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Lucie Malbos, Le monde viking

Le viking est devenu un mythe. L’archéologie contemporaine s’efforce de remettre de la vérité dans les images mentales diffusées depuis le XIXe siècle romantique et nationaliste qui n’en avait que faire. Images reprises, adaptées à notre époque, par la bande dessinée Thorgal (remarquable) et la série Vikings.

Les sources pour ce faire sont multiples. Ce sont les textes, issus des écrits monastiques (donc partiaux), ou écrits après le XIIe siècle (donc après) ; mais aussi les vestiges découverts en fouilles : le bateau d’Oseberg, la pierre runique de Jelling, la forteresse de Trelleborg, la tombe de Birka, les trous de poteaux de la halle de Borg, les restes du site de Brattahlid au Groenland ou celui de l’anse aux Meadows sur Terre-Neuve.

Tout d’abord, le terme « viking » n’est pas ethnique, ce pourquoi il s’écrit sans majuscule : tous les hommes du Nord ne sont pas vikings – et tous les vikings ne sont pas Scandinaves ; le viking est celui qui va, qui explore, marchande ou pille, un raider. On ne naît pas viking, on le devient. De même, tous les bateaux de bois vikings ne sont pas des « drakkars », mot inventé au XIXe en raison des dragons qui ornaient parfois la proue ; ce sont des knerrir (singulier knörr) de transport ou des langskip pour la guerre ou le raid. Les casques vikings ne comportaient pas de cornes, gênantes au combat ou dans la forêt et les guerriers ne buvaient pas « dans les crânes » de leurs ennemis vaincus mais dans « l’os de la tête » qui signifie la corne à boire chez les poètes nordiques.

Les vikings ne font pas partie des invasions barbares ethniques, venus de l’est en chariots avec femmes, enfants et bétail ; ils sont peu nombreux et s’assimilent très vite à la population lorsqu’ils acquièrent des terres, perdant leur langue et leur religion païenne – comme en Normandie ou dans l’est de l’Angleterre. S’ils aiment la guerre, ils préfèrent la terre. Lorsqu’ils occupent le pays, comme en Islande, dans les îles Orcades, Shetland et Féroé, ou au Groenland ou à Terre-Neuve, ils sont des colons sur des terres vierges. Ils vivent en communautés d’hommes libres ; chacun est maître sur ses terres, bondi, et se regroupe pour voter au thing (parlement) ou fait allégeance à un puissant, un jarl. Les femmes ne sont pas égales aux hommes en ce sens qu’elles ne commandent pas à la guerre ou en politique, mais elles ont un rôle très important dans la maisonnée comme maîtresse des clés, dans l’élevage des enfants et la transmission des normes de comportement, et de gestion des biens durant la minorité de leurs fils en cas de veuvage. Elles ne sont probablement pas guerrières mais souvent marchandes. La tombe de Birka, qui comportait des armes et des poids de balance a été, lors de sa découverte au XIXe, attribuée à « un guerrier », mais les analyses ADN en 2017 ont montré qu’il s’agissait d’une femme… sans aucun traumatisme des os, donc n’ayant jamais combattu. Le dépôt d’armes montrait probablement son rang social et l’appartenance à son clan familial plus que sa fonction. Pareil pour une tombe de jeune garçon de 9 ans et celle d’une fillette de 5 ans.

C’est le mérite de ce livre, produit du confinement Covid par une maîtresse de conférences en histoire médiévale à l’université de Poitiers, de nous montrer concrètement, au travers du portrait de quatorze personnes durant les trois âges des années 800 à 1066, comment vivaient les vikings.

Du côté des hommes : Godfred, roi des Danois, a tenu tête à Charlemagne ; le rapace Hàsteinn a été chargé par les écrits des clercs d’église comme « le pire des païens » ; Ottar a commercé à travers toutes les mers nordiques ; Harald l’Ebouriffé est devenu « à la Belle chevelure » ; Rolf, chef viking qui attaquait Paris, est devenu Robert, prince chrétien et comte de Normandie ; Harald à la Dent bleue a converti son peuple au christianisme ; Eric le Rouge (parce que roux) a colonisé l’Islande, puis le Groenland, et ses fils ont exploré l’Amérique du nord de Terre-Neuve à l’embouchure du Saint-Laurent et jusqu’à Boston (le Vinland, terre de la vigne) ; Olof III annonce la fin des temps vikings et fonde le royaume chrétien de Suède face aux Danois ; Toki le forgeron qui fit ériger nombre de pierres runiques en souvenir des hommes glorieux à ses yeux était un esclave fortuné.

Du côté des femmes : les défuntes du bateau d’Oseberg étaient peut-être reines, prêtresses ou prophétesses avant l’an mil ; Frideburg et Catla de chrétiennes riches et pieuses en terres païennes à Birka ; la fillette de 5 ans de famille riche enterrée à Birka venait d’ailleurs ; la marchande guerrière de la tombe Bj 581 de Birka était entre « grande femme et fluidité des genres » ; Estrid la matriarche sept fois mère au moins, voyageuse et bâtisseuse, veuve riche et indépendante était gardienne de la mémoire chrétienne de la famille après l’an mil.

26 pages de notes, 10 pages de bibliographie, 5 pages de lexique, 8 pages d’index : il s’agit d’un livre scientifique, mais écrit d’une plume alerte qui raconte bien et laisse poindre parfois l’émotion face aux tombes d’enfants ou au sort des jeunes lors des raids ou des colonisations. « Seigneurs de la guerre, seigneurs de la terre, seigneurs de la mer, seigneurs du feu, les anciens Scandinaves pouvaient être tout cela ; pas forcément à la fois, pas nécessairement de façon exclusive ni toute une vie durant. La diversité des profils, jamais figés, était infinie… » p.283. Le viking en tant qu’archétype est l’homme libre vivant en communauté, l’explorateur qui féconde des terres nouvelles, le guerrier qui n’hésite pas à affirmer son existence. L’auteur note « leur incroyable curiosité et leur formidable esprit d’aventure, les incitant sans cesse à repousser les frontières du monde connu ; sans oublier leur capacité d’adaptation hors pair » p.285. Dans un monde édifié par l’Église sur les ruines de l’empire romain tombé sous les coups des invasions venues de l’est, et qui se refermait en petits royaumes étroits, frileux et menacés, les vikings ont apporté un grand souffle d’air frais. Ils ont fait un temps de la Baltique et de la mer du Nord le centre du monde commercial devant la Méditerranée, depuis le pillage du monastère de Lidinsfarne dans le nord de l’Angleterre en 793 à la mort au combat du roi norvégien Harald le Sévère en 1066 à la bataille de Stamford Bridge en Angleterre et à la conquête par Guillaume le Conquérant venu de Normandie la même année.

Un bel ouvrage au cahier central de photos couleurs, auquel on peut adjoindre le numéro spécial 98 des Collections de L’Histoire, Les vikings, une histoire mondiale, hors série janvier-mars 2023, en kiosques (€9,90).

Lucie Malbos, Le monde viking – portraits de femmes et d’hommes de l’ancienne Scandinavie, 2022, Tallandier, 350 pages, €21,90 e-book Kindle €14,99

Les vikings sur ce blog

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Z est arrivé

Sans se presser. Malheureusement sans épée ni style, et à contretemps, au moment même où le dézemmour commence à sévir sévèrement avec des sondages en baisse. Ce n’est pas sa « vidéo » sur la chaine branchée qui va le rattraper.

Une mauvaise vidéo

Lisant trop vite et d’un ton monocorde, Zemmour a récité son Talmud sans élan ni nouveauté. Il n’a pas regardé les Français dans les yeux mais constamment son texte théorique, à se demander s’il ne s’y soumettait pas comme devant un Destin ou une parole de Dieu. Quand on se pose en néo de Gaulle, Napoléon ou Jeanne d’Arc, c’est un brin risible. Il évoque plutôt le vieux maréchal Pétain qui chevrote le 17 juin 40 à 84 ans.

Les images rapides à vocation subliminale des années glorieuses n’ont réussi qu’à répéter que « c’était mieux avant » en réécrivant l’histoire. Car les guerres coloniales, les attentats OAS, les morts arabes de Charonne, l’atmosphère de quasi guerre civile entre pieds-noirs et métropolitains sur la propriété d’outre-Méditerranée, les accidents de la route sur la nationale 7 en été, les curés pédophiles, les pensions tortionnaires, les petits chefs, le statut inférieur des femmes (ni pilule, ni avortement, ni carnet de chèques, ni travail sans autorisation du « chef » de famille)… tout cela est-il vraiment à regretter ? C’est son enfance que pleure Zemmour et nombre de zemmouriens avec lui (les soixantenaires et septantenaires tentés par son droitisme). Songe-t-il aussi à ses frères, les Zemour, escrocs et proxénètes juifs de Sétif qui sévissaient ces années-là, dézingués au fil des années par des « immigrés » corses ?

Mais que veut-il politiquement ?

Revenir aux années soixante étant utopique, il faut chercher du côté de la mentalité « glorieuse » de ces années-là (malgré les défaites successives en 40 face aux Allemands, en 54 face aux Viêt-Cong, en 62 face au FLN algérien). De Gaulle avait su renverser le pessimisme des faits en épopée optimiste sur « le destin de la France » : par son appel du 18 juin, sa résistance face aux anglo-saxons qui voulaient marginaliser le pays défait en 42, par son social-populisme qui a entraîné les communistes en 45, puis par l’atome et la fusée en 60 qui ont redonné du panache à la France après les humiliants retraits coloniaux.

Mais n’est pas de Gaulle qui veut. Le général parlait lent, pour que tous puissent le suivre ; le général parlait clair, sans intellectualisme ; le général regardait les Français dans les yeux, pour les faire rêver. Dans sa vidéo, Zemmour n’apparaît que comme un polémiste gonflé, pas comme un homme d’Etat.

Pour le fond, il racle la marmite contre-révolutionnaire qui survit depuis le XVIIIe siècle et radote les mêmes rengaines sans aucun succès en plus de deux siècles. La société continue d’avancer, malgré les « réactionnaires » – peut-être devrait-il s’interroger ? :

  • La société serait un être vivant, d’où le rejet de l’universalisme comme de l’immigration non « assimilable » (comme en cellule, le corps étranger est assimilé ou expulsé).
  • Son unité serait menacée par la globalisation économique et par le juridisme sans contrôle de « Bruxelles ». Elle doit donc être régénérée ; souveraineté d’abord, islam dehors, hiérarchie sociale (et « biologique » ?) retrouvée – l’assimilation, qui abolit sa propre différence, est au fond une soumission au plus fort et plus intelligent.
  • Il serait nécessaire et urgent de sauver la planète France du réchauffement sexuel venu d’ailleurs, donc de « réagir » à la décadence de la société (tout changement étant vu comme dans le mauvais sens, d’où le « c’était mieux avant »). Décadence qui est économique (désindustrialisation – mais l’intelligence ne compte-t-elle pas plus que les machines ?), politique (parlotes parlementaires, corruption et délégation aux Machins internationaux, UE, CdH, ONU, OMS, OMC, ONG…), culturelle (colonisation du langage par l’américain abâtardi, de la pensée par le consumérisme Levis-Coca Cola-McDonald’s, des données et de l’identité par les GAFAM), des mœurs par le puritanisme Disney comme par le wokisme intello-gauchiste, démographique par l’immigration et les « droits » des anti-gosses (plus de 200 000 avortements de convenance par an en France, promotion des lesbiennes et des gays, de l’idéal trans ou sans genre, culpabilisation écologiste qui conduit 10% des jeunes à ne pas vouloir d’enfants, etc.).
  • Pour cette régénération, partir de la base, du « peuple ». Considéré comme sain et encore non contaminé par les modes intellos (mais de moins en moins avec le net, les séries américaines à la télé et les réseaux sociaux), « le peuple » devrait se dresser contre les élites cosmopolites contaminées par le mode de vie dominant (financier, américain, macho, « juif » – en bref Madoff, Zuckerberg, Strauss-Kahn, Epstein…).
  • Le peuple ne fait pas de « sentiments », terme maurassien que le maître assimilait au romantisme pleurard germanique et rousseauiste, en l’opposant au rationalisme « méditerranéen ». Pas de sentiments envers les immigrés, mais la froide raison du leucocyte qui détruit les virus allogènes à leur entrée dans la cellule.

Au total, beaucoup de régressif et de mythes dans l’intervention Zemmour. Rien qui fasse le début d’un programme concret pour les cinq prochaines années.

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Album Flaubert

Le 12 décembre prochain naîtra Flaubert, il y a deux cents ans – le premier Napoléon vient de mourir et le troisième abdiquera avant sa mort. Né sous la monarchie, Gustave verra trois révolutions et quatre régimes avant de quitter ce monde sous la République. Il vivra ce bouleversement sans précédent de l’autre révolution, l’industrielle, de la presse et du feuilleton, de l’essor des théâtres au détriment des poèmes, de la photographie au détriment de la peinture réaliste, et du roman comme savoir-faire français. Né vingt ans après le siècle, Flaubert est mort vingt ans avant l’Exposition universelle du Progrès et de la Science, le 8 mai 1880, à 58 ans et demi – d’une « attaque ».

J’aime beaucoup Flaubert, ce Normand parisien, ce grand nerveux épileptique qui vivait littéralement les scènes qu’il imaginait pour les écrire, qui somatisait les affres de ses personnages. Outre sa Correspondance en cinq tomes, qui est un délice sur le temps et les hommes, mon œuvre préférée reste Un cœur simple, touchant portrait de la générosité humaine sous la bêtise ignorante, de la maternité par procuration sans espoir de retour, d’amour aveugle d’une obstination de brute. Ce qui m’ennuyait au collège lorsque nous devions l’étudier me ravit aujourd’hui tant le style est épuré et précis, sans un mot de trop, sans aucun jugement de la part de l’auteur qui décrit, comme détaché, démiurge.

Quant à Madame Bovary, elle fut Gustave comme le dit un mot apocryphe, imaginant toujours autre chose que le réel, désirant s’évader sans cesse de son milieu campagnard, de sa condition bourgeoise et de sa soumission de femme de notable. Bovaryser est passé dans le langage courant (cultivé). C’est s’illusionner sur ce qui pourrait être, rêver au prince charmant, à l’amour impossible, à l’ailleurs paradisiaque. Non sans une certaine hystérie, refoulement des pulsions sexuelles qui ne demandent qu’à s’assouvir, sublimation parfois, débauche brutale souvent. Les femmes y étaient plus aptes lorsqu’elles étaient cheptel bourgeois ; les hommes y sont sujets depuis qu’ils ont été dévalorisés par l’égalité des sexes. C’est aujourd’hui le Disney mièvre des stars, les plages de cocotiers, le club Med pour femmes seules – ou l’ecstasy de la jeunesse avide d’extase, la « croyance » qui légitime un soi minable, la fausse aventure des télé-réalités où l’on se met en scène, les paillettes cocaïne et ciné… Toujours être autre que soi-même, vivant un enchantement, une illusion, couvert du voile de Maya.

Yvan Leclerc signe un court album très illustré, où figurent des dessins du Croisset disparu et les rares photos du grand Flaubert, lui qui fuyait la représentation de soi et les images pour ne laisser au public que ses œuvres : la Littérature. Ce pourquoi il contraignait sa plume, réécrivait sans cesse, gueulait ses phrases pour vérifier comme elles sonnent. Plus de 4500 pages pour Madame Bovary qui n’en compte qu’un dixième. Tout doit passer par les mots. Une illustration, une photo, ce sont des faits précis qui s’imposent tandis qu’une description littéraire, un portrait psychologique, c’est tout un être qui surgit, avec son aura de milieu et d’époque. Ecrire pour recréer le monde dans l’imaginaire, plus vrai que nature – voilà ce que voulait Flaubert.

D’où son réalisme cru sans tomber dans le voyeurisme excité à la Zola, ou son lyrisme panthéiste devant le spectacle total de la nature ou d’un paysage. Il n’est pas romantique, il n’est pas naturaliste, mais entre deux. Il sera le modèle des écrivains fin de siècle et il reste l’un des grands du sien.

Yvan Leclerc, Album Flaubert, 2021 Gallimard la Pléiade, 252 pages et 189 illustrations, offert pour l’achat de trois livres de la Pléiade – ou en vente pour €35 sur les sites

Gustave Flaubert chroniqué sur ce blog

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Nu au compteur

Le nu ne s’est jamais aussi bien porté… sur le net. Cela alors que la morale ambiante est de plus en plus puritaine, contrainte par les trois religions du Livre grimpant vers l’intégrisme.

En témoignent les « termes recherchés » sur les moteurs qui aboutissent à mon blog – en regard des articles les plus lus.

Un florilège des mots ou fragments de phrases tapés en recherche, avec leur orthographe incertaine et leurs raccourcis cocasses mérite d’être cité :

  • fantasme etre surprise entré d’être baiser rudement raconte
  • tahitienne vahiné seins
  • famille à la masturbation
  • robin bande torse nu
  • gamin baiseur
  • rodin vagin
  • dénudé de force
  • films des femmes ont décidés de vivre nue dans la jungle inospitaliere de primates cannibales indigenes
  • ados en chaleur
  • polynesian teens
  • fillette jupette
  • les enfants regardent des films porno
  • adolescent nu baiseur
  • troc sexuel polynesie
  • jeune slip
  • youporn 13an et sa mère
  • nu garçon ligoter
  • film des seins
  • sein nu moyen
  • kidnappés par une bande de garçons
  • dieux du stade 2020 non censuré
  • les grands-parents baisent en privé
  • fille de16ans gouine xxx
  • jeunes esclaves
  • tahitienne bikini amateur
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  • donald trump etant scout
  • nue au pogrom
  • elle avale sous les arbres

« Surprise, seins, bander, nu(e), baiser, dénudé, en chaleur, troc, jupette, slip, ligoter, esclave, bikini, sans culotte (révolutionnaire ou soixantuitarde ?), naturiste, punition, cul, sucer… » montrent une adolescence fiévreuse. Le terme « gamin » ou la mention de l’âge questionne sur la première fois, sur l’âge du premier désir, sur la curiosité plus que sur les actes : « bande dessinee en francais pour adulte concernant la baise qui est lisible », « gamin baiseur », « polynesian teens ». La naïveté des termes laisse parfois pantois : « naturistes tous nu » – on se demande pourquoi ils seraient naturistes.

Les références aux Noires, à une fille touareg, à une « française bourgeoise » ou à la nudité « au pogrom » laissent penser qu’il y a de la « diversité » chez les quêteurs de réponse. Avec un certain sadisme parfois : punir pour mettre à jouir. Le pire et le plus drôle étant le « donald trump etant scout » : le questionneur souhaite-t-il que le paon macho yankee se soit fait violer par un moniteur prêtre ?

Ne viendrait-on majoritairement sur mon blog que pour le sexe ?

Parmi les articles les plus lus depuis l’origine (2010), on trouve quand même Tahiti, l’euro, Le Clézio, Stevenson, Céline, l’antisémitisme, Facebook, entre autres. Parmi les articles les plus lus dans les derniers sept jours, Stendhal et la politique, le mouvement social de los Indignados en Espagne, Nietzsche, Philip Roth et Philippe Sollers – même si la misère sexuelle et les corps chantent à la plage sont en bonne place.

Au fond, les moteurs de recherche ramènent surtout les images du blog dans leurs filets, moins les textes. Quand ceux-ci font l’objet d’un mot-clé, le lecteur est tout de suite plus sérieux : prof ou scolaire, amateur cultivé, chercheur. Mais si je ne mettais aucune illustration, comme un ancien blogueur qui se piquait de mots, je gage que les visites sur mon blog seraient bien moins fréquentes. Les images attirent sur le texte et font du buzz ; on vient ensuite pour plus sérieux, comme les auteurs au programme de français ou de philo, ou même sur la politique.

Il est bon de regarder de temps à autre ce qu’on lit des publications que l’on donne. Pour ne pas rester hors-sol, pour prendre le pouls du lectorat, pour s’expliquer les quelques 1200 visites quotidiennes – et plus le dimanche (est-ce pour la critique de film ou par qu’il y a plus de temps pour surfer ?).

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Misère sexuelle début de siècle

Michel Houellebecq avait raison, il y a plus de vingt ans, de dénoncer la fausse « libération » sexuelle post-68. L’exigence de la mode était de baiser à tout va, n’importe où, et avec n’importe qui. « On aime s’envoyer en l’air » décrétait un vieux couple – jeune en 1968 – dans une récente publicité pour un comparateur de vols aériens. Mais être dans le vent ne signifie pas que le vent vous porte : il peut aussi vous souffler.

Pire est la sexualité adolescente d’aujourd’hui, avant tout numérique. Le réel fait peur, la faute aux parents timorés qui enjoignent à leurs petits de ne pas faire confiance, à personne, jamais. Ni sourire dans la rue, à peine un salut (et seulement aux gens déjà connus), ne pas suivre. L’hystérie télé est passée par là avec les « affaires » médiatiques de pédophilie. Même si elles sont statistiquement rarissimes (et à 75% en famille…), pas plus fréquentes hors domicile que les homicides, et moins que les morts par accident de voiture, elles contraignent le comportement de tous, tous les jours. A force de s’enfermer, la société crée des autistes : pourquoi cette pathologie se développe-t-elle autant ces dernières décennies ?

Certains rigoristes, en général esclaves de morales religieuses jamais pensées, mettent en cause la capote, la pilule et l’avortement comme un lâcher de freins. Les femmes, désormais libérées d’une grossesse non désirée, se débonderaient. Goules hystériques, elles sauteraient sur le premier venu pour se faire jouir, allant d’amants romantiques (mais bien membrés) aux sex-boys et aux tendres sex-toys éphèbes des cougars. Mais le fantasme mâle patriarcal des religions du Livre ne fait pas une réalité. Les filles sont tout aussi tendres et affectives que les garçons et, si leur jouissance est plus lente à venir, exigeant tout un environnement physique, affectif et moral, elles n’en sont pas plus animales.

