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Il y a un an, l’invasion de l’Ukraine par Poutine

Le 24 février 2022, le président russe Vladimir Poutine a ordonné l’invasion de l’Ukraine sous la forme d’une « opération spéciale ». Il n’a pas employé le terme de « guerre », qui faisait trop agressif pour les pays de l’ONU, mais a présenté cette soi-disant promenade de santé de son armée comme une remise en ordre d’un département de la Russie – tout comme les Français l’ont fait pour la « guerre » d’Algérie. Il ne pouvait y avoir de guerre, disait le ministre de l’Intérieur du gouvernement Mendès France en 1954 – puisque l’Algérie était alors un département français ! Ce ministre était François Mitterrand, opposé à l’indépendance du territoire algérien.

L’invasion poutinienne s’est faite depuis la Russie, l’Etat fantoche de Biélorussie et des territoires ukrainiens occupés par les Russes depuis la guerre de 2014, Crimée et « républiques populaires » autoproclamées de Donetsk et de Lougansk. Que Poutine s’empressera très vite de « rattacher » à la Fédération de Russie par un vote des godillots de sa Douma pour en faire une patrie russe – susceptible, au cas où, de « justifier » le recours aux armes de destruction massive : qui envahit le territoire national peut se voir opposer les armes nucléaires.

On a dit que cette invasion n’était pas une agression mais une « juste » riposte au soi-disant avancées de l’OTAN. Mais c’est croire sans vérifier la propagande du Kremlin. Un numéro spécial de la revue L’Histoire, de février 2023, fait justement le point, en historien, sur la question. Il déconstruit les fausses vérités de Poutine et de ses sbires qui font, de leurs fantasmes une croyance à prendre ou à laisser – sur l’exemple stalinien que le père Joseph a piqué au nazi Goebbels. Quiconque est citoyen russe et refuse de croire ce mythe, se voit aussitôt, de par la loi, taxé d’antipatriotisme, de menace pour la sécurité de l’État, d’être agent de l’étranger ou carrément « espion de la CIA ». Toutes les vieilles ficelles staliniennes reprises en bloc et sans vergogne – quiconque résiste est un terroriste.

Nicolas Werth, spécialiste de la Russie depuis l’Union soviétique, directeur de recherche honoraire au CNRS, décrit très bien le « nouveau roman national poutinien ». Il s’agit pour Poutine de rejouer la « Grande guerre patriotique » qui a opposé l’URSS à l’Allemagne nazie. Il s’agirait d’une « cause sacrée », pour réaffirmer l’identité russe et l’opposer globalement à tout ce qui est non–russe – traitant ainsi l’Occident tout entier de « nazi ». Comme les Ukrainiens penchent vers le mode de vie européen, ses libertés de pensée, de s’exprimer, d’aller et venir, de travailler et de consommer, ils seraient donc « nazis » – CQFD. Car Poutine « fait de l’anti nazisme une sorte d’ADN du peuple russe ». Le reste de l’Europe se serait fort bien accommodé de l’occupation allemande durant la dernière guerre…

C’était peut-être vrai sous Pétain, encore que le nazisme ait peu de choses à voir avec le conservatisme catholique du vieux maréchal, et que la résistance s’est quand même organisée, et pas seulement à Londres mais dans tous les pays occupés jusqu’en Allemagne même. Mais ces vérités historique ne sont pas du goût de Poutine et il les ignore volontairement. Selon Nicolas Werth, son idéologie n’est guère qu’un « anti-occidentalisme sous-jacent, qui reprend les vieux clichés du slavophilisme le plus rétrograde XIXe siècle sur la « décadence », « l’absence de principe » et la « perversion » de l’Occident ».

L’historien rappelle que, s’il y a eu deux organisations ukrainiennes proches des nazis durant la dernière guerre, c’était une minorité, et qu’elles ont principalement sévi « dans les années 1945–1948, lorsque les partisans de l’OUN (organisation des nationalistes ukrainiens) et de l’UPA (armée insurrectionnelle ukrainienne) ont opposé une farouche résistance à la soviétisation de ces confins occidentaux de l’Ukraine. » Il rappelle aussi que « au cours de cette sale guerre, un demi-million de personnes furent tuées, déportées ou envoyées dans les camps de travail forcé du goulag ». Merci à la Russie, pays frère !

Poutine veut faire croire qu’il est le successeur des tsars et du rassembleur Staline. Nicolas Werth analyse : « le nouveau récit national promu par le régime poutinien propose en effet un étonnant (détonnant !) syncrétisme entre le passé tsariste et l’expérience soviétique, une expérience débarrassée de ses oripeaux communistes, « décommunisée ». La réconciliation entre ces deux périodes antagonistes se fait autour de la glorification d’une « Grande Russie éternelle » et d’un Etat fort capable de défendre le pays contre des puissances étrangères toujours menaçantes. Inscrite dans la longue durée de la lutte de la Russie contre ses ennemis, la Grande guerre patriotique devient, dans sa dimension épique, l’apothéose de toute l’histoire russe, la clé de voûte du nouveau récit national. » Il s’agit bien d’un mythe, agité pour rassembler la Nation en forteresse assiégée autour de son chef, le dictateur et bientôt génial Poutine.

Mais, explique l’historien, « cette victoire héroïque, remportée par le peuple russe, guidé par Staline, justifie et efface la violence de la collectivisation des campagnes, des famines du début des années 1930, des répressions de masse de la grande terreur de 1937–1938 et des camps de travail forcé du goulag. » Foin du passé, regardons l’avenir : la violence est consubstantielle au peuple russe, elle a forgé la nation – donc les exactions des soldats en Ukraine sont justifiées par l’intérêt supérieur du peuple russe (on disait « la race » du temps de Hitler mais cela aboutit bien aux mêmes conséquences). Pour Poutine, la révolution de 1917 et la guerre civile qui a suivi, a divisé et affaibli la nation. La politique des nationalités de Lénine a cassé la nation russe en trois peuples slaves distingués artificiellement, les Russes, les Biélorusses et les Ukrainiens. Il s’agit aujourd’hui, selon le nouveau tyran, de rassembler tous ces peuples dans un seul, tout comme Hitler l’a fait dans les années 1930 avec l’Anschluss autrichien, l’invasion de la Tchécoslovaquie et l’annexion d’une part de la Pologne ainsi que de l’Alsace-Lorraine. Il s’agissait là aussi de rassembler tout le peuple allemand.

Comme, évidemment, cette belle histoire sous forme de légende n’a rien d’historique, le renforcement de la propagande d’État s’est mué en persécution croissante des historiens, à commencer par la société Memorial qui voulait, depuis 1989, perpétuer la mémoire des répressions soviétiques. Ce sont désormais les historiens, les journalistes, les membres d’O.N.G., qui sont visés par les lois successives concernant « les déclarations diffamatoires ou dénigrantes » la comparaison entre « les buts et les actions de l’URSS et de l’Allemagne nazie ». Arrestations, poursuites judiciaires, campagnes publiques de dénigrement, intimidations, assassinats, sont les divers moyens utilisés par le pouvoir poutinien pour réprimer la liberté de chercher et de s’exprimer afin d’imposer la seule vérité officielle qui fait office de religion.

Il s’agit en effet de foi et non pas d’histoire, de croyance et non de science, de mensonges et non de politique. Quiconque croit les bobards du Kremlin n’est pas un historien, ni un penseur libre, ni même un citoyen patriote soucieux de préserver légitimement sa nation – mais un croyant en la religion de Poutine. Aucun argument rationnel n’est susceptible de faire évoluer une croyance. Ce pourquoi les complotistes français ou européens ne croiront pas les historiens, et ce pourquoi nous, qui connaissons les méthodes scientifiques du métier et avons étudié depuis près d’un demi-siècle la Russie et sa variante soviétique, pouvons déconstruire les mensonges du Kremlin.

Il s’agit donc, encore et toujours, de résister à la tyrannie. Comme du temps des nazis, résister signifie ne pas se soumettre au diktat physique (d’où la résistance armée des Ukrainiens), mais aussi de résister aux légendes forgées de toutes pièces et aux belles histoires moins « patriotiques » que nationalistes et xénophobes.

Ce numéro de la revue L’Histoire, plongé dans l’actualité la plus brûlante, contient divers articles sur la grande famine imposée par Staline à l’Ukraine, sur la fondation de Kiev par les vikings, sur la Crimée au carrefour des empires en 1750, sur la notion de crime de guerre, sur l’armée russe en colosse aux pieds d’argile, sur la mer Noire comme visée constante de la Russie depuis le XVIIIe siècle, sur l’exemple de résistance de la Finlande en 1939, sur les nouvelles règles de la guerre, et sur la politique de la violence instaurée par la Russie qui consiste au viol de guerre et à russifier les enfants enlevés.

Au bout de cette année de guerre, vous serez ainsi beaucoup mieux informés.

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Gilbert Cesbron, C’est Mozart qu’on assassine

L’époque était au divorce, fort à la mode dans le mouvement d’émancipation des femmes ; Gilbert Cesbron en saisit l’essence au travers de l’enfant, le petit Martin de 7 ans. Il est déchiré entre ses deux parents, ayant autant d’amour pour l’une comme pour l’autre, la première parce qu’elle est un nid, le second parce qu’il apprend la vie. Les années soixante d’optimisme à tout crin et d’essor de la consommation, était à l’individualisme ; le plus forcené arrivera dans les années 1980 sur le modèle trader des Yankees – qu’on se souvienne des affairistes socialistes au pouvoir sous Mitterrand ! Mais les rôles sexués des parents de Martin étaient ceux de la génération d’avant : l’homme au travail et la femme à la maison.

Agnès est gosse de riches ; elle n’a jamais eu à s’en faire pour faire quoi que ce soit, ni à compter l’argent : son père a tout fait pour elle, fille unique. Marc est fils de médecin provincial, il a commencé des études de médecine pour suivre la tradition familiale puis a secoué le joug du père par l’offre de son beau-père de l’associer à son affaire – où il a appris les règles et est devenu patron. Saisi par le démon de midi, à la quarantaine (cela commençait plus tôt en ces années soixante où l’espérance de vie était moindre), il baise avec délices une Marion qui se meurt pour lui, ce qui le flatte. Car chacun joue un rôle dans la société, chacun se met en représentation par le costume, le maquillage, l’attitude. Il n’y a que l’enfant qui soit brut de naturel – et ne comprend pas comment les adultes peuvent se changer en personnages différents.

C’est tout l’art de Cesbron de se glisser durant neuf mois dans la peau fine d’un petit garçon de 7 puis 8 ans, de voir le monde à sa hauteur et les adultes par ses yeux. Et ce n’est pas joli. Son père l’oublie, bien qu’il l’aime ; sa mère est incapable de s’occuper de lui, bien qu’elle l’ait en elle, charnellement ; son parrain préfère briller devant ses maîtresses plutôt que de s’occuper de son filleul esseulé, et se contente de lui offrir des gadgets. C’est que l’enfant n’est pas encore considéré comme une personne, ce pourquoi Françoise Dolto à son époque insistera tant dans toutes ses émissions radiophoniques sur ce sujet. L’enfant « ne peut pas comprendre » ; « l’enfant s’adapte à tout » ; « l’enfant croit ce qu’on lui dit de croire ». Il n’en est rien. L’enfant n’est pas un objet que l’on pose ici ou là ou que l’on range dans un coin : l’enfant est une personne qui demande attention et amour, protection et enseignement.

Les avocats s’amusent aux divorces, ils poussent les uns contre les autres et en font une affaire d’ego. Celui du mâle cabotine et prêche, il est retord ; celle de la femelle se raidit de féminisme et incite à aucun compromis. Il n’y a que Martin qui n’aie pas d’avocat, pas même le juge car « l’intérêt de l’enfant » n’existe pas encore dans les mentalités. La garde est donc partagée tous les trois mois avec avantage à la mère.

Mais comme celle-ci part en « cure de sommeil » sous médicaments parce que son petit ego d’épouse a été malmené et parce que c’est elle qui a demandé le divorce après avoir mandaté un détective privé pour prendre en flagrant délit son mari et sa maîtresse, elle ne peut garder Martin. On inverse alors les périodes et c’est Marc qui en a la garde en premier. Mais il est pris par ses affaires et ne peut s’occuper d’un enfant ; il le confie donc à son père, le docteur de Sérigny, qui ne sait pas trop apprivoiser un jeune garçon qu’il a très peu vu. Marin écrit donc des lettres à sa mère pour lui dire qu’il l’aime et pour lui montrer qu’il ne serait heureux qu’avec elle et son père. L’avocate, informée, fait reprendre Martin pour le placer chez l’ancienne nourrice d’Agnès. Mais elle vit dans une masure sans eau ni électricité, à la campagne, et l’école du village rejette le Parisien et le Riche, coiffé « en fille » avec ses cheveux un peu longs à la mode des années Beatles. Son père, qui vient le voir en coup de vent, s’aperçoit de l’indigence et, comme la vieille refuse la modernité qu’il est prêt à payer pour que son fils vive décemment, le reprend aussitôt – pour le confier à son parrain Alain. Lequel, célibataire, ne sait pas ce qu’est un enfant et, ancien commando qui aime l’action, n’a aucun goût de se mettre à sa portée.

Martin, abandonné tout un week-end, fugue. Il veut rejoindre Zélie la petite copine de son âge, dans le village de la nounou où il a été heureux d’aimer, mais se trompe de Châtillon et se perd dans Paris. Branle-bas des parents et du parrain pour le retrouver. Ce n’est que deux jours plus tard, n’ayant nulle part où aller parce qu’il ne se souvient pas des adresses, qu’il retrouve celle de la maîtresse de son père sur un papier dans sa poche. Il s’y rend et Marion l’accueille, prévient non son père mais son parrain qui vient le chercher et le rendre à sa famille. Marion a compris que l’enfant était l’Obstacle à la rupture de Marc et d’Agnès – et elle renonce. Elle ne veut pas briser Martin, qui montre son besoin de ses deux parents.

Notre époque a moins de conscience et chacun des parents, de son côté, est plus égoïste. Ce sont les enfants qui trinquent mais « ils ne peuvent pas comprendre, ils s’adaptent à tout, ils croient ce qu’on leur dit de croire ». La bonne conscience ne recule jamais devant des mensonges consolants.

Un bon roman psychologique plein d’émotion, au ras d’enfant.

Gilbert Cesbron, C’est Mozart qu’on assassine, 1966, J’ai lu 2001, 307 pages, €3,66 e-book Kindle €5,99

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La vérité nue d’Atom Egoyan

En 1959 Lanny et Vince, deux bateleurs de télé, défoncent le téléthon par trente-neuf heures de show  d’affilée pour récolter des fonds. Une très jeune fille vient témoigner de sa guérison de la polio grâce à l’argent régulièrement récolté et les remercie en scène. Mais, dès le lendemain, les deux se séparent. Une fille employée d’un hôtel de Miami a été trouvée nue dans la baignoire de leur salle de bain dans un palace mafieux d’un palace du New Jersey. Ils sont arrivés ensembles, ont des témoins lors de la découverte, et le crime ne leur est pas imputé – mais qui a tué la pute ?

Une fois adulte en 1972, Karen (Alison Lohman), la très jeune fille ex-tuberculeuse est devenue journaliste et décide, après quelques prix, de faire un livre sur ses deux idoles, Lanny (Kevin Bacon) et Vince (Colin Firth), le comique juif new-yorkais insolent et salace, balancé par la mesure de son partenaire distingué et policé. Karen achoppe tout de suite sur l’énigme : qui a tué la pute (Rachel Blanchard) ? D’ailleurs, était-elle pute ? Elle s’appelait Maureen, terminait ses études et effectuait un job d’été ; elle voulait devenir journaliste.

Le shérif a expédié l’affaire en cinq sec, sous le regard du caïd du coin qui trouve le scandale mauvais pour les affaires et pour l’inauguration de son palace « Versailles », flambant neuf de luxe clinquant. Aussi bien Lanny que Vince, contactés, éludent ; ils ne veulent pas en parler, l’affaire est close. Dans les années soixante, à l’apogée d’Hollywood, tout ce qui touchait à la vie privée des stars était tabou ; les affaires étaient étouffées par consensus. Seules les années soixante-dix, avec les non-dits sur l’assassinat de Kennedy, les mensonges sur le Vietnam et l’affaire Nixon Watergate, ont porté « la vérité » au pinacle.

De quoi piquer la curiosité de la journaliste, anti-macho et curieuse comme une jeune chatte. Elle s’impliquera jusqu’au « bout », ose-t-on dire, dans l’élucidation de cette énigme de la mort d’une jeune femme toutes portes fermées alors que chacun jure qu’il n’a rien fait. Parce qu’évidemment, la fille ne s’est pas noyée en prenant un bain, et pas toute seule. Reuben, le majordome de Lanny le sait (David Hayman) ; il a même une bande (enregistrée).

Difficile d’aller plus loin sans en dire trop car c’est une suite d’allers et retours du présent au passé, savamment montée pour distiller le suspense. Pour moi, une grande réussite ! Le film est l’adaptation du roman de l’américano-britannique Rupert Holmes (David Goldstein), La vérité du mensonge, version romancée publiée en 2003 de son duo Rupert Holmes/Ron Dante, musiciens de session jusqu’en 1969.

Un thriller (érotique) à l’ancienne où rien ne manque, ni les filles à poil (deux mecs aussi pour faire bon poids), ni la fascination du désir de chacun pour chacun, ni les complications psychologiques, ni les obstacles à la vérité. Pour un journaliste, lorsque la vérité ment (le titre du film en anglais), toute une histoire véridique est à recréer. Une heure et demie, ou presque, de délice pour adultes et adolescents. Les scènes érotiques n’ont rien de trash et sont plutôt comiques.

DVD La vérité nue (Where the Truth Lies), Atom Egoyan, 2005, avec Kevin Bacon, Colin Firth, Alison Lohman, Rachel Blanchard, David Hayman, Beau Starr, TF1 Studios 2006, 1h47, €16,99

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Julien Arbois, Petits et grands mensonges de l’Histoire de France

L’histoire non seulement est écrite par les vainqueurs mais aussi par ceux qui veulent galvaniser leurs troupes. L’auteur, historien, permet de séparer le bon grain de l’ivresse (comme dirait le populo), des Celtes jusqu’à François Mitterrand. En moins de 300 pages et 55 chapitres, l’honnête homme (s’il en reste) comme l’étudiant et l’historien pourrons en savoir un peu plus sur les mystères de l’histoire de France.

Ainsi, de plus en plus de monde sait que les Gaulois n’ont pas construit les dolmens, contrairement à ce qui est dit dans Astérix, ni que ceux-ci servaient à des sacrifices humains, comme on le croyait encore au XIXe siècle. Peu de gens savent aussi que Vercingétorix était un ami de Jules César avant de le combattre, ni que le fameux vase de Soissons ne fut non seulement jamais brisé mais de plus venait de Reims. Le roi Dagobert ne mettait pas sa culotte à l’envers et n’était pas le premier des rois fainéants. Charlemagne n’a pas eu non plus cette idée (folle) d’inventer l’école ni de punir les fils de nobles trop fainéants.

Les mensonges anciens sont de belles histoires que l’on conte encore dans les manuels du primaire, mais les fausses vérités plus récentes n’en sont pas moins d’autres belles histoires inventées pour faire croire. Molière n’est pas mort sur scène mais dans son lit et bien après avoir terminé la présentation de la pièce Le malade imaginaire. Louis XIV a bel et bien eu un ou plusieurs enfants noirs et la fameuse bataille de Valmy est loin d’être un miracle mais l’effet d’une corruption secrète entre la République et les assaillants. Quant à Cambronne, a-t-il vraiment prononcé « le » mot à Waterloo ?

Victor Hugo surtout a su écrire lui-même sa légende et rien de ce qu’il déclare n’est vérifié. Enflé comme il l’était, beaucoup plus conformiste qu’il n’a voulu l’avouer, il est conservateur avant d’être romantique, monarchiste avant d’être bonapartiste puis de virer casaque républicain contre Napoléon le Petit, exilé volontaire et absolument jamais banni comme il s’en glorifie.

