Articles tagués : 13 ans

Simone Schwarz-Bart, Pluie et vent sur Télumée Miracle

Simone est née Brumant et Guadeloupéenne en 1938 ; elle a épousé l’écrivain de France Schwarz-Bart et lui a donné deux fils dont un musicien de jazz. Elle adore les Antilles, son pays natal, et n’a de cesse de le chanter en faisant vibrer la vie contenue dans son climat voluptueux, ses plantes exubérantes et ses nègres vivaces. Car elle parle de « nègres » Simone la négresse, elle appelle un chat un chat et un nègre un nègre car c’est le mot latin pour la couleur noire – foin du politiquement correct !

Mais ce qui lui importe, ce sont les femmes. Esclaves des esclaves, elles sont considérées plus bas que terre encore dans ces années soixante-dix où l’autre Simone, le Castor, lance ingénument « qu’on ne naît pas femme, on le devient ». Négresse de Guadeloupe, donc inférieure au mâle et descendante d’esclaves vendus par ses propres frères de la côte africaine, Simone Schwarz-Bart relève la tête. Ne sont-ce pas les femmes qui transmettent la vie et les coutumes en Guadeloupe ? Les hommes ne paraissent bons qu’à boire et à se vanter, changeant de femelle comme de chemise, larguant les gosses venus au hasard. Même leurs révoltes du travail sont dérisoires.

Ce sont les femmes qui plantent et qui récoltent, qui enseignent les histoires et qui soignent. Télumée est l’une d’elles. Confiée par sa mère désorientée à sa grand-mère, « haute négresse » nommée Reine Sans Nom dans un hameau de cases en bois de Fond-Zombi, une ravine dans le trou du cul du monde, la petite fille grandit et se forme à l’exemple de son ancêtre. Elle suit l’école primaire où elle rencontre le négrillon Élie, fils du bar voisin, elle se forme en violon dès 13 ans, ses « deux seins » en avant et ses deux fesses en arrière. Ils se sentent destinés l’un à l’autre.

Et c’est le mariage devant tous, dès 16 ans, Élie embauché par le scieur de long Amboise, de trente ans plus vieux, Télumée domestique auprès d’une famille de Blancs. Elles les quitte pour rejoindre son aimé dès que la case qu’il a promis de construire est prête. « Plus haut, entre les troncs des mahoganys, j’aperçus l’échafaudage des scieurs. Élie était sur la plate-forme et le nègre Amboise se tenait au sol, les jambes écartées, cependant que la lame dentelée montait et descendait dans un nuage de sciure. Je m’assis à distance et contemplai les deux hommes en sueur, Amboise, grand arbre sec et noueux qui avait déjà jeté ses fruits, et mon Élie au torse mince, aux attaches encore indécises de l’enfant que j’avais rencontré, quelques années plus tôt, sur le bord de la rivière ».

Tout se passe bien un temps, aucun enfant ne vient, Élie s’entiche d’une autre variété en la personne de Lætitia, la rivale de Télumée depuis toute petite. Il se met à boire, à déserter sa couche, à la battre. Puis il disparaît avec sa maîtresse. Télumée connaît le sort des négresses, prise et jetée, à jamais esclave des hommes et des mœurs. Sa grand-mère passe au-delà et Télumée déménage sur un lopin loué par un Blanc ; elle y cultive un petit jardin et se loue comme coupeuse de cannes.

Sa solitude la fait retrouver le nègre Amboise, qui se met avec elle. Toujours aucun enfant, mais la sagesse du vieux nègre qui est allé en France et a mesuré l’indifférence des Blancs. « Déjà, dans la bouche de sa grand-mère, Amboise avait appris que le nègre est une réserve de péchés dans le monde, la créature même du diable. » Comme il a connu la France, les travailleurs de la canne lui demandent de les représenter auprès du patron de l’usine de sucre et de rhum ; ils militent pour deux sous de plus. C’est non et un jet de vapeur grille les meneurs, dont Amboise qui en meurt.

Télumée se retrouve donc seule à nouveau, une fillette lui est confiée bébé, toute malade, et elle en fait une belle adolescente jusqu’à ce qu’un demi-demeuré la lui ravisse par pure méchanceté. Vieillie, stérile, Télumée mesure alors son parcours de négresse plus bas que terre, le dernier barreau dans l’échelle des êtres. « Au beau milieu de cette incertitude nous vivons, et certains rient et d’autres chantent. J’ai cru dormir auprès d’un seul homme et il m’a vilipendée, j’ai cru le nègre Amboise immortel, j’ai cru à une enfant qui m’a quittée, et pourtant, sans trop savoir pourquoi, je ne considère rien de tout cela comme du temps perdu. Peut-être bien que toutes les souffrances, et même les piquants de la canne, font partie du faste de l’homme, et peut-être bien qu’en le regardant d’un certain œil, en me penchant d’une certaine manière, il me sera possible, un jour, d’accorder une certaine beauté… »

Une langue riche et des noms locaux qui roulent, imagés et naïfs mais vrais comme la terre; un roman de femme qui parle des femmes pour réhabiliter leur destin méprisé ; une certaine acceptation du destin doux-amer, où l’on ne peut séparer le bon du mauvais. Le meilleur roman de l’autrice, dit-on.

Grand prix 1972 des lectrices de Elle.

Simone Schwarz-Bart, Pluie et vent sur Télumée Miracle, 1972, Points Seuil 1995, 256 pages, €7,90, e-book Kindle €6,99 (mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

Catégories : Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , ,

Martin Fahlen, Le tableau de Savery

Un médecin suédois à la retraite évoque un tableau du flamand Roelandt Savery, Paysage de montagne avec animaux, peint en 1608. Il est en effet toute son enfance. Il l’a eu en face de lui dans la salle à manger, quand il était petit. Il s’y perdait lorsqu’il était réprimandé, oublieux du réel pour se plonger dans l’artificiel de l’art.

Car cet opuscule sans prétention est « un livre sur l’art, et la connaissance, mais aussi sur l’enfance et le temps qui passe ». Un « texte qui tente de redonner vie à la mémoire de Roelandt Savery, lui qui ne figure pas dans l’Encyclopédie nationale de Suède » p.83. Savery en madeleine de Proust ? Mieux, un éducateur : « l’œuvre a formé mon goût pour les beaux-arts, le bel ouvrage » p.9. L’auteur va donc s’efforcer de « suivre le destin d’un tableau comme si cette recherche devait pénétrer l’œuvre elle-même, élargie, plus proche et compréhensible » p.13. Cette quête est aussi la sienne.

Six chapitres sur le peintre né à Courtrai, le contexte de l’époque et l’empereur du saint-empire romain germanique Rodolphe II de Habsbourg à Prague, petit-fils de Charles Quint, collectionneur dans sa Kunstkammer et bipolaire, alchimiste et protecteur des arts et des sciences, la grand-mère Martä flanquée du grand-père Arnold un temps ministre des Affaires étrangères de Norvège, qui avaient acheté l’œuvre, le cadre confectionné avec son père à 13 ans, âge où l’on a envie de devenir un homme auprès de son géniteur, le regard d’un tableau et au final, la fissure.

« Les œuvres d’art qu’achetaient mes grand-parents étaient comme des enfants supplémentaires, affichés aux murs » p.56. Ils étaient plus que des décorations, des choix par amour. A force de le contempler chaque jour, lors des repas, il semblait au garçon que « le tableau avait de l’humour, du fait qu’il suggérait quelque chose au-dessus de ce qui apparaissait comme évident, invitait à changer de perspective » p.71. Après avoir vu les arbres et les animaux, l’œil va plus loin. « La partie centrale et lumineuse du tableau ne comprend pas seulement un ciel et un paysage bleutés, mais définit les contours d’une grande tête de profil » p.86. Une femme couchée est une autre image cachée. La construction est centrée en escargot selon le ratio de Fibonacci.

De l’observation à la philosophie : « L’intention était de marquer sa dévotion et son appartenance à la nature divine «  p.87 par les correspondances de l’œil humain et des éléments naturels. De même lorsque l’on doit changer le cadre trop doré et trop chargé pour lui en donner un neuf, mieux adapté à la peinture. C’est un choix dans les musées puis un travail manuel en commun au garage avec son père chirurgien pour donner un cadre adéquat au tableau. « Mon papa avait cinquante ans et moi treize » p.74, écrit l’adulte qui se remémore ce moment privilégié d’initiation.

Le tableau a été volé par les nazis durant la guerre, retrouvé, il a été vendu pour payer les frais médicaux de la grand-mère en 1963, puis retrouvé au musée de Boston aux États-Unis, où il reste souvent dans les réserves. Mais quand il retrouve le tableau 22 ans après, dans un pays étranger et placé là comme un objet de collection, ce n’est plus la même chose. La magie d’enfance s’est effacée ; ce tableau n’est plus le sien. Il est exposé en public. Son cadre amoureusement collé s’est fissuré, il a vieilli, comme l’auteur.

D’où cette réflexion d’homme mûr : « Ce n’était pas de l’art dont on jouissait, mais du renouvellement » p.105. L’art en soi n’existe pas, il n’existe que des façons de le regarder, de le faire sien. Et elles changent avec les époques. L’enfant n’est plus, on ne ne retrouvera pas.

Martin Fahlen, Le tableau de Savery (Märtas tavla – Ett oväntat möte med konst), 2016, traduit du suédois et notes par Nils Blanchard, Exakta Print 2023, 124 pages, disponible auprès du traducteur nils.m.blanchard@gmail.com €15 + €6 de frais de port

Catégories : Art, Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , ,

Alexandre Ikonnikov, Dernières nouvelles du bourbier

Tout une ambiance, une satire de l’absurde russo-soviétique. Ces 43 courtes nouvelles d’un auteur russe né en 1974 et qui écrit aussi en allemand, sont regroupées en 6 thèmes : Russie, Voisins, Temps modernes, Village éternel, Histoires de vie, Dieu avec toi. Elles décrivent la Russie profonde, celle des campagnes qui votent bêtement pour le pouvoir toujours, sans penser, avec une indifférence de vaches à l’étable. Une Russie qu’on aurait tendance à penser « éternelle », mais dont l’essence apparente est due à la distance, à l’arriération volontaire, à une politique centralisée et autocratique.

Tendances fort bien décrites par ces touches de vies qui mettent en scène des personnages immuables : le vieux paysan, le fonctionnaire résigné, la pute de village, les femmes en désir, les hommes saouls. De quoi mieux comprendre la passivité fière des Russes d’aujourd’hui, ceux qui votent Poutine volontairement, malgré la corruption et le cynisme du personnage.

Dans l’une des nouvelles, Mutinerie, l’auteur analyse ironiquement comment les Russes vivent bien sous les dirigeants chevelus (Nicolas II, Staline, Brejnev, Eltsine) et beaucoup moins bien sous les chauves (Lénine famine, Khrouchtchev assécheur de mer, Gorbatchev et sa désorganisation). A propos : regardez les cheveux de Poutine, conseille-t-il.

Le cœur du propos, repris en quatrième de couverture tant cela conforte l’image d’une Russie « éternelle » se trouve dans la nouvelle intitulée Voisins. « En fait, la prétendue âme russe se réduit à quatre composantes : la croix russe, la langue, la vodka et le bonheur dans la souffrance. Commençons par la croix russe.

Du Nord sont arrivées les tribus finno-ougriennes, qui en plus de la chasse et de la pêche adoraient faire la guerre. C’est le fondement pour nous.

De l’est sont venus les Tatars, les Mongols. Le Tatar est assis sur son cheval et il chante. Il chante ce qu’il voit. Et voilà la littérature russe. Tourgueniev, Dostoïevski, Boulgakov, tout ça, c’est des Tatars ! (…)

Du Sud sont venus, par Byzance et la Grèce, la religion et l’écriture.

De l’ouest, Pierre le Grand a emprunté des éléments à la culture occidentale.

Ce qu’on a fini par avoir au centre de tous ces croisements, impossible de se le représenter sans avoir vidé une bouteille. (…)

Et la dernière composante, le bonheur dans la souffrance. Autrement dit, les Russes ne peuvent pas être heureux sans souffrir. (…) Non, ce n’est pas du masochisme. Prenons l’Allemand, par exemple il va s’inventer un problème, mais aussitôt il va arranger une solution pour le contourner. Et nous, paf ! Dès qu’on a réussi à faire quelque chose, on se retrouve immédiatement avec des problèmes pleins le cul » p.56. La guerre, la nostalgie, un vernis de civilisation seulement et l’ivrognerie faute d’identité réelle – c’est à peu près ce que nous confiait l’officier « renseignement » lors de mon service militaire à la fin des années 1970… Une satire et une mythologie.

L’histoire russe conduit à ce sentiment de l’absurde que Camus a théorisé. « Nous avons déjà répondu depuis longtemps à la question : quel est le sens de la vie ? Réponse : boire du thé sur le balcon et fumer, c’est-à-dire être ensembles. Nous sommes très, très sûrs d’une chose : nous n’emporterons rien avec nous dans notre cercueil » p.66. D’où les situations cocasses, comme ce Russe tout fier d’avoir acheté une machine à laver à sa femme. Sauf que la notice est en coréen, que la prise électrique n’est pas au format russe, que le voltage russe est incompatible avec les normes internationales, qu’il n’y a pas d’évacuation d’eau… En bref, la modernité sans les infrastructures – le sempiternel problème russe de l’impéritie d’État.

Ou ces gamins de 7 ans qu’un milicien vient mettre en garde à l’école sur les dangers des messieurs qui proposent un bonbon ou des quartiers chauds où on peut se prendre une balle. Sauf que les gamins sont bien mieux au fait que lui des problèmes de la ville moderne ! La seule façon de garder du respect est encore de leur raconter des horreurs survenues au commissariat, ils adorent.

Ou encore celui de ce médecin sous-payé qui quitte son travail qu’il aime pour prendre un poste de gardien de nuit d’un entrepôt mafieux, nettement mieux payé. Mais il doit respecter des règles, dont celle de n’ouvrir à personne la nuit sauf au directeur. Lorsqu’il voit un adolescent poignardé derrière la vitrine, il ne peut s’empêcher d’aller le sauver, il est donc viré ! La vie humaine ne compte pas en Russie.

Quand Kolia, 17 ans, est tombé amoureux de Sveta, 16 ans, il n’a pas tardé à lui faire un enfant. Les parents les ont mariés, comme il se doit, le garçon est parti au service militaire, comme il se doit, et il en revient transformé, comme il se doit. C’est-à-dire formaté pour aller se saouler avec ses potes et ne baiser sa femme que tous les deux mois. Laquelle épouse se raccroche à son mari, se persuadant qu’il l’aime et qu’elle l’aime. Mais la vie de trayeuse et de tractoriste est ainsi faite en Russie que le Système l’emporte sur les sentiments des individus.

D’ailleurs, le travail de tractoriste n’est pas crevant, une autre nouvelle le met en scène : départ en retard à cause d’une panne, sieste après le repas, journée terminée à 17 h. En bref, seulement deux ou trois heures de travail effectif, pas plus. Une fatalité joyeuse : on ne s’en sortira jamais, mais on vit bien.

Si un entrepreneur entreprend quelque chose et réussit, la jalousie aussitôt le fait chuter ; on n’aime pas les individus en Russie, seulement le collectif. Dans un village isolé par la neige, un jeune reporter embourbé en voiture rejoint à pied un bâtiment de village qui ressemble à des WC. C’est la poste où trône un Directeur. L’endroit paraît sinistre. Pas du tout, rétorque le Directeur, « on vit dans la joie, on est une grande famille ». Et de préciser : « Tu comprends, dans le village il y a huit femmes, une flopée de gosses et seulement trois mâles. Mais le maire a presque 70 ans, et Iourka vient de fêter ses 13 ans. Encore que… A ton avis, à 13 ans, c’est normal  ? – Ça me paraît un peu précoce. – Tu vois, tout le harem repose sur moi, c’est pour ça que les enfants se ressemblent tous » p.136 Et d’inciter le reporter à passer la nuit au village en « cadeau de Noël ». A son départ, pas moins de deux jeunes filles continuent de fixer la route.

Le collectif, toujours !

Alexandre Ikonnikov, Dernières nouvelles du bourbier, 2002, Points Seuil 2004, 185 pages, occasion €1,37

Catégories : Livres, Russie | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Terminator 2 de James Cameron

Un film culte, sorti en 1991 après la guerre du Golfe, suite d’un précédent film sorti en 1984 après l’arrivée de Ronald Reagan au pouvoir. Ce n’est pas anodin : l’Amérique s’est réveillée et craint la guerre totale universelle. Moins celle menée par les Soviétiques ou les Arabes que celle que rend possible la technologie.

Le mot est lancé : ce sont bien les machines qui menacent l’humanité. Et parmi elles, « l’intelligence » artificielle, les processus automatiques sans âme qui reproduisent la bureaucratie anonyme des bas esprits binaires chez qui tout doit être blanc ou noir. L’envoi par « le rectorat » de Versailles de la lettre aux parents de l’adolescent harcelé qui s’est suicidé dans les Yvelines en septembre 2023 montre combien « l’intelligence » artificielle n’est pas réservée aux machines. Et combien le comportement administratif des je-m’en-foutistes et je-t’emmerde-c’est-le-règlement déshumanise les relations humaines.

La fiction veut que la découverte de puces électroniques révolutionnaires ait permis l’automatisation des bombardiers (aujourd’hui les drones) grâce à un processus automatique livré à lui-même (tir à vue sur cibles). L’hubris des militaires – évidemment américains – a poussé à la machinisation poussée de tout le système de défense afin d’éviter les émotions humaines et autres retards de riposte. L’ordinateur qui contrôle les machines, Skynet (le nom est aujourd’hui repris par un site de livraisons), a déclenché la Troisième guerre mondiale en atomisant l’Union soviétique afin d’assurer en riposte la pulvérisation des humains à Washington qui voulaient l’empêcher d’agir et reprendre la main.

Le Skynet du futur avait envoyé en 1984 un Terminator, cyborg tueur T-1000 en « métal liquide », pour éliminer Sarah Connor (Linda Hamilton), mère du futur John Connor qui deviendra chef de la résistance humaine contre les machines. Raté ! Skynet envoie donc un nouveau tueur cyborg en 1995 (Robert Patrick), juste avant le début de la guerre atomique survenue en 1997, pour éliminer John adolescent (Edward Furlong, 13 ans au tournage). Le John du futur, vers ses 45 ans, envoie lui aussi un cyborg afin de le protéger du tueur, mais ce n’est qu’un modèle T-800 plus ancien (Arnold Schwarzenegger). Il est capable d’apprendre, doté d’une IA assez performante (plus que le niveau atteint aujourd’hui par les chercheurs). Le gamin prendra un malin plaisir à lui enseigner ses expressions d’ado de l’époque comme « claque m’en cinq, hasta la vista Baby ou reste cool sac à merde ». Il est aussi capable de sourire, ce que ne fait pas le T-1000. Ces moments d’humour font beaucoup pour l’empathie du spectateur envers John et envers T-800.

La mère découvre en outre que le cyborg serait « un père parfait » pour son fils, elle ayant raté tous ses amants successifs avant d’être internée en hôpital psychiatrique. En effet, la machine est toujours disponible, prête à jouer à tout, sans jamais l’engueuler ou le battre, et le protégera quoi qu’il arrive. Un bizarre féminisme de la part d’une mère devenue quasi androïde dans sa paranoïa… Mais cette relation ado-cyborg est bien le cœur du film, ce qui en fait probablement le meilleur de la série Terminator.

Terminator 2 se voit et se revoit avec plaisir tant il est empli d’action sur fond d’apocalypse, comme notre époque angoissée le chérit. L’ado est assez banal, ni très costaud ni vraiment sexy malgré sa mèche à la mode, mais débrouillard et d’un calme jamais vu à cet âge en de telles circonstances. La mère séduit moins, en névrotique musclée pas très aimante, fascinée par le cliquetis des armes. Les cyborgs sont comme ils se doit : des machines sans âme qui font leur boulot inexorablement (ainsi qu’on demande à tout militaire américain et à tout bureaucrate français). Le T-800 paraît plus sympathique parce qu’on lui a ordonné de protéger un jeune humain et que cette fonction lui donne le comportement d’une figure paternelle. Le T-1000 est implacable et rusé, tout à fait dans son rôle, le visage-masque impassible comme un soviéto-nazi de caricature.

Les effets spéciaux font moins d’effet depuis qu’ils se sont multipliés avec l’électronique au cinéma, mais les séquences cultes ne manquent pas. A commencer par la première qui voit Schwarzenegger sortir tout nu d’une sorte d’œuf électro-magnétique dans la banlieue industrielle de Los Angeles. Sa prestation dans le bar-billard donne le ton : il en impose par sa prestance, sait ce qu’il veut, résiste aux coups et casse toute résistance des machos rockers bikers californiens fort à la mode en ce temps-là. Il obtiendra vêtements, moto et fusil à pompe sans vergogne et descendra les marches sur un riff de guitare électrique mémorable.

Une autre séquence est la poursuite du gamin en moto que menace un énorme truc américain, un camion comme dans Duel de Spielberg. Ce ne sera pas le seul camion à poursuivre les héros mais reste le symbole de la machine macho par excellence qui écrase de sa puissance tout insecte humain sur sa route.

La séquence explosions où la bande des quatre (avec Joe Morton en chercheur coupable) fait tout sauter du labo de technologie de pointe afin d’empêcher (ou de ralentir…) la recherche sur la puce du futur est aussi d’anthologie, avec tirs continus et massacre de bagnoles de flics à l’américaine.

Enfin l’ultime séquence du suicide du cyborg protecteur dans la fonderie, après une violente et douloureuse bagarre avec le cyborg agresseur dont le métal liquide se reforme au gré des formes qu’il prend, reste dans les mémoires comme un moment d’émotion. L’ado a récupéré sa mère mais perd son père de substitution : il devient adulte. Mais l’IA a compris le sens de l’émotion humaine via les larmes. Peut-être est-elle capable de s’humaniser et de quitter le binaire glacé des machines ? C’est du moins le sens que tente maladroitement de suggérer Sarah Connor en voix off.

DVD Terminator 2 – Le jugement dernier (Terminator 2: Judgment Day), James Cameron, 1991, avec Arnold Schwarzenegger, Linda Hamilton, Robert Patrick, Edward Furlong, Joe Morton, StudioCanal 2017, 2h11, édition remasterisée €9,99 Blu-ray 3D €36,61

Catégories : Cinéma | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Tuscania 1

En sortant de Sovana trône un étrange château d’eau en forme d’alien de la Guerre des mondes. Un peu plus loin, des éoliennes aux faces obtuses surveillent la campagne. Leurs pales brassent paresseusement l’air ambiant. Il fait chaud. Nous prenons la route pour Tuscania, cité médiévale ceinte de remparts. Notre nouvel hôtel s’appelle justement l’hôtel Tuscania. Il est moins pittoresque que la forteresse et assez bruyant car ouvert sur une rue passante, mais il offre une vaste salle au petit déjeuner et une grande terrasse avec vue sur les remparts de la ville. La patronne de l’hôtel, Filomena, est l’aînée de trois sœurs dont une prof et une artiste. Cette dernière a donné des peintures inspirées par la Renaissance italienne et des sculptures en plâtre imitées de l’art romain. Certaines sont assez réussies, dont un torse d’éphèbe juvénile dénudé à la palestre qui ne doit pas avoir plus de 13 ou 14 ans.

