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Nu au compteur

Le nu ne s’est jamais aussi bien porté… sur le net. Cela alors que la morale ambiante est de plus en plus puritaine, contrainte par les trois religions du Livre grimpant vers l’intégrisme.

En témoignent les « termes recherchés » sur les moteurs qui aboutissent à mon blog – en regard des articles les plus lus.

Un florilège des mots ou fragments de phrases tapés en recherche, avec leur orthographe incertaine et leurs raccourcis cocasses mérite d’être cité :

  • fantasme etre surprise entré d’être baiser rudement raconte
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  • famille à la masturbation
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« Surprise, seins, bander, nu(e), baiser, dénudé, en chaleur, troc, jupette, slip, ligoter, esclave, bikini, sans culotte (révolutionnaire ou soixantuitarde ?), naturiste, punition, cul, sucer… » montrent une adolescence fiévreuse. Le terme « gamin » ou la mention de l’âge questionne sur la première fois, sur l’âge du premier désir, sur la curiosité plus que sur les actes : « bande dessinee en francais pour adulte concernant la baise qui est lisible », « gamin baiseur », « polynesian teens ». La naïveté des termes laisse parfois pantois : « naturistes tous nu » – on se demande pourquoi ils seraient naturistes.

Les références aux Noires, à une fille touareg, à une « française bourgeoise » ou à la nudité « au pogrom » laissent penser qu’il y a de la « diversité » chez les quêteurs de réponse. Avec un certain sadisme parfois : punir pour mettre à jouir. Le pire et le plus drôle étant le « donald trump etant scout » : le questionneur souhaite-t-il que le paon macho yankee se soit fait violer par un moniteur prêtre ?

Ne viendrait-on majoritairement sur mon blog que pour le sexe ?

Parmi les articles les plus lus depuis l’origine (2010), on trouve quand même Tahiti, l’euro, Le Clézio, Stevenson, Céline, l’antisémitisme, Facebook, entre autres. Parmi les articles les plus lus dans les derniers sept jours, Stendhal et la politique, le mouvement social de los Indignados en Espagne, Nietzsche, Philip Roth et Philippe Sollers – même si la misère sexuelle et les corps chantent à la plage sont en bonne place.

Au fond, les moteurs de recherche ramènent surtout les images du blog dans leurs filets, moins les textes. Quand ceux-ci font l’objet d’un mot-clé, le lecteur est tout de suite plus sérieux : prof ou scolaire, amateur cultivé, chercheur. Mais si je ne mettais aucune illustration, comme un ancien blogueur qui se piquait de mots, je gage que les visites sur mon blog seraient bien moins fréquentes. Les images attirent sur le texte et font du buzz ; on vient ensuite pour plus sérieux, comme les auteurs au programme de français ou de philo, ou même sur la politique.

Il est bon de regarder de temps à autre ce qu’on lit des publications que l’on donne. Pour ne pas rester hors-sol, pour prendre le pouls du lectorat, pour s’expliquer les quelques 1200 visites quotidiennes – et plus le dimanche (est-ce pour la critique de film ou par qu’il y a plus de temps pour surfer ?).

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Misère sexuelle début de siècle

Michel Houellebecq avait raison, il y a plus de vingt ans, de dénoncer la fausse « libération » sexuelle post-68. L’exigence de la mode était de baiser à tout va, n’importe où, et avec n’importe qui. « On aime s’envoyer en l’air » décrétait un vieux couple – jeune en 1968 – dans une récente publicité pour un comparateur de vols aériens. Mais être dans le vent ne signifie pas que le vent vous porte : il peut aussi vous souffler.

Pire est la sexualité adolescente d’aujourd’hui, avant tout numérique. Le réel fait peur, la faute aux parents timorés qui enjoignent à leurs petits de ne pas faire confiance, à personne, jamais. Ni sourire dans la rue, à peine un salut (et seulement aux gens déjà connus), ne pas suivre. L’hystérie télé est passée par là avec les « affaires » médiatiques de pédophilie. Même si elles sont statistiquement rarissimes (et à 75% en famille…), pas plus fréquentes hors domicile que les homicides, et moins que les morts par accident de voiture, elles contraignent le comportement de tous, tous les jours. A force de s’enfermer, la société crée des autistes : pourquoi cette pathologie se développe-t-elle autant ces dernières décennies ?

Certains rigoristes, en général esclaves de morales religieuses jamais pensées, mettent en cause la capote, la pilule et l’avortement comme un lâcher de freins. Les femmes, désormais libérées d’une grossesse non désirée, se débonderaient. Goules hystériques, elles sauteraient sur le premier venu pour se faire jouir, allant d’amants romantiques (mais bien membrés) aux sex-boys et aux tendres sex-toys éphèbes des cougars. Mais le fantasme mâle patriarcal des religions du Livre ne fait pas une réalité. Les filles sont tout aussi tendres et affectives que les garçons et, si leur jouissance est plus lente à venir, exigeant tout un environnement physique, affectif et moral, elles n’en sont pas plus animales.

Contrairement à ce que voudrait faire croire la doxa machiste – et le commerce bien pensé. L’industrie du porno fleurit en effet d’autant plus que les outils du net sont désormais à sa disposition depuis une génération. Des acteurs et actrices payés pour cela « jouent » un rôle en exhibant leur sexe, soigneusement maquillé  (épilation, lustrage rose des petites lèvres pour les filles, huilage des muscles et viagra pour les garçons). Ils caricaturent « l’acte » en le multipliant, prenant des poses de cascadeurs, émettant des sons de jouissance comme les rires mécaniques des émissions drôles. Tout cela vise à divertir, à exciter, à vendre – tout cela n’est pas la réalité.

LA BOUM, Alexandre Sterling, Sophie Marceau, 1980

On ne fait pas des bébés dans l’outrance pornographique mais dans l’amour partagé. Et c’est cela qu’il faut expliquer aux enfants. Les tabous iniques des religions du Livre (toujours elles) empêchent les parents de jouer leur rôle de guide. « On ne parle pas de sexe, c’est grossier ; ce n’est pas de ton âge ; on verra ça plus tard ; le docteur t’expliquera ; tu n’as pas de cours d’éducation sexuelle à l’école ? » ; « pas de torse nu à table » ; « cachez ce sein que je ne saurais voir » ; « ferme ta chemise ; met un tee-shirt ; met tes chaussures ! » Ces injonctions du rigorisme puritain effrayé par le qu’en dira-t-on, que n’en avons-nous entendu ! Or ne pas dire, c’est cacher. Induisant donc la tentation de l’interdit et son revers : la solitude devant l’émotion.

Les enfants dès le plus jeune âge sont confrontés aux images pornographiques. Non seulement dans la rue parfois, mais surtout sur le net. Vousentube diffuse des vidéos sans filtre ou presque ; d’autres sites en accès libre sur Gogol permettent d’observer des corps nus s’affronter dans des halètements ou sous des coups violents, les pénis érigés comme des masses et pénétrant comme des couteaux terroristes le corps des victimes esclaves – qui ont l’air d’en profiter et de jouir, comme les mémères appelées à la consommation par les magazines à la mode lus chez le coiffeur.

Que font les parents ? Ils chialent lorsqu’on leur met le nez dedans, comme des toutous peureux la queue entre les jambes. « Je ne savais pas ; ma petite puce ! » ou « mon cher ange ! Comment penser qu’à cet âge innocent… » Ils ne voient pas parce qu’ils ne veulent pas voir. Ils se cantonnent dans leurs soucis et leurs problèmes de couple, indifférents au reste, sauf à Noël et aux anniversaires peut-être. Ils n’écoutent pas, ils ne répondent pas aux questions.

Pourtant légitimes : comment fait-on les bébés ? c’est quoi l’amour ? mes petites lèvres sont-elles trop grandes ? mon zizi est-il trop petit ? comment on met une capote ? sucer, c’est mal ? Si les parents répondaient avec naturel à ces questions intimes, sans fard mais avec raison, les enfants et les adolescents ne seraient ni intrigués par l’interdit, ni traumatisés par l’expérience. Mais voilà, les tabous ont la vie dure – sauf sur le net, où tout se trouve comme au supermarché.

Vaste hypocrisie des sociétés « morales » qui ont pour paravent la religion mais laissent faire et laissent passer sans filtre tout et n’importe quoi. Les Commandements sont affichés et revendiqués, mais nullement pratiqués. Tout comme ces « règlements et procédures », en France, qui ne durent que le temps médiatique : on fait une loi – et on l’oublie : tels l’interdiction des attroupements d’élèves devant les écoles, le voile en public, l’expulsion des imams salafistes, l’enquête sur les habilités au secret Défense, et ainsi de suite. La loi, pour les Latins, est toujours à contourner, par facilité, laxisme, lâcheté.

Dès lors, comment ne pas voir la misère sexuelle de la génération qui vient ? Regardez successivement deux films et vous en serez édifiés. La Boum sorti en 1980 et Connexion intime, sorti en 2017. Ils ont 37 ans d’écart – une génération. Ils sont le jour et la nuit. Ils se passent tous deux en lycées parisiens, à la pointe des tendances sociologiques. Les parents des deux films sont toujours occupés et ne prennent pas le temps de parler à leurs adolescents, garçon ou fille – qui cherchent ailleurs communication et affection. Mais autant La Boum est romantique et pudique, autant Connexion intime est égoïste et mécanique. La sensualité n’existe plus, les cols sont fermés, les torses enveloppés de tee-shirts larges et de sweaters informes, les manteaux boutonnés – seules les filles s’exhibent, mais dans leur chambre et à distance, en sous-vêtements coquins, se prenant en selfies pour poster sur les réseaux.

« L’amour » s’y réduit au sexe et les caresses n’ont plus leur place : on ne se touche plus le visage, les épaules ou la poitrine, on ne se caresse pas les seins ni les tétons. Seules la bouche et la bite sont sollicitées avec pour summum « d’Acte »… la pipe. On suce dans les toilettes, on se branle devant un film – mais on ne parvient à rien sur un lit avec un ou une partenaire réelle. D’où Félix accro au porno et Luna qui se met en scène comme une star sur un site de rencontres. Chloé, 15 ans, provinciale parachutée à Paris, cherche l’amour et ne le trouve pas ; ni son amitié avec Luna (qui la manœuvre), ni son inclination pour Félix (qui l’utilise) ne sont de l’amour. Ce n’est que du sexe, égoïste, mécanique. Les ados de La Boum étaient tendres, mignons ; ceux de Connexion intime sont froids, répugnants.

Entre les deux films, le net. Outil qui est la meilleure et la pire des choses, comme tous les outils. Mais surtout la démission égoïste des parents, portée par cet individualisme du « ils n’ont qu’à se démerder » ou du « que fait l’Etat ? », déjà pointé par Michel Houellebecq dans Les particules élémentaires en 1999.

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Retour des nations

Il y a une quarantaine d’années, le monde a été bouleversé : 1978, la Chine communiste s’ouvre au marché ; 1979, l’Iran de Khomeiny instaure une république islamique ; 1989, le mur de Berlin tombe et 1991, l’URSS s’effondre de l’intérieur ; 1992, l’Internet public se répand ; 1999, l’euro est instauré dans la finance, en 2002 dans les portes-monnaies. La mondialisation a repris entre 1980 et 2014 comme entre 1880 et 1914 – à chaque fois 34 ans. C’était le temps de la génération d’avant, ma génération.

Depuis cinq ans, avec la génération actuelle, le monde se démondialise : 2001, les attentats du 11 septembre (2977 morts) rendent les Américains paranoïaques et revanchards ; les attentats islamistes se multiplient de 2002 à 2011 en Inde (Parlement – 7 morts, Qasim Nagar – 29 morts, Bombay – 209 morts puis 166 morts en 2008, Varanasi – 28 morts, Jaïpur – 63 morts), en Russie (théâtre de Moscou – 130 morts, Beslan – 344 morts, métro de Moscou – 40 morts, Domodevovo – 37 morts), à Bali (plage de Kuta – 202 morts), au Maroc (Casablanca – 33 morts), en Espagne (Madrid – 191 morts), à Londres (56 morts), à Boston ; 2003, la seconde guerre d’Irak aboutit à la déstabilisation de toute la région et à la naissance de Daech, suscitant un nouveau terrorisme ; 2012, Merah en France tue 7 personnes dont 3 enfants ; 2015, Charlie-Hebdo – 17 morts ; le Bataclan – 130 morts ; 2016, Nice – 86 morts… La religion fait son retour en force, et non seulement l’islam mais aussi l’hindouisme (Inde, Birmanie, Thaïlande) et le judaïsme (Israël), voire le catholicisme (la Manif pour tous, la Pologne) – qui, au moins, ne tue pas (encore).

Des murs se construisent, des identités sont traquées ou expulsées (les Rohingyas en Birmanie, les musulmans en Inde, les chrétiens en Egypte et en Syrie, les flics et les Juifs à Paris, les « mécréants » sur les terrasses…) Face à l’amoralisme de la finance globale, les délocalisation opportuniste et l’optimisation fiscale, face aussi à l’indifférenciation technique du net, chaque pays est amené à cultiver son inimitable : l’islam chiite en Iran, l’islam sunnite en Turquie, le judaïsme botté en Israël, l’hindouisme intransigeant en Inde, l’orthodoxie patriotique en Russie, la souveraineté « impériale » au Royaume-Uni, la morale catholique ou la laïcité radicale en France. Des micro-tribus se créent sur les réseaux sociaux et excluent toute contestation en leur sein. Les « natives » de quelques tendances que ce soit (y compris lesbiens et Noirs, Amérindiens ou féministes) font de leur « identité » une politique et interdisent aux autres d’y toucher (pas de rôle de Noirs joué par des Blancs au théâtre, pas de mots connotés victimaires, pas de recette de cuisine qui ne soit « authentique » sous peine de poursuites en contrefaçon…)

Seule pour le moment l’Europe occidentale y échappe (mais pas la Hongrie, ni la Pologne, ni vraiment l’Autriche). Comme si l’Union européenne ne pouvait prospérer que dans le monde d’avant, celui du libéralisme des échanges et des traités multilatéraux. Ce que Trump et le Brexit viennent de renverser en quelques mois. L’OMC n’existe presque plus, l’ONU est méprisée, l’OTAN fragilisé par la Turquie, le traité sur le climat foulé aux pieds. Les États-nations renaissent partout, en Chine, en Inde, en Russie, en Turquie, en Iran, en Israël, au Japon, en Birmanie, en Thaïlande, aux Etats-Unis, au Brésil, au Royaume-Uni peut-être bientôt désuni…

Seule l’Union européenne se veut apolitique, niant même toute politique qui serait de puissance au profit de règles communes fondées sur la monnaie et le commerce. Chacun rétablit une identité et des frontières – pas l’Europe qui ne sait pas qui elle est, ni si elle a des racines (la science grecque à vocation universelle, le droit romain sur le territoire, le parlement viking recréé par la Grande-Bretagne et la France au XIIIe siècle, la personne chrétienne) ou si elle envisage un melting pot universaliste où chacun prend selon ses besoins sans rien donner en échange et attend de la loi qu’elle les protège de tous les autres.

