Articles tagués : temples

Tombes étrusques de Norchia

Il fait trop chaud pour vraiment marcher aujourd’hui et nous allons voir les tombes étrusques de la nécropole de Norchia perdues dans la campagne après un champ de coquelicots superbes. Lorsque nous repassons, deux heures plus tard, ils ont été fauchés par un tracteur.

Le site étrusque date du VIe siècle avant mais les plus belles tombes sont hellénistiques, en forme de temple grec sculpté à même la roche, en bas-relief comme les tombes lyciennes de Turquie. Elles dateraient entre le IVe et le IIe siècle (avant). Il y aurait eu paraît-il quelque influence, les Étrusques faisant commerce dans toute la Méditerranée. C’est toute une rangée de tombes accolées qui sont ainsi sculptées à même la falaise de tuf en cet endroit, situé non loin de la rivière et de la voie Claudia. La classe aristocratique guerrière aimait faire étalage de son pouvoir jusque dans l’au-delà. À la fin du VIIe siècle avant, les agglomérations s’entourent de remparts et deviennent des cités-États, les douze de la « dodécapole étrusque ». Cette alliance est économique et de valeurs, un peu comme l’Union européenne aujourd’hui. Leurs représentants se réunissent tous les ans dans le sanctuaire de Fanum Voltumnae situé à Orvieto. Les plus grandes divinités, hellénisées sous influence culturelle due au commerce, sont parfois vénérées dans le même temple. Zeus ou Jupiter était Tinia, Héra ou Minerve était Uni. Le dieu de la guerre Mars était Laran, Aphrodite Turan, Apollon Aplu, Dionysos Fufluns, Poséidon Nethuns, Pluton était Aita et Perséphone Phersipnai.

Bien que ravagé par le temps, nous pouvons encore distinguer en frise dorique des héros nus combattant sur les frontons de pierre. Au-dessus de la tombe double en forme de temples à colonnes, à laquelle on peut encore accéder par un escalier de pierre usée, le plateau permettait le banquet des vivants. Un Pi de pierre en bas-relief symbolise la porte de la mort, la porte de l’Hadès, que le défunt franchit de manière irréversible guidé par le démon Varun et le passeur Charon. L’aristocratie fermière du temps trouvait là son repos éternel pour l’édification des héritiers.

c

c

c

c

c

c

c

Catégories : Italie, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , ,

Palenque 2

Un petit sentier mène au temple XX d’où il est aisé de photographier le temple de la Croix, celui de la Croix Foliée et d’autres temples. A condition d’éviter les groupes d’Allemands en hordes compactes. Les autres touristes font tout aussi taches sur la photo, notamment les Américains en shorts et dont la graisse déborde du tee-shirt. Ils sont le plus souvent en couple ou à trois ou quatre, ce qui permet de viser et d’être patient. Pour les Allemands, il faut s’attendre à ce que la discipline les éloigne d’un coup, comme un banc de poissons, pour avoir le champ libre. Il n’est pas facile, le métier de photographe !

Tous ces temples sont des pyramides à degrés dont les marches sont étroites et hautes. Elles s’élèvent à une vingtaine de mètres du sol et permettent d’accéder à une sorte de sanctuaire représentant cet inframonde qui permet de communiquer avec les défunts. Le fils Pacal, qui devait bien aimer son père, les a fait bâtir pour cela.

Depuis les corniches du temple de la Croix qui domine le site, je peux prendre en photo les autres temples découverts, dont le temple du Soleil en face (rien à voir avec Tintin dont l’aventure se passait au Pérou).

Je prends aussi une mère et son bébé en poussette, une petite chose presque nue qu’elle veille jalousement. Puis un très jeune vendeur de ces colifichets pour touristes dont je ne peux jamais trouver usage. Pour montrer que je ne le dédaigne pas bien que sa marchandise ne me tente point, je lui dis simplement qu’il est beau et il en est heureux. Dans les pays latins, ce compliment est pris à sa juste valeur, ni comme flatterie, ni comme douteuse invite.

Le reste du site est dans la forêt, ce qui donne de l’ombre et de jolies vues. Ce qui sert aussi à réfléchir sur l’histoire et sur l’obstination de la nature à tout recycler dans le temps.

Ces pyramides, durant de longs siècles, avaient disparu du regard des hommes, recouvertes par la jungle. La nature, avec lenteur et patience, avait repris ses droits, ne laissant de traces de l’homme que cet ordre des pierres, enfoui. Je m’émerveille tout seul de cette lutte incessante et obstinée entre les constructions des hommes et l’envahissement végétal. Je pense à ce naturaliste qui déclare qu’il suffirait de « laisser faire », une fois coupée la source, pour que toute pollution se résorbe d’elle-même, tant la nature est luxuriante et essaie tant et plus.

Sur le long terme, c’est le plus patient et le plus têtu qui gagne, comme l’eau des philosophes chinois. Souple, éminemment adaptable, l’eau se coule dans tous les moules qu’on veut lui imposer. Mais elle pèse, elle s’infiltre, elle passe par toutes les failles. Elle ne peut que gagner. « Le Sage est comme de l’eau », serine la pensée chinoise. La grandeur de l’homme est justement de s’opposer un temps au courant, de bâtir un ordre éphémère au-dessus de la nature (mais pas « contre » elle, il en fait partie). Existence tragique puisque l’homme n’a que moins d’un siècle de temps à passer alors que la nature a des millénaires devant elle…

Il n’empêche que transformer le donné naturel pour l’adapter à l’homme, c’est cela même qui fait « la civilisation ». Et tous ceux qui ne veulent rien changer ou, pire, revenir à une neutralité de cueillette, ceux-là sont des « barbares » puisqu’ils veulent abandonner ce qui fait l’homme même pour le ramener à sa pure condition d’animal prédateur.

Paix des arbres, émotion des pierres appareillées – un rêve de gosse que ces soubassements en pleine forêt, à demi sortis de la jungle proliférante comme une vie aveugle. Je passe un moment seul vers les sites B et C, puis vers le temple de Los Murcielagos, avant de déboucher sur la sortie.

Elle sert d’entrée aux resquilleurs du pays, en général jeunes et frimeurs, venus ici non pour les ruines mais pour draguer le bien vivant, des Occidentales toutes fraîches. La saison n’est pas à la baignade car, bien que des panneaux d’interdiction occupent tous les arbres disponibles, une grande vasque du rio tente tous les promeneurs dans la touffeur d’été, si l’on en croit la rumeur. Là, nos dragueurs de minettes peuvent proposer leurs muscles brunis et leurs cheveux gominés aile de corbeaux aux touristes del Norte, ces blondeurs alanguies émoustillées par les senteurs de jungle.

Le musée est fermé pour cause de « manque de personnel ». Nous faisons un tour pour ces dames dans la boutique ouverte. Elle ne propose de sérieux que des monographies en espagnol, voire en anglais, sur les sites mayas, l’archéologie et la culture. Mais trop de livres envahissent. Il faut choisir sa période historique pour en faire collection. Nous revenons à l’hôtel dans la moiteur tropicale qui stagne sous les arbres, pour faire nos bagages. Nos cabanes sont dans une luxuriante forêt, attirante pour la clientèle américaine née en ville.

Catégories : Mexique, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , ,

Tonina

Notre première étape, bienvenue pour les jambes coincées entre les sièges, est pour le site archéologique maya de Tonina, dans la vallée d’Ocosingo. La cité, figurée sur une maquette de l’entrée, distingue les bâtiments sacerdotaux en pierre, coiffés des treize temples aux dieux, érigés sur les pyramides à degrés, du village paysan construit de terre et de bois qui a donc disparu.

Le site a vécu de 300 à 900 de notre ère avant d’être abandonné sous les attaques Chichimèques. Sur des stèles figure Tchak, le dieu reptilien de la pluie, reconnaissable à sa houppette. Une aire de jeu de pelote fait croire un instant à Marie-Abel que les Indiens connaissaient les cartes… L’aire est installée en bas des temples, à la frontière sociale avec le « village ». Le terrain de pelote mesure 72,30 m de long et se trouve couvert par un dallage recouvert de stuc.

Tonina signifie « maison de pierres », pas très original pour un site de pyramides mayas. Un Indien voulait même faire croire à l’explorateur américain Stephens, en 1840, qu’un souterrain reliait Tonina à Palenque, à 250 km de là ! La crédulité est le début de la superstition, la première marche vers la manipulation de n’importe quelle tyrannie. Vieille tactique aztèque.

Une acropole à sept terrasses promet une belle ascension par cette chaleur. Le bas, creusé au 7ème siècle, offre une vision de « l’infra-monde » sous forme de labyrinthe obscur sensé retenir les âmes des morts. Nous y errons un moment, de rares ampoules touristiques permettant de s’y retrouver. Des ouvertures cruciformes évoquent un parallèle curieux avec le supplice du Christ.

Une étape est au palais de Kukulkan avant d’aborder le palais Céleste puis la tombe à sarcophage et le mur des Quatre Ères, enfin le temple des Prisonniers précède le plus élevé : celui du « Miroir fumant », à 80 m au-dessus de la glèbe. Nous y grimpons, par des marches étroites et hautes. Le vertige n’est pas autorisé. La chaleur de midi est lourde et pèse sur les nuques et les épaules. Rien qu’à se tenir dehors, même sous l’ombre d’un arbre, nous bronzons. La peau grille sans chemisette et les yeux clignent sans lunettes solaires. Les cheveux prennent une température de plage sans chapeau. Du sommet, la vue s’étend sur la campagne, le ciel et – la nuit venue – les étoiles.

Ce tertre artificiel donne un puissant sentiment de pouvoir. Les prêtres dominaient les hommes ordinaires du haut de leur magie, intercesseurs entre les dieux et les humains, maîtres des cérémonies et des sacrifices. Murs épais, ouvertures étroites, méfiantes, tout est bâti pour contrôler et commander. La cité est une représentation physique de la hiérarchie humaine avec le roi au sommet, les prêtres sur la pente et les paysans attachés au sol. Et peut-être, au ciel, les dieux… Rien n’est moins sûr. Ce qui est plus certain est la peur que les hommes en ont et dont les Manipulateurs jouent. Existerait-il des paranoïaques sans des esclaves pour reconnaître leur pouvoir ? La tyrannie commence par la crainte.

