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Christian Jacq, La pierre de lumière 2 La femme sage

La suite des aventures des artisans d’élite de la Place de Vérité entre vallée des rois et vallée des reines à Thèbes, en Égypte antique. L’ambitieux général Méhy, gouverneur militaire et trésorier de Haute-Egypte poursuit son ascension, aidé de son épouse lascive et sadique Serkéta, qui aime assassiner les indics une fois leur mission accomplie. Méhy, poussé par le savant Daktair qui prépare pour lui de nouvelles armes plus puissantes, voudrait bien voler la pierre de lumière, cet objet mystérieux du village interdit des artisans, sorti dans les grandes occasion pour sanctifier de vie les tombeaux et les temples.

Un traître parmi les artisans le renseigne, les chefs du village s’en rendent compte mais il reste insaisissable. Il communique par lettres codées via sa femme lorsqu’elle part au marché, avec substitution de paniers comme dans les films d’espionnage. Le chef de la police Sobek, qui protège la cité interdite sur ordre direct du pharaon, a beau multiplier les espions et faire suivre tout artisan qui sort, il ne découvre rien. Deux sont tour à tour soupçonnés, mais blanchis. Nefer le Silencieux est accusé pour déstabiliser son pouvoir sur son équipe, mais en vain. Paneb l’Ardent son garde du corps et ami, désormais père d’un gamin robuste qui lui ressemble, est accusé de vol pour affaiblir sa protection, mais à tort. Entre le scribe de la Tombe et la Femme sage, l’équipe est bien tenue et protégée des maladies comme des mauvais sorts. Méhy se heurte à un mur.

Ce tome deux se passe sous le règne du nouveau pharaon Merenptah, après la mort de Ramsès le grand. Lorsqu’il meurt à son tour en fin de volume, son tombeau est prêt, creusé et décoré à marche forcée par les travailleurs artisans, ce qui permet à Paneb, désormais la trentaine, de parfaire son art et d’égaler son maître peintre Cheb, qui perd la vue. Un nouveau pharaon va monter sur le trône, peut-être le fils de Merenptah, Sethi II, mais il est contesté par son propre fils Amenmnès, la vingtaine dévorée d’ambition. Méhy l’encourage, tout en assurant de sa fidélité le pharaon. Deux fers au feu sont le bon moyen d’être toujours du bon côté lorsque penche la balance.

Paneb s’occupe d’enseigner tout ce qu’il sait à son fils Aperti, tout d’abord à se battre, mais pas seulement ; il doit aussi exercer son esprit par les hiéroglyphes et les calculs, tout en affinant sa main par de menus travaux. « A six ans, Aperti avait déjà la stature d’un adolescent », écrit avec quelque exagération l’auteur au chapitre 67. Il aime à faire de son héros Paneb et de son rejeton des surhommes bourrés d’énergie et de libido. Paneb n’a-t-il pas assommé une centaine de Libyens venus attaquer l’Égypte alors qu’il était allé à Memphis pour être initié aux proportions des pyramides ?

Ce second tome est à mes yeux meilleur que le premier car inscrit dans la cité interdite, lieu clos où la secte des artisans d’élite déploie son art, protégée du monde autant que faire se peut. Une sorte de franc-maçonnerie avant la lettre qu’affectionne l’auteur.

Christian Jacq, La pierre de lumière 2 La femme sage, 2000, Pocket 2002, 480 pages, €7,95

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Pékin !

Arrivée à Yichang en traversant le plus grand barrage du monde, visite du barrage. Débarquement puis avion pour Beijing alias Pékin. Sur le chemin de l’aéroport, nous visitons une usine de broderie, travail très délicat entrepris par des doigts féminins et une grande patience. Arrivée à Pékin avec retard. A 1h30, nous sommes enfin au lit !

