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Pierre Grimal, Mémoires d’Agrippine

La mère de Néron avait laissé des Mémoires selon Tacite. Elles ont disparu. L’histoire a parfois des soubresauts d’Alzheimer. Pierre Grimal, historien érudit du monde romain, le compense par ces Mémoires imaginées d’Agrippine la Jeune, fille de Germanicus, arrière-petite-fille d’Auguste, née en 15 et morte en 59 – sur ordre de son fils, le bel acteur blond paranoïaque…

Fille d’un général père de cinq enfants, elle sera sœur, épouse et mère de trois empereurs de Rome : son frère Caligula (appelé Gaius dans ces Mémoires), son oncle Claude et son fils Néron (appelé Nero). Tout était possible aux « dieux » sur terre et les familles des empereurs étaient considérées comme des divinités. L’inceste n’était donc tabou que pour les autres et tout était permis, selon les historiens idéologues du temps : la baise, le mensonge, le crime. La seule chose qui comptait était le pouvoir et la fin justifiait les moyens pour l’obtenir et le garder. Agrippine verra disparaître ses deux frères aînés Nero Iulius Cæsar et Drusus Iulius Cæsar, exilés et enfermés par Tibère l’empereur, et sa mère, Agrippine l’Aînée, condamnée à mourir de faim, puis sa sœur Livilla.

Agrippine la Jeune épouse à 13 ans Ahénobarbus sur ordre de Tibère et accouche neuf ans plus tard d’un fils, Lucius Domitius Ahenobarbus, futur Néron. Il sera en rivalité avec Britannicus, le fils que Tibère a eu quatre ans plus tard de Messaline, sa femme de 16 ans. Mais le jeune Néron ne tardera pas à faire empoisonner l’adolescent de 13 ans, son rival, une fois parvenu au pouvoir en 54 à 17 ans, grâce à sa mère Agrippine qui a su l’imposer. Caligula (Gaius), beau et dépravé, avait prostitué ses deux sœurs à son mignon Lepidus (qu’il fera mettre à mort pour complot) et les a baisé lui-même maintes fois, préférant quand même la plus jeune (12 ans à peine). Sénèque le philosophe, était devenu ami avec Agrippine, qui lui a demandé d’éduquer son fils Néron ; il en était peut-être le père. Qui le sait, dans ces turpitudes sexuelles maniaques qui agrémentaient les soirées de Rome ?

En mère abusive vouée à donner le pouvoir et à faire régner son seul fils, Agrippine s’est précipitée elle-même vers son destin. Un oracle (apocryphe?) avait prédit qu’elle aurait un fils empereur mais qu’il la tuerait. Ce qui advint… sur les conseils de Sénèque et sur ordre de Néron – selon les historiens romains qui ont écrit l’histoire quarante ans plus tard, histoire elle-même recopiée maintes fois (et modifiée à leur gré) par des copistes chrétiens.

Pierre Grimal, ancien professeur à la Sorbonne et ancien membre de l’École française de Rome, s’appuie sur les textes anciens de Tacite, Suétone, Dion Cassius et d’autres qu’il a traduits en Pléiade, en plus des inscriptions étudiées par l’archéologie. Il compose des Mémoires remplies de détails sur le temps et le monde romains qui raviront ceux qui aiment cette période. Malgré ce condensé de savoir qui peut séduire, son parti-pris de modifier certains noms (et pas d’autres) aurait pour but d’inhiber le biais de reconnaissance culturelle, de faire ainsi de Néron un fils plus qu’un tyran monstrueux et de Messaline une femme-enfant plutôt qu’une pute nymphomane. Je ne souscris pas à cette façon de faire qui induit en erreur le non érudit et qui n’apporte rien : les faits de monstruosité et de nymphomanie des principaux personnages ainsi renommés sont bel et bien cités dans le texte. Mais Caligula est gommé au profit du nom « Gaius » qui ne dit rien à personne, ce qui égare le lecteur pas aussi spécialisé que l’auteur dans les dynasties compliquées romaines où engendrements, adoptions et disgrâces se succédaient à un rythme effréné.

C’est pourquoi, malgré son talent de raconter une histoire de femme dans un monde machiste et les démêlés tragiques d’une fille, sœur, épouse et mère de grands personnages tous plus foutraques les uns que les autres, ces Mémoires sont à mon avis mal réussies et peu crédibles. Elles disent sur un ton posé des horreurs passionnelles et sexuelles comme si elles étaient raisonnables et gomment la personnalité plutôt volcanique d’Agrippine. Elles donnent un sens logique aux événements qui n’ont rien de logique mais ressortent plus de la force individuelle des protagonistes, comme un plaidoyer en forme d’excuse de la soi-disant autrice. Qui peut y croire ?

