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Je n’aime pas les prêtres, dit Nietzsche

Père pasteur, mère dévote, sœur pronazie, Friedrich Nietzsche avait tout pour haïr le christianisme, une religion d’esclaves, disait-il. Pourtant, Zarathoustra laisse aller les prêtres. Bien que ce soient ses ennemis, « parmi eux aussi il y a des héros ; beaucoup d’entre eux ont trop souffert – c’est pourquoi ils veulent faire souffrir les autres. » L’air est connu du criminel à l’enfance malheureuse, ce qui l’absoudrait sous les circonstances atténuantes. Mais les prêtres, tout comme les criminels, sont des ennemis : il ne faut pas l’oublier et Zarathoustra ne l’oublie pas.

« Rien n’est plus vindicatif que leur humilité », dit-il « et quiconque les attaque a vite fait de se souiller. » Ce sont des prisonniers de leur foi, des réprouvés que leur Sauveur a marqués au fer. « Au fer des valeurs fausses et des paroles illusoires ! » Qui va les sauver de leur Sauveur ?

Ces valeurs et ces paroles sont enfermées dans des églises sombres à faire peur, et ne s’énoncent pas au grand soleil rayonnant. Peut-on s’élever dans des cavernes ? Par un chemin de pénitence à genoux ? « N’était-ce pas ceux qui voulaient se cacher et qui avaient honte face au ciel pur ? » demande Nietzsche. Il est loin le temps antique où les dieux étaient glorieux, à l’image des hommes les meilleurs : ils élevaient les âmes des mortels à leur hauteur et les plus valeureux humains devenaient des demi-dieux. Pas dans le christianisme : « ils ont appelé Dieu ce qui leur était contraire et qui leur faisait mal » ; « ils n’ont pas su aimer leur Dieu autrement qu’en crucifiant l’homme » ; « ils ont pensé vivre en cadavres ». Comme ce monde-ci est une vallée de larmes, que tout être humain est dès sa naissance entaché du péché originel, que seul l’Au-delà permettra la justice, l’amour et des félicités, vivre n’a aucun intérêt. Seule la mort en a et la meilleure est de se mortifier auparavant pour l’appeler au plus vite. Est-ce cela la vie ?

« Je voudrais les voir nus », dit Nietzsche, « car seule la beauté devrait prêcher le repentir. Mais qui donc pourrait se laisser convaincre par cette affliction travestie ! » Nietzsche parle des prêtres, tous vêtus de longues robes noires qui cachent leurs formes le plus souvent étiques et maladives faute de vivre sainement dans un corps sain, aimant d’un cœur sain et avec l’esprit sain vivifié par le grand air. Le Christ en croix, curieusement, a souvent un corps sculpté d’athlète romain, comme s’il était impensable, au final, d’adorer un avorton. Combien de vocations religieuses catholiques se sont déclarées face à ce corps nu et torturé, délicieusement sexuel ? Les séminaires comme les écrivains catholiques sont remplis de ces fantasmes homoérotiques, qui deviennent trop souvent pédocriminels. Le sociologue homme de radio Frédéric Martel a étudié ce thème particulier dans son livre Sodoma : enquête au cœur du Vatican. Son enquête par témoignage auprès de pas moins de 41 cardinaux, 52 évêques, 45 nonces apostoliques et ambassadeurs montre que la plupart non seulement sont homosexuels, mais de plus ont été attiré dans l’Église par cette atmosphère particulière qui favorise la tendance.

Les sauveurs n’étaient pas de grands savants, ni des maîtres en leur discipline, mais des illusionnistes, dit Nietzsche. « L’esprit de ces sauveurs était fait de lacunes ; mais dans chaque lacune ils avaient placé leur folie, leur bouche-trou qu’ils ont appelé Dieu. » Ils avaient des esprits étroits et des âmes vastes, voulaient trop étreindre et ont mal étreint. Comme des couards selon Montaigne, « sur le chemin qu’ils suivaient, ils ont inscrit les signes du sang, et leur folie leur a enseigné que par le sang on établit la vérité. » Or ce n’est pas le nombre de morts qui fait la valeur d’une doctrine, sinon Mao, ses 80 millions de morts et son Petit livre rouge serait au sommet de la sagesse, mais sa part de vérité utile à la vie. « Le sang est le plus mauvais témoin de la vérité ; le sang empoisonne la doctrine la plus pure et la transforme en folie et en haine des cœurs. » Tout dictateur le sait, et Hitler avec Horst Vessel devenu lied des marches nazies, c’est par les martyrs que l’on gagne à sa cause. Peu importe la vérité de leur combat, le seul fait qu’ils aient donné leur vie exige qu’ils soient vengés. C’est ce que Poutine cherche à faire en Ukraine, en envoyant en rangs serrés des hordes de soldats se faire massacrer par les obus et les mitrailleuses ukrainiennes – tout comme Staline l’a fait face aux armées allemandes devant Stalingrad.

C’est de la manipulation. « Le cœur chaud et la tête froide : lorsque ces deux choses se rencontrent, naît le tourbillon nommé ‘Sauveur’. » Le froid Poutine agite le nationalisme le plus obtus et envoie à la mort par dizaines de milliers de jeunes Russes pour faire monter l’émotion et appeler à l’élan du châtiment. Il veut apparaître comme le Sauveur de la civilisation orthodoxe russe face à un Occident gangrené par l’esprit décadent américain. Mais que ne se pose-t-il en exemple attractif, plutôt que d’attaquer celui qui ne veut pas le suivre ? Le soft-power culturel américain, tout comme l’exemple économique de l’Union européenne sont bien plus attractifs que ses vieilles lunes rancies de slavophile – c’est cela qu’il n’accepte pas. Si la Russie tradi est un paradis, pourquoi tant de gens rêvent-ils d’ailleurs ? « En vérité, il y a eu des hommes plus grands », rappelle Nietzsche, des Churchill, des De Gaulle, pouvons-nous ajouter ; ils étaient patriotes mais pas tyrans, ils ont élevé leurs citoyens au lieu de les réprimer.

(J’utilise la traduction 1947 de Maurice Betz au Livre de poche qui est fluide et agréable ; elle est aujourd’hui introuvable.)

Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, 1884, traduction Geneviève Bianquis, Garnier Flammarion 2006, 480 pages, €4,80 e-book €4,49

Nietzsche déjà chroniqué sur ce blog

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Ermitage et monastère de la steppe

Nous remontons sur nos petits chevaux pour aller voir des tombes « scythes » aux stèles gravées comme hier.