La société ne se gouverne plus mais s’administre ; les politiciens ne font que des promesses alimentaires, sans projet commun. La dispersion des droits de plus en plus étroitement individualistes (mariage gai, procréation remboursée pour tous) se double d’un universalisme abstrait devenu Surmoi désincarné. Cela n’encourage pas les citoyens à être responsables du projet social de leur pays mais les rend à la fois victimes acariâtres d’un peu tout ce qui ne va pas – et moralisateurs sur les Principes. Les migrants ? L’humanitaire DOIT les sauver – mais PAS chez nous !

Une nation, c’est un Etat, une culture, une langue et une religion – majoritaire. L’Union européenne n’est pas Etat mais une confédération de chefs d’Etat ou de gouvernement en Conseil, flanqué d’un Parlement élu nation par nation, qui ne vote qu’un budget croupion et ne contrôle pas grand-chose. La culture européenne est niée par les technocrates qui préfèrent illustrer les billets par des viaducs que par de grands noms. La langue est devenue le globish mondialisé d’anglo-américain abâtardi, faute de savoir encore parler la langue de l’autre comme au début du siècle dernier, ou même encore en 1945. La religion est exclue puisque « les racines » ont été refusées pour ne pas « choquer » les « associations » qui ne représentent qu’elles-mêmes – c’est-à-dire les minorités d’autant plus radicales qu’elles sont infimes.

L’Europe se voudrait l’embryon de la « République universelle » vantée par Victor Hugo dans un de ses gonflements de lyrisme. Sauf que le monde n’en veut pas : chacun chez soi et les vaches seront bien gardées. Les « valeurs » occidentales ne valent rien hors d’Occident. La Chine a les siennes, l’Oumma musulmane les siennes, la Mère indienne aussi. Tous les revendiquent en égale dignité : pourquoi continuer à faire comme si ?

La mondialisation n’a pas été heureuse pour tous. Les pays pauvres en ont bénéficié, les pays riches se sont largement appauvris. A l’intérieur de chaque pays, les inégalités se sont creusées, abyssales parfois. Les « printemps » arabes et autres jacqueries franco-françaises de « gilets » ou « bonnets » (jaunes, noirs, rouges) font successivement flop faute d’agréger en projet commun le « sac de pommes de terre » social. Les élections sortent les sortants quasi systématiquement pour les remplacer parfois par des clowns (Islande, Ukraine, Italie, Etats-Unis). La dette s’est envolée avec la crise financière (venue des Etats-Unis), le climat s’est réchauffé à cause des industries polluantes et des comportements de bébés gâtés (surtout aux Etats-Unis), le terrorisme a trouvé sur Internet (lancé aux Etats-Unis) son terrain de jeu privilégié. Et la Chine comme, de façon moindre, la Russie montrent qu’un régime autoritaire et centralisé est plus efficace pour prendre les mesures impopulaires mais nécessaires qu’un régime soumis au parlement et aux élections à partis multiples.

Au point que le leader du monde (encore les Etats-Unis, incarnés par sa classe moyenne) démissionne, épuisé par des guerres ingagnables et la crise financière de leur faute, sucés par les Chinois qui attirent ou pompent leurs technologies et essaiment dans le monde avec la nouvelle route de la soie et la Banque asiatique d’investissement, lessivés par la concurrence des pays industriels à bas prix, effondrés moralement de s’apercevoir, depuis le 11 septembre, que le monde ne les aime pas plus que les Israéliens depuis l’occupation des Territoires. Ils se replient sur eux, blessés et vindicatifs, revanchards, craignant le déclassement et la paupérisation. Ils n’ont plus d’amis, rien que des partenaires possibles en cas de transaction, ou des ennemis déclarés. Devant cette posture, nous ne pouvons que réagir !

Des menaces de rétorsions commerciales en lois extraterritoriales qui « interdisent » unilatéralement aux autres pays souverains de travailler avec tel ou tel pays sur liste noire purement américaine, du chantage au procès pour absorber les entreprises qui les intéressent (Alstom) à la défiscalisation systématique de ses champions du net (les GAFA) et aux procès victimaires à coup de millions de dollars contre les entreprises rachetées par des étrangers (Monsanto) – les Etats-Unis se sont mis en guerre. Contre le monde entier, y compris leurs soi-disant « alliés ».

Ils inversent leur action depuis 1945 et tournent le dos à la coopération au profit du « deal » où leur intérêt national seul prime : America first ! Ils sont désormais contre le libre-échange et pour le mercantilisme ; contre le multilatéralisme et pour des traités bilatéraux ; contre l’immigration et pour l’épanouissement intérieur ; contre une politique du climat et pour l’industrie nationale.

Dans ce contexte, l’Europe ne doit pas rester les cuisses ouvertes pour accueillir tous ceux qui veulent en jouir : elle aussi doit devenir une puissance – ou péricliter. De l’extérieur en servant de variable d’ajustement entre Américains et Chinois sur les normes et la technologie, de l’intérieur en acceptant l’immigration ouverte et les importations inutiles, au prix du délitement social accéléré. Il nous faut désormais affirmer : Europa first ! Sinon, chacune des nations de l’Union aura la tentation de reprendre ses billes et de défaire cette zone de coprospérité qui a assuré la paix et la stabilité depuis plus d’un demi-siècle.

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Ecrire et publier sur le net, pour quoi faire ?

« Pourquoi écrivons-nous sur le net ? » s’interroge un blog suivi. La réponse qu’il apporte étant loin de me satisfaire, elle a le mérite de lancer le débat.

Ecrivons-nous pour combler l’écart que nous constatons entre le rêve et le réel, comme ce blogueur le laisse entendre ? Je ne le crois pas : ce ne sont pas des utopies ni des projets que nous écrivons, mais des analyses, des critiques, des indignations, des propositions. Nous ne sommes pas grands penseurs, ni « philosophes » estampillés ; nous ne faisons qu’exister au ras de la vie et des événements, cherchant à comprendre et à en tirer leçon. Nous pratiquons la petite philosophie de la vie bonne, pas la grande philosophie des systèmes.

Ce pourquoi ce que le blogueur ajoute, redonner sens à notre existence éclatée entre famille, travail et politique me paraît plus juste. Ecrire fait sens. Et pourquoi écrire plutôt que parler ou chanter ? Parce que l’écriture est un effort qui exige de soupeser le sens des mots et de les placer dans un ordre logique dans le but d’éclairer, voire de convaincre. La parole s’envole, l’écrit reste ; la chanson n’est que cri du cœur sans lendemain, dont on ne retient le plus souvent qu’une mélodie. Filmer, peindre ou dessiner sont des actes plus proches de l’écriture, mais avec le medium des images. Or les images font écran à la pensée car elles sont directes, plus immédiates que les mots, inhibant le recul nécessaire à toute réflexion.

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Car ce qui importe, au fond, est bien de « réfléchir ».

Réfléchir n’est pas refléter ni agir par réflexe. Non pas se poser en statue de soi comme dans les selfies, messages narcissiques qui proposent une image en situation pour les autres, quêtant avidement leurs sentiments. Non pas réfléchir en miroir, comme Trump ou Le Pen, reflétant l’opinion populaire et en se posant comme menhir : « ça, c’est moi, et je ne changerai pas ; à prendre ou à laisser ».

Non, la réflexion n’est pas ce degré zéro du sens matériel, mais l’action de soi à soi de se poser pour analyser ce qu’on est, d’où l’on vient, ce à quoi on croit. Seule l’écriture permet cette ascèse – que les gourous à la mode appellent parfois « méditation ». Descartes le classique en a écrit de célèbres en métaphysique ; Lamartine le romantique de non moins célèbres en poétique.

Pourquoi réfléchir ? Nous le constatons bien, très peu réfléchissent, se contentant « d’être d’accord » (le grand mot des commentaires de blog !) dans le fusionnel du nid des gens qui pensent comme tout le monde, ou « d’être choqués » (l’autre grand mot des commentaires) en réaction à une affirmation ou à un jeu de mots. Réfléchir ne ressort pas de ce genre de passivité flemmarde ; réfléchir implique un acte volontaire d’examen de soi. Acte de solitaire face à Dieu (Descartes) ou face à la solitude dans la nature (Lamartine), l’être qui réfléchit désire mesurer sa place dans l’univers et dans le temps. Répondre aux questions fondamentales du Qui suis-je ? D’où je viens ? Ou vais-Je ? Que sais-Je ?

Cela paraît de bien grands mots, qui passeront par-dessus la tête de la plupart. Mais point du tout ! Chacun est concerné parce qu’il réfléchit un minimum tout au long de sa journée, même s’il n’écrit pas. Il compare ses pensées avec ce qui survient, change ses plans, adapte sa conduite, examine et compare, juge. Ecrire permet seulement de rendre objectives ces réflexions fugaces, de les formuler en les déposant sur le papier ou sur l’écran pour y revenir, les polir, les corriger, les approfondir ou les éliminer.

Ecrire, sur carnet ou sur blog, est donc avant tout un acte de réflexion. Psychanalyse personnelle ou mise au point, écrire permet la distance que ne permet pas la parole ou le slogan (formats exigés par construction sur Facebook ou Twitter). N’avez-vous jamais expérimenté combien le crayon ou le clavier vont moins vite que la pensée, l’obligent à attendre la main, donc à revenir sur le pensé-trop-vite, à trouver des arguments, à étayer la logique, à soigner l’expression, à corriger les mots en affinant le sens ? Ecrire est une discipline qui formate la pensée dans un cadre qui permet son expression la plus fine.

Au détriment de la spontanéité ? Peut-être – mais RIEN ne vous empêche d’exprimer votre spontanéité AVANT de la faire suivre de votre réflexion. « S’exprimer » en cri du cœur soulage, mais ne change rien. Pour changer, il faut penser. Dire que vous êtes « indigné » de la mort d’un enfant immigrant sur une plage turque ne vous dispense pas de réfléchir au pourquoi et au comment, au possible et au nécessaire, à la politique et à la religion, au droit et au fait. Gueuler est toujours aisé, gouverner l’est moins, réfléchir toujours mieux.

Publier sur blog montre combien la réflexion désormais se raréfie, puisque que l’on en ressent le besoin.

Les livres sont vite écrits, mal pensés, vite oubliés.

Les journaux courent après l’événement sans prendre le temps de se poser.

Les médias radiodiffusés sont écartelés entre l’immédiat émotif et la cuistrerie bobo, BFM-TV et France culture pour faire bref, où le pire l’emporte trop souvent sur le meilleur. Seul le choc compte pour la télé, seule la pose (en général de gauche, « mainstream ») et les révérences (envers les intellos et les « zartistes ») comptent pour la radio (après 68 cul, après 86 culte, après Trump/Poutine/Erdogan/Le Pen culturiste ?).

Quant aux réseaux sociaux, les images ou slogans chocs ou mièvres « partagés » montrent combien chacun cherche plus le miroir que le stimulant, plus l’entre-soi que la remise en cause. Ce fut criant lors de la campagne présidentielle américaine.

Ecrire pour exister, pour poser sa pensée avant qu’elle n’aille plus loin et pour éviter qu’elle se fourvoie n’importe où ; écrire pour rassembler en soi nos existences éclatées, pour proposer à d’autres de faire de même et de participer à l’écriture collective de notre histoire… Il y a de tout cela dans le fait d’écrire sur le net.

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Utopie et réalité sexuelle en Polynésie

Serge Tcherkezoff, directeur d’études sur l’Océanie à l’EHESS, étudie les écrits des « premiers contacts » entre Français et Polynésiens. Il cite par exemple en 1769 Louis Antoine de Bougainville et son récit croustillant qui a titillé l’imagination d’époque : les pirogues remplies de nymphes nues, les invites sexuelles explicites à en user des mâles qui les accompagnent. Mais cette fameuse « liberté sexuelle » avant mariage, l’amour pratiqué en public, devenus mythiques en Europe, sont en contradiction avec les autres faits rapportés dans les journaux de bord. Les très jeunes filles ainsi présentées sont apeurées ; elles ne sont pas volontaires mais « offertes » par les chefs de tribus qui voient en ces hommes blancs des envoyés du monde divin. De même pour les jeunes hommes : ingurgiter la boisson cérémonielle (le kava) vise à la reproduction de l’identité masculine par l’absorption de substance séminale par analogie, liqueur régénératrice de force, dispensatrice de vie. La boisson sacrée transfigure les chefs en ancêtres divins et les sujets masculins en hommes forts. La chercheuse du CNRS Françoise Douaire-Marsaudon, dans son étude « D’un sexe, l’autre » (L’Homme, 157, 2001), émet l’hypothèse que cette réaffirmation culturelle vise à contrer la mythologie, qui enseigne l’origine féminine des sujets masculins.

vahine sur plage

Le fameux « amour libre » et la fête publique des corps dans l’égalité sexuelle, caractéristiques du mythe polynésien, révèlent l’Europe, pas la Polynésie. Ce mythe est le miroir dans lequel les savants et les explorateurs européens se sont regardés tout en croyant observer les autres – et en croyant faire de la science. Michel Foucault rappelait justement que l’Occident moderne a développé une « science sexuelle », pas un « art érotique ». La faute au puritanisme chrétien, affirmé avec délice par saint Paul dans l’aspiration à l’austérité des siècles déliquescents qui ont marqué la fin du monde romain. Nous constatons encore chaque jour que tout ce qui est plaisir, gratuité et assouvissement de désirs terrestres, est efficacement contré par la doxa. Croyants ou laïcs se retrouvent aujourd’hui dans le puritanisme d’effort, le malthusianisme d’austère économie et la contrainte morale que le Christianisme a véhiculé sans l’avoir forcément inventé. La droite s’indigne des mœurs privées mais se relâche en tout ce qui est public tandis que la gauche, laxiste en privé, se drape de vertueuse indignation publique (quand la télé regarde).

Rien d’étonnant à ce que ce couvercle moral ait inventé la soupape : l’utopie. Si, chez Homère ou Hésiode, « l’île des Bienheureux » est une sorte de repos terrestre d’abondance et de festins, situé « aux extrémités de la terre », Thomas More en fait une Utopie. Ce « non lieu » montre, par contraste, ce qui ne va pas dans la société ordinaire. Ses émules seront soit de coercitifs accoucheurs de mondes à venir, soit de nostalgiques conservateurs rêvant d’un retour à un régressif « âge d’or ». Quoi qu’il en soit, les femmes y paraissent ne pas vouloir ce qu’elles désirent le plus : baiser. Chez Thomas More, elles sont soumises aux hommes comme les jeunes aux anciens, la volupté y est condamnée et tout adultère férocement réprimé. Diderot le libertaire, inventeur de la cité océanienne libre et si hédoniste, voile et rend intouchables les femmes stériles. Fourier permet tout – mais dans une classification maniaque de phalanges, brigades, corporations et autres ordres, où même les orgies obéissent à un rituel rigoureux.