Lorsqu’il évoque des conversations d’Agrippine avec Sénèque, l’auteur distille cependant quelques éléments de politique intemporelle. Ainsi p.193 lorsqu’ils évoquent Caligula ou « petites bottes » (Gaius) : son « désir d’aller contre toutes les règles acceptées par les autres, d’exalter sa propre personne, de défier l’univers entier, bref, de se conduire comme un dieu ». On reconnaît sans peine Boris Johnson dans ce portrait barbare, ainsi que Donald Trump. Sénèque, selon Agrippine revue par Grimal, aurait dit de Caligula que « le meilleur, le seul service que l’on pouvait rendre à un tyran était de le faire mourir. Je savais bien que c’est là une vieille opinion, ancrée chez les philosophes » p.303. Notre époque a des instruments plus démocratiques pour chasser ses tyrans : Johnson a été acculé à la démission par les membres de son propre parti tandis que Trump, malgré sa tentative de coup de force, a été balayé par les urnes. Xi Jinping, un jour, sera peut-être lui aussi « renversé » par ses communistes. Mais Poutine ? Erdogan ? Le second a fait l’objet d’une tentative de putsch militaire mal ficelé ; le premier se maintient… jusqu’à quand ?

Pierre Grimal, Mémoires d’Agrippine, 1992, Livre de poche 1994, 368 pages, €7,20

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Les proies de Don Siegel

De l’ambiguïté de la séduction. Notre époque ne veut plus rien savoir de la séduction femelle, celle d’Eve dans le Livre, pour ne dénoncer que celle du mâle, le Violeur des réseaux. Mais la réalité est plus équivoque. En témoigne ce curieux film, tourné en 1970 juste après « la libération » sexuelle. Qui est la proie de qui ? Qui séduit qui ? Le mâle blessé, isolé des siens, qui cherche à survivre ? Les femelles délaissées en vase clos, qui rêvent chacune à un avenir différent en capturant dans leurs rets le seul mâle non armé du coin ?

Amy, 12 ans et « bientôt 13 » (Pamelyn Ferdin), marche pieds nus dans la forêt de Virginie à la fin de la guerre de Sécession, en 1864. Elle cueille des champignons comme un joli petit chaperon rouge. Elle découvre un homme blessé à la jambe et aux mains, le caporal nordiste John MacBurney (Clint Eastwood). Son petit cœur tendre fait boum et sa morale chrétienne lui interdit de le laisser crever, même s’il est un « ennemi ». Le Seigneur n’a-t-il pas dit « aime ton ennemi comme toi-même », ainsi qu’on le lit régulièrement au pensionnat ? Car Amy appartient à la couvée de jeunes oies blanches que garde dans sa grande demeure dans la forêt Martha Farnsworth, la directrice (Geraldine Page).

Celle-ci, une grande femme sèche, aigrie d’avoir perdu son seul amour à cause de la guerre, fait soigner le blessé mais n’a qu’une hâte, le livrer aux patrouilles sudistes pour qu’il soit incarcéré dans la prison avec les autres. Ce n’est guère chrétien mais patriote. Cependant, elle perçoit la réticence de certaines jeunes filles de 12 à 17 ans de son pensionnat, et surtout celle de son adjointe Edwina, et ne peut qu’en tenir compte. Lorsque la patrouille passe, elle parle avec le capitaine qu’elle connait mais ne se résout pas à dénoncer le nordiste chez elle.

C’est qu’après tout un homme à merci peut devenir utile en ces temps difficiles. D’autant qu’il semble inoffensif, se déclare Quaker et non armé, blessé en tentant de sauver un Sudiste. Le spectateur, qui voit en surimpression les événements réels, sait que c’est mensonge, mais comprend que c’est aussi une légitime tactique de survie. Rester au pensionnat lui permet d’être soigné et par de tendres mains, plutôt qu’être jeté avec les autres dans un cul de basse fosse et condamné à clamser.

Il tente donc de se couler dans le désir de chacune qui lui vient en aide : Amy qu’il a embrassé dans la forêt pour se l’attacher, Martha qu’il fait parler de son frère disparu qu’elle a trop aimé, Carol qui avoue 17 ans et le feu au cul (Jo Ann Harris), Edwina restée vierge et naïve à qui il promet le grand amour (Elizabeth Hartman). Chacune fantasme le prince charmant mâle dans ses rêves, dont Martha qui le voit en Christ nu à merci comme dans la pietà peinte qui orne sa chambre. Mais contenter tout le monde sous les yeux de tout le monde n’est pas facile. Lorsqu’une fois un peu rétabli, il se repose sous la tonnelle du parc, Carol vient l’embrasser et lui proposer de coucher, puis Edwina vient la renvoyer aux études et se propose ; mais Carol entend tout et les promesses que John lui fait à elle aussi. Jalouse, elle va attacher le chiffon bleu à la grille pour signifier qu’un prisonnier est disponible pour la patrouille. C’est Martha qui sauve le caporal nordiste en le faisant passer pour son cousin.

Le soir, il monte les escaliers avec ses béquilles pour aller baiser Carol qui l’attend à poil avec toute l’ardeur du désir diabolique, et dès lors tout s’écroule. C’est Adam qui a croqué la pomme et il est condamné à quitter le paradis. Edwina qui entend rire et divers bruits au-dessus de sa chambre monte avec sa chandelle et découvre la tromperie, John et Carol tout nus en train d’accomplir l’Acte qui est péché hors mariage. Effondrée de voir ce qu’elle aurait bien voulu subir mais dans l’ardeur du pur amour chrétien, elle pousse John dans les escaliers, ce qui lui brise la jambe en trois.