Puis nous devons grimper sur une montagne escarpée pour établir le camp de base vers 2800 m au lieu-dit Sanj. Les chevaux sont dessellés, leur mors est enlevé et chacun place le tout sous l’auvent de sa tente. Les Mongols mettent les montures nues à la longe pour brouter l’herbe drue d’altitude, attachées à un piquet planté dans le sol. Le temps d’installer les tentes et de faire la cuisine, il est déjà 16h30 pour déjeuner.

Nous allons alors voir l’ermitage de Zanabazar en effectuant une nouvelle trotte, principalement dans la forêt. Il est indispensable de savoir guider son cheval car celui-ci passe où il peut, sans se soucier des branches basses pour le cavalier qui dépasse. Aujourd’hui a lieu au monastère Tövkhön une fête spéciale qui dure quatre jours tous les quatre ans. Nombre de moines sont venus d’un peu partout dans cette province d’Övörkhangaï pour officier et discuter. Nous croisons plusieurs dignitaires d’un certain âge tout comme des moinillons dont certains, ayant trop chaud tout le jour à la flamme des lampes à beurre, ne portent qu’une chasuble ouverte jusqu’au ventre et laissant les bras dégagés jusqu’en haut des épaules. Deux adolescents sont ainsi, tétons roses offerts aux regards concupiscents de certains vieux moines ; les autres portent une sorte de tee-shirt sous leur chasuble bordeaux, ou même un pull pour les plus pudiques ou les plus frileux. Tous, jeunes comme vieux, psalmodient d’une voix monocorde les textes sacrés, tout en guignant du coin de l’œil les visiteurs qui passent. Rares sont les étrangers à parvenir si loin dans ces montagnes – surtout à cheval.

Nous visitons le monastère avec Togo et Tserendorj. Biture cuve déjà au pied des pins, en « surveillant les chevaux ». Le sentier s’élève jusqu’au temple empli de psalmodies, puis court le long de la falaise vers « l’empreinte du pied de Zanabazar » dans la roche (il chaussait au moins du 47 !) et revient vers l’ermitage. C’est un trou dans la roche où, après le Grand Zanabazar, un moine aurait résidé près de trente ans incognito durant l’ère soviétique, ravitaillé par les habitants complices.

Suit la « grotte de l’utérus » où le fait de ramper dans la pierre, de s’y retourner dans la minuscule caverne du fond, puis de ressortir, vous fait renaître spirituellement – à la condition que vous soyez déjà imbibés d’esprit bouddhiste. Tserendorj s’y essaie mais cela ne le change en rien, selon toutes apparences.

En haut de la falaise s’élève un obo, dérisoirement « interdit aux femmes ». Qu’iraient–elles faire sur cette plate-forme désolée grande comme une salle à manger où le seul décor est ce tas de pierres informes orné de chiffons dont la couleur veut imiter le ciel ? De là-haut, nous avons une vue sur le parking en lisière de forêt où sont alignés les 4 x 4 japonais des dignitaires religieux et, sur la taïga environnante, le moutonnement de la forêt s’interrompant sur les premières pentes des monts en face. Joli jeu de lumière du soleil descendant. Aucun signe de Biture qui doit faire la sieste sous les arbres. Nous redescendons par un temple jouet, une maison de poupée en bois fraîchement repeinte, où réside un serpent de plâtre très réaliste. Plus bas se dresse au-dessus du vide un arbre « sacré », un mélèze centenaire, orné d’écharpes bleu turquoise.

Nous reprenons nos bonnes bêtes pour regagner le camp, entourés par une horde de moinillons en récréation, la chasuble en bataille et les yeux brillants d’excitation. Ils brûlent de curiosité pour nos montures et notre allure. Malgré nos efforts, la conversation ne peut qu’être très limitée, notre savoir en mongol étant au plus bas. Peut-être fils de la steppe, ils n’ont pas eu l’occasion de se frotter au vaste monde et de voir ces « longs nez » que nous sommes autrement qu’à la télévision russe.

Avec le jour qui tombe monte un froid glaciaire, altitude oblige. Le vent soufflant toujours, j’en tremble jusqu’à ce que les premières gorgées de vodka de marque Gengis Khan titrant 38° réussissent à me réchauffer suffisamment. Le dîner suit très vite, même si nous avons peu faim pour avoir déjeuné quatre heures avant. Carottes râpées mayonnaise et beignets gras de mouton composent le principal. L’éleveur, son fils et ses aides se délectent du gras, met de choix paysan que mon grand-père affectionnait aussi. Nous, citadins ayant bien moins de besoins caloriques, préférons le maigre. Ainsi, sur la même bête, tout le monde est-il content ! Ce soir, comme d’habitude, la vodka met en verve Biture mais aussi Francis. Chacun rivalise à énumérer « les dangers de la steppe ». Ce n’est pas seulement les chutes de cheval (les petits Mongols tombent beaucoup), les rigueurs du climat, mais aussi le loup, les ours dans les forêts, les aigles, les yaks (surtout en rut) et les mecs bourrés (ce qui arrive fréquemment). Je retrouve avec plaisir mon duvet, bien armé contre le froid et les raideurs dans le bas du dos dues au trot inconfortable de ce premier jour.

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Que la Morale est belle quand elle reste théorie !

Depuis toujours, les humains se divisent entre donneurs de leçons et donneur d’ordres, hommes de fer et hommes de faire.

  1. Les premiers ont le beau rôle – car ils ne mettent jamais les mains dans le cambouis. Ne faisant rien, ils ne se trompent jamais. Ils préfèrent régenter les âmes en leur faisant honte des écarts à la Règle intangible.
  2. Les seconds agissent, ce qui veut dire se compromettent. Ils doivent négocier avec les forces en présence pour faire avancer leurs idées.

Réel oblige contre Idées pures, que la Morale est belle quand elle reste théorie !

Syriza, Podemos, Mélenchon, Duflot, Frondeurs, Aubry, Corbyn… tous préfèrent le rêve à la réalité, l’utopie de l’épure à se retrousser ici et maintenant les manches. Il est tellement plus facile d’être le Vertueux qui jamais ne fait de compromis que le Pragmatique qui évolue pour composer avec le réel puisqu’il ne peut pas l’annuler.

Soyons heureux : quand la Vertu s’incarne en politique, malheur aux citoyens ! Les esprits non conformes à la Règle sont vus par les croyants comme d’immondes déviants qu’il faut traiter en malades (à enfermer et rééduquer) ou en ennemis (à concentrer en camps ou à exécuter). Robespierre a montré la voie, Lénine et Staline ont suivi, puis tous les petits chefs comme Mao, Castro et le touche-pas-à-mon-Pot des gauchistes français des années 70. Jusqu’aux coraniques littéral-illettrés qui infestent nos banlieues en se croyant Vengeurs après Révélation.