Contrairement à ce que voudrait faire croire la doxa machiste – et le commerce bien pensé. L’industrie du porno fleurit en effet d’autant plus que les outils du net sont désormais à sa disposition depuis une génération. Des acteurs et actrices payés pour cela « jouent » un rôle en exhibant leur sexe, soigneusement maquillé  (épilation, lustrage rose des petites lèvres pour les filles, huilage des muscles et viagra pour les garçons). Ils caricaturent « l’acte » en le multipliant, prenant des poses de cascadeurs, émettant des sons de jouissance comme les rires mécaniques des émissions drôles. Tout cela vise à divertir, à exciter, à vendre – tout cela n’est pas la réalité.

LA BOUM, Alexandre Sterling, Sophie Marceau, 1980

On ne fait pas des bébés dans l’outrance pornographique mais dans l’amour partagé. Et c’est cela qu’il faut expliquer aux enfants. Les tabous iniques des religions du Livre (toujours elles) empêchent les parents de jouer leur rôle de guide. « On ne parle pas de sexe, c’est grossier ; ce n’est pas de ton âge ; on verra ça plus tard ; le docteur t’expliquera ; tu n’as pas de cours d’éducation sexuelle à l’école ? » ; « pas de torse nu à table » ; « cachez ce sein que je ne saurais voir » ; « ferme ta chemise ; met un tee-shirt ; met tes chaussures ! » Ces injonctions du rigorisme puritain effrayé par le qu’en dira-t-on, que n’en avons-nous entendu ! Or ne pas dire, c’est cacher. Induisant donc la tentation de l’interdit et son revers : la solitude devant l’émotion.

Les enfants dès le plus jeune âge sont confrontés aux images pornographiques. Non seulement dans la rue parfois, mais surtout sur le net. Vousentube diffuse des vidéos sans filtre ou presque ; d’autres sites en accès libre sur Gogol permettent d’observer des corps nus s’affronter dans des halètements ou sous des coups violents, les pénis érigés comme des masses et pénétrant comme des couteaux terroristes le corps des victimes esclaves – qui ont l’air d’en profiter et de jouir, comme les mémères appelées à la consommation par les magazines à la mode lus chez le coiffeur.

Que font les parents ? Ils chialent lorsqu’on leur met le nez dedans, comme des toutous peureux la queue entre les jambes. « Je ne savais pas ; ma petite puce ! » ou « mon cher ange ! Comment penser qu’à cet âge innocent… » Ils ne voient pas parce qu’ils ne veulent pas voir. Ils se cantonnent dans leurs soucis et leurs problèmes de couple, indifférents au reste, sauf à Noël et aux anniversaires peut-être. Ils n’écoutent pas, ils ne répondent pas aux questions.

Pourtant légitimes : comment fait-on les bébés ? c’est quoi l’amour ? mes petites lèvres sont-elles trop grandes ? mon zizi est-il trop petit ? comment on met une capote ? sucer, c’est mal ? Si les parents répondaient avec naturel à ces questions intimes, sans fard mais avec raison, les enfants et les adolescents ne seraient ni intrigués par l’interdit, ni traumatisés par l’expérience. Mais voilà, les tabous ont la vie dure – sauf sur le net, où tout se trouve comme au supermarché.

Vaste hypocrisie des sociétés « morales » qui ont pour paravent la religion mais laissent faire et laissent passer sans filtre tout et n’importe quoi. Les Commandements sont affichés et revendiqués, mais nullement pratiqués. Tout comme ces « règlements et procédures », en France, qui ne durent que le temps médiatique : on fait une loi – et on l’oublie : tels l’interdiction des attroupements d’élèves devant les écoles, le voile en public, l’expulsion des imams salafistes, l’enquête sur les habilités au secret Défense, et ainsi de suite. La loi, pour les Latins, est toujours à contourner, par facilité, laxisme, lâcheté.

Dès lors, comment ne pas voir la misère sexuelle de la génération qui vient ? Regardez successivement deux films et vous en serez édifiés. La Boum sorti en 1980 et Connexion intime, sorti en 2017. Ils ont 37 ans d’écart – une génération. Ils sont le jour et la nuit. Ils se passent tous deux en lycées parisiens, à la pointe des tendances sociologiques. Les parents des deux films sont toujours occupés et ne prennent pas le temps de parler à leurs adolescents, garçon ou fille – qui cherchent ailleurs communication et affection. Mais autant La Boum est romantique et pudique, autant Connexion intime est égoïste et mécanique. La sensualité n’existe plus, les cols sont fermés, les torses enveloppés de tee-shirts larges et de sweaters informes, les manteaux boutonnés – seules les filles s’exhibent, mais dans leur chambre et à distance, en sous-vêtements coquins, se prenant en selfies pour poster sur les réseaux.

« L’amour » s’y réduit au sexe et les caresses n’ont plus leur place : on ne se touche plus le visage, les épaules ou la poitrine, on ne se caresse pas les seins ni les tétons. Seules la bouche et la bite sont sollicitées avec pour summum « d’Acte »… la pipe. On suce dans les toilettes, on se branle devant un film – mais on ne parvient à rien sur un lit avec un ou une partenaire réelle. D’où Félix accro au porno et Luna qui se met en scène comme une star sur un site de rencontres. Chloé, 15 ans, provinciale parachutée à Paris, cherche l’amour et ne le trouve pas ; ni son amitié avec Luna (qui la manœuvre), ni son inclination pour Félix (qui l’utilise) ne sont de l’amour. Ce n’est que du sexe, égoïste, mécanique. Les ados de La Boum étaient tendres, mignons ; ceux de Connexion intime sont froids, répugnants.

Entre les deux films, le net. Outil qui est la meilleure et la pire des choses, comme tous les outils. Mais surtout la démission égoïste des parents, portée par cet individualisme du « ils n’ont qu’à se démerder » ou du « que fait l’Etat ? », déjà pointé par Michel Houellebecq dans Les particules élémentaires en 1999.

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Gilets jaunes et grande peur

La mutation accélérée de la société après la révolution numérique et la crise de 2008 ressemble à la mutation accélérée de la société après l’essor des chars et des avions et de la guerre de 14. Mais la grande peur aujourd’hui se focalise à très court terme sur les taxes et le diesel, à moyen terme sur « l’invasion » arabe immigrée et à plus long terme sur le changement du monde (climat, numérisation, réduction des emplois, angoisse pour la retraite, raréfaction des matières premières, lutte pour la vie des nations pour l’accès aux ressources).

L’autre, et plus généralement le changement, font peur. Le mâle, Blanc, périphérique et peu lettré ne suit plus l’élite mixte, diversifiée, parisienne et diplômée, censée le conduire – sinon vers un vers un avenir radieux comme hier – du moins vers le progrès et la hausse du niveau de vie.

Les années 1920 aux Etats-Unis avaient fait naître les lois restrictives sur l’immigration tout comme aujourd’hui Trump menace les migrants massés aux frontières du Mexique de leur envoyer l’armée. Les années 2010 en Europe voient la montée des partis de droite extrême un peu partout, la parenthèse d’accueil massif Merkel se retournant très vite contre elle. Il n’est pas étonnant qu’Emmanuel Macron veuille se situer sur la ligne de crête, généreux en discours et frileux en accueil : la population ne veut pas d’immigration massive.

Il ne s’agit pas de « racisme » (ce gros mot galvaudé qui ne concerne que les Blancs mâles et bourgeois mais ne s’applique nullement aux colorés victimaires qui auraient tous les « droits », selon les experts sociologues, en raison du « contexte »). Les immigrés individuellement et les familles sont secourus et accueillis : ce qui fait peur est la masse. Surtout après les attentats racistes de 2015 qui ciblaient les journalistes libre-penseur, les Juifs, les policiers, avant de frapper indistinctement tous ceux qui ne pensaient et n’agissaient pas comme Allah le voudrait, écoutant de la musique, buvant de l’alcool, s’exhibant aux terrasses de la ville ou sur la promenade des Anglais en tenue très légère. Masse allogène plus religion sectaire forment la grande peur des gens « normaux ».

L’heure est donc à la « réaction ». Au retour sur le monde d’avant, réputé « paisible » parce qu’il est bien connu, donc apprivoisé. Les manifestations contre le mariage gai, l’avortement, le féminisme agressif, l’écologie punitive – et toujours les taxes – ne sont qu’un symptôme de ce grand frisson de la pensée face aux dangers de la mondialisation et du futur menaçant.

Isolationniste, protectionnisme et nationalisme font leur grand retour. On sait ce qu’il est advenu dans les années 1930, la décennie suivant les années folles : la crise boursière, financière et économique de 1929 a conduit à la crise sociale et aux révolutions politiques qui ont abouti à la guerre.

Aujourd’hui, la déréglementation qui se poursuit pour capter les nouveaux métiers numériques et mondialisés, la raréfaction des ressources publiques pour aider les éprouvés de la vie, et la guerre commerciale initiée par le paon yankee, aggravent les effets de cette désorientation sociale.

Un nouveau cycle politique commence. Il est initié en France par le grand refus 2017 des vieux caciques focalisés sur leurs petits jeux de pouvoir entre egos, sur le rejet des partis et syndicats traditionnels bloqués dans leur langue de bois et par leurs postures. Emmanuel Macron se posant comme « ni de droite ni de gauche » assure la transition nécessaire (et raisonnable). Mais il n’est qu’un pis-aller pour les gens, un recul réflexe face aux extrémismes, notamment celui de la droite Le Pen qui apparaît comme peu capable.

En revanche, l’étatisme centralisateur jacobin renouvelé – qui est le mal français déjà pointé par Alexis de Tocqueville et Alain Peyrefitte – attise le ressentiment entre ceux qui se sentent de plus en plus pressurés et exclus, et ceux qui vivant à l’aise dans l’inclusion. Les « gilets jaunes », dans leur anarchisme spontanéiste, révèlent cet écart grandissant. La technique permet de se sentir entre soi au-delà des affinités de quartier ou de village : Facebook est passé du fesses-book des débuts (où chacun exhibait son corps et ses états d’âme) en moulin à pétitions en tous genres. Avec cet égoïsme et cette niaiserie spontanée d’une population qui ne lit plus, ne réfléchit plus et se contente de « réagir » par l’émotion aux images dont elle est bombardée via les smartphones et les gazouillis. Aucune hauteur mais chacun dans sa bande, sa tribu ; tous ceux qui ne pensent pas comme le groupe sont exclus, surtout les journalistes qui « osent » publier les points de vue différents. L’intérêt personnel purement égoïste et le nombril tribal remplacent la citoyenneté.

La « démocratie » recommence à la base, comme à l’école maternelle. Comment s’étonner que « les pouvoirs » reprennent le rôle du maître d’école ou de la maîtresse ? Macron comme Trump (ou Poutine, Erdogan, Xi Jinping, Bolsonaro et d’autres) savent qu’il faut s’imposer face aux « enfants » – soit en gueulant plus fort qu’eux pour les entraîner à sa suite (modèle du fascisme), soit en restant ferme sur ses positions argumentées et se fondant sur la lassitude des violences et des casseurs qui dissout vite toutes les révoltes quand il faut chaque jour faire bouillir la marmite (modèle jacobin).

Mais cela n’a qu’un temps car la révolte est un symptôme : à ne pas traiter les causes de la grande peur, les politiciens risquent gros. Si une nouvelle crise financière (donc économique) devait survenir prochainement, nul doute que les jacqueries se transformeraient cette fois en révolte ouverte et que les partis les plus attrape-tout et tribuniciens l’emporteraient en raz de marée irrépressible. Avec les conséquences que l’on peut entrevoir au regard de l’histoire.

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Maxime Chattam, L’âme du mal

L’auteur s’est fait connaître à 24 ans par ce thriller. De double culture franco-américaine, ayant beaucoup vécu à Portland dans l’Oregon (où il situe la scène), il maîtrise parfaitement les règles du roman de frissons. Il le déclinera en trois tomes successifs avec le même héros, un Josh qui lui ressemble, avant de passer à autre chose. C’est très réussi, long, bondissant, sadique, torride – efficace.

Les États-Unis, pays jeune, ont renouvelé l’art du roman. Notamment via le thriller, ce livre-cinéma où le thème est dramatique et l’écriture aussi nette et basique que celle du Code civil (comme le voulait Stendhal). Le découpage des séquences en courts chapitres, le style direct et percutant, les images chocs figées comme des photos, la fin en forme de suspense – tout concours à faire du genre une animation sous forme de livre. Maxime Chattam s’est documenté, Maxime Chattam s’est exercé, Maxime Chattam nous tient en haleine.

Contrairement au style jeu vidéo qu’il explorera (sans grand succès) dans Prédateurs, ses personnages ici ont de la consistance et les principaux ici sont attachants. Ses tueurs psychopathes sont réalistes et ses professionnels de la police et de la médecine légale compétents. On y croit.

Le rythme qu’il attache à son récit ne faiblit pas, les scènes sont denses, le sujet fouillé. Non sans exagérations « gothiques » telle cette scène de baise dans une bibliothèque satanique, ce poulet noir au cou tranché à la hache par un vieux forestier interrogé par… un poulet PD (Police Department), ou cette lueur rouge dans les yeux du détenu.

Le style qu’il prend pour raconter est presque abrupt mais ne néglige pas, dans les moments de détente, les mots choisis. Lui qui écrira en basic french par la suite, énonce ici des termes tels que rubigineux, nitescence, céruléen, fuligineux, gibbeuse, lactescente, écale, gabelle… probablement listés bruts dans le dictionnaire. Mais, après tout, un peu de poésie dans un monde de brutes ne nuit pas.

Car les tueurs se déchaînent en boucheries et mises en scène. Détruits dans l’enfance par les maux de l’Amérique (la rigidité protestante, la répression sexuelle, le mépris social, les errances parentales égoïstes), les pervers choisissent leurs victimes. Elles incarnent en général le rêve américain, elles sont belles et studieuses. Elles sont étouffées, étranglées, poignardées, lacérées, amputées. Le jeune inspecteur Josh Brolin (prononcez broline) formé au profilage FBI avant d’exercer dans la police, aura fort à faire pour arrêter le massacre. Fort à imaginer surtout pour se mettre dans la peau du tueur, voir qui il peut être et anticiper ainsi ce qu’il projette. Non sans échecs…

Le Bourreau de Portland (ville du nord-ouest, au nord de la Californie et à quelques 400 km au sud de Seattle) est bel et bien mort. Josh l’a tué. Mais qui reprend le flambeau et l’imite, jusqu’aux traits soigneusement gardés secrets par la police ? Un gamin de 12 ans qui se cache de ses copains dans la cabane abandonnée d’un parc hurle de terreur lorsqu’il découvre la première victime, nue, écartelée, sanglante, un couteau fiché dans le vagin – fantasme d’ado sadique. Nous ne sommes encore qu’au premier des neufs cercles de l’Enfer. A l’équipe policière de comprendre et d’agir, au lecteur de haleter et supputer.

C’est bien fait pour lui. Mais très bien fait aussi pour son plaisir.

Maxime Chattam, L’âme du mal, 2002, Pocket 2009, 521 pages, €7.50

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Eliminer

J’aime jeter, éliminer, faire de la place – et pourtant les livres m’envahissent. J’en possède plusieurs milliers et j’en ai lu plus encore en bibliothèque, pour mes études, à titre professionnel, ou prêtés par des amis, mon père ou mes frères. Je suis un gros lecteur, formé par une certaine solitude durant l’enfance mais aussi par la curiosité insatiable du monde et des êtres.

Je lis à peu près une centaine de livres par an, du pur divertissement en bandes dessinées aux traités de philosophie. Ces derniers, le crayon à la main pour dire l’écho qu’ils ont en moi sur ce blog.

Les livres passent, nombre restent. Certes, je donne ou je revends les romans que je ne lirai plus, les manuels vite obsolètes ou redondants. Mais quoi : il ne s’agit que d’une cinquantaine de livres par an alors qu’il en rentre toujours plus ! Résultat : c’est la crue. Le niveau monte, inexorablement, jusqu’à ce que mon attention s’émousse pour les nouveautés, jusqu’à ce que je possède une base suffisante de classiques et que l’informatique permette d’éviter les manuels. Mon espace est lentement envahi. Une fois multipliées les bibliothèques, le rangement se fait en double sur les rayonnages, une rangée derrière, une autre devant. Je classe parfois par taille pour gagner de la place, certains volumes empilés couchés pour gagner en hauteur. Et puis…

Arrive un moment où il faudrait changer d’appartement, acquérir une vaste pièce supplémentaire où les murs seraient tous garnis de livres jusqu’au plafond. Et puis encore… Je finis par me dire que je ne lirai jamais tout ce qui paraît, même pas tout ce qui m’intéresse, que je ne relirai pas l’intégralité de ce que j’accumule malgré mon désir, que les achats effectués représentent déjà plusieurs années de lecture à bon rythme. Comme toujours le monde est si vaste que l’on voudrait tout découvrir ; les êtres sont si beaux ou passionnants, malgré leurs défauts évidents, que l’on voudrait tous les connaître et peut-être les aimer s’ils en valent la peine ; on voudrait écouter toutes les musiques, voir tous les tableaux, visionner tous les films ! Mais une vie entière n’y suffirait pas et il faut bien choisir.

Il n’y a pas de critère sauf l’exigence personnelle. Chaque instant qui passe nous voit être le même et un peu différent. Lire, écouter ou regarder nous change parce que cette activité ne cesse de nous enrichir, de nous corriger, de faire surgir d’autres curiosités. Le livre que l’on aimait, on l’aime moins des années plus tard parce que nous avons mûri, vieilli, et que l’époque a changé. Un autre livre est venu et nous sommes plus sage. Notre bibliothèque est comme notre mémoire : sélective. Le tri doit se faire régulièrement, et il n’est jamais fini.

Seuls les classiques et les livres en images restent immuables – quoique la reproduction puisse faire des progrès et que l’écran soit plus lumineux et plus interactif. Eux seuls défient le temps, comme les musées, car nous pouvons en faire chaque jour une lecture nouvelle et, labourant le même champ, engranger d’autres récoltes. Lisez pour vous et, par exemple, lisez pour un autre – un enfant, un malade, un vieillard – vous verrez que vous ne lirez pas tout à fait le même livre. Faites la même chose pour les peintures, voyez-les seul et avec un autre ; elles seront subtilement différentes. Relisez adulte les œuvres lues ado, vous ne percevrez pas la même œuvre de la même façon. Ce qui reste doit être ce qui vous importe ; quant à ce qui ne résiste pas au temps, débarrassez-vous en.

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Mary reine d’Ecosse de Thomas Imbach

Tiré de la biographie de Marie Stuart par Stefan Zweig, ce film ambitieux et dépouillé se perd un peu. Le lecteur non initié à l’histoire de l’Ecosse ne sait trop à qui il a affaire. Cependant, l’histoire s’élève jusqu’à un beau portrait de femme. Elle se voulait indépendante, élevée un peu comme un garçon et montant son cheval à califourchon mais n’a jamais su trouver, dans ses maris successifs, l’homme qui l’aurait épaulée. Sauf le dernier, peut-être… dans le film.

Reine d’Ecosse à 6 jours après la mort de son père Jacques V, Mary est envoyée en France par précaution, tant les ambitions des nobles ne cessent de menacer sa couronne. Elle y est d’abord la reine des gosses avant d’épouser à 15 ans celui qui deviendra François II et qui n’a que 14 ans. Le garçon, maladif et sous la menace constante des querelles de religion, ne s’intéresse pas au sexe mais aux armes et à la chasse. Roi pour un an et demi à 15 ans, il meurt d’une otite mal soignée, laissant le royaume à son frère de 10 ans, Charles. Mary, ex-reine de France, reprend alors son titre de reine d’Ecosse et rentre au pays.

Revenue d’un pays nettement plus civilisé que le royaume pas encore uni, elle se trouve en butte aux intrigues et aux austérités d’Ecosse, pays de landes sauvages battues par les lames. Le film se perd parfois dans des séquences de brume et d’herbe trempée, sur une musique inquiétante. Mary voudrait la concorde civile, mais les fanatiques réformés, tel John Knox, font régner l’intégrisme. Tout fier de pouvoir lire la Bible tout seul depuis la diffusion de l’imprimerie à peine un siècle plus tôt, le théologien collabo de Calvin n’a pas le sens de lire l’Ancien testament à la lumière du Nouveau. Plus hébreu que chrétien dans son interprétation des écrits sacrés, il tonne contre l’autorité des femmes et contre les fantaisies de la cour. Mary Stuart ne sera pas sa copine. Il prêche que les autorités subalternes (comme lui) ont le droit divin de résister à un « tyran », celui (ou pire : celle) qui n’applique pas la discipline presbytérienne qu’il a créée. Et le demi-frère de Mary, James Stuart comte de Moray, le suit.

C’est le chaos. Est-ce pourquoi le film passe alors des images tressautantes, la caméra à ras de cheval en forêt ou sur la lande, qui font mal aux yeux et donnent la nausée ? Le bouleversement de Mary doit-il provoquer un malaise chez le spectateur ? On se demande si le souci de dépouiller et d’être à tout prix original ne gâche pas l’ouvrage. Mary a 21 ans mais n’est guère plus sage. Elle voudrait la paix mais ne sait pas trancher. Elle garde son protestant de frère comme conseiller et l’aide à se défaire du parti catholique qui est pourtant celui qui la soutient, mais elle ne veut ni se convertir pour faire comme son peuple, ni épouser un Anglais réformé pour unir les deux couronnes. Elle parle alternativement en français, en écossais et en anglais, ce qui fait un peu désordre dans la bande son, le sous-titrage surgissant incongru dans la version en langue choisie.