Puis viennent Sigmund Freud, Wilhelm Reich et Herbert Marcuse. L’utopie sexuelle se fait « politique », elle vise à libérer l’énergie libidinale refoulée par « le capitalisme », pris comme la pointe avancée du dressage séculaire d’église. Le rôle de l’utopie reste d’irradier le concret depuis l’abstrait, plaçant un « modèle » platonicien afin de modifier la façon de voir la réalité. Les communautés post 68 ont ainsi tenté de « réinventer » l’amour, les liens humains et la vie quotidienne ; l’esprit « queer » a joué des corps et des pratiques, subvertissant les genres et l’identité sexuelle. Jusqu’à aujourd’hui, où les « stars » miment le coït sur les affiches de pub…

viol Justin Bieber Calvin Klein

Rien de neuf au fond : la vieille idée est de retrouver « la nature », non entravée par les conventions sociales. Depuis Diogène le cynique jusqu’aux îles lointaines épargnées par « la civilisation » (sous-entendue « chrétienne et occidentale ») et à Rousseau, le sexe est censé se pratiquer sainement au vu et au su de tous – « librement ». Lubricité et perversité, tout comme pudeur et honte, seraient des contraintes artificielles de la morale convenue.

Sans conteste, il y a dans ce mouvement le meilleur et le pire… Comprendre l’autre sexe, ne plus le voir comme « inférieur », accepter le plaisir – et en donner –, accepter que la libido puisse n’être pas orientée par le genre, sortir la sexualité du tabou honteux pour la ramener dans l’ordre des relations humaines, voilà qui est positif. Mais, comme en toutes choses, cette « liberté » oblige. Elle n’est pas « laisser-faire ». Tout n’est pas « permis » : non par une quelconque instance extérieure à ce monde, mais par la propre dignité humaine que l’on a en soi. Baiser n’est pas une obligation, ni « le plaisir » un exercice mécanique, ni « forcer » un acte prophylactique envers « les coincé(es) » qui « ne demandent que ça ». La prostitution est par exemple le reflet de la misère psychique et physique, parfois un moyen de survie pour les victimes de discriminations ; elle est un commerce qui se sert de l’être humain comme d’un objet, en faisant une sordide marchandise. Accepteriez-vous que votre femme ou vos enfants se fassent « prendre » par n’importe qui ? Pourquoi alors en faire autant à ceux des autres ? Nul besoin de moraline là-dedans : rien que l’estime de soi suffit pour dire « non ». Autre exemple : la vidéo porno alimente en comparaisons « médiatiques » le narcissisme contemporain. Les jeunes se comparent aux étalons et les filles aux nymphomanes, comptabilisant le nombre de fois, observant l’invraisemblable des positions, se faisant une idée fantasmatique des filmiques « désirs insatiables ». Qu’y a-t-il de réel et d’humain dans cette charcuterie gymnique ?

bora bora fesses

Les îles ne sont plus désormais isolées et le sexe y est aussi pauvre et aussi tourmenté que dans nos pays. La télé comme le net sont partout. Un « sondage mensuel » de rentrée il y a quelques mois dans la presse tahitienne : « aujourd’hui pour vous, le sexe est-il un sujet tabou ? » Non à 84%. On peut douter de ce résultat idyllique. Il demeure difficile de parler de sexe en Polynésie Française : le poids des églises et la pudeur des gens demeurent. Quand on leur demande ce qu’évoque le sexe, 76% des résidents de moins de 5 ans et 55% des revenus supérieurs citent plus fréquemment « le plaisir » que l’amour… 59% considèrent que « les nouvelles générations sont plus précoces », même si 62% ont eu leur première expérience sexuelle à « 16,6 ans » et seulement 15% à 13 ans. 57% considèrent que les comportements sexuels sont « un traumatisme physique ou mental », 44% évoquant des maladies possibles. Rien d’étonnant à ce que l’influence majeure sur la sexualité dans les îles soit accordée par les interrogés aux églises pour 44% et à la télévision pour 24%. Sur l’influence propre des médias, 80% pensent à internet ! Même si les questionnés admettent à 95% que ce sont « les parents » qui doivent être les principaux acteurs d’une éducation sexuelle… A l’école, la dimension affective de la sexualité est mise au second plan dans les séances d’éducation ; elles sont surtout centrées sur la prévention des risques.

Alors, l’amour est-il un art ou une science ? Saurons-nous jamais cesser de compartimenter les comportements humains ? A chosifier toute relation dans le physiologique et le mesurable, dans le même temps que les églises comme les « bonnes âmes » laïques moralisent et répriment, ne risque-t-on pas de laisser l’être jeune tout seul face aux interrogations nées de la puberté, comme face aux fantasmes mis en spectacle dans l’industrie lucrative du « porno » ? Les littérateurs ont fait des îles un mythe d’utopie ; la triste réalité est bien loin de ces fantasmes !

Argoul

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La fin du livre ?

Entre le Smartphone qui accapare et YouTube qui permet à chacun de se faire médiateur, l’image semble l’emporter sur l’écrit. Pour les mots qui restent, les encyclopédies wiki pour pèdes et les articles pour citoyens diffusés sur la toile l’emportent de plus en plus sur les journaux et sur les livres. La presse nationale voit son lectorat se réduire d’année en année, les magazines naissent et disparaissent par effets de mode. Les étudiants lisent de moins en moins, y compris en grandes écoles. Ils ont le sentiment du relatif et de l’usure de tous les contenus et lorsque, d’aventure, ils achètent un livre pour le cours, ils le revendent en fin d’année sur Amazon. Ils exigent des bibliothèques d’investir dans plusieurs manuels car nul ne veut « s’encombrer » d’un savoir qui sera vite obsolète.

livres

Deux attitudes coexistent sur l’avenir du livre : l’anglo-saxonne et la française – comme souvent.

La première est optimiste, innovatrice. Le roi est mort ? Vive le roi ! Le livre décline ? Vive le net. Le numérique est plus efficace à stocker et plus rapide à diffuser. Il démocratise, via les réseaux informels gratuits plutôt que de se couler dans le moule social et hiérarchique cher aux pays catholiques, France en tête. Tout le monde est auteur, vidéaste, commentateur – sans passer par les intermédiaires et autres intellos, prescripteurs d’opinion. Tout le monde échange et les idées se forment des mille courants qui sinuent et se rencontrent. Tout le monde est médiateur en direct, le support est réduit au minimum : un clavier, un numérique, une liaison net. On blogue, publie ses vidéos, s’auto-édite.

La seconde est pessimiste, conservatrice. L’écran roi va tout détruire, comme Attila, avec la brutalité de l’ignorance et l’énergie de la barbarie. Promoteur du « moi-je », il sera médiatique plus que médiateur. N’existant que dans l’instant, il sera émotionnel et sans distance. Exit la réflexion, la pensée et l’écrit, objectivés par un livre qui dure. Tout dans le scoop et les paillettes. Le livre est mort, c’était mieux avant.

Nul besoin de dire que des deux, aucune ne me semble satisfaisante. La caricature pousse aux extrêmes des tendances qui se contrastent et se contredisent dans chaque courant. Les Français lisent encore, les femmes surtout, et la classe moyenne plébiscite les bibliothèques ; les éditeurs font la course à qui publiera le plus, près de 50 000 livres chaque année en France. La question est de savoir quels sont ces livres publiés, demandés, lus. A produire très vite, on produit n’importe quoi et mal écrit, les tirages baissent et seulement 2500 auteurs peuvent vivre de leur stylo, tous domaines confondus. L’astrologie et la psycho de bazar se vendent mieux que l’essai philosophique ou la littérature – mesurez les rayons relatifs des « grandes librairies ». Mais il reste quelques exceptions.

Un livre est aujourd’hui moins un monument qu’on révère, honoré dans sa bibliothèque comme dans une châsse et sorti une fois l’an avec des précautions de Saint-Sacrement – qu’un ami qu’on emporte avec soi dans le métro ou le train, qu’on annote et qu’on corne, qu’on relit et sur lequel, parfois, il nous arrive de réfléchir. Symbole social ? Certes, il le reste en France, pays dévot où la révérence pour le savoir passe souvent par l’étalage des catalogues de musée sur table basse ou des classiques reliés peau en bibliothèque trônant dans le salon de réception. Mais le plaisir de lire demeure car il se fait en silence, par l’imagination intérieure. La pensée écrite stimule la réflexion personnelle.

Toute autre est la lecture par devoir : celle de textes utilitaires, de l’actualité, ou de manuels techniques. On s’y réfère, mais on court vers l’édition la plus récente. Là, le numérique remplace le livre utilement. A condition d’oublier cette religion hippie du tout gratuit pour tous qui a deux inconvénients : 1/ la fiction de croire qu’un bon auteur va passer plusieurs années de sa vie à composer un manuel exhaustif pour la beauté du geste, au lieu de se vautrer comme les autres dans le divertissement, 2/ la fiction de croire que le gratuit est réellement gratuit, alors que tant de bandeaux publicitaires et de captations d’adresses passent par l’interrogation des moteurs.

Le livre va-t-il disparaître ? L’actualité, la mode, le mal écrit et le people, probablement – soit 95% de la production annuelle peut-être.

Mais la qualité restera – comme toujours, comme partout. Des lecteurs continueront à s’intéresser à Louis XVI dont la biographie de l’historien Petitfils rencontre un grand succès, ou même à la littérature dont le Dictionnaire égoïste de Charles Dantzig plaît beaucoup. Malgré le trollisme ambiant, ce qui est bien pensé, bien bâti et bien présenté demeure la référence. Et on lira encore des livres. Par élitisme, par goût du beau, par désir de penser par soi-même.

Ce n’est pas donné à tout le monde.

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Raisonner ou résonner ?

Hier la culture était comme la confiture de grand-mère, un assaisonnement maison de la tartine, une délicatesse de la personnalité. Aujourd’hui ? La culture est comme la confiture industrielle, la préférence pour le « light » et le « bio », l’irraison est élevée au rang des beaux arts.

C’est un professeur de philosophie qui le dit : « Une chose est de constater la présence d’erreurs de jugement, d’incompréhensions, de lacunes dans les connaissances. Ce qu’on observe aujourd’hui est d’une autre nature : il s’agit de l’incapacité des élèves à saisir le sens même du travail qui leur est demandé. (…) Il est devenu impossible de se référer à l’art de construire une problématique et une argumentation pour différencier les copies. » (Eric Deschavanne dans ‘Le Débat’ mai-août 2007). Bien que déjà mûrs – plus qu’avant – à 17 ou 18 ans, bien que possédant une ‘culture’ qui, si elle n’est pas celle des humanités passées, n’en est pas moins réelle, les jeunes gens paraissent dans leur majorité incapables d’exercer leur intelligence avec méthode.

Ils ne raisonnent pas, ils résonnent.

Ne comprenant pas le sujet, ils le réduisent au connu des lieux communs véhiculés par la culture de masse (le net, Facebook, la télé) ; ne connaissant que peu de choses et ne s’intéressant à ‘rien’ d’adulte (surtout ne pas être responsable trop tôt, ne pas s’installer, rester dans le cocon infantile), ils régurgitent le peu de savoir qu’ils ont acquis sans ordre, sans rapport avec le sujet.

Ils n’agissent pas, il réagissent.

Ils ne font pas l’effort d’apprendre, ils « posent des questions ». Leur cerveau frontal, peu sollicité par les images, la musique et les « ambiances » propres à la culture jeune, ne parvient pas à embrayer, laissant la place aux sentiments et aux « émotions ». Ils ont de grandes difficultés avec l’abstraction, l’imagination et la mémorisation, car ce ne sont pas les images animées ni les jeux de rôle, ni le rythme basique et le vocabulaire du rap qui encouragent tout cela… Tout organe non sollicité s’atrophie. On n’argumente pas, on « s’exprime ». On n’écoute pas ce que l’autre peut dire, on est « d’accord » ou « pas d’accord », en bloc et sans pourquoi.

collegien sac ado

Comment s’étonner que l’exercice démocratique d’une élection se réduise, pour le choix d’un candidat, à « pouvoir le sentir » ? Comment s’étonner que l’exercice pédagogique de la dissertation soit abandonné comme « trop dur », au profit de la paraphrase du « commentaire » ? Comment s’étonner que le bac devienne, pour notre époque, ce que fut le certificat d’études jadis, la sanction d’un niveau moyen d’une génération et absolument pas le premier grade des études supérieures ?

Et c’est là que l’on mesure que ce peut avoir d’hypocrite la moraline dégoulinante de bons sentiments des soi-disant progressistes français. Cette expression de Frédéric Nietzsche dans ‘Ecce Homo’ signifie la mièvrerie bien-pensante, l’optimisme béat des croyants en la bonté foncière, les « bons sentiments » qui pavent l’enfer depuis toujours.

Le collège unique pour tous ! La culture générale obligatoire jusqu’à 16 ans ! 80% d’une classe d’âge au bac ! Qu’est-ce que cela signifie réellement, sinon « l’effet de moyenne », cet autre nom de la médiocrité ? Car que croyez-vous qu’il se passe quand la notation des épreuves est réduite à se mettre au niveau des élèves ? Quand l’éducation ne consiste plus qu’à faire de l’animation dans les classes, pour avoir la paix ?

Eh bien, c’est tout simple : la véritable éducation à la vie adulte s’effectue ailleurs. Et c’est là où la « reproduction », chère à Bourdieu et Passeron, revient – et plus qu’avant.

Quels sont les parents qui limitent le Smartphone, la télé, les jeux vidéo et le tropisme facile de la culture de masse ? Pas ceux des banlieues ni les ménages moyens… mais ceux qui ont la capacité à voir plus loin, à financer des cours privés et à inscrire leurs enfants dans des quartiers où puisse jouer le mimétisme social du bon exemple. Mais oui, on tient encore des raisonnements logiques dans les khâgnes et les prépas ; on apprend encore dans les ‘grandes’ écoles, surtout à simuler des situations ; on ingurgite des connaissances lorsqu’il y a concours. Le « crétinisme égalitariste » de l’UNEF, que dénonçait Oliver Duhamel sur France Culture, laisse jouer à plein tous les atouts qui ne sont pas du système : les parents, leurs moyens financiers, leur quartier, leurs relations.

Le fossé se creuse donc entre une élite qui sait manier son intelligence, parce qu’elle a appris à le faire, et une masse de plus en plus amorphe, acculturée et manipulée – laissée par l’école à ses manques. Cette superficialité voulue à tous les niveaux scolaires de la maternelle à l’Université conduit à réduire l’effet ascenseur social qui régnait à l’école d’après-guerre.

Faut-il en incriminer « le capitalisme » ? Allons donc ! Quel bouc émissaire facile pour évacuer l’indigence de la pensée « démocratique » ! Ne trouvez-vous pas étrange que, malgré deux septennats de présidence de gauche, un quinquennat de gouvernement Jospin et un quasi quinquennat de présidence Hollande, malgré la vulgate anti-bourgeoise des intellectuels depuis 1968 – l’égalité des chances n’ait EN RIEN progressé depuis une génération ? Au contraire même.

L’élite d’il y a 1000 ans se maintenait par la force : l’épée, se tenir à cheval, la parentèle. L’élite du 21ème siècle se maintient par l’intelligence : savoir s’adapter, anticiper, trouver des exemples dans le passé et les interpréter pour aujourd’hui, la formation du caractère – et toujours la parentèle (étendue au réseau social).

Ne pas offrir d’exercer l’intelligence est une faute politique et une hypocrisie sociale. Elle réduit l’humain à résonner en chœur, pas à raisonner en adulte citoyen. Certains diront que c’est voulu ; je pense pour ma part qu’il s’agit de lâcheté politique.

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Noter ou évaluer ?