Nous visitons l’antique acropole de la cité étrusque et les deux basiliques de San Pietro et Santa Maria Maggiore, de style roman. Dans les jardins et au bord des routes, le jasmin est en fleur et embaume. Il y a cependant beaucoup trop de voitures dans les ruelles ; elles se sentent obligées de « passer » avec une seule personne à bord, en général un macho, et se garent n’importe où. Après les ruelles, le cagnard. Nous prenons un café allongé pour 1 € sur la place du théâtre dédié à un chanteur lyrique originaire de la ville, décédé en 2012. Après la « tour des miracles » en face de laquelle se cache un chat noir craintif au poil luisant, la via Claudia est découverte sur une centaine de mètres ; elle reliait Rome à la mer à Ansedonia, via Saturnia et nous pouvons voir les dalles qui la couvraient il y a deux mille ans. Les tympans de marbre et les fresques des églises sont reposants.

À San Pietro, sur l’acropole étrusque, un jeune chat est écrasé – mais seulement de sommeil. Commencée au VIIIe siècle en style roman lombard, probablement sur les restes d’un temple païen, la façade de;l’église est du XIIIe avec une rosace en marbre blanc portant les quatre évangélistes et une loggia délicatement sculptée. Nous pouvons voir un sacrifice d’Isaac dans l’une et des fresques byzantines de l’Annonciation où le Bambin est carrément lancé par l’ange Gabriel à la Vierge. Des hauts-reliefs représentent le royaume de Dieu avec les anges et les Pères de l’Église, face à celui du Mal où un démon à trois faces exhibe un serpent et des harpies dans une profusion végétale qui rappelle l’élan sexuel. A l’intérieur, plein de sarcos étrusques.

c

c

c

c

c

c

c

c

c

Catégories : Italie, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Colette, La maison de Claudine

Vers la cinquantaine – c’est l’âge habituel – l’auteur se penche sur son passé. C’est que la guerre de quatre ans et des millions de morts par boucherie est passée par là, ramenant chacun à l’essentiel de son existence. Que sa fille Bel-Gazou grandit et lui rappelle sa propre enfance. Que son mari Henry de Jouvenel est accaparé par ses affaires diplomatiques. Que son beau-fils aîné Bertrand, 16 ans et demi, au bord de la mer en Bretagne, à Rozven, fait parler la belledoche : « Pourquoi ne racontes-tu pas ton enfance, puisque tu l’as aimée ? »

De fil en aiguille naissent ces contes de l’enfance de Claudine/Colette. Le frère aîné qui, à 13 ans, composait des cercueils et leurs épitaphes deviendra étudiant en médecine… La belle-sœur aînée aux longs cheveux qui lisait tant et plus des romans deviendra mère de famille et fâchée avec Sido. Les chiens et les chattes sont de la famille.

La mère, Sidonie, prend peu à peu de l’importance, révélée par les souvenirs qui affluent. Elle s’est mariée avec « le Sauvage », le capitaine Colette. Elle bouffe du curé mais va de ce pas sonner à sa porte… pour se faire offrir une bouture de pélargonium qu’elle convoitait. Elle ne manque aucune messe, mais avec son chien. Quand le curé lui fait remontrance, elle rétorque « qu’est-ce que vous craignez donc qu’il apprenne ? ». Le chien se lève et s’asseoit comme les fidèles – sauf qu’il grogne à l’élévation. « Mais certainement ! (…) Un chien que j’ai dressé pour la garde et qui doit aboyer dès qu’il entend une sonnette ! » Sido est une femme qui pleure à la mort de son mari le Capitaine cul de jatte, mais qui ne peut s’empêcher de rire le soir même devant le jeune minet qui fait des cabrioles, fou comme un chat au printemps.

« Minet-Chéri », ainsi l’appelait sa mère, est une enfant garçon à la sensualité de bête. Elle aime les plantes, les animaux, les gens. Elle les regarde avec tendresse et ironie. Telle cette « petite Bouilloux », trop belle pour tous, promise par les commères à un destin de dévergondée qui fait tourner les têtes mâles et oriente les queues vers le ballon – et qui pourtant deviendra ouvrière, dansera mais ne se donnera pas, restera vieille fille, aigrie parce que nul ne lui convient tant on lui a monté la tête. Ou ce clerc de notaire dont elle a « oublié le nom », célibataire mal habillé, mal nourri, à figure triste, dont se moquent les petites adolescentes abêties par les hormones le midi – les copines de Colette au village. Un jour, le clerc est en retard, le saute-ruisseau de l’office notarial est déjà assis sur le banc de pierre à bouffer son pain. Lorsqu’il surgit, affairé, il porte un journal et confie au gamin : « Ybañez est mort. Ils l’ont assassiné. » C’était un coup du cardinal de Richelieu dans le feuilleton du jour…

La scandaleuse Colette passe un nouveau pacte avec ses lecteurs ; elle met en avant sa jeunesse pure et familiale, les valeurs conservatrices prisées de ceux qui lisent. Des textes propices à donner en « rédaction » aux élèves du primaire (je n’y ai pas échappé). Même si l’enfant est une enfant, donc « marquée par la malice originelle », comme le note un critique en référence à la Bible.

Colette, La maison de Claudine, 1922, Livre de poche 1978, 158 pages, €7,70, e-book Kindle €4,99

Colette, Œuvres tome 2, édition Claude Pichois, Gallimard Pléiade 1986, 1794 pages, €69,44

Les œuvres de Colette déjà chroniquées sur ce blog

Catégories : Colette, Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , ,

La Trinité-sur-Mer

Après avoir largué A. qui rentre en bus pour cause de grande fatigue, nous passons le pont de Kerisper sur la rivière de Crach, construit en 1956. Auparavant, seuls les passeurs permettaient d’aller d’une rive à l’autre des marais de Kerdual. Nous pouvons voir depuis le tablier du pont le port de plaisance de la Trinité-sur-Mer et ses innombrables bateaux, voiliers, multicoques et promène-couillons à moteur. Des navigateurs célèbres en font leur port d’attache comme aujourd’hui Thomas Coville ou Francis Joyon. Nous traversons le port et les stands montés pour les courses et distractions de l’été. Beaucoup de frime et de bronzage étalés.

Nous quittons ce fracas pour gagner le chemin aménagé dit « sentier des douaniers ». Sur 8 kilomètres, il mène de criques en plages jusqu’à la Pointe de Kerbihan et les plages de la baie de Quiberon. Nous sommes toujours sur le GR 34. Des baigneurs sont régulièrement rencontrés, échoués sur les bords sableux ou rocheux avec leur serviette, mais ils ne sont pas serrés.

La marée descend et un kid de 8 ans, pieds nus mais dûment shorté, T-shirté, casquetté et lunetté, court jouer ici ou là avec l’un ou l’autre de son âge, fouillant les rochers à la recherche de crabes ou grimpant aux échelles de corde installée en aire de jeu. Ses parents discutent, se posent un moment puis repartent, laissant le gamin se débrouiller à les rejoindre ou non. Il reste en face de nous un moment et commence à jouer aux agrès mais ses parents partent sur le sentier. Il doit les suivre, ce qu’il ne fait qu’avec retard et réticence. Dommage, son copain vigoureux dans les agrès du bord de plage venait d’ôter son T-shirt pour faire des exercices et l’inciter à l’imiter.

Nous pique-niquons sous les pins maritimes au bord d’une villa en reconstruction dont les camions et engins commencent à retravailler après la pause. Nous sommes en bord de plage mais à l’ombre, sur des tables et des bancs aménagés par la commune. Cette fois, apéritif de muscadet au cassis (pour ceux qui aiment) ou nature pour moi, avec des petits artichauts confit italiens et des chips bretonnes de sarrasin. Nous avons ensuite de la salade de chou Lidl aux dés de jambon cru et de fromage, du porc confit, du « camembert » breton (vraiment sans goût) et des pommes (très acides).

Nous poursuivons le sentier des plages. Quelques beaux corps de filles, d’adolescents et de gamins. Les petits sont toujours attendrissants à bâtir des châteaux de sable contre la mer, les fillettes étant les plus obstinées. Pour les garçons surtout, la sensation de la peau contre le soleil, l’eau, le sable, le vent, est une véritable sensualité présexuelle. Ils aiment à se frotter à la grève, à leurs copains, au papa. Ils sont libres à la plage, libres de leur corps et d’explorer toute la gamme de leurs sensations. Avant de monter rejoindre le sentier depuis le sable où nous marchions, juste avant la digue de Kerdual, un jeune Allemand blond d’or bruni de 13 ou 14 ans surgit, magnifique, un vrai prince Éric. Il est l’aîné d’une portée de petits blonds allemands dont le bronzage n’est pas encore égal au sien. Nous sommes plusieurs à envier son papa d’avoir créé cette merveille.

Nous passons devant les salines en face de la plage de Kervillen. Ces marais salants délaissés durant un demi-siècle ont été rénovés en 2010. Des tas de sel blancs font autant de pyramides sur le fond glauque. Des gravettes, avocettes, canards tadornes et autres bécasseaux s’ébattent dans l’eau stagnante et sur les rives herbues.

Suit une pinède de Monterey, pin californien à trois aiguilles au lieu de deux, qui mène à un parking d’où viennent régulièrement papys et mamies avec gamins. Sur un tronc abattu, la pause permet une discussion vive à l’ombre sur les chasseurs-cueilleurs en quête de bouffe et les néolithiques devenus propriétaires. C. cite même Rousseau dans le texte, le Discours sur l’inégalité concernant la propriété. Mais il y a l’éternelle confusion des faux savants entre l’espérance de vie et l’âge moyen au décès, le matriarcat et la matrilinéarité, le désir de croire plutôt que de vérifier. Je renonce, il suffit de regarder sur Wikipédia ou autres sites reconnus. Ce n’est pas parce que l’on désire y croire que c’est attesté dans les faits. Le pouvoir des femmes (matriarcat) qui reste un mythe, est différent de l’héritage par les femmes (système matrilinéaire) qui est attesté.

Double navette jusqu’à l’hôtel, l’une jusqu’à l’office du tourisme de la plage, l’autre jusqu’à l’office de tourisme du bourg. Quatre filles restent à la plage, quatre autres rentrent à l’hôtel, comme moi. Il est presque 18 h. Cette journée plage nous a flapis, par excès de chaleur plus que par la marche sans doute.

Au dîner à l’hôtel, le dernier du séjour, nous avons quatre huîtres en entrée (pas six !), un filet de bar beurre nantais avec ses petits choux-fleurs, champignons, et tomate en dés, et une crème brûlée. En général, les repas sont bons à l’hôtel, même si le cuisinier, le grand Noir que nous avons rencontré dans le hall, met souvent trop de sauce.

Catégories : Bretagne, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Vermeer, La Jeune fille à la perle

Ma peinture préférée reste La jeune fille à la perle qui affiche à l’oreille le microcosme du monde en même temps que sa goutte de rosée pubertaire. C’est une perle de rosée virginale qui sourd au moment où les lèvres s’entrouvrent et où le regard vous croise. La jeune fille à la perle, si pure et virginale d’apparence, ne serait qu’une simple pute. La perle était l’insigne des courtisanes, et la grosseur de celle qu’elle porte est disproportionnée par rapport à celles que l’on trouve habituellement. Elle est comme une enseigne à l’entrée des maisons closes et dit que la fille est prête à baiser. Je suis un peu dubitatif sur cette présentation de guide. La perle semble être en chrétienté un symbole de pureté, à la fois trésor caché et vanité terrestre. Mais ce pourrait être aussi, vu la grosseur, une perle de verre argenté ou d’étain poli, à moins que ce soit un effet spécial du peintre. Tout l’intérêt de l’art est justement de provoquer le spectateur à avoir sa propre vision. De plus, il semble que la fameuse Jeune fille ait été l’une des filles du peintre, âgée de 12 ou 13 ans et non pas une servante de 16 ans comme le romance Tracy Chevalier.

J’observe que les lèvres pulpeuses des filles de Vermeer rappellent les lèvres entrouvertes des garçons du Caravage à la fin du XVIe siècle, comme Le garçon mordu par un lézard ou Les musiciens. La façon dont est tourné le visage de la jeune fille à la perle de Vermeer rappelle également la façon dont est tourné le visage du Joueur de luth du même Caravage, peint en 1595. Il a la même coiffe, la même lumière, le même regard, les mêmes lèvres pulpeuses semi entrouvertes. Le Caravage a influencé les peintres de Delft, l’école caravagesque d’Utrecht rassemble les peintres néerlandais partis à Rome au début du XVIIe siècle pour parfaire leur formation. Réalisme et clair-obscur sont les principaux apports de l’Italie, ainsi que les scènes de genre et les buveurs ou musiciens. L’Entremetteuse de Dirck Van Baburen (1622) est inspirée des Tricheurs du Caravage (1595) ; elle a peut-être inspiré Vermeer, dont on sait qu’il a été influencé par l’utilisation de la couleur par cette école.

La fille au chapeau rouge, dans la même veine, me plaît moins car elle arbore trop de sensualité ouvertement et n’a plus rien de virginale. Il s’agit d’une claire invite sexuelle et non pas d’une envie affective d’admiration ou de protection. L’infrarouge montre que la première esquisse était un homme. L’inverse de la très jeune fille en fleur.

Le tableau de la Jeune fille, peint vers 1665, ne portait pas de titre, on l’a appelé successivement le Portrait turc ou la Jeune fille au turban et c’est le roman paru de 1999 de Tracy Chevalier, La jeune fille à la perle, qui lui a assuré son titre actuel dans le grand public. Le tableau était peut-être destiné à Pieter van Ruijven, un riche percepteur de Delft ami de la famille du peintre. Dans cette société prospère grâce au commerce, l’art est un marqueur social et un placement financier. Elle a refait surface lorsqu’un collectionneur, un Français, l’a achetée pour deux florins, soit moins d’un euro. Une fois nettoyée, il a vu que c’était un Vermeer et en a fait don à sa mort en 1902 au Maurithuis. L’œuvre a été restaurée en 1994 pour lui ôter son vernis qui s’était assombri, permettant de remettre en valeur les petites touches blanches qui ornent la commissure des lèvres.

L’usage du sfumato à la Vinci permet chez Vermeer que l’arête du nez de la jeune fille soit fondue dans sa joue. Le fond était vert sombre et nous paraît noir à cause du vernis ; ce vert représentait initialement un rideau. La torsion du buste crée une tension qui invite le regard du spectateur tandis que le fond sombre uni semble faire émerger le visage du néant. La couleur bleu-gris des yeux répond à la nuance de la perle. La jeune fille est mise en situation, le torse en rotation donne le sentiment qu’elle ne pose pas, qu’elle est surprise. Le tableau est fait pour nous attirer, au sens optique comme sexuel. Il instaure une relation et laisse du mystère, ce qui retient. Cette peinture reste universellement humaine avec ses trois couleurs primaires (rouge des lèvres, bleu et jaune du turban) et l’effet qui fait surgir la lumière de l’obscurité. Elle est aussi un fantasme, la manifestation du désir surpris, interdit. Comme il subsiste un mystère, la (très) jeune fille attire – elle a toujours attiré les hommes faits.

Les produits dérivés et les imitations dérisoires contemporaines gâchent un peu la vraie jeune fille, mais c’est l’époque : tout doit être rabaissé au niveau démocratique de celui qui regarde.

Catégories : Art, Pays-Bas, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Colette et Willy, Claudine s’en va

Claudine mariée en a marre, elle s’efface. Ou plutôt Colette elle-même, forcée de donner une suite à sa série à succès, au détriment du talent. Car si le roman est homogène, centré sur la personnalité d’Annie que Claudine mettra en valeur, il se disperse en bavardages et descriptions pour faire du volume. Ainsi explore-t-on le salon du mari, va-t-on à la campagne chère à l’épouse, part-on en ville d’eau à Arriège (ville inventée sur le modèle d’Uriage), assiste-t-on au festival Wagner à Bayreuth avec Siegfried Wagner, fils aîné du maître en chef d’orchestre pas terrible, et lit-on enfin la lettre interminable et vulgaire de Maugis qui déblatère sur les acteurs et les personnes…

Claudine s’efface car elle n’est ici que faire-valoir. Le roman est le Journal d’Annie, une jeune campagnarde velléitaire tombée amoureuse dès son enfance d’un garçon de quatre ans plus âgé qu’elle, qui l’associait à ses jeux, la protégeait. A 9 ans, elle a eu une bouffée de sensualité pour lui, son « premier rêve, le garçon de 13 ans, nu sous le maillot de laine » p.625 Pléiade. A 16 ans, Alain lui a déclaré qu’il l’épouserait ; elle avait 12 ans. A 24 ans, il l’a fait et elle, à 20 ans, s’est laissée faire. C’était naturel, normal, évident. « Cet Alain ! Je l’aimais à douze ans, comme à présent, d’un amour confus et épouvanté, sans coquetterie et sans ruse. Chaque année nous vivions côte à côte pendant près de quatre mois (…) Il m’emmenait, nous lisions, nous jouions, il ne me demandait pas mon avis, il se moquait souvent. (…) Il passait son bras autour de mes épaules et regardait autour de lui d’un air méchant, comme pour dire : ‘qu’on vienne me la prendre !’ » p.534. Et les mois ont passés, le couple s’est installé dans la routine, Alain faisait « toc-toc, ça y est… Jusqu’au revoir, chère madame » comme dit drôlement la sœur Marthe, autrement dit baisait vite fait sans se préoccuper d’Annie. D’ailleurs elle avait trop peu de santé, trop peu d’initiative, trop peu d’intérêt pour les choses pour qu’elle ne soit pas constamment assistée de son mari.

Jusqu’à ce qu’un héritage opportun envoie Alain en Amérique du sud, où un oncle basque était allé s’établir et y avait fait fortune en élevant des taureaux. Annie reste donc seule plusieurs mois, ce qui lui permet de se retrouver et de réfléchir à sa personne, à son couple, à sa vie. Avant de partir, son mari lui a établi tout un « emploi du temps » et des règles, mais la principale est qu’elle se réfère à la sœur d’Alain, Marthe. Voici donc Annie embringuée dans un groupe où la liberté d’allure et de propos est grande, chaperonnée pour sa libération par une Marthe qui n’a pas froid aux yeux (ni ailleurs) et par une Claudine en verve, toujours amoureuse de son Renaud mais qui lui a promis de ne plus toucher aux femmes.

Annie va donc aux limites. Elle découvre que le « contrat » moral du mariage peut connaître de sérieux accrocs, donc des conséquences. Par exemple que Marthe faute régulièrement avec le gras et alcoolique Maugis, critique de théâtre aviné mais riche, qui lui paye restaurants et places car son mari Léon ne parvient pas à subvenir aux dépenses excessives de son ménage par ses romans populaires écrits en série. Et que son propre mari Alain, garçon carré et sérieux, a eu pour maîtresse la Chessenet dont il a conservé un paquet de lettres avant de rompre. Enfin que Claudine lui ouvre les yeux sur les manigances intéressées de la Calliope Van Langendonck, chypriote belge polyglotte, qui aimerait bien s’enamourer d’elle.

L’esclave Annie, sans son tuteur de mari qui ne l’a jamais quittée depuis toute petite, découvre la vie, l’indépendance, la volonté personnelle. Ainsi prend-t-elle auprès d’elle son chien Toby qu’Alain avait relégué aux écuries pour chasser les rats ; ainsi part-elle seule à la campagne ; ainsi décide-t-elle, après avoir reçu la visite de Claudine à Paris, de quitter son mari, de demander le divorce, récupérer ses biens propres et de commencer une nouvelle vie. Elle s’est même acheté un petit pistolet. Quatre mois auront suffit pour faire d’une femme soumise sans le savoir une femme libérée. Un cocorico de la féministe Colette. La fin des Claudine.

Colette et Willy, Claudine s’en va – journal d’Annie, 1903, éditions de Crémille 1969, €7,50 e-book Kindle €5,49

Colette et Willy, Claudine à l’école, Claudine à Paris, Claudine en ménage, Claudine s’en va, Albin Michel 2019, 598 pages, €24,90

Colette, Œuvres tome 1, Gallimard Pléiade 1984, 1686 pages, €71,50

Colette sur ce blog

Catégories : Colette, Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , ,

Henri Pourrat, Le chasseur de la nuit

Un roman paysan au pays de la fourme d’Ambert, patrie de l’auteur et aujourd’hui partie du parc naturel régional du Forez dans le Puy-de-Dôme. L’auteur raconte les terreurs du terroir, tel le chasseur de la nuit. Il est celui qui guette, au coin d’un bois ou dans les lieux sombres, les humains infatués qui voudraient narguer le destin ou transgresser la nature. Une vieille sorcière le craint, tout comme la vieille Dietre, mère du gars Célestin, qui lui a ravi son mari d’un coup de fusil. A la campagne, le fusil demeure la crainte des femmes en même temps que l’orgueil des hommes. Orgueil qui est un péché capital de Dieu, mais surtout puni par la pente naturelle des choses.

Saisis à respectivement 11 et 13 ans, Amélie et Célestin se prennent d’amitié puis d’amour. Ils grandissent dans les jas, ces hauts d’été où l’on parque les bêtes la nuit avant de les lâcher le jour vers les pâturages du chei, ce chaos de granit au-dessus de la vallée et du village. Constamment dans la nature, ils sont saisis par le vent, l’odeur des herbes, les couleurs des fleurs, l’amitié ou la grogne des bêtes. La pluie transit Célestin, à peine couvert d’une chemise ouverte souvent rapiécée ; mais c’est un garçon, il prend de ces élans de vitalité qui le poussent à transgresser les interdits et même les conseils. Il manque de perdre le troupeau dans un orage, il manque d’être malade de froid au sein du brouillard, il manque de rester coincé dans une fente où il a poursuivi un renard, il manque d’être tué par une vipère sur laquelle il a couru pieds nus… Mais c’est Célestin, un garçon sain qui a de l’intelligence et qu’Amélie sait contrôler – lorsqu’il est avec elle.

Nous suivons étape par étape les deux enfants qui deviennent adolescents puis jeunes gens. Le père d’Amélie veut marier sa fille à un cousin qui apportera des terres, pas question qu’elle épouse qui bon lui semble, ah mais ! Ce machisme tranquille du pater familias chrétien issu des Romains a encore de beaux jours devant lui en ces années du début du siècle XXe. La guerre de 14 fait rage, puis se termine, les beaux partis sont rares car le plus souvent morts. Célestin est trop jeune pour y avoir participé, et le cousin trop vieux pour y avoir été engagé. Amélie s’obstine, elle ne veut que Célestin. Mais celui-ci doit trouver un état pour les faire vivre, malgré le père s’il se bute encore passés les 21 ans de la belle et sa majorité. Il crée une scierie près du village avec l’aide d’un vieux parent qui l’a observé grandir et le juge entreprenant.