Mary Stuart décide de marier sur un coup de tête lord Darnley, un bellâtre qui est son cousin sous le nom d’Henri Stuart, petit-neveu d’Henri VIII. Celui-ci s’empresse de lui enfourner un fils, Jacques ou James, et se prend désormais pour le roi alors qu’il n’est que celui qu’on sort quand on en a besoin. Mary ne lui pardonnera pas d’avoir aidé à assassiner son conseiller français Rizzio et lui condamnera désormais son lit.

La reine d’Ecosse envisage alors comme amant le viril Jacques Hepburn, quatrième comte de Bothwell, qui l’a accueillie dès son arrivée au pays. Darnley est étranglé après que sa maison eut sauté à l’aide de barils de poudre. Le complot était-il de Bothwell ? Il en fut accusé aussitôt par tous ceux qui avaient intérêt à sa perte. Le film, cette fois, s’écarte de l’histoire officielle où il est dit qu’il « enleva » la reine avant de « la violer ». Mary reste maîtresse d’elle-même et couche volontairement avec Bothwell, l’encourage à lever des troupes pour résister aux lords, ne le laissant fuir que lorsqu’il n’y a plus aucune issue. Enceinte, on ne sait pas ce que l’avenir sera. Le film passe négligemment sur la suite, la perte par fausse couche de ses jumelles, déclarant que « la vie de Mary Stuart s’achève à 25 ans ». En fait, elle vivra jusqu’à 45 ans avant d’être décapitée par trois coups de hache d’un bourreau bourré, dernière punition pour une femme trop indépendante qui se croyait reine plutôt que jouet entre les pognes mâles des lords politiciens.

En rivalité mimétique avec Elisabeth, qui régnait en Angleterre, Mary écrivait des lettres et des poésies ; elle l’avait appris à la cour de France. Elle voulait rattacher le pays du mouton et du whisky au royaume civilisé, en pleine Renaissance, plutôt qu’aux rustres angles et saxons du sud. Mais la religion, ce paravent de tous les intérêts les plus vils, a empêché ce dessein. Malgré la lenteur un peu suisse du film, l’absence d’action malgré les beaux décors, reste un portrait féminin remarquable, tout en psychologie, superbement incarné par la sensuelle Camille Rutherford.

A voir rien que pour elle.

DVD Mary reine d’Ecosse de Thomas Imbach, 2013, avec Camille Rutherford, Sean Biggerstaff, Aneurin Barnard, Condor Entertainment 2016, 2h, €9.99

L’Ecosse sur ce blog

Le cinéma sur ce blog

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Gina Kim, Séoul visages d’une ville

Gina Kim est une vidéaste, autrement dit une artiste dont le crayon est une caméra. Elle ne voit le monde que dans l’œilleton de l’objectif. C’est dire si sa ville natale, la capitale de la Corée du sud, apparaît bizarre pour elle, qui l’a quittée à l’âge de 23 ans pour aller aux Etats-Unis. Elle revient et rien n’est comme avant – sauf peut-être l’odeur d’huître de certains quartiers ou les cris des enfants d’un autre. Quant aux bâtiments, soit ils sont en ruines et en cours de rénovation car datant de la période coloniale japonaise, soit ils sont reconstruits tout en verre et vous ne voyez que vous dedans.

Faces of Seoul est une vidéo à la gloire de la ville où elle est revenue en 2001 accompagner son père. Des bouts de film laborieusement collectés malgré la pluie, le verre et les mises au point, est sorti un documentaire en 2009, en anglais et en coréen. En 2017, l’auteur le décline en un livre illustré dont le texte est issu du documentaire, avec une page en coréen et sa traduction en français, plus une traduction globale en anglais tout à la fin.

Les images, photographiées sur un écran vidéo, montrent leur trame. Elles sont prises de si près, ou en atmosphère si sombre, que cela pourrait être n’importe où. Autrement dit, les images dans ce livre n’ont aucun intérêt pour un lecteur moyen. Faut-il avoir vu le documentaire de 2009 pour apprécier le livre de 2017 ? Publier ainsi est un peu étrange. S’agit-il de pouvoir revenir sur les mots, comme le dit le préfacier, alors que c’est impossible en vidéo ? La mémoire serait ainsi en cause, qui croit se souvenir alors que la réalité est autre. Mais ni le préfacier jargonneux, Dominique Bluher, ni le postfacier logorrhéique Jean-Louis Poitevin ne livrent la clé qui ferait apprécier cette « expérience » d’un livre.

Disons que c’est « d’art et d’essai », donc pour initiés parlant le même langage. L’auteur déclare, page 51, que « L’image ne fait que confirmer combien il est impossible pour nous de comprendre ce qu’elle représente ». Elle parle de Bouddha, pour qui tout est impermanence ; elle pourrait aussi bien parler de Séoul, qui ne cesse de changer en s’adaptant à la modernité. Le verre crée un paysage stérile…

Gina Kim, Séoul visages d’une ville – Un essai vidéo, 2017, Atelier des cahiers, 127 pages, €18.00

Attachée de presse Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 balustradecommunication@yahoo.com

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Notes du blog les plus lues en 2017

Voir ce que ceux qui viennent sur le blog lisent est intéressant pour l’auteur. Certes, les images comptent plus que les textes… S’il y avait des vidéos, j’exploserais les compteurs. Mais ce n’est pas mon but.

Je note que c’est le sexe et l’hédonisme qui arrivent en tête, comme d’habitude. Je ne parlerais que de « ça », je ferai jouir tous les lecteurs et racolerais sans problème. Mais ce n’est pas mon but.

Dans l’ordre, vous pouvez lire les goût des lecteurs dans le tableau ci-dessus, dont je rajoute quelque suite :

Sexe : troisième type, vahinés, troisième sexe, sexe à Cuba, sexe en Polynésie, amitié érotique
Plage : ados, ironies, corps, France et Christian Guillain, Jean-Didier Urbain, jeux
Antisémitisme : Céline
Le Clézio : Poisson d’or, Le chercheur d’or, Mondo, La ronde, Printemps, Gens des nuages
Philosophie : Montaigne, Nietzsche, Camus
Picasso : Pépita Dupont et son livre sur Jacqueline
Cuisine : rôti de porc, four tahitien, cuisine italienne

Il y a quand même de la littérature et de la philo. Je sais que ce sont les lectures « obligées » de collège et de lycée, mais quand même, je suis heureux de contribuer à répandre la culture.

Plus étrange, l’antisémitisme – mais qui dénote une vraie question que 70 ans d’antiracisme forcené n’a pas éradiquée – « grâce à » l’immigration d’une certaine catégorie de population. Rassurons-nous, ce n’est pas la republication prévue des œuvres antisémites de Louis-Ferdinand Céline qui va accentuer l’antisémitisme régnant ! Ne soyons pas hypocrites, les jeunes ne lisent presque plus. Mais c’est bien le Coran qui véhicule ces préjugés – et les interprétations intégristes littérales du livre sacré qui diffusent cette haine raciste. Chez Céline, j’ai tenté de montrer combien « la pureté », la volonté de se préserver des « souillures » a engendré cette paranoïa anti-juive – et c’est bien le fantasme de pureté et l’horreur sacrée de la souillure qui parsèment le Coran, pas seulement concernant les Juifs. Pourquoi vous voilez-vous la face ? Je vous rappelle que cette pratique de dissimulation est interdite dans les lieux publics en France – ce qui est bon pour la démocratie.

Restent deux égarés : Picasso et la cuisine. Pour la cuisine, rien que de plus normal, encore que je donne d’autres recettes que le porc – mais les gens ont semble-t-il du mal à rôtir sans dessécher. Pour Picasso, il s’agit de Jacqueline, qui n’a pas peint une toile, mais qui apparaît sympathique surtout sous la plume émérite de Pépita Dupont, journaliste qui l’a bien connue. Mais pourquoi cet engouement en 2017 ? je n’ai pas de réponse.

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Ecrire et publier sur le net, pour quoi faire ?

« Pourquoi écrivons-nous sur le net ? » s’interroge un blog suivi. La réponse qu’il apporte étant loin de me satisfaire, elle a le mérite de lancer le débat.

Ecrivons-nous pour combler l’écart que nous constatons entre le rêve et le réel, comme ce blogueur le laisse entendre ? Je ne le crois pas : ce ne sont pas des utopies ni des projets que nous écrivons, mais des analyses, des critiques, des indignations, des propositions. Nous ne sommes pas grands penseurs, ni « philosophes » estampillés ; nous ne faisons qu’exister au ras de la vie et des événements, cherchant à comprendre et à en tirer leçon. Nous pratiquons la petite philosophie de la vie bonne, pas la grande philosophie des systèmes.

Ce pourquoi ce que le blogueur ajoute, redonner sens à notre existence éclatée entre famille, travail et politique me paraît plus juste. Ecrire fait sens. Et pourquoi écrire plutôt que parler ou chanter ? Parce que l’écriture est un effort qui exige de soupeser le sens des mots et de les placer dans un ordre logique dans le but d’éclairer, voire de convaincre. La parole s’envole, l’écrit reste ; la chanson n’est que cri du cœur sans lendemain, dont on ne retient le plus souvent qu’une mélodie. Filmer, peindre ou dessiner sont des actes plus proches de l’écriture, mais avec le medium des images. Or les images font écran à la pensée car elles sont directes, plus immédiates que les mots, inhibant le recul nécessaire à toute réflexion.

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Car ce qui importe, au fond, est bien de « réfléchir ».

Réfléchir n’est pas refléter ni agir par réflexe. Non pas se poser en statue de soi comme dans les selfies, messages narcissiques qui proposent une image en situation pour les autres, quêtant avidement leurs sentiments. Non pas réfléchir en miroir, comme Trump ou Le Pen, reflétant l’opinion populaire et en se posant comme menhir : « ça, c’est moi, et je ne changerai pas ; à prendre ou à laisser ».

Non, la réflexion n’est pas ce degré zéro du sens matériel, mais l’action de soi à soi de se poser pour analyser ce qu’on est, d’où l’on vient, ce à quoi on croit. Seule l’écriture permet cette ascèse – que les gourous à la mode appellent parfois « méditation ». Descartes le classique en a écrit de célèbres en métaphysique ; Lamartine le romantique de non moins célèbres en poétique.

Pourquoi réfléchir ? Nous le constatons bien, très peu réfléchissent, se contentant « d’être d’accord » (le grand mot des commentaires de blog !) dans le fusionnel du nid des gens qui pensent comme tout le monde, ou « d’être choqués » (l’autre grand mot des commentaires) en réaction à une affirmation ou à un jeu de mots. Réfléchir ne ressort pas de ce genre de passivité flemmarde ; réfléchir implique un acte volontaire d’examen de soi. Acte de solitaire face à Dieu (Descartes) ou face à la solitude dans la nature (Lamartine), l’être qui réfléchit désire mesurer sa place dans l’univers et dans le temps. Répondre aux questions fondamentales du Qui suis-je ? D’où je viens ? Ou vais-Je ? Que sais-Je ?

Cela paraît de bien grands mots, qui passeront par-dessus la tête de la plupart. Mais point du tout ! Chacun est concerné parce qu’il réfléchit un minimum tout au long de sa journée, même s’il n’écrit pas. Il compare ses pensées avec ce qui survient, change ses plans, adapte sa conduite, examine et compare, juge. Ecrire permet seulement de rendre objectives ces réflexions fugaces, de les formuler en les déposant sur le papier ou sur l’écran pour y revenir, les polir, les corriger, les approfondir ou les éliminer.

Ecrire, sur carnet ou sur blog, est donc avant tout un acte de réflexion. Psychanalyse personnelle ou mise au point, écrire permet la distance que ne permet pas la parole ou le slogan (formats exigés par construction sur Facebook ou Twitter). N’avez-vous jamais expérimenté combien le crayon ou le clavier vont moins vite que la pensée, l’obligent à attendre la main, donc à revenir sur le pensé-trop-vite, à trouver des arguments, à étayer la logique, à soigner l’expression, à corriger les mots en affinant le sens ? Ecrire est une discipline qui formate la pensée dans un cadre qui permet son expression la plus fine.

Au détriment de la spontanéité ? Peut-être – mais RIEN ne vous empêche d’exprimer votre spontanéité AVANT de la faire suivre de votre réflexion. « S’exprimer » en cri du cœur soulage, mais ne change rien. Pour changer, il faut penser. Dire que vous êtes « indigné » de la mort d’un enfant immigrant sur une plage turque ne vous dispense pas de réfléchir au pourquoi et au comment, au possible et au nécessaire, à la politique et à la religion, au droit et au fait. Gueuler est toujours aisé, gouverner l’est moins, réfléchir toujours mieux.

Publier sur blog montre combien la réflexion désormais se raréfie, puisque que l’on en ressent le besoin.

Les livres sont vite écrits, mal pensés, vite oubliés.

Les journaux courent après l’événement sans prendre le temps de se poser.

Les médias radiodiffusés sont écartelés entre l’immédiat émotif et la cuistrerie bobo, BFM-TV et France culture pour faire bref, où le pire l’emporte trop souvent sur le meilleur. Seul le choc compte pour la télé, seule la pose (en général de gauche, « mainstream ») et les révérences (envers les intellos et les « zartistes ») comptent pour la radio (après 68 cul, après 86 culte, après Trump/Poutine/Erdogan/Le Pen culturiste ?).

Quant aux réseaux sociaux, les images ou slogans chocs ou mièvres « partagés » montrent combien chacun cherche plus le miroir que le stimulant, plus l’entre-soi que la remise en cause. Ce fut criant lors de la campagne présidentielle américaine.

Ecrire pour exister, pour poser sa pensée avant qu’elle n’aille plus loin et pour éviter qu’elle se fourvoie n’importe où ; écrire pour rassembler en soi nos existences éclatées, pour proposer à d’autres de faire de même et de participer à l’écriture collective de notre histoire… Il y a de tout cela dans le fait d’écrire sur le net.

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Alain Corbin, Les filles de rêve

alain corbin les filles de reve

Depuis toujours, les hommes ont chanté la nubilité. C’est le moment où la jeune fille se fait femme, dans l’enfance encore pour le cœur et l’esprit, déjà formée pour le corps. D’où cet attrait puissant qui trouble, la puberté créant pour quelques mois l’androgyne imaginaire. « Ces personnes étaient si belles, leurs traits si gracieux, et l’éclat de leur âme transparaissait si vivement à travers leurs formes délicates, qu’elles inspiraient toutes une sorte d’amour sans préférence et sans désir, résumant tous les enivrements des passions vagues de la jeunesse », écrit Gérard de Nerval dans Aurélia (p.148).

Le tout jeune homme rêve à la toute jeune fille, sans savoir encore que son désir n’est pas pur, éthéré, mais bien terrestre, émoi du printemps dans les corps, appel de la nature. Il garde le goût de l’absolu, la fascination pour l’inaccessible, l’angoisse d’être déçu. Cette tension fait le rêve et marque pour une vie.

artemis

Alain Corbin, historien du sensuel, décrit 19 filles qui ont hanté les rêves adolescents de l’antiquité à nos jours. Ou plutôt aux jours de la génération pré-1968 car après… rien n’a plus jamais été comme avant. Pilule, avortement, permissivité, féminisme, matérialisme hédoniste consommé, encouragement au sexe des médias, du cinéma, de la publicité – tout concourt à faire disparaître le rêve dans les fumées de l’avant. La schizophrénie chrétienne jusqu’alors coincée entre la maman et la putain, la Vierge et le bordel, est soignée par les journées de mai. Le rêve rejoint le réel et la fleur est déflorée avant même d’être épanouie.

fille nue caresse

Aujourd’hui, « les pédagogues commencent d’enjoindre les relations physiques dès la puberté », écrit Alain Corbin dans sa préface (p.23) ; l’ange fait la bête dès 9 ans parfois, bien avant les 17 ans (avoués) de « la moyenne statistique » – les profs de collège le savent bien. Il est vrai que, si cette pratique de nature était répandue, elle calmerait l’ivresse de pureté des fanatiques religieux frustrés, de quelques bords qu’ils soient !

nausicaa et ulysse nu paxton

L’imaginaire sentimental s’est créé de ces filles de légende, de papier, de peinture ou d’opéra jusqu’à l’âge récent du faire et l’abandon encore plus récent du lire. Aujourd’hui, l’imaginaire se nourrit des images, pas des fumées, et « la fille de rêve » ressemble fort aux gros seins et rauqueries du porno mal filmé. Mais jusqu’à la fin des années soixante, la beauté blanche aux yeux brillants et à l’abondante chevelure blonde du jeune corps souple élancé, au maintien réservé et tendre, remporte tous les suffrages. Elle ravit d’un « amour du commencement » (Chateaubriand), mystérieux de désir et d’innocence mêlés.

ophelie millais

Telles sont Artémis (Diane), « la grande beauté inaccessible à l’homme » (p.28) ; Daphné comme belle plante ; Ariane d’amour blessée ; Nausicaa aux bras blancs de pudeur qui sauva Ulysse naufragé tout nu ; Iseut, dame des pensées, inaccessible et enchanteresse par magie ; la Béatrice de Dante dans tout l’éclat vertueux de ses 9 ans ; la Laure de Pétrarque à 19 ans qui l’a saisi d’un éternel présent au souvenir ; la Dulcinée du Quichotte, robuste paysanne qu’il voit en noble dame éthérée ; la Juliette de Roméo qui ne peut accomplir son amour tragique ; l’Ophélie virginale abandonnée d’Hamlet et que la rivière engloutit ; la Belle au bois dormant réveillée par son Prince si charmant, avant d’avoir beaucoup d’enfants ; Pamela de Richardson, bien oubliée de nos jours mais que Diderot plaçait très haut ; Charlotte la tendre et bonne qui jamais ne se donna à Werther, qui en mourut ; Virginie dormant enlacée avec Paul au berceau, aussi naturellement nus que les firent la nature ; Atala, morte vierge dans l’imaginaire de Chateaubriand ; la sylphide du même, créée « par la puissance de mes vagues désirs » (p.129) ; Graziella de Lamartine, entrevue en Italie dans la pudeur de ses 16 ans ; Aurélia de Nerval, « assemblage de masques furtifs » (p.144) ; jusqu’à l’Yvonne de Galais du Grand Meaulnes, enfantine et grave à la fois…

atala girodet 1808

paul et virginie ados

yvonne de galais dans le grand meaulnes

paul et virginie enlaces tout nus nicolas rene jollain 1732 1804

Ces 19 figures de rêve résument les attentes, les espoirs, les idéaux des jeunes hommes ; ils désirent la pureté et l’union des âmes avant l’union des corps et des cœurs. Platonisme de l’idéal, amour courtois de la rétention, pudeur puritaine de l’abstention, élan maîtrisé de la sublimation… Mais le bouleversement anthropologique de la seconde moitié du XXe siècle a sévi : « elles sont donc évanouies, ces images féminines autrefois fascinantes », dit l’auteur (p.162). Ce livre est donc pour ceux de la génération d’avant 1960. Une nostalgie.

Alain Corbin, Les filles de rêve, 2014, Champs Flammarion 2016, 171 pages, €8.00

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Décrypter l’information

Véhiculer telles quelles les images et les arguments des autres, ce n’est pas de l’information. C’est soit de la naïveté de foule, soit de la désinformation.

L’information est une suite de faits établis, issus de sources fiables, vérifiés par recoupements et analysés dans leur contexte.

L’information est un travail de professionnel – un métier. Il est pratiqué par les bons journalistes, mais pas seulement. Il est pratiqué aussi tous les jours par les chercheurs, les professeurs d’université, les diplomates, les services de renseignement et les gouvernements, les économistes spécialisés en intelligence économique, les stratèges boursiers, les décideurs des grandes entreprises, comme par tous ceux qui, non professionnels, s’intéressent à un sujet sans a priori – en bref par tous ceux pour qui une information précise, vérifiée et rapide est vitale.

La naïveté de foule est, pour l’individu, de suivre sans réflexion « ce qui se dit ». Il s’agit de véhiculer l’opinion commune, juste pour paraître comme tout le monde, dans le vent. Cette naïveté est très proche de « la bêtise », si bien analysée par Flaubert dans son Dictionnaire des idées reçues, comme par Nathalie Sarraute dans Disent les imbéciles.

La désinformation est le contraire de l’information.

Elle est donc de présenter pour « vrais » des faits hypothétiques ou déformés, issus de sources obscures, non vérifiés et sortis absolument de leur contexte. La désinformation s’apparente à la rumeur.

Or la rumeur est un mode de pensée magique qui reflète un climat social et projette sur un bouc émissaire une angoisse collective. Une pensée magique est une pensée sortie absolument de l’histoire, un fixisme des « essences » à la manière de Platon dans le mythe de la caverne. Les faits ne se produisent pas ici et maintenant mais sont l’archétype de faits éternels qui se reproduisent mécaniquement, quel que soit le contexte. Ainsi le Traître, l’Ogre, le Cheval de Troie, le Complot…

Nul besoin alors d’analyser avec précision ce qui s’est produit le 11 septembre 2001 à 9h03, ni d’enquêter pour vérifier et recouper – il suffit de partir à l’envers. Évoquer le Mythe lui-même, comme certains invoquent le Diable, fait apparaître une structure logique, immédiatement compréhensible, à laquelle tous les petits faits viennent, comme miraculeusement, s’agréger. Hélas ! Il ne suffit pas d’être « logique » pour être « vrai »… Une logique peut être délirante lorsqu’elle part de prémisses fausses ou déformées. Elle est alors proprement « paranoïaque ».