Mon idée est que si les diables rouges s’agitent dans le bénitier capitaliste, tant mieux ! Ce serait pire s’ils en sortaient pour tenter l’aventure. La gauche sociale-démocrate-libérale sera mise en échec ? Tant pis : que l’alternance équilibre les dérives potentielles. Un peu de pouvoir à la droite éloignera les tentations de certains Républicains à lorgner vers l’extrême-droite, tout aussi dangereuse que l’extrême-gauche, tant le blabla de surenchère n’a jamais rien résolu dans le concret historique. Seule la lucidité de la raison agissante permet d’agir – pas les illusions des ombres de la caverne idéologique : ainsi parlait Platon.

idees pure caverne de platon

Car nous sommes toujours dans l’ornière simple des deux éthiques pointées par Max Weber : l’éthique de responsabilité et l’éthique de conviction.

En politique, il est nécessaire de voir loin, donc de peser les conséquences des décisions que l’on prend. Quiconque agit en politique non selon ce qu’il peut faire mais selon sa Bible du moment n’est pas un politicien mais un théocrate, qui sait mieux que tous ce qui est bon à tous. Si le réel résiste, il applique par la force ces convictions venues d’en haut : de la Bible ou d’Al Koran, de l’Histoire révélée à Marx, de la révolution permanente qui excite Mélenchon, de l’écologie coercitive traduite par Duflot, du fonctionnariat intangible qui alcoolise Martine Aubry.

  • La conviction empêche le débat, donc l’exercice de la démocratie : qui ne pense pas comme vous est insulté, traité de moins que rien, donc de « fasciste » – ce Mal absolu de la bonne conscience « de gauche, forcément de gauche » comme répétait à l’envi la Duras, bobote fort à la mode des années 1980-2000.
  • La responsabilité permet le débat, donc l’exercice pragmatique du pouvoir : qui ne pense pas comme vous est invité à suggérer d’autres pistes – irréalistes s’abstenir, mais rien n’empêche d’essayer. Certes, la conviction résiste, mais elle comme une lumière qui éclaire le chemin : les embûches ne peuvent être simplement ignorées et la route vers l’idéal ne s’achève jamais. Le tout est de faire ce que l’on peut – en prenant conscience des risques et en assumant ses actes. Le contraire même de l’irresponsabilité sociale de la génération Mitterrand-Chirac.

Les gauchistes de la gauche française, on les connait, ils n’ont en rien changé depuis 40 ans : étatistes, jacobins, taxateurs et clientélistes, ils révèrent le Fonctionnaire – ce serviteur content de l’être – et redistribuent à tour de lois cet argent qu’ils se moquent de produire (ils préfèrent « prendre » – et tant pis pour la génération suivante). Moralistes, ils ont gardé de leur jeunesse marxiste une haine du « capitalisme » qu’ils sont en bien en peine de définir, fourrant dans ce concept tout ce qui « ne vas pas » à leurs yeux (jusqu’au latin qui disparaît… car peu « utile » aux entreprises).

Les fonctionnaires sont certes nécessaires, lorsqu’ils remplissent avec zèle et neutralité le service du public. Mais quel est ce « service » ? Les fonctions régaliennes légitimes de l’État, pas tout et le reste ! Armée, police, justice, diplomatie, impôts, hôpital – voilà qui est indispensable. Tout le reste se discute et Macron a raison de le laisser entendre à une gauche obtuse et figée – n’en déplaise à l’amère de Lille. Et les Français, contrairement aux archéo-socialistes style Aubry décidément de plus en plus coupés du peuple, sont en majorité d’accord. Les États très fonctionnarisés comme la Russie de Poutine et la Chine aujourd’hui, sont plus néfastes que le Canada ou la Suède qui n’embauchent plus aucun fonctionnaire à vie, mais seulement par contrats de 5 ans. En débattre, c’est la démocratie, jeter l’anathème, c’est un coup de force.

Dans un monde ouvert et qui se globalise, ce sont des nuisibles, ces nostalgiques des Trente glorieuses… Car il est fini, le temps de la reconstruction d’après-guerre, du dirigisme du Plan, du soviétisme des têtes. Tous les pays dirigés d’en haut ont échoué, de l’URSS après Staline à la Chine après Deng (l’été dernier l’a montré). L’initiative et la créativité ne sauraient obéir aux directives d’un aréopage de vieillards technocrates ; l’économie ni la participation politique ne sauraient être liées aux ordres impulsés d’en haut. C’est au contraire « la base », le peuple, les gens, qui se trouvent assez adultes et responsables pour se prendre en main. D’où le côté inaudible de l’Église en moralisme, de l’école pour le savoir, du Président en politique, du parti Socialiste pour les idées… Certes, mai 68 est passé par là avec sa haine de tout autoritarisme – mais c’est surtout que la société a changé : elle est plus autonome, plus individualiste, plus ouverte. Absolument plus poussée à obéir à des « mots d’ordre » des partis ou des idéologies. Le Fonctionnaire, exécutant sans initiative des règles de procédure et des ordres hiérarchiques, ne saurait être un idéal social.

Les gauchistes sont les descendants des frères prêcheurs de notre moyen-âge, aussi péremptoires, armés de la même Voix d’en-haut, tonnant aussi fort contre le gaspillage, le foutre et l’orgie, vertueux comme pas un (sauf pour l’argent public… à user comme des filles publiques pour ces petits marquis de la noblesse d’État). Ils voudraient ramener tout le monde à la même norme médiocre, pour que « l’égalité » soit pure et parfaite, comme dans Cité de Dieu rêvée par saint Augustin (évêque kabyle et paillard repenti). En témoigne par exemple le fonctionnariat d’État qui sévit à l’Éducation nationale : petit savoir, petit salaire, petit travail – bien tranquille et assuré. Tout salarié qui dépasse la rémunération du Fonctionnaire de rang le plus élevé est considéré par les petit-bourgeois envieux de Bercy comme « riche », donc à tondre. Même si le sire prend du risque, soyons impitoyable : qui lui demande de prendre un risque ? il n’a qu’à faire comme tout le monde – et passer un concours : il aura la garantie du salaire, de la santé, du travail et de la retraite – comme dans la ruche. Exception : les stars du foot. Le gauchiste, qui va au peuple comme la vache au taureau, aurait « honte » de toucher aux idoles du prolo.