La notation va de 0 à 20 et se décline, chez les plus maniaques, jusqu’aux quarts de point. L’évaluation est une appréciation globale qui va de très insuffisant à très satisfaisant, avec des intermédiaires ; elle est parfois traduite de A à E, selon le système américain – mais comme il n’y a pas plus conservateur réactionnaire qu’un prof (surtout « de gauche » – je l’ai vécu…), le E devient vite de 0 à 5… jusqu’au A qui va de 16 à 20 !

La notation donne bonne conscience à la profitude, en faisant croire qu’il s’agit d’une évaluation quantifiable, donc « neutre » en termes de classes sociales, voire « scientifique ». Elle est utile quand le chiffrage est possible sans trop de subjectivité, par exemple dans les exercices de math ou dans les réponses à un QCM (sauf que les profs, surtout « de gauche », détestent les QCM car cela vient des États-Unis). Mais tout n’est pas chiffrable : les rédactions et autres dissertations comme les conversations en langues sont évaluées « au pif », selon la classe et selon les autres notes (il serait très mal vu qu’aucune note ne dépasse 10/20 alors que, parfois, cela le mériterait). Les notes au Bac sont chaque années « réévaluées » sur ordre du Ministère, pour obéir au mantra démago-politique de « 80% d’une classe d’âge au Bac ». D’ailleurs, dès l’Hypokhâgne ou la Sup,fini de rire ! Les Terminales math ou philo qui avaient couramment des 16 et des 18 voient leurs premières notes rarement dépasser 8 : c’est qu’il s’agit, cette fois, de compétition pour les concours des écoles d’ingénieur, de Normale Sup ou HEC deux ans plus tard !

Mais ce qui peut se justifier à 18 ans n’est pas admissible jusqu’à 15 ans (âge de l’identité fragile). Une « évaluation » sur des critères moins fixistes et plus « humains » reste préférable. Ce sont pourtant les mêmes qui refusent la détection des enfants difficiles dès les petites classes – et qui militent pour le maintien de la notation arithmétique au collège ! Les contradictions profs ne sont pas à un virage idéologique près.

ado spleen

On connait les arguments des conservateurs, tels l’ancien ministre de l’Éducation nationale Luc Ferry dans Le Figaro : « c’est la vieille rengaine soixante-huitarde chère à la deuxième gauche selon laquelle les notes seraient le reflet de la société de compétition capitaliste ». C’était vrai dès 1969, je l’ai vécu. A cette époque post-68, les élèves refusaient la notation « flic » de zéro à vingt au profit des flous A à E, moins humiliants. A l’époque, des « tribunaux du peuple » naissaient spontanément dans les cours de lycée pour juger les profs coincés, autoritaires et hiérarchiques. A l’époque, le chahut au bahut était de règle dès qu’un adulte se mêlait de dicter ce qu’il fallait faire ou – pire ! – penser. Mais la doxa socialiste des syndicalistes FSU a eu beau jeu de faire rentrer dans le rang tous ces petit-bourgeois… dès que la gauche fut au pouvoir en 1981.

L’idéologie, tant de droite que de gauche, n’a que faire de la réalité : la France décroche dans les évaluations égales des élèves dans tous les pays européens aux mêmes niveaux et au même moment – mais la profitude ne se préoccupe que de ses petites habitudes, pas de l’élève. Bien éduquer, ce n’est ni multiplier les notes, ni les supprimer ; c’est les remplacer là où elles ne se justifient pas et découragent par leur arbitraire – et les laisser là où elles sont utiles et où les connaissances peuvent être chiffrées sur une échelle.

Toute la polémique idéologique des « gauchistes » contre « autoritaires » se réduit au fond à la différence qu’il y a entre « connaissances » et « compétences ».

  • Les connaissances doivent être apprises et retenues – elles sont évaluables par QCM où la note chiffrée se justifie : on sait, ou on ne sait pas.
  • Les compétences sont des mises en œuvre de connaissances organisées qui font appel à autre chose qu’au seul savoir tout court ; elles mobilisent le savoir-faire, les capacités et le comportement ; elles sont l’intelligence vive appliquée au savoir mort – elles ne peuvent être évaluées que par niveaux d’acquisition : compétence maîtrisée, partiellement maîtrisée, à revoir, avec les conseils nécessaires pour « élever » plutôt que sanctionner.

La notation chiffrée aux 80 grades, quart de point par quart de point entre 0 et 20, est non seulement ridicule, mais largement subjective. Elle sert de parapluie pseudo-scientifique aux inaptes à transmettre la connaissance vivante. Telle cette prof de philo en Terminale scientifique (je l’ai vécu il y a quelques années) qui, incapable de faire passer cette compétence en herbe qu’est la curiosité pour toutes choses et le regard philosophique, assommait ses élèves déjà chargés d’exercices de math et de physique pour les coefficients élevés du Bac, de dizaines de pages de commentaires sur ce savoir livresque qu’ils devaient absolument réviser en philo.

Avant les événements de mai, le colloque d’Amiens tenu en mars 1968 et présidé par Alain Peyrefitte, ministre du général De Gaulle, dénonçait déjà « les excès de l’individualisme qui doivent être supprimés en renonçant au principe du classement des élèves, en développant les travaux de groupe, en essayant de substituer à la note traditionnelle une appréciation qualitative et une indication de niveau ( lettres A,B,C,D,E ) ». Évidemment, venant d’un gouvernement « de droite » – voire « fasciste » pour la gauche jacobine mitterrandienne de l’époque – ce rapport est resté lettre morte.

Or l’ancienne compétition pour « être le premier de la classe » en société hiérarchique n’a plus lieu d’être dans une société en réseau appelée au travail en équipe.

C’est la misère de l’ENAtionale (qui se prend pour l’élite de la crème fonctionnaire) de forcer l’élitisme dans la masse infantile. En laissant pour compte 80% d’une classe d’âge, sans aucun diplôme (1 jeune sur 5 selon l’INSEE) ou avec un Bac dévalué.

Misère éducative que l’on constate à l’envi lorsque l’on devient formateur pour adultes : tant d’immaturité, tant de compétences laissées en friches, tant de mauvaise habitude d’apprendre par rabâchage scolaire. Tant de savoir théorique et tant d’incapacité à l’utiliser en pratique, tant de connaissances livresques et tant d’incompétence en relations humaines…

Les élèves sortant de six années secondaires :

  • ne savent pas s’exprimer devant les autres,
  • ne savent pas faire un plan,
  • ne savent pas chercher l’information fiable,
  • ne savent pas parler anglais (ou autre première langue)
  • ne savent pas compter leurs dépenses par rapport à leurs revenus
  • ne savent pas mettre des priorités,
  • ne savent pas organiser leur travail,
  • ne savent pas travailler avec les autres ni expliquer clairement,
  • ne savent pas écrire sans dix fautes par phrase,
  • ne savent pas se comporter en situation civique, sociale ou professionnelle.

Imaginez un banquier qui vous reçoit en débardeur, short et tong ? Un « BTS banque » (qui n’a jamais quitté le giron irresponsable de l’Éducation nationale) ne voit pas a priori où est le problème, il juge que c’est au client de s’adapter, pas à lui. On ne lui a jamais fait prendre conscience qu’une fonction oblige et que le respect des autres exige qu’on soit net dans son vêtement, clair dans son expression et adéquat à sa fonction sociale.

Un système éducatif efficace, ce n’est ni le gavage des oies ni l’allègement des programmes, mais des enseignants capables et des enseignements par objectifs et compétences : non des flics mais des tuteurs, non des sanctions mais des encouragements. Est-ce vraiment la notation de 0 à 20 qui font les « bons » et les « mauvais » élèves ? Je ne le crois pas : ce sont plutôt les notants qu’il faut noter… Bien plus que l’inspection en moyenne tous les 5 à 10 ans au collège !

Notes a l ecole

L’usage aujourd’hui des textos échangés en cours, la notation des profs par net interposé, ne sont que manifestations bénignes de l’éternelle rébellion adolescente. Pourquoi les notants ne seraient-ils pas notés ? Cela se pratique couramment en Grandes écoles. Pourquoi les lycées échapperaient-ils à cette pratique de bon sens, puisque les élèves y sont déjà mûrs, voire majeurs ? L’enseignement serait-il considéré comme une bastille imprenable de l’emploi protégé ? Comme un fonctionnariat intouchable devant échapper à toute évaluation ? Dans le même temps que les tests européens PISA pointent la dégradation des inégalités éducatives dans le système français ?

On dira : évaluation oui, mais pas comme ça. Alors comment ? Cela ne fait-il pas 30 ans que les syndicats en refusent toute forme ? Si l’administration démissionne de sa fonction d’évaluer l’enseignement, pourquoi les « usagers » (comme on dit dans les services publics) ne prendraient-ils pas eux-mêmes la question en main ? Ils font entendre leur voix de façon brouillonne et provocatrice – mais c’est ce qui arrive quand nulle règle démocratique n’est admise. Or tout citoyen a le droit de contrôler ses mandants et les fonctionnaires de l’État : c’est inscrit dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, en Préambule de la Constitution de 1958 : « La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration. »

A bloquer dialogue et évaluation, on encourage anarchie et révolution – du pur Louis XVI. Ne serait-ce pas plutôt moderne (voire « de gauche » si cette appréciation n’avait pas été si dévaluée par la génération bobo), cette façon d’échanger les expériences ? Tu m’apprends, je t’apprends ; tu me notes, je te note ; si t’es bon, on est bon. L’évaluation encouragement n’est-elle pas préférable à la note sanction ? N’est-ce pas le meilleur apprentissage à la démocratie « participative » (cette autre tarte à la crème « de gauche » toujours vantée en discours et jamais mise en actes) ? Au fond, meilleur tu es, meilleurs nous serons tous. Voilà qui est sain, non ? Tu m’élèves, je t’élève.

Les profs arc boutés sur leurs privilèges de noter sans être notés se croiraient-ils d’une essence supérieure ?

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Hommage à Jean-Louis Hussonnois

Jean-Louis Hussenois Montcuq 2005 08
Jean-Louis, blogueur émérite, vidéaste auxerrois, homme politique engagé à droite avec un humanisme radical de gauche, fondateur du SAMU de l’Yonne et médecin, est décédé d’une sale maladie à l’âge de 68 ans.

jean louis hussenois Montcuq 2005 08

C’était un ami et je lui dis ici tout ce que la pudeur empêche toujours un peu de dire. Je l’ai appelé pour la dernière fois en mars parce que je le savais atteint, mais il ne voulait pas que cela se sache ; nous avons parlé d’autre chose, notamment de politique.

jean louis hussenois bazoches 2006 08

Je l’ai rencontré comme beaucoup, pour la première fois à la réunion des blogs du monde.fr à Montcuq, en août 2005. Il était un peu notre mentor, de par son expérience et sa façon de parler avec tous. Nous avons dîné à Paris, il aimait ces réunions à quelques-uns où la conversation est riche.

jean louis hussenois 2005 11 Paris dîner blogs

Il restera dans mon souvenir comme le meilleur du net : quand les liens électroniques deviennent peu à peu des liens sociaux et d’amitié.

jean louis hussenois avec alain ternier bazoches 2006 08

Je présente toutes mes condoléances à sa famille de Bazoches, à ses amis d’Auxerre, à ses liens des blogs.

Et je dédie ces quelques photos à son grave souvenir.

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Pourquoi voter Marine Le Pen serait une aventure ?

Certains lecteurs m’ont reproché d’analyser plus la gauche que la droite. Mais c’est que la gauche est au pouvoir, poussée sans arrêt aux illusions par son extrême trotskiste ; il m’a paru jusqu’ici plus utile d’analyser ce danger immédiat que le danger Le Pen plus lointain. J’ai déjà écrit une note Contre le Front national, en décembre 2010. J’examine aujourd’hui quelles pourraient être les conséquences d’une application du programme Le Pen.

Mais disons-le tout net : la majorité des électeurs qui votent Le Pen s’en moquent comme de leur premier slip. Ce qui leur importe est de marquer leur protestation vigoureuse vis-à-vis de l’UMPS, gens au pouvoir depuis des décennies qui ont préféré leurs petits jeux d’ego plutôt que le bien de la France. Bobos et technos ont délaissé la classe moyenne et populaire, s’appuyant ou sur les très riches ou sur les immigrés. Vieillissement démographique, mondialisation, technocratie de l’Union européenne, crise des finances publiques, induisent une angoisse diffuse et une perte de repères. La protestation pourrait s’afficher au premier tour de présidentielles, et être abandonnée en grande partie au second en raison de l’aventurisme du programme…

scores front national 2002 et 2012

Chacun peut le lire intégralement sur le site du Front national (ce qui est écrit en petit doit se lire avec une particulière attention). Il se résume ainsi :

  • en politique, souverainisme, bonapartisme, populisme ;
  • en économie, dévaluation, protection, inflation ;
  • en social, préférence nationale, politique nataliste, censure pour les enfants.

La volonté est celle d’une contre-révolution comme celle préconisée par Joseph de Maistre après 1789, mais la date ici retenue est 1968, l’année de la chienlit sociale, du départ programmé du général de Gaulle (qui démissionne en 1969) et des négociations sociales qui font déraper le budget. Il s’agit d’établir un État organique par un rassemblement de forces, unies par un parti de la nation en colère. La vie est une lutte, le monde une jungle, et toute liberté doit se construire par une volonté recentrée sur soi et ses proches : famille, patrie, travail. L’individualisme n’est pas toléré, la fraude, l’immigration ou le crime non plus ; la communauté de sang et de sol s’impose comme seul souverain politique – donc économique et social. Ni libéralisme, ni socialisme, la promotion de l’homme intégral communautaire, contraint par l’État, représentant souverain du Peuple comme ethnos. Une forme nationaliste du bonapartisme traditionnel.

1/ Politique :

Pouvoir international fort, souverain et austère qui inspire un idéal de vertu :

  • Sortir des traités européens pour une « association libre » (les autres en voudraient-ils et comment ?)
  • Partenariats industriels volontaires (type Airbus)
  • Maîtrise des frontières (fin de Schengen) et de la monnaie (fin de l’euro), indépendance énergétique (énergies vertes + nucléaire)
  • La Banque de France pourra prêter au Trésor public sans intérêts, ce qui permettrait d’augmenter salaires et pensions, de baisser les prix de l’énergie. C’est l’autre nom de la planche à billets – donc l’inflation – non compensée par des coûts à l’exportation abaissés puisque l’abolition du libre-échange entrainera rétorsions.

En politique intérieure, le Front national reprend le bonapartisme traditionnel :

  • Un mandat présidentiel unique de 7 ans non renouvelable.
  • L’appel au référendum pour toute modification de la Constitution.
  • Scrutin proportionnel à toutes les élections (comme dans toutes les sociétés organiques).
  • Fin de l’obligation bruxelloise de concurrence sur les services publics
  • Effort de défense à 2% du PIB, sortie du commandement intégré OTAN (mais pas de l’alliance). Institution d’une garde nationale de 50 000 réservistes + dissuasion nucléaire.
  • Réduction des subventions aux associations « ne relevant pas de l’intérêt général ». Lutte contre la fraude fiscale et la fraude sociale, contre le « coût de la décentralisation » (autrement dit recentraliser).