Croyance intime ou volonté de vendre et se faire mousser, nombreux sont les « événementistes », qui mettent en scène leur propre personne pour se faire ainsi reconnaître via le net. Car Internet a amplifié ce phénomène : il suffit de peu de moyens et d’un peu de temps libre pour créer l’illusion d’une vraie « presse en ligne ». Mais les artifices de mise en page ne remplacent nullement le professionnalisme, ni l’unique rédacteur le garde-fou d’une véritable équipe de rédaction.

sophistes

Comment analyse-t-on une désinformation ?

Il faut procéder comme l’ont fait Marx, Nietzsche, Freud ou Foucault : en faire la généalogie. Pour remonter à la racine de la mise en scène de théâtre, présentée comme « information », il faut se poser les questions habituelles à tout enquêteur :

  • à qui profite le crime ? Ledit crime étant la désinformation présentée comme « vraie »
  • qu’est-ce qui a poussé le criminel ?
  • quels sont les ressorts dont il a joué pour réussir son crime ?

La désinformation, en présentant comme paradoxale l’information officielle, attire l’attention. Quoi de plus efficace dans une société tout entière remuée par les médias ? Exister, c’est apparaître au public, donc produire un choc. Soyez serial killer, terroriste de masse, chanteur mignon, footeux gagnant ou politicien béni par les sondages – vous paraîtrez à la télé. Et comme disait le bon Dr Goebbels – expert en la matière – « plus c’est gros, plus ça passe ». Tel est le ressort profond de la propagande. A qui profite le crime ? – Mais à celui qui le commet, bien sûr, lorsqu’il s’agit de désinformation.

Le mauvais journaliste qui veut se faire reconnaître par la société a donc intérêt à choquer l’opinion pour émerger. A fortiori celui qui n’est même pas journaliste, ni historien. L’auteur de la vraie-fausse info agit tout comme le psychopathe qui joue avec la police. Qu’est-ce qui a poussé le criminel ? – Mais le désir d’être reconnu, d’avoir son « petit quart d’heure de célébrité » dans la lucarne du village global, comme le prédisait McLuhan.

Une opinion, quelle qu’elle soit, trouve toujours des relais dans le public, notamment via ses fantasmes.

Le ‘Canard Enchaîné’ du 3 avril 2002 écrivait avec son ironie habituelle : « Futurs auteurs de best-sellers, voici donc la recette imparable : identifiez un événement qui a frappé l’imagination des foules, décortiquez les mensonges officiels (car il y a toujours, évidemment, dans les vérités officielles, des lacunes, des arrangements, des paradoxes, des dissimulations), et remplacez-les par un gros bobard que vous aurez trouvé sur Internet. C’est facile, il n’y a qu’à se baisser ! » Ensuite, il suffit de raisonner juste… sur la base d’informations fausses. C’est bien le propre de la logique paranoïaque. Tout est bon à la propagande, même le mensonge, s’il paraît « logique ». Quels sont les ressorts dont il a joué pour réussir son crime ? – Mais la structure de la société de l’information elle-même, et la fierté nationale ou sectaire, toutes deux amplifiées par Internet !

Ce pourquoi méfiez-vous des rumeurs sur Facebook, des fausses informations du Réseau Voltaire et de tous gens qui écrivent sur les sites non professionnels comme Agoravox qui n’énonce pas que des faits vérifiés. Méfiez-vous des fantasmes de Complot mondial (évidemment juif), fomenté par (évidemment) la CIA, financée (évidemment) par le complexe militaro-industriel de la Trilatérale. Et pourquoi pas le Diable, tant que vous y êtes ? Trop « d’évidences » ne signifient pas vérité mais, au contraire, sophisme !

Jean-Noël Kapferer, Rumeurs
Pour décrypter la désinformation, le site Hoaxbuster
En français Conspiracy Watch
Prevensectes
Pour lire les sophismes

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Michel Tournier, Gaspar, Melchior et Balthazar

michel tournier gaspar melchior et balthazar

Voici un conte initiatique dans le style de Voltaire qu’il n’est pas besoin d’être croyant pour apprécier. Nul ne connait rien sur les « rois » mages car seul Matthieu en parle dans son évangile et encore, en creux, selon les bons plaisirs et les colères qu’il relate du roi des Juifs Hérode. Nul ne sait même s’ils furent trois, supputation tirée des trois présents cités (mais symboliques…) que sont l’or, l’encens et la myrrhe.

Puisque l’on ne sait rien de ce mythe fondateur du christianisme, Michel Tournier invente. Un Gaspar nègre, roi de Méroé, tombé amoureux d’un couple de jeunes blancs phéniciens tombés en esclavage, elle fascinante, lui très jeune et musclé, tous deux aux cheveux d’or. Mais son amour ne lui est pas rendu et il part en voyage ; son mage ne lui a-t-il pas annoncé le passage d’une comète aux cheveux d’or qui file vers le nord ?

Balthazar, roi de Nippur, est sage et amoureux de la beauté. Il s’est entouré d’une troupe de jeunes pages qui forment une société d’élite, les Narcisses. Mais son clergé obtus a la phobie des images et détruit, en son absence, tous les trésors ramenés de Grèce et d’ailleurs.

Melchior est un tout jeune prince que son oncle veut tuer pour hériter du trône. Il s’enfuit avec un seul serviteur, vers l’ouest pour tromper l’ennemi, et échoue à Jérusalem où il se fond dans les ambassades de Gaspar et Melchior pour rencontrer le roi Hérode.

Ce dernier est bien connu des historiens et le Juif Flavius Josèphe, mort en 100 après le Christ, relate en détail son histoire de pouvoir et de sang. Michel Tournier en fait un exemplaire de grand fauve politique et il n’a pas de mots assez durs pour décrire la corruption de l’âme que procure tout pouvoir, le pouvoir absolu corrompant absolument. « La terrible loi du pouvoir (…) frapper le premier au moindre doute » p.130. Ce qui explique la solitude personnelle sans remède, l’absence totale de confiance donc d’amour, la vie desséchée sans cesse sur le qui-vive et dans l’action permanente. Une négation même de l’humain… que nos politiciens illustrent à satiété, tout comme les traders, les Tycoon et les bêtes médiatiques.

L’écrivain invente le prince Taor, 20 ans, venu de Mangalore à la recherche futile de la recette du rahat-loukoum à la pistache, et qui va manquer l’Enfant né dans la crèche de quelques jours. Il manquera de même le dernier repas du soir lors de la Cène, 33 ans plus tard. Mais il est le seul (hors les apôtres) à avoir cru sans voir, et à avoir communié sans intercesseur. La quête du sucre l’a conduit au purgatoire des mines de sel avant que sa soif soit désormais étanchée dans l’éternel.

Allègre et ironique, léger mais profond, Tournier conte la geste de la modernité sans aucune lourdeur. Il fait parler le bœuf, qui n’a pas grand-chose à dire mais reste à ruminer, et l’âne, beaucoup plus bavard mais qui ne sera plus méprisé lors de l’entrée à Jérusalem le dimanche des Rameaux. Le conteur se laisse aller parfois à son imagination, qui déborde. Ainsi du « thé vert » bu en Arabie heureuse au début du 1er siècle de notre ère (p.194) – il n’a été introduit que bien plus tard -, ou encore cette forêt de baobabs géants servant de tombeaux au nord d’Eilat (p.203). Nous sommes plus dans la Légende dorée que dans l’histoire, mais ces écarts de fantaisie donnent couleur au mythe ainsi revivifié.

Il décrit les habitants de Sodome – les Sodomites – comme « ces maudits, ces réprouvés, unis par un esprit acéré de négation et de dérision, un scepticisme invétéré, une arrogance savamment cultivée. Ils étaient trop évidemment prisonniers d’un parti pris de dénigrement et de corrosion qu’ils respectaient scrupuleusement, comme la seule loi tribale » p.259. On peut reconnaître, à peine déguisée, la critique du petit milieu homosexuel des lettres françaises des années 1970. L’auteur pousse ce retournement maléfique à la conversion de toutes les valeurs, à l’inversion des mœurs, au dépit des échanges, à la fuite du soleil, à la haine de la vie.

Michel Tournier est tout au rebours. Il invente comme il est, en gourmand des choses et des êtres. « Flâner, me mêler à la foule, regarder, cueillir des visages, des gestes, des regards, rêve délicieux », fait-il dire à Gaspar p.14. Il se pâme de regret devant la pureté : « c’est Satan qui pleure devant la beauté du monde », lui dit un sage vieillard p.18. L’écrivain est artiste qui capte le diamant d’énergie sous la banale apparence et l’éclat vital sous les traits communs. Il cherche inlassablement l’immortelle beauté pure au-delà des ravages du temps. Il fait avouer au roi Balthazar : « c’est l’éternité que j’ai trouvé en Grèce, incarnée par une tribu divine, immobile et pleine de grâce, sous le soleil, lui-même statue du dieu Apollon » p.76. Le roi Hérode le confirme : « Avoir seize ans, le ventre plat et les cuisses longues, et pour seul souci le lancer du disque ou la course de fond… Nul doute pour moi : si le paradis existe, il est grec, et affecte la forme ovale d’un stade olympique » p.139.

Bien loin du Dieu jaloux et tonnant qui exclut les images et bannit le Veau d’or, le dieu Enfant né dans la paille de Bethléem est l’annonce de temps nouveaux. Michel Tournier, en philosophe volontiers théologien, en fait la réconciliation de l’image et de la ressemblance. L’homme fut créé par Dieu « à son image », dit la Bible, mais c’était avant la Chute. Depuis l’expulsion du paradis, l’homme continue à être « à l’image » de Dieu mais a perdu sa ressemblance. Jésus vient, par son sacrifice, lui redonner. Les iconoclastes, fanatiques juifs obéissant à la deuxième loi du Décalogue, proscrivent toute image, selon eux un blasphème à la face de Dieu, montrant combien est grand l’orgueil humain de vouloir créer comme Lui des « images » et les adorer comme des idoles alors qu’il n’est de Dieu que Dieu ! Bien que clairement juive, cette croyance est reprise avec enthousiasme par les fanatiques musulmans aujourd’hui – qui pourtant considèrent les Juifs comme des chiens. Allez savoir…

Cette réconciliation de l’image et de la ressemblance, c’est l’amour chrétien. « Cette image exemplaire nous recommande de nous faire semblable à ceux que nous aimons, de voir avec leurs yeux, de parler leur langue maternelle, de les ‘respecter’, mot qui signifie originellement ‘regarder deux fois’. C’est ainsi qu’a lieu l’élévation du plaisir, de la joie et du bonheur à cette puissance supérieure qui a nom : amour » p.220.

Un bonheur littéraire et une joyeuse conception du monde.

Michel Tournier, Gaspar, Melchior et Balthazar, 1980, Folio, 284 pages, €8.20 

e-book format Kindle, €7.99

Michel Tournier chroniqué sur ce blog

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Patrice Gilly, Le cinéma – une douce thérapie

patrice gilly le cinema une douce therapie
Le cinéma vous présente des images toutes faites qui évitent l’effort d’imaginer. Au pire, « on » vous pense : gavés d’affects, vous ne créez plus, vous consommez. Cet aspect sombre du cinéma existe, mais Patrice Gilly préfère explorer sa face lumineuse, celle qui montre l’exemple : « le cinéma m’émeut et me meut », déclare-t-il dès la page 9.

Ce petit livre se présente comme une expérience personnelle, transformée en thérapie de groupe ouverte à tous. Il s’agit de « sortir du retrait pour aller vers l’inédit » p.8. Beau programme, bien mené, qui donne envie. Plusieurs dizaines de films récents sont racontés et leur situation objective mise en cause par l’expérience subjective de l’auteur. Il sait attacher son lecteur par son évocation, au travers des films, de la déchirure que fut le divorce de ses parents à 12 ans, de son manque de figure paternelle qui explique son attachement à la famille et sa constante envie d’être reconnu. Quelques propositions d’exercices ponctuent les chapitres pour inciter le lecteur à se saisir de la méthode. Et peut-être découvrir lui aussi ses failles propres.

Car « le cinéma implique le spectateur dans un processus de participation affective et psychologique » p.39. Il donne du sens à l’existence et permet de construire sa propre histoire. Du moins pour ceux qui ne se contentent pas de rester béats devant les images sans (surtout !) rien en penser… Comme toute thérapie, la ciné-thérapie exige un investissement personnel, le cinéma n’étant qu’un support commode à faire accoucher l’expression des nœuds de l’inconscient. Le film touche l’intime, tout en étant presque réel ; il permet de voir les autres vivre des situations tout en restant à distance : même les timides peuvent participer.

Jouent alors les mouvements psychiques classiques : l’empathie, l’idéalisation, les fantasmes, les désirs, le transfert, l’identification – voire la catharsis.

La ciné-thérapie emprunte à la Gestalt-thérapie comme aux thérapies narratives. Cette psychologie pratique, à l’américaine, a pour ambition de soigner par la relation. Elle est appliquée par le cinéma depuis 2004, élaborée au contact des réalités aborigènes d’Australie et de Nouvelle-Zélande. Elle doit permettre la prise de conscience de la forme que prend l’ajustement de chaque individu à ce (et ceux) qui l’environne(nt). Pour cela, la parole est privilégiée avec l’expression des émotions, le rêve, l’imaginaire, la créativité – mais aussi le mouvement et le corps, dont les images filmées donnent une forme mimétique. Développer la conscience de l’instant rejoint en effet le cinéma, qui n’est qu’instant : « Le temps chronologique s’efface au bénéfice de la profondeur de l’instant vécu » p.34.

patrice gilly photo

La fluidité des images et des histoires accompagne cette thérapie du processus, dans laquelle les causes sont moins importantes que l’adaptation ici et maintenant. « Le film image l’inconscient », est-il résumé joliment p.29. Il est une sorte de songe éveillé en salle obscure, lové dans un fauteuil fœtal. Opium du peuple pour faire oublier, le temps d’une séance, le reste terne de l’existence – il est aussi opium qui lève les blocages et ouvre une porte sur les profondeurs de soi. La narration, les personnages et les émotions formatent une manière d’être et de percevoir le monde, en résonance ou en conflit avec la nôtre.

Mais « le cinéma perd ses vertus thérapeutiques si la vision du film n’est pas suivie d’une parole exprimant le trouble vécu dans l’intimité » p.32. C’est l’essence de la psychanalyse que de faire mettre des mots sur les maux afin de les apprivoiser par la conscience. Il faut donc en parler, pour soi seul dans son journal intime désormais sur blog ou réseaux sociaux, avec ses copains ou copines autour d’un pot après séance, en famille avec son conjoint et ses ados, avec son psy – ou lors de stages collectifs de thérapies douces ouvertes sur le lien social ont l’auteur présente quelques exemples.

Voici donc une démarche originale, peu usitée par tous les fans qui se gavent de films. Pour ma part, j’ai toujours préféré la lecture, qui offre depuis l’enfance un champ plus ouvert à mon imagination – mais c’est une question de génération et d’habitus. Certains – comme Eddy Mitchell – sont restés marqués à jamais par « La dernière séance ».

Je me pose cependant la question de savoir si la génération Y, née avec l’iPod sur les deux oreilles, les fils en Y à demeure sur la gorge et le regard rivé aux très petits écrans des jeux vidéo et des Smartphones depuis l’enfance, peut faire autrement que de « consommer » le cinéma. Pressés d’être comme les autres, les jeunes ne connaissent le plus souvent des films cultes que de courtes séquences aimées de tous, visionnées sur YouTube. Nomades, ils ont du mal à se poser seuls devant un grand écran ou dans une salle obscure, mais préfèrent regarder des nuits durant en groupe des séries haletantes dont la richesse psychologique n’égale pas celle des films d’auteurs.

Patrice Gilly, Le cinéma – une douce thérapie, 2015, éditions Chronique sociale – Lyon, 144 pages, €14.00
Cinémoithèque, le blog cinéma de l’auteur

L’organisme formateur

Avec cette note, j’inaugure une catégorie « cinéma » sur ce blog

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Torse nu

Un internaute « bien intentionné » – et plus rigoriste que les mœurs – s’est étonné de ce que sur Google images des adolescents torse nu apparaissent en premier lorsque l’on tape « argoul » ou « argoul.com ». Je ne l’avais pas remarqué, n’utilisant que très peu le moteur de recherches américain Google. Mais c’est vrai, bien plus que les vahinés – pourtant seins nus – qui sont fort nombreuses dans les notes sur Tahiti.

argoul images google

Question : suis-je « obsédé » par les torses nus ? Réponse : pas plus qu’un autre. La cause principale en est les voyages (Cuba par exemple) parce que telle est la vie là-bas, ensuite la catégorie Mer et marins (avec la plage) où c’est la tenue évidente. Il y a aussi l’idée, en philosophie, que la jeunesse est la vie (Nietzsche : « innocence et oubli, un jeu ») ou, pour la philosophie grecque, que la nudité représente la sincérité, la transparence, l’appel au débat démocratique. Toutes ces catégories (voyages, mer et marins, politique, philo, BD) font l’objet de nombreuses notes sur ce blog. D’où peut-être l’impression de voir ressurgir les mêmes modes d’illustration, peut-être. La jeunesse dénudée (jamais au-delà de la décence admise) est un bienfait pour le regard, représentant la santé, la joie et la vie – tous les parents le savent bien. Encore qu’il faille relativiser : sur les peut-être 5000 images, combien de torses nus ? L’illusion statistique aggrave l’impression, il est nécessaire de raisonner en pourcentage et pas en absolu.

L’après mai 68 a desserré les carcans du vêtement comme des façons de vivre, valorisant chacun jusqu’en son corps, hier neutralisé dans le costume neutre (blouse à l’école, costume-cravate hommes, tailleur-jupe femmes). Sur les environ 1800 notes du blog, seules quelques-unes concernent les plages où le torse nu est roi. Il existe, certes, une pression puritaine pour voiler les femmes et les garçons (crainte du soleil, crainte du regard, crainte de la pollution), exacerbée par l’intégrisme quaker aux États-Unis, et par l’intégrisme catho, juif et islamique en Europe. De plus, les « bonnes intentions » pavent de plus en plus l’enfer de la vie en commun, à la Tartuffe : « Cachez ce sein que je ne saurais voir ! » disait-il en lorgnant la poitrine opulente de l’accorte servante… Mais je ne vois pas en quoi le « torse nu » est réprimandé par la loi (française), hors du droit à l’image de chacun (ce pourquoi je floute volontairement le visage sur toute image trop récente). Quiconque se reconnaîtrait, avec des arguments réels, peut d’ailleurs me demander le retrait de l’image.

Mais il suffit de consulter les AUTRES moteurs de recherche images sur argoul pour constater que les adolescents torse nu ne sont pas mis en valeur autant que sur Google. Chacun peut y aller voir : par exemple Bing :

argoul images bing

Ou Yahoo :

argoul images yahoo

Ou le moteur français libre Qwant :

argoul images qwant

Ou d’autres moteurs moins connus mais moins pubés comme Lycos :

argoul images lycos

et Exalead :

argoul images exalead

Ou encore des moteurs qui ne traquent pas les requêtes (donc les « plus demandées ») mais la fréquence : comme Privatelee :

argoul images privatelee

Ou DuckDuckGo :

argoul images duckduckgo

Il y a donc un problème Google. Il rencontre probablement, le « nu » comme obsession de notre époque hyper-individualiste et sans repères, comme je l’ai déjà pointé dans une note humoristique : « à poil » – où j’ai même publié la photo d’une chatte ado toute nue, vous vous rendez compte ? Depuis 2014, je n’ai pas été interdit… Traquer le nu est un poncif de toute observation sur les requêtes des internautes ; ajouter le mot à toute interrogation portant sur les gens, même peu susceptibles de se montrer nu (« Hollande nu », « pape François nu », et j’en passe…) est une manie ; se poster en vidéo sur Youtube en défi et torse nu est très courant aux États-Unis (qui donnent le ton à la jeunesse) donc ailleurs. Il est probable que la majorité des internautes a moins de 20 ans, ce qui explique ce prurit sensuel de la peau et cette obsession de se mesurer aux autres, de se comparer, de les voir tels qu’ils sont en leur natureté. Internet n’est apparu dans le paysage qu’à la fin des années 1990 et seuls les 15 à 20 ans ont pu naître dedans.

Mais il y a aussi l’indistinction volontaire de la société occidentale pour tous les repères, considérés comme « fascistes » (blancs, machos, sexistes, dominateurs, coloniaux, etc.). L’enfance comme mythe d’innocence est valorisée bien au-delà de ce qu’il est réaliste, comme je l’ai pointé après d’autres dans une note. Attention ! Les « anges » des prêtres catholiques appartenaient à ce genre de mythe éthéré – et l’on a vu ce qu’il en est advenu ! Qui veut faire l’ange fait la bête, on le sait pourtant depuis Pascal, spécialiste ès catholiques. Considérer les enfants comme de vrais enfants et des adolescents comme bouleversés par la puberté (et non  pas comme des anges innocents) serait une meilleure façon de ne pas les voir en objets sexuels ou poupées affectives – mais de les regarder comme des personnalités en devenir que tout adulte, qui a passé ces caps, doit protéger et aider. Contrairement à ceux qui voudraient « revenir » aux mœurs du passé, je me suis interrogé : vraiment, « c’était mieux avant ? » Pour ma part, j’ai toujours prêté une particulière attention et une réelle affection aux enfants auxquels je me suis attachés. « On est responsable de ceux qu’on apprivoise », dit le renard au petit Prince.

J’ai aussi clairement écrit sur une note de voyage à La Havane que les relations sexuelles sans la maturité qui va avec ont de très graves conséquences pour les enfants et les trop jeunes adolescents. Telle est ma position – très claire – sur le sujet. Je n’hésite d’ailleurs jamais à mettre à la corbeille tout commentaire qui fait allusion au sexe ou contrevient à la loi. Ce pourquoi les commentaires sont et resteront modérés sur ce blog.