Les bas-reliefs sont remplis de captifs et de scènes de décapitations édifiantes. Ces mêmes scènes que mutileront les envahisseurs de l’an 909, aboutissant à l’abandon de cette cité-forteresse digne du « Seigneur des Anneaux ». Elle sera réoccupée brièvement par une population moins développée mais plus pacifique, qui enterre ses morts dans les tombes anciennes, puis abandonnée définitivement vers 1250, rendue à la jungle prolifique qui ne tarde pas à la recouvrir.

Un « codex » de 4 m sur 16 a été découvert en 1990 au pied de la sixième terrasse. Il met en scène la création du monde et les sacrifices humains de manière imposante, faite pour impressionner, glacer de terreur. Au centre, la tête renversée d’un prisonnier, décapité pour les mythiques dieux. Son sang est figuré par une collerette de plumes qui pointe vers les quatre parts de l’horizon, répétition du temps en un cycle de quatre soleils dans la mythologie maya.

Un jaguar et un squelette aux yeux globuleux sont les habitants de l’inframonde. Xbalanque est représenté la bouche vomissant des flots de sang et les membres attachés. Hunapuh vise d’une sarbacane le géant Vucub Caquix. A l’ouest de cette même sixième terrasse, le temple 8 contient un grand masque de monstre terrestre. Devant ce masque, une cache renfermait les corps de trois jeunes enfants, sacrifiés, la poitrine ouverte à vif au couteau d’obsidienne. Le temple des Prisonniers a sa base décorée d’une série d’hommes attachés, assis, une corde autour du cou. Le tout pue la tuerie, la guerre incessante de tous contre tous, la mort brutale, inévitable. De quoi devenir définitivement laïc contre tous les dogmes et résistant contre toutes les tyrannies ! Le seul dieux des prêtres est au fond le Pouvoir.

Ce sont des fouilles françaises de 1972, entreprises par Bauquelin et Baudez qui ont permis de comprendre mieux le site et de le restaurer partiellement. Le groupe résidentiel F4, à l’angle sud-ouest de la première terrasse, a révélé une habitation à trois chambres, cuisine et salle de réception à six piliers. Placée si près de l’acropole, elle devait appartenir à un notable.

Par cette chaleur écrasante, après ces visions d’horreur que l’imagination fait sourdre de la pierre, nous sommes quelques-uns à prendre un jus d’orange fraîchement pressé auprès d’une paillote où officie un vendeur commerçant. L’homme est flanqué de son jeune fils qui l’imite en tous ses gestes et nous observe avec curiosité. Ils sont les Descendants, les survivants des tyrannies, les paysans qui on subi, courbé le dos pour se perpétrer. Et, à voir leur physique frais et leur initiative négociante, ils ont mieux réussi que les élites mangées par l’inexorable roue du temps.

Nous déjeunons à l’entrée du site d’un sandwich pompeusement appelé « empanadillas », un pain toasté empli de thon en boite, de rondelles de tomate et des traditionnels frijoles, le tout sans grand goût.

Et la route reprend, tout aussi monotone, ponctuée de ses gendarmes couchés et de ses nids d’armée formés de sacs de sable, jusqu’à Agua Azul.

Catégories : Mexique, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Bhaktapur

La ville est médiévale d’aspect, toute en briques – mais avec le tout-à-l’égout financés par les dons allemands. Les maisons sont de brique rose, ornées de fenêtres en dentelle de bois de teck. Dans une ruelle, un paon célèbre fait la roue sur la fenêtre aveugle, tel un Manneken-Pis local. Dans de minuscules boutiques trônent les commerçants, entourés à ras bord de marchandises diverses, hétéroclites. Des gosses courent partout, joyeux ; ils jouent en liberté.

bhaktapur nepal sechage de recolte

Des pots et des plats de terre sèchent sur les pavés de brique. Ils seront cuits d’une façon particulière, à même le sol, couverts de paille, à laquelle on met le feu !

bhaktapur nepal temple

L’hébergement prévu ce soir est une guest-house qui ouvre sur la place même. Elle est traditionnelle, très couleur locale. Elle comprend trois étages, le dernier, sous les toits, ouvre directement sur la place par de jolies fenêtres ajourées. Deux lits et deux matelas par terre, sur des nattes, attendent notre sommeil. Nous buvons en attendant une bière à trois dans le bistro original bâti en plein milieu de la place comme une pagode à trois toits. La terrasse du sommet est célèbre parmi les touristes car elle donne un vaste point de vue sur le temple et sur la vie du coin. Une balade dans la ville vient compléter l’ambiance. Des enfants nous interpellent en anglais, « hello ! » qu’ils apprennent à l’école. Nous réalisons des photos entourés de sourires et de cris joyeux.

bhaktapur nepal montee au temple

La nuit tombe vite et, avec elle, le froid. Nous dînons dans le restaurant qui fait face à la guest-house sur le côté de la rue qui monte. Il est tenu par le même patron. Ce soir, le repas est Newar : des paillettes de pâte de riz avec de l’ail tibétain, des fragments de gingembre, des morceaux de viande grillée au goût de pétrole. Arrivent ensuite riz, légumes, épices. Enfin yaourt. Nous goûtons au tchang, la bière de riz locale, au goût intermédiaire entre le lait aigre et le cidre.

baktapur nepal cangumarayan

Christine nous amuse par des histoires sur son boulot au Museum d’histoire naturelle. Les vipères s’y échappent parfois, ce qui fait siffler les téléphones posés sur les bureaux lorsqu’on avance la main pour appeler. Quant au dissecteur, il est souvent dans les affres faute de trouver un endroit pour la nuit où poser son gorille mort. Au matin, les habitants du quartier dont les fenêtres donnent sur le parc, peuvent avoir la surprise de voir deux hommes porter un brancard sur lequel gît un gros cadavre à forme humaine, recouvert d’une vague toile d’où s’échappent deux bras très poilus et un crâne en forme d’obus.

bhaktapur nepal statues en bois

Nous effectuons une dernière promenade digestive, de nuit, dans une ville presque déserte. La vie s’éteint avec le crépuscule. Quelques commerçants restent ouverts sous leur lampe électrique, quelques jeunes discutent, l’air important, des chiens sont couchés en rond. Par les interstices des volets de bois des rez-de-chaussée, on peut apercevoir quelquefois des familles couchées à dix dans la même pièce sous les couvertures, à peine éclairés par une lampe à pétrole que le dernier n’a pas encore éteinte. Une musique nous attire : c’est un temple de Krishna, à l’étage d’un bâtiment de briques et de bois. Les murs sont peints en bleu vif – la couleur du dieu – des néons éclairent crûment des chromos naïfs accrochés aux murs ainsi que la vitrine aux dieux où brûlent de fumeuses lampes à beurre. Les hommes présents nous invitent à écouter les trois musiciens qui officient, sur une natte que l’on déroule pour nous. Cymbales, triangle et harmonium se composent pour la mièvrerie. Nous laissons quelques roupies pour le temple avant le roupillon.

bhaktapur nepal sculptures en bois

La nuit, en fait, est bruyante. Dès le lever du jour, des fidèles font sonner les cloches des temples alentour. À peine réveillés par un appel on se rendort à peine, et paf ! un gros « ding » ou un grand « dong » nous font sursauter à nouveau. Le bon café du petit-déjeuner compense un peu.

Nous allons ensuite visiter le palais royal, bâtisse aux 55 fenêtres avec bain royal, et nous avons le droit de regarder le temple royal (il est interdit d’y entrer). Ce temple est réservé aux hindous et gardé par de sévères militaires en armes.

bhaktapur nepal entree doree de temple

Nous déambulons dans la ville jusqu’à la place où se fête aujourd’hui le Nouvel An newar, près de la rivière. Des cochons petits et gros fouinent partout. Ici vivent les basses castes. Tara nous emmène dans un musée rempli de tankas, de quelques statues de Vishnou anciennes, et de chromos XIXe relatant l’histoire du beau Krishna tout bleu. Ce musée-singe est une imitation sans ordre ni sans vie, créé par décret parce que cela « se fait », à l’imitation des recueils de curiosités des bourgeois anglais du siècle précédent.

bhaktapur fille nepal

Nous déjeunons au même restaurant qu’hier, mais sur la terrasse. Le riz à la sauce aux lentilles accompagne le curry de légumes, avant le yaourt et le thé. Puis nous disons adieu au Nyatapola Coffee Shop et au Nyatapola Guest House, avec son petit Manghal d’une dizaine d’années, le fils de l’hôtelier toujours souriant mais qui ne parle pas anglais. Le soleil brille vif sur la ville et sur les gamins qui surgissent de partout. Nous n’avons pas l’habitude d’une telle foule de petits, en Occident et ce m’est chaque jour un étonnement. Mais « c’est l’Asie »…

Christine ne peut s’empêcher d’acheter encore, de dépenser ses roupies en bracelets, pendentifs, bols à offrande aux neuf métaux qui rendent un son cristallin, cymbalettes de méditation – tout une panoplie soixante-huitarde dont elle décorera son studio comme aux beaux jours de la mode hippie. Elle ne va pas jusqu’à acheter des coupes tibétaines faites de crânes humains bordés de métal, mais c’est tout juste. Les étals en regorgent. Ici, la mort n’a pas d’importance car la sagesse accumulée dans les existences successives permet de renaître mieux, ou d’atteindre le point où l’on peut sortir du cycle sans fin des renaissances. Durant ces débauches, je reste sur la place à chercher des photos. Passe une belle jeune fille du Népal, les cheveux tirés en arrière dégageant l’arrondi de son visage, le regard droit et le sourire volontaire. Elle me regarde la prendre, et je vois dans ses yeux que mon objectif lui évoque un autre instrument.

bhaktapur nepal fille nepal

Exit Bhaktapur. Nous prenons la grand-route pour Banepa, par Sanga. Le minibus ne fait que traverser Banepa. Nous sommes samedi et c’est une ville de marché encombrée. Les bus locaux sont archipleins.

gamins banepa nepal

Nous montons à Nala, qui voit peu de touristes ; nous nous en rendons compte parce que les gamins du cru nous suivent partout avec curiosité. Deux temples s’y dressent, l’un un peu en dehors de la ville, très fréquenté, avec un bassin central qui recueille l’eau de pluie. L’autre s’appelle Korumanahé et se situe en pleine ville. J’ai l’impression de visiter toujours la même chose : des toits superposés, des statuettes en bois, des dentelles de bois autour des statues de pierre rougies de vermillon. Et la vie alentour, que je préfère aux pierres mortes : des chiens, des chèvres, des poules, des gosses. Surtout des gosses, souples, vivants, dorés, déguenillés, statues animées à la peau tiède et lisse et aux grands yeux vifs. Un troisième temple sur notre route : c’est Pagabati, restauré de couleurs fortes. Il est dédié à Kali et peint de grandes fresques jaune citron, bleu vif et vert pomme. Il est à l’époque « en cours de restauration ».