Certes, l’émergence du global et de ces pays du tiers-monde qui revendiquent désormais leur place dans le premier monde, opère une concurrence féroce ; certes, le Budget étatique se réduit tant les impôts sont déjà lourds et toute hausse contreproductive (Hollande l’a testé a son détriment, mettant dans la rue les bonnets rouges) ; certes, l’endettement national exige une certaine austérité que chaque élu rechigne à opérer – puisque ce n’est pas SON argent ; certes, les élites politiques et intellectuelles apparaissent indigentes, courte-vue, préoccupées plus par leur ego du moment devant la télé que par leur responsabilité devant la cité sur la durée d’un mandat. Mais la tentation gauchiste ne vaut pas le plaisir pervers de les déboulonner.

Romains de la décadence Thomas Couture

Monde cruel, impérialisme américain, Union européenne impuissante, dirigeants français médiocres, droite écartelée et socialistes sans repères : comment l’électeur ne serait-il pas écœuré des « partis de gouvernement » qui promettent à tout va sans jamais rien tenir – ou si peu ? D’où la tentation de sortir de ce monde-ci pour errer dans le monde idéal, « l’autre monde est possible » allant pour certains jusqu’à « l’au-delà » des houris et éphèbes promis au paradis islamique. Les écolos ont la trouille de l’enfer, pensez : 2° de plus dans vingt ans, ils se voient déjà griller à bout de fourches – repentez-vous, mes frères, avant qu’il ne soit trop tard !

Mais les couches populaires, elles, sont plus réalistes que les petits fonctionnaires qui se croient intellos, que les syndicalistes qui croient avoir tout compris de la lutte des places ou que les politiciennes arrivistes qui voudraient bien la place. Le peuple ne croit pas les gauchistes, même les vrais qui s’essaient aux responsabilités, même Tsipras – qui est allé dans le réel bien plus loin qu’un Mélenchon qui se contente de discourir, d’une Aubry qui a accouché des 35 h qui endettent l’État chaque année et dont on voit les ravages encore à l’hôpital public, ou d’une Duflot qui a engendré le désastre de la construction en France depuis 3 ans.

Les couches populaires voteront peu ; celles qui votent voteront encore moins Mélenchon mais préférerons les trois Le Pen – la Trinité d’apocalypse de la Trinité-sur-mer. Parce que les partis de gouvernement n’ont jamais voulu écouter – par tabous idéologiques – les cris et les demandes desdites couches populaires, il n’y a rien d’autre d’utile à faire que d’encourager l’alternance : un temps à gauche, un temps à droite. Juste pour l’équilibre de la responsabilité face à la conviction.

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Jean M. Auel, Le pays des grottes sacrées

L’auteur, née en 1936 à Chicago et mère de cinq enfants, a publié entre 1980 et 2011 une saga préhistorique en 6 tomes, Les enfants de la terre. L’histoire se passe il y a 30 000  ans en Europe, et met en scène une Cro-mignonne de 5 ans, Ayla, devenue orpheline à cause d’un tremblement de terre et recueillie par les Néandertaliens. La petite fille grandit mais elle est le vilain petit canard de la portée. Exclue du Clan, elle est suffisamment fine et intelligente pour avoir appris à chasser et à guérir ; elle apprivoise un lion, une jument, recueille un louveteau… puis rencontre le grand amour en la personne d’un jeune homme de sa race, grand, blond aux yeux bleus, Jondalar, un Homo doublement Sapiens comme elle (et pas Sapiens Neandertalensis). Elle part avec lui et ils explorent la contrée entre Caucase et Atlantique. Ils rencontrent les chasseurs de mammouths et autres peuplades proches mais différentes, chaque « caverne » se créant ailleurs quand il y a trop de monde.

jean m auel le pays des grottes sacrees 6

Nous sommes dans l’univers darwinien de Tarzan, revu par le féminisme gender américain des années 1980. Le grand mâle blanc est une femme, les Homo double Sapiens forment une société matriarcale dans laquelle seules les femmes sont chefs de famille, prêtresses et guérisseuses, parfois « Femmes qui commandent ».

Les mâles ne sont que des bites à offrir le Plaisir, et des muscles destinés à la chasse. Pour le reste… ils sont flemmards, insouciants – des enfants. Ils sont portés sur l’alcool, bagarreurs et frimeurs lorsqu’ils sont jeunes. Seule la Mère est la déesse adorée, Doni, semblable à la statuette de « Vénus » callipyge découverte sculptée en ivoire de mammouth (dont l’auteur semble avoir pris les formes plantureuses). Il n’y a aucun dieu masculin, pas même ces « sorciers » bandant ou ces bisons sexués, peints pourtant sur les parois des grottes. Ce féminisme militant a quelque chose d’agaçant, parce que systématique.

Dans le monde réel connu des ethnologues, depuis quelques siècles que l’observation ethnologique existe, aucune société n’est matriarcale ; il ne s’agit que d’une utopie véhiculée par Engels et les marxistes, sans aucun fondement attesté. La transmission matrilinéaire existe (héritage de la famille maternelle via l’oncle), mais pas le pouvoir aux femmes : les Amazones ne sont qu’un mythe.

jean m auel

C’est dire combien le féminisme affiché par l’auteur passe mal en Europe, moins candidement naïve que l’Amérique – pour qui tout ce qui est « nouveau » est forcément vrai et bon. La doxa dit que Jean M. Auel se documente toujours plus, lisant, reprenant des cours à l’université, participant en 1990 «  pendant quatre mois » à une campagne de fouilles en Périgord, écoutant le préhistorien Jean Clottes… Mais tous les indices des fouilles ou des peintures de grottes sont tordus par l’idéologie politiquement correcte de la femme de pouvoir.

Les Néandertaliens, appelés « têtes plates » dans le roman, sont considérés comme les Noirs aux États-Unis : pas très doués mais respectables, machos mais nantis de mémoire, sachant à peine parler mais ayant le sens du rythme, les mariages mixtes avec les Blancs aboutissant toujours à des traumatismes de sang-mêlé. On croirait la description d’une banlieue de Chicago…

jean m auel ayla et la tete plate

Le pays des grottes sacrées est le dernier des 6 tomes (en 2 volumes chez Pocket). Il a été publié 10 ans après le précédent. Le couple s’est sédentarisé, parent d’une petite fille au nom composé des deux leurs : Jonayla. Il est promis un fils à la fin du tome, mais un bébé intermédiaire a été « pris par la Mère », autrement dit avorté. Puisque Jean M. Auel s’est « documentée » auprès des sources scientifiques, porte ouverte par le succès des premiers tomes, elle nous convie à un American tour des grottes ornées du Périgord. Disparues Rouffignac, Castelmerle, Laugerie, Cap Blanc, Combarelles et Font de Gaume…

Foin de la chronologie, tout est prétexte à ramener ce qui existe au fantasme auélien : Ayla-First. La tarzanide Ayla a tout vu tout compris, tout créé à partir de rien. Le monde moderne commence avec elle, comme avec les États-Unis commence le monde contemporain : apprivoiser cheval et chien, répandre le propulseur à sagaies, guérir par les plantes inconnues, communiquer avec l’au-delà, ajouter une strophe au Credo religieux récité par tous, rééquilibrer les relations hommes-femmes… Superwoman en pagne (et souvent seins nus), manipule son mâle comme un rien (et pas seulement par la queue).