A nous la Grande Muraille… par télécabine. Mutianyu est un endroit plus calme pour la visite. Pour les empereurs chinois, la Grande Muraille était une défense contre les invasions barbares venues du Nord. Sous sa forme actuelle, cette défense est en grande partie une création des Ming. Chacun de nous a vu tellement de photos de cette muraille que j’avoue n’être que moyennement impressionnée. Cette construction est-elle démesurée ou est-ce un chef d’œuvre ? Elle mesure plus de 7000 km de long, et l’on raconte parfois que c’est la seule construction humaine visible de la lune. C’est en tout cas le symbole de la Chine. La muraille n’est pas l’œuvre d’une seule dynastie. Commencée au 7ème siècle avant JC, elle obtint une dimension grandiose sous le premier empereur des Qin, Shi Huangdi (221-210 av. J-C). Cet empereur relia entre eux les morceaux existants, érigea des tours de guet et installa un système de feux d’alarme. La construction progressa sous les Han mais cessa sous les Tang et les Song. Elle reprit au 15ème siècle sous les Ming. Aujourd’hui c’est devenu un site touristique. L’exploration aérienne permettrait, paraît-il, de découvrir encore quelques kilomètres supplémentaires.

PEKIN

Ne perdons pas de temps, déjeunons sur place. Il faut maintenant passer au lavage des pieds, non, pardon au massage des pieds. Chacun et chacune est installé, les pieds dans un petit baquet de bois garni d’un sac plastique rempli d’eau, un verre de thé à la main. Les élèves masseurs arrivent pour triturer les petons et tentent ensuite de vendre des médicaments chinois faisant des miracles. Je la regarde stupéfaite : le soir, à l’hôtel, TM est hors d’elle. Elle ne décolère pas. Une autre personne aurait osé prendre SA place dans la queue pour changer en « dollars chinois » ses dollars américains. – C’était moi la première ! Je n’en ai cure. Elle me donne des détails tels – son mari est Chinois, un grand. Je la regarde stupéfaite. – Mais TM, sur 32 personnes constituant ce groupe il n’y a que 5 Popa’a, vous êtes tous Chinois ou Demis. Comment pourrais-je reconnaitre ce Chinois avec aussi peu de détails… Le soir, rendez-vous dans un restaurant renommé pour déguster du canard laqué à la Pékinoise. Pour des appétits polynésiens, quelques petites crêpes ne suffiront pas !

PEKIN

Toujours dans la capitale, visite du Temple du Ciel situé dans un parc immense de 270 ha, le Parc Tiantan. Illustration de la cosmologie chinoise, il était destiné à offrir aux Empereurs de Chine, les Fils du Ciel, une passerelle vers le monde céleste. Les divers bâtiments en forme de cercle symbolisent le ciel, les autres carrés représentent la terre. La salle de la Prière pour de bonnes moissons (1420) symbolise la rencontre de la Terre et du Ciel. Les cérémonies orchestrées par l’Empereur avaient lieu à l’occasion des solstices d’hiver et d’été. En 1545 elle fut reconstruite et dotée de trois toits superposés et recouverts de tuiles bleues, jaunes et vertes. Le toit conique symbolise l’étendue du monde céleste. La voûte culmine à 36 m et a été assemblée sans un seul clou. La Cité interdite, résidence des empereurs Ming et Qing qui s’étend sur 72 ha est un lieu imposant et magnifique. Jadis interdit au peuple, ce lieu symbolisait la puissance inaccessible de l’Empereur. Les bâtiments actuels datent du 18ème siècle. Des symboles, le dragon représente l’Empereur, le phénix l’impératrice, le jaune étincelant des toits symbolise l’Empereur.

En pénétrant par la porte du Midi, on arrive dans une cour où cinq petits ponts en marbre franchissent un ruisseau, à nouveau une porte celle de l’Harmonie suprême. Le plus grand bâtiment de la Cité interdite, Le Palais de l’Harmonie suprême, réservé aux évènements marquant tels l’intronisation d’un nouvel Empereur, la proclamation des noms des candidats reçus aux examens impériaux, le mariage, l’anniversaire de l’Empereur. Le palais de l’Harmonie suprême fut pendant longtemps l’édifice le plus élevé de Pékin. Un plus petit Palais, celui de l’Harmonie du Milieu où l’Empereur recevait ses ministres. Le Palais de l’Harmonie préservée juste avant la Porte de la Pureté céleste on y supervisait les épreuves des examens que devaient passer les serviteurs de l’État. La place Tian An Men, immense, est une création de Mao Zedong. Le palais de Heshen date de la dynastie Qing.