Catégories : Népal, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Menteries de mairie à Paris

Dans son dernier bulletin de décembre 2014 distribué dans les boites des Parisiens, la maire socialiste Hidalgo annonce à sons de trompe que « la Ville a installé en septembre des panneaux vitrés en remplacement des grilles sur la passerelle des Arts (6e) ». En septembre ? Il suffit – en décembre – d’y aller voir : il n’en est rien. N’hésitez pas à faire une visite, vous constaterez de vos propres yeux le mensonge socialiste.

Paris cadenas promesses mairie socialiste

Les cadenas de la mode moutonnière se sont entassés encore plus, les grilles se détachent brin après brin sous le poids des serrures d’éternité, scellées là par les amourettes éphémères.

Paris cadenas decembre 2014

La Mairie socialiste n’a rien trouvé de mieux que l’effet d’annonce pour tenter de décourager – mais les étrangers n’en ont cure, eux qui ne parlent pas français ni ne lisent « A Paris », le bulletin de propagande municipal voué au culte de la Culture bobo. Ce même effet d’annonce au performatif (comme se piquent de dire les enfeignants), que « la gauche » reprochait à Sarkozy comme un crime de lèse-réalité, Hidalgo l’use jusqu’à la corde : dire, c’est faire; je l’ai dit, donc c’est fait. Ce qui est mal pour « la droite ultralibérale » (libéral, Sarkozy ?) est bien pour « la gauche bobo », jamais en peine de se féliciter d’être si vertueuse, dans le sens de l’Histoire, des Droits de l’Homme et du Progrès humain (plus il y a de majuscules, plus les vaniteux du parti du Bien se gonflent de leur importance).

Paris cadenas decembre 2014 profusion

Faute de « panneaux de verre », la bureaucratie municipale a fait installer de ridicules panneaux de contreplaqué – aussitôt tagués dans le style diarrhéique qui plait tant à Jack Lang. De vrais « panneaux de banlieue », pour faire plus « solidaire » peut-être. Les ouvriers municipaux sont probablement surchargés de travail en cette période de rentrée, et on les comprend : vider encore plus de poubelles à cause des étrangers venus plus nombreux aux beaux jours du réchauffement climatique, souffler à grand bruit (écologique ?) toujours plus de feuilles dues à cet automne indien, installer à grande débauche d’électricité cette patinoire (désertée en ces jours trop chauds) devant l’Hôtel de ville, les projecteurs donnant leur maximum en plein soleil pour éclairer l’inanité socialiste des vœux pour la planète (dire écologie suffit pour faire croire), monter force guirlandes et arbres verts de « fêtes » (on ne dit plus Noël, mot tabou chez les bobos de gauche, de peur de froisser les islamistes irascibles).

Paris cadenas decembre 2014 plaques en bois

Donc les cadenas subsistent, toujours plus nombreux, lesdits contreplaqués style bidonville ne les gardant que d’un côté, les esclaves de la mode s’empressant d’en sceller d’autres à l’extérieur.

Paris cadenas decembre 2014 touristes insistent

Ah si, vers le centre aval de la passerelle, trois panneaux de verre sont quand même installés : TROIS ! Sur près de cent panneaux au total. Suffit-il de « faire » 3% des choses pour dire « j’ai installé« , comme si 100% étaient réalisés ? Il faut croire que oui, pour le socialisme français. Se gonfler de mots ronflants suffit à se croire le phénix des hôtes de cette ville, à résorber le chômage et à célébrer la culture.

Paris cadenas decembre 2014 plaques anti

Les cadenas essaiment sur les ponts à côté, aval et amont, de la passerelle d’Orsay devant le musée au pont Marie derrière Notre-Dame, en passant par le Pont-Neuf devant la statue d’Henri IV.

Leur masse fait de plus en plus laid, prolifération cancéreuse sans idée ni beauté. Et oui, les grilles se détachent, risquant de tomber à la fin sur les bateaux-mouches qui passent sur la Seine.

Paris cadenas decembre 2014 derriere panneaux

Un bobo de la Mairie avait vaguement suggéré l’érection d’arbres à cadenas (les bobos adorent les érections quand leur prétexte est « l’Hart » comme disait Flaubert, ainsi la bite gonflable place Vendôme ou les bites en chocolat de McCauley à la Monnaie). Mais les Femen-inistes ont dû rembarrer le macho qui osait sceller l’amour à un substitut de verge, « égalitarisme » oblige. Pourtant, l’idée n’était pas bête : canaliser la mode pour que son panurgisme stupide serve à quelque chose, notamment à cet Hart révéré des bobos socialistes.

Pourquoi en effet ne pas envisager, comme au Japon, le grand vide annuel des cadenas lors d’une cérémonie publique, afin de les fondre en œuvre d’art confiée à un artiste avide de création sur deniers publics ? Hidalgo la socialiste dénie-t-elle que Paris soit jumelée à Kyoto, la capitale culturelle du Japon ? Pas assez politico-culturellement correct, le Pays du soleil levant ? Pourtant, en ses temples, les arbres à vœux sont dépouillés de leurs papillotes en papier une fois l’an, qui sont brûlées par le prêtre en un spectacle social et religieux : il s’agit de faire monter les vœux au ciel pour que les dieux les exaucent.

Fondre les cadenas en œuvres d’art périodiques ayant pour thème l’amour serait une belle fin pour ces rebuts de métal fondus en Chine. La cérémonie consacrerait le sentiment derrière la mode, l’aspiration éternelle derrière le panurgisme béat, l’élévation apportée par la culture au mouvement de la société.

Ce serait « élever » les gens. Mais les socialistes français parisiens songent-ils encore – comme du temps de Jaurès – à « élever » le peuple ? On l’observe sans avoir fait d’études, ils songent à le dominer, de leur pouvoir public et de leur moraline catéchiste (Aubry déplorant la consommation du dimanche, Duflot posant en selfie avec une lesbienne, Hollande agitant ce droit de vote des étrangers qu’il n’a aucune majorité pour faire passer). Ils ne songent manifestement pas à l’élever.

Ne serait-ce pourtant pas une idée culturelle exaltante que de fusionner les minables cadenas de la globalisation en une inspiration artiste à la gloire de l’amour, cette conviction française ?

Mais je me demande : nos socialistes sont-ils encore français ? Ne laissent-ils pas cette identité ringarde au bas peuple ? C’est le même ineffable Hollande qui a réduit récemment la France à l’idée républicaine sans racines ni histoire, sans rien de plus que « l’apport de l’immigration ». S’il est indéniable, fait-il société ? Un abandon de plus qui montre combien le souffle du socialisme, né vers 1848 et chanté par Victor Hugo et Jean Jaurès, est bien mort sous Hollande, Aubry, Hidalgo et consorts.

Catégories : Art, Paris | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Col des nuages, Da Nang, Hoî An, Nha Trang

Il faut franchir le Col de Hai Vân (Col des Nuages) avant que soit mis en place le tunnel, en 2005. C’est jusqu’alors un goulot d’étranglement, avec ces innombrables camions lourdement chargés. Ce col est une frontière naturelle entre la province de Thua Thien-Hué et la ville de Da Nang. Vingt et un kilomètres de long avec une vue magnifique sur la côte depuis le sommet… quand le brouillard est absent !

Da Nang (ex Tourane) proche de Hue, est une ville sise au centre du Vietnam, sur l’estuaire du fleuve Han. Port bien abrité et facile d’accès, centre de commerce, exportateur de poisson séché, de riz, de thé et de sauce de poisson ! Là, vous ne pourrez pas tromper votre nez car l’odeur du nuoc mam est tenace… Quelques belles plages raviront les amateurs d’activités aquatiques. Pendant la guerre du Vietnam, la ville fut le siège d’une importante base aérienne utilisée par les Vietnamiens du sud et l’armée américaine.

VIETNAM DANANG MUSEE CHAM

Le musée Cham est un régal pour les yeux.

VIETNAM DANANG MUSEE CHAM

Hôi An (ex Faifo) était une ville prospère, située sur les routes maritimes du commerce de la soie. Au 15e siècle, elle connut une expansion, les riches marchands y installèrent des comptoirs et construisirent de belles maisons en bois. L’ensablement de la rivière fit décliner l’activité du port au profit de Da Nang. Il n’y a plus guère que quelques sampans qui le fréquentent. Huit cent quarante-quatre bâtiments sont répertoriés pour leur intérêt historique et architectural (chinois, japonais, français). L’un des monuments les plus intéressants est le pont-pagode japonais. C’est un pont couvert construit en 1593 qui reliait les quartiers habités par les Chinois et les Japonais. Chaque extrémité est gardée par un couple de statues figurant des chiens d’un côté et des singes de l’autre. Le bois noir et très dur du jacquier a servi à la construction de nombreuses maisons. Le style yin et yang est présent sur les toitures de tuiles des maisons ainsi que sur les portes des habitations afin de protéger ses habitants.