Les taxis de la Marne, si célèbres en 1914, n’ont guère transporté que 7000 soldats sur les 150 000 du front lors d’interminables voyages cahotants à 25 km/h. Et Charles De Gaulle n’a été général qu’à titre provisoire et jamais confirmé. Quant à François Mitterrand, il a toujours ménagé la chèvre et le chou durant l’Occupation, volontiers vichyste jusqu’à réclamer la francisque des mains du maréchal Pétain avec l’aide de deux parrains membres de la Cagoule, avant d’aider la Résistance lorsqu’il a senti le vent tourner en 1943. Il fustige en 1936 dans un article de L’Echo de Paris la « tour de Babel » du quartier latin et sa population de métèques, il entre début 1942 à la Légion française des combattants volontaires de la Révolution nationale de Vichy avant d’être chargé des relations avec la presse par ce même gouvernement. Et il ne cessera durant ses mandats de faire fleurir la tombe du maréchal Pétain.

Il y aurait d’autres chapitres de la légende de l’histoire à écrire, comme quoi le storytelling n’est pas une invention récente mais a toujours aidé les gouvernants à magnifier leur camp et a célébrer leurs héros. Ce n’est qu’assez récemment, au fond, que l’exigence de vérité, due à l’essor de la pensée scientifique, délaisse les contes pour les réalités et somme les historiens de changer de registre.

Julien Arbois, Petits et grands mensonges de l’Histoire de France, 2015, Pocket 2016, 278 pages, €6.80 e-book Kindle €13.99

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Poutine-Hitler même Kampf

Le parallèle entre l’action d’Hitler et celle de Poutine me semble ressortir du mimétisme. Le kaguébiste empli de la grandeur de la sainte mère Russie, selon lui Troisième Rome de notre temps, est proche du messianisme délirant sur la « race » aryenne établie en grande Allemagne pour un règne de « mille ans ».

Cela dès le départ :

  • Tous deux sont possédés par « la patrie » au point d’en faire une terre de mission avec « espace vital » et glacis d’Etats tampons.
  • Tous deux sont obsédés d’idéologie, pliant les faits à leur volonté, parfois audacieux mais souvent aveugles aux réalités des faits.
  • Tous deux méprisent la démocratie, ce régime faible de parlotes où les médiocres prolifèrent.
  • Tous deux vénèrent la force et agissent en cyniques, manipulant les masses et maniant le mensonge par tactique. Tout est bon pour réussir, même le pire.
  • Poutine commence à 46 ans en faisant fomenter plusieurs attentats dans la banlieue de Moscou qui tuent trois cents civils en septembre 1999 ; Hitler est nommé chancelier à 44 ans et fait incendier dans la foulée le Reichstag tout en ouvrant le premier camp de concentration de Dachau.
  • Poutine débute la guerre en Tchétchénie et l’asservit par une occupation suivie d’un régime à la botte. Cette violence crue de gamin des rues plaît aux Russes assez frustes ; la popularité de Poutine augmente, tout comme celle d’Hitler après chaque meeting aux affrontements sanglants des SA. Comme si la violence légitimait la foi, la rendait « de nature ».
  • Une fois au pouvoir, Poutine comme Hitler mettent au pas les puissants qui croyaient avoir placé une marionnette aux fonctions suprêmes. C’est le cas des gros industriels pour Hitler, c’est le cas des oligarques pour Poutine. La plupart des grands médias passent aux mains amies, permettant à la propagande d’asséner l’idéologie.
  • Les puissants politiciens ou industriels en opposition sont tués ou emprisonnés, lors de la Nuit des longs couteaux d’Hitler ou lors des empoisonnements, « suicides » ou balles dans la tête de Poutine.

Dès 2007 Poutine assume sa guerre contre le reste du monde. La Russie est une grande puissance affaiblie par les traités de 1991, les autres en profitent et notamment les Etats-Unis qui veulent dominer le monde. « L’Union soviétique à la fin des années 80 du siècle dernier s’est affaiblie, puis s’est complètement effondrée », déclare Poutine dans son discours du 24 février 2022 publié par l’agence officielle Tass. Hitler a fait de même : l’Allemagne, grande puissance affaiblie par le traité de Versailles, est asservie aux puissances alliées, les États-Unis en tête. Elle doit se réarmer et redresser la tête : ce que fait Hitler, ce que fait Poutine. Accuser les autres de ses propres travers est le b-a ba de la manipulation : la guerre, c’est la paix ; la liberté, c’est l’esclavage ; l’ignorance, c’est la puissance. C’est Orwell 1984, c’est Hitler, c’est Staline, c’est Poutine. « Qui contrôle le passé contrôle le futur (…) qui contrôle le présent contrôle le passé ». D’où l’asservissement des médias et les « procès » contre ceux restés indépendants, l’interdiction de financements étrangers, la relecture des manuels scolaires et la réécriture de l’histoire dans le sens voulu. Poutine-Hitler, même combat.

Certes, les États-Unis ont exporté la guerre et Poutine le détaille dans son discours de revanche. En Afghanistan (mais il était le foyer du terroriste international Ben Laden, coupable des quelques 3000 morts des attentats du 11-Septembre), en Irak (mais Saddam Hussein avait tenté de faire assassiner le président des États-Unis), en Syrie (mais des armes chimiques, en violation des traités, avaient été utilisées par le régime et Bachar el-Hassad avait relâché exprès une myriade d’islamistes terroristes dangereux de ses prisons). Poutine ne dit rien de l’invasion soviétique (russe) de l’Afghanistan, ni de la mise au pas de la Hongrie en 1956, de la Tchécoslovaquie par les chars en 1968, de l’asservissement de la Pologne avec le général Jaruzelski en 1981, de la guerre en Géorgie en 2008. Il ne parle que de ce qui l’arrange. Son idée-force est vieille comme la Russie : la paranoïa de l’encerclement, la forteresse assiégée – tout comme l’Allemagne sous Hitler. « L’importance territoriale proprement dite d’un Etat est ainsi, à elle seule, un facteur du maintien de la liberté et de l’indépendance d’un peuple ; tandis que l’exiguïté territoriale provoque l’invasion », écrivait Hitler dans Mein Kampf. D’où la grande respiration exigée du Lebensraum, de l’espace vital nécessaire au peuple aryen-allemand pour se sentir en sécurité et avec les ressources naturelles nécessaires. Poutine recherche lui aussi un glacis contre « l’OTAN », comme si l’adhésion demandée par les ex-États du pacte de Varsovie était un machiavélisme américain et non pas une peur de la Russie par des États trop longtemps sous son joug. « Agrandir l’espace vital et assurer la subsistance du peuple russe », justifie-t-il – comme Hitler.

La Russie est fondamentalement européenne mais Poutine ne veut pas le savoir. Il se croit encore une puissance mondiale avec ses 142 millions d’habitants (moins que le Brésil aujourd’hui, autant que la Tanzanie ou les Philippines dans trente ans) alors qu’il n’est qu’un pays déclinant, au PIB proche de celui de l’Australie et du Brésil, face à une Chine conquérante, avançant – elle – à marche forcée vers le progrès et la puissance économique. Que sera la Sibérie (10 millions d’habitants seulement) dans quelques décennies, face à une Chine d’1,4 milliard d’habitants avides de matières premières et de territoires neufs ? Se rapprocher de l’Europe aurait du sens stratégique, pas de la Chine qui avalera sa proie sans sourciller – question de masse et de puissance. Il est étonnant qu’un adepte des rapports de forces comme Poutine ait ce genre de raisonnement de petit garçon vantard en cour de récré. Dans la théorie marxiste, le fascisme est la réaction des classes dirigeantes lorsqu’elles se sentent menacées ; un raidissement policier, moral et militaire pour faire front au changement. Poutine a été élevé par la théorie marxiste, il obéit à ce qu’il croit une loi de l’Histoire, son autoritarisme de réaction en témoigne.

Parce qu’il y a pour lui autre chose, de plus fondamental.

« En fait, jusqu’à récemment, les tentatives de nous utiliser dans leurs intérêts, de détruire nos valeurs traditionnelles et de nous imposer leurs pseudo-valeurs, qui nous rongeraient, nous, notre peuple, de l’intérieur, ces attitudes qu’ils imposent déjà agressivement dans leurs pays et qui mènent directement à la dégradation et à la dégénérescence, car elles sont contraires à la nature humaine elle-même, n’ont pas cessé », déclare encore Poutine dans son discours du 24 février. Il accuse l’Occident de véhiculer des valeurs de dérision, de pornographie, de perversion des mœurs, de changements de sexe, d’avortements de convenance, de métissage racial – tout ce que dénoncent en France Zemmour, aux Etats-Unis Trump, en Hongrie Orban, et hier Hitler dans la République de Weimar comme dans l’empire austro-hongrois. La Russie de Poutine comme les réactionnaires occidentaux sont revenus à la mentalité catholique bourgeoise de 1857 du procès contre Madame Bovary, avant celui contre Les Fleurs du mal. Il était reproché « l’immoralité » d’exposer des faits réalistes sans personnage ni auteur pour les juger. En effet, la démocratie demande à chacun d’être juge, pas à l’Eglise ni à l’Etat : c’est cela, la liberté.

Mais ce qui est débat démocratique chez nous (environ un tiers des Français sont d’accord avec la droite extrême aujourd’hui) est blasphème chez lui : il ne discute pas, il interdit. Comme Hitler dans Mein Kampf : « Il ne s’offrira donc dans l’avenir que deux possibilités : ou bien le monde sera régi par les conceptions de notre démocratie moderne, et alors la balance penchera en faveur des races numériquement les plus fortes ; ou bien le monde sera régi suivant les lois naturelles : alors vaincront les peuples à volonté brutale, et non ceux qui auront pratiqué la limitation volontaire ». Poutine ne se sent pas « européen » dans ce sens-là des libertés. Il fait siens les propos d’Hitler dans son livre de combat : « plus le véritable chef se retirera d’une activité politique, qui, dans la plupart des cas, consistera moins en créations et en travail féconds qu’en marchandages divers pour gagner la faveur de la majorité, plus la nature même de cette activité politique conviendra aux esprits mesquins et par suite les captivera ». Il veut guider le peuple comme le chef charismatique qu’il se croit après 22 ans de pouvoir sans partage : un Führer, un Petit père des peuples, un Grand timonier, surtout pas lui laisser la liberté, ni la responsabilité qui va avec.

Lorsqu’il déclare « Au cœur de notre politique se trouve la liberté, la liberté de choix pour tous de décider de manière indépendante de leur avenir et de l’avenir de leurs enfants », ce n’est rien moins qu’Hitler réclamant la liberté pour « la race » de vivre selon sa force et de s’épanouir sans contraintes… sous le régime du Guide. Les opposants sont des malades mentaux, des inconscients, des pervertis, des « espions de l’étranger ». En bref : la liberté, c’est l’esclavage. N’expose-t-il pas, Poutine, que « le bien-être, l’existence même d’États et de peuples entiers, leur succès et leur vitalité trouvent toujours leur origine dans le puissant système racine de leur culture et de leurs valeurs, de l’expérience et des traditions de leurs ancêtres et, bien sûr, dépendent directement de la capacité de s’adapter rapidement à une vie en constante évolution, de la cohésion de la société, de sa volonté de se consolider, de rassembler toutes les forces pour aller de l’avant » ? Adolf Hitler dans Mein Kampf écrivait : «  Qu’on élève le peuple allemand dès sa jeunesse à reconnaître exclusivement les droits de sa propre race; qu’on n’empoisonne point les cœurs des enfants par notre maudite « objectivité » dans les questions qui ont trait à la défense de notre personnalité ». Ein Volk ! Ein Reich ! Ein Führer ! En Allemagne hier comme en Russie aujourd’hui.

En ce sens, l’allusion à « une anti-Russie » dans le discours vise moins à la sécurité militaire qu’au mauvais exemple donné par les libertés à l’occidentale. La Russie de Poutine ne veut pas être contaminée par les contestations « démocratiques » – ce pourquoi on empoisonne, on emprisonne, on interdit l’ONG Memorial qui documentait les crimes soviétiques, on accuse de « pédophilie » ou de malversations financières tous les opposants aux pseudo « élections ». C’est que la démocratie autocratique n’a rien de la démocratie : le peuple ne décide pas, il se contente d’acquiescer et de faire comme on lui dit. Il s’agit clairement d’une tyrannie : selon Aristote, la tyrannie est lorsque « le pouvoir politique est entre les mains d’une seule personne cherchant son propre bien ou celui de sa famille ». Le chaos démocratique des opinions contradictoires qui se percutent et négocient un compromis majoritaire n’est pas dans l’ADN du Kremlin et, depuis la révolution orange de 2004 puis les manifestations de Maidan de 2014, l’Ukraine prenait la pente européenne des démocraties – un danger suprême pour le pouvoir de Poutine ! Le mauvais exemple d’un pays-frère qui pourrait faire tache d’huile à la Navalny (Ukrainien par son père).

Dès lors, le mécanisme à l’hitlérienne de l’invasion est planifié.

Comme dans les Sudètes où une présence allemande avait fait « appeler » la Grande Allemagne au secours pour réunifier le peuple germanophone de Tchécoslovaquie, « les républiques populaires du Donbass ont demandé l’aide de la Russie », dit Poutine dans son discours. Elles servent de base et de prétexte contre « des abus et à un génocide par le régime de Kiev ». Cela après l’annexion manu militari de la Crimée considérée comme historiquement russe (comme Hitler fit de la Sarre et de l’Autriche). C’est une politique internationale analogue à celle des SA dans la rue ; une politique que le très jeune Vladimir a pratiqué dans les rues de Leningrad avant d’être repris en main à 16 ans par un « bienfaiteur ». Les négociations « à Munich » rappellent celles d’Hitler (quelle bourde de la diplomatie allemande ou européenne que d’avoir fixé à Munich ces pseudo-négociations avec Poutine ! Les technocrates n’ont-ils aucune notion du symbole?). Négocier ne signifie d’ailleurs pas grand-chose pour les Hitler ou Poutine : « ce qui est à moi est à moi, ce qui est à vous est négociable », disait-on du temps de l’URSS. Staline l’avait appris d’Hitler et Poutine le reprend à son compte. Le protectorat hier de Bohème-Moravie veut se transformer aujourd’hui sous Poutine en protectorat d’Ukraine-Moldavie.

Pour cela, accuser les autres, les ennemis, de « génocide », de « nazisme ». Le président juif Zelenski de l’Ukraine ne fait pas un nazi crédible, il serait plus du côté des cabarets de la République de Weimar lorsqu’il joue du piano avec sa bite (pour les puritains religieux horrifiés, il s’agit d’une illusion comique – on ne voit aucun sexe). L’injure « hitléro-fasciste », comme le rappelle le trotskiste Alain Krivine récemment disparu, est l’anathème favori des staliniens – il ne recouvre rien d’autre que la haine absolue contre ce qui représente l’antiparti, la lutte à mort. Lorsque l’armée de Poutine rase sous les bombes la maternité de la ville (russophone) de Marioupol (comme à Grozny en Tchétchénie, comme à Alep en Syrie), est-ce pour éradiquer les bébés nazis ? A chaque fois les frappes russes visent intentionnellement les populations civiles, les hôpitaux et les secours – y compris les convois humanitaires ; c’est une tactique de terreur volontaire. Vous ne vivrez que si vous vous soumettez, sinon on empilera vos têtes comme le fit Gengis Khan.  

Lorsque Poutine évoque dans son discours « les bandes punitives des nationalistes ukrainiens, collaborateurs d’Hitler pendant la Grande Guerre patriotique, [qui] ont tué des gens sans défense », on dirait qu’il parle de ses propres bandes armées lorsqu’elles envahissent l’Ukraine. Comme toujours, accuser les autres du mal qu’on fait est la base de la manipulation. Un mot sur les « nazis » ukrainiens : ils existent mais ont peu de chose à voir avec ceux d’Hitler. Une milice privée nationaliste analogue au groupe russe Wagner s’est créée en 2014 après le séparatisme du Donbass encouragée par la Russie ; elle a été financée par un oligarque ukrainien juif, Kolomoïsky, parce que le gouvernement ne se défendait que mollement. Elle ne comprenait que quelques centaines d’hommes. Versée en 2016 dans l’armée régulière sous le nom de régiment Azov, elle attire surtout les jeunes qui en veulent, y compris de nombreux juifs qui sont nationalistes mais pas nazis ! Même si quelques symboles du passé sont repris, c’est clairement contre les Russes, qui ont affamé l’Ukraine en 1932-33 et ont entraîné 5 millions de morts ; lorsque les vrais nazis sont arrivés, une division de grenadiers SS nommée Galicie a été constituée par les nationalistes ukrainiens opposants à l’Union soviétique. Il s’agit donc d’une réponse en défense d’une attaque, pas d’une idéologie née de rien, ni surtout « encouragée » par l’Occident (le Congrès américain en a interdit en 2015 le financement, avant que cela ne soit aboli par l’équipe Trump).

Mais à quoi bon tenter de réfuter des mensonges aussi bruts que ceux qui les profèrent ? Seule la force des mots compte, pas la réalité des faits. Il y a comme un suicide analogue à celui d’Hitler dans l’attitude jusqu’au-boutiste de Poutine qui préfère sacrifier sa race aryenne son peuple russophone à ses idées obtuses… Le bombardement des abords d’une centrale nucléaire ukrainienne est de cette eau, tout comme la répétition des menaces d’user de la Bombe au cas où « l’OTAN » franchirait une « ligne rouge ».

Oui, il y a bien des parallèles entre Poutine et Hitler !

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John Le Carré, Le tailleur de Panama

Harry Pendel, juif irlandais, s’est installé au Panama grâce à l’oncle Benny. Il a fondé une société d’habilleur à façon, Pendel & Braithwaite tailleurs près la royauté, anciennement à Savile Row, la rue chic de Londres, où l’excellent maître Braithwaite l’a formé à la coupe, au goût et aux mesures. La meilleure société de Panama, politiciens, nouveaux riches et militaires, viennent s’y fournir et échangent quelques informations entre-soi durant l’essayage.

C’est ce qui intéresse un diplomate hors cadre anglais, Andrew Osnard, mystérieusement envoyé par une officine proche du pouvoir conservateur mais en marge des services. L’intérêt de Panama est son évasion fiscale mais aussi son canal. Le président Clinton a promis de rendre pour 1999 aux Panaméens la zone de 10 miles de large cédée par traité perpétuel en 1903. Ce qui ne fait pas les affaires des conservateurs républicains des Etats-Unis, notamment de certains de leurs généraux.

Les Anglais, lassés de l’Union européenne qui les rabaisse au niveau d’un pays moyen alors qu’ils ont connu l’empire, veulent renouer avec le grand large. Quoi de mieux que les barbouzeries conjointes avec ces patauds de Yankees qui ont un gros bâton mais un petit cervelet, une armée puissante et déjà sur place mais aucun analyste compétent sur les conséquences de la rétrocession du canal. Ainsi les Rosbifs veulent se faire aussi gros que le bœuf et niquer ainsi les Grenouilles, trop subtiles. C’est ce qu’ils croient.

Andy Osnard est un jeune homme séduisant, un peu replet, grand baiseur devant l’Eternel après être pourtant passé entre les mains expertes des surveillants et camarades excités du collège d’Eton. Il en a d’ailleurs été exclu pour « comportement vénérien » (pas adonisien). Il voit en Pendel le parfait indic, une « source » de premier ordre sur les dessous politiques et géopolitiques du Panama.

Mais Pendel est un menteur, un escroc qui enjolive la réalité pour se poser socialement. Il a épousé la fille d’un ingénieur américain du canal et s’est forgé le beau rôle d’apprenti, disciple puis associé du prestigieux Braithwaite… qui n’a jamais existé, pas plus que la prestigieuse boutique de Savile Row. Il s’agissait plus prosaïquement du vieil oncle Benny, juif de l’East End dans son entrepôt qui a soudoyé Harry adolescent pour qu’il y mette le feu afin d’être remboursé d’une collection ratée par ses assurances. Mais le garçon, figé après l’acte, s’est fait prendre et a passé des années en prison pour mineurs. Il y a fait la connaissance de Mickie Abraxas, play-boy du Panama, régulièrement violé par les malfrats parce que trop jeune et beau gosse. Mickie est devenu son seul ami.

Comme il est riche et introduit, plutôt porté à récuser la dictature qui l’a fait foutre en prison au sens littéral, il soutien moralement « les étudiants » et les manifestations. Bien qu’il n’y en ait plus au Panama après Noriega, l’opposition est « souterraine » selon Pendel, et ne demande qu’à s’enflammer.