Est-ce réparable ? Sans médecin, ce n’est pas si évident, quoique l’on aurait pu essayer. Mais Martha, qui a des projets avec John pour gérer la ferme après la guerre, veut le rendre définitivement dépendant. Elle décide alors « pour éviter la gangrène » de lui couper la jambe au-dessus du genou. Acte fatal qui décidera du reste, cette fois c’est Eve qui croque la pomme et qui se chasse elle-même de son paradis rêvé. Lorsque John émerge des brumes du laudanum et s’aperçoit qu’il est châtré de l’un de ses appendices vitaux, il se met en colère et rejette toutes les femelles de la volière qui ont permis cela. Il soudoie Carol à son profit pour qu’elle laisse ouverte la porte de sa chambre, il fouille la commode de Martha pour prendre le seul pistolet de la maison, le médaillon des deux portraits du frère et de la sœur et les lettres de l’amour interdit qui prouvent l’inceste, il accepte avec Edwina de se raccommoder. Mais il accomplit le péché suprême qui est de tuer l’amour de la petite fille, la tortue Dominique d’Amy, en la jetant violemment par terre. L’alliance est renversée, Amy se rallie à sa directrice qui veut reprendre le pouvoir. Elle va lui cueillir une bolée de champignons puisque John les aime tant, qu’elle choisit soigneusement pour se venger.

Le caporal empoisonné, Edwina bloquée in extremis d’en manger, la tragédie du huis-clos psychologique est consommée. John meurt, il est enfermé dans une toile couse et enterré dans la forêt. Le chœur des jeunes filles pieds nus qui l’ont apporté blessé au manoir dans les premières scènes le remportent mort dans la forêt dans la dernière scène, avec en fond musical la même chanson populaire, Dove She is a Pretty Bird chantée par Clint Eastwood lui-même.

Lez film est audacieux, même pour son époque (encore plus pour la nôtre !). Le caporal adulte qui embrasse sur la bouche une enfant de 12 ans, qui baise ardemment une mineure de 17 ans, qui révèle à toutes le demoiselles l’inceste de la directrice Martha et de son frère ainsi que la tentative de viol de ce même frère sur l’esclave noire (Mae Mercer), et qui déclare, pistolet en main, que désormais il choisira lui-même avec qui coucher parmi le harem…

Qui est le séducteur ? Le sexe femelle face à la tentation mâle ? Le soldat armé qui n’a pas baisé depuis des mois et qui se voit offertes toutes les tentations ? L’armé ou la castratrice ? Eve ou Adam ? Don Siegel revisite la Bible en concluant que les deux sont coupables. De lâcheté envers leurs pulsions, des illusions de leurs cœurs, des plans sur la comète de leurs esprits – il révèle le vénéneux en l’humain. Ce n’est pas si mal pour un film yankee – un film évidemment incompris du même public yankee à sa sortie.

DVD Les proies (The Beguiled), Don Siegel, 1971, avec Clint Eastwood, Geraldine Page, Elizabeth Hartman, Jo Ann Harris, Darleen Carr, Mae Mercer, Pamelyn Ferdin, Universal Pictures 2017, 1h40, €4.80 blu-ray €28.50

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Jules Romains, Le fils de Jerphanion

Il ne s’agit pas d’un crime, seulement d’une escroquerie, dont il ne semble d’ailleurs pas vraiment responsable, ayant plus laissé faire qu’agit en toute conscience. Le juge en tiendra compte qui, à l’époque, avait le temps de réfléchir, de consulter et d’arbitrer avant le prononcé du jugement.

Mais l’intérêt du livre, qui a vieilli, est de comparer les générations qui ont connu une guerre mondiale, ce que nous avons oublié si tant est que nous l’ayons un jour su. Jerphanion père a fait la guerre de 14, comme l’auteur. Jerphanion fils, né en 17, était trop jeune pour l’avoir connue, même enfant, mais il en a subi les conséquences dans les années folles qui ont suivi. « Une civilisation démantibulée, une rumeur de catastrophe, plus ou moins lointaine, mais qui en venait à passer pour l’arrière-plan normal de la vie. Or rien, on le sait, ne remplace et rien n’efface des enregistrements de la petite enfance » p.142. Et lui a connu la guerre de 40, son humiliante défaite déjà inscrite dans l’esprit « socialiste » et la lassitude des rejetons de la « der des der ». Toute morale avait été ébranlée en 18 ; elle se trouve écroulée en 45 après les lâchetés et les actes de pur sadisme pour motifs raciaux et par pulsion de brutes des cinq ans de guerre.

Dès lors, comment vivre ? Prendre sa part sans y penser, comme les autres, sans référence à une religion ni à une morale commune ? La politique est une chienlit, la guerre une menace constante, le jouir par l’argent probablement ce qu’il y a de mieux à faire. Et l’on en vient à concevoir un monde débarrassé des oripeaux de « ce qui se fait », puisque ce qui s’est fait en réalité a abouti a ce qu’on sait : les massacres, les camps, les viols, le servage. Le communisme n’est pas meilleur en pratique que le nazisme et Staline vaut bien Hitler en attendant Mao et Pol Pot, et plus tard les Serbes et les Rwandais.