VIETNAM TEMPLE CHAM PO NAGAR A NHA TRANG

La descente de la péninsule continue et nous arrivons à Nha Trang, ville appréciée des touristes, climat agréable, longue et belle plage. Cette ville appartenait au Royaume du Champa, habité par les Chams. Fondée en 240 après J.-C, le groupe de temples de Po Nagar (hindouiste) où l’on continue encore actuellement à pratiquer l’adoration du lingam et du yoni, fut édifié en 748. En 950, la ville fut pillée par les Khmers. En 1640, la ville fut envahie par les Giao-Chi appelés Viêts par la suite. Les Cham « disparaissent ».

dourga vietnam

Po Nagar est un temple cham fondé avant 781 ; il est dédié à la déesse Yan Po Nagar, fondatrice légendaire du Champa, plus tard identifiée aux déesses hindoues Bhâgavata et Mahisharamardini. Une stèle datée de 781 mentionne que le roi Cham Satyavaman a repris le pouvoir dans la région du « pont Ha-Ra » et qu’il a restauré le temple dévasté. D’autres stèles indiquent que le temple avait contenu un mukhalinga (linga gravé du visage de Shiva) orné de pierreries et ressemblant à la tête d’un ange. Des pillards étrangers, peut-être venus de Java en bateau, volèrent les bijoux et cassèrent le linga. Le roi restaura le linga en 784. Une stèle du roi Cham Indravarman III (918) porte l’ordre de construite une statue d’or à la déesse Bhâgavata. Les Khmers volèrent la statue en 950. En 965 le roi la remplace. Au 17e siècle, les Viêt occupèrent le Champa, s’emparèrent du temple, ils l’appelèrent tour de Thiên Y Thanh Mâu. Le complexe de Po Nagar est situé sur le Mont Cu Lao, au bord de la rivière de Nha Trang.

Hiata de Tahiti

Catégories : Vietnam, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Croisière sur le Yangzi

Embarquement sur le bateau de croisière. Instructions sur le pont avec le gilet de sauvetage. Visite-découverte du bateau. La cabine est spacieuse et dispose d’un balcon. Nuit à bord. Le plus long fleuve du pays avec 5980 km, le Yangzi (Yang Tsé-kiang) offre un cadre propice aux croisières spectaculaires. Le fleuve est navigable de Chongqing à Shanghai, la plupart des circuits ne couvrent que la portion comprise entre Chongqing et Yichang. Le Yangzi nait sur les cimes du Tanggula shan dans le Qinghai, grossit en traversant les terres tibétaines, plonge vers le Yunnan, achève sa descente tumultueuse dans le bassin du Sichuan. Il traverse ensuite trois provinces (Hubei, Anhui et Jiangsu) avant de se jeter dans la mer de Chine orientale au nord de Shanghai. Notre croisière fluviale débutera à Chongqing et se terminera à Yichang. A hauteur de la cité industrielle de Chongqing, le Jianling vient grossir celles du Yangzi. Arrêt à Fengdu, la « ville des morts » sise près du Mingshan, avec ses pentes hérissées de temples où trônent les statues de Yinwang, le dieu de l’au-delà. Jadis, les bateaux jetaient l’ancre au milieu du fleuve par peur des revenants.

itineraire en bateau

Avant 6h30, un café ou un thé est disponible dans la salle de spectacle mais… il n’y a que 2 cuillers pour « touiller » les breuvages pour tout le bateau. Notre embarcation est très confortable. Je teste mes genoux en en faisant plusieurs fois le tour. Le Yangzi, devant, derrière, à gauche, à droite, est très large, jaune mais pourquoi devrait-il avoir une couleur autre dans un environnement de Jaunes ! Pollution au rendez-vous comme prévu. Promenade-découverte du bateau jusqu’à midi. Repos puis déjeuner. Sieste puis conférences sur les Trois-gorges et l’acupuncture. En fin de soirée, apéritif offert par le Commandant Li. Dîner et spectacle offert par le personnel du bord. Quelle polyvalence, il a du talent, tout ce peuple du bateau qui troque son costume de femme de ménage, serveur, cuisinier et autre pour celui de musicien, danseur, amuseur public.

YANGTSE

Au réveil, la première gorge apparait dans la brume. Un petit café pour démarrer la journée tandis que le docteur chinois du bord donne une leçon de Tai Chi ; ils ne sont pas nombreux les adeptes, pourtant ceux de mon groupe pratiqueraient le Tai Chi à Papeete. Alors, fatigue, grasse matinée ? Petit déjeuner généreux. La première gorge, celle de Qutang, la plus courte (8 km) mais aussi la plus spectaculaire, est là devant nous. Le cours du fleuve se rétrécit, les falaises des rives se font face à moins de 100 m. Cette gorge était connue des étrangers au siècle dernier sous le nom de « Boîte à vents ». Les plus hautes falaises s’élèvent à plus de 1200 m.

La deuxième gorge, Wu xia (la Sorcière) traverse un paysage de forêts sur une cinquantaine de km s’élevant jusqu’à des cimes aux formes étranges. Les douze sommets de cette gorge ont tous des noms poétiques comme Pics de la fée, de l’Assemblée des Immortels, de l’Autel propre, du Dragon grimpant, de la Source sainte, du Paravent vert émeraude et du Phénix volant, surplombent le fleuve.

La troisième et dernière gorge, Xiling, est la plus longue avec des rapides qui recouvrent la rivière boueuse, couleur café. Elle s’étend sur 75 km entre des pentes plantées d’orangers. Elle se divise en sept gorges plus petites dont les plus connues se nomment l’Épée et le livre sur l’art de la guerre associée à Zhuge Liang, le Foie de bœuf, le Poumon de cheval, le Bœuf jaune pour les plus connues, le top du top étant la gorge des Jeux d’ombres ! Les hauts-fonds de Kongling, surnommés les portes de l’enfer se composaient de 24 écueils entourés de dangereux remous. Quantités de bateaux s’étaient fracassés sur le rocher surnommé «Le voilà », c’est l’Armée de Libération populaire qui l’a dynamité et curé le lit du fleuve. Gloire à eux !

YANGTSE

Shennong Stream, un autre affluent du Yangzi que nous rejoindrons grâce à une barque manœuvrée à la main par 4 rameurs et un barreur. Spectaculaire. Le lancement de la barque se fait par halage comme aux temps anciens… ou alors pour la photo à prendre par les touristes. Peu importe, ces hommes encouragés par nos vivats doublent à la force des bras plusieurs barques parties avant la nôtre.

Retour au bateau pour dîner et fêter l’anniversaire de TM. Elle paraît émue mais prend soin de vérifier que tout le monde la voit avec le collier rapporté du Tibet par nos amis. Après le dîner, Cabaret Victoria Jeuna toujours par le personnel du bord. J’ai « catched a cold » sur le petit bateau alors vite L52, j’ai assez de la dysenterie qui me malmène maintenant depuis plus de quinze jours, j’ai assez de la soupe de riz, j’ai assez du riz blanc. Il est très difficile de tenter d’apprendre à TM que le fait d’avoir payé le prix d’un voyage ne donne pas TOUS les droits, ne permet pas de TOUT réclamer, n’autorise pas TOUT.

Nuit à bord avec comme point fort le passage des écluses du barrage de Gezhou durant la nuit. Immenses, profondes et encombrées de bateaux comme le nôtre. Il est encore trop tôt pour mesurer les effets néfastes de la construction de ce barrage sur la végétation, la flore, la faune. On constate que le débit du fleuve a baissé de 7 m en suivant les traces laissées sur les falaises des gorges.

Hiata de Tahiti

Catégories : Chine, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , ,

Pierre Lévêque, Les grenouilles dans l’Antiquité

pierre leveque les grenouilles dans l antiquite

L’helléniste archéologue, longtemps fouilleur grec de l’École française d’Athènes, étudie en ce petit livre érudit et joyeux l’animal le plus humble mais présent partout : la grenouille. Pourquoi s’intéresser à ce pullulant bavard ? Parce qu’il est présent partout, pas seulement en Europe, et ceci depuis des millénaires !

La déesse Artémis elle-même est parfois qualifiée de Grenouille la Juste. Plutarque, Aristophane et d’autres évoquent ces démons des eaux abondants et croassants, des monnaies la représentent, tandis que le petit peuple offre en ex-voto des grenouilles aux temples et dans les tombes. La grenouille est attestée en Grèce au Ve siècle avant au moins. Elle est toujours associée aux déesses mères (Léto, Héra) ou aux divinités de la jeunesse féconde (Artémis, Apollon, Dionysos).

Les Égyptiens, dès 4500 ans avant notre ère, célébraient déjà les grenouilles à l’origine de la création du monde et Héquet, la déesse-grenouille des naissances. « Terre bénie des batraciens » en raison des marais du Nil, l’animal est le symbole de ce qui naît du limon et renaît sans cesse, il gouverne l’éternité des morts. « Les frétillantes et pétulantes bêtes cernent de toutes parts l’univers mental : genèse du monde, génération spontanée, crue vivifiante, fécondité des femmes et des femelles, espoirs d’éternité, elles sont partout présentes » p.59.

En Mésopotamie elles sont amulettes, en Chine associées aux rites de l’eau – un fonctionnaire est même chargé de l’expulsion des grenouilles à chaque nouvelle année -, en Inde elles font l’objet d’un hymne du Rig Veda et sont citées dans l’Atharva Veda, elles sont maîtresses de la pluie et donneuses de nourriture chez les Aztèques et associées à la fertilité chez les Amérindiens. Au Japon et en Grèce, la grenouille fait rire les déesses Amaterasu et Déméter, ce qui apaise leur colère. La Bible les cite peu, pour s’en méfier, comme Seconde plaie d’Égypte dans l’Ancien testament et comme sortant de la bouche du dragon de l’Apocalypse. La grenouille réapparaît devant la Vierge Marie et dans la légende orthodoxe de saint Tryphon.

C’est que la grenouille est célébrée depuis le néolithique en Europe, associée à la déesse de la fécondité dès le 7ème millénaire avant, peut-être par identification à l’embryon dans un ventre. Associée à l’eau, à la pluie, à la lune, à la reproduction, au sexe féminin (son apparence est celle d’une vulve), à la joie exubérante et pullulante, elle est indispensable à l’ordre primordial du temps qui passe et à la nature vivante qui se renouvelle. « Ces coasseuses [… sont] des démons familiers, expression la plus pure de la musique de l’univers » p.92. Le monde est construit de petites forces distinctes et de pulsions intimes : c’est ce que les grenouilles représentent dans la mythologie humaine depuis le Néolithique ancien.

