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Françoise Hildesheimer, Richelieu

L’autrice, chartiste, sait manier les sources ; elle donne une grande biographie de Richelieu, ministre cardinal duc, honni de son vivant (voir Les Trois mousquetaires) mais œuvrant pour le bien de l’État et la gloire du roi Louis XIII.

Armand Jean du Plessis n’a exercé le pouvoir que dix-huit ans, de 1624 à 1642. Il a été constamment en butte aux luttes internes, complots et conspirations des princes volages et ambitieux, intrigues de la reine mère Marie de Médicis, rivalités pour être favori du roi (Luynes, Marie de Hautefort, Louise-Angélique de La Fayette, Cinq-Mars) ; mais aussi en butte aux luttes externes des provinces protestantes comme de l’empire espagnol qui rêvait d’établir une « monarchie universelle » – catholique (katholicos veut dire en grec universel).

Le livre est rédigé en quatre parties classiques qui rythment la vie de Richelieu.

De 1585 à 1624, c’est L’ascension, jeune évêque de Luçon qui a passé en accéléré les étapes diplômantes en théologie, devenu cardinal après plusieurs autres et entré au Conseil du roi grâce à Marie de Médicis sur laquelle il s’appuie.

De 1624 à 1630, c’est la Métamorphose, Richelieu est chassé du Conseil après l’assassinat du favori de la reine mère Concini, francisé en Conchine, marquis d’Ancre et maréchal de France, par un « coup de majesté » du jeune roi Louis XIII, 18 ans, qui veut s’émanciper de sa mère. Le cardinal retrouve son poste au conseil lors de la Journée des Dupes et devient principal ministre, tant sa puissance de travail, sa raison et sa dialectique suppléent aux manques cruels du roi (vite lassé, préférant l’action, bégayant).

De 1631 à 1635, c’est L’empire de la raison, l’établissement des règles de l’État et l’entrée de la France dans la guerre de Trente ans.

De 1636 à 1642, date de sa mort, c’est L’histoire inachevée – que le cardinal Mazarin, choisi par Richelieu comme successeur, poursuivra. A noter que Louis XIII suivra son cardinal ministre dans la mort quelques mois après lui.

Outre les événements, des chapitres intermédiaires permettent à l’autrice de développer certains sujets. Richelieu a par exemple été souvent malade, comme tous en ce temps, il mangeait et vivait « bio » (comme nous disons aujourd’hui), avec les inconvénients hygiéniques qui vont avec la systématique (et que nous ignorons volontairement). Il était sujet aux maux de tête, aux hémorroïdes, aux abcès, aux insomnies… Il n’a jamais été assuré de sa position ; elle ne dépendait que du bon vouloir du roi, seul oint de Dieu et son représentant sur la terre.

Richelieu aimait le pouvoir mais n’était pas un dictateur, ni n’a rêvé un jour de devenir calife à la place du calife. Il tenait son rang et affirmait la raison dans l’État (plus que ce que nous entendons aujourd’hui par la raison d’État). « En premier lieu, la bienveillance du roi s’acquiert par un strict respect des prérogatives de chacun. Richelieu doit se faire reconnaître comme un serviteur dévoué et scrupuleux, et point autre chose. Le ministre prend à ce titre un soin extrême à ne rien engager que sur ordre de son roi, faisant de ce dernier le maître absolu de ses actions et de ses décisions » p.297. Il a su constituer un réseau de famille, de familiers, de redevables et de personnes de confiance dans tous les postes de l’État et des provinces.

Cette raison venait selon lui de Dieu, qui en a fourni chacun et fonde l’autorité, suivant en cela la position thomiste des catholiques traditionnels. Car Richelieu est resté toute sa vie un théologien, aimant débattre des points de doctrine dans une langue ampoulée aux phrases longues, mais qui savait affirmer des positions claires. C’est ainsi que le chrétien gallican qu’est Richelieu peut combattre l’Espagne catholique sans pour cela combattre le catholicisme. « Il proclame bien que le politique et le chrétien partagent la même finalité ultime de l’établissement du règne de Dieu, mais – et ici réside la nouveauté – défend que leurs prérogatives sont différentes ; quant aux moyens les deux domaines ne sont plus mêlés » p.237.

L’autrice a l’originalité de s’intéresser à sa production écrite car le cardinal agit surtout par la parole, « sa plus grande arme » – et par l’écrit, qui reste. « Finalement, le principal ministre se réduit à une parole volontaire et obstinée qui environne le prince. Il donne au roi la conscience du caractère supérieur du pouvoir de l’État et lui indique les conditions d’exercice de son pouvoir absolu. De cette association découle au mieux une harmonie qui fait le bonheur de l’État » p.301. C’est par sa plume qu’il demeure sans cesse en rapport avec le roi lorsqu’il est en campagne, c’est par ses écrits qu’il glorifie l’action au service du roi pour les autres pays et pour la postérité. Titulaire d’une grande bibliothèque de plus de sept mille livres, y compris protestants, il aimait à se documenter.

Le désordre est pour lui de la déraison, et lorsqu’il s’agit du bien de l’État (qui est l’organisation pour le peuple), c’est une porte ouverte vers l’enfer. « Il lui faut affirmer l’autorité du roi au dedans, tout en manifestant la présence française au dehors ; mater les révoltes populaires ; négocier avec Marie de Médicis ; débrouiller les intrigues de Gaston, passer peu à peu de l’engagement en Italie aux affaires de l’Allemagne » p.241. Il écrit dans ses Mémoires : « Je reconnus, en cette occasion, que tout parti composé de plusieurs corps qui n’ont aucune liaison que celle que leur donne la légèreté de leurs esprits, qui, en leur faisant toujours improuver le gouvernement présent, leur fait désirer du changement sans savoir pourquoi, n’a pas grande subsistance » cité p.102. Une leçon politique que devraient retenir nos écologistes perclus de querelles intestines, et « la gauche » perdue d’alliances contradictoires.

Au total, « Ces années 1630-1640 sont un âge véritablement baroque dans sa diversité, qui voient la parution du Testament politique du Cid et du Discours de la méthode, et sont grosses de l’ordre étatique moderne. Dans une phase sombre (dépression conjoncturelle, peste, guerre…), on assiste à un moment de transition politiquement décisif, le choix entre l’État national sécularisé et l’ancienne chrétienté. Un choix qui n’est pas simplement politique mais qui résulte de mutations religieuses et intellectuelles : avènement d’une raison autonome sous le regard encore omniprésent de Dieu (car, rappelons-le une dernière fois, sécularisation n’équivaut pas à désacralisation, bien au contraire), un choix qui fut économiquement catastrophique et socialement lourd de conséquences et qui a fait naître un certain désenchantement chez ceux qui l’ont subi – encore qu’il faille faire le partage entre ce que les contemporains en ont perçu, et ce que les historiens postérieurs ont apprécié. Une histoire qui est celle, pour l’Europe, du passage de la ‘prépondérance’ de l’Espagne à celle de la France » p.488.

Un grand livre.

Françoise Hildesheimer, Richelieu, 2004, Grandes biographies Flammarion 2021, 600 pages,, €25,00 e-book Kindle €18,99

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Cinquième colonne d’Alfred Hitchcock

1942, l’Amérique entre en guerre contre l’Allemagne nazie qui coule ses paquebots civils et le Japon qui l’a agressé sans sommation à Hawaï. Alfred Hitchcock, Anglais égaré aux États-Unis, monte un film d’espionnage qui est aussi un film de propagande pro-américaine et un hymne à la liberté, symbolisée par la statue dans le port de New York où aura lieu la scène finale.

Barry Kane (Robert Cummings) est un jeune homme dans les 25 ans, ouvrier dans une usine d’aviation, ce pourquoi il n’est pas mobilisé. Un incendie se déclare et il donne à son meilleur ami un extincteur que lui a passé l’ouvrier Fry… sauf que l’extincteur est un allumeur rempli d’essence et que le feu redouble, tuant son ami. Barry est donc vite accusé, bien qu’il s’en défende.

L’histoire se déroule en trois parties : la première raconte l’accident à l’usine et sa fuite pour retrouver le saboteur Fry dans la campagne américaine ; la seconde est son périple avec Patricia Martin (Priscilla Lane), la fille de l’aveugle dans un décor de western ; la troisième se situe à New York et passe de la « bonne » société à la révélation du réseau d’espionnage.

C’est que l’espionnage, à cette époque, n’est pas considéré comme une trahison de la patrie mais comme une opinion politique. Certaines hautes sphères de la société, par convictions conservatrices ou pour le jeu des affaires, sont plutôt sympathisants des nazis, vus de loin comme des redresseurs du chaos dans cette Europe décidément aristocratique et décadente qui a justement conduit à l’Indépendance américaine. Le chef des traîtres, Charles Tobin (Otto Kruger), réside paisiblement dans un ranch, symbole de l’Amérique historique des pionniers, et se délasse à la piscine avec sa petite-fille. La couverture urbaine se situe dans un hôtel particulier d’Henrietta van Sutton (Alma Kruger), une richissime rombière endiamantée qui offre des « galas de charité » pour financer le réseau, tout comme Trump lorsqu’il a flirté avec les réseaux de l’ex-KGB. Ces gens sont défendus par « la police », ce qui comprend à la fois les bouseux shérifs des provinces et le fameux FBI censé traquer le crime. D’où le premier message du film asséné par le musicien aveugle qui vit isolé sur le devoir de se soustraire parfois à la loi en raison des dérives patriotiques. Parce qu’une fois suspect, on l’est aux yeux pour tous.

Le second message est celui du Pionnier, de l’homme qui se prend en main, seul contre tous s’il le faut, pour faire triompher la vérité, le droit et la liberté. Cet homme est Barry Kane, jeune premier issu du peuple, qui a perdu un ami et acquerra un amour tout en défendant sa patrie et ses valeurs. Il se souvient d’une enveloppe portant l’adresse du saboteur Fry ; il part en routard sur le réseau américain et parle avec l’Américain de base en la personne d’un camionneur. L’adresse est celle du ranch de Tobin, loin de tout. Le propriétaire le reçoit en peignoir blanc, à peine sorti en slip de sa piscine : évidemment, il ne connaît aucun Fry mais va « se renseigner » auprès de son voisin à 20 km. En fait, il téléphone au shérif, dit qu’il a retrouvé le fugitif dont le portait-robot est diffusé sur toutes les radios. Lorsqu’il revient, il est en peignoir noir. Mais Barry a compris qu’il était joué quand la petite-fille de Tobin a extirpé pour jouer, de la poche de la veste de son grand-père, des lettres de Fry. Rappel du message premier, le contraste frappant entre le dangereux pro nazi et sa tendresse affichée envers le bébé fille évoque les images de propagande où les dictateurs font de l’enfant le symbole de leur sentiment pour le peuple. Le Pionnier sera évidemment rattrapé au lasso lorsqu’il s’enfuit à cheval.

Remis à la police, qui ne veut rien entendre pour sa défense, il profite du camionneur qui bouche un pont pour sauter menotté dans la rivière. Les flics, toujours aussi peu compétents, ne parviennent pas à le reprendre et Barry se présente, trempé et sous une sévère pluie d’automne, devant une masure dans la forêt. Il y rencontre le pianiste aveugle qui est un idéaliste croyant en la bonté humaine. Il la ressent : « Je vois des choses intangibles, l’innocence. » Il est l’homme des Lumières américaines, croyant optimiste en l’être humain bon et sans préjugés, adepte juridique de l’innocence jusqu’à preuve du contraire. Chez lui, Barry Kane fait la connaissance de Patricia Martin (Priscilla Lane), sa nièce.

C’est une star publicitaire très connue, elle apparaît sur toutes les affiches de la campagne et dans la ville. Ses messages pub vont rythmer le film et commenter l’histoire comme un chœur antique. C’est You’re Beeing Followed (vous êtes suivi) en première partie, She’ll Never Let You Down (elle ne vous laissera jamais tomber) en seconde partie, A Beautiful Funeral (un bel enterrement) en troisième partie à New York. Après avoir douté de Barry et cru plutôt la masse manipulée par la police que son oncle anarchiste, Patricia va se convertir au jeune homme qui la protège, et sur l’exemple de ces parias sociaux que sont les monstres d’un cirque ambulant qui les cachent dans leur fuite. Elle va découvrir Soda City, une mine de potassium abandonnée qui servait à faire du Coca en plein désert et qui sert de repaire aux espions. Une ouverture découpée dans la cloison, un trépied et une longue vue indiquent clairement que la prochaine cible est le barrage hydroélectrique qui fournit un quart de l’énergie au comté. Mais comme Barry joue le jeu des traîtres en se faisant passer pour complice de l’incendiaire Fry et envoyé par le chef Tobin, Patricia change une nouvelle fois d’avis, en tête de linotte femelle habituelle aux standards d’Hollywood. Elle va le dénoncer à la police… qui est de mèche avec les traîtres. Comme quoi il vaut mieux suivre son bon sens que les représentants de la loi.

Ce qui la fera emmener à New York, où Barry accompagne les espions qui le croient acquis. Ils se retrouvent chez la van Sutton, en plein bal de charité. Patricia découvre qu’elle s’est une fois de plus trompée sur Barry (elle ne le reniera que deux fois) en entendant Tobin parler dire aux autres qu’il n’est pas des leurs. Mais Barry et elle ont du mal à s’extirper de ce repaire mondain, la fille servant d’otage aux traîtres pour forcer Barry à ne pas faire de vagues. Emprisonné dans un sous-sol, il a l’idée de Pionnier de déclencher avec une allumette le système anti-incendie du Radio City Hall, sous lequel il se trouve. Il s’y fait arrêter tandis que Fry parvient à s’échapper dans un déluge de coups de feu qui doublent ceux du film passé à l’écran.

Barry parvient à s’échapper pour se rendre aux docks, où les saboteurs ont prévu de faire sauter l’Alaska, un nouveau navire américain qui doit être baptisé au champagne. L’explosif convainc enfin la police, qui ne peut que suivre tant elle est incompétente, tandis que Patricia prend Fry en filature. Mais c’est Barry Kane qui va acculer le saboteur Fry au sommet symbole de la statue de la Liberté. Il a réussi à promouvoir et défendre tout ce qui fait l’Amérique face aux Nazis : l’usine, le ranch, le barrage, l’art dégénéré du cirque, le cinéma de divertissement, le building, le bateau. Mais aussi l’initiative individuelle, la quête de la vérité. C’est tout cela la liberté, tout cela l’art de vivre à l’américaine.

DVD Cinquième Colonne (Saboteur), Alfred Hitchcock, 1942, avec Robert Cummings, Priscilla Lane, Otto Kruger, Universal Pictures 2022, 1h49, 4K Ultra HD + Blu-Ray €19,95

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L’Armée des ombres de Jean-Pierre Melville

En 1943 Joseph Kessel écrit L’armée des ombres, en hommage aux résistants français ignorés. L’écrivain journaliste a rejoint Londres et le général de Gaulle et termine la guerre capitaine d’aviation. Il écrira d’autres livres célèbres comme Le lion (le livre fétiche de mes 11 ans) ou Les cavaliers (le roman épique de mes 14 ans). Grand Prix du roman de l’Académie française en 1927, il a été élu en 1962 à cette même Académie – et je m’étonne qu’il ne soit pas encore dans la Pléiade [il y a été promu enfin en 2020 !]. Parce que journaliste ? Parce qu’immigré juif ? Parce qu’il écrit trop « populaire » ?

L’armée des ombres et un grand livre, écrit simple. C’est aussi un grand film de plus de deux heures sans temps mort. Il conte les heurs et malheurs au ras du quotidien de l’existence rebelle en France occupée. Il fallait à la fois se défier des Allemands, militaires et gestapistes, et des Français, flics et collabos. Si « résister » apparaît dans le film et dans le livre comme naturel, c’est une reconstruction idéalisée, une « infox » ou une vérité alternative qu’on veut croire. La grande majorité des Français, en 1942, est domptée et neutre. Elle ne croit pas en de Gaulle, elle ne croit plus en Pétain, elle attend.

Ce qui rend plus méritoire les actes de ceux qui combattent dans l’ombre, sur le sol même de la patrie, envoyant par radio des renseignements à Londres sur l’ennemi occupant, rapatriant par sous-marins, bateaux ou avions légers les aviateurs abattus. Car il en fallait peu, à l’époque, pour se voir emprisonné, interrogé, torturé et fusillé. La vie des vaincus ne comptait pas pour la race élue.

Philippe Gerbier (Lino Ventura) est un ingénieur des Ponts de la quarantaine ; il a été arrêté parce qu’il a émis l’idée que peut-être de Gaulle n’avait pas tout à fait tort. La police française le place en camp de prisonniers, où il rencontre un colonel pour qui tous les politiciens sont des jean-foutre, des bourgeois qui jouent aux dominos en attendant la fin, et un communiste ouvrier (Alain Decock) qui désire s’évader – le seul être jeune et dynamique du camp. La bourgeoisie française, en effet, avait démissionné dans les années 1930 et 40 et seule la jeunesse avait envie de vivre. Elle était en trop faible nombre en raison du creux démographique de 1914-18. Ce qui explique le pacifisme avant la guerre, l’esprit de jouissance de la gauche en 36, la répugnance à aller combattre une fois de plus le Boche, et l’impéritie des badernes qui nous gouvernent. Seuls les pays jeunes sont des pays volontaires ; les vieillissants entrent en décadence et se font passifs.

Gerbier est extrait du camp et confié à la Gestapo qui veut l’interroger à Paris à l’hôtel Majestic. Mais la bureaucratie des vainqueurs est lourde et le sadisme de faire attendre les prisonniers offre des opportunités. Philippe Gerbier détourne l’attention de la sentinelle, le tue avec son poignard SS enfoncé dans la gorge afin qu’il ne crie pas, et laisse l’autre prisonnier faire diversion pour s’enfuir par la grande porte et se perdre dans Paris.

Il rejoint la zone sud où il apprend que Paul, un jeune, l’a trahi (Alain Libolt). On ne sait pas pourquoi et c’est dommage. Toujours est-il qu’un réseau de combattants ne saurait avoir aucune pitié envers les traîtres car ils menacent tout le réseau. Félix (Paul Crauchet), l’adjoint de Gerbier, dont on apprend qu’il est un ponte en résistance, se fait passer pour flic et « arrête » Paul. Il le conduit, avec Guillaume dit « le Bison » (Christian Barbier), ancien de la Légion, dans une maison louée pour l’occasion à Marseille. Claude, dit « le Masque » (Claude Mann), un novice qui désire faire ses preuves, les attend. Mais la maison voisine, jusqu’ici inhabitée, se trouve investie par toute une famille et tuer au pistolet ferait trop de bruit. Il faut étrangler Paul, avec la technique du garrotage utilisée par les sbires de Franco. Spectacle insoutenable mais nécessaire, qui a en outre l’avantage de ne faire aucun bruit et d’opérer rapidement. Claude ne veut pas cela ; c’est pour lui la première fois qu’il mesure combien la guerre est impitoyable. Pour Gerbier aussi, tuer est une épreuve surhumaine – mais il le faut.

Au sortir de l’épreuve, Félix va boire un rhum dans un bar et y retrouve Jean-François Jardie (Jean-Pierre Cassel), qu’il a connu avant-guerre. C’est un jeune sportif qui aime le risque et il l’engage pour des missions de résistance. En allant livrer des postes TSF à Paris, Jean-François parvient à déjouer le contrôle des bagages à la sortie de la gare en « empruntant » une fillette à sa mère qui tient déjà un autre bébé. Puis il va rendre visite à son frère aîné Luc (Paul Meurisse), célèbre philosophe épistémologue qui a publié cinq traités à la NRF avant 1940. Jean-François ne lui dit pas qu’il est entré dans la Résistance et « saint Luc » lui apparaît comme retiré dans sa thébaïde su 16ème arrondissement, entouré de livres et mangeant des rutabagas en attendant que cela se passe. Sauf qu’il est un grand chef de la Résistance, ce qu’il ne lui dit pas, et que Jean-François va le conduire sans savoir qui il est au sous-marin anglais qui émerge face aux calanques pour rapatrier des aviateurs et emmener à Londres quelques résistants, dont Gerbier.

Mais celui-ci se fait parachuter en France après avoir appris que Félix est arrêté. Il met au point avec Mathilde (Simone Signoret) un plan d’évasion de l’école de médecine de Lyon transformée en centre d’interrogatoire de la Gestapo, et cela a failli réussir. Mathilde, déguisée en infirmière SS, commande une ambulance militaire allemande et montre des (faux) papiers intimant l’ordre de livrer Félix à la Gestapo à Paris. Hélas, le résistant a été longuement torturé et il n’est plus transportable. Jean-François, qui a refusé de participer à ce risque insensé, a disparu – il se retrouve arrêté par auto-dénonciation suicidaire dans la même cellule que Félix et il l’aide à mourir.

Gerbier est fiché et des avis avec photo sont placardés ; il se fait arrêter alors qu’il déjeunait sans ticket dans un restaurant à viande, une faute d’orgueil. Mathilde va tout mettre en œuvre pour le délivrer, inventant brillamment une évasion à l’ultime moment, lorsque les mitrailleuses jouent avec la vie des hommes qui sont invités à courir dans le champ de tir. Gerbier hésite à fuir mais ses jambes le commandent malgré lui. Un pot à fumée, une corde, une grenade offensive et le tour est joué. Gerbier, blessé, s’évade et rejoint une villa inoccupée où il va rester se faire oublier un mois.

C’est là que saint Luc le rejoint et lui apprend que Mathilde a été arrêtée à son tour. Cette femme remarquable a commis une faute affective : elle a gardé sur elle une photo de sa fille de 17 ans. Dès lors, elle doit parler, ou la chair de sa chair sera envoyée servir d’objet sexuel dans un bordel militaire en Pologne. Elle parle ; elle est libérée pour appâter les autres. C’est alors que décision est prise de la tuer. Malgré tout ce qu’elle a fait, la Résistance est ainsi : une tragédie. Il n’y a ni bien ni mal, seulement du pire et du moins pire, sacrifier tous les membres ou en sauver quelques-uns.

C’est la force du film, comme du livre, de nous montrer sans ambages les dilemmes moraux de l’époque. Pas question de biaiser ni de négocier, il faut choisir. Luc Jardie formule une hypothèse : que Mathilde s’est volontairement fait libérer au prétexte de contacter les réseaux et de tendre des souricières, elle qui a une mémoire photographique des noms et des visages, pour que ses compagnons la tue. Elle ne peut en effet se suicider sans représailles sur sa fille… Mais saint Luc avoue qu’il existe une autre hypothèse moins glorieuse et plus humaine : que Mathilde a voulu revoir sa fille chérie une dernière fois.

Le film se termine sur la scène où le Bison tue de deux coups de pistolet une Mathilde ébahie de voir Gerbier et Jardie la regarder par les vitres de la voiture allemande aux phares noircis.

Un bandeau final annonce le destin des protagonistes : à la fin de la guerre, ils seront tous morts, ombre parmi les ombres pour que les jeunes vivent libres. L’héroïsme véritable est en silence. Nous ne sommes pas dans la paonnerie Hollywood.

DVD L’Armée des ombres de Jean-Pierre Melville, 1969, avec Lino Ventura, Simone Signoret, Paul Meurisse, Jean-Pierre Cassel, Paul Crauchet, Christian Barbier, Claude Mann, Alain Libolt, Alain Decock, StudioCanal 2008, 2h07, standard €8.20 blu-ray €19.50

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Marie-Octobre de Julien Duvivier

Le noir et blanc des années cinquante produit ici l’un de ses meilleurs films, tiré d’un roman de Jacques Robert paru en 1948 (non-réédité). Le contexte en est l’Occupation et la Résistance, traumatisme et mythe national. Quinze ans après, les membres survivants d’un réseau se retrouvent sur invitation de la seule femme du lot : nom de guerre Marie-Octobre (Danielle Darrieux). Ils reviennent au lieu du drame, le château d’un des leurs, investi par la Gestapo en 1944, où leur chef Castille a été tué.