Le chasseur noir, celui de la nuit, n’est pas la seule crainte des gens en ces temps reculés et pourtant encore proches – celui de nos grands-parents. Les cancans du village, où tout le monde s’observe et se juge, où tout le monde, au lavoir ou au café, chuchote dans le dos les seules informations d’intérêt puisqu’il n’existe encore ni radio, ni télé, ni Internet, les rancœurs personnelles, les fréquentations des jeunes, les querelles de famille, les secrets ancestraux, l’avidité de terre et d’argent – tout cela compose un monde d’avant qui n’était pas mieux – mais peut-être pire. Avec le travail incessant des bêtes à soigner et nourrir, des fromages à faire chaque jour, le labeur harassant aux reins du foin à faucher et à rentrer à la fourche sur le char avant l’orage inévitable en été, la mort qui rôde avec les vipères, les crises cardiaques, les accidents. Henri Pourrat décrit l’écologie vécue, au ras de la glèbe, et pas fantasmée par des urbains anorexiques enfumés de théories. Un roman à méditer pour éviter les illusions du grand retournement…

Le seul plaisir des hommes, après l’amour (interdit avant mariage) et l’alcool (mal vu), est la chasse. Il faut être adulte pour qu’on vous confie un fusil, il faut avoir les moyens pour en acheter un avec ses cartouches, à la Manufacture des armes et cycles de Saint-Etienne (devenu Manufrance), dont le catalogue fait rêver. Mais quel rêve pour un gamin ! Un rêve d’indépendance, de prédation, de chasseur. Ce n’est pas tuer qui fait plaisir, sauf aux pervers, tuer au contraire donne toujours un regret pour cette vie si légère prise d’un coup. Chasser, c’est bien autre chose, la communion avec la montagne, les espaces. « Leur chasse, ce n’est pas le maniement de fusil et de poudre, ni non plus ce gibier qu’on tue. La mort d’un pauvre lièvre ? Comme dit Célestin, ‘on ne pense pas à ça’. C’est cette poursuite, cette bataille avec des bêtes vivantes, et toute la campagne. Il leur faut partir, entrer dans cette bataille, marcher, fouiner ; ils s’intéressent à tout, à la rosée, parce qu’elle empêche le chien de sentir les traces ; au soleil qui sort, parce que le lièvre voudra aller se sécher sur le tas de pierres, au bord du champ. La joie d’aller à l’aventure, dans le brouillard qui bouche tout et qui mouille, ou dans le froid de l’air tout plein de rose, de retrouver dans ces sorties du matin l’herbe mouillée, les arbres alourdis de nuit. La chasse, c’est la façon qu’a Célestin de retourner au Chei de l’Aigle, d’échapper aux gens et aux ennuis qu’ils se font les uns aux autres » p.182. Je ne suis pas chasseur tueur, mais je comprends. La randonnée, le trek, la chasse photographique, l’observation des animaux, sont du même ordre. Nous sommes tous restés si longtemps des chasseurs-cueilleurs – quelques 190 000 ans avant que ne survienne l’agriculture et l’élevage – qu’il nous en reste quelque chose dans nos gènes, notre physiologie, nos goûts de nature.

Henri Pourrat, natif d’Ambert en 1887, a vécu cette période-là dans cette nature-là et sait admirablement écrire les détails du paysage et du climat, d’une langue drue et fruitée, gourmande. Il sera Grand prix du roman de l’Académie française pour Gaspard des montagnes en 1931 avant de collecter les contes populaires d’Auvergne dont il publiera pas moins de treize volumes.

Henri Pourrat, Le chasseur de la nuit, 1951, Livre de poche 1975, occasion €15,36 e-book Kindle €12,99

Catégories : Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , ,

Vladimir Nabokov, Feu pâle

Poupées russes, ce roman est un poème en quatre chants de 999 vers agrémenté d’un appareil de préface, commentaires et index, comme une étude universitaire. Ce campus novel n’en est pas moins roman d’aventures qui met en scène un triangle de personnages liés par l’amour et la haine derrière le miroir, mais aussi par une quête personnelle de chacun : le linguiste poète John Shade (ombre), le roi de Zembla en exil Charles-Xavier Vseslav renommé Charles Kinbote (King boot ! – dehors – comme dans les BD ?), enfin le tueur soviétoïde, robot sans âme et sexuellement impuissant nommé Gradus (degré) ou Grey (gris).

Kinbote est séduit par le poète Shade et veut instiller en lui l’idée d’une épopée de son royaume envahi et de son règne tragique ; Shade est un vieil homme cardiaque et maniaque, jalousement surveillé par sa femme Sybil, qui a pour ambition d’écrire son œuvre phare en méditant sur la mort, celle de sa fille disgracieuse et la sienne qu’il anticipe ; Gradus a pour mission de tuer le roi en exil comme Staline le fit de Trotski. Mais aucun ne parvient à ses fins : Kinbote est floué par le poème qui parle surtout de Shade ; Shade est tué en victime collatérale des balles de Gradus ; Gradus vise mal et rate sa cible royale mais n’en tue pas moins un poète.

Ce qui aurait pu être une forme aride se révèle prenante. L’auteur s’y révèle un dieu créateur d’univers et de personnages qu’il manipule comme des jouets. Aucun n’est sympathique, tous sont attachants, même le tueur à ressorts, plus malheureux que sadique : la société totalitaire l’a rendu ainsi. Le poème donne le ton, un romantisme fluide et brumeux très Europe centrale avant la sécheresse brute soviétique ; les commentaires ajoutent des aventures sentimentales et érotiques digne de l’épopée scoute du Prince Eric et de son royaume nordique imaginaire. Le royaume de Zembla inventé par Nabokov sur le modèle d’une Russie mythique (Zemlia) est lui-même évocateur d’exotisme physique et charnel, comme cette bande dessinée du même nom qui a paru entre 1963 et 1979 et que les jeunes garçons pouvaient lire chez le coiffeur, le dentiste, ou trouver dans les kiosques des gares de RER.

Le roi de Zembla est Nabokov lui-même transposé en tarzanide, personnage fabuleux doté d’une robuste constitution et d’amitiés érotiques adolescentes fantasmées. « A 12 ans, Oleg était le meilleur avant-centre de l’École ducale. Quand il était dévêtu et luisant dans la vapeur des bains, les attributs hardis de son sexe contrastaient fortement avec sa grâce de jeune fille. C’était un vrai petit faune » p.246. Les deux garçons vont dormir dans le même lit, s’enfermer aux toilettes pour « se laver les mains » (comme les filles disent se repoudrer le nez) et s’y livrer à des ébats torrides. « Certaines créatures du passé, et c’en était une, peuvent demeurer latentes pendant trente ans, comme celle-ci, alors que leur habitat naturel subit de désastreuses altérations » p.249, précise aussitôt Nabokov. Le souvenir d’un « compagnon bien aimé » (index) subsiste intact dans la mémoire de l’écrivain ; ce qu’ils ont accompli ensembles peut être désiré a posteriori sans que cela ait eu lieu.

Comme le roi, Nabokov s’est exilé de façon rocambolesque en échappant aux sbires communistes et s’est échoué aux États-Unis comme enseignant d’une université privée. Mais ce roi existe-t-il en réalité ? N’est-il pas une projection lyrique de Shade ? Un avatar affabulé par Kinbote, obscur professeur d’université, « ombre du jaseur tué par l’azur trompeur de la vitre » ? Une paranoïa soviétique qui voit des ennemis partout ? Nous sommes clairement dans un univers parallèle où l’auteur est roi. Une liberté du désir au-delà de notre enveloppe mortelle, une création ex-nihilo sortie de notre esprit – et qui lui survivra. Le poème commence par les reflets sur une vitre qui transpose et superpose les objets comme le poète diffracte et filtre sa vision sur le monde.

Kinbote et Shade sont antinomiques mais, comme la matière et l’antimatière, s’attirent et s’annihilent. Il n’en restera qu’un. Kinbote est athlète et droit, homo, gaucher, libertin et stérile, végétarien et chrétien ; Shade est maladroit et courbé, hétéro, droitier, fidèle et père d’une fille, mangeur de viande et agnostique. Tout est faux-semblant et tout est Nabokov, comme les deux tendances de sa nature riche et variée. « Enfant, j’étais un petit illusionniste », disait l’auteur (p.1315 Pléiade). Lui aussi, comme les peintres renaissants, crée des Madones à partir de jeunes fleuristes à Florence. Son prince Charles-Xavier, amant à 13 ans du fils de duc Oleg, est la version sylphe de qui il était lui-même à Saint-Pétersbourg. Une projection, un fantasme, une sublimation – un possible parmi les personnages en lui. L’apparence physique de Shade lui-même était un masque « car si les modes de l’ère romantique rendaient plus subtile la virilité d’un poète en découvrant son cou séduisant, en dégageant son profil et en réfléchissant un lac de montagne dans sa prunelle ovale, les bardes d’aujourd’hui, sans doute à cause des meilleures conditions dans lesquelles ils vieillissent, ont l’air de gorilles ou de vautours » p.168. Ce roman est « un rébus enveloppé de mystère au sein d’une énigme », comme le disait Churchill de la Russie soviétique… Chacun ira de son interprétation : à mon avis, elles sont toutes justes, échos et reflets dans l’âme du lecteur particulier.

Cela n’empêche pas Vladimir Nabokov, noble déchu de la Russie tsariste, d’instiller ses messages de haine à la pacotille d’une certaine modernité qui l’a frustré de son destin.

« Je hais les choses comme le jazz,

Le crétin en bas blancs torturant un taureau

Noir, strié de rouge ; le bric-à-brac des abstraits,

Les masques rituels primitifs, les écoles progressistes ;

La musique dans les supermarchés, les piscines ;

Les brutes, les fâcheux, les philistins bourrés de préjugés de classe, Freud, Marx,

Faux penseurs, poètes surfaits, imposteurs et requins » p.199.

Il commente ainsi l’air sombre des Russes soumis au joug socialiste : « Cet air sombre n’a généralement rien de vraiment métaphysique ou racial. C’est tout simplement le signe extérieur d’un nationalisme congestionné et le sentiment d’infériorité d’un provincial – ce redoutable mélange tellement typique des Zembliens sous la domination des extrémistes, et des Russes sous le régime soviétique. Dans la Russie moderne, les idées sont des blocs taillés à la machine et mises en circulation dans des couleurs franches ; la nuance est interdite, l’intervalle muré, la courbe grossièrement échelonnée » p.343. Rien n’a changé malgré la chute du bloc, on dirait Poutine !

Le miroir inversé avec lequel se regardent Kinbote et Shade, chacun confit en narcissisme, ne sera brisé que par Gradus le tueur. L’imaginaire romantique sera troué par le réalisme socialiste. Les érotiques par un impuissant. Mais quel est le plaisir du lecteur ? Lire la réalité comme une page de code civil ou la rêver en monde imaginaire ? L’impuissance du socialisme à « élever » l’humain à la spiritualité créatrice est démontrée. Vivre, c’est jouer, « innocence et oubli » songeait Nietzsche.

Vladimir Nabokov, Feu pâle (Pale Fire), 1962, Folio 1991, 352 pages, €9,40

Vladimir Nabokov, Œuvres romanesques complètes tome III : Pnine – Feu pâle – Ada ou l’ardeur – La transparence des choses – Regarde, regarde les arlequins ! – L’original de Laura, Gallimard Pléiade 2020, édition Maurice Couturier, 1596 pages, €78,00

Vladimir Nabokov chroniqué sur ce blog

Catégories : Livres, Vladimir Nabokov | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Giorgio Bassani, Le jardin des Finzi-Contini

En 1929, le narrateur a 13 ans et une fillette aristocratique de son âge a le béguin pour lui. Mais elle est une Finzi-Contini et, bien que juif lui aussi et la voyant à la synagogue, elle n’est pas de son monde. Alors qu’il vient de rater un examen de maths qu’il doit repasser en octobre, il s’affale désespéré sur l’herbe des remparts de Ferrare, sa ville, où il est venu en bicyclette. Pssit ! Celle qui l’appelle est Micol, la fille cadette des Finzi-Contini, propriétaires d’une très vaste propriété composée de la magna domus, d’un immense jardin arboré aux essences diverses, d’un court de tennis en terre battue, d’une ferme où règne le gardien-concierge-chauffeur-homme à tout faire et sa femme qui sert de bonne avec sa fille. Micol invite le narrateur à venir la rejoindre en grimpant le haut mur, aidé de clous et de prises qu’elle a elle-même installés. Mais le prime adolescent a le vertige ; celui, physique, de la hauteur, mais surtout celui, passionnel de la fille. Ils vont copiner, puis s’embrasser, mais après ? Au cinéma, rien n’est dit de cette ellipse entre le premier baiser et le couple et le garçon ne sait pas, ne veut pas, il le craint.

Le baiser ne se fera pas et il faudra des années avant qu’ils se revoient : dix ans. L’Italie est devenue fasciste et les lois raciales commencent à faire leur effet, même si Mussolini n’est pas Hitler et n’a pas la phobie des mauvais gènes. Mais il est nationaliste et veut, comme tous les repliés sur eux-mêmes, « purifier » la nation italienne de tous les métèques et autres corps étrangers. Tous les Juifs sont donc bannis des instances sociales et relégués dans leurs ghettos, même dorés. Ils sont exclus du club de tennis, du cercle littéraire, de la bibliothèque publique, du conseil des commerçants – et même du parti fasciste lorsqu’ils y ont adhéré pour faire comme tout le monde. Exclus, ils refont donc communauté et les Finzi-Contini, un temps sortis de la synagogue pour rénover la leur, reprennent le chemin commun et invitent la jeunesse à jouer au tennis avec la leur dans le grand parc.

Le narrateur, très littéraire et qui veut devenir romancier, commet déjà quelques vers appréciés. Il tombe inévitablement amoureux de Micol qui le considère comme un frère, mais pas plus. Les lois raciales semblent avoir coupé tout élan vital dans cette famille arrivée. Le frère Alberto se meurt progressivement d’une mononucléose, le père Ermanno, professeur, renonce à publier l’étude qu’il projetait sur la littérature du XVIe siècle. Tout se dégrade dans la géopolitique, dans la société, et les gens avec. En fait, ils ont tous péris en déportation et l’auteur parle d’une époque révolue, trente ans avant. Micol n’est plus, la vie non plus, l’amour est mort.

Restent la brume des relations humaines, émergeant à la mémoire, comme une madeleine de Proust. Il y a d’ailleurs beaucoup de Proust dans la façon dont Bassani raconte les familles, les gens, les jardins, les relations sociales du microcosme ferrarais où chacun est allé à l’école avec chacun et parle en dialecte. La relation de sœur à frère de Micol et Alberto est presque celle d’une mère ; la relation d’Alberto avec le puissant ingénieur milanais Malnate est celle du rat fasciné par le boa, l’envie mimétique vaguement homosexuelle pour la certitude communiste et la force physique ; la relation du professeur Ermanno et du narrateur qui rédige son diplôme de fin d’étude sur un poète est filiale, il aurait voulu avoir un fils comme lui et pas comme ce pauvre Alberto ; la relation de père à fils du même narrateur avec le sien, qui l’encourage à aller au bordel – et puis la relation ambiguë de Micol avec lui qui s’est profondément imprimé en sa mémoire. Elle l’aime, ou du moins l’a aimé, mais renonce. Les choses doivent mourir comme les gens, « et alors, puisqu’elles aussi doivent mourir, eh bien, mieux vaut les laisser mourir » dit-elle p.154. Les Juifs ont tenté de s’assimiler mais la société les rejette, ils doivent s’étioler et laisser la place.

Ce qui compte est « plus que la possession des choses, le souvenir qu’on [a] d’elles, le souvenir en face duquel toute possession ne peut, en soi, apparaître que décevante, banale, insuffisante » p.285. Un orgueil tragique qui préfère ce qui a été à ce qui est – car le passé demeure tandis que le présent s’enfuit. Le symbole en est ce tombeau juif grotesque de prétention, dans le vieux cimetière, mais qui reste comme les tombes étrusques au nord de Rome, pour des millénaires. Une douce nostalgie pour le temps perdu et le bonheur de ciseler les mots pour sa recherche.

Giorgio Bassani, Le jardin des Finzi-Contini, 1962, Folio 2010, 377 pages, €8,70

DVD Le jardin des Finzi-Contini, Vittorio de Sicca, avec ‎ Lino Capolicchio, Dominique Sanda, Fabio Testi, Romolo Valli, Helmut Berger, M6 vidéo 2008, €13,00 blu-ray €15,95

Catégories : Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , ,

Esteros de Papu Curotto

Ce film argentin sensible n’est pas encore englué dans la pruderie quaker qui envahit le monde depuis l’Amérique réactionnaire. Il dit la nature – la sensualité, l’affection et l’attirance. Il dit le passage béni de l’enfance à l’âge adulte et la naissance du désir, focalisé sur « la première fois ».

Deux amis d’enfance argentins, parce que leurs parents sont eux-mêmes amis, vivent une relation fraternelle jusqu’à leurs 13 ans où les émois surgissent. Matías (Joaquín Parada ado, Ignacio Rogers adulte) est plus gai, plus exubérant et plus sensuel, préférant porter un débardeur plutôt qu’un polo, aimant rire et danser, prenant l’initiative, encouragé par sa mère aimante et attentive aux motions de son garçon. Jerónimo (Blas Finardi Niz enfant, Esteban Masturini adulte) est plus cérébral, en retrait, tenu par son père exigeant plus que par sa mère effacée.

La mère de Matias les voit encore enfants alors qu’ils deviennent adolescents. Elle les encourage à se battre à la mousse à raser torse nu pour le carnaval ; elle les fourre ensemble sous la douche lorsqu’ils reviennent trempés de pluie et de s’être roulés dans la boue ; elle les fait coucher dans la même chambre où le froid ne tarde pas à les faire se rejoindre nus dans le même lit ; elle les prend en photo en slip, endormis dans le même hamac au soleil du matin, le bras passé autour du corps de l’autre. Elle est touchée, admirative, fière de ces deux petits mâles qui savent aimer simplement.

Le film découpe l’action, somme toute banale des retrouvailles dix ans après, entre l’univers onirique de l’adolescence où tout reste possible et celui réaliste de l’âge adulte où tout se referme. Matias n’a guère réussi sa vie ; il est resté amputé affectif, velléitaire créatif, s’occupant d’effets spéciaux et d’animation plutôt que de réaliser un film. Jerónimo a réussi des études de biologie au Brésil, où son père s’est exilé pour trouver du travail lors de leur séparation à l’adolescence ; sa carrière de chercheur sur un soja plus résistant lui assure un bon salaire ; il a une copine, celle-là même qui a remis les deux amis en relation, embauchant Matias pour maquiller Jeronimo en zombie pour le carnaval.

Zombie, le thème préféré des deux ados dans les films lorsqu’ils s’échangeaient des cassettes magnétiques ; zombie, l’image de ce qu’est devenue la vie pour chacun d’eux. Car elle n’est plus irradiée par l’amour, le plaisir de l’autre, la joie de l’échange, le soutient dans les efforts. Après le carnaval, où la petite amie déclare à Jeronimo qu’elle le sent parfois décalé, absent, où elle se retrouve comme avec son premier béguin partagée entre la carapace belle et aimable et le quant à soi de son compagnon, elle décide de rester en ville avec ses amies (car elle préfère la ville) tandis que Jeronimo va retourner à la ferme des parents de Matias où ils furent tous les étés jusqu’à celui des 13 ans où le père de Jeronimo a décidé d’émigrer au Brésil pour suivre la modernité.

Les deux jeunes hommes au début de leur vingtaine replongent dans les « esteros », ce paysage mouvant d’étangs et de lagunes de la province argentine de Corrientes. La nature y est vierge, des plantes et des animaux y vivent librement, plus de quatre mille espèces, dont les enfants avaient appris par cœur les principales : le capibara, le loup à crinière, le cerf des marais, l’anaconda, le piranha et le caïman. Malgré ces espèces dangereuses, ils se sentent maternés dans cette nature où se mêlent la terre et l’eau. Ils font des bagarres de boue, plongent dans l’eau glauque des étangs, jettent leurs shorts aux orties, se frottent et s’étreignent dans une exubérance virile et enfantine à la fois. Ils sont dans le sein maternel, au cœur de l’été, tout à leurs sensations et sentiments. Ils retrouvent adultes les émois de leur adolescence et se remémorent leur « première fois », entre eux, dans le même lit, sous le même drap. Peau à peau ils se sont caressés, excités, ont joui. Ce fut leur dernier été, leur seule fois, sans rien de plus, mais inoubliable.

Une fois la décision du père de partir au Brésil, Jeronimo s’est éloigné volontairement de Matias ; il a considéré ce dernier été comme un égarement et s’est remis sur les rails sociaux admis. On le voit parler filles avec les autres garçons tandis que Matias, en retrait, cherche à l’attirer vers lui. Il se refuse. Adulte, Jeronimo reviendra sur ce rejet et le relativisera. Il n’est pas au fond amoureux de sa petite amie, ni prêt à fonder une famille comme tout le monde, ni peut-être même à poursuivre ces recherches de la modernité qui lui semblent un brin vaines. Il choisit la nature, l’éros de l’esteros, et la mère de Matias plutôt que la science, le thanatos de la science, et son propre père. Un hymne au désir, à l’affection et à l’amour plutôt qu’à l’orgueil, l’ambition et la réussite. Léger et pudique, joliment tourné avec des acteurs en empathie.

DVD Esteros, Papu Curotto (Argentine), 2016, avec Ignacio Rogers, Esteban Masturini, Joaquín Parada, Outplay 2017, 1h23, €20.00 espagnol sous-titré français ou anglais

Catégories : Cinéma | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Jean Dutourd, Henri ou l’éducation nationale

Académicien français résistant et deux enfants, ex-Grosse tête gaulliste et chevènementiste qui s’est éteint en 2011, Jean Dutourd est né en 1920 mais, en ce roman au vitriol, il se met dans la peau d’un Henri de 20 ans en 1974. L’occasion pour lui de vilipender la mode « moderne » issue des campus américains et la chienlit née de 1968 dans l’Éducation nationale. Car son éducation est en résistance complète à ce qu’on cherche à lui faire ingurgiter : la haine de soi, la culpabilité héréditaire des « bourgeois » et l’avènement comme le Messie de l’Histoire prolétarienne.

Ce livre, qui a eu son succès d’estime à sa parution sous la gauche illusoire des premières années Mitterrand, n’est bizarrement pas réédité alors qu’il est, à sa relecture, pleinement actuel. Les gens « nés entre 1950 et 1955 » – soit la première tranche du baby-boom – se reconnaîtront pleinement dans cette jeunesse brutalement déboussolée à l’âge de la révolte adolescente, passant de l’autoritarisme ringard et obtus de l’avant 68 au laxisme le plus matérialiste et sexuel de l’après 68. « La fameuse révolution de mai ne m’émut guère. Je la pris aussitôt pour ce qu’elle était : une espèce de vaste rigolade, que nulle grande pensée n’animait, à quoi nul danger réel ne donnait de noblesse » p.181.