Insolite, plaisant, éclairant, cette étude anthropologique de la grenouille mérite l’attention.

Pierre Lévêque, Les grenouilles dans l’Antiquité – cultes et mythes de grenouilles en Grèce et ailleurs, 1999, éditions de Fallois, 139 pages, €17.38

Catégories : Grèce, Livres, Religions | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Felouques

Nous avons bien visé : lorsque nous quittons le temple d’Edfou, nous croisons les hordes de touristes tout rouge et en short qui déboulent des bateaux pour visiter le temple. Nous avons eu la chance d’y voir très peu de monde. Dommage qu’un gardien rustre se soit empressé de soulever de son balai des nuages de poussière en balayant l’intérieur juste quand nous visitions.

felouque du nil

Nous gagnons les bords du Nil, le troisième fleuve du monde long de 6671 km dont près de 1200 km en Égypte. Les felouques sont quatre, flanquées d’un bateau à moteur de taille respectable qui nous servira de salle à manger. Un déjeuner nous attend et nous prenons place tandis que l’engin décolle de la rive et commence à voguer sur le Nil pour rejoindre les esquifs à voile un peu plus loin. Le moteur n’a pas de coque et le bruit est assez fort mais nous parlons peu et mangeons bien. Divers plats sont apportés sur la table, rondelles de tomates et de concombre, aubergines grillées, larges frites à l’ancienne, pâtes, épinards.

inscription arabe sur felouque du nil

Dji nous présente les équipages : deux matelots par felouque, plus Adj, un juvénile de 16 ans qu’il a vu naître et grandir en prenant pension dans sa famille lors de sa première installation en Égypte. Aujourd’hui, c’est un jeune mâle vigoureux et de belle prestance, à la peau dorée et aux yeux noirs ornés de longs cils. Sa lèvre arbore une ombre de moustache, apanage du mâle arabe, sa démarche est royale. Il a toujours connu Dji dans sa famille et le considère comme un parent. Il a d’ailleurs un geste d’affection délicat en lui empruntant sa longue écharpe égyptienne pour la nouer autour de son cou.

felouquier sur le nil

Nous partons. Comme Gérard Labrunie, dit « de Nerval », voyageur désintéressé, sensible à la beauté des choses et des gens, qui fit le trajet en cange sur le Nil en 1843. Chaque felouque fait 13 m de long, 5 m au plus large, et porte un mât à corne de 23 m de haut une fois entièrement déployé. En dessous de la lourde barre de notre felouque, qui porte le nom de Louxor, est calligraphié en rouge d’un arabe appliqué : « Allah est le plus grand ». La voile est composée de bandes de grosse toile cousues ensembles. Elle est de forme trapézoïdale, tendue sur une longue corne qui se relie au premier tiers du mât. La brise est faible mais suffit à pousser les bateaux à contre-courant. Ils glissent avec lenteur et grâce sur l’eau à peine ridée, remontant sans effort le courant avec le majestueux silence des cygnes. C’est à peu près le seul moment du séjour où nous serons à la voile ! Par flemme, sous prétexte que nous somme toujours au plus près « des horaires », nous ne reverrons pas la voile, et nous le regrettons tous.

course en felouque sur le nil

Nous remontons lentement le long des rives, croisant des bateaux-usines dont les fenêtres des cabines nous apparaissent comme autant de grottes funéraires creusées dans les parois verticales de leurs bords. La lumière descend sous un ciel couvert. Elle devient nacrée. Un dernier rayon jette un éclat d’or sur le vert des rives où l’herbe, les roseaux et les palmes déchirent la couleur. Des oiseaux passent au ras de l’eau, tout blanc, le bec en avant : des ibis ? Hélas, il n’y en a plus sur le Nil ; ce sont sans doute des aigrettes. Un lourd vol de canards chasse vers la rive, nous les avons dérangés dans leur pêche.

felouque nil

La nuit tombe et nous stoppons sur une rive. Les felouquiers plantent dans l’herbe un gros crochet de fer en guise d’ancre et d’amarre à la fois. Nous dînons sur le bateau à moteur, arrêté enfin, dont les bancs sont aménagés et garnis de coussins. La conversation porte sur l’Islam, sur les temples, sur les interprétations classiques et sur celles recourant aux mystères de l’initiation.

notre felouque sur le bord du nil

Catégories : Egypte, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Eliot Pattison, Dans la gorge du dragon

Eliot Pattison Dans la gorge du dragon

Voici le premier roman policier tibétain. Écrit par un Américain, juriste, économiste et grand voyageur. Il s’est pénétré du Tibet d’aujourd’hui, occupé par les Chinois han, acculturé par le scientisme marxiste et les slogans à courte vue du Grand timonier. Que ses successeurs affairistes n’ont culturellement pas reniés. Enduits de positivisme au nom de la modernité, ils considèrent toute spiritualité comme superstition médiévale, « opium du peuple » (comme si le communisme ou le consumérisme n’étaient pas des opiums). La Chine agit en empire colonial au Tibet, attirée par ses énormes richesses naturelles en eau et métaux rares et par sa position stratégique au carrefour des influences (Inde, Russie, Iran).

Heureusement, tous les Chinois, même communistes, ne sont pas aussi primaires. Chou Enlai avait déjà retenu les artilleurs qui canonnaient avec enthousiasme les monastères et les temples millénaires. Ainsi le Potala, le palais sacré du Dalaï-lama à Lhassa fut-il sauvé. Le héros de Pattison, Shan Tao Yun, ex-inspecteur de Pékin relégué sans procès dans un camp de travail au Tibet, est lui aussi un Chinois han – mais pétri de culture – pour cela respectueux de l’âme du Tibet. Il va mener l’enquête après le meurtre du procureur de région, extirpé du camp de travail sur ordre exprès du général commandant militaire.

Tout est compliqué en Asie, les choses ne sont jamais ce qu’elles paraissent mais sont des illusions nées des imaginations trop promptes, enfiévrées par l’altitude. L’aspiration au réel est forte au Tibet parce que l’air y est cristallin et le paysage rude. Le soleil ne connaît pas la nuance, rendant tout blanc et chaud à la lumière ou bien tout glacé et sombre à son ombre. Ainsi la Voie est-elle étroite aux âmes pour se frayer un chemin parmi les démons. Mais la spiritualité est forte, enracinée au cœur de ce peuple d’élite. Les Tibétains résistent aux injonctions matérialistes et prosaïques des marxistes primaires parce que leur liberté est avant tout intérieure.

eliot pattison photo

Ce pourquoi l’Américain Eliot Pattison a écrit ces livres. Il déclare lui-même sur son site : « J’écris sur le Tibet non parce que je serais bouddhiste, mais parce que je ne suis pas bouddhiste, parce que les trésors ultimes du Tibet sont de ceux qui transcendent la religion et la philosophie, des leçons que le reste du monde a désespérément besoin d’apprendre. Se convertir à la cause du Tibet ne signifie pas se convertir au bouddhisme, il signifie se convertir à la compassion, à la conscience de soi, aux droits de l’homme et à l’égalité politique. J’écris sur le Tibet pour donner à ceux qui n’ont pas l’opportunité d’y voyager la compréhension de ce que ressent un témoin d’agression d’un moine qui prie par un policier armé ».

tibet drapeaux de priere

Il existe un lieu secret au plus profond de la montagne où un ‘gomchen’, un saint homme, vit en reclus pour le salut des hommes. Il est une sorte de Dalaï-lama caché, protégé comme un trésor depuis le XVIe siècle. Shan fera la rencontre du prochain élu sous la forme d’un berger encore tout jeune adolescent plein de vie, mais empli d’une sagesse immémoriale. S’il croit à la puissance de l’esprit, Shan ne croit pas aux miracles, étant en cela rationnel à la manière moderne. Il cherche à comprendre. Pour lui, la vérité est la voie. Peut-être en ce sens est-il très américain ? C’est pourtant un prêtre taoïste, sagesse chinoise différente du bouddhisme, qui lui a dit un jour que « notre vie est l’instrument que nous utilisons pour faire l’expérience de la vérité » p.429.

Est-ce le démon Tamdin qui hurle dans la montagne ? Est-ce son incarnation qui a tué le procureur Jao ? Ou bien sont-ce les purbas, ces résistants tibétains à l’occupation chinoise ? La Sécurité publique veut un coupable et peu importe si ce n’est pas le bon, « le Peuple » ne demande qu’à être édifié de la voie correcte entre le bien et le mal selon saint Marx. Shan le relégué, qui n’a jamais été condamné lors d’un quelconque procès mais a simplement fait l’objet d’une « lettre de cachet » d’un ministre communiste, est lâché en laisse par le général qui sent bien que les jeunes loups de la région sont avides de pouvoir. Et que l’exploitation économique des richesses minières, autorisées à une entreprise américaine, peut cacher de gros sous.

L’intrigue est compliquée, les voies pour parvenir à la lumière tortueuses, mais l’âme du Tibet dans ce roman est bien rendue. Il est difficile de s’en pénétrer en touriste. Même en y passant plusieurs fois plusieurs semaines, il reste quelque chose d’irréductible – qui passe bien dans ce livre. Tous ceux qui aiment le Tibet le liront.

Pour les autres, qu’ils méditent simplement cette analyse : « Là-bas [aux États-Unis], la vie est gâchée. Là-bas, les gens se contentent de vivre SUR le monde. Ici [au Tibet], vous pouvez vivre DANS le monde. Les bouddhistes ont huit enfers de feu et huit enfers de froid. Mais en Amérique, il existe un niveau infernal tout neuf. Le pire. Celui où l’on pousse tout un chacun à ignorer son âme en lui répétant à satiété qu’il est déjà au paradis » p.445.