Je reste sceptique sur l’idée (biblique) que les hommes préhistoriques « croyaient » en l’esprit qui apportait les enfants, resucée de Gabriel archange.

Sceptique sur l’invention (biblique) que la Femme a forcé l’homme à la Connaissance du bien et du mal, autrement dit du sexe.

Sceptique sur l’inutilité (féministe) des mâles aux époques farouches. Tous les indices matériels vont dans l’autre sens…

Étaient-ils si niais, ces humains d’avant l’histoire ? Ils avaient pourtant les mêmes capacités intellectuelles que nous. Leurs peintures et dessins des grottes sont d’une précision aiguë. Leurs outils de silex montrent qu’ils étaient ingénieux. La façon qu’ils avaient d’enterrer leurs morts prouve leur sensibilité au mystère de la vie. Observateurs, habiles et sociaux, pourquoi auraient-ils laissé la naissance hors de leur réflexion ? Le tabou biblique, revu censure morale américaine, n’étaient pas leur premier souci !

jean m auel les enfants de la terre 9 volumes pocket

Ce tome 6 est un peu long, pas toujours intéressant, avec une fin abrupte. Mais reste un vrai talent de conteuse, malgré le tourisme obligé et la psychologie de série télé dans ce dernier volume. Quelques remarques de bon sens « humanisent » le temps lointain où, pourtant les êtres étaient double sapiens comme nous. « S’ils décidaient par exemple d’aller chasser, ils ne choisissaient pas forcément de suivre le meilleur chasseur mais plutôt celui qui dirigerait le groupe de façon qui garantirait une chasse fructueuse pour tous » p.48. Le tome 6 commence d’ailleurs par une chasse impromptue aux lions des cavernes…

Mais cela ne va pas sans quelques naïvetés spontanéistes : « Le monde l’âge glaciaire, avec ses glaciers étincelants, ses rivières aux eaux claires, ses cascades grondantes, ses troupeaux gigantesques, était d’une beauté spectaculaire mais terriblement dur, et les rares êtres humains qui y vivaient avaient conscience de la nécessité absolue de maintenir des liens puissants. Vous aidiez quelqu’un aujourd’hui parce que vous auriez probablement besoin d’aide demain » p.69. Ou la préhistoire revue par les yeux américains, l’expérience des pionniers du Nouveau monde…

Il y a des restes soixantuitards tirés du baiser sans entraves avec « l’initiation » des jeunes garçons dès la puberté (vers 12 ou 13 ans) aux relations sexuelles par des « femmes-donii » plus mûres (elles existent aujourd’hui sous le nom américain de femme-cougar). Mais seules les très jeunes filles de 11 à 12 ans se voient gratifiées d’une cérémonie des « Premiers rites » en bonne et due forme, initiées au sexe par des hommes plus âgés (chose aujourd’hui réprouvée par le politiquement correct américain). Ces étalons sont cependant choisis par les Femmes qui savent… En revanche, ni gai, ni lesbienne, ni bi ou trans, dans ce naturel humain : l’auteur choisit son politiquement correct !

jean m auel film ayla jeune

Ce sont les petits détails de la vie matérielle qui font le principal intérêt romanesque. Le lecteur entre en empathie avec l’humain livré à lui-même dans la nature foisonnante et dure à vivre. Ayla se harnache de tout un équipement avant d’aller voyager : « Elle passa son bâton à fouir sous la lanière en cuir qui lui ceignait la taille et accrocha l’étui de son couteau à droite. Sa fronde lui entourait la tête et elle portait les pierres qui lui servaient de projectiles dans un des sacs qui pendaient à sa ceinture. Un autre sac contenait un bol et une assiette, de quoi allumer un feu, un petit percuteur en pierre, un nécessaire de couture avec des fils de tailles diverses… » p.169. Nous nous retrouvons tel Robinson sur son île déserte ou comme un jeune scout (jeannette pour les filles) parti camper en pleine nature.

Si l’on veut quitter le quotidien et le contemporain pour rêver à l’humanité en ses aubes, rien de tel que ces gros livres. Ne pas croire qu’ils disent le vrai, ignorer leur côté vulgairement américain, laisser aux chiennes de garde le militantisme du « genre ». Se laisser emporter par les personnages, humains et animaux, et par les péripéties de l’histoire. Il est préférable de commencer par le tome 1 et de les lire dans l’ordre.

Jean m auel les enfants de la terre 7 volumes

Jean M. Auel, Les Enfants de la terre – tome 1, Pocket 2003, 537 pages, €6.84

Jean M. Auel, Les Enfants de la terre – tome 2, La vallée des chevaux,  Pocket 2003,   €6.84 

Jean M. Auel, Les Enfants de la terre – tome 3, Les chasseurs de mammouths,  Pocket 2008,  914 pages, €7.22 

Jean M. Auel, Les Enfants de la terre – tome 4-1, Le grand voyage, Pocket 2003, €6.84 

Jean M. Auel, Les Enfants de la terre – tome 4-2, Le retour d’Ayla, Pocket 2003, €6.84

Jean M. Auel, Les Enfants de la terre – tome 5-1, Les Refuges de pierre, Pocket 2004, 510 pages, €6.84 

Jean M. Auel, Les Enfants de la terre – tome 5-2, Les Refuges de pierre, Pocket 2003, 510 pages, €6.84 

Jean M. Auel, Les Enfants de la Terre – tome 6-1 – Le pays des grottes sacrées, Pocket 2012, 606 pages,  €7,69

Jean M. Auel, Les Enfants de la Terre – tome 6-2 – Le pays des grottes sacrées, Pocket 2012, 568 pages,  €7,69 

Film en DVD : Le Clan de la caverne des ours, réalisé par Michael Chapman, avec Daryl Hannah et Pamela Reed, en français Metropolitan video 2009, 98 mn, €12.15 

Le site en français de Jean M. Auel avec interviews vidéo.

