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Ambiance délétère à Tahiti

Le journal Le Monde jette encore un pavé dans la mare ! Il y aurait une « ambiance délétère » au Palais de Justice de Papeete, un climat tendu, les juges d’instruction s’intéressant à certains de leurs collègues suspectés d’avoir entretenu des relations étroites avec l’homme d’affaires Bill Ravel… Deux clans s’affrontent au tribunal : ceux qui ont choisi de vivre au grand jour et de fréquenter le microcosme local et les autres qui s’en écartent délibérément. En tout cas cette lutte fratricide souille l’image de la Justice.

Qui a volé plusieurs centaines de caisses de bière qui ont disparu d’un conteneur situé en zone sous douane ?  Il paraît que ces caisses de bière d’une célèbre marque américaine se sont vendues  « sous le manteau » à un tarif fort intéressant. A la tienne !

RAPA (Australes)

Une famille de producteurs de vanille a été victime d’un cambriolage. Les malfrats sont repartis avec 150 kg de vanille, un butin estimé à 3,5 millions de CFP. Les deux interpellés par les gendarmes sont des proches des exploitants, l’un d’eux était leur homme de confiance. C’est que jouer au kikiri coûte cher et on ne gagne pas à tous les coups !

Le « Poresidon » a dit manger local. Il a bien raison sur le papier, mais les îles Fidji sont le fournisseur de la farine la plus consommée en Polynésie ; côté matières grasses, sucre, lait en poudre, viandes, c’est la Nouvelle-Zélande qui fait son beurre ; la Chine règne sur la sauce soja, les biscuits secs salés, les soupes de pâtes, les champignons chinois évidemment ; les USA fournissent leur beurre de cacahuètes, leur mayonnaise, les « cuisses de poulets », les boîtes de fruits cocktail, les fromages, les salades, les fenouils, les poivrons, les choux fleurs ; La Suède fait péter les allumettes ; et au pays de la noix de coco, c’est la Thaïlande qui règne sur les boîtes de conserve de lait de coco ! L’Inde livre le café ; le Danemark la viande de porc en boîtes ; le Canada les pommes ; l’Australie le sel de table et les oranges ; la métropole exporte cosmétiques, confiture, huile d’olives… Les pommes de terre de Nouvelle-Zélande sont moins chères que celles de Rurutu (Australes). Et si (par miracle !) tout allait mieux après les élections territoriales ?

Le retour des internes, originaires de Rapa (Iles Australes), au collège de Mataura à Tubuai a été encore digne d’un film folklorique ! Souvenez-vous, lors de leur retour des vacances de décembre/janvier, la baleinière qui devait les mener à terre avait  perdu l’usage de son moteur. Pour ce voyage le bateau Tahiti Nui chargé de les ramener à Tubuai (Iles Australes) avait laissé les barcasses à Papeete car, la grue du Tahiti Nui qui les descend à l’eau était « en panne ». Elle devait être réparée durant les 15 jours de vacances – mais rien n’a été fait, évidemment. Il a fallu solliciter le propriétaire de la pension Wipa Lodge  et son bateau pour assurer le débarquement des internes de Rapa, et l’embarquement des Tubuai vers Papeete, soit une douzaine de navettes. Le Tahiti Nui est l’un des bateaux de la flottille administrative.

baise gamins tahiti

A Papara, une fillette de 5 ans violée tout près de chez elle, son agresseur introuvable. Après une quinzaine de jours de recherches pour les mutoi farani (gendarmes), des prélèvements pour les recherches ADN envoyées en France, deux frères de 22 et 23 ans ont été appréhendés. Cela me donne des frissons.

Hiata de Tahiti

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Ziad Takieddine, L’ami encombrant

« Rétrocommissions » : tout le monde en a entendu parler avec les affaires Karachi sur la vente de sous-marins au Pakistan et l’affaire des frégates à l’Arabie Saoudite. Mais sans savoir ce que c’est ni si c’est bien légal. Eh bien non ! C’est complètement illégal, seules sont autorisées les FCE, les « frais commerciaux extérieurs ». Ils sont dans les contrats et, même confidentiels, les signatures engagent les deux parties en toute transparence. Mais Chirac et le clan Chirac, la légalité, ils s’assoient dessus. Souvenez-vous de l’aveu à propos du CPE, à la télévision, devant des millions de citoyens stupéfaits : « je promulgue la loi mais je demande qu’elle ne soit pas appliquée ». Le pire président de la Vème République révélait au grand jour sa conception de la loi. C’est tout simple : l’État c’est moi et les règles sont pour les autres…