Henri Chevillard a 17 ans en 1971, année pour lui du bac. Dans sa famille guimauve, rien n’est interdit – sauf de gêner ses géniteurs. Il peut baiser, découcher, tout le monde s’en fout ; son père même l’y encourage en libidineux qui projette ses propres frustrations : « la débauche, moyen infaillible, disait-il, de s’ouvrir l’esprit ! » p.236. Mais que la grande sœur (prénommée snob Ségolaine) tombe enceinte à 19 ans alors qu’existe la pilule, avalée chaque matin au petit déjeuner (sauf effets indésirables) avec la bénédiction de la mère qui en achète des tubes entiers, voilà qui fait scandale. Non pas de s’être déchaînée au sexe durant des années, « depuis l’âge de 13 ans » pour certaines de ses copines (la Springora n’a rien inventé), mais de mettre ses parents dans l’embarras. « Je sentis que ma sœur était une personne très malheureuse, qu’elle avait vécu jusqu’à ce moment dans un mensonge permanent composé d’idées à la mode, de sentiments artificiels, de préoccupations fausses, de crétineries qu’elle prenait pour des choses primordiales. La vérité venait de lui tomber dessus comme une pierre, sous la forme de ce bébé dont elle savait irréfutablement, depuis une quinzaine de jours, qu’il était dans son ventre » p.220. Que faire du polichinelle ? Considéré comme une chose indésirable, un inconvénient comme une grippe, le mieux est de s’en débarrasser. Sauf que l’avortement est encore interdit en France. La bourgeoisie part donc en Hollande où tout se passe « naturellement » dans la médicalisation moderne des affects.

A 20 ans, Henri Chevillard se veut Henri Brulard et, comme Stendhal, grimpe son Janicule. Sauf que Paris n’est pas Rome et que le Sacré-Cœur fait minable avec la ville grisâtre sous la pluie à ses pieds. Ces premières pages du roman font cuistre avec les années. Il faut attendre le second chapitre pour que les souvenirs s’engrènent et que la plume courre à vif. Le lecteur ne lâche plus alors le bouquin jusqu’à la fin. L’adolescent est certes un brin bavard, mais il réussit à brosser le portrait d’une époque, celle du début des années 1970 juste avant que la gauche ne parvienne au pouvoir. Nous assistons à l’effondrement de la bourgeoisie et des cadres de pensée, faits sociaux que nous payons encore aujourd’hui. Non que cela eût été mieux avant mais, par bien des côtés, ce fut pire ensuite.

S’il était « interdit d’interdire » sous les pavés de mai, les marxistes de toutes obédiences se sont engouffrés dans la brèche pour imposer avec force leur seule conception du monde, considérée comme Vérité d’absolu à l’égal d’une religion. J’en fus personnellement témoin, jouant à citer Marx pour dépasser la moyenne en histoire sous le règne, au lycée J.B. Corot de Savigny-sur-Orge, d’une prof communiste, boiteuse et « juive » de surcroît – ainsi qu’elle nous l’avait appris pour se faire plaindre ou respecter, c’est ambivalent. Tout était dévalué et il fallait faire allégeance pour être comme les autres, avoir de bonnes notes en classe, être reconnu par ses pairs et baiser les filles (éminemment orthodoxes en tout ce qui « doit » se faire). Ce nouveau conformisme révolte notre Henri par construction, puisqu’il atteint justement à l’âge où l’on conteste tout ce qui est établi.

Son prof de philo – fils de notaire provincial – se veut plus socialiste que la gauche et considère les élèves de 17 ans habitant le 16ème arrondissement (où il enseigne) comme des « fascistes » parce qu’ils continuent à l’appeler Monsieur et non pas Jean-Loup. Après « un rapport » du prof, Henri va trouver le proviseur qui n’en peut mais, « minimise » et pleurniche sur sa carrière menacée s’il prend une quelconque position « à cause des syndicats ». La lâcheté des institutions n’a pas changé, il faut faire comme tout le monde même si le monde entre en délire et renie mille ans de culture pour des aberrations.

Les parents, les profs, les filles, rien ne va plus. Plus d’amour parce plus d’autorité ni de respect. « Les punitions (…) expriment toujours de l’estime, ou encore quelque admiration déçue et qui se venge, tandis que l’universelle indulgence, la facilité générale où suffoquent les enfants de 1974 ne traduisent que du mépris. Il ne faut pas chercher ailleurs que dans ce mépris, conscient ou non, de nos parents la cause de toutes vaurienneries que l’on met sur le dos de la jeunesse actuelle » p.277. Le malaise des banlieues, dont allait tant parler vingt ans plus tard après vingt ans de gauche au pouvoir, n’a pas eu d’autre cause. Les enfants ne sont plus « élevés » mais enfoncés dans leur fange où ils se vautrent avec les autres, sans délices mais sans espoir de s’en sortir.

La mauvaise foi règne en maître, ce qui n’est pas étonnant puisqu’elle est la « manifestation caractéristique du droit du plus fort. Le plus fort décrète qu’il a raison, et que le plus faible a tort ; il arrange le passé à sa manière, il récrit l’histoire, il truque tous les procès » p.257. Ce que la gauche marxiste a appris aux égoïstes libertariens de Trump est incommensurable : en serait-on là aujourd’hui si la servilité socialiste n’avait pas aplani le terrain ?

Un livre au galop qui pétille de remarques justes et de traits acérés. Bien qu’ancré dans la réalité des années 1970, il est une borne miliaire pour qui veut reconstituer le pourquoi d’aujourd’hui. Comment en sommes-nous arrivés là ? Lisez Henri et son éducation nationale sans majuscule : elle montre sa faillite.

Jean Dutourd, Henri ou l’éducation nationale, 1983, Flammarion 1983, 316 pages, occasion €0.90 e-book Kindle €7.99

Catégories : Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Patricia Cornwell, Une peine d’exception

Pat Cornwell a été la star du thriller américain des années 1990 avant de devenir folle après le 11-Septembre – paranoïaque, égoïste, réactionnaire. Cet opus numéro trois de la série docteur Kay Scarpetta, médecin légiste du Commonwealth installée en Virginie, est parmi les meilleurs. Une intrigue sophistiquée, la précision des détails de métier, des personnages tordus, des héros qui deviennent familiers (Kay, Marino, Lucy, Benton) et une atmosphère de coups fourrés pour le pouvoir dans l’hiver glacé de Virginie, voilà de quoi passer une bonne soirée au coin du feu avec un bon whisky ou un bon thé.

Le Noir Ronnie Joe Waddell, condamné à mort, va passer sur la chaise électrique. Il a zigouillé dix ans auparavant une jeune présentatrice de télé noire des années auparavant en cambriolant sa maison pour trouver de quoi payer sa came mais il a fait pire : il l’a piquée au couteau comme avec sa bite, l’a mordue au point de lui arracher des paquets de chair, et l’a laissée agoniser nue, ensanglantée, adossée à son poste de télévision. Le jury n’a eu aucun mal, au vu des empreintes et des preuves, à l’inculper. Tous les appels ont été rejeté et la grâce du gouverneur ne viendra pas ; Waddell est exécuté devant témoin et Scarpetta est chargée de l’autopsie.

Mais son assistante Susie, enceinte de quelques mois, supporte mal ce gros corp brûlé et fait tomber des bocaux de formol ; elle ne veut pas être citée comme témoin de l’autopsie et sa patronne la renvoie chez elle. Elle est bizarre depuis quelque temps, Susie ; tout comme Ben, l’administrateur, « joli comme un garçonnet » mais qui a de plus en plus de préventions contre Scarpetta. Il faut dire que la chef s’est mal remise de la mort dans un attentat à Londres de son amant Mike, collègue du FBI de Benton, et qu’elle s’est plutôt renfermée sur elle-même, revêche et distante avec les autres.

Le travail n’attend pas et c’est la police qui lui demande en fin de soirée de venir voir in situ le corps d’un adolescent retrouvé à demi-mort, nu par 2° adossé le long d’une benne à ordure, ses vêtements soigneusement plis à côté de ses pompes. Il présente deux plaies profondes à l’intérieur de la cuisse et sur l’épaule comme si la chair avait été bouffée. Eddie Heath avait 13 ans, il a reçu une balle de 22 dans la tête ce qui l’a rendu légume. « Il n’avait pas encore émergé de ce fragile état prépubère durant lequel les garçons ont les lèvres pleines et chantent d’une voix plus douce que leurs sœurs. Ses avant-bras étaient minces, le corps sous le drap menu. Seule la grandeur disproportionnée des mains immobiles que perçaient les cathéters annonçaient sa future virilité ». C’est avec délicatesse que Cornwell décrit la victime ; il ne survivra pas. Il était allé acheter à l’épicerie à quelques centaines de mètres une boite de sauce aux champignons pour sa mère. Mais nous sommes aux Etats-Unis où les psychopathes se baladent en liberté et où chacun peut à tout moment et plus qu’ailleurs faire une mauvaise rencontre.

Ce qui est curieux est que la balle qui a tué Eddie provient de la même arme qui a tué Rosie dix ans auparavant et que, dans le meurtre maquillé en suicide de la voyante Jennie les seules empreintes relevées soient celles de l’exécuté Waddell… D’autant que les fichiers de Scarpetta à son travail ont été piratés de l’intérieur et certains ont été renommés, d’autres effacés. Kay téléphone pour Noël à sa mère et à sa sœur en Floride et discute avec Lucy sa nièce. Celle-ci a désormais 17 ans et est férue d’informatique. Plutôt que d’expliquer laborieusement à sa tante comment rechercher dans le codage, autant venir chez elle faire le boulot. C’est ainsi que Lucy se voit associée à l’affaire, avec le lieutenant Peter Marino et Benton Wesley du FBI.

Kay Scarpetta, toujours chic et aimant le bon vin et la cuisine, va se confronter au gouverneur Norris, au procureur Patterson, à la médecine holistique, au système UNIX. Waddell, Eddie, Jennie sont des affaires liées par un seul dangereux psychopathe, Temple Brook Gault, un gosse de riche blond viré nazi qui aime les armes, les couteaux, les arts martiaux, la pornographie violente et faire souffrir la chair d’autrui. Un narcissique pervers, intelligent et habile comme une anguille. Kay Scarpetta n’en a pas fini avec lui.

Patricia Cornwell, Une peine d’exception (Cruel an Unusual), 1993, Livre de poche 2006, 480 pages, €8.40 e-book Kindle €7.99

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , ,

Stephen King, Différentes saisons

Elles sont quatre les saisons, comme les Trois mousquetaires, mais la comparaison s’arrête là. Elles content chacune une histoire, l’espoir d’une évasion pour le printemps, la fascination pour l’horreur nazie en été, l’aventure d’un quatuor de garçons de 12 ans pour retrouver un cadavre dans la Maine encore sauvage à l’automne, et l’histoire d’un accouchement post-mortem racontée dans un club de vieux bourgeois newyorkais un peu particulier en hiver.

Stephen King écrit mal mais sait conter. Il écrit comme il cause, direct et banal, mais sa verve est sans égale, ses observations très justes et son imagination galopante. Il sait se mettre à la place de ses personnages et frôler à chaque fois les abîmes.

Andy Dufresne est un ex-banquier accusé d’avoir tué sa femme adultère avec son amant alors qu’il jure ne pas l’avoir fait. Emprisonné à Shawshank dans le Maine (état qui n’a pas la peine de mort), il commande une affiche de Rita Hayworth pour orner le mur de sa cellule. A l’aide de cette photo presque grandeur nature, il réussira à s’évader au bout de 27 ans… Et contrairement à d’autres, moins intelligents, il ne sera pas repris.

Todd Bowen, 13 ans, a tout du petit Américain type, râblé avec ses 1m72 et ses 65 kg déjà, casque de cheveux blonds et yeux bleus, bon en classe et en sport. Mais il s’est trouvé fasciné brutalement un après-midi de congé dans le garage d’un copain par une pile de magazines à sensation qui évoquaient la Seconde guerre mondiale. Notamment les nazis, les juifs et les camps. Les profs adultes ne voient pas, dans leur stupidité scolaire bien-pensante, combien le spectacle complaisamment étalé de l’Horreur peut fasciner un prime adolescent. Les corps torturés, l’uniforme, les armes, le fantasme de domination remuent les instincts primaires exaltés par les hormones et suscitent de violentes émotions. Cet âge-là bascule facilement dans l’extrémisme et la cruauté. Croire qu’exposer le pire de l’humanité pour vacciner les ados est une erreur psychologique : depuis trois générations que sont diffusés le film Nuit et brouillard, la terreur de la Shoah et les scies moralistes « contre le racisme », l’attrait pour le nazisme ne s’est jamais aussi bien porté. Stephen King est juif et il a peut-être le tort de prendre comme héros un jeune WASP car il prête probablement une part de sa propre fascination pour ce que les zélateurs de la Race supérieure ont fait à son peuple qui se croyait le seul Elu. J’ai souvent constaté cette hypnose morbide quasiment suicidaire de ceux qui se sentent juif pour leur Ennemi historique qui voulait les éradiquer de la surface de la terre. Toujours est-il que le jeune Todd sonne à la porte d’un vieil homme de 76 ans immigré d’Allemagne des décennies auparavant, Arthur Denker : il a reconnu en lui le portrait d’un commandant du camp de Bergen-Belsen puis d’Auschwitz, Kurt Dussander, qu’il a vu en photo dans son uniforme tiré à quatre épingles sur les magazines. Dès lors qu’il est reconnu, le vieux est piégé et le gamin le fait chanter : il veut qu’il lui raconte toutes les horreurs, mais en détail. Cela enfièvre son imagination, l’excite, le fait bander dès que la puberté le tourmente. Il niquera sa première copine en pensant aux cadavres encore chauds d’Auschwitz puis, se rendant compte qu’elle est youpine, la vire ; elle le dégoûte. Pourtant elle aime ça, la bite, et croyait avoir trouvé son étalon fougueux pour la ramoner tant et plus. Todd vient voir le vieux cinq jours par semaine et ses notes scolaires s’en ressentent, même s’il a obtenu un A+ pour une rédaction sur les camps nazis. Stephen King donne la recette infaillible pour évoquer avec délectation les Interdits : il suffit de dire toute la répulsion que cela doit inspirer – mais on en a parlé quand même… Morale King, le vieux sera reconnu à l’hôpital et se donnera la mort mais l’adolescent américain Todd, à 17 ans, sera abattu par la police après avoir tué une bonne dizaine d’inconnus par fantasme de toute-puissance, lui devenu impuissant à cause de la pornographie des camps. On comprend mieux, par cette longue nouvelle publiée en 1982 et intitulée Un élève doué, combien « le nazisme » représente le summum de l’emprise du Mal sur la jeunesse déboussolée aujourd’hui. Du grand King.

L’histoire suivante du recueil, tout aussi longue et passionnante, a pour titre Le corps. Il est celui d’un garçon de 12 ans disparu depuis des jours et que des jeunes retrouvent mort au bord de la voie ferrée de marchandises qui traverse les forêts du Maine. Des jeunes prolos de 17 ou 18 ans qui rôdent en voiture, se bourrent à la bière et baisent les filles à la va-vite sur les sièges arrière. De vrais cons. Mais leurs petits frères sont encore à l’âge où l’on croit à l’Aventure et à l’Amitié et, lorsque l’un d’eux entend le grand frère évoquer leur découverte avec son copain, il décide ses propres camarades à tenter une expédition pour aller voir le cadavre. C’est encore une fascination pour l’horreur, un jeune garçon comme eux bousillé par un train ou peut-être massacré par un violeur, mais elle n’est ici que le prétexte à une épreuve en commun quasi scoute, une initiation au monde adulte et à la mort. Gordon le narrateur, son ami Chris le leader et les comparses Teddy le taré fils de taré et Vern le nullard, forment une drôle de bande mais c’est la leur. Ils sont un pour tous et tous pour un. Dans la touffeur de l’été du Maine, les garçons vont se déchirer le torse aux ronces, échapper de peu à un train lancé à toute vitesse sur une passerelle au-dessus du vide, se terroriser aux hurlements de femme violée des lynx dans la nuit, se faire griller la peau au soleil ou meurtrir le cuir aux grêlons, parcourant 25 km aller et autant au retour pour enfin découvrir leur alter ego mort, Ray Brower, sauf que… Mais je vous laisse le découvrir, comme ce qui va s’ensuivre. Stephen King n’est pas tendre avec les gamins de 12 ans et il les éprouve presqu’autant que Dickens ses petits Anglais. C’est ce qui fait son charme, d’autant que Gordon est celui qui aime raconter des histoires et que ses copains sollicitent, le soir à la veillée, serrés torse nu sous les couvertures. Le cinéma en a tiré un film, Stand by me (Compte sur moi) en 1986, avec Will Wheaton (13 ans) en Gordon et River Phoenix (15 ans) en Chris (Young Artists Awards 1987), avec une musique de Nitzsche.

La dernière « novelle » (plus de 20 000 mots qui font nouvelle mais moins de 40 000 qui donnent un roman, dit l’auteur en postface) ressort plus du fantastique habituel de Stephen King. La méthode respiratoire est celle pour accoucher. Mais elle prend un autre relief lorsque la mère est morte d’accident de voiture et décapitée ! Contée par un vieux médecin dans un club confortable en plein hiver de New York, parmi une bibliothèque aux romans très bons mais inconnus et aux poèmes jamais publiés, devant un cognac hors d’âge servi par un maître d’hôtel étrange, cette dernière histoire fournit de quoi terminer la soirée avec de quoi penser pour toute la nuit.

Cette œuvre un peu décalée du Stephen King classique de Shining, Carrie et autres Cujo ou Christine – dont on a tiré autant de films à succès ! – est captivante, surtout les novelles du milieu, les plus longues et les plus ressenties.

Stephen King, Différentes saisons (Different Seasons), 1982, Livre de poche 2004, 735 pages, €8.90 e-book Kindle €9.49

DVD Stand By Me – Compte sur moi, 1986, Columbia, 1h29, €9.90

Catégories : Cinéma, Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Le Dernier Samouraï d’Edward Zwick

Les Etats-Unis ont le chic de récupérer à leur profit les exploits des autres pour les convertir à leur sauce. Ainsi de la geste de Jules Brunet, envoyé au Japon pour entraîner l’armée, et qui démissionna pour suivre le dernier shogun Yoshinobu Tokugawa dans sa rébellion contre l’empereur… soutenu par l’Angleterre. Jules est devenu Nathan, prénom bien biblique yankee, et l’officier français titulaire de la Légion d’honneur est réduit au massacreur de Sioux mercenaire sous la houlette d’un colonel cynique. Le prestige de l’armée américaine n’était pas si grand dans le monde en 1876 pour que le Japon veuille ses conseils. Il préférait la France de Napoléon III (avant la Prusse suite à la défaite de 1870), et le matériel militaire anglais. Le réalisateur mélange le personnage de Brunet avec la rébellion samouraï de Satsuma qui a duré du 29 janvier au 24 septembre 1877. Saigō Takamori le chef samouraï commit le seppuku après une blessure mortelle à la dernière bataille de Shiroyama.

Il reste que ce salmigondis à la gloire des Américains est devenu un bon film. Il est resté le DVD favori du Gamin depuis qu’il l’a vu à 11 ans. Il s’identifiait au jeune Higen (Sōsuke Ikematsu, 13 ans au tournage), le neveu du samouraï Katsumoto (Ken Watanabe).

Nathan Algren (Tom Cruise), capitaine démobilisé des guerres indiennes dont il a gardé des cauchemars et un alcoolisme invétéré pour avoir massacré au fusil et au revolver des femmes et des enfants, est réduit à faire de la pub pour Winchester devant les badauds à qui il raconte la férocité des Indiens et comment il tire bien. Son ancien colonel Benjamin Bagley (Tony Goldwyn) le récupère pour le présenter à Omura, industriel des chemins de fer japonais et conseiller de l’empereur (Masato Harada). Celui-ci, barbu et suiffeux à souhait, ne veut que gagner de l’argent en modernisant son pays et entraînant son armée, au risque de lui faire perdre son âme. Pour cela, il lui faut mater la rébellion des samouraïs menacés dans leur honneur traditionnel de guerriers, menés par Katsumoto, ancien général et conseiller de l’empereur. Donc acheter des armes performantes aux Etats-Unis. Le « bien du pays » prend ainsi des formes bien diverses – au moment même où, en 2003 à la sortie du film, les Etats-Unis se posent en défenseurs de la démocratie dans l’Irak de Saddam Hussein.

Le capitaine Algren est bien payé, donc il obéit et s’embarque pour le Japon où il entraîne l’armée. Mais le gros Omura est pressé, Katsumoto a attaqué son chemin de fer ! Il veut que l’armée intervienne tout de suite. Algren tente de l’en dissuader car les soldats ne sont pas prêts. A l’américaine, il improvise un show spectaculaire où il somme un soldat nippon de lui tirer dessus avec son fusil tandis que lui le vise au revolver ; dans la presse et l’émotion, le soldat le rate, prouvant qu’il n’est pas au point. Omura s’obstine et l’armée affronte les samouraïs dans une forêt de Yoshino. Malgré l’absence de toute arme à feu côté rebelles, l’armée fuit en déroute. Algren se bat comme un tigre – dont il brandit une lance ornée d’un fanion représentant l’animal, mais est blessé. Sur le point d’être achevé à terre par le beau-frère de Katsumoto, il réussit à transpercer la gorge de son ennemi. Devant tant de bravoure, le samouraï ordonne qu’on le transporte au village de son fils Nobutada (Shin Koyamada) et qu’on le soigne.

Sa sœur Taka (Koyuki Katō) va en être chargée, la propre femme de celui qu’il a tué. Mais chacun a fait son devoir et, après sa répulsion initiale, l’apprentissage du japonais par Algren et ses excuses présentées, elle va lui pardonner. Car l’Américain, 40 ans bien conservés au tournage, aime à « connaître son ennemi » et il s’instruit en hygiène, gastronomie, combat et langue. Par ses conversations avec Katsumoto, qui parle l’anglais, il en vient à apprécier l’honneur guerrier des samouraïs, leur vie fruste et naturelle, leur spiritualité zen, l’art qu’il ont d’embellir la vie à chaque instant dans la confection du thé, l’admiration des cerisiers en fleurs (Yoshino est célèbre), le combat au sabre.

Son obstination à devenir l’un des leurs attire l’enfant sans père Higen, qui se projette sur lui en ses apprentissages. Malgré le masque, les émotions bouillent dans un cœur japonais. Higen offrira à Algren une calligraphie lors de son départ pour Tokyo avec son oncle, puis Algren prendra le jeune garçon une fois dans ses bras lorsque la troupe reviendra de la capitale où Nobutada a été tué en faisant évader son père assigné à résidence par Omura après que l’empereur, un faible, l’eut désavoué.

Car Katsumoto veut lui aussi le « bien du pays ». Mais pas par l’affairisme ni la déculturation ; il veut un Japon affirmé dans ses traditions pour s’ouvrir au monde moderne. L’empereur Meiji (Shichinosuke Nakamura), jeune homme falot, ne commande pas : comme tous les patrons japonais, il n’est que l’étendard d’un groupe mené par le premier ministre. S’il consulte Katsumoto et lui demande ce qu’il devrait faire, le samouraï le renvoie à sa conscience – c’est à lui, l’empereur, de dire ce qui doit être. N’ayant aucun argument ni soutien pour contrer Omura, c’est donc ce dernier qui l’emporte. Jusqu’à la bataille finale où Katsumoto se tue, aidé par Algren, alors qu’il est mortellement blessé.