Cette belle histoire enchante Osnard et ses patrons occultes de Londres, dont un industriel de l’armement qui finance et un gras patron de presse à scandale qui manipule. Ces gens-là veulent un prétexte pour « intervenir » et sauver le canal de la mainmise japonaise ou chinoise potentielle sur cette voie cruciale du commerce maritime mondial. Pendel est recruté parce qu’il a été ruiné par bêtise, incité à acheter une ferme rizicole par son banquier panaméen avec la dot de sa femme, puis béat de s’apercevoir que l’eau a été détournée par la ferme voisine… qui appartient au banquier. Il a besoin d’argent et sert à Osnard et à ses patrons quémandeurs un complot asiatique secret coupé sur mesure selon lequel un canal nouveau serait en projet qui dévaloriserait l’ancien. Osnard a de l’argent pour rémunérer les sources et Pendel les cumule… pour lui-même, inventant des personnages, faisant jouer à son épouse un rôle qu’elle n’a pas. Osnard se sert d’ailleurs aussi.

Tout le roman, sombrant parfois dans le délire des phrases, est une satire humoristique du monde de l’ombre. Nul ne sait plus qui manipule qui, qui profite de qui, qui sait quoi de façon certaine. Pendel, en bon tailleur juif, sert l’histoire qu’il veut entendre à Osnard, jeune ambitieux du renseignement pressé par son patron écossais peu futé, lui-même poussé à « trouver » quoi qu’il en coûte l’étincelle qui permettra d’armer, d’informer et de dominer – pour le plus grand profit des entreprises concernées.

Bien sûr, le mensonge ne peut perdurer sans qu’un grain de sable ne vienne mettre par terre tout l’échafaudage des sources imaginaires et des informations amplifiées et déformées, voire inventées. L’épouse de Pendel s’en aperçoit la première lorsqu’elle croit que son mari voit une maitresse durant ses absences en soirées de plus en plus répétées ; Osnard s’en aperçoit ensuite lorsque ladite épouse vient lui rendre visite ivre, nue sous sa robe décolletée, pour accuser Pendel de la tromper et d’inventer des révélations ; l’ambassadeur s’en aperçoit lorsqu’il doit recevoir le patron d’Osnard, en grand secret, avec ses lingots d’or au noir. Mais la sauce prend par le suicide du héros pressenti – et l’intervention armée est déclenchée, satisfaisant l’orgueil patriotard anglais, le lobby de l’armement américain, la presse tabloïd de Londres.

C’est un peu long mais on y croit. Les personnages sont saisis dans leur jus, tous escrocs parce que la vie ne les a jamais bien servis. Osnard apparaît comme le plus sympathique, en marge, débrouillard. Pendel s’enferre en revanche dans ses mensonges auxquels il a le tort de finir par croire : par conformisme, pour donner la réponse qui fait plaisir. Le style regorge de piques ironiques sur la société anglaise comme « les crétins du parti conservateur, impérialistes, eurosceptiques, racistes, pan-xénophobes et ignares infantiles » p.346 – qui sévissent plus que jamais dans le Brexit – ou le « prof de sciences à l’école primaire qui, après l’avoir violemment flagellé, avait suggéré qu’ils se réconcilient en ôtant leurs vêtements » p.238.

John Le Carré, Le tailleur de Panama, 1996, Points 2018, 456 pages, €8.30 e-book Kindle €7.99

DVD Le tailleur de Panama, John Boorman, 2001, avec Pierce Brosnan, Geoffrey Rush, Jamie Lee Curtis, Leonor Varela, Brendan Gleeson, Daniel Radcliffe (10 ans), 1h49, 14.50 blu-ray €36.54

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Après Covid, l’après Macron ?

Si la brutale pandémie de Covid-19 a révélé quelque chose en France, c’est bien l’impéritie de l’organisation administrative et de ceux qui nous gouvernent depuis des années. Le millefeuille des « compétences » aboutit à une incompétence caractérisée ; personne ne sait vraiment qui fait quoi, donc qui est « responsable » (mot exclu du dictionnaire administratif). La « gouvernance » apparaît comme une politique de laisser-faire, laisser-aller, que personne ne contrôle et dont le seul fusible reste le président ; ce qui est politiquement fort malsain.

Après l’épisode Covid aura lieu le rendu des comptes et le bilan est accablant : impréparation, inefficacité, mensonges. Les « gouvernants » ne sont pas des gouverneurs ; ils ne gouvernent en rien mais semblent se laisser gouverner – par les circonstances, le Budget, les Grands principes, « Bruxelles ». Au lieu de décider, ils « consultent » ; au lieu de trancher, ils tergiversent. Le premier tour des élections municipales a été la grande erreur fondatrice du sentiment de méfiance renforcé. Au lieu d’être président, à la De Gaulle, Macron s’est révélé un conciliant à la synthèse molle, à la Hollande. Lui qui prônait objectifs, modernité, efficacité, a montré qu’il ne réussissait pas à les réaliser. Ce jugement est probablement injuste (tout n’a pas été négatif dans la gestion de la crise) mais il est ce que les électeurs retiendront : le chantre de l’Efficace ne s’est pas montré à la hauteur. Rassurons-nous peut-être, sous Hollande cela aurait été pire.

Car qui a désarmé le « système » (l’usine à gaz) sanitaire français ? – les gouvernements de François Hollande. Après le 11-Septembre, l’explosion de l’usine AZF et le SRAS, le chikungunya et la grippe aviaire, les politiciens aux affaires des années 2001 à 2005 mettent en place des stocks de masques chirurgicaux et FFP2. Mais ils sont répartis de façon bordélique entre différents établissements, avec des statuts juridiques différents ! Image édifiante du château de cartes bureaucratique « à la française » qui vise à tout contrôler tout en n’en prenant pas les moyens, dans l’irresponsabilité des « services » qui se renvoient la balle. Excellente idée pour une fois, une véritable industrie française du masque de protection a été mise en place sous délégation de service publics par Xavier Bertrand en 2005.

En 2009, la France dispose donc d’un milliard de masques chirurgicaux et FFP2. Mais la doctrine évolue malheureusement entre 2011 et 2013 : par souci d’économie (et d’importations pas chères de Chine) les masques seront réservés aux hôpitaux et les stocks réduits ; la population sera laissée volontairement à elle-même. Il ne faut pas s’y tromper : ce n’est pas le gouvernement Philippe sous Macron qui a dit le premier que les masques ne servaient à rien pour le grand public, c’est avant tout le gouvernement socialiste Jean-Marc Ayrault (2012-2014).

Une instruction ministérielle du 2 novembre 2011 sur la préparation de la réponse aux situations exceptionnelles de santé (sous François Fillon, 2010-2012) distingue deux types de stocks : les « stratégiques » détenus et gérés par l’EPRUS créé en 2007 (Etablissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires) et les « tactiques » dans certains « établissements de santé » de première ligne. Mais c’est le Secrétariat général de la sûreté et de la défense nationale (SGDSN) qui édicte le 13 mai 2013 une doctrine de protection des travailleurs face aux maladies hautement pathogènes à transmission respiratoire : aux entreprises de fournir les masques et d’en apprécier « l’opportunité » – autrement dit, « l’Etat c’est pas moi », les Ayrault ne seront pas les héros.

Puisque le port des masques FFP2 n’est plus conseillé par le Haut conseil de la santé publique depuis 2011, pourquoi entretenir un stock de masques professionnels ? Et puisque c’est aux employeurs de se démerder pour leurs salariés depuis 2013, pourquoi entretenir un stock de masques grand public ? Economies obligent, l’État ne va pas reconduire la convention signée avec le producteur de masques… et laisser casser une industrie qu’il avait lui-même créée ! Elle ferme ses portes en 2018. Telle est l’imbécilité à la française « que le monde nous envie » (disent les plus cons).

Lorsque survient le Covid-19 en 2020, les stocks sont minimes (100 millions de masques au lieu d’1 milliard dix ans plus tôt) et dilués entre les acteurs : Santé publique France, une centaine d’établissements de santé dont la gestion des masques dépend des Agences Régionales de Santé, enfin tous les employeurs de France, entreprises, régions, ministères, et le reste. Autrement dit, personne ne sait rien sur rien et commande dans son coin. De quoi être incapable de négocier les prix et ne recevoir que des commandes de seconde main, après toutes les commandes majeures des autres pays, plus avisés. L’économie, chez les fonctionnaires de la bureaucratie à la française, n’a jamais été étudiée de près : en 1974 à Science Po Paris, elle se réduisait à « la Banque de France et au Budget de l’Etat » !

Macron était réputé être mieux au fait de l’économie et de l’organisation publique : las ! il n’a pas voulu mécontenter « les syndicats » et a plutôt contenté l’économie privée avec ses réformes, probablement utiles mais pas régaliennes. Les « régions » ne sont que des découpages technocratiques sans âme ni répartition claire des compétences (la preuve, tout revient dans la gestion du déconfinement aux départements). Les administrations centrales ne sont pas réorganisées ni contrôlées, chacun tirant la couverture à lui dans son petit coin, sans vue d’ensemble. La santé est la dernière roue du carrosse, coûtant « toujours plus » sans réorganisation des missions (les « urgences » qui accueillent n’importe quoi de pas urgent du tout) ni des budgets (rabot général sur tout sans discrimination).

Les hauts fonctionnaires ont clairement montré dans l’action réelle et immédiate réclamée par le Covid leur niveau d’incompétence. Le président qui avait promis l’efficacité moderne se débat dans le bordel traditionnel d’une Administration aussi tentaculaire que procédurière et incontrôlée. Le mensonge, le storytelling si bête de la porte-parole du gouvernement sur les masques qui ne servent à rien pour les gens, ont desservi l’image. Comment faire encore confiance à ces gens pour redresser la barre et tenir les rênes du pays ?

D’où l’intuition qu’après le Covid pourrait bien avoir lieu l’après Macron.

Mais qui mettre à la place ? Certainement pas les inconséquents, incompétents, manipulateurs de « belle histoire « des extrêmes populistes. Probablement pas les écolos, toujours dans l’incantation, la grande peur millénariste du climat et la promotion de la décroissance. Les gens ont mesuré durant deux mois ce que signifie « la décroissance » : une vraie chute du niveau de vie et un chômage massif qui va durer. Quant aux émissions de particules fines, après deux mois sans avions ni voitures, ni usines… seulement 5% en moins ! Autrement dit, avions et bagnoles ne sont pas les causes principales de la dégradation du climat : voudrait-on éviter de parler d’autre chose ? Des épandages agricoles par exemple ? Resterait le « parti socialiste » mais, après la gestion calamiteuse Ayrault et Macron du stock « stratégique » de masques et de leur production française tout aussi « stratégique », autant garder le Macron du « en même temps », nettement moins doctrinaire que les ex du PS. Alors qui ? L’opposition de droite ? Son insistance malvenue pour que se tienne le premier tour des municipales, juste avant le confinement, montre qu’ils sont plus dans la posture des petits jeux de pouvoirs que dans celle de la gestion du pays.

Il nous faut des gens neufs. Mais qui ?

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Mauvaise foi syndicale

Un tract du syndicat Solidaires Finances publiques Paris du mois de mai justifie le mouvement des agents du jeudi 9 contre le projet de loi de transformation de la fonction publique. Un agent sur quatre était en grève, dit-on. Mais touche-t-on véritablement au service public ? Ou s’agit-il de le réadapter à la nouvelle donne qui exige moins d’impôts, donc moins de dépenses publiques ?

Le paragraphe deux de l’éditorial du « journal de section syndicale » La Griffe, multiplie les vocables négatifs : « détruire, casser, imposer, forcer, empêcher ». Comme si la situation actuelle était un monde idéal, une sorte de paradis public à perdre pour les agents comme pour les « assujettis » et qu’il ne faille surtout pas y toucher – au risque d’un futur péché originel.

Ce qui est expliqué ensuite est que ce projet permettrait au Premier ministre de déplacer des services, d’en décentraliser certains en province et d’encourager la sortie de la fonction publique pour les volontaires. Cela me semble sain pour adapter les effectifs et les structures, et les recentrer sur ce qui ressort de l’État en ôtant ce qui n’en ressort pas (par exemple l’informatique, le ménage, la cantine). La révolte des gilets jaunes, après celle des bonnets rouges et celle des pigeons, a montré depuis quelques années que les Français en ont assez du « trop d’impôts » par rapport aux pays voisins et du mauvais usage qui en est fait.

Qu’un syndicat défende sa corporation est certes naturel, mais il ne doit pas se croire un représentant de l’intérêt général. Il s’agit d’intérêts particuliers sur les emplois, les postes, les tâches et les salaires, et non pas de la destruction pure et simple des services publics. Cette mauvaise foi dessert le propos et explique pourquoi les Français sont en général peu syndiqués.

L’histoire explique en partie ce phénomène, l’extrémiste marxiste ayant supplanté le proudhonisme de base au début du XXe siècle, tout comme Lénine et son parti centralisé en Russie ont supplanté les soviets spontanés dans l’URSS naissante. Puisque Karl Marx avait défini les lois de l’Histoire, le parti d’avant-garde (communiste) se devait d’appliquer la vérité révélée, et tous les moyens étaient bons. Y compris les mensonges ou les fausses nouvelles à la Trump (qui n’a rien inventé), y compris la propagande outrancière et les injures, y compris la grimpée aux rideaux qui transforme toute modification en chaos et toute réforme en « casse ».

Il aurait été bien préférable que le syndicat Solidaires Finances publiques consacre un paragraphe entier à ses propres propositions de réforme, respectueuse selon lui du service public, mais adaptées au nouveau format réclamé par les citoyens.

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Le lieu du crime d’André Téchiné

Thomas (Nicolas Giraudi, 14 ans au tournage), gamin solitaire dans le Tarn de parents divorcés, à 13 ans va faire sa communion, désirée par sa grand-mère. Dans ses balades en vélo au bord de la Garonne, il rencontre brusquement un bandit échappé de prison, Martin (Wadeck Stanczak), un beau jeune homme blême et pas rasé qui le menace d’un opinel s’il ne lui rapporte pas quelques sous.

Dans son existence sans futur, à l’ère socialiste du « changer la vie » parisien, Thomas quitte l’enfance pour aborder le monde adulte, sa violence brute et ses passions brutales. L’univers irénique de la campagne catholique et bucolique avec ses champs vallonnés, son village où tinte la cloche ecclésiale et son curé de choc en moto (Jacques Nolot), bascule dans la vraie vie. Thomas va chercher désespérément de l’argent pour ne pas être tué. Il tape son père (Victor Lanoux) qui le tape pour l’avoir insulté après qu’il lui eut dit que l’argent se gagne ; il vole sa mère (Catherine Deneuve) dans le pot à sucre avant de lui rendre les billets, pris de remords pour ce qu’il a dit au curé qui l’a rapporté à Lili : qu’elle n’était pas sa vraie mère ; il supplie son grand-père (Jean Bousquet) à qui il a raconté tant de bobards mais devant qui il pleure et qui lui donne un billet pour avoir la paix.

Il va donc au lieu de rendez-vous le soir, au bord de la Garonne, pour donner l’argent à l’évadé. Mais il se trouve face à Luc (Jean-Claude Adelin), le frère de cavale, leader du couple et qui est très violent. Lui ne veut pas qu’on les dénonce et commence à faire son affaire à Thomas en l’étranglant, après l’avoir poursuivi, malmené et maîtrisé : « Ne t’inquiètes pas, tu vas dormir » dit-il doucement en lui serrant le cou… Son compagnon, Martin, peut-être séduit par la ferveur fragile de l’adolescent qui lui rappelle lui-même ou par la mystérieuse affinité du garçon avec sa mère et qui le séduira aussi, va refuser le meurtre. Il se bat avec son ami Luc jusqu’à lui planter son opinel dans le dos, laissant le cadavre aller au fil du fleuve. Il réveille Thomas, choqué mais plus vaseux que terrifié, et le renvoie chez lui. Curieusement, les marques sur sa gorge ne se voient pas et, lorsqu’il fera un cauchemar, sa mère qui l’étreint n’y verra que du feu. Ces invraisemblances du début contrastent avec l’hystérie émotionnelle de la fin, ce qui est dommage.

Car le film, centré initialement sur le monde traditionnel de l’enfance à la campagne qui se débat avec la modernité du divorce, de la mixité et de la violence venues des villes, se tourne désormais vers l’épouse qui a raté sa vie et qui cède à sa passion irraisonnée. Martin, égaré, échoue dans le dancing au bord de l’eau qu’a monté Lili pour les jeunes. Il se saoule à tout ce qui se boit, frustré par ses années de prison dont on ne sait si elles sont pour vol, braquage ou meurtre, ce qui est là encore dommage pour bien saisir la suite. Lili est séduite comme son fils par ce beau jeune homme blême et pas rasé. Elle lui trouve une chambre d’hôtel au village et rentre chez elle où Thomas, à 6 h du matin, est déjà réveillé. Il a fait un cauchemar et il lui raconte son aventure d’hier soir sous forme de « rêve ».

Sa mère, pas plus que les autres, ne le croit plus. Affabulateur, Thomas est mal dans sa peau, sans ami ni copine, coincé dans sa pension de curé toute la semaine. Il se rêve donc des aventures et des « rencontres », avide de connaître enfin la vie. Qui admettra ses histoires d’enfant qui va faire sa communion sur les instances de sa grand-mère maternelle (Danielle Darrieux en actrice formidable) qui tient à ce que tout se passe comme avant, « normalement » ? Mais Lili, sensibilisée par sa rencontre avec Martin et intuitive car fusionnelle avec Thomas, va comprendre plus ou moins que le jeune homme a sauvé son fils au prix du meurtre de son ami. « Mademoiselle Catherine Deneuve », comme l’appelle le générique de fin pour les costumes, joue à la perfection une femme tourmentée par ses ardeurs, écartelée entre le fils et l’amant de rencontre ; elle ne s’en sortira pas.

Lorsqu’elle veut le revoir pour s’en expliquer, Martin a disparu, emporté par la copine du trio qu’il formait avec elle et son « frère » dans une voiture de sport décapotable rouge. Un comble pour qui veut passer inaperçu et s’évader vers l’Espagne ! Le film a plusieurs fois ces décalages incongrus qui font douter de sa cohérence. Mais Caïn a tué Abel et ne peut désormais vivre comme les autres ; il quitte la fille dans une station-service où elle fait laver sa voiture (!) et lui rend l’arme qu’elle lui avait apportée. Il revient au village pour retrouver Lili qu’il voit comme une sorte de mère, ou du moins un recours. Elle lui offre du champagne dans son dancing fermé le dimanche où son assistant règle la sono, puis l’emmène chez elle où ils baisent de façon torride, énamourés de passion sensuelle, tout nus sur le grand lit.

C’est là que Thomas, en pleine nuit, les découvre. Il a fait le mur de sa pension de curés pour revenir vers sa mère, vue elle aussi comme un recours, et lui annoncer que le père confesseur sait tout et va prévenir la police. Voir sa mère « faire » l’amour le blesse ; il croyait naïvement en l’amour éthéré enseigné au catéchisme où les enfants venaient comme un don de Dieu au sein de la famille, dans le secret des chambres. « C’est ça, l’amour ? » demandera-t-il à son père par la suite. « Tes amis ne t’ont pas expliqué ? Vous n’en parlez pas entre vous ? – Je n’ai pas d’ami ».

La fille en auto rouge revient en trombe au village pour retrouver Martin dont elle est amoureuse comme de Luc et, pour trahison, le descend d’une balle. Le spectateur ne saura pas s’il s’en sortira, laissant un suspens de plus et un avenir possible ouvert. Thomas fuit sous la pluie battante sur la route et l’auto rouge le rejoint ; il monte car il n’en peut plus, et la fille ne sait pas qui il est. « Je veux partir avec toi ! » dit l’adolescent qui voudrait faire des « rencontres ». Mais il y a les deux autres dont elle ne peut oublier le souvenir, même s’ils sont morts. Elle fait descendre Thomas et va se jeter contre un mur pour « les rejoindre ».

