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Abbaye Sainte-Marie de Pulsano

Nous sortons de la ville à pied par le chemin fermier. Juste à l’écart des dernières maisons, les bâtiments de la ferme sont rustiques et rouillés mais les étables ont l’air conditionné. Nous croisons des vaches à clarines qu’une moto fait fuir en venant vrombir en sens inverse. Nous voyons aussi quelques chèvres et cela sent fort.

Le soleil est présent mais parfois voilé et une petite brise agréable pour marcher tempère l’atmosphère. Le chemin pierreux endolorit la plante des pieds. Le guide marche vite, même s’il considère que c’est lent pour lui. Le groupe souvent s’étire, surtout l’après-midi.

Nous prenons un pique-nique somptueux dans le dernier bois de pin avant les lapiaz. Le guide effectue une longue préparation tirée d’ingrédients divers de son sac qui fait monter le désir. Cette préparation sert aussi à faire passer le temps et à présenter une belle nappe. Les antipasti sont du speck sur gressins. Ils sont suivis d’une salade composée à dominante roquette, forte en goût ici. Le vin rouge est plus fruité et gouleyant que celui d’hier, bien que de cépage très noir.

Un chien blanc anti loup arrive sans bruit, puis trois dont un aboyeur, puis quatre autres plus rachos et bâtards. Ils attirent le berger qui vient les récupérer. Passent les chèvres qui tintinnabulent du cou. De loin, cela faisait penser à la sonnerie d’un téléphone portable – c’est dire si nous devenons conditionnés… Les loups existent en effet dans cette partie de l’Italie. On ne les voit ni les entend, mais le nombre de chiens Patou montre que la menace est bien réelle pour les troupeaux.

Nous repartons dans la pierraille sous le cagnard, alourdis de salade et de fromage en plus d’un demi verre de vin (chacun). Nous portons chapeau couvrant et lunettes de soleil, crème solaire pour les moins vêtus. Parfois, des dolines dessinent un creux où pousse ronces et figuiers. Un trullo de pierres sèches s’élève bord du chemin. Nous suivons le chemin des pèlerins anciens, la Via Mickaelica pour aller honorer l’archange Michel.

Nous passons un hameau désert, composé surtout de belles villas résidentielles. Aucun bar mais une fontaine à robinet où je remplis ma gourde. Un figuier juteux nous offre ses fruits sur le chemin, puis une treille acide. Un second hameau, puis un chemin de chèvre encaissé entre deux haies de chêne vert. Les plus grands arbres de la famille du chêne sont pubescents ; dans ce terrain, il n’y a pas assez d’eau pour eux et nous en voyons rarement.

Nous tombons par un sentier raide aux marches aménagées dans la forêt ombreuse en creux de vallon. Un petit pont de bois nous ouvre une piste idéale, à l’ombre, à plat, sur un tapis de feuilles. Cela dure trop peu car les abords de la chapelle sont à découvert, à flanc de falaise, sous la chaleur réverbérée. Le sentier ouvre cependant le panorama sur la mer et le golfe de Manfredonia. Nous sommes descendus à 491 m.

De la chapelle, édifiée en 591 évidemment sur un temple païen et rebâtie en 1129 par l’intervention de San Giovanni da Matera et sa congrégation, ne subsistent que des ruines dues au tremblement de terre de 1646. Un bâtiment a été récemment reconstruit et des toilettes à robinet nous permettent de refaire encore de l’eau. Nous buvons beaucoup, largement plus d’un litre chacun. Depuis 1997 s’est installée une communauté monastique « bi-rituelle » (latine et byzantine). Nous visitons deux crèches aménagées sous une grotte avec de petits personnages en terre cuite, les acteurs de la Nativité puis les artisans de tout un village. Une église à icônes a été creusée dans la falaise et présente un autel du XVIIIe siècle ; des icônes modernes sont exposées dans la galerie le long de la nef, très dorées.

De la falaise, un raidillon conduit à l’ermitage, 300 m plus bas, sur les flancs de la vallée de Monteleone et Matino. Le chemin est aménagé en via ferrata car très glissant. Le seul qui ait été au bout pour affirmer son leadership de groupe n’a vu que cinq trous, quelques fresques, une citerne, des ruines sans intérêt. Nous en avons les photos sur le panneau touristique avant le sentier.

