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Dead Man de Jim Jarmusch

Un jeune homme qui n’a plus de famille, William Blake (Johnny Depp), part de Cleveland au sud du lac Érié pour aller au bout du chemin de fer de l’Ouest, symbole du rêve américain. Il se rend à la station terminus de Machine, ou une aciérie lui a envoyé une lettre d’embauche comme comptable. Les paysages se font de plus en plus arides, rocheux, morts, et des carcasses d’animaux et des crânes humains parsèment les environs de la voie. Des trappeurs fous tirent même du train sur des bisons qui passent, signe que le convoi quitte toute civilisation. Le train de l’Ouest remonte le temps, de la civilisation industrielle et cultivée à la sauvagerie des coureurs des bois où l’homme est un loup pour l’homme.

Le temps de régler ses affaires et de faire le voyage en train, deux mois ont passé. Ce pourquoi, lorsqu’il se présente, tout le monde s’esclaffe. Il insiste pour voir le patron, Mister Dickinson (Robert Mitchum), mais celui-ci le renvoie, impérieux et hautain. Dès lors, Blake est perdu dans cet Ouest sans règles, où un cow-boy se fait sucer dans la rue, pistolet à la main contre qui y verrait offense. Rejeté par la société normale, le jeune homme fait la connaissance d’une fille facile poussée dans la boue hors du saloon par un nomme éméché. Il la reconduit chez elle et elle couche avec lui. C’est à ce moment que surgit son ancien amant, qui regrette de s’être disputé avec elle et de l’avoir quittée. Elle lui dit qu’au fond elle ne l’a jamais aimé, ce pourquoi il sort un pistolet et tire, blessant William Blake mais surtout tuant la donzelle. Effrayé, réagissant par réflexe devant la mort en face, le jeune homme saisit le pistolet sous l’oreiller et riposte, ratant deux fois sa cible faute d’avoir ses lunettes sur le nez, avant de percer par chance son adversaire en plein cœur. Lui qui n’avait jamais touché une arme, il a tué pour la première fois.

Il s’enfuit très vite par la fenêtre à demi-habillé, vole le cheval pinto du fiancé, et s’enfonce dans le veld. Évanoui, il est réveillé par un Indien solitaire qui tente d’extraire la balle fichée dans son épaule gauche. Il lui apprend qu’il est métis de deux tribus différentes, donc d’aucune, ce pourquoi il s’appelle Personne (Nobody) ou ‘parle fort pour ne rien dire’ (Gary Farmer). Il a été enlevé enfant par des hommes blancs qui lui ont fait traverser l’Atlantique pour l’exhiber en Angleterre et en Europe, où il a eu l’astuce d’imiter les Blancs et de s’instruire. Adulte, il a retraversé la mer pour revenir chez lui. Les deux solitaires lient une certaine amitié, l’Indien initiant le Blanc à la vie sauvage et aux relations brutales de l’Ouest. Il le prend pour le peintre poète anglais pré-romantique qu’il a lu en Europe (1757-1827), citant même un poème : « Certains naissent pour le délice exquis, certains pour la nuit infinie » (Auguries of Innocence).

Pendant ce temps, le vieux Dickinson a mandaté trois tueurs chasseurs de primes pour se venger de celui qui a tué son fils et sa fiancée. Cole Wilson (Lance Henriksen), Conway Twill (Michael Wincott) et Johnny « The Kid » Pickett (Eugene Byrd) ont chacun une réputation redoutable, Cole ayant « baisé et tué ses parents – oui, les deux – avant de les faire cuire et de les manger » (dixit Conway), Conway ayant prouvé son professionnalisme de tueur à gage, tandis que l’adolescent noir Pickett « compte plus de tués à son actif qu’il n’a encore d’années » (dixit Dickinson). Mais les trois paraissent assez peu sûrs au vieux pour qu’il offre en plus une prime publique par affichage ; il veut (wanted) William Blake « dead or alive », mort ou vif. L’humour montre la prime qui augmente à mesure des morts, passant de 500 à 2000 $.

Tous les tués par balles vont dès lors être attribués à William Blake. Le jeune blanc-bec qui n’avait jamais touché un revolver jusqu’à sa rencontre avec Dickinson, a désormais la réputation d’un tueur sans pitié. Le film montre tout son humour noir, caricaturant l’Ouest mythique avec ses chasseurs de primes, ses affiches de recherche, les balles qui partent le plus souvent par accident, ou les gens qui s’entre-tuent en avant même d’avoir Blake au bout de leur fusil. Ce sont deux Marshall qui observent les traces plutôt que d’observer l’homme qui vient vers eux, les trois tueurs professionnels qui se mettent une balle dans la peau professionnellement par derrière, le dernier mangeant l’avant-dernier, selon sa réputation dans l’Ouest, ou trois homos qui veulent se farcir un « Philistin » comme il est soi-disant autorisé dans l’Ancien Testament, dont Iggy Pop déguisé en gouvernante. Il est vrai que la jeunesse imberbe et les longs cheveux de William Blake lui donnent un air féminin qui excite la sexualité des bravaches de l’Ouest réduits aux putes des saloons, lorsqu’ils sont en fonds, ce qui n’arrive pas souvent. Cole, le plus méchant des tueurs pro engagé par le patron de l’aciérie de Machine, va même jusqu’à singer le coït en détachant les syllabes de son nom : dick-in-son, autrement dit en anglais ‘bite en fils’, ou acte pédocriminel. C’est assez cocasse. L’Ouest révèle son lot de tarés, d’hallucinés, de psychopathes, bien loin de l’image d’Épinal qu’Hollywood en a faite.

L’errance se poursuit, comme un voyage sans retour, un chemin vers la mort. Car William Blake, pris pour le poète anglais par l’Indien faux savant qui l’accompagne, est un mort en sursis, a Dead Man. En prenant une autre balle dans l’épaule gauche, par derrière suivant le fameux courage de l’Ouest, il descend son adversaire à 30 m d’un seul coup de Winchester. Il a pris l’habitude. Son ami indien le hissera dans un canot qui descendre la rivière jusqu’au village de la tribu ou une cérémonie lui sera assurée, un enterrement à la viking. Le corps encore vivant mais pour peu de temps sera placé dans un canoë sur des branches de cèdre, poussé vers le large et la fin de toutes choses. Mais pas sans avoir encore tué deux fois sans toucher un fusil, Cole ayant enfin rattrapé les fuyards et tirant dans sa direction, tandis que l’Indien le descend et que lui riposte dans le même temps, ce qui fait deux morts de plus ajoutés à la réputation dans l’ouest du hors-la-loi William Blake.

Les riffs de guitare électrique de Neil Young font beaucoup pour l’atmosphère du film durant l’errance, cette lente élévation des esprits vers l’infini et l’éternité, l’accomplissement du destin de chacun. Un acteur envoûtant, une histoire étrange et l’ironie du sort, font de ce long film (plus de deux heures) un périple dans l’Ouest mythique en noir et blanc.

DVD Dead Man, Jim Jarmusch, 1995, avec Johnny Depp, Gary Farmer, Lance Henriksen, Michael Wincott, Robert Mitchum, BAC films 2008, 2h14, €11,90

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La Maison des damnés de John Hough

Une toile horrifique tirée de La maison des damnés, roman d’horreur de Richard Matheson, traduit en français et édité en poche ; Matheson a été le scénariste du film. Comme nous sommes au début des années soixante-dix, le film reflète l’humeur de son époque : une remise en cause de la science, tout en se méfiant des émotions fantasmatiques.

Un milliardaire convoque un physicien, une médium et le dernier survivant du massacre mystérieux, vingt ans auparavant, dans la maison de l’Enfer (titre anglais). Elle appartenait au très riche, excentrique et pervers Emeric Belasco et il veut savoir si l’au-delà existe vraiment, si les morts sont toujours présents, et ainsi de suite. Vastes questions qui agitent toujours les consciences mais ne trouvent jamais aucune réponse plausible.

Voici donc le docteur Lionel Barett (Clive Revill), scientifique spécialiste en parapsychologie mais cartésien. Il veut des preuves et apporte des machines d’enregistrement et de diffusion d’ondes électromagnétiques. Car il est convaincu que le corps humain est capable d’en émettre et d’en recevoir, tout comme un poste de radio. Tout dépend du psychisme et de sa puissance. Son épouse Ann (Gayle Hunnicutt) décide de l’accompagner malgré lui, car elle veut partager toutes les expériences avec lui.

La demoiselle Florence Tanner (Pamela Franklin) est une jeune médium très sensible mais aussi très décidée. Elle paye de sa personne pour s’ouvrir mentalement (et physiquement) et entrer en communication avec les ondes psychiques. Elle croit aux morts toujours présents par l’esprit et se laisse envahir par eux jusqu’à somatiser ce qu’ils veulent (en général, baiser). Ce qui correspond à ses fantasmes refoulés, étant restée demoiselle.

Enfin l’unique survivant, Benjamin Franklin Fischer (Roddy McDowall), médium lui aussi mais « physique », qui se tient en retrait : il connaît trop bien la maison et ses dangers. Il est surtout celui qui ne s’engage jamais et reste spectateur de la vie.

Nous voici avec quatre personnages en un même lieu maléfique, un manoir sombre envahi de brouillard, pour une semaine seulement, temps imparti pour toucher 100 000 £ chacun du milliardaire. L’électricité a été rétablie mais il faut actionner le générateur de secours pour qu’elle illumine un peu les pièces. Des flambées dans les cheminées sont permanentes, alimentées par on ne sait qui. Car personne n’a l’air d’effectuer une quelconque tâche ménagère, qu’il s’agisse de cuisine ou de mettre des bûches dans le foyer. Tout est réservé à l’intellect et aux sensations.

La science se confronte aux croyances en l’au-delà. Ce sont les habituels phénomènes d’objets en mouvement, mais ici amplifiés par une intention agressive. Des plats volent en direction du sceptique scientifique, des lustres de fer tombent sur les protagonistes qui en réchappent de justesse. Mais surtout, dans la chapelle, lieu incongru de ce manoir hanté, une grande croix où le Christ est comme emballé de toiles d’araignées qui l’enserrent dans un filet diabolique. Elle s’effondrera pour tuer.

Les événements se précipitent, comme si un psychisme puissant les actionnait, repoussant ceux qui viennent exorciser la maison. Le suspense est lié à la Bible et au sexe, blasphèmes et perversions, ces obsessions de la société anglaise chrétienne des années d’après-guerre. Ce sont en fait les faiblesses de chacun que la maison met en lumière : Florence est trop candidement croyante aux forces spiritualistes, Barett trop incrédule et méprisant pour accepter que la méthode scientifique ne soit qu’une méthode et qu’elle ne puisse pas tout, Ann sa femme pleine de désirs refoulés, Fischer d’une prudence qui confine à l’inaction.

Florence la médium est soumise à l’attaque d’un chat noir qui se jette sur elle pour la mordre et la griffer, Emeric Belasco, le père, croit-elle, disparu avec les autres il y a 20 ans mais sans cadavre. Cela se passe sans témoin car on n’a jamais vu un chat se jeter sur un humain sans raison apparente. On doit la croire, même si ce sont probablement ses fantasmes freudiens qui agissent. Elle a aussi des cauchemars sexués, jusqu’à se marquer de griffures sur le dos, sauvagement baisée par l’incube, ce démon mâle qui viole les femmes endormies (qui adorent ça, comme la psychologie l’a montré). Elle sent un jeune homme « un très jeune homme, même », qui la désire et se sent seul, c’est « Daniel » Belasco – un être dont nul n’a jamais fait mention. Mais un jeune cadavre enchaîné est découvert dans une pièce. L’enterrer avec les rites chrétiens, comme le fait la bande des quatre, ne suffit pas à lui ôter tout pouvoir de nuisance, semble-t-il. Comme quoi la religion est impuissante, plus que la science elle-même.

Car Barett se fait livrer une machine à ondes électromagnétiques et parvient à « exorciser » le manoir, les ondes scientifiques chassant les ondes psychiques au-delà. Et ça marche… sauf dans la chapelle, où la puissance mauvaise est toujours là. Évidemment, dans une chambre secrète, les murs sont en plomb, et un cadavre momifié attend, malfaisant.

Tout se termine mal, évidemment. Seuls l’épouse de Barett et le survivant Fischer en sortent vivants. Le scientifique et la médium, un homme et une femme, le rationnel sec et affaibli par la polio étant enfant et l’émotionnelle saisie d’exacerbations érotiques, sont éradiqués. Ils sont morts de leurs défauts.

Un partout entre la science et la croyance. En bref, on ne sait pas…

DVD La Maison des damnés (The Legend of Hell House), John Hough, 1973, avec Pamela Franklin, Roddy McDowall, Clive Revill, Gayle Hunnicutt, Roland Culver, BQHL éditions 2019 (audio anglais ou français), 1h33, Blu-ray €6,98

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Alberto Moravia, La Ciociara

Une ciociara est une paysanne du sud-est de Rome qui doit son nom à ses chaussures : des ciocie, sandales en rectangle retourné sur le pied et attaché au mollet par des lacets. Cesira a 16 ans lorsqu’elle quitte sa campagne pour se marier et vivre avec son mari à Rome, dans le quartier populaire du Transtevere, où il tient une petite boutique d’alimentation. Il est plus âgé qu’elle et, après lui avoir enfourné une fille, va batifoler ailleurs. Mais Cesira est heureuse, ils habitent l’appartement au-dessus de la boutique et elle n’aime rien tant que faire le ménage et la cuisine, briquer et lustrer avant d’aller au marché. Le sexe ne l’intéresse pas et, lorsque sa fille est née, elle aime à s’occuper d’elle tout en tenant les comptes de la boutique.

Mais son mari est vieux et meurt ; le fascisme mussolinien vit ses derniers mois ; les Allemands s’approchent de Rome pour l’occuper près la chute de Mussolini tandis que les Alliés débarquent en Sicile. Il faut quitter la ville où la pénurie alimentaire menace et se réfugier à la campagne, où il y a toujours quelque chose à manger. La fille, Rosetta, a désormais 18 ans et un fiancé parti combattre en Yougoslavie ; elle est belle et saine, douce et croyante. Toutes deux prennent le train vers le sud pour aller dans le village de Cesira, mais elles ne parviennent pas à destination car la voie est coupée par les bombardements. Il faut marcher, les valises sur la tête, ainsi que les femmes portent les charges lourdes à la campagne.

Les petites villes et villages ont été évacués et sont déserts. Les orangeraies masquent les fermes isolées, où il faut trouver refuge avant d’aller plus loin. Cesira et Rosetta s’installent chez une vieille flanquée d’un mari idiot et de deux fils déserteurs, louches et vulgaires. Mais il faut faire avec. Tout va bien tant qu’on a de l’argent et Cesira, prévoyante, a emporté tout ce qu’elle n’a jamais mis dans aucune banque. Mais la ferme est crasseuse, la paillasse dans la grange grouille de punaises, les repas payés se composent d’une soupe de pain. Et surtout, les fils commencent à reluquer la jeune fille. Il faut fuir.

Reprenant leurs valises un tôt matin, les deux femmes se dirigent vers la montagne. Un berger rencontré, après avoir ignoré ces réfugiées, prête l’oreille dès que Cesira lui dit qu’elle peut payer. Il les emmène dans un hameau de montagne, des cabanes construites par les bergers où une partie du village s’est réfugié pour fuir les Allemands et attendre la fin de la guerre. Ils vivent de peu, mais descendent régulièrement acheter farine, haricots, saucisses et saindoux à ceux qui peuvent encore vendre ; les paysans, qui ont rarement vu d’argent, sont fascinés par les billets et commercent volontiers. Cesira achète et fait provision sachant que l’argent se dévalue et qu’il ne se mange pas. La rareté progressive due aux rafles alimentaires des Allemands va faire monter les prix.

La guerre se prolonge et les mois passent ; les réfugiés en sont réduits à manger des herbes de la montagne et à négocier âprement les rares fromages que les bergers produisent. Les gens se replient sur leur maisonnée et c’est le chacun pour soi des périodes de famine. Les deux femmes, qui occupent une masure qui sert la journée au métier à tisser de la fille du propriétaire, se lient d’amitié avec le fils, Michel, un étudiant à lunettes déjà docteur (probablement en droit) et qui n’a pas été mobilisé. Il est naturellement antifasciste et même pro-communiste, mais Cesira, qui sait à peine lire, se moque de la politique. Ce qui lui importe, c’est l’ordre qui permet le petit commerce, tout le reste ne l’intéresse pas.

Les jours passent, des réfugiés aussi qui vont toujours plus vers le sud par les montagnes où les Allemands peinent à s’aventurer. Deux Anglais qui ont saboté des lignes n’ont pu rejoindre leur navire et sont recueillis par les deux femmes une journée, mais elles ne peuvent faire plus, faute de nourriture et par crainte des Allemands. Dont deux spécimens viennent d’ailleurs dès le lendemain, sur dénonciation. Ils ne trouvent évidemment personne mais le risque est grand : ils raflent en général tous les hommes en âge de travailler pour les envoyer en camps de construction pour défendre Rome. Michel y échappe de peu et va se cacher plusieurs semaines dans la montagne, ne revenant qu’à la nuit pour repartir au petit jour. Les deux femmes le suivent, cela brise la routine du hameau de bergers et elles aiment l’entendre discourir.

Il sera cependant pris par sa curiosité, venant voir un groupe d’Allemands qui ont fui les combats qui se rapprochent et les bombardements alliés des canons et des avions. Ils veulent rallier Rome par la montagne et exigent un guide. Ce sera Michel. Son père veut partir à sa place, mais pas question, les Allemands préfèrent la jeunesse. Il les guide mais ne reviendra pas, les nazis sont impitoyables avec les sous-hommes.

Comme la guerre est désormais sur eux et que les obus tombent sur le hameau, tous décident de redescendre dans la plaine où, au moins, « les Anglais » pourront leur assurer des vivres. Telle est la croyance véhiculée par la rumeur. Et en effet, les soldats américains donnent des boites de conserve aux habitants, en plus de caramels et de cigarettes. Mais, une fois partis plus au nord lorsque le front se déplace à mesure du recul allemand, c’est à chacun de se débrouiller.

Les goumiers marocains du général français Juin succèdent aux Américains et les deux femmes, qui cherchent à rejoindre le village des parents, en rencontre une bande alors qu’elles se reposent dans l’église du village. Elles sont immédiatement violées, surtout Rosetta, jeune et fraîche, sur laquelle passe tout le peloton. Ce sont les « maroquinades » d’après la bataille du Monte Cassino, longtemps mises sous le tapis par les gouvernements. Le commandement a, sinon laissé faire, du moins mollement réagi : les Italiens étaient coupables parce que fascistes et alliés proches des nazis ; ils ont payé. Ce sont à Naples les jeunes garçons (raconté par Malaparte), dans les campagnes les jeunes filles (raconté par Moravia).

Une fois déflorée et saccagée, Rosetta ne sera plus jamais la même. Elle devient indifférente, perd la foi (violée sous l’autel et l’image de la Vierge qui n’a rien fait pour la protéger !), et se prend à aimer avidement le sexe. Elle veut reproduire avec tous les hommes jeunes et plusieurs fois par jour ce que les Marocains lui ont fait subir. Cesira, femme mûre, a empoigné les couilles de son violeur qui l’a assommée ; elle n’a donc pas été pénétrée. Elle ne comprend plus sa fille, d’âme virginale devenue putain. Les deux vont entrer à Rome grâce aux relations de Rosetta avec les garçons, d’abord un chauffeur de car, puis ceux de la ferme où elles avaient été accueillies avant la montagne. La jeune fille a des rapports avec chacun d’eux, parfois à plusieurs successivement. Bizarre qu’elle ne tombe pas enceinte.

Le roman se termine par le retour à Rome avec un chauffeur de camion respectueux, qui les a prises avec lui alors que l’un des fils de la ferme, qui conduisait le car, ait été tué par des rançonneurs de la route qui profitaient de l’absence d’ordre pour établir le leur, comme dans toutes les guerres. Le lecteur ne saura pas si l’appartement et la boutique de Rome sont encore debout, après les bombes et les pillages, mais une nouvelle vie commencera.

L’intérêt de ce roman est l’expérience humaine de la guerre vue à ras de terre, avec la mentalité basique d’une paysanne qui a connu la ville. Cesira sait ce qu’est la vie, les dangers, la terre. Elle sait qu’il faut de l’argent, mais qu’il est préférable d’accumuler de quoi manger ; elle sait que les hommes sont avides des femmes et qu’il faut s’en défier et s’en protéger ; elle sait que la famille reste encore le plus refuge, avec la campagne.

Peut-être connaîtrons-nous un prochain jour ce bouleversement de la guerre sur notre sol, malgré le nucléaire, comme nos grands-parents l’ont connu lors de la dernière. Cette façon de voir de Cesira reste donc une leçon éternelle.

Vittorio de Sica en a fait un film, mais en rabaissant l’âge de Rosetta à 13 ans, ce qui était plus vendeur.

Alberto Moravia, La Ciociara, 1957, J’ai lu 1999, 350 pages, occasion €2,82

DVD La ciociara – la paysanne aux pieds nus, Vittorio De Sica, 1960, avec Sophia Loren, Eleonora Brown, Jean-Paul Belmondo, Raf Vallone, Carlo Ninchi, Andrea Checchi, LCJ Editions & Productions 2015, 1h40, €11,90

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Alberto Moravia déjà chroniqué sur ce blog

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Garde à vue de Claude Miller

Les flics à l’ancienne, en province, dans les années Mitterrand. Pas d’ADN ni de téléphonie, ni de caméras de surveillance à l’époque, mais une enquête toute psychologique, un choc entre personnalités. Deux petites filles de 8 ans ont été retrouvées mortes étranglées, violées, jetées dans un fossé ou sur une plage en l’espace d’une semaine. Un notaire, dont la voiture a été retrouvée à proximité de la plage par les gendarmes le soir du second meurtre, est interrogé.

C’est la veille du Nouvel an, la ville de Cherbourg est en effervescence, il fait froid et il pleut. Pas de quoi avoir la trique pour violer, comme le note un inspecteur facétieux. L’inspecteur Antoine Gallien (Lino Ventura), confronte Maître Jérôme Martinaud (Michel Serrault) dans son smoking de sortie, et le met devant ses contradictions. Ce sont de petits détails insignifiants, mais qui dessinent une cohérence policière.

Le notaire a fait son devoir de citoyen et il devient suspect numéro un. Il a prévenu la police pour le premier meurtre : que faisait-il dans ce lieu marécageux plein de ronces ? Comment a-t-il pu reconnaître la fillette de loin dans l’obscurité s’il ne savait pas qui elle était et où il l’avait mise ? A-t-il promené le chien Tango du voisin ce soir-là ? Lui a déclaré que oui, des voisins ont témoigné que non. Est-ce un oubli ou un mensonge ? Le notaire voulait un chien mais sa femme n’en voulait pas, elle préfère les chats, mais lui n’en veut pas, ça fait des saletés. Pas d’enfant non plus, sa femme l’a répudié de son lit. Pourquoi ? Elle aimait la chose avant de se marier mais en est révulsée après. A moins que ce soit lui qui l’ait choquée, mais elle ne l’avoue pas.

Qu’a-t-il fait le soir du second meurtre, si près de la plage où le cadavre a été retrouvé ? Lui déclare qu’il s’est promené dans les dunes vers le phare. A-t-il entendu quelque chose ? Non, rien, sauf le bruit du ressac, rien d’autre. Et la corne de brume, alors ? Il a dissimulé le fait qu’il est allé ce soir-là aux putes après avoir été voir sa sœur. Mais un mensonge rend aussitôt le policier soupçonneux : menteur une fois, menteur toujours !

La nuit s’étire et l’interrogatoire n’avance pas. Martineau s’enferre mais il dit ne pas avoir tué. L’inspecteur-adjoint Belmont (Guy Marchand) tape le procès-verbal (en deux exemplaires avec carbone) et se marre ; il le croit d’évidence coupable et en a marre. A cette époque d’autorité toute-puissante, aucun avocat n’était autorisé durant la garde à vue. L’inspecteur est impulsif et lorsque Gallien doit sortir, appelé pour aller voir l’épouse du notaire qui veut retrouver son mari (ce qui n’est pas permis), Belmont l’impulsif frappe Martineau pour le faire avouer. Le scandale ne sera qu’en interne, rien ne sort publiquement à cette époque des violences policières.