PEKIN

Déjeuner et dîner en ville. Soirée, merveilleux concert, au théâtre national. Là où certains ont ronflé, d’autres soupiré, d’autres pesté en l’absence de shopping, nous étions quelques-uns à apprécier ce cadeau. Mêlant les instruments typiquement chinois tels le luth pipa, la flûte dizi, le violon à 2 cordes erhu et la cithare à 7 cordes gukin, les orgues à bouche, aux instruments occidentaux violons, violoncelles, contrebasses, trombones, clarinettes, et autres, le concert était captivant, fort réussi, mené par un chef d’orchestre très connu. Une remarquable soirée.

Toujours pékinoise le lendemain, ce sera le Palais d’été ou Jardin pour cultiver l’harmonie. Le plus grand jardin impérial du monde comprenant le Palais de la Bienveillance et de la Longévité, le Jardin de l’Harmonie vertueuse, le Palais de la Joie et (toujours) de la Longévité, le Palais des Vagues de jade, le Gracieux pont aux 17 arches, le Bateau de marbre où l’impératrice donnait des festins, le Pavillon pour écouter le chant du rossignol, le Temple de l’océan de sagesse… Encore une après-midi consacrée au shopping.

Hiata de Tahiti

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Jardin et Colline du Paysage

Les autres retournent au marché de la soie ; quelques-uns et moi allons en taxi au parc Daguan Yuan. Il est le « jardin du Paysage » ouvert en 1986 à l’écart de la ville et des touristes. Il ambitionne de reproduire le jardin du roman fameux de Cao Xueqin, Le Rêve dans le Pavillon Rouge, écrit vers 1750, où « les plus beaux paysages de la terre sont ici rassemblés », selon Yuanchun, concubine impériale.

daguan yuan pekin reve du pavillon rouge

Nous trouvons un jardin chinois traditionnel, aménagé soigneusement, où rien n’est laissé au hasard ni à la nature. Comme le jardin « à la française », tout est ici bien délimité, taillé, contraint. Les pavillons sont séparés de murs, les courettes et les galeries sont peintes, les arbres sont plantés au centre de mers de galets, les chemins dallés dirigent le visiteur –  « défense de marcher sur les pelouses » – ils serpentent entre lacs et ponts. Tout est ici rigueur physique pour inciter à la fantaisie mentale. Rien de sauvage ne subsiste, qui pourrait éveiller les instincts ; tout est cohérence et contrôle, comme doivent être les émotions et la raison.

costumes mao pekin 1993

Nous sommes en hiver et certaines cours me font penser à un squelette de jardin, à cet ancêtre des jardins « secs » que cultivent avec attention les moines zen au Japon. Nous ne rencontrons ici aucun Occidental ; ils préfèrent rester dans les cadres habituels des organisations. En revanche, beaucoup de Chinois visitent ce jardin. La plupart ont déjà leur billet, peut-être offert aux méritants ou achetés en comité d’entreprise. Ce parc doit être superbe au printemps, la floraison doit lui donner une âme, toutes ces pousses vertes et ces fleurs à peine décloses sont autant de vies qui incitent à chanter et à oublier tout ce qui n’est pas l’ici et le maintenant. En ce 19 février d’un hiver encore rigoureux, le jardin est endormi, comme une belle princesse que la saison doit réveiller. Nous sommes venus trop tôt. Mais je suis content d’être, pour une fois, hors des hordes. Nous rencontrons enfin les Chinois dans leur Chine traditionnelle, recréée lentement depuis 1978 par le dégel idéologique. Ils viennent se retremper ici dans leur culture comme des paysans empruntés s’aventurent pour la première fois au musée, avec un sentiment presque sacré et une intuition des traditions profondes qu’ils reconnaissent.