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Bernard Clavel, La lumière du lac

Ce roman est le pendant de lumière du précédent voué aux ténèbres, La saison des loups déjà chroniquée. Le personnage principal n’est plus Matthieu le chauffeur, pendu pour avoir choisi la soumission au lieu de la liberté, mais Bisontin, compagnon charpentier qui mène les fuyards de la Comté ravagée par la guerre et la peste vers l’asile du canton de Vaud. La forêt laisse place au lac, le catholicisme doloriste au christianisme généreux.

Mais une fois de plus surgit un personnage clé, une sorte de prophète du Bien comme dans le précédent tome. Ce n’est plus un prêtre jésuite qui incite à souffrir ici-bas pour se racheter au-delà mais un médecin conquérant prénommé Alexandre qui se rachète ici-bas pour avoir laissé mourir son fils par désir de fuite. Tous deux ont les mêmes yeux illuminés et la parole ensorceleuse ; tous deux captivent les foules et sont suivis dans leur mission ; tous deux meurent à la fin, rappelés au ciel comme on croit. Cette fois, il ne s’agit plus d’enterrer les morts mais de sauver les enfants qui sont la vie, l’avenir.

Nous sommes en hiver 1639 et la petite troupe de pionniers en chariots bâchés qui quitte la Comté arrive à Morges épuisée. Ils se sont battus contre le froid et la bise, ont perdu un chariot dans un virage à cause de la glace et deux hommes tandis qu’un autre est blessé. Ça gronde dans la troupe, portée par facilité à chercher un bouc émissaire aux malheurs qui frappent. Deux clans se forment, comme par hasard les paysans et les artisans. L’auteur se situe résolument du côté de ces derniers, plus évolués et moins attachés à la glèbe, ouverts sur le monde et sur l’esprit industrieux. Comme s’en rend compte le compagnon Bisontin, « ma patrie est mon métier » plus qu’une terre précise. Les paysans quittent les artisans et tout s’arrange.

Bisontin-la-Vertu, de son nom de compagnon charpentier, parvient à trouver du travail auprès d’un bourgeois de la ville qu’il connait déjà et qui l’apprécie. Ce n’était pas gagné car les Vaudois ferment les portes aux étrangers par crainte de la peste qu’ils apportent. La quarantaine est obligatoire dans un village abandonné à demi ruiné, puis dans une cabane d’une forêt à essarter où même petit-Jean, 7 ans, coupe des fagots. Le travail libère et chacun trouve à s’employer, justifiant sa pitance et sa présence.

Jusqu’à ce que le destin (la main de Dieu pour ceux qui croient) fasse retentir la nuit de cris d’enfants et d’aboiements rageurs de chien : dans l’hiver glacé, les loups ont faim. Ils attaquent des voyageurs en chariot bâché. Les forestiers se précipitent et mettent en fuite les cinq loups qui ont amoché le chien, mordu la jument et terrorisé les enfants. Alexandre Blondel est médecin et a recueilli des petits abandonnés dans les ruines de leurs villages incendiés, sous les cadavres de leurs parents morts. Il a aussi pris soin de Julie, fille de 16 ans qui en paraît 13, violée et reviolée par les soudards, et désormais enceinte d’on ne sait qui. Le guérisseur, éperdu de la perte de son petit David qu’il aurait pu sauver s’il avait cherché un peu plus dans les ruines de sa propre maison, se donne pour mission christique de sauver tous les enfants du monde.

Il va dès lors s’employer à faire passer les bébés et les éclopés vers le Vaud, embobiner la ville de Morges et ses échevins, faire adopter ses protégés par les mamans qui ont perdu un enfant. Il est fou, il est saint, c’est un sauveur qui donne du sens à la vie de la vieille fille Hortense comme du contrebandier Barberat, du sens à Marie et Bisontin, à Pierre et Julie. C’est poignant, dans la nature hostile, avec le ciel reflété dans le lac comme un regard de Dieu ici-bas. Nous sommes dans la tendresse humaine et un nouveau monde commence, à la lumière du lac.