Mais, le dîner achevé, commencent les choses sérieuses. Avec « le jus d’orange pour ceux qui ont soif et le whisky pour les ivrognes », comme dit la délurée cuisinière (Jeanne Fusier-Gir), les doutes ressurgissent : qui a trahi ? Car la Gestapo a été prévenue. Marie-Octobre, qui a fondé une maison de couture a succès sous son nom de guerre, a rencontré un acheteur allemand lors de la présentation de sa collection d’hiver. Il a regretté que le réseau soit tombé car il admirait le courage de ses membres, mais l’un des leurs les a donnés ; il ne se souvient plus de son nom. La réunion vise donc à faire avouer l’un des dix.

Chacun a vieilli et a bâti sa vie, son couple et sa carrière. L’un est boucher bon vivant et président de l’Amicale des bouchers (Paul Frankeur) ; l’autre est avocat au pénal et porte la rosette de la Légion d’honneur pour faits de Résistance (Bernard Blier) ; le troisième est contrôleur des contributions, rigide et sourcilleux (Noël Roquevert) ; le quatrième a acheté une imprimerie juste après la guerre et poursuit le métier qu’il abordait dans sa jeunesse comme salarié en imprimant tracts et faux papiers (Serge Reggiani) ; le cinquième est devenu prêtre, bien que surnommé « Au bonheur des dames » tant il draguait et concluait à l’époque (Paul Guers) ; le sixième est médecin, chef d’une clinique privée (Daniel Ivernel) ; le septième est un ancien catcheur propriétaire du Sexy bar de Pigalle, boite chic à striptease, en concubinage avec une chanteuse connue (Lino Ventura); le huitième reste plombier et serrurier comme avant (Robert Dalban); les deux derniers sont Marie-Octobre et le châtelain, toujours industriel (Paul Meurisse).

Ce huis-clos anachronique pousse chacun à soupçonner chacun, bien loin des idéaux de fraternité démocratique de la Résistance. Seul le prêtre – qui ressemble à Jacques Chirac – joue son rôle de grand fout-rien prêt à pardonner et à laisser Dieu sanctionner dans l’au-delà : ce qui l’intéressait était l’action. La mort, réclamée d’emblée par les plus rigides, est en contradiction avec l’idée humaniste que tout humain évolue, peut mûrir et se repentir. Certes, des membres du réseau sont morts fusillés ou en déportation, mais ce n’était pas le fait du traître in extremis, qui n’a mis en jeu que la vie des onze – dont dix ont pu s’échapper. Quant au chef Castille, il était loin de la légende qu’on a tissé autour de lui. Egoïste, dominateur, machiste, il aimait commander les hommes et dominer les femmes, incapable d’aimer parce que trop doctrinaire. Marie-Octobre elle-même n’est pas la femme parfaite ni la résistante irréprochable que l’on croit ; elle aimait Castille, qui l’humiliait.

Que s’est-il donc passé ce jour de 1944 lorsque la Gestapo a fait irruption dans la grande pièce du rez-de-chaussée du château, mitraillette au poing ? Chacun a sa version, reconstituée d’après sa position dans la fuite. Un seul s’est trouvé avec Castille au moment de sa mort, mais qui ? Les mensonges de la passion obscurcissent la recherche de la vérité. Jusqu’à celui qui était absent de la réunion pour cause de maladie mais qui sait quand ont eu lieu les coups de feu. Les personnages restent ambigus, l’avocat était un ancien pro-allemand jusqu’à la rupture de l’Armistice ; un vol de 3 millions de francs a été commis juste avant la mort de Castille, qui connaissait le voleur et allait le démasquer – or le médecin, l’imprimeur, le boucher et le propriétaire de boite de nuit ont chacun acheté leur fonds juste après-guerre…

Illusions, mensonges, remords, jeunesse idéaliste enfuie dans la réalité de l’existence, cette tragédie respecte l’unité de temps et de lieu et connait un mort à la fin. Mais aussi l’écroulement des grandes idées sous les mensonges, les petits intérêts et les passions qui aveuglent. Les humains ne sont pas des dieux, les résistants ne sont pas des héros sans peur et sans reproche ; ils ne sont qu’humains trop humains. Et la bêtise est de punir dans l’absolu de la mort celui ou celle qui a connu un moment d’égarement. Nous ne sommes plus en 2018 à cette époque de noir et blanc, du tout bien ou tout mal. La peine de mort a été abolie par un ancien Cagoulard devenu socialiste ; le mythe de la Résistance a vécu, même si quelques nonagénaires tentent de le revivifier vainement, à la mode gauchiste ; les grands idéaux sont pris pour ce qu’ils sont : des bannières qui font croire et agir sur le moment comme un viagra mais qui ne résistent pas à l’usure des choses ni à la médiocrité humaine.

Le jeu des dix petits nègres dont un seul meurt à la fin s’apparente à l’expiation par le bouc émissaire : le fautif prend sur lui tous les péchés du monde et les autres s’en vont rassurés et la conscience tranquille. Le catch, que regarde le boucher à la télé, double constamment le huis-clos comme un message : tout est jeu et spectacle. Les actes de Résistance hier, le procès d’intention aujourd’hui ; chacun se balance des manchettes et torture les autres par de savantes clés – mais personne ne gagne à la fin car tout est truqué. Le match n’est qu’une scène où jouer au plus fort ou au plus malin.

Roland Barthes venait, en 1957, de publier ses Mythologies dans lesquelles il décortique le catch comme art du semblant, pur immédiat codé où le salaud est pris au piège dans un retournement soudain de justice immanente. Comme si tout était écrit d’avance, le bien, le mal et le jugement. C’est bien à quoi le spectateur assiste dans Marie-Octobre : pas un film sur la Résistance, encore moins sur la Justice, mais sur leurs caricatures mythologiques.

DVD Marie-Octobre, Julien Duvivier, 1959, avec Danielle Darrieux, Paul Meurisse, Bernard Blier, Serge Reggiani, Paul Frankeur, Pathé 2017, 1h34, standard €8.80 blu-ray €14.35

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Bitcoin : jouer ou investir ?

La bourse n’est pas un casino, comme le croient les ignorants ; ni une exploitation des travailleurs, comme le croient les croyants embarqués pour « un autre monde » possible. Vieille phobie de l’argent, inconsciente chez les catholiques laïcisés en socialistes et dévoyés en écolo-communistes. La bourse est un marché où se rencontrent les offres et les demandes de capitaux pour les entreprises, marché régulé par l’Etat, la monnaie étant pilotée par la Banque centrale européenne et les accords internationaux.

La loi de la jungle est justement de sortir des Etats et des règlementations : en témoignent le bitcoin et les autres monnaies virtuelles – elles ne sont régulées par personne. Or cet à-côté du « Système » plaît fort à nos gens de gauche phobiques de « l’exploitation ». Tous comme les mafieux et les terroristes (et accessoirement quelques services secrets), ils voient dans le bitcoin le moyen « d’échapper » aux contraintes régulatrices, à la surveillance des Etats. Donc, croient-ils, à « l’exploitation »… Y a-t-il pire spéculation que ce pari sur le virtuel, comme si les bits n’étaient pas le paravent des bites qui œuvrent par-derrière ? Car si « les ordinateurs » sont les garants soi-disant neutres de la monnaie virtuelle, ils sont bel et bien actionnés par des humains, des mâles pour la plupart, dont certains (assez malins – à défaut russes ou coréens du nord) parviennent à hacker sans trop de difficultés l’extraction des autres.

Là est le jeu, le pari, la pure spéculation. Il est moins en bourse traditionnelle, arbitrée, surveillée et contrôlée – et que l’on peut suivre en fonction des informations.

Car le bitcoin est créé depuis 2009 (juste après le dernier krach financier américain) par un logiciel qui rétribue les agents qui ont vérifié, sécurisé et inscrit les transactions (ce qu’on appelle l’activité de minage ou d’extraction) dans un registre virtuel appelé blockchain. Il ne fonctionne que par consensus, l’universelle bénévolence de ceux qui jouent le jeu. Il se soustrait aux Etats et à tout contrôle et n’offre aucune garantie de cours ni de liquidité. Le bitcoin peut être échangé contre d’autres monnaies, des biens ou des services – en-dehors des banques centrales et du contrôle de quiconque. Son prix est fixé libéralement sur des marchés spécialisés… selon la loi de l’offre et de la demande.

Le bitcoin est la monnaie la plus ultra-libérale qui soit, car régulée par personne. Il est la monnaie universelle et libertarienne par excellence, offrant un anonymat total. Or la tempérance et les contre-pouvoirs sont le propre du libéralisme. La tendance ultra (qualifiée de droite) rejoint les libertaires (qualifiés de gauche) dans l’anarchie totale du chacun pour soi. Le système pour tous ne peut fonctionner que si tous respectent « les règles du jeu », donc acceptent une certaine régulation… Cercle vicieux de ceux qui veulent absolument être « contre » ce qui existe, mais ne peuvent rien créer qui ne ressemble à ce qui existe – l’aventurisme en plus.

Mais investir n’est pas jouer, c’est un métier. Le jeu n’en est que l’une des dimensions, celle issue des pulsions. Il devra être alimenté par les informations économiques (épargne, consommation, investissement) et financières (résultats nets, endettement, image de marque) – et mis en œuvre par des techniques d’investissement (arbitrage, ventes à découvert, options) et de prévision (graphiques, analyses techniques). Il devra surtout être dominé par le bon sens stratégique qui ressort de « l’intelligence » au sens anglais du renseignement et de l’analyse globale.

Le bon investisseur est celui qui combine ces quatre dimensions. Tous les autres sont borgnes ou manchots et prennent un risque maximum à ignorer le reste.

Or, dans le bitcoin, qu’y a-t-il hors du seul « jeu » ? Sur quelle richesse est fondée cette monnaie d’échange ? La limite d’émission arbitraire de 21 millions de blocs, fixées par l’inventeur tout seul, n’encourage-t-elle pas la spéculation effrénée ? Que se passe-t-il si la majorité des extracteurs veulent sortir ? Et si le réseau Internet connait une panne ou une attaque massive ? Ou si la neutralité du net est remise en cause comme Trump le veut ? Quant à la consommation électrique du système décentralisé, équivalente à la consommation du Danemark, on ne peut pas vraiment dire qu’elle soit « écologique » ou « durable » !

  1. Le jeu, c’est le plaisir quasi sexuel de parier, l’anxiété à suivre les positions, l’explosion de gagner – ou la dépression de perdre.
  2. L’information, c’est la prudence de l’enquête sur les chiffres publiés et la hauteur d’analyse sur la conjoncture.
  3. La technique est le bon usage des outils, choisis avec soin en fonction des circonstances et de la psychologie du marché.
  4. Le bon sens est d’allier tout cela, psychologie, économie, techniques et plaisir de jouer pour établir et augmenter son portefeuille.

Le bonheur du travail bien fait – des prévisions bien anticipées, des positions gagnantes au moins 6 fois sur 10 – va au-delà du gain financier.

Mais qu’y a-t-il d’heureux dans le bitcoin ?

Il n’y a que le jeu, sans aucune réflexion ni prévision possible, la pire des motivations pour investir et la plus instinctive des quatre dimensions exposées ci-dessus.

 

En savoir plus sur le bitcoin :

Jacques Favier et Adli Takkal Bataille, Bitcoin, la monnaie acéphale, 2017, CNRS éditions, 280 pages, €23.00, ebook format Kindle €16.99

Prypto (entreprise), Bitcoin pour les nuls, €12.50, ebook format Kindle €9.99

 

Et pour ceux qui veulent jouer :

Ledger Nano S, Portefeuille Matériel (Hardware Wallet) de Crypto-monnaies multi-devises, Tjernlund Products, Inc, €179.99

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Capitalisme chinois

Le président Macron est en Chine. Comment comprendre le capitalisme particulier de ce pays ?

Qu’est-ce donc que « le capitalisme » ?

De façon descriptive, il s’agit d’une technique d’efficacité économique à user des ressources rares pour produire au moindre coût. Cette efficacité engendre du profit, qui peut être réparti sur l’investissement, les salaires, la rémunération du capital, ou mis en réserve. C’est cette « répartition » qui est un acte politique – donc soumis à idéologie. Elle peut être coopérative, sociale, étatiste, clanique ou libérale. Les coopératives ouvrières partagent les gains après répartition décidée par tous ; l’entreprise sociale n’a pas de « but lucratif » mais redistribue à ses clients, ses fournisseurs et ses salariés les surplus ; l’entreprise d’Etat abonde le budget du pays en contrepartie de la présence de fonctionnaires pour administrer l’entreprises et de décisions politiques pour investir ; l’entreprise clanique assure la richesse à une famille ou à un clan, ne se préoccupant que de la rentabilité ; l’entreprise libérale se soumet à la loi de l’offre et de la demande tant pour vendre ses produits que pour acheter aux fournisseurs, rémunérer ses actionnaires et payer ses salariés – le pouvoir est en ce cas un rapport de négociations successives avec les uns et les autres.

La comptabilité en partie double, les méthodes de marketing, les innovations technologiques, l’organisation fordiste de la production, les sociétés juridiquement à responsabilité limitée, le commerce au loin, sont des techniques du capitalisme. Elles évoluent, se transforment, s’adaptent depuis le XVe siècle. Le cœur de l’économique réside en cette efficacité recherchée à chaque instant, de la production à l’échange, efficacité dont « le profit » est le résultat final (et pas le but en soi) – en même temps qu’il y a goût du risque (marchands aventuriers, inventions mises sur le marché, prospection de nouveaux clients, innovations). Ce risque, apporté par les détenteurs de capitaux qui le prêtent à l’entreprise (obligations) ou prennent une part (actions) doit être rémunéré – sinon personne ne prêterait et « l’Etat » (on l’a vu avec M. Haberer, énarque au Crédit lyonnais nationalisé) est un piètre gestionnaire ! Cette technique double peut être adaptée différemment, suivant les pays et les sociétés qui l’utilisent.

Le capitalisme en Chine

Il fut d’abord d’Etat avant d’être livré aux clans (comme dans la Russie post-soviétique mais sous le contrôle du Parti communiste au pouvoir). Le deal est le suivant : faites des affaires mais ne remettez jamais en cause le pouvoir ; quiconque le remet en cause de quelque façon se voit accusé de « corruption » et mis en prison. L’entrepreneur individualiste, le self-made-man à l’américaine, n’existe pas en Chine. Selon la tradition, ce sont des familles entières qui sont actionnaires et les réseaux de relations personnelles (y compris avec les fonctionnaires d’Etat et les influents du Parti) qui sont au cœur des affaires. D’où ces relations paternalistes à l’intérieur des entreprises, ce sens des responsabilités sociales comme il existait dans l’ancien capitalisme familial français ou allemand au début du XXe siècle – mais aussi ce que les protestants puritains anglo-saxons appellent « la corruption », qui est là-bas un échange de bons procédés. La « vertu » des entrepreneurs chinois est à la fois sociale (le réseau, d’où « la corruption ») et morale (le confucianisme). On peut la mettre en parallèle avec ce qui animait les maîtres de forges européens : le statut social et le christianisme.

L’usage social de l’outil capitalisme n’est pas né en Chine d’une parole d’Etat. Deng Xiaoping a certes débloqué la situation en 1978 et tiré un trait sur le volontarisme brouillon des maos. Car le Grand Bond en avant fut un grand bond en arrière qui fit périr de faim des millions de Chinois et nul ne veut plus le voir revenir. La mégalomanie d’Etat ignore l’économie et ses lois toutes simples qui permettent de produire, d’échanger et d’élever le niveau de vie. Pour conserver le pouvoir après l’extinction de Mao, le Parti n’avait d’autres ressources qu’une perestroïka contrôlée. Elle fut conduite en douceur et dans le temps, aboutissant à l’essor que l’on observe depuis trois décennies.

Mais la Chine ne part pas de rien.

Son histoire illustre combien la société chinoise a depuis longtemps su marier la bonne économie à la bonne politique. Au moyen-âge, la production agricole et les réalisations des artisans spécialisés étaient largement diffusées dans l’empire par une classe marchande pleine d’initiatives. Le forçage anglais des ports par le traité de Nankin oblige au XIXe siècle l’empire immobile à bouger. L’ouverture commerciale à la concurrence de l’Occident montre aux Chinois le retard qu’ils prennent sur la révolution industrielle. L’équipement passe par la puissance publique, comme souvent dans les phases de décollage. C’est l’armement qui intéresse les fonctionnaires des provinces côtières. Qui dit armement dit acier et qui dit acier dit charbon – et c’est ainsi que commencent les infrastructures et la production industrielle. Se développent alors l’armement, les bateaux à vapeur, le textile, le téléphone.

La fin du XIXe voit la création d’entreprises mixtes dont le financement est à capitaux privés, la gestion par des marchands issus des ports ouverts, et le contrôle celui des fonctionnaires locaux. Le début du XXe siècle verra l’Etat central codifier et réguler le commerce. Le capitalisme n’est pas une importation d’Occident – c’est confondre la technique d’efficacité économique (le capitalisme) avec l’idéologie libérale (le laisser-faire). Les pratiques traditionnelles chinoises ne sont pas balayées et remplacées, elles amalgament les techniques nouvelles venues d’ailleurs à leur culture, habitudes et mentalité. Tout comme l’a fait le Japon à l’ère Meiji et la Corée du sud dans les années 1960. C’est bien la preuve que « la mondialisation » n’est une américanisation du monde que dans les fantasmes politiciens. La globalisation est l’ouverture des marchés à l’ensemble de la planète mais « le capitalisme » n’est pas un néo-colonialisme occidental. Si des pays aussi divers que la Chine, le Japon et la Corée ont su adapter la technique capitaliste à leur culture proprement originale – sans perdre leur âme comme on le voit tous les jours – c’est bien la preuve qu’il est sot d’amalgamer capitalisme, libéralisme et américanisation. Le propre de l’analyse est de distinguer pour comprendre. La science économique n’a rien à voir avec la croyance idéologique.

Au début du pouvoir communiste, les structures économiques familiales et claniques, mêlées de privé et d’Etat, sont conservées. Les propriétaires ne sont expropriés que pour moitié et restent actionnaires à dividendes en parallèle avec l’Etat, tout en poursuivant leur gestion. Il n’y a pas de nationalisation « idéologique » mais une inflexion en douceur qui permet à la production de continuer au profit du collectif et à la distribution d’assurer « le bol de riz » aux masses. Au nom du redressement national, les ouvriers sont même incités par l’Etat à travailler plus en gagnant moins, tout comme dans la conception organique de Vichy. La réaction « antidroitière » qui suit les Cent Fleurs de 1957 fait disparaître le secteur privé – mais pas physiquement les entrepreneurs (au contraire des propriétaires terriens). Ce qui permettra le redressement économique dès la mort de Mao. C’est ce que n’a pas su faire la Russie ex-soviétique qui a envoyé tous les spécialistes en camp de « rééducation ».

La conception « communiste » du capitalisme à la chinoise

Les officiels chinois parlent d’« entrepreneurs patriotes » (comme Bismarck) et de « socialisme de marché » (comme jadis certains socialistes français). Ce n’est pas le niveau de vie qui est mis en avant (conception individualiste hédoniste) mais la grandeur de la nation (conception collective souverainiste). Toutes les grandes entreprises ont des liens familiaux et de réseaux, et naturellement avec le pouvoir local et central. Nombre d’entrepreneurs sont membres du Parti communiste. Nul ne peut se passer des autorités pour obtenir les autorisations nécessaires à la production (trouver un terrain, bâtir, obtenir des crédits, entrer en bourse) – ou la protection contre d’éventuelles sanctions (tout le monde fraude parce que la bureaucratie est comme partout rigide et lente).

Dès lors, s’ouvre la voie royale des Quatre modernisations (agriculture, industrie, défense, science et technologie), qui passe par l’ouverture aux échanges mondiaux avec l’adhésion chinoise à l’OMC, puis la reconnaissance internationale par les Jeux Olympiques de 2008.

L’économie de commande disparaît par étapes pour l’économie de marché :

  • 1979, décollectivisation de l’agriculture ;
  • 1979, création de zones économiques spéciales pour attirer les capitaux étrangers ;
  • 1984, autorisation des petites entreprises privées de services urbains (réparateurs de vélos, de chaussures, marchands de beignets, coiffeurs…) ;
  • 1990, création de la bourse de Shanghai, 1991 création de la bourse de Shenzhen ;
  • 1992, fin de la planification, transformation des sociétés d’Etat en sociétés par actions, réforme de la fiscalité ;
  • 1995, restructuration du système bancaire qui rend l’autonomie de gestion aux banques ;
  • 2004, reconnaissance de la propriété privée.

Restent les problèmes collectifs, dont l’Etat a pour rôle de se préoccuper :

  • Les filets sociaux de toute société industrielle (santé, droit du travail, chômage, retraite)
  • La protection de l’environnement et la répartition des infrastructures (routes, chemin de fer, aéroports, barrages, centrales)
  • La lutte contre les excès de la corruption locale qui menace la cohésion sociale, donc le pouvoir du Parti.
  • Une relative libéralisation des mœurs, du savoir, de l’Internet des réseaux (à monopole national), donc de l’opinion…
  • Mais aussi la place de la Chine dans le monde, à commencer par la mer de Chine (donc renforcement de l’armée, occupation d’îlots, prospection pétrolière, chemin de fer jusqu’en Europe, nouvelle « route de la soie »).

Les Chinois réclament moins « la démocratie » que le « bon gouvernement ». Tant que le parti « communiste » assure un bien-être croissant (ce pourquoi le taux de croissance est scruté avec attention, et probablement « piloté » politiquement), même au prix de restrictions de libertés, d’une morale inquisitrice et d’un autoritarisme d’Etat venu du centre à Pékin, le système politique n’est pas vraiment contesté. L’élection du bouffon Trump montre combien « la démocratie » à l’occidentale peut être ridicule et déstabilisatrice, voire dangereuse pour un pays. En revanche, la technique d’efficacité du capitalisme apparaît (depuis 30 ans) comme le meilleur instrument pour produire, vendre et augmenter le niveau de vie. Car « les masses » ne se nourrissent pas longtemps de slogans…

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Sylvain Forge, Tension extrême

Le prix du Quai des Orfèvres 2018, dont il faut rappeler qu’il est décerné par un jury de professionnels du monde policier à des manuscrits anonymes, va cette année à un polar futuriste. Ou plutôt déjà présent, mais avec l’accumulation encore inconnue des conséquences logiques du monde numérique et des interconnexions qui explosent chaque jour un peu plus sans que l’on en prenne conscience.

Deux hommes décèdent à Nantes, l’un dans sa voiture parce qu’il heurte une pile de pont et l’autre dans son appartement fermé de l’intérieur, et sans cause apparente. Ces deux hommes sont jumeaux et dirigeants d’une entreprise de technologie convoitée par les Américains ; ils ont tous deux une malformation cardiaque et portent des pacemakers. Sauf que ces prothèses très utiles sont désormais connectées afin que le médecin traitant puisse suivre en direct l’évolution du cas. Ce que les policiers de Nantes vont découvrir, est que les jumeaux sont morts au même moment, et que leur pacemaker en est la cause… Il ne s’agirait donc pas d’accident.

