement des feuilles, dans un jeune veau qui gambade, le poussin qui heurte l’intérieur de sa coquille, la brise qui gonfle la voile (…) Si Dieu existe, il est mouvement, vigueur et turbulence de l’amour. Il est ce qui passe, il est ce qui demeure. Il est dans l’instant et dans l’ailleurs. Il se fait jour en nous » p.141. Ce n’est pas si mal dit, et autrement plus séduisant que le dieu tonnant du haut de sa montagne, secret, jaloux et autoritaire qu’aurait construit Moïse.

Sur le Nil, on vit nu jusqu’à 7 ans et vêtu d’un simple pagne au-delà. Le Pharaon s’affiche avec sa compagne presque nu en public, leurs quatre petites filles entièrement. Ils sont sensuels et affectueux, en phase avec le peuple qui les acclame. Ils se tiennent la main en plein soleil qui irradie, se caressent les reins et le torse, mignotent les corps nus gracieux et élastiques des fillettes qui grimpent sur eux. C’en est trop pour la morale cléricale qui préfère le sombre et le contraint, la discipline qui plie les âmes et le mystère qui donne le pouvoir par la crainte.

Lors de la publication du livre, en 1988, l’Occident était en pleine période de rébellion contre la Morale et la répression patriarcale-bourgeoise du sexe encouragée par les églises. L’insistance d’Andrée Chedid sur le corps et les sens, véritable re-ligion entre le terrestre charnel et le transcendant spirituel, ne serait plus de mise aujourd’hui où « la vertu » consiste à se voiler le corps, à se masquer la face, à maintenir les autres à distance et à n’autoriser « l’amitié » que virtuelle sur des réseaux loin de chez soi, à porter des gants prophylactiques et à se nettoyer névrotiquement les mains avec du gel pour alcoolique. Ces vingt ans de règne anticonformistes du printemps égyptien sont comme un rêve prémonitoire de 1968 et de ses suites – jusqu’au SIDA et à la réaction laborieuse et moraliste des années 90. Relire ce roman d’il y a plus de trente ans est une bouffée de chaleur solaire dans un monde où vient la nuit.

Nefertiti survivra dix ans à son roi, exilée dans un palais excentré de la cité d’Horizon. La ville sera rasée sur ordre du général Horemheb qui a pris le pouvoir après Nebkhéré, mort à 22 ans après sept ans de règne, appelé alors Toutankhaton (devenu Toutankhamon pour faire plaisir au clergé tradi).

L’auteur use de poésie pour un dialogue de Nefertiti avec son scribe inventé, le nain Boubastos, et les chapitres alternent entre les dits de la reine et la prose du scribe. Ce livre court se lit comme un enchantement, une imagination sur le réel. Le lecteur pourra sans dommage sauter la préface à prétention intello d’un doctorant littéraire qui accumule le naming pour accoucher d’une creuse paraphrase ampoulée : tel était le snobisme « de gauche » des années 80 lorsqu’on pondait une thèse sur la littérature et le social.

Andrée Chedid, Nefertiti et le rêve d’Akhnaton – Les mémoires d’un scribe, 1988, GF Garnier-Flammarion poche  1993, 224 pages, €1.68 e-book Kindle €5.49


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