Bernard Clavel, La lumière du lac – Les colonnes du ciel 2, 1977, Pocket 1997, €2.99

Bernard Clavel, Œuvres tome 4 – Les colonnes du ciel et autres écrits, Omnibus 2004, 1080 pages, €49.81

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Thorgal 20 La marque des bannis

Pendant que Thorgal erre, sans mémoire, aux côté de Kriss, sa walkyrie, sa petite famille désespère. Elle vit toujours au village, où il est plus facile d’élever un bébé. Trois ans ont passé depuis que le père est parti et Louve, la petite fille, a désormais 4 ans. Elle se révèle : curieusement environnée de loups, elle n’a ni peur ni agressivité : elle les entend « discuter » ! C’est ce qu’elle dit à son frère. Elle est née en même temps que des louveteaux, jadis, dans la grotte où s’était réfugiée sa mère.

Jolan, le fils, en a 10, son visage a changé, plus allongé, préadolescent déjà. Il cultive son talent de détruire les objets, mais ne sait pas encore recombiner les atomes pour construire. Il reste petit garçon, la larme lui perle à l’œil quand il pense à son papa qui ne revient pas. Mais cet album est celui où il surgit à l’aventure. Il s’émancipe du village (où il a quelques ami(e)s) et de sa mère. Il sent qu’en se montrant digne de lui, il pourrait faire revenir son père. C’est pourquoi j’aime tant Thorgal, cette bande dessinée où la psychologie des enfants est réaliste, évoluant avec leur âge.

Les hommes du village, partis piller les Saxons, ne reviennent pas de leur expédition. Le mythe viking (repris par la BD) veut que ces guerriers-commerçants aient été surtout des pillards, alors qu’ils ont été avant tout des négociants. Ce sont les moines, peureux et improductifs, fonctionnaires avant la lettre réfugiés sous l’égide l’Église-providence, qui ont écrit cette légende. Eux n’avaient rien à échanger et voyaient « le diable » dans tout étranger païen. Le malheur veut que ce soient les vainqueurs qui écrivent l’histoire, pas ceux qui ont vaincu sur le terrain. Heureusement que l’histoire comme recherche scientifique vient désenfumer les croyances ! Les assauts des « lois mémorielles » n’ont pas d’autres visées que d’imposer la vérité totalitaire de quelques-uns sur tous, par la menace.

Au village, pourtant, un jeune homme revient, blessé, épuisé. Il manque de se faire bouffer par les loups et c’est Louve, parce qu’elle entend les bêtes « discuter » entre elles, qui le sauve au matin. Les bonnes femmes du village sont soupçonneuses, haineuses, prêtes à trouver n’importe quel bouc émissaire à leur colère d’avoir perdu leurs hommes. Le jeune homme s’appelle Erik et décrit un grand guerrier brun appelé Shaïgan, à la barre d’un bateau plus grand que les autres et peint en rouge, du sang de ses ennemis. Il est excité au combat par son égérie guerrière Kriss de Valnor, sans pitié pour les faibles. Ceux qui ne se rendent pas sont égorgés ; ceux qui se rendent ne méritent plus le nom d’homme, rendus esclaves et vendus à un marchand byzantin.

Ce Shaïgan ne serait-il par Thorgal, par hasard ? Celui qui a été adopté par le village mais n’a jamais vraiment été accepté par ces xénophobes de terroir ? Jolan, naïf, avoue reconnaître Kriss de Valnor – que n’a-t-il pas dit là ! Aussitôt les mégères réclament le prix du sang, le wergeld. Mais comme les Vikings sont reconnus (malgré les écrivaillons moines) comme révérant le droit, c’est le parlement du village, le Thing, qui délibère et juge. Ni Aaricia ni les enfants ne sont condamnés à mort, mais exclus. La marque des bannis sera apposée au fer rouge sur la joue d’Aaricia, l’empêchant ainsi de se refaire une vie ailleurs dans le monde viking. Jolan en vient à détester son père, « parti pour aller vivre avec une autre femme » comme plusieurs hommes du village l’ont fait, qui a changé de nom et n’aime plus ses enfants…

La famille doit fuir, ses biens sont confisqués et distribués aux femmes qui n’ont pas revu leur mari ; l’ordre règne par la délation et le profit, comme plus tard sous Pétain. Seule une femme les aide, l’amie d’Aaricia, Solveig. Elle leur donne un cheval et des provisions. Mais la loi des bannis est celle du chacun pour soi : belle leçon aux adolescents qui lisent la BD.