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Église d’Odzoun et monastère de Kobayr

Excellente nuit au calme malgré une envie de pisser qui vient de l’habitude de boire beaucoup alors que la chaleur a disparue. Depuis quelques jours en effet, tous les villages pour les filles s’appelaient Achadeau… Malgré la plomberie fantaisiste (fuite, pas d’eau chaude), l’étape est agréable. Des bâtiments annexes sont à peine terminés au fond du jardin, façades en pierre de basalte du pays et toits couleur olivine. Les repas sont particulièrement soignés et l’accueil chaleureux.

Au village agricole d’Odzun, nous visitons la fameuse église du VIe siècle. Elle séduit par la simplicité de ses formes. Sa lumière tombant de lucarnes soigneusement orientées donne une atmosphère à ce lieu de pierre. Des peintures religieuses colorées lui donnent vie, tout comme les cierges maigres qui élèvent leur flamme orange qui font danser les ombres.

Le prêtre massif, en soutane noire et barbe, chante à la fin de notre visite une louange à Dieu. Il a la voix profonde et ses vibrations emplissent l’église, forçant le silence. Façon pour lui de rappeler que ce monument touristique est un lieu où le sacré demeure. Sa croix pectorale luit au bout d’une chaîne.

A l’extérieur, sur le parvis devant l’église, trône un édicule de l’époque soviétique, comme si le régime avait voulu « communiser » le lieu (comme on dit christianiser). Il ressemble à une chapelle mais l’étoile ajourée au fronton, la faucille et le marteau gravés sur les côtés, montrent son dessein édifiant…

Notre dernière randonnée du séjour commence parmi les fermes du village, sous les yeux des vieilles femmes qui sourient en nous regardant passer. Elles sont heureuses si nous photographions les enfants, leur fierté, leur richesse.

Un gamin passe et repasse, affairé. Il n’a pas la tenue d’école mais le short, le débardeur et les tongs de l’été. Il veut probablement nous observer sans en donner l’air. D’autant que l’école est fermée jusqu’à fin septembre pour cause de vacances scolaires… De très jeunes filles suivent la rue en robes à volants dans le chic des années soixante, mais elles ont les gros mollets des habituées des pentes.

Le sentier de chèvres suit la gorge de Débèd, on en voit même deux troupeaux. Nous ne tardons pas à le quitter pour aller longer la falaise plus haut, dans l’herbe rarement foulée. C’est là que le sentier se fait peu large, penchant vers le fond à quelques centaines de mètres.

Nous apercevons la triple voie de communication de la route, du chemin de fer et de la rivière qui bouillonne tout en bas. Buissons verts, fleurs champêtres et graminées jaunes. L’herbe sèche couchée est parfois glissante et l’un de nous l’apprend à ses dépends, lui qui a déjà mal de calculs dans les reins. Le soleil efface les quelques nuages et nous marchons sous la chaleur.

En fin de parcours, une forêt de noyers, hêtres et chênes nous rafraichit. Une lumière d’un vert d’aquarium repose les yeux tandis que le nez est sensible aux parfums des herbes et à l’humidité de l’eau. Une source coule, canalisée en plein milieu du sentier.

Ce dernier, à peine tracé, aboutit brutalement au monastère de Kobayr, en surplomb d’une falaise. Son nom signifie « caverne de pierre » car de nombreuses cavernes existaient dans les parois. Il date du XIIe siècle mais est tellement ruiné que la population a entrepris de le restaurer.

Une équipe d’ouvriers nous regarde arriver, un peu étonnée, gâchant lentement le plâtre et montant au palan des pierres au sommet. Un tout jeune homme bénévole est avec eux sans vraiment travailler, cherchant de l’eau, portant des tubes. Il porte un débardeur rouge étroit, un jean noir de noir et des chaussures de foot jaunes. Il n’a rien de la tenue prolétaire des autres mais l’air d’avoir quatorze ans.

Le pique-nique nous attend là, avec notre guide arménienne et le chauffeur qui a garé son bus en contrebas sur la route. Le monastère domine en effet la vallée, la chapelle forteresse sur l’à-pic de la falaise, au-dessus du vide, et l’église Sainte-Mère de Dieu réduite au chœur et aux fondations. Subsistent dans le chœur des fresques du Christ et des apôtres. Nous faisons le tour des ruines après déjeuner.

Nous rejoignons le bus en bord de route par une descente raide en escalier. Mais les pierres sont naturelles, c’est un escalier bio ! L’adolescent nous dépasse en bondissant comme une chèvre. Il n’a pas oublié quelque chose au village, s’il va vite c’est pour nous observer encore un peu. Nous le trouvons en effet installé au bord de la route face au bus, aux côté des femmes qui proposent des mûres, des pommes et autres fruits.

Retrouvez toutes les notes du voyage en Arménie sur ce blog 

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Diderot réaliste libéral

Mais oui, l’époque antidespotique était « libérale », n’en déplaise aux ignares qui croient que le libéralisme a été inventé par Georges W. Bush et les néoconservateurs du Texas !  Le libéralisme joignait Montesquieu et Voltaire, Locke et Diderot, comme la plupart des philosophes des Lumières. C’est même écrit dans la bible des geeks, l’ineffable Wikipedia.  Donc c’est vrai puisque c’est sur Internet.

Car Diderot était contre le dogme d’église et contre le droit divin du roi ; il était pour la raison égale chez tous les êtres humains et pour la morale issue de la nature. Qu’est-il de plus « libéral » que cette liberté là ? En témoigne ce passage du ‘Neveu de Rameau’. Ce n’est pas le dialogue en forme de conte philosophique que je préfère de Diderot ; je le trouve fort décousu, échevelé, bouffon, probablement mieux fait pour le théâtre que pour la Lecture. Il a été écrit par bouts sur une vingtaine d’années. Mais, comme souvent chez Diderot, existent des passages qui font penser. En voici un :

« LUI : Que tout aille d’ailleurs comme il pourra. Le meilleur ordre des choses, à mon avis, est celui où j’en devais être ; et foin du plus parfait des mondes si je n’en suis pas. J’aime mieux être, et même être impertinent raisonneur que de n’être pas.
MOI : Il n’y a personne qui ne pense comme vous et qui ne fasse le procès à l’ordre qui est ; sans s’apercevoir qu’il renonce à sa propre existence.
LUI : Il est vrai.
MOI : Acceptons donc les choses comme elles sont. Voyons ce qu’elles nous coûtent et ce qu’elles nous rendent ; et laissons-là tout ce que nous ne connaissons pas assez pour le louer ou le blâmer ; et qui n’est peut-être ni bien ni mal ; s’il est nécessaire, comme beaucoup d’honnêtes gens l’imaginent » p.593.