Le lendemain, Lili témoigne à la gendarmerie ; elle est décoiffée, épuisée, hagarde. L’inspecteur, fonctionnaire chauve (Philippe Landoulsi), fait taper son témoignage mais elle ne l’accepte pas car il n’est pas « la vérité ». Elle n’a pas été menacée par l’évadé mais l’a recueilli et s’est donnée à lui volontairement, elle est complice ; elle ne mentionne pas l’enchaînement des circonstances qui, du sauvetage de Thomas à la charité de la chambre d’hôtel, aurait pu donner des circonstances atténuantes. Non, elle en a marre des faux-semblants de la campagne traditionnelle où tout le monde se connait et s’épie, où il faut être comme il faut et croyant comme tout le monde, où il faut sans cesse faire semblant.

Thomas, à 13 ans a été le révélateur des mensonges et des frustrations accumulés dans son existence, de sa mère qui invente une harmonie bucolique proche de « la terre ne ment pas » maréchaliste (allusion à la force tranquille de Mitterrand élu cinq ans plus tôt ?), à son père qui joue à plus sourd qu’il n’est pour ne pas entendre les vérités qui le dérangent et apparaître ainsi « tolérant » comme il se doit, à son mari qu’elle a quitté parce qu’il ne pensait qu’à son plaisir sexuel et à la nostalgie de leurs premières années dont il repasse les films. Thomas doit se confesser, Lili doit choisir entre le planplan et l’aventure, Martin doit assumer son crime maudit par la Bible.

La vérité est nue et apparaît aux yeux du garçon de 13 ans sur le lit de sa mère, rappel de sa fanfaronnade torse nu devant le miroir lorsqu’il défiait virtuellement Martin de le tuer avant de lui livrer l’argent qu’il demandait. Bien plus que le rite obligé de « la communion », il passe du monde de sa mère à celui de son père et quitte désormais l’enfance car il « sait » – et la vérité fait mal justement parce qu’elle est nue. Elle oblige à être ce qu’on est et à assumer la responsabilité de ses actes.

DVD Le lieu du crime 1986 (et les innocents 1987), André Téchiné, avec Catherine Deneuve, Danielle Darrieux, Wadeck Stanczak, Victor Lanoux, Jacques Nolot, Jean Bousquet,  Claire Nebout, Jean-Claude Adelin, Philippe Landoulsi, Nicolas Giraudi, Why Not Productions 2008, 1h30, €20.39

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Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil de Jean Yanne

Je n’aimais pas Jean Yanne, petit-bourgeois content de lui avec sa gueule de se foutre du monde – j’avais tort. Il a saisi avec acuité dans ce premier film les travers sociaux de son temps et cette œuvre, qui date de l’ère Pompidou, rappellera des souvenirs à ceux qui l’ont vécue et enseignera les autres sur la « bêtise » de masse.

Gerber, reporter de radio (Jean Yanne), est envoyé en Amérique du sud où – c’était l’époque – sévissait le mythe de la Revolución menée par Che Guevara. Il paye de sa personne et interroge dans la jungle les barbudos. Ce n’est pas le cas de ses confrères qui profitent des putes locales et du rhum arrangé, chemise ouverte sous les cocotiers, imaginant leur texte et les ponctuant de rafales de mitraillette enregistrées sur magnétophone. Gerber est pour « la vérité », pas pour le bidouillage.

Quand il revient à Paris, sans la bande son confisquée par les révolutionnaires prédateurs, il découvre combien son monde a changé – ou plutôt a suivi la mode. La radio dans laquelle il travaille s’est mise à Jésus parce que Jésus est « dans le vent », dit son patron à lunettes. Tous les jingles sont déclinés sur Jésus, des curés invités à débattre, un con fesseur sur les ondes incite les auditeurs à téléphoner contre pénitences. Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil dans la société de cons sans sommation. Même les pétasses de l’accueil, choisies bien roulées en ces années tranquillement machistes, doivent porter un uniforme qui rappelle la joie colorée des jubilés ou la fraternité des jamborees. La pub pour les produits de consommation est estampillée Dieu et tout le temps d’antenne disponible s’affaire à capter le temps de cerveau disponible pour fourguer de la pub à tout va. Car c’est ce qui rapporte au PDG du groupe (Bernard Blier) qui se fout du contenu comme du marketing et n’ouvre l’œil en réunion du conseil que lorsque le mot « budget » est prononcé.

C’est caricatural mais vrai. Gerber se fait virer mais son chef (Jacques François) le rattrape parce qu’il lui sauve la mise en recevant sa femme hystérique à sa place (Jacqueline Danno), qu’il a voulu faire enfermer. Le cérémonial du licenciement est en avance sur son temps, il sera celui des années 1990 : le PDG, à l’écoute de sa chaîne de radio, envoie un crâne à son directeur de chaîne avec le nom de celui à virer collé dessus. Toute une armoire est consacrée aux trophées ainsi cumulés. Gerber se moque ouvertement du monde et de RadioPlus (anticipation brillante de l’ère Canal+) avec ses animateurs déjantés et ses filles prêtes à tout. Après un Journal parlé particulièrement acide sur un politicien qui vient de mourir et qui n’avait aucun intérêt, il est cette fois définitivement viré.

Il va voir son ami précédemment renvoyé (Michel Serrault) qui s’occupe d’un théâtre d’avant-garde pour une municipalité d’avant-garde de la banlieue d’avant-garde (Nanterre ?). Celui-ci déplore qu’il n’ait le choix qu’entre des pièces d’avant-garde aussi nulles les unes que les autres, imitant les opéras maoïstes avec poses révolutionnaires au prétexte de Brecht (à la mode). Le Bien est en blanc éclatant et Mal en noir nazi, CRS ou nonne. La femme du chef que Gerber lui a envoyé est bel et bien « folle » mais avec une conviction qui fait la pièce. Pas grave, rétorque Gerber, une pièce, je vais t’en écrire une, moi. Scandale de son nom aidant, la salle est pleine et le spectacle sur une musique de Ahmed Eousme Mozzar a du succès, d’autant que les danseurs-danseuses miment l’acte sexuel sur scène : tout ce qui fit le sel de l’époque.

Pendant ce temps, le chef a nommé des nuls aux émissions et le PDG le dit et le répète : « c’est de la merde » ; les annonceurs l’appellent : « c’est de la merde ». Il mandate donc son épouse (Marina Vlady) pour circonvenir Gerber afin qu’il revienne mais comme chef et « avec les pleins pouvoirs ». Il prend le risque… Et la radio décolle en effet mais les annonceurs sont furieux : car les produits sont testés avant d’avoir leur publicité à l’antenne. Fini la bondieuserie, vive la vérité ! Comme quoi « Dieu » récupéré par l’Eglise laisse tout faire. La vérité est révolutionnaire, disait-on volontiers en ces années post-68 – et le poster de Che Guevara trône désormais à la place de « Jésus » dans le studio d’enregistrement du Journal.

Mais la vérité, si elle plaît aux masses, y compris à la « ménagère de moins de 50 ans » que l’on voit faire la cuisine en écoutant la radio périphérique, ne plaît pas, mais alors pas du tout, à la gent commerçante ni aux maquilleurs du marketing. Il s’agit de faire vendre, pas d’informer. Rien n’a changé depuis, sauf que les gogos se sont organisés en consommateurs associés et mènent une guerre de guérilla contre les mensonges ou contrevérités des industriels trop pressés de vendre n’importe quoi. Le faux-cul d’antenne (Daniel Prevost) qui s’est raccroché aux branches afin de ne pas être viré a été nommé testeur alimentaire ; il en meurt très vite ; les pubs sont refusées.

D’où le bal des prétendants auprès du PDG, ce qui permet au spectateur d’admirer les DS noires racées, aux phares tournants triangulaires, probablement la plus belle automobile des années 1970, à côté de laquelle les Mercedes avaient l’air de char d’assaut et les Peugeot 404 de boites à savon. Chacun des divers « présidents » vient se plaindre auprès du PDG, qui voit les actions de son groupe chuter en bourse. Même le gros con à casquette de la CGT, en 404 (mais rouge), vient aussi dire que si les gars se marrent, le chômage leur pend au nez et qu’il faut arrêter. Il refuse le cigare (qui fait bourgeois) mais l’accepte quand le PDG lui affirme qu’il vient directement de Cuba (révolutionnaire). Au bal des faux-culs, le communiste n’est pas le dernier : avec le gaullisme, dont un représentant pontifie devant le micro (Henri Vilbert) avant qu’on veuille lui faire une injection de penthotal afin qu’il dise bien la vérité, le communisme est bien le second pilier du régime vu par Jean Yanne.

Tout cela va mal finir ; Gerber est trahi par son frère d’antenne le plus proche, à l’imitation de Judas ; le PDG va nommer le traître à sa place et les marchands du temple seront contents, le cours de bourse va remonter. Même si – juste vengeance envers qui a voulu le tuer par des boules à claquer explosives – Gerber a répondu à la place du PDG (qui était parti dans une autre pièce pour lui faire son chèque) de vendre les actions.

Le film est tourné dans une verve jubilatoire et les chansons mode sur Jésus superstar s’intitulent « Tilt pour Jésus-Christ », « Notre Père sur mesure », « Dans les bras de Jésus », « Ciné qua pop », « Alléluia garanti », « Che ô Che ô », « Jésus java » ainsi que le célèbre « Tout le monde il est beau » du générique (à écouter ici). Décalé d’une génération, ce film de music-hall permet un œil critique sur notre époque qui, au fond, n’a pas fondamentalement changé. C’est moins gros aujourd’hui, plus feutré, mais bel et bien dans la même veine.

DVD Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, Jean Yanne, 1972, avec Jean Yanne, Bernard Blier, Michel Serrault, Marina Vlady, Jacques François, Studiocanal 2012, 1h40, €9.99

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Marie-Octobre de Julien Duvivier

Le noir et blanc des années cinquante produit ici l’un de ses meilleurs films, tiré d’un roman de Jacques Robert paru en 1948 (non-réédité). Le contexte en est l’Occupation et la Résistance, traumatisme et mythe national. Quinze ans après, les membres survivants d’un réseau se retrouvent sur invitation de la seule femme du lot : nom de guerre Marie-Octobre (Danielle Darrieux). Ils reviennent au lieu du drame, le château d’un des leurs, investi par la Gestapo en 1944, où leur chef Castille a été tué.

Mais, le dîner achevé, commencent les choses sérieuses. Avec « le jus d’orange pour ceux qui ont soif et le whisky pour les ivrognes », comme dit la délurée cuisinière (Jeanne Fusier-Gir), les doutes ressurgissent : qui a trahi ? Car la Gestapo a été prévenue. Marie-Octobre, qui a fondé une maison de couture a succès sous son nom de guerre, a rencontré un acheteur allemand lors de la présentation de sa collection d’hiver. Il a regretté que le réseau soit tombé car il admirait le courage de ses membres, mais l’un des leurs les a donnés ; il ne se souvient plus de son nom. La réunion vise donc à faire avouer l’un des dix.

Chacun a vieilli et a bâti sa vie, son couple et sa carrière. L’un est boucher bon vivant et président de l’Amicale des bouchers (Paul Frankeur) ; l’autre est avocat au pénal et porte la rosette de la Légion d’honneur pour faits de Résistance (Bernard Blier) ; le troisième est contrôleur des contributions, rigide et sourcilleux (Noël Roquevert) ; le quatrième a acheté une imprimerie juste après la guerre et poursuit le métier qu’il abordait dans sa jeunesse comme salarié en imprimant tracts et faux papiers (Serge Reggiani) ; le cinquième est devenu prêtre, bien que surnommé « Au bonheur des dames » tant il draguait et concluait à l’époque (Paul Guers) ; le sixième est médecin, chef d’une clinique privée (Daniel Ivernel) ; le septième est un ancien catcheur propriétaire du Sexy bar de Pigalle, boite chic à striptease, en concubinage avec une chanteuse connue (Lino Ventura); le huitième reste plombier et serrurier comme avant (Robert Dalban); les deux derniers sont Marie-Octobre et le châtelain, toujours industriel (Paul Meurisse).

Ce huis-clos anachronique pousse chacun à soupçonner chacun, bien loin des idéaux de fraternité démocratique de la Résistance. Seul le prêtre – qui ressemble à Jacques Chirac – joue son rôle de grand fout-rien prêt à pardonner et à laisser Dieu sanctionner dans l’au-delà : ce qui l’intéressait était l’action. La mort, réclamée d’emblée par les plus rigides, est en contradiction avec l’idée humaniste que tout humain évolue, peut mûrir et se repentir. Certes, des membres du réseau sont morts fusillés ou en déportation, mais ce n’était pas le fait du traître in extremis, qui n’a mis en jeu que la vie des onze – dont dix ont pu s’échapper. Quant au chef Castille, il était loin de la légende qu’on a tissé autour de lui. Egoïste, dominateur, machiste, il aimait commander les hommes et dominer les femmes, incapable d’aimer parce que trop doctrinaire. Marie-Octobre elle-même n’est pas la femme parfaite ni la résistante irréprochable que l’on croit ; elle aimait Castille, qui l’humiliait.

Que s’est-il donc passé ce jour de 1944 lorsque la Gestapo a fait irruption dans la grande pièce du rez-de-chaussée du château, mitraillette au poing ? Chacun a sa version, reconstituée d’après sa position dans la fuite. Un seul s’est trouvé avec Castille au moment de sa mort, mais qui ? Les mensonges de la passion obscurcissent la recherche de la vérité. Jusqu’à celui qui était absent de la réunion pour cause de maladie mais qui sait quand ont eu lieu les coups de feu. Les personnages restent ambigus, l’avocat était un ancien pro-allemand jusqu’à la rupture de l’Armistice ; un vol de 3 millions de francs a été commis juste avant la mort de Castille, qui connaissait le voleur et allait le démasquer – or le médecin, l’imprimeur, le boucher et le propriétaire de boite de nuit ont chacun acheté leur fonds juste après-guerre…

Illusions, mensonges, remords, jeunesse idéaliste enfuie dans la réalité de l’existence, cette tragédie respecte l’unité de temps et de lieu et connait un mort à la fin. Mais aussi l’écroulement des grandes idées sous les mensonges, les petits intérêts et les passions qui aveuglent. Les humains ne sont pas des dieux, les résistants ne sont pas des héros sans peur et sans reproche ; ils ne sont qu’humains trop humains. Et la bêtise est de punir dans l’absolu de la mort celui ou celle qui a connu un moment d’égarement. Nous ne sommes plus en 2018 à cette époque de noir et blanc, du tout bien ou tout mal. La peine de mort a été abolie par un ancien Cagoulard devenu socialiste ; le mythe de la Résistance a vécu, même si quelques nonagénaires tentent de le revivifier vainement, à la mode gauchiste ; les grands idéaux sont pris pour ce qu’ils sont : des bannières qui font croire et agir sur le moment comme un viagra mais qui ne résistent pas à l’usure des choses ni à la médiocrité humaine.

Le jeu des dix petits nègres dont un seul meurt à la fin s’apparente à l’expiation par le bouc émissaire : le fautif prend sur lui tous les péchés du monde et les autres s’en vont rassurés et la conscience tranquille. Le catch, que regarde le boucher à la télé, double constamment le huis-clos comme un message : tout est jeu et spectacle. Les actes de Résistance hier, le procès d’intention aujourd’hui ; chacun se balance des manchettes et torture les autres par de savantes clés – mais personne ne gagne à la fin car tout est truqué. Le match n’est qu’une scène où jouer au plus fort ou au plus malin.

Roland Barthes venait, en 1957, de publier ses Mythologies dans lesquelles il décortique le catch comme art du semblant, pur immédiat codé où le salaud est pris au piège dans un retournement soudain de justice immanente. Comme si tout était écrit d’avance, le bien, le mal et le jugement. C’est bien à quoi le spectateur assiste dans Marie-Octobre : pas un film sur la Résistance, encore moins sur la Justice, mais sur leurs caricatures mythologiques.

DVD Marie-Octobre, Julien Duvivier, 1959, avec Danielle Darrieux, Paul Meurisse, Bernard Blier, Serge Reggiani, Paul Frankeur, Pathé 2017, 1h34, standard €8.80 blu-ray €14.35

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André Gide, Journal II, 1926-1950

Gide aborde cette seconde partie de sa vie à 57 ans par un périple en Afrique occidentale française – avec Marc Allégret, son amant adolescent devenu son ami adulte, jusqu’à sa mort. Il a publié Corydon, puis les Faux-Monnayeurs, il devient célèbre, et cette stature nouvelle l’oblige en même temps qu’elle le handicape. S’il se lie avec d’autres célébrités du moment, il est aussi trop souvent sollicité par « les amis, les admirateurs, les quémandeurs » (p.91) qui lui demandent conseil et grignotent son temps d’écriture et de pensée.

Ce pourquoi il s’évade, à la campagne, dans les voyages. Son tropisme est le soleil, la Normandie mais surtout les bords de la Méditerranée toute proche : la Provence, la Tunisie, l’Algérie, l’Egypte. Il rencontre en Afrique du nord ce mélange intime de ferveur religieuse et de sensualité charnelle qu’il affectionne. Il s’y sent bien, comme Camus qui y est né. Gide n’y est né qu’à l’amour sexué entre deux corps, mais cette empreinte l’a marquée à vie. Il y emmènera sa femme Madeleine, avant qu’elle ne meure en 1938, le laissant à nouveau orphelin – il l’avait épousée à la mort de sa mère en 1895.

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Malgré l’âge, le désir reste entier et les pulsions ne manquent pas de trouver des partenaires emplis de jeunesse et de sève pour s’assouvir : à 61 ans « un petit débardeur de seize ans » à Marseille p.227, à Calvi p.233, à Berlin p.384, à 70 ans le jeune berger Ali en Egypte p.649, les jardiniers prime adolescents p.671, et à 73 ans encore un gamin blanc de 15 ans venu de lui-même dans sa chambre à l’hôtel à Tunis le 3 août 1942, « deux nuits de plaisir comme je ne pensais plus en pouvoir connaître de telles à mon âge », p.826. Pas d’amour vénal, mais une faim réciproque ; pas de pénétration mais des caresses à l’envi. « C’est de treize à quinze ans, seize ans au plus, lorsque l’adolescent commence à découvrir son exigeante nouveauté avec une surprise exquise. Passé quoi, je le cède aux femmes » 13 février 1939, p.657. Paradoxalement, à l’encontre de ceux qui adorent dénoncer au nom de la Morale, André Gide n’a jamais « violé » personne : l’article 222-23 du Code pénal qualifie en effet de viol tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise. Ni contrainte, ni pénétration, Gide reste blanc comme neige…

Ce n’est pas cette sexualité, différente de la mienne, qui m’a fait relire Gide et surtout son Journal, à mes yeux son œuvre la plus pérenne. L’auteur livre un itinéraire intellectuel français remarquable, élevé dans la religion pour s’en émanciper tout seul, gardant la culture chrétienne en acceptant les cultures autres, se convertissant un temps au communisme comme « religion raisonnable et raisonnée » prenant la suite de l’Evangile (p.421), avant de reprendre sa liberté, s’efforçant de penser par lui-même malgré les pressions amicales, familiales, sociales, politiques et religieuses. « Croire, obéir, combattre » (p.562) est pour lui la devise du fascisme. C’est celle de tout dogme et de toute foi.

Je m’aperçois, dans la maturité, que nombre des idées qu’il émet sont devenues les miennes sans que je puisse distinguer ce qui ressort de son exemple, lors de mes lectures de jeunesse, ou de sa façon d’être – humaniste libérale – enfant des Lumières. Comme lui, je révère Montaigne et Shakespeare, Nietzsche évidemment, Goethe jadis, Dostoïevski sûrement, Racine pour la psychologie et Montesquieu pour la langue, Balzac et Stendhal beaucoup et moins Zola ou Hugo. Je considère l’Eglise comme une perversion bureaucratique et idéologique du message des Evangiles et je ne dissocie pas la chair de l’esprit (p.1077). Je crois comme lui en l’amitié plus qu’en « l’amour », ce mot-valise trop galvaudé dont personne ne sait vraiment ce que c’est entre exaltation des hormones, fuite des sens, désir fusionnel ou idéal inaccessible. Je suis et reste sans-parti, conservant comme lui mon libre-arbitre. Et, comme lui, « dans les écrits de Marx, j’étouffe » p.584.