C’est le début d’une traque à rebondissements où le numérique affronte les humains, l’expertise informatique les méthodes traditionnelles. Je ne vous dirai pas qui va gagner, ni comment, mais l’auteur, expert en cybersécurité auprès des entreprises, en connait un rayon sur les failles des systèmes. C’est que le matériel a été conçu il y a quelques années, avant que la prolifération de l’informatique ne fasse des objets connectés de véritables bombes en puissance.

Nous entrons dans un autre monde… Et sans aucune expérience. Les machines prennent la main, puisqu’on leur donne, et la machine est, comme la langue depuis Esope, la meilleure et la pire des choses. Ce qui est utile peut servir au mal, ce qui est divertissement peut aboutir au chantage, ce qui est mémoire permet de faire pression. Nous ignorons être environnés d’appareils de plus en plus connectées au « réseau », du Smartphone à la machine à café, du pacemaker à l’étiquette du vêtement, de la carte bancaire à paiement sans contact à la carte de transport à puce… Et lorsque tout est mis dans le même « sac » par un hacker particulièrement habile à exploiter les failles de sécurité dues à la négligence ou à l’ignorance, il n’est pas loin d’être le maître du jeu, sinon du monde. Surtout si l’intelligence artificielle (IA) l’assiste !

Car payer en bitcoins des tueurs recrutés via le darknet est à la portée du premier venu passant quelque temps sur le sujet. Effacer ses traces ou n’en laisser aucune grâce aux messageries cryptées ou au brouillage d’IP via le logiciel Tor est un jeu d’enfant. Les cyberattaques paralysent la PJ de Nantes parce que les deux femmes à la tête du service d’investigation approchent de trop près une vérité bonne à taire. Facebook et YouTube sont utilisés, comme les listes piratées de stagiaires de la police, pour cibler des représailles… mortelles.

Et si une petite fille est en couverture du livre, ce n’est pas par hasard. Le lecteur s’apercevra que c’est bien autour d’elle que tourne ce polar échevelé.

Il se lit en haletant, phrases courtes, chapitres ramassés, chutes à suspense. Ce roman policier est très bien monté. Mieux construit qu’écrit car la langue est basique, allant directement au but, et les personnages à peine esquissés à cause du rythme. La psychologie est sommaire et le décor standard ; l’intrigue se passe à Nantes mais on ne reconnait pas la ville, ce pourrait être à Brooklyn ou dans une banlieue quelconque. Ce qui fait que, lorsque vous reprenez le livre après quelques heures, vous ne savez plus trop qui est Isabelle ou Ludivine et de quel « commissaire » on parle, celui de la PJ ou celui d’un autre service. Dramaturge mais pas écrivain, l’auteur va au galop et vous garde suspendu à son clavier comme au cinéma. L’intérêt premier de ce polar est qu’il aborde le monde tout neuf des TIC (technologies de l’information et de la communication) sous l’angle criminel.

A sa lecture, vous frémirez de vous être laissés aller à publier votre vie en fesses-book (trop tard pour vous) ou tout autre réseau « social » – où les asociaux peuvent glaner à l’envi comme le gamin dans le pot de confiture. Vous vous méfierez des « pièces jointes » anodines annexées à un message d’un ancien ami (mettez ça au féminin ou au neutre si ça vous chante – pour ce que ça change…). Car ces pièces véhiculent parfois un virus redoutable et invisible qui prend la main sur tous vos appareils. Vous vous rendrez compte combien les caméras de surveillance publique, les alarmes incendie, les puces électroniques de vos cartes, le micro et la caméra même éteints de votre téléphone dernier cri, votre bracelet de performance au jogging – combien tout cela vous trace, vous révèle, vous rend vulnérable à qui voudrait vous faire du mal !

Nous ne sommes pas dans un thriller international ni dans l’univers de James Bond mais dans celui, le plus banal, d’une moyenne ville de province où la police de base enquête sur des soupçons de meurtre, avec ses moyens limités et ses connaissances standard. Nous sommes dans le quotidien : le nôtre. Et ce qu’il nous dit de ce qui pourrait survenir est terrifiant.

Oui, la tension est extrême dans ce très bon livre – à la pointe de notre présent. A conseiller pour entrer dans le nouveau monde.

Sylvain Forge, Tension extrême, 2017, Fayard poche, 395 pages, €8.90 e-book format Kindle €6.99

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Michael R.D. Foot, Des Anglais dans la Résistance

Le credo véhiculé par les gaullistes et par les communistes était que « la » Résistance (à majuscule) était purement française, les « alliés » n’étant qu’accessoires. La vérité des historiens est différente et bien plus nuancée. Michael Foot, auquel on ajoute R.D. pour le différencier d’un politicien, est un historien universitaire de Manchester, ancien officier SAS (Special Air Service) durant la Seconde guerre mondiale. Il a été mandaté au début des années 1960 par le gouvernement anglais pour faire le point des succès et des échecs de l’entreprise de formation et d’armement des groupes clandestins en France, afin d’en tirer des leçons.

Il ne s’agit pas de froisser de Gaulle (encore au pouvoir ces années-là), mais de rendre objectifs des faits complexes, et embrouillés à dessein de propagande. Le livre n’a pas été autorisé à paraître en France par les Anglais du Foreign Office (un éditeur français voulait en acheter les droits de traduction). Il ne le sera qu’en 2008, les passions s’étant apaisée et l’histoire neutre devenant possible.

C’est dire combien « la vérité » importe peu aux politiciens et à leurs partisans. Trump, mettant ses gros pieds dans le plat médiatique avec sa notion de post-vérité, n’a fait qu’actualiser le mensonge pour l’action – cet autre nom de l’idéologie que Nietzsche, Marx et Freud ont théorisée pour notre monde contemporain…

Ce livre épais et érudit est écrit « à l’anglaise », dans ce mélange de citations classiques et de fluidité de conversation ; il se lit avec délices. Il fait le point de façon précise sur ce foisonnement de groupes, groupuscules et d’initiatives venues de Londres comme de France occupée. Il n’occulte en rien les réticences des militaires de carrière, tant anglais que français, envers le travail clandestin considéré comme mineur et ignoble. Il dit le chaos des premières années entre improvisations, querelles d’ego et rivalités hiérarchiques. Il montre les insuffisances de sécurité des Français – criantes ! – l’anarchie initiale des mouvements, la politisation moscovite côté communiste et progressive côté gaulliste, l’échec de Jean Moulin malgré la symbolique.

Ce livre de 800 pages comprend plus de 200 pages d’appendices sur les sources, les noms, les réseaux, les messages BBC, la chaîne de commandement ; il est flanqué de 46 pages de notes dans l’édition française et d’un index de 18 pages. Plus quelques photos en noir et blanc. C’est dire s’il est documenté, étayé et précis. Il est une somme – provisoire car la recherche historique avance comme toute recherche scientifique.

Une première partie décrit les structures du mouvement clandestin ; une seconde fait le récit de ce qui fut réalisé.

La naissance du Special Operations Executive le 16 juillet 1940 est due à la défaite de la France, il n’existait pas avant. Il sera supprimé juste après la guerre, le 30 juin 1946, sa fonction remplie. Il s’occupait de désinformation de l’ennemi, de sabotages, de renseignement – mais surtout d’entretenir le moral combattant de Français abattus par une défaite imprévue et écrasante, et anesthésiés un temps par le conservatisme repentant du vieux maréchal de Verdun. Tout nous est dit sur le recrutement (disparate), la formation (trop rapide) et les communications (handicapées par une technologie lourde et archaïque).

Le récit montre les tâtonnements des années 1940 et 1941, le développement 1942 et la série de fautes 1943-44, avant les succès de juin à septembre 1944 lors des deux débarquements. Les résistants, formés et armés par les Anglais, mais bien Français sur le terrain et voulant en découdre, ont ralenti la progression des divisions vers les différents fronts et ont permis l’ancrage du débarquement de Normandie, malgré des représailles cruelles d’une armée aux abois (Vercors, Tulle, Oradour…).

Complémentaires aux bombardements, mais bien plus précis, les sabotages réussissaient à l’économie ce que la débauche d’aviation et de bombes ne parvenaient pas toujours à réaliser. Mieux : le moral des Occupants a été sévèrement atteint, ce qui n’était pas explicitement prévu : « Le résultat final de ses actions en France (et de celles d’autres acteurs de la guerre souterraine) fut bien de briser la combativité des Allemands dans ce pays. L’influence du SOE à cet égard a été inestimable, au double sens du mot, c’est-à-dire à la fois très forte et impossible à quantifier » p.583. Maitland « Jumbo » Wilson, « l’autre commandant suprême allié qui a opéré en France », « a estimé, sans que cela ait valeur officielle, que la présence de ces forces a abaissé de soixante pour cent l’efficacité au combat de la Wehrmacht dans le sud de la France au moment des opérations de débarquement en Provence » p.588.

Malgré les rodomontades des partisans communistes et des tard-venus « naphtalinés » de la mi-1944, « tout historien attaché à la vérité doit reconnaître que l’influence du SOE sur la résistance française a été importante, parfois même cruciale. C’est grâce à lui que parvinrent à destination des milliers de tonnes d’armes et d’explosifs envoyés pour aider les réseaux. Sans ces livraisons, elle n’aurait pas accompli le dixième de ce qu’elle a accompli » p.92. Chacun a fait sa part, gaullistes, communistes et Américains, mais le SOE anglais fut le plus précoce et le plus constant dans l’aide apportée aux résistants de France.

« En 1941, la section F n’avait envoyé sur le terrain que 24 agents opérationnels ; en mai 1944, elle faisait tourner plus de 40 réseaux, dont la plupart comprenaient plusieurs agents entraînés en Grande-Bretagne » p.496. C’est bien de le rappeler, et mieux de le montrer de façon étayée, en historien plus qu’en histrion. Ce gros livre est un livre de faits, utile à ceux qui veulent savoir, mais plus utile encore à ceux qui veulent comprendre les leçons de l’histoire.

Michael R.D. Foot, Des Anglais dans la Résistance 1940-1944 (SOE in France), 1966, préface et notes de J.L. Crémieux-Brilhac 2012, Tallandier collection Texto, 799 pages, €12.50, e-book format Kindle €4.99

La résistance au nazisme sur ce blog :

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Qu’est-ce que la post-vérité ?

Il y a la vérité et il y a le mensonge ; il y a aussi la vérité « relative », qui dépend du point de vue d’où l’on se place. Il n’y a pas de « post » vérité, qui signifierait un dépassement (dialectique ?) de la vérité en soi. Le terme utilisé est donc un raccourci : nous nous trouvons dans une ère de « post » vérité parce que « la » vérité ne fait plus recette pour la majorité de nos contemporains.

A cela quatre raisons :

  1. La vérité est indifférence : tout est relatif ! Ne nous a-t-on pas assez serinés depuis deux générations ce slogan tiré de la théorie d’Einstein ? Puisque toute vérité dépend du point de vue, choisissons notre point de vue et ce sera notre vérité. Pas « la » vérité en soi mais celle de notre œil, de notre cœur, de notre raison. Nous appellerons cette vérité un mythe et le croire sera le socle qui nous fera agir. La vérité « scientifique » elle-même – qui devrait rester pure, a été mise à mal par le socialisme « scientifique » de Marx et Engels (qui n’était qu’une croyance philosophique) et par les multiples fraudes de chercheurs qui cherchaient surtout la notoriété, et moins à trouver qu’à prouver.
  2. Le réel est indifférent, trop « raisonnable », trop contraignant. Il est souffrance, mieux vaut l’illusion. L’intrusion des philosophies orientales, et la mode New Age qui va avec, conduit dans nos sociétés matérielles confortables, à « préférer » les illusions apportées par les croyances – dont les religions -, par le groupe fusionnel, les drogues, l’alcool. Puisque la société ne nous force pas à nous colleter au réel grâce à ses filets de sécurité sociale, santé, chômage, retraite, vivons dans le rêve ou la foi, nous aurons toujours à bouffer. Le revenu universel du dieu Hamon rencontre ici toute sa place, comme le message daechiste des vierges futures (rien que pour les mecs, aucune brochette d’éphèbes prêts à servir n’est prévue au paradis d’Allah pour les méprisables femelles). L’indifférence au réel se manifeste par le dédain de la raison et l’inclination vers la passion : celle-ci emporte, la volonté supplante le raisonnable, il suffit de dire « je veux » pour que toutes les planètes se mettent à tourner autour du même soleil impérieux, la foi vous sauvera. Le volontarisme furieux des Le Pen et des islamistes rencontre ici son public.
  3. Le temps est indifférent, seul compte présentement le présent. Les gadgets électroniques remplacent la pensée par « l’information » continue, le lien par « le réseau », la sensation par « le choc » répété. Un clou chasse l’autre – d’où la meilleure défense qui est l’attaque, et plus c’est gros, plus ça passe, ces deux piliers fondamentaux de toute propagande. Donald Trump, amuseur de téléréalité, a piqué ses procédés de show aux télévangélistes, même s’il imite sans le savoir Hitler. En France, le Front national est expert mais tire ces techniques du Dr Goebbels – que l’on étudiait jadis à Science Po. François Fillon est trop naïf pour user de ces méthodes pas très catholiques, ce qui le dessert.
  4. Le pouvoir de l’élite est indifférent, ce qu’elle dit n’est que du performatif, les actes suivent trop rarement les mots pour qu’on les croie encore. Il y a eu trop de « mensonges d’Etat » depuis l’origine de la république pour que cette répétition des mêmes erreurs ait ancré dans la tête du citoyen qu’il ne faut jamais faire confiance au pouvoir. Rappelons-nous l’affaire Dreyfus, le scandale de Panama, Pétain comme « bouclier », l’attentat de l’Observatoire, le « je vous ai compris » sur l’Algérie, les dénis successifs sur les méfaits du nucléaire (le nuage de Tchernobyl arrêté à la frontière…), le Rainbow Warrior – et aux Etats-Unis entre autres le Watergate et les armes de destruction massives en Irak… Sans parler des impostures intellectuelles à la Maurras, Sartre ou Althusser. La « vérité » officielle est une communication qui disqualifie les politiciens, les intellos, les « sachant » (qui n’en savent pas plus que vous quand on y pense). Critiquer, contester, élaborer une communication « alternative » apparaît comme un devoir civique – au risque de sombrer (trop souvent) dans la théorie du Complot.

Au fond, seuls les vrais chercheurs scientifiques sont forcés de croire encore en « la » vérité. Les autres n’adhèrent qu’aux vérités partielles, relatives, « utiles ». La fameuse transparence démocratique dont les intellos civiques nous bassinent les oreilles n’apparaît que comme une arme de communication pour le combat politique. Ce sont les fameuses « affaires », qui surgissent curieusement aux moments où un intérêt électoral ou le vote d’une loi est en jeu. Ce n’est pas la vérité qui pousse ces « lanceurs d’alerte », mais le militantisme partisan – loin, très loin de l’intérêt général.

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La vérité est exigée nue, par volonté de naturel

Nietzsche est peut-être le seul philosophe qui se soit interrogé sur les présupposés du concept de « vérité ». Pourquoi croire à cette dualité du vrai et du faux ? N’y a-t-il rien de gris, d’intermédiaire, de yin dans le yang et réciproquement ? Pourquoi cette croyance fanatique en les bienfaits de la vérité et cette horreur du faux ? Est-ce bien la réalité humaine constatée ? Si l’erreur est humaine, ne serait-ce pas parce qu’elle a une certaine utilité, au moins pratique ? Ne sert-elle pas à mieux vivre ?

La vérité est alors une valeur, pas une essence objective. La volonté de vérité est une volonté comme une autre – même si elle caractérise notre civilisation occidentale plus qu’une autre dans l’histoire. « La question des valeurs est plus fondamentale que la question de la certitude » (Fragments posthumes XII, 7). La prétendue vérité se réduit alors à la position relative, humaine, de certaines erreurs devenues conditions d’existence. Une erreur ancienne apparaît plus vraie qu’une vérité trop récente, que l’on ne croit pas encore tout à fait. Même la science n’établit de vérités que réfutables, « falsifiables » selon Karl Popper. Ce qui est vrai à un moment donné ne l’est plus que partiellement à un moment ultérieur. Parce que la connaissance avance, la puissance de calcul, l’exploration de l’univers, l’approfondissement de ses lois mathématiques.

Puisque la vérité est une valeur, elle est en concurrence avec d’autres valeurs qui peuvent apparaître un moment comme plus importantes : « La question est de savoir jusqu’à quel point [un jugement] favorise la vie, conserve la vie, conserve l’espèce », suppute Nietzsche (Par-delà le bien et le mal, 4). La vérité cherche à établir la certitude, sans laquelle il ne peut y avoir de sécurité pour les humains. Le connu inspire confiance, donc « est vraie une chose qui suscite un sentiment de sécurité » (Fragments posthumes, XII, 7).

D’où les Trump et autre Le Pen ou Mélenchon : affirmatifs, pirouettant, aptes à retomber toujours sur leurs pattes. Ce n’est pas la vérité qui compte, mais leur habileté. Ils disent ce que « tout le monde » croit, changent d’avis aussi vite lorsque la réalité les rattrape, baignent dans la com’ le public comme des amuseurs de foire. Mais la politique n’est-elle pas une grande foire, un Beauty contest où il s’agit de choisir le plus séduisant ?

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Prince des ténèbres

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Œuvre lourde, lente, où l’angoisse monte, lancinante, scandée par une musique envoûtante. Nous sommes dans un huis-clos où chacun se referme sur soi, ni les autres en tant que collègues d’une même recherche, ni l’espoir d’un couple, ni même la Bible qui dit l’espoir d’être sauvé à la fin des temps, ne permettant de s’en sortir. Car le Mal est en nous, le démon dans le monde, l’antimatière à l’intérieur de la matière.

Un prêtre meurt dans un quartier délabré de Los Angeles où subsiste une église désaffectée ; il laisse une clé dans un coffre et un journal en testament. Il révèle appartenir à la mystérieuse Confrérie du sommeil, dont l’existence a été cachée au Vatican depuis des siècles, afin de protéger le monde. L’église recèle, dans sa crypte, un étrange cylindre de verre où tournoient des effluents verts qui, peu à peu, s’amplifient. En émane une puissance, en conjonction avec les ondes qui parviennent d’une lointaine galaxie et atteignent enfin la Terre.

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Le père Loomis (Donald Pleasence), dépositaire du testament, va mandater le physicien Birack (Victor Wong, asiatique à barbiche et à l’œil gauche demi-fermé) pour étudier la chose, en accord avec les cardinaux catholiques de Los Angeles. C’est toute une équipe d’étudiants post-doc, chacun brillant en sa spécialité, qui est réunie par le professeur un week-end dans l’église déserte. Ce qu’ils vont découvrir remet en cause toutes les certitudes. La science comme la religion ne sont que des croyances ; elles sont mises à l’épreuve de la réalité inouïe. Et c’est une mathématicienne, Catherine (Lisa Blount), qui va découvrir que le cylindre contient le fils de Satan… L’angoisse saisit les personnages face à cet inconnu que l’on croyait refoulé selon la Bible dans les ténèbres extérieures.

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D’autant que le cercle se referme : ce secret bien gardé qu’aucun humain ne soupçonne, l’église désaffectée entourée de SDF zombies qui massacrent tous ceux qui tentent de fuir, la crypte où le cylindre étend sa maléfique influence, le réseau mis en commun des câbles informatiques et des compétences qui converge sur la même chose : l’innommable. Rien ne peut briser le cercle paranoïaque : ni la fuite, ni les hypothèses, ni le couple que tente vainement de former Brian (Jameson Parker) et Lisa Blount (Catherine Danforth). Les ténèbres envahissent tout, la Créature contamine ceux qui s’approchent de trop près, candidement confiants en leur savoir scientifique ou abêtis par la curiosité (maléfique depuis Eve) : un jet de liquide comme une éjaculation faciale – et les voilà recréés à l’image du non-Être, zombies d’humain animés par le Mal. Comme quoi le sexe était perçu comme le véhicule du Mal à l’ère du retour à l’ordre moral sous Reagan, quelques années après la découverte du SIDA en 1983. Le retour au puritanisme des mœurs date de ce moment-là, et Prince des ténèbres en témoigne.

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Chacun est seul avec ses fausses certitudes : la Bible pour le père Loomis, qui prie vainement à Jésus-Sauveur avant de prendre en main une hache pour trucider le diable incarné en zombie ; les autres pour le gay du groupe, Walter (Dennis Dun, sino-américain de 35 ans), qui attend d’être sauvé des chiottes où il s’est réfugié avant de creuser lui-même le mur (dont on s’étonne qu’il fasse près d’un mètre d’épaisseur à cet endroit !) ; son nouveau boy-friend possible Jameson, après un grave échec pour Lisa, qui choisit de précipiter le fils du diable (et elle-même avec) au travers du miroir alors qu’il commence à tirer son père Satan dans ce monde-ci. Agir plutôt qu’attendre, faire plutôt que croire, dans l’immédiat plutôt que dans l’attente. Car si tout vaut tout, autant choisir par instinct – on ne fera pas plus mal.

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Le miroir est, comme dans les temples shinto, l’image même de l’incertitude : il renvoie ce qu’on lui envoie. Matière-antimatière, Jésus-Diable, raison-phobies, science-croyance, espoir-pessimisme, action-soumission. C’est de même un message du futur qui parvient en miroir au présent, via le même rêve que fait tout membre du collectif venu étudier le cylindre.

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Ce film est sorti en 1987, sous le président Ronald Reagan qui pourfendait « l’empire du Mal ». L’URSS vivait ses dernières années sous Gorbatchev, un traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire et les euromissiles sera signé en fin d’année. Mais les Etats-Unis étaient menacés aussi par la drogue, le dictateur du Panama Manuel Noriega sera inculpé cette année-là par un tribunal de Floride pour trafic. Et par sa finance : le krach de 1987 sera le premier d’une série qui mènera vingt ans plus tard à celui dont nous vivons aujourd’hui les derniers développements politiques.

Pour sauver le monde, il faut reconnaître ses faiblesses – dont savoir que l’on ne sait rien n’est pas la moindre. Une fois ceci posé, il n’y a pas de tragique car nous sommes en Amérique : si chacun se prend en main, choisit la raison et le positif, alors le Mal n’aura aucune prise. Encore faut-il « vouloir », ce qui signifie avoir l’énergie en soi-même. Tel est le message du pays des self-made men.

DVD Prince des ténèbres (Prince of Darkness) de John Carpenter, 1987, avec Donald Pleasence, Victor Wong, Jameson Parker, Catherine Danforth, Dennis Dun, Susan Blanchard, Anne Marie Howard, Studiocanal 2005, €13.00

D’autres films de John Carpenter chroniqués sur ce blog

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Macron peut renouveler la gauche si…

Au début du mois je formulais l’hypothèse qu’Emmanuel Macron pouvait renouveler la gauche moribonde, SI François Hollande décidait de ne pas se représenter, et S’IL désignait volontairement le jeune ex-ministre comme son dauphin, avec tout son soutien.

Évidemment, sans le soutien présidentiel ni le vote de la primaire à gauche, rien ne se fera. Macron ne possède aucun réseau de taille et n’a jamais été élu d’une circonscription. Et tout reste possible avant les primaires de droite et de gauche, y compris l’égocentrisme du président qui ne peut croire qu’un autre puisse être président… cette mégalomanie est bien arrivée à Sarkozy, elle peut toucher Hollande par imitation.