Eliot Pattison, Dans la gorge du dragon (The Skull Mantra), 1999, 10-18 2009, 533 pages, 9.12€

La série Inspecteur Shan sur le site d’Eliot Pattison (en américain)

Six romans policiers tibétains sont parus jusqu’ici en français :

  • Dans la gorge du dragon, [« The Skull Mantra », 1999]
  • Le tueur du lac de pierre, [« Water Touching Stone », 2001]
  • L’œil du Tibet , [« Bone Mountain », 2002],
  • Les fantômes de Lhadrung, [« Beautiful Ghosts », 2004]
  • La prière du tueur, [« Prayer of the Dragon », 2007]
  • Le seigneur de la mort, [« The Lord of Death », 2009]
Catégories : Romans policiers, Tibet | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Yasunari Kawabata, Kyoto

Yasunari Kawabata Kyoto

Tout commence par les violettes au creux du vieil érable, puis se prolonge par les cerisiers en fleurs du sanctuaire shinto Hiean Jingu. L’ancienne capitale, Kyoto, est pour Kawabata l’essence du Japon, de la nipponité. Le cerisier au printemps, c’est la vie même : « l’arbre semblant moins avoir produit ses fleurs que les branches n’être le simple support de ce foisonnement » p.13. A l’origine, il y a la nature, l’élan de vie qui s’épanouit en fleurs fragiles aux pétales roses comme les joues teintées d’émotions des très jeunes filles. Chieko se promène sous les cerisiers avec le jeune homme de 18 ans, Shininchi, son ami d’enfance choisi pour sa beauté à 7 ans comme Chigo (éphèbe) sur un char de parade de la fête de Gion. Il aura le privilège symbolique de se marier avec le dieu.

« Que c’est féminin, si on regarde bien… observa-t-il. Les fines branches qui penchent, les fleurs, tout est à la fois luxuriant et d’une extrême délicatesse » p.13. Car la nature est la Mère, à l’origine, celle qui met au monde et laisse pousser, indifférente. Chieko est une enfant trouvée, adoptée par un couple de commerçants en gros de tissus. De qui est-elle la fille ? Au fond, de la nature même, par-delà la mère porteuse – qui l’a abandonnée à la naissance et a disparue. Car c’est bien la nature qui va faire retrouver à Chieko sa sœur jumelle Naeko. En allant voir les troncs lisses des cryptomères de Kitayama, son amie reconnaît un double de Chieko parmi les paysannes. Les jumelles vont lier peu à peu connaissance, malgré l’écart des conditions sociales.

Et ce n’est pas par hasard si la reconnaissance a lieu lors de la fête de Gion, durant les Sept dévotions aux divinités du sanctuaire de Yasaka. Ce sanctuaire est dédié à Susanoo le petit frère provocateur d’Amaterasu, déesse du soleil qui tisse la toile de l’univers et arrière grand-mère du premier empereur du Japon Jimmu. Shinichi/Chigo se confond avec Naeko, l’ami d’enfance avec la sœur jumelle. Ainsi sont les meilleures unions « naturelles », dirait-on. Chacune aura un amoureux, mais l’ambigüité demeure de savoir de quelle sœur est amoureux chaque prétendant : de la fille-nature ou de la fille-héritière ? L’auteur a la délicatesse de laisser dans l’avenir la réponse.

kiyomizu dera kyoto

Loin des pays de neige et des amours impossibles, Kawabata signe ici son meilleur roman, dix ans avant son suicide. Tout est jaillissement, enracinement et exubérance. La vie encore traditionnelle de Kyoto se voit menacée par la modernité. Les artisans reculent devant l’industrie, les relations d’homme à homme devant la gestion, le contact avec la nature devant l’urbanisation et l’automobile. Même les geishas doivent attendre 18 ans avant de se livrer aux plaisirs. Ce que regrette Takichirô, père adoptif de Chieko, lorsqu’il rencontre celle qui accompagne une tenancière de maison de thé qu’il connait : « vraiment adorable, si blanche de carnation. Elle devait avoir quatorze ou quinze ans » p.111.

Le début des années 1960 bouleverse le Japon autant que la guerre et Kawabata le déplore. Il relie ici ce qui ne doit pas mourir, malgré l’accélération contemporaine : l’émerveillement devant la vie, le chant des hormones, le goût du travail bien fait. Chaque être naît artiste dans son domaine, de la préparation du thé au tissage de ceintures, du polissage des troncs au commerce de gros, de la création de motifs à la perfection des geishas. Il ne faut pas perdre ce contact de l’esprit avec les choses, de la création avec les êtres. On ne crée pas plus « en soi » qu’on « échange » tout court. Chacun est relié, pas égocentré ; l’individu est unique, mais ne se révèle qu’au travers des autres.

C’est le message des jumelles, nées de la même femme mais ayant eues chacune un destin différent, jusqu’à l’amour de la nature qui les a rapprochées. « Les fleurs vivent. Vie brève, mais vie évidente. Les années reviennent et les boutons s’ouvrent – comme vit la nature » p.58. « Elles fleurissent de toute la force de leur vie. » De même les jumelles, ou le jeune Shinichi : « Comment est-il possible que de si beaux enfants viennent au monde ? » p.68.

Si vous ne connaissez pas Kyoto, ce roman devrait vous donner envie d’y aller. Certes, la ville a changé, mais subsistent dans ses parcs et parmi ses temples l’atmosphère ici décrite par Kawabata : la nature parmi les hommes. Vous y verrez les cerisiers en fleurs au printemps, les bambous de l’été, les érables aux feuilles rouges à l’automne, les troncs lisses des cryptomères et le vert des pins en hiver. Décors vivants dans lesquels passent les êtres jeunes, pleins de vie, les vêtements ouverts aux souffles. Tout cela crée des « dieux » innombrables au cœur des sources et des pavillons de bois, et laisse une impression de sacré, d’union avec le tout, de sacrément vivant.

Yasunari Kawabata, Kyoto, 1962, traduction Philippe Pons, Livre de poche 1987, 192 pages, €5.32

Catégories : Japon, Livres, Yasunari Kawabata | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Grande Muraille et tombeaux des Ming

Nous prenons le petit déjeuner au buffet de l’hôtel, tous un peu ensommeillés. On peut manger du pain et des œufs, mais aussi des algues croquantes pimentées… Exclamations d’horreur de ces dames. Le car nous attend pour la visite prévue aux tombeaux des Ming et à la Grande Muraille.

tombeau des ming allee

Dans le petit matin gris et brumeux de la Chine du nord roulent des vélos en tous sens et des camions fumeux, très lents. Le temps est plus froid qu’hier, il fait –5°. Nous traversons Pékin-vieille, aux trottoirs remarquablement propres comparés aux crottoirs de Paris. Après le gigantesque périphérique en hauteur, Pékin-neuf voit traîner quelques sacs en plastique et papiers dans les buissons au pied des immeubles. Les parkings à vélos sont bien remplis. Parfois, nous croisons la Volga noire d’un apparatchik, cette auto stalinienne de luxe imitant la Cadillac.

La visite guidée nous arrête à dépôt-vente d’objets artisanaux pour touristes. Il s’agit d’exploiter la manne des capitalistes en goguette bourrés d’argent. L’ouverture économique a peut-être fait décliner l’appellation de « camarade » au profit de « Monsieur, Madame, Mademoiselle », mais l’activisme scolaire pour promouvoir la vente est aussi pesant que celui pratiqué autrefois pour « construire la révolution ».

tombeau des ming soldat

Les Tombeaux des Ming sont en pleine campagne. Une allée sacrée y conduit, les animaux et personnages de marbre sont mis en cage pour qu’on ne touche pas : c’est la Voie des Esprits, allée d’honneur du cortège funéraire de l’empereur. Les foules chinoises ont en effet la vulgarité de « toucher » et  salir ; la chiourme veille donc, en utilisant les éternels procédés administratifs : panneaux d’interdiction, barrières, gardiens, amendes… La bureaucratie se réinvente partout à l’identique. Mais les alentours sont soigneusement balayés, comme dans un cantonnement militaire. La discipline socialo-administrative insiste toujours sur ce qui se voit. Les bidasses ont les mêmes réflexes durant leur service. Lettrés, fonctionnaires, militaires comme lions mythiques, xiechi (bête imaginaire), chameaux, éléphants, licornes, chevaux, restaient de marbre en saluant le maître du monde qui s’en allait à sa dernière demeure. Le tombeau du Troisième Ming, Yongle, est original car il s’agit du premier Ming à s’être fait enterrer volontairement dans cette vallée en 1424. Seize concubines royales y ont été brûlées vives pour l’accompagner. Cet empereur Yongle a fondé la Cité Interdite à Pékin.

tombeaux des ming Changling arche

Le terrain est partout quadrillé par des vendeurs de gadgets. Une vendeuse emmitouflée présente à son étal des oranges et de grosses pommes jaunes soigneusement disposées sur des écrins de papier. Son bambin, tout de rouge encapuchonné, montre du doigt cet étranger « long nez » qui photographie.

tombeaux des Ming Changling

Nous visitons néanmoins un bel ensemble de temples en bois et de jardins aux sapins centenaires. Ils ont échappé on ne sait pourquoi aux hordes scatologiques de Mao qui exigeaient faire table rase de tout. Pour construire quoi ? Tous l’ignorent. Détruire est une jouissance en soi pour l’adolescence et tout prétexte religieux (ou idéologique, ce qui est la même chose) est bon. L’atmosphère de ces temples me rappelle celle des temples japonais, en plus grouillant et plus rustique, mais avec ce souci religieux du jardin, ancré plus profond que les croyances mêmes. Ordonner la nature, maîtriser ce qui pousse, arranger les massifs, est une ascèse qui se suffit à elle-même. Comme si l’on s’approchait de Dieu en jouant son rôle de maître et possesseur de la nature. La promenade solitaire, sous les pins de la colline, le long du chemin de ronde qui entoure la butte de la tour, me fut un délice.

grande muraille Badaling

Nous déjeunons à la Grande Muraille. Le restaurant « choisi » (par la visite officielle) est un débit à touristes. La nourriture est quelconque, prise à la baguette, dans tous les sens français de ce mot. La Grande Muraille est le seul monument terrestre visible aujourd’hui depuis la lune. C’est dire son gigantisme. Cette muraille aurait servi, selon les justifications des empereurs, à protéger la Chine des envahisseurs mongols. Elle a été bâtie et complétée régulièrement du 5ème au 16ème siècle. Les historiens penchent aujourd’hui plutôt pour une fonction d’isolement… intérieur ! Il s’agissait d’empêcher les sujets chinois d’aller se perdre dans les étendues mongoles pour échapper au fisc et aux soldats de l’empereur. La Muraille délimitait aussi la ligne de partage entre nomades et sédentaires, entre « désert » et terre « cultivée », entre barbarie et civilisation, le chacun maître de soi et l’État militaire et fiscal. L’empire du Milieu était aussi un empire fermé. Dehors est le chaos, les démons menant une vie errante ; dedans est l’harmonie hiérarchique et patriarcale sous la houlette de l’empereur. La Chine développe l’angoisse du sans limite ; elle est obsédée – comme la France – par le jardin maîtrisé. A-t-elle aujourd’hui changé ? Et nous ?