Mais pourquoi vous étonneriez-vous que Google – moteur de recherches traquant les métadonnées d’internautes et vivant essentiellement de publicité – évite la tentation du « plus demandé » et valorise l’ordre de ses images selon ce qui serait le plus cliqué pour faire passer la pub ? Pour comprendre le business model de Google, lire ici, et là encore.  La fréquence statistique (réelle) a alors peu de choses à voir avec le ranking marketing (profitable). Car le site d’hébergement « gratuit » du blog, WordPress, doit vivre ; pour cela, il insère en fin de certaines notes très lues des publicités que l’auteur – moi – ne voit pas, ne choisit pas et dont il ne touche pas un centime. L’obsession portée au mot « nu » fait remonter les billets si le terme y figure – quel que puisse être ce qui est raconté dans le billet. Aussi, une image illustrant parfois le texte au second degré, comme cette transgression à l’autorité, figurée par un collégien torse nu dans une classe, attire-t-elle plus de lecteurs sur le sujet « régression socialiste » que si la réflexion sur le socialisme était publiée sans aucune illustration. L’image vient en appui du texte, elle n’est pas en soi : « 50% d’ex-profs au gouvernement, c’est trop : un prof dit ce qu’il faut faire, il ne le fait jamais. Les Français, tancés comme s’ils étaient en classe, osent s’y mettre en slip et tourner les clowns imbus d’eux-mêmes en dérision. Ce qui vient de se produire en Grande-Bretagne… » Seul un regard ambigu peut y voir une incitation ambiguë, je suis désolé de le rappeler aux apprentis-censeurs un brin trop zélés.

Car il ne faut pas confondre ce qui est « le plus populaire » dans les classements Google et ce qui est « effectivement publié ».  Quiconque suit le blog constate très vite que ni l’adolescence, ni le nu, ni la sexualité, ne sont les thèmes favoris sur argoul.com. « Sauter » sur ces images comme si elles représentaient la majorité des images montre combien le regard peut être orienté, guidé peut-être par des désirs inavoués, vaguement pervers. La poutre se moque volontiers de la paille, si celle-ci est perçue dans l’œil du voisin. Un article de conseils sur la façon de rechercher sur moteur donne sa conclusion : « La réussite/pertinence de la recherche survient quand l’Intelligence de celui qui interroge le moteur rencontre l’intelligence de ceux qui l’ont conçu ». Cherchez la rage, vous trouverez forcément un chien.

Mais quiconque tape « web » au lieu d' »images » trouve sans peine les « catégories les plus lues » : Stevenson, Le Clézio, Bretagne, Cannabis (hum ?) et Polynésie. Quiconque prend la peine de chercher sur ce blog trouve très vite les notes publiées – honnêtement, à partir des statistiques WordPress – sur les requêtes moteurs qui aboutissent à argoul.com Dans la dernière, depuis l’origine, « 28 435 concernent les vahinés, les filles nues ou les seins ; 4 631 seulement concernent les garçons, ados torse nu principalement ». Mais la « zone euro » est par exemple plus demandée que les torses nus : 5479 – CQFD.

Alors, torses nus oui, sexualité non. Plus il y a de notes, plus il y a l’item « nu » – mais c’est à comparer à l’ensemble. Ne pas prendre l’arbre pour la forêt est le b-a ba du vrai chercheur. Trop nombreux sont ceux qui se content d' »impressions » immédiates au lieu de faire un effort « honnête », mais qui leur prend du temps …

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Michel Leiris, Biffures – La règle du jeu 1

Michel Leiris Biffures La règle du jeu 1
Né un an après le siècle, Michel au prénom d’archange (ce qui ne laisse pas de l’impressionner enfant), tente de découvrir durant les années d’Occupation le code de son savoir-vivre. Tentation structuraliste du système unique ? Jeux de mot comme une règle d’associations d’idées surréaliste ? Inconscient lacanien comme un langage ? Leiris voit dans la littérature un usage de la parole comme moyen d’affûter la conscience non par narcissisme, ni pour gagner de l’argent, ni pour obtenir un statut social – mais pour être plus. Mieux encore : bien vivant.

Ce premier tome autobiographique n’a rien de mémoires de la quarantaine. Il est une recollection de souvenirs comme ils viennent, tirés par les mots qui deviennent images ou métaphores. Le titre Biffures est tiré de l’expérience militaire de l’auteur, durant son service un temps dans les chemins de fer. Les panneaux « bifur » résumaient « bifurcation », ce qui signifiait aiguillage et échangeur. La ligne se poursuivait, mais pas toujours sur la même voie. Michel Leiris écrit de même, comme un chemin de fer : il va, badaboum ! badaboum ! badaboum, rythmé par les rails sous lui, un brin obsessionnel de dire et toujours dire, dans l’ordre, sans précipiter le mouvement. Puis brusquement bifurque sur une affiliation d’idées, un jeu de mot, une image qui surgit, « boussole affolée, dont l’aiguille est successivement attirée par le nord changeant de toutes espèces de mots, qui me guident (ou m’égarent) dans ce voyage à l’intérieur de moi-même où les jalons sont des souvenirs d’enfance » p.96 édition Pléiade. Écriture étrange, parfois lassante, d’autres fois surprenante, de ramifications en ramifications.

lot prisonnier torse nu

Inspiré surtout par Marcel Proust, dont il a lu Le temps retrouvé durant la drôle de guerre passée au bord du désert saharien, et par Raymond Roussel, ami de son père, il dévide des souvenirs plus qu’une autobiographie, une introspection inquiète de savoir dans quel tissu il est taillé, comment le langage, les parents, les frères et la sœur, les amis, les études – et les livres ! – ont façonné sa personne, sa façon de penser, de voir le monde autour de lui. Il écrit d’après fiches, jouant avec le jeu du je. « Je prétends formuler des souvenirs pour augmenter la science que je puis avoir de moi » p.256, « grouper en un même tableau toutes sortes de données hétéroclites relatives à ma personne pour obtenir un livre qui soit finalement, par rapport à moi-même, un abrégé d’encyclopédie comparable à ce qu’étaient autrefois, quant à l’inventaire du monde ou nous vivons, certains almanachs… » p.269. Vaste programme qui plaît aux commentateurs dont les gloses peuvent se multiplier à l’infini.

Bien souvent la recherche prend le pas sur l’objet même de la recherche, la méthode sur le fond. D’où cette impression du lecteur de subir un ressassement, des tâtonnements avant une fulgurance par réminiscence. L’auteur évoque lui-même dans le chapitre Perséphone le « difficile commerce que je m’efforce de nouer avec le réel, paralysé que je suis par les mouvements les plus contradictoires et m’attardant en maints détours, justifiés seulement par la répugnance irraisonnée que j’éprouve à aller droit au fait… » p.75.

Son écriture est plus raisonnante que résonante, bien que l’effet des vibrations de certains mots ou de certaines scènes pousse les échos parfois loin : gramophone-métaux-voix… Mais il s’agit de langage, pas du lecteur. « C’est en me répétant certains mots, certaines locutions, les combinant, les faisant jouer ensemble, que je parviens à ressusciter les scènes ou tableaux auxquels ces écriteaux, charbonnés grossièrement plutôt que calligraphiés, se trouvent associés » p.110. L’auteur tend à s’enfermer dans les mots, considérés comme la vie même, la seule conscience humaine. Par là Leiris est bien de son époque, marqué par le Surréalisme, l’Existentialisme et le Structuralisme : les rêves sont la réalité, les mots sont les choses, les déterminants ne se manifestent que par le langage car tout est signe…

sacrifice ligote torse nuCette démarche est intéressante, éminemment littéraire, un peu datée. Le lecteur d’aujourd’hui aura quelque mal à pénétrer ce vocabulaire parfois cérébral, ce dévidement souvent obsessionnel de la plume, entre les scènes fraîches qui restent à la mémoire. Mais il appréciera la forte impression que lui fit à Lannion en 1933 un couple de baladins sur échasses habillés de haillons bariolés, flanqués de leurs deux mômes de même, sorte de famille idéale pour Michel, petit dernier. Ou l’humour involontaire à propos de Dieu, sur la réminiscence qu’un curé lui disait à 12 ans qu’il ferait un bon prêtre: « Si Dieu représentait encore pour moi à cette époque quelque chose de vivant, digne d’être désigné par un nom que sa majuscule initiale classait parmi les noms de personne alors que je ne vois plus guère en lui maintenant que le pivot d’un certain nombre de jurons… » p.207.

adolescent fouette pompei

Le lecteur d’un certain âge reconnaîtra sans peine les attitudes des milieux d’hier qui l’ont fait tel qu’il est, les mots et les façons de dire, les lectures cruciales pour former sa personnalité lorsqu’il n’y avait ni télévision, ni Internet. J’y ai retrouvé pour ma part quelques traits, le désir de collectionner des articles sur ce qui m’impressionnait ou me faisait penser, le peu d’intérêt pour la compétition, le goût des autres et de l’ethnologie, le processus lent mais irréversible de décroyance, le chant des mots et des images (Londres/ombres), la sexualité diffuse de prime enfance au travers de la Bible illustrée et de l’évocation par les textes des scènes antiques, l’encyclopédisme du dictionnaire Larousse grand format – sans parler du 53bis Quai des Grands Augustins, fort proche d’un de mes lieux de vie, où Michel Leiris a habité au quatrième étage, façonné dès 1942 par le quartier…

Michel Leiris, Biffures – La règle du jeu 1, 1948, Gallimard L’Imaginaire 1991, 322 pages, €9.50
Michel Leiris, La règle du jeu, 1948-1976, Gallimard Pléiade, édition Denis Hollier 2003, 1755 pages, €80.50

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Michel Houellebecq, La possibilité d’une île

michel houellebecq la possibilite d une ile

Ce roman est – et c’est naturel dans notre société superficielle qui se contente d’agiter des images et de scander des slogans – tout à fait différent de l’impression qu’a pu en laisser « la critique ». C’est un vrai roman avec une histoire, un conte philosophique qui fait penser et, mieux, qui laisse « libre » de penser (ce qui est plutôt rare en ces temps de militantisme affirmé).

Car le narrateur est et n’est pas Michel Houellebecq. Il est son double, mais un double construit, probablement plus simple que l’original. L’époque pousse à la caricature tant, en ces temps d’incertitudes, l’opinion est avide d’ancrages. Daniel1 est plus complexe que Daniel25, son clone des temps futurs imaginé par l’auteur. Mais l’auteur est plus complexe que son sujet. Le roman se lit de façon fluide, il captive, et ses remarques anodines sur l’époque visent à renverser ce conformisme si confortable, si larmoyant, si « de gôche, ma chère ». Et c’est bien, car tout divorce avec la réalité, qu’il soit naïveté ou illusion, finit par s’y heurter en retour, quels que soient les bons sentiments. La révolte des banlieues l’a montre à l’envi en 2005, comme la révolte antifiscale fin 2013.

Le héros de Houellebecq n’est pas un « modèle », comme la doxa aime tant à en créer de toutes pièces pour se rassurer. Daniel, comme l’auteur, est un être qui se cherche, dans le désespoir du vide si bien philosophé par Schopenhauer. Seuls les ignorants ont pu parler de Nietzsche à propos de ce livre ; c’est avoir une vue plate et scolaire du Surhomme et ignorer toute la joie nietzschéenne de la danse du corps et des scintillements de l’intelligence. Schopenhauer, plus laborieux, est mieux en phase avec le nihilisme houellebecquien.

Mai 68 avait chanté la « libération » des corps source de désaliénation des esprits. Michel Houellebecq montre ce qu’il en est : un prodigieux égoïsme narcissique qui commence dès 12 ans (les « pétasses »), un corps objet qui se livre au plaisir comme un petit animal (Esther), l’impossibilité des relations durables (Isabelle), la dictature de la jeunesse sur l’ensemble de la société, depuis la consommation jusqu’à l’idéologie. Les « vieux » deviennent des déchets dont il faut se débarrasser (bienveillante canicule !). Et Daniel, antihéros contemporain, évolue en ce monde comme un zombie, ne vivant et ne réussissant partiellement sa vie qu’entre 13 et 35 ans en gros, l’avant étant bave, merde et braillardise, l’après étant déchéance désespérante d’un corps qui lâche et d’une solitude qui monte. Pour Houellebecq, « solidarité » n’est qu’un slogan de bonne conscience, « amour » qu’une rencontre de sexe à patte avec chatte au vent (ah, ces jupettes qui couvrent à peine des fesses sans culottes, si révolutionnaires !). Daniel rêve d’un amour qui soit fusionnel, retour vers…

fille jupette et pedales

Ce pour quoi lui, l’a-religieux, découvre un certain bonheur de la secte. Non pas celui des filles superbes à disposition des mâles dominants (il a des phrases sarcastiques sur le sujet), mais celui d’une espérance, celle que donne toute religion, au fond. Il n’y « croit » pas mais l’être humain est ainsi fait qu’il a besoin d’ailleurs. Pour le commun des mortels, ce sont les enfants, parfois Dieu, quel que soit le nom qu’il porte, ou bien le sort des autres. Michel Houellebecq, dans la vraie vie, a un fils, Etienne, né lors de l’avènement Mitterrandien. Son personnage, Daniel, n’a pas l’air attaché au sien, je ne sais ce qu’il en est de l’auteur. En tout cas, l’espérance houellebecquienne ne réside pas dans les enfants, mais dans l’espèce elle-même que la Raison scientifique et technicienne devrait pouvoir modeler dans le futur pour éliminer ce nihilisme profond qui vient du sexe, du seul sexe, de l’impossible libération de l’avidité sexuelle.

Houellebecq n’est pas Raëlien comme on l’a dit précipitamment, il projette les tendances du présent dans un futur possible. Ne voit-on pas, aux États-Unis, pays de la modernité la plus avancée, des nantis se protéger dans des enclaves fermées ? Ne voit-on pas l’explosion des sectes avides de croire en autre chose qu’en la réalité vide ? N’espère-t-on pas dans le clonage et dans la génétique ? Mêlez tout cela et vous avez le conte philosophique, La possibilité d’une île. Qui est terriblement de notre époque. C’est moins sage que Jardin ou Weyergans, mais cela ouvre plus de portes. Il y a du Diogène le Cynique chez Houellebecq.

De la claire et volontaire provocation aussi, dans la lignée des grands prédécesseurs de Mai 68. Le symbole de la secte élohimiste n’est-elle pas une étoile de David gammée, « à six branches, aux pointes recourbées » ? Son prophète n’est-il pas ignare, manipulateur et grand baiseur ? Le héros, humoriste, n’a-t-il pas un spectacle de « partouzeuses palestiniennes » ? La référence internet notée « kdm.fr.st » existe réellement, elle renvoie à The Hacking Academy, forum de hackeurs.

Il est certain que vous apprécierez mieux La possibilité d’une île si vous êtes mâle, Blanc et avec une certaine aisance. Tel est, disons, le « cœur de cible » du lectorat. Mais ce n’est pas si mal vu, la société n’aime pas se voir critiquée ainsi et c’est dommage, le signe que sa jeunesse d’esprit s’en va, qu’elle se sclérose. La possibilité d’une île est à prendre au seconde degré, comme la jouvence de l’abbé Houellebecq.

ado ventre nu dans la boue

L’attrait de l’auteur, ce sont aussi les sentences, ciselées à la Flaubert. Elles font souvent mouche. Florilège :

« Il restait si peu de choses à observer dans la réalité contemporaine : nous avions tant simplifié, tant élagué, tant brisé de barrières, de tabous, d’espérances erronées, d’aspirations fausses ; il restait si peu, vraiment. » p.21

« Finalement, le plus grand bénéfice du métier d’humoriste et, plus généralement, de l’attitude humoristique dans la vie, c’est de pouvoir se comporter comme un salaud en toute impunité. » p.23

« La vie commence à 50 ans, c’est vrai ; à ceci près qu’elle se termine à 40. » p.25

« Lorsque je gagnais mon premier million d’euros (je veux dire lorsque je l’eus vraiment gagné, impôts déduits, et mis à l’abri dans un placement sûr), je compris que je n’étais pas un personnage balzacien. Un personnage balzacien venant de gagner son premier million d’euros songerait dans la plupart des cas aux moyens de s’approcher du second. » p.30

« Tu connais le journal où je travaille : ce que nous essayons de créer c’est une humanité factice, frivole, qui ne sera plus jamais accessible au sérieux ni à l’humour, qui vivra jusqu’à sa mort dans une quête de plus en plus désespérée du fun et du sexe ; une génération de kids définitifs. » p.37

«  Sa méthode de gestion du personnel : ne dire du mal de personne, en aucune circonstance, jamais ; toujours au contraire couvrir les autres d’éloges, aussi immérités soient-ils – sans évidemment s’interdire de les virer le moment venu. » p.40

« La reconnaissance artistique, qui permettait à la fois l’accès aux derniers financements publics et une couverture correcte dans les medias de référence, allait en priorité, dans le film comme dans les autres domaines culturels, à des productions faisant l’apologie du mal – ou du moins remettant gravement en cause les valeurs morales qualifiées de ‘traditionnelles’ par convention de langage. » p.51

« Quand l’amour physique disparaît, tout disparaît ; un agacement morne, sans profondeur, vient remplir la succession des jours. Et, sur l’amour physique, je ne me faisais guère d’illusions. Jeunesse, beauté, force : les critères de l’amour physique sont exactement les mêmes que ceux du nazisme. » p.74

« L’Espagne se rapprochait des normes européennes, et particulièrement anglaises. L’homosexualité était de plus en plus courante et admise ; la nourriture végétarienne se répandait, ainsi que les babioles New Age ; et les animaux domestiques, ici joliment dénommés ‘mascotas’, remplaçaient peu à peu les enfants dans les familles. » p.75

Pascal : « on sentait à le lire que les tentations de la chair ne lui étaient pas étrangères, que le libertinage était quelque chose qu’il aurait pu ressentir ; et que s’il choisissait le Christ plutôt que la fornication ou l’écarté ce n’était pas par distraction ni par incompétence, mais parce que le Christ lui paraissait définitivement plus ‘high dope’ ; en résumé, c’était un auteur sérieux. » p.82

« On ne peut pas dire que le communisme ait spécialement développé la sentimentalité dans les rapports humains : c’est plutôt la brutalité, dans l’ensemble, qui prédomine chez les ex-communistes – en comparaison, la société balzacienne, issue de la décomposition de la royauté, semble un miracle de charité et de douceur. » p.105

« Il habitait un pavillon à Chevilly-Larue, au milieu d’une zone en pleine phase de ‘destruction créatrice’ comme aurait dit Schumpeter : des terrains vagues boueux, à perte de vue, hérissés de grues et de palissades ; quelques carcasses d’immeubles, à des stades d’achèvement variés. » p.149

« La plupart des gens naissent, vieillissent et meurent sans avoir connu l’amour (comme des étiquettes sur la viande bovine) ‘né et élevé en France. Abattu en France’. Une vie simple, en effet. » p.174

« La différence d’âge était le dernier tabou, l’ultime limite, d’autant plus forte qu’elle restait la dernière, et qu’elle avait remplacé toutes les autres. Dans le monde moderne on pouvait être échangiste, bi, trans, zoophile, SM, mais il était interdit d’être vieux. » p.213

« Tout le monde s’était habitué à ce que les personnalités s’expriment dans les medias sur les sujets les plus variés, pour tenir des propos en général prévisibles, et plus personne n’y prêtait une réelle attention, en somme le système spectaculaire, contraint de produire un consensus écœurant, s’était depuis longtemps effondré sous le poids de sa propre insignifiance. » p.274

« Mes années de carrière dans le show-business avaient quelque peu atténué mon sens moral. » p.296

« L’élohimisme marchait en quelque sorte à la suite du capitalisme de consommation qui, faisant le la jeunesse la valeur suprêmement désirable, avait peu à peu détruit le respect de la tradition et le culte des ancêtres – dans la mesure où il promettait la conservation indéfinie de cette même jeunesse, et des plaisirs qui lui étaient associés. » p.356

Michel Houellebecq, La possibilité d’une île, 2005, Prix Interallié, Livre de poche 2007, 474 pages, €5.75

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Orhan Pamuk, Mon nom est Rouge

orhan pamuk mon nom est rouge
Rouge est la miniature persane, rouge est le sang. C’est entre ces deux forces que s’étend ce roman. Policier car il y a meurtres, et artiste car il y a peintures. La tension entre les deux est le fait de la religion, l’islam prohibant les images qui imitent la création de Dieu, donc impies. L’auteur est turc et situe son roman foisonnant à Istanbul en 1591. Nous sommes au sommet de l’art de la miniature, juste avant la période obscurantiste qui va consacrer, avec le sultan Mehmet, la décadence irrémédiable de la civilisation islamique qui avait culminé au 16ème siècle sous Soliman « le Magnifique ». La cause en est simple : la religion et son rigorisme, la tentation de la pureté, l’éternel retour aux origines qui plombe l’islam de la lettre.

Le message du Turc Pamuk aujourd’hui est donc aussi politique : rien à faire avec la religion au pouvoir. La vie qui va ne saurait composer avec les principes rigides des fanatiques, figés par la Révélation au Prophète. Prix Nobel de Littérature 2006 parce qu’il sait concilier culture musulmane et droits de l’homme, Orhan Pamuk se met ici en scène avec le petit Orhan (5 ans), frère de Shevket (7 ans), fils de Shékuré, la véritable héroïne du livre. La mère, la femme, est le personnage central autour duquel tout tourne – y compris les intrigues de palais et l’art ou la guerre.

adolescents aux figues miniature persane

Ce roman foisonnant, paillard, gourmand, sensible, se lit avec bonheur malgré son nombre élevé de pages et sa traduction souvent maladroite. Il fait contraster la beauté vivante des hommes de belle prestance, des femmes désirables, des adolescents mignons, des enfants turbulents avec la beauté abstraite et froide des miniatures peintes du monde « tel qu’il est aux yeux de Dieu » p.394. Le bonheur ? s’interroge Shékuré avec son robuste bon sens de mère et d’épouse qui n’a pas revu depuis 4 ans son guerrier de mari rentrer des batailles, « l’amour ainsi que le mariage nous aide à y parvenir : voilà à quoi servent un mari, une maison, des enfants, un livre » p.346. Chacun des personnages raconte l’histoire en chapitres séparés, rendant ce roman polyphonique et offrant au lecteur autant de facettes de la civilisation musulmane avant qu’elle ne décline.