L’armée des quelques cinq cents samouraïs, possédant seulement sabres, arcs et lances, fait face à l’armée impériale désormais formée de deux régiments, soit deux mille hommes, armés de canons, de fusils et de mitrailleuses Gatling à trois cents coups par minute. Deux conceptions de la guerre et de l’humanité s’affrontent : le combat d’homme à homme et le massacre industriel. La guerre, depuis le milieu du XIXe siècle, est devenue technique, tuant à distance. Algren a beau citer les Thermopyles, ces trois cents Spartiates face à des milliers de Perses, il s’agit d’un suicide. Le général Custer aux Etats-Unis, en choisissant le panache contre la réalité s’est révélé un boucher de ses hommes ; pas Katsumoto car ses samouraïs étaient tous volontaires. Les Spartiates avaient le même armement que les Perses, seul le nombre l’emportait. Plus face à l’armée impériale d’Omura, ni aujourd’hui où, avec mitrailleuses, missiles, hélicoptères de combat, drones, des fonctionnaires tuent depuis leurs bureaux. Le temps des samouraïs était le dernier temps de l’honneur, ce film a le mérite de nous le rappeler.

Malgré leurs ruses et la stratégie déployée par Algren avec écran de fumée, bombes de paille pour désorienter la charge et combat rapproché au sabre où les samouraïs ont l’avantage, le résultat ne fait aucun doute. Malgré des pertes deux fois supérieures, les impériaux menés par Omura gagnent. Algren en profite pour tuer son colonel dont il a toujours haï le cynisme élitaire. Nathan Algren est devenu un vrai samouraï ; il s’est « tatamisé » comme on dit de ceux qui ont adopté les us et coutumes du Japon.

Il s’en sort comme un caméléon, va porter le sabre de Katsumoto à l’empereur. Pétri d’émotion pour l’honneur et la tradition, le jeune homme révoque Omura, refuse de signer le traité commercial avec l’ambassadeur américain et confie le sabre à Algren.

DVD Le Dernier Samouraï (The Last Samurai), Edward Zwick, 2003, avec Tom Cruise, Ken Watanabe, William Atherton, Chad Lindberg, Ray Godshall Sr., Warner Bros 20004, 2h27, €10.99

Catégories : Cinéma, Japon | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

La vie est un long fleuve tranquille d’Étienne Chatiliez

Un film culte des années 1980 qui décrit la France sous Mitterrand : l’éternelle lutte des classes entre les populos et les bourgeois, les assistés de la débrouille et les culs coincés insérés dans le fonctionnariat, les hédonistes et les cathos. La scène se passe à Bapaume, dans le nord de la France, près de la rivière Deûle, dans une région industrielle où les inégalités se voient le plus. Avec une satire féroce du machisme d’époque où les mandarins imposent leur domination sur les femmes soumises, le médecin sur l’infirmière réduite au rôle de poupée gonflable, le chef de famille bourgeoise qui dirige sa maisonnée en réduisant son épouse devant Dieu et devant les hommes au rôle de pondeuse et d’émotive.

Outre la nostalgie des années de sa jeunesse avec ses « arabes » intégrés et ses voitures typées (la 2CV du curé, la 505 familiale du bourgeois, la 404 commerciale de l’arabe), sa racaille inventive et somme toute sympathique, ses métiers bien établis (directeur, chef de clinique, instit, curé), l’intérêt du film est de cueillir Benoit Maginel à sa sortie d’enfance, avant qu’il ne devienne drogué et instable. A 13 ans, il a l’air décidé et mignon, alliant le meilleur de ses deux milieux d’adoption : le prolo et l’aristo.

Chacun connait l’intrigue, rabâchée à l’envi comme ses répliques cultes (« lundi, c’est ravioli »). L’infirmière favorite (Catherine Hiegel) du gynécologue baiseur (Daniel Gélin) en a marre de se faire bourrer et de devoir avorter si accident, alors qu’elle aspire au mariage. Retenue jusqu’alors par l’épouse du médecin, très malade, elle se venge lorsque celle-ci meurt et que le bon docteur ne veut rien changer à ses habitudes, « Je ne pourrai jamais la remplacer » répète-t-il à l’envi à chaque condoléance, comme une litanie. Il avait en effet tous les avantages du couple sans aucun des inconvénients, faisant absolument ce qu’il voulait sans que bobonne puisse y redire. Mais Josette – qui ressemble furieusement à une mienne patronne œuvrant dans les arts de la fin des années 1970 – se venge. Elle envoie une lettre à chacun des protagonistes pour dire qu’elle a délibérément interverti les bracelets et les identités de deux bébés nés le même jour à la clinique du docteur qui n’a rien vu : Maurice Le Quesnoy devenu groseille, Bernadette Groseille devenue Le Quesnoy. Les deux gamins ont été élevés chacun par leur famille supposée et, douze ans plus tard, se retrouvent effarés.

Chez les Groseille, on se disait aussi que le Momo était le plus futé et le plus débrouillard du coin, conseillant à Ahmed l’arabe du coin (Abbes Zahmani) de faire sauter sa vieille 404 pour toucher l’assurance, pompant le compteur EDF de la cage d’escalier pour éviter de payer. Chez les Le Quesnoy, on se disait aussi que la Bernadette avait des pulsions de pute avec la puberté qui venait, allant jusqu’à se maquiller et évoluer à poil devant la glace dans la chambre de sa mère un jour qu’elle n’avait « rien à faire ». Conseil de guerre chez les deux familles : les prolos veulent faire argent de tout, donc « vendre » Momo ; les aristos veulent surmonter les épreuves que Dieu leur envoie et profiter de leur aisance pour faire le bien des deux enfants. Les Le Quesnoy gardent donc Bernadette et feignent d’adopter Maurice.

Si le garçon s’adapte sans problème, heureux de la vie tranquille et un brin amoureux de sa vraie mère, bien plus sexy que la grosse précédente, la fille Bernadette (Valérie Lalande), lorsqu’elle l’apprend, répugne à considérer ces animaux en bauge de Groseille qui se pelotent devant tout le monde et crachent sur « la pouffiasse » de la télé. Maurice vole de l’argenterie, d’ailleurs donnée en cadeau de mariage ; Bernadette déprime et développe une névrose obsessionnelle compulsive de propreté. La pauvreté est une tache qu’il faut laver, tel un péché originel.

C’est bien sûr la caricature du milieu bourgeois catholique bon chic bon genre qui fait le sel du film. Il sera repris avec le même gros succès populaire dans Les visiteurs en 1993. Jean (André Wilms) et Marielle Le Quesnoy (Hélène Vincent) ont cinq enfants aux prénoms de saints révérés du calendrier chrétien : Paul, Pierre, Mathieu, Bernadette, Emmanuelle. Tous ont leurs « activités » pieuses : patronage, kermesse, musique, stage de canoë catho en été. Ils sont pénétrés d’idéologie, Pierre dira même à sa mère qui n’en peut plus : « Enfin maman, il faut savoir souffrir. Le Christ aussi a souffert pour nous sur la Croix. La vie n’est pas un long fleuve tranquille maman ! »

Le curé holé holé (Patrick Bouchitey) est en phase avec les années post-68 qui fleurirent sous Mitterrand : enthousiaste, guitariste, metteur en scène, il motive les adolescents comme les rombières en faisant rugir sa 2CV. La bonne, Marie-Thérèse enceinte (Catherine Jacob), « jure » qu’elle n’a jamais rencontré un garçon, croyant faire avaler qu’elle est une nouvelle vierge Marie – puisque sa patronne y croit. Les Groseille sont présentés en antithèse avec leurs six enfants surnommés Franck relâché de prison (Axel Vicart), Million (Tara Römer), Toc-toc (Jérôme Floch), Momo. Les garçons volent et truandent en bande tandis que les filles font la coiffeuse, se maquillent en stars platinées et draguent le garçon à thunes. Si les cathos sont coincés, les prolos sont débridés.

Maurice, malin, comprend qu’il doit prendre le meilleur des deux milieux pour s’en sortir : l’éducation bourgeoise et son ouverture au monde (le dériveur, la médaille de baptême, Le Touquet), la démerde prolo et les limites avec les règles. Il met en contact les enfants de ses deux familles et dévergonde son frère aîné Paul, 16 ans (Guillaume Hacquebart), qui se prélasse presque nu avec la fille Groseille (Sylvie Cubertafon) et accepte ses caresses et baisers jusqu’à se révolter contre son père qui voudrait l’empêcher de sortir en chemise à col ouvert. Pierre (Emmanuel Cendrier) se bourre à la bière au grand dam de sa mère tandis que Mathieu (Jean-Brice Van Keer), trop petit pour savoir nager, est quand même emmené avec les grands dans la Deûle « interdite à la baignade ». Tous sniffent de la colle dans le garage Le Quesnoy avant que Momo n’apporte des « cadeaux » pris à sa famille à ses frères et sœurs Groseille ; la petite Emmanuelle (Praline Le Moult) elle-même échange sa poupée blonde cadeau de Noël contre une poupée pouffiasse à la tignasse décolorée. Mais donner aux pauvres est bien vu par l’idéologie et les parents sont coincés.

L’une des dernières scènes met en scène le gamin en caméléon avisé : il ébouriffe ses cheveux bien lissés et ouvre sa chemise bleu ciel avant d’arriver chez les Groseille ; il repeigne sa raie et referme ses boutons de col avant de retourner chez les Le Quesnoy. Cette séquence est la plus séduisante du film. Bien plus que la dernière scène où Josette boit un alcool face à la mer au Touquet en écoutant brailler Mireille Mathieu sur une chanson révolutionnaire, revanche consommée, le vieux docteur décati et soumis assis derrière elle.

DVD La vie est un long fleuve tranquille, Étienne Chatiliez, 1988, avec Benoît Magimel, Hélène Vincent, André Wilms, Valérie Lalande, Tara Römer, Jérôme Floch, Sylvie Cubertafon, Guillaume Hacquebart Emmanuel Cendrier, Jean-Brice Van Keer, Praline Le Moult, Axel Vicart, Claire Prévost, Christine Pignet, Maurice Mons, Daniel Gélin, Catherine Hiegel, Catherine Jacob, Patrick Bouchitey, Abbes Zahmani, TF1 studio 2003, 1h28, €10.05

Catégories : Cinéma | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Pier Paolo Pasolini, Les ragazzi

Premier roman de l’enfant terrible des arts italiens, Pasolini raconte l’existence de débrouille des gosses de la banlieue de Rome après la guerre. Né en 1922, il avait 22 ans en 1943 lorsque débute le premier chapitre ; il n’a pourtant habité la banlieue de Rome avec sa mère qu’en janvier 1950. Il s’attache comme un grand frère au Frisé, un gamin de 12 ans qui fait sa communion et sa confirmation dans la foulée. Ici, dans la banlieue capitale, l’Italie reste traditionnelle, à peine sortie de la campagne malgré les usines qui attirent du monde. La mamma reste à la cuisine et à la lessive, cognée par son mari qui va se saouler après le boulot, couverte de gosses par absence de toute contraception – interdite par les eunuques d’Eglise.

Pasolini n’est pas tendre avec « les institutions », qu’elles soient politiques (le fascisme puis la chienlit démocrate-chrétienne), l’Eglise (où les curés expédient les messes et les enterrements), les syndicats (communistes) qui ne se préoccupent pas du Lumpenproletariat. Mais les gosses s’en foutent, livrés à eux-mêmes en bandes d’âges dès qu’ils savent marcher, comme dans les pays arabes. Le climat de Rome en été rappelle d’ailleurs le Sahara avec son soleil implacable qui décourage tout labeur et la poussière des rues qui donne constamment soif. Sa description de Rome vue d’un camion à ordures au chapitre V donne le ton : « Le camion, filant dans ce quartier chic, pris la via Casilina, frôla de sa puanteur toute fraîche des immeubles de pauvres gueux, dansa la samba le long de chaussées transformées en écumoires et dont les trottoirs prenaient l’aspect d’égouts, passa entre de grandes passerelles défoncées, des palissades, des échafaudages, des chantiers, des zones entières de masures, croisa la ligne du tram de Centocelle plein d’ouvriers en grappes sur les marchepieds et parvint par la via Bianca aux premières habitations de la Borgata Gordiani isolée au milieu d’un petit plateau, comme un camp de concentration, entre la via Casilina et la via Prenestina et fouettée par le soleil et par le vent ».

Les gosses vivent dehors tout le jour, en loques. Ils s’agglutinent au bord du Tibre et de l’Aniene pour se baigner à poil dans les eaux sales et huileuses où passent au fil du courant des caisses de bois et des cadavres de rats. En face, l’usine d’eau de Javel. On s’y ébroue, on apprend à nager, on s’y noie. Car les gamins veulent faire comme les grands sans en avoir toujours les moyens. Les petits sont bizutés, vêtements cachés pour qu’ils restent tout nu, claqués pour qu’ils chantent, ligotés et entourés d’herbes auxquelles ont met le feu pour faire comme les Peaux-rouges. Mais cela ne dérape jamais dans la violence mortelle comme chez les adultes qui jouent trop volontiers du couteau. Car, malgré tout, la société façonne les jeunes sauvages : dans le premier chapitre, le Frisé à 12 ans plonge et nage pour sauver de la noyade une hirondelle dans le Tibre ; dans le dernier chapitre, le même Frisé après « redressement » en prison et au travail, laisse finalement se noyer Gégène, un gamin de 10 ans qui voulait traverser le fleuve malgré le fort courant. Chacun pour soi, enseigne la société bourgeoise.

La violence est celle de la société : du manque de logements, du travail abrutissant sous-payé, du prix des denrées. Les familles réfugiées, déplacées, expulsées, habitent des bidonvilles, les écoles désaffectées (qui parfois s’écroulent sur eux), les habitations bon marché, les HLM qui ne cessent de se construire à la va-vite autour de Rome. Elles s’entassent à six ou huit dans une seule pièce, séparée du coin cuisine par un rideau. Les frères couchent avec les frères, tête-bêche, les sœurs avec les sœurs (ou parfois avec le père). La pudeur n’existe guère et les garçons baisent dès 13 ans. Ils chapardent, récupèrent, se servent, volent, se prostituent parfois pour quelques centaines de lires. L’amitié n’est guère que de la camaraderie solidaire, le sentiment ne pouvant s’épurer à cause des conditions matérielles. Nul n’hésite à voler son copain en l’attirant entre les cuisses d’une grue pour détourner son attention, comme le Frisé en fait l’expérience à 14 ans sur la plage d’Ostie.

L’univers suburbain est sous le règne du plus fort, la virilité affichée et les filles laissées de côté. Les garçons se regardent, s’admirent, se soutiennent. Lorsqu’ils roulent à poil dans la boue des rives, leur gourdin se dresse parfois ; lorsqu’ils sortent le soir, ils peignent leurs cheveux un peu trop longs de gouape et enfilent à cru des pantalons moulants et des marinières très lâches au col. L’homosexualité reste mal vue par l’Eglise, par la société, par le virilisme garçonnier, mais reste une tentation permanente et les très jeunes se livrent volontiers aux « pédoques » venus du centre pour gagner quelques sous comme il est dit plusieurs fois. C’est ce qui fit scandale à la parution en 1955, suscitant même un procès en pornographie de la part des catholiques bien-pensants comme jadis pour Flaubert, Baudelaire et Byron. Les communistes ont négligé le réalisme du sujet pour reprocher l’absence de perspectives (politiques). La justice italienne a été moins partiale et Pasolini fut acquitté parce qu’il se contentait de décrire la société des jeunes et leur parler franc. Aujourd’hui, le lecteur n’y voit rien de très scandaleux tant les mœurs ont évolué et qu’ont explosé les outrances des écrivants (souvent vains) qui veulent se faire remarquer.

Ils sont apolitiques, rebelles, sans famille – mais ils sont la vie, ces gamins laissés à eux-mêmes. Ils subissent le destin et s’y débrouillent. Pasolini ne les juge pas mais décrit de façon neutre leurs petites histoires et leur milieu. C’est ce qui rend le roman attachant malgré la langue, difficile à lire en italien et a fortiori à traduire. Car les ragazzi parlent l’argot du Trastevere, un romanesco abâtardi. Le jeune plâtrier Sergio Citti, de onze ans plus jeune que Pasolini et qui fut probablement son amant, l’a appris à l’auteur, initialement frioulant. J’ai lu Les ragazzi dans la traduction 1958 de Claude Henry parue en Livre de poche en 1974 à l’occasion de la sortie du film de Bolognini Les garçons (concentré sur les plus âgés), mais l’argot français utilisé a bien vieilli. Je ne connais pas la nouvelle traduction de Jean-Paul Manganaro mais elle est plus récente, donc probablement plus accessible aux lecteurs d’aujourd’hui.

Pier Paolo Pasolini, Les ragazzi (Ragazzi di vita), 1955, Points 2017 nouvelle traduction de Jean-Paul Manganaro, 288 pages, €8.60 e-book Kindle €7.99

DVD Les Garçons (La notte brava), Mauro Bolognini, 1959, avec Rosanna Schiaffino, Elsa Martinelli, Laurent Terzieff, Jean-Claude Brialy, Anna-Maria Ferrero, Carlotta films 2010, 1h30, €6.22

Catégories : Cinéma, Italie, Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Des muscles et des garçons

C’est une histoire d’amour entre les garçons et leurs muscles. Tous voiles ôtés, ils se révèlent en leurs formes ; ils ont la forme dans le double sens de santé et d’architecture. Le corps pousse et, dès 12 ans, ils ne se contentent plus d’admirer la musculature virile comme les petits de 4 ans dans leurs dessins animés : ils veulent la tester sur eux-mêmes, ressembler à leurs modèles. Gavés de superhéros, ils se veulent superhéros.

A la fin des années 1990, dans un TGV qui menait vers le sud, j’avais assis à côté de moi un garçon vigoureux de 13 ans (il m’a donné son âge) qui avait laissé sa mère et sa sœur occuper la banquette parallèle. Lui était « grand », il se voulait indépendant. Il a sorti de son sac ado des revues de muscles et les a feuilletées avec gourmandise.

Son appétit n’était pas érotique mais sportif à ce qu’il m’a semblé : pas de rougeur ni de suée, pas d’œil fixe ni de lèvres qui s’assèchent – en bref aucun des symptômes habituels de la sexualité génitale. C’était plutôt de l’esthétique : il voulait correspondre à l’image virile dont il goûtait l’original sur papier glacé. Il voulait devenir un homme – un vrai.

Je lui ai demandé s’il pratiquait la boxe et il m’a dit « non, de la musculation », sans hésitation ni gêne aucune. Ce n’était pas du culturisme, mot vieilli, mais du body-building, terme à la mode, très tendance chez les jeunes adolescents gavés de films américains de Rambo et de Schwarzenegger et de mangas animés japonais aux éphèbes fins et athlétiques alors récemment introduits en France. Pas de la culture de tête pour se mesurer à un adversaire mais de la culture de muscles pour se faire admirer. Le narcissisme de la génération Mitterrand.

Malgré son âge, il n’avait rien de la gracilité d’un Dragon Ball ni la teigne d’un Tetsuo Shima de 15 ans mais plutôt la carrure d’un Sylvester Stallone en herbe. Le muscle était pour lui une armure, une affirmation de soi envers son père peut-être, une charpente de mâle pour s’opposer à sa petite sœur et à sa mère qui semblaient former clan à elles deux. Le monde des hommes réaffirmé face à celui des femmes, qui devenaient de plus en plus féministes radicales.

Devenir athlétique a toujours été pour moi la conséquence d’une pratique sportive assidue ou d’une vie saine à courir, sauter, grimper et nager dans la nature. Un effet de la grande santé, pas un effet voulu pour en jeter. La force naît de la sève et la puissance de l’exercice pour aboutir à une âme ferme. Mens sana in corpore sano disaient les Latins dans mes livres de classe qui reprenaient les classiques, soit ici la Dixième Satire de Juvénal : « un esprit sain dans un corps sain ».

Le muscle, c’est la chair irriguée par le sang, la robustesse physique qui permet de protéger et d’aimer, la vigueur qui fait se sentir bien d’être indulgent aux faiblesses des autres et généreux de sa propre puissance. C’est bien le corps qui fait l’homme bon, pas la tête. Fermeté d’âme va avec fermeté de chair – malgré les religions du Livre qui se sont voulues en réaction à la santé païenne.

Il est dans les normes que les garçons aiment le muscle ; ils veulent devenir des hommes. Mais la société du spectacle en fait trop souvent des pantins gonflés sans rien à l’intérieur. Car ce n’est pas l’apparence qui compte mais ce qui est derrière. L’armure n’est pas le squelette et la culture des muscles ne remplace pas la culture de l’esprit, encore qu’elle puisse aider à maîtriser les passions. Tous les grands sportifs sont peu portés au sexe (sauf les footeux camés, mais parce qu’on leur propose une troisième mi-temps et qu’ils ne veulent pas laisser croire…).

J’aime pour ma part voir des garçons sainement musclés, heureux de vivre et d’exercer sans honte tous leurs sens. L’été, la plage, le desserrement des contraintes sociales vestimentaires et scolaires, sont le moment où les corps fleurissent au soleil et à la brise, où les corps se révèlent – dans leur saine beauté.

Catégories : Société | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

George Sand, Mauprat

Le schéma du roman est toujours un peu le même et toujours un peu différent. La femme est l’héroïne, double de l’auteur, et les amants se battent pour couvrir la mante religieuse. Cette fois, Edmée n’est pas Lélia ; elle est orgueilleuse mais amoureuse. Par « coquetterie » dit cette poulette (et le mot vient de « coq » !) elle fera attendre l’amoureux transi durant sept ans. Un temps biblique, sept ans de malheur avant le bonheur du « mariage », mais cette fois d’égal à égal, en plein esprit républicain. Et ils eurent beaucoup d’enfants (six).

C’est le vieux Bernard qui raconte, à 80 ans, l’année de ses 17 ans, l’enfance et adolescence frustes qui ont précédé et la lente civilisation de l’enfant sauvage par son aimée – du même âge mais civilisée. La Belle et la Bête : Bernard de Mauprat est le dernier de la branche aînée de la famille et il a sept oncles qui le briment, le dominent et l’associent à leurs méfaits ; Edmée de Mauprat est la dernière de la branche cadette, cousine à la mode de Bretagne de Bernard. L’un habite un château fortifié dans la forêt et ses oncles, des nobliaux frustes, ont des mœurs médiévales, pillant, rançonnant contre protection, lutinant et violant à merci ; ils sont les « Coupe-Jarret ». L’autre habite le château de plaisance de Sainte-Sévère, entourée de son père, de son prétendant fade mais exquis, du curé et de ses amis, le bonhomme Patience, Diogène rustique illuminé par la philosophie naturelle, et le chasseur de taupes Marcasse accompagné de son chien Blaireau ; elle appartient aux « Casse-tête ».