Sur les remparts, restaurés pour quelques centaines de mètres, le soleil a percé un tantinet la brume. Le vent souffle, il fait froid. La Muraille court sur les crêtes et barre la vallée. Elle monte et descend, épousant le relief de ses larges dalles grises aussi loin que peut porter le regard. Beaucoup de Chinois s’y promènent en ce lundi. Le grand chic est de se photographier l’un l’autre. Ils sont accompagnés d’enfants qui ne sont pas à l’école. Passe un jeune garçon entre son père et sa mère. Ses yeux sombres sont interrogateurs mais il me sourit lorsque je le salue d’un signe de tête. Une chinoise pose pour l’album de souvenirs au côté d’un soldat de bois armé comme en l’an mil. Elle a pris la même attitude martiale que lui, politiquement correcte en Chine, la poitrine paonnante et le menton haut, avec l’inévitable air préoccupé et mortellement « sérieux » de tout bon partisan.

grande muraille

Au bas de la muraille, le commerce bat son plein. J’assiste à des négociations épiques de nappes brodées, arrachées après marchandage comme s’il s’agissait de tapis. Les femmes craquent devant les motifs de fleurs et les prix. On rit. Les chinoises, prises par l’avidité du commerce s’excitent et deviennent convaincantes. Elles ont l’anglais roublard. Quelle idéologie peut-elle être aussi efficace que l’intérêt personnel ? Le fanatisme de secte ?

Nous remontons dans le car pour rentrer à Pékin. La route, monotone, nous fait somnoler par à-coups. Et c’est l’inévitable arrêt, sur le chemin, pour visiter une fabrique de vases en bronze au décor cloisonné. L’artisanat est purement manuel dans des locaux collectifs. Des compartiments de cuivre sont collés sur la surface du vase. Ils reproduisent un motif qu’un second atelier est chargé de remplir d’émail de couleur, en dégradant les teintes là où il le faut. La chaîne se poursuit par un passage au four. Le vase est ensuite poli. Une grande salle de présentation sert à la vente directe. Elle est emplie de vases, de boites, de plats, jusqu’à des baguettes pour dîner et des stylos dans le même style ! Je trouve ce décor cloisonné plutôt chargé, et la forme des objets chinois tarabiscotée. Mais certains tons, en harmonies de verts et de bleus me séduisent, des décors de fleurs sur fond noir aussi.

Nous revenons à l’hôtel vers 19h après une rude journée. Cette fois, pas question de goûter au buffet officiel, insipide et au service peu aimable. Nous allons non loin de là, dans un restaurant conseillé par le guide de Pékin que j’ai emporté, au Donglaishun. Cet endroit est réputé pour sa « fondue mongole ». Il s’agit de carpaccio de mouton, accompagné de chou cru, que l’on plonge à cuire dans l’eau qui bout sur le brasero au centre de la table. On mange viande et légumes assaisonné d’une sauce au sésame et à la coriandre fraîche. Un ami se régale, sa femme et ses belles-sœurs sont moins friandes de ce mouton qui sent fort et dont il faut enlever le gras. L’endroit, en tout cas, est original. J’avais entendu des gens, dans le car, en parler ce matin. Nous prenons ailleurs le dessert – car les Occidentaux ne peuvent se passer de sucré en fin de repas. Nous allons nous installer au bar à thé de l’hôtel pour prendre une linzertart – bien occidentale – après avoir sacrifié au rituel du léchage consciencieux des vitrines chic d’artisanat du hall. Elles regorgent de sceaux de jade, de boites en porcelaine, de bols en bois, de statuettes. Il y a de belles choses, mais il est nécessaire d’examiner ce qu’il y a ailleurs avant de se décider.

Toutes les notes de lecture et de voyage en Chine sur ce blog.

Catégories : Chine, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Christian Jacq, Le dernier rêve de Cléopâtre

Christian Jacq Le dernier rêve de Cléopâtre

L’auteur français le plus lu de la planète, docteur en archéologie égyptienne et auteur de près de 90 ouvrages, nous livre ici sa version romancée de la prise de pouvoir de Cléopâtre, fille du pharaon Ptolémée XII, avec l’aide de César, vainqueur de Pompée à Pharsale. C’est bien écrit, en chapitres courts, qui ne prennent cependant tout leur rythme qu’à la moitié du livre. Dès la première phrase, le ton est donné : « La reine était nue » ; la dernière phrase n’est pas moins révélatrice : « Vous avez dû rêver ». Entre les deux, le roman. Un brin sentimental, un brin politique, un brin action.

L’historien érudit offre les matériaux à l’auteur de romans policiers et de fresques historiques. Christian Jacq est séduit par l’Égypte, depuis l’âge de 13 ans, dit-on. Plus par la longévité de cette civilisation du Nil, les mystères des dieux et des temples, et par la sagesse accumulée dans les bibliothèques de papyrus que par les êtres. L’auteur a fréquenté la franc-maçonnerie, curieux des rites multimillénaires nés en Égypte… Il nous en offre un faible aperçu par le personnage d’Hermès, mage des temples et du désert, qui survient toujours à point nommé pour aider Cléopâtre. Le vrai Hermès sera philosophe et médecin, le mythique sera nommé Trismégiste, fusion gréco-égyptienne des dieux Thot et Hermès. Il deviendra peut-être Moïse, puis le père de l’alchimie… Nous sommes en pleine multiculture, sauce antique.

Les seuls portraits de Cléopâtre, César et Ptolémée XIII en gamin de 14 ans sont fouillés ; les autres sont un peu sommaires. On trouve François Hollande dans l’un des personnages : « Connaître les dédales de l’administration alexandrine, formée de milliers de fonctionnaires jouissant d’un nombre incalculable de privilèges, nécessitait une solide expérience, beaucoup d’habileté et un cynisme à toute épreuve. Ces qualités-là, l’eunuque Photin les possédait au plus haut point » p.19. Plus loin, Hermès pourfend le socialisme hollandais : « Ton monde est celui de la corruption et de la perversion, le criminel est préféré à l’homme droit, les intrigues politiques remplacent la bonne gouvernance. Les puissants ne songent qu’à leur profit, méprisent le peuple et l’oppressent en l’écrasant d’impôts. (…) Incapables de percevoir l’harmonie secrète de l’univers, privilégiant le savoir à la connaissance, se vantant de leur philosophie qui détruit l’intuition créatrice, de leurs discours creux et de leurs interminables débats ne menant à rien » p.45.

Nous sommes bien loin des modèles : César, « intelligent, rusé, impitoyable, adoré de ses légionnaires » qui « ignorait la défaite » p.131 ; Cléopâtre, « alliant vivacité d’esprit, culture et beauté » p.202, s’adressant à lui d’égal à égal. Selon Plutarque, la reine n’était en rien parfaite, ni même remarquable, mais elle avait un indéniable charme et un sens aigu du pouvoir. Elle parlait au moins sept langues et était instruite en mathématiques et astronomie. Christian Jacq la cueille à 21 ans en pleine fleur.

Cleopatre tombe Djeserkaraseneb

En Égypte, c’est la crise. Alexandrie règne à la grecque sur un pays resté traditionnel, écrasé de taxes. Le roi conjoint Ptolémée XIII, 14 ans, est capricieux, gourmand, et veut s’affirmer comme petit mâle. Il est manipulé par les eunuques avant de lui-même manipuler sa seconde sœur Arsinoé contre sa reine conjointe Cléopâtre. Car ces deux enfants aînés du pharaon Ptolémée XII règnent ensemble, et Rome est chargée d’y veiller par testament. Pompée, vaincu, cherche refuge en Égypte mais est décapité sur ordre des eunuques pour plaire à César. Celui-ci méprise cette vilenie et n’aura de cesse de chasser les castrés, de mater l’adolescent irascible et d’établir Cléopâtre seule reine d’Égypte. Il en tombera amoureux, lui fera un fils, Césarion, et l’associera à son triomphe à Rome (Césarion sera tué par Octave à 17 ans). Mais, entre temps, il devra survivre, avec ses quelques légions arrivées avec lui par bateau, face à l’armée entière de Ptolémée…

C’est avec talent que Christian Jacq conte la bataille, en pleine ville, des Romains aidé des Juifs d’Alexandrie contre les Gréco-égyptiens. Il ajoute quelques personnages inventés pour égayer le roman comme le Vieux, amateur de bon vin, et son âne Vent du nord qui parle avec les oreilles. Il parsème l’action de pauses dans les temples d’Égypte, tel Hermonthis où réside le dieu taureau Boukhis, Dendera le sanctuaire de la déesse Hathor, ou Héraklion, lieu du dieu caché Amon. La douceur du printemps sur les rives du Nil ou les couchers de soleil sur la Méditerranée vus des palais d’Alexandrie sont un bien beau décor pour ces personnages d’exception qui font l’histoire.

Un roman de délassement agréable, qui manque un peu de vigueur au début.