Diderot se moque ici de ceux qui aspirent à changer le monde. Tous ceux qui imaginent « qu’un autre monde est possible », évidemment parfait, souverain Bien réalisé, lumière absolue hors de la platonicienne caverne. Et pour cela, n’est-ce pas, comme le réel résiste, bouleverser les lois mêmes du réel (Lyssenko fera cela très bien) ; comme le « vieil homme » résiste, rééduquer l’être humain (Staline, Mao, Pol Pot accompliront cela en masse). Cela ne change rien à la nature ni à l’homme, mais tourmente inutilement des millions d’êtres, juste pour réaliser l’Utopie. Or le bien et le mal sont notions relatives aux époques et aux sociétés ; Diderot leur préfère – en vrai libéral – le bon et le mauvais. Que tout aille comme il peut, ce n’est pas l’individu qui va changer le monde – il peut seulement se changer soi en considérant ce que les choses nous coûtent et nous rendent.

Cela ne veut pas dire que Diderot accepte le régime ou la société de son temps sans critique. Mais sa critique part de la connaissance qu’il acquiert par ses études et sa raison. Pour le reste, « laissons-là tout ce que nous ne connaissons pas assez pour le louer ou le blâmer ». La nature fait bien les choses, la raison humaine peut les comprendre à son niveau, pas besoin d’imposer un « ordre » extérieur au mouvement naturel. Diderot se méfie d’ailleurs de ceux qui veulent tout ordonner, il les fuit comme la peste ! Ce sont des tyrans en puissance qui tordent le réel et le naturel pour les faire servir à leur pouvoir. Ainsi des prêtres et des salons Louis XV, époque où il vécut. « Si je savais l’histoire, je vous montrerais que le mal est toujours venu ici-bas par quelque homme de génie » p.589.

Cette façon de penser le monde et l’histoire est d’ailleurs celle de… Karl Marx. Ne croit-il pas avoir découvert la loi naturelle du mouvement social ? Tout est affaire de lutte des classes, lesdites classes se formant par la division du travail et l’accaparement des moyens de production. Le siècle et demi écoulé depuis sa prophétie a montré que cette « loi » souffrait quelques exceptions puisque la « lutte finale » est loin d’avoir connu ne serait-ce qu’un commencement d’exécution. Mais c’est la loi de la science que d’être remise en cause par le réel. Chaque hypothèse peut être émise, puis elle est testée, donc validée ou remise en cause. L’accaparement des moyens de production est une réalité sociale et historique, mais pas le mouvement principal des sociétés. Celui-ci est le pouvoir, et il est d’autre pouvoir aussi puissant, voire plus, que l’économique. Même dans la modernité, que Marx n’imaginait qu’industrielle. Aujourd’hui, la connaissance et le contrôle des réseaux sont probablement plus vitaux que l’industrie ou même que la finance. La doxa de gauche a du plomb dans l’aile, c’est Diderot qui le dit : « foin du plus parfait des mondes si je n’en suis pas ».

A sa suite, « j’aime mieux être, et même être impertinent raisonneur que de n’être pas. » Et vous lecteur, comment le voyez-vous, l’être et le non-être ?

Denis Diderot, Le neveu de Rameau, Contes et romans, Gallimard Pléiade 2004, édition Michel Delon, 1300 pages, €52.25

Denis Diderot, Le neveu de Rameau, Folio, 2006, 251 pages, €4.37

Qui voudra en savoir plus sur l’intérêt littéraire du ‘Neveu de Rameau’ lira avec profit Stéphane Lojkine, « Discours du maître, image du bouffon, dispositif du dialogue : Le Neveu de Rameau », Discours, Image, Dispositif, dir. Ph. Ortel, L’Harmattan, 2008, pp. 97-123

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Machu Picchu

Article repris par Medium4You.

Machu Picchu signifie « vieille montagne ». La cité est bâtie à 2450 m d’altitude, à 112 km de Cuzco. Elle est à environ 3h30 de train de la capitale quand tout va bien ! Il faut « mériter » le lieu. Le départ est très matinal, la foule dense dans la gare, le train pas encore formé mais on échafaude des projets. Le point ultime du voyage, ce pourquoi on est venu de si loin.

Le train entre en gare, chacun gagne sa place, il fait encore nuit. Tiens, le conducteur a beaucoup d’aides, les uns avec des pelles, les autres avec des scies… On comprendra très vite ! Il y a bien sûr le mécanicien, les serre-freins, les bûcherons, les maçons. Le trajet vers le Machu Picchu réserve bien des surprises. Là un arbre tombé sur la voie unique, là un petit pont a perdu quelques troncs, là un glissement de terrain. Qu’à cela ne tienne, ce sont les risques du trajet. Les heures passent. On met pied à terre quand les aides travaillent. Un coup de sifflet, tout le monde rejoint sa place à bord. On redémarre. Un autre arrêt. Les aiguilles de la montre tournent à vous en donner le vertige.

Début d’après midi, arrivée au pied du Machu Picchu. Le train se déverse dans les bus qui vont nous monter par une route vertigineuse là-haut.

Enfin le site du Machu Picchu. Fabuleux, impressionnant, grandiose ! La visite est chronométrée. Le train nous a fait perdre beaucoup de temps.

Le Machu Picchu se divise en quartiers séparés en grande partie par l’esplanade centrale. Deux grands secteurs : la ville supérieure (mirador, garnison, terrasse) et la ville inférieure (greniers, temples, centres artisanaux). Les édifices religieux et les maisons des notables étaient en pierres parfaitement jointes. Les autres maisons (celles des agriculteurs) étaient en pierre grossièrement taillées jointes avec de l’adobe (chaux + terre). Les murs étaient inclinés vers l’intérieur afin de résister aux tremblements de terre. Ces murs robustes étaient recouverts de frêles toits de joncs et de roseaux. Il a été décompté 285 maisons en ruine où habitaient 4 personnes pour une population d’environ 1200 personnes.

On y cultivait fruits, plantes médicinales et fleurs. Le quartier des agriculteurs comprend des terrasses cultivées, un ingénieux système d’irrigation, des rigoles en zigzag.

Le mirador permet de dominer tout le site. Ingénieux système de fermeture de la porte principale de la citadelle : un anneau de pierre au-dessus et deux poignées dans les cavités sur les côtés.

Le tombeau royal est au-dessous de la porte de la citadelle, une caverne en-dessous de la tour centrale qui fut peut-être le tombeau d’un grand Inca.

La rue des fontaines est plutôt une ruelle. Elle est composée d’une série de petits bassins disposés les uns à la suite des autres. Pour des ablutions rituelles ?

La maison de l’Inca comprend des patios intérieurs, un appareillage de pierre particulièrement soigné et les restes d’un mortier.