Un État fort signifie tolérance zéro pour les crimes, le communautarisme des banlieues et les attaques contre les forces de l’ordre. Leurs effectifs seront augmentés, comme les moyens de la justice ; la peine de mort et les peines incompressibles de perpétuité seront rétablies par référendum et 40 000 places de prison de plus seront ouvertes. Les mineurs seront responsables pénalement dès 13 ans.

  • Ce qui paraît contradictoire avec la volonté affichée de protection des « enfants » (les moins de 13 ans ? avec la majorité sexuelle qui va avec la « responsabilité pénale » à 13 ans ?), en rétablissant la censure sur le net et toute forme de « violence » (y compris « morale », ce qui reste éminemment flou, donc propre à toutes les dérives…)
  • A l’école, retour aux fondamentaux : lire, écrire, compter, méthode syllabique obligatoire en CP, suppression du collège unique, promotion des filières manuelles et surtout discipline. Cela marchera-t-il à l’époque d’Internet et de l’ouverture au monde ?
  • Au total, la contrainte autoritaire remplacera partout le laxisme issu de la pensée-68.

electeurs du front national 2006

2/ Économie :

La souveraineté implique de quitter l’euro, donc de dévaluer drastiquement le néo-Franc (autour de 40% dans les années 1930 et 1982) et de bloquer la liberté des capitaux par nationalisation partielle des banques. Conséquences prévisibles :

  • Notons au préalable que l’ampleur de la crise mondiale des années 30 est due justement au protectionnisme, aux dévaluations compétitives, aux restrictions dans l’accès aux matières premières et aux politiques autarciques d’États. Faut-il replonger tout droit dans les mêmes erreurs ?
  • Ne plus être dans l’euro serait-il un véritable avantage ? L’exemple du Royaume-Uni et du Danemark en fait douter. A l’inverse, la Suède montre un pays prospère, mais qui tourne le dos à un programme type FN : refus de l’autarcie (50% du PIB à l’exportation), inflation domptée (pas de planche à billets), large libéralisation des services publics…
  • La contrainte euro sur l’Allemagne existe via le Mécanisme d’aide européen : 350 milliards € selon Christian Ott (économiste Natixis, juillet 2012) via les prêts accordés à la Grèce, l’Irlande, le Portugal, l’Espagne, et via ses participations auprès des pare-feu européens. Quitter l’euro = quitter toute aide.
  • L’Allemagne a subi avec l’euro une dévaluation de fait par diminution des salaires, augmentation de la durée du travail, allongement du nombre d’années de cotisation pour accéder à la retraite. Si l’Allemagne redevenait autonome, sa concurrence industrielle – donc à terme politique – redeviendrait redoutable. Il y a donc de multiples avantages pour la France à rester dans l’union.
  • La sortie française marquerait l’écroulement du système euro ; nos créances – importantes – sur les pays du sud (Italie et Espagne) ne seraient pas remboursées et certaines de nos banques feraient faillite, donc seraient nationalisées – et pèseraient sur le Budget.
  • Comme les deux tiers de nos échanges économiques se font avec l’Europe, quelles mesures de rétorsion prendraient les autres pays ?
  • L’abandon de l’union monétaire implique l’autarcie, donc l’appauvrissement : ce qui sera produit en France sera plus cher en raison du niveau de vie relatif du pays, ce qui sera importé sera plus cher en raison de la dévaluation du néo-Franc, des droits de douane ou contraintes phytosanitaires.
  • La fin de la discipline, sur l’exemple allemand, ferait retomber le patronat français dans sa paresse du passé : peu d’investissements, crainte de l’innovation, monopoles protégés par la puissance publique, ballon d’oxygène des dévaluations régulières, paix sociale par l’inflation auto-entretenue.
  • Les talents et les jeunes diplômés choisiront encore plus le large – et la liberté – qu’un pays préoccupé des vieux, du rural et du petit commerce.
  • La priorité nationale pour l’emploi et l’immigration choisie limitée (comment ?) à 10 000 entrées par an, ne permettront pas d’abaisser le chômage, contraint par la baisse programmée du nombre de fonctionnaires, le renchérissement de l’énergie importée et les moindres exportations…

3/ Social :

Le souverainisme se veut un pansement social pour les catégories d’électeurs du FN : ouvriers, employés, retraités, petits-commerçants et artisans, agriculteurs et pêcheurs.

  • Mais le patriotisme économique par le soutien au petit commerce ne sera pas compensé en termes de coûts par la simplification bureaucratique et la baisse d’impôts pour PME et entrepreneurs individuels.
  • La politique agricole française et la protection de la pêche dans la zone économique exclusive coûtera au budget national, même si l’outremer se trouve ainsi valorisé.

Pour compenser la perte économique par la fierté symbolique, promotion de l’ethnos français :

  • Suppression du droit du sol, naturalisation sous conditions strictes,
  • Interdiction de la discrimination positive à l’embauche et renvoi des étrangers chômeurs,
  • Pénalisation du « racisme anti-français », suppression des subventions aux lieux de culte et interdiction des signes religieux ostentatoires.
  • Réduction des budgets sociaux aux immigrés et politique nataliste : revenu de 80% du SMIC aux parents à partir du 2e enfant ; allocations familiales réservées aux familles dont un parent au moins est français
  • Un enfant devient un adolescent pénalement responsable de ses actes dès 13 ans, en apprentissage dès 14 ans (comme au moyen-âge où les rois se mariaient dès la puberté)
  • Refus du mariage gai (mais maintien du PACS), lutte contre l’avortement (mais pas abolition)
  • Solidarité organique entre les générations et régime contre la dépendance.

2012 1974 score-fn

En bref, un programme pour figer une France d’hier, immobile, essentielle : le retour aux années 1960 d’industrie forte, de gaullisme politique, d’autorité sociale et d’immigration marginale. Une sorte de pétainisme, mais revu XXIe siècle, qui irrigue souterrainement la psyché française – y compris à gauche – sous la forme d’un abandon masqué par le volontarisme bonapartiste. Le monde va plus vite et plus fort ? Levons le pont-levis, protégeons notre petite vie tranquille. Ce serait l’idéal suisse, si la Suisse ne montrait justement qu’on peut être sûr de son identité et plus démocratique, toujours ouvert sur le monde… A condition de se prendre en main.

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Élections territoriales à Tahiti

Les atolls éloignés qui ne disposent pas d’aéroport reçoivent bulletins et professions de foi par largage grâce aux avions de l’État, à charge pour les employés de la mairie d’aller quérir le cylindre avec leur poti marara (petit bateau). L’armée a largué ce matériel à Rapa (Iles Australes) via le Gardian, et les atolls de Hereheretue (47 électeurs) et Tematangi (37 électeurs) dans les atolls des Tuamotu l’ont reçu grâce à un Casa de l’armée. « Nous disposons de 2 cylindres pour chacune des communes expliquait le Lieutenant J.L. Le premier cylindre est envoyé avec un système de parachute afin qu’il amerrisse près des passes, où attendent des personnes envoyées par la mairie pour les récupérer. Si jamais le premier envoi échoue pour une raison technique, un second cylindre de secours est déjà prêt ». Les « colis » ont été au préalable préparés par les services du Haut-commissariat en Polynésie.

trois vahines seins nus plage

Le scrutin mode Penchard s’est déroulé le dimanche 21 avril 2013 et les résultats partiels et provisoires des premier puis deuxième tour sont :

Section 1 iles du vent : (Papeete-Pirae-Arue-Moorea-Maiao) Tahoeraa Huiraatira (Flosse autonomiste) = 43,30% et 48,41% ; UPLD (Temaru indépendantiste) = 20,58% et 24,41% ; A TI’A PORINETIA (Rofritsch autonomiste) = 22,09% et 27,17 %.

Section 2 iles du vent : (Mahina, Hitia’a o te Ra, Taiarapu Ouest, Taiarapu Est, Papeari, Mataiea, Papara, Paea) Flosse 42,92% et 48,13 % ; Temaru 23,29% et 30,14% ; Rofritsch 14,91% et 21,73%.

Section 3 iles du vent : (Faa’a-Punaauia) Flosse 34,38% et 37,98% ; Temaru 29,37% et 35.03% ; Rofritsch 24,02% et 26.00%.

Section 4 iles sous le vent : Flosse 30,53% et 35.20% ; Temaru 25,27% et 29.31% ; Rofritsch 28,55%  et 35.49%.

Section 5 tuamotu ouest : Flosse 42,41% et 51.37% ; Temaru 23,38% et 30.36% ; Rofritsch 10,34% et 18.27%.

Section 6 tuamotu est : Flosse 54,36% et 60.36% ; Temaru 16,68% et 21.16% ; Rofritsch 12,5%  et 18.48%.

Section 7 marquises : Flosse 40,93% et 44.56% ; Temanu 25,65% et 29.50% ; Rofritsch 15,27% et 25.94%.

Section 8 australes : Flosse 52,61% et 58.86% ; Temaru 28,98% et 31.32% ; Rofritsch 7,98% et 9.82%.

Au premier tour, personne n’ayant eu majorité absolue, le second tour s’est avéré indispensable pour élire les 57 membres de l’Assemblée de Polynésie qui à leur tour éliront le Président « du gouvernement de » la Polynésie française et NON le Président « de » la Polynésie française !

Entre les deux tours, c’est la guerre et grâce au Net, on s’insulte, on se gausse de l’autre dans des termes. A la télévision c’est parau parau (parler, dire). « Parole, parole, parole !… » chantait Dalida. Ici c’est parau, parau (prononcez prau prau, et n’oubliez pas de rouler le r).

Ce dernier samedi, les trois partis présents au second tour se sont baladés en voiture avec drapeaux orange, bleu et jaune autour de l’île avec renfort de musique boum boum !

La Dépêche titre « La prouesse de Flosse ». L’Assemblée de Polynésie est orange à une large majorité. Flosse va récupérer le fauteuil de président du gouvernement, ce sera « comme au bon vieux temps ». Wait and see !

Hiata de Tahiti

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Gai, gai, marions nous !

Les débats s’endorment à l’Assemblée, où l’absentéisme est toujours abyssal en raison du cumul des mandats. En raison de la rafale d’amendements de l’opposition aussi, mais c’est de bonne guerre, la gauche a tellement utilisé cette tactique depuis des années… Droite assez stupide d’ailleurs, qui se contente de bloquer toute évolution sans proposer aucun argument de raison autre que l’inceste et la polygamie (déjà légaux puisque les enfants nés ainsi à l’étranger peuvent rejoindre leurs parents établis en France : y a-t-on pensé ?…). Et les Français en ont déjà marre, têtes de linotte pour qui un « débat » doit se trancher très vite, habitude héritée du droit divin catholique et de la présidence impériale Vème République.

Il ne leur vient pas à l’idée que « la démocratie », dont ils ont d’habitude plein la bouche, exige le débat contradictoire, et jusqu’à ce que tous les arguments soient sur la place publique ? Mais il est vrai que les Français et la démocratie, ça fait deux. Entre une existence sociale éduquée à l’individualisme matheux, au fonctionnement pyramidal des entreprises et au système politique où règne le culte du Chef et où le Parlement est croupion, comment penser une seule seconde qu’une « démocratie » puisse sereinement exister ? Blanc seing est donc donné aux partis et aux zassociations (qui ne représentent qu’elles-mêmes), voire aux « experts » soigneusement sélectionnés par le bord politique au pouvoir, de « dire le droit ». Les citoyens se contentent de brailler dans la rue et sur le net, et leurs députés de faire les pitres, sans aucun intérêt pour le débat ni pour la démocratie. Les Anglais, au même moment et sur le même sujet, sont bien plus cohérents !

couple pigeons

Je n’ai aucun a priori sur l’union de deux êtres, fussent-ils de même sexe, à condition qu’ils soient adultes et consentants. Mais la société a quelque chose à dire sur la transmission : du nom, des biens, des devoirs. Il s’agit d’ordre public. L’origine du mot « marier » est intéressante : il s’agit de pure biologie, « unir des arbres à la vigne ». Autrement dit greffer une branche venue d’ailleurs sur une souche. Marier une fille est le sens dérivé d’associer deux familles par une union sexuelle, dans le but de produire des enfants et d’assurer la transmission de l’héritage (nom, réputation, biens, métier…). Le sens plus moderne (déjà au XVIIème siècle…) étend le concept jusqu’à « allier avec une idée d’harmonie », selon le Robert historique de la langue française.

Le mot « mariage » est né en français en 1135 comme une action de s’unir d’abord (constatation), puis comme un sacrement de l’église catholique, au moment où le mariage des prêtres devenait interdit par la réforme grégorienne. L’église protégeait d’ailleurs l’amour contre les intérêts, puisqu’elle demandait à égalité le consentement public de chacun des époux, mâle et femelle, et ne sacrait pas un mariage trop précoce. Ce n’est qu’avec Napoléon, après la Révolution, qu’apparaît la notion de « mariage civil », contrat bourgeois (et traditionnel) qui laisse le sacrement aux croyances de chacun. Nous vivons jusqu’ici sous ce régime résolument moderne, à l’exception du divorce et de l’égalité entre époux, conquêtes récentes du XXème siècle. Puisque le mariage en droit est un « contrat » entre égaux de répartition des biens (communauté réduite aux acquêts, communauté universelle ou séparation de biens), pourquoi ne pas en faire bénéficier tous ceux qui veulent s’allier ?

Mais le sexe vient par-dessus, ce qui agite les tabous profonds et met en question les religions du Livre, immobiles depuis 4000 ans (avec nouveau prophète tous les 1000 ans, Moïse, Jésus, Mahomet, Moroni)… L’évolution des mœurs fait que le sexe entre adultes consentants est désormais légal (c’est assez récent), mais il reste contesté par les églises, qui croient en une Révélation figée une fois pour toute. Le patriarcat méditerranéen, berceaux des trois religions du Livre, a soumis depuis des millénaires les femmes aux hommes ; les autoriser à se « marier » entre elles, c’est enfreindre le tabou ; quant aux hommes entre eux, c’est perdre de la semence vouée au « croissez et multipliez » et pervertir les « honnêtes gens » en les focalisant sur le plaisir sexuel au détriment du Salut. Même si le Christ a valorisé nombre de femmes, à commencer par Marie sa mère, mais aussi Marie-Madeleine « la pécheresse » (autrement dit la pute), saint Paul (comme le judaïsme intégriste et plus tard l’islam) a rigoureusement séparé les hommes (appelés à la spiritualité) des femmes (impures et tentatrices). Il n’y a donc que des tabous ou croyances à faire valoir contre le mariage entre personnes du même sexe, aucun argument rationnel.

Je ne peux cependant que m’étonner de voir le contrat bourgeois supplanter l’amour… Les soixantuitards qui avaient jeté slips et soutifs aux orties pour « s’unir » à hue et à dia sur le mode libertaire ont aujourd’hui 60 ans. Ils s’embourgeoisent, se voient atteints par le sida, la solitude, l’absence d’héritiers. Ils désirent alors (tout, tout de suite !) se marier comme les bourgeois, pour bénéficier du confort familial. C’est cela qui me fait douter du bien-fondé des arguments « pour ». Il s’agit d’instincts, pas de raison. Du vulgaire désir irrépressible d’État-providence au civil contre la vieillesse et la dépendance qui viennent, pas de grands principes. Déjà, nombre de ceux qui avaient fui « le système » pour aller vivre nus en Inde où la drogue était libre, étaient vite revenus, une fois la trentaine usée, s’enkyster dans la fonction publique. Combien en ai-je connu de ces soixantuitards-là (instit, profs, facteurs, cantonniers…) !