parc Behai pekin

Nous revenons pour midi à l’hôtel où nous attendons « les autres ». Nous avons décidé d’aller tous ensemble au parc Behaï et sur la Colline du Paysage. En attendant, nous décidons de tester un restaurant sur place, au nord de la Cité interdite. Nous retenons, d’après les indications du guide de Pékin que j’ai emporté, le restaurant Dasanyuan. Le guide note que l’on peut y manger du chat, du chien, plusieurs sortes de serpents et de la salamandre géante ! Je prends bien garde de n’en point parler à ces dames. Il y a aussi des nourritures plus classiques qui leur conviendront. Mais je serais tenté de goûter ce plat au nom plein de panache, « le combat du dragon et du tigre ». Il se compose d’un chat entier et de trois sortes de serpents venimeux sautés, le tout accompagné d’une vingtaine de condiments, allant des feuilles de citronnier aux pétales de chrysanthèmes. Las ! Il n’y en a pas – une expression que nous entendons souvent en Chine, et qui sonne à l’oreille comme « mao » ou « mouéon », quelque chose entre le grognement du chat dérangé dans sa sieste et le glapissement exaspéré d’une concierge à qui l’on demande pour la centième fois le bon étage. Nous restons donc classiques avec porc aigre-doux, chou chinois étuvé, et vermicelle de riz aux crevettes. Je prends quand même un petit plat de serpent, pour goûter. Je trouve cela bon ; l’espèce de serpent qui m’est servie a la consistance du poulpe, un peu gélatineuse, et le goût d’aubergine. On le sert accompagné de lamelles de légumes et de gingembre. Serpent et gingembre sont un mélange aphrodisiaque classique dans la symbolique chinoise, mais l’hiver assagit beaucoup de choses.

colline du paysage au loin Tour tambour et cloche

Sur la Colline du Paysage, le soleil est bien établi et nous pouvons voir la ville de haut. A l’époque des Yuans, ce parc était réservé à l’empereur. Ce n’était pas un lieu élevé et ce n’est qu’à l’époque Ming qu’il est devenu colline avec les remblais provenant du palais impérial à son pied. Cette colline fut dite « de charbon » parce qu’on croyait que l’empereur y avait caché du charbon en réserve. Comme toujours, de nombreux Chinois sont en visite. Il est vrai qu’à part les fonctionnaires, dont le repos obligatoire a lieu le dimanche, tous les autres travailleurs pratiquent le repos tournant, et ce dernier peut tomber n’importe quel jour de la semaine. Voici l’explication sociologique du nombre d’oisifs que nous observons en promenade, se photographiant, grignotant une brochette, caressant l’enfant trop petit pour l’école. Quant aux écoliers, nous en rencontrons de sortie avec leur uniforme. Ils portent un survêtement bleu ou rouge identique ou, le plus souvent, une casquette jaune en laine tricotée. Certains portent le foulard rouge des Pionniers. Le jaune d’or, le bleu roi et le rouge vermillon, qu’ils affectionnent, leur vont bien au teint.

colline du paysage Cite interdite

La circulation en taxi le confirme, les Chinois 1993 n’ont aucune notion de ce que nous nommons la « civilité ». A pied comme en vélo, ou en voiture pour les pontes, ils s’imposent pour passer. Rien de franchement agressif, mais de l’obstination têtue, celle exigée des masses par le parti qui a profondément imprégné les mentalités et les comportements. Le plus « faible » – le moins convaincu – cède et s’adapte.

Le Parc Behaï, à l’ouest de la colline du Paysage, n’est visitable que pour sa partie nord. La partie sud forme la « Nouvelle Cité Interdite » réservée aux pontes du parti et aux membres du gouvernement. Mao y avait sa résidence de Pékin. Les étrangers ne sauraient y être admis.

grand dagoba blanc pekin

Au nord, donc, nous montons les marches vers le grand Dagoba Blanc, sanctuaire bouddhiste de 1651 et la tour des Dix mille Bouddhas qui nous attendent, restaurés industriellement, vernissés sur fond bleu turquoise. La bêtise primaire du parti communiste chinois s’étale dans la visite des temples. Dans tous les temples bouddhistes que nous avons visités, l’itinéraire obligatoire, balisé, nous obligeait à tourner à l’envers du sens religieux. On contourne traditionnellement le temple par la gauche, dans le sens des aiguilles d’une montre, pour participer à la grande roue cosmique de l’énergie. Les communistes, dans leur athéisme militant, méprisent cette habitude et exigent de chacun de se conformer à ce que l’administration dit penser. Mesquinerie chinoise : comme si tout ceci avait de l’importance. C’est bien dans le ton règlementaire, inhumain et grossier, que se sont donné les nouveaux nationalistes chinois.