Roman d’aventure à la Walter Scott, noir à la Lewis et provincial policier à la Balzac, le livre chevauche l’Ancien et le Nouveau régime. Né en 1757, Bernard et Edmée ont chacun 17 ans en 1774. Le premier a été élevé par sa mère jusqu’à 7 ans puis, à la mort de celle-ci pour capter l’héritage, enlevé brutalement par ses oncles pour l’élever à la dure, en soudard. Il est étonnant que le gamin, à 17 ans, n’ait pas encore connu de femme alors que les oncles, tous célibataires car trop mal vus, n’ont cessé de baiser à couilles rabattues. Mais lorsqu’Edmée « Casse-tête » atterrit dans l’antre des Mauprat « Coupe-Jarret » en se perdant à cheval lors d’une chasse en forêt, Bernard en tombe instantanément amoureux et l’aide à s’évader grâce à une attaque de la maréchaussée sans profiter d’elle, malgré les encouragements des oncles. Mais son « amour » (mot-valise du français) est du brut désir sexuel ; tout l’art de la fille sera de transformer ce prurit bas du ventre en courtoisie trouvère et de dégrossir le sauvageon en civilisé. Alors l’enfant, qui a un bon fond, sortira de la brute pour devenir homme et pourra – sur un pied d’égalité idéal – l’épouser. Elle le lui a promis, à condition que lui-même consente à la mériter. Cela durera sept ans…

Un tel « amour » est un absolu romantique, un exclusif éternel rarissime mais, par-là, exemplaire du message politique que George Sand veut faire passer : la femme républicaine idéale exige un homme qui soit idéal républicain pour un compagnonnage d’âge d’or qui réunisse le sacré religieux et la parité morale. « Il n’y a que justice dans la pudeur offensée qui réclame ses droits et son indépendance naturelle » p.794. En ces temps de monarchie restaurée, un brin réactionnaire sur les mœurs, s’exacerbe le féminisme. Le clergé établi en prend un coup avec la figure du supérieur des Carmes chaussés, sybarite politique d’une hypocrisie et d’une ambition avaricieuse rare.

L’auteur, en bonne adepte des Lumières et grande lectrice de Jean-Jacques Rousseau, croit en l’éducation. « Ne croyez pas à la fatalité, déclare Bernard à ses interlocuteurs plus jeunes » p.919. L’énergie et la volonté permettent de la chevaucher et d’orienter son destin plus ou moins. « L’homme ne nait pas méchant ; il ne nait pas bon non plus, comme l’entend Jean-Jacques Rousseau (…). L’homme naît avec plus ou moins de passions, avec plus ou moins de vigueur pour les satisfaire, avec plus ou moins d’aptitude pour en tirer un bon ou un mauvais parti dans la société. Mais l’éducation peut et doit trouver remède à tout ; là est le grand problème à résoudre, c’est de trouver l’éducation qui convient à chaque être en particulier » p.923. Dans Mauprat, l’homme est régénéré par la femme, elle le civilise. A 17 ans pour elle comme pour lui, nous la trouvons un peu jeune pour le rôle de Mentor, mais telle est la licence de la romancière. De même, attendre sept longues années pour consommer le désir adolescent qui brûle bien plus qu’à un âge plus avancé sans aller chercher ailleurs est irréaliste mais, là encore, une exception voulue. Il faut dire que, dans le Berry profond de l’an 1774, les occasions non mercenaires sont rares.

Oh, certes, les tentations pour compenser se font allusions au cours du récit, du chef de bande de 13 ans, « vigoureux pour mon âge », auquel s’attache un jeune Sylvain devant lequel il est fouetté de houx, attaché à un arbre, pour avoir tué la chouette apprivoisée du « sorcier » Patience – à l’ami Arthur à 18 ans, chirurgien herboriste américain durant la guerre d’Indépendance à laquelle Bernard participe. Ce sont les reflets édulcorés et euphémisés de l’expérience homosexuelle de George Sand avec Marie Dorval en 1832 : l’autre sexe étant barbare et incompréhensible, ne sommes-nous pas mieux servis et mieux lotis par un compagnonnage de même sexe ? L’amitié, sorte d’extase érotique, vaut mieux que la frigidité née sous la violence et la crainte. Mauprat est écrit juste après la séparation de George Sand d’avec son mari et à l’époque de sa rupture avec Musset ; le sexe opposé est donc l’ennemi. « Impérieuse et violente » p.856, Edmée ressemble trop à Bernard pour lui céder de suite. « Edmée m’apparaissait sous un nouvel aspect. Ce n’était plus cette belle fille dont la présence jetait le désordre dans mes sens ; c’était un jeune homme de mon âge, beau comme un séraphin, fier, courageux, inflexible sur le pont d’honneur, généreux, capable de cette amitié sublime qui faisait les frères d’armes, mais n’ayant d’amour passionné que pour la Divinité » p.757. Où l’on constate que la revendication d’égalité républicaine entre les sexes encourage l’homoérotisme, l’androgynie, la confusion des genres. Au Nouveau monde, Bernard rencontre Arthur (sous les auspices déclarés de « la Providence ») : « C’était un admirable jeune homme, pur comme un ange, désintéressé comme un stoïque, patient comme un savant, et avec cela enjoué et affectueux » p.790. N’est-il pas le portrait pendant de celui d’Edmée ? « Je conçus pour lui un attachement d’autant plus vif que c’était ma première amitié pour un homme de mon âge. Le charme que je trouvais dans cette liaison me révéla une face de la vie, des facultés et des besoins de l’âme que je ne connaissais pas » p.791.

Néanmoins, pression sociale et orgueil aidant, Bernard rejoindra Edmée qui l’a attendu, se jettera dans les transes car la belle se fait désirer, jouant avec lui en cavalière pour le dompter, jusqu’à la scène de la forêt où l’explosion a lieu. Si vous n’avez pas lu le livre, je ne vous en dis pas plus, sinon qu’il y aura procès, intrigues du clergé, manœuvres des oncles survivants, convulsions, délires – bref tout ce qui fait l’excès du romantisme noir – avant la fin, rapide où, pour une fois, tout le monde n’est pas mort.

Échevelé, invraisemblable, mais lyrique et rousseauiste, ce roman de George Sand peut encore se lire ; vous n’y connaitrez pas l’ennui mais les orages de la passion et le désir, parfois, de flanquer une bonne fessée à la belle.

George Sand, Mauprat, 1837, Gallimard Folio 1981, 480 pages, €9.10 e-book Kindle €1.04

George Sand, Romans tome 1 (Indiana, Lélia, Mauprat, Pauline, Isidora, La mare au diable, François le champi, La petite Fadette), Gallimard Pléiade 2019, 1866 pages, €67.00

Catégories : Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Maxime Chattam, Le signal

Ce gros roman pour confinement d’hiver, dans la maison bien close où chaque bruit est inquiétant, commence comme un thriller d’espionnage, se poursuit en fantastique adolescent à la Stephen King avant de se terminer, près de 800 pages plus loin, en scènes gore de tueur en série. C’est gros, horrible et délicieux.

Maxime Chattam décentre son histoire aux Etats-Unis d’aujourd’hui, pays mythique où « tout » est possible. La famille idéale des Spencer quitte la New York trépidante pour Mahingan Falls, une petite ville balnéaire (imaginaire) enserrée dans les montagnes non loin de Salem. Une antenne de télécommunication permet seule la liaison Internet et mobile. La vaste maison de bois rénovée, à l’extrémité d’une triple impasse, se trouve près des bois. La quiétude naturelle contraste avec les nuisances de la ville. Car chacun a besoin de calme pour se ressourcer et quoi de mieux que ce déménagement en plein été ?

Olivia a quitté un métier stressant de présentatrice TV célèbre pour envisager une émission de radio locale. Tom, lessivé par les mauvaises critiques de sa dernière mauvaise pièce de théâtre, désire retrouver l’inspiration. Des trois enfants, seule Baby Zoey, 2 ans, n’a rien à récupérer. Les deux autres ont été éprouvés par la mort des parents d’Owen. Il a été recueilli par les Spencer car Tom est son oncle et son parrain. Il devient le frère de Chadwick (dit Chad), du même âge que lui : 13 ans. C’est un âge soupçonné par les psys (yankees) d’être sensible et trouble, déclenchant, au pays des névroses bibliques, nombre de phénomènes paranormaux. Tel est l’accroche King de Chattam.

Sauf que Maxime est un auteur européen, plus rationnel et moins empoisonné d’idéologie Jéhovah que Stephen ; il va faire diverger l’anormal en nouvelle norme menaçante. C’est que la technologie s’invite au festin des horreurs dans la meilleure tradition (plus récente) des millénaristes et des théoriciens du Complot. Tout serait la faute du Gouvernement, comme il se doit, ou des capitalistes, comme de bien entendu. Avec cet arrière-plan qui reste bien chrétien que le Diable n’existe que parce qu’on y croit, très nombreux et depuis très longtemps. Donc le Mal, des énergies négatives qui nous dépassent et nous environnent, chevauche les courants telluriques ou artificiels pour se déplacer, se manifester et frapper.

Les Remerciements à la fin du livre l’avouent : Maxime Chattam a mis en scène sa famille, idéalisée pour l’occasion, un bel effort d’auteur pour intégrer sa « tribu » à son travail. Chad lui ressemble, peut-être son fils aîné : « Chad, malgré ses seulement 13 ans, commençait à développer un début de carrure, avec de fins muscles naissants » p.41. Owen, le cousin, « demeurait un peu poupon ». Mais progressivement le Chad élancé et dynamique va se faire supplanter par l’Owen moins physique mais plus réfléchi. C’en est émouvant. Les deux garçons sont flanqués de Connor, « presque 14 ans » et déjà « basculé du côté du mâle » avec le sexe en ligne de mire, musclé en débardeur et « un peu bourrin » mais prenant les choses comme elles viennent, ainsi que de Corey, 13 ans comme eux, frère cadet de la nounou engagée pour garder le bébé Zoey, Gemma, presque adulte avec ses 17 ans.

La maison idyllique inquiète de plus en plus la famille idéale. C’est le chien qui revient terrorisé de la forêt, puis le bébé qui hurle dans la nuit, répétant sans arrête « clignote ! clignote ! » comme s’il avait vu un fantôme, c’est Olivia qui perçoit une présence noire. Puis voilà les garçons, partis en exploration au-delà de la ravine qui sépare la ville du plateau, au pied du mont Wendy qui supporte l’antenne, en butte aux menaces coupantes d’un épouvantail planté dans les maïs ! Qui va les croire ? Même si l’éviscération en direct du fils du fermier peut en témoigner… et qu’ils s’aperçoivent que Wendy est l’abréviation Disney du Wendigo, le monstre indien des forêts. Mais ne seront-ils pas accusés du crime ? La lacération du bide semble un fantasme récurrent de l’auteur, toutes les griffes et les couteaux visent ce point précis du corps, peut-être le plus vulnérable. Pour le reste, les survivants ont le tee-shirt lacéré, les jambes griffées, le flanc blessé. Le sadisme ne se passe pas qu’en imagination !

Les teens enquêtent à la bibliothèque et s’aperçoivent que leur collège a été bâti juste au-dessus de l’intersection des deux rivières qui traversent la ville – juste à l’endroit où une trentaine d’Indiens a été massacrée par les colons puritains au XVIIe siècle. Owen se fait une peur bleue dans les toilettes du collège lorsqu’il perçoit une présence maléfique qui tente de l’agripper. Tom, de son côté, se rend compte avec trouble que sa nouvelle maison a une histoire – et pas des plus réjouissantes : elle a été la masure d’une sorcière brûlée à Salem tandis que ses deux fillettes étaient lynchées par les bigots en délire ; elle a connu ensuite un toqué d’ésotérisme venu de Californie avant un couple dont le mari et la fille se sont suicidés – il faut dire que le père violait la fille. La mère survivante est en hôpital psychiatrique. L’avocat new-yorkais qui avait acheté la maison a fait faillite, d’où la « bonne affaire » des Spencer.

En bref, le lieu est mauvais et l’arrivée de la famille a déclenché dans la maison une révolution de spectres tandis que la ville tout entière est, depuis quelque temps, en proie aux morts inexpliquées dues à une panique noire. Le shérif Warden est un gros « connard » macho et borné comme son président, et l’adjoint venu de Philadelphie Ethan Cobb ne peut y croire… avant de l’expérimenter sous la ville, avec les ados. Seul un lance-flammes bricolé avec un pistolet à eau rempli d’autre chose parvient à tenir à distance des entités maléfiques qui hurlent et griffent avant de mordre, d’aspirer et de broyer. L’horreur.

La suite sera dantesque, dans un Armageddon où l’au-delà prend le pouvoir pour quelques heures. Inutile d’en dire plus, sauf que tous les méchants ne sont pas éradiqués et que tous les bons ne sont pas sauvés. Dans l’indifférence de la nature (et de Dieu pour les croyants), seul le courage et l’initiative font la différence. La mère est une louve pour ses petits, le père entreprend ce qu’il faut, les aînés tempèrent l’imagination et les excès des plus jeunes qui, eux, résistent à tant de pression psychologique par des embrassades et des torrents de larmes. Le lecteur quitte ce livre lent au début et prenant sur la fin avec de quoi faire des cauchemars les nuits de nouvelle lune.

Un bon thriller – qui veut dire qui fait frémir – dont les pages sont bordées de noir comme les faire-part de deuil..

Maxime Chattam, Le signal, 2018, Pocket 2020, 908 pages, €9.95 e-book Kindle €9.49, CD audio €26.90

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Georges-Emmanuel Clancier, Le pain noir

Au milieu des années 1970, Serge Moati réalisa un feuilleton télé (terme français pour « série ») sur la deuxième chaîne ; il surfait sur la vague régionaliste et nostalgique du « retour à la campagne » des socialistes en plein essor. Il faut y voir là les prémices de l’écologie, terme vague de la nouvelle religion laïque (si l’on peut oser cet oxymore) des « progressistes » qui rétrogradent. La pédale sur le frein du changement, ils « reviennent » aux valeurs traditionnelles, immuables ou presque, de la paysannerie début de siècle (le XXe). Les romanciers populaires seront légion, oubliés aujourd’hui mais parfois sans raison. Georges-Emmanuel Clancier, en premier lieu poète, était précurseur en faisant roman des récits de sa grand-mère limousine.

Le pain noir était celui que mangeaient les paysans les plus pauvres. Passer du blanc au noir était signe de déchéance, métisser au froment pur de la balle et du son signe d’appauvrissement nourricier. Les Charron sont métayers quand l’histoire commence. Cathie, leur petite fille de 5 ans, vit heureuse entre ses parents, ses frères aînés et son parrain, le fils premier, adopté après la mort de ses parents. Outre le parrain, viennent Mariette, Martial, Francet, Aubin, puis Cathie. Naîtront ensuite Clotilde et Toinette. Huit enfants, c’est bien lourd pour un ménage paysan. Encore heureux qu’on ait une ferme. Mais le métayage est une exploitation car le bourgeois propriétaire est rapace, guère plus aisé que ses paysans en ces régions où la terre rend mal. On se débrouille avec l’élevage, les fruits, les champignons, les pissenlits, la pêche, la chasse aux lapins. La ferme est autarcique et familiale, un rêve de phalanstère écolo régressif pour les petits-bourgeois socialistes des années 1970 et 80. Mais la vie n’est pas rose…

Le roman débute en 1877 et n’est que le début d’une saga en quatre volumes, de l’enfance à l’âge mûr. Cathie la fillette apparaît en être de lumière, tel Gavroche ou Cosette, ou encore Oliver Twist : une fleur de fumier, un ange en enfer. La misère n’empêche pas la beauté, ni la pauvreté la générosité car tout vient du cœur. On ne peut donner que ce qu’on a mais, lorsque l’on n’a que très peu, le don est celui de soi, de l’attention, l’affection, de l’entraide. Le monde est rude et les vices humains profonds car, si l’on subit le malheur, on fait le mal. Nul n’est responsable de son destin, mais de ses actes si.

Parce que son attelage mené par un jeune fat a renversé et tué un métayer, le propriétaire de la métairie somme Jean Charron le père de porter un faux témoignage aux gendarmes en affirmant que le mort était saoul et qu’il divaguait sur le chemin. Moral, Jean refuse ; il sera chassé et forcé de se retirer à la ville, dans un petit appartement pas cher des faubourgs avant une masure encore moins chère encore plus éloignée. Il devient feuillardier avec son fils aîné Martial, qui a terminé à 14 ans l’école (le feuillardier débite des cercles en lattes de châtaigniers pour entourer les tonneaux). Son second, Francet, frappé à la jambe par des camarades, n’est pas soigné à temps et reste handicapé de la jambe, bouche à nourrir qui coûte en médicaments avant de trouver à tourner des fuseaux sur son grabat. Mariette s’est mariée avec le garçon de ferme Robert et invite Aubin, 12 ans, à venir travailler sur ses terres. Aubin est si beau gamin à 13 ans qu’une jeune fille riche l’embrasse dans la forêt, ce qui fait rêver Cathie de princesse et de merveille. Mais il passe au travers d’un plancher de grange pourri à 14 ans et se fracasse la nuque au pied de l’échelle. C’est autour de Cathie d’être placée, à 8 ans comme bergère, dès 9 ans comme servante d’auberge ou de cuisine. Lorsque sa mère sera en couche pour la dernière fois, elle viendra s’occuper des petites à la maison.

Et puis sa mère s’épuise en ménages pour acquérir quelques sous, elle maigrit, attrape la tuberculose qui lui fait cracher ses poumons et meurt. Pour Cathie, « il va falloir… » Elle devient adulte à 13 ans alors qu’elle soigne seule ses deux petites sœurs, aidée un soir par son amoureux timide Aurélien, du même âge. Ils se rendent compte qu’ils font déjà couple dans la maison à eux tout seuls. Et les bébés appellent Cathie « maman ». Elle garde le don d’enfance qui est de s’émerveiller d’un rien, une poésie qui lui donne le bonheur de l’âme sans lequel la bonté ne peut fleurir.

Un roman de terroir qui dépasse la glèbe pour s’élever à l’universel et qui m’a touché à l’époque, plus peut-être qu’aujourd’hui à la relecture. Mais on vieillit… les émotions ne sont plus si grandes ni si fraîches.

Georges-Emmanuel Clancier, Le pain noir, 1956,  Robert Laffont, occasion €4.95 e-book Kindle €4.99

Georges-Emmanuel Clancier, Le pain noir – La fabrique du roi – Les drapeaux de la ville – La dernière saison, Omnibus 2013, 1152 pages, €29.00

Catégories : Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Haruki Murakami, Le meurtre du Commandeur 2

Le tome 1 a déjà été chroniqué sur ce blog.

Après Une Idée apparaît, La Métaphore se déplace. Les titres ne sont pas neutres chez Murakami. L’Idée, c’est le Commandeur, un personnage de soixante centimètres de haut apparu au narrateur après l’ouverture de la fosse cylindrique dans le tome 1. Une idée est une sorte de concept rationnel qui se manifeste hors du réel, dans une dimension parallèle issue peut-être de l’imagination de celui qui la perçoit. L’auteur en laisse libre l’interprétation, acceptant le fait subjectif tel qu’il est. La Métaphore est en revanche une image-miroir, transposition du concret à l’abstrait souvent néfaste et puissante lorsqu’il s’agit de Double Métaphore, telle l’homme à la Subaru, figure effrayante de macho violent évoquée dans le premier volume et qui dort probablement comme un monstre « nazi » en chacun. L’auteur met en place ces notions puis les laisse vivre – et cela crée une histoire. Je la trouve pour ma part passionnante.

Elle est pourtant inscrite dans la banalité des jours qui passent sur cette montagne non loin d’Idowara au sud de Tokyo, dans la semi-solitude du narrateur. Il est peintre et s’est isolé après la séparation d’avec sa femme, qui l’a demandée. Il a renvoyé les papiers de divorce à son avocat et considère que sa vie doit changer. Il ne peint plus de portraits sur commande, lucratifs mais sans âme ; il peint pour lui-même, dont un portrait de Menshiki, son voisin riche et méticuleux qui vit en solitaire sur le versant d’en face et conduit une Jaguar V8 d’argent étincelant. Comme l’auto, Menshiki est une belle mécanique, soignée et puissante, qui consomme beaucoup. Le narrateur se contente d’une Toyota Corolla achetée d’occasion et qu’il laisse toute poussiéreuse.

Le portrait révèle Menshiki à lui-même, jusqu’à un certain point, mais surtout au narrateur. Devant un verre de whisky occidental de marque, le voisin avoue qu’il est peut-être le père d’une fillette de 13 ans, Marié (prononcez Malié), que la mère a peut-être conçue avec lui lors d’une baise torride de séparation dans le bureau de Tokyo. Curieusement, le narrateur possède sexuellement en rêve Yuzu son épouse, dont il est séparé, en déversant dans son vagin endormi des litres de sperme – avant que son ami des Beaux-Arts Masahiko lui dise que Yuzu est enceinte… Le narrateur s’est-il transporté en puissance vitale pour ensemencer en songe son épouse ? Ou celle-ci est-elle enceinte de son nouveau petit ami, qu’elle quitte d’ailleurs aussitôt ? Comme Menshiki, le narrateur doute et reste dans l’entre-deux. Ce sera une fille et elle s’appellera Muro (qui veut dire caverne) tout comme la grotte dans lequel le narrateur à 13 ans a emmené sa petite sœur avant que celle-ci ne meure. Tout est lié, tout fait lien.

Car Menshiki demande au peintre de faire le portrait de Marié, façon pour lui de passer « par hasard » et de lier connaissance avec sa peut-être fille. Marié est une enfant qui aborde l’adolescence avec la crainte que ses seins ne poussent pas et avec une faculté aigüe d’observation des adultes. Ce pourquoi toute éducation doit être amour mais surtout exemple ! Elle s’entend bien avec le narrateur car lui aussi sait observer – c’est son métier – et ne juge pas socialement les gens ; il se contente de les dessiner tels qu’il les perçoit intuitivement dans la globalité de leurs facettes. Lui est un homme sans qualités qui s’imbibe de ses semblables pour les exprimer.

La fosse derrière la maison ouverte est refermée mais elle a relâché dans le présent des forces qui se manifestent et influent sur les comportements. « Mêlant leurs racines au sein de l‘obscurité, mes pensées et celles de la fosse semblaient échanger leur sève entre elles », observe le narrateur p.64. Dans le bouddhisme zen, rien n’arrive jamais par hasard mais par enchaînement des causes et des conséquences ; chacun crée son propre karma (destin) par ses actes durant ses réincarnations successives. Le destin du narrateur s’est lié avec celui de Menshiki via son portrait et son aide pour la fosse, tandis qu’il est lié avec le peintre nihonga Tomohioko Amada qui se meurt de sénilité via son fils ami Masahiko et surtout via la peinture qu’il a découverte au grenier de la maison, un tableau soigneusement emballé caché là pour raisons personnelles : Le meurtre du Commandeur. Lequel semble avoir été peint sous l’emprise d’une forte une émotion après les événements de la Vienne nazie, Amada ayant été entraîné par amour dans un acte de résistance qui s’est mal terminé pour sa petite amie. Cette aura maléfique émane aussi de l’homme à la Subaru, entrevu par le narrateur lors de son périple initial pour se remettre de la séparation d’avec sa femme, qu’il a voulu peindre sans oser achever le tableau pour ne pas faire surgir des forces mauvaises. Tout est lié, tout fait lien.