Macron a été pour Hollande celui qui pouvait dire tout haut ces « horreurs économiques » que la gauche étatiste, autoritaire et jacobine considère comme des péchés mortels : l’inamovibilité de la fonction publique, les 35 h, l’impôt massif pour une redistribution massive, la conservation bec et ongles des zacquis sociaux même si l’Allemagne, le Canada et la Scandinavie les ont adaptés, même si la globalisation exige de la compétitivité, la haine irrationnelle de l’argent, de la prospérité, de la richesse, la méfiance viscérale envers l’initiative, l’entreprise, la prise en main par les travailleurs, les communes, les associations, les collèges, de ce qui apparaît comme un privilège d’État…

Macron a été l’autre voix de Hollande un moment, celle qu’il aurait bien voulu avoir sans jamais l’oser. D’où ce « coup » possible de désigner un dauphin aux suffrages des sympathisants de gauche (bien plus vastes et plus ouverts que les esprits étroits du parti socialiste).

Mais Hollande est double ; il veut aussi copier Mitterrand, son bon maître, bien plus politique et bien plus cultivé que lui, sauf sur l’économie. Mitterrand a piégé Rocard, qui représentait cette deuxième gauche adaptée au monde que le jacobinisme socialiste rejetait. Mitterrand n’était pas vraiment socialiste, il était même à la mode de sa jeunesse Camelot du Roy, c’est-à-dire catholique monarchiste ; il n’a pas vraiment été contre Pétain à Vichy ; il a été un ministre de la IVe République qui a défendu « l’Algérie française ». Mais Mitterrand a toujours su nager et son impérieux orgueil lui a toujours donné le sens du vent. Hollande n’en est que la très pâle copie – sauf qu’il peut lui aussi, par un sursaut d’orgueil, se représenter et piéger Macron comme Mitterrand avait piégé Rocard.

Nul doute que, s’il veut « rester dans l’histoire » comme il le proclame, le président actuel ferait un beau geste en adoubant le jeune Macron contre les trop mûrs usés qui se présentent. Comme le montre un sondage Odoxa, institut créé par un ancien directeur-général adjoint de BVA,  sur 999 personnes choisies selon la méthode des quotas, interrogées entre le 15 et le 16 septembre, les Français veulent des hommes neufs en politique. Le candidat idéal à la présidentielle devrait pour 71% des interrogés être honnête et sincère, ayant des idées nouvelles.

Et devinez qui arrive en tête à la question « parmi les responsables politiques suivants, lequel est selon vous le meilleur candidat pour représenter la gauche à la présidentielle de 2017 ? » – Emmanuel Macron pour 28%, 10 points devant Mélenchon (18%) ou Manuel Valls (17%)… et seulement 8% Hollande !

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Non seulement le rejet de Hollande reste massif, mais les tribuns à La Mélenchon, Valls ou Montebourg séduisent peu : des promesses, toujours des promesses…

Bien sûr, les zélites autoproclamées des médias et du vieux parti socialiste voient toujours une impossibilité à introniser « le diable » : aucun des éditorialistes soi-disant « spécialistes » du marigot ne prend en compte l’hypothèse Macron. Car les sympathisants de gauche préfèrent la grande gueule Mélenchon, seule apte selon eux à faire poids égal à la grande gueule Le Pen. Non seulement c’est bien le signe qu’ils ont déjà perdu la présidentielle dans leurs têtes, mais ils ont en outre relégué leur champion « naturel » François Hollande à 18% – 6 points derrière le partisan de la Terreur et chaud soutien du président Chavez ! Quand on voit dans quel état Chavez a mis le Venezuela, on peut douter du « désir d’avenir » que peut représenter un Mélenchon même à gauche, même au-delà du parti socialiste… Emmanuel Macron apparaît quand même à 15%, juste derrière Valls à 16% – sachant que la marge d’erreur pour tous ces chiffres et de 2.5%.

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Donc mon hypothèse – dont je rappelle qu’il s’agit d’une supposition cohérente qui a vocation à être testée (donc peut-être infirmée) par l’expérience – reste d’actualité.

Quatre obstacles à la réalisation d’une candidature Macron (je ne parle même pas d’une élection) :

1/ Le poids de l’entourage, qui va flatter l’orgueil présidentiel, dans le style « moi ou le chaos ». Tous les imbus d’un quelconque pouvoir se sentent toujours indispensables ;

2/ La lâcheté intellectuelle dont Hollande a déjà donné maintes preuves (« mon ennemi la finance », « je vais renégocier le traité avec Merkel », « la déchéance de nationalité pour les terroristes »). Il peut très bien croire que Macron ferait gagner la gauche – mais en même temps céder au vieux parti socialiste pour ne pas assumer sa volonté – montrant une fois de plus qu’il n’est pas le président « de tous les Français » mais de l’étroite clique qui le supporte ;

3/ La grosse caisse des ringards de la gauche, minoritaires dans le parti même, mais avec le battage médiatique le plus fort, la gauche jacobine ayant toujours su faire entendre sa ligne au détriment de la gauche réformiste, libérale et décentralisatrice, de Mendès-France à Rocard ;

4/ Dire son inclination pour une candidature ne signifie pas voter in fine pour un candidat, nombreuses ont été les personnes sympathiques aux Français mais pour qui ils n’ont jamais votés, préférant les logiques d’appareil : Barre, Rocard et Balladur entre autres. Alain Juppé pourrait d’ailleurs à droite être dans ce cas.

Il y a donc beaucoup de « si » à l’hypothèse Macron. Mais la balayer d’un méprisant revers, sous le prétexte que ce n’est pas écrit dans les journaux, me paraît un peu léger. Penser par soi-même plutôt que penser comme la horde, n’est-ce pas user de sa raison, donc être un digne citoyen ?

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Histoire du Christianisme, des origines au moyen-âge

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Sous la direction d’Alain Corbin, l’Histoire du christianisme publiée au Seuil courant 2007 aborde avec 4 auteurs, 52 contributeurs, 6 cartes, 459 pages et en 4 parties cette religion. Il détaille ses diverses espèces (catholique, protestante, orthodoxe), dans ses espaces particuliers (Méditerranée, Europe, Amérique…), avec ses formes de piété (culte marial, culte des reliques, Purgatoire, hérésies). Il évoque quelques grandes figures (François d’Assise, le curé d’Ars, saint Thérèse), et ses conséquences culturelles ou artistiques (cathédrale, image tridentine, missions outremer). De quoi acquérir une base de culture religieuse en un seul livre – et compléter les notes précédentes.

L’émergence, du 1er au 5ème siècle

Jésus est-il prophète juif ou Fils de Dieu ? Quel est ce milieu hébraïque, quelles sont les communautés chrétiennes d’origine juive en Palestine ? Les sources indirectes sur Jésus sont : la correspondance de Paul de 50 à 58 de notre ère, les Évangiles de Marc en 65 (d’après la tradition des années 40), Matthieu et Luc vers 70-80, Jean en 90-95, les Évangiles apocryphes après 120. Ce sont des mémoires, pas de l’histoire : les faits sont mêlés à une lecture théologique. Pour les auteurs historiens, Jésus n’avait pour ambition que de réformer la foi d’Israël, ce que symbolisent les 12 intimes qui l’accompagnent comme les 12 tribus. Il visait à simplifier l’obéissance à la Loi, la focalisant sur l’amour et la justice, prêchant un Dieu proche et accueillant. Il s’agit d’une mystique de l’urgence, pour la venue imminente de Dieu. Jésus se voulait solidaire de toutes les catégories sociales que marginalisait la société juive du temps, ce qui fut scandale pour une société cloisonnée. Il ne s’est dit que Fils de l’Homme (Livre de Daniel), descendant d’un David idéalisé ; ce sont les chrétiens qui l’ont appelé Messie. « Jésus n’a pas dit qui il était, il a fait qui il était » p.20.

Le christianisme atteint Rome sous Claude vers 49, la Gaule en 177, l’Afrique en 180. Paul est le passeur de culture : juif de la Diaspora en pays hellène, polyglotte d’une famille commerçante, il associait une éducation grecque reçue à Tarse à une formation de pharisien reçue à Jérusalem. « La mission paulinienne, la seule que nous puissions réellement étudier, a été organisée comme une pénétration par capillarité, qui utilise tous les réseaux de la cité antique, celle-ci fonctionnant comme une imbrication de communautés, de la plus petite – qui est la famille – à la plus grande – qui est la cité. La cellule-souche de la mission, c’est la « maisonnée », l’oikos, tout à la fois communauté familiale et communauté d’activité, exploitation agricole, atelier ou magasin (…) L’oikos antique rassemble des gens de statut différent, incluant femmes et enfants, esclaves et affranchis (…) Sa composition transcende les clivages de la société antique entre Grecs et Barbares, hommes et femmes, libres et non-libres » p.37.

La première expansion chrétienne conduit à s’interroger sur comment vivre en chrétien dans le monde sans être du monde. Comment être persécuté mais soumis à l’Empire romain jusqu’en 311. La conversion de l’empereur fait se convertir l’Empire et désormais, comment le penser en Empire chrétien ? « Les chrétiens de l’Antiquité ont usé des modes de la pensée juive, des catégories philosophiques de la pensée grecque, des techniques de discours de la rhétorique grecque et latine, pour formuler une théologie qui s’est affirmée au fil du temps » p.12. Reste à définir la foi – entre hérésie et orthodoxie, gnose et manichéisme. « Au cours du 2ème siècle, on assiste à la marginalisation des communautés chrétiennes d’origine juive (le judéo-christianisme) au profit des communautés chrétiennes d’origine païenne (le pagano-christianisme) : ce seront ces dernières qui s’érigeront progressivement en « Grande Église » p.30. Et c’est bien là où la foi rencontre le siècle, où la croyance entre en société.

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La doctrine de l’Église s’élabore au 4ème et 5ème siècle. Puis il faut édifier les structures chrétiennes, organiser les églises, établir le culte et la liturgie, christianiser l’espace et le temps, reconnaître la dignité des pauvres et pratiquer l’assistance. Partir enfin en quête de perfection par l’ascétisme et le monachisme.

« Quatre conciles œcuméniques ont fondé la doctrine chrétienne :

  1. Nicée en 325 : le Fils n’est pas subordonné et inférieur au Père mais de même substance ;
  2. Constantinople en 381 : l’Esprit-Saint est adoré et glorifié à l’égal du Père et du Fils, l’église est « catholique » ;
  3. Éphèse en 431 : affirme l’unique nature du Verbe incarné ;
  4. Chalcédoine en 451 : union des deux natures parfaites dans le Christ incarné » p.80.

Des intellectuels chrétiens vont confirmer la foi, ils sont les Pères de l’Église : Basile, Grégoire de Naziance, Jean Chrysostome, Jérôme et la Vulgate, saint Augustin. « Pour Augustin, la nature humaine est immédiatement marquée par le péché, et nous ne pouvons accéder au salut par nos mérites personnels ou nos bonnes œuvres : seule la grâce divine peut nous sauver. (Son adversaire, qui soutient le contraire, est le britannique Pélage). En accomplissant strictement la loi divine, chacun pouvait parvenir à la perfection, et Dieu devait le récompenser de ses mérites (ou le punir de ses fautes) dans la vie future » p.123.

Il est alors loisible d’annoncer l’Évangile jusqu’aux extrémités de la terre, au 5ème siècle dans l’Empire romain, ensuite aux marges et aux barbares.

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Le Moyen-Âge, du 5ème au 15ème siècle, n’est ni légende noire ni légende dorée

En cette période, le christianisme se consolide et s’étend. Saint Benoît, mort en 547, est le père des moines d’Occident. Grégoire le Grand est un passeur à ses dimensions. Autour de l’an mil naissent les chrétientés nouvelles : Rome, tête de l’Église latine à partir du 11ème siècle et Byzance devenue Constantinople qui se différencie. Saint Bernard de Clairvaux, mort en 1153, fonde la communauté des moines cisterciens, la cathédrale naît.

Affirmations et contestations induisent des réponses pastorales. La première croisade est lancée en 1095. « Un seul point réunit en effet les trois poussées de l’Europe latine : elles répondent toutes trois à l’appel des Chrétiens soumis à l’islam et opprimés, Mozarabes d’Andalousie, Grecs de Sicile et Chrétiens de Palestine » p.190.

ainsi soient ils cardinaux

Les hérésies fleurissent et, en 1231, le pape Grégoire IX instaure l’Inquisition pontificale, juridiction d’exception dérogatoire à tout droit, qui enquête d’office de façon totalement secrète et qui vise l’aveu. François le pauvre d’Assise, mort en 1226, crée un ordre mendiant. Thomas d’Aquin, mort en 1274, écrit sa Somme. Car il s’agit d’œuvrer à son salut, de réfléchir au Purgatoire et à l’au-delà, de réguler le culte des saints, des reliques et des pèlerinages.

« Au lendemain du 4ème concile de Latran (1215) la Vierge, modèle d’obéissance au Père, est proposée comme modèle de normalisation de l’Église. A elle de montrer l’exemple aux ordres religieux, de guider les âmes à la découverte du mystère de Dieu, d’inviter les fidèles à devenir des chrétiens exemplaires » p.243. Notre-Dame de Paris s’élève tandis qu’explosent les œuvres de charité aux 12ème et 13ème siècle et que naît le culte du Saint-Sacrement.

Jean Hus, mort en 1415, est l’hérétique majeur dans cette quête de Dieu qui saisit les mystiques d’Orient et d’Occident, soucieux d’imiter Jésus-Christ. La sainte Inquisition sévit. Elle nous choque aujourd’hui, dans la suite du film « l’Aveu » et des procès staliniens, si proche d’elle dans l’imaginaire. Mais « ces actes de foi, qui choquent au 21ème siècle, n’ont pas au 13ème l’impact que l’on pourrait imaginer. Pour la majorité de la population, il s’agit de cérémonies pénitentielles et purificatrices qui réduisent une fracture et marquent un retour à l’unité et à l’harmonie. Le châtiment des hérétiques – qui ont offensé Dieu – est, pour les fidèles demeurés dans l’orthodoxie, promesse d’éternité, motif de liesse et non de deuil. La solidarité spirituelle et sociale ne se noue pas autour des hérétiques, mais contre eux. En effet, l’enjeu profondément éprouvé, tant pas les inquisiteurs que par l’énorme majorité de la population, est le salut de tous » p.202. Cette remarque sur l’Inquisition ne s’applique-t-elle pas telle quelle à la mise en scène des procès réguliers, sous Staline ? Comme aux meurtres et autres « martyres » des islamistes en Europe ? Comme quoi le monde contemporain reste imbibé de l’empreinte chrétienne, même chez les athées communistes les plus militants, même chez les musulmans intégristes…

Alain Corbin (sous la direction), Histoire du christianisme, 2007, Points 2013, 468 pages, €10.00

e-book format Kindle, €10.99

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Innovation et emploi

L’innovation, c’est « bien » ; le chômage, c’est « mal » – telle est l’impasse morale dans laquelle s’enferment les pseudo-économistes. Car l’innovation tue d’abord l’emploi avant d’en recréer, c’est que qu’un vrai économiste nommé Joseph Aloïs Schumpeter, né en Autriche, a rondement démontré.

Notre époque sans histoire croit que l’innovation vient de l’informatique. Ce n’est pas vrai, l’essor de l’informatique aide à l’innovation mais n’en est pas le cœur. Le numérique aide plutôt à être encore plus efficace, encore plus productif, encore plus direct dans les circuits qui vont du producteur au consommateur : l’informatisation détruit des emplois plus qu’elle n’en crée. Voyez Uber contre les taxis, Air B&B contre les hôtels, Amazon contre les librairies de base, Leboncoin contre les bazars, et ainsi de suite.

L’innovation de notre époque a lieu surtout dans les matériaux, l’énergie, la génétique, la biologie moléculaire, les nanotechnologies. La voiture sans chauffeur n’est pas une véritable innovation mais une dérive de la technique ; en revanche, la voiture électrique ou le moteur à hydrogène sont de véritables innovations : ils n’existaient pas avant.

La révolution que nous vivons n’est pas informatique, mais algorithmique. C’est moins la numérisation qui compte que le processus logiciel qui décompose les opérations et fait se suivre les opérations logiquement. Il s’agit donc d’organisation plus que de puissance de calcul, un principe d’efficacité plus qu’un principe de force. Ce pourquoi l’informatique n’est pas la panacée, mais l’organisation logicielle si.

C’est à confondre les deux que nombre d’entreprises investissent pour pas grand-chose, remplaçant seulement la paperasserie par la mêlerie, réclamer des documents ou des renseignements aux autres par mail étant tellement plus facile que d’aller chercher soi-même. Elles confondent donc le réseau (qui aide) et l’art de multiplier les obstacles (qui englue). L’Administration française (avec un grand A) est spécialiste de cette dérive, qui n’est que la traduction rond-de-cuir du numérique (et allez ! un extrait de casier judiciaire n°3 tous les 2 mois, puisque c’est si facile via Internet…).

pluie

L’inflation des normes et des pseudo-contrôles conforte la machine bureaucratique… en évitant les vrais contrôles, qui sont moins paperassiers qu’humains : le Médiator, après le sang contaminé et la vache folle sont trop d’exemples de ces faux contrôles opérés par des bureaux irresponsables qui croient avoir fait le boulot quand ils ont paperassé. C’est la même chose pour la viande de cheval roumain dans une certaine entreprise française, ou pour cet abattoir du sud-ouest dit aux normes de qualité « bio » qui torture les bêtes par carence du contrôle vétérinaire. Ces règles empilées sans ordre et ces contrôles forcément mal faits (à cause de ce fouillis désordonné) n’aident pas l’emploi, au contraire ! Parlez-en aux agriculteurs, de ces normes « écolos » encore plus écolos que ce que réclament les Directives européennes ! Non, tout n’est pas de la faute de Bruxelles.

L’innovation, c’est quand même autre chose. Elle contraint les entreprises à agir en réseau, les fournisseurs et sous-traitants coopérant pour un même produit. Airbus conçoit aujourd’hui peut-être 20% des composants de ses avions, alors que les avionneurs en concevaient près de 100% il y a 50 ans. Chacun se spécialise dans ce qu’il sait le mieux produire et les cahiers des charges incitent à améliorer les produits. L’innovation est une synthèse, pas une suite séparée de choses assemblées.

Les choix techniques, les choix d’esthétique du produit, les choix commerciaux pour répondre aux besoins des clients sont de l’innovation en grappe. Les entreprises n’innovent pas parce que la technique existe, mais parce qu’il existe un besoin, plus ou moins diffus dans le public. Ainsi Sony a-t-il inventé le baladeur parce que la fille du PDG en avait émis le désir. Ainsi Apple a-t-il créé un beau Smartphone, même si Samsung est peut-être techniquement meilleur. Ainsi Airbus développe l’A350 parce qu’il s’agit d’une gamme demandée – et pas le successeur supersonique du Concorde, trop polluant, trop bruyant et trop peu adapté à la clientèle. Ce sont ces innovations qui créent de l’emploi, et pas l’informatisation des tâches bureaucratiques.

Tout va plus vite parce que le monde presque entier émerge, et plus seulement l’Europe et l’Amérique du nord, même si les pays arabes ont encore du mal. Le cap des 15 millions de chercheurs dans le monde vient d’être franchi et il s’en ajoute en gros 1 million par an ! Quatre fois plus de brevets sont déposés cette année qu’il y a seulement sept ans. Même si tous les brevets ne vont pas créer des innovations commercialisables, le vivier est plus vaste et l’État, qui en France aime à se mêler de tout, pourrait utilement aider la recherche fondamentale plutôt qu’aider la bureaucratie envahissante.

S’il a fini (avec trois ans de retard) à créer le Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), il cible indifféremment toutes les entreprises qui emploient des salariés – c’est donc La Poste qui en bénéficie le plus, entreprise à la pointe de l’innovation, comme chacun sait… S’il déclare vouloir « inverser la courbe du chômage », il taxe à tour de bras les salaires (autant de pouvoir d’achat en moins !), comme en témoigne le portail Vie-publique.fr : « la France est l’un des pays industrialisés où la part dans le PIB des cotisations sociales versées aux administrations publiques est la plus élevée (18,8% en 2011 selon les chiffres établis par l’OCDE, qui diffèrent légèrement de ceux calculés par l’INSEE, contre 16,9% pour l’Allemagne, 8,4% pour le Royaume-Uni et 6,2% pour les États-Unis) ».

C’est plus le tracassin réglementaire et la fiscalité qui valse à chaque majorité qui incitent les multinationales françaises à investir ailleurs qu’en France. Quant aux impôts, elles les payent dans chaque pays, comme le montre de façon assez neutre pour une fois la fiche Wikipedia : « Le cas du groupe Total est intéressant : son taux d’imposition est de 85 % au Nigeria et de 78 % en Norvège, d’où un taux moyen élevé : 67 % ; en France, où ses activités sont déficitaires, il n’a pas payé d’impôts depuis trois ans, mais les efforts engagés sur le raffinage ainsi qu’une meilleure conjoncture lui permettent d’envisager un retour aux bénéfices, et donc le paiement de l’IS, au titre de 2015 ».

L’aide à l’investissement fait partie de la politique de l’offre, qui a été délaissée ci cruellement en France depuis Mitterrand. Distribuer du pouvoir d’achat serait profitable à l’emploi si (et seulement si) l’offre de biens et services en France était à la hauteur. Or toute augmentation des salaires se traduit immédiatement par une augmentation des importations : les entreprises française ne produisent pas vraiment ce que les gens désirent acheter, leurs produits sont trop moyenne gamme, trop chers. La seule politique de la demande indispensable porte moins sur les salaires que sur le chômage : le réduire créerait plus de pouvoir d’achat sans diminuer la productivité du travail. Mais qui cela intéresse-t-il en France, l’emploi ? Fonctionnaires, syndicats et CDI s’entendent pour que tout reste en l’état, surtout préserver les Zacquis !

L’État devrait développer la recherche publique, les infrastructures de transport et de communication, revoir l’éducation dès le primaire et débloquer enfin la formation des adultes – au lieu de taxer tant et plus pour tout et presque rien, de multiplier les normes en faisant une loi à chaque événement, de proférer rituellement des incantations sur la courbe du chômage – et de paperasser au détriment des vrais contrôles sanitaires et sociaux !