Être trop bon n’est jamais sûr quand on n’assure pas ses arrières. Des voisins pillent ans vergogne ceux qui sont accusés sans preuves ; des esclaves sauvés volent sans vergogne leurs bienfaiteurs. Mais Jolan a appris avec Thorgal qu’on est quand même plus fort à plusieurs que tout seul. Les loups en bande donnent l’exemple en protégeant la petite famille…

Cependant Kriss ne peut vivre sans écraser sa rivale dans le cœur de Thorgal. C’est elle qui a tout manigancé : la capture des bateaux qui revenaient chargés de butin, l’envoi d’Erik comme victime pour avouer, le bannissement inévitable. Aaricia est donc à sa merci ; elle s’en empare avec Louve, tandis que Jolan erre en gamin des rues avec Darek, un copain de rencontre, un Suédois rendu esclave puis délivré par la bande de loups.

Jolan connaît son devoir : aller délivrer sa mère, enfermée dans un château imprenable construit sur la mer et à la passerelle bien gardée. Il n’a que dix ans mais du courage comme à dix-huit. Petit homme dont l’éducation (la meilleure) s’est faite par l’exemple. Il a vu son père courageux lui enseigner qu’on ne devait jamais renoncer ; il a vu sa mère avilie ne pas haïr mais chercher à comprendre ; il a connu des erreurs et sa mère lui a enseigné à suivre son but quand même, sans se décourager. Il n’hésite donc pas à se lancer nu dans l’eau glacée de l’hiver nordique pour aborder la forteresse du côté de la mer, mal gardé. Son copain le suit, de deux ans plus âgé, mais admiratif de sa hardiesse.

Je songe à Nietzsche, dans l’aphorisme 225 de Par-delà le bien et le mal : « Cette tension de l’âme dans le malheur, qui l’aguerrit, son frisson au moment du grand naufrage, son ingéniosité et sa vaillance à supporter le malheur, à l’endurer, à l’interpréter, à l’exploiter jusqu’au bout, tout ce qui lui a jamais été donné de profondeur, de secret, de dissimulation, d’esprit, de ruse, de grandeur, n’a-t-il pas été acquis par la souffrance, à travers la culture de la grande souffrance ? » Il ne s’agit pas de masochisme, mais d’acceptation pleine et entière du réel, avec tout ce qu’il a de dur ; il s’agit de supporter pour risquer. La BD Thorgal comme initiation au philosophe Nietzsche, qui aurait cru ?

Et voilà les gamins qui délivrent les hommes, enfermés dans les sous-sols – dont une partie du village, capturé sur les bateaux. Être délivré par un môme, quelle honte pour les valeureux Vikings ! Ils ne savent pas quoi faire pour se faire pardonner. Jolan, grand seigneur comme son père, n’accepte que quelques pièces d’or pour acheter un bateau et se rendre sur l’île de Kriss de Valnor. Car sa mère et sa sœur n’étaient pas avec les esclaves délivrés, mais emmenées in extremis par Kriss sur un navire ancré en bout de ponton. Jolan ne peut rien faire, la guerrière le vise d’une flèche, substitut de pénis qu’elle affectionne. Elle ne la décoche pas cependant car, si elle est sans pitié, elle garde de l’honneur. Elle doit quelque chose au gamin, qu’elle appelle « petit garçon » en hommage à sa virilité naissante, donc l’épargne pour cette fois… mais le défie de venir chercher sa mère chez elle !

La figure de Kriss se fait meilleure au fil des albums. Dans le premier où elle est apparue, c’était une vaniteuse féministe, prête à tout pour prouver qu’elle faisait mieux que les hommes. Elle avait notamment ce coup de poignard bas qui violait autant qu’il tuait, en basse vengeance pour tous les viols qu’elle avait elle-même subis. Ce n’est pas pour rien qu’elle a été nommée Kriss, du nom d’un poignard malais. Elle devient plus vivable, louve désormais plus éprise de liberté que de paraître. Elle est possessive, jalouse du mâle qu’elle veut, Thorgal, qu’elle refuse de partager avec Aaricia. Qui va gagner ?