Oh, certes, Takieddine règle ses comptes avec les petits marquis de la haute fonction d’État, cette noblesse de robe qui se croit sortie de la cuisse de Jupiter parce qu’elle a été admise sur cooptation à l’ENA. Mais le système incestueux de la mafia d’État a déjà été décrit par le Naïf sans aucun sens politique jeté en diable dans le bénitier Clearstream : Dominique de Villepin. Je l’ai déjà évoqué et Ziad Takieddine ne fait que confirmer ce que tout investigateur peut découvrir sans peine. Sauf que « les médias » sont plus préoccupés de se placer « à gauche » dans la concurrence féroce qui règne entre journalistes pour avoir l’oreille des nouveaux hommes de pouvoir. Le professionnalisme laisse la place à la bêtise de meute : hurler avec les loups pour faire tomber la droite, et peu importe que les allégations soient vraies ou pas, vérifiées ou pas. Peu importe surtout que le système de corruption politique entre industrie et énarques perdure ! Les Français ont la presse minable qu’ils méritent et les politiciens affairistes qu’ils ont trop longtemps élus.

Mais laissons la parole à Ziad Takieddine dans ses meilleures pages.

« L’un des maux qui ronge la République française, à savoir un système de corruption étendu, tissé à la fois dans la complaisance des copains et des coquins, sous la responsabilité des protagonistes qui s’abritent derrière le politique et l’État, manifestant une condescendance mâtinée de mépris envers les clients potentiels, mais aussi une avidité de plus en plus gargantuesque, de sorte qu’acheter français devient de plus en plus hors de prix » p.80. Compétitivité ? Encouragement à l’exportation ? Sauvegarde de l’emploi ? Tous ces politiciens s’en foutent, Chirac le premier, fonctionnaire à vie nanti de cinq retraites (au moins), énarque en chef cupide des pots de vin exigés à la pelle pour financer ses campagnes. La guerre Balladur-Chirac a fait des morts, la guerre Chirac-Sarkozy a laissé des plaies. Sarkozy, non énarque, avait au moins le respect de la parole donnée. Mais « depuis 1995, la France n’a pratiquement rien vendu aux pays arabes (…). Ni dans l’aviation, ni dans les transports, ni dans les centrales nucléaires, ni dans l’armement, ni dans les hélicoptères, ni dans la désalinisation de l’eau de mer. Rien » p.82.

« Au niveau des grands contrats, qu’ils soient d’État à État ou de grandes sociétés à conglomérats, il importe d’être constant. Quand vous allez voir un client potentiel, non seulement il faut prendre le temps de le connaître, d’examiner ses ressorts psychologiques, mentaux, ses références culturelles, son échelle de valeurs et sa hiérarchie des priorités, mais aussi de lui expliquer comment vous fonctionnez. (…) N’oublions jamais que votre acheteur potentiel a d’abord besoin d’être rassuré et qu’il ne doit pas être mis en situation de découvrir, en cours de tractations, une faille qui n’était pas prévue dans les pourparlers ni dans le contrat. Sinon s’effondre le plier le plus important de la relation vendeur-acheteur : la confiance » p.88. Nombreux exemples sont donnés au fil du livre… Mais que connaissent les énarques, jamais sortis du fonctionnariat, aux relations humaines ? Que savent-ils de la production et de la vente, eux qui ne produisent que de l’organisation hiérarchique ? Les serviteurs administratifs les plus zélés et les plus bénis oui-oui politiques sont-ils aptes à prendre des risques d’entreprise ? « J’ai vu trop souvent le cas de grands patrons [énarques, NDLR] qui allaient se plaindre dans les ministères, à Matignon, voire à l’Élysée, de n’avoir pas été bien reçus et encore moins compris par les nouveaux riches de ces foutus pays émergents » p.89.

Ce qu’il faut à la France, c’est une cure de MOINS d’ETAT. Moins de fonctionnaires imbus d’eux-mêmes et incompétents en industrie, services et relations humaines. Moins de pantouflage incestueux dans les sinécures des grandes sociétés. Moins de financements politiques au détriment des exportations et de l’emploi.