Reste l’intérêt des enfants : savoir de qui ils sont issus, de qui ils portent le (ou les) noms, qui est leur père et qui est leur mère (au sens biologique), qui va s’occuper d’eux en cas de disparition d’un « parent ». L’angoisse profonde de tous les gosses est d’être abandonnés. La littérature XIXème en a fourni de nombreux exemples (Cosette, Oliver Twist, Rémi de Sans famille, Un capitaine de 15 ans, Romain Kalbris, etc.). Mais peu importe qui s’occupe d’eux, l’important à leur yeux est que quelqu’un les aime, les protège et les élève. Une seule femme ou deux, un seul homme ou deux, un homme et une femme, pourquoi pas trois ou quatre avec les oncles/tantes, les grands-parents et les parrains. Ou même par les fratries (une sœur aînée ou un frère aîné jouant le rôle d’adulte pour les plus jeune). C’était le cas au Moyen-âge où l’on mourait jeune, c’est le cas aujourd’hui avec les divorces, des accidents, les familles décomposées. Même s’il est meilleur qu’un enfant soit élevé par ses deux géniteurs (parce que l’amour est plus « charnel ») il peut être aussi bien élevé par une, deux ou plusieurs personnes (aux rôles sociaux définis) sans que sa construction psychologique n’en souffre. Depuis le temps que le divorce et le veuvage existent, ça se saurait ! Il trouvera ses modèles masculin/féminin autour de lui, s’il est aimé et reconnu comme une personne par au moins un adulte sur lequel il peut compter.

Le mariage est un marchandage entre familles (et entre individus) pour les biens à user et à transmettre – plus aujourd’hui, avec le fisc. L’union est un sentiment durable entre deux êtres, que l’on peut sanctionner ou pas par un sacrement religieux, social ou païen. Je n’ai aucune opinion ni pour ni contre sur ce « droit » de proclamer son union sexuelle à la face de toute la collectivité. Mais avilir l’être en avoir m’étonne de ceux qui se proclament dans le fil des Lumières… Mieux vaudrait aménager la fiscalité (tabou à gauche !) et argumenter contre les religions homophobes en cessant de se coucher devant toute revendication communautariste comme le font si souvent les bobos.

Il y a aussi l’amour, même entre personne du même sexe. N’ayant pas cette expérience, je laisse la parole à un financier gai, Français de New York qui se fait appeler Hadrianus en référence à Yourcenar, découvert par hasard. « L’impossibilité pour certains de vivre l’amour qu’ils ressentent au plus profond de leur cœur, de toute leur âme, parce que la société, leur éducation, les autres, leur apparaissent comme autant d’obstacles qui empêchent la révélation au grand jour de leur amour. Une belle illustration au débat de société qui occupe la France en ce moment. Ici aussi on chuchote et on bouge. L’amendement californien qui revient sur les acquis de la communauté homosexuelle fait du bruit, le mouvement NO H8 se répand et reçoit le soutien de nombreux artistes et personnalités dans tout le pays. Pourtant je continue de m’interroger. N’est-ce pas un phénomène de mode qui pousse les plus jeunes d’entre nous à vouloir à tout prix révéler au monde entier leur inclination sexuelle ? Qu’on lutte contre la violence de l’homophobie latente dans notre monde est une chose, que chacun soit laissé libre de ses choix et de ses inclinations sans que cela nous regarde c’est fondamental et il est impensable qu’il en soit autrement. Mais le coming-out est-il obligatoire ? Est-on anormal quand on ne ressent pas le besoin de dire à voix haute et à tous ce qu’on est et ce qu’on vit ? L’amour, le sexe, nos désirs et nos répulsions, tout cela n’appartient qu’à nous. En quoi les autres, la famille, les amis, les voisins, ont-ils besoin de savoir avec qui et comment on couche ? » Je ne vous donne pas le lien, le politiquement correct ne l’autorise pas aux quelques collégiens qui suivent mon blog, mais la note est parue le 30 décembre 2012.

Ce n’est pas la loi qui fait l’amour, ce sont les gens. L’union fait la force, le mariage fait le divorce : quel « progrès »…

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Il y a un siècle, 1913

Il y a un siècle… Mes grand-pères avaient 19 et 16 ans. L’année est surtout connue pour précéder 1914, début de la Grande guerre. Mais elle était déjà grosse de ce qui allait venir. Leçon pour le futur ? Impossible de dire quel possible devient réalité, et pourtant…

Alors que Freud publie en juin Totem et Tabou, l’Allemagne prépare la guerre et les socialistes sont très contents d’eux. La loi de juillet 1913 renforce l’armée d’active de 621 000 à 820 000 hommes. Au congrès du parti social-démocrate allemand à Iéna en septembre, la grève générale en cas de guerre est condamnée et les députés socialistes sont approuvés pour avoir votés les crédits militaires. L’empereur Guillaume II annonce en octobre au roi Albert 1er de Belgique que la guerre contre la France est inévitable. Le 25 octobre, signe du temps, naît Klaus Barbie, chef de la Gestapo de Lyon pendant la Seconde Guerre mondiale. Pendant ce temps, Niels Bohr présente la mécanique quantique où les électrons ne peuvent se trouver que sur certaines orbitales définies – et Hans Geiger crée le compteur de radioactivité devenu célèbre. L’hiver 1913, la crise économique en Allemagne est due à l’argent cher (ce que nous venons d’éviter en 2010-2011) ; elle va précipiter la guerre.

ado allongeLa France n’est pas en reste, qui prépare la revanche. Elle vote le 19 juillet la loi des trois ans sur le service militaire (comme le feront les socialistes durant la guerre d’Algérie). Le 17 janvier, Raymond Poincaré est élu président de la République et remplace Armand Fallières. La gloire de la France, qu’elle ne développera longtemps que pour la beauté du geste, est l’aviation. Le 11 mars, Perreyon bat le record d’altitude en avion, 5 880 mètres sur un Blériot, le 9 septembre, Maurice Prévost porte le record du monde de vitesse en aéroplane à 204 km/h et le 23 septembre Roland Garros effectue la première traversée de la Méditerranée en avion. Côté industrie, Peugeot lance au 1er juillet la Bébé, voiturette dessinée par Ettore Bugatti ; 45 000 voitures seront produites en France en 1913. Maurice de Broglie détermine le spectre des rayons X.

Paraissent en littérature L’Argent de Charles Péguy (hostile au bénéfice), Alcools de Guillaume Apollinaire (qui mourra à la guerre), Jean Barois de Roger Martin du Gard (fresque humaniste qui sera ringardisée par la boucherie), La Colline inspirée de Maurice Barrès (nationalisme qui connaîtra un destin), Le Grand Meaulnes d’Alain-Fournier (qui deviendra le symbole pacifique du monde d’avant), La Prose du Transsibérien de Blaise Cendrars (qui poursuivra le surréalisme des voyages), et enfin Du côté de chez Swann de Marcel Proust (qui ne sera reconnu qu’après 14-18)… Lorsque l’on se remémore les prix de l’année 1913, on ne peut qu’être effaré de leur inanité : prix Goncourt Le Peuple de la mer de Marc Elder, prix Femina La Statue voilée de Camille Marbo. Qui diable s’en souvient encore ? La mode et le politiquement correct d’époque passe aussi vite que les rassis installés qui les délivrent. Pour préparer le siècle, naissent Albert Camus et Claude Simon, tous deux futurs prix Nobel de littérature, Paul Ricœur, philosophe, Jacqueline de Romilly, académicienne et helléniste, Mouloud Feraoun, écrivain algérien, Charles Trenet, chanteur et Jean Marais, acteur.

Les États-Unis ne sont pas encore la première puissance de la planète, rôle qu’ils n’acquerront qu’après la chute de la livre sterling dans les années 30 et surtout durant la Seconde guerre mondiale. Mais le 3 février, le XVIème amendement de la Constitution américaine crée l’impôt fédéral sur le revenu et le 23 décembre, le Federal Reserve Act instaure la Fed, banque centrale, chargée de contrôler le système bancaire et d’émettre la bonne quantité de monnaie. C’est aussi en 1913 qu’Henry Ford crée le 10 août la première chaîne de montage dans ses usines automobile. La productivité augmente de 400 % et Ford Motor Company vend 178 000 automobiles en 1913 avant 248 000 en 1914 (45 % de la production nationale). Le pays attire parce qu’il est pragmatique. Le psychologue américain John Broadus Watson développe sa théorie du behaviorisme et 376 776 Italiens débarquent aux États-Unis. C’est l’année où naissent Richard Nixon, futur président, et Robert Capa, photographe américain d’origine hongroise.

A son sud, si le canal de Panama était fini de percer le 10 octobre, le général Victoriano Huerta, chef de l’armée mexicaine fait assassiner le président Madero et prend le pouvoir. Pancho Villa, Álvaro Obregón, et Emiliano Zapata attirent les paysans désireux de récupérer leurs terres dans une révolte qui sera matée dans le sang.

La Russie était déjà ce pays gros de promesses et destiné à le rester. Le 13 mai a lieu le premier vol d’un quadrimoteur géant construit par le russe Igor Sikorsky, mais Joseph Staline est arrêté pour banditisme révolutionnaire et exilé en Sibérie. La Russie célèbre le tricentenaire de la maison Romanov sur le trône impérial ; le tsar Nicolas II se croit populaire comme Poutine. Maxime Gorki publie L’Enfance, misérabilisme sympathique mais qui empêche d’avancer.

Au Moyen-Orient, la Turquie décline, ce qui incite le 23 janvier les Jeunes-Turcs au coup d’État. Le traité de Londres du 30 mai qui met fin à la première guerre balkanique fait perdre à la Turquie, vaincue, la plus grande partie de ses territoires européens. Grecs, Bulgares et Serbes doivent se partager la Macédoine, d’où aussitôt ces querelles de chiffonniers qui engendrent la seconde guerre balkanique dès juillet. Le siècle n’a pas fini ces querelles de bac à sable, et l’arriération due au joug ottoman durant des siècles perdure toujours en Grèce. Mais le retrait turc permet à certains membres du Parti de la décentralisation administrative ottomane du Caire des contacts avec l’Organisation sioniste qui auraient pu aboutir avec le temps, si la Seconde guerre mondiale et l’horreur des camps d’extermination n’avaient conduits à imposer l’État d’Israël. En 1913, une immigration juive en Palestine était admise sous condition d’égalité de droits entre Arabes et Sionistes.

L’Asie était loin mais présente. En mars 1913, la Chine se dote d’une armée de l’air et passe commande de 12 appareils à la France. Les 8 janvier, le 13ème Dalaï-lama déclare publiquement l’indépendance du Tibet, déjà formulée en 1912 dans une lettre au Chinois Yuan Shikai. Le 6 octobre, une conférence réunit à Simla des représentants des autorités britanniques, chinoises et tibétaines qui aboutit à une convention provisoire harmonisant les relations mutuelles et les frontières (ligne Mac-Mahon). La convention prévoit l’autonomie du Tibet et la souveraineté chinoise sur le Tibet intérieur mais l’accord, signé en avril 1914, n’est jamais ratifié par la Chine. Et aujourd’hui le problème demeure…

C’est en Inde que le poète philosophe Rabindranath Tagore reçoit le prix Nobel de littérature.

Reste l’Afrique où le docteur Albert Schweitzer arrive à Lambaréné au Gabon pour installer un hôpital tandis que sont promulguées le 19 juin en Afrique du Sud les premières lois d’apartheid. Deux approches occidentales vis-à-vis des Noirs qui ne seront levées qu’à la toute fin du siècle. Un soulèvements antiportugais a lieu en Angola tandis qu’au Kenya naît le culte mumbo. Un grand serpent sorti du lac Victoria aurait adressé un message à un homme, lui enjoignant de prêcher contre le christianisme et les Européens, prédisant la fin prochaine de la domination des Blancs. Aujourd’hui, l’islam intégriste a pris la place mais le continent reste dans l’anarchie militaire, la corruption des pouvoirs et la croyance.

Freud profilLes équilibres d’alors sont-ils changés un siècle plus tard ? Pas vraiment… L’Allemagne domine toujours l’Europe, les États-Unis restent gérés par la monnaie, la Chine assoit sa puissance mondiale, l’Inde demeure discrètement un continent de longue culture, la Russie est toujours velléitaire et le reste du monde ballote entre coups d’État, prises de pouvoir populaire et tentatives d’essor économique. Hors l’informatique et les fusées, nous n’avons rien créé de vraiment neuf depuis l’automobile et les avions. Le Net lui-même n’est pour l’instant qu’une radio amplifiée, pas une révolution. Va-t-il le devenir ? Les tenant des cycles Kondratiev par grappes d’innovations le croient : c’est possible mais cela va-t-il devenir réel ?

Car l’humanité reste entre totem et tabou. Dans de nombreuses sociétés la figure du Père tout-puissant limite de plus en plus « l’accès aux femmes » (à la morale ou aux biens de consommation) : le Parti en Chine, Poutine en Russie, les ligues de vertu et les Big Brothers du net aux États-Unis, le Président et la coterie Saint-Germain des Prés en France, Kim en Corée, Chavez au Venezuela ou Castro à Cuba, les islamistes un peu partout… La horde primitive se contente de brailler, s’épuisant en rites obsessionnels destinés à écarter l’angoisse. Ces primitifs croient encore en la toute-puissance de leur pensée, la pensée magique : un Autre monde est possible, demain on rase gratis, il suffirait de remplacer Sarkozy ou Bush ou Moubarak. Il n’y a pas d’âge adulte culturel, seulement de la jouissance chez nos bobos intellos. Faudrait-il pour comprendre 2013 relire le Freud 1913 ? Trois générations seulement ont passé.

Merci à Wikipedia pour sa recension de l’année 1913.

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Tropisme

En rajouter nuit à sa cause : trop de pub tue la pub, trop d’impôt tue l’impôt, trop de morale tue la morale.

Le coup d’arrêt à la pub de Free a moins fait chanceler Google que les publivores, dont le délire finit par lasser sur les écrans du net. Il n’y a plus de travail dans l’industrie et tous les étudiants veulent être soit fonctionnaires, soit « dans le marketing ». Mais trop d’encarts sur les ordinateurs finissent par agacer sérieusement. Ils vous barrent l’accès au texte, ils clignotent sans vergogne pour vous empêcher de lire autre chose qu’eux, ils s’imposent soi-disant pour vous « servir ». Rien de plus importun au restaurant qu’un serveur qui n’arrête pas de tourner autour de vous : pareil sur écran. Altavista et Lycos ont disparu parce qu’ils avaient forcé sur la pub. Mais c’est qu’il est « tendance » de renier la radio et la presse au profit de la télé et du net. Toute la publicité se recentre sur le nouvel outil de communication car les magasins coûtent trop cher en loyer et frais de personnel, surtout les charges sociales empilées sur l’entreprise et jamais remises à plat par les technocrates de Bercy et les députés confortablement installés dans le fromage public. Virgin et Surcouf disparaissent, la Fnac bat de l’aile… Mais croyez-vous que le « trop » recule ? Chacun garde sa courte vue, comme ces ouvriers du Livre surpayés pour les rares heures travaillées qui, à force de grèves et d’avantages zacquis, ont scié la branche sur laquelle ils étaient assis. Plus de presse à imprimer, plus d’emplois.