Le meurtre d’un peintre, Monsieur Délicat, ouvre le livre, racontée par le mort lui-même. Suivra le meurtre de l’Oncle, père de Shékuré, avant l’enquête commandée par le sultan en personne. Le premier aurait été effrayé des « impiétés » qui étaient demandées aux peintres par le second, sur ordre du sultan, pour « imiter » la manière de peindre européenne sous forme de portraits ressemblants. Quelle hérésie dans un islam travaillé d’interdits et hanté par le souci de ne jamais égaler Dieu dans sa Création ! Juste après cette époque, le sultan Mehmet ira jusqu’à détruire à coup de masse l’horloge animée offerte par la reine d’Angleterre, parce que ses personnages « offensaient Dieu ». Comme si le Créateur du monde, qu’il se nomme Jéhovah, Dieu ou Allah, n’avait pas « façonné l’homme à son image », comme il est dit dans le Livre… « Je sais trop bien que cet inépuisable sentiment de culpabilité, cette habitude de courber la tête sous les attaques des hodjas, des prédicateurs, des juges, et des religieux en général, qui tous nous accusent d’impiété, c’est à la fois ce qui nous nourrit et ce qui tue l’imagination de nos peintres », dit l’Oncle p.300.

L’auteur a quitté la Turquie en 2006, après nombre de menaces de mort pour ses prises de position contre la négation du génocide arménien et pour l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne. Il s’est exilé aux États-Unis, pays phare de l’Occident démocratique, en complet désaccord avec le fanatisme de toutes les religions du Livre. C’est dire si la Turquie, qui n’a jamais été européenne, ce roman le montre à l’envi, dérive de plus en plus de l’Union depuis sa publication…

Orhan Pamuk, Mon nom est Rouge, 1998, Folio 2007, 743 pages, €11.12

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Haruki Murakami, Les attaques de la boulangerie

haruki murakami les attaques de la boulangerie

Par deux fois, les personnages de Murakami attaquent une boulangerie. Ils reproduisent par l’absurde cet « impôt révolutionnaire » tellement à la mode dans les années 1970, sur l’exemple de Staline dans la Russie des tsars finissants. Mais les banques sont ici remplacées par les producteurs de pain et les patrons sont soit communistes, soit étudiants précaires d’une grande chaîne.

Les attaquants sont jeunes. A 18 ans, ils ne veulent pas travailler et ont faim. Ils veulent se bourrer de pain – seulement de pain – sans rien payer. Ils s’avancent donc avec un long couteau – non plus entre les dents comme les cocos rouges – mais derrière le dos. Une invraisemblable vieille hésite à choisir sa marchandise, repose et reprend, faisant bouillir les activistes affamés – mais ils ne veulent pas se faire une vieille. On avait de la pudeur dans la jeunesse gauchiste japonaise.

Et puis flop ! Le patron leur permet de manger tout le pain qu’ils veulent… Sans rien payer ? Sans un sou, oui, puisqu’ils ont faim, mais pas sans rien en échange. Une petite malédiction, peut-être ? Brrr, non, plutôt écouter du Wagner. Ce musicien connoté nazi (bien qu’il fut mort bien avant Herr Hitler), est adoré du patron communiste – contradiction bien réjouissante que n’hésite pas à accentuer Murakami. Les deux jeunes sont obligés d’écouter Tristan et Isolde durant deux heures. Leur âme en est-elle changée ?

C’est ce à quoi s’attaque la seconde nouvelle, publiée cinq ans plus tard et reprise en français dans L’éléphant s’évapore. L’un des héros s’est marié et s’éveille en pleine nuit, tout comme sa femme, affamé. Évidemment rien dans le frigo, que quelques bières (vite descendues), deux oignons fripés, du beurre et du désodorisant. Que faire ? Lénine en a écrit tout un ouvrage, Chto dielat ?,  mais les deux jeunes un peu moins jeunes décident d’aller braquer une nouvelle boulangerie après que le mari eut raconté à son épouse ce qu’il l’avait fait à 18 ans.

Sauf que les boulangeries en pleine nuit, dans Tokyo, sont fermées : qui aurait l’idée d’acheter du pain avant le matin ? La femme prend alors les choses en main, soupçonnant que la fringale qui les tient résulte de cette obscure malédiction jadis sur son mari, plus ou moins formulée, en tout cas wagnérisée. Elle choisit ce qui se rapproche le plus d’une boulangerie : un bon vieux Mc Donald’s, ouvert 24 h sur 24, tenu par des étudiants et des employés prolétarisés.

Un pistolet exhibé à bon escient (dont on ne sait d’où il vient…) fait emballer trente burgers et ligoter les trois employés, tandis que deux clients, aussi jeunes que les braqueurs de jadis (et peut-être leurs fantômes), dorment lourdement sur une table. La faim est apaisée, la malédiction éradiquée. Le narrateur s’en aperçoit lorsqu’il ne voit plus en imagination un volcan sous la surface de la mer, lorsqu’il se penche de sa barque imaginaire. Métaphore de l’existence (la barque), de l’incessant changement (l’eau), de la menace qui pèse (le volcan) ?

Voici en tout cas deux allègres et mystérieuses nouvelles qui se lisent d’un trait, illustrées en vert et or sans que l’on perçoive souvent le rapport avec le texte, mais agréables à regarder. Il y a de la magie dans le surgissement des choses chez Murakami ; le dessin l’accentue. Les éditions de poche 10-18 explorent ce genre minimaliste à images pour les petits lecteurs vite zappeurs qui ont besoin de poser les yeux sur une illustration pour ne pas être sans cesse tentés d’aller voir leur Smartphone. Pourquoi pas ? Tout n’est pas bon à éditer, mais certaines nouvelles de Murakami s’y prêtent admirablement. Ce fut le cas de Sommeil, chroniqué sur ce blog.

Et le livre, malgré son prix modique, peut faire un cadeau de luxe pour un ami branché ou une mamie lettrée. Il se classe dans le genre livre-objet avec sa couverture rigide et son papier glacé, plus que dans le genre texte littéraire.

Haruki Murakami, Les attaques de la boulangerie (nouvelles), 1981 et 1985, 10-18 2013, illustrations de Kat Menschik, 75 pages, €7.98

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Christian Salmon, Storytelling

christian salmon storytelling

Le storytelling est l’art de raconter des histoires. Ou plutôt de mettre en récit un produit, une entreprise, un personnage, une guerre, une politique… Il n’est pas anodin que cette nouvelle façon de présenter les choses soit apparue au début des années 1990, alors que l’Internet prenait son plein essor. La lecture écran engendre d’autres habitudes que la lecture papier : survol, attirance pour les images, les résumés, les messages courts, zapping, activisme de l’hypertexte.

L’exposé exigeait, avant Internet, d’être logique et de convaincre par la raison. L’exposé a désormais laissé la place au conte. Ce n’est plus la logique qui est sollicitée, mais la passion, les instincts. La faculté de raison ne vient qu’ensuite, à la fin, comme happy end : bon sang, mais c’est bien sûr ! L’entrepreneur, le commercial, le financier, le politicien, le propagandiste vont convaincre en racontant des histoires. Ce peut être bon ou mauvais, suivant que l’on met en conte une réalité où que l’on raconte des craques. Christian Salmon, chercheur sur le langage au CNRS, analyse ici les deux faces du nouveau paradigme.

Tout commence avec les entreprises, dont la fonction est de vendre. La publicité, hier centrée sur le produit, se consacre désormais à produire des histoires sur les produits, des images de la marque. Car il faut donner envie à des clients de plus en plus imprévisibles et volages, du fait de la société tout entière. Le changement s’accélère parce que la technologie court devant, que les pays sous-développés émergent, que l’emploi exige de s’adapter et de bouger. Une interaction se forme entre l’infrastructure matérielle de l’existence et la superstructure du comportement et des idées sur le monde. Comme toujours, les États-Unis sont en avance, ils montrent la voie. Les consommateurs deviennent des participants.

Dès l’année 2000, le marketing « n’a plus seulement pour ambition de promouvoir les bienfaits de la société de consommation, il veut produire une société nouvelle, un autre monde » p.40. Les clients citoyens ont autant besoin de croire en leurs marques et en leurs politiciens que les Grecs à leurs mythes. Apple, Microsoft ou Facebook sont des religions, dont les croyants sont les plus zélés prédicateurs. Tout politicien ambitieux sait qu’il vaut mieux mettre en récit les valeurs que parler du programme. L’idéologie, cette fabrique de mythes, est aux anges – et les communicateurs aux manettes.

C’est George W. Bush avec Carl Rowe qui inaugure la série, le président Reagan en précurseur. En Europe, Tony Blair et Nicolas Sarkozy vont reprendre avec succès la méthode. Nous pouvons même aller jusqu’à penser que si la popularité de François Hollande est si basse, c’est parce qu’il use encore de la vieille communication du temps de Mitterrand, sans mise en récit de son action, sans un beau conte distillé pour la politique de son gouvernement.

Évidemment, Ésope le disait déjà, la langue est la meilleure et la pire des choses. Il en est de même pour le storytelling. Cette technique de mise en dynamique d’un message, du passage de chiffres ou d’arguments à une belle histoire émotive et entraînante, peut dériver vers la manipulation. Ce fut le cas pour la guerre en Irak, où le conte du Bien et du Mal a été actionné avec l’accusation fausse des armes de destruction massive. Ce fut le cas pour la politique avec l’industrie du mensonge, l’infotainment (information-divertissement) et la création de sa propre réalité – détachée du réel.

Le divorce entre les citoyens et leurs politiciens n’a jamais été aussi grand parce que le storytelling a été utilisé à outrance, suscitant aussitôt son antidote : la désintoxe, la déconstruction, le persifflage, voire la théorie du complot. En revanche, les marques s’en sortent plutôt bien, entre saga et conte de fée.

L’art de raconter des histoires est au cœur du lien social. On ne fait société que par le symbolique, dont les mythes sont les grands vecteurs. Tout politicien avisé fait du storytelling sans le savoir, comme De Gaulle avec le mythe de « tous résistants », Sarkozy avec « travailler plus pour gagner plus », Mélenchon avec « place au peuple » ou Le Pen fille avec « la voix du peuple, l’esprit de la France ». Ces messages totalitaires, qui sollicitent les instincts et les passions plus que la raison, mettent la politique cul par-dessus tête. Wagner voulait un opéra total, comme l’était selon Nietzsche la tragédie grecque – ou comme les religions du Livre le veulent en leurs messes et prédications. Il s’agit de faire taire la faculté de raison pour fusionner le collectif en groupe manipulable, selon cette psychologie des foules si bien instrumentée au XXe siècle.

Un bon petit livre pour comprendre, donc agir, dans la société du spectacle.

Christian Salmon, Storytelling – la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits, 2008, La Découverte poche, 251 pages, €9.03

L’auteur de cette note a passé plusieurs dizaines d’années dans les banques. Il a écrit ‘Les outils de la stratégie boursière’ (2007) et ‘Gestion de fortune‘ (2009). Il se consacre désormais aux chroniques, à la formation et à l’enseignement dans le supérieur.

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Yukio Mishima, Confession d’un masque

yukio mishima confession d un masque

Le masque est Mishima, mais aussi celui d’un fils du Japon dans la société machiste et disciplinée des années 1930 à 50, très conformiste, où se distinguer d’une quelconque façon est être rejeté. La confession est celle de la sexualité déviante de l’auteur, attiré depuis l’âge de 4 ans par ses semblables plutôt que par les modèles féminins que sont ses sœur, mère ou copines. Être élevé en enfant fragile par une grand-mère autoritaire et rigide prédispose-t-il à rejeter les femmes ? La vue du cuissard moulant d’un très jeune vidangeur lui a donné ses premiers émois avant même de savoir lire.

Ce furent ensuite les images, associées sans cesse au tragique et à la mort, qui enfiévrèrent son imagination. Amoureux d’un beau jeune homme en cuirasse, il le délaisse dès qu’on lui apprend qu’il s’agit de Jeanne d’Arc. Sa mauvaise santé d’enfant lui fait désirer vivre par procuration, être le héros qu’il ne pourra jamais devenir, le mâle qu’il aurait voulu être. L’odeur de sueur des soldats et des jeunes porteurs vigoureux à demi nus des fêtes locales lui rappellent la brise marine, tandis que leur déchaînement dionysiaque l’emplit d’admiration.

A 12 ans, il redessine les images des contes pour combler ses fantasmes d’éphèbes dénudés tordus de douleur, une balle dans la poitrine ou le crâne ouvert après une chute ; leur simple évocation le fait bander malgré lui. Le saint Sébastien de Guido Reni le ravit, fouaillé dans son corps par le spectacle des souffrances du supplicié : « Les flèches ont mordu dans la jeune chair ferme et parfumée et vont consumer son corps au plus profond, par les flammes de la souffrance et de l’extase suprême » p.44. Il connaît à cette vue sa première éjaculation irrésistible.

A 14 ans, il tombe amoureux d’un condisciple, Omi, plus mûr et bien plus vigoureux que lui. « Dans ce premier amour que je rencontrais dans la vie, je semblais être un oisillon gardant caché sous son aile des désirs animaux vraiment innocents. J’étais tenté, non par le désir de la possession, mais simplement par la tentation toute pure » p.73. Mais au fond, rien que de très normal : à 14 ans il est encore comme tous les autres, « c’était l’admiration de la jeunesse, de la vie, de la suprématie. (…) C’était avant tout cette extravagante abondance de force vitale qui subjuguait les garçons » p.78.

Cet amour pour le sauvage, pour l’animalité vitale, que l’on retrouve un peu partout dans son œuvre romanesque, se mue avec les années en « amour pour le gracieux et le doux », pour les plus jeunes que lui. La lecture de Magnus Hirschfeld lui démontre qu’il a les sentiments des « éphébophiles, qui aiment les jeunes gens entre quatorze et vingt et un ans » p.121. Il avoue sa prédilection, dans la rue, « pour le corps souple d’un jeune homme tout simple, d’environ vingt ans, un corps pareil à celui d’un lionceau » p.170. Mais il est poussé, comme Gilles de Rais, à le torturer en pensées, le soir dans son lit, « tu te presses contre lui et tu chatouille la peau de sa poitrine tendue avec la pointe du couteau, légèrement, comme pour une caresse ». Le couteau se plante, pénètre le corps, le sang coule sur la peau blanche, la victime arque son corps gracieux, gémit, « la joie profonde d’un sauvage renaît dans ta poitrine », avoue Mishima p.171.

velo ado torse nu

Il ne passera jamais à l’acte, son Surmoi social étant trop puissant, mais ces atrocités donnent une idée de sa sincérité à se mettre à nu, bien plus que Gide, bien plus brutalement que Proust, bien plus directement que son aîné Kawabata. Les sociétés répressives, spartiate, aztèque, catholique, samouraï, victorienne, bismarckienne, favorisent-elles l’inversion ? Faut-il jouer la comédie sociale affublé d’un masque pour survivre « normal » aux yeux du grand nombre prompt à haïr qui n’est pas comme tout le monde ?

Mishima l’a longtemps jouée, cette comédie humaine ; il a sacrifié aux conventions, allant jusqu’à se marier, à avoir deux enfants. Il a cru tomber amoureux de filles, comme Sonoko à ses vingt ans. Il a certainement éprouvé de l’affection, un sentiment de protection, un goût d’être ensemble. Mais sans aucun désir sensuel. Dans ce livre aussi cru que la pudeur autorisée des années 1940 pouvait le permettre, il analyse honnêtement ce qu’il ressent. Il transforme son être en littérature.

Adolescent, il vivait ses désirs sans penser plus loin ; jeune homme, il pensait que la guerre allait lui offrir un « suicide naturel » soit sous les balles au combat, soit dans un bombardement ; homme mûr, il n’a plus supporté ce divorce entre la chair vivante et le masque social. Il a monté son suicide comme un événement médiatique, poussant au réveil nationaliste. Mais c’était le dernier masque de ses pulsions intimes pour l’existence idéalisée du samouraï : enfant admiratif des guerriers, page fidèle faisant l’objet de l’attention passionnée de l’adulte qu’il sert, chevalier prenant sous son aile un éphèbe… Il aurait aimé vivre en ces temps plus crus, où l’inversion était admise et socialement utile.

Un livre étrange, plus autobiographique que romancé, qui éclaire l’œuvre et surtout les étapes progressives d’une existence minoritaire, bien plus efficace pour comprendre l’homosexualité que les revendications militantes et les exigences de « droits ».

Yukio Mishima, Confession d’un masque, 1949, traduit de l’anglais par Renée Villoteau, Folio 1988, 247 pages, €7.32

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Argoul.com a trois ans

Créé après 6 ans d’expérience et près de 3 millions de visiteurs sur lemonde.fr (2004-2010), le blog argoul.com sur WordPress a attiré plus de 823 000 visiteurs en 3 ans (2010-2013) – soit une moyenne de 1236 par jour depuis l’origine – sur près de 1400 billets. Le blog est aujourd’hui suivi par près de 850 followers. Chaque année voit une progression, due au nombre de notes pouvant faire l’objet de requête, mais aussi à la notoriété du clic à clic (version contemporaine du bouche à oreille ou de l’antique téléphone arabe). Les quelques 61 000 spams bloqués jusqu’ici par le système (entre 150 et 300 par jour ces temps-ci) montrent que le blog est désormais référencé sur l’ensemble de la toile, dans le monde entier.

vahine seins nus sourire

Les principales interrogations qui aboutissent à une visite sur le blog sont les suivantes :

  • nue                                                         5 937
  • zone euro                                             5 459
  • argoul                                                   4 880
  • fille nue                                                3 320
  • seins nus                                              3 222
  • bisounours                                          2 970
  • vahiné                                                   2 853
  • vahine                                                   2 101
  • tahitienne nue                                   2 031
  • pont des amoureux paris             1 944
  • cul                                                          1 885
  • argoul.com                                          1 757
  • marine le pen                                      1 594
  • vahine nue                                           1 495
  • seins                                                       1 314
  • vahiné x                                               1 094
  • vahiné nue                                           1 088
  • génocide arménien                             999
  • pont des arts                                         870
  • fille nu                                                     852
  • cadavre                                                   794
  • vahine tahiti                                          792

On le voit, c’est surtout le sexe, donc les images, qui attirent le plus de passages. Ce n’est pas nouveau, mais autant épicer un billet culturel ou un peu aride par une « belle image », cela fera peut-être lire quelques paragraphes. Tahiti est à l’honneur, pour le mythe des vahinés (la réalité est plus triste…). Mais il y a aussi le phénomène des cadenas du Pont des arts à Paris et l’autre fantasme (morbide) de Marine Le Pen ou du génocide arménien. Le terme « cadavre » est à l’honneur, mis récemment à la mode par le président et toute l’Éducation Nationale qui célèbrent la guerre joyeuse de 14-18. De quoi rendre encore plus optimiste les jeunes Français…

Ces requêtes par images et mots-clés expliquent les référant depuis l’origine :

  • Search Engines                                 522 970
  • Facebook                                              2 569
  • jlhuss.blog.lemonde.fr                       800
  • jlhuss.com                                               585
  • medium4you.be                                   578
  • google.fr                                                  408
  • paperblog.fr                                           397
  • argoul.blog.lemonde.fr                      351
  • fr.wikipedia.org                                    329
  • forumdesforums.com                        299
  • sfr.fr/recherche/                                 283
  • niduab.over-blog.com                        272

Je me suis amusé à relever quelques requêtes parmi les plus originales – avec leur orthographe approximative respectée. Je n’ai évidemment posté aucun billet sur ce genre de sujet, mais les mots-clés sont traîtres : ils attirent. La créativité est le fait des ados, probablement des garçons. Il y a les narcissiques qui aiment à se contempler en leur miroir et à se comparer aux « canons » y compris par « l’obligation » de rester torse nu, les pratiques qui cherchent des trucs utiles y compris les « merveilles que Dieu a créées » dont… les « mignons » (?), les fantasmes où la nudité joue le rôle principal (le fait d’être exposée, pas un acte sexuel), enfin les émois physiques à base de pieds nus, de pantalon sans slip, de torture, d’être torse nu en classe, de se bagarrer nue, et ainsi de suite. Non sans contradiction, comme ce « nudiste en slip » dont on ne voit pas trop comment il peut se montrer nudiste tout en restant habillé… Ou ce « nue structurel » venu(e) tout droit de la langue de bois des manuels scolaires : un membre (pas trop rigide) de l’Éducation nationale pourrait-il nous éclairer à ce sujet ?

Ados narcissiques

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Mais c’était pour l’amusement. Ce qui importe plus à l’auteur du blog est d’observer les billets qui ont été repris et envoyés. Le blog a connu en 3 ans plus de 2400 « partages » surtout sur Facebook (950), StumbleUpon (377), Twitter (239), Reddit (187), Digg (183), LinkedIn (181), Pinterest (129), Tumble (119) et Google (89).