Nous descendons ensuite vers le lac « aux vagues déferlantes ». Dans la galerie qui longe le lac, je prends en photo un gamin en gilet rouge ; il est couché, le pied levé appuyé sur une colonne, l’autre pendant. Il va très bien au paysage, d’autant qu’on a l’impression qu’il prend sa course à la verticale ! Comme une fusée vers l’avenir.

gamin couche palais des vagues déferlantes

Habitués comme nous le sommes, nous prenons à nouveau un taxi pour rejoindre l’hôtel. Nous traversons les embouteillages de cinq heures du soir : autos, bus, trolleys et vélos s’entremêlent, tournant en tous sens sans se préoccuper de règles quelconques. On passe au feu rouge, on coupe les lignes continues, on traverse n’importe où. La contrainte hiérarchique et administrative est socialement si pesante que la route, très encombrée, est un espace de liberté où l’on se conduit à sa guise. Aucun contrôle n’est possible sur les masses en mouvement, et les individus, qui sont les atomes des masses, en profitent.

pekin 1993 circulation

A la nuit tombée, nous effectuons une promenade sur Wangfujing, cette rue près de l’hôtel de Pékin où s’ouvrent une librairie internationale (décevante) et la pharmacie chinoise traditionnelle Yongrentang. Nous sommes très intéressés par les cornes de biche, les racines de ginseng, les piments secs, l’hippocampe, la chauve-souris séchée, les peaux racornies de plusieurs animaux, et diverses racines ou herbes de la pharmacopée ancienne. Celle-ci reste une fierté de la Chine nouvelle car c’est un savoir « issu du peuple » et une tradition non-occidentale, donc non-capitaliste.


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Cité interdite

Après une nuit complète réparatrice, nous nous levons ce matin avec au programme la Cité interdite et le Temple du Ciel, les deux joyaux de la ville.

En sortant le l’hôtel, surprise : il neige à gros flocons. Les arbres à aiguilles se couvrent de nuages tandis que les trottoirs s’engluent d’une boue liquide. La neige fait tomber la pollution atmosphérique et donne un voile discret aux choses. La ville retrouve un peu de son ambiance immémoriale, le béton en est masqué, comme la modernité agressive. La neige qui fond parsème de perles d’eau les branches nues des arbres.

pekin palais de l harmonie supreme

De pleins cars de touristes se déversent dans la Cité interdite. Étrangers comme Chinois s’y précipitent pour ne pas manquer aux siècles. Des jeunes locaux visitent en bandes de cinq ou six, des familles, des militaires en uniforme, venus sans doute des lointaines provinces. Tous affectent la rudesse et la simplicité rustique. On crache, on bouscule, on s’exprime plus fort qu’il n’est décent. Cela nous paraît égoïste, du style « c’est moi que v’là ! » ; en contrepartie, ne s’exprime pas ce chichi cucul agaçant de manières des bourgeoises de chez nous. Le Chinois prolétaire sourit en réponse à un sourire, manifeste sans détour sa curiosité, tout uniment. Pas de cravate – cela fait bourgeois – ni de foulard – cela fait intellectuel – mais des cols ouverts malgré le froid pénétrant. Le prolétaire est habitué au grand air et au travail de force, il n’est pas frileux ni emberlificoté dans des accessoires vestimentaires inutiles. Cette franchise renouvelle les conventions humaines.

pekin cite interdite

Nous pénétrons entre les hauts murs rouges de la cité en glissant un peu sur les pavés, lissés par l’eau du ciel. Le rouge vineux des murs est symbole de joie et de bonheur, mais aussi couleur attribuée par la cosmologie chinoise à l’étoile polaire, centre du cosmos. Un jeune homme porte un chapeau-parapluie blanc bleu sur sa casquette de garde rouge. Dans cette fantaisie moderniste se lit le relâchement des mœurs révolutionnaires et l’aspiration au plaisir de se faire plaisir. Le communisme rigide a fait tant de mal à la Chine.