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L’impôt, c’est bien, mais trop d’impôt tue l’impôt. Vous pensez ce que vous voulez de Gérard Depardieu. Je le trouve moi-même gonflé, enflé, démesuré. Il fut un beau Danton, un risible Obélix. Mais quand le symbole du révolutionnaire et du Français moyen filent à l’étranger parce qu’ils ont l’impression de payer pour les autres – ceux qui sont incapables de gérer avec raison, rigueur et économie l’argent public – il y a question. Depardieu est un boulimique agaçant, certes, mais il a tourné dans 200 films et en a produit 5, il a créé plusieurs entreprises. Qu’il parte avec pertes et fracas n’est pas bon pour la France. Pour son image. Pour la soi-disant justice que voudrait faire régner François Hollande. Un président « normal » commence par imposer tous les citoyens (et pas seulement ceux qui ne votent pas socialiste) ; par les imposer « normalement » (la norme en Europe est de 50%, pas de 75%), avec un discours « normal » (qui n’accuse pas une catégorie entière, « les riches » ou « les patrons », comme s’ils étaient une « race » à part) et une action « normale » qui inclut les entreprises dans la lutte pour l’emploi (et pas les exclut à coup de mépris et de vengeance fiscale).

Si « normal » voulait dire « mesuré » dans la bouche du candidat… Car rien n’est moins sûr ! La normalité était ce que réclamaient les gouvernements du socialisme réel, dans ces pays de l’Est où le formatage des esprits était la vertu des ingénieurs des âmes au service de l’État-parti. « Moi, président de la République »… on verrait ce qu’on allait voir ! Et on voit, jour après jour, que la morale bat la campagne, mais s’ignore dans les ors. Elle est pour les autres, rarement pour soi. Pourquoi nommer un militant socialiste à la tête du CSA ? Pour « normaliser » l’information ? La « moraliser » pour faire du « service public » le serviteur des gens au pouvoir ? Mitterrand l’avait fait et Edwy Plenel justement dénoncé. Hollande, qui veut faire du Mitterrand, le fera-t-il jusque dans ses mauvais côtés ?

Trop de pub, trop d’impôts (car trop d’étatisme), trop de morale. L’excès était, selon Roland Barthes, la particularité du « petit-bourgeois ». Il voyait dans le catch, sport tout entier pour la galerie, où les prises sont d’autant plus spectaculaires qu’elles ne font pas mal, la quintessence du mythe petit-bourgeois. L’esbroufe, la société du spectacle, la mise en scène narcissique de soi. « Ceux qui ont la plus grosse », disaient alors les gens. Les « trop », disaient il y a peu les ados. Les petit-bourgeois au pouvoir, dira-t-on aujourd’hui.

Nous sommes gouvernés par des « trop » : ne pas s’étonner de la « réaction » qui monte – dans le peuple. Les riches ont le moyen d’aller ailleurs, pas ceux en-dessous du revenu médian. Pourquoi est-ce toujours la gauche qui fait monter le Front national ? Ne serait-ce pas l’expression aujourd’hui de la « lutte des classes » où le petit-bourgeois ne veut renverser le grand bourgeois que pour s’imposer au prolétaire ? Sauf que le prolétaire n’a plus d’emploi et bientôt moins de prestations sociales.

Attention, le cave se rebiffe !

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Internet nous change

L’autisme affiché des jeunes dans le métro ou dans la rue, casque vissé sur les oreilles et œil dans le vague, dansotant en rythme d’une musique qu’ils sont seuls à entendre, paraît ridicule aux générations d’avant les i (iPod, iPhone, iTunes, iPod, iPad…). Il n’est pourtant que la version oreilles d’un comportement largement admis pour l’œil : la lecture. Les passagers du métro plongés dans leur bouquin s’isolaient tout autant du monde alentour, parfois même en marchant. Fuite devant le réel ou désir de quant-à-soi ? Avons-nous changé de monde ou seulement changé d’outils ?

Les enquêtes réalisées depuis 1973 (presque 40 ans !) montrent que les tendances sont lourdes : baisse de la lecture imprimée et hausse des consommations d’écrans (TV, jeux vidéo, Internet, réseaux, baladeurs… et les liseuses qui tendent à remplacer le livre de poche !). Même les forts lecteurs, même très diplômés, lisent moins. En cause, le temps, qui n’est pas élastique. La multiplication des écrans nomades multiplie les tentations d’expérience au détriment de la pause réflexion. D’autant que l’éducation dite « nationale » privilégie la sélection par les maths, qui n’encourage en rien à lire ! La culture littéraire et artistique serait élitiste, « bourgeoise » (capitaliste), reproductrice des inégalités sociales, voire tentation de pédé (un livre dans un collège de banlieue est aussi mal vu qu’une jupe pour un garçon). La démagogie jeuniste accentue les prescriptions à lire court, en extraits, si possible par emprunt (surtout ne jamais acheter de livre, surtout ne pas s’encombrer !).

D’autres habitudes de lecture naissent de la facilité des outils : finis les textes trop longs, trop pavés, trop bavards. Place au vif, à l’illustré, au témoignage. Les articles du ‘Monde’ qui tenaient des pages entières en 1970, remontant aux calendes grecques avant même d’aborder le sujet traité, puis terminant sur une interminable morale en conclusion, ne sont tout simplement plus « lisibles » aujourd’hui. On s’en fout de l’opinion du journaliste (toujours bien conventionnelle, en majorité tendance mainstream, donc gauche bobo) ; on s’en fout de la préhistoire de la délinquance, du nucléaire ou de tout autre sujet : place à aujourd’hui ! Ici et maintenant. Ce qui se passe, ce qu’on peut faire et comment. Ni plus, ni moins. Merde aux concepts et vive le pragmatique. C’est à mon avis un progrès.

Ce qui l’est moins semble le zapping permanent qui nait de l’hypertexte. A force de cliquer sur les liens offerts ici ou là, vous perdez le fil de votre recherche, vous digressez, vous foncez sur les détails sans plus envisager l’ensemble. Faites l’expérience : consultez l’historique de votre moteur… Les jeunes nés avec le net passent, selon les enquêtes, très facilement d’un journal à un autre, selon l’humeur et les circonstances. Ils saisissent les occasions de lire quand elles se présentent (chez le coiffeur, les amis, les gratuits du métro…). Sans critique des sources, croyant le prescripteur le plus connu ou le plus captivant, sans réfléchir par eux-mêmes. D’où la présentation de plus en plus éclatée, remplie de balises pour capter une attention évanescente. Lire fragmenté, est-ce comprendre l’argumentation ? N’est-ce pas plutôt sauter sur les seuls faits qui vont dans votre sens ? La tentation est de rester entre soi plus que de se confronter à des idées nouvelles ou contraires aux vôtres. Les errements de Wikipedia il y a quelques années ont obligé à une reprise en main : l’égalité et le partage sont des valeurs de convivialité, pas de vérité. Celle-ci est une construction critique à l’aide de sources évaluées et confrontée. La misère des mémoires de master ou de thèse montre à quel point le « plan » est un enseignement qui n’est plus jamais fait.

Quant à l’imaginaire, il ne sait plus naître des seuls mots, il exige aussitôt l’image. Même réinventée, déformée, artistiquement traitée, l’image support d’imaginaire ne laisse jamais aussi libre que les mots, elle préforme. Au risque de tomber dans les stéréotypes. Est-ce vraiment un progrès ? L’essor de la presse people et des interrogations sentimentales sur Internet sont de la même veine. Facebook, Twitter, YouTube, SkyBlog et autres réseaux sociaux sont une façon pour les jeunes de se stariser. Se faire voir et côtoyer les célèbres. Faute d’identité formée par la conscience de soi, qui nait des livres, de la confrontation de la pensée avec celle d’un autre par les mots – on se crée un personnage, fait de photos en situation, de vidéos amusantes ou décalées, de fantasmes surjoués, de maximes illustrées, de mentions « J’aime » qui situent. La jeunesse se met en uniforme, même torse nu : il s’agit de montrer les abdos et les pectos bosselés chez les garçons, les seins et les hanches rebondis chez les filles.

Et la liberté dans tout ça ?

La liberté ontologique est contrainte par les outils et les nouvelles manières de penser imagées. La liberté politique est quant à elle réduite. Les Français transfèrent massivement leurs données personnelles en Californie, sur des serveurs étrangers appartenant à une compagnie privée. Carnets d’adresse, liste d’amis, photos de vie privée, messages intimes sont stockés sous la loi de Sacramento et visibles sans contrôle par les organes de police et de renseignement d’un pays tiers (Patriot Act). Au risque de se voir accuser de crimes et délits dont ils n’auront même pas conscience, mais que tout débarquement sur le sol américain révèlera aussitôt (c’est arrivé). Au risque de se voir supprimer tout accès du jour au lendemain sans préavis, sur un caprice technique ou juridique du pays étranger (Amazon via Kindle sur les traductions d’Hemingway). Au risque de voir perdre l’information de cette masse de données, offertes gratuitement en exploitation à des entreprises de divertissement ou de commerce hors de France (Google). A-t-on bien conscience de ces implications lorsqu’on documente Facebook, Twitter, YouTube, Google et autres ? Et pourtant, on ne les entend guère, les gueulards du souverainisme, anticapitalistes forcenés, adeptes de la théorie du Complot CIA & multinationales ! Est-ce naïveté ou posture ?

Internet est comme la langue d’Ésope : la meilleure et la pire des choses. Il est ce que nous en faisons. Auparavant nous séparions vie privée et vie publique ; aujourd’hui nous séparons vie ordinaire et vie médiatique. La parole publique se démocratise, mais dans le même temps envahit l’existence. Se connecter aux médias sociaux, c’est se déconnecter de l’ordinaire, de la société, au profit d’un entre-soi choisi et construit. Rêve d’une interaction sans risque, le réseau social est un préservatif pour aller sonder les autres. Sans conflit puisqu’il suffit d’ignorer, d’effacer ou de « tej ». Nul doute que l’ouverture à l’autre, grand projet social des Lumières, en est réduite…

On peut lire sur le sujet le numéro 170 de mai-août 2012 de la revue Le Débat, Gallimard, €17.10. Redondant, souvent chiant, se sentant obligé de donner la parole à tous les « noms » qui comptent dans l’univers du numérique et qui se répètent à l’envi, les 175 pages consacrées au sujet donnent cependant des idées.

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Le collège dans l’étouffoir administratif

Mara Goyet est prof d’histoire-géo (« et instruction civique ») dans un collège du 15ème arrondissement parisien. Elle a enseigné des années en banlieue « difficile » et a tiré de son expérience trois livres : Collèges de France (2003, Folio), Tombeau pour le collège (2008) et Formules enrichies (2010). C’est dire si elle aime son métier et sait prendre du recul. Dans un article de la revue Le Débat de janvier-février 2012, elle donne son dernier constat : Collège, on étouffe. Cela me fait réagir et le texte qui suit, partant de son article, va être polémique. Exprès : ce n’est pas avec de l’eau de rose qu’on soigne le cancer !

Mara Goyet publie une série de « fiches », de Burnout à Transmission, dans le désordre non alphabétique propre au collège. « La personne s’évalue négativement, ne s’attribue aucune capacité à faire évoluer la situation. Ce composant représente les effets démotivants d’une situation difficile, répétitive, conduisant à l’échec malgré les efforts » : tiré d’un test d’entreprise, voilà qui s’applique parfaitement au métier d’enseignant ! Au bout de 15 ans de sixièmes, comment encore « blairer les dieux grecs » ? Après quelques années de ZEP, comment apprécier en quoi que ce soit la collectivité éducative aux classes « peuplées d’élèves cyniques et retors dans un collège miné par l’indifférence, l’inertie et les petites concurrences » ?

La cause en est moins la société – qui change –, ou Internet – qui dévalue ce cours magistral traditionnel où un adulte expert « délivre » un savoir ignoré du haut de sa chaire dans le « respect » des jeunes âmes avides de savoir. La cause en est l’étouffoir administratif – où le politiquement correct, le syndicalement corporatiste, le Principe érigé en immobilisme, se liguent pour surtout ne rien changer. « J’avais le sentiment (juste, je crois) que tout le monde s’en fichait, hiérarchie, politiques, et que nous étions abandonnés dans ce combat. Abandonnés, mais peinards. » Juste obéir, sans réfléchir, sans faire de vagues. Le ministère fabrique à la chaîne peut-être du crétin, en tout cas des enfeignants.

« Le poids du ministère, de la direction, des formulaires, des décisions politiques. Un poids insupportable qui nous empêche de sauver ce qui peut être sauvé ».

« Le collège est devenu une sorte de sas explosif et hétéroclite, un patio triste dans lequel on attend d’avoir l’âge d’entrer au lycée, de choisir une autre voie, de s’égailler dans la nature, de dealer à plein temps. » J’aime le « dealer à plein temps »… si réaliste, loin des bobos technos du ministère.

Il faut dire que le collège rameute tout son lot d’adultes mal orientés, réfugiés dans les bras de l’État, souvent infantiles et irresponsables. « Un des surveillants passe son temps à nous pincer les tétons. Mais il ne le fait pas aux filles… Du coup, on les lui pince aussi. Mais ça fait trop mal, j’vous jure ! – me disent des élèves » de troisième. On croit rêver. L’indignation du réel – « bien que la moitié des clips qu’ils regardent à la télé soient remplis d’acrobaties sado-maso avec menottes et piercing ». Ce n’est pas de la pédophilie, plutôt du voyeurisme, de la provocation peut-être. « C’est que, plongés dans un délire collectif, assommés de discours psychorigides ou permissifs, nous en sommes tous arrivés à un tel degré de désarroi que je ne sais plus très bien comment réagir. Je ne suis même pas persuadée que les élèves soient vraiment choqués. » C’est vrai qu’ils sont excitants les jeunes garçons, dopés d’exhibitionnisme télé et d’hormones, surtout les 14 ou 15 ans à la chemise ouverte sur leur chaîne d’or, ou les tétons pointant sur les pectoraux mis en valeur par un tee-shirt moulant… « Leurs préoccupations (…) en troisième, elles sont majoritairement sexuelles ! » Mais un adulte chargé d’éducation ne pince pas les tétons des ados – même de 15 ans, âge légal du consentement sexuel. Cela ne se fait pas, c’est tout. « Un homme, ça s’empêche », disait le père de Camus contre l’infantilisme du désir réalisé tout de suite.