Les articles les plus partagés sont :

  • Retour à Reykjavik                                                105
  • La Néerlandaise de Charleville, Australie      74
  • Prédire ou prévoir ?                                                74
  • Facebook ou le monde bisounours                   64
  • Les risques boursiers de mars                             58
  • Annie Ernaux, Les années                                     52
  • Cascades de la côte sud d’Islande                      49
  • Brisbane, son port, ses monts et train             49
  • Dîner sympathique                                                  45
  • Michelet et l’éducation politique                       42
  • Nicolas Sarkozy aux abois                                    39
  • Vers une démocratie écologique ?                    38
  • Cow boys australiens vers Mount Isa               34
  • Éolien, le psychodrame à la française              33
  • Les hommes supérieurs de Nietzsche              30
  • Alix, La cité engloutie                                             26
  • Jacqueline de Romilly, la Grèce antique        26

On le voit, ce sont les lieux de voyage, la littérature et la politique, parfois la gastronomie, qui occupent la meilleure place. Je me pose quand même la question sur la popularité (tant en image qu’en note) des Bisounours : est-ce parce qu’un jour François Hollande en a parlé et que l’animal lui colle bien au caractère ?

La popularité des catégories d’articles est de même :

  • livres           797
  • polynésie     465
  • sexe                430
  • filles                370
  • amour            369
  • nature            365

2013 11 argoul stat depuis origine

Les articles les plus commentés sont sur les mêmes sujets : Mélenchon entre Péguy et Doriot, Scoutisme un siècle d’aventures, Camus Les Justes, Réussir sa vie, Facebook ou le monde bisounours, Cataclysme japonais et changement de civilisation, Social-individualisme, Pour une économie politique, Pourquoi Céline était antisémite, Le Pen lance sa Marine et Nietzsche et la religion selon Camus.

Dans moins d’un an, il devrait atteindre le million. Merci de ces encouragements, lecteurs !

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Drieu fin analyste politique

Retour aux années 30 ? 2013 = 1933 ? Drieu, surréaliste tenté par le communisme avant de suivre Doriot (devenu fasciste) avait diagnostiqué la situation de son époque. elle ressemble à la nôtre par les hommes (aussi médiocres), mais pas par les circonstances (l’histoire ne se répète jamais).

Dans Gilles, Drieu passe une volée de bois vert aux politiciens et autres intellos tentés par le pouvoir. « La politique, comme on le comprend depuis un siècle, c’est une ignoble prostitution des hautes disciplines. La politique, ça ne devrait être que des recettes de cuisine, des secrets de métier comme ceux que se passaient, par exemple, les peintres. Mais on y a fourré cette absurdité prétentieuse : l’idéologie. Appelons idéologie ce qui reste aux hommes de religion et de philosophie, des petits bouts de mystique encroûtés de rationalisme. Passons » p.927.

Pierre Drieu La Rochelle 1914

L’idéologie, domaine des idées, est la chasse gardée des intellos. Ceux-ci alimentent les politiciens ignares par des constructions abstraites, vendables aux masses, autrement dit une bouillie où l’on se pose surtout ‘contre’ et rarement ‘pour’. « Il y a les préjugés de tout ce monde ‘affranchi’. Il y a là une masse de plus en plus figée, de plus en plus lourde, de plus en plus écrasante. On est contre ceci, contre cela, ce qui fait qu’on est pour le néant qui s’insinue partout. Et tout cela n’est que faible vantardise » p.1131. Yaka…

Pourtant, le communisme pouvait être une idéologie intéressante. Déjà, « la foi politique fournit aux paresseux, aux déclassés et aux ratés de toutes les professions une bien commode excuse » p.1195. De plus, l’instrument du parti est appelé à créer une nouvelle noblesse d’État : « Qu’est-ce qui le séduisait dans le communisme ? Écartée la ridicule prétention et l’odieuse hypocrisie de la doctrine, il voyait par moments dans le mouvement communiste une chance qui n’était plus attendue de rétablir l’aristocratie dans le monde sur la base indiscutable de la plus extrême et définitive déception populaire » p.1195. D’où le ripage de Jacques Doriot du communisme au fascisme, du PC au PPF. Il y a moins d’écart qu’on ne croit entre Mélenchon et Le Pen.

Mais les intellos n’ont pas leur place en communisme, ils préfèrent le libéralisme libertaire des années folles (1920-29), et ce n’est pas différent depuis mai 68. Ils ne sont à l’aise que dans la déconstruction, la critique – certainement pas dans la création d’un mythe politique (voir les déboires actuels de l’écologisme), encore moins dans l’action ! « Il y avait là des intellectuels qui étaient entrés niaisement avec leur libéralisme dans le communisme et se retrouvaient, l’ayant fui, dans un anarchisme difficile à avouer tant de lustres après la mort de l’anarchie. Quelques-uns d’entre eux cherchaient un alibi dans le socialisme de la IIè Internationale où, dans une atmosphère de solennelle et impeccable impuissance, ils pouvaient abriter leurs réticences et leurs velléités, leurs effarouchements et leurs verbeuses indignations. A côté d’eux, il y avait des syndicalistes voués aux mêmes tourments et aux mêmes incertitudes, mais qui se camouflaient plus hypocritement sous un vieux vernis de réalisme corporatif » p.1233. Vous avez dit « indignation » ? Toujours la posture morale de qui n’est jamais aux affaires et ne veut surtout pas y être.

Les meetings politiques ou les congrès sont donc d’une pauvreté absolue, cachant le vide de projet et d’avenir sous l’enflure de la parole et le rappel du glorieux passé. François Hollande et Harlem Désir font-ils autre chose que causer ? Proposer des mesurettes dans l’urgence médiatique (tiens, comme Sarkozy…) ? « Mais au bout d’une heure, il lui fallait sortir, excédé de tant de verbiage pauvre ou de fausse technique. Il était épouvanté de voir que tout ce ramassis de médiocres à la fois arrogants et timorés vivaient avec leurs chefs dans l’ignorance totale que put exister une autre allure politique, une conception plus orgueilleuse, plus géniale, plus fervente, plus ample de la vie d’un peuple. C’était vraiment un monde d’héritiers, de descendants, de dégénérés et un monde de remplaçants » p.1214. »Remplaçants » : pas mal pour François Hollande, désigné au pied levé pour devenir candidat à la place de Dominique Strauss-Kahn, rattrapé – déjà – par la faillite morale.

Il faut dire que la France majoritairement rurale de l’entre-deux guerres était peu éduquée ; les électeurs étaient bovins (« des veaux », dira de Gaulle). La France actuelle, majoritairement urbaine, est nettement mieux informée, si ce n’est éduquée ; l’individualisme critique est donc plus répandu, ce qui est le sel de la démocratie. Rappelons que le sel est ce qui irrite, mais aussi ce qui conserve, ce qui en tout cas renforce le goût.

marine le pen et jeanne d arc

On parle aujourd’hui volontiers dans les meetings de 1789, de 1848, voire de 1871. Mais la grande politique va bien au-delà, de Gaulle la reprendra à son compte et Mitterrand en jouera. Marine Le Pen encense Jeanne d’Arc (comme Drieu) et Mélenchon tente de récupérer les grandes heures populaires, mais avec le regard myope du démagogue arrêté à 1793. Or « il y avait eu la raison française, ce jaillissement passionné, orgueilleux, furieux du XIIè siècle des épopées, des cathédrales, des philosophies chrétiennes, de la sculpture, des vitraux, des enluminures, des croisades. Les Français avaient été des soldats, des moines, des architectes, des peintres, des poètes, des maris et des pères. Ils avaient fait des enfants, ils avaient construit, ils avaient tué, ils s’étaient fait tuer. Ils s’étaient sacrifiés et ils avaient sacrifié. Maintenant, cela finissait. Ici, et en Europe. ‘Le peuple de Descartes’. Mais Descartes encore embrassait la foi et la raison. Maintenant, qu’était ce rationalisme qui se réclamait de lui ? Une sentimentalité étroite et radotante, toute repliée sur l’imitation rabougrie de l’ancienne courbe créatrice, petite tige fanée » p.1221. Marc Bloch, qui n’était pas fasciste puisque juif, historien et résistant, était d’accord avec Drieu pour accoler Jeanne d’Arc à 1789, le suffrage universel au sacre de Reims. Pour lui, tout ça était la France : sa mystique. Ce qui meut la grande politique et ce qui fait la différence entre la gestion d’un conseil général et la gestion d’un pays.

Melenchon pdg

En politique, « tout est mythologie. Ils ont remplacé les démons, les dieux et les saints par des idées, mais ils n’en sont pas quittes pour cela avec la force des images » p.1209. La politique doit emporter les foules, mais la mystique doit aussi se résoudre en (petite) politique, forcément décevante. Les politiciens tentent aujourd’hui de pallier la désillusion par la com’.

Drieu l’observe déjà sur le costume démocratique : « Il vérifiait sur le costume de M. de Clérences qu’il était un homme de gauche. Clérences avait prévu cela depuis quelque temps : il s’était fait faire un costume merveilleux de frime. ‘La démocratie a remplacé le bon Dieu, mais Tartufe est toujours costumé en noir’, s’était exclamé à un congrès radical un vieux journaliste. En effet, à cinquante mètre, Clérences paraissait habillé comme le bedeau d’une paroisse pauvre, gros croquenots, complet noir de coupe mesquine, chemise blanche à col mou, minuscule petite cravate noire réduisant le faste à sa plus simple expression, cheveux coupés en brosse. De plus près, on voyait que l’étoffe noire était une profonde cheviotte anglaise, la chemise du shantung le plus rare et le croquenot taillé et cousu par un cordonnier de milliardaires » p.1150. François Hollande est aussi mal fagoté que les radicaux IIIè République. Il en joue probablement ; il se montre plus médiocre, plus « camarade » qu’il ne l’est – pour mieux emporter le pouvoir. Et ça marche. C’est moins une société juste qui le préoccupe que d’occuper la place… pour faire juste ce qu’il peut. « Une apologie de l’inertie comme preuve de la stabilité française » p.1216, faisait dire Drieu à son père spirituel inventé, Carentan.

francois hollande dijon

Mais est-ce cela la politique ? Peut-être… puisque désormais les grandes décisions se prennent à Bruxelles, dans l’OTAN, au G7 (voire G2), à l’ONU. La politique n’est plus la mystique mais de tenir la barre dans les violents courants mondiaux. « (Est-ce qu’un grand administrateur et un homme d’État c’est la même chose ? se demanda Gilles. Non, mais tant pis.) Tu n’es pas un apôtre » p.1217.

Est-il possible de voir encore surgir des apôtres ? Drieu rêve à la politique fusionnelle, qui ravit l’être tout entier comme les religions le firent. Peut-être de nos jours aurait-il été intégriste catholique, ou converti à la charia, ou jacobin industrialiste, autre version nationale et socialiste inventée par le parti communiste chinois depuis 1978. Drieu a toujours cherché l’amour impossible, avec les femmes comme avec la politique, fusionnel dans le couple, totalitaire dans le gouvernement.

Mais la démocratie parlementaire a montré que la mystique pouvait surgir, comme sous Churchill, de Gaulle, Kennedy, Obama. Sauf que le parlementarisme reprend ses droits et assure la distance nécessaire entre l’individu et la masse nationale. Délibérations, pluralisme et État de droit sont les processus et les garde-fous de nos démocraties. Ils permettent l’équilibre entre la vie personnelle de chacun (libre d’aller à ses affaires) et la vie collective de l’État-nation (en charge des fonctions régaliennes de la justice, la défense et les infrastructures). Notre système requiert des administrateurs rationnels plus que des leaders charismatiques, malgré le culte du chef réintroduit par la Vè République.

Nos politiciens sont tous sortis du même moule. Du temps de Drieu c’était de Science Po, du droit et de la coterie des salons parisiens ; aujourd’hui presqu’exclusivement de l’ENA et des clubs parisiens (le Siècle, le Grand orient…). Un congrès du PS ressemble fort à un congrès radical : « Ils étaient tous pareils ; tous bourgeois de province, ventrus ou maigres, fagotés, timides sous les dehors tapageurs de la camaraderie traditionnelle, pourvus du même diplôme et du même petit bagage rationaliste, effarés devant le pouvoir, mais aiguillonnés par la maligne émulation, alors pendus aux basques des présidents et des ministres et leur arrachant avec une humble patience des bribes de prestige et de jouissance. Comme partout, pour la masse des subalternes, il n’était point tellement question d’argent que de considération » p.1212. Pas très enthousiasmant, mais le citoyen aurait vite assez de la mobilisation permanente à la Mélenchon-Le Pen : déjà, un an de campagne présidentielle a lassé. Chacun a d’autres chats à fouetter que le service du collectif dans l’excitation perpétuelle : sa femme, ses gosses, son jardin, ses loisirs. Le je-m’en-foutisme universel des pays du socialisme réel l’a bien montré.

Dans le spectacle politique, rien n’a changé depuis Drieu. Les intellos sont toujours aussi velléitaires ou fumeux, les révolutionnaires toujours aussi carton-pâte, les politiciens tout autant administrateurs fonctionnaires, et les militants dans l’illusion permanente avides du regard des puissants (à écouter le syndicaliste socialiste Gérard Filoche aux Matins de France-Culture, on est consterné). Même s’il ne faut pas le suivre dans ses choix d’époque, Drieu La Rochelle reste un bon analyste de l’animalerie politique. Il n’est jamais meilleur que lorsqu’il porte son regard aigu sur ses contemporains.

Pierre Drieu La Rochelle, Gilles, 1939, Folio 1973, 683 pages, €8.64

Pierre Drieu La Rochelle, Romans-récits-nouvelles, édition sous la direction de Jean-François Louette, Gallimard Pléiade 2012, 1834 pages, €68.87

Les numéros de pages des citations font référence à l’édition de la Pléiade.

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Internet nous change

L’autisme affiché des jeunes dans le métro ou dans la rue, casque vissé sur les oreilles et œil dans le vague, dansotant en rythme d’une musique qu’ils sont seuls à entendre, paraît ridicule aux générations d’avant les i (iPod, iPhone, iTunes, iPod, iPad…). Il n’est pourtant que la version oreilles d’un comportement largement admis pour l’œil : la lecture. Les passagers du métro plongés dans leur bouquin s’isolaient tout autant du monde alentour, parfois même en marchant. Fuite devant le réel ou désir de quant-à-soi ? Avons-nous changé de monde ou seulement changé d’outils ?

Les enquêtes réalisées depuis 1973 (presque 40 ans !) montrent que les tendances sont lourdes : baisse de la lecture imprimée et hausse des consommations d’écrans (TV, jeux vidéo, Internet, réseaux, baladeurs… et les liseuses qui tendent à remplacer le livre de poche !). Même les forts lecteurs, même très diplômés, lisent moins. En cause, le temps, qui n’est pas élastique. La multiplication des écrans nomades multiplie les tentations d’expérience au détriment de la pause réflexion. D’autant que l’éducation dite « nationale » privilégie la sélection par les maths, qui n’encourage en rien à lire ! La culture littéraire et artistique serait élitiste, « bourgeoise » (capitaliste), reproductrice des inégalités sociales, voire tentation de pédé (un livre dans un collège de banlieue est aussi mal vu qu’une jupe pour un garçon). La démagogie jeuniste accentue les prescriptions à lire court, en extraits, si possible par emprunt (surtout ne jamais acheter de livre, surtout ne pas s’encombrer !).

D’autres habitudes de lecture naissent de la facilité des outils : finis les textes trop longs, trop pavés, trop bavards. Place au vif, à l’illustré, au témoignage. Les articles du ‘Monde’ qui tenaient des pages entières en 1970, remontant aux calendes grecques avant même d’aborder le sujet traité, puis terminant sur une interminable morale en conclusion, ne sont tout simplement plus « lisibles » aujourd’hui. On s’en fout de l’opinion du journaliste (toujours bien conventionnelle, en majorité tendance mainstream, donc gauche bobo) ; on s’en fout de la préhistoire de la délinquance, du nucléaire ou de tout autre sujet : place à aujourd’hui ! Ici et maintenant. Ce qui se passe, ce qu’on peut faire et comment. Ni plus, ni moins. Merde aux concepts et vive le pragmatique. C’est à mon avis un progrès.

Ce qui l’est moins semble le zapping permanent qui nait de l’hypertexte. A force de cliquer sur les liens offerts ici ou là, vous perdez le fil de votre recherche, vous digressez, vous foncez sur les détails sans plus envisager l’ensemble. Faites l’expérience : consultez l’historique de votre moteur… Les jeunes nés avec le net passent, selon les enquêtes, très facilement d’un journal à un autre, selon l’humeur et les circonstances. Ils saisissent les occasions de lire quand elles se présentent (chez le coiffeur, les amis, les gratuits du métro…). Sans critique des sources, croyant le prescripteur le plus connu ou le plus captivant, sans réfléchir par eux-mêmes. D’où la présentation de plus en plus éclatée, remplie de balises pour capter une attention évanescente. Lire fragmenté, est-ce comprendre l’argumentation ? N’est-ce pas plutôt sauter sur les seuls faits qui vont dans votre sens ? La tentation est de rester entre soi plus que de se confronter à des idées nouvelles ou contraires aux vôtres. Les errements de Wikipedia il y a quelques années ont obligé à une reprise en main : l’égalité et le partage sont des valeurs de convivialité, pas de vérité. Celle-ci est une construction critique à l’aide de sources évaluées et confrontée. La misère des mémoires de master ou de thèse montre à quel point le « plan » est un enseignement qui n’est plus jamais fait.

Quant à l’imaginaire, il ne sait plus naître des seuls mots, il exige aussitôt l’image. Même réinventée, déformée, artistiquement traitée, l’image support d’imaginaire ne laisse jamais aussi libre que les mots, elle préforme. Au risque de tomber dans les stéréotypes. Est-ce vraiment un progrès ? L’essor de la presse people et des interrogations sentimentales sur Internet sont de la même veine. Facebook, Twitter, YouTube, SkyBlog et autres réseaux sociaux sont une façon pour les jeunes de se stariser. Se faire voir et côtoyer les célèbres. Faute d’identité formée par la conscience de soi, qui nait des livres, de la confrontation de la pensée avec celle d’un autre par les mots – on se crée un personnage, fait de photos en situation, de vidéos amusantes ou décalées, de fantasmes surjoués, de maximes illustrées, de mentions « J’aime » qui situent. La jeunesse se met en uniforme, même torse nu : il s’agit de montrer les abdos et les pectos bosselés chez les garçons, les seins et les hanches rebondis chez les filles.

Et la liberté dans tout ça ?

La liberté ontologique est contrainte par les outils et les nouvelles manières de penser imagées. La liberté politique est quant à elle réduite. Les Français transfèrent massivement leurs données personnelles en Californie, sur des serveurs étrangers appartenant à une compagnie privée. Carnets d’adresse, liste d’amis, photos de vie privée, messages intimes sont stockés sous la loi de Sacramento et visibles sans contrôle par les organes de police et de renseignement d’un pays tiers (Patriot Act). Au risque de se voir accuser de crimes et délits dont ils n’auront même pas conscience, mais que tout débarquement sur le sol américain révèlera aussitôt (c’est arrivé). Au risque de se voir supprimer tout accès du jour au lendemain sans préavis, sur un caprice technique ou juridique du pays étranger (Amazon via Kindle sur les traductions d’Hemingway). Au risque de voir perdre l’information de cette masse de données, offertes gratuitement en exploitation à des entreprises de divertissement ou de commerce hors de France (Google). A-t-on bien conscience de ces implications lorsqu’on documente Facebook, Twitter, YouTube, Google et autres ? Et pourtant, on ne les entend guère, les gueulards du souverainisme, anticapitalistes forcenés, adeptes de la théorie du Complot CIA & multinationales ! Est-ce naïveté ou posture ?

Internet est comme la langue d’Ésope : la meilleure et la pire des choses. Il est ce que nous en faisons. Auparavant nous séparions vie privée et vie publique ; aujourd’hui nous séparons vie ordinaire et vie médiatique. La parole publique se démocratise, mais dans le même temps envahit l’existence. Se connecter aux médias sociaux, c’est se déconnecter de l’ordinaire, de la société, au profit d’un entre-soi choisi et construit. Rêve d’une interaction sans risque, le réseau social est un préservatif pour aller sonder les autres. Sans conflit puisqu’il suffit d’ignorer, d’effacer ou de « tej ». Nul doute que l’ouverture à l’autre, grand projet social des Lumières, en est réduite…

On peut lire sur le sujet le numéro 170 de mai-août 2012 de la revue Le Débat, Gallimard, €17.10. Redondant, souvent chiant, se sentant obligé de donner la parole à tous les « noms » qui comptent dans l’univers du numérique et qui se répètent à l’envi, les 175 pages consacrées au sujet donnent cependant des idées.

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Rentrée à Tahiti

Depuis le 16 août les collégiens et lycéens ont repris le chemin des établissements scolaires. Mais la veille…

Il est 16h38 ce mercredi 15 août, un tremblement de terre durant 4 secondes, les murs et les meubles ont bougé. Magnitude 4 sur l’échelle de Richter, et à 50 km de Tahiti. La peur m’a privé de 5 g de graisse. Une secousse sur le fond océanique dans la région de Teahitia, côte est de Tahiti. Nous avons nettement ressenti la secousse, le sol a bougé, les meubles tremblé, certains ont découvert des fissures dans leur habitation, Moorea a ressenti également la secousse. Les autres archipels n’ont pas été concernés. Séisme isolé, pas de réplique et aucun danger dit le laboratoire géophysique de Pamatai. Le 16 mars 2008, il y avait déjà eu un séisme de magnitude 3 dont l’épicentre se situait à une profondeur de 10 km toujours dans cette même région de Teahitia. Vous avez été sages, vous aurez droit à une petite carte du volcan Mehetia et des volcans sous-marins.