« Nous sommes nés, nous avons eu nos premiers contacts avec le monde au moment où il était en proie à une énorme catastrophe. Nous avons grandi dans l’atmosphère pulvérulente et sulfureuse qu’elle avait laissée. Quand nous avons eu de ce que les prêtres appellent l’âge de raison, ce fut pour assister au triomphe, à travers l’Europe, de gens dont nous admirions peut-être à part nous, l’énergie, l’audace, mais qui piétinaient allègrement tout ce que nos parents, nos maîtres, les livres qu’on nous plaçait entre les mains, nous apprenaient à respecter. Pour mettre notre adolescence d’aplomb, nous avons eu, chez nous, ce Front populaire, pantouflard, flemmard, crasseux. Il achevait de nous démoraliser, parce que si vraiment c’était lui qui représentait les grands principes et l’avenir de l’humanité, et la lutte du bien contre le mal, autant valait se jeter à l’eau. Ou bien se vouer au diable et aux mauvais principes » p.142. Cette moitié de Jules Romains n’aimait pas l’aspect populacier et populiste de la gauche d’époque – tandis que son autre moitié admirait sa générosité et aimait quand même son élan.

A cette époque, eh bien nous y sommes revenus… La gauche au pouvoir sous la Ve République a laissé le pays dans un état de délabrement moral et de désillusions sur « la volonté » politique et le possible économique (ce pourquoi certains rêvent de casser le thermomètre et d’en revenir au parlementarisme instable des petites combines entre politicard, style IVe République). La brutalité reprend avec l’égoïsme sacré des nations comme des individus – dont les lamentables antivax sont le dernier avatar, « croyant » au lieu de savoir que le vaccin ne protège pas du coronavirus et qu’il est inoculé pour des raisons malignes. Les Antilles, populaires et où l’éducation est faible, disons-le, en font les frais à grand bruit. Les « aider » serait les vacciner, pas les réanimer.

Dans le délitement du sens, les pages 104 à 107 font même sous la plume du fils Jean-Pierre une apologie de l’inceste, à but éducatif naturellement, et des mères sur les garçons. Après tout, les éduquer à la femme par une progression constante et adaptée, n’est-ce pas le meilleur service éducatif qu’une mère peut rendre à ses fils ? Cet exposé révolte l’avocat destinataire à l’époque, mais apparaît assez cocasse au vu des récentes « affaires ». Elles ont autrement plus scandalisé la « bonne » société à prétentions bourgeoises et en quête de sens moral – qui copie servilement le puritanisme chrétien venu d’outre-Atlantique tout en se soumettant trop volontiers aux diktats de l’islam intégriste (après tous, « être d’accord » sans réfléchir, juste pour être au chaud tranquille, est la première des soumissions).

Il ne s’agit pas de promouvoir l’inceste mais de concevoir que la fin de toute morale due aux deux guerres industrielles successives nous prépare peut-être (et probablement) des lendemains pires encore s’il survient une prochaine guerre généralisée, ce que les bouleversements climatiques et géopolitiques ne peuvent exclure. Comme quoi lire de vieux livres d’anciens auteurs qui ont eu leur gloire ne nuit point – au contraire !

Jules Romains, Le fils de Jerphanion, 1956, Flammarion, 313 pages, occasion €3.30

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Deux sœurs pour un roi de Justin Chadwick

Après la guerre des deux roses, la guerre des deux sœurs, c’est ainsi que s’écrit l’histoire à scandales de l’Angleterre. La romance britannique en fait des Borgia via Philippa Gregory qui écrit le best-seller qui inspira le film. Lequel est encore moins soucieux de la vérité historique, construisant un drame élisabéthain à la manière de Shakespeare… Reste un beau film somptueusement filmé, la caméra s’attardant sensuellement sur les peaux, les visages, avec une brochette d’actrices et d’acteurs éblouissants. L’intrigue est un peu compliquée pour un Yankee et le film a eu nettement plus de succès en Europe. Vu que nous divorçons culturellement de plus en plus des Etats-Unis, n’hésitez pas à en faire un bon critère de choix !

Le roi Henri VIII (1491-1547) est, à la fin de sa vingtaine, un fort bel homme à la barbe fournie (Eric Bana). Après le Schisme d’avec le pape, l’église d’Angleterre devenant gallicane, il sera caricaturé en Barbe bleue par les catholiques et accusé d’avoir frayé avec « la sorcière » Anne Boleyn – qu’il a d’ailleurs fait exécuter pour se concilier Charles-Quint. Mais le film débute avant, lorsque le diplomate Thomas Boleyn doit accueillir le roi dans son manoir de campagne pour une chasse à courre. Son beau-frère le duc de Norfolk (David Morrissey), qui n’a jamais admis que sa sœur Elisabeth (Kristin Scott Thomas) épouse un homme de basse extraction, a l’ambition d’élever sa famille grâce aux filles de Thomas, notamment l’aînée Anne (Natalie Portman, particulièrement garce).

Mais la rebelle déjà féministe qui monte à cheval comme un homme engage le roi près d’un ravin où il a le malheur de tomber. Légèrement blessé, il est surtout gravement humilié et Anne est disgraciée, envoyée par sa famille à la cour de France pour y apprendre les manières et la culture, ce qui ne lui fera pas de mal. Comme l’autre fille Boleyn (titre anglais du film), Mary (Scarlett Johansson), le soigne, le roi y voit un rayon de soleil. Niqueur forcené, Henri se fait la belle et l’emporte en son antre, la cour, bien qu’elle soit déjà mariée (à Benedict Cumberbatch). Il achète dans le même temps par titres et fiefs Thomas Boleyn (Mark Rylance) et son fils George (Jim Sturgess) en les faisant respectivement comte de Wiltshire et Lord de Rochford.