Pour cela, peut-être faut-il plus de déontologie et de « cahier des charges », comme le normal-socialisme le met en place. Mais il faut surtout plus de CONTREPOUVOIRS : des juges indépendants y compris de leur idéologie « de gauche » bien-pensante pour aller aux faits et pas aux préjugés (l’annexe 1 du livre est éclairante à cet égard !) ; une presse d’investigation – et pas d’opinion – qui ne se contente pas de délivrer ses leçons de morale assise le cul sur son fauteuil, mais qui se bouge pour aller enquêter sur le terrain. « De ce point de vue, il y aurait une enquête passionnante à effectuer (…) : examiner tous les contrats d’exportation des industries du CAC 40 qui n’ont pas abouti, et les raisons de leur échec » p.83.

Mais, comme disent justement les médias : « faut pas rêver », hein !

Ziad Takieddine, L’ami encombrant, mars 2012, éditions du Moment, 195 pages, €13.77 

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Albert Camus, Caligula

Commencée en 1938 après l’éblouissement de Suétone en classe de Première, la pièce a été mûrie durant les années de guerre. Elle fait partie de la trilogie des « trois absurdes », dont le roman ‘L’Etranger’ et l’essai ‘Le mythe de Sisyphe constituaient les premières publications.

Pour Camus, il importe de ne pas croire : ni en l’idéal, ni en l’au-delà. Tel est l’absurde de l’existence. Faut-il pour cela renoncer à la vie ? Que non pas ! L’énergie vitale se suffit à elle-même pour réaliser pleinement sa condition d’homme réel. Telle est la révolte prônée par l’auteur, mouvement personnel pour exister dans le vrai, attitude qui rejoint en partie l’Existentialisme du temps sans en avoir l’esprit de système. Reste la troisième phase du mouvement de la pensée, vers l’amour. Non pas l’amour à l’eau de rose des magazines ou des bonnes sœurs, mais l’amour vital, l’appétit pour l’existence parce qu’elle est la seule que nous ayons et qu’elle est éphémère, l’amor fati de Nietzsche, ce grand « oui » à la vie. Devenir comme un enfant après avoir été chameau (absurde) puis lion (révolté).

Caligula, élevé parmi les militaires, devient empereur romain à 25 ans. Sa sœur préférée Drusilla meurt, qu’il avait déflorée quand il était encore enfant. Cette absurdité le désespère ; il balance les convenances. « Cet empereur était parfait. – Oui, il était comme il faut : scrupuleux et sans expérience » I,1. Il devient créateur par révolte, au grand dam des élites : « Un empereur artiste, ce n’est pas concevable. Nous en avons eu un ou deux, bien entendu. Il y a des brebis galeuses partout. Mais les autres ont eu le bon goût de rester des fonctionnaires » I,2. Toute allusion à un quelconque dirigeant d’aujourd’hui serait purement fortuite.

Caligula se révolte contre l’absurde. «  C’est que tout, autour de moi est mensonge, et moi je veux qu’on vive dans la vérité ! » I,4. Il fait enseigner « la vérité de ce monde qui est de n’en point avoir » III,2. « On ne comprend pas le destin et c’est pourquoi je me suis fait destin. J’ai pris le visage bête et incompréhensible des dieux (…) – Et c’est cela le blasphème, Caïus. – Non, Scipion, c’est de l’art dramatique ! » III,2. Le storytelling n’est pas d’invention récente… Toute révolte est création, mais création contre le convenu, l’illusion, l’idéal. « Je n’aime pas les littérateurs et je ne peux supporter leurs mensonges » I,10 (à quoi ça sert à une guichetière d’avoir étudié ‘La princesse de Clèves’ ?). « Ce monde est sans importance et qui le reconnaît conquiert sa liberté » I,10. Or, le créateur est rarement compris : il n’est pas comme les autres ; ni imbu du ‘principe de précaution’. Cherea est le patricien raisonnable qui s’oppose à Caligula. «  J’ai envie de vivre et d’être heureux. Je crois qu’on ne peut être ni l’un ni l’autre en poussant l’absurde dans toutes ses conséquences. (…) Caligula – Il faut donc que tu croies à quelque idée supérieure. Cherea – Je crois qu’il y a des actions qui sont plus belles que d’autres » III,6.