Gallien reçoit Chantal Martineau (Romy Schneider), qui confirme les chambres à part et évoque sa répulsion envers son mari. Un soir de Noël, il a longuement conversé avec sa nièce Camille (la mignonne Elsa Lunghini de 8 ans à l’époque), et est resté avec elle seul dans la pièce aux cadeaux. L’épouse les a surpris très proches l’un de l’autre mais juste en train de parler. Ils se sont tus à son arrivée. Elle déclare que son mari lui disait des choses qui n’étaient pas de son âge, ce qui est très subjectif vu ce qu’elle a pu entendre, et plutôt ignoble, on n’en saura pas plus. Mais elle ajoute une « preuve » : le ticket de caisse du teinturier auquel le notaire a confié l’un de ses deux imperméables le lendemain du second meurtre. Pourquoi ? Etait-il souillé de quelque fluide ?

Cela suffit pour conforter l’orientation de l’enquête. Une intime conviction se forme, même si l’inspecteur Gallien préfère les faits. Or les faits convergent vers le notaire, faute d’autres preuves. Le fil de la réalité est écarté pour la cohérence du scénario. Martineau, lassé, comprend qu’il est pris et enserré dans une toile sociale de on-dits et de ratages familiaux. Sa nièce Camille, qu’il aime comme un père, risque d’être appelée à témoigner à la barre. Sa femme ne l’aime pas, elle ne veut pas divorcer, ils n’ont pas d’enfants ni de chien. Lorsqu’il s’intéresse au chien ou à l’enfant du voisin, c’est pour être aussitôt soupçonné de mauvaises intentions. Sa vie est foutue : pour avoir la paix, il avoue tout ce qu’on voudra. La garde à vue à la française est (était ?) un entonnoir vers l’inculpation directe. Les flics se faisaient un film et y tenaient mordicus, écartant les autres pistes. Tous les témoins, sentant le sens du vent, orientaient leurs déclarations vers l’opinion la plus forte.

Sauf qu’un inévitable coup de théâtre empêchera l’erreur judiciaire. Car le vrai coupable n’a pas d’histoire et ne présente aucune contradiction : il est bête, et transparent.

Aujourd’hui, le suspect serait lynché par les réseaux sociaux avant même de pouvoir s’expliquer. Aimer les enfants fait grimper l’hystérie, même si c’est en tout bien, tout honneur. On ne peut mignoter que les siens, et encore, pas trop en public. On serait dénoncé à moins, la délation étant le sport favori des « bonnes âmes » en France depuis toujours. La raison des faits est trop volontiers ignorée au profit des croyances et des fantasmes – même chez les flics.

En 1981, le public éclairé était plus en faveur des libertés que du soupçon – l’époque a changé, et pas toujours en bien.

Un bon film psychologique, avec une brochette d’acteurs comme on n’en fait plus, posés, cultivés, patients, talentueux. Lino Ventura est très bon en flic à qui on ne la fait pas mais qui ne s’énerve jamais. Romy Schneider joue les trop belles femmes, déçues donc vénéneuses (elle mourra quelques mois plus tard). Michel Serrault le notable voit s’écrouler toute respectabilité en même temps que les apparences de son couple. Il croit que sa femme l’attend au sortir de sa garde à vue, parce qu’elle est garée devant le commissariat et au volant, mais…

DVD Garde à vue, Claude Miller, 1981, avec Lino Ventura, Michel Serrault, Romy Schneider, Guy Marchand, Michel Such, TF1 studio 2017, 1h21, €9,36

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Aftermath d’Elliot Lester

Ce film intimiste et dépouillé recycle Arnold Schwarznegger comme on ne l’imaginait pas : en vieux papa brisé par un accident d’avion où sa femme, sa fille et le bébé à naître ont péri. Le scénario reprend la tragédie de la zone d’Überlingen en Allemagne arrivée réellement en Juillet 2002, où une erreur du contrôle aérien a fait entrer en collision deux avions, un de ligne et un cargo. Le film transpose les faits aux États-Unis et fait se crasher deux avions de ligne avec 271 victimes.

Roman Melnyk (Arnold Schwarzenegger) est un contremaître en bâtiment qui part attendre l’arrivée de sa femme Olena et de sa fille enceinte Nadiya par le vol AX112 en provenance de New York. A l’aéroport, le vol est « délayé » et, lorsqu’il se renseigne, on le conduit à part dans une salle vide, où on lui apprend que l’avion s’est crashé et qu’il n’y a aucun survivant. Son petit bouquet de fleurs à la main, Roman est anéanti. La guirlande souhaitant la bienvenue pour Noël dans sa maison l’avait averti : elle s’était détachée et pendait à terre.

Le vieux mari et père mettra des mois à se remettre, envisageant le suicide du haut du bâtiment en construction qu’il entreprend. Il cherche surtout à comprendre, à trouver un coupable. Ni la compagnie aérienne, avec ses avocats, ne lui présentent d’excuses publiques, personne ne regarde sa famille. Les gens ne sont que des numéros de dossier, pas des personnes. Les bâches sous lesquelles sont les cadavres récupérés au sol le montrent. Alors que Roman s’est engagé comme sauveteur volontaire pour retrouver sa fille morte ; il a tenu son corps sans vie dans ses bras, c’était une personne, pas un numéro. L’argent est censé compenser la perte affective, mais c’est dérisoire. Roman se promène avec la photo de sa femme et de sa fille, mais nul ne les regarde, c’est cela qui lui fait le plus mal. Il veut que chacun reconnaisse sa responsabilité et avoue, présentant ses excuses. Mais ce n’est plus la norme dans la société bureaucratique d’aujourd’hui.

Au fond, dans cette catastrophe que personne n’a voulue, chacun cherche à se défausser : c’est pas moi, c’est l’autre ; je n’ai commis aucune erreur, c’était un accident ; je ne suis pas coupable, c’est le système. Le contrôleur aérien était seul dans sa tour, en soirée. Son acolyte était parti « manger » et deux techniciens sont venus permuter le téléphone (donc le couper provisoirement) en pleine activité de la tour de contrôle. Jonglant entre le fameux téléphone pas réactivé et ses écouteurs de contrôle sur deux postes, Jacob Bonanos (Scoot McNairy) n’a rien vu de la collision proche. Ce n’est pas de sa faute mais c’est de sa faute. Juif, il se sent coupable des vies perdues, ses voisins ne lui font sentir en taguant sa maison de sigles « assassins, meurtrier » ; employé, il est recyclé dans une autre ville sous une autre identité avec un autre travail, après une confortable indemnité. Façon de dire que la compagnie reconnaît ses manquements et son peu de rigueur, et les masque sous la banalité du destin.

Outre les vies fauchées dans le crash aérien, ce sont deux couples qui sont aussi brisés par cette catastrophe. Aftermath est en anglais une seconde coupe, une séquelle. Roman n’a plus de famille, lui qui était venu d’Europe centrale avec le rêve américain en tête ; Jacob voit son couple exploser parce qu’il devient irritable et obstiné, servant des œufs pas cuits à son fils Samuel que pourtant il adore, et ne comprenant pas pourquoi son épouse veut les faire recuire – comme s’il était incompétent, comme dans son travail de contrôleur aérien.

Un an plus tard, tout serait-il apaisé ? Non pas, Roman cherche à retrouver Jacob et use pour cela d’une journaliste qui s’asseoit sur la déontologie en lui donnant le nouveau nom et la nouvelle adresse de l’ex-contrôleur. Un cancer que cette presse qui veut tout savoir sur tout et exige la vérité de chacun, au risque du pire. Car c’est bien le pire qui survient. Si l’hypocrisie et la poussière sous le tapis de la compagnie aérienne doit être dénoncé, la vérité sur le bouc émissaire commode aussi. Ni le mensonge, ni la vérité ne sont absolus – mais relatifs aux circonstances, aux nuances, à l’humain. Les médias comme les compagnies aériennes ne le veulent pas. Pas plus Jacob que la compagnie ne veut penser à lui, Roman, à sa famille et aux victimes. Lorsque Roman vient sonner à la porte de son appartement, après avoir hésité (il est déjà venu une fois et est parti sans attendre), Jacob se contente de crier que c’était un accident, refusant de voir la réalité en face : la photo de la femme et de la fille – enceinte. C’en est trop pour Roman, vous le découvrirez dans le film.

Dix ans plus tard le fils de Jacob, Samuel (Lewis Pullman), est jeune adulte. Il retrouve Roman mais n’applique pas la loi du talion, qui est celle de sa religion. Il laisse aller Roman avec sa peine et avec la séquelle de son acte qui lui a valu la prison. Il lui donne une leçon : la vengeance ne sert à rien, qu’à perpétrer le crime. Roman aurait dû agir comme lui au lieu de s’enfermer dans sa douleur.

Tout le film se passe en hiver ou dans des atmosphères froides, grises, anonymes, comme une tristesse sur le monde. L’aéroport est banal, la maison de Roman conventionnelle, le nouvel appartement de Jacob sans âme. La musique même de Mark Todd insiste de façon lancinante. Tout le début est en rodage, comme un moteur grippé par l’ampleur de la catastrophe. Ce n’est que lorsque les deux personnages sont présentés alternativement, Roman et Jacob, que l’histoire peut commencer.

Au total un petit film avec le grand Schwarzy, endormi dans l’intimisme et qui se révèle bon acteur.

DVD Aftermath, Elliot Lester, 2017, avec Arnold Schwarzenegger, Maggie Grace, Scoot McNairy, Kevin Zegers, Hannah Ware, Metropolitan Films et Video 2017, 1h31, €8,99 Blu-ray €14,99

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Serpico de Sydnet Lumet

L’inspecteur Franck Serpico, dit Paco (Al Pacino), se prend une balle. Ainsi commence le film qui relate les 11 ans de lutte du détective au NYPD pour dénoncer la corruption généralisée dans la police. Onze ans de galères de mutations en mutations, de regards noirs de ses collègues qui touchent, des supérieurs qui éludent et le baladent. Surtout un certain capitaine McClain (Biff McGuire) épris de « Dieu » qui fait du militantisme catholique éthéré mais ne fait rien pour la morale concrète de la vie réelle.

Le film est issu du livre Serpicode Peter Maas qui raconte l’histoire réelle du policier Frank Serpico. Lequel est joué par al jeune Pacino de 32 ans. Le flic tout fier de sa mission devient vite rebelle devant le je-m’en-foutisme des commissariats et la distance de policiers imbus d’eux-mêmes. De toute façon, ils sont payés à la fin du mois, pourquoi en faire trop ? S’entendre avec les malfrats est lucratif et permet la bonne entente, pourquoi changer le système ?

Aux États-Unis règne la concurrence et le chacun pour soi. Chacun est son propre patron et « les ordres » sont exécutés selon sa version personnelle. L’individualisme croissant, qui a explosé avec le Watergate et la guerre du Vietnam, ont incité la jeunesse à contester le système – et surtout à en profiter. La morale, qui est collective, est délaissée au profit du profit.

Serpico veut bien faire son boulot : sauver les putes noires des viols collectifs sans paiement (donc les flics blancs se foutent), arrêter les voleurs sans leur tirer dessus quand ils sont noirs (ce que font les flics blancs), faire respecter la loi sur l’interdiction des paris clandestins (dont les flics blancs profitent par des enveloppes hebdomadaires), et ainsi de suite. Contre cette corruption, il ne peut pas faire grand-chose, sinon alerter. Ce qui le fait mal voir. Mais comme il tient à ce que l’affaire soit réglée au sein de la police, on le tolère, on le balade. Surtout qu’il est efficace en se fondant dans la population par son habillement. Il est en effet très « années 70 » en chemise flottante à demi ouverte, une suite de chaînes au cou, les cheveux longs et un bob (ridicule) sur le chef.

Malgré l’amitié de Bob Blair (Tony Roberts), un policier dans l’entourage du maire, onze ans se passent et toujours rien ! Serpico décide de frapper un grand coup en alertant la presse, le fameux New York Times, quotidien des intellos, très lu à l’époque. Son capitaine, qui le soutient, veut bien témoigner anonymement pour que le journaliste enquête. Car toute la police n’est pas pourrie mais la pression collective fait qu’on laisse faire. Révéler au public fera réfléchir et changer les choses.

C’est en effet ce qui arrive. Franck Serpico témoigne devant la commission Knapp, nommée sur le sujet en avril 1970 par le maire de New York John Lindsay. Mais ses collègues des Stups ne lui pardonnent pas. Lors d’une descente en 1971, il est laissé seul en avant par les autres, qui n’interviennent pas. Il se prend une balle dans le visage et ses collègues le laissent crever. Heureusement qu’un témoin prévient les secours ! Serpico s’en sort parce que la balle était de petit calibre mais il est écœuré, et encore plus lorsque un supérieur, Sydney Green (John Randolph), vient lui remettre la médaille d’or des inspecteurs. Il est récompensé hypocritement par le système dont il a dénoncé la pourriture au cœur. Il quittera la police pour s’exiler en Europe et vivre de sa pension d’invalidité. Jusqu’en 1980 où il rentrera aux USA et vivra reclus dans un chalet isolé.

Le film efficace bien que souvent bavard de Sydney Lumet est un réquisitoire contre la mafia en uniforme. Il dénonce la mise au banc de l’intégrité morale par un système clos sur lui-même et gangrené de politique. Si le directeur de la Police invite les nouvelles recrues à avoir foi en la loi, la réalité est tout autre. Il s’agit de « ne pas se mettre à dos » la police face aux émeutes potentielles dit au début le maire qui refuse de faire quelque chose. Il faut que le scandale arrive pour qu’il se sente obligé, devant ses électeurs, de bouger. Le flic hippie aura, comme ceux de Woodstock, changé la société – tout en devenant lui-même à moitié fou : intolérant, paranoïaque, impossible avec ses proches. Al Pacino fait tout le film.

Le psycho-rigide idéaliste parvenu à ses fins – mais au prix des relations humaines. « A Rome, fait comme les Romains », dit l’adage. La Morale absolue contre celle de tous les jours, l’Idéal abstrait contre la réalité sociale : que faut-il choisir ? Le monde est-il parfait ?

Il faut craindre les Purs.

DVD Serpico, Sydnet Lumet,1973, avec Al Pacino, John Randolph, Jack Kehoe, Biff McGuire, Barbara Eda-Young, StudioCanal 2021, 2h05, €12,98

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Poltergeist de Tobe Hopper

Un film d’époque, dans les 100 Thrills américains, qui reprend les fantasmes de Steven Spielberg, son scénariste et producteur. Occupé par le tournage d’E .T., il a laissé à Tobe, le massacreur à la tronçonneuse, le soin de la réalisation.

Comme toujours, prenez une famille moyenne américaine, trois enfants, habitant une banlieue pavillonnaire en Californie, un père agent immobilier qui fait bien son travail, réussit et lit une biographie de Reagan le nouveau président républicain, en bref Monsieur et Madame Tout-le-monde avec enfants et chien. Ajoutez quelques épices, des incidents inexpliqués comme cette télévision allumée après la fin des programmes qui scintille et dans laquelle la benjamine de 5 ans entend des voix, ou ces chaises qui bougent toutes seules. Agitez bien en faisant monter la mayonnaise dramatique des événements – puis faites exploser en apothéose, en livrant une explication sinon rationnelle, du moins crédible. Et vous avez un thriller à grand succès à sa sortie (123 millions de dollars), qui fera des petits (Poltergeist 2, Poltergeist 3, novelisation – et même une série). Spielberg sait y faire.

Fatigué, Steven (Craig T Nelson) s’endort devant la sempiternelle télé américaine, dont il regarde les émissions jusqu’à la fin sans vraiment les voir, juste en bruit de fond. Sa fille cadette Carol-Anne (Heather O’Rourke) se réveille et descend l’escalier ; elle s’assoit devant la neige qui a envahi l’écran après l’hymne américain qui clôt les programmes. Elle voit des choses, entend des voix ; c’est une enfant, elle perçoit ce que les adultes ne perçoivent plus.

La nuit suivante, un orage gronde et éclate, les petits ont peur, ils se réfugient dans le grand lit des parents. Une fois de plus, la télé se termine et émet de la neige. Carol-Anne se remet devant l’écran et une apparition surgit, nuée fantomatique qui envahit la chambre ; toute la maison se met à trembler comme sous séisme. Et la petite fille déclare : « ils sont ici » (They’re Here – titre du film en américain). C’est qu’une tornade est passée sur la maison, laissant planer un doute.

Le lendemain, grand soleil, mais au petit-déjeuner, le verre du garçon de 9 ans Robbie (Oliver Robins) se brise plein, inondant sa grande sœur de 16 ans Dana (Dominique Dunne)  ; ce n’est pas de sa faute. De même, ses couverts sont tordus. C’est le chien qui fait le beau devant personne, comme si un être se tenait au-dessus de lui. Puis ce sont des chaises qui se déplacent, la table qui est desservie sans intervention de quiconque, les chaises qui s’empilent alors que la maîtresse de maison Diane (JoBeth Williams) exige qu’elles soient toujours rangées à leur place contre la table ronde.

La nuit est pire, les phobies de chacun se révèlent. Le vieil arbre taillé et tordu du jardin fait peur à Robbie, mignon années 1980 avec ses cheveux en casque et ses dents de lapin, mais son père minimise : il a toujours été là. Au lieu de tirer les rideaux ou de baisser les stores, il laisse la vitre directement sur la nuit américaine, selon la manie de ne jamais fermer les volets du style ‘on a rien à cacher’. L’arbre tend soudain ses branches au travers de la vitre et emporte le gamin terrorisé en pyjama. C’est le père qui va le sauver, grimpant au-dehors par le tronc, les deux chuteront dans la piscine en train d’être creusée et ressortiront couverts de boue (autre fantasme quasi sexuel de Spielberg). Pendant ce temps, Carol-Anne est aspirée dans le placard à jouets de la chambre d’enfant par une force maléfique ; sa mère ne la surveille même pas, croyant « la chambre » un sanctuaire de sécurité (autre fantasme américain, au point de créer désormais la « pièce sécurisée » de la maison dans ladite chambre).

La piscine, justement. On sait les maisons américains bâties de préfabriqué en cloisons comme du papier à cigarette sur une charpente de bois sans aucune fondation. Or la piscine doit être creusée, entamer la terre. Un lieu qu’occupait jadis un ancien cimetière et que le promoteur a eu pour presque rien pour cette raison. Il a dès lors engagé des vendeurs pour ses pavillons, et Steven est le meilleur d’entre eux, responsable de 42 % des ventes. Sa maison est la première construite et lui a été confiée pour habiter. Le sacrilège – mais il ne le savait pas – est de creuser pour déterrer les morts car son patron (James Karen) n’avait pas fait « déplacer le cimetière » mais seulement les pierres tombales.

Morts dérangés qui se vengent via la petite fille blonde craquante (un vrai rêve WASP américain – qui mourra à 12 ans de septicémie par la carence du système de santé américain). Elle représente pour eux la vitalité qu’ils ont perdue, selon une médium engagée pour « assainir » la maison. Car les parents s’empressent d’aller consulter des parapsychologues de l’université de Californie, les docteurs Lesh, Ryan et Marty, après s’être enquis auprès de leurs voisins s’ils avaient eux aussi connu des événements anormaux chez eux. Ils sont les seuls, et les savants apportent une débauche de matériel d’enregistrement pour étudier le phénomène. Spielberg s’en moque un peu, celui qui photographie à la va-vite (Martin Casella) a oublié de retirer le bouchons de l’objectif, celui chargé de surveiller les écrans (Richard Lawson) ne voit rien, n’entend rien, ne sait rien, lisant un magazine tout en ayant des écouteurs sur les oreilles.

Dana l’ado va chez son petit copain, Robbie le gamin est envoyé chez ses grands-parents. Les parents restent, persuadés que Carol-Anne est encore là ; ils l’entendent parfois lorsqu’elle est appelée, mais elle ne peut revenir. La médium Tangina (Zelda Rubinstein) est alors convoquée, une naine au chignon qui parle d’une voix de petite fille mais s’avère efficace. Elle met en place tout un processus avec balles écrites et corde, pour récupérer Carol-Anne, prisonnière des âmes perdues qui ne « sont pas entrées dans la lumière ». L’entrée vers l’autre dimension est dans le placard de la chambre des enfants où Carol-Ann a disparu, et la sortie au travers du plafond de la salle de séjour… Après bien des cris et des extrêmes émotionnels, Diane revient avec sa fille Carol-Anne, toutes deux engluées de matières organiques comme si elles sortaient d’un ventre maternel. Signe de leur renaissance.

Tout va bien, la maison est désormais « assainie », les âmes perdues ont trouvé le chemin. Mais la famille veut déménager, le père ne supporte pas les mensonges de son patron sur l’origine du terrain, ce qui l’a obligé lui-même à omettre ces faits aux clients à qui il a vendu les pavillons. Sauf que… le film n’est pas fini.

La dernière soirée avant le départ, le camion des effets personnels et des principaux meubles étant déjà parti, tout recommence. Steven va régler les derniers détails de son départ au bureau, Dana l’ado va dire adieu à son petit copain, Diane, Robbie et Carol-Anne restent seuls dans la maison. Diane couche les enfants, prend un bain, se délasse en sécurité. Croit-elle.

C’est alors l’apothéose. Ce ne sont plus les âmes perdues mais carrément la « Bête » qui entourloupe Diane en la faisant grimper au plafond (métaphore sexuelle) et tente d’enlever Robbie à l’aide du clown qui est sur la chaise en face du lit. Spielberg a toujours eu peur des clowns. Moi-même je ne les aime pas. Leur sourire idiot et leur maquillage forcé au nez rouge m’ont toujours parus tristes, leurs rires grinçants et menaçants, comme s’ils voulaient se venger des autres par leur ressentiment déguisé en blagues. Robbie en a une peur bleue, il voile la face de clown chaque soir avant de s’endormir. Mais celui-ci lui saute dessus, tente de l’étrangler avec ses bras souples de poupée (il a failli en vrai, les fils de marionnette étant mal réglés!). Le gamin, robuste, se défend en pyjama rouge à col ouvert comme une tenue de judo ; il maîtrise le gnome et le jette dans le placard. Lequel tente alors d’aspirer les enfants dans « l’autre » dimension. Diane les sauve en parvenant à prendre la main de son fils tandis que lui tient la main de sa sœur (fantasme de fraternité familiale typiquement américain).

Ils fuient la maison hantée mais Diane chute dans la boue de la piscine, où les cercueils remontent à la surface, crèvent la terre, libèrent leurs cadavres décomposés et grimaçants (de vrais squelettes humains, non crédités). Steven vient tout juste de revenir et tous se précipitent dans la voiture, en happant Dana au passage, que son petit copain motorisé vient de ramener. Plus une minute dans cette maison ! Laquelle d’ailleurs implose et se replie comme un château de cartes, emportée dans la nuit – la seule du lotissement – sous les yeux des voisins suspicieux.

Dans le motel où ils couchent durant le trajet vers leur nouvelle vie, Steven évacue le perpétuel téléviseur de la chambre sur le balcon…

Sous couvert de conte horrifique, le duo Spielberg/Hopper fait une satire de l’american way of life des années contentes d’elles-mêmes : la famille en banlieue, les enfants tous beaux et bien faits, le père qui travaille au mieux, le patron toujours véreux, les maisons en préfab, les frayeurs nocturnes des enfants en-dessous de 12 ans, la télé par laquelle le mal s’insinue dans la famille. Du grand art.

DVD Poltergeist (They’re Here !), Tobe Hopper, 1982, avec JoBeth Williams, Craig T. Nelson, Beatrice Straight, Dominique Dunne, Oliver Robins, Warner Home Video 2007, doublé français ou sous-titres, 1h54, €14,81, Blu-ray Universal Pictures €14,27

DVD Poltergeist 1, 2 et 3, Warner Bros 2020, anglais sous-titré français, 4h50, €19,95 Blu-ray €25,87

Pour les Poltergeist 2 et 3 doublés en français, voir les liens en début de texte.

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Brainstorm de Douglas Trumbull

Enregistrer les émotions, les partager, léguer une bande intégrale des âmes mortes… tel est le propos ambitieux de ce film de science-fiction du tout début des années 1980, époque où la science apparaissait comme un espoir et comme un danger. Espoir pour approfondir l’humain en l’homme, danger parce qu’elle tentait diablement les militaires.