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Carantec le réseau Sibiril

Lorsque la France s’effondre en six semaines, en juin 1940, certains ne l’acceptent pas. ils ne sont pas tous à Londres.

carantec musee maritime

Le musée maritime de Carantec – dont j’ai déjà parlé –  créé par Yves Le Gall rend hommage depuis 1990 à ces héros de la résistance française.

drapeau a croix de lorraine

Jakez Guéguen, marin qui habite près de Caractec, au Pont de la Corde, effectue trois allers-retour vers Jersey, encore non occupée avec son sablier de 8 m, le Pourquoi-Pas.

sablier pourquoi pas 31 evades

Mais c’est le constructeur de bateaux Ernest Sibiril, à Carantec, qui va développer le réseau. Dès le 3 juillet 1940, il rapatrie quatre soldats anglais et plusieurs dizaines de jeunes français volontaires pour la France libre.

sablier pourquoi pas jacques gueguen

Guéguen est arrêté par la police allemande, relâché pour raison de santé, puis menacé d’être à nouveau arrêté pour purger sa peine ; Sibiril va l’aider à fuir avec son fils en février 1942. Le réseau réussira par la suite une vingtaine d’autres évasions, selon plusieurs routes maritimes : 4 par Jacques Guéguen, 14 par Ernest Sibiril, et trois autres évasions individuelles.

souvenirs d occupation musee carantec

Près de 200 évadés dont 4 aviateurs américains et 2 britanniques ont ainsi pu rejoindre l’Angleterre et emporter des renseignements sur l’armée allemande pour le deuxième bureau et le MI5.

evasions par mer a partir de carantec

Comme tous les bateaux en état de flotter avaient été recensés par l’occupant, il a fallu en construite de nouveau clandestinement, et remettre en état de vieilles coques de rebut. C’est ainsi qu’Ernest Sibiril construisit dans son chantier naval le Requin, un cotre de 5.99 m, pour s’évader lui-même avec toute sa famille et sept autres, dont un pilote anglais. Sibiril avait échappé par miracle à une arrestation en juillet 1943.

cotre le requin pour rallier angleterre

Il fallait aussi équiper et ravitailler les bateaux pour qu’ils puissent traverser la Manche, parfois sur plusieurs jours. Puis transporter à Carantec en camion sans se faire prendre les candidats à l’évasion. Les héberger et les nourrir en attente de la nuit propice. Piloter les bateaux pour sortir de la baie de la Penzé.

routes evasion réseau Sibiril depuis carantec

Les départs avaient lieu discrètement, de nuit, les dates sans lune et à pleine mer afin de profiter du courant sans mettre les voiles ni actionner le moteur. La météo n’était pas non plus toujours propice… Les gardes-côtes anglais ont arraisonné tous les bateaux sauf un, à l’arrivée dans les eaux territoriales ; ils craignaient les espions.

temoignage evade reseau sibiril

Armand Léon, goémonier de l’île Callot, jouxtant Carantec, fut le dernier à traverser, à la barre de son 6.75 m Amity. En février 1944 il emmena 21 volontaires, entassés comme on l’imagine. Malgré la tempête, tout se passa bien car « ils étaient assez nombreux pour écoper », déclara le tranquille marin à l’arrivée.

ici londre radio

Les messages codés de la BBC, dans l’émission Les Français parlent aux français, annonçaient l’arrivée à bon port des évadés.

bbc evades parlent aux francais

Les Anglais, fair play, disent que Carantec détient le record des évasions réussies. Le professionnalisme des marins, le bon sens breton et la prise de risques raisonnée a permis ce succès.

alain sibiril a 14 ans

Le fils d’Ernest Sibiril, âgé de 11 ans en 1940, s’est évadé avec son père à 13 ans en 1943. Il assurait les missions de surveillance aux abords du chantier, situé près du port en bord de mer, et a gardé toutes ces années ce lourd secret. Petit homme déjà, il n’a jamais eu le temps d’être adolescent.

de gaulle a carantec

Le général de Gaulle est venu, après guerre, rendre hommage aux Carantécois.

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Yasushi Inoué, Le château de Yodo

yasushi inoue le chateau de yodo
Maître du roman historique japonais, l’auteur nous transporte en 1573, période charnière où le morcellement féodal est unifié militairement en quelques années par le Taikô Hideyoshi, puis par le shogun Tokugawa en 1603. Ces nœuds de vassalité compliqués, dans une culture de l’honneur jusqu’à la mort, ont failli tuer le Japon qui n’a connu son essor que sous la dictature d’un général premier ministre ayant la confiance de l’empereur.

Pour conter cette histoire shakespearienne, pleine de bruit et de fureur, Inoué prend les yeux d’une femme, Tchatcha, héritière de la grande famille infortunée des Nobunaga. Fillette, elle fuit le château incendié de son père, tandis que celui-ci se fait seppuku (le hara-kiri des mauvaises traductions 19ème) et que le père de son père est tué. Son frère aîné, 10 ans, sera retrouvé dans un village et décapité par le vainqueur. On ne laisse aucun survivant mâle qui puisse venger la famille, dans ces querelles de préséance où seul le droit du plus fort s’impose. En revanche, les femmes et les filles sont du butin bon à prendre pour engrosser, afin de diluer le sang du vaincu dans celui du vainqueur ou, au moins, celui d’un vassal.

En ces années où l’on devient samouraï à 14 ans, pas de pitié pour les erreurs ; chacun assume son destin, préférant périr dans les flammes du château assiégé ou le sabre à la main dans un combat perdu d’avance. Les plus lâches se rachètent en s’ouvrant le ventre, achevés par un ami proche pour s’éviter de trop longues souffrances. C’est ce qui arrive à la fin au fils de la fillette mariée contre son gré à l’assassin de sa famille et devenue dame Yodo. Il a eu le tort de se révolter, par orgueil de fils du Taikô, alors qu’il n’avait aucune chance de succéder à son père – ni l’âge requis, ni les soutiens. Car l’individualisme apparent du guerrier samouraï (chacun suit seul sa voie du guerrier) s’efface devant le collectif du clan. C’est tout un réseau qui règne ou qui fait allégeance, pas un seigneur en particulier : qui voudrait le croire serait condamné. Hideyori, fils de Hideyoshi, n’est pas un guerrier achevé lorsqu’à 26 ans il croit pouvoir prendre le pouvoir ; il n’aura aucun soutien, même des daimyos les plus proches de son clan, car il ne ferait pas un chef suprême efficace. Ne s’étant jamais battu, il sera forcé de s’éventrer, avec sa mère, dans les ruines fumantes de son château d’Osaka incendié…

Mais cette époque virile, qui cultive la guerre pour tremper les caractères, est d’une vitalité peu commune : elle voit se développer l’art du thé, le théâtre nô, la philosophie zen, la poésie des fleurs de cerisier au printemps et de la lune en automne. Le samouraï est à la fois guerrier et esthète, austère et hédoniste, brutal et délicat ; il ne craint pas la mort mais est capable d’amours platoniques. Bien que ventres à porter les héritiers et supports de l’amour troubadour des poètes combattants, les femmes jouaient par mariage un rôle politique ; elles pouvaient influencer leur puissance de mari, favoriser leur cousin ou leur neveu, nouer les intrigues pour allier les vassaux prometteurs à leur clan familial.

Entre deux incendies, à 7 ans et à 37 ans, Tchatcha va connaître deux amours puis deux maternités et voir la mort de ses deux fils, le premier à 4 ans, le second à 26 ans. Takatsugu, l’aîné de ses cousins, est son premier amour de 7 ans – jamais déclaré : « C’était un garçon mince au joli visage, à la peau très pâle. Avec sa haute taille et son maintien d’adulte, on lui aurait donné bien davantage que ses douze ans » p.24 ; elle le reverra à intervalles réguliers, à 16 ans beau comme une fleur, à 19 ans juste avant une évasion, lui mariera l’une de ses sœurs, à 46 ans serein et osé. Takatsugu, chrétien, n’adopte pas le culte de la mort des samouraïs japonais ; tout ce qui compte pour lui est de survivre dans ces luttes croisées entre clans. Il fuira les châteaux envahis, fera allégeance successivement à tous les puissants – et se retrouvera riche et considéré vers l’âge de 50 ans, principal soutien du shogun resté vainqueur.

ephebe samourai nikko festival photo argoul

Ujisato avait 23 ans lorsque Tchatcha l’a rencontré ; elle en tombera amoureuse mais sans jamais céder à ses avances, retenue par le sentiment de sa condition qui lui fit renoncer au bonheur pour conserver l’honneur. Ujisato, devenu général par fidélité à son clan, mourra au combat. Tchatcha deviendra la troisième concubine de Hydeyoshi, le vieux guerrier qui unifia le Japon. Mais le dernier enfant de ce Taikô trop vieux ne pourra pas prendre sa succession, malgré les serments de fidélité réitérés des uns et des autres : l’honneur, c’est bien ; les intérêts, c’est mieux. C’est pour être restée rigide que Tchatcha subira avec son fils son destin.

Telle est peut-être la leçon de l’auteur aux Japonais, ses contemporains des années 1960. Il a mis six ans à écrire cette histoire bien connue, ne sachant comment la prendre ni comment la traduire en termes actuels. Dans la lignée de ses autres romans historiques, Yasushi Inoué prend prétexte de l’histoire pour montrer à son propre pays ce qu’il en est de ne pas s’adapter, de conserver à tout prix des valeurs surannées, de déifier l’honneur avec la démesure de l’orgueil.

Un beau roman tragique qui vous fera comprendre de l’intérieur la mentalité japonaise, les deux tempéraments de rigidité et de souplesse que le sabre de samouraï allie à merveille, l’équilibre entre plier et rompre qu’il faut sans cesse préserver. Aujourd’hui et demain – comme hier.

Yasushi Inoué, Le château de Yodo, 1960, Picquier poche 2013, 393 pages, €10.50
Les romans de Yasushi Inoué chroniqués sur ce blog

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Pannes en Polynésie

Vous n’avez qu’à bien vous tenir ou éviter la Polynésie des tsunamis, car le laboratoire de géophysique de Pamatai s’est doté d’un supercalculateur (10 millions de XPF) et pourra prédire les impacts des tsunamis sur nos îles. Atation, atation les tsunamis ! La gestion de l’alerte est assurée par la direction de la Défense et la protection civile. En Polynésie tous les archipels ne seraient pas touchés de la même manière. A Tahiti la côte Est est la plus vulnérable car elle ne possède pas de barrière de corail. L’archipel des Tuamotu (atolls) ne risque presque rien en cas de tsunami, ce sont les Marquises qui sont les plus vulnérables. Les probabilités parlent de deux tsunamis par siècle avec une montée des eaux supérieure à 3 mètres. En 1946, un séisme dans les Iles Aléoutiennes a provoqué une montée des eaux de 15 mètres aux Marquises, déplaçant des blocs de coraux de plusieurs tonnes. Rappel, en cas d’alerte, s’éloigner du rivage et gagner un point en hauteur.

vahine 2014

Touristes, on vous attend, la conférence annuelle du GIE Tahiti Tourisme est ouverte et le nouveau ministre en charge du tourisme (Jean-Christophe Bouissou) a prévu « d’atteindre les 300 000 touristes d’ici 2018 ». C’est demain 2018 ? je vais changer de calculette car la mienne doit être défaillante. Il faudra 3 ans au gouvernement Fritch pour construire le Mahana Beach, peut-être même quatre ans MAIS, « on va certainement terminer l’année avec 180 000 touristes en Polynésie ; cela fait longtemps que l’on n’a pas atteint ces chiffres ». Chapeau bas Mossieu le Ministre.

Sauf qu’Air Tahiti a des douleurs ! C’est que les finances souffrent car la fréquentation des résidents a baissé de 26%. Aïe ! Il était question de supprimer des lignes aériennes, mais devant le tollé, marche arrière toute. On va modifier les fréquentations à destination des îles déficitaires ! Je prends en exemple l’atoll de Kauehi que je vous ai fait visiter, ce sera au lieu de deux vols par semaine, un seul vol en basse saison. Rimatara, que vous avez aussi visité, on supprime le vol du mercredi en très basse saison (6 semaines par an) et l’on passe de trois vols par semaine à deux. OK, vous avez pris acte ? Vous ferez donc des économies, Youpi !

Fermé depuis le 31 décembre 2013, le Belvédère (le restaurant panoramique de Pirae) a été vendu. Les nouveaux propriétaires, tombés amoureux du fenua, comptent investir 90 millions de XPF pour le réhabiliter, il pourrait ainsi accueillir ses premiers clients en juillet 2015.

Le Haut Conseil : quèsaco ? C’est un machin imaginé par Président Flosse. Y a eu des fuites sur le salaire du président du Haut Conseil. Polémiques, règlements de comptes internes au Tahoera’a. Ce Haut Conseil « contribue à la sécurité juridique des actes du président et du gouvernement de la Polynésie française. » Alors, il paraît que le salaire du Président de ce Haut Conseil serait de 2,3 millions de XPF par mois (19 274 €). Un grain de sable dans l’eau de l’océan Pacifique !

OCT 2014

Un pays aussi grand que l’Europe comme aime à le rappeler sans cesse Oscar Temaru (tiens, au fait il a retrouvé son bureau aux Nations Unies), des communes dispersées, des confettis à la surface du Grand Océan, quelques atolls avec un aérodrome, d’autres sans. Un exemple la commune de Makemo (Tuamotu) comprend 11 atolls dispersés dans l’océan dont Katiu, Taenga, Raroia. Les élus pour se déplacer utilisent des speedboats, comme les écoliers pour les rencontres sportives, pour les concours d’Orero, les agents communaux pour suivre des formations. Ces speedboats sont devenus les engins de transport indispensables pour la liaison des communes associées.

Comment se déplacer lorsqu’on habite un confetti au milieu d’un océan grand comme l’Europe (dixit O.Temaru) ? Hein ? Pardon ? Je n’ai pas compris ! Oui, oui, il n’y a que de l’eau autour de ce bout de terre ! Alors les habitants voyagent en kau, poti marara, barge. Depuis quelques temps, la série de pannes récurrentes sur les moteurs inquiètent les usagers. Les particuliers, les perliculteurs sont obligés d’expédier leurs moteurs pour révision à Tahiti mais, dans les atolls éloignés il leur faut utiliser la goélette qui les ravitaille ; pour les mieux desservis, la goélette vient une fois par mois… Renvoyer le moteur défaillant coûte entre 6 000 (50 €) et 19 000 XPF (159 €). Un moteur neuf allège le portefeuille de 600 000 (5 028€) à 1 500 000 XPF (12 570 €). Que le fût d’essence soit de telle compagnie ou de l’autre le problème demeure le même : accumulation des pannes. Ces utilisateurs souhaitent être mieux informés sur la qualité de l’essence livrée et vendue. C’est la goélette qui livre aussi les fûts de carburant, un fût vendu avec la consigne coûte 38 500 XPF (323 €). Allo Tahiti, il y a quelqu’un ? Ah ! Il n’y a pas de réseau !

Hiata de Tahiti

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Citoyenneté à Tahiti

Un grand nombre des administrés de la commune de Faa’a dont le maire n’est autre que Monsieur Oscar Temaru avaient pris l’habitude de ne pas payer les redevances pour l’eau et les ordures ménagères. Ces sommes importantes manquaient cruellement au bon fonctionnement de la commune, le maire a lancé un ultimatum à ses administrés par voie de presse. Il semblerait que Dépêche Cocotier ait formidablement bien fonctionné, car, en deux jours, 300 personnes se sont présentées pour payer factures d’eau et de déchets ménagers et quelques 15 millions de XPF se sont blottis dans les caisses de la mairie de Faa’a. Il se pourrait que, sur les 6 000 foyers installés dans la commune, environ 70% possèdent une boîte postale ; les seuls 30% sans boîte postale posent problèmes, certains sont de mauvaise foi, d’autres ont des soucis financiers. Bref, le coup de semonce du tavana (maire) a bien été capté ! On aurait même vu des administrés venir régler leurs factures de cantine qui traînaient depuis des mois.

fleur 1

Pour le 170e anniversaire de l’arrivée des missionnaires de l’Église de Jésus-Christ des Saints des derniers jours à Tubuai (Australes) en 1844, les fidèles du pieu de Papeari ont offert une journée de service à la commune. Une centaine de participants volontaires a procédé à l’embellissement de la cour de la mairie en compagnie du maire délégué. D’autres ont pris en charge le nettoyage de la route menant à l’école élémentaire Matairea et deux équipes de jeunes adultes ont nettoyé des bords de route de la commune de Papeari. Il faisait beau, tout allait pour le mieux. Un nouveau conseil municipal est installé depuis les élections. Pourvu que ça dure ! Teva I Uta est une commune associée composée de Mataiea et de Papeari. A la tête de Teva I Uta, Tearii Alpha ministre du gouvernement Flosse, le premier adjoint au maire Jean Sangue qui est le père du maire de Papeari. Tout ce beau monde recevait le tavana hau (administrateur) des Iles du Vent et des Iles sous le Vent, il a été question des grands projets tels le centre de détention de Papeari, la construction d’écoles, la rénovation de la mairie, la création d’emplois, la création d’une coopérative agricole pour capter les marchés des écoles et du centre de détention, l’eau avec un très gros problème de réseau alors… « Nous comptons sur les deux piliers que sont l’État et le Pays pour aider notre commune a déclaré le maire de Teva I Uta ». A v’te bon cœur M’sieurs Dames.

Le service France Domaines propose à la vente aux enchères un terrain de 5 162 m² situé… en face de la Présidence, lieu-dit « Annexe Broche » ! Mais, pas touche dit l’État ! C’est un terrain de grande valeur de par sa situation géographique. Le Pei se déclare surpris alors qu’il comptait sur une rétrocession de ce terrain pour une valeur symbolique de 1 XPF. Mais, dit le Pei, Nous avons besoin de ce terrain idéalement situé face à la Présidence. Hum ! Hum ! Un hectare de terrain militaire à Arue a été évalué à plus de 300 millions de XPF, on comprend la déception des tavana (maires) où se situent encore des terrains militaires, et qui eux aussi avaient espéré ne « payer » qu’un franc pacifique symbolique, mais en cette période de disette économique dans le beau pays de France…

ado musique Moorea

Initialement le collège devait être construit près de la source Vaima. Puis le projet avait été abandonné à cause des levées de boucliers des associations de protection de la nature. En 2008, Valentina Cross est élue maire de Teva I Uta et a relancé le projet. L’équipe Temaru avait choisi l’emplacement du futur collège en bas de l’usine Morinda (qui traite le nono au PK 42.8). En 2013 l’équipe Flosse est revenue au pouvoir, le projet a refait surface, les travaux de terrassement lancés. Mais pour laisser la place à un hôtel chinois de 700 chambres autour du golf d’Atimaono, le collège est viré au PK 48. Et en attendant les enfants de Papeari gonflent le collège de Taravao et ceux de Mataiea celui de Papara !

Hiata de Tahiti

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Venise vue par le commissaire Brunetti

Vous connaissez probablement Venise, ses palais mirant leurs façades dans les eaux du Grand Canal, ses musées emplis d’œuvres d’art, ses restaurants de pâtes et poisson. Vous ignorez sans doute comment vivent les Vénitiens. Je me souviens de mon philosophique « étonnement », à 20 ans, lorsque j’avais vu un employé en costume cravate parcourir les rues animées d’une fin août touristique, le porte-documents à la main. Il y avait donc des « habitants » à Venise ? Des gens qui vaquaient à leurs affaires comme dans toute ville moderne, habillés et non pas en short et polo de touriste ?

J’ai lu avec plaisir, dans les années 1990, la plupart des romans policiers qu’écrivit Donna Leon. Cette américaine vit à Venise depuis la fin des années 80. Elle enseigne la littérature dans une base OTAN de l’armée américaine. Son commissaire de police, Guido Brunetti, est particulièrement réussi. Brunetti sort du petit peuple vénitien, il a suivi des études d’histoire puis de droit grâce à la démocratie d’après-guerre avant d’entrer dans la police. Il a eu la chance d’épouser par amour la fille d’un comte, Paola, professeur de littérature anglaise à l’université, qui lui a donné deux enfants : Raffaele alias Raffi, 15 ans dans le premier volume, et Chiara, 12 ans. Très humainement, ces enfants grandissent de volume en volume, passant par les phases de l’adolescence révoltée, des études prenantes et des ami(e)s pour la vie. Paola l’universitaire, comme les enfants lycéens, sont un pôle de stabilité pour Brunetti : ils assoient concrètement son idée de la vérité, de la justice et du bon vivre social. Car, en bon Italien, Brunetti aime sa famille, les bons repas et la justice ; en bon vénitien, il se méfie des apparences, des produits pollués et de l’incompétence administrative. Donna Leon fait bien ressortir ce qu’il y a d’humaniste dans le métier de policier à Venise.

Chaque volume aborde un thème différent, typiquement vénitien, mais documenté à l’américaine. Mort à la Fenice (1992) se situe dans le monde de l’opéra, Mort en terre étrangère (1993) analyse les échanges mafieux entre industriels peu soucieux d’environnement et militaires américains de la base de Vicence, Un Vénitien anonyme (1994) aborde le milieu des travestis et du porno, Le prix de la chair (1995) s’intéresse à la prostitution venue de l’Est, Entre deux eaux (1996) trempe dans le monde de l’art et des faux, Péchés mortels (1997) parmi les institutions religieuses, Noblesse oblige (1998) dans l’aristocratie vénitienne, L’affaire Paola (1999) autour de la pédophilie, Des amis haut placés (2000) dans le monde des usuriers, Mortes-eaux (2001) chez les pêcheurs de la lagune. Il y aura encore Une question d’honneur (2002) sur le trafic d’œuvres d’art, Le meilleur de nos fils (2003) dans une académie militaire, Dissimulation de preuves (2004) et les filières d’immigration clandestines, De sang et d’ébène (2005) sur les vendeurs de rue africains, Requiem pour une cité de verre (2006) à propos de pollution industrielle, Le cantique des innocents (2007) et le trafic d’enfants, La petite fille de ses rêves (2008) à propos des Roms, La femme au masque de chair (2009) sur les ravages de la chirurgie esthétique, Les joyaux du paradis (2010) sur la corruption. Plus deux autres pas encore traduits en français. Des téléfilms ont été tirés des enquêtes, diffusés en Italie, en Allemagne et en France.

Venise, la ville et l’Etat italien en prennent pour leur grade, surtout vus d’Amérique. Mais l’auteur a un faible pour les Vénitiens particuliers, qui sont loin d’être « tous pourris », même si nombre d’entre eux sont ambitieux, hypocrites et cupides. N’est-ce pas le comte Falier, beau-père de Brunetti, qui déclare : « Nous sommes une nation d’égocentriques. C’est notre gloire mais ce sera aussi notre perte, car pas un seul de nous n’est capable de se vouer corps et âme au bien commun. Les meilleurs d’entre nous parviennent à se sentir responsables de leurs familles mais, en tant que nation, nous sommes incapables d’en faire davantage. » (Mort en terre étrangère, p.255)

Il faut dire que, lorsque l’Etat est faible, prolifère la bureaucratie. La France devrait s’en souvenir, la IVème République n’est pas si loin. Et quand je pense que certains à gauche souhaitent la proportionnelle et le retour au parlementarisme d’hier, devenu « italien » quand Rome l’a imité en 1946, je ne peux que leur conseiller de lire Donna Leon ! Le « pouvoir des bureaux », faute d’Exécutif ferme et durable, fait régresser la politique aux relations claniques et incitent les citoyens à ignorer la loi. La clé de la survie, dans ce genre d’Etat faiblard, est de « faire confiance » à des personnes réelles, pas au droit ni aux fonctionnaires : « telle était la réalité, malléable, docile : il suffisait de s’ouvrir un chemin à la force du poignet, de pousser un peu dans la bonne direction, pour rendre les choses conformes à la vision qu’on en avait. Ou alors, si la réalité se révélait intraitable, on sortait l’artillerie lourde des relations et de l’argent, et on ouvrait le feu. Rien de plus simple, rien de plus facile » (Des amis haut placés, p.185). « Combinazione » et « conoscienze » – les arrangements et le réseau -, ces outils du survivre en anomie, ont été inventés en Italie.

Les idéaux de 1968 qu’avaient Paola et Guido durant leur jeunesse ont fait naufrage sous les vagues des scandales politiques, de la corruption mafieuse et des mainmises d’intérêts économiques. Guido à la questure comme Paola à l’université sont confrontés à la prévarication, au favoritisme, à l’égoïsme de leurs contemporains : « toi, tu as affaire au déclin moral, déclare Paola. Moi, à celui de l’esprit » (Des amis haut placés, p.169). Venise badaude, la crédulité y est reine, tout comme le quant à soi. Un peuple sans esprit critique avale tout ce qu’il lit dans les feuilles à scandales, croit tout ce qu’on lui dit ; l’apparence se doit d’être sauve. Quant à la morale romaine des vieux livres de chevet, elle a sombré avec les siècles. Un dicton vénitien dit cependant : « tout s’écroule mais rien ne s’écroule ». Ce qui signifie : on se débrouille toujours et la vie va.