Gide est un maître de vie – aujourd’hui encore et malgré l’Internet et la mondialisation – se situant sans cesse dans le mouvement, à l’intersection de son moi et du monde. « Prendre les choses non pour ce qu’elles se donnent, mais pour ce qu’elles sont. Jouer avec les cartes qu’on a. S’exiger tel qu’on est. Ce qui n’empêche pas de lutter contre tous les mensonges, falsifications, etc. qu’ont apportés, qu’ont imposés les hommes à un état de choses naturel et contre lequel il est vain de se révolter. Il y a l’inévitable et il y a le modifiable » p.1048.

Il a connu le grand espoir du communisme rouge… avant de déchanter en allant visiter le pays des soviets, devenu beaucoup moins soviétique et beaucoup plus bureaucratique, beaucoup moins participatif et beaucoup plus surveillé par les policiers de Staline.

Il a connu le moralisme égrotant du Maréchal en 40, étant bien près de le croire tant ses mots sonnaient justes sur la défaite due à l’hédonisme et à la lâcheté – avant de constater très vite que l’abandon n’était pas seulement celui des élites effondrées… mais celui de Vichy tout entier : « J’admire ici encore l’habileté consommée de Hitler et la naïveté routinière des Français, notre chimérique confiance en des droits que, vaincus et reniés par notre seule alliée, nous n’avons plus aucun moyen de faire respecter ; notre impéritie » 19 juillet 1940, p757.

Il a connu les bombardements alliés de Tunis occupée, la peur et le rationnement, l’égoïsme forcené de l’adolescent « pas encore pubère « Victor » (pseudo pour François Reymond, né en 1927) dont il tartine des pages d’observations aigües, mais aussi les solidarités à ras de terre des immeubles et du quartier. Il est des moments où il faut s’engager, mais c’est toujours au détriment de sa liberté intérieure et ces moments ne doivent jamais durer sous peine de sombrer dans le conformisme.

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Les « aboyeurs de vertu » ont sévi avant la guerre et ont préparé le fascisme ; pendant la guerre ils ont favorisé la collaboration ; après la guerre ils se sont mués en inquisiteurs vainqueurs qui n’hésitaient pas à lyncher leurs ennemis personnels au nom de l’Humanité. Gide s’est toujours méfié de ces gens dont les abois sonnent bien plus fort que la vertu qu’ils affichent, et dont l’exemple qu’ils devraient pourtant donner manque trop souvent. « Certains êtres ne se maintiennent vertueux que pour ressembler à l’opinion qu’ils savent ou espèrent que l’on a d’eux » 9 octobre 1927 p.48. Ou encore : « quant aux vertus du moins qu’ils préconisent, et dont très souvent ils se persuadent que la foi leur permet de se passer » 7 février 1940, p.687. Croyez et vous serez pardonnés ! C’est valable en communisme comme en religion.

Chrétiens, communistes, résistants de la dernière heure, moralistes, tous ces « croyants » qui abolissent leur personnalité pour le Dogme appauvrissent la civilisation même : « La culture doit comprendre qu’en cherchant à absorber le christianisme elle absorbe quelque chose de mortel pour elle-même. Elle cherche à admettre quelque chose qui ne peut pas l’admettre, elle ; quelque chose qui la nie » 14 juin 1926, p.5. Mettez n’importe quelle foi à la place du « christianisme » et vous aurez le bon sens. L’islamisme aujourd’hui est dans ce cas : en cherchant à admettre un islam qui ne peut littéralement pas l’admettre, la culture humaniste des idiots utiles injecte quelque chose de mortel dans « la » culture – la nôtre. « L’on excusera mal, plus tard, cette modération, cette longanimité, cette tolérance dont nous avons fait preuve à l’égard du catholicisme ; notre sympathie paraîtra faiblesse, et notre indulgence sera jugée sans indulgence. Encore heureux si l’on ne dit pas que nous avons eu peur », écrit Gide le 6 juillet 1938, p.86. Cette phrase s’applique telle qu’elle aujourd’hui. Quant à la « post-vérité » érigée récemment par Trump en dogme de gouvernement, Gide la notait déjà chez Barrès, le nationaliste de son temps : « Je ne consens à connaître pour vrai que ce qui me sert », lui fait-il dire le 11 novembre 1927, p.59.

Comme le premier tome, ce Journal est fait de bric et de broc, les cahiers de réflexions s’ajoutant au carnet plus vraiment quotidien, les relations de voyage restant brutes avant toute élaboration (le carnet d’URSS montre combien l’auteur devient prudent et ne note plus sur la fin que quelques phrases sibyllines). Mais il est bien vivant : « Tout ce que j’ai écrit de mieux a été bien écrit tout de suite, sans peine, fatigue ni ennui » 18 août 1927, p.41. André Gide fut le premier écrivain vivant à être publié dans la Pléiade en 1939, collection Gallimard dirigée par son ami Jacques Schiffrin. La dernière entrée du Journal date du 21 novembre 1950, Gide s’éteindra le 19 février 1951, moins de trois mois plus tard. Le bilan de son existence, il le tire le 3 septembre 1948, à 79 ans : « Un extraordinaire, un insatiable besoin d’aimer et d’être aimé, je crois que c’est cela qui a dominé ma vie, qui m’a poussé à écrire ; besoin quasi mystique au surplus, car j’acceptais qu’il ne trouvât pas, de mon vivant, sa récompense » p.1066.

Ce sont donc les carnets d’une vie entière, de 18 à 82 ans, qui composent cette œuvre. Ils disent l’homme et c’est ce qui nous importe, au fond, plus que les faits ou les imaginations. « Ne vaut réellement, en littérature, que ce que nous enseigne la vie. Tout ce que l’on n’apprend que par les livres reste abstrait, lettre morte » 4 novembre 1927, p.56.

André Gide, Journal II, 1926-1950, édition Martine Sagaert, Gallimard Pléiade 1997, 1649 pages (1106 pages sans les notes), €76.50

André Gide, Journal – une anthologie 1889-1949 (morceaux choisis), Folio 2012, 464 pages, €9.30

Le site André Gide en anglais http://www.andregide.org/

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Décrypter l’information

Véhiculer telles quelles les images et les arguments des autres, ce n’est pas de l’information. C’est soit de la naïveté de foule, soit de la désinformation.

L’information est une suite de faits établis, issus de sources fiables, vérifiés par recoupements et analysés dans leur contexte.

L’information est un travail de professionnel – un métier. Il est pratiqué par les bons journalistes, mais pas seulement. Il est pratiqué aussi tous les jours par les chercheurs, les professeurs d’université, les diplomates, les services de renseignement et les gouvernements, les économistes spécialisés en intelligence économique, les stratèges boursiers, les décideurs des grandes entreprises, comme par tous ceux qui, non professionnels, s’intéressent à un sujet sans a priori – en bref par tous ceux pour qui une information précise, vérifiée et rapide est vitale.

La naïveté de foule est, pour l’individu, de suivre sans réflexion « ce qui se dit ». Il s’agit de véhiculer l’opinion commune, juste pour paraître comme tout le monde, dans le vent. Cette naïveté est très proche de « la bêtise », si bien analysée par Flaubert dans son Dictionnaire des idées reçues, comme par Nathalie Sarraute dans Disent les imbéciles.

La désinformation est le contraire de l’information.

Elle est donc de présenter pour « vrais » des faits hypothétiques ou déformés, issus de sources obscures, non vérifiés et sortis absolument de leur contexte. La désinformation s’apparente à la rumeur.

Or la rumeur est un mode de pensée magique qui reflète un climat social et projette sur un bouc émissaire une angoisse collective. Une pensée magique est une pensée sortie absolument de l’histoire, un fixisme des « essences » à la manière de Platon dans le mythe de la caverne. Les faits ne se produisent pas ici et maintenant mais sont l’archétype de faits éternels qui se reproduisent mécaniquement, quel que soit le contexte. Ainsi le Traître, l’Ogre, le Cheval de Troie, le Complot…

Nul besoin alors d’analyser avec précision ce qui s’est produit le 11 septembre 2001 à 9h03, ni d’enquêter pour vérifier et recouper – il suffit de partir à l’envers. Évoquer le Mythe lui-même, comme certains invoquent le Diable, fait apparaître une structure logique, immédiatement compréhensible, à laquelle tous les petits faits viennent, comme miraculeusement, s’agréger. Hélas ! Il ne suffit pas d’être « logique » pour être « vrai »… Une logique peut être délirante lorsqu’elle part de prémisses fausses ou déformées. Elle est alors proprement « paranoïaque ».

Croyance intime ou volonté de vendre et se faire mousser, nombreux sont les « événementistes », qui mettent en scène leur propre personne pour se faire ainsi reconnaître via le net. Car Internet a amplifié ce phénomène : il suffit de peu de moyens et d’un peu de temps libre pour créer l’illusion d’une vraie « presse en ligne ». Mais les artifices de mise en page ne remplacent nullement le professionnalisme, ni l’unique rédacteur le garde-fou d’une véritable équipe de rédaction.

sophistes

Comment analyse-t-on une désinformation ?

Il faut procéder comme l’ont fait Marx, Nietzsche, Freud ou Foucault : en faire la généalogie. Pour remonter à la racine de la mise en scène de théâtre, présentée comme « information », il faut se poser les questions habituelles à tout enquêteur :

  • à qui profite le crime ? Ledit crime étant la désinformation présentée comme « vraie »
  • qu’est-ce qui a poussé le criminel ?
  • quels sont les ressorts dont il a joué pour réussir son crime ?

La désinformation, en présentant comme paradoxale l’information officielle, attire l’attention. Quoi de plus efficace dans une société tout entière remuée par les médias ? Exister, c’est apparaître au public, donc produire un choc. Soyez serial killer, terroriste de masse, chanteur mignon, footeux gagnant ou politicien béni par les sondages – vous paraîtrez à la télé. Et comme disait le bon Dr Goebbels – expert en la matière – « plus c’est gros, plus ça passe ». Tel est le ressort profond de la propagande. A qui profite le crime ? – Mais à celui qui le commet, bien sûr, lorsqu’il s’agit de désinformation.

Le mauvais journaliste qui veut se faire reconnaître par la société a donc intérêt à choquer l’opinion pour émerger. A fortiori celui qui n’est même pas journaliste, ni historien. L’auteur de la vraie-fausse info agit tout comme le psychopathe qui joue avec la police. Qu’est-ce qui a poussé le criminel ? – Mais le désir d’être reconnu, d’avoir son « petit quart d’heure de célébrité » dans la lucarne du village global, comme le prédisait McLuhan.

Une opinion, quelle qu’elle soit, trouve toujours des relais dans le public, notamment via ses fantasmes.

Le ‘Canard Enchaîné’ du 3 avril 2002 écrivait avec son ironie habituelle : « Futurs auteurs de best-sellers, voici donc la recette imparable : identifiez un événement qui a frappé l’imagination des foules, décortiquez les mensonges officiels (car il y a toujours, évidemment, dans les vérités officielles, des lacunes, des arrangements, des paradoxes, des dissimulations), et remplacez-les par un gros bobard que vous aurez trouvé sur Internet. C’est facile, il n’y a qu’à se baisser ! » Ensuite, il suffit de raisonner juste… sur la base d’informations fausses. C’est bien le propre de la logique paranoïaque. Tout est bon à la propagande, même le mensonge, s’il paraît « logique ». Quels sont les ressorts dont il a joué pour réussir son crime ? – Mais la structure de la société de l’information elle-même, et la fierté nationale ou sectaire, toutes deux amplifiées par Internet !

Ce pourquoi méfiez-vous des rumeurs sur Facebook, des fausses informations du Réseau Voltaire et de tous gens qui écrivent sur les sites non professionnels comme Agoravox qui n’énonce pas que des faits vérifiés. Méfiez-vous des fantasmes de Complot mondial (évidemment juif), fomenté par (évidemment) la CIA, financée (évidemment) par le complexe militaro-industriel de la Trilatérale. Et pourquoi pas le Diable, tant que vous y êtes ? Trop « d’évidences » ne signifient pas vérité mais, au contraire, sophisme !

Jean-Noël Kapferer, Rumeurs
Pour décrypter la désinformation, le site Hoaxbuster
En français Conspiracy Watch
Prevensectes
Pour lire les sophismes

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Vote obligatoire et socialisme autoritaire

On connaissait le socialisme des imbéciles, on sait l’échec du socialisme « réel », on croyait arrivé le normal-socialisme, on déplorait la moraline socialiste, on se moquait facilement de la gauche bobo, on savait pourtant que la gauche avait lâché le peuple, on comparait la régression socialiste en Chine et en France, on remettait en perspective dans l’histoire le social-individualisme, on pointait clairement l’ignorance socialiste du droit, on remarquait que la gauche morale se raccrochait aux branches – mais on avait oublié le socialisme autoritaire !

Car le socialisme à la française déteste la liberté.

Laisser aux gens le droit ou – pire ! – la « possibilité » de faire comme bon leur semble est inadmissible pour les missionnaires de la Vérité révélée du Progrès en marche vers l’Égalité pure et parfaite de l’Avenir radieux. Ne riez pas, telle est la croyance des socialistes, une véritable religion si vous creusez un peu.

Ainsi à la Mairie de Paris où l’ineffable Christophe Girard sous la houlette Hidalgo force les noms de rues politiquement corrects – par seule croyance idéologique – dans l’ignorance de la réalité des gens et de l’histoire.

Ainsi chez Renault : l’État entreprend de monter sa participation pour « forcer » (démocratiquement…) les actionnaires à consentir au droit de vote double pour ceux qui restent 2 ans. Y aurait-il en socialisme de « plus égaux » que les autres ?

Ainsi avec la loi sur le Renseignement où, sous prétexte de « terrorisme » (sur lequel tout le monde est d’accord), on va offrir la possibilité aux fonctionnaires de capter les informations de tout le monde, en tous lieux, pour toutes raisons de soupçons – et cela sans le contrôle du pouvoir judiciaire. Seuls des fonctionnaires « contrôleront » les fonctionnaires ! La dérive en « police politique » sera aisée – même si (pour l’instant) nous ne créditons pas ce gouvernement d’y viser. Mais est-ce prudent de laisser une grenade dégoupillée dans les mains de n’importe qui ? Surtout dans le futur.

Mais ne voilà-t-il pas surtout que, sur ordre de l’Olympe socialiste (qui vit aux Champs-Élysées pour ceux qui connaissent encore un peu ce grec que Belkacem veut éradiquer), Claude Bartolone vient de pondre un rapport (vite sorti et pensé légèrement) pour forcer les Français à aller voter à chaque élection ?

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Votez sous peine d’amende !

Le « vote obligatoire » serait-il la panacée aux inepties de doctrine, au ministères du discours opposés aux ministères de gouvernement, aux lâchetés politiques, aux démissions de l’Éducation nationale confite en syndicats « réactionnaires » de gauche pour qui il ne faut surtout RIEN changer, aux mensonges les yeux dans les yeux des électeurs, à la médiocrité des candidats aux élections… On croit rêver : la fraternité socialiste « réalisée » serait décrétée d’État par l’usage d’un « droit » dont on ferait une obligation légale par la contrainte de la force publique. Comme sous feu le maréchal Staline.

En démocratie, la liberté prime l’État. Si c’est l’inverse, nous sommes dans un État totalitaire, absolument pas en démocratie, se décrétât-elle « populaire ». Le rêve du socialisme est le vieux rêve léniniste (qui n’était pas marxiste, l’ayant tordu à sa sauce activiste) : que tout fonctionne « à la manière de la Poste », du haut en bas, jugulaire-jugulaire. Un vrai fantasme administratif de fils d’ouvrier agricole autoritaire, formé aux épures matheuses niveau basique.

La Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen de 1789, grand mythe fondateur de la gauche croit-on, proclame pourtant clairement en son article 2 : « Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression. » Ou encore, en son article 5 : « La Loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société. » Conçoit-on que « le vote » soit une nuisance à la Société s’il n’est pas exercé ? Il n’est pas écrit que tous les citoyens ont l’obligation, ni même le devoir, mais que « Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants » (article 6). Vous avez bien lu « droit » ! Rien de plus. Rien de l’obligation soviétique d’aller voter, par exemple…

C’était l’exigence des Lumières de convaincre les gens par la Raison. Ce devoir est bien mal rempli par un parti qui se proclame « de gauche » sans le prouver, qui promet monts et merveilles mais gouverne comme la droite précédente, qui se veut « normal » c’est-à-dire aussi mou et paresseux que sous Chirac, le charme personnel en moins mais le mensonge sur les « promesses » en pire. Le socialisme ne parvient pas à convaincre ? Changez de socialisme ! Les autres peuples européens l’ont fait et s’en portent très bien.

Non, en France on veut plutôt changer le peuple. Le socialiste ne se remet jamais en question, vieux tropisme catholique-romain mâtiné de machisme latin qui veut que le plus sage et le plus avisé soit le plus vieux et le plus puissant – comme si nous étions encore dans un groupe de singes. Or « la démocratie » implique la participation. Et l’on ne fait pas « participer » le peuple simplement en lui demandant d’approuver, ni en le forçant à élire les candidats socialistes.

Mais ni la religion d’État (ce laïcard-socialisme issu tout droit du catholicisme social), ni l’éducation « nationale » du tous-pareils notés sur vingt, ne préparent le peuple à participer, faute de savoir s’exprimer autrement qu’en gueulant avec 300 mots ou en cassant lors des manifs et, pour les plus évolués, en boudant lors de « grèves » aussi interminables que floues. Quand on n’apprend pas à développer cet élément de base des droits de l’Homme qu’est « l’expression » (sans laquelle le « droit d’expression » se résume à des coups, des borborygmes ou des balles de kalachnikov), comment oser exiger des citoyens qu’ils viennent « participer » ?

Plutôt que de rendre le vote obligatoire, proposez de rendre l’expression orale et écrite obligatoire dans les écoles, Monsieur le président de l’Assemblée nationale !

Ouvrez les débats citoyens, les référendums d’initiative populaire, abaissez le droit de vote à 16 ans avec éducation au droit à l’école, forcez au non-cumul des mandats pour que les élus soient vraiment au service des électeurs, développez le contrôle des élus par les citoyens.

C’est ce que demandaient Los Indignados en Espagne : « Ce que nous réclamons, c’est que le Gouvernement établisse des mécanismes pour que les gens puissent contrôler ce que font les hommes politiques. Actuellement, en dehors du vote, il n’y a pas de moyen de le faire et les élus ont carte blanche toute la durée de leur mandat. »

C’est aussi, plus simplement, ce que préconise Pierre Rosanvallon dans un livre de 2008 déjà, ancien syndicaliste de gauche proche du socialisme. Mais c’est probablement trop fort pour Monsieur Bartolone, qui n’a peut-être jamais eu le temps de le lire, ni de le penser par lui-même.

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Certes, des arguments sensés existent, et le vote obligatoire est pratiqué sous des régimes tels que la Belgique, la Grèce, le Costa Rica, le Brésil et la Turquie… mais constate-t-on que la politique se porte mieux dans ces pays ?… Au contraire, l’Australie et les Pays-Bas sont revenus sur une telle obligation : cela ne voudrait-il rien dire ? Un socialiste français se croit-il plus intelligent ou plus avisé que les autres ? Ou se défausse-t-il de ses carences sur le commode bouc émissaire de l’abstention – sans s’interroger sur son pourquoi ?

Disons-le tout net : le vote obligatoire n’est pas démocratique. C’est la subversion d’un droit en contrainte. C’est le recul de la liberté au profit de quelques-uns, ceux qui se croient investis d’une mission de sauver les électeurs malgré eux, les considérant comme des immatures, ouvriers, infantiles. Ce sont en effet parmi ces catégories que l’on trouve le plus d’abstention, dit-on.