Dans cette ambiance foutraque, comment donner l’exemple ? Car la « transmission » du savoir commence par l’exemple. Qui aime ce qu’il fait – c’est-à-dire ce qu’il enseigne et les élèves qu’il veut « élever » – y arrive. Les « jeunes » sont toujours intéressés par un adulte bien dans sa peau qui leur parle de sa matière. Mais attention ! « Il ne s’agit pas d’être un beau prof qui roucoule ses humanités avec charme et tient ses classes par l’autorité de son savoir, loin, très loin des vulgarités ambiantes. Il s’agit d’être un bon prof. Il faut s’y résigner modestement : nous nous devons d’être utiles, pas décoratifs. » Or le ministère, les syndicats, les politiques, ont peur. « On a peur de ce que l’on en a fait et de ce qu’ils pourraient être. On ne sait plus très bien qu’en faire non plus. Nous faisons si souvent semblant… De les aider, des les écouter, de ne pas les écouter, de les orienter, de ne pas les comprendre, de ne pas les voir. »

Écouter qui ?… Probablement plus les syndicats que les élèves, les partis idéologiques que les parents – mais surtout pas les enfants ! « La bureaucratisation du métier accompagne le délabrement de la situation. Sans doute pour la dissimuler. Il faut un formulaire pour changer de salle, un rapport sur la feuille ad hoc quand on sort un élève de votre cours, une fiche pour déplacer une heure de cours (et un délai préalable), un certificat médical si vous manquez une demi-heure (…) il faut émarger aux réunions Sisyphe, recevoir les fiches navettes, les rendre, les récupérer, les rendre, les recevoir, entrer les notes pour les bulletins de mi-trimestre, valider des trucs pour le brevet, valider, valider (…) subir les remarques de la direction parce que vous n’êtes pas bon administrateur (prof, on s’en fout), apporter en suppliant à genoux la fiche projet (dont vous ignoriez l’existence mais qu’au bout d’une semaine vous avez fini par trouver), puis attendre en tremblant un éventuel refus arbitraire parce qu’il ne faudrait pas oublier que la hiérarchie c’est la hiérarchie. » Tactique du parapluie : c’est pas moi c’est l’autre, « le » ministère, la prescription, l’opinion. Irresponsabilité totale.

Photo : vu sur un collège parisien en 2011…

Casser le mammouth ! Il n’y a que cela d’utile si le collège veut évoluer. Virer un tiers des administratifs, ils sont redondants, pontifiants, inutiles. A l’ère du net, pourquoi tous ces papiers ? Beaucoup de choses peuvent se faire en ligne. Dès que vous créez un service, naissent immédiatement des règlements, des contrôles, de la paperasserie : le service justifie ainsi son existence. Supprimez purement et simplement ce soi-disant « service » et vous aurez de l’air. C’est ce qu’a compris le mammouth IBM dans les années 1970, le mammouth soviétique effondré sous son propre poids de je-m’en-foutisme en 1991… et le mammouth suédois où les fonctionnaires ne sont désormais plus nommés à vie mais par contrat de cinq ans.

« Je n’avais jamais ressenti à ce point cette violence qui nous vient d’en haut : l’indifférence, la bureaucratie, la technocratie, les réformes, les directives, les choix absurdes, la volonté de masquer. » A droite comme à gauche… Mais qu’a donc fait Jospin sur l’école ?

Décentralisez, donnez de l’autonomie, créez un collectif d’établissement avec une hiérarchie légère. Jugez au résultat. L’anarchie du collège est peut-être un peu de la faute des élèves, parfois celle des profs démissionnaires, mais surtout celle du « système ».

Il en est resté à cette mentalité IIIe République d’usine militaire à la prussienne, lorsque Messieurs les éduqués daignaient se pencher sur les ignares à discipliner et à gaver de connaissances qu’étaient les petits paysans mal dégrossis par le primaire. Sortez de vos fromages, fonctionnaires ! Inspectez autre choses que les travaux finis, inspecteurs ! Peut-être y aura-t-il alors en France un peu moins d’enfeignants et un peu plus de réussite scolaire…

Revue Le Débat, n°168, janvier-février 2012, Gallimard, 192 pages, €17.10, comprenant l’article de Mara Goyet (12 pages) et deux ensembles d’articles sur les spécificités allemandes en « modèle » (58 pages) et un point très instructif sur les révolutions arabes (63 pages).

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Michael Connelly, L’Épouvantail

Jack McEvoy est journaliste au Los Angeles Times et il a jadis participé à l’arrestation du tueur en série appelé Le Poète (Points policier 1997). Mais la presse écrite se meurt, les gens ne lisent plus, fascinés par les gadgets audiovisuels interactifs d’Apple. Les journaux papier licencient, se faisant tailler des shorts par les sites en lignes et les blogs spécialisés. Engrenage mortel : la perte de rentabilité exige de réduire les coûts, ce qui ampute l’expérience et le talent car les plus chers, donc les plus anciens) sont virés. C’est le cas de Jack à qui l’on offre un sursis s’il forme une stagiaire précaire pour les affaires dont il s’occupe. La fille a les dents longues, fantasme sur les dominatrices à fouet ; c’est la « conne américaine » de caricature : féministe, sans scrupules, jouant du sexe pour se faire valoir, arriviste – et d’une bêtise sans nom.

L’intrigue tourne autour de ces trois sujets, le journalisme, les nouvelles technologies et la conne américaine : un vrai roman sociologique ! Bien découpé mais aussi littéraire – filmique et à l’ancienne – ce qui donne un grand bonheur de lecture. De quoi captiver et enseigner, tout en frissonnant.

Fin du journalisme. « Parce que c’était bien de cela qu’il allait s’agir. Il n’y avait plus de quotidien sur le marché pour accueillir un journaliste de quarante-quatre ans spécialisé dans les affaires de police. Surtout pas depuis qu’ils disposaient d’une réserve infinie de main-d’œuvre bon marché, à savoir de bébé reporters (…) qui, sortant année après année des universités (…) étaient prêts à travailler pour deux fois rien » p.19. Michael Connelly a été journaliste et prix Pulitzer pour ses reportages sur les émeutes de Los Angeles en 1992. Il sait de quoi il parle. « Maintenant tout se passait sur le Net. Tout se résumait à préparer le téléchargement des blogs et de l’édition en ligne. Tout avait à voir avec les liens télé et les mises à jour sur Twitter. Les articles, on les entrait dans son téléphone au lieu de se servir de cet instrument pour appeler la rédaction et les corriger. Des pensées après coup, voilà ce qu’était devenu le journal du matin. Les nouvelles, c’était sur le Web qu’on les trouvait, et la veille au soir » p.19.

Les nouvelles technologies sont, comme la langue d’Ésope, le pire et le meilleur.

  • Le meilleur parce qu’elles sont pratiques d’utilisation, toujours à portée de main pour communiquer et s’informer, entrées dans l’existence au point qu’on se sent tout nu lorsque le mobile est désactivé ou ne capte pas.
  • Le pire parce que tout est dans tout. Quiconque connaît la technique peut sans grand effort tout savoir (ou presque) sur vous, tant chaque action laisse des traces sur les serveurs officiels ou privés et que chacun se lâche sur le réseau, dans le confort du pseudo-anonymat. Mais celui-ci ne résiste jamais à qui sait trouver : FBI, hackers, tueurs en série…

La conne américaine s’appelle Angela Cook. Elle est blonde, sexy, minois de cocker – et elle adore les histoires de meurtre. Elle saute donc sur l’occasion de faire ses preuves en tâchant de battre le vieux routard McEvoy sur sa spécialité. On ne se refuse rien quand on est jeune et Américaine, dans la Californie 2009. Le tueur en série s’appelle Carver, le lecteur le sait dès le premier chapitre. Il est hacker et directeur informatique d’une société de stockage des données pour les entreprises. A lui de protéger les « fermes » de serveurs des intrusions hostiles. D’où son nom : l’épouvantail. Mais il ne se contente pas de protéger, il aime l’offensive. Quiconque tente une intrusion est impitoyablement traqué, virussé et détruit. Ses comptes bancaires sont vidés, ses cartes de crédit inactivées, son téléphone mobile en opposition, et des photos pédophiles sont cachées dans son ordinateur tandis que la police qui traque les fantasmes est opportunément prévenue… On ne badine pas avec Carver, dont l’enfance a consisté à attendre dans des loges de scène sa mère qui dansait nue tous les soirs.

Inutile de préciser que la conne américaine a donné toutes les lanières du fouet pour se faire lacérer et que le tueur en profite avec sadisme. Angela Cook est cuite lorsqu’elle décline sa vie entière sur un blog de confidences, livrant incidemment son code informatique qui est tout bête : le nom de sa chienne. Il fallait y penser, nom d’un chien ! Le féminisme ne peut supporter les mâles et il faut que l’animal soit chienne ; le féminisme exacerbe les comportements féminins et il faut tout chatter de soi pour exister ; le féminisme se croit tout autorisé sans risque puisque les hommes ne sont que des abrutis, évidemment domptables en tortillant du cul. Sauf quand l’abruti, violé par une dizaine d’assistantes de sa mère dès qu’il a pu bander, se fait un malin plaisir à se venger des connes américaines.

Jack, journaliste, et sa copine Rachel, agent spécial du FBI, vont avoir fort à faire pour coincer l’habile tueur qui choisit ses victimes sur le Net et efface avec aisance toutes ses traces. Sauf qu’il est névrotiquement fixé à l’enfance et que ses noms de domaine tournent autour du Magicien d’Oz. Comme la féministe, le hacker se pense à l’abri de toute mise en cause. Le roman conte la démesure de l’optimisme béat qui se croit tout permis. La parfaite Amérique.

Le lecteur palpite aux rebondissements, frémit lorsqu’un Noir de 15 ans, Alonzo, est arrêté pour un meurtre qu’il n’a pas commis, s’amuse de voir l’effarement d’un histrion de télé lorsque l’ado, libéré grâce au reportage de Jack, est convoqué pour passer à l’antenne en ponctuant toute ses phrases par « enculé de ta mère » (c’est pire en version US). Le lecteur s’étonne encore et toujours de la bureaucratie imbécile du FBI qui préfère les procédures au talent. Le lecteur jouit lorsque Jack McEvoy, licencié du journal en 99ème sur une liste de 100 pour raison de coûts, refuse de réintégrer son poste une fois l’affaire brillamment terminée. Anarchisme américain que les organisations et systèmes aillent se faire foutre lorsqu’ils ne reconnaissent pas le talent : je fonde ma propre entreprise. C’est ça, l’Amérique ! Il n’y a pas que des Apple mais aussi beaucoup d’entreprises qui deviennent d’ineptes bureaucraties. Sauf que là-bas on sait rebondir…

Un très bon Connelly, Le Poète recyclé technologies 2009 ! Qui nous en apprend beaucoup sur la sociologie du pays – et de nos manques par la même occasion.

Michael Connelly, L’Épouvantail (The Scarecrow), 2009, Points policier Seuil, mai 2011, 520 pages, €7.41

Étude sur l’intelligence de lecture d’un journal sur papier ou sur écran

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Apprendre à bien écrire

Je reprends de mon ancien blog disparu, qui a duré six ans, un article qui a eu beaucoup de succès pédagogique : apprendre à bien écrire. Il a été rédigé pour aider François, treize ans alors et qui en a désormais dix-huit.

Pour bien écrire, il faut d’abord aimer écrire, exprimer ses sentiments, jouer avec les phrases. S’exprimer par les mots (François a choisi plutôt la musique) aide à devenir soi-même, tout en se coulant à peu près dans le moule. Pas besoin pour grandir de faire obligatoirement comme « tout le monde » : aimer le foot, la moto et la musique hard ou le rap. On peut être sensible et avoir des goûts raffinés en étant pour autant un garçon. Pourquoi ne pas devenir « bon en français », selon le vocabulaire de l’école ? Une matière aimée, où l’on réussit, et voilà une identité fragile confortée, prête donc à d’autres expériences.

Que faut-il donc pour « bien » écrire ? De ma propre expérience, je listerai ces ingrédients nécessaires. Chacun y rajoutera ce qu’il croit, en fonction de la sienne :

1. Écrivez tous les jours, même un texte court, même un récit destiné à rester intime, mais écrivez. Tout comme les sportifs s’entraînent, l’écrivain doit plier sa plume ou son clavier à la discipline chaque jour. Aucun sujet n’est vil, ni sans intérêt ; ce qui compte est d’abord votre curiosité pour la chose sur laquelle vous écrivez.

2. Lisez un peu tous les jours, et si possible de la littérature, de la « belle langue » bien écrite qui assouplit l’esprit et fait entrer sans y penser et sans efforts la musique des mots (et leur orthographe). Ne lisez pas que cela, si vous aimez autre chose, mais n’oubliez pas de le faire.

3. Sortez de vous-même dès que l’opportunité se présente, soit en vivant des expériences nouvelles, soit en allant à la rencontre d’autres gens, soit en pratiquant une activité. L’imagination ne peut fonctionner sans quelques aliments, et la diversité du réel est incomparable pour la stimuler. L’internat, en ce sens, peut être une opportunité de vivre autrement que dans le cocon familial, de sortir de la rencontre obligée des amis habituels, d’observer une communauté assez fermée. Cela peut être l’occasion d’émotions et de remarques nouvelles. Et vous retrouverez famille et amis avec un œil neuf, plus riche d’expérience de la vie !

4. N’ignorez surtout pas votre corps – comme si l’être humain n’était qu’esprit ! Ce travers scolastique qui persiste dans l’éducation française n’est pas sain. Un corps épanoui, fatigué, donne un esprit équilibré et heureux. Tentez donc l’expérience de faire le récit de votre randonnée, de votre course ou de votre match, une fois l’épreuve terminée : vous serez surpris du résultat obtenu ! Vous aurez sous la plume une fluidité jamais vue, vous écrirez direct, avec des sensations et des passions encore neuves. Je le sais, c’est ainsi que j’écris mes carnets de voyages. Le mouvement lui-même fait circuler le sang et dissipe les pensées fumeuses : Montaigne tout comme Nietzsche, écrivaient dans leur tête « en marchant ».

5. Jetez dans la fièvre sur le papier ce qui vous vient à la plume sans trier, puis laissez reposer. Rien de tel qu’un délai d’un jour ou deux (voire plus) pour corriger, affiner, préciser, compléter ce que vous voulez dire. L’instinct qui vous pousse, la passion que vous y mettez, sont la sève même de ce que vous écrivez. Mais, tout comme on forge une épée, le feu ne suffit pas : il y faut aussi l’épreuve du froid, la raison glacée qui examine et critique le texte émis dans l’excitation pour élaguer, redresser et bien exprimer ce qui doit être compris.

6. Ne cherchez pas l’affèterie dans le style, sauf pour parodier ou parce que le thème s’y prête. Trop souvent, le baroque n’est que le masque d’indigence de sentiment et de pauvreté d’idées. Écrivez clair, net et dynamique. Vous pourrez toujours, comme le faisait Balzac, rajouter de la « sauce » par des détails ou des descriptions ultérieures. Mais vous aurez de suite un récit en mouvement, une « histoire » à raconter. Et ce n’est pas grave si vous « imitez » un modèle : on ne crée par soi-même que lorsqu’on a testé les expériences des autres.

7. Ne cherchez pas à faire trop bien tout de suite. Écrivez d’abord et reprenez après. Si vous êtes pris par votre sujet, votre esprit composera lui-même le plan et mettra le suspense là où il est nécessaire. La correction ensuite visera non à changer l’architecture, mais à orner le propos et à fignoler les détails.

Lancez-vous, c’est le premier jet qui coûte ! Et lorsqu’on est solitaire, le texte est un ami qui aide à réfléchir.

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