Lilian Reynolds (Louise Fletcher) est une femme chercheuse toujours la clope au bec – manie de ces années-là. Elle décédera d’une crise cardiaque, emportée par son projet, en léguant à son chercheur associé Mike Brace (l’étrange Christopher Walken) l’enregistrement de sa mort effectué in extremis alors qu’elle est à l’agonie. Mais la Science exige le sacrifice ultime. Tous deux ont expérimenté un casque qui absorbe et restitue les sensations d’un corps et d’un cerveau. On peut ainsi lire dans l’âme humaine, bien mieux que les psy, ou piloter à distance un aéronef. Mais aussi, ce qui est plus dangereux, se repasser en boucle un orgasme jusqu’à épuisement ou diffuser à ses proches des traumatismes enfouis. Car la science reste un outil, elle est comme la langue d’Esope la meilleure ET la pire des choses – à la fois, selon son usage.

C’est ainsi que le couple de Mike et de Karen (Natalie Wood), lassé d’une douzaine d’années de mariage, peut se ressourcer lorsque Mike revit les émotions enfouies toujours intactes de son amour premier. Le gamin issu du couple, Chris (Jason Lively), un ado de 12 ans toujours en slip et curieux de ce que fait son père, n’est qu’un accessoire, « innocent » selon l’imagerie d’Hollywood. Le chercheur s’occupe peu de lui et le rattrape in extremis lorsqu’il coiffe le casque aux émotions et qu’il en reçoit un choc psychotique qui le mènera à l’hôpital.

Le film est assez peu explicite sur les recherches et sur ses buts, préférant les effets spéciaux, ce qui le rend touffu. La romance du couple compense l’obsession de la chercheuse tandis que les dangers sont démontrés par plusieurs expériences de choc émotionnel. Mais l’humanisme prévaut. Mike, après le décès au travail de sa chef et partenaire Lilian, va visionner en entier sa bande et pénétrer son âme morte. Même si les captations sont espionnées par les militaires qui cherchent à faire de cette découverte une arme pour laver le cerveau ou piloter de futurs drones plutôt qu’un soin psychique, Mike monte tout un scénario pour déjouer les codes auxquels il n’a plus accès, la surveillance de son chef de centre qui l’a viré et a mis sous coffre la bande.

C’est là que l’ironie apparaît, dans le centre de recherche où les robots affolés par les instructions pirates de Mike déglinguent leur atelier, menacent les gardiens comme des bandits humains, protègent la bande qui tourne alors que Mike la pirate. Car la Science peut tout, y compris contrer ceux qui s’insurgent contre elle ou veulent la faire servir à de mauvais desseins.

Au total, un film assez bizarre aujourd’hui, aux effets spéciaux vieillis, mais qui incite comme toujours à la réflexion. Natalie Wood s’est noyée inexplicablement durant le tournage, sans rapport apparent avec le film, mais cela a contribué à son aura sulfureuse.

Grand prix du Festival international du film fantastique d’Avoriaz 1984 pour le réalisateur.

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DVD Brainstorm, Douglas Trumbull, 1983, avec Christopher Walken, Natalie Wood, Louise Fletcher, Warner archives 2016, €29,20 Blu-Ray €29,20

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Robert Daley, L’année du dragon

L’année du dragon, nous y sommes, c’est cette année ; la cinquième année d’un cycle qui revient tous les douze ans. L’auteur situe son roman policier en 1980, dans une New York confrontée à l’effervescence des communautés chinoises qui se développent. Un courant continu de très jeunes arrive clandestinement depuis Hong Kong, important les habitudes frustres de brutalité et de solidarité de clan. Les vieilles Triades (qui sont des mafias) avaient investi le jeu et sont poussées, par cette immigration avide, à se mettre à la drogue.

Chinatown connaît ses fusillades pour faire perdre la face et imposer le nouveau pouvoir. La police reste inerte, bien contente de laisser aux Triades le soin de réguler la communauté. Ne croyez pas que c’est de l’histoire ancienne ! Ce qui se passe dans nos cités françaises est exactement du même type : les mafias maghrébines trafiquantes font leur police et le pouvoir politique local est bien content de voir l’ordre assuré, en fermant les yeux volontairement sur les trafics. La route nationale du RN qui paraît si dégagée sur ces questions changera-t-il les choses ? Trop d’intérêts en jeu, je n’y crois pas une seconde.

A New York, un capitaine de police ne l’entend pas de cette oreille. Il est entré dans les forces de l’ordre pour le faire régner, et a pour croyance (sans doute naïve) que tous les Américains, quelle que soit leur origine, doivent bénéficier du même traitement par la loi. Pas question donc de tolérer l’embrigadement de gamins de 15 ans dans les clans de tueurs, recrutés dès la sortie de l’école où ils sont bizutés pour n’être pas de « vrais » Américains parlant l’anglais comme les autres. Pas question non plus de tolérer les règlements de compte entre bandes ou contre les commerçants.

C’est une fusillade perpétrée dans un grand restaurant chinois, par deux jeunes de 17 et 18 ans venus de Hong Kong, celui du « maire » de Chinatown Mr Ting, dans lequel dîne le capitaine Powers avec la journaliste de télévision Cone, qui va ancrer sa détermination. Il se fait nommer commissaire provisoire du district et met sous surveillance le nouveau parrain et « maire » Koy, qui prend un maximum de précautions. En effet, Koy a été policier à Hong Kong, ville alors très corrompue, et est parti avec plusieurs millions de dollars s’installer aux États-Unis où il a eu la patience d’attendre la durée nécessaire pour devenir citoyen sans faire parler de lui. Il s’y est marié une nouvelle fois, a eu deux enfants en plus du fils laissé à Hong Kong avec sa mère Orchid, de laquelle il n’est pas divorcé. Désormais, il veut lancer ses affaires en grand et, pour cela, importer de l’héroïne directement depuis le Triangle d’or thaïlandais où les « seigneurs de la guerre », anciens du Kuomintang refoulés par Mao, s’adonnent à la production d’opium base sur leur territoire.

Koy est sans scrupule moral, il ne voit que ses intérêts et use du « deal », comme le bouffon dangereux Trump, pour régler toutes ses affaires. Sauf que la « face », si importante pour un Chinois, risque de lui être retirée par le petit capitaine armé de sa seule détermination. Powers enquête, obstiné, se rend à Hong Kong où il manque de perdre la vie, pour acquérir des informations supplémentaires, met en jeu sa carrière face à des supérieurs sceptiques et jaloux. Contrairement aux grévistes vantards, lui « ne lâche rien ».

L’auteur, qui écrit très bien, a été commissaire délégué de la ville de New York en 1971 et 1972, et sait de quoi il parle. Il est aussi très sensible à la psychologie des gamins de 15 ans, tout comme à celle des bureaucrates de la police. Il entrelace ses actions d’une romance entre la journaliste Cone de 42 ans, qui passe chaque jour plus d’une heure à se refaire la façade et s’empresse de séduire tous ceux qui peuvent lui apporter un quelconque scoop, et le capitaine Powers de 46 ans, toujours amoureux de sa femme après 25 ans de mariage et de ses deux fils à l’université, mais qui se laisse enflammer pour la belle femelle médiatique.

L’intrigue est plutôt bien menée, dans une langue littéraire fort agréable et rare dans le roman policier américain. Le roman est puissant et rempli de passion : l’attirance sexuelle, mais aussi la ferveur de la quête, le culte de la vérité, la vénération de la morale.

En 1985, Michael Cimino en tirera un film plus caricatural sous le même titre, L’année du dragon, chroniqué sur ce blog.

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Robert Daley, L’année du dragon (Year of the Dragon), 1981, Livre de poche 1984, 543 pages, occasion €4,48

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Guêpier pour trois abeilles de Joseph Mankiewicz

Un riche Américain exilé en Suisse durant la dernière guerre, puis dans un palais à Venise, s’inspire d’une intrigue de théâtre de Ben Jonson, écrite en 1606 pour monter un canular. Il invite les trois anciennes femmes de sa vie à venir le rencontrer, assurant qu’il est mourant et qu’il va désigner l’une d’elles comme seule héritière. Cecil Sheridan Fox (Rex Harrison) est le Volpone de Ben Jonson – le Renard ; il engage un régisseur-secrétaire au nom prédestiné de Mosca, McFly (Cliff Robertson) – la Mouche -, jeune homme qui a fait du droit mais n’a pas obtenu sa licence à cause du droit commercial.

Tout est mis en place pour que monte le suspense. Le pot de miel de la fortune supposée attire les trois belles un brin décaties par la vie, ou désireuses de prendre leur revanche : Mrs Sheridan (Susan Hayward), Merle McGill (Edie Adams) et la princesse Dominique (Germaine Lefebvre dite Capucine). La première a pour nom initial Texas Crockett – tout un programme ! Fox lui a pris la distillerie de bourbon de son père, qu’il a rebaptisée à son nom. Elle assure qu’elle a des droits premiers puisque reconnue en concubinage notoire par l’État américain où ils vivaient, un vrai lien juridique proche du mariage. Elle est accompagnée de son infirmière personnelle Sarah Watkins (Maggie Smith la professeur Minerva de Harry Potter, ici jeune) qui veille surtout à ce qu’elle ne prenne pas trop de somnifères. La seconde est une actrice inculte et vulgaire qui croit que le fils du pape Borgia a donné une pendule à Fox, lequel l’a dans sa jeunesse reformatée et recoiffée avant de la confier aux producteurs. Mais son talent décline et elle commence à racler ses fonds de tiroirs. La troisième est une princesse française, belle et froide, à la fortune délabrée ; elle aimerait bien se refaire sur son ancien amour.

Les acteurs sont en place, le décor est mis, le rideau se lève.

Les trois hypocrites sont reçues une à une par le grand malade qui s’amuse. Chacune lui apporte un cadeau, tous en rapport avec le temps : un sablier de poudre d’or pour la princesse, une pendule kitsch pour Sheridan, une pendule moderne à fuseaux horaires pour l’actrice. Chacun révèle ainsi son caractère. Mais Mrs Sheridan, qui se sent des droits de quasi-épouse pour régenter l’impotent, convoque un vaporetto ambulance pour emporter le malade à l’hôpital ; la sirène, semblable à celle des flics de Los Angeles, fait flipper Merle, en souvenir de son existence hasardeuse. Le régisseur a fort à faire pour inventer in extremis un prétexte juridique pour empêcher le transport et tout faire échouer.

Dans la nuit, alors que McFly drague Sarah un peu amoureuse de lui dans un café de Venise, Mrs Sheridan meurt. Son flacon de somnifères vide est à côté de son lit. L’infirmière sait que ces somnifères ne sont que des placebos et que les véritables sont sous clé dans sa mallette, mais sa maîtresse est bel et bien morte. Qui l’a fait ? Elle appelle la police et l’inspecteur Rizzi (Adolfo Celi) mène l’enquête. Il voit bien ce qu’a de trouble toute l’histoire mais ne peut mettre la main sur le vrai coupable. Les deux ex-maîtresses restantes tentent de se fournir un alibi réciproque, tout en s’accusant de mentir. McFly joue un jeu étrange en arpentant le palais un carnet à la main et en gardant des pièces de 1 $ neuves qui ne sont plus dans le sac de Mrs Sheridan.

C’est encore une fois l’infirmière – le grain de sable – qui va enclencher le mécanisme de la fin. Mais impossible d’en dire plus, le film ne se termine pas comme la pièce de Ben Jonson. Tout est leurre, apparences et manipulations. Tout est trompe-l’œil, même les décors où un faux mur peint cache des volets sur la rue ou un monte-plats. Un vrai théâtre pour un reclus lassé de ses contemporains. Personne ne contrôle personne, au fond, et le destin s’accomplit malgré soi.

Le film n’a inspiré à sa sortie qu’une indifférence polie, déjà daté à la veille de l’explosion hormonale de 1968. Il est depuis devenu culte, comme souvent, une fois la crise d’époque passée. Ses qualités de mise en scène et de scénario digne d’un roman policier se révèlent, à la fin surtout, qui va de rebondissement en rebondissement.

DVD Guêpier pour trois abeilles (The Honey Pot), Joseph Mankiewicz, 1967, avec Rex Harrison, Susan Hayward, Cliff Robertson, Capucine, Edie Adams, BQHL éditions 2021, audio anglais ou français, 2h06, €12,00 Blu-ray €19,99

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Au cœur de la nuit

Cinq récits fantastiques du film noir anglais d’après-guerre, sur des nouvelles d’H.G. Wells, E.F. Benson, John V. Baines et Angus McPhail. Ils se raccrochent à un sixième récit central qui boucle sur lui-même, l’aventure d’un architecte (Mervyn Johns) convoqué par un ami d’ami (Roland Culver) pour conseiller des travaux d’agrandissement dans un cottage à la campagne.

L’architecte de rend dans sa petite voiture sport au lieu-dit, rencontre l’ami d’ami et ses amis dans un salon où une flambée donne de la chaleur, tout autant que les clopes que chacun se passe à peu près toutes les dix minutes, avant un verre de whisky renouvelé dès qu’il est vide. On n’avait aucun soin de sa santé dans les années quarante… Mais ce n’est pas le propos. L’architecte est « sidéré », terme à la mode désormais de qui n’a jamais rien vu et se trouve stupéfait, engourdi d’intelligence (s’il en avait) et de sensibilité. Il convient ici car tout est comme dans son rêve récurrent, un cauchemar où il reconnaît chaque détail de la maison, chaque personne, chaque événement qui survient. Il prédit la venue d’une femme brune qui n’a jamais le sou, les lunettes cassées du psy de service, l’horreur qui va survenir s’il reste. On le convainc de rester…

Mais son récit engendre aussitôt des Mee too ! de rigueur ! Nul ne veut être en reste et le psy (Frederick Valk) a fort à faire pour tenter d’expliquer rationnellement l’improbable. Et quand il ne sait pas vraiment, il jargonne, comme tout bon psy doté d’un côté charlatan. La psychanalyse est-elle une science ? Ou un art analogue à la médecine ou à la prêtrise ? Au milieu du XXe siècle, après la guerre industrielle et la Bombe, le doute sur la science se fait jour, il est pire aujourd’hui où les « fausses vérités » deviennent « alternatives » pour les gogos prêts à croire n’importe quel braillard du moment qu’il a une grande gueule.

Le pilote de course réchappé d’un accident (Anthony Baird) raconte comment il a vu, une nuit, un chauffeur de corbillard (Miles Malleson) depuis la fenêtre de l’hôpital lui faire signe en lui disant : « il reste une place, Monsieur » ; et lorsqu’il est sorti et a voulu prendre le bus, le contrôleur qui avait la même tête lui a dit la même chose, le faisant reculer. Heureusement, car ledit bus à étage s’est abîmé dans la Tamise par accident peu après. C’est le premier récit.

Il y en aura d’autres : Un conte de Noël, Le miroir hanté, L’histoire du golf, Le ventriloque.

Le conte de Noël est une fête d’enfants dans une maison hanté par un meurtre, celui d’une grande (demi pour la morale)-sœur sur son petit frère Francis. La jeune fille qui le raconte (Sally Ann Howes, 14 ans au tournage) est la première a s’exclamer Mee too ! dans le salon du cottage, après le récit du pilote. Le meneur est un adolescent déguisé en Puck (Michael Allan) qui entraîne tout le monde à jouer à cache-cache. Il a pour objectif de voler un baiser à la jeune fille sous couvert de la recherche. Mais celle-ci, partie dans les combles, en joue, elle l’étourdit et disparaît derrière une porte qu’elle trouve derrière elle. Là, un petit garçon habillé à l’ancienne pleure ; il dit s’appeler Francis et avoir peur que sa demi-sœur ne le tue. Elle le console, le couche et redescend pour se faire découvrir. Mais nul n’a jamais entendu parler d’un gamin dans une chambre. Elle a sauté les siècles pour se retrouver dans l’histoire qui hante la maison !

Le miroir Chippendale du XVIIIe est acheté par une femme (Googie Withers) à son fiancé chez un antiquaire, qui lui apprendra ensuite son histoire dramatique. Il était dans la chambre où son propriétaire, maladivement jaloux, a étranglé sa femme en croyant qu’elle le trompait. Le fiancé d’aujourd’hui (Ralph Michael), qui noue sa cravate devant le miroir, aperçoit derrière lui la chambre initiale, pas la sienne. Il en devient fou – en fait de sexualité refoulée – et manque de réaliser ce que l’autre a fait, jusqu’à ce que la fiancée, résolue et sagace, abatte le miroir d’un coup de chandelier, mettant fin à l’ensorcellement.

Le golf met en scène deux amis de sport (Basil Radford et Naunton Wayne) qui se disputent la même fille et la jouent en une partie. Le gagnant a triché mais l’autre accepte sa défaite et marche vers la rivière jusqu’à se noyer. Il va dès lors hanter le survivant de façon comique et le suivre à six pieds derrière lui (référence au six pieds sous terre de rigueur pour les morts anglo-saxons) jusque dans la chambre à coucher. Il en est possédé jusqu’à en perdre ses moyens – jusqu’à sa disparition finale dans une pirouette inattendue.

Quant au ventriloque (Michael Redgrave), il est dépassé par sa créature de pantin. Son double prend peu à peu sa place dans son esprit et il est seul, apeuré, sans la poupée fétiche. Celle-ci insulte sans vergogne celles et ceux qui ne lui plaisent pas, attire en revanche celui qui le séduit, un autre ventriloque avec qui il voudrait s’associer. C’est tout le subconscient qui se fait jour, l’homosexualité refoulée. Le maître en est devenu esclave, jusqu’à la tentative de meurtre par jalousie, un acte que le conscient n’aurait jamais permis.

Film à sketches avec ses hauts et ses bas, un fil conducteur jusqu’au pied de nez final, ce récit d’épouvante assez rare de névroses obsessionnelles nous laisse aujourd’hui dubitatif et excité. L’Angleterre sortait de la guerre et de ses nuits hantées de la peur des bombardements. Cette catharsis était bienvenue ; elle se regarde encore aujourd’hui, avec plus de distance mais non sans intérêt pour les profondeurs de la psyché.

DVD Au cœur de la nuit (Dead of Night), Cavalcanti, Charles Crochton, Basil Dearden, Robert Hamer, 1945, avec Michael Redgrave, Googie Withers, Mervyn Johns, Basil Radford, Naunton Wayne, Universal Music 2002 VO anglais doublé français, 1h44, €67,04, Blu-ray StudioCanal 2014 en anglais uniquement €14,45 (mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

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Blow out de Brian de Palma

Tout commence comme un film porno de série Z où l’on voit des étudiants à poil baiser, se caresser ou danser seins nus au rez-de-chaussée de leurs chambres sans rideaux, le soir, lumières allumées, tandis qu’un psychopathe au couteau levé, comme le vampire Nosferatu de Murnau, vient les zyeuter avant d’entrer dans le bâtiment et de viser les douches où une fille nue est en train de se laver. Lorsqu’elle voit le couteau, elle pousse un cri comme dans Psychose, mais ce n’est qu’un miaulement de souris. Le spectateur découvre alors qu’il est dans un abyme, un film dans un film. Le réalisateur de série Z (Peter Boyden) se tourne vers son preneur de son et lui dit qu’il faudra trouver un meilleur cri et le doubler au montage.

Nous suivons alors Jack le preneur de son en action (John Travolta) lorsqu’il erre dans la nuit pour saisir au micro directionnel le froissement des feuilles d’arbres dans la brise, les murmures de deux amoureux un peu plus loin, le croassement d’une grenouille, le bouboulement du hibou… Lequel oriente ses petites oreilles sensibles vers un autre son qui monte : le moteur d’une voiture qui arrive à vive allure. C’est une limousine blanche qui s’engage sur le pont au-dessus de la rivière et là – un éclatement (blow out, mot ambigu entre éclater et éteindre), le bris de la barrière de sécurité et la descente au Styx, ce fleuve des enfers.

Jack plonge, aperçoit le conducteur inerte, sans doute mort du choc ou évanoui, et une jeune femme à l’arrière, bien vivante. Il ne peut sauver les deux, il choisit la fille, casse une vitre avec un caillou du fond et la tire de cette baignoire. C’est Sally (Nancy Allen claustrophobe, qui a eu du mal à tourner la scène enfermée sous l’eau). Sally est une jeune gourde, maquilleuse dans un grand magasin, inapte à tout sauf à séduire. Elle est conduite à l’hôpital comme Jack, une fois les secours alertés.

Un « commissaire » interroge alors le jeune homme sur ce qu’il a vu et ce qu’il a fait. Il semble croire qu’il n’y avait pas de fille, ce que Jack est pourtant bien placé pour le savoir. Mais le politiquement correct veut q qu’il ne faille pas flétrir la mémoire du mort. Jack apprend en effet que la victime dans la voiture est le gouverneur de l’État, jeune homme brillant promis à un avenir présidentiel – un avatar de John F. Kennedy. L’accident fait d’ailleurs référence à un autre accident de voiture, celui du sénateur Ted Kennedy dans son Oldsmobile Delta 88 à la hauteur du Dike Bridge, sur l’Île de Chappaquiddick en juillet 1969 – ce qui l’empêcha de se présenter aux élections présidentielles de 1972.

Dès lors, Jack va être obsédé par le complot : on veut l’empêcher de dire la vérité. Dans le mythe démocratique populaire américain, tout le monde a le droit de tout savoir, tout comme les étudiants baisent à poil toutes fenêtres offertes. En réécoutant la bande son, Jack découvre qu’il y a eu deux sons, un coup de feu puis l’éclatement du pneu – comme dans le film pris par le spectateur Abraham Zapruder lors de l’assassinat de Kennedy. Un paparazzi se trouvait opportunément à proximité et il se trouve que Sally connaît ce Manny (Dennis Franz) : elle avoue avoir été payée par lui, sur instruction d’un mystérieux commanditaire, pour piéger le jeune gouverneur et aboutir à un scandale. Jack, avec les photos publiées du paparazzi, reconstitue un film avec sa bande son. Une théorie-vérité qui n’est pas un véritable document.

Mais il n’était pas question de tuer, seulement de réaliser des photos compromettantes avec une call-girl pour empêcher le politicien de se présenter contre son rival. Sally la gourde s’est fait embrumer par Manny le niais, sur commande d’un intermédiaire naïf qui s’est laissé déborder. Car la série continue : le tireur se révèle un psychopathe de série Z qui adore étrangler les jeunes filles avec un fil d’acier enroulé autour du cadran de sa montre comme un vrai pro de l’espionnage. Il déclare « jouer » au tueur en série pour égarer les soupçons sur l’élimination de Sally, mais jouit de pénétrer les ventres au pic à glace, substitut de pénis, ce qui suggère son impuissance.

Phil, un journaliste d’investigation, a appris de ses sources (mystérieuses) que Jack a réalisé un film sur l’accident et veut le voir. Mais le tueur Burke (John Lithgow) intercepte les communications et convoque Sally à sa place, à la gare centrale de Philadelphie. Il veut la tuer au pic à glace comme les autres, en traçant sur son ventre la Cloche de la liberté dont c’est la fête en ville, sa signature de tueur psychopathe. Jack se méfie et équipe Sally d’un micro pour qu’il puisse suivre la conversation et intervenir si besoin est, mais la gourde ne donne aucun détail pour que Jack puisse venir à son secours lorsqu’elle s’aperçoit que « Phil » a de mauvaises intentions. Elle se contente de se laisser aller, tout comme la pute qui lui ressemble, récemment assassinée par Burke dans une cabine téléphonique où elle faisait des pipes aux jeunes marins pour 30 $. Elle est donc tuée, ce qui est logique au vu de sa bêtise, mais ne plaira pas aux spectateurs qui bouderont le film.

Tout le scénario se présente en effet comme une mise à distance du cinéma comme de la politique. Ce sont tout deux des arts de l’illusion. Ils créent des doubles acceptables, une « belle histoire », alors que la réalité est tout autre. Un seul tireur pour John Kennedy ? Aucun complot contre ce président qui allait contre la Mafia et contre les Cubains exilés ? Est-ce un maquillage de la vérité ? Le film que regarde le spectateur est-il un film politique d’action ou une amplification de série Z ? Car le preneur de son minable qui révèle un complot termine comme un preneur de son minable qui réussit un cri – le cri même poussé par Sally lorsqu’elle est saisie par le tueur. Tout un complot pour un cri !

L’on se rend compte progressivement que le fringuant gouverneur trompe sa femme, que la jeune fille naïve qu »il a pris dans sa voiture comme doudou est en fait une femme vénale payée pour le compromettre, que le photographe Manny a été mis en scène pour réaliser son scoop soit-disant spontané, que le tueur politique est en vérité un tueur sexuel sadique – et même le danseur adolescent de la Fièvre du samedi soir, le doux velu Travolta, joue son premier rôle d’adulte au cinéma avec cynisme, loin de l’amoureux fleur bleue de son image. Le vrai na rien à voir avec l’apparence, tout comme l’habit ne fait pas le moine.