Car il reste Venise, l’architecture magnifique, son ‘ombra’ bu au comptoir, ses ‘vongole’ délicieux dans les spaghettis – et le printemps, qui est un ravissement. Les gens y sont beaux plus qu’ailleurs. Le sens de la relation humaine est porté à un art inégalé. Donna Leon a capté cette sensibilité quasi religieuse du peuple italien : Luciano, 16 ans, a plongé en simple jean coupé pour reconnaître un bateau coulé ; lorsqu’il ressort de l’eau, secouant la tête d’où des gouttes jaillissent, « le soleil émergeait des eaux de l’Adriatique. Ses premiers rayons, s’élevant au-dessus des digues de protection et de la langue de sable de la petite péninsule, tombèrent sur Luciano lorsqu’il s’immobilisa en haut de l’échelle, métamorphosant le fils du pêcheur en une apparition divine surgie des eaux, ruisselante. Il y eût un grand soupir collectif, comme en présence d’un prodige » (Mortes-eaux, p.20). La beauté de l’adolescent nu fait passer un frisson de sacré sur le peuple, comme il y a deux mille ans. Ou encore : Brunetti « se dit qu’il avait la chance de vivre dans un pays où les jolies filles abondaient et où les très belles femmes n’étaient rien d’exceptionnel » (Des amis haut placés, p.207). Le commissaire est constamment ému de voir ses enfants grandir, il aime le havre de paix du dîner où tout le monde est réuni, il apprécie le stimulant d’une conversation sérieuse avec sa femme. Il aime à lire Gibbons, Sénèque ou Xénophon et à rencontrer ses amis d’hier, Vénitiens comme lui, qui lui apportent des informations sur les rouages sociaux et les tempéraments. Il n’y a pas de secrets dans cette île-ville où tout le monde se connaît.

Brunetti cherche à compenser ce que l’existence peut avoir d’injuste pour les uns ou pour les autres par l’application du droit. Il n’est pas un cow-boy comme certains détectives américains, il n’est pas la Justice en personne malgré les tentations qui lui viennent souvent devant l’impéritie officielle ou la bêtise de son supérieur, le servile et vaniteux Patta. Il veut rester digne du devoir moral qu’il s’est donné jeune et qui prolonge la tradition romaine. Il vise à protéger les faibles et les enfants, à empêcher vautours et prédateurs de nuire en toute impunité. Vaste travail, chaque jour recommencé, mais qui est déjà beaucoup. En lisant ces romans policiers, de psychologie plus que d’action, vous pourrez pénétrer, touristes, dans l’intimité vénitienne, dans l’état d’esprit du peuple vénitien, bien mieux que par les visites guidées de palais morts.

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Les romans de Donna Leon chroniqués sur ce blog

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La France va-t-elle rater la postmodernité ?

Article repris sur Medium4You.

Au train où vont les choses, difficile de suivre. J’ai donc pris l’Express du 15 août pour me mettre sur les rails d’un sociologue décalé, Michel Maffesoli. Il analyse la postmodernité autrement que les autres, il remet la France en place dans un monde devenu global. Oh, certes, il n’encense pas Mélenchon comme « tout le monde » (comme l’avant-garde progressiste qui se croit le tout du monde), il est honni de la gauche à la mode, celle qui blablate dans les quartiers bourgeois en s’habillant peuple, se croyant révolutionnaire parce qu’habitant rue Daguerre plutôt que boulevard Saint-Germain. Mais il faut entendre Maffesoli parce qu’il touche juste – même si la traduction politique de ses dires reste l’affaire de chaque conviction.

Il expose que la modernité cartésienne des Lumières, inventée par la France au XVIIème siècle, arrive en fin de course. La chute des utopies globales, marquée par l’effondrement de l’URSS et par la conversion de la Chine populaire aux affaires, s’accompagne du krach de la raison pure, incarnée par la finance mathématisée qui a explosé en 2007. Nous entrons donc dans une ère de postmodernité qui s’invente sous nos yeux, aidée par les techniques de l’information et de la communication et par l’ouverture totale du monde – l’ex-tiers monde devenant pays émergents (à grande vitesse).

La France a vécu sur ses lauriers de raison, de progrès, de travail, croyant que la révolution périodique permet d’avancer socialement en droite ligne d’un horizon défini par les intellectuels. Où sont les intellectuels aujourd’hui ? Probablement plus aux États-Unis, en Inde et en Chine – ou même en Europe de l’est – qu’en France… Les valeurs hexagonales de certitudes, de positivisme et de commandement ne sont plus d’actualité. Elles ne sont plus des stimulants mais des pesanteurs. Les ères gaulliste et mitterrandienne sont bien du siècle dernier.

La nouveauté du monde veut le léger, peu embarrassé de principes, de morale ou de lois intangibles. La loi demeure, mais contingente et réformable ; la morale est remplacée par l’éthique, mieux adaptée aux situations toujours particulières ; les principes disparaissent au profit des expériences. Souplesse, intelligence, sensations supplantent rigidité, raison pure et bienséance. L’ère de la pensée unique a vécu. Dionysos est préféré à Apollon, bien que les deux doivent marcher main dans la main pour l’équilibre humain. Le balancier va vers l’ivresse immédiate, matérialiste et sensuelle, au détriment de l’ordre immuable et glacé des abstractions. Il s’agit de s’ajuster au coup par coup plutôt que d’avoir un plan. De s’appuyer sur ses proches, sa bande, son réseau, plus que sur des appareils, partis et associations, ou sur des gourous référents.

Ce pourquoi Michel Maffesoli voit en Nicolas Sarkozy un animal politique mieux adapté au monde postmoderne que François Hollande. Le « sale gosse » arriviste et agité est en phase avec l’ambiance de débrouille permanente qui est exigée d’un monde qui bouge. Combinazione et trafics permettent de s’adapter bien mieux que grands principes et morale intangible. Le mouvement permanent est tragique, l’aspiration à l’immobilité dramatique. Drame hollandais, tragique sarkozien : même si cette opposition du sociologue est un peu caricaturale à mon goût, elle a le mérite de placer les enjeux. La France lasse, qui a voté Hollande d’assez peu, surtout parce qu’elle avait le tournis, se veut « un pays de fonctionnaires avec, à la clé, la production de normes (…) Seulement notre pays risque de passer à côté de l’évolution du monde actuel, qui exige de l’audace, des prises de risques. » De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace ! N’était-ce pas le révolutionnaire Danton qui l’exigeait ?

Observez combien l’ambiance sociale est émotionnelle : musicale, sportive, culturelle, religieuse… Ce ne sont qu’humeurs, buzz, rumeurs. Naissent des solidarités nouvelles comme la colocation ou le couch surfing. Est affirmée la relation permanente en fonction des tribus : amicales, professionnelles, contingentes. L’iPhone, Facebook, Twitter, les réseaux pros tels Viadeo ou Linkedin, entretiennent horizontalement et dans l’immédiat permanent ce qui était hier vertical et fixe (« on se téléphone et on se fait une bouffe », le club de son école, les réunions formelles de l’association favorite, les banquets annuels d’anciens de ci ou ça). L’individu était Un, sous les Lumières ; dans le crépuscule postmoderne, il est plusieurs – selon les circonstances. Il aspirait hier à l’autonomie, base de sa liberté ; il a désormais peur d’être libre car ne se sent pas armé pour être seul. Il veut être avec, coller aux autres, bien au chaud. C’est dommage, mais c’est un fait social.

Pour moi, la philosophie est une méthode de connaissance parce qu’elle est le guide d’un voyage qui éloigne des régions obscures, l’enfer des passions et des illusions, et rapproche des régions lumineuses, science et réalité. La lumière était trop crue et a grillé des ailes ; la tentation de l’obscur revient avec la mode des vampires, des sorciers, des complots, de l’irrationnel et des « contre » médecines, « anti » économie et autres côtés obscurs de la Force. L’ère des tribus recommence… comme dans les années 1930. Ce qui veut dire moins d’État et plus de nations, moins de classes sociales et plus de communautés, moins de syndicalisme et plus de débrouille, moins de famille et plus de bandes, moins de vérité historique et plus de mythes qui confortent, moins de vérités scientifiques et plus de croyances…

Nous n’avons pas fini avec le changement du monde – autant commencer à le penser.

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Martin Kurt, Améliorez votre pouvoir d’achat et faites vous plaisir

Martin Kurt a 24 ans mais déjà une longue expérience des bons plans et petits trucs. Il est curieux, amical, débrouillard. Il sait se prendre en main et ce livre, écrit d’un ton familier comme s’il s’adressait à un voisin, vous apprendra à financer vos passions et préparer votre avenir. Pour cela, il faut certes tenter de comprendre l’économie et la finance pour en tirer profit et gérer correctement son patrimoine. Mais il faut surtout gagner plus et dépenser moins.

L’intérêt du livre est de tenir égaux ces deux plateaux de la balance, comme une entreprise. Vous devez gérer vos avoirs comme un entrepreneur avec les deux feuilles du bilan : l’actif et le passif. L’actif est ce que vous gagnez ou de dépensez pas, le passif ce que vous accumulez et gérez au mieux. Cela nécessite un certain temps et un peu d’efforts, mais pas tant que cela. C’est surtout d’écoute et de bon sens qu’il s’agit !

Martin présente nombre d’études de cas et d’exemples tirés de sa propre expérience dans des domaines divers, notamment les plus importants pour un budget : le transport et l’immobilier. J’ai bien connu Martin, l’ayant suivi depuis son école de commerce avec une spécialité en finance et en e-commerce, suivie d’un Master in business and Administration (MBA) dans une université américaine. J’ai vu se développer ses blogs et observer l’effet de ses conseils avisés.

Cette expérience variée lui a offert une palette d’enseignements dont le principal est d’allier la théorie à la pratique. Les connaissances acquises doivent servir à quelque chose ! La variété des établissements a permis à Martin de rencontrer nombre d’entrepreneurs et d’artistes, de gens qui ont réussi leur vie. Un point commun : leur volonté de réussir et leur habileté à mettre en œuvre les moyens nécessaires pour atteindre leurs objectifs.

« J’ai donné des cours particuliers, réalisé des missions en marketing, et passionné par la création sur Internet, j’ai réussi à développer des sites et à gagner de l’argent avec. »

Faut-il vraiment travailler plus pour gagner plus ? Le bon sens populaire le voudrait, mais ce n’est pas si simple… Il faut surtout travailler mieux : utiliser ses compétences, négocier son salaire, profiter des avantages. Mieux utiliser le même salaire quant aux dépenses et l’investir avec soin, par exemple en négociant son crédit immobilier, en achetant à rénover pour réaliser soi-même les travaux, ou en achetant des actions quand personne n’en veut.

Sans pour cela vous priver ! La hausse des besoins est tirée par les nouveaux produits technologiques et la publicité, mais arrêter de fumer et boire moins d’alcool ne sont pas des dépenses « contraintes » ! Les revenus « passifs » sont énormes quand on y réfléchit… Quant aux revenus actifs, vous pouvez développer des gains annexes : covoiturage, publicité sur votre site Internet, petit boulot à côté de votre métier principal.

Mais ce n’est pas fini : avez-vous pensé aux biens et services gratuits ? Ils existent. « Pour diminuer son niveau de dépense, il faut penser à l’entraide. » Qui l’eût cru en finance ? Mais l’information est partout (sauf à la télé) : votre voisin de palier, votre collègue, un forum spécialisé sur Internet, les revues et les livres, vos amis. Qui se serait douté qu’améliorer son pouvoir d’achat passait par le développement de son réseau ?

« Au lieu de jalouser vos amis qui réussissent ou de vous plaindre – à vous, dès maintenant, de développer votre réseau, de lire davantage, d’être plus curieux. C’est un processus à long terme et difficile car cela implique d’être motivé ! »

Pensez aussi à la négociation, elle a lieu partout : décider dans quel restaurant manger avec vos amis (le prix n’est pas le même selon le style…), savoir où partir en vacances (pays riches ou pays pauvres…) La négociation va vous enrichir personnellement car elle vous forcera à faire attention aux autres.

« Que vous négociez pour de l’argent ou d’autres choses, comprenez les enjeux sous-jacents (les motivations profondes de votre interlocuteur), ce qui vous permettra de mieux négocier (…) N’attaquez jamais son ego, seulement le problème ».

En fait, gagner plus est un style de vie. Il ne s’agit pas de se transformer en « affreux » capitaliste (forcément affreux d’après l’opinion commune : avide et grippe sou), mais d’être ouvert pour découvrir des opportunités. Martin décline ainsi les dix commandements du gagnant :

1) Dites bonjour et souriez à vos amis, voisins, collègues de travail. Soyez positif.

2) N’ayez pas peur de discuter avec des inconnus.

3) Quand vos amis ont besoin de vous, aidez-les.

4) Quand vous ne savez pas, demandez. Les gens sont flattés qu’on s’intéresse à eux et vous développez votre expertise.

5) Soyez curieux. Regardez moins la télé, sortez et faites du tourisme, visitez des musées, allez au théâtre, lisez, écoutez vos amis. « Être curieux est sans doute un des meilleurs conseils pour vous aider à réussir votre vie. »

6) Développez vos compétences. Comprenez le monde dans lequel on vit pour pouvoir saisir les opportunités au lieu de subir votre destin.

7) Soyez optimiste dans vos projets de vie. Vous n’avez rien à perdre en négociant. Ne dites plus : « c’est trop cher » mais « comment je peux l’obtenir ».

8) Fixez-vous des objectifs. Si vous négociez au pire vous essuyez un refus, au mieux vous gagnez de l’argent pour vous faire plaisir. Bref, vous n’avez rien à perdre.

9) Acceptez la critique. Mieux : demandez à être critiqué de façon constructive.

10) Soyez entrepreneur de votre vie. Ayez des projets et le courage d’assumer vos décisions, ayez la persévérance d’aller jusqu’au bout.

N’est-ce pas cela le gagner durable ? Le développement personnel durable? L’efficacité même du capitalisme comme technique ? Pour être plus heureux avec un pouvoir d’achat limité par l’inflation et les perspectives d’avenir moroses de notre continent vieillissant, il faut être entrepreneur de son patrimoine, maître de soi comme le voulait Montaigne et volontaire comme le pressentait Nietzsche.

Un bon conseil pour une vie bonne : lisez ce livre !

Achetez le livre en direct sur Internet et contactez Martin Kurt, l’auteur, si vous avez la moindre question, il vous répondra dans les plus brefs délais. 

Son blog finance : www.candix.fr

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Les médias font-ils une élection ?

Réponse : non, mais ils y contribuent.

Jeudi 5 avril en soirée avait lieu à l’amphithéâtre François Furet de l’EHESS, boulevard Raspail à Paris, un ‘Rendez-vous de crise’. Le monde médiatique est-il en connivence avec le monde politique ? Trois chercheurs ont ouvert le dialogue avec un journaliste. Brigitte Le Grignou professeur de science politique à l’université Paris Dauphine, Bernard Manin et Cyril Lemieux tous deux directeurs d’études à l’EHESS ont donné la théorie. Thomas Legrand, éditorialiste politique à France-Inter, jouait « le machiniste » (dixit), l’homme de pratique, rendant le discours concret et plus vivant. Le « débat » était modéré par Michel Abescat, journaliste à Télérama.

Débat y avait-il ? c’est un bien grand mot, si l’on utilise le vocabulaire précis de la science politique. Les gens de l’estrade se parlaient entre eux et l’assistance a été frustrée de ne pouvoir poser que trois questions, un quart d’heure en tout sur les deux heures. Nous avions, étagés dans l’amphithéâtre, un public d’intellos piliers du quartier et amateurs de SS, plus quelques étudiants en science politique et en école de journalisme. Ces derniers étaient reconnaissables à leur vêture mode, décalée, déstructurée et décolletée, qui apportait un air de printemps à ces doctes débats. Mais printemps n’est pas démocratie, la bonne parole était délivrée d’en haut, le savoir imposé à des « apprenants ». Selon une formule de Bernard Manin, la meilleure forme de contrepouvoir politique consiste pourtant dans le débat.

Les médias participent du débat démocratique, comme hier l’agora d’Athènes, mais le monde a changé, les techniques ont évolué. Bien que durant ces deux heures de colloque aucun plan clair ne soit apparu, la gentille animation des débateurs a révélé deux points importants : l’importance des communicants et la révolution numérique.

L’importance des communicants

Depuis trois décennies, nulle politique sans spécialistes de la com qui disent ce qu’il faut dire, comment le dire et à quel bon moment. Les meetings sont ainsi organisés et orchestrés selon un plan de com, allant jusqu’à produire les images du direct pour les télés. Il est vrai, remarquait Thomas Legrand, que si les centaines de caméras envoyaient toutes au même moment leur signal au même satellite, il n’est pas certain qu’il n’y aurait pas saturation… Le rôle des médias devrait alors de « réaliser » le reportage en choisissant leurs images dans le flot, en privilégiant une caméra sur une autre selon le fil du discours et en découpant les séquences eux-mêmes. Faute de temps, avides de scoop immédiat, et par facilité, les médias du direct le font de moins en moins. Rassurons-nous (?) : c’est le même professionnel vidéo qui officie pour les meetings Sarkozy ou Hollande.

Mais la communication isole le politicien des électeurs. Le filtre du spécialiste inhibe le discours et réduit le projet à un catalogue d’économiste. Il y a donc, note Bernard Manin, divorce entre les promesses et la réalité. Sauf qu’il y a malentendu : les promesses, pour un politicien, sont réalisées par des lois ; pour l’électeur, c’est le résultat qui compte. Drame de la com : pour mobiliser, il faut avoir une idée choc par semaine ; pour réaliser, il faut cependant passer par la fabrication du droit. Cela prend bien plus de temps que de le dire, passe par plusieurs filtres de débats au Conseil d’État, à l’Assemblée, au Sénat, parfois au Conseil constitutionnel. Le temps qu’une décision soit traduite en loi, il se passe des mois, parfois des années. Le communicant est-il donc compatible avec le politicien ?

Il faut probablement voir dans le chiffrage des programmes, dit Thomas Legrand, un effet de ce grand écart qui a marqué le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Lui candidat de 2007, comme Ségolène Royal, avaient su mobiliser l’électorat populaire, obtenant un niveau d’abstention au minimum depuis 1974, rappelle Cyril Lemieux. Mais on voit le résultat : promesses non tenues en termes de résultat réel, électorat populaire déçu, largement tenté par l’abstention, tout en déclarant voter extrémiste (Le Pen ou Mélenchon) dans les sondages.

La révolution numérique

Les sondages, justement. La technologie avec le mobile, l’iPhone et l’Internet a permis de les multiplier en baissant leur coût. Bernard Manin s’étonne de les voir aussi importants en France, ce qui n’est absolument pas le cas dans les autres pays. Sont-ils instantanés d’opinion ou prophéties ? La montée de Mélenchon participe probablement plus du second aspect que du premier selon Cyril Lemieux. Ladite « opinion » en effet se résume à un millier de personnes seulement, à qui l’on pose des questions pas toujours neutres, et pour lesquelles certains « ne savent pas ». Les médias mettent en scène trop souvent des informations qui n’en sont pas, du style « les Français déclarent… » alors qu’une lecture fine du sondage montre que seulement 52% des gens interrogés qui se sont exprimés, soit quelques centaines de personnes, « penchent plutôt vers… »

Second effet de la révolution numérique : les archives. Il y a 15 ans, dit Thomas Legrand, lorsqu’un homme politique faisait une déclaration choc, il fallait que le journaliste décide de garder le ‘bobino’ de l’enregistrement. C’étaient ses archives personnelles dans des armoires, l’index dans sa tête. S’il changeait de rubrique, cette mémoire était perdue, ou bien l’archiviste mettait des heures à retrouver le son. Terminé aujourd’hui. Mémoire et indexation sont facilités par le numérique, d’où le surgissement des comparaisons. Le politicien se trouve confronté à ce qu’il a déclaré auparavant, souvent en contradiction. Même le net s’y met, c’est le grand jeu du YouTube relayé sur Facebook. Ce qui décrédibilise le discours politique et fait des médias, parce c’est facile et fait scoop, de purs critiques qui ne cherchent pas à approfondir. Les grands enjeux du pays ne sont donc pas débattus entre candidats ; ils préfèrent leur débat interne, ou la césure droite ou gauche est moins pertinente aujourd’hui que la césure souverainisme ou ouverture.

Y a-t-il donc révolution dans l’approche des médias par le public ? Pas vraiment, note Brigitte Le Grignou. Seule la télévision reste un média de masse, qui touche les campagnes et surtout les catégories populaires, grosses consommatrices (40 mn de plus par jour que les CSP+). La presse quotidienne continue de n’être lue que par les surinformés (seulement 4% des électeurs) ; elle reste « élitiste » – même ‘Le Parisien’, déclare Cyril Lemieux, en nuançant. Quant à Internet, il reste marginal en France. Il a une influence réelle, mais limitée au cercle restreint du réseau (Twitter, Facebook, blogs). La radio n’a guère été évoquée.

Alors, quelle influence des médias ?

A la marge. La plupart des gens sont déjà ‘convaincus’ du fait de leur appartenance aux groupes primaires : famille, clan, cercle d’amis, réseaux du net (pour les jeunes). C’est donc « la conversation » qui est le lieu privilégié de la cristallisation de l’opinion, comme le dit Cyril Lemieux en citant Gabriel Tarde. Conversation qui peut se prolonger sur Internet dans les commentaires, chats et échanges fessebookiens. Les gens votent comme leur groupe, sauf aux moments d’émotion où un événement ou un personnage les emporte au-delà de leur sensibilité de base. Ce fut le cas en 2002 avec le thème de l’insécurité et le passage en boucle par les télévisions du vieux monsieur agressé. Mais cette influence émotionnelle est très courte, quelques jours à quelques semaines. Cela ne change pas l’opinion de fond.

Le rôle ultime des médias, outre d’informer et de faire se confronter les opinions divergentes, reste donc surtout de mobiliser. Faire venir l’électeur aux urnes par dramatisation des enjeux est probablement l’influence la plus forte qu’ils ont. Rien de plus, mais ce n’est déjà pas mal.

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Première randonnée en Arménie torride

Nous voici déjà au lendemain et, au rendez-vous de 12h30, nous prenons le bus orange et noir Mitsubishi diesel qui nous est affecté pour la durée du séjour.

Nous avons 35 km à faire hors d’Erevan. Les gens d’ici prononcent iérévan et seule l’écriture à l’anglaise respecte cette euphonie : Yerevan. Le bus sort de la banlieue, la ville compte un million et demi d’habitants ! Il dépasse les usines chimiques désaffectées depuis la chute de l’URSS, s’enfonce dans la campagne sèche parsemée de collines. La verdure, nous dit notre guide arménienne, est florissante en mai, beaucoup d’herbe et de fleurs, mais le soleil impitoyable dès juin dessèche tout à cette altitude (près de 1500 m). Nous enfilons de petites routes à peine goudronnées, remplies de nids de poule. Difficile de garder une voirie correcte en raison de l’écart des températures entre hiver et été.

Les tubes qui courent le long des routes et des murs des maisons, sont des conduites de gaz. Ils forment une arcade d’honneur au-dessus des portails. Le gaz venait autrefois d’URSS et était distribué en conduites enterrées. Après l’indépendance arménienne, la fermeture a duré une dizaine d’années et le réseau souterrain est devenu trop cher à réhabiliter. Le gouvernement a choisi le réseau à l’air libre, moins cher à réparer et facile à construire. Le gaz vient désormais aussi d’Iran, avec lequel l’Arménie a une frontière commune au sud, pour éviter de dépendre de la Russie pour tout. Quelques années d’hiver très rude ont fait comprendre la géopolitique aux Arméniens jusqu’ici hébétés dans le confort du grand frère russe. La sécurité ? Les fuites sont moins graves à l’air libre, elles ne forment pas de poche de gaz explosives. En cas de feu par accident, le gaz brûle, il ne saute pas. Et il est plus facile de voir où couper l’arrivée de gaz quand le réseau est extérieur. En bref ce n’est pas beau mais moins cher et utile à tous.