La famille ambitieuse vend sa chair pour s’élever à la cour, suscitant des jalousies. La reine en titre, Catherine d’Aragon (Ana Torrent), reprise à son frère Arthur mort à 15 ans, n’a su donner au roi que des fausses couches et une seule fille vivante après le bas âge, Marie qui règnera sous le nom de Marie Tudor. L’une de ses maîtresses lui donnera le fils tant désiré, Henri Fitzroy (fils du roy) mais il mourra à 17 ans de tuberculose. Mary donne à Henri un fils (dans les faits, elle aura aussi une fille) et la famille se croit arrivée, mais c’est sans compter avec le dégoût de la chair bébé et de la maternité d’un roi qui a perdu sa mère à 10 ans d’une fausse couche. Il délaisse Mary et Norfolk demande à Thomas de rappeler Anne afin de la faire succéder dans le lit du roi.

Le franc-parler de la belle garce et son apparence moins maternelle et pondeuse séduisent Henri VIII mais Anne se refuse, faisant la coquette comme elle l’a appris à Paris. Elle veut être reine afin que son enfant ne soit pas un bâtard comme celui de Mary. Henri tergiverse, il ne veut pas se fâcher avec l’Espagne et est ennuyé de devoir recourir une nouvelle fois au pape, mais finit par céder. La reine Catherine voit son mariage annulé et est reléguée au rang de reine douairière en tant qu’ex-épouse d’Arthur tandis qu’Anne lui succède, bel et bien couronnée. Violée dès avant mariage par un roi qui veut qu’on lui cède, elle tombe enceinte. Las, c’est une fille… Le film affirme qu’elle l’appelle Elisabeth mais, dans la réalité, c’est le roi qui a choisi le prénom en l’honneur de sa propre mère.

Mais ce n’est encore qu’une fille et le roi désire plus que tout un héritier mâle. La seconde fois où Anne est enceinte, elle fait une fausse couche ; c’était pourtant un garçon. Le film suggère un complot de cour des évincés Blount pour faire avorter Anne mais ce n’est qu’allusion. Désespérée, Anne Boleyn n’ose pas avouer au roi son mari qu’elle a perdu l’enfant (comme si c’était de sa seule faute) et persuade son frère George de lui en faire un à la place pour que le roi, qui ne couche plus avec elle durant sa grossesse, ne s’aperçoive de rien. C’est pousser l’ambition familiale un peu loin… L’épouse de George, marié contre son gré et qui ne l’aime pas, surprend la conversation et le rapporte à Norfolk qui, devant le scandale, dénonce la reine au roi. Même si le film affirme que l’acte ne fut pas consommé (le roman dit le contraire, l’histoire réelle ne sait pas), George est décapité à la hache et Anne à l’épée. Seule subsiste Elisabeth, fille de roi et de reine légitime, qui succèdera à son père ultérieurement sous le nom d’Elisabeth 1ère. Il est affirmé que Mary l’élève à la campagne dans son manoir avec son mari le roturier William Stafford (l’avenant Eddie Redmayne) alors que ce ne fut pas le cas en vrai.

Malgré sa fausseté historique, le film raconte « une belle histoire » dans la meilleure tradition des tragédies shakespeariennes. Deux sœurs s’aimèrent d’amour tendre jusqu’à ce que l’homme parût ; elles furent dès lors rivales, jalouses du mâle, l’une agressive et masculine, l’autre solaire et féminine, cheveux bruns ou cheveux blonds épris de la barbe fleurie. Il n’y a qu’un pas du Capitole à la Roche tarpéienne et toute élévation indue précède la chute. L’orgueil est l’un des sept péchés capitaux : le premier.

DVD Deux sœurs pour un roi (The Other Boleyn Girl), Justin Chadwick, 2008, avec Natalie Portman, Scarlett Johansson, Eric Bana, Mark Rylance, Kristin Scott Thomas, Jim Sturgess , David Morrissey, Benedict Cumberbatch, Wild Side Video 2008, 1h51, €24.90 blu-ray €11.76

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Le sens des mots dans l’inculture ambiante

J’ai pu approfondir, lors d’une conversation autour d’un plat d’huîtres (faute de grives), combien la mode est dépendante du scandale, quels que soient les faits réels. Elle était d’avoir été « violé » il y a quelques années, tandis elle est aujourd’hui d’avoir subi « l’inceste » (un sur dix en France !). Pourquoi ne pas dénoncer le scandale, s’il est avéré ? Or j’ai quelques doutes… Être une « victime » est tellement valorisant quand on n’a plus que cela pour exister ! Honnêtement, qui connaîtrait Springora si elle n’avait pas baisé à 14 ans avec Matzneff ? Ou la fille du si célèbre Bernard Kouchner si son jumeau n’avait pas subi la version post-68 de l’hédonisme de plage ? Ou l’ignorée Coline dans l’ombre de Richard Berry ?