En voulant prouver à tout prix ce qu’il a vu et entendu – la Vérité selon lui – Jack n’hésite pas à mettre en danger la fille dont il est tombé amoureux. Comme quoi la Vérité considérée comme un absolu d’ordre religieux est aussi fanatique que le Dieu jaloux hébreux, la Morale sectaire d’Église ou qu’Allah intolérant qui exige la soumission. La vérité, comme toute chose sur cette terre, est mêlée de réel et de croyances, de faits prouvés et d’hypothèses, de probabilités in fine. Elle n’est pas «prouvée » de façon incontestable par la technique, qui a ses limites de mesures, elle n’existe pas en soi, pas même en sciences physiques où tout dans notre univers humain borné reste relatif… La « vérité » ne peut qu’être sincère, « honnête ». Or l’utile ne doit pas supplanter l’honnête, disait Montaigne. Jack franchit la ligne.

Pour plaire aux gens de gauche épris de complots capitalistes, ce film est sorti l’année de la victoire de Mitterrand en 1981 et, pour plaire aux féministes, la version française double John Travolta par la voix de Gérard Depardieu – Travolta lui-même l’a demandé.

DVD Blow out, Brian de Palma, 1981, avec John Travolta, Nancy Allen, John Lithgow, Dennis Franz, John McMartin, Arkadès 2013, 1h47, €8,61 (liens sponsorisés Amazon partenaire)

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L’audition d’Ina Weisse

Anna Bronsky (Nina Hoss) – nom juif de rigueur pour un film franco-allemand politiquement correct qui parle de violon – est une femme mûre, mère d’un garçon de 10 ans, Jonas (Serafin Gilles Mishiev) et qui découvre lors d’une audition préparatoire à l’entrée au conservatoire de musique un adolescent de 14 ans, Alexander (Ilja Monti). Remuée par son talent au violon, touchée par sa grâce maladroite d’adolescent rosissant, elle le prend sous son aile malgré l’opposition de deux de ses collègues sur les cinq. Le président Christian Wels, qui est amoureux d’elle, vote en sa faveur. Elle se fait donc professeur du jeune homme pour le préparer à l’Audition, celle qui le consacrera en fin d’année comme élève prometteur.

Dur travail qui nécessite un maintien physique, une tenue sociale, outre la parfaite connaissance des notes et des partitions – et du rythme. Chaque musicien a le sien, chaque interprète le conduit à sa manière. Le tout est d’incarner la musique, de faire corps avec elle. Pas facile lorsqu’on est encore adolescent, un corps en devenir et un esprit immature. Mais Alexander s’accroche, il aime la musique, il aime la sévérité de son professeur qui le considère, lui, et cherche à l’élever en musique. Il va jusqu’à aller sonner un soir chez elle pour travailler encore une leçon qu’il n’a pu mener à son terme, saignant du nez.

Ce qui pousse à la jalousie le gamin d’Anna, qui fait lui aussi du violon avec une autre prof du conservatoire, mais qui n’est pas reconnu pas sa maman. Lorsqu’il les voit à travers une vitre de la salle où Anne enseigne à Alexander, elle est bien différente avec son élève d’avec son fils : elle s’occupe de lui, lui met la main sur l’épaule pour le redresser, lui parle. Son père Philippe (Simon Abkarian) cherche à s’occuper de Jonas, l’emmenant au hockey, sport viril, ou dans son atelier de luthier pour travailler le bois façon artisanale. Mais le garçon est obnubilé par sa mère, son talent de violoniste, son attention pour un autre. Quand elle essaye de les faire jouer ensemble pour tenter d’amadouer son fils, la prestation de Jonas est bien inférieure et il se braque – erreur basique de pédagogie.

Anna Bronsky a été violoniste de talent dans un orchestre avant de devoir le quitter pour enseigner, atteinte d’une maladie qui fait trembler sa main. Lorsque son collègue Christian le violoncelliste, du conservatoire, l’invite à rejoindre leur quatuor pour faire le quatrième violon, Anna hésite, anxieuse, accepte puis renonce, revient – et gâche le concert en perdant son archet en plein jeu.

Perfectionniste mais désormais incapable d’atteindre l’excellence, Anna reporte son exigence sur Alexander, le poussant à bout. Elle va jusqu’à lui arracher sa ceinture de pantalon pour l’harnacher d’un poids sur l’épaule droite, qu’il garde toujours trop levée quand il joue. C’en est trop pour l’adolescent, qui se rebelle, quitte le cours a deux semaines de l’audition, et ne revient plus. Il applique cependant chez lui les conseils de sa prof et travaille désormais quatre heures par jour au lieu de deux.

Lors du grand jour, pour l’Audition, Anna ne le voit pas se présenter. Il ne répond pas non plus à l’appel de son nom. Elle se dit qu’elle a été trop loin, qu’elle l’a découragé au lieu de l’élever. Elle sort dans le couloir pour y penser. C’est alors qu’elle entend, par la porte de l’auditorium, s’élever les premières notes de la sonate pour violon numéro un de Bach, le morceau préparé par Alexander. Il est sur scène et joue – magnifiquement. Le jeune acteur de 14 ans Ilja Monti pratique le violon depuis l’âge de 5 ans et interprète lui-même la sonate, sans play-back.

Elle va pour le féliciter mais Alexander, qui la voit, s’enfuit. Il dévale les escaliers où Jonas traîne avec des copains du conservatoire. Jaloux comme un fils qui a vu sa place prise en apparence par un autre, faute d’explication maternelle, il tend la jambe pour faire un croche-pied. Son rival s’effondre sur les marches et dévale l’escalier jusqu’à se fissurer la nuque. Il est vivant mais passera des mois à l’hôpital ; peut-être ne retrouvera-t-il jamais sa mobilité. Jonas va se défouler au hockey et revient à l’appartement comme si de rien n’était. Anna n’a rien vu, ou voulu voir. Le rival n’est plus là, mais les relations en sont-elles changées ?

Comment une mère névrosée et dépitée de ne plus pouvoir exercer son talent au violon pourrait-elle enseigner valablement à des élèves tout en élevant son propre enfant ? Elle manque d’empathie, de compréhension ; son fils Jonas n’est pas sa « chose », elle l’a confié à une autre pour le violon et à son père pour l’éducation, elle ne peut en faire ce quelle veut. D’où son délaissement, malgré quelques tentatives au bord du lit pour renouer. C’est qu’elle a été elle-même élevée sévèrement, à l’allemande, à l’ancienne. Son père a volontairement plaqué la main de Jonas dans un nid de fourmis lorsqu’il a vu qu’il le fouaillait avec un bâton. Sans parole, sans explication, juste pour « lui apprendre la vie ». Elle-même reproduit avec Jonas ce qu’elle a subi. Pourtant, lorsqu’elle voit Jonas jouer avec ses camarades au conservatoire, elle s’aperçoit qu’il a un certain don. Pourquoi ne lui a-t-elle pas dit ?

Une introspection de l’Allemagne sur elle-même, son modèle familial, ses relations parents-enfants, sa propension au dressage. Un beau film peu connu, sublimé par l’adolescence d’Ilja Monti et par la prestation inquiète de Nina Ross.

DVD L’audition (Das Vorspiel), Ina Weisse, 2019, avec Nina Hoss, Simon Abkarian, Jens Albinus, Ilja Monti, Serafin Mishiev, Doriane films 2020, 1h34, €20,00 (liens sponsorisés Amazon partenaire)

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L’extravagant voyage du jeune et prodigieux T.S. Spivet de Jean-Pierre Jeunet

Tecumseh Sansonnet Spivet, dit T. S. (Kyle Catlett), a 10 ans (12 au tournage) ; son second prénom vient d’un piaf mort le jour de sa naissance. Il vit dans une ferme du Montana avec son frère jumeau dizygote Layton (Jakob Davies), sa grande sœur ado Gracie (Niamh Wilson) et ses parents, son père cow-boy texan Tecumseh Elijah (Callum Keith Rennie) et sa mère entomologiste Dr Clair (Helena Bonham Carter). T.S. est le laissé pour compte de la famille, bien moins pré viril et casse-cou que son frère, le préféré de papa, et en butte à l’indifférence de sa mère qui n’en a que pour les sauterelles et autres infects.

C’est que le gamin raisonne en scientifique, analysant les choses et les gens, ce qui est trop compliqué pour une tête de fermier texan et laisse de marbre la mère préoccupée d’autre chose. Quant à la sœur elle ne rêve que starlettes et concours de beauté de miss Montana… T.S. joue donc avec son frère du même âge, bien qu’ils soient très différents. Autant Layton aime les armes et tirer sur les boites de conserve à la winchester, autant T.S. préfère mesurer l’écart du son et calculer des statistiques. Il compte ainsi le nombre de regards échangés entre chacun des membres de la famille tout le long du dîner : son père ne le regarde jamais mais jette sept coups d’œil à Layton, sa mère ne le regarde qu’une fois. Conclusion : « il » ne m’aime pas.

Lors d’une visite au muséum de la ville la plus proche, le jeune garçon entend une conférence scientifique d’un professeur sur le mouvement perpétuel, impossible à réaliser selon lui. Enthousiasmé à l’idée d’avoir un but et d’exercer utilement son esprit, contrairement aux âneries qu’il est censé apprendre avec son prof de sixième, il décide de s’y mettre. Il envoie au Smithsonian American Art Museum de Washington les plans d’une roue à mouvement (presque perpétuel), le magnétisme ayant besoin d’être régénéré quand même – mais seulement tous les quatre cents ans. Il a la surprise de sa vie lorsqu’une sous-secrétaire (Judy Davis) téléphone à la maison pour lui annoncer que l’inventeur a gagné le prix Baird. T.S. est obligé de mentir, de parler pour son père, car il craint d’être disqualifié en raison de son âge. Mais on est en Amérique, où tout est possible.

Lors d’une visite au muséum de la ville la plus proche, le jeune garçon entend une conférence scientifique d’un professeur sur le mouvement perpétuel, impossible à réaliser selon lui. Enthousiasmé à l’idée d’avoir un but et d’exercer utilement son esprit, contrairement aux âneries qu’il est censé apprendre avec son prof de sixième, il décide de s’y mettre. Il envoie au Smithsonian American Art Museum de Washington les plans d’une roue à mouvement (presque perpétuel), le magnétisme ayant besoin d’être régénéré quand même – mais seulement tous les quatre cents ans. Il a la surprise de sa vie lorsqu’une sous-secrétaire (Judy Davis) téléphone à la maison pour lui annoncer que l’inventeur a gagné le prix Baird. T.S. est obligé de mentir, de parler pour son père, car il craint d’être disqualifié en raison de son âge. Mais on est en Amérique, où tout est possible.

Il est donc convoqué à Washington pour le recevoir et dit qu’il ira. Il ne sait comment, car ses parents ne sont au courant de rien, ignorent et méprisent ce qu’il peut faire, encore plus pris à ce moment par la mort de Layton. Le jumeau s’est tué d’une balle de winchester alors que les deux garçons jouaient seuls, sans surveillance, dans la grange. Le coup est parti et Layton est tombé raide mort – le fils cow-boy préféré du cow-boy.

Dans l’indifférence générale, T.S. prépare donc son voyage incognito, avec une lourde valise où il emporte un tas d’objets inutiles mais fétiches pour un garçon de 10 ans, comme deux sextants, un baromètre, un chronomètre, un spiromètre, un mètre, un squelette d’oiseau, huit caleçons et trois pulls mais aucune chemise de rechange, un canif multifonction et une peluche – plus le journal intime de sa mère. Il veut comprendre. Son père le dépasse sur la route au matin de son départ sans s’arrêter, comme s’il l’ignorait et voulait le bannir de sa vie après la mort de son préféré.

T.S. voile de rouge un signal ferroviaire pour arrêter un train de fret, monte à bord en se cachant, et réussit à traverser les États-Unis du Montana jusqu’à Chicago, terminus du fret. Il doit échapper à la sécurité ferroviaire, sympathiser avec un clochard céleste nommé Deux Nuages (Dominique Pinon), filer entre les mains d’un policier de Chicago qui la joue lourdaud viril (Harry Standjofski). C’est à ce moment qu’il se casse deux côtes en sautant d’une branche d’écluse. Un routier d’un énorme truck rutilant le recueille au bord de la route (Julian Richings), un peu inquiétant mais finalement épris de selfies qu’il collectionne.

Au Smithsonian, la sous-secrétaire n’en croit pas ses yeux, mais le garçon est reconnu sur ses talents à expliquer sa machine et ses capacités à calculer mesuré par électrodes. Il est soigné torse nu par un docteur avant d’être revêtu d’un costume pour la cérémonie. Il y fait un discours en trois points, malgré sa timidité devant une assemblée où presque tout le monde a un doctorat. Le troisième point lui a échappé et il embraye sur la mort de son frère qui explique sa solitude et sa venue ici. Grande émotion dans la salle, gros succès mondain.

Le voici médiatique et la secrétaire s’empresse de se faire mousser pour l’entraîner dans des shows télévisés. Mais sa mère, qui l’a vu à la télé au Smithsonian, vient le rejoindre et l’arracher aux griffes du show man qui lui pose des questions en ne laissant jamais que dix secondes pour chaque réponse, tant il tient à maîtriser le sujet et enchaîner le show. C’est là que le Texas se rebiffe contre Washington, la ferme contre la télé, la famille contre les histrions.

Car le sujet dépasse l’aventure pour enfants. Il s’agit de l’Amérique et de ses excès en tous genres, de l’inventeur de 10 ans récompensé, à la télé-réalité inepte. Des grandes distances entre États et entre mentalités, entre Ouest encore sauvage et Est civilisé décadent. Mais aussi de l’écart intime entre père et fils, mère et enfants.

Sont agités nombre de mythes américains : les indiens, car Tecumseh est un prénom qui signifie quelque chose comme étoile filante ou jaguar céleste ; la traversée du continent en train comme au temps de la Grande dépression ; les routiers et les routards comme dans les années soixante hippies de Kerouac ; l’atmosphère du Tour du monde en 80 jours de Jules Verne avec ses sociétés savantes et ses querelles d’ego ; l’ombre de Freud et des névroses familiales.

D’admirables paysages, des dialogues construits et intelligents, l’émotion d’un gamin au visage sensible qui se sent abandonné de tous mais qui part construire sa vie – un beau film. Ce n’est pas un film américain, ce qui explique sans doute pourquoi.

DVD L’extravagant voyage du jeune et prodigieux T.S. Spivet (The Selected Works of T. S. Spivet), Jean-Pierre Jeunet, 2013, avec Kyle Catlett, Helena Bonham Carter, Callum Keith Rennie, Judy Davis, Niamh Wilson, Gaumont 2014, 1h41, €7.00 Blu-ray €32,99 (liens sponsorisés Amazon partenaire)

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Les émotifs anonymes de Jean-Pierre Améris

Un film sur le chocolat avec de l’émotion mais du superficiel. Angélique Delange (Isabelle Carré) est une chocolatière. Jeune, elle est bourrée de talent mais aussi de névroses. C’est une grande émotive qui se glace dès qu’on la regarde, au rebours de sa mère qui aime à baiser avec n’importe qui jusque dans l’appartement de sa fille. D’où la fuite d’Angélique devant le jury de chocolatiers qui vante ses réalisations et sa phobie de travailler pour une marque.

Mais elle se soigne, outre par le chocolat qui est un anti-déprime, en allant régulièrement aux réunions des Émotifs anonymes, comme existent les Alcooliques anonymes. Elle a trouvé ce groupe de parole grâce à un membre du jury de chocolatiers qui lui-même était grand émotif – et s’en est à peu près sorti. Angélique, au nom de confiserie, travaille dès lors pour lui, la boutique Mercier où elle livre chaque jour des boites de chocolat qu’elle concocte elle-même toute seule dans sa cuisine. On raconte que la fabrication de ces chocolats réussis sont dus à un ermite qui se cache. Et cela dure sept ans – jusqu’au décès de Mercier. Angélique est dès lors forcée de trouver un nouvel emploi.

Elle postule à l’annonce de Jean-René Van den Hugde (Benoît Poelvoorde), patron de fabrique de chocolat au bord de la faillite parce que lui-même névrosé émotif. Il se soigne avec un psy qui lui fait faire des exercices réguliers d’aptitudes sociales comme inviter à dîner toucher une personne, faire un cadeau… Dès leur première rencontre, foin de tous les autres candidats, Angélique est embauchée. C’est le coup de foudre, même si le téléphone qui sonne avec insistance dans le bureau réduit le dialogue à presque rien. Mais Angélique est intégrée sur un quiproquo : elle doit être représentante et pas créatrice ! Bravement, elle s’oblige aux relations sociales, sans grand succès, malgré la passion pour le chocolat qu’elle éprouve comme son patron.

Qui finit par l’embrasser, l’inviter à dîner, faire tout ce qu’elle veut. Non sans lui avoir dit qu’un seul baiser serait le dernier à cause du qu’en-dira-t-on, lui avoir posé un lapin au restaurant où il ne cesse de changer de chemise à cause de ses bouffées d’angoisse qui le font transpirer. De quoi exciter l’imagination d’Angélique qui réinvente l’ermite de Mercier pour créer à la fabrique Van den Hugde une nouvelle gamme de chocolats un peu moins « désuets », comme le dit la principale cliente. Une caméra relie soi-disant l’atelier au créateur et Angélique commente et ordonne la façon aux jeunes apprentis (dont Pierre Niney et Swann Arlaud).

C’est un succès – le salon du chocolat de Roanne le prouve – mais les femmes de la comptabilité (Lorella Cravotta et Lise Lamétrie) s’aperçoivent que la caméra ne transmet rien et découvrent à l’évidence qu’Angélique est l’ermite. Pour éviter la faillite de la boite et donc la perte de leur emploi, elles vont donc se liguer avec les garçons pour rapprocher le patron et la représentante afin de renflouer l’image du chocolatier Van den Hugde. Et tout se termine par un mariage.. où chacun évite la cérémonie pour ne pas se montrer.

Le film ne tient que par le duo Isabelle Carré et Benoît Poelvoorde, la réserve joyeuse de l’une faisant pendant au loufoque lunaire de l’autre, qui a un petit côté Stéphane Bern. Un thème de téléfilm, des situations plus pathétiques que comiques, mais une petite musique qui finit par retentir dans le cœur des spectateurs.

DVD Les émotifs anonymes, Jean-Pierre Améris, 2010, avec Isabelle Carré, Benoît Poelvoorde, Lorella Cravotta, Universal Studio Canal Video 2011, 1h15, €9,18 Blu-ray €6,00

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9 mois ferme d’Albert Dupontel

Un film désopilant mais qui ne reste pas dans les mémoires. Les Césars 2014 ont été dithyrambiques avec ce film d’époque, accordant le titre de meilleure actrice pour Sandrine Kiberlain et de meilleur scénario original pour Albert Dupontel. Mais l’outrance des caricatures en fait un conte du Jour de l’an plus qu’un film de société. Ne boudons cependant pas notre plaisir : il se regarde bien et ses 1h20 passent très vite.

Une juge coincée dans la quarantaine (Sandrine Kiberlain), bourreau de travail faute de mieux, célibataire au bord de la vieille fille et n’aimant pas les hommes, se retrouve au 31 décembre au Palais de Justice de Paris entraînée à boire par la bande de magistrats et d’avocats survoltés qui fêtent la fin d’année et les centaines de dossiers que va leur fournir l’année nouvelle. Un collègue en particulier, le mielleux et bêtasse juge Godefroy De Bernard (Philippe Uchan), la presse, la coiffe d’une perruque de juge à l’ancienne et lui verse verre sur verre de mauvais champagne. Lorsqu’elle repart chez elle, bourrée – une juge bourrée est du dernier chic caricatural – elle ne se souvient de rien.

Mais elle se retrouve enceinte sans le savoir, six mois plus tard, trop tard pour le faire passer et pire encore, sans savoir de qui. Elle qui ne baise jamais… Mais cette Immaculée conception est juge, pas croyante, donc enquête. Elle soupçonne le juge De Bernard et le côtoie pour lui arracher des cheveux pour un test ADN, ce qu’elle réussit d’un coup de batte en plein front en se faisant initier au golf – autre outrance féministe à se tordre de rire. Mais ce n’est pas lui. Le légiste Toulate (too late en anglais = trop tard) – Philippe Duquesne – à qui elle demande ce service de test sans procédure achève une autopsie à grands coups de scie et de marteau, plongeant les mains (gantées) avec délice dans le cadavre frais pour en retirer les organes gluants – nouvelle caricature qui force l’attention. Tout le film est bâti sur ces excès destinés à faire rigoler à force de choquer. Avouons que ça marche sur le moment, même si le parfum n’est pas long en bouche, comme on le dit d’un grand vin.

Le test révèle que le juge mâle n’est pour rien dans la conception du bébé de la juge femelle (probablement trop bête), mais révèle un scoop : l’ADN du père est dans le Fichier national automatisé des empreintes génétiques (Fnaeg) ! Il s’agit de celui d’un certain Robert Nolan, Bob pour les intimes (Albert Dupontel lui-même). Il n’est d’ailleurs pas bon d’être trop intime avec lui car il est réputé avoir scié les membres d’un vieux dont il cambriolait l’appartement et lui avoir gobé les yeux ! – encore une bonne caricature du criminel psychopathe de légende. D’autant que ce « taré débile » (juge la juge) a été rejeté par sa famille, viré de maternelle, viré de l’orphelinat, viré du collège, viré de l’apprentissage, vire de son premier boulot – une bonne grosse caricature de l’enfance malheureuse chère à la presse à scandale qui fait pleurer dans les pavillons de banlieue.

Mais comment cet individu s’est-il retrouvé dans la juge ? Celle-ci, inquiète, enquête. Elle visionne la vidéosurveillance des abords du Palais et des rues parisiennes au matin du 1er janvier 2012, et ce qu’elle découvre est navrant : elle titube, se cogne aux réverbères (il n’y a pas le son mais on soupçonne qu’elle dit « excusez-moi »), erre dans le quartier à putes, les harangue, manque de se faire lyncher par la gent putassière (« on travaille, nous »!) et est sauvée par un homme qui passait par là à une heure passée du matin dans ce quartier chaud. Elle le suit, l’entreprend, le suce, le baise, s’active sur lui – un vrai viol de caricature, une outrance de femelle frustrée déchaînée. De quoi rire de l’inversion des rôles habituels, surtout lorsqu’on reconnaît le sex-toy : Bob Nolan lui-même, globophage pour les médias du monde entier.

Effarement de la juge qui ne se savait pas des profondeurs si noires et des instincts si avides. Que faire ? Bien que le dossier Nolan soit confié au juge bête De Bernard, la juge Ariane va dérouler son fil en le convoquant avec son avocat, l’inénarrable et bégayant Maître Trolos (Nicolas Marié) – une outrance de baveux comme on en fait peu, incompréhensible et lyrique, brouillon et inutile. En face du père de son embryon, elle joue la juge, sévère et expéditive, tout à charge. Mais elle n’y peut rien, le globophage sera jugé par un autre qu’elle.

Avisant un diplôme de Cambridge où la juge Felder apparaît en perruque selon la vieille tradition médiévale de là-bas, Nolan reconnaît sa partenaire éphémère de la nuit des putes. Il n’aura de cesse de s’évader pour aller la voir chez elle. C’est un jeu d’enfant pour lui – autre caricature de malfrat expert – car il a appris tout enfant à forcer les serrures et déverrouiller les verrous tout en faisant glisser la chaîne soi-disant « de sûreté ». A l’aide d’un fil contenu dans sa boucle à l’oreille et de sa carte d’identité (curieux qu’on la lui ai laissée en prison), il ouvre sans violence sa cellule garnie de barreaux, puis la porte de l’appartement de la juge. Il la trouve montée sur un escabeau sur son bureau en train de tenter une chute sur le ventre pour un avortement tardif. Il l’en empêche, la couche – et ils se retrouvent face à face en huis clos.

Il veut qu’elle le défende ; puisqu’elle ne peut pas le juger, le dossier étant dévolu à un autre, qu’elle le lise et trouve les failles juridiques ou de l’enquête. Le comique de répétition avec le juge bête De Bernard se poursuit, après avoir pris un fer de golf dans la tronche, il se prend une tête en plâtre sur le râble en imitant par agacement la juge qui tape sur son bureau pour affirmer ce qu’elle veut. Facile, dès lors, de télécharger le dossier sur une clé USB puis d’aller le lire chez elle à loisir. Ce n’est pas moins d’une pile d’un demi-mètre de haut que Nolan imprime, caché chez la juge – toujours la caricature des dossiers de justice surchargés de paperasses. Rien à faire : tout l’accuse, il était le seul malfrat recensé dont le téléphone ait borné dans la zone du cambriolage.