Le village s’étire sur la pente, bordé de longs murs qui abritent des vergers et des jardins. La température dépasse déjà les 35°. Notre guide arménienne hésite sur la direction à prendre. A pied, nous ne suivons pas le bon chemin. C’est un titi curieux de cette bande d’étrangers, apparu à la fenêtre d’étage d’une maison, qui nous interpelle en nous voyant passer. Il va nous guider vers la bonne ferme.

Sous une tonnelle rafraîchie par un jet d’eau, face à la gorge de Garni, la table nous attend pour notre premier déjeuner arménien. Les entrées sont accumulées entre les assiettes pour que chacun choisisse selon son goût et l’ordre qu’il veut. C’est la coutume ici.

Nous avons la salade de tomates crues au concombre, des aubergines, des poivrons et quelques piments grillés et pelés, des olives noires, du fromage de brebis ressemblant à la feta.

Suivra le plat chaud, du poisson du lac, une truite saumonée coupée en gros tronçons et grillée elle aussi. Nous sommes servis par la mère et sa fille de dix ans aux yeux très clairs, joli visage, sourcils  broussailleux qui se rejoignent au-dessus du nez.

Pour éviter la turista, nous avons de l’eau minérale en bouteille, avec ou sans bulles, du thé glacé préalablement bouilli et même du vin de l’année, produit sur la propriété. Le maître de maison est tout fier de faire goûter aux Français son œuvre vinicole, présentée dans une bouteille de Coca Cola de deux litres. Le vin est fruité, légèrement frisant, agréable à boire. En dessert un biscuit aux noix, qui poussent leurs coques au-dessus de nos têtes, appelé traditionnellement paklava. Il est surmonté de tranches noires et souples qui sont des noix vertes mises à conserver dans l’eau sucrée.

Le paysage, vu de la terrasse, montre notre randonnée : le canyon de Garni et ses orgues basaltiques spectaculaires au fond, le temple païen de Garni sur la rive en face. Nous sommes dans une maison paysanne mais riche. Toute une collection de vieux instruments aratoires nettoyés et vernis hantent les couloirs et l’accès à la terrasse.

Nous quittons ce site champêtre pour descendre à pied dans la gorge. Un véritable rideau d’orgues basaltiques ondule sur la falaise au-dessus de nos têtes, presque brillant au soleil. L’endroit est spectaculaire mais nous marchons sous un cagnard auquel nous ne sommes pas habitués. Il fait maintenant plus de 40° au soleil ! Nous longeons avec bonheur la rivière dont les eaux vigoureuses, parfois dégringolant en cascade, nous rafraîchit, au moins à les voir.

Une montée brutale en plein soleil doit nous faire regagner les 600 m de dénivelé que nous venons de perdre dans la gorge, afin d’atteindre le temple sur l’autre plateau. Des gamins du pays et leur famille montent allègrement en short et débardeur, pieds nus en tongs, sans se soucier de la chaleur. Ils sont habitués. La femme porte même un bébé dans les bras. Nous avons l’air engoncés avec nos chemises, pantalons longs et grosses chaussures de marche. Sauf moi, tous portent même un sac à dos comme s’ils partaient pour la journée alors que nous n’en avons que pour une heure ! Nuit courte, décalage horaire, constipation due à l’avion, chaleur inattendue, repas pris récemment – rien de tel pour nous déstabiliser physiquement ! Autant marcher léger.

Nous avons le temps d’une large pause sous un noyer à l’ombre épaisse, près d’une source dont le glouglou est à lui seul un rafraîchissement.

Retrouvez toutes les notes du voyage en Arménie sur ce blog

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Internet et le citoyen

Article repris par Medium4You.

Les controverses techniques d’aujourd’hui ne sont plus entre Bien et Mal, moral et immoral, mais entre plus ou moins bon et plus ou moins mauvais. Il n’y a pas de noir et blanc mais des nuances qui sont fonction de positions différentes, parfois toutes aussi légitimes… dans leur domaine. Les certitudes des technocrates matheux sélectionnés par l’Éducation nationale ont fait faillite un peu partout : dans la finance, à Fukushima, sur la vache folle et le Mediator. Il n’y a plus « une seule solution » aux problèmes, mais parfois plusieurs ; plus « une seule réponse » mais un faisceau à débroussailler.

Se faire une opinion, lorsque l’on n’est pas spécialiste du sujet, conduit donc à faire confiance. Mais pas aveuglément. Un spécialiste a un intérêt propre à ce qu’il avance : ce peut être un intérêt scientifique pour défendre une théorie contre une autre, technique pour défendre un labo ou un matériel parmi d’autres, industriel pour vendre son savoir-faire, non-gouvernemental au nom d’un principe parmi d’autres. Ce serait le rôle du politique de décider, une fois pris l’avis des divers spécialistes. Hélas ! Il ne reste que très peu de politiques, ces gens qui ont la hauteur de vue, la profondeur culturelle et la légitimité de poursuivre l’intérêt général… Nous n’avons le plus souvent que des politiciens partisans, pas des politiques au service du pays. Ils sont mus par l’idéologie ou le souci terre à terre de garder leur pouvoir, pas par l’idée du bien commun. L’exemple récent est celui de Raffarin, exigeant que la TVA de son bac à sable local ne soit pas augmentée, alors que le pays tout entier a besoin de ressources…

Si l’on ne peut plus faire confiance à des politicards aussi myopes, si l’on soupçonne les spécialistes d’agir en technocrates imbus de leur étroite spécialité seulement, si l’on croit la presse soit aux ordres, soit vendue, soit parisiano-centrée sur le théâtre des petites phrases plutôt qu’enquêtrice de sujets de société, que reste-t-il au citoyen pour se faire une opinion raisonnable ? – Internet.

Mais il y a tout et n’importe quoi sur Internet ! D’où l’intérêt de choisir quoi lire. Autrement dit savoir nager une fois qu’on a surfé. Les producteurs de faits et les producteurs de rumeur sont-ils sur le même plan ? Qu’à cela ne tienne, il suffit de mesurer la galaxie des partis pris pour savoir qui dit les faits et qui manipule. Le rejet de la vaccination est-il fondé sur des faits précis et bien documenté ou sur de vagues rumeurs sur fond de hantises complotistes ? Le climat se réchauffe-t-il ou pas ? Les scientifiques qui s’affrontent sur le sujet sont-ils d’accord sur le fond ou ne discutent-ils âprement que des détails ? Bien sûr il y a de l’irrationnel dans les opinions exposées ! Mais plutôt que de se lamenter, inventons les outils permettant de cartographier cette diversité de points de vue.

C’est ce que fait Bruno Latour, sociologue des sciences venu de la philosophie et directeur scientifique de Science Po à Paris. Dans le numéro d’octobre 2011 de la revue La Recherche (n°456, €6.20 en kiosque), il déclare : «  nous construisons des outils pour évaluer les controverses ».

Comment ? Par l’étude des conflits d’intérêts des spécialistes, par la bibliométrie pour savoir qui a publié quoi et qui a cité qui en tant que spécialiste, par la scientométrie qui permet de mesurer l’aura de ses compétences, par les financements ou les groupes d’études – en bref le réseau de porteurs d’opinion. On peut tout simplement utiliser un moteur de recherche pour observer où et quand parle ledit spécialiste : « Lorsqu’un même chercheur intervient sur la nocivité des cigarettes ou de l’amiante, sur le réchauffement et sur les pluies acides, on ne peut qu’être dubitatif sur son expertise »… A croire (et on le croit volontiers !) que les journalistes ne font pas leur boulot, qui consiste à vérifier les sources et à croiser les sources en sachant d’où elles viennent.

Sur le climat, par exemple, aucune certitude ne peut être ferme et définitive, nous sommes dans les épures de modélisation où beaucoup dépend de ce qu’on entre comme faits de départ et comme hypothèses d’évolution. Nous ne sommes plus dans le vrai ou faux mais dans le si et mais. Pour Bruno Latour, il faut basculer de la confiance en « la » science positiviste, qui ne donne pas de réponse certaine, à la confiance en l’institution scientifique. Un savant peut se tromper ou prendre des hypothèses qui ne se vérifient pas, mais la communauté dispose d’instruments et de savoir-faire qui permettent d’avancer sur la question. Ce n’est pas un homme qui a raison, mais un faisceau de preuves apportées et vérifiées qui tendent au raisonnable.

Il faut donc quitter le monde confortable de la vérité absolue, du noir ou blanc, du Bien ou Mal, venu de la culture biblique durant plus d’un millénaire. « Il s’agit, pour des sujets scientifiques et techniques qui ont des conséquences sur ma vie, et ils sont nombreux, de pouvoir détecter au plus vite qui est partisan et qui ne l’est pas », dit Bruno Latour. Donc de suivre qui paraît le plus fiable en portant une opinion. Retour à la féodalité ? Peut-être pas : retour à l’humaine condition plutôt. Nous ne sommes pas des dieux pour décider du vrai et du faux ; nous sommes en revanche tout à fait outillés à mesurer la confiance. Elle se fait sur des critères de raison, des faisceaux de passions et des pulsions instinctives. Qui défend une position a-t-il publié dans ce domaine ou est-il autoproclamé ? Qui le soutient ? Et qu’ont-ils eux-mêmes fait ou publié ? « Une fois les partisans détectés, on peut aller vers les sites d’informations, qui existent déjà en abondance ».

Intéressante façon d’aborder ces nouveaux outils instantanés et universels, plutôt que de les vouer aux gémonies en regrettant le bon vieux temps des thèses interminables, des bibliothèques difficiles d’accès et des spécialistes unanimement reconnus. La démocratie, pour le citoyen, ne vient pas que de l’extérieur : il doit aussi exercer sa raison.

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La visée hégémonique de la Chine

La mention que la Chine pourrait participer au Fonds européen de stabilité financière incite à se pencher sur cette nouvelle puissance mondiale. Première puissance démographique, deuxième puissance économique, puissance militaire régionale en expansion, la République populaire de Chine dispose des premières réserves en devises du monde. Pour quoi faire ?

Pour l’expliquer, Antoine Brunet, que j’ai connu lorsqu’il était économiste au CCF, premier au classement Greenwich des économistes de marché parisiens de 2003 à 2006 et créateur de la société d’analyse AB Marchés, s’est joint à Jean-Paul Guichard professeur de relations internationales à l’Université de Nice Sophia-Antipolis et titulaire d’une chaire Jean Monnet de l’Union européenne. Dans un livre lumineux mais engagé, publié en début de cette année, ils accusent la Chine d’avoir une volonté impérialiste et de profiter de l’outil d’efficacité incomparable du capitalisme pour ancrer un nationalisme résolu.

Leur arme ? Le taux de change. Associé aux coûts bas de main d’œuvre, au vivier de travailleurs des campagnes sans droits en ville, à la production à prix imbattables, le taux de change administré favorise la désindustrialisation occidentale, le chômage, la dette et les troubles sociaux. La Chine a été admise à l’OMC sous Clinton, bête noire des Républicains américains. Mais l’OMC ne traite que des protectionnismes douaniers et personne ne contrôle plus les changes depuis la disparition de l’ancrage à l’or par… les États-Unis en 1973. Est-ce la faute des Chinois ? Le FMI jouait jadis ce rôle mais il ne peut guère y revenir, malgré les demandes chinoises pour réévaluer les DTS (droits de tirage spéciaux).

Tirant les leçons de la confrontation avec l’URSS puis avec le Japon, la Chine a appris que la puissance économique tenait la puissance militaire et que le contrôle des changes tenait la croissance économique. Le taux du yuan chinois est piloté politiquement pour coller au dollar américain. Il est non convertible et tout investissement étranger est contrôlé par la Banque de Chine, accueillant les firmes étrangères pour les fixer par un intérêt mutuel. Cette politique a permis des surplus énormes et a été la cause de l’endettement public, selon les auteurs, encouragé pour soutenir la croissance en déclin dans les pays occidentaux du fait de la pression des prix chinois.

C’est oublier cependant :

  • que le maintien de taux d’intérêt très bas par la Fed a engendré une série de bulles financières bien plus que la dépense publique (tellement honnie des Républicains) ;
  • que les inégalités croissantes de salaires entre dirigeants, traders et spécialistes aux bonus indécents – et le tout venant des salariés – a incité ces derniers à recourir au crédit revolving pour maintenir leur pouvoir d’achat ;
  • que les lobbies de Wall Street ont empêché toute règlementation et tout contrôle efficace des tutelles publiques sur les produits financiers à levier (dont les fameux subprimes) ;
  • que le maintien obstiné des paradis fiscaux (dont celui de l’État de Delaware à l’intérieur des États-Unis même) permet toujours d’échapper au fisc, aux enregistrements de risque et à la transparence sur les fonds propres exigés des banques…

Ces éléments ne sont pas pris en compte dans l’accusation directe contre la Chine. Les auteurs penchent nettement pour la vision un tantinet paranoïaque des néoconservateurs américains dont le journaliste du Washington Times Bill Gertz est depuis  plus d’une décennie l’éminent porte-parole. Il est notamment l’auteur en 2000 de la célèbre enquête d’investigation ‘The China Threat: How the People’s Republic Targets America’ recommandée par les sénateurs républicains que j’ai pu rencontrer à Washington fin 2002.

Nationaliste, la Chine ? Certes ! Par revanche sur un passé colonial d’humiliations et par désir de prendre enfin toute sa puissance naturelle dans un monde qui émerge au développement. Mais de là à évoquer le « capitalisme totalitaire » dont l’Italie mussolinienne, l’Allemagne nazie et le Japon impérial étaient les exemples, il y a un pas que je ne franchirai pas. La République populaire de Chine ne pratique-t-elle pas plutôt ce « capitalisme monopoliste d’État » qui était la revendication de la gauche communiste dans les années 1980 en France, et qui reste le régime indépassé de tous les souverainistes de gauche radicale comme de droite non gouvernementale aujourd’hui ?

Selon Sun Tzu, traduit par Valérie Niquet qui fut l’une de mes condisciples de science politique à l’université, les grands stratèges sont ceux qui obtiennent la victoire sans faire la guerre. Mais quelle victoire ? L’hégémonie totale sur la planète comme ce ‘règne de mille ans’ que prophétisait Hitler ? En témoigneraient la course à l’espace des Chinois, leur volonté de construire un porte-avions dès 2014, l’activisme de leurs hackers et espions industriels, la menace de leur marine sur les îles contestées avec le Japon et le Vietnam. Mais n’est-ce pas la simple volonté de prendre toute sa place dans le monde qui vient en rabaissant les États-Unis à leur niveau, qui reste important mais qui ne saurait rester seule puissance mondiale ? Peut-être est-ce ainsi qu’il faut considérer la volonté chinoise de faire perdre au dollar son statut de monnaie de référence mondiale. Un monde multipolaire ne serait-il pas plus apaisé et mutuellement bénéfique ?

Reste que le capitalisme anglo-saxon, focalisé sur la seule finance, est un échec manifeste. Il s’agit moins de revenir au capitalisme rhénan, fondé sur la technique et la vertu cogestionnaire que d’inventer le capitalisme du futur, qui doit prendre en compte les hommes : le service du client, la motivation des salariés pour qu’ils innovent et aiment se former, l’entreprise dans la société pour intégrer le réseau des flux d’énergie ou matières premières et de retraitement des déchets. Ce qui est appelé dans ‘Gestion de fortune’ le « capitalisme asiatique » tant il correspond à la mentalité japonaise, coréenne et chinoise de ne pas considérer les individus comme autant de bulles errantes mais insérés dans tout un réseau interactif de relations humaines.

L’intérêt du livre de MM. Brunet et Guichard n’en reste pas moins de rappeler qu’on ne saurait vivre au-dessus de ses moyens sans devenir dépendants. De faire prendre conscience aux citoyens que la dette de leur État les met sous tutelle, aujourd’hui de l’Union européenne, demain du FMI, après-demain de la Chine – première banque de réserve du monde. Ils appellent donc à redevenir mercantiliste et à exiger la réciprocité, projets sur lesquels nous les suivons.

« La stratégie mercantiliste qui réussit durablement à renouveler des excédents commerciaux, est la stratégie incontournable que se doivent d’adopter les pays capitalistes les plus ambitieux, ceux qui recherchent l’hégémonie. Cette stratégie a permis à l’Angleterre d’établir sa suprématie pendant 130 ans et aux États-Unis la leur depuis 70 ans. […Comme le] Japon pendant les années où il menaçait sérieusement l’hégémonie américaine » p.60. La France, le Royaume-Uni, les États-Unis, devraient prendre exemple sur l’Allemagne, le Japon et la Chine : pour être puissants, générer des excédents commerciaux plutôt que de dépenser plus qu’ils ne produisent. En contrepartie, une certaine protection anti-dumping est justifiée si elle porte sur le travail des enfants, l’épuisement des ressources, la teneur en CO² et la non-convertibilité de la monnaie. Mais est-ce la faute de la Chine si ni les États-Unis, ni les pays européens, divisés comme sac de pommes de terre, n’arrivent pas à s’entendre ? Les bons vieux intérêts commerciaux des Wall Mart, Apple ou Airbus, entre autres, n’inhibent-ils pas les politiciens pour agir ?

Plutôt que d’accuser la Chine avec points d’exclamations et innombrables redites, les auteurs pourraient inciter les nations occidentales à prendre leurs responsabilités vis-à-vis de leurs peuples et de leur sécurité nationale. Or que proposent-ils ? Que l’ensemble des pays occidentaux quittent l’OMC pour créent une OMC-bis qui interdise tout dumping monétaire – évidemment sous l’égide des États-Unis… L’impérialisme américain est-il préférable au monde multipolaire chinois ? Faut-il évoquer, dans un envol messianique qui rappelle trop celui des néoconservateurs yankees opposés à Bill Clinton, la mise en danger rien moins que nos démocraties, nos libertés et notre civilisation ?

Un livre fort documenté et au raisonnement clair, mais dont les conclusions partiales doivent être lues au second degré.

Antoine Brunet et Jean-Paul Guichard, La visée hégémonique de la Chine – L’impérialisme économique, 2011, éditions L’Harmattan, 208 pages, €19.95

Ou l’édition électronique du même livre par Kindle éditions, 1790 kb, €15.75

Les auteurs suivent de très près l’information officielle chinoise sur Asian Times online site d’intérêt pour comprendre la Chine contemporaine

 

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William Boyd, Orages ordinaires

Nous sommes à Londres après la crise financière. Un jeune anglais divorcé d’une jument hystérique américaine (pléonasme) revient dans son pays pour trouver un poste de chercheur en climatologie. Il sort à peine d’un entretien lorsqu’il lie connaissance avec un convive dans un restaurant. Une brève conversation s’échange, le quidam acquitte son addition et quitte la salle. Il a oublié un dossier sur son siège. Comme tout le monde, Adam Kindred, le jeune chercheur, veut lui rapporter. Rendez-vous est convenu le soir même par téléphone. Lorsqu’Adam arrive à la résidence sécurisée de l’oublieux, il laisse son nom et son adresse à l’entrée, monte à l’étage, voit la porte entrouverte, puis son interlocuteur un couteau à pain planté dans la poitrine qui lui fait signe d’approcher…

C’est ainsi qu’un jeune homme se trouve embarqué dans une histoire qui pourrait arriver à n’importe qui. Tout laisse soupçonner qu’il est le meurtrier, y compris sa panique en entendant du bruit sur le balcon. Rentré à son hôtel, ne voilà-t-il pas qu’un inconnu dans la rue l’interpelle ? Il ne se laisse pas faire et va désormais entrer dans l’ombre. Comment faire pour disparaître ? Dans une grande ville comme Londres, c’est assez facile : il suffit de ne plus être immatriculé nulle part. Exit téléphone portable, carte bancaire, compte en banque, carte de transport, immatriculation de véhicule, adresse, sécurité sociale. Quand vous n’êtes plus aucun des numéros, vous n’existez plus. Vous passez sous le radar du système. Vous êtes un sans domicile fixe, vivant d’expédients, mais libre et invisible.

Être intelligent ne nuit en rien à la clochardise, au contraire ! Adam trouve un square coincé à l’entrée d’un pont d’un quartier chic. Un buisson le rend invisible à tout le monde, très proche et ignoré à la fois. Mendier le rend presque riche, fréquenter une « église » parmi toutes celles qui pullulent permet un repas chaud (après un interminable sermon) et des rencontres utiles. Se laver dans les toilettes des gares, même payantes pour la totale, est à la portée de n’importe qui. C’est ainsi que l’on se reconstruit une identité, que l’on échappe aux préjugés policiers et – surtout ! – aux officines privées qui vous cherchent pour vous faire disparaître pour d’obscures raisons.

William Boyd côtoie sans cesse le roman policier dans ce roman littéraire. Il continue d’analyser la société anglaise, désormais hantée de fric, égoïste et médiatique au point que quiconque ne joue pas le jeu disparaît de la scène officielle en un clin d’œil. La différence avec le genre policier est que sa conclusion reste romanesque : pas de fin à l’enquête ni aux personnages. Ils sont laissés en plan sans conclusion. On ne sait même pas si ni pourquoi certaines officines des services secrets étaient impliquées. Tout reste possible, au contraire du happy end des thrillers ou des enquêtes dans le modèle consacré. Adam Kindred se trouve mêlé malgré lui à une affaire de tests en phase III pour homologuer un médicament attendu contre l’asthme. Des morts inexpliquées de cobayes, des enfants humains, pourraient compromettre le dossier. Est-ce pour cela que le chercheur responsable a été tué ? Kindred, pour sa seule défense, va chercher à fouiller, regarder l’informatique d’hôpital, impliquer un journaliste, jouer sur Internet, manipuler le système boursier… C’est l’ensemble du réseau alternatif qu’il va actionner pour échapper à la toile officielle qui cherche à l’immobiliser.

Adam Kindred est un universitaire spécialiste des nuages, qu’il sait faire tomber en pluie. Il aime les femmes et ne résiste pas à baiser qui lui plaît, après les préliminaires de sa génération. Il n’est pas indifférent aux enfants et ne peut s’empêcher de savoir ce qu’est devenu celui qu’il a apprivoisé et dont la mère, une demandeuse d’asile pakistanaise faisant la pute, l’a aidé et en est morte. Son nom, Kindred, signifie similaire, parenté, ressemblance. Autrement dit le parfait quidam, interchangeable, dans la société réduite des années 2000. Et pourtant la société hyper individualiste, égocentrée, à l’élitisme friqué et qui court à la catastrophe sans le savoir, comme un Titanic du XXIe siècle, recèle bien des surprises. « A savoir que les myriades de liens entre deux existences discrètes – proches, distantes, se chevauchant, se frôlant – sont là presque entièrement inconnues, inaperçues, un immense réseau invisible de l’à-peu-près, du quasiment, de ce-qui-aurait-pu-être. De temps en temps, dans la vie de tout un chacun, le réseau est entrevu, un court instant, et l’événement reconnu avec un cri d’étonnement ravi ou un frisson d’inconfort surnaturel » p.493.

Un bon roman, avec une histoire, une psychologie, de l’action, qui se lit avec fluidité.

William Boyd, Orages ordinaires, 2009, Points Seuil avril 2011, 498 pages, €7.60

Existe aussi en audio-livre, 2CD, Audiolib, octobre 2010, €21.85

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Dudouet et Grémont, Les grands patrons en France

L’intérêt de ce livre est qu’il se situe – volontairement – au carrefour de l’économie, de la sociologie et de l’histoire politique. C’est ce qui le rend précieux. Le patronat français est bien loin des 200 familles chères au Front populaire. Il est aujourd’hui principalement composé d’ex-fonctionnaires, issus des Grandes écoles de la République, surtout Polytechnique et l’ENA.