Je me souviens que, lorsque j’avais 17 ans et que je supervisais un jeu d’Eclaireurs, une fillette de 11 ans m’avait déclaré tout uniment « avoir été violée par deux garçons ». Comme elle me disait cela sans émotion autre qu’une réprobation convenable, je l’ai interrogée calmement pour en savoir plus car je considérais que c’était grave. Il s’est avéré qu’elle confondait « violer » avec « violenter », mot qu’elle avait sans doute entendu à la télé ou chez des adultes sans en comprendre le sens.

Quant à « l’inceste », les média se sont emballés sans cause en déclarant dans les premiers jours que, selon Camille Kouchner, Olivier Duhamel avait « violé son fils » – il s’est avéré, les jours suivants qu’il n’y avait eu que caresses et non pénétration (donc pas « viol ») et que le garçon n’était pas son fils mais son beau-fils. Ainsi grimpe-t-on aux rideaux pour la réprobation maximum avant de retomber dans un réel plus nuancé mais moins vendeur… S’il suffit de donner son bain au bébé tout nu, d’embrasser sa fille « sur la bouche » comme Richard Berry, ou de prendre en photo ses enfants en maillot de bain sur la plage, c’est que le sens des mots n’existe plus que dans le regard de celui qui juge selon ses propres lunettes sexuelles ! Ou de ses comptes familiaux à régler en profitant de la mode du scandale… 30 ou 50 ans après quand on s’appelle Rutman, Kouchner, Rojtman ou Springora. Quant au droit, il passera autrement que comme cet « œil pour œil, dent pour dent » du Talmud mais des mois après, voire des années, et sans jamais que l’on en entende vraiment parler : plus assez médiatique, le bas de page. Le mal sera fait.

Tout récemment, un complotiste mais cette fois « adulte » (si l’on peut dire) aussi con que peloteur (« faire une pelote avec », selon le sens originel), a cru déceler un scandale dans « l’invention » d’un virus il y a une quinzaine d’années par l’institut Pasteur qui en a déposé un brevet. Vous vous rendez compte ! « Inventé » un virus ! Cela ne prouve-t-il pas que la science complote avec l’industrie pour rendre malade les gens afin de leur vendre des vaccins très chers pour la plus forte rentabilité de Big Pharma ?… Sauf qu’en français correct, « inventer » signifie découvrir, pas plus, pas moins. Si j’ai été moi-même « l’inventeur » du site préhistorique d’Étiolles en 1972, avec une trentaine d’autres personnes, cela ne signifie pas que j’ai créé de toutes pièces une couche archéologique à un mètre sous la terre vierge avec ses silex taillés et ses foyers brûlés. Cela signifie tout simplement, en français correct, que j’ai « découvert » le site avec les autres.

Mais la culture de masse, véhiculée par la soi-disant « éducation » nationale depuis une bonne génération, fait que le sens des mots est ignoré au profit des mots-valise que véhiculent les médias pressés – pressés surtout de faire du scandale pour vendre plus de minutes d’antenne ou de rames de papier pour la pub. Les esprits faibles et surtout incultes s’y laissent prendre ; ils font résonner sur les réseaux sociaux leurs paroles ineptes aussi fortement (voir plus parce qu’ils sont repris par d’autres ignares) que la parole des spécialistes ou des gens qui savent tout simplement parler.

Cela me met hors de moi, mais que voulez-vous faire contre l’ignorance crasse d’adultes contents d’eux ? Contre les fausses vérités des gens orientés politiquement ? C’est perdre son temps et son énergie que de tenter de contrer la croyance de quidams qui de toute façon n’écoutent que ce qu’ils veulent entendre. Ce pourquoi toute critique est vaine et je trouve préférable de suivre mon chemin sans prêter attention à ces crétins qui croient qu’ils ont découvert la pierre philosophale parce qu’ils ont survolé (lire est trop fatiguant et force trop à « réfléchir ») un obscur site Internet qui va contre les idées « dominantes ». Et qu’ils croient devenir « dominés », « colonisés » ou même « racisés » s’ils y souscrivent !

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Inceste à l’américaine, Les enfants du péché

Fleurs captives est un roman de V.C. Andrews paru en 1979 et traduit par cinq tomes en J’ai lu, suivi d’une série de quatre épisodes filmés américano-canadiens intitulés Les enfants du péché, passés l’an dernier à la télévision belge. La télé française les a royalement ignorés tant le tabou sur l’inceste est fort. Un résidu anthropologique latin de la mentalité romaine puis catholique du pater familias ayant tout pouvoir sur sa progéniture et de la grâce ou prédestination des humains par la divinité Père unique.

L’inceste vu de l’autre côté de l’Atlantique n’a rien de commun avec celui « dénoncé » (avec une jubilation malsaine – la Schadenfreude allemande pour laquelle il n’existe aucun terme précis en français). L’inceste américain est biblique, Ancien testament, ethnologique. Ce n’est pas le père qui couche avec sa fille ou le fils avec sa mère mais un trop fort amour pour sa mère qui pousse le grand-père Malcolm à idolâtrer sa fille Corinne, laquelle, étouffant sous la contrôle, s’enfuit avec son oncle Christopher, le (seulement) demi-frère de son père.