Sauf que… L’heure du crime est indiquée par une fourchette par le légiste Toulate et, en ce 1er janvier, la fourchette est… Je laisse le suspense. Le procès a lieu, la juge Felder, enceinte jusqu’aux yeux, vient en témoignage tardif, elle révèle ce qu’elle sait – de manière grossièrement caricaturale, au point de se faire rappeler au respect de la Cour par la présidente, mais tout à fait réaliste (un grand moment). Et le vieux démembré et énucléé mais toujours vivant est mis en présence des criminels possibles, il va reniflant au sol pour reconnaître… le bon.

Le globophage n’est pas celui qu’on croit et le bébé peut naître – un garçon. Si la promotion due à son labeur acharné, tout dévoué à la justice, lui passe sous le nez, la juge a obtenu un bébé et un compagnon, ce qui est une compensation dont chacun appréciera le degré selon ses convictions. Au fond, pas si facile d’attraper un bébé dans la société telle quelle est, coincée, acharnée au boulot, exploitée, emplie de préjugés.

DVD 9 mois ferme, Albert Dupontel, 2013, avec Sandrine Kiberlain, Albert Dupontel, Nicolas Marié, Philippe Uchan, Philippe Duquesne, Wild Side Video 2014, 1h18, €10,44, Blu-ray €14,99

Autre film d’Albert Dupontel chroniqué sur ce blog

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Bunny Lake a disparu d’Otto Preminger

Ann Lake (Carol Lynley), une jeune femme un peu nunuche, vient d’arriver d’Amérique à Londres par bateau. Elle est accueillie par Stevie (Keir Dullea), bel homme journaliste, qui joue au protecteur depuis leur enfance. Il s’agit de tout faire vite : la dépose à la nouvelle école de la petite Bunny de 4 ans (Suki Appleby), l’emménagement dans un nouvel appartement, le harcèlement du propriétaire curieux et graveleux, les courses nécessaires… Lorsque Ann va rechercher à midi sa fille à l’école, elle a disparu.

Les 4 ans descendent de l’étage et elle n’est pas avec eux. Dans les classes vides, personne. Les institutrices ne l’ont pas remarquée et celle qui devait la prendre en charge n’était pas là à l’arrivée, et est partie en urgence à midi chez le dentiste. Seule la cuisinière (Lucie Mannheim), une Allemande à l’accent yiddish, se souvient de lui avoir conseillé de la laisser dans la pièce d’accueil où est déjà un bébé, mais elle a rendu son tablier et fait sa valise pour rentrer en Allemagne par avion l’après-midi.

En fait, tout apparaît faux aux Anglais – décalé – dans le comportement du couple. Ann est agressive, elle ne comprend pas, son comportement « américain » est anormal pour les mœurs anglaises. D’ailleurs, elle n’est pas mariée et Steve, qui l’accompagne, est son frère. Le papa n’existe pas, Ann est fille-mère, ce qui reste indécent dans la société européenne du début des années soixante.

Le frère s’en mêle, il parle haut, logique et ferme. Cette école est un foutoir, on y entre comme dans un moulin, les institutrices ne savent même pas qui est là ; il menace de faire son métier de journaliste et de révéler ces carences publiques. La police est alertée et le superintendant (commissaire dans la version française) Newhouse (Laurence Olivier) mène l’enquête – avec pléthore de moyens et diffusion d’un appel à la télé. Mais il faut se rendre à l’évidence : pas de Bunny Lake. Ses affaires à l’appartement ont disparu – il ne subsiste aucune trace d’elle. Personne ne l’a vue – à croire qu’elle n’existe pas.

C’est le propos que rapporte la « sorcière » du dernier étage, l’ancienne directrice dont l’appartement est au-dessus de l’école et qui ne sort plus guère. Confite dans sa bonbonnière, elle prépare un « livre » sur son expérience des enfants, leurs cauchemars, leurs inventions, leurs fantaisies. Pour elle, tout est possible. Stevie lui aurait dit qu’Ann sa sœur avait, petite, inventé une amie imaginaire qu’elle prénommait Bunny. Ce n’est pas rare chez les enfants ; c’est un signe pathologique chez une adulte. Ann, mère célibataire très attachée à son frère serait-elle fabulatrice ou dérangée ?

Newhouse va éplucher les listes d’arrivée du bateau indiqué : personne. Ni la mère, ni la fille. Les quelques passagers débarqués qu’on a pu retrouver ne se souviennent pas d’une petite fille. Normal, dit la mère, Bunny était enrhumée et je ne voulais pas qu’elle sorte. Mais est-ce la bonne date d’arrivée ? Ann a déclaré avoir passé cinq nuits dans la grande maison prêtée par un ami de Stevie absent, le temps de trouver un appartement. Non, corrige le frère, quatre nuits seulement.

Ce petit détail va tout faire basculer. Outre qu’Ann se souvient d’une poupée donnée à réparer dans une boutique spécialisée de Londres, nommée Hôpital des poupées. Elle s’empresse d’aller la chercher comme preuve le soir venu. Sauf que tout ne se passe pas comme prévu… Elle se retrouve à l’hôpital et doit fuir de nuit discrètement.

L’opiniâtreté de la mère faussement nunuche et la sagacité du superintendant faussement sceptique vont résoudre l’affaire et mettre au jour la psychose d’un personnage que l’on ne croyait pas si atteint. Le groupe de rock anglais The Zombies, créé en 1961 quelques années avant le tournage, rythme l’histoire sombre par des apparitions à la télévision, montrant combien la société anglaise se remet peu à peu de sa dépression post-guerre mondiale avec le tumulte grandissant des baby-boomers.

Preminger n’est pas Hitchcock mais l’intrigue est bien menée et la chute inattendue. Ce ne sont pas les scènes qui font monter la tension, ce sont les personnages qui sont de moins de moins nombreux à être soupçonnés et apparaissent de plus en plus tendus. Tout est logique dans ce film noir mais le spectateur se laisse embarquer dans des impasses successives.

DVD Bunny Lake a disparu (Bunny Lake Is Missing), Otto Preminger, 1965, avec Laurence Oliver, Carol Lynley, Keir Dulea, Wild Side Video collection les Incontournables du cinéma, 1h43, €19,21

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Histoires d’outre-tombe de Freddie Francis

« Cinq âmes en transit » est le sous-titre de cette suite de contes gothiques des années 1970, tirés des Contes de la crypte parus dans les magazines américains des années cinquante. Il y a constante référence à la mort, des cercueils, des croix, des cimetières, des moines. Justement, les visiteurs férus de frôler le destin aiment à visiter les souterrains des monastères. En arpentant l’un d’eux, à la suite du gardien qui les presse de rester groupés au risque de se perdre… les voilà perdus.

Au sens métaphysique du terme : « vous êtes perdus ! » Un passage emprunté par les cinq derniers en habits de ville, comme sortant du salon ou du bureau, aboutit à une impasse. Celle de l’éternité. Un moine à la coule brune trône sur un siège sculpté dans la roche en forme de tête de mort. Face à lui, cinq plots de roc émergent, un pour chacun. Ils sont priés de s’asseoir. Plus aucune sortie, la porte de pierre s’est refermée avec un bruit sourd. Ce qu’ils font ici ? Prendre conscience. De ce qu’ils sont, de ce qu’ils ont été, de ce qu’ils resteront éternellement. Car nous sommes aux antichambres de l’enfer.

A chacun de se dévoiler, de révéler à tous – et à lui-même – son inconscient. Fini le déni ! La mort est l’instant de vérité, l’ultime, celle qu’on n’a pas voulu voir durant toute sa vie. Les chrétiens et les bourgeois manient le déni avec maestria, sur l’exemple de Pierre qui nia trois fois le Christ, pourtant son seigneur – qu’il disait. S’ils sont là, c’est qu’ils sont tous des monstres malgré leur apparence civile et respectable.

La première à être sollicitée de se révéler est une femme (Joan Collins). Elle a tout simplement tué son mari le soir de Noël d’un coup de tisonnier, on ne sait pourquoi, par ennui peut-être, et s’est retrouvée (ironie du destin) aux prises avec un psychopathe évadé d’un asile déguisé en père Noël. Il embobine sa petite fille et attire la mère derrière les rideaux avant de l’étrangler avec une lourde jouissance – instrument du destin. Voilà pourquoi elle est morte et se retrouve ici, portant sans vergogne la broche marguerite en opaline que son mari lui offrait pour Noël. Ne jamais faire confiance à une femme, elle n’y connaît rien en meurtre.

Le second est un jeune homme (Robin Phillips), fils de famille et fils unique, imbu de son rang et de sa propriété, que son père regarde avec indulgence au lieu de l’élever. Il déteste son voisin d’en face, pauvre jardinier de la commune veuf (Peter Cushing), dont les seuls plaisirs sont de recueillir les chiens errants et de donner des jouets aux enfants. Pourquoi les attire-t-il – au vu et su de tout le monde ? La paranoïa du bourgeois est celle d’aujourd’hui : le sexe soupçonné, des réseaux sociaux pour se dédouaner, la rumeur malveillante. Le fils de famille riche commence une campagne de diffamation pour faire partir le vieux, pourtant à deux ans de sa retraite et qui a toujours vécu dans sa maison. Il fait croire que les chiens ont déterré les roses du voisin, objets de ses soins précieux (alors que lui y est allé de nuit), reçoit pour le thé la bonne société du voisinage afin d’instiller le doute chez les mères sur les intentions perverses supposées du solitaire envers les enfants, envoie une suite de lettre de saint Valentin injurieuses en le pressant de s’en aller. Le vieux, privé d’épouse, de chiens, d’enfants, de boulot, de relations sociales, se pend. Bel exemple de christianisme bourgeois que ce harcèlement communautaire ! Il ira en enfer direct, puisque l’enfer existe, selon sa croyance. Un an après, à la saint Valentin, le vieux sort de sa tombe pour aller se venger.

Le troisième est un homme d’affaires impitoyable qui aime le risque et a perdu. Il est ruiné. Rentré chez lui, il annonce à son épouse (Barbara Murray) qu’ils doivent vendre leur collection de meubles, de tableaux et d’objets d’art rapportés de leurs voyages. Elle avise une statuette de jade achetée dans une boutique obscure à Hongkong et s’aperçoit qu’une inscription est gravée (en anglais!). Le propriétaire de la statue peut faire trois vœux. La conne s’empresse d’en faire un sans réfléchir, redevenir riche. L’associé de l’homme d’affaires lui téléphone à ce moment-là pour lui dire de revenir tout de suite au bureau, une grande nouvelle l’attend. Pressé, fébrile, il prend son coupé sport rouge et file sur la route. Un motard tout en noir le suit comme le destin et c’est l’accident : il meurt. Sa femme affolée s’empresse de faire un autre vœu tout aussi peu réfléchi : qu’il revienne. Les croque-morts apportent justement son cercueil. Oui mais qu’il redevienne exactement tel qu’il était avant l’accident et qu’il vive désormais éternellement, exprime en troisième vœu tout aussi con la femme. Sauf que, juste avant l’accident, il a eu une crise cardiaque… Il est désormais embaumé et – à nouveau vivant – souffre atrocement (et pour l’éternité) des acides qui lui brûlent en permanence le corps. Ne jamais faire confiance à une femme, elle n’y connaît rien en affaires.

Le quatrième est un mari adultère qui quitte un soir sa famille pour raisons professionnelles, dit-il. Il embrasse ses enfants petits, une fille et un garçon comme il se doit, et prend sa voiture. Il file droit chez sa maîtresse qui l’attend avec ses valises ; elle a fait déménager son appartement. Mais il est fatigué, elle lui propose de conduire la grosse Jaguar MK2 aux quatre phares de calandre. Il rêve qu’ils ont un accident par la faute de sa maîtresse qui fonce droit sur un camion dont les phares l’hypnotisent ; en lui faisant donner un coup de volant, il envoie la voiture dans le décor et se retrouve mort. Il s’éveille brusquement pour s’apercevoir qu’il est encore dans la voiture et qu’il s’est assoupi. A ce moment, les phares d’un camion, le coup de volant, etc. A nouveau mort, il parvient jusqu’à l’appartement de sa maîtresse, désormais vide, mais s’aperçoit qu’elle est revenue, avec tous ses meubles. Il sera éternellement sujet à revivre ces moments où il a gravement fauté contre la morale, la famille et la société. Ne jamais faire confiance à une femme, elle n’y connaît rien en amour.

Le cinquième et dernier est un ancien major (Nigel Patrick), embauché comme directeur d’hôpital pour les aveugles exclusivement mâles. Il n’y connaît rien en aveuglement mais a la certitude de bien connaître les hommes. Qu’il croit. Il impose désormais des restrictions pour faire des économies : moins de nourriture, plus de chauffage passé 21 h, moins de couvertures. Les habitués râlent, d’autant que le directeur se goberge, mais son chien-loup les tient en respect. Lorsqu’un aveugle meurt, de faiblesse et de froid, c’en est trop. Les autres décident de rendre au mauvais dirigeant la monnaie de sa pièce. Ils séduisent le chien avec des morceaux de bacon dont chacun donne une tranche pour l’emmener à la cave et l’enfermer dans une cellule, puis font irruption chez le directeur, le maîtrisent et l’entraînent dans la même cave, où il est enfermé lui aussi. Commence alors une activité aveugle derrière la porte. C’est tout un système de cages qui est bâti à force de scie et de clous. Au final, le directeur repu est livré au chien rendu fou par des jours de faim. Exactement le sort qui l’attendait en affamant les malades.

Deux histoires d’hommes peu reluisants et trois histoires délicieusement misogynes de femmes peu futées. Tout le sel de l’ambiance chrétienne anglo-saxonne dans ces contes édifiants au seuil de la mort. Décédé à Londres en 2007 à 89 ans, Freddie Francis le réalisateur a été un spécialiste des adaptations de Comics américains des années cinquante qui font une satire de la société puritaine et affairiste du temps sous forme d’histoires d’épouvante en bandes dessinées. Appât du gain, trahison, avarice, égoïsme sont impitoyablement vengés comme s’il existait une Justice immanente. La Morale est sauve, l’Illusion aussi.

DVD Histoires d’outre-tombe (Tales of the Crypt), Freddie Francis, 1972, avec Ralph Richardson, Joan Collins, Peter Cushing, Ian Hendry, Richard Greene, ESC editions 2022, 1h32, €27,22 e-book Kindle €7,99

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Michel Bataille, L’arbre de Noël

Il est curieux de lire un demi-siècle plus tard ce roman d’un neveu de Georges Bataille qui a manqué de peu le prix Goncourt, ex-æquo aux deux premiers tours et battu au troisième tour. Ce qui montre que ce prix est de circonstance. Car ce roman traite de deux sujets qui préoccupaient diablement la fin des années soixante : la bombe et les relations père-fils.

Laurent est veuf, sa femme est morte de maladie et il élève seul son fils Pascal, désormais 10 ans. Lors de vacances avec lui en Corse, où ils dorment dans la belle voiture anglaise aux sièges rabattant (probablement une Jaguar), ils naviguent en slip sur un petit zodiac dans une crique belle comme en Polynésie. Cette référence n’est pas là par hasard… Un avion explose en vol très au-dessus d’eux, mais un parachute en sort et amerrit à une dizaine de mètres de leur bateau. Il porte un cylindre métallique qui se révélera être une bombe nucléaire – comme celles des essais français de Mururoa en Polynésie.

De retour à Paris, Laurent envoie son fils dans un camp de louveteaux au bord d’un lac d’Auvergne, non loin de l’endroit où il a acheté un château médiéval aux quatre tours ronde, les Tours d’Hérode. L’enfant s’amuse mais a vite froid ; il est rapatrié par un prêtre qui rentre à Paris, à cette époque où les religieux catholiques ne sont pas encore soupçonnés d’abuser des petits garçons. Examens médicaux faits, il s’avère que Pascal a été contaminé, mais pas son père. L’enfant de 10 ans est atteint d’une « leucose » dit l’auteur, terme qui s’applique aux animaux. Il s’agit plutôt d’une leucémie, mais Michel Bataille aime à croire aux liens profonds entre le garçon et les loups.

En effet, Pascal n’a plus que trois mois à vivre et il le sait, ayant l’oreille qui traîne, comme tous les enfants. A Noël, il ne sera plus. Il est indifférent à la mort, comme les loups qui ne vivent qu’au présent. Comme eux, il est un prédateur de la vie, en symbiose avec la nature. Ce pourquoi il adore le château en pleine forêt, à mille mètres d’altitude, avec Verdun en régisseur, ex-compagnon de résistance de son père, et Marinette qui vient faire la cuisine et le ménage. Des taiseux, des Auvergnats, des éternels.

Laurent, le père, est bouleversé d’apprendre la nouvelle. Il se met alors en retrait de son agence de publicité – le comble de la société de consommation pour les années soixante – pour passer entièrement les mois restants avec son fils. Ils s’exilent loin de tout au château. Là, les désirs de l’enfant sont des ordres. Il veut conduire un tracteur bleu ? On achète le tracteur. Il veut chercher le trésor du château ? On va chercher pelles et pioches. On découvre un souterrain qui mène au chenil ? Il faut des loups. Qu’à cela ne tienne, Verdun et Laurent vont voler le couple de loups du zoo de Vincennes. Qui sont vite apprivoisés et sauvent même le gamin d’un cheval fou. Tout est fait pour le bonheur des derniers instants.

Un sapin de Noël est coupé dans la forêt par Verdun et décoré avec Pascal. Des cadeaux sont achetés, comme d’habitude. Et puis Laurent est pris du désir violent d’aller téléphoner à Victoire, sa petite amie avec qui il a eu une relation durant le camp de louveteaux de Pascal. Il part en ville. Lorsqu’il revient, il entend un hurlement de loup. Il se précipite, Pascal est mort – brutalement, comme prévu. Mais heureux.

Jolie histoire mais qui contient tellement d’invraisemblances qu’elle est plutôt un conte de Noël. Contre la bombe et la guerre ; contre la mise en danger des innocents ; pour la relation intime entre père et fils. Pas « trop » intime, ce pourquoi Victoire est introduite dans l’histoire, même si Pascal couche un soir « quasi nu » avec son père – parce qu’il a pissé au lit (symptôme de sa leucémie).

L’auteur s’inspire de l’accident nucléaire de Palomares, survenue l’année précédente au-dessus de la mer Méditerranée, au large des côtes espagnoles. Deux avions de guerre américains, un bombardier et son ravitailleur, sont entrés en collision et ont explosé en vol, lâchant quatre bombes H dans la nature. Aucune n’a « explosé » comme à Hiroshima mais leurs détonants conventionnels, destinés à les déclencher, ont dispersé le plutonium sur 250 hectares. Une bombe est tombée en mer, via son parachute, mais elle n’a rien contaminé, restant fermée. D’ailleurs, comment l’enfant serait-il empoisonné, fût-il presque nu sur le bateau, alors que son père dans le même bateau ne l’est pas ? (Ce pourquoi le film le met en plongée à ce moment-là).

La capture des loups comme si de rien n’était, à l’aide d’un gros sac comme dans les contes, n’est pas vraisemblable, pas plus que leur apprivoisement quasi instantané. Le « réalisme » exigé des romans aspirant au prix Goncourt n’est pas respecté, c’est peut-être ce qui a entraîné la décision finale de l’attribuer à La Marge d’André Pieyre de Mandiargues, malgré le poids émotionnel de l’histoire.

Car il s’agit d’une belle histoire : une histoire d’amour filial profond, bien dans l’air du temps en cette après-guerre persistante qui se mettait à aimer les enfants (d’où le baby boom) et à souhaiter des relations humaines moins conflictuelles que la méfiance et la haine réciproque des années d’Occupation et de Résistance. Une histoire d’utopie aussi, un rêve de paix universelle et de réconciliation avec la nature, thèmes dans l’air du temps qui allaient exploser en mai 68.

Même s’il ne reste pas comme une œuvre littéraire classique (il n’est pas réédité), le roman est cependant bien écrit, il obtient la Plume d’or du Figaro littéraire. Il est fait pour l’âge du rêve, celui des adolescents.

Un film de Terence Young avec William Holden dans le rôle du père, Brook Fuller (11 ans) dans le rôle de l’enfant et Bourvil dans le rôle de Verdun l’a adapté au cinéma en 1969. Pas un grand film mais un conte familial confit dans l’émotion, qui a ses amateurs.

Michel Bataille, L’arbre de Noël, 1967, Pocket 1988, 249 pages, occasion €1,47

DVD L’arbre de Noël, Terence Young, 1969, avec William Holden, Bourvil, Brook Fuller, LCJ Editions & Productions, 1h30, €10,47

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Le Caveau de la terreur de Roy Ward Baker

L’horreur des années 70 : être enfermé avec des inconnus dans une pièce, où chacun est sommé de raconter le pire de son inconscient. Dans un grand immeuble à multiples étages, cinq hommes montent successivement dans l’ascenseur, au fil des arrêts vers le rez-de-chaussée. Mais la machine n’en fait qu’à sa tête, elle n’obéit pas aux injonctions et ne stoppe qu’au sous-sol. Là, les portes s’ouvrent comme un rideau de théâtre… et dévoilent une pièce ronde avec une table centrale et cinq sièges judicieusement disposés autour. Des boissons alcoolisées attendent les convives, tous mâles bien entendu. Impossible de sortir, il n’y a qu’une seule issue : l’ascenseur qui s’est refermé. Aucun bouton ne permet de l’appeler.

Le club des cinq se résigne alors à s’asseoir, à attendre et à deviser. Sur une idée de l’un d’eux, due à l’atmosphère oppressante du lieu, chacun doit raconter son rêve le plus fort, son cauchemar récurrent. Ce sont donc cinq histoires « de la crypte » qui sont successivement livrées à l’attention du spectateur.

Le Repas de minuit met en scène l’un des cinq qui rêve de rechercher sa sœur (alors qu’il n’a pas de sœur) via un détective très privé, qu’il tue une fois la mission accomplie. Il récupère l’argent et se rend au domicile de la jeune femme, dans un quartier mystérieux où, lorsque la nuit tombe, chacun se calfeutre chez soi. Les monstres vont apparaître, ainsi qu’il est prédit. Le narrateur ne peut dîner au restaurant car celui-ci ferme à la nuit tombée, à 19h30. Il va donc sonner à la porte de sa sœur, une rousse au visage étrange qui lui ouvre, le reconnaît, le fait entrer. Mais pourquoi voulait-il la voir ? Parce que leur père est mort et qu’il l’a désigné elle comme unique héritière (pas de part réservée en droit anglais, chacun fait ce qu’il veut de sa fortune). Tandis qu’elle lit le papier, il la poignarde par trois fois, comme trois reniements de Pierre envers le Christ. Lorsqu’il ressort de la maison, le restaurant est à nouveau ouvert et il s’y rend pour dîner. Mais le maître d’hôtel, qui n’est plus le même, lui sert un cocktail de mauvais goût, une soupe au sang et lui demande comment il se veut rôti. Le meurtrier s’aperçoit alors dans le miroir qu’il est seul dans la salle et que tous les autres sont des fantômes. Ou plutôt des vampires, et que le rôti, c’est lui. Sa sœur, désormais décédée, entre alors et entreprend de le pomper… à la veine jugulaire.

Le métier de faire le nid montre comment le narrateur, fortune faite en son âge mûr, désire une épouse pour s’occuper de lui. Il se marie avec la fille d’un ami, une Eleanor vieillissante qui n’a pas trouvé chaussure à son pied. Mais il est maniaque et veut que tout soit comme avant, les choses à leur place et une place pour chaque chose. La femme est une intruse qui bouleverse sans le savoir, et sans le vouloir, ses chères habitudes. Mais elle veut bien, trop bien faire. Un soir qu’il doit rentrer à 18h – tapantes – elle entreprend de ranger l’infime désordre qu’elle a mis dans la maison durant la journée où elle s’ennuie. Mais chaque acte de ménage engendre sa catastrophe : bidon de nettoyage renversé, tableau qui se décroche, clou impossible à trouver, marteau qui emporte son portant… Le mari rentré en devient fou, et elle folle. Avec le marteau encore en main, elle lui en flanque un bon coup sur la tronche.