chapeau parapluie pekin

Les parents (et les touristes) photographient des enfants habillés gai devant les temples aux murs rouges ou les animaux de métal qui ornent les cours. Il y a des hérons, des tortues, des lions, des dragons, tout un bestiaire. La grue est symbole de bonheur.

pekin grue = bonheur

Dans une cour immense et vide, deux gamins se font photographier par leur père. Le garçon est tout de noir vêtu, du pantalon de jean au blouson d’aviateur. Il pose la main sur la tête de sa cousine qui lui arrive à peine aux hanches. Elle est tout en jaune canari et orange fleur de souci. Cette petite merveille – inespérée – brille comme un lutin dans la grisaille hivernale et sociale. L’avenir est déjà là : il a trois ans et toutes les apparences d’être radieux !

frere et cousine pekin 1993

La cité interdite se voulait le centre traditionnel de la Chine : étoile fixe de l’univers, nombril du monde, point focal de l’empire. Elle se présente comme une suite de cours bordés de bâtiments répondant abritant 9000 pièces de diverses fonctions. Elle est terminée par un jardin bien tracé où les arbres centenaires, mêlés de rocailles et de pavillons, composent un parc de paix. Il était réservé sous l’ancien régime à l’empereur et à sa famille ; il est aujourd’hui ouvert à tous. Le rectangle de trois kilomètres de tour de la cité était le centre de l’équilibre cosmique chinois. L’empereur était au milieu d’une gigantesque toile d’araignée qui allait jusqu’aux confins de l’empire. Autour de la Cité interdite s’étendait la cité Tartare, puis la cité extérieure « chinoise », enfin l’empire. A l’intérieur de la Cité interdite, une suite de portes et de cours menait au saint des saints, la résidence des empereurs. Le palais de la Tranquillité est un palais dans la cité. Je songe aux mandalas tibétains qui représentent l’univers comme un carré où l’Éveil se trouve au centre ; pour y accéder, il faut passer divers remparts par de multiples portes symboliques, gardées par une divinité. De grosses urnes de bronze, disposées ça et là entre les bâtiments, devaient être constamment remplies d’eau pour lutter contre les incendies.

cite interdite l eternelle harmonie

Nous visitons deux des musées ouverts : une collection de pendules et une collection d’objets en or. Les pendules sont françaises, anglaises – et même chinoises ; l’or se décline en aiguières, bols à vin, katanas et ainsi de suite. Tout ce qui a réchappé à la révolution « culturelle » du Grand raseur. Sur certains murs, des dessins pour éventail sont très finement exécutés ; ils représentent l’homme au milieu de la nature, ou des chevaux. Une autre petite fille pose pour l’édification des étrangers. Elle s’est assise sur une marche et repose ses courtes jambes de la longueur des cours. Elle porte un pantalon vert et une veste fuchsia aux bandes turquoise ; deux nœuds roses tiennent ses couettes.

pekin jardins imperiaux cite interdite

Nous déjeunons dans une mangeoire à touristes près de la porte nord. Le menu est en chinois ou en anglais et je m’amuse un peu car je suis le seul du petit groupe à parler assez bien l’anglais. La carte est très longue, mais il n’y a pas grand chose. La présentation de la carte n’est qu’une formalité car, sur la liste d’une cinquantaine de plats proposés, seuls deux (!) sont disponibles. Un chariot de pâtisseries gluantes est en supplément payant au menu. Il s’agit de tondre le touriste comme, selon Lénine, les actionnaires « tondent les coupons » de leurs rentes.

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Grande Muraille et tombeaux des Ming

Nous prenons le petit déjeuner au buffet de l’hôtel, tous un peu ensommeillés. On peut manger du pain et des œufs, mais aussi des algues croquantes pimentées… Exclamations d’horreur de ces dames. Le car nous attend pour la visite prévue aux tombeaux des Ming et à la Grande Muraille.

tombeau des ming allee

Dans le petit matin gris et brumeux de la Chine du nord roulent des vélos en tous sens et des camions fumeux, très lents. Le temps est plus froid qu’hier, il fait –5°. Nous traversons Pékin-vieille, aux trottoirs remarquablement propres comparés aux crottoirs de Paris. Après le gigantesque périphérique en hauteur, Pékin-neuf voit traîner quelques sacs en plastique et papiers dans les buissons au pied des immeubles. Les parkings à vélos sont bien remplis. Parfois, nous croisons la Volga noire d’un apparatchik, cette auto stalinienne de luxe imitant la Cadillac.