Caligula va-t-il accepter son destin d’empereur et l’aimer ? Non, il ne le peut pas, et c’est là qu’il devient un homme négatif, trop faible, en prise avec ses démons. L’un d’eux est « la logique », cet orgueil sans amour, cette raison pure attirée vers le délire. Lui voudrait « la lune » et que « l’impossible soit possible ». Voilà ce qui serait important. Or en politique, à en croire les spécialistes, « tout est important : les finances, la moralité publique, la politique extérieure, l’approvisionnement de l’armée et les lois agraires ! Tout est capital, te dis-je. Tout est sur le même pied : la grandeur de Rome et tes crises d’arthritismes » I,7. Poussons donc jusqu’au bout cette logique occidentale binaire, scientiste, positiviste : « Écoute-moi bien, imbécile. Si le Trésor a de l’importance, alors la vie humaine n’en a pas. Cela est clair. (…) et puisque j’ai le pouvoir, vous allez voir ce que la logique va vous coûter. J’exterminerai les contradicteurs et les contradictions » I,9. La pique contre le capitalisme de la seule rentabilité est là ; mais aussi celle contre le marxisme et son explication totale du monde ; tout comme celle des volontaristes jacobins pour qui tout est politique et yaka imposer.

La prétention « scientifique » à dire la Vérité positive et à « résoudre les contradictions » est contenue dans les déclarations de l’empereur délirant. [Ce monde] « ma volonté est de le changer, je ferai à ce siècle le don de l’égalité » I,11. Tout juste ce que diront Marx et Engels dans ‘Le Manifeste’. Camus qui avait adhéré au PC algérien en 1935 le quittait en 1937 pour dogmatisme et indifférence tactique au colonialisme, époque où il commence Caligula.

Dès lors, l’empereur romain Caligula prend les traits de Staline (ou d’Hitler). Exiger l’impossible fait périr les hommes. Nul ne s’en rend compte, il faut « attendre que cette logique soit devenue démence » II,2. « Honnêteté, respectabilité, qu’en-dira-t-on, sagesse des nations, rien ne veut plus rien dire. Tout disparaît devant la peur » II,5. Or nul ne peut être libre contre les autres. Le jeune Scipion (17 ans), le double positif de Caligula et porte-parole de Camus jeune, le dit au dictateur. Comme Camus, il a perdu son père, tué par l’Etat Léviathan ; mais il n’en veut pas au destin, il comprend le tyran puisque tout le monde le laisse faire. La liberté s’avance collective, ou bien elle dégénère en tyrannie personnelle – quelles que soient les « bonnes » intentions initiales. « Cherea – J’ai le goût et le besoin de la sécurité. La plupart des hommes sont comme moi » III,6. « Il [Caligula] force tout le monde à penser. L’insécurité, voilà ce qui fait penser » IV,4. Le contraire des vaches ruminantes au chaud dans leur étable comme le disait Nietzsche des bons bourgeois repus de son temps. Le contraire des résignés gris des pays de l’Est, diront les dissidents.

Qui va se révolter, « poser un acte » ? Les jacteurs, les intellos, les bons bourgeois ? Évidemment pas, ils sont eux aussi constamment dans la posture, le théâtre, l’art dramatique. Hélicon, esclave affranchi par Caligula, les critique vertement : « Vous, les vertueux (…) ceux qui n’ont jamais rien souffert ni risqué. J’ai les drapés nobles mais l’usure au cœur, le visage avare, la main fuyante. Vous, des juges ? Vous qui tenez boutique de vertu, qui rêvez de sécurité comme la jeune fille rêve d’amour (…) sans même savoir que vous avez menti toute votre vie… » IV,6.

Caligula périra, mais moins par la révolte positive et courageuse que par la lâcheté de l’immonde bêtise. Celle que Flaubert fustigeait dans ses écrits, la courte vue des vaniteux offensés. Caligula : « la bêtise (…) Elle est meurtrière lorsqu’elle se juge offensée. (…) Les autres, ceux que j’ai moqués et ridiculisés, je suis sans défense contre leur vanité » IV,13. Albert Camus était bien de son temps, à décliner ainsi l’absurde du métro-boulot-dodo (L’Etranger), les raisons de vivre sans Dieu biblique ni foi marxiste (Le mythe de Sisyphe), et les dérives délirantes du pouvoir absolu (Caligula). En effet : où est l’homme, dans tout ça ?

Albert Camus, Caligula suivi du Malentendu, 1945, Folio, 5.89€

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