Ce couple est « incestueux » au sens biblique des relations de parenté symbolique mais n’a guère d’incidence sur la redondance des gènes biologiques du tabou de l’inceste anthropologique théorisé par Lévi-Strauss. Chez Corinne et Christopher, il produit quatre « beaux enfants », des « poupées blondes » du rêve américain selon le film. Le couple s’aime, les parents chérissent leurs enfants, les enfants sont fraternels entre eux – l’idéal. Corrine et Christopher Dollanganger ont un fils aîné, Christopher Jr. dans les 15 ans, une fille, Cathy dans les 12 ans et les faux jumeaux garçon et fille Cory et Carrie de 5 ans. Tous sont vigoureux et bien formés, sans pieds fourchus ni queue de chien. Ils ont une belle maison, une voiture, les enfants font « des activités » sportives et ont des amis.

Jusqu’au drame : un soir, le père, qui est représentant de commerce et a obtenu une promotion, ne revient pas. Il est tué dans un accident de la route. La mère, de caractère faible, aimant avant tout l’argent, la position sociale et tout ce qui brille, est désespérée : les dettes pour la voiture, la maison et les écoles des enfants ne lui permettent pas de continuer la vie d’avant. Au lieu de se mettre à travailler, elle recontacte ses parents après 15 ans pour se réconcilier avec eux. Son père est richissime et possède un immense manoir en Virginie sans parler d’une fortune conséquente qu’elle ne veut pas voir lui échapper.

Tout est saisi, maison, auto, meubles, et c’est avec trois valises que les cinq quittent la maison pour prendre le train vers la demeure des grands-parents. « Ce n’est que provisoire », assure la mère. Là, ils sont accueillis sévèrement par une mégère, la grand-mère Olivia, qui les enferme dans une chambre d’où ils peuvent accéder au grenier mais avec interdiction d’en sortir, de faire du bruit et de se montrer aux fenêtres. Elle leur apporte à manger une fois par jour et leur mère leur apporte des jeux. L’idée est pour la fille unique trop gâtée de se réconcilier avec son vieux père autoritaire qui lui a juré de la déshériter si d’aventure elle avait des enfants avec son propre demi-frère. Elle cache donc sa progéniture tout en déclarant à ses enfants qu’elle les aime. Mais ce n’est que parole. Christopher est le plus indulgent, ayant un faible (affectif) pour sa mère ; Cathy la plus critique, comme il se doit pour une fille (en rivalité avec sa mère) et abordant les rives de la prime adolescence. Les jumeaux sont geignards mais s’adaptent, aimés par les parents de substitution que sont le grand frère et la grande sœur.

Mais la mégère sévère les brime, jalouse de leur beauté et de leur amour, elle a qui été délaissée par son mari Malcolm au profit de sa fille Corinne ; laquelle ne pense qu’à briller et à refaire sa vie avec le jeune avocat de son père Bart, qui n’accepterait pas des enfants d’un premier lit – pas moins de quatre et issus d’une union « incestueuse » aux yeux bibliques des interprètes (plus que Lui-même) de la pensée de Dieu. Elle sort, elle se remarie sans leur dire un mot, elle part plusieurs mois en voyage de noce en Europe. Les enfants, bien passifs pour les aînés (c’est la faiblesse du scénario), passent plus de deux ans dans le grenier sans jamais sortir ni même se révolter ! L’aîné, désormais 16 ans et baraqué (on ne sait comment, dans quinze mètres carrés sans soleil) est l’acteur Mason Dye de 20 ans (!). Il se laisse fouetter dos nu par la grand-mère pour avoir refusé de couper les cheveux de sa sœur désormais pubère de 13 ans dont il est trop proche, la jolie Kiernan Shipka de 15 ans au tournage. Sa prestance physique et sa coiffure sans un pli l’a fait remarquer dans le milieu du cinéma après ce téléfilm.

Au lieu de se rebeller, ils se soumettent ; au lieu de fuir par les toits, ils procrastinent ; en enfants trop sages, ils attendent. Quoi ? La mort de Cory, le jumeau garçon qui a mangé trop de donuts confectionné par sa mère… qu’elle a empoisonné en les saupoudrant de mort aux rats en guise de sucre ! Là, c’en est trop. Cory malade est « emmené à l’hôpital » et la mère revient en disant qu’il a eu « une pneumonie » dont il est mort parce que soigné trop tard. Non, ils n’iront pas à son enterrement, qui « vient d’avoir lieu ». La vraie salope est en déni de maternité, sincère dans son hypocrisie de fake news. Elle n’hésite pas à tuer ses enfants comme Jocaste pour pouvoir jouir et briller sans cette responsabilité ni ce rappel de son  « péché ». Âme faible démangée du bas-ventre, selon la doxa morale biblique, elle ne ressemble pas à son père Malcolm, pieux et fort, qui attend de sa fille qu’elle lui obéisse pour lui transmettre l’héritage en millions.