Il s’agit donc bien d’éducation et de formation, d’intérêt pour les candidats, de conviction que son vote peut influer sur le cours des choses : pas de paresse ni de refus d’être un citoyen. D’ailleurs, l’abstention est-elle grande aux élections présidentielles ou au municipales ? Non, bien sûr, parce que les électeurs voient directement leur intérêt personnel direct dans de telles élections. À l’inverse des dernières « départementales » où personne ne savait plus à quoi va servir un département, censé disparaître en 2021 selon Valls – quand même Premier ministre. Il s’agit donc de séduire, pas de punir ! Et de proposer des urnes désirables – où les promesses se réalisent ou ne sont pas proférées à la légère.

urne seins nus

Si la proposition de loi est votée par une Assemblée à la botte, l’inévitable va se produire :

  • la « résistance » d’une grande partie de la population qui préférera payer l’amende (à condition qu’il y ait assez de flics pour les y forcer) – se défaussant par l’argent du devoir civique (bel exemple de « socialisme » !)
  • le « tant pis pour vous ! » d’une autre partie de la population qui fera exprès de voter populiste ou extrémiste – ou qui systématiquement va sortir les sortants
  • la manifestation plus grande qu’auparavant du vote blanc (enveloppe vide ou papier vierge) ou du vote nul (injures gribouillées sur le bulletin du candidat) – en ce cas : pourra-t-on encore « ignorer » le vote blanc ?

Il faudrait la voir la tête du Bartolone lorsqu’il se verra « élu » par seulement 13 ou 15% des électeurs inscrits… Son « mandat » sera-t-il légitime ? Pourra-t-il toujours prétendre agir pour le bien de tous, si ces tous se réduisent à presque rien ? Il y a décidément de vraies têtes de linotte dans le socialisme à la française. Et un vieux tropisme autoritaire qui ferait bien préférer l’original à la copie.

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William Faulkner, Les invaincus

william faulkner l invaincu
Roman d’apprentissage en sept nouvelles raboutées dont la dernière, inédite lors de la première édition, donne tout son sens au récit, il est traduit L’invaincu en Folio, mais Les invaincus en Pléiade – meilleure traduction plus proche de l’original..

Tout commence par deux enfants de 12 ans qui jouent à la guerre dans la poussière. Bayard Sartoris est le fils du colonel autoproclamé, à la tête de sa levée sécessionniste pour combattre les Yankees ; Marengo, dit Ringo, est un Noir de la plantation né le même jour et qui accompagne jour et nuit son frère de lait. Nous sommes durant la guerre du nord contre le sud pour abolir l’esclavage et Bayard raconte.

« Ringo et moi nous étions nés le même mois, nous avions été nourris tous deux au même sein et nous avions couché et mangé ensemble si longtemps que Ringo appelait grand-mère ‘Granny’ exactement comme moi, au point que peut-être il n’était plus un nègre, que peut-être je n’étais plus un enfant blanc, que nous deux nous n’étions même plus des êtres humains : tous deux au-dessus de la mêlée, invaincus telles deux phalènes, deux plumes chevauchant plus haut que l’ouragan » p.946 Pléiade. Tout est dit, les deux enfants font tout ensemble, mieux que des jumeaux parce qu’ils ne sont pas frères, pas rivaux mais complémentaires. Le père de Bayard est au loin, sa mère morte, ne reste plus que la grand-mère Rosa, une forte faible femme qui ment avec aplomb mais se repend toujours, surtout quand c’est pour la bonne cause.

gamins torse nu noir et blanc

Lorsque les Yankees arrivent à la plantation, les deux gamins tirent sur le premier au fusil ; heureusement, ils ne tuent que le cheval, ce qui leur vaut de n’être pas cloués à la porte de la grange grâce au plus gros mensonge de Granny qui les cache sous ses jupes et nie avoir vu des enfants dans cette maison. Par la suite, l’argenterie sera pillée à cause de la trahison d’un nègre, la maison incendiée et Granny, flanquée des deux compères qui ont désormais 14 ans, va atteler sa charrette à deux mulets pour aller revendiquer auprès du colonel Yankee. Celui-ci va lui signer un bon de dédommagement en malles, nègres et mulets, qui va permettre un fructueux trafic pour se refaire des prédations nordistes. Autres mensonges qui devront être expiés, mais dont Granny revendique toute la responsabilité face à Dieu : « Mais je n’ai péché ni pour le gain ni par avarice (…) je n’ai pas péché par vengeance. Je Vous défie et je défie quiconque de dire le contraire. J’ai péché d’abord pour la justice. Et, après cette première fois, j’ai péché pour plus que la justice. J’ai péché pour procurer de quoi manger et se vêtir à Vos propres créatures qui ne pouvaient s’aider elles-mêmes ; pour des enfants qui avaient donnés leurs pères, pour des femmes qui avaient donné leurs maris, pour des vieux qui avaient donné leurs fils à une cause sacrée, bien qu’il Vous ait plu d’en faire une cause perdue. Ce que je gagnais, je le partageais avec eux » p.1050.

Sacrée grand-mère ! Elle sera tuée dans une dernière transaction, trahie une fois de plus par l’un des siens, un petit Blanc minable du nom de Snopes. Bayard, qui va sur ses 16 ans, va la venger, poussé par Drusilla, sa cousine qui s’habille en homme et a rejoint les corps francs. Ce sont ces femmes, en l’absence d’hommes, et contre la bienséance sociale du temps ; ce sont ces gamins, laissés en friches et élevés dans la violence de la guerre et de l’injustice, qui sont les Invaincus.

Mais il faut qu’un jour l’engrenage des violences s’arrête et que la guerre civile finisse. C’est l’objet de la dernière nouvelle, rajoutée en inédit, qui montre un Bayard de 24 ans terminant ses études de droit, aller se présenter sans arme devant le tueur de son père l’ex-colonel John Sartoris. Ce dernier a tant excédé son ancien associé Redmond, poussé comme un ivrogne qui ne peut plus s’arrêter à le rabaisser, que celui-ci a fini par le tuer. Drusilla, entre temps mariée à l’ex-colonel Sartoris, pousse son cousin à se venger, mais Bayard est plus sage. Face à Redmond, il lui signifie qu’il doit l’affronter mais qu’il ne lui en veut pas. Redmond tire, le rate par deux fois – probablement exprès – puis quitte la ville ; Bayard, sans arme, ne tire pas. Fin de la violence, une autre vie peut commencer.

Rester invaincus, oui ; continuer la guerre par tous moyens, non. Il faut savoir s’arrêter. Pour devenir un homme, Bayard doit se rebeller ; mais ce n’est pas contre son père, reconverti de la guerre dans les affaires, avec autant de violence au point de se faire tuer : c’est contre sa cousine et belle-mère – une femme – qui ne connait rien aux lois de la violence. La tentation du diable, « éternel Serpent » p.1403 qui – de plus – s’offre au jeune homme en inceste comme prix sexuel de sa bravoure !

Ce roman se lit agréablement, tout empli de senteurs et d’évocations du sud. Certes, l’esclavage est minimisé, les relations entre les deux garçons idéalisées, mais les conséquences de l’émancipation brutale par les Yankee sont bien montrées : les nègres en foule marchent vers « le Jourdain » avant de se faire refouler par la cavalerie qui réserve les ponts à ses soldats, la plupart reviennent dans les plantations où ils avaient leurs habitudes et leur confort sans responsabilité ; on ne sait pas ce que devient Ringo, toujours fidèle à Bayard mais qui ne fait pas d’études.

A qui veut aborder Faulkner, qu’il commence par Les invaincus.

William Faulkner, L’invaincu (The Unvanquished), 1934, Folio 1990, 281 pages, €7.90
William Faulkner, Œuvres romanesques tome 2, Gallimard Pléiade 1995, 1479 pages, €58.90

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Anatole France, Le lys rouge

anatole france le lys rouge

Le poète romancier publie à 50 ans le roman de son amour charnel pour Madame Caillavet, fille de financier juif autrichien, maîtresse passionnément aimée jusqu’en 1888. L’amour est un tourment, seule la sensualité est vraie, car tout n’est que moment. L’amour idéalisé est une impossible possession, d’où la jalousie inévitable qui naît. Sensuelle mais passionnée, Madame Caillavet est traduite ici en balzacienne femme de 30 ans, mondaine affadie qui prend des amants parce qu’elle s’ennuie.

Le mouvement du roman est la torture du soupçon, chacun voulant toujours deviner le futur ou jalousant le passé plutôt que profiter du présent. Les mondaines supputent qui couche avec qui ; les amies si l’amant est digne ou non ; l’amant s’il a eu un rival dont les feux brûlent encore ; les maris s’il faut provoquer l’amant en duel pour faire taire les mauvaises langues… Dans la société bourgeoise qui se pique de « sentiments » et adore voiler d’idéologie les actes les plus organiques, le style fait le succès. Anatole France en eu beaucoup, jusque dans les années 1950, où tout l’art de baiser consistait à séduire, à vaincre la peur du gosse alors que ni la pilule, ni l’avortement n’étaient accessibles. C’est moins vrai aujourd’hui où les relations sont plus directes et plus crues. Mais les passions demeurent, dont l’art de plaire, de faire rire, de renouveler l’enchantement. La jalousie aussi, âpre et biblique comme Madame Caillavet.

L’auteur évoque son expérience et son monde, mais en surélévation sociale. Tous les personnages sont plus hauts qu’en vrai, d’où cette impression de flotter dans un monde de dieux. France la compense par toute une galerie de caractères secondaires bien vifs comme Choulette, anarchiste catholique qui finit sénateur ; Vivian Bell, anglaise garçonnière et poète vivant dans le luxe à Florence ; Montessuy, financier avisé qui s’est fait lui-même, faisant et défaisant sur la fin les gouvernements ; le sénateur Loyer, gambettiste popu et roublard, au nom sonnant et trébuchant ; le général Larivière, creux et ronflant ; le comte d’empire Martin-Bellème, mari de Thérèse, ambitieux et comptable, en politique d’une « inflexible modération ». Il y a aussi ce savetier sage de Florence qui se contente de répéter les gestes ancestraux dans la hantise du travail bien fait ; cette marchande de journaux « amusante et vicieuse », mais « trop instinctive pour faire une grande cocotte » ; ce jeune ouvrier anarchiste, sobre, chaste et surtout vertueux, « beau comme une fille » mais tueur sans pitié (méfiez-vous des vertueux qui veulent faire le bonheur des hommes malgré eux, dira toujours Anatole France). Nous avons des scènes de salon, le compartiment de train Paris-Marseille, la loge d’Opéra où les mondains sont plus préoccupés de se regarder entre eux à la lorgnette, voire à lorgner les danseuses demi nues, qu’à jouir du spectacle.

L’Italie est aussi le passage obligé de l’amour. Chanté par ses poètes, vanté pour ses opéras, illustré par ses peintures et sculptures, Florence permet d’évoquer la nudité et le sexe sous prétexte du Beau. Ce n’est pas par hasard si la bonne veuve Marmet reconnaît sur les tableaux des peintres tous ceux qu’elle a croisés dans les salons. Mais l’Italie sait conjuguer dans sa langue l’amor/la mort, depuis la tombe enchantée de Ravenne aux rencontres d’un enterrement de nuit sur les bords de l’Arno, jusqu’à la chambre où Thérèse est baisée, qui donne sur un cimetière.

lys rouge florenceLe lys rouge est le symbole sanglant de Florence, lys virginal de l’Annonciation porté par l’ange Gabriel, cruel couteau de la passion teinté du cœur saignant. Le lys rouge est le roman des ruines, comme Florence, comme l’amour à l’impossible fusion, voué à l’éphémère des sens, à l’inconstance des sentiments et aux reproches de la raison.

Mais, moins que tout, le mariage n’a pas cette importance que la bourgeoisie parvenue a sacralisée dans le droit issu de la Révolution. « L’importance qu’on y donne dans notre société est une niaiserie qui eût bien fait rire les femmes de l’Ancien régime. Nous devons ce préjugé, comme tant d’autres, à cette effervescence des bourgeois, à cette poussée des fiscaux et des robins (…) car, dans un État policé, chacun doit avoir sa fiche » Pléiade II p.435. Les gais et lesbiennes qui ont revendiqué d’être « bourgeois comme les autres » devraient s’en méfier. Les femmes prennent des amants et les hommes des maîtresses parce que nul n’aime selon les convenances de dot ou d’héritage. Est-ce hypocrisie ? « une femme est franche quand elle ne fait pas de mensonges inutiles », déclare Thérèse (p.465). L’ancien amant ? « cela n’existe plus, n’a jamais existé », tant les femmes ont cette faculté de nier absolument tout ce qui n’est pas sens au présent.

« N’ayant gardé que la fine chemise rose, qui, glissant en écharpe sur l’épaule, découvrait un sein et voilait l’autre, dont la pointe rougissait à travers, elle jouissait de sa chair offerte. Ses lèvres s’entrouvraient sur l’éclair de ses dents humides. Elle demandait, avec une coquette inquiétude, s’il n’était pas déçu après le rêve savant qu’il avait fait d’elle » p.475. Pour cette langue magnifique, qui s’insinue sur les peaux nues avec une délicatesse d’artiste, nous aimons bien Anatole France.

Anatole France, Le lys rouge, 1894, Folio 1992, 384 pages, €6.60

Anatole France, Œuvres tome 2, Gallimard Pléiade 1987, édition de Marie-Pierre Bancquart, 1300 pages, €54.15

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Elisabeth George, Le visage de l’ennemi

Elisabeth George Le visage de l ennemi

Voici un superbe roman policier sur l’hypocrisie qui n’a pas pris une ride. Élisabeth George est américaine, et elle n’a pas son pareil pour disséquer au scalpel la société britannique. L’intrigue est bien menée, les personnages crédibles et leur psychologie fouillée. Comme dans la comédie de mœurs, le ressort est une passion, ici l’hypocrisie.

Hypocrisie des politiciens qui vantent la vertu, la main sur le cœur, et fricotent en coulisse comme tout un chacun ; hypocrisie des femmes qui doivent plus que les hommes accentuer leur comportement si elles veulent émerger ; hypocrisie de la presse à scandale, ébouillantée des frasques qu’elle se fait un malin plaisir à dénoncer quand il s’agit des autres ; hypocrisie des public schools dans lesquelles des adolescents frustrés assouvissent leur sexualité jaillissante comme ils peuvent, sur des élèves de sixième terrorisés, sur des moutons ou sur des filles de village vénales ; hypocrisie des filles-mères qui ne veulent pas s’avouer qu’elles ne savent pas de qui est leur enfant tant sont nombreux les garçons à leur être passés dessus pour 2£ chacun ; hypocrisie des pères dont les rêves deviennent les cauchemars des fils ; hypocrisie sociale du paraître, à tous les étages…

« L’hypocrisie, le seul vice qui passe invisible » dit un vers de Milton, cité en exergue. Parce qu’une fille a fauté à 14 ou 15 ans avec tous les pensionnaires d’une école, parce qu’elle a menti au fils qui est né de ces étreintes, une petite fille va mourir et un petit garçon, encore plus jeune, va subir le même sort.

Ève Bowen est sous-secrétaire d’État et député, elle est arrivée à force de travail au poste qu’elle occupe. « Elle travaillait, elle intriguait, elle planifiait, elle réalisait, elle manipulait, elle luttait, elle défendait des causes, elle condamnait » p.384. Mais sa fille a été pour elle un faire-valoir, un marchepied de son ambition ; elle ne la connaît pas, ne l’écoute pas, la veut comme il se doit, sage image présentable à l’opinion. Elle refuse de prévenir la police quand elle est enlevée, par paranoïa et certitude que tout est complot contre sa réussite.

Dennis Luxford est rédacteur-en-chef d’un torchon de la presse à scandale dont le fond de commerce est la traque aux turpitudes sexuelles des politiciens conservateurs. Justement, on en a retrouvé un au bord d’un parc, la queue dans la bouche d’un prostitué de seize ans. Dennis adore son travail et s’est blindé depuis longtemps contre les sentiments. Sauf que son fils Leo, blond fluet de huit ans, ne répond pas au petit mâle idéal qu’il voudrait avoir : costaud, sportif, battant. Ne serait-ce pas parce que lui-même a eu tout jeune des doutes sur sa virilité ?

Tous vont se voir remis en cause car « les circonstances faisaient voler en éclats leur enveloppe extérieure qui se brisait comme seuls se brisent les rêves d’enfant qu’on porte dans son cœur » p.552. Finalement on se demande si l’auteur, allant au bout de sa logique, ne valorise pas les rebelles sociaux, ceux qui refusent les conventions a priori hypocrites de la vie en commun : « Il freina pour éviter un ado coiffé comme un Mohican avec un anneau dans le téton gauche qui poussait une voiture d’enfant bizarrement recouverte d’un tissu noir ajouré » p.571… Car pour tous les protagonistes, ce sont « autant d’événements à expliquer à la presse. Tu vis dans un monde où seules comptent les apparences, pas la réalité. Je suis idiot de ne pas m’en être rendu compte plus tôt » p.666. Le Chiffre de la Bête a parlé.

L’inspecteur aristocrate Lynley, qui doit épouser Helen qui hésite, et le sergent Havers, grosse laide informe sortie du populo, tout comme le constable Nkata, Jamaïcain post-délinquant, auront fort à faire pour démêler les fils de cette mise en scène compliquées, fondée sur des mensonges sociaux. Pour toute la gamme de nos émotions, et notre bonheur de lecture. Quel père ne fondra pas en lisant la dernière page ?

Élisabeth George, Le visage de l’ennemi (In the Presence of the Enemy), 1996, Pocket juin 2012, 762 pages, €7.98

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Jean-Paul Galibert, Suicide et sacrifice

Jean Paul Galibert Suicide et sacrificeLorsque l’on m’a confié l’essai de Monsieur Galibert, je m’attendais à lire une analyse économique de la société. Il n’en est rien, l’économie n’est évoquée qu’en passant, dans un ciel des idées hors sol. Le capitalisme de l’auteur, agrégé de philosophie, a tout du bouc émissaire commode.

Il préfère l’appeler « hyper » capitalisme, parce que plus puissant, plus étendu et plus implacable que le simple capitalisme de papa (appelé ‘capitalisme rhénan’ il y a 20 ans par Michel Albert). Un hypercapitalisme comme réalité augmentée – autrement dit un fantasme de la caverne, pour parler en philosophe. Or, échafauder tout un système à partir de prémisses fausses est voué à l’échec.

Le livre se lit bien, sans jargon, ce qui est remarquable. Mais il fait le procès de la modernité plus que du système économique. Les entreprises ont toujours le même but : produire le plus et le mieux avec le moins (de capital, de salariés, de matières premières, de taxes, de coûts). Qu’y a-t-il donc de nouveau sous le soleil ?

De la globalisation, l’auteur ne retient que la pression financière des syndicats de retraités (fonds de pension, assurance-vie, plans d’épargne entreprise). Il croit que « l’entreprise la plus rentable est celle qui supprime le plus de salaires » p.17. C’est faux : l’entreprise la plus rentable est celle qui a su créer (par innovation ou marketing) un monopole temporaire : Sony, Apple, Toyota, Hermès, Société générale avant Kerviel… Évidemment soumis à défi par les autres, encouragés à faire mieux : Sony, BMW, etc.

L’auteur parle surtout de la France, limitant son analyse aux suicidés français, à la téléréalité française, au principe de précaution français (exception mondiale inscrite par les politiques – et pas par les entrepreneurs – dans la Constitution française). Or la France est le pays développé dont la production intérieure est le plus due à l’État : 56% du PIB global français… Parler des méfaits de l’hypercapitalisme pour un pays d’une telle puissance publique sonne assez étrange aux oreilles d’un économiste.

Il y aurait autre chose à dire que l’auteur sur les causes (bien réelles, et bien décrites) d’aliénation télévisuelle, de peur entretenue par le système médiatique, de mensonges politiques, de fermeture de soi, d’indignation stérile. Mais il s’agit là de politique et d’anthropologie, non d’économie.

Jean-Paul Galibert, qui est professeur, n’évoque en rien la débâcle de l’éducation – dite « nationale » pour faire collectif alors qu’elle se réduit au débrouillez-vous hyperindividualiste. Est-ce que ce sont les entreprises hypercapitalistes, les financiers aux doigts hypercrochus, les zélotes d’un complot hyperplanétaire qui ont fait de l’enseignement ce chaos où l’on n’apprend plus ni à écrire correctement, ni à s’exprimer à l’oral sans mots-valises, euh ! et borborygmes, ni à connaître un pourcentage ?

Ne serait-ce pas plutôt l’idéologie hyper68 issue des Foucault, Deleuze et Bourdieu qui a détruit la culture qui permettait d’exister ? Tous sont des intellectuels estimables mais caricaturés, amplifiés et déformés par les précieux ridicules des nouveaux salons médiatiques. Si « les ouvriers se suicident plus que les cadres » (et sont te tés par le Front national…), n’est-ce pas parce qu’ils manquent plus que les autres de repères culturels ?