Ce truc va vous tuer présente Sebastian en magicien en vacances aux Indes avec sa femme. Il cherche un nouveau truc pour relancer son spectacle et est prêt à tout pour l’avoir. Avisant un gourou qui transperce un panier empli d’un jeune garçon, le sabre remontant ensanglanté, il montre que le panier est ouvert sur le fond et que le garçon s’est planqué avant de ressortir frais comme une rose ; de même le sabre qui traverse la mâchoire est truqué. Mais l’assistante du gourou veut lui donner une leçon. Elle effectue le lendemain, seule, le tour de la corde indienne, une corde qui sort verticalement d’un vase en osier et ondule comme un serpent sous la son de la flûte, avant de s’élever rigide, au point qu’on peut y grimper. Sebastian cherche le truc, ne le découvre pas : voilà ce qu’il voulait. Il convoite alors de l’acheter, mais la grosse somme n’y fait rien, c’est non. Le lendemain, il joue alors l’époux prévenant qui veut distraire sa moitié souffrante dans la chambre de leur hôtel. Il invite la fille à faire une démonstration devant elle, ce qu’elle réussit à merveille. Puis il la tue d’un coup de poignard dans le dos. Il possède enfin les accessoires, le truc de fou, joue de la flûte et, malgré sa maladresse, fait s’ériger la corde. Mais celle-ci ne l’entend pas de la bonne oreille et elle prend vie autonome, fouettant le tueur et va jusqu’à l’étrangler et le pendre.

Unis dans la mort dévoile une belle escroquerie à l’assurance-vie. Maitland veut se faire passer pour mort à l’aide d’un poison qui ralentit le cœur jusqu’à ce qu’il ne soit plus perceptible. Son copain Alex est chargé d’aller déterrer son pseudo-cadavre, une fois le cercueil dans la fosse. Mais l’air manque et Maitland trouve le temps long. Dans son logis, deux étudiants en médecine désirent un cadavre frais pour réviser leur anatomie et se rendent au cimetière, où ils soudoient le fossoyeur pour déterrer le plus récent. Pendant ce temps, Alex passe en voiture, désirant garder le magot pour lui seul et laisser crever Maitland dans sa bonbonnière en sous-sol. Lorsque le cercueil est ouvert, le cadavre espéré se dresse d’un coup en aspirant l’air, ce qui effraie les deux apprentis médecins et les fait fuir hors du cimetière. Ils croisent la voiture qui fonce en sens inverse et qui, voulant les éviter, va percuter un arbre. Exit Alex. Lorsque les deux reviennent voir le cadavre, le fossoyeur l’a arrangé d’un bon coup de pelle afin qu’il ne bouge plus… Exit Maintland.

Dessin fatal raconte le rêve du dernier des cinq. Il est peintre et se voit à Haïti, sous les tropiques, en train de s’essayer aux portraits tandis que son œuvre est mal considérée à Londres où les marchands de tableaux lui disent que ce sont des croûtes et où un critique d’art réputé l’assassine. Un ami de passage lui apprend que l’une de ses peintures s’est quand même très bien vendue récemment aux enchères et le peintre se dit qu’il a été roulé. C’est le jeu des marchands, lui dit-on, mais il veut se venger. Il va pour cela voir un jeune prêtre vaudou, torse nu dans sa case, orné de colliers de coquillages. Le jeune homme lui dit que, s’il veut un sort, il doit tremper sa main dans l’eau bouillante de la marmite, elle en ressortira chargée de magie. Le peintre hésite, sa main est son outil de travail, mais à quoi bon si ses œuvres ne sont pas reconnues à leur juste valeur ? Il la plonge donc dans l’eau qui bout et la ressort un peu grasse de ce qui mijote, mais intacte. Désormais, tout ce qu’il va dessiner ou peindre sera lié à lui : s’il dessine un trait, le trait sera reproduit sur l’objet où l’être vivant, via un événement réel imprévu. Rentré à Londres, il va se confronter à ses escrocs et leur annonce sa vengeance. Il peint un portrait de chacun d’eux et, pour le critique qui n’a pas vu la valeur de son œuvre, lui crève les yeux ; pour l’un des marchands, il lui coupe les mains ; pour le dernier, il va le voir une dernière fois pour dessiner sous ses yeux un point rouge sur le front. Chacun va subir le sort assigné : le critique sera rendu aveugle par sa maîtresse qu’il quitte sans élégance et qui lui balance du vitriol à la figure ; le second aura ses mains coupées par le massicot qu’il manie pour donner l’exemple à son apprenti qu’il humilie ; quant au dernier, il brandit un revolver face au peintre mais la magie l’oblige à se le retourner entre les deux yeux. Le peintre ridiculisé est vengé. Sauf qu’il a peint un portrait de lui avant que ses mains soient chargées et qu’il ne peut le détruire sans se détruire lui-même. Il l’a donc enfermé dans un coffre-fort, mais l’air vient à manquer ; il doit le ressortir et y parvient in extremis. Mais il s’aperçoit qu’il a oublié sa montre dans le bureau du marchand suicidé et s’y précipite. Las ! Un peintre (en bâtiment) qui œuvre au-dessus de son atelier fait tomber accidentellement un bidon de dissolvant sur le portrait laissé à l’air libre et le visage se décompose – tout comme celui du peintre qui est renversé brutalement par un camion.

Chacun a raconté son histoire, celle de leur inconscient profond. La porte de la pièce où ils sont enfermés s’ouvre, mais sur un cimetière. Les hommes sortent un à un et disparaissent. Le dernier, Sebastian, donne la leçon de tout cela : ils se sont tous damnés et doivent revivre pour l’éternité leurs méfaits en racontant sans cesse leur histoire.

C’est d’un fantastique étrange, plutôt sophistiqué, tout à fait dans les explorations esthétiques des années post-68 à Londres. Les histoires vont crescendo dans le bizarre et captivent. Un bon spectacle, servi par un coffret cher, mais réédité en remastérisé et haute définition, qui comprend un livret écrit et un second DVD de suppléments.

DVD Le Caveau de la terreur – les contes de la crypte (The Vault of Horror), Roy Ward Baker, 1973, avec ‎ Dawn Addams, Tom Baker, Michael Craig, Denholm Elliott, Curd Jürgens, 1h26, ESC nouveau master haute définition, Blu-ray €40,98

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La crise de Coline Serreau

Le film a trente ans mais la société française qu’il décrit n’a guère changé. Il s’agit toujours de rester égoïste, d’avoir peur de la mort, de consommer à outrance des médicaments comme des doudous, de mal bouffer sans y penser, de baiser en adultère, ne supportant pas les contraintes et les compromis, de recomposer les familles au détriment des enfants, de se dire antiraciste tout en étant raciste, de se poser comme « socialiste » tout en habitant Neuilly et en se foutant comme de son premier slip des électeurs…

La satire comédie commence avec Victor (Vincent Lindon), conseiller juridique de trente ans, qui se réveille un matin sans sa femme : elle est partie – et les enfants n’ont plus de lait ! Une fois au boulot, il veut s’ouvrir de ses malheurs à son assistante, mais celle-ci lui annonce qu’il est licencié, malgré sa récente performance sur un dossier qui a rapporté des millions. Lorsqu’il veut embaucher ladite assistante, avec qui il a l’habitude de travailler, elle lui annonce qu’elle le quitte, elle a trouvé un nouveau boulot. Jusqu’à sa propre mère (Maria Pacôme) qui annonce son divorce, à 50 ans, pour partir avec un quarantenaire marié et baiser enfin comme elle veut ! Un reste des années post-68…

C’en est trop. Tout à la fois. Tout d’un coup. Comme ce violon qui part en morceaux entre les mains de la virtuose qui a un concert dans deux jours, et que Vincent va voir, en désespoir de cause, pour que quelqu’un l’écoute. Mais personne n’écoute plus personne dans les années Mitterrand, chacun se renferme sur son égo et dans ses petits problèmes. L’épouse du médecin homéopathe ne comprend pas son mari qui perd du temps avec ses malades au lieu de gagner de l’argent pour payer le loyer, les mensualités de la maison et les traites de la résidence secondaire – alors que lui ne veut pas prescrire des pilules et plutôt préserver la santé de ses patients. Les médecins traditionnels chinois font de la prévention de santé plutôt que les « soigner » une fois qu’ils sont malades.

Certains font avec les égoïsmes, comme cette famille décomposée aux sept ou huit enfants de pères et de mères appariés différemment selon les années, et qui partent tous ensemble aux vacances de ski. Il y avait encore de la neige sous Mitterrand, c’était le paradis socialiste. L’invitation chez un député PS de Neuilly (Didier Flamand), par la sœur de Vincent (Zabou Breitman) qui dirige une agence de marketing, est un morceau d’anthologie. Les enfants adolescents du couple de bobos (Max Mc Carthy et Pénélope Schellenberg) sont résolument végan écolos et foutent à la poubelle tout le dîner des parents qu’ils récusent : foie gras, côte de bœuf, gâteau et alcools. Michou, laissé à la grille, va tout récupérer à la poubelle et s’en régale jusqu’à être malade. Ce sont de sales mômes intolérants mais que personne n’écoute, et qui se radicalisent – comme aujourd’hui une fois devenus adultes. Autre reste post-68…

Vincent ne sait plus sur quel sein de dévouer, entre sa femme qu’il aime encore, surtout son épaule lisse, sa sœur avec qui il dort dans le même lit, torse nu, « comme avant » (à 13 ans) – reste des mœurs post-68… Mais aussi les épouses de ses amis qui ne songent qu’à divorcer, en warriors féministes volontiers « hystériques » – faute d’être écoutées. Vincent racole alors son inverse absolu, Michou (Patrick Timsit), un sans-domicile de Saint-Denis qui le colle pour attraper une bière. Élevé par son frère, il est sans boulot faute de domicile à donner et a dû quitter le deux-pièces parce que l’épouse est atteinte d’un cancer en phase terminale. Mais Vincent ne veut pas entendre, il accuse Michou de se victimiser par misérabilisme – tous ces mots introduits par le socialisme pour engluer la politique de lourde démagogie.

Ce qui entraîne une autre scène mémorable où Michou, face au député socialiste, se dit ouvertement raciste : « Ben oui, les Arabes, ils prennent tout, nous on n’a rien… » Facile de n’être pas raciste quand on habite une belle maison bourgeoise protégée à Neuilly, beaucoup moins quand on côtoie tous les jours les immigrés et leurs mœurs dans les petits appartements des barres de Saint-Denis. Voter Front national (pas de Rassemblement, à l’époque) ? « Moi, j’vote pas, mais si je votais, oui. » Tout est dit de l’écart entre les élites et le populo ; tout est prédit du virage Mélenchon qui délaisse le populo bien de chez nous pour aller draguer les immigrés à droit de vote dans les banlieues ex-rouges. Rien n’a changé, toujours les « damnés de la terre » et le « Tiers monde » post-68…

Vincent, à force de se prendre des tôles par les uns et les autres, et d’avoir enfin le temps d’y penser parce qu’il n’est plus vraiment pris par son boulot, va finir par comprendre. Qu’il est individualiste obnubilé par son ego, un ado attardé qui ne pense qu’à lui, un macho sans y penser qui attend tout des bonnes femmes, mal habitué par sa mère.

Il va s’ouvrir à la musique lors du concert de la violoniste à l’instrument réparé, il va comprendre pourquoi ce désastre l’obsédait. Il va s’ouvrir aux malheurs de Michou et l’accepter comme assistant, malgré ses bourdes de lourdaud. Il va aller voir son frère et l’épouse cancéreuse, laquelle va lui livrer à l’oreille un secret pour que les femmes soient toujours amoureuses de lui (qu’on ne saura pas). Il va voir qu’il s’agit d’une Arabe – « mais non, Djamila n’est pas arabe, c’est Djamila… », tout comme les copains du quartier, l’escalier B et C de l’immeuble – en fait tous ceux qu’on connaît qui ne sont pas des « Arabes » mais des connaissances ou des amis. Il va faire amende honorable auprès de sa belle-mère, prendre (enfin) des nouvelles de ses enfants en vacances chez elle, en donnant des nouvelles des sandwiches laissés sur la table de cuisine lors du départ en retard – comme toujours. Il va retrouver sa femme, au fond partie pas loin et pas avec quelqu’un, mais pour « réfléchir ».

Il va revivre, dessillé, enfin adulte. Enfin, on l’espère, parce que trente ans ont passé et la société n’a guère changé. Les trentenaires ont la soixantaine, les enfants recomposés ont la trentaine et les liens les plus forts pour s’intéresser aux autres passent aujourd’hui majoritairement par les réseaux sociaux : bien à distance, assis confortablement à son bureau, avec toute l’abstraction de la Morale pour les autres.

Une bonne comédie de mœurs qui a du mal à démarrer, dans un tourbillon de bons mots qui saoule un peu, avant de prendre son rythme de croisière avec des morceaux qui restent d’anthologie.

César 1993 du meilleur scénario original ou adaptation. DVD heureusement réédité en nouvelle restauration pour ses 30 ans.

DVD La crise, Coline Serreau, 1992, avec Vincent Lindon, Patrick Timsit, Zabou, Maria Pacôme, Yves Robert, Tamasa diffusion 2023, 1h32, €21,01 nouvelle restauration 4K, Blu-ray €22,77, ancienne édition 2015 €27,90

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L’invraisemblable vérité de Fritz Lang

Jusqu’où le militantisme peut-il aller dans l’activisme ? A jouer de sa vie. C’est ainsi qu’Austin Spencer (Sidney Blackmer), un directeur de journal convainc l’un de ses journalistes vedettes Tom Garrett (Dana Andrews), qui doit épouser sa fille Susan (Joan Fontaine), de se prêter à une expérience judiciaire. Il est contre la peine de mort dans son État, qu’il considère barbare, surtout lorsque le condamné peut être innocent. Or la mort est souvent donnée sur des preuves qui ne sont que des convictions, pas des faits. Sa conscience est aux prises avec les affres de la morale.

Il est en opposition avec le District attorney Thomson (Philip Bourneuf), fanatique de la Loi et en course pour sa réélection, qui fait condamner par un jury après avoir énoncé toutes les preuves directe et indirectes. Lui n’a pas de cas de conscience, ce n’est pas lui qui condamne, mais le jury populaire. Il ne fait que rassembler les éléments de culpabilité.

Les deux journalistes vont donc mettre en œuvre une machination secrète, visant à démontrer l’inanité des preuves apparentes. Tom va jouer le meurtrier d’une danseuse de bar, Patty Gray, retrouvée étranglée dans un ravin proche de la ville. Aucun indice jusque là découvert par la police ne permet une piste. Qu’à cela ne tienne, les deux compères vont en fabriquer. Mais non sans prendre à chaque fois un cliché de ce qu’ils font et conserver les factures de ce qu’ils achètent pour établir – in fine – l’innocence du probable condamné.

C’est ainsi que Garrett achète un pardessus gris comme un témoin croit en avoir vu un sur le dos de l’homme qui a pris Patty dans sa voiture noire d’un modèle récent. Garrett possède le même véhicule, ce qui est pratique. Il va laisser des traces de crème à maquillage utilisé par les filles sur la banquette ainsi qu’un bas de femme dans la boite à gant. Puis son briquet, un modèle de luxe offert par Susan pour leurs fiançailles, avec son prénom gravé dessus. Le tout dûment pris en photo, avec la date à l’arrière. Il lie connaissance avec Dolly, une camarade de danse de Patty, puis l’emmène dans sa voiture noire, revêtue de son pardessus gris, jusque près du ravin fatal. Dolly, que ses copines incitent à se méfier de ce bel homme riche que nulle ne connaît dans le bar, prévient le lieutenant de police Kennedy (Ed Binns) qui suit l’auto et interpelle Garrett alors qu’il cherche à embrasser Dolly et qu’elle résiste.

Garrett est arrêté, les preuves contre lui s’accumulent, le procès a lieu. Le District attorney fait son travail de conviction au vu des preuves et laisse au jury le soin de conclure. Garrett a beau affirmer maintes fois qu’il ne connaît pas Patty, le jury hésite longuement – puis le juge coupable de meurtre avec préméditation et le condamne à mort. Thomson est content, il a fait son boulot.

C’est alors que Spencer sort les preuves de la machination de son coffre, les met dans une enveloppe, et sort sa voiture du garage pour aller les porter au tribunal afin de faire invalider la peine en prouvant l’innocence de Tom. Mais il recule sans regarder et un camion le percute de plein fouet, renversant le véhicule, le tuant sur le coup et répandant le feu sur la scène. Les preuves sont détruites… Garrett va être exécuté. Son avocat, qui n’est pas au courant de la mise en scène, et Susan, qui croit aimer son fiancé malgré le jugement de meurtre, vont tout mettre en œuvre pour retarder l’exécution et trouver des preuves contraires afin de réviser le procès. Mais le secret a été trop bien gardé et personne ne sait que les preuves incriminables ont été fabriquées. Les photos ont même été prises avec un appareil à développement instantané, ne laissant ni double ni négatif ! Aucune copie n’a été faite des factures du pardessus, de la crème à maquillage. Le spectateur se dit que les militants anti peine de mort ont été bien légers de jouer avec le destin…

Sauf que Spencer a quand même laissé une lettre qui décrit en détail la mise en œuvre des fausses preuves, retrouvée après sa mort – mais avec un long délai – dans l’un de ses coffres-forts par son exécuteur testamentaire. Une précaution bienvenue qui se révèle in extremis pour gracier Tom. Susan va le voir en prison pour lui apporter cette bonne nouvelle, tandis que la grâce est présentée au gouverneur de l’État. Mais, retournement de situation : Tom se coupe en donnant le vrai prénom de « Patty » qui était Emma, alors que la presse n’en a pas parlé. C’est donc qu’il la connaissait ! Il serait donc coupable ?

Cela reste à prouver, mais les preuves ayant été falsifiées, comment s’y retrouver ? Condamne-t-on un homme juste sur un lapsus ? Tom va cependant avouer à celle qu’il croit amoureuse que « Patty » était sa première femme, épousée par complot, et qui n’a pas voulu divorcer au Mexique, comme il l’avait payée pour le faire. Pour épouser Susan, il devait la faire disparaître. Quant à elle, Susan se révèle très en-dessous de la femme amoureuse telle qu’elle se croit. En fait, elle n’aime pas Tom mais voulait s’allier à lui par convenances, parce qu’il plaît à son père, c’est là la faiblesse du film. On ne croit pas une seconde à l’amour entre Susan et Tom même s’ils s’embrassent à tire-larigot entre deux clopes et deux verres, ces scies de mise en scène des années cinquante à Hollywood.

Drame de conscience assez court pour Susan. Puisqu’au fond elle ne l’aime pas, elle n’hésite que quelques instants avant de le dénoncer. Elle aurait pu se taire devant l’acte d’amour que Tom avait fait pour elle. Mais non, la Conscience la tourmente, ce ramassis de conventions sociales auquel elle n’a aucun courage de déroger. Le personnage manque ainsi de dimension tragique ; elle n’apparaît que comme une poupée sociale qui ne mérite pas d’être aimée. Le gouverneur saisit sa plume, le téléphone sonne, le Dictrict attorney lui passe Susan, il l’écoute, puis range sa plume. Il ne signera pas la grâce. Tom Garrett est ramené en cellule en attendant son exécution.

DVD L’invraisemblable vérité (Beyond a Reasonable Doubt), Fritz Lang, 1956, 1h20, Lang & l’Amérique : 2 Films de Fritz Lang – La cinquième Victime + L’invraisemblable vérité [Édition Collector] Masters restaurés avec le livre « La nuit américaine de Fritz Lang » de Bernard Eisenschitz (80 pages) 2012, €181,13

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Italo Calvino, La route de San Giovanni

Ce livre est un racolage de cinq récits plus ou moins autobiographiques déjà paru dans des revues, de 1963 à 1977. Il a été publié par sa veuve Esther après la mort de l’écrivain en 1985 à 61 ans d’une hémorragie cérébrale. Une publication somme toute « alimentaire », car ces récits n’ont rien en commun et présentent, pour les trois derniers, une écriture expérimentale peu lisible aujourd’hui – disons-le carrément : « chiante ».

Seul les deux premiers récits sont intéressants.

La route de San Giovanni, qui donne son titre au recueil, porte sur les souvenirs d’enfance avec son père, dans un village près de San Remo. Le père est attaché à la terre, à sa propriété, à sa production ; il ne voit pas plus loin que son terroir, agricole à l’ancienne jusqu’aux bout des ongles. Le fils, né en 1923 et revenu en Italie à l’âge de 2 ans, a grandi dans le fascisme mussolinien et sa propagande. Il voit tout ce que son père a d’ancestral mais aussi d’archaïque. Lui rêve au contraire de grand large, d’ouverture au monde, de la ville plus que de la campagne.

Un exemple de style : « On comprend combien nos routes, celles de mon père et la mienne, divergeaient. Mais quelle était la route que je cherchais, moi aussi, sinon la même que celle de mon père, creusée au cœur d’une autre extranéité, dans le supramonde (ou enfer) humain, qu’est-ce que je cherchais du regard sous les porches mal éclairées dans la nuit (parfois, l’ombre d’une femme y disparaissait) sinon la porte entrouverte, l’écran de cinéma à traverser, la page à tourner qui introduit dans un monde où toutes les figures et les mots pouvaient devenir vrais, présents, mon expérience personnelle, et non plus l’écho d’un écho d’un écho. »

S’il ramène chaque jour les productions du jardin et de la ferme, dans les hauteurs, en parcourant immuablement le même chemin de San Giovanni (Saint Jean), le garçon s’intéresse peu au nom des plantes que son père aime à se remémorer. Il préfère aller à la plage, au cinéma, voir les filles et les gens. Ce contraste entre deux mentalités, et deux générations à cette période charnière du XXe siècle où l’industrialisation et la mondialisation bouleversent les sociétés, est décrit selon la mémoire, donc reconstruit, mais édifiant.

Malgré le fascisme, et sa censure nationaliste à la Poutine, le cinéma est cette porte ouverte sur le monde. C’est l’objet du second récit, Autobiographie d’un spectateur, où le jeune Italo raconte sa boulimie de films, un voire deux par jour en semaine, pris en cours de route par la manie des cinémas italiens d’ouvrir la séance à quiconque désire entrer, même au milieu d’un film. L’adolescent a vu beaucoup de cinéma américain, mais aussi des films français et italiens. Ceux qui lui ont fait le plus d’effet sont les américains, mais il rend grâce à Fellini pour avoir traduit, pour sa génération, les états d’âme de la société italienne bien mieux que les autres.

Le reste du recueil est à oublier, sauf pour les aficionado inconditionnels qui ont tout lu de l’auteur et qui aiment. Le Souvenir d’une bataille de partisans, à laquelle l’auteur a participé dans le nord de l’Italie en 1945, n’est pas un souvenir mais une glose sur comment se souvenir, ce qu’on retient et ce qu’on oublie, en bref un grand « rien ». La poubelle agréée, récit de son rituel vidage de poubelle dans sa petite maison du XIVe arrondissement de Paris où il résidait dans les années 70, ressemble à la névrose du bouton de porte chez Robbe-Grillet – dix pages au moins dans son Nouveau roman – avec une tentative d’analyse sociologique de la société tout à fait dans le ton marxisant de l’époque. Quant à De l’opaque, autant qu’il le reste, je n’ai pu aller au-delà de la troisième page.

Italo Calvino, La route de San Giovanni (La Strada di San Giovanni), 1990, Points Seuil 1998, 175 pages, €7,50 e-book Kindle €7,49

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Terminator 2 de James Cameron

Un film culte, sorti en 1991 après la guerre du Golfe, suite d’un précédent film sorti en 1984 après l’arrivée de Ronald Reagan au pouvoir. Ce n’est pas anodin : l’Amérique s’est réveillée et craint la guerre totale universelle. Moins celle menée par les Soviétiques ou les Arabes que celle que rend possible la technologie.

Le mot est lancé : ce sont bien les machines qui menacent l’humanité. Et parmi elles, « l’intelligence » artificielle, les processus automatiques sans âme qui reproduisent la bureaucratie anonyme des bas esprits binaires chez qui tout doit être blanc ou noir. L’envoi par « le rectorat » de Versailles de la lettre aux parents de l’adolescent harcelé qui s’est suicidé dans les Yvelines en septembre 2023 montre combien « l’intelligence » artificielle n’est pas réservée aux machines. Et combien le comportement administratif des je-m’en-foutistes et je-t’emmerde-c’est-le-règlement déshumanise les relations humaines.