Grande nouveauté pour les collégiens le lendemain : tout le monde en uniforme ! De la 6e à la 3e. Les dents ont grincé, certains ont parlé des droits de l’homme bafoués. Les requêtes de parents d’élèves visant à empêcher l’uniforme à l’école ont été rejetées par le Tribunal administratif. Une tenue 700 FCP (5,87 €), les parents des élèves boursiers recevront 3000 FCP (25,14 €). Je vous rassure tout est fabriqué en Chine. Hein ? La Chine, vous disiez ? « Pour acheter les nouveaux linges (habits), mes filles commandent plutôt sur Internet en surfant sur un site français, dit une mère de famille parlant des dépenses pour la rentrée des classes ».

Que de victoires ! Les rameurs polynésiens gagnent toutes les courses, sur 200 m, sur 500 m, sur…, sur… Sonnez trompettes, résonnez tambours à Nottingham. Grâce au soutien personnel du milliardaire australien Clive Palmer, grand ami du président du gouvernement polynésien soi-même, sous la houlette du ministre de l’Éducation, des Sports, etc., les athlètes du Fenua ont tout raflé. Ce succès sportif anime la compétition entre Tavini (Indépendantiste) et Tahoera’a (autonomiste) qui concourent dans la discipline verbale ! Oscar l’Indépendantiste : «Un pas vers les Jeux Olympiques, grâce à mon ami australien Clive Palmer, une vision de notre futur ». L’autonomiste Tahoera’a lui parle des nombreux déplacements des élus indépendantistes à Paris, sébiles à la main tandis que le prix de l’essence et du gasoil s’envole.

Le dragon boat vient de la Chine ancestrale. L’engouement pour cette discipline dure depuis une vingtaine d’année en Chine, Allemagne, Grande-Bretagne. Ce sport se pratique à 10 ou 20 rameurs auxquels s’ajoutent un barreur et un batteur, sur une embarcation de 12 m de long sur 1m20 de large, avoisinant les 300 kg. Ses adeptes rêvent d’en faire une discipline olympique. C’est sur la Tamise, my God, en marge des Jeux olympiques de Londres qu’a été organisé ce 10e championnat européen… Et c’étaient des Mao’hi qui ont tout gagné… je n’y comprends plus rien !

Changement à Paris, changement à Papeete. Tandis que Richard Didier, Haussaire, s’apprête à regagner Paris, son remplaçant Jean-Pierre Laflaquière débarque. Arrivé fin janvier 2011 sur le territoire, le Haut-commissaire de la République française était un homme affable et apprécié ici, mais il avait été conseiller pour l’Outre-mer du président Chirac. Il est donc remplacé par le préfet hors-cadre Jean-Pierre Laflaquière. On change tout à Paris, enfin un peu, ce sont donc 13 préfets qui ont été nommés en conseil des ministres, et ce nouveau Haussaire porte le numéro 13… C’est la valse à 13 temps, à 13 temps. Et cela sent comme une odeur d’indépendance…

À vos télés sur France 3 : le magazine Thalassa devrait programmer en décembre 2012 voire janvier 2013 une émission de 110 mn sur la Polynésie française. Le réalisateur Gil Kebaïli a mis en boîte plein d’images et de documents sur les Marquises et l’atoll de Raroia. Il a voyagé pendant 2 mois au fenua. Il a ainsi pu filmer les fêtes du Heiva aux Marquises, une chasse au cochon sauvage, tandis que sur l’atoll il a filmé un mariage, des coprahculteurs, une ferme perlière. Donc des tas d’images à découvrir prochainement sur France 3.

Hiata vous salue, portez-vous bien ; je cours préparer ma valise pour la Chine.

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Les interrogations de l’été

Sur un mois, WordPress fournit des indicateurs statistiques de ce qui est recherché par les lecteurs du blog. Attendez-vous à des surprises !

Ce ne sont que nudité, filles et seins à tous les étages. La Polynésie fait rêver parce que les filles vont nues (selon la mythologie), le sexe intrigue parce que ce sont les ados qui consultent le plus les blogs pour y chercher des images. La nature n’est là que pour le nu, l’état de nature où le naturel revient au galop.

Certes, me direz-vous, mais il y a les livres, l’amour, l’imagination, et même la liberté. Certes, répondrai-je, mais les livres sont illustrés sur ce blogs de photos à poil, l’amour est un mot-clé des images, femme et liberté appellent au paradis de nature.

Reste l’imagination. Et là, peut-être…

Nous verrons bien à la rentrée. L’été est fait pour se défouler et jouir en liberté.

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Musée du loup au Cloître Saint-Thégonnec

Sous la IIIème République fut tué le dernier loup breton. Pierre Berrehar, du Cloître Saint-Thégonnec, en a touché la prime le 6 octobre 1884. Nous sommes à l’entrée des monts d’Arrée et ce territoire encore sauvage reste alors le dernier refuge des loups. Ceux-ci ont en effet besoin d’espace et de halliers où mettre bas. Le recul du bocage et l’extension des forestiers et des agriculteurs a chassé le loup peu à peu. Il a aujourd’hui disparu.

Le Cloître Saint-Thégonnec est le nom d’une commune qui n’a rien à voir avec celle de Saint-Thégonnec, à 25 km de là, célèbre pour son enclos paroissial. Isolée des circuits touristiques et de la voie rapide Rennes-Brest, le Cloître – 12 km au sud de Morlaix – a eu l’heureuse idée de consacrer au loup un musée.

Le prétexte en est que le dernier loup de Bretagne a fini là. La publicité de ce nouvel établissement est habilement faite, par des panneaux de signalisation sur le circuit des enclos et par des dépliants dans les offices de tourisme. Le musée est surtout conçu pour les enfants, mais les adultes apprendront beaucoup de choses, de quoi alimenter les veillées et les histoires raides, juste avant de dormir.

Tout commence avant l’entrée par des hurlements à vous donner froid dans le dos. Vous sentez vos poils se hérisser alors que les petits vous prennent la main.

Courageusement, vous vous avancez, jusqu’à rencontrer une toute jeune fille au fond d’un couloir sombre. Elle a les joues roses et le chaperon tiroir-caisse puisqu’elle vous soutire 3,50€ par tête. D’un ton ingénu, elle vous prévient qu’elle va bientôt passer « un film pour adulte » dans la salle du fond…Vous vous demandez si l’interprétation psychanalytique des contes de fée a quelque consistance, notamment le petit chaperon prépubère mais déjà rouge qui rencontre au lit le viril loup poilu « déguisé en grand-mère » – lorsque vous voilà poussés derrière un rideau noir.

A peine la suggestion vous vient-elle que, décidément, c’est le bordel, voilà la nuit profonde qui vous happe. Venus du dehors, où règne le grand soleil de la transparence démocratique, vous êtes plongés ensemble dans l’obscurité propre à tous les fantasmes et à toutes les suggestions. Inutile de dire que les petits ne vous lâchent pas. Malgré les 25° ambiants, les frêles épaules frissonnent au-dessus des débardeurs. Monte un hurlement alors que vous vous heurtez à un coude du couloir, tandis qu’apparaissent de petites paires d’yeux fendus qui luisent fixement dans la pénombre. Vous voilà mis dans l’ambiance.

Lorsque vous émergez de la chicane, un loup blanc fort connu projette une ombre gigantesque sur le mur. Il vous attend tranquillement, assis sur son train. Il a aiguisé ses crocs et ses griffes sont prêtes.

Un autre vous guette au tournant, babines ouvertes et crocs menaçants à votre hauteur, les oreilles en arrière comme font les carnivores quand ils vont vous sauter dessus. Les mômes seraient impressionnés si vous n’étiez pas là – mais seraient-ils venus d’eux-mêmes se fourrer dans la gueule du loup ?

Vous leur montrez que la bête ne bouge pas, qu’elle est froide et même empaillée ; vous leur faites toucher la fourrure rêche. Vous leur faites remarquer que les yeux fixes sont de verre, ils ne vous regardent plus quand vous n’êtes plus dans l’axe. Adulte, vous pensez quand même que voilà une parfaite machine à tuer, 50 kg de muscles velus entraînés au marathon, enrichis d’une mâchoire à fracasser un fémur et qui a faim de viande saignante à raison de 10 kg par jour. Un panneau explicatif vous fournit obligeamment ces quelques renseignements.

Il ajoute, on le saurait depuis La Fontaine si l’E.NAtionale faisait encore réciter quoi que ce soit, que le cerveau du loup est d’un tiers plus gros que celui d’un chien. Nettement plus rusé, chassant en meute, obéissant à sa hiérarchie, le loup est proche de la bête humaine : ne dit-on pas que l’homme est un loup pour l’homme ? C’est un samouraï, un commando, un fasciste, pas comme ce con de chien démocratique qui geint dès qu’on le regarde fixement et recule cauteleusement, la queue entre les jambes, avant de vous aboyer après, mais de loin et quand vous êtes passés.

Le loup vous reconnaît pour dangereux même à dix ans et, avec raison, se méfie des hommes. Un panneau raconte l’histoire de ce petit berger qui en fit fuir un. L’animal préfère se cacher et ce n’est que dans les grandes étendues, lorsque le froid a chassé toute proie vivante, qu’il s’attaque aux troïkas russes ou aux petites filles des histoires de notre enfance. La « bête » du Gévaudan elle-même serait peut-être moins un loup qu’un homme, tueur en série avide de viols et de sang des très jeunes gens. Mais à toujours crier au loup… qui vous croira ?

Les salles se succèdent, éclairées de façon théâtrale du plus sombre au plus clair à mesure que vous avancez. L’irrationnel d’abord, le rationnel à la fin, la progression est savamment menée. Vous passez du physique de la bête aux mœurs évoluées du loup, de ses prédations aux légendes des hommes – déformées et amplifiées. On le dit issu du Diable, évidemment, alors que Dieu, sensé être à l’origine de toute la Création, n’aurait fait que le chien… S’il est diabolique, alors il tente l’homme, surtout le mâle, l’incitant à se transformer en garou (sexuel et violent, au contraire des Commandements d’église). Le garou serait la prononciation gauloise de vere ou vir, l’homme, dans l’expression germanique ‘verewolf’, homme-loup.

Ce n’est pas très difficile de sombrer, à lire un « avis » placardé ici : « Si vous vous sentez tout drôle un soir de pleine lune ; si vous êtes restés sept ans sans vous confesser ou mettre les doigts dans un bénitier ; si vous êtes épuisé le matin… Vous êtes probablement un loup-garou ! » Le film pour adulte vous donne plus de détails. Un ethnologue insiste : pour devenir garou, semblable au loup, il fallait se dé-civiliser, se dépouiller de son humanité en enlevant ses vêtements pour se rouler tout nu, la nuit, au bord de certaines mares ou dans des feuilles mortes. Cela vous lavait de l’homme et faisait resurgir vos instincts profonds de bête, de prédateur carnassier que notre espèce a été durant des centaines de milliers d’années. A voir jouer et se battre les petits enfants l’été, presque nus dans le sable ou la boue, heureux sous la pluie ou le ventre dans l’herbe, vous vous dites que peut-être le mythe du loup-garou n’est pas si bête. Il ne serait que la tentation qui vient de balancer toute raison…

Le musée expose des images, mais use de beaucoup de mots pour apprivoiser le loup. Lorsqu’on en rencontrait un, il fallait citer de mémoire l’invocation à un saint – manière de faire entrer dans les crânes obtus les bienfaits de l’éducation. Saint Hervé était réputé pour avoir apaisé le loup – manière pour l’Eglise de profiter de la peur pour assurer son emprise. On parle aussi de saint Ronan, mais en rapport avec la lune du loup qui vient des légendes celtes (il la bouffait au 372ème mois pour que le cycle soit pur). Cependant, les paysans madrés savaient que la « danse des sabots » était plus efficace que les incantations : enlever ses sabots et les frapper l’un contre l’autre rendait prudent le loup, de même que brandir un bâton ou une fourche.

Vous avancez dans le musée, voici la cheminée sous laquelle vous pouvez entendre l’histoire du petit chaperon rouge, lue par un adulte ou en bande dessinée sous le manteau.

La salle suivante, bien éclairée, fait jouer avec le loup petits et moyens par des objets à soulever, des trous où mettre l’œil, des vitrines de peluches. Les parents iront voir, pendant ce temps, la salle attenante consacrée aux peintures et sculptures temporaires en rapport avec le loup. Un dernier endroit, peint en sombre pour lâcher l’imagination, laisse des livres d’images à portée des loupiots. Vous êtes juste avant la boutique, tenue par la même jeune fille aux joues roses, qui vous vend les désirs repérés : les livres d’enfants y tiennent la meilleure place.

Comptez-les biens, vos petits, peut-être le loup vous en a-t-il pris un ? Qui le saura avant de revoir le soleil ?

Un manque choquant dans ce musée : les louveteaux, ci-dessous croqués par Pierre Joubert. Si l’on peut laisser de côté loubards de banlieue et Loups gris turcs, la laïcité n’exige pas d’ignorer de façon aussi flagrante un fait social aussi important que le scoutisme, fût-il à l’origine religieux. Alors que toutes les marchandises de la religion Disney sont en vitrine et dans les livres proposés.

Musée du loup, 1, rue du calvaire, 29410 Le Cloître Saint-Thégonnec, 02 98 79 73 45

Ouvert tous les jours de 14 heures à 18 heures en juillet et août et toute l’année sur réservation pour les groupes (20 personnes). Tarifs : adultes : 3,50€, enfants 7 à 12 ans : 2,50€, enfants – de 7 ans : gratuit.

Site : http://www.museeduloup.fr/

Animations estivales 2012 :

  • Exposition Le petit conte rouge, du 1er juillet au 31 Octobre
  • Loup gris et paysage en Monts d’Arrée, les vendredi 6, 13, 20 et 27 juillet : Après une visite guidée au musée du loup le matin, un guide nature de Bretagne Vivante-SEPNB, vous fera découvrir les landes du Cragou l’après-midi, réserve naturelle régionale entre steppe et savane, riche d’une flore et d’une faune exceptionnelles et ensorcelantes…. Réservation obligatoire : 02.98.79.73.45
  • Les nuits du Loup, les 18 juillet et 8 août : Partez sur les traces du loup… visite libre du musée à partir de 21h, puis balade nocturne dans la réserve naturelle régionale des Landes du Cragou en compagnie d’un guide nature. A partir de 6 ans. Réservation obligatoire : 02.98.79.73.45
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Les médias font-ils une élection ?

Réponse : non, mais ils y contribuent.

Jeudi 5 avril en soirée avait lieu à l’amphithéâtre François Furet de l’EHESS, boulevard Raspail à Paris, un ‘Rendez-vous de crise’. Le monde médiatique est-il en connivence avec le monde politique ? Trois chercheurs ont ouvert le dialogue avec un journaliste. Brigitte Le Grignou professeur de science politique à l’université Paris Dauphine, Bernard Manin et Cyril Lemieux tous deux directeurs d’études à l’EHESS ont donné la théorie. Thomas Legrand, éditorialiste politique à France-Inter, jouait « le machiniste » (dixit), l’homme de pratique, rendant le discours concret et plus vivant. Le « débat » était modéré par Michel Abescat, journaliste à Télérama.

Débat y avait-il ? c’est un bien grand mot, si l’on utilise le vocabulaire précis de la science politique. Les gens de l’estrade se parlaient entre eux et l’assistance a été frustrée de ne pouvoir poser que trois questions, un quart d’heure en tout sur les deux heures. Nous avions, étagés dans l’amphithéâtre, un public d’intellos piliers du quartier et amateurs de SS, plus quelques étudiants en science politique et en école de journalisme. Ces derniers étaient reconnaissables à leur vêture mode, décalée, déstructurée et décolletée, qui apportait un air de printemps à ces doctes débats. Mais printemps n’est pas démocratie, la bonne parole était délivrée d’en haut, le savoir imposé à des « apprenants ». Selon une formule de Bernard Manin, la meilleure forme de contrepouvoir politique consiste pourtant dans le débat.

Les médias participent du débat démocratique, comme hier l’agora d’Athènes, mais le monde a changé, les techniques ont évolué. Bien que durant ces deux heures de colloque aucun plan clair ne soit apparu, la gentille animation des débateurs a révélé deux points importants : l’importance des communicants et la révolution numérique.

L’importance des communicants

Depuis trois décennies, nulle politique sans spécialistes de la com qui disent ce qu’il faut dire, comment le dire et à quel bon moment. Les meetings sont ainsi organisés et orchestrés selon un plan de com, allant jusqu’à produire les images du direct pour les télés. Il est vrai, remarquait Thomas Legrand, que si les centaines de caméras envoyaient toutes au même moment leur signal au même satellite, il n’est pas certain qu’il n’y aurait pas saturation… Le rôle des médias devrait alors de « réaliser » le reportage en choisissant leurs images dans le flot, en privilégiant une caméra sur une autre selon le fil du discours et en découpant les séquences eux-mêmes. Faute de temps, avides de scoop immédiat, et par facilité, les médias du direct le font de moins en moins. Rassurons-nous (?) : c’est le même professionnel vidéo qui officie pour les meetings Sarkozy ou Hollande.

Mais la communication isole le politicien des électeurs. Le filtre du spécialiste inhibe le discours et réduit le projet à un catalogue d’économiste. Il y a donc, note Bernard Manin, divorce entre les promesses et la réalité. Sauf qu’il y a malentendu : les promesses, pour un politicien, sont réalisées par des lois ; pour l’électeur, c’est le résultat qui compte. Drame de la com : pour mobiliser, il faut avoir une idée choc par semaine ; pour réaliser, il faut cependant passer par la fabrication du droit. Cela prend bien plus de temps que de le dire, passe par plusieurs filtres de débats au Conseil d’État, à l’Assemblée, au Sénat, parfois au Conseil constitutionnel. Le temps qu’une décision soit traduite en loi, il se passe des mois, parfois des années. Le communicant est-il donc compatible avec le politicien ?

Il faut probablement voir dans le chiffrage des programmes, dit Thomas Legrand, un effet de ce grand écart qui a marqué le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Lui candidat de 2007, comme Ségolène Royal, avaient su mobiliser l’électorat populaire, obtenant un niveau d’abstention au minimum depuis 1974, rappelle Cyril Lemieux. Mais on voit le résultat : promesses non tenues en termes de résultat réel, électorat populaire déçu, largement tenté par l’abstention, tout en déclarant voter extrémiste (Le Pen ou Mélenchon) dans les sondages.

La révolution numérique

Les sondages, justement. La technologie avec le mobile, l’iPhone et l’Internet a permis de les multiplier en baissant leur coût. Bernard Manin s’étonne de les voir aussi importants en France, ce qui n’est absolument pas le cas dans les autres pays. Sont-ils instantanés d’opinion ou prophéties ? La montée de Mélenchon participe probablement plus du second aspect que du premier selon Cyril Lemieux. Ladite « opinion » en effet se résume à un millier de personnes seulement, à qui l’on pose des questions pas toujours neutres, et pour lesquelles certains « ne savent pas ». Les médias mettent en scène trop souvent des informations qui n’en sont pas, du style « les Français déclarent… » alors qu’une lecture fine du sondage montre que seulement 52% des gens interrogés qui se sont exprimés, soit quelques centaines de personnes, « penchent plutôt vers… »

Second effet de la révolution numérique : les archives. Il y a 15 ans, dit Thomas Legrand, lorsqu’un homme politique faisait une déclaration choc, il fallait que le journaliste décide de garder le ‘bobino’ de l’enregistrement. C’étaient ses archives personnelles dans des armoires, l’index dans sa tête. S’il changeait de rubrique, cette mémoire était perdue, ou bien l’archiviste mettait des heures à retrouver le son. Terminé aujourd’hui. Mémoire et indexation sont facilités par le numérique, d’où le surgissement des comparaisons. Le politicien se trouve confronté à ce qu’il a déclaré auparavant, souvent en contradiction. Même le net s’y met, c’est le grand jeu du YouTube relayé sur Facebook. Ce qui décrédibilise le discours politique et fait des médias, parce c’est facile et fait scoop, de purs critiques qui ne cherchent pas à approfondir. Les grands enjeux du pays ne sont donc pas débattus entre candidats ; ils préfèrent leur débat interne, ou la césure droite ou gauche est moins pertinente aujourd’hui que la césure souverainisme ou ouverture.

Y a-t-il donc révolution dans l’approche des médias par le public ? Pas vraiment, note Brigitte Le Grignou. Seule la télévision reste un média de masse, qui touche les campagnes et surtout les catégories populaires, grosses consommatrices (40 mn de plus par jour que les CSP+). La presse quotidienne continue de n’être lue que par les surinformés (seulement 4% des électeurs) ; elle reste « élitiste » – même ‘Le Parisien’, déclare Cyril Lemieux, en nuançant. Quant à Internet, il reste marginal en France. Il a une influence réelle, mais limitée au cercle restreint du réseau (Twitter, Facebook, blogs). La radio n’a guère été évoquée.

Alors, quelle influence des médias ?

A la marge. La plupart des gens sont déjà ‘convaincus’ du fait de leur appartenance aux groupes primaires : famille, clan, cercle d’amis, réseaux du net (pour les jeunes). C’est donc « la conversation » qui est le lieu privilégié de la cristallisation de l’opinion, comme le dit Cyril Lemieux en citant Gabriel Tarde. Conversation qui peut se prolonger sur Internet dans les commentaires, chats et échanges fessebookiens. Les gens votent comme leur groupe, sauf aux moments d’émotion où un événement ou un personnage les emporte au-delà de leur sensibilité de base. Ce fut le cas en 2002 avec le thème de l’insécurité et le passage en boucle par les télévisions du vieux monsieur agressé. Mais cette influence émotionnelle est très courte, quelques jours à quelques semaines. Cela ne change pas l’opinion de fond.

Le rôle ultime des médias, outre d’informer et de faire se confronter les opinions divergentes, reste donc surtout de mobiliser. Faire venir l’électeur aux urnes par dramatisation des enjeux est probablement l’influence la plus forte qu’ils ont. Rien de plus, mais ce n’est déjà pas mal.

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