Nombre d’enquêtes européennes ou OCDE pointent la sélection uniquement mathématique du système scolaire français, ses redoublements qui excluent, son système de notation qui enfonce au lieu d’aider (et que les notants refusent pour eux-mêmes, c’est dire !) – en bref le stress permanent de l’éducation publique à la française.

eleve stresse

Jean-Paul Galibert écrit un réquisitoire sévère sur la société que notre génération a créée. Il a raison, mais il lui manque la perspective internationale et la position critique vis-à-vis de notre pays. Se suicidait-on moins dans l’ex-URSS – pays anticapitaliste par excellence ? La France est étatiste, régie par le politique, formée par le système public. Quelle est la part du capitalisme dans ce système anthropologique ? Ce même capitalisme qui stresse beaucoup moins les travailleurs en Allemagne (leurs syndicats sont largement plus représentatifs que les nôtres), beaucoup moins les élèves au Danemark, en Suède ou en Finlande, beaucoup moins la société toute entière au Brésil ou en Inde (malgré les inégalités plus criantes qu’ici).

Si notre société française est « suicidaire », n’est-ce pas plutôt parce que son étatisme est devenu inadapté au mouvement démocratique ? Le taux de suicides au travail est plus élevé dans les ex-monopoles d’État (La Poste, France Télécom, Renault…) que dans les entreprises privées en France : n’y aurait-il pas là matière à question sur le système public réel plus que sur l’hypercapitalisme abstrait ? A comparer avec les pays de l’ex-URSS où l’on se suicide plus que partout ailleurs en Europe. C’est moins « la rentabilité » qui rend stressé que l’absence de repères et de projet d’entreprise : les fonctionnaires sont-ils aptes à dire où l’on va ? La hiérarchie administrative à le penser ? Le système politique à l’affirmer ? Du Président à l’employé du guichet, toute la construction est pyramidale, faite d’exécution, de règlements, de « je ne veux pas le savoir ». Est-ce adapté à la population d’un pays développé au XXIème siècle ?

Au contraire, que le professeur Galibert se rassure, les Français aiment bien certaines entreprises : c’est le cas de Leclerc, d’Yves Rocher, d’Airbus, de Michelin, d’Auchan, de Danone… J’y vois l’attachement à un capitalisme « traditionnel » dans la culture française, l’entreprise de type familial, soucieuse des salariés et des consommateurs, qui ne fait ni de la technique pure (Concorde, invendable), ni de la finance pure (McDo, invivable), mais a le souci du durable (travailleurs performants, production adaptée et solide, coûts maîtrisés, insertion dans la collectivité). Ce que le rapport Gallois prône d’ailleurs.

Je l’appelle « capitalisme asiatique » dans mon étude sur la Gestion de fortune, parce qu’ l’idée du service au client d’abord est née au Japon, en Corée, en Chine, avant d’être envisagée aux États-Unis et en Europe. Le capitalisme rhénan est obsolète, féru de technique avant tout, il consomme trop et coût trop cher ; le capitalisme financier anglo-saxon a explosé en vol en 2007 (après le krach des technologiques en 2000 et celui des bilans comptables en 2002). Reste l’asiatique, qui rejoint les préoccupations de développement durable et d’ancrage social : Apple, Volkswagen, Danone, Samsung sont quelques exemples. Il y en a beaucoup d’autres parmi les PME (comme les Laboratoires Urgo à Dijon).

La démocratie a toujours encouragé l’individu au détriment de ses déterminants biologiques, familiaux, sociaux et religieux ; mais l’épanouissement individuel, signe de sa liberté, ne va pas sans stress car il exige la responsabilité. Notre système éducatif, notre État, nos familles, préparent-ils aussi bien qu’ailleurs les enfants à ce changement anthropologique ? Peut-être est-ce là, et non dans le fantasme imaginaire d’un concept d’hypercapitalisme sorti de toute application concrète, que l’intellectuel critique devrait creuser.

Il manque notamment de perspective d’avenir ou d’observation même du présent : qu’en est-il de ces presque 50% des consommateurs que pointent les enquêtes ? Les désabonnés qui n’ont pas envie et vivent difficilement (14% des Français) et les désabusés qui vivent confortablement mais n’ont pas plus envie (25%) ? Tous se mettent « en retrait » de la société actuelle (refusant plus ou moins Internet, la télé, le mobile, le vote, la pub, les supermarchés, la consommation, l’« art officiel » des festivals, etc.) ? Qu’en est-il de la perspective écologique (hors du parti arriviste), comme nouvelle harmonie homme/environnement ?

Mais surtout : quelles alternatives nous propose l’auteur pour sortir de l’inexistence ? La révolution ? L’indignation ? Le professorat ? Le livre fait penser, c’est indéniable, mais je me demande si Suicide et sacrifice, ne serait pas le nom réactualisé d’Orgueil et préjugés.

Mais peut-être ai-je mal compris ? Je ne suis pas opposé au débat.

Jean-Paul Galibert, Suicide et sacrifice – Le mode de destruction hypercapitaliste, novembre 2012, Nouvelles éditions Ligne, 85 pages, €12.35

L’auteur de cette analyse a travaillé trente ans dans la banque comme analyste crédit, conseiller de clientèle, gérant de patrimoine, directeur de SICAV, analyste financier, stratège et directeur de la recherche financière. Il est aujourd’hui enseignant, chroniqueur, et a écrit ‘Les outils de la stratégie boursière‘ (2007) et ‘Gestion de fortune‘ (2009).

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Junichiro Tanizaki, La confession impudique (ou La clé)

Ce court roman de Tanizaki (décédé en 1965), est à la fois sociologique, pornographique et policier. Il a été traduit en Folio par Gaston Renondeau sous le titre ‘La confession impudique’ pour faire vendre, puis par Anne Bayard-Sakai en Pléiade sous son titre japonais : ’La clé’. Obscénité ou littérature ? La polémique fait rage dans le Japon du milieu des années 1950… Mais c’est un tour de force ! L’auteur décrit les relations entre une femme de la bonne société de Kyoto, élevée à la traditionnelle et fidèle à son mari, de ce dernier, professeur d’université mais excité de ne plus être à la hauteur à 56 ans, et de l’amant, un étudiant vigoureux d’une vingtaine d’année, officiellement fiancé à la fille du couple. Sexe, mensonge et photo, tel pourrait être le sous-titre.

Surenchère du désir chez un couple passé la cinquantaine. La femme Ikuko est insatiable, elle en veut encore et épuise son mari ; elle aurait été « une bonne pute sur le marché », selon lui. Mais il l’aime, adore son corps d’albâtre et voudrait le voir entièrement nu. Elle ne veut pas, pudique par éducation. Donc il l’enivre, chaque soir, de cognac Courvoisier et elle aime ça. Il en profite pour la déshabiller, la caresser, la lécher, fétichiste du pied, la photographier sous toutes les coutures, puis accomplir son « devoir conjugal » avec la vigueur de sa jeunesse. Elle est reste toute surprise, dans la brume de l’ivresse.

Mais cela ne suffit pas. Chacun écrit son journal, version antique du Fesses-book. Chacun le cache mais sait que l’autre le lit en cachette, ce qui ajoute du piment. Lui colle les photos Polaroïd de sa femme entièrement nue ; elle fait semblant d’être émoustillée par ce qu’il lui fait, mais pense au jeune homme qui aide parfois son mari à la porter dans sa chambre. Surtout lorsqu’elle tombe dans les pommes, déshabillée, dans la salle de bain !

C’est que le mari utilise son étudiant pour bluffer sa femme ; il se rend jaloux lui-même pour être à la hauteur. Cela avec la complicité de sa fille, officiellement fiancée ! Vous le voyez, rien n’est simple en ce roman gigogne, et tout se complique par les mensonges croisés, avoués à la fin.

Car il y a meurtre. Fin de vie pour l’un des partenaires, au-delà de ses limites sexuelles. Petits arrangements entre amants pour la suite.

Cette intrigue des années 50 pourrait apparaitre bien surannée aujourd’hui où chacun baise comme il sent, corps offert à qui le voit, complaisamment étalé sur les réseaux sociaux… C’était une révolution à l’époque ! Le désir reconnu, l’amour malgré le corps, les excitants visuels et alcooliques, l’intensité du désir accentuée par le respect des convenances. Mais cela reste fort aujourd’hui, charnel, spirituel, profondément humain. Les liaisons dangereuses du jeu du désir et de l’amour, la guerre des sexes en famille. Les vieux s’amusent mais les jeunes n’en sont pas moins manipulateurs sous leurs dehors naïfs, ils profitent de la moindre faille pour s’accoupler librement tandis que le huis clos du couple est un combat de chaque jour.

Ce roman aigu met en scène un libertinage qui reconnait sa pleine place au désir, lequel sourd du carcan des conventions. Ou comment réinventer le piquant de l’érotisme pour aviver l’amour qui s’assoupit. Tout lecteur d’aujourd’hui en sent encore la puissance.

Junichiro Tanizaki, La confession impudique (Kagi), 1956, traduit du japonais par G. Renondeau, Gallimard Folio, 2003, 195 pages, €5.65

Junichiro Tanizaki, La Clef (Kagi), 1956, traduit du japonais par Anne Bayard-Sakai, Œuvres tome 2, Gallimard Pléiade 1998, 104 pages sur 1625 pages, €72.20

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Mario Vargas Llosa, Histoire de Mayta

Mayta est un prénom indien. Il est porté par un condisciple de l’auteur au lycée salésien (établissement de curés saint François-de-Sales, congrégation pontificale… où est d’ailleurs allé enfant François Hollande). Condisciple ? Peut-être, en tout cas l’auteur fait comme si. Car son personnage n’est pas réel, tous les noms, les lieux et les dates sont changés. De quoi fabriquer un « roman » à partir de la vie vraie, mais reconstituée pour en montrer le sel.

Ce roman est celui de la tentation révolutionnaire au Pérou dans les années 1950. Tentation qui débute par l’idéalisme catholique d’un adolescent qui jeûne par sympathie avec les pauvres, qui se poursuit par l’entrée au parti communiste, puis par la scission trotskiste, jusqu’à ce qu’il trouve plus révolutionnaire que lui. Car les groupuscules marxistes pullulent dans ces pays où la division est la règle. Pas de partido unido mais l’individualisme petit-bourgeois (comme on disait alors), qui s’éclate en de multiples sectes qui se haïssent l’une l’autre.

Jusqu’à ce qu’une rencontre de famille, alors que Mayta a déjà la quarantaine, le mette face à un jeune sous-lieutenant prêt à prendre les armes, Vallejos. S’emparer de la petite ville de Jauja dans les Andes, pas moins. Sidération chez les trotskistes ! La révolution serait donc autre chose que des mots enfilés, des textes fleuves distribués à la sauvette et que personne ne lit, des coupages intellos de cheveux en quatre dont « le peuple » se fout ?

Le romancier joue au romancier et enquête. Tout son livre va entrelacer dans le même paragraphe les souvenirs présents des protagonistes et le présent de reconstitution. Nous sommes ici et ailleurs, maintenant et jadis. C’est ce qui fait le style original de Vargas Llosa. Nous sommes dans la littérature : « Dans un roman, il y a toujours plus de mensonges que de vérités, un roman n’est jamais une histoire fidèle. Cette enquête, ces entretiens, n’avaient pas pour but de raconter ce qui s’est réellement passé à Jauja mais, plutôt, de mentir en sachant sur quoi je mentais » p.446. Le roman tente de donner une cohérence à la vie, qui n’en pas toujours.

Ainsi, Mayta est naïf et pitoyable ; convaincu et inhabile ; activiste et velléitaire. Mayta est « un révolutionnaire de catacombes qui a passé la moitié de sa vie à intriguer et à combattre avec d’autres groupuscules aussi insignifiants que le sien » p.464. S’il s’embarque dans l’aventure, c’est que l’action l’excite. Mais sans plan, sans soutien, sans base populaire, ce n’est que du romantisme anarchiste – tellement dans la vogue de l’époque. Che Guevara et Fidel Castro vont redonner espoir à ces bras cassés là, mais ils n’ont réussi que par le miracle de conditions propices : ils ont échoué partout ailleurs.

Le besoin de changer le monde est fort, mais suicidaire si le monde n’est pas prêt à basculer. « Là-bas, chez les salésiens, il y a un demi-siècle, il croyait ardemment à Dieu. Ensuite, quand Dieu mourut dans son cœur, il crut avec la même ardeur à la révolution, à Marx, Lénine, Trotski. Ensuite, les événements de Jauja ou, peut-être avant, ces longues années de militantisme insipide, affaiblirent et tuèrent aussi cette foi. Quelle autre la remplaça ? Aucune » p.465. Croire n’est pas agir, c’est se donner à une idée. Mais cette idée vous contraint : par exemple à braquer des banques pour « exproprier » le grand capital en vue de redistribuer l’argent aux pauvres. Sauf que rares sont les purs et les « militants » se laissent tenter à garder le butin ; transformant « la révolution » en vulgaire banditisme.

Ce roman des années 1980 est bien daté aujourd’hui. Le romantisme des sachant-lire qui se grisent de grands mots et pondent des éditoriaux fleuves dans des feuilles de chou illisibles est bien passé de mode. Il ennuie. Certes, « la crise » fait bouger les lignes, mais c’est le monde qui change, les courants de fond, pas l’écume vague des petits-intellos qui se croient l’instrument de l’Histoire.

Le procédé littéraire reste, et peut être apprécié comme tel. Le thème n’intéresse plus.

Mario Vargas Llosa, Histoire de Mayta (Historia de Mayta), 1984, Gallimard Folio 2005, 482 pages, €8.17 

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Pourquoi la politique m’ennuie

La politique est nécessaire, étant vouée à gérer la chose publique et à susciter l’enthousiasme citoyen pour un projet collectif. La politique m’ennuie parce qu’elle rend con. Elle est la voie de la facilité, la pente intellectuelle vers le moindre effort.

Un pays est un territoire à administrer et une communauté de citoyens à mobiliser pour un projet commun.

Belle et grande chose qui ne se fait pas d’elle-même. Surtout dans le confort moderne où l’individualisme est la rançon de l’épanouissement collectif. Il y a en effet paradoxe à constater que tout ce qui permet à la personne de naître et de se développer concourt à la rendre autonome. Tocqueville l’a bien montré : plus le citoyen est assuré, plus l’exigence d’égalité démocratique se fait forte ; plus l’égalité réelle est accomplie, plus l’égoïsme croit. Car pourquoi « aider » celui qui est semblable à soi et qu’on ne connaît pas ? S’il a autant de chances que moi et dispose d’autant de moyens, pourquoi ne se prend-t-il pas en main ? Pourquoi attend-t-il des autres ce qu’il est parfaitement capable d’assurer comme tout le monde ? On n’excepte que les vieux, les handicapés et les fous – et évidemment les enfants, puisqu’ils ne sont pas encore citoyens. On peut même ajouter les étrangers désirant devenir français pour les former à bien le devenir. Mais pas tout le monde, ni n’importe qui (c’est l’erreur de la gauche radicale de le croire).

Ce pourquoi il existe une administration, qui effectue la gestion des choses publiques, et un personnel politique, qui impulse les actions. L’administration est cooptée par concours, de façon à assurer un niveau de compétences, mais elle n’a pas à juger du bien fondé des actions : un fonctionnaire fonctionne ; on ne lui demande que d’obéir, à la loi, aux règlements, à la hiérarchie. Que serait en effet une gestion si chaque rouage se mêlait de décider de ce qui est juste ou utile et de ce qui ne l’est pas ? L’État est une mécanique qui doit rester huilée.

Le personnel politique est élu, par différents degrés, directs ou indirects. Son rôle est d’impulser une volonté en vue d’un projet commun (Président), puis de la traduire en lois (Assemblée nationale et Sénat) ou en règlements (gouvernement). Le public confond souvent sous le même vocable de « politiciens » ceux qui gouvernent et ceux qui font la loi. Vieille habitude pré-Vème République, à laquelle François Hollande lui-même sacrifie. Comment considérer en effet autrement que comme archaïque cette propension à faire élire des ministres et à les jeter s’ils ne sont pas élus ? C’est là le propre des régimes entièrement parlementaires que d’élire des gouvernants directement (cas anglais, scandinave ou israélien). Le régime semi-présidentiel voulu par le général De Gaulle, mis en forme par Michel Debré et accentué par les Jospin-Chirac par la réforme du quinquennat avec législatives dans la foulée, distingue clairement les fonctions de faire la loi de celles de gouverner.

Ceux qui gouvernent sont élus directement. Ils passent un contrat entre les citoyens et leur projet ; ils font passer un courant personnel entre eux et le peuple.

Ceux qui font la loi sont dans la tradition séculaire d’élaboration, d’acceptation et de vote du Budget de la nation. Il s’agit du consentement à l’impôt qui fait l’essence même de la démocratie. Chaque citoyen prélevé doit savoir où va sa contribution ; il doit adhérer au projet collectif et accepter une alternance de vues (donc de partis ou de coalitions majoritaires). Le Parlement ne gouverne pas, il examine, réfléchit, débat, et rédige la règle de loi qui sera la même pour tous. Il contrôle l’exécution des lois, dont la première est le Budget annuel. Ce pourquoi députés élus directement sont mêlés aux sénateurs élus indirectement : pour assurer la tempérance des décisions parlementaires. Mais le Parlement (surtout l’Assemblée nationale) est en France plus « godillot » que législateur. La sérénité est rarement son fort. Le gouvernement exige, poussé par le parti majoritaire aiguillonné par l’idéologie, et le Parlement obéit.

Ce pourquoi la France est en déficit chronique depuis 35 ans. Ce pourquoi les abstentionnistes sont nombreux lors des élections de tous ces Messieurs qui se soignent (retraites dès le premier mandat, frais de représentation, assistants parlementaires, voyages à gogo…) – et qui oublient les vrais problèmes des vrais gens. Ou qui se font parachuter dans un territoire qu’ils ne connaissent pas, comme dame Royal, en ballotage avec l’élu de terrain de son propre parti (et soutenue depuis Paris par les deux féministes, la Rigide et la Môme de Troisième) ! Pire encore ceux qui remplacent la règle par l’idéologie : voyez la baffe monumentale qu’à reçu Mélenchon à Hénin-Beaumont, circonscription pourtant très peuple, ouvrière en diable, lui qui se voudrait porte-parole des ouvriers, des petits, des sans-grades.

Le ridicule n’est pas de se présenter, fort de son aura nationale, le ridicule est d’oublier (ou de feindre d’oublier…) que l’élection d’un député ne donne pas un « mandat impératif » pour un parti ou une idéologie, mais que le député représente avant tout les citoyens qui l’ont élu. Ce n’est qu’ensuite que l’ensemble des députés agit pour le collectif national, fort de leur diversité locale.

Ce pourquoi je n’aime pas la politique : elle rend con.

Elle est l’univers de la foi, pas de la vérité. Tout politicien est un idéologue. Devant convaincre pour enthousiasmer, il agite les symboles, manipule la vérité, ment effrontément. Tout lui est bon pour prendre et conserver le pouvoir. Car seul lui importe « le pouvoir ». Cette monomanie rend borné, hypocrite, autiste. Croire est en effet tellement plus facile que de chercher ! Convaincre est nettement plus simple quand il vous suffit de réciter la doxa idéologique de votre camp ! Vous disposez de tout : de la bible du programme, des éléments de langage, de l’exemple de vos copains. Alors que convaincre c’est d’abord écouter, puis exposer le possible parmi le souhaitable, enfin négocier. A-t-on le personnel compétent pour le faire ? Trop issu de la fonction publique, imbue d’elle-même et formatée à savoir mieux que tout le monde ce qui est bon à tout le monde, on voit bien que ce n’est pas le cas. La technocratie tue la politique.