La visite guidée nous arrête à dépôt-vente d’objets artisanaux pour touristes. Il s’agit d’exploiter la manne des capitalistes en goguette bourrés d’argent. L’ouverture économique a peut-être fait décliner l’appellation de « camarade » au profit de « Monsieur, Madame, Mademoiselle », mais l’activisme scolaire pour promouvoir la vente est aussi pesant que celui pratiqué autrefois pour « construire la révolution ».

tombeau des ming soldat

Les Tombeaux des Ming sont en pleine campagne. Une allée sacrée y conduit, les animaux et personnages de marbre sont mis en cage pour qu’on ne touche pas : c’est la Voie des Esprits, allée d’honneur du cortège funéraire de l’empereur. Les foules chinoises ont en effet la vulgarité de « toucher » et  salir ; la chiourme veille donc, en utilisant les éternels procédés administratifs : panneaux d’interdiction, barrières, gardiens, amendes… La bureaucratie se réinvente partout à l’identique. Mais les alentours sont soigneusement balayés, comme dans un cantonnement militaire. La discipline socialo-administrative insiste toujours sur ce qui se voit. Les bidasses ont les mêmes réflexes durant leur service. Lettrés, fonctionnaires, militaires comme lions mythiques, xiechi (bête imaginaire), chameaux, éléphants, licornes, chevaux, restaient de marbre en saluant le maître du monde qui s’en allait à sa dernière demeure. Le tombeau du Troisième Ming, Yongle, est original car il s’agit du premier Ming à s’être fait enterrer volontairement dans cette vallée en 1424. Seize concubines royales y ont été brûlées vives pour l’accompagner. Cet empereur Yongle a fondé la Cité Interdite à Pékin.

tombeaux des ming Changling arche

Le terrain est partout quadrillé par des vendeurs de gadgets. Une vendeuse emmitouflée présente à son étal des oranges et de grosses pommes jaunes soigneusement disposées sur des écrins de papier. Son bambin, tout de rouge encapuchonné, montre du doigt cet étranger « long nez » qui photographie.

tombeaux des Ming Changling

Nous visitons néanmoins un bel ensemble de temples en bois et de jardins aux sapins centenaires. Ils ont échappé on ne sait pourquoi aux hordes scatologiques de Mao qui exigeaient faire table rase de tout. Pour construire quoi ? Tous l’ignorent. Détruire est une jouissance en soi pour l’adolescence et tout prétexte religieux (ou idéologique, ce qui est la même chose) est bon. L’atmosphère de ces temples me rappelle celle des temples japonais, en plus grouillant et plus rustique, mais avec ce souci religieux du jardin, ancré plus profond que les croyances mêmes. Ordonner la nature, maîtriser ce qui pousse, arranger les massifs, est une ascèse qui se suffit à elle-même. Comme si l’on s’approchait de Dieu en jouant son rôle de maître et possesseur de la nature. La promenade solitaire, sous les pins de la colline, le long du chemin de ronde qui entoure la butte de la tour, me fut un délice.

grande muraille Badaling

Nous déjeunons à la Grande Muraille. Le restaurant « choisi » (par la visite officielle) est un débit à touristes. La nourriture est quelconque, prise à la baguette, dans tous les sens français de ce mot. La Grande Muraille est le seul monument terrestre visible aujourd’hui depuis la lune. C’est dire son gigantisme. Cette muraille aurait servi, selon les justifications des empereurs, à protéger la Chine des envahisseurs mongols. Elle a été bâtie et complétée régulièrement du 5ème au 16ème siècle. Les historiens penchent aujourd’hui plutôt pour une fonction d’isolement… intérieur ! Il s’agissait d’empêcher les sujets chinois d’aller se perdre dans les étendues mongoles pour échapper au fisc et aux soldats de l’empereur. La Muraille délimitait aussi la ligne de partage entre nomades et sédentaires, entre « désert » et terre « cultivée », entre barbarie et civilisation, le chacun maître de soi et l’État militaire et fiscal. L’empire du Milieu était aussi un empire fermé. Dehors est le chaos, les démons menant une vie errante ; dedans est l’harmonie hiérarchique et patriarcale sous la houlette de l’empereur. La Chine développe l’angoisse du sans limite ; elle est obsédée – comme la France – par le jardin maîtrisé. A-t-elle aujourd’hui changé ? Et nous ?