Il serait trop long de narrer les aventures des personnages pris dans les rets de leur destin, mais le narrateur finit par sauver Marié qui a disparue par une sorte d’accouchement conceptuel dans le monde des Métaphores, en lien avec la grotte où sa petite sœur se sentait bien enfant. Dans le réel, la grotte est une vaste demeure où Marié s’est piégée elle-même, poussée par la curiosité comme la petite sœur du narrateur jadis. Ce mouvement de curiosité a été engendré par l’attention que porte Menshiki à la fillette sous couvert de se lier intimement avec sa tante qui l’élève depuis que sa mère biologique est morte de piqûres de guêpes. Qui engendre qui ? Tout est lié, tout fait lien.

Murakami a l’art de faire que, de la banalité des choses ordinaires, surgissent des choses extraordinaires. Vous saurez tout sur ce que mange le narrateur et la façon dont il le prépare ; comment est vêtu Menshiki, la fillette Marié et la tante Shoko ; quelle voiture conduit chacun selon son caractère : la Corolla pour le narrateur, la Prius hybride pour Shoko, la Jaguar puissante et racée pour Menshiki, la Volvo antique carrée de Masahiko, l’utilitaire Subaru Forester du macho effrayant. Mais de ce réalisme aigu (issu de la névrose obsessionnelle japonaise) surgit un surréalisme fantastique comme une irruption de la dimension cachée des êtres et des choses (issue du shinto et du bouddhisme zen). « Personne ne sait comment sont les choses réelles (…). Tout ce que l’on voit avec les yeux résulte en fin de compte uniquement de la relation entre des choses et des phénomènes » p.325. L’existence en devient passionnante – et le roman aussi, décalé, étrange, issu du tréfonds de la culture japonaise.

« Le juste rapport se crée à mesure que je progresse », observe le narrateur p.370. Tout comme une œuvre peinte, un livre qu’on écrit, une existence que l’on vit. Le rapport doit se créer personnellement entre le rien et l’être, les rails du destin et les actes personnels. C’est cela qui fait l’histoire – et ce pourquoi le portrait de Marié est inachevé.

Haruki Murakami, Le meurtre du Commandeur 2 – La métaphore se déplace, 2017, 10-18 2019, 550 pages, €9.60

Les livres de Haruki Murakami déjà chroniqués sur ce blog

Catégories : Haruki Murakami, Japon, Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Le lieu du crime d’André Téchiné

Thomas (Nicolas Giraudi, 14 ans au tournage), gamin solitaire dans le Tarn de parents divorcés, à 13 ans va faire sa communion, désirée par sa grand-mère. Dans ses balades en vélo au bord de la Garonne, il rencontre brusquement un bandit échappé de prison, Martin (Wadeck Stanczak), un beau jeune homme blême et pas rasé qui le menace d’un opinel s’il ne lui rapporte pas quelques sous.

Dans son existence sans futur, à l’ère socialiste du « changer la vie » parisien, Thomas quitte l’enfance pour aborder le monde adulte, sa violence brute et ses passions brutales. L’univers irénique de la campagne catholique et bucolique avec ses champs vallonnés, son village où tinte la cloche ecclésiale et son curé de choc en moto (Jacques Nolot), bascule dans la vraie vie. Thomas va chercher désespérément de l’argent pour ne pas être tué. Il tape son père (Victor Lanoux) qui le tape pour l’avoir insulté après qu’il lui eut dit que l’argent se gagne ; il vole sa mère (Catherine Deneuve) dans le pot à sucre avant de lui rendre les billets, pris de remords pour ce qu’il a dit au curé qui l’a rapporté à Lili : qu’elle n’était pas sa vraie mère ; il supplie son grand-père (Jean Bousquet) à qui il a raconté tant de bobards mais devant qui il pleure et qui lui donne un billet pour avoir la paix.

Il va donc au lieu de rendez-vous le soir, au bord de la Garonne, pour donner l’argent à l’évadé. Mais il se trouve face à Luc (Jean-Claude Adelin), le frère de cavale, leader du couple et qui est très violent. Lui ne veut pas qu’on les dénonce et commence à faire son affaire à Thomas en l’étranglant, après l’avoir poursuivi, malmené et maîtrisé : « Ne t’inquiètes pas, tu vas dormir » dit-il doucement en lui serrant le cou… Son compagnon, Martin, peut-être séduit par la ferveur fragile de l’adolescent qui lui rappelle lui-même ou par la mystérieuse affinité du garçon avec sa mère et qui le séduira aussi, va refuser le meurtre. Il se bat avec son ami Luc jusqu’à lui planter son opinel dans le dos, laissant le cadavre aller au fil du fleuve. Il réveille Thomas, choqué mais plus vaseux que terrifié, et le renvoie chez lui. Curieusement, les marques sur sa gorge ne se voient pas et, lorsqu’il fera un cauchemar, sa mère qui l’étreint n’y verra que du feu. Ces invraisemblances du début contrastent avec l’hystérie émotionnelle de la fin, ce qui est dommage.

Car le film, centré initialement sur le monde traditionnel de l’enfance à la campagne qui se débat avec la modernité du divorce, de la mixité et de la violence venues des villes, se tourne désormais vers l’épouse qui a raté sa vie et qui cède à sa passion irraisonnée. Martin, égaré, échoue dans le dancing au bord de l’eau qu’a monté Lili pour les jeunes. Il se saoule à tout ce qui se boit, frustré par ses années de prison dont on ne sait si elles sont pour vol, braquage ou meurtre, ce qui est là encore dommage pour bien saisir la suite. Lili est séduite comme son fils par ce beau jeune homme blême et pas rasé. Elle lui trouve une chambre d’hôtel au village et rentre chez elle où Thomas, à 6 h du matin, est déjà réveillé. Il a fait un cauchemar et il lui raconte son aventure d’hier soir sous forme de « rêve ».

Sa mère, pas plus que les autres, ne le croit plus. Affabulateur, Thomas est mal dans sa peau, sans ami ni copine, coincé dans sa pension de curé toute la semaine. Il se rêve donc des aventures et des « rencontres », avide de connaître enfin la vie. Qui admettra ses histoires d’enfant qui va faire sa communion sur les instances de sa grand-mère maternelle (Danielle Darrieux en actrice formidable) qui tient à ce que tout se passe comme avant, « normalement » ? Mais Lili, sensibilisée par sa rencontre avec Martin et intuitive car fusionnelle avec Thomas, va comprendre plus ou moins que le jeune homme a sauvé son fils au prix du meurtre de son ami. « Mademoiselle Catherine Deneuve », comme l’appelle le générique de fin pour les costumes, joue à la perfection une femme tourmentée par ses ardeurs, écartelée entre le fils et l’amant de rencontre ; elle ne s’en sortira pas.

Lorsqu’elle veut le revoir pour s’en expliquer, Martin a disparu, emporté par la copine du trio qu’il formait avec elle et son « frère » dans une voiture de sport décapotable rouge. Un comble pour qui veut passer inaperçu et s’évader vers l’Espagne ! Le film a plusieurs fois ces décalages incongrus qui font douter de sa cohérence. Mais Caïn a tué Abel et ne peut désormais vivre comme les autres ; il quitte la fille dans une station-service où elle fait laver sa voiture (!) et lui rend l’arme qu’elle lui avait apportée. Il revient au village pour retrouver Lili qu’il voit comme une sorte de mère, ou du moins un recours. Elle lui offre du champagne dans son dancing fermé le dimanche où son assistant règle la sono, puis l’emmène chez elle où ils baisent de façon torride, énamourés de passion sensuelle, tout nus sur le grand lit.

C’est là que Thomas, en pleine nuit, les découvre. Il a fait le mur de sa pension de curés pour revenir vers sa mère, vue elle aussi comme un recours, et lui annoncer que le père confesseur sait tout et va prévenir la police. Voir sa mère « faire » l’amour le blesse ; il croyait naïvement en l’amour éthéré enseigné au catéchisme où les enfants venaient comme un don de Dieu au sein de la famille, dans le secret des chambres. « C’est ça, l’amour ? » demandera-t-il à son père par la suite. « Tes amis ne t’ont pas expliqué ? Vous n’en parlez pas entre vous ? – Je n’ai pas d’ami ».

La fille en auto rouge revient en trombe au village pour retrouver Martin dont elle est amoureuse comme de Luc et, pour trahison, le descend d’une balle. Le spectateur ne saura pas s’il s’en sortira, laissant un suspens de plus et un avenir possible ouvert. Thomas fuit sous la pluie battante sur la route et l’auto rouge le rejoint ; il monte car il n’en peut plus, et la fille ne sait pas qui il est. « Je veux partir avec toi ! » dit l’adolescent qui voudrait faire des « rencontres ». Mais il y a les deux autres dont elle ne peut oublier le souvenir, même s’ils sont morts. Elle fait descendre Thomas et va se jeter contre un mur pour « les rejoindre ».

Le lendemain, Lili témoigne à la gendarmerie ; elle est décoiffée, épuisée, hagarde. L’inspecteur, fonctionnaire chauve (Philippe Landoulsi), fait taper son témoignage mais elle ne l’accepte pas car il n’est pas « la vérité ». Elle n’a pas été menacée par l’évadé mais l’a recueilli et s’est donnée à lui volontairement, elle est complice ; elle ne mentionne pas l’enchaînement des circonstances qui, du sauvetage de Thomas à la charité de la chambre d’hôtel, aurait pu donner des circonstances atténuantes. Non, elle en a marre des faux-semblants de la campagne traditionnelle où tout le monde se connait et s’épie, où il faut être comme il faut et croyant comme tout le monde, où il faut sans cesse faire semblant.

Thomas, à 13 ans a été le révélateur des mensonges et des frustrations accumulés dans son existence, de sa mère qui invente une harmonie bucolique proche de « la terre ne ment pas » maréchaliste (allusion à la force tranquille de Mitterrand élu cinq ans plus tôt ?), à son père qui joue à plus sourd qu’il n’est pour ne pas entendre les vérités qui le dérangent et apparaître ainsi « tolérant » comme il se doit, à son mari qu’elle a quitté parce qu’il ne pensait qu’à son plaisir sexuel et à la nostalgie de leurs premières années dont il repasse les films. Thomas doit se confesser, Lili doit choisir entre le planplan et l’aventure, Martin doit assumer son crime maudit par la Bible.

La vérité est nue et apparaît aux yeux du garçon de 13 ans sur le lit de sa mère, rappel de sa fanfaronnade torse nu devant le miroir lorsqu’il défiait virtuellement Martin de le tuer avant de lui livrer l’argent qu’il demandait. Bien plus que le rite obligé de « la communion », il passe du monde de sa mère à celui de son père et quitte désormais l’enfance car il « sait » – et la vérité fait mal justement parce qu’elle est nue. Elle oblige à être ce qu’on est et à assumer la responsabilité de ses actes.

DVD Le lieu du crime 1986 (et les innocents 1987), André Téchiné, avec Catherine Deneuve, Danielle Darrieux, Wadeck Stanczak, Victor Lanoux, Jacques Nolot, Jean Bousquet,  Claire Nebout, Jean-Claude Adelin, Philippe Landoulsi, Nicolas Giraudi, Why Not Productions 2008, 1h30, €20.39

Catégories : Cinéma | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

L’effet papillon d’Eric Bress

Evan est un petit garçon de sept ans des années 1980 (Logan Lerman), joli avec ses cheveux dans le cou et sa médaille qui brinquebale sur sa poitrine (12 ans au tournage !). Mais il sidère sa maîtresse lorsqu’il se dessine en meurtrier. Il a des trous de mémoire et ne se souvient pas qu’il ait fait un tel dessin. Sa mère (Melora Walters) a peur qu’il n’ait en lui les gènes de la folie de son père, interné en hôpital psychiatrique. Elle lui fait passer un scanner cérébral, qui ne révèle rien de particulier mais le docteur conseille de lui faire tenir un journal des tous les faits de sa journée pour raviver sa mémoire. Ce journal se révélera crucial par la suite.

Un jour, elle part pour l’emmener chez un copain lorsqu’elle le trouve dans la cuisine, un couteau à la main : il ne se souvient pas pourquoi. Puis il part joyeux retrouver son copain Tommy (Jake Kaese, 10 ans au tournage) et surtout sa sœur Kaleigh – prononcez kèli – (Sarah Widdows, 9 ou 10 ans) dont il est amoureux. Mais oui, on peut être amoureux à sept ans ! Sauf que le décalage entre l’âge de la fiction et l’âge réel des acteurs pose problème ; il n’est guère réaliste.

Le père, George (Eric Stoltz), boit du bourbon et, un brin éméché, décide de tourner un film avec Evan et Kailegh, suscitant la jalousie de son fils Tommy. Il s’agit de l’histoire de Robin des bois, lorsqu’il revient trouver sa fiancée. Là, autre trou de mémoire, Evan se réveille nu devant la caméra et ne se souvient pas pourquoi. On ne voit guère que le haut d’une épaule de profil (ce pourquoi le film est interdit aux moins de 12 ans pour ne pas leur donner de mauvaises idées).

Six ans plus tard, les 13 ans ont constitué une petite bande des quatre avec Tommy (Jesse James, 15 ans au tournage) et Kaileigh (Irene Gorovaia, 15 ans au tournage), le gros Lenny (Kevin Schmidt, 16 ans au tournage) et Evan (John Patrick Amedori, 17 ans au tournage) – qui porte toujours sa médaille, un peu plus court sur la gorge. Tommy, infernal, non seulement fume et fait fumer les autres en rébellion, mais déniche une cartouche de dynamite que son père cache dans le sous-sol. Rien de mieux que, pour se marrer, l’allumer pour faire sauter la boite aux lettres ridicule de narcissisme d’un riche voisin qui a représenté la maquette de sa maison. Tommy a eu l’idée, Lenny a été la déposer et Evan l’a allumée à l’aide d’une cigarette retardateur (ce pourquoi le film est interdit aux moins de 12 ans pour ne pas leur donner de mauvaises idées). Attentionné à son aimée, Evan met les mains sur les oreilles de Kailegh et, là, autre trou noir de la mémoire. Il se retrouve dans les bois, fuyant avec les autres, sans savoir ce qui s’est passé.

C’est alors que Tommy, toujours jaloux d’Evan parce qu’il aspire l’amour de sa sœur qui aurait dû lui être destiné après la séparation de ses parents, devient violent. Il se venge en faisant griller le chien d’Evan, Croquette, enfermé dans un sac et arrosé de White-spirit (ce pourquoi le film est interdit aux moins de 12 ans pour ne pas leur donner de mauvaises idées), il tabasse Evan et Kaileigh avec un poteau de clôture. Evan s’évanouit et a un autre trou de mémoire. En fait, à chaque fois que la situation le dérange, il s’évade ailleurs.

Sept ans plus tard, le voici à l’université (Ashton Kutcher, 26 ans), médaille au cou, dans la chambre d’un gros punk odorant et baiseur, Thumper (Ethan Suplee) – je me demande pourquoi il a un tel tropisme pour les gros, est-ce du politiquement correct 2004 ? Tommy (William Lee Scott) a été interné en maison de correction et vient juste d’en sortir. Kaileigh (Amy Smart) est devenue serveuse un peu pute dans un bar de la ville où les clients lui pelotent les fesses ; lorsqu’Evan la retrouve pour lui poser des questions sur les absences qu’il a eu en son enfance, elle le rejette puis se suicide. Lenny (Elden Henson), dépressif, se concentre sur ses maquettes d’avion et ne quitte plus sa chambre. Evan prépare un mémoire sur la mémoire (mais si on peut tautologiser !) et reprend ses carnets intimes, tenus sur ordre du médecin depuis l’âge de 7 ans. Les relire suscite parfois des flashs – et il ne tarde pas à se retrouver dans les situations dont il ne se souvient plus.

Il s’aperçoit alors que, comme son père, il a le don de revivre le passé. Il veut sauver Kaleigh, la seule fille qu’il n’ait jamais aimée, mais il va découvrir que ce pouvoir puissant est incontrôlable : s’il change la moindre chose, il change tout (sous-titre du film). Car l’homme n’est pas Dieu et c’est péché d’orgueil de croire pouvoir réécrire ce qui est écrit. Le monde est un chaos physique dans lequel une condition initiale change tout, tel est l’effet papillon, dont le battement d’aile à un bout de planète peut susciter un ouragan dans l’autre.

En changeant le tournage du film pédopornographique de George, Evan va sans doute sauver Kaileigh mais pousser Tommy aux extrémités – car le père reporte ses attouchements et plus sur son fils aîné – et se battre une fois étudiant avec Tommy et le tuer, ce qui va le conduire en prison, loin de l’amour de Kaleigh. En changeant l’épisode de la cartouche de dynamite, Evan va sans doute éviter l’accident qui a traumatisé les autres mais perdre les deux avant-bras et l’amour de Kaleigh, qui lui préfère Lenny. En changeant la scène de violence de Tommy avec Croquette, Evan va sauver le chien et amender Tommy mais faire de Lenny un meurtrier et de Kaleigh une junkie sur laquelle tous les mâles peuvent passer pour 50$ (tarif 2004, ce pourquoi le film est interdit aux moins de 12 ans pour ne pas leur donner de mauvaises idées)… Ce don est le signe de Satan, ce pourquoi son père, qu’il voulait ardemment voir lorsqu’il avait 7 ans, a tenté de l’étrangler devant les surveillants avant d’être abattu d’un coup de massue. Evan se souvient dès lors pourquoi son père a voulu le tuer.

Mais, en bon Américain, il ne renonce pas ; pour lui, idéaliste yankee, les bonnes intentions finissent toujours par être reconnues par la Providence car le sentiment d’être dans le vrai entraîne la vérité (Trump ne dit au fond pas autre chose, ce pourquoi le film est interdit aux moins de 12 ans pour ne pas leur donner de mauvaises idées). Dans un dernier effort, traqué par les psys dans l’hôpital où il a réussi à quitter sa chambre, il se remémore sa première rencontre avec Kaleigh grâce aux films de famille que sa mère lui a apportés. Il sacrifie cette fois l’amour de sa vie à l’équilibre de tous : il lui susurre à l’oreille qu’elle est horrible et qu’il ne veut plus jamais la voir – à 7 ans (ce pourquoi le film est interdit aux moins de 12 ans pour ne pas leur donner de mauvaises idées). Mais la fin (celle du cinéma) voit Evan et Kaleigh se croiser huit ans plus tard encore dans les rues de Manhattan : tout va-t-il une fois de plus basculer ?

Une histoire de science-fiction sur les paradoxes du temps, écrite pour l’Amérique du début des années 2000. Peut-on réparer ses erreurs ? Quelles sont les bifurcations prises au hasard qui ont tout fait changer ? Et si l’on pouvait revenir sur le passé, quelles en seraient les conséquences ? Le découpage en allers et retours sur les différentes périodes donnent au film un suspense intéressant, la réalité des choses n’étant dévoilée que petit à petit, éclairant la suite. Les acteurs sont bien choisis, même si leur âge biologique contraste trop fortement avec leur âge de fiction. Evan ne peut pas avoir 7 ans, pas plus que 13, car un garçon de cinq ou quatre ans plus vieux ne saurait avoir les mêmes réactions. Malgré cet inconvénient, peut-être dû là encore au politiquement correct sexuel (à 7 ans) et délinquant (à 13 ans), les enfants ressemblent de façon plausible aux personnages de 20 ans. C’est surtout l’Amérique des banlieues moyennes qui est filmée dans ses contradictions : une façade de brave gars peut cacher un pervers sexuel, un garçon déterminé un sadique incontrôlable, une pure jeune fille une putain en puissance. Le destin bat les cartes mais chacun doit jouer avec et nul démiurge ne viendra l’aider.

Ce qui oblige à examiner à chaque fois les conséquences de ses actes. Le film est un hymne à la responsabilité, seule condition de la liberté. Aimer ne suffit pas, contrairement à ce que répandent les niaiseries chrétiennes ; il faut encore assumer son amour (pris au sens large de tout attachement) et aller au-delà des apparences pour « sauver » le bon en chacun. Ainsi construit-on son karma, le cycle des causes et des conséquences liées à l’existence. Dans l’Amérique des années post-2001, il était en effet urgent de s’interroger sur ses actes et sur leur bonne conscience aux conséquences incalculables !

Le DVD présente la version cinéma, différente de celle de la Director’s cut dans laquelle des fins alternatives sont proposées, comme si l’opinion devait choisir exclusivement celle qui lui plaît.

DVD L’effet papillon (The Butterfly Effect), Eric Bress et J. Mackye Gruber, 2004 – interdit aux moins de 12 ans – avec Ashton Kutcher, Amy Smart, Logan Lerman, Eric Stoltz, Ethan Suplee, Elden Henson, William Lee Scott, Melora Walters, John Patrick Amedori, Irene Gorovaia, Kevin Schmidt, Jesse James, Sarah Widdows, Metropolitan Video 2005, 1h49 plus bonus, standard 9.28€ blu-ray 14.99€

Catégories : Cinéma, Science fiction | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Indiens et bêtes de jungle

Nous disons adieu à nos nouveaux amis pour foncer à nouveau une demi-heure et trouver ainsi le campement du soir. C’est une suite de paillotes sur pilotis tout au bord de la rivière, comme on en voit partout sur les rives. Une grande pièce ouverte de tous côtés contiendra nos hamacs, pas encore installés. Une autre sert de sas avec le débarcadère, ouverte à tout le monde, c’est là que nous dînerons. Les autres sont des habitations individuelles. Même si tout est ouvert, sans mur pour séparer les territoires, la disposition des objets ne trompe pas. A chaque famille sa paillote.

Des poissons d’eau douce appelés ici morocato attendent sur la table d’être cuits pour notre dîner de ce soir. Au-dessous du plancher sur pilotis règne l’eau, la vase et les cochons nettoyeurs. Les ordures sont jetées directement par-dessus bord, comme depuis un bateau, c’est pratique. L’eau de la cuisine est puisée directement au-dessous ; heureusement qu’elle doit bouillir. L’endroit ne fait pas trop propre même si les « sanitaires » sont à une quinzaine de mètres vers la forêt pour ne pas polluer l’eau de baignade et de boisson. Le chemin est une suite de troncs branlants au-dessus de la vase et je ne vous évoque pas l’odeur… Mais les gens sont gentils, conviviaux, habitués à vivre en groupe, les uns sur les autres. Ils habitent en famille élargie, grand-mère et tout-petits mêlés.

Nous reprenons la pirogue pour aller dans un village indien construit d’une suite de maisons traditionnelles waraos, toujours au bord du fleuve. C’est une importante communauté car les maisons s’étendent sur près de 500 m !