Surtout quand la manipulation des votes veut la majorité parlementaire pour le président tout juste élu ! La réforme du quinquennat, concoctée par les technocrates du PS et les ignares du centre ont dénaturé la Vème République. L’élection de l’Assemblée avait un sens quand elle intervenait à mi-mandat d’un président. Aujourd’hui, les députés sont les dernières roues du carrosse : tout le monde s’en fout. Voyez l’abstention « record » ! Voyez l’élimination du Modem et de Bayrou. La faute à qui ? Sinon à ces apprentis sorciers qui se croyaient malins, sous le président je-m’en-foutiste qui se croyait gaulliste…

Pour être élu, il faut être vu, donc en rajouter. Bien passer dans les médias nécessite de faire des « coups » périodiques, car les médias ne s’intéressent jamais au « normal » mais toujours au pathologique. D’où la surenchère des grandes gueules, des mensonges effrontés, des volte-face inattendues. Chirac était passé maître dans ce bonneteau où le citoyen, au final, apparaissait floué. Royal a poussé la posture au ridicule – à se demander si elle a un quelconque sens politique ! Sarkozy lui a donné une ampleur jamais vue. D’où l’intérêt pour le « cirque » présidentiel (comme aux États-Unis), mais le désintérêt profond pour les « godillots » parlementaires (à l’inverse des États-Unis)…

D’où la lassitude envers tous ces histrions. Professionnels protégés, cumulards, retraités avant l’heure, ils vivent bien… à nos crochets. Dans la situation de marasme qui est la nôtre, c’en devient indécent. François Hollande a su au moins surfer sur ce dégoût là. Jean-Luc Mélenchon a échoué par deux fois sur ce même thème : comment croire en la « vertu » d’un politicien trente ans durant sénateur, qui s’est vautré dans tous les fromages de la république ? Nicolas Sarkozy a su partir, ce qui ne fut pas le cas de Valéry Giscard d’Estaing. Ségolène Royal s’accroche pathétiquement à un poste qu’elle convoite pour « exister » encore, alors que nombre de citoyens en ont assez de la voir. Ne pourrait-elle se faire limer les canines (comme Mitterrand le fit) pour laisser apparaître son vrai talent, comme Laurent Fabius ou Alain Juppé ont su le faire ?

La politique est redoutable car elle fait apparaître le plus vil des gens : l’ambition, le cynisme, la capacité à passer en force malgré tout. L’avidité du pouvoir au détriment de la vérité des choses. Ce pourquoi la politique m’ennuie, profondément. Pour ne pas dire plus.

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Sortez les sortants !

Article repris par Medium4You.

Les électeurs sont allés massivement s’exprimer à plus de 80% malgré les vacances « colère », l’abstention n’a pas gagné. Les partis qui résonnent dans l’opinion sont les fronts : Front national et Front de gauche. Aussi butés et têtus que des taureaux machos. Aussi en panne d’idées concrètes utilisables, hors des slogans. On note donc dans ce premier tour l’envol du populisme, la lassitude pour les partis de gouvernement et l’effondrement du centre.

Envol du populisme

Surenchère de droite : le vote Le Pen, à près de 20%, est un message clair pour ‘sortir les sortants’, cette élite bobo-cosmopolite qui ne répond rien à la crise. La jeunesse peu éduquée (grâce au syndicat socialiste de l’Éducation nationale qui bloque toujours toute réforme), les sans-diplômes sans-relations sans-mérite, se disent que les sans-papiers, sans argent et sans-logis, chéris de la gauche bobo, comme les nantis de tout, chéris de la droite bobo, ne valent pas qu’on les soutienne. Les ouvriers votent Le Pen.

Surenchère de gauche : le vote Mélenchon est une tentative de donner un sens. Sauf que le ton hystérique et les mensonges (selon Marianne, Vigie 2012, le Véritomètre, Sud-Ouest ou les vidéos traquantes) rendent peu crédible le personnage. Il est tombé autour de 12%, bien en-deçà des fausses promesses des sondages… Le gueulisme radical est dans la ligne des amuseurs médiatiques qui se moquent de tout en restant soigneusement à l’intérieur du système : « tout contre ». Les ouvriers ne votent pas Mélenchon, mais les profs déclassés oui. Mais certains ont trouvé plus utiles de voter Hollande. Mélenchon apparaît d’autant plus braillard et fusionnel qu’impuissant, proclamant tout et son contraire. Les facétieux lui mettent souvent une petite moustache sur les affiches de campagne.

Ces deux partis de tribuns agitent « le peuple », mais il y a malentendu sur la le « pouvoir du peuple » : la démocratie. Le pouvoir libéral est individualiste et universel, préservant la liberté et l’ouverture au monde ; le pouvoir collectiviste est fusionnel, exigeant l’égalité citoyenne par la mobilisation permanente. Qu’elles soient « nationales » ou « populaires », ces démocraties ne sont en rien proches de la nôtre. Leur légitimité ne réside en effet plus dans « le peuple » mais dans « la révolution ». Le premier est godillot et masse de manœuvre, la seconde est mouvement permanent, initié et guidé par des « grands » leaders. Ce fut le cas du Comité de Salut public sous Robespierre, de la Commune de 1871, du parti bolchevique qui dissout l’Assemblée régulièrement élue en 1917, des partis fasciste et nazi, des Mao et Castro, enfin des Conseils de la révolution des printemps arabes. L’avant-garde est composée de ceux qui braillent le plus fort et en imposent aux indécis. Ce pouvoir de chef de bande s’arroge tous les droits : la révolution avant tout, éventuellement (et trop souvent) contre le peuple.

Lassitude pour les partis de gouvernement

L’exaspération, la passion, l’aspiration au changement, font que la raison citoyenne des Lumières se trouve fort déplumée. Les deux candidats de gouvernement ne rassemblent qu’autour de 54% des exprimés. Le réalisme, la modération, l’art du compromis sont contestés par ceux qui se veulent « en résistance ». Le cap est difficile, eux sont à même de mieux le passer que les populistes, mais on sent la lassitude. L’avenir ne sera pas rose pour qui gagnera le second tour.

La crise aurait pu permettre à Nicolas Sarkozy de parler des enjeux du monde et de définir la place de la France. Il aurait pu défendre un projet de compétitivité par contraste avec François Hollande et le tropisme dépensier du projet socialiste. Le travail nécessaire était un thème porteur. Son bilan n’était pas mauvais, malgré certaines erreurs, mais son style personnel a suscité de la haine. Il n’a pas utilisé la crise, préférant le transgressif droitier pour tenter de récupérer l’électorat populaire de Marine Le Pen. Il a donc perdu les centristes. Il n’a pas mis en avant les atouts de son bilan, mais encore et toujours sa personne, comme s’il voulait qu’on l’aime malgré ses trop gros défauts. Ce masochisme suicidaire ne l’a pas servi. Il est deux points en dessous de son rival de gauche, vers 26%.

Inspiré jusqu’à la caricature par François le Grand (Mitterrand), on se demande si François le Petit (Hollande) parviendra à exister. S’il a eu raison d’éviter la confrontation avec Le grand Méchant Luc (Mélenchon), il n’a fait qu’imiter Mitterrand avec Georges Marchais. S’il a lancé le défi au petit Nicolas (Sarkozy), il n’a fait qu’imiter Mitterrand avec Valéry Giscard d’Estaing. Monsieur ‘Normal’ a du mal à apparaître autrement qu’assez fade. Ses 28% lui permettent de faire bonne figure, mais plutôt contre Sarkozy que pour son équipe socialiste.

Effondrement du centre

La posture du solitaire orgueilleux de François Bayrou ne l’a pas servi. Être « au-dessus » des partis est une force lorsqu’on a une légitimité historique : où est la sienne ? quel est son bilan ? Avec moins de 9% des voix, Bayrou fait mentir les sondages. Comme en 2007 et comme Mélenchon aujourd’hui, il a suscité un effet de mode, retombé au dernier moment.

Outre le caractère indécis du personnage, le centrisme se heurte au grand écart des populations confrontées à la crise. Repli sur soi, identité, souveraineté, que dit Bayrou sur le sujet ? Le problème identitaire n’est pas seulement un mot de Sarkozy : il atteint toute l’Europe (Breivic) et l’Amérique d’Obama. Le déni de gauche bobo ne rendent pas moins réels le gauchissement du parti démocrate (avec le mouvement Occupy Wall Street) comme la droitisation du parti républicain (avec les Tea parties). Les démocrates tendent vers l’anarchisme et les républicains libéraux vers les libertariens… La modération devient à notre époque un fatal handicap.

Le premier tour est tombé le jour de saint Alexandre… mais le second tombera le jour de sainte Prudence. Faut-il y voir un signe ? Le rapport droite/gauche se situe à 47 contre 49%, en faveur du changement. Comment cet éclatement extrémiste des votes se traduira-t-il durant les Législatives de juin ?

(Estimation Ipsos/Logica Business Consulting/France Télévisions/Radio France à 20h52, susceptibles de modifications à la marge)

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Albert Camus, Caligula

Commencée en 1938 après l’éblouissement de Suétone en classe de Première, la pièce a été mûrie durant les années de guerre. Elle fait partie de la trilogie des « trois absurdes », dont le roman ‘L’Etranger’ et l’essai ‘Le mythe de Sisyphe constituaient les premières publications.

Pour Camus, il importe de ne pas croire : ni en l’idéal, ni en l’au-delà. Tel est l’absurde de l’existence. Faut-il pour cela renoncer à la vie ? Que non pas ! L’énergie vitale se suffit à elle-même pour réaliser pleinement sa condition d’homme réel. Telle est la révolte prônée par l’auteur, mouvement personnel pour exister dans le vrai, attitude qui rejoint en partie l’Existentialisme du temps sans en avoir l’esprit de système. Reste la troisième phase du mouvement de la pensée, vers l’amour. Non pas l’amour à l’eau de rose des magazines ou des bonnes sœurs, mais l’amour vital, l’appétit pour l’existence parce qu’elle est la seule que nous ayons et qu’elle est éphémère, l’amor fati de Nietzsche, ce grand « oui » à la vie. Devenir comme un enfant après avoir été chameau (absurde) puis lion (révolté).

Caligula, élevé parmi les militaires, devient empereur romain à 25 ans. Sa sœur préférée Drusilla meurt, qu’il avait déflorée quand il était encore enfant. Cette absurdité le désespère ; il balance les convenances. « Cet empereur était parfait. – Oui, il était comme il faut : scrupuleux et sans expérience » I,1. Il devient créateur par révolte, au grand dam des élites : « Un empereur artiste, ce n’est pas concevable. Nous en avons eu un ou deux, bien entendu. Il y a des brebis galeuses partout. Mais les autres ont eu le bon goût de rester des fonctionnaires » I,2. Toute allusion à un quelconque dirigeant d’aujourd’hui serait purement fortuite.

Caligula se révolte contre l’absurde. «  C’est que tout, autour de moi est mensonge, et moi je veux qu’on vive dans la vérité ! » I,4. Il fait enseigner « la vérité de ce monde qui est de n’en point avoir » III,2. « On ne comprend pas le destin et c’est pourquoi je me suis fait destin. J’ai pris le visage bête et incompréhensible des dieux (…) – Et c’est cela le blasphème, Caïus. – Non, Scipion, c’est de l’art dramatique ! » III,2. Le storytelling n’est pas d’invention récente… Toute révolte est création, mais création contre le convenu, l’illusion, l’idéal. « Je n’aime pas les littérateurs et je ne peux supporter leurs mensonges » I,10 (à quoi ça sert à une guichetière d’avoir étudié ‘La princesse de Clèves’ ?). « Ce monde est sans importance et qui le reconnaît conquiert sa liberté » I,10. Or, le créateur est rarement compris : il n’est pas comme les autres ; ni imbu du ‘principe de précaution’. Cherea est le patricien raisonnable qui s’oppose à Caligula. «  J’ai envie de vivre et d’être heureux. Je crois qu’on ne peut être ni l’un ni l’autre en poussant l’absurde dans toutes ses conséquences. (…) Caligula – Il faut donc que tu croies à quelque idée supérieure. Cherea – Je crois qu’il y a des actions qui sont plus belles que d’autres » III,6.

Caligula va-t-il accepter son destin d’empereur et l’aimer ? Non, il ne le peut pas, et c’est là qu’il devient un homme négatif, trop faible, en prise avec ses démons. L’un d’eux est « la logique », cet orgueil sans amour, cette raison pure attirée vers le délire. Lui voudrait « la lune » et que « l’impossible soit possible ». Voilà ce qui serait important. Or en politique, à en croire les spécialistes, « tout est important : les finances, la moralité publique, la politique extérieure, l’approvisionnement de l’armée et les lois agraires ! Tout est capital, te dis-je. Tout est sur le même pied : la grandeur de Rome et tes crises d’arthritismes » I,7. Poussons donc jusqu’au bout cette logique occidentale binaire, scientiste, positiviste : « Écoute-moi bien, imbécile. Si le Trésor a de l’importance, alors la vie humaine n’en a pas. Cela est clair. (…) et puisque j’ai le pouvoir, vous allez voir ce que la logique va vous coûter. J’exterminerai les contradicteurs et les contradictions » I,9. La pique contre le capitalisme de la seule rentabilité est là ; mais aussi celle contre le marxisme et son explication totale du monde ; tout comme celle des volontaristes jacobins pour qui tout est politique et yaka imposer.

La prétention « scientifique » à dire la Vérité positive et à « résoudre les contradictions » est contenue dans les déclarations de l’empereur délirant. [Ce monde] « ma volonté est de le changer, je ferai à ce siècle le don de l’égalité » I,11. Tout juste ce que diront Marx et Engels dans ‘Le Manifeste’. Camus qui avait adhéré au PC algérien en 1935 le quittait en 1937 pour dogmatisme et indifférence tactique au colonialisme, époque où il commence Caligula.

Dès lors, l’empereur romain Caligula prend les traits de Staline (ou d’Hitler). Exiger l’impossible fait périr les hommes. Nul ne s’en rend compte, il faut « attendre que cette logique soit devenue démence » II,2. « Honnêteté, respectabilité, qu’en-dira-t-on, sagesse des nations, rien ne veut plus rien dire. Tout disparaît devant la peur » II,5. Or nul ne peut être libre contre les autres. Le jeune Scipion (17 ans), le double positif de Caligula et porte-parole de Camus jeune, le dit au dictateur. Comme Camus, il a perdu son père, tué par l’Etat Léviathan ; mais il n’en veut pas au destin, il comprend le tyran puisque tout le monde le laisse faire. La liberté s’avance collective, ou bien elle dégénère en tyrannie personnelle – quelles que soient les « bonnes » intentions initiales. « Cherea – J’ai le goût et le besoin de la sécurité. La plupart des hommes sont comme moi » III,6. « Il [Caligula] force tout le monde à penser. L’insécurité, voilà ce qui fait penser » IV,4. Le contraire des vaches ruminantes au chaud dans leur étable comme le disait Nietzsche des bons bourgeois repus de son temps. Le contraire des résignés gris des pays de l’Est, diront les dissidents.

Qui va se révolter, « poser un acte » ? Les jacteurs, les intellos, les bons bourgeois ? Évidemment pas, ils sont eux aussi constamment dans la posture, le théâtre, l’art dramatique. Hélicon, esclave affranchi par Caligula, les critique vertement : « Vous, les vertueux (…) ceux qui n’ont jamais rien souffert ni risqué. J’ai les drapés nobles mais l’usure au cœur, le visage avare, la main fuyante. Vous, des juges ? Vous qui tenez boutique de vertu, qui rêvez de sécurité comme la jeune fille rêve d’amour (…) sans même savoir que vous avez menti toute votre vie… » IV,6.

Caligula périra, mais moins par la révolte positive et courageuse que par la lâcheté de l’immonde bêtise. Celle que Flaubert fustigeait dans ses écrits, la courte vue des vaniteux offensés. Caligula : « la bêtise (…) Elle est meurtrière lorsqu’elle se juge offensée. (…) Les autres, ceux que j’ai moqués et ridiculisés, je suis sans défense contre leur vanité » IV,13. Albert Camus était bien de son temps, à décliner ainsi l’absurde du métro-boulot-dodo (L’Etranger), les raisons de vivre sans Dieu biblique ni foi marxiste (Le mythe de Sisyphe), et les dérives délirantes du pouvoir absolu (Caligula). En effet : où est l’homme, dans tout ça ?

Albert Camus, Caligula suivi du Malentendu, 1945, Folio, 5.89€

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Richard North Patterson romance le système judiciaire américain

Article repris par Medium4You.

L’affaire Strauss-Kahn est traitée dans les romans judiciaires américains. ‘Pour les yeux d’un enfant’ parle de viol d’une journaliste dans une chambre d’hôtel… Comment prouver que c’est vrai… ou faux ? Suspense.

Ancien avocat puis procureur de l’Ohio, fonctionnaire de liaison entre la SEC (l’autorité des marchés financiers américains) et procureur du Watergate, militant du parti Démocrate, ami de Ted Kennedy et heureux père de cinq enfants, Richard North Patterson est également l’auteur depuis 1979 de roman policiers juridiques. Outre qu’ils donnent une description précise et vivante du système judiciaire en vigueur aux États-Unis, ils ont pour particularité d’être très bien écrits et d’offrir une psychologie fouillée des personnages. Il a vendu 25 millions d’exemplaires de ses 15 romans, ce qui lui permet de vivre entre la baie de San Francisco et Martha’s Vineyard, deux lieux qu’il décrit parfois dans ses livres.

Ceux que je préfère dans le lot sont anciens, mais on les trouve encore – c’est dire ! Le temps qui vinifie donne aussi sa patine aux vraies œuvres. ‘Degré de culpabilité’ (Degree of guilt, 1993) et ‘Pour les yeux d’un enfant’ (Eyes of a child, 1994), racontent chacun un procès, mais mettent surtout en scène un père et son fils. C’est profond, émouvant et vrai. L’expérience a d’ailleurs été vécue telle, Richard North Patterson ayant obtenu la garde de son premier fils adolescent après un divorce. « Être un parent solitaire, dit-il dans une interview, a été probablement l’expérience la plus importante de ma vie d’adulte. »

Dans ‘Pour les yeux d’un enfant’, on interroge le fils de 16 ans : « Qu’est-ce qui te fait dire que Chris a été un bon père, Carlo ? – Il a toujours été très présent. Carlo parlait d’une voix un peu rauque. J’ai toujours su à quel point je comptais pour lui. Caroline sourit. – Que veux-tu dire par ‘il a toujours été très présent’ ? – Pour l’école, pour mes matches, pour me conduire là où je devais aller, et puis pour parler. » p.585 En quelques phrases, voici résumé tout un traité d’éducation et de psychologie, en plus clair et plus efficace : un gamin a besoin qu’on s’intéresse à lui, qu’on se préoccupe de qui il est et de ce qu’il fait, ni plus, ni moins.

La seconde expérience est probablement celle d’écrire, de fouiller les personnalités, d’accuser les caractères tout en conservant les nuances qui donnent la couleur de chaque individu. « Écrire, c’est réécrire », dit-il encore, « écrire est difficile et doit être maîtrisé. » Il se défend d’écrire des énigmes policières, ce qui tend à faire croire que le monde est un endroit logique où des solutions peuvent être trouvées à tout. Il préfère les romans qui prennent la loi pour prétexte car ils explorent les territoires moralement ambigus du crime, du mensonge et de leurs motifs. La clé est l’empathie : pour les victimes comme pour les bourreaux. Non pour les excuser, mais pour observer leurs ressorts et analyser les passions qui les meuvent, avec cette surdétermination de l’humain qui met de la valeur partout.

‘Nulle part au monde ‘(No safe place, 1998), paraît à Richard North Patterson le type même du livre qu’il aime à écrire, son « meilleur et le plus accompli », l’exploration la plus complexe d’un rôle d’homme. Le sénateur Kerry Kilcannon, d’origine irlandaise comme l’auteur, est candidat démocrate à la Présidentielle. Sa campagne se heurte aux minorités violentes anti-avortement et pro-armes à feu. Tout est bon pour casser sa campagne… jusqu’à la manipulation du secret professionnel et du fanatisme. L’instrument du destin sera un gamin mal grandi, que le héros se reproche de ne pas avoir accueilli le jour où il avait besoin. Du grand art dramatique !

Richard North Patterson est un auteur américain à lire. Ses qualités d’écriture captivent le lecteur et le pavé que représente chaque livre est avalé sans s’en apercevoir. Il montre aussi un autre visage des États-Unis, que nous avions oublié : celui qui se préoccupe de l’homme plus que du business, de l’épanouissement des enfants plus que de l’égoïsme des adultes. Je n’ai cité que trois livres, mais les autres sont tout aussi attachants.

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