La fiction veut que la découverte de puces électroniques révolutionnaires ait permis l’automatisation des bombardiers (aujourd’hui les drones) grâce à un processus automatique livré à lui-même (tir à vue sur cibles). L’hubris des militaires – évidemment américains – a poussé à la machinisation poussée de tout le système de défense afin d’éviter les émotions humaines et autres retards de riposte. L’ordinateur qui contrôle les machines, Skynet (le nom est aujourd’hui repris par un site de livraisons), a déclenché la Troisième guerre mondiale en atomisant l’Union soviétique afin d’assurer en riposte la pulvérisation des humains à Washington qui voulaient l’empêcher d’agir et reprendre la main.

Le Skynet du futur avait envoyé en 1984 un Terminator, cyborg tueur T-1000 en « métal liquide », pour éliminer Sarah Connor (Linda Hamilton), mère du futur John Connor qui deviendra chef de la résistance humaine contre les machines. Raté ! Skynet envoie donc un nouveau tueur cyborg en 1995 (Robert Patrick), juste avant le début de la guerre atomique survenue en 1997, pour éliminer John adolescent (Edward Furlong, 13 ans au tournage). Le John du futur, vers ses 45 ans, envoie lui aussi un cyborg afin de le protéger du tueur, mais ce n’est qu’un modèle T-800 plus ancien (Arnold Schwarzenegger). Il est capable d’apprendre, doté d’une IA assez performante (plus que le niveau atteint aujourd’hui par les chercheurs). Le gamin prendra un malin plaisir à lui enseigner ses expressions d’ado de l’époque comme « claque m’en cinq, hasta la vista Baby ou reste cool sac à merde ». Il est aussi capable de sourire, ce que ne fait pas le T-1000. Ces moments d’humour font beaucoup pour l’empathie du spectateur envers John et envers T-800.

La mère découvre en outre que le cyborg serait « un père parfait » pour son fils, elle ayant raté tous ses amants successifs avant d’être internée en hôpital psychiatrique. En effet, la machine est toujours disponible, prête à jouer à tout, sans jamais l’engueuler ou le battre, et le protégera quoi qu’il arrive. Un bizarre féminisme de la part d’une mère devenue quasi androïde dans sa paranoïa… Mais cette relation ado-cyborg est bien le cœur du film, ce qui en fait probablement le meilleur de la série Terminator.

Terminator 2 se voit et se revoit avec plaisir tant il est empli d’action sur fond d’apocalypse, comme notre époque angoissée le chérit. L’ado est assez banal, ni très costaud ni vraiment sexy malgré sa mèche à la mode, mais débrouillard et d’un calme jamais vu à cet âge en de telles circonstances. La mère séduit moins, en névrotique musclée pas très aimante, fascinée par le cliquetis des armes. Les cyborgs sont comme ils se doit : des machines sans âme qui font leur boulot inexorablement (ainsi qu’on demande à tout militaire américain et à tout bureaucrate français). Le T-800 paraît plus sympathique parce qu’on lui a ordonné de protéger un jeune humain et que cette fonction lui donne le comportement d’une figure paternelle. Le T-1000 est implacable et rusé, tout à fait dans son rôle, le visage-masque impassible comme un soviéto-nazi de caricature.

Les effets spéciaux font moins d’effet depuis qu’ils se sont multipliés avec l’électronique au cinéma, mais les séquences cultes ne manquent pas. A commencer par la première qui voit Schwarzenegger sortir tout nu d’une sorte d’œuf électro-magnétique dans la banlieue industrielle de Los Angeles. Sa prestation dans le bar-billard donne le ton : il en impose par sa prestance, sait ce qu’il veut, résiste aux coups et casse toute résistance des machos rockers bikers californiens fort à la mode en ce temps-là. Il obtiendra vêtements, moto et fusil à pompe sans vergogne et descendra les marches sur un riff de guitare électrique mémorable.

Une autre séquence est la poursuite du gamin en moto que menace un énorme truc américain, un camion comme dans Duel de Spielberg. Ce ne sera pas le seul camion à poursuivre les héros mais reste le symbole de la machine macho par excellence qui écrase de sa puissance tout insecte humain sur sa route.

La séquence explosions où la bande des quatre (avec Joe Morton en chercheur coupable) fait tout sauter du labo de technologie de pointe afin d’empêcher (ou de ralentir…) la recherche sur la puce du futur est aussi d’anthologie, avec tirs continus et massacre de bagnoles de flics à l’américaine.

Enfin l’ultime séquence du suicide du cyborg protecteur dans la fonderie, après une violente et douloureuse bagarre avec le cyborg agresseur dont le métal liquide se reforme au gré des formes qu’il prend, reste dans les mémoires comme un moment d’émotion. L’ado a récupéré sa mère mais perd son père de substitution : il devient adulte. Mais l’IA a compris le sens de l’émotion humaine via les larmes. Peut-être est-elle capable de s’humaniser et de quitter le binaire glacé des machines ? C’est du moins le sens que tente maladroitement de suggérer Sarah Connor en voix off.

DVD Terminator 2 – Le jugement dernier (Terminator 2: Judgment Day), James Cameron, 1991, avec Arnold Schwarzenegger, Linda Hamilton, Robert Patrick, Edward Furlong, Joe Morton, StudioCanal 2017, 2h11, édition remasterisée €9,99 Blu-ray 3D €36,61

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JFK d’Oliver Stone et Enquête

John Fitzgerald Kennedy, le 35ème président des États-Unis, a été assassiné à Dallas le 22 novembre 1963 – cela fait soixante ans. Il y a trente ans, et quasi trente ans après les faits, Oliver Stone remet en cause les conclusions de la commission sénatoriale Warren, semble-t-il inféodée aux intérêts « d’État », autrement dit aux services secrets CIA et FBI comme aux Renseignements militaires et plus généralement au lobby militaro-industriel, si puissant dans la première puissance de la planète qui entend le rester.

Le film met en scène l’étonnement puis la mission du procureur général de la Nouvelle-Orléans Jim Garrisson qui décide de porter devant un tribunal les complicités d’un mafieux utilisé par la CIA, Clay Shaw. Moins pour gagner que pour remettre en cause la version officielle et inciter les citoyens américains à utiliser leur raison et leur bulletin de vote pour contrer ce qui devient, insidieusement, « le fascisme » (le terme est prononcé). Au moment où la violence fait irruption en politique en Europe et en France, et pas seulement à l’extrême-gauche comme d’habitude, où l’on brûle la maison d’un maire, où l’on tabasse un neveu par alliance d’un président, où l’on caillasse des permanences d’élus cette incitation au sursaut civique nous parle toujours.

C’est ça, le fascisme : la libération des pulsions primaires, le permis de casser, de torturer, de violer, de tuer impunément ; dans la démocratie, seul l’État a le monopole de la violence légitime, il ne la délègue pas à des nervis privés. Mussolini a commencé par l’huile de ricin introduite de force dans la gorge des opposants avant de carrément les assassiner ; Hitler a lancé ses Sections d’assaut bourrées à la bière contre les magasins juifs et contre les « pédés communistes » avant de les enfourner en camps, destinés à l’extermination ; Poutine a accusé ses opposants politiques des pires turpitudes sexuelles ou fiscales avant de les empoisonner ou de les « suicider » par pendaison. Dans l’Amérique de Lyndon Johnson, devenu président sur un tarmac d’aéroport, – selon Oliver Stone – le lobby des puissants se servait des « services » comme Poutine et usait de la mafia comme Poutine, pour leurs intérêts : inciter à la guerre, vendre des armes, faire la grande gueule contre l’URSS, parquer les Noirs revendicatifs. Robert Kennedy, ministre de la Justice, puis Martin Luther King seront assassinés à la suite de JFK, pour les mêmes raisons.

Le film d’Oliver Stone est trop long, son montage trop haché et fébrile, notamment au début, faisant tourner la tête – ce qui est peut-être voulu. L’histoire de couple si conventionnelle de l’épouse cherchant à retenir son cher mari à la maison « avec les enfants » (cinq en 8 ans dans ces années baby-boom), opposée au mari en chevalier combattant les moulins comme un preux à l’extérieur, est bien niaise. Les méchants sont clairement identifiés et marqués comme gros, machos ou pédés, en tout cas véreux. Les bons doutent mais ne renoncent jamais. C’est un peu Stone comme conte.

Mais le fond du propos reste un point d’histoire non encore véritablement élucidé, et une réflexion sur le pouvoir, ses limites et ses abus. L’Enquête, sur un DVD séparé (en version originale sous-titrée en français), issue des travaux de la Commission de révision des dossiers d’assassinat en 1994 et 1998, offre quelques documents et témoignages qui n’apprennent pas grand-chose de plus mais confirment en 2021 ce qui est dit dans le film de 1991. Comme quoi on « savait » malgré les précautions, il manquait seulement les « preuves » juridiques concrètes des implications des uns et des autres, notamment l’accès au film de Zapruder qui dure 26 secondes et qui a tourné en direct la mort de John Kennedy. Il y aurait eu trois tireurs et au moins quatre balles en tir croisé, dont deux mortelles ; Oswald était un bouc émissaire facile, préparé pour cela à son insu ; d’autres complots avaient été préparés selon les mêmes modalités, à Chicago et à Tampa, avec à chaque fois un bouc émissaire plausible pour masquer l’équipe d’une douzaine de personnes autour ; l’autopsie a été falsifiée et « la balle magique » retrouvée pas la bonne.

Selon cette thèse, les assassins ne seraient ni l’URSS, ni Cuba, ni la Mafia américaine, mais bel et bien une partie réactionnaire des « services », aigris du refus de Kennedy d’assurer la couverture aérienne de la désastreuse tentative d’invasion de Cuba par les anti-castristes préparés par la CIA, puis par son désir d’arrêter l’escalade au Vietnam tout en promouvant une politique de détente internationale. Ils auraient été aidés par l’ambiance de droite radicale du Texas à tous les échelons, de l’administration à la police, qui n’offre qu’une protection très laxiste au cortège présidentiel à Dallas, « cité de la haine ».

A noter que le Texas reste un bastion de l’extrême-droite réactionnaire aux États-Unis encore aujourd’hui. Oliver Stone met de la cohérence dans le flot de documents et témoignages contradictoires. Il a l’avantage de proposer une « belle histoire » qui oppose progressistes et conservateurs ; elle séduit par sa logique mais sélectionne ses preuves. Est-ce vrai ou seulement véridique ? Tout est là.

Les complotistes plongeront à pieds joints dans l’histoire telle qu’ainsi racontée, les citoyens moyens soupçonneront que les politiciens leurs cachent des choses et se méfieront d’eux (ils vireront Nixon par Impeachment une dizaine d’années plus tard), les historiens douteront – c’est leur métier – d’autant que l’ensemble des documents ne sera pas déclassifié avant 2029, notamment le témoignage de Jacqueline Kennedy elle-même !

Mais ce beau moment de cinéma remet l’ouvrage sur le métier et incite à réfléchir sur la communication, la présentation des faits par les officiels, les médias et l’opinion commune, toutes entités manipulables à merci.

DVD JFK, Oliver Stone, 1991 + JFK L’enquête (JFK Revisited – Through the Looking Glass), 2021, 2 DVD, édition 60ème anniversaire – Version longue Director’s Cut, avec ‎ Kevin Costner, Tommy Lee Jones, Kevin Bacon, Donald Sutherland, Jay O. Sanders, L’Atelier d’images 2023, 3h17, €19,99 Blu-ray €24,99

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Alien le huitième passager de Ridley Scott

L’alien, c’est l’étranger en anglais, terme qui vient du latin alienare, égarer la raison, transformer, rendre hostile. Le mot a donné « aliéné » en français, celui qui est hors de sa raison, le fol.

L’Alien est un monstre de l’espace, suprêmement intelligent, télépathe, et sans aucune conscience « humaniste ». Le rêve des libertarien américains. Il est efficace, cruel pour arriver à ses fins, n’hésitant jamais à faire tout ce qu’il peut pour se reproduire et prendre le pouvoir; un vrai psychopathe. Le rêve des capitalistes yankees. A noter que les créatures extraterrestres « aliens » sont des reines qui se reproduisent en agrippant au visage n’importe quel être vivant sans avoir besoin de mâles. Le rêve des féministes anglo-saxonnes. D’ailleurs, l’héroïne du film est la troisième lieutenante du vaisseau, Ellen Ripley (Sigourney Weaver), ce qui accentue le message.

Ce film, dont le scénario de Dan O’Bannon n’est pas très bon à cause des invraisemblables manquements aux règles les plus élémentaires de sécurité dans l’espace au début, est devenu un mythe. Il s’est décliné en six suites et plusieurs jeux vidéos ou jeux de rôle. L’Alien est l’étranger qui s’inocule chez vous, dans votre cocon, dans votre ventre même, et qui vous transforme en esclave pour ses besoins propres. Une allégorie de « l’immigration » non consentie ou du « viol » physique, thèmes qui résonnent toujours fort de nos jours.

Le cargo interstellaire Nostromo, qui transporte une cargaison de 20 millions de tonnes de minerais pour une puissante compagnie privée, retourne vers la Terre. L’ordinateur de bord appelé « Maman » réveille les sept membres de l’équipage maintenus en biostase pour une raison non-commerciale mais militaire : un signal radio inconnu a été capté, émis depuis un planétoïde du système binaire Zeta Reticuli. Les consignes exigent d’aller voir pour enquêter sur toute vie extraterrestre. La navette attenante au vaisseau est donc détachée avec tout l’équipage pour atterrir sur la planète.

Si le lieutenant Ellen Ripley, l’officier scientifique Ash (Ian Holm), l’ingénieur Parker (Yaphet Kotto) et le technicien Brett (Harry Dean Stanton) restent à bord de la navette, le capitaine Dallas (Tom Skerritt), son second Kane (John Hurt) et la navigatrice Lambert (Veronica Cartwright) débarquent à pied en scaphandre pour aller voir le signal, qui émet à 2000 m de leur atterrissage. Les scaphandriers contiennent des enfants, les fils de Ridley Scott, pour rendre le décor plus grand qu’il n’est.

Kane, qui ne prend aucune précaution élémentaire devant l’inconnu et qui explore comme un gosse, tombe devant des « œufs » qu’il s’empresse d’approcher de près et de toucher. Il ne lui vient pas une seconde à l’esprit que ce pourrait être dangereux. D’autant que nul n’a eu l’idée de faire décoder le signal radio par « Maman », ce qu’entreprend en attendant le retour des trois la lieutenante Ripley. Kane est donc victime – par imprudence et bêtise – d’un parasite qui explose d’un œuf pour se fixer à son visage comme un masque.

Il est ramené au vaisseau et, malgré l’ordre de Ripley, commandante de la navette en l’absence du capitaine, est introduit dans la cabine par Ash. Pire, au lieu d’être mis immédiatement en hibernation afin d’en savoir plus et de le soigner sur terre, il est conduit à l’infirmerie où l’officier scientifique l’examine et dit que tout va bien.

Et ce n’est pas entièrement faux. Kane se réveille, le masque qui le couvrait étant tombé tout seul. Il plaisante, a soif et faim, se restaure comme un ogre… avant d’être pris brutalement de nausées et d’expulser par le ventre un xénomorphe qui ressemble à un jeune dragon. Ash empêche Parker de le poignarder au sortir du ventre. Kane meurt et tous les autres sont menacés, comme l’avait prédit Ripley.

Seul l’ingénieur technique noir Parker a du bon sens dans tout cet équipage de demeurés. Lui veut éliminer carrément l’alien alors que le scientifique Ash tergiverse et que le capitaine s’en lave les mains. Quant à la navigatrice, elle est gourde et tétanisée, elle ne sera d’aucune utilité et victime consentante du monstre qui la viole d’une antenne et jouit de ses cris.

Car l’alien devenu très vite adulte (Bolaji Badejo) massacre un à un tout l’équipage, sauf Ripley, moins bête que les autres, qui prend le temps de réfléchir avant de faire n’importe quoi. Il est assez pénible aujourd’hui de suivre les actions stupides de tous ces gens réputés entraînés, éduqués, prévenus (comme d’introduire l’inconnu dans le vaisseau, ne pas respecter la quarantaine, empêcher qu’on le tue au sortir du ventre, aller traquer le monstre à la torche). L’espace n’est pas un bac à sable, et pourtant ils font comme si.

La raison donnée est militaro-industrielle, scie des intellos hollywoodiens en mal d’idées. Ash, qui a remplacé le médecin militaire précédent sans raison, se révèle un androïde placé dans le vaisseau par la compagnie pour assurer la mission. Il tente de tuer Ripley dans un simulacre de viol en lui enfonçant une revue porno roulée dans la bouche lorsque, devenu capitaine après la mort du capitaine, elle apprend par Maman que les ordres sont d’assurer le retour de l’Alien aux laboratoires de la compagnie multinationale Weyland-Yutani, « même si cela implique la disparition de l’équipage ». Les « affaires » avant tout, ou plutôt la puissance militaire au mépris de la vie humaine – un air connu aux États-Unis entre Vietnam et Watergate.

La seule survivante de cette histoire avec le chat Jones (quatre chats roux différents ont joué le rôle) parvient à durer après avoir enclenché l’autodestruction du vaisseau et détruit ainsi symboliquement la Mère qui a trahi (Maman). Mais l’alien, rusé, s’est introduit dans la navette et Ripley doit ruser elle aussi, s’adapter en bonne humaine intelligente, pour éviter de penser à ce qu’elle va faire afin de ne pas alerter le monstre et le surprendre. Elle réussit à passer un scaphandre, à ouvrir le sas et à éjecter la créature dans l’espace d’un coup de harpon. Elle dicte un rapport sur les événements avant de se mettre en hibernation avec cap sur la terre.

DVD Alien le huitième passager (version cinéma 1979 et Director’s Cut), Ridley Scott, 1979, avec ‎ Sigourney Weaver, Tom Skerritt, Veronica Cartwright, Harry Dean Stanton, John Hurt, 20th Century Fox 2014, 1h57, Blu-ray €19,49 version classique DVD 2005 €11,47

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Opération Eye in the Sky de Gavin Hood

Dix ans déjà mais la technologie reste neuve. L’usage de drones pour surveiller et punir est ici détaillé avec le dilemme éthique : faut-il tuer des terroristes s’il y a risque de dommage collatéral ?

La partie la plus palpitante est l’action. Le colonel Katherine Powell (Helen Mirren), de l’espionnage britannique, commande depuis les sous-sols de Londres une opération conjointe avec les Kényans (ex-colonie britannique) pour capturer trois dangereux terroristes blancs convertis au fanatisme islamique et alliés aux Shebabs somaliens : une Anglaise et deux Américains. Le drone qui surveille la maison où une réunion est susceptible de se tenir, et dont la révélation a coûté la vie à un informateur kényan, est surveillée par un drone américain, piloté depuis une base du Nevada, tandis que la reconnaissance faciale des images est effectuée dans une base de Hawaï. L’internationale anglo-saxonne du réseau Échelon donne ici toute sa mesure.

Sauf que la politique s’en mêle. Nous sommes « en guerre » contre le terrorisme mais les institutions mettent les politiciens au-dessus des militaires. Si l’opération a été discutée à haut niveau par les Anglais, les Américains et les Kényans, chaque modification doit être approuvée par toute la hiérarchie. C’est une contrainte juridique afin d’être couvert par le droit international. Même si on peut se demander pourquoi tant de légèreté pour une mission grave : les différentes options n’ont-elles pas été discutées et validées a priori ? Les Kényans opèrent sur place avec un oiseau robot qui transmet par caméra les vues de près, puis un scarabée drone qui peut pénétrer à l’intérieur des maisons, opéré par Jama, un Kényan des services (Barkhad Abdi). Comme dans un jeu vidéo. Chacun peut donc être informé en temps réel de la menace et du déroulement de l’opération.

Un commando kényan est près à intervenir mais les terroristes, étrangers et somalis, arrivés en voiture dans la cour de la maison, la quittent trop tôt pour qu’on puisse agir, d’autant que la certification de l’Anglaise recherchée n’a pu se faire ; elle porte voile et marche tête baissée, la maison a des rideaux à toutes les fenêtres. Dans le doute, le drone suit la voiture qui s’engage dans un quartier chaud tenu par les Shebabs, jusqu’à une autre maison où le drone scarabée parvient à identifier formellement les terroristes présents. Il faudrait alors intervenir, mais pas question de commando dans ce quartier, ce serait la guerre civile et de nombreux morts. Donc un missile lancé par le drone, et attendre qu’ils bougent.

Mais le scarabée, qui suit depuis le plafond les terroristes dans la maison, révèle plusieurs gilets explosifs tout préparés, que chacun s’empresse de revêtir avant de faire une vidéo-suicide. Un grave attentat se prépare donc – et il est imminent. L’opération change alors de sens : plus question de capturer pour juger, il faut éliminer. Mais les membres de la cellule de validation, à Londres, tergiversent. Juridiquement, le procureur général de la Couronne dit que l’opération est légale, tous les critères de menace, d’imminence et de proportionnalité étant réunis. Une conseillère est humainement contre : pays étranger, trop de dommages collatéraux dus à l’estimation entre 65 et 85 % de létalité dans un rayon d’une dizaine de mètres autour de l’impact. Le sous-ministre anglais ne veut pas prendre la décision, il veut être couvert. Le ministre des Affaires étrangères anglais est évidemment à Hong-Kong où il inaugure on ne sait quelle opération commerciale, en plus il a la chiasse et est de mauvaise humeur ; contacté finalement, il renvoie aux Américains qui approuvent de suite le changement d’opération de tirer pour tuer.

Cependant la décision n’est pas unanime, une petite fille vient de surgir le long du mur de la maison visée ; elle est envoyée par sa mère vendre du pain fait maison. Le lieutenant américain Steve Watts (Aaron Paul), chargé d’appuyer sur la détente refuse de tirer ; il veut lui laisser une chance de partir avant. La colonelle demande aux Kényans de faire acheter tout le pain pour qu’elle évacue la zone mais Jama est repéré par un Shebab armé et est forcé de fuir. Est-il humainement possible, et juridiquement valable, de tuer cinq terroristes parés à se faire exploser en causant au moins 80 morts, ou de risquer la vie d’une seule fillette innocente ?

Le dilemme est entre l’humanisme, qui dit non, et l’efficacité de la guerre, qui dit oui. Suspense – et nouveau recours aux « autorités » pour se couvrir. Le Premier ministre anglais qui est à Singapour pour jouer au ping-pong avec des étudiants pour on ne sait quelle opération diplomatique, est joint et donne son accord à la modification d’objectif. Mais il veut l’accord de la Maison blanche. Nouveaux appels, c’est oui partout, sauf dans la salle de commandes ; le ministre anglais présent cale, il n’ose pas. La colonelle demande alors à l’évaluateur de recalculer l’estimation de dommages autour du point d’impact en choisissant un point qui assure moins de 50 % de risque létal. Pendant ce temps, les terroristes sont tous équipés et s’apprêtent à quitter la maison. Il faut une décision – immédiate ! Ordre est enfin donné de tirer.

Le lieutenant tireur hésite toujours, c’est son premier tir ; il commence la check-list interminable en prenant son temps. Jama a réussi a semer ses poursuivants et mandate un gamin pour aller acheter tout le pain de  la fillette, ce qui est fait, à 40 secondes de l’impact. Le missile, lancé, met 50 secondes avant de toucher sa cible. Le gamin part en courant mais la fillette, obsessionnelle, tarde, elle replie sa nappe, range son couffin, enfin quitte le mur contre lequel elle est adossée.

Mais l’explosion est trop forte. Bien que déjà à cinq mètres, elle est projetée au sol. La caméra du drone l’observe, elle remue, elle n’est pas tuée. A 22 000 pieds d’altitude (6700 m), le drone fouille les décombres pour identifier les cadavres. La terroriste anglaise bouge encore ; il faut un second missile Harper. Lequel explose la terroriste et ceux qui pouvaient bouger encore mais sans plus aucun dommage collatéral, les murs ayant disparus et le souffle pouvant se disperser sans projeter de débris. Mission accomplie – mais une fillette est sérieusement blessée. Conduite à l’hôpital, elle décède, mais hors caméra du drone. Elle a donné sa vie sans le savoir pour en sauver plusieurs dizaines, dont des enfants comme elle.

Le dilemme est connu, faut-il en tuer un seul pour en sauver plusieurs ? Mais il se double de la lâcheté des politiciens qui veulent à tout pris se couvrir par le « droit » ou « les autorités supérieures », au risque de faire capoter toute l’opération. Après tout, un attentat dans un pays de bougnoules est-ce plus grave pour leur image qu’une image sur YouTube dénonçant le meurtre militaire d’une fillette par des Anglais ?