Jolan, émoustillé par ses premières hormones d’adonaissant, prend la digne suite de Thorgal. Il sait s’allier des compagnons tels que Darek, 12 ans et sa sœur de 10, un peu amoureuse de lui. C’est mignon, prenant, et bien tourné. Avec un dessin détaillé et amoureux des personnages. Suite aux prochains numéros…

Rosinski & Van Hamme, Thorgal 20 La marque des bannis, 1995, éditions du Lombard, 48 pages, €11.40

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Aaricia, l’enfance de Thorgal

Pause dans les aventures. Après le pays de Qâ qui avait vu Thorgal adulte et père de famille sauver son petit Jolan de la tyrannie sud-américaine, l’auteur prend le soin de mettre un peu de douceur dans ce monde de brutes. Encore que les garçons aiment ça, la brutalité ; les filles aussi – si cela se termine bien. Dans cet album, il y en a pour les deux. Les garçons se battent, sont battus, jetés nus à terre, attaqués par les loups, menacés d’être passés au fil de l’épée. Les filles discutent de songes et de garçons, de mariage et de perles, aident leur élu à triompher du sort.

Aaricia a quelques années de moins que Thorgal, née après lui avec deux perles dans le poing, mises là par une déesse. On apprend ici pourquoi. Thorgal voit son père adoptif, le chef viking Leif mourir alors qu’il a dix ans. Le nouveau chef, Gandalf, est une brute épaisse et vantarde, macho cruel et avide. Il s’empare des terres de Leif, pourtant destinées à Thorgal, mais qui n’est qu’un bâtard recueilli par charité. Le gamin quitte le village, la neige le surprend et il ne doit la vie qu’à la ruse d’Aaricia qui évoque devant son père un trésor dont il posséderait la clé. Gentille, amoureuse et rusée Aaricia. Elle aime Thorgal et le veut depuis l’enfance. Il est bon et gentil avec elle, courageux et rêveur comme elle, loin du matérialisme grossier et couard de son frère Bjorn, bien fils de son père.

La première histoire voit Thorgal, 7 ou 8 ans, ramener la petite Aaricia de 4 ans que sa mère vient de quitter… pour toujours. Des nixes l’ont piégée alors qu’elle croyait voir des elfes. Si les seconds sont bénéfiques aux innocents, les premiers sont des démons qui ne pensent qu’à mal.

La seconde histoire voit la mort de Leif Haraldson, qui a recueilli Thorgal bébé et l’a élevé comme son fils.

Le gamin qui ne veut pas tomber sous la griffe de Gandalf le Fou, le nouveau chef, s’enfuit, succombe à la neige, est rattrapé sur ordre de Gandalf persuadé qu’il connait le trésor des vikings.

Il va être égorgé net lorsque Hierulf, envoyé par le Thing (ce parlement des chefs), lui découvre la couronne qui lui est destinée… s’il agit en bon viking, « notamment en protégeant les faibles et les enfants ». Gandalf est bien obligé de s’exécuter plutôt que d’exécuter le gamin, mais il le relègue à l’écart du village à se débrouiller seul et le condamne à ne pas s’entraîner en guerrier comme les autres garçons mais à seulement jouer du luth.

Est-cela qui va gêner Thorgal ? En garçon débrouillard (qui se dit « kid paddle » en anglais, ça ne vous dit rien ?), il se bâtit une cabane, pêche, chasse et coût ses vêtements de peau, recueille la tourbe pour brûler l’hiver, sale la viande en réserve.

Il a vers les onze ans dans la troisième histoire lorsque Bjorn vient fanfaronner devant lui avec sa cour de faire-valoir. Il croit Thorgal incapable de se battre mais celui-ci le jette à terre d’un coup de poing. Décidé à se venger, il va trouver son père. Le chef organise un duel à mort sur un îlot désert entre les deux garçons. C’est l’ordalie médiévale, appelée chez les vikings holmganga, où les dieux décident de laisser la vie à qui ils veulent. Voilà les gamins de onze ans enchaînés sur le rocher pour ne pas qu’ils fuient à la nage, obligés de se massacrer à l’épée, vêtus seulement d’une culotte et d’un casque pour que le sang se voie bien, et munis d’un bouclier en bois. Bjorn est un taureau fonceur, mais aussi peu subtil. Thorgal est souple et esquive, réussissant une parade de judo qui fait rouler Bjorn à terre. Il pose son épée sur la gorge nue du vaincu quand… suspense : deux hommes armés surgissent des flots et s’avancent vers le garçon. Suite au prochain épisode.