Au coucher du soleil, la pirogue nous emmène à l’île aux perroquets. Nous y voyons surtout des cormorans et des ibis… La lune offre son croissant en dernier quartier, presque horizontal par rapport à nous. La faucille posée sur le ciel est d’une perfection quasi islamique. Mais quelle est donc cette étoile – ou planète – qui brille tout auprès ? Sans doute Vénus, me dit Joseph. Réflexion faite, je crois qu’il a raison.

Nous revenons au campement dans le crépuscule. Le groupe électrogène décline de la musique disco vénézuélienne qui s’arrête, par respect pour nos oreilles, lorsque nous arrivons. C’est une délicate attention même si nous n’avons rien dit. Plusieurs adolescents revenus de l’école traînent dans la semi-obscurité. Ils restent dans la paillote des visiteurs parce qu’ils sont curieux de ce que nous représentons, du monde extérieur qui vient à eux et, secondairement, des gadgets que nous transportons. Les appareils numériques portés par Chris et Yannick, avec leur petite fenêtre en couleurs comme un écran de télévision les fascinent. Un 13 ans en jean et les pieds nus, à l’indienne, regarde tout ce qui se passe de ses yeux brillants. Il est vigoureux, sain et rit facilement. S’il enfile vite un tee-shirt blanc à notre arrivée, par pudeur, il l’ôtera bien vite pour se remettre à l’aise, lorsque nous serons installés à table et habitués à lui. Il se fait photographier trois fois par les appareils numériques aux côtés d’un petit copain, pour se voir en images. Il se prénomme Luis, comme l’autre.

Nous dînons du poisson vu tout à l’heure au museau long et carré de requin. Pas de riz, en l’honneur de Jean-Claude qui le supporte mal, mais des pommes de terre et des carottes. Un chien très discret, très convivial comme ses maîtres les gens d’ici, est couché sous la table. On ne l’entend pas. Seule son odeur le révèle. Elle est puissante : il pue ! A la lumière de l’unique ampoule, dont l’énergie est fournie par un petit groupe électrogène situé à une dizaine de mètres, l’atmosphère est à la Le Nain.

Les peaux cuivrées des enfants qui nous regardent luisent doucement. Seul l’éclat des dents éclate comme des rires. Dans la maison d’à côté, ouverte partout, un jeune couple s’occupe d’un bébé de 18 mois peut-être.

Françoise les observe et commente. Le petit tout nu tète un moment, puis va jouer avec son père. Il se fait câliner avant de s’endormir par terre avant même qu’il ne soit l’heure d’installer les hamacs. Il dormira avec sa mère, probablement, dans le hamac installé juste au-dessus de celui du père. Les nôtres ont été installés dans la « chambre » en rang, comme des gousses blanches.

La nuit balancine en hamac protégé ne sera pas ma meilleure. Je ne sais pas comment on peut trouver si « confortables » ces demi-lunes qui arquent le corps en croissant, l’empêchant de bouger. Les Indiens dorment aussi en hamacs fermés par des moustiquaires. Joseph a d’ailleurs trouvé une « grosse » araignée au-dessus de la poutre qui soutient son hamac.

Les singes hurleurs font leur sarabande à certaines heures. Ils se défient ou s’invitent, je ne sais, mais on croirait la rumeur grondante d’une manifestation. Puis ce sont les coqs à répétition qui jouent du clairon dès que pointe le jour ! Culinairement, ça donnerait quoi, un « coq à la chicha » ? En revanche, aucun bébé ne braille ou même ne pleure plus de trente secondes. Quelqu’un lui prête attention tout de suite et ces enfants sont parmi les plus sages du monde.

Catégories : Venezuela, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Joies de l’Orénoque

Puisqu’il n’y a pas de poissons carnivores (et cela aussi aurait dû nous mettre la puce à l’oreille), nous allons tout simplement nous baigner un peu plus loin. C’est tout près d’un lodge à touristes, d’ailleurs garni. Ces animaux-là nous regardent nous baigner comme si nous étions des dauphins d’eau douce (si les touristes sont Allemands) ou de dangereux inconscients (s’ils sont Américains). Le courant en cet endroit est assez fort mais nous avons souvent pied. Julien se coiffe de jacinthes dérivantes, ce qui lui donne l’air d’une vieille anglaise de l’époque Victoria. Jean-Claude l’imite.

Pour amuser les touristes qui nous regardent en troupeau, groupés sur la jetée de la rive, les indigènes jettent à l’eau ce qui nous paraît tout d’abord être un chien. Mais c’est un drôle d’animal, un gros rongeur qui fonce vers nous avec son museau arrondi et de longs poils rêches. Il s’agit d’un capibara, un cabiai en français. La bête est apprivoisée, mais impressionnante car elle nage et plonge sans effort. Et elle vient vers nous de toutes ses pattes qui battent. Jean-Claude pousse des cris hauts-perchés comme une fille devant un rat. C’est vrai que ce demi-chien filant droit vers vous a de quoi intimider ! Mais la bête ne veut que poser ses pattes sur votre avant-bras pour se reposer et avoir de la compagnie. Elle pousse alors des gloussements de satisfaction très touchants. La repousse-t-on à l’eau ? Elle plonge aussitôt pour ressurgir un peu plus loin et vous suivre obstinément, jusqu’à trouver une autre victime, plus proche. C’est une histoire d’amour entre le capibara et Jean-Claude.

Un coup de pirogue plus loin et nous faisons une halte à une paillote déserte qui ne le reste pas longtemps : les femmes et les petits enfants traversent le bras de rio à force de pagaies pour venir déballer leur marchandise artisanale. Ils n’ont aucune idée des prix et citent des chiffres au hasard : cela peut être hors de prix ou tout à fait ridicule. Les petits ont des visages éveillés et des corps et attitudes de jeunes singes en portée. Ils sont charmants. Originalité dans l’artisanat : des femmes vendent de petits capibaras en bois ! Jean-Claude va-t-il en acheter un pour sa baignoire ? Il se contente de dénicher un ensemble en bois tendre sculpté qui présente une scène d’accouplement articulé entre hétéros, morale oblige. C’est assez réaliste même si la position n’est pas celle « du missionnaire » mais plus celle de La Guerre du Feu (film de Jean-Jacques Annaud, 1981).

Un panier rempli de terre abrite de gros vers blancs de palme. C’est l’attraction programmée en cet endroit. Javier nous montre comment il faut couper la tête rouge de la bête qui se tortille, car les petites dents risquent d’irriter le système digestif, puis croquer le reste avec un morceau de pain. C’est écœurant à voir mais ceux qui ont tenté l’expérience disent que cela a la consistance et le goût de l’œuf brouillé. Après Javier, pour donner l’exemple, Jean-Claude, Julien et Joseph (que des J) suivent. Le ver est gros comme une limace, beige clair et caoutchouteuse.

La pirogue nous emmène dans un long parcours, les moteurs à fond, avant d’aborder un hangar incongru de réparations de bateaux. L’endroit n’est peuplé que d’enfants comme si les adultes avaient été atteints d’on ne sait quelle maladie de fiction. L’aîné est un beau gosse de 13 ans à qui les hautes bottes jaunes, le jean bleu et la chemise blanche nouée négligemment sur le ventre donnent une dégaine de jeune homme. Il est très bronzé et se prénomme Luis. Deux des cinq ou six enfants qui l’entourent sont ses petits frères, d’autres des copains.

Il y a un 10 ans, deux de 6 ou 7 ans et un petit de 4 ans peut-être. Françoise, émue par tant d’enfance, leur offre des bonbons et des Ovomaltines qui lui restent. Ils sont timides et charmants, à peine vêtus d’une culotte, sans rien d’autre. Ils n’osent approcher, prendre et manger. Les plus grands se décident les premiers et les autres suivent, mais il leur faut du temps. Nous déjeunons en attendant de poulet grillé froid et d’une salade de carotte cuite, betterave rouge, maïs et petits pois. Une bière ou un Pepsi a rafraîchi dans une glacière et c’est agréable.

Trois trembladores – des anguilles électriques – nagent dans un petit bassin pour l’attraction des touristes qui passent. L’un des petits, en salopette, qui doit être l’un des frères de Luis, est particulièrement réservé, plus que son grand frère qui réussit quelques beaux sourires. Il frôle le poisson torpille de la main comme si aucune décharge ne devait le secouer. Et, de fait, quand le poisson n’a pas peur, il n’a aucune raison de se cabrer. Cela est quand même surprenant pour nous qui ignorons tout des mœurs de ces étranges poissons.

Après le déjeuner, sous le soleil vif, nous avisons dans la cour herbue derrière l’atelier, un jeu de boules plus grosses que les nôtres, que Javier appelle « les boules caraïbes ». Cela se joue comme chez nous, le pastis en moins. Les Rouges s’opposent aux Noirs. Nous avons pris Luis dans l’équipe. Durant la première manche, les Rouges (Jean-Claude, Christian, Luis et moi) mettent la pâtée aux Noirs (Javier, José, Joseph et Arnaud) : 14 à 0, c’en est bouffon. La seconde manche est quand même gagnée par eux 13 à 9, ils ont dû commencer à comprendre le jeu.

La police débarque avant la belle pour une obscure histoire de fric. On ne sait pas vraiment de quoi il s’agit selon les explications que Javier peut s’ingénier à rendre embrouillées, comme le premier soir avec les sacs. Peut-être est-ce une « amende » pour ne pas avoir demandé un « permis de transporter des touristes » parce que la pirogue est trop neuve, ou quelque chose de ce genre. Toujours est-il que nos conducteurs de pirogues discutent longuement avec les pandores adipeux – puis casquent le prix de la corruption.

Catégories : Venezuela, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , ,

Canaïma

Je me réveille avec l’aube ; nous nous levons avec l’aurore. Rien ne nous presse ce matin, mais le décalage horaire nous chasse de nos couches d’autant que l’air a cette subtile odeur que l’on ne trouve pas dans les villes. Le petit-déjeuner est composé de café – dans de minuscules gobelets en plastique comme s’il s’agissait d’un alcool fort, alors que le Venezuela est producteur dans les Andes – de jus d’orange en brique et de crêpes faites maison avec de la poudre toute prête. Une telle préparation est vendue d’un bout à l’autre des Amériques, du Canada à la Terre de Feu. Le Venezuela a manifestement la flemme de produire localement.

La femme qui tient le campement nous apporte sur son avant-bras un bébé toucan, recueilli dans la forêt. Son long bec réussit à représenter un tiers de la longueur de son corps, sait-on vraiment à quoi il lui sert ? Celui qui nous est présenté a la tête et les pattes bleues, le dos noir et une queue rouge en houppette. Il reste perché sur les avant-bras humain comme sur des branches et avale des morceaux de pain qu’il attrape au vol. Il faut lui montrer avant pour qu’il y fasse attention. Pour qu’il change de perchoir, rien de plus simple : il suffit de lui présenter une « branche » juste un peu plus haute que la sienne. La tentation est irrésistible, il fait le saut.

Après cet intermède animalier, nous allons nous baigner. Mais pas à la plage d’hier, tout à fait à l’opposé. Il nous faut marcher dix minutes à travers la forêt. Juste au pied des paillotes, nous croisons une procession de fourmis « 24 h ». On les appelle ainsi parce qu’elles piquent et que leur taille de deux à trois centimètres de long leur permet de donner la fièvre une journée et une nuit à un homme normalement constitué. Alain Gheerbrant décrit les fourmis « 24 h » comme servant à l’initiation des jeunes garçons, vers 12 ou 13 ans, lorsqu’ils veulent devenir des hommes. Le chamane réalise des plaques d’osier tressé entre les interstices duquel il serre des fourmis « 24 h ». Lors d’une cérémonie rituelle où tous absorbent beaucoup de chicha, cette bière de manioc fermenté, les adolescents sont fouettés par les hommes de la tribu puis, à demi ivres de douleur et d’alcool, soumis sur tout le corps à la piqûre de ces centaines de fourmis emprisonnées en plaque. Ils joignent ensuite leur hamac en titubant pour dormir le temps qu’il faut pour dissiper tout cela. Est-il plus résistant qu’un enfant qui a la volonté de devenir « grand » ? Je crois tout à fait possible une telle volonté, même pour un garçon des villes. Tout est affaire de circonstances et de contexte.

Un sentier de jungle serpente entre les troncs écroulés, les arbres, les lianes et les fourmilières. Il suit la rive de loin puis, à un moment, aboutit directement à de petites cascades sur la rivière. C’est là que nous nous baignons. Le jeu est de se mettre dessous et de recevoir sur nos épaules et sur la tête l’eau qui s’écoule avec force. Elle nous masse les muscles et tout le torse. Elle est de la même couleur qu’hier et aussi tiède. Le Japonais se met en lotus sous la cascade et des Allemands qui sont venus ce matin le prennent en photo. Une fois rentrés en Allemagne, le prendront-ils pour un sauvage ?

L’Indien qui nous guide nous montre, un peu plus en aval, des nodules de jade brut apportés par la rivière. Ils sont denses et assez purs. Le jade est une roche cristalline, métamorphique. Le Guatemala était le fournisseur des civilisations d’Amérique centrale.

Parmi les gadgets élaborés par les Indiens du coin, une sarbacane est à disposition pour l’essayer. Nous faisons un concours. C’est une sarbacane jouet pour les enfants, de 50 cm de long seulement, facilement transportable pour les touristes. Les flèches sont de longues épines, équilibrées d’un peu de coton à la queue. La cible est, à cinq mètres, un perroquet en bois de balsa. Il est étonnamment facile de viser avec une sarbacane et l’épine s’enfonce facilement dans le bois dur – dans la chair aussi, sans doute. Cette arme, silencieuse et légère, apparaît diablement efficace !

Adios au campamente. Nous prenons une longue pirogue pour retourner à l’aéroport. Deux gavroches locaux passent leur matinée à pêcher sur les bords, vêtus d’un slip réduit, le corps brun comme l’eau et les roches ; ils se fondent dans le paysage. L’école, cet après-midi, leur sera un supplice, il leur faudra quitter l’eau en pleine chaleur, enfiler un tee-shirt et des sandales, et aller s’asseoir pour apprendre des choses abstraites comme les chiffres ou les schémas. Je les plaindrais presque.

Avant la piste, nous faisons une halte obligatoire à la boutique de vente d’artisanat indien. Tout y est très cher, même pour nos références occidentales. Un plat en bois incrusté d’autres essences coûte par exemple 160 000 bolivars, soit près de 80 euros 2004. Tout est à l’avenant. Les commerçants « acceptent cartes bancaires et billets en dollar » (c’est écrit sur une pancarte) – mais pas encore en euro. Pourtant, le principal des touristes est composé d’Allemands et de Français, selon ce que nous disait hier Javier. Malgré les accents martiaux antiaméricains des Vénézuéliens chavistes, le dollar reste le dieu-roi, l’euro inspire toujours la méfiance, conduite par l’ignorance.

 

Catégories : Venezuela, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Caracas

Au sortir de l’aéroport de Caracas, la moiteur, la température et la pollution vous sautent – dans cet ordre – à la gorge. La ville, que l’on aborde en bus depuis l’aéroport international situé à l’écart, comprend 6 millions d’habitants en 2004 qui s’entassent entre des collines arides et habitent maisons de briques ou béton moderne. Les bidonvilles sont ici des « briquevilles » d’un  niveau de vie un peu supérieur dans la pauvreté. Briques et tôles ondulées ne coûtent pas cher et l’on bâtit soi-même pour suivre la croissance frénétique de la mégalopole. Dans les ruelles en pente entre ces bâtisses qui vont parfois jusqu’à comprendre un étage, courent des gamins bruns à moitiés nus. Sur 25 millions d’habitants en 2004, 31% ont moins de 14 ans et, s’il naît 2.36 enfants par femme (le double d’en France), il en meurt presque 24 pour 1000 (27 pour les garçons), ce qui fait chuter l’espérance de vie à la naissance. Les gens confondent souvent espérance d’atteindre un âge avancé et espérance de vie « à la naissance ». Car, une fois passés les premiers mois de la vie, qui dépendent fortement des conditions d’hygiène et des infrastructures médicales, la durée de vie est très proche au Venezuela et en Europe.

Une mosquée, entrevue au bord de l’autoroute, est un curieux bâtiment, rectangulaire comme un garage. Les bulbes et les minarets islamiques ne sont qu’évoqués en grillage fin de fil de fer ! Il y a pourtant 96% de catholiques romains au Venezuela et seulement 2% de non-chrétiens. Cette mosquée se tient en face de panneaux publicitaires à l’américaine. L’une d’elle est torride, présentant des fesses de femme en porte-jarretelles embrassées par un tout petit garçon blond – pour une compagnie d’assurance, je crois. Machisme hispanique et dévergondage à l’américaine font bon ménage face à l’islamisme rigoriste.

Le quartier des affaires est bâti d’étranges buildings en béton mat. La plupart sont sans style et brut de décoffrage mais d’autres tentent des essais d’architecture laborieux, plus scolaires qu’esthétiques. Le parc automobile est envahi de voitures américaines d’âge certain, par exemple une Ford Mustang au museau agressif ou de vieilles Chevrolet des années 80 pétaradant sourdement de leur 24 soupapes. Le Venezuela est devenu, depuis la découverte du pétrole dans les années 1920, une enclave américaine exploitée sans vergogne par Exxon et Shell et ne s’alimentant guère que de produits importés.

La nationalisation des hydrocarbures et la réforme agraire par Chavez ont à peine changé ces habitudes : les exportations sont à 88% du pétrole et des produits miniers ; les importations sont à 79% des produits manufacturés que le Venezuela est incapable de produire et que Chavez a délaissés ; les plus riches ont des 4×4 japonais noirs qui dévorent le pétrole. Peu importe, le pays en produit et en exporte largement. Javier nous apprendra qu’un litre de diesel coûte en 2004 50 bolivars au Venezuela – contre près de l’équivalent de 2400 bolivars en France. Il faut dire que nous avons près de 80% de taxes sur l’essence, même s’il y en a moins à l’époque sur le diesel – pourtant plus polluant – corporatisme camionneur oblige.

Le chauffeur de notre minibus (nous sommes répartis en deux véhicules), négocie le change tout en conduisant d’une main. Il offre 2400 bolivars pour 1 dollar US et 2600 bolivars seulement pour 1 euro. Il préfère manifestement le roi dollar, comme tous ici, puisque l’écart de change est de plus de 20% en faveur de l’euro, en ce moment, 1.24 dollar pour 1 euro pour être précis ! Si l’on prend 2400 bolivars pour 1 dollar, nous devrions avoir 2976 bolivars pour 1 euro. Méfiance pour des billets somme toute récents ? Peur des faux ? Moindre utilité au change ? Toute devise forte est bonne dans les pays de forte inflation, comme l’est le Venezuela depuis quelques années, mais la proximité du grand frère américain fait préférer le billet vert à toute autre devise. Cela dit, étant données les faibles sommes en jeu, je change 50 euros et cela me suffira pour l’ensemble du séjour, pourboires locaux compris.

Notre hôtel, l’Altamira, est situé dans le quartier aisé du même nom, avenidad San Juan Bosco. Il est protégé de hautes grilles d’acier aux barreaux de près de trois mètres surmontés de pointes. Un garde armé d’un fusil à pompe d’un demi-mètre de long surveille la seule porte. Il paraît que ces grilles ont été installées récemment, en raison des troubles récurrents au Venezuela depuis l’arrivée au pouvoir du président Chavez. Elles ont été montées miraculeusement avant les manifestations du mois dernier qui ont fait plusieurs morts dans la capitale. La chambre 501, au 5ème étage, est propre et spartiate. La fenêtre offre une vue plongeante sur une briqueville juste en-dessous, des boites rouges bien carrées au couvercle de zinc : une favela incongrue entre des immeubles d’un certain standing. Vers 18h30 montent du quartier des chants religieux. Ce n’est pas le muezzin mais d’authentiques hymnes catholiques d’une messe de samedi soir.

Javier sera notre guide local. Il est Vénézuélien et francophone, ayant passé un an en France, à Montpellier puis à Orléans. Il étudie la géophysique, il est en quatrième année et désire travailler sur les plateformes pétrolières quelque temps, une fois terminées ses études, « parce que cela paye bien ». Il exhibe en ce premier jour des pectoraux de lutteur moulés dans un tee-shirt kaki étroit et un visage métissé. Outre son grand-père d’origine espagnole des Canaries et sa grand-mère d’origine italienne, ses ascendances africaines ne font aucun doute et sa lèvre inférieure proéminente l’ont fait appeler « Sébastien » par les filles à la fac. C’est une référence qu’il nous explique : dans le dessin animé de Walt Disney, La Petite Sirène, le crabe Sébastien a pour caractéristique cette même lèvre inférieure proéminente. Dès lors, celui qui se destine à être le bouffon du groupe, se met à appeler notre guise systématiquement « Sébastien ». C’est plus facile à prononcer pour un gosier français que « Javier » qui ne se prononce pas ici « gzavier » mais « rhavier » et commence par un feulement de gorge difficile à émettre pour un gosier non familier de l’arabe, qui a donné cette lettre à l’Espagne. Après un intermède brouillon, dans lequel Javier nous explique qu’il nous fallait dès maintenant diviser nos sacs en deux, puis en trois, nous allons dîner au-dehors.

La Fogata del Pollo, tout près de l’hôtel, fait flamber le poulet comme son nom l’indique, mais sert aussi selon Javier « la meilleure viande de la ville ». Il y a du poulet et du bœuf, du poisson et des pâtes. Tout ce qui vient de la mer est déconseillé par notre guide étant donnée la pollution des côtes proches et le peu de fiabilité de la chaîne du froid jusqu’à la capitale. Nous mangerons du poisson dans le delta quand nous y serons. Le bœuf est produit en quantité dans les llanos de l’Apure, immenses savanes au sol sableux que le propriétaire visite en petit avion depuis son hacienda.

Des familles locales sont venues dîner. L’une d’elles, très étendue, fête un anniversaire. Des adolescentes métisses sont déjà plantureuses à 12 ou 13 ans, leur poitrine bien formée débordant de leurs caracos serrés, selon la mode véhiculée par la télévision. Elles nous jettent des regards aguicheurs sans le vouloir, mélange de curiosité et d’avidité, déjà femelles mimant les stars de feuilletons. Restes de mœurs latines, elles aiment à porter les bébés et à jouer avec les tout-petits.

Moi qui ne mange que rarement du bœuf, pour cause de « folie » et d’un certain écœurement pour la viande rouge passé 40 ans, je prends ici un lomito de bœuf, un pavé épais, grillé à point et fort tendre. Il est servi sur sa planche en bois comme au Far West. Des patates frites, des bananes frites et des racines de manioc bouillies – appelées ici yuca – sont servies comme accompagnement dans des plats à part. Cela sert de pain. La bière locale est la Polar. La variété Solar est « la meilleure du pays » selon Javier. Comme elle est « chère » pour le standard local – 50 centimes d’euro – elle n’est vendue qu’en « quarts » de 18 cl. Nous goûtons également tous ensemble une bouteille de vin rouge chilien vieux de trois ans, l’année 2001. Il est rude, puissant, deux fois plus cher que la bière, mais sa saveur va mieux à la viande.

 

Catégories : Venezuela, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,