Poutine, Xi et les autres dictateurs doivent bien se marrer devant cette soupe de scrupules bêlants. La vie est tragique et la guerre n’est pas un exercice de salon. Certes, tirer depuis des milliers de kilomètres comme dans un jeu vidéo n’est pas très « guerrier », mais le terrorisme n’a aucune règle et si on lui fait la guerre, il faut la faire selon les règles de la guerre – et pas celles de la paix.

« Juger » un fanatique n’a aucun intérêt, pas même pédagogique ; ce qui importe est de l’empêcher de nuire. Par la capture et la prison si c’est possible (avec l’espoir un peu vain qu’un fanatique puisse abjurer sa foi…) ; par la mort si aucune autre option n’est offerte (lui la donne avec libéralité et ne craint pas d’aller au « paradis » des fanatiques – c’est-à-dire, si on lit les livres saints, quelque part en enfer).

L’humanisme à bon dos pour excuser ce qu’il faut bien appeler la lâcheté. Le droit, certes, quand les gens jouent les règles ; mais la force quand ils ne les jouent pas. Eux ou nous, il faut choisir.

Antigone l’a prouvé, aucune solution n’est totalement dans le camp du Bien, seulement pour le meilleur bénéfice de l’intérêt général. Devait-elle enterrer son frère contre l’édit du roi et être condamnée à mort pour transgression, ou vivre et laisser le frère aimé sans les rites funéraires qui lui permettraient de trouver le repos ? Elle a choisi le mieux selon ses critères : enterrer son frère – donc mourir. Toute action a ses inconvénients, toute guerre ses dommages collatéraux, c’est cela qu’on appelle le tragique.

L’important est de proportionner les inconvénients avec les avantages. Placé devant l’alternative, auriez-vous tiré ou pas ? Chacun jugera en sa conscience.

L’humanisme n’est pas l’humanitarisme ; il met plutôt en avant le rôle actif des capacités intellectuelles humaines, opposées à l’automatisme mécanique ou réflexe. Donc réfléchir avant d’agir, exercer son esprit critique plutôt que d’obéir comme un robot à un Commandement (divin ou politique). Ce qu’Albert Camus a mis en scène dans Les justes. A noter que, dans ce film anglais, les Américains sont plus directs et plus conscients de ce qui vaut le mieux que les politiciens anglais, qui cherchent tous à se défausser sur les autres.

Un bon film d’action qui met en scène tous les gadgets récents de la technologie appliquée au militaire. Un suspense prenant entre discussions stériles et actions concrètes. Une réflexion sur l’humain et la technique : outil à son service ou jouet efficace dont on ne peut que se servir ?

DVD Opération Eye in the Sky (Eye in the Sky), Gavin Hood, 2015, avec Helen Mirren, Aaron Paul, Alan Rickman, Barkhad Abdi, Phoebe Fox, TF1 studios 2016, 1h42, €7,20Blu-ray €14,44

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Ces garçons qui venaient du Brésil de Franklin Schaeffner

Le film, sorti en 1978, surfait sur la mode qui remettait les nazis au goût du jour. Il est adapté du roman d’Ira Levin sorti en 1976 et qui a connu un grand succès. Décédé en 2007, l’auteur était un juif new-yorkais connu surtout pour Rosemary’s Baby (une femme violée en rêve par le diable) dont Polanski a fait un film. Cette mode en croisait une autre mode surgie dans les années 70 : la génétique.

Depuis la Seconde guerre mondiale, en effet, la génétique a opéré des pas de géant. Dès 1944 il est démontré que l’ADN est le support biochimique des caractères héréditairement transmis ; en 1953 Watson et Crick prouvent la structure de l’ADN en double hélice ; en 1958 Jérôme Lejeune décrit la trisomie 21 ; dans les années 60 François Jacob, Jacques Monod et François Gros distinguent l’ADN mémoire de l’ARN messager. Au début des années 70, les méthodes et outils permettent le génie génétique et la manipulation des gènes en les recombinant. Et c’est en 1977, à la veille de la sortie du film, que débute le clonage des gènes humains.

Hitler et les nazis faisant de la « race » le socle de leur société et de leur projet politique, la rencontre des survivants du IIIe Reich et du clonage ne pouvait que s’opérer dans un thriller à succès. De quoi bien faire peur sur l’avenir avec les démons du passé.

Les garçons qui viennent du Brésil sont des bébés soumis à l’adoption dans des familles choisies à travers le monde. Il s’agit d’un complot mondial financé par d’anciens nazis, regroupés dans l’association des Kameraden (camarades), et dont la partie scientifique est opérée par le célèbre et démoniaque docteur Mengele (Gregory Peck, époustouflant dans le rôle). Celui-là même qui fit des expérimentations à vif sur les détenus des camps, juifs et non-juifs, femmes et enfants compris. Il s’est intéressé notamment aux jumeaux et à la génétique, comment l’environnement pouvait actualiser différemment les gènes. Après guerre, réfugié en Amérique du sud comme tant d’autres nazis, il est censé avoir poursuivi ses expériences sur les populations amérindiennes, considérées comme des sous-hommes même par les gouvernements latinos locaux.

Le vieil Ezra Lieberman (Laurence Olivier, remarquable avec son accent yiddish et sa bonhommie d’Europe centrale) est un célèbre chasseur de nazis sur le modèle de Simon Wiesenthal. Il vit à Vienne en Autriche avec sa sœur Esther (Lili Palmer) dans un appartement qui a des fuites et dont il peine à payer le loyer. Il reçoit un appel du Paraguay de la part d’un jeune juif activiste, Barry Kohler (Steve Guttenberg). Le jeune homme croit avoir un scoop : il a retrouvé des officiers nazis et même le docteur Mengele. Ce n’est pas neuf pour Lieberman, il le sait, comme tout le monde et conseille à Kohler de quitter le pays immédiatement s’il veut conserver la vie. Les nazis ne rigolent pas avec ceux qui les observent.

Évidemment l’aventurier excité par sa découverte n’en fait rien et va même jusqu’à soudoyer un gamin qui sert de portier à l’imposante demeure de Mengele. Il le convainc de poser un dispositif d’écoute dans le salon en échange d’une radio toute neuve. Ce qui lui permet d’entendre et d’enregistrer une conversation entre tout un groupe de nazis chargés d’assassiner 94 fonctionnaires de 65 ans dans différents pays, à des dates précises. Naturellement, le jeune juif inconscient est repéré et poignardé à mort, sa cassette confisquée. Il a eu juste le temps de téléphoner à Lieberman pour lui passer les premiers moments de l’enregistrement avant que l’autre entende sa mort en direct.

Le vieux chasseur de nazis se dit qu’il y a peut-être quelque-chose à creuser et surtout des meurtres à empêcher. Il joint un journaliste de Reuters à Vienne qui lui doit un service pour qu’il lui communique toutes les coupures de presse sur les morts d’hommes de 65 ans dans les prochaines semaines. Il cherche le point commun. Tous sont pères de famille, du même âge et avec une épouse de 23 ans plus jeune ; tous ont un garçon de 14 ans. Et pourquoi 94 ? Parce le chiffre est proche de 100, ce qui permet une bonne probabilité de réussite. Il va voir une famille à Londres dont le père vient de décéder d’un accident et la porte est ouverte par un garçon pas très aimable au teint pâle, aux cheveux très noirs avec une mèche sur le front, et des yeux très bleus (Jeremy Black, né en 1962 d’un père juif ashkénaze, presque 15 ans au tournage). Lors d’une seconde visite aux États-Unis, il a la surprise de rencontrer le même garçon, comme s’ils étaient jumeaux. Un activiste juif de la bande à Kohler, qui veut l’aider, va visiter une troisième famille et décrit un garçon semblable.

Lieberman sollicite alors un entretien avec Frieda Maloney (Uta Hagen), rattrapée par son passé de gardienne du camp d’Auschwitz et emprisonnée. Elle l’informe qu’elle a travaillé pour les Kameraden en livrant des bébés adoptables depuis le Brésil à des familles qui ne pouvaient avoir d’enfants. Elle n’en sait pas plus mais Lieberman se rend auprès du Dr Bruckner, biologiste qui lui explique les principes du clonage, tout juste découverts. En inscrivant au tableau noir les caractéristiques des enfants, Lieberman et Bruckner comprennent qu’il s’agit de cloner Adolf Hitler et de reconstituer son environnement familial le plus précisément possible : son beau-père Aloïs autoritaire et abusif décédé lorsque Adolf avait 14 ans ans, sa mère Klara de 23 ans plus jeune effacée et fusionnelle avec son fils – afin d’en faire des activistes politiques aptes, une fois adultes et dans chacun de leur pays, à soulever la race pour un IVe Reich.

Cette curiosité inquisitrice et surtout la célébrité médiatique d’Ezra Lieberman effraient les commanditaires nazis, qui veulent garder profil bas. Mengele dérape de plus dans la mégalomanie, se prenant pour le donneur d’ordre suprême de la SS et allant jusqu’à frapper un capitaine pour n’avoir pas obéi très exactement à ses ordres précis. De quoi attirer l’attention sur eux. Ils stoppent donc le projet contre l’avis du docteur et brûlent sa maison pour effacer les traces. Mais il est parti pour le lieu de la prochaine visite probable de Lieberman à une famille dont le chef doit mourir à ses 65 ans. Dans une ferme isolée, il tue le père adoptif après l’avoir isolé de ses dobermans de garde et attend Lieberman qu’il veut zigouiller aussi afin de poursuivre tout seul sa mission. Mais il tire comme un pied, ratant le Juif assis à deux mètres de lui – il est du genre à rater un éléphant dans un couloir, ce nazi haineux, ce qui est plutôt grotesque et une faiblesse du montage !

Lieberman parvient à ouvrir la porte aux dobermans qui sautent sur Mengele et le tiennent en respect parce que c’est lui qui tient l’arme ; ils sont dressés. Le gamin revient de l’école, ce clone-ci se prénomme Bobby, il ressemble évidemment aux autres et a du sens artistique en prenant des photos comme son ancêtre biologique qui peignait des aquarelles. Lieberman lui fait chercher son père adoptif et, lorsqu’il le trouve mort, il revient au salon et ordonne aux chiens d’attaquer ; ils égorgent Mengele. Bobby se délecte à prendre des photos bien gore. Lieberman ne dira rien à la police et il est emporté en ambulance pour être soigné de ses blessures superficielles par balle.

Dans sa chambre, l’activiste juif reconnaissable à sa coiffure quasi afro de cheveux bouclés serrés – signe racial comme Kohler ? – exige de Lieberman qu’il lui remette la liste des 94 clones afin de les éradiquer. Lieberman refuse : ce n’est pas parce qu’on est juif et que l’on a souffert de la barbarie nazie qu’il faut agir en nazi. Ces enfants n’ont rien demandés, ils sont innocents des crimes de leur père génétique et de leur médecin manipulateur ; ils ont le droit de vivre leur vie. Et il brûle la liste sous les yeux du jeune.

La caméra opère une transition où l’on retrouve Bobby dans une salle à lumière inactinique, où il développe ses photos. Il semble regarder les plaies de Mengele et les morsures des dobermans avec un certain plaisir, tout en manipulant le bracelet de dents de jaguars de Mengele. Cette scène a été coupée à la télévision allemande et n’a été rétablie que dans la version DVD. Ils préféraient le Juif qui pardonne à celui qui se pose des questions sur le Bien et le Mal, sur l’inné et l’acquis, sur les gènes et l’éducation. Ce sont pourtant les bonnes questions – toujours les nôtres.

Elles posent en effet le dilemme de faire société sur la biologie ou sur la culture.

Dans le premier cas, on est juif en société juive que parce que l’on est né d’un mère juive – c’est le cas d’Israël ; en conséquence symétriquement, pour l’activiste juif face à Lieberman, être né d’un père nazi (comme les 94 clones) fait de vous automatiquement un nazi.

Dans le second cas, être éduqué selon certaines valeurs d’une certaine culture font de vous un citoyen de tel pays ; il s’agit d’une forme de choix social, familial, personnel, culturel – pas d’une assignation génétique.

C’est toute la différence entre les sociétés anti-modernes d’Ancien régime, fondées sur le « sang » et le « sol », et les sociétés issues des Lumières fondées sur l’éducation et le contrat social, la « volonté » affirmée d’être par exemple français. A ce titre, toute personne humaine peut devenir « française » – à condition d’accepter les valeurs, la culture, le mode de vie français, et de s’y sentir bien : c’est ce que l’on appel l’universalisme.

Mais ces positions extrêmes sont chacune idéologiques. La position la plus juste est probablement de considérer que la biologie comme le territoire sont naturellement les bases de l’individu et de la société, mais que la culture et l’éducation – qui évoluent – les forment et les déforment tout au long de la vie.

C’est alors à chacun de choisir ce qu’il prend ou ce qu’il change, en fonction de sa propre histoire incluse dans la grande histoire. Chaque société choisit les individus qui veulent en faire partie, qu’ils soient dissidents de l’intérieur ou demandeur d’asile venus de l’extérieur. Les exemples de la Chine « communiste » de Mao devenue nationaliste, tout comme la Russie « révolutionnaire » anticapitaliste de Lénine, devenue réactionnaire et xénophobe, montrent combien ethnie et culture se combinent in fine.

Un film fait pour faire réfléchir.

DVD Ces garçons qui venaient du Brésil (The Boys from Brazil), Franklin Schaeffner, 1978, avec Gregory Peck, Laurence Olivier, James Mason, Lilli Palmer, Uta Hagen, Jeremy Black, Elephant films 2019, 2h02, nouveau master restauré HD €16,90

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La maison du Docteur Edwardes d’Alfred Hitchcock

Le premier film, peut-être sur la psychanalyse, doublé d’une histoire d’amour et d’une enquête policière. Hitchcock ne fait pas dans la mesure ; il a choisi les acteurs les plus beaux, à l’acmé de leur jeunesse, Ingrid Bergman (tout juste 30 ans) en doctoresse Constance Petersen et Gregory Peck (29 ans) en faux docteur Edwardes, ainsi qu’une séquence onirique de cauchemar révélateur signée Salvador Dali. Non sans un zeste d’humour tout britannique, comme on le voit à la fin.

Mais l’ensemble convainc peu. La psychanalyse, vue d’aujourd’hui, est réduite à sa caricature, une sorte de confession catholique qui assure la rédemption, ou une autocritique à la Staline qui lave de tout péché bourgeois (mais pas de l’exécution). Il suffirait, selon les docteurs du film, de faire remonter à la conscience les événements inconscients qui bloquent le sujet pour le libérer enfin de ses névroses, psychoses, paranoïa et autres schizophrénie. Les termes, d’ailleurs, allègrement se mélangent dans leur discours, comme si tout cela était du pareil au même. Quant à la « guérison » miraculeuse du sujet, elle intervient en quelques jours sous l’influence des réminiscences provoquées par le retour sur les lieux et par l’amour…

Cet amour qui est un coup de foudre d’un glaçon pour un amnésique, ce qui le tente mais l’effraie, et ne va guère plus loin sauf quelques scènes de tendresse où la doctoresse Petersen caresse la tête du faux docteur Edwardes endormi.

Pour l’intrigue policière, seul le début en mérite le nom, lorsque surgit un docteur Edwardes qui dérape de temps à autre dans des obsessions « nerveuses », faisant soupçonner qu’il est autre que ce qu’il paraît. Le conseil d’administration lui a demandé de remplacer le docteur Murchinson (Leo G. Carroll) à la tête de la clinique psychiatrique de Green Manors. Murchinson prend sa retraite parce qu’il a été « malade » (de la tête ?) mais poursuivrait bien sa carrière. Edwardes avoue très vite à Petersen qui le harcèle n’être pas Edwardes et n’avoir pas écrit son livre sur le complexe de culpabilité – qu’il incarne avec une perfection trop clinique. Sa signature n’est en effet pas la même, ni son écriture, un brin trop aiguë pour être celle d’un être paisible. Dès lors, il pars et laisse juste un message. La doctoresse le retrouve à l’hôtel de New York où il s’est réfugié. Malgré les fausses pistes semées par la belle Petersen pour les faire échapper à la police qui les cherche, les policiers ou les détectives sont assez bêtes pour ne pas voir qui est devant eux et arrivent toujours trop tard. Aucun suspense, ou très peu.

Le charme tient plutôt au coup de foudre, brutal, absolu, comme une révélation. Le petit glaçon fond devant le petit garçon.

Elle, la femme, sera une mère, une doctoresse, une épouse pour lui, l’homme, complexé par un événement traumatique de son enfance, médecin malgré lui mais amnésique, jamais mari. Le faux docteur Edwardes, qui se présente à la clinique comme tel – il ne sait plus pourquoi – croit avoir tué le vrai lors d’une excursion à ski où il l’a vu tomber. Ce qui a ravivé un souvenir enfoui dans son inconscient, la mort de son frère par sa faute, et l’a fait tomber en syncope, avant une amnésie pour « ne pas voir ça ». Mais il a dans sa veste un porte-cigarettes aux initiales J.B. Il ne sait plus qui il est ni où il en est.

Persuadé d’être un assassin, sûr d’être un imposteur, incertain d’être médecin, il est une âme en peine. Justement l’une de celles que la doctoresse Constance Petersen cherche à ramener dans ses filets pour en disséquer les rouages par souci de tout maîtriser, et les réhydrater à la vie. Éros et Thanatos se mélangent, symboles si chers à Freud, cité dans le film.

Constance est constante en son dévouement pour son homme. Sa foi est en l’amour, qui guérit tout. La psychanalyse est sa bible, qui a le pouvoir de tout révéler. La justice immanente réhabilitera forcément le faux coupable forcé à fuir et châtiera le vrai qui cachait bien son jeu. Constance touchera John et l’aveugle verra ; elle lui dira lève-toi et marche, et ça marchera.

Cet « envoûtement » (titre anglais) revu et corrigé par le prétexte scientifique du XXe siècle est proprement fascinant.

Oscar du meilleur film 1946.

DVD La maison du Docteur Edwardes (Spellbound), Alfred Hitchcock, 1945, avec ‎ Ingrid Bergman, Gregory Peck, Michael Chekhov, Leo G. Carroll, Rhonda Fleming, Arcadès 2018, 1h47, €8,20 Blu-ray €10,98

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Le maître du monde de William Withney

De Robur le Conquérant publié par Jules Verne en 1886 et de sa suite Le maître du monde, publié en 1904, le scénariste Richard Matheson tire un film hollywoodien à grand spectacle – mais bien plus pauvre que les romans. Les personnages par exemple, à l’exception de Robur et de Strock, sont d’une insignifiance sans bornes.

Le thème est traité de façon très « américaine » : il s’agit, par la technique, de devenir « maître du monde », le grand rêve des pragmatiques Yankees. Un jour, une montagne éructe en Pennsylvanie, où « il ne se passe jamais rien » selon un protagoniste. Serait-ce un volcan ? Et pourquoi entend-t-on tonner une voix qui déclame la Bible ?

Un représentant du gouvernement est envoyé sur place. Les géologues déclarent que cette chaîne n’est absolument pas volcanique et qu’il doit s’agir d’autre chose. Une menace ? L’inspecteur Strock (Charles Bronson) commandite alors un ballon à la société aérostatique de Philadelphie, où les plus lourds que l’air bataillent avec les plus légers que l’air, et les « avec hélice à l’avant » ou les « avec hélice à l’arrière ». Ces querelles de chiffonniers sont aussi ridicules que sectaires : il suffit de tester !

Embarquent avec Strock l’arrogante nullité Prudent (Henry Hull), président d’usines d’armement qu’il vend… à tous ceux qui veulent les payer, sa fille Dorothy (Mary Webster) qui apporte une touche de raison dans toute cette testostérone, et son fiancé le fourbe et lâche Phillip (David Frankham). Le ballon doit survoler les sommets pour observer à la lunette ce qui peut bien exploser.

C’est très vite une fusée qui rase le ballon, puis une seconde qui le crève. La bande des quatre se retrouve par terre, sonnés mais vivants et pas blessés. Ils sont vite enlevés et se réveillent dans une machine volante – plus lourde que l’air et avec une hélice à l’avant, à l’arrière et plusieurs au sommet. Ils sont dans l’Albatros, le pré-hélicoptère inventé par l’impressionnant capitaine Robur (Vincent Price). Il est de nationalité incertaine, peut-être ancien ministre argentin ou lord anglais récusé et son but est ‘imposer la paix sur la terre par la force. Sa puissante machine, secrète et inégalée, interviendra pour briser toute force de guerre en la bombardant depuis les airs. Ainsi est-il fait d’une frégate américaine, après les sommations d’usage à quitter le navire dans les 20 mn sous peine de destruction massive.

Dorothy est choquée par l’inhumanité du procédé, Prudent est outré que l’inventeur ne vende pas cette machine de guerre incomparable aux États-Unis, Phillip s’embrase sur « l’honneur », lui qui ne sait pas ce que c’est. Quant à Strock, il reste calme et observe. Il attend son heure. Apparaissant plus viril et moins hâbleur que Phillip, Dorothy en pince pour lui, ce qui rend jaloux le bellâtre qui cherchera dès lors sans cesse à se venger par les procédés les plus ignobles.

Robur parade, en conquérant du ciel, en maître du monde. Il voudrait associer les quatre à son dessein d’imposer la paix à la terre entière, selon les préceptes de la Bible, et déclare rationnellement qu’il vaut mieux en sacrifier quelques centaines pour en sauver quelques millions. Mais, non, la fin ne justifie pas les moyens. Et si Strock joue son jeu au début pour voir où il veut en venir, s’il est en accord avec l’objectif, les moyens brutaux employés lui répugnent. En 1961, à la sortie du film, c’est le rappel du dilemme nucléaire de 1945, ravivé par la crise des missiles soviétiques de Cuba : faut-il tirer préventivement pour faire une démonstration de puissance, ou négocier pas à pas ?

Comme Robur devient parfois excité au point de n’être plus lui-même, et de larguer bombes sur bombes sur des hordes de nègres demi-nus qui se battent au sabre contre des cavaliers en chameau, la question de sa démesure et de sa santé mentale se pose. Même son équipage, tout acquis à son capitaine, a des doutes. Strock n’en a plus aucun. Il convainc sans peine l’arrogante nullité Prudent comme la sensible Dorothy à son plan : saboter l’Albatros. L’appareil, en effet, n’atterrit presque jamais et l’inconsistant Phillip, qui voulait sauter dans l’eau d’un lac irlandais lors d’un ravitaillement en vol à vitesse ralentie, se voit ramené à sa légèreté.

Lors d’une tempête, certaines hélices sont endommagées et le vaisseau perd de l’altitude malgré Turner le maître d’équipage qui se démène (Wally Campo) et le robuste marin Alistair (Richard Harrison) qui tient la barre torse nu. Robur parvient avec adresse à éviter le choc contre une montagne en faisant éclater la roche à coup de fusées, mais il faut réparer. Pour cela jeter l’ancre sur une île déserte. Qu’à cela ne tienne, le moment est propice pour le sabotage et l’évasion.

Strock et Phillip vont fracturer l’armurerie pendant que l’équipage est occupé avec les hélices de sustentation pour minuter l’explosion de la poudre, tandis que le vieux Prudent et sa fille Dorothy descendent à terre par la corde de l’ancre. Au dernier moment, le jaloux et lâche Phillip assomme Strock pour le laisser à bord, bien que l’homme lui ait sauvé la vie déjà une fois. Mais tout se terminera bien, Phillip et Strock blessés parviendront à terre, couperont la corde de l’ancre avec le canif bowie-knife ou « cure-dent de l’Arkansas » popularisé par le colonel Bowie à Fort Alamo et que Jules Verne a célébré dans son roman. L’Albatros explosera et finira sa course dans l’océan, dans une débauche d’explosions en chaîne hollywoodiennes, tandis que l’équipage en son entier, que son capitaine a ordonner d’évacuer en radeaux, fait bloc autour de Robur pour finir avec lui. Ils auraient en effet été condamnés à mort par n’importe quel pays pour crime de guerre.

La dernière image montre Prudent et Phillip partant d’un côté en contre-jour sur la crête, tandis que Dorothy et Strock s’attardent, amoureux.

DVD Le maître du monde (Master of the World), William Withney, 1961, avec Vincent Price, Charles Bronson, Henry Hull, Mary Webster, David Frankham, Sidonis-Calysta 2023,1h38, €16,99 Blu-ray €22,99

Jules Verne, Robur le Conquérant, Livre de poche 1976 avec gravures d’origine, 174 pages, €5,30 e-book Kindle €0,99

Jules Verne, Maître du monde, Independently published 2022, 129 pages, €6,30

Jules Verne romens et films tirés de ses romans déjà chroniqués sur ce blog

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