C’était une ruse de Gandalf, évidemment. Il n’allait pas risquer la peau de son fils pour un bâtard désormais sans protecteur ! Comme le duel n’a pas de témoins, quoi de plus facile que d’enfoncer une épée dans le corps du gamin et de faire croire que c’est une victoire de Bjorn ? Sauf qu’Aaricia n’est pas d’accord. Futée comme toutes les petites filles, elle a écouté aux portes et s’est cachée dans la barque pour assister Thorgal. Elle surgit alors que les deux soudards, bousculés par le jeune garçon, commencent à se mettre en colère. Aaricia ruse une fois de plus pour sauver son amoureux : elle laisse croire que le représentant du Thing, Hierulf, est au courant. Les deux envoyés quittent alors l’îlot et laissent les deux gamins régler leur querelle.

Bjorn va pour reprendre l’avantage mais il est coincé. S’il tue Thorgal, sa sœur va parler et tout le monde saura qu’il est un lâche et un sacrilège. S’il tue sa sœur aussi, ce sera hors duel et fera de lui un meurtrier. Le stratagème d’Aaricia a réussi : ils diront tous qu’elle les a persuadés de cesser le combat et tout le monde sera content. Mais elle met ses conditions : Thorgal sera réintégré dans la société et s’entraînera avec les autres.

La quatrième histoire voit Aaricia, dans les dix ans, rêver aux perles pures comme la pluie trouvées à la naissance entre ses poings que son père a fait monter en pendentif pour elle. Une barque s’échoue et la fillette, qui n’a pas froid aux yeux, va voir tandis que sa copine plus peureuse court vers le village pour ameuter les adultes. Aaricia découvre un jeune homme aveugle aux vêtements doux comme de la soie. C’est un dieu mineur qui a quitté Asgard, le monde des dieux, pour visiter Mitgard, le monde des humains. Il a pris la porte de l’horizon, là où la terre et le ciel se rejoignent, pour accomplir un exploit qui le fera exister dans la mémoire des hommes. Mais le géant des glaces lui gèle les yeux et c’est ainsi qu’il se trouve à merci de la petite fille. Celle-ci préfère les poètes rêveurs aux guerriers vantards et elle est généreuse. Elle l’aide comme elle peut, avec les moyens qu’elle a. C’est ainsi qu’un arc en ciel, créé par ses perles, rend la vue au dieu Vigrid et lui permet de retrouver Asgard car il forme pont entre la terre et le ciel. Lorsque Thorgal, 13 ou 14 ans, retrouve Aaricia, elle est endormie sous un buisson. Elle lui raconte son rêve et ils s’étreignent, vraiment faits l’un pour l’autre.

J’aime beaucoup cet album d’amour et de courage, où les preuves s’accumulent entre les deux enfants. Le jeune lecteur comprend mieux, par la suite, quel est le lien exclusif qui lie Thorgal à Aaricia. Un lien voulu par les dieux, autre nom du destin. Le récit est pudique et réaliste, les personnages permettent de s’identifier, à cet âge incertain où l’on se cherche. Le dessin, en ligne claire, correspond à la rudesse des mœurs et de l’époque. La neige qui gèle les extrémités du petit garçon, la mer glacée qui entoure le combat torse nu des préadolescents sur l’îlot rocheux, la chaleur de l’être aimé, tout cela est fort pour les corps de 10 à 15 ans. La débrouillardise scoute de Thorgal à dix ans renforce le sentiment d’être autonome, robinson de village, self made boy habile et vigoureux comme tout garçon rêve d’être.

Rosinski et Van Hamme, Aaricia – Thorgal 14, 1989, éditions du Lombard, 48 pages, €11.35

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