La relation incestueuse du pouvoir politique et économique, tellement française, s’est déplacée. Hier l’État était tout-puissant, faisait et défaisait les rois en entreprise. Aujourd’hui, alors que la mondialisation exige l’efficience, les matheux formatés Éducation nationale délaissent le « service » public pour le profit privé. Ce qui compte reste toujours le pouvoir : celui, social, d’imposer ses vues ; celui, égoïste, d’amasser le maximum d’argent. Pas le pouvoir d’œuvrer pour la société, pas même pour l’entreprise : les grandécolâtres ex-fonctionnaires sont des mercenaires, pas des entrepreneurs.

L’état des lieux, dressé par un chercheur au CNRS rattaché à l’université Paris-Dauphine et par un économiste président de l’Observatoire politico-économique des structures du capitalisme, est édifiant. Les élites, sélectionnées par le système puis autoproclamées par cooptation constante, suivent un mouvement qui les dépasse. Avant 1914 c’était le libéralisme où le moins d’État possible assurait la plus grand puissance des profits et de la notoriété. Il a fallu deux guerres mondiales pour immiscer l’État dans l’organisation de l’économie et engendrer cet autoritarisme industriel qui a fait le bonheur de ceux qui sont bien « nés ». Non de sang, mais de méritocratie scolaire appuyée d’un puissant réseau social. Fils de patrons et fils de profs, aiguillés dans les bons lycées des bons milieux, ont investi les allées du pouvoir politique, puisqu’il était l’antichambre du pouvoir de l’argent. L’âge d’or s’est situé entre 1945 et 1986, lorsque l’État possédait le principal par nationalisation et nominations.

Depuis, la « privatisation » a eu lieu. Mais croyez-vous qu’elle soit sociale ? Pas du tout : les ex-fonctionnaires ont pantouflé royalement dans les prébendes. Ce sont toujours les écoles des corps d’État qui assurent le principal des patrons 2008 (dernière année de l’étude). Sauf Normale sup, reléguée au fin fond pour ignorance économique. Un tiers des patrons du Cac40 sort non seulement des grandes écoles au recrutement malthusien, mais aussi des grands corps d’État. Cette relation incestueuse démontre l’intrication du politique et de l’économique plus qu’ailleurs dans la France d’aujourd’hui. C’est dire combien il est peu adapté à la globalisation de la production et des échanges… A-t-on jamais vu encore une grande entreprise internationale nous demander un énarque pour la présider ? A l’inverse, les écoles de commerce émergent peu à peu, notamment les plus prestigieuses comme HEC, ESSEC et ESC Paris. Mais pour la France, ajouter l’ENA et passer par l’inspection des Finances reste le must.

Car la France, société de cour, fonctionne en réseau hiérarchisé. Plus vous êtes proche du pouvoir, du sommet, de l’Élysée, plus vous avez de pouvoir symbolique. Or le pouvoir symbolique se traduit, chez nous, par du pouvoir réel. Jean-Marie Messier (dit J6M : Jean-Marie Moi-Même Maître du Monde), bien que polytechnicien et énarque, n’était pas proche du cœur de ce pouvoir symbolique, ce pourquoi il a été lâché par les « parrains » (au sens mafieux) du capitalisme français. Sa société, Vivendi, bien qu’endettée, n’a pas fait faillite. C’était le signe qu’elle restait viable malgré la course aux rachats externes. Mais son PDG marginal a été éjecté. La caste se défend.

Le tableau du réseau social des entreprises du Cac 40, patiemment élaboré par les auteurs, est éclairant. Au centre du pouvoir se situent les financiers détenteurs du levier crédit : BNP-Paribas et Axa. Autour d’eux gravitent, reliées soigneusement par des conseils d’administration croisés, les entreprises du cœur : Total, l’Oréal, Air France-KLM, Vivendi, Alcatel, Lafarge, Renault. Pour celles-là, pas touche ! Aucune offre publique d’achat ou rapprochement possible sans consentement des parrains.  Tout le gotha se dresserait contre car s’y trouvent des entreprises nationales stratégiques (Total, Renault, Air France, BNP, Axa, Alcatel) et des pompes à phynance pour le pouvoir politique (L’Oréal, Total, Vivendi). Les opéables sont celles qui n’ont guère de relations avec ce pouvoir social politique et économique : Michelin, Danone, Bouygues, PPR, Accor, Vallourec, Cap Gemini, LVMH, Pernod Ricard, Arcelor…

« Le virage libéral qu’a connu la France dans les années 1980-1990 relève qu’une dynamique historique commune à tous les pays occidentaux et ne peut donc se réduire à la stratégie des élites nationales, supposant une communauté de vue et d’intérêts que les compétitions internes nuancent fortement » (p.66). Mais l’élite a bien vu son intérêt et le « service » public est resté un paravent idéologique (où catholiques voisinent avec les positivistes). Rideau de fumée bien commode pour masquer le réel : appétit de pouvoir et avidité d’argent. Les privatisations ont assuré la pérennité de l’élite hier d’État, aujourd’hui du clan des grands groupes. Rares sont les héritiers de familles fondatrices et propriétaires de l’entreprise. La majeure partie des « patrons » est mercenaire, entendus comme les PDG et autres directeurs exécutifs des sociétés cotées au CAC 40. Formés matheux au lycée et formatés par les Grandes écoles, ils défendent leur groupe restreint fait de condisciples, d’intermariages, de cohabitation dans les quartiers huppés, de formations en lycées ou prépas d’excellence, et de relations au cœur de l’État. Très peu d’étrangers dans ce nid incestueux : 23 sur 136, dus surtout aux prises de participations européennes. Évidemment très peu de femmes : 3 sur 136.

Reste la question de toute élite : celle de sa légitimité. Autant les footeux et autres tennismen ou women peuvent, sans faire scandale, s’approprier une grosse portion des ressources produites, autant les grands patrons ont peu de légitimité à percevoir golden welcome, stock options, bonus et retraites chapeaux. « Il existe une forme d’enrichissement des grands patrons qui ne subit pas d’opprobre comparable : celle de la valorisation de leur capital économique » (p.141). Les patrons propriétaires qui développent leur entreprise, créent des emplois et augmentent la notoriété de leur marque nationale, sont légitimes quand ils en profitent eux-mêmes. Ceux qui font scandale sont les mercenaires, trop souvent ex-fonctionnaires : ils s’enrichissent sans cause, avec pour seul bagage le pouvoir de leurs relations.

Comme quoi l’État, lorsqu’il se mêle d’économie, n’a pas la légitimité qu’on veut bien lui prêter pour régler la société. Plus d’État qui régule est une revendication économique légitime, réclamée par le libéralisme (voir Fernand Braudel). Mais régulation ne signifie certainement pas plus de fonctionnaires aux commandes !

Un livre passionnant qui se lit facilement et vient compléter pour l’entreprise les analyses de la bourgeoisie par le couple Pinçon-Charlot.

François-Xavier Dudouet et Éric Grémont, Les grands patrons en France : du capitalisme d’État à la financiarisation, 2010, éditions Lignes de repères, 174 pages, 17.10€

Eric Grémont est directeur de l’OPESC

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Ben Laden tué, les problèmes continuent

Article repris par Medium4You.

Réjouissons-nous, celui qui s’était mis volontairement hors de l’humanité par ses actes et ses revendications a été tué. Le monde ne pourra en être que moins pire, même s’il reste quelques ordures à nettoyer encore ici ou là. A chaque peuple de balayer devant sa porte. Ben Laden a idéologiquement échoué. Mais son installation aux frontières du Pakistan et de l’Afghanistan montre que les problèmes qu’il avait voulu soulever demeurent. Il n’avait pas le bon levier mais l’équilibre reste fragile.

Son fanatisme religieux qui faisait du retour à la lettre de la Parole, dictée par Djibril à Mohammed qui ne savait pas lire, n’a pas convaincu les masses islamiques. La meilleure preuve est que les révolutions arabes, qui déstabilisent enfin les colosses aux pieds d’argile autour de la Méditerranée, n’ont pas été des révolutions au nom de la religion. Ben Laden était un symbole et l’échec est bien symbolique : jamais la terreur n’a fait changer le monde. Ce sont les mouvements sociaux qui le font changer, pas les massacres aveugles d’illuminés fascinés par la violence. Lénine a su organiser la brutalité des anarchistes russes et des blanquistes français pour en faire un parti structuré, il a réussi. La nébuleuse Ben Laden ne fait qu’apposer un label « Au-delà compatible » à des actes qui n’ont aucun lien entre eux. Le vrai sac de pommes de terre.

Mais ni l’Afghanistan ni le Pakistan ne sont des états stables. Ils n’ont pas de nation mais sont composés de tribus irrédentistes que ni la religion ni les ennemis parfois communs n’arrivent à souder. Le Pakistan est en façade allié des forces internationales contre le terrorisme mais il protège aussi ses Talibans pakistanais pour contrôler l’Afghanistan voisin. Il ne combat de fait que les militants étrangers d’Al-Qaïda installés dans ses zones frontières. Stratégie d’équilibriste, en constante bascule : la stabilité du Pakistan est menacée par les Talibans du TTP.

Le Tehrik-i-Taliban-Pakistan ou TTP est le plus puissant des réseaux terroristes de la région. Il a été créé en décembre 2007 au Waziristân par la tribu Mehsud.  Ses attaques portent sur les convois de l’OTAN mais aussi sur les officiels pakistanais. Le TTP honnit le ralliement du président Musharraf à l’Amérique de Georges W. Bush et l’engagement de l’armée pakistanaise dans les zones tribales contre les subventions américaines. Tout ce qui n’est pas dans sa ligne puritaine – islamiste sunnite – est bon à faire sauter. Ce TTP rassemble des Talibans locaux et des militants étrangers d’Al-Qaïda, « la base » du djihad international. C’est Oussama ben Laden qui l’a implanté en 1984 à Jaji, en Afghanistan, à quelques kilomètres de la frontière pakistanaise contestée, tracée jadis par les Anglais. Pas par hasard : il voulait faire levier sur la zone fragile des nationalités et entraîner les « bons » Musulmans derrière sa guerre sanctifiée, comme jadis contre l’URSS « athée ».

Al-Qaïda met la communauté des croyants au-dessus des États issus de la colonisation. Les frontières « établies » ne sont que des chiffons de papier que la théologie wahhabite salafiste balaie au profit d’une nation conforme aux dires du Prophète. L’idéal est celui du Califat, duquel seraient expulsés tous les hérétiques, les non musulmans comme les mauvais musulmans : exemple les Chiites. Attiser les nationalismes locaux permet l’exaltation de guerre sainte pour la diriger contre les États. Ben Laden s’y est essayé en Afghanistan contre les Soviétiques, avec la bénédiction des Américains dans les années 1980. Puis contre le Cachemire, en majorité musulman, mais resté dans le giron de l’Inde à la partition. Enfin contre l’OTAN, allié du Pakistan et pour le président afghan Karzaï.

Le Pakistan est ainsi pris à son piège. Fondé sur la religion comme le « pays des purs », en scission d’avec l’Inde majoritairement hindoue, il se trouve débordé par plus musulman que lui. Tandis que les nationalistes Pachtounes et Baloutches contestent l’emprise de l’islam amalgamée à celle de l’État pakistanais. A cheval de part et d’autres des frontières, ils restent irréductibles tant à l’Afghanistan qu’au Pakistan. Les nationalismes continuent d’alimenter les guerres tribales, prenant prétexte de religion pour attirer les étrangers bien armés (militants arabes d’Al Qaïda pour les tribus, Américains et OTAN pour les États afghan et pakistanais). Mais ce n’est pas la religion qui est première : c’est la terre, le territoire.

C’est pourquoi Ben Laden a échoué, mais les problèmes qui l’ont longtemps protégé demeurent… Les idées simples n’ont pas droit de cité dans l’orient réel.

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Ruth Benedict, Le chrysanthème et le sabre

Ruth Benedict, écrit « Le chrysanthème et le sabre » en 1947 sur une commande des forces d’occupation américaines au Japon. Elle ne connaît pas le japonais, n’est jamais allée au Japon et se contente d’écumer les bibliothèques pour lire les auteurs occidentaux sur le pays du soleil levant, d’interroger des immigrés japonais aux États-Unis et des prisonniers de guerre. Tout cela en une année seulement.

Le tour de force est que, si son étude date aujourd’hui un peu en raison du développement et de l’ouverture au monde du Japon, son ideal-type de la mentalité japonaise est assez éclairant. Il ne s’agit pas de dégager une « essence » ethnique du Japon mais de repérer les inerties culturelles dues à l’histoire de ce peuple îlien. Il est étonnant que les Français aient attendu 40 ans pour traduire ce livre fondamental. Cela qui marque l’étroitesse d’esprit et la croyance confortable en sa supériorité de la génération française d’après-guerre, inadaptée aux changements rapides du monde contemporain.

J’ai noté quelques formules qui manifestent la qualité de l’analyse. Pour Ruth Benedict, « les Japonais trouvent du réconfort dans un mode de vie planifié et codifié à l’avance, où la pire menace est l’imprévu ». (p.36) « La confiance des Japonais dans la hiérarchie est la base de leur conception des rapports d’homme à homme, ainsi que de l’individu à l’Etat » (p.49) « Au Japon, les prérogatives attachées à la génération, au sexe et à l’âge sont considérables. Mais ceux qui en jouissent les exercent en responsables plutôt qu’en autocrates. » (p.59)

« La vertu, au Japon, dépend de la reconnaissance de sa propre place dans le grand réseau de dettes mutuelles, réseau qui englobe à la fois ancêtres et contemporains. » (p.93) « Bien qu’au départ toute âme soit resplendissante de vertu comme resplendit une épée neuve, elle se ternit néanmoins si son brillant n’est pas maintenu en permanence. Cette « rouille de la personne », pour reprendre leur expression, est aussi néfaste qu’elle l’est sur une lame. Un homme doit apporter à sa personne le même soin qu’il apporterait à son épée. Mais le brillant et l’éclat de son âme sont encore là, même recouverts de rouille, et il suffit de polir cette âme à nouveau » (p.179) C’est une jolie formule, venue tout droit du bouddhisme. Nul n’est “mauvais” en lui-même car il recèle une étincelle du divin. Mais c’est à lui de mettre au jour ce trésor intérieur, de faire briller son éclat par son apprentissage et sa discipline. «

Pour les Japonais, l’idée que la recherche du bonheur est un but digne de ce nom dans l’existence est une doctrine surprenante et immorale. « A leurs yeux, le bonheur est une détente à laquelle on s’abandonne quand on le peut ; mais lui conférer la dignité d’une chose à partir de quoi l’État et la famille doivent être jugés, c’est tout à fait inconcevable. » (p.173) « Les Occidentaux sont gens à considérer comme un signe de force la révolte contre les conventions et la saisie du bonheur en dépit des obstacles. Mais les forts, selon le verdict japonais, sont ceux qui ne tiennent pas compte du bonheur personnel et remplissent leurs obligations. La force de caractère, pour eux, se montre dans l’obéissance aux règles, non dans la révolte. » (p.187)

« Le Japon, avec un amour vital du fini qui fait penser aux anciens Grecs, comprend les techniques du yoga comme un exercice de perfectionnement personnel, un moyen par lequel un homme peut acquérir cette « excellence » qui ne laisse pas subsister l’épaisseur d’un cheveu entre l’individu et son acte. C’est un exercice d’efficacité. Un exercice de stricte dépendance de soi. La récompense se trouve ici et maintenant car elle met à même d’affronter n’importe quelle situation avec l’exacte dépense d’effort nécessaire, ni trop ni trop peu, et assure le contrôle de l’esprit naturellement capricieux en sorte que ni menace extérieure, ni remous intérieurs, ne puissent débusquer l’individu de lui-même. » (p.216) « Quand une voie débouche sur une impasse, on y renonce comme à une cause perdue parce qu’au Japon on n’apprend pas à persévérer dans les causes perdues » (p.269).

Son chapitre sur l’éducation des enfants et celui où elle énumère complaisamment les différentes sortes de « devoirs » sont ceux qui ont le plus vieillis. La société japonaise a évolué en un demi-siècle comme toutes les sociétés en développement accéléré du monde dit “post-moderne” : les traditions rigides s’assouplissent et certaines se trouvent remises en cause. Reste qu’on peut encore parler d’obligations passives reçues de l’Empereur, des parents, des maîtres et des patrons, le “on”, et d’obligations de contreparties envers les autres ou envers soi-même (ce qui est l’honneur), le “giri”. Mais ce « patriotisme » au pays et à la lignée, cette reconnaissance envers les maîtres, cette dette sociale envers ceux qui vous donnent quelque chose, ces devoirs de respecter les convenances et de maîtriser ses émotions, tout cela s’est modernisé, se rapprochant un peu plus des mœurs occidentales. Simplement peut-on dire que le carcan social est plus rigide au Japon.

Ruth Benedict, Le chrysanthème et le sabre, Picquier Poche, 1998, 350 pages

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Facebook ou le monde bisounours

Article repris par Medium4You.

Énorme succès de Facebook, et pas seulement pour son côté fesses, même si le site a été créé au départ par l’infantile Zuckerberg pour classer les thons et les sexy de Harvard. Sait-on que le pays qui utilise le plus ce réseau social planétaire est l’Indonésie, juste après les États-Unis ? D’ailleurs un couple égyptien vient de prénommer sa petite fille Facebook… Dans un étonnant article de la revue ‘Le Débat’ (n°163, janvier-février 2011), Jérôme Batout propose une analyse du phénomène Facebook.

Vous me direz : ‘encore ‘Le Débat’ ? Qu’y puis-je si cette revue me fait penser ? Ce n’est ni dans la presse papier indigente, ni dans la télé poubelle, ni dans l’Internet du n’importe quoi que l’on trouve de quoi « penser ». Les médias se délectent de « petites phrases » et de pipoleries bien racoleuses parce qu’ils ne savent plus vendre de la réflexion. Peut-être le public n’en veut-il plus, de cette réflexion ? Ce serait se remettre en cause, introduire du conflit dans l’irénisme des jours – pas « cool », ça.

Le réseau social s’est développé clairement sur les antagonismes : « conflit sentimental entre Mark et sa copine Erika ; conflit d’affaires entre Mark et les jumeaux Winklevoss qui l’attaquent en justice pour avoir volé ce qu’ils considèrent comme leur idée. Conflit entre Mark et son « ami » Eduardo, qui attaque Mark en justice pour l’avoir évincé de la société qu’ils avaient fondés ensemble. »

Or Facebook n’est fondé que sur la notion « d’amis ». Ce sont les seuls liens permis. Ceux qui vous gonflent sont tout simplement « supprimés », voire « bloqués ». « Toute manifestation conflictuelle y est méthodiquement stérilisée, neutralisée : les utilisateurs sont encouragés à « signaler » tout contenu qu’ils trouveraient inapproprié (textes, photos, etc.) ». Facebook apparaît donc moins comme un réseau social que comme une utopie sociale où le conflit ne saurait exister. Un monde bisounours, comme aiment à dire Hubert Védrine et François Hollande. Tout conflit est évité et, lorsqu’il devient trop grand, on se sépare radicalement.

C’est probablement un trait culturel propre aux États-Unis de gommer ainsi les conflits entre les gens. Pays optimiste où tout est possible, dit-on, il s’est fondé sur le massacre des Indiens et sur la domination du Nord anglo-saxon contre le Sud latin par la guerre civile dite chez nous « de Sécession ». Mais cachez ce sein que je ne saurais voir ! Le monde américain est celui du sourire publicitaire, de l’amitié obligée (overfriend), de l’univers rose à la Disney où les ours sont des peluches et les loups d’aimables compagnons. Terre promise réalisée, nous sommes le paradis sur la terre, veulent croire les Américains, we are the world ! Utopie mondiale tant les conflits locaux, tribaux, ethniques, religieux, géopolitiques sont une gangrène qui renaît ici ou là. Utopie promise par toutes les grandes religions et toutes les grandes utopies politiques (comme le communisme) que d’être « tous frères » dans un Éden sans conflit ni contradictions.

Lorsque la démocratie est avancée, tout conflit paraît une offense. Les sondages le constatent, celui qui dit non est aujourd’hui le trublion ; les blogueurs le constatent, la grande affaire des commentateurs est « d’être d’accord » avec celui qui écrit la note. Faire penser, bousculer les idées reçues, provoquer la réflexion, tout cela répugne : il faut faire un effort, un compromis, alors qu’il est tellement plus facile d’éviter. Quiconque engage le débat est perçu comme un fâcheux qui « prend la tête ». Alors qu’il est plus simple de ne rien dire pour paraître « cool ».

Je considère pour ma part que le conflit est inévitable entre les êtres parce que chacun est unique, donc « inégal » par un quelconque trait aux autres. Ces disparités de fait n’empêchent nullement l’égale dignité en respect et en droit, mais engendrent inévitablement des désaccords. Autant en parler, les mettre à plat, négocier les divergences pour les accepter en partie. Ainsi fonctionne le couple, les relations en entreprise, les équipes de sport, la politique. La démocratie s’est fondée sur le débat à l’agora. Éviter le conflit fait monter la pression jusqu’à la rupture. Ne pas dire encourage le non-dit qui débouche sur la paranoïa et le Complot.

Neutraliser le conflit n’est pas le résoudre, c’est le laisser pourrir, souvent au profit de solutions radicales ou de politiques totalitaires. Est-ce qu’on « supprime » un pays de la carte parce qu’il n’est pas d’accord avec nous ? C’est pourtant ce que chaque fessu-bouc opère pour son propre compte avec ses liens abusivement qualifiés « d’amis ». C’est ce que Staline a opéré à grande échelle contre tous ceux qui n’étaient pas conformes. Et Mao par sa révolution dite « culturelle » (où les intellos allaient cultiver les champs…). Et Pol Pot qui a massivement vidé les villes avant de sélectionner les moins rééducables (parfois à 12 ans) pour les éliminer. Pourtant, dit l’auteur, « la divergence de vues est une richesse qui, loin de déboucher dans la guerre, est (…) le ressort de toute réalisation à l’intérieur du sujet comme au sein de la société. »

Il dit aussi : « Facebook est le site d’une génération, et possiblement d’un monde, pour lequel la dimension de la contradiction, de l’adversité, du conflit, est tenue dans une sorte de refoulement, d’évitement et de déni. » On peut se demander quel sera l’avenir d’un tel monde. Ne pas désirer connaître, ne pas voir, s’isoler ? La distinction nette entre « amis » et « supprimés » tend à former des communautés fermées, exclusives, où l’on reste entre soi. Des ghettos de riches ou de handicapés de la vie, qui recherchent le cocon des semblables pour être bien au chaud, unanimes, tous « d’accord ».

Cela conduit inévitablement à la loi du plus fort, du plus impitoyable, celui qui ne prévient pas et qui attaque pour éliminer. L’exemple du colonel Kadhafi, au pouvoir depuis 1969 (42 ans !) montre comment l’unanimisme « révolutionnaire » qui se dit « socialiste » fait de chaque communautariste celui qui « supprime » de son book tous ceux qui lui déplaisent.

Né après le 11-Septembre, Facebook amplifie peut-être un trait de l’Amérique, dont on se moquait encore dans les années 1980 : « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil ». D’où le syndrome de forteresse assiégée des États-Unis depuis, obsédés de contrôles et de technologies militaires à la pointe pour protéger le paradis des bisounours contre les méchants du monde extérieur. Que devient la démocratie dans tout ça ? Et surtout l’avenir ? Celui de Hobbes ?

Jérôme Batout, Le monde selon Facebook, in ‘Le Débat’ (n°163, janvier-février 2011), pp.4-15

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