Christian Jacq, Le dernier rêve de Cléopâtre, octobre 2012, éditions XO, 410 pages, €20.80

Catégories : Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Journaux des dames de cour du Japon ancien

Nous sommes autour de l’an mille, dans un Japon de cour bien plus évolué que le nôtre. C’était avant l’âge de féodalité où les shoguns et les daimyôs et leur suite de samouraïs ont submergé l’imaginaire. Le Japon d’avant le XIe siècle – âge féodal – était lettré et bouddhiste. La littérature chinoise avait été introduite dès l’an 300 et le bouddhisme en 552. Les femmes japonaises, alors, étaient instruites, avait droit d’hériter de leur père et possédaient en propre leur demeure. La période Heian voit le transfert de la capitale à Kyoto, appelée la Cité de la Paix, de 794 à 1185. C’est un Japon raffiné, délicat et très civilisé que nous pouvons découvrir.

Ce court livre donne trois journaux des dames d’époque, signe qu’elles étaient largement plus considérées que les nôtres à la même période malgré la polygamie qui favorisait les clans. La cour était un centre éclatant où chacun rivalisait de prouesses poétiques et amoureuses, faute de guerre à mener, et où chacune se paraît, se montrait et répondait en vers. Les communications difficiles entre la capitale et les provinces rendaient les voyages hasardeux et l’observation de la nature omniprésente. Le paysage très varié du Japon, maritime et montagneux, les saisons très marquées, engendraient la poésie. Les temples, retirés dans les montagnes, attiraient les dévots qui songeaient à la vie future. Celle-ci n’était pas un paradis mais une réincarnation : autant prévoir le degré de vertu nécessaire pour renaître correctement !

La poésie a pris en ces temps une résonance extraordinaire, qu’il faut peut-être attendre jusqu’au XVIIIe siècle européen pour voir revenir. Le tanka de 31 syllabes en 5-7-5-7-7 est la forme courante.

Le Journal de Sarashina, qui commence le volume, commence l’âge de ses 12 ans en 1021 pour se finir après la cinquantaine. Le nom de cette femme auteur n’est pas connu, tout au plus savons-nous qu’elle était fille d’un Fujiwara gouverneur. Solitaire toute sa vie pour cause de morts, d’exil et d’existence au rang moyen, l’auteur se tourne vers la nature. Elle a ce don d’animer les paysages, de personnifier la lune ou les vagues, de remplacer les êtres humains qui la déçoivent par ces êtres végétaux ou minéraux, ou par les astres. La lune est souvent l’œil de Bouddha, l’éternité sereine des nuits. Ce tropisme nature est souvent le cas de ceux qui sont mal intégrés dans leur société, solitaires non reconnus qui compensent avec les bêtes et les plantes ce que les humains ne leur donnent pas. C’est ainsi le cas de beaucoup d’écologistes de notre temps, des poètes romantiques se disant « maudits », des routards à pétard de la Beat generation, et des précaires de province de nos années 2000. Ainsi d’une chatte trouvée, très belle, peut-être la réincarnation d’une fille de noble conseiller : « La chatte me dévisagea et se mit à miauler en allongeant sa voix. Peut-être est-ce mon imagination, mais en la regardant, elle ne me parut pas une chatte ordinaire. Elle semblait comprendre mes paroles te je la plaignais » p.40. Qui sait comprendre le chat saisira toute l’empathie de la conteuse.

Un jeune homme survient, l’émoi est partagé, quelques poèmes échangés. Et puis… Ni les circonstances, ni les convenances, ne permettaient la liaison au grand jour. « J’attendis une occasion propice ; mais il n’y en eût pas, jamais ». Peut-on dire en si peu de mots l’océan de tristesse ? « Je souhaiterais que les amoureux de la nature puissent voir la lune qui décline après l’aurore, dans un village de montagne, à la fin d’une nuit d’automne » p.49. Pour avoir assisté, au Japon, à pareil spectacle, je puis vous dire combien il est poignant.

Le Journal de Murasaki Shikibu met en scène une fille de prince, épouse de seigneur gouverneur puis dame de compagnie de l’impératrice. Murasaki, surnom qui veut dire herbe pourpre, réminiscence d’un célèbre poème, est surtout l’auteur mondialement connu du Dit du Genji sur la vie de cour à Kyoto. Son Journal est un complément intime de son grand œuvre. Elle observe avec application la vêture de celle-ci ou de celui-là, a prestance virile ou la souplesse sociale, l’étiquette et les cérémonies. Ainsi de Yorimichi, le fils de seize ans du Premier ministre, qui suscite en elle une discrète sensualité : « Le jeune seigneur du Troisième Rang était assis, le store à demi relevé. Il semblait plus mûr que son âge et il était fort gracieux. Même au cours de conversations légères, des expressions comme : « Belle âme est plus rare que beau visage » lui venaient doucement aux lèvres et nous remplissaient de confusion. C’est une erreur de le traiter en jeune garçon. Il garde sa dignité parmi les dames, et je vis en lui un héros romanesque très recherché lorsqu’il s’en fut en se récitant à lui-même… » p.91.

Le Journal d’Izumi Shikibu raconte par elle-même la vie de la poétesse la plus célèbre de son temps ! Fille et épouse de gouverneurs, elle devient la maîtresse du prince Tametaka et se consume d’amour contrarié par les convenances. Les poèmes que les deux échangèrent sont l’essence de ce Journal.

« Je suis une goutte de rosée,

Pourtant je ne suis pas inquiète,

Car il me semble que j’ai existé sur cette branche

Depuis bien avant la naissance du monde » p.166.

Une précieuse littérature qui a traversé les siècles et montre combien le Japon ne doit pas être réduit à l’électronique d’aujourd’hui ni au militarisme d’hier.

 Journaux des dames de cour du Japon ancien, Xe siècle, traduction française 1925, Picquier poche 2011, 212 pages, €7.60

Catégories : Japon, Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Machu Picchu

Article repris par Medium4You.

Machu Picchu signifie « vieille montagne ». La cité est bâtie à 2450 m d’altitude, à 112 km de Cuzco. Elle est à environ 3h30 de train de la capitale quand tout va bien ! Il faut « mériter » le lieu. Le départ est très matinal, la foule dense dans la gare, le train pas encore formé mais on échafaude des projets. Le point ultime du voyage, ce pourquoi on est venu de si loin.

Le train entre en gare, chacun gagne sa place, il fait encore nuit. Tiens, le conducteur a beaucoup d’aides, les uns avec des pelles, les autres avec des scies… On comprendra très vite ! Il y a bien sûr le mécanicien, les serre-freins, les bûcherons, les maçons. Le trajet vers le Machu Picchu réserve bien des surprises. Là un arbre tombé sur la voie unique, là un petit pont a perdu quelques troncs, là un glissement de terrain. Qu’à cela ne tienne, ce sont les risques du trajet. Les heures passent. On met pied à terre quand les aides travaillent. Un coup de sifflet, tout le monde rejoint sa place à bord. On redémarre. Un autre arrêt. Les aiguilles de la montre tournent à vous en donner le vertige.

Début d’après midi, arrivée au pied du Machu Picchu. Le train se déverse dans les bus qui vont nous monter par une route vertigineuse là-haut.

Enfin le site du Machu Picchu. Fabuleux, impressionnant, grandiose ! La visite est chronométrée. Le train nous a fait perdre beaucoup de temps.

Le Machu Picchu se divise en quartiers séparés en grande partie par l’esplanade centrale. Deux grands secteurs : la ville supérieure (mirador, garnison, terrasse) et la ville inférieure (greniers, temples, centres artisanaux). Les édifices religieux et les maisons des notables étaient en pierres parfaitement jointes. Les autres maisons (celles des agriculteurs) étaient en pierre grossièrement taillées jointes avec de l’adobe (chaux + terre). Les murs étaient inclinés vers l’intérieur afin de résister aux tremblements de terre. Ces murs robustes étaient recouverts de frêles toits de joncs et de roseaux. Il a été décompté 285 maisons en ruine où habitaient 4 personnes pour une population d’environ 1200 personnes.

On y cultivait fruits, plantes médicinales et fleurs. Le quartier des agriculteurs comprend des terrasses cultivées, un ingénieux système d’irrigation, des rigoles en zigzag.

Le mirador permet de dominer tout le site. Ingénieux système de fermeture de la porte principale de la citadelle : un anneau de pierre au-dessus et deux poignées dans les cavités sur les côtés.

Le tombeau royal est au-dessous de la porte de la citadelle, une caverne en-dessous de la tour centrale qui fut peut-être le tombeau d’un grand Inca.

La rue des fontaines est plutôt une ruelle. Elle est composée d’une série de petits bassins disposés les uns à la suite des autres. Pour des ablutions rituelles ?

La maison de l’Inca comprend des patios intérieurs, un appareillage de pierre particulièrement soigné et les restes d’un mortier.

La maison du prêtre est le temple dit ‘des trois fenêtres’. Le grand temple a sept niches au fond et la sacristie dans le quartier religieux.

Dans le prolongement des temples, une série d’escaliers mène à l’Intihuatana (le lieu où le Soleil est captif) l’observatoire astronomique. C’est le point le plus élevé de la ville et le plus mystérieux sur la placette. Sur cet autel se dresse une colonne tétraédrique servant de gnomon. Elle servait aux Incas à calculer la hauteur du soleil ainsi qu’à connaître l’heure, la date des solstices et des équinoxes.

De l’autre côté, le quartier des prisons, le quartier des Mortiers, le quartier des intellectuels et des comptables. A l’extrémité des ruines, un sentier mène au Huayna Picchu (montagne jeune). Pas de le temps de faire la grimpette, dommage ! Il paraît que l’on est récompensé des efforts fournis par un panorama époustouflant. C’est dur d’être touriste embrigadé en troupeau. Machu Picchu mérite qu’on s’y arrête, qu’on s’y pose, en oubliant la presse et le stress d’une civilisation moderne où le temps sans cesse grignoté exige qu’on passe sans cesse à autre chose.

Le retour tardif se fait quand même dans la bonne humeur. Le lendemain un petit vol pour Lima permettra la visite du musée de l’or. Je crains que ce soit nettement moins impressionnant que celui de Bogota. Et en route pour Ica.

Hiata de Tahiti

Catégories : Archéologie, Pérou-Bolivie, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,