Sur les remparts, restaurés pour quelques centaines de mètres, le soleil a percé un tantinet la brume. Le vent souffle, il fait froid. La Muraille court sur les crêtes et barre la vallée. Elle monte et descend, épousant le relief de ses larges dalles grises aussi loin que peut porter le regard. Beaucoup de Chinois s’y promènent en ce lundi. Le grand chic est de se photographier l’un l’autre. Ils sont accompagnés d’enfants qui ne sont pas à l’école. Passe un jeune garçon entre son père et sa mère. Ses yeux sombres sont interrogateurs mais il me sourit lorsque je le salue d’un signe de tête. Une chinoise pose pour l’album de souvenirs au côté d’un soldat de bois armé comme en l’an mil. Elle a pris la même attitude martiale que lui, politiquement correcte en Chine, la poitrine paonnante et le menton haut, avec l’inévitable air préoccupé et mortellement « sérieux » de tout bon partisan.

grande muraille

Au bas de la muraille, le commerce bat son plein. J’assiste à des négociations épiques de nappes brodées, arrachées après marchandage comme s’il s’agissait de tapis. Les femmes craquent devant les motifs de fleurs et les prix. On rit. Les chinoises, prises par l’avidité du commerce s’excitent et deviennent convaincantes. Elles ont l’anglais roublard. Quelle idéologie peut-elle être aussi efficace que l’intérêt personnel ? Le fanatisme de secte ?

Nous remontons dans le car pour rentrer à Pékin. La route, monotone, nous fait somnoler par à-coups. Et c’est l’inévitable arrêt, sur le chemin, pour visiter une fabrique de vases en bronze au décor cloisonné. L’artisanat est purement manuel dans des locaux collectifs. Des compartiments de cuivre sont collés sur la surface du vase. Ils reproduisent un motif qu’un second atelier est chargé de remplir d’émail de couleur, en dégradant les teintes là où il le faut. La chaîne se poursuit par un passage au four. Le vase est ensuite poli. Une grande salle de présentation sert à la vente directe. Elle est emplie de vases, de boites, de plats, jusqu’à des baguettes pour dîner et des stylos dans le même style ! Je trouve ce décor cloisonné plutôt chargé, et la forme des objets chinois tarabiscotée. Mais certains tons, en harmonies de verts et de bleus me séduisent, des décors de fleurs sur fond noir aussi.

Nous revenons à l’hôtel vers 19h après une rude journée. Cette fois, pas question de goûter au buffet officiel, insipide et au service peu aimable. Nous allons non loin de là, dans un restaurant conseillé par le guide de Pékin que j’ai emporté, au Donglaishun. Cet endroit est réputé pour sa « fondue mongole ». Il s’agit de carpaccio de mouton, accompagné de chou cru, que l’on plonge à cuire dans l’eau qui bout sur le brasero au centre de la table. On mange viande et légumes assaisonné d’une sauce au sésame et à la coriandre fraîche. Un ami se régale, sa femme et ses belles-sœurs sont moins friandes de ce mouton qui sent fort et dont il faut enlever le gras. L’endroit, en tout cas, est original. J’avais entendu des gens, dans le car, en parler ce matin. Nous prenons ailleurs le dessert – car les Occidentaux ne peuvent se passer de sucré en fin de repas. Nous allons nous installer au bar à thé de l’hôtel pour prendre une linzertart – bien occidentale – après avoir sacrifié au rituel du léchage consciencieux des vitrines chic d’artisanat du hall. Elles regorgent de sceaux de jade, de boites en porcelaine, de bols en bois, de statuettes. Il y a de belles choses, mais il est nécessaire d’examiner ce qu’il y a ailleurs avant de se décider.

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