La maison du prêtre est le temple dit ‘des trois fenêtres’. Le grand temple a sept niches au fond et la sacristie dans le quartier religieux.

Dans le prolongement des temples, une série d’escaliers mène à l’Intihuatana (le lieu où le Soleil est captif) l’observatoire astronomique. C’est le point le plus élevé de la ville et le plus mystérieux sur la placette. Sur cet autel se dresse une colonne tétraédrique servant de gnomon. Elle servait aux Incas à calculer la hauteur du soleil ainsi qu’à connaître l’heure, la date des solstices et des équinoxes.

De l’autre côté, le quartier des prisons, le quartier des Mortiers, le quartier des intellectuels et des comptables. A l’extrémité des ruines, un sentier mène au Huayna Picchu (montagne jeune). Pas de le temps de faire la grimpette, dommage ! Il paraît que l’on est récompensé des efforts fournis par un panorama époustouflant. C’est dur d’être touriste embrigadé en troupeau. Machu Picchu mérite qu’on s’y arrête, qu’on s’y pose, en oubliant la presse et le stress d’une civilisation moderne où le temps sans cesse grignoté exige qu’on passe sans cesse à autre chose.

Le retour tardif se fait quand même dans la bonne humeur. Le lendemain un petit vol pour Lima permettra la visite du musée de l’or. Je crains que ce soit nettement moins impressionnant que celui de Bogota. Et en route pour Ica.

Hiata de Tahiti

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Albert Camus le Méditerranéen

A plusieurs reprises Albert Camus s’est affirmé porteur d’une culture « méditerranéenne » opposée à la culture « du nord ». Il s’est voulu héritier des Grecs, lucide, clair et populaire, contre les brumes jargonnantes et élitiste de « l’idéologie allemande ». Dans ‘L’exil d’Hélène’, texte qu’il date de 1948 et paru dans le recueil d’essais ‘L’été’, il précise cette appartenance.

La pensée méditerranéenne est celle du soleil. Son tragique est celui du soir où « monte alors une plénitude angoissée ». Le soir qui masque la beauté dans l’obscurité. Qu’est-ce que la beauté ? C’est le sens clair des proportions et des limites, une harmonie. « La pensée grecque s’est toujours retranchée sur l’idée de limite. Elle n’a rien poussé à bout, ni le sacré, ni la raison, parce qu’elle n’a rien nié, ni le sacré, ni la raison. Elle a fait la part de tout, équilibrant l’ombre par la lumière. » Il oppose cette paix avec le monde à l’inquiétude névrosée de la pensée d’Europe du nord, cette maniaquerie obsessionnelle en quête de « la totalité », d’empire absolu de la raison sur les choses.

Camus limite le nord européen aux penseurs allemands du XIXe. On peut trouver pourtant dans les sagas scandinaves un bon reflet de ce qu’il appelle la pensée grecque : l’amour tragique de la vie, le souci de l’équité et des libertés, le débat au parlement, l’exil plutôt que la condamnation à mort. A l’inverse, nombre de cultures méditerranéennes aliènent leur existence à un Dieu jaloux ou à un Livre prophétique, ne vivant que pour le Salut dans l’obéissance absolue au Texte. Prenons donc l’antinomie camusienne entre Méditerranée et Nord pour ce qu’elle est : une abstraction, un ideal-type.

La justice, pour les Grecs, est une balance qui équilibre ; la limite d’un plateau est toujours le poids de l’autre plateau : pour les hommes, la liberté commence où s’arrête celle des autres. Dans l’idéologie allemande (hégélienne issue de la platonicienne), au contraire, la Justice doit être absolue, « totale » – ou elle n’est pas. Tout compromis est inéquitable, même s’il est provisoire. On ne vit que dans l’éternel immédiat et l’absolu pour toujours. Le nord préfère la puissance (Hegel, Marx) à l’aveu méditerranéen qu’on ne sait pas tout (Socrate). La maîtrise du ciel et de la terre par la raison a déplacé les bornes, tout est vide hors le raisonnement – même l’énergie de vivre. On ne fait plus d’enfant par désir mais seulement si cela ne dérange pas la carrière et en sachant combien ça coûte.  « Nous tournons le dos à la nature, nous avons honte de la beauté ». Telle est la conscience des villes.

« C’est le christianisme qui a commencé de substituer à la contemplation du monde la tragédie de l’âme. » Le monde est beau, ici et maintenant. Les eschatologies religieuses ou laïques méprisent ce monde-ci et le maintenant : ils le voient comme ces ombres sur les murs de la caverne. Ils veulent le changer, ils désirent une autre vie dans l’au-delà de la caverne ou dans l’avenir radieux, forcément radieux. « Tandis que les Grecs donnaient à la volonté les bornes de la raison, nous avons mis pour finir l’élan de la volonté au cœur de la raison, qui en est devenue meurtrière. » Ce ne sont ni l’industrie des chambres à gaz, ni l’organisation bureaucratique contraignante du socialisme « réel », ni la science appliquée à Hiroshima, ni l’explosion des subprimes qui le démentiront… Seul le rationnel est réel, disait l’autre, mais quand le réel se borne au rationalisme, il délire dans l’ivresse logique du docteur Folamour ! « Les Grecs n’ont jamais dit que la limite ne pouvait être franchie. Ils ont dit qu’elle existait et que celui-là était frappé sans merci qui osait la dépasser. Rien dans l’histoire d’aujourd’hui ne peut les contredire. »

Les adeptes de la Raison pure, ceux qui veulent transformer le monde faute de le comprendre sont des tyrans dangereux. « L’esprit historique et l’artiste veulent tous deux refaire le monde. Mais l’artiste, par une obligation de sa nature, connaît ses limites que l’esprit historique méconnaît. C’est pourquoi la fin de ce dernier est la tyrannie tandis que la passion du premier est la liberté. » Camus rejoint Nietzsche du côté des artistes, des créateurs de monde – à l’opposé de Marx héritier de Hegel et de sa pesante prophétie de l’Histoire, trop contente d’elle-même. « L’ignorance reconnue, le refus du fanatisme, les bornes du monde et de l’homme, le visage aimé, la beauté enfin, voici le camp où nous rejoindrons les Grecs. »

Camus conclut – prophétique dès 1948 ! : « D’une certaine manière, le sens de l’histoire de demain n’est pas celui qu’on croit. Il est dans la lutte entre la création et l’inquisition. »

Nous avons nous-même trop de respect des êtres pour suivre les inquisiteurs.

Albert Camus, Noces suivi de l’Eté, 1938, Folio €5.41

Albert Camus, Oeuvres complètes tome 3 Pléiade, 2009 

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