Les aînés décident – enfin ! – de fuir en accumulant des dollars volés dans la grande maison presque vide et en déroulant une corde du grenier jusqu’à la pelouse ; ils prennent le train et le premier film s’arrête là. Ils seront recueillis par un homme riche et bon sans enfants, Paul, qui les élèvera et leur permettra de faire des études, médecine pour Christopher et danseuse pour Cathy. La jumelle Carrie se donnera la mort par mort aux rats pour rejoindre son jumeau dans l’au-delà promis aux chrétiens car elle ne se sentait pas à la hauteur requise par l’existence. Trop infantile, retardée dans son développement, inapte à l’amour par rejet maternel…

Les suites seront des rebondissements de l’histoire, Christopher et Cathy vivront conjugalement, attirés l’un vers l’autre dès les premières pulsions de l’adolescence parce forcés de vivre ensemble dans la promiscuité exigée par leur mère et leur grand-mère. Comme quoi le « péché » fait des petits et nul ne choisit vraiment son destin, à en croire la mentalité américaine. Ils ont bien tenté chacun de s’apparier avec d’autres, mais cela n’a jamais marché. Cathy aura deux enfants mais – la morale biblique est sauve, les ménagères yankees n’auraient pas apprécié autrement – de deux hommes différents : le fils de sa prof de danse et l’avocat de son grand-père, nouveau mari de sa mère. Le spectateur se dit que l’aîné ressemble plus à Christopher généreux, blond et vigoureux qu’au pervers narcissique névrosé Julian, mort opportunément  d’un accident de voiture, mais l’ambiguïté sert la morale conventionnelle. Les accidents de voiture et les incendies ponctuent rythmiquement l’histoire des quatre épisodes filmés comme s’il s’agissait de périr par la violence en punition des « péchés » ou de se purifier de ses pensées « diaboliques ».

Les enfants des enfants, Jory (Jedidiah Goodacre, 26 ans au tournage !) et Bart (Mason Cook, 14 ans au tournage) jouent les fils de Cathy qui ont, dans le second film, quatre ans d’écart soit 16 et 12 ans. C’est que les scènes sexuelles, surtout des baisers « à la française » et des coucheries torse nu mais avec soutien-gorge et culottes dûment boutonnées ne sauraient être le fait d’acteurs de moins de 18 ans dans le juridisme sourcilleux de la morale puritaine. Ce côté artificiel nuit aux téléfilms dont, d’ailleurs, seul le premier est intéressant, les autres sombrant dans le mélo dramatique.

L’idée profondément yankee est que Dieu commande et que le Diable existe – et que ce dernier tente presqu’exclusivement par la chair (l’orgueil est le péché capital de l’Europe, pas des Etats-Unis qui adorent « oser »). Tout ce qui touche un tant soit peu au sexe, même les caresses ou embrassades, est « maudit », la seule concession permise par l’interprétation paulinienne des Ecritures étant le mariage à vie devant le pasteur ou le curé et l’amour exclusivement procréatif sans aucun plaisir dans la position du missionnaire, chemises de nuit de rigueur, femme soumise et lumières éteintes. Tout ce qui est vitalité est diabolique et doit se « sublimer » en piété ostentatoire avec citations de la Bible à tout bout de champ, œuvres sociales publiques, esprit d’entreprise et de conquête, et morale rigoriste. Les filles sont de naissance des putes qu’il s’agit de dompter et de châtier, des Tentatrices qui font succomber les beaux pionniers forcément musclés. Tous les garçons ont des torses impressionnants tandis que les fille sont canon.

La toute fin des quatre épisodes est un retournement improbable (et niais) qui voit « la malédiction » levée par la mort – par incendie – de Corinne après celle (par incendie) de la grand-mère Olivia, et la mort – par accident de voiture – de Christopher Jr après celle de son père (par accident de voiture). Bart le mauvais épouse sa demi-sœur (adoptée) après avoir rendu handicapé son grand frère Jory et fait éclater son couple à la femelle avide et faible (comme Corinne), jaloux d’être aimé pour lui tout seul. Il devient télévangéliste tandis que Jory se reconvertit dans sa chaise roulante en chorégraphe, élevant seul ses deux bébés jumeaux – un garçon et une fille. Et tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes à l’eau de rose !

Comme on le constate, rien à voir avec l’inceste à la française qui va beaucoup plus loin dans la promiscuité, même si toute caresse ou baiser est désormais qualifié sans nuance de « viol » par les journalistes pressés de faire mousser encore plus le scandale. Rappelons qu’il existe une définition « juridique » du viol qu’il serait bon de connaître et de rappeler au lieu de lancer n’importe quelle accusation vague sous le coup de « l’émotion », ce fascisme de la raison humaine. Le viol est défini par l’article 222-23 du Code pénal comme tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise. C’est un crime passible de la cour d’assises qu’il ne s’agit pas de minimiser. Encore faut-il savoir de quoi on parle et le désigner par les mots justes. Nous ne sommes pas aux Etats-Unis où le puritanisme biblique ambiant fait de toute relation à deux (un regard trop appuyé, un compliment mal interprété, une ascension à deux dans un ascenseur, un propos interprétable) un « harcèlement », un « attouchement » voire un « viol ». Les Moi-aussi germanopratins sont tellement colonisés par la sous-culture yankee qu’ils ne réfléchissent plus que comme les chiens de Pavlov qui salivent de joie mauvaise rien qu’à la seule image de la pâtée. Voir une autre conception de l’inceste permet de mieux mesurer ce qui survient aujourd’hui dans nos médias saturés.

Les DVD sont tous en anglais, les romans en J’ai lu en français.

DVD Les Enfants du péché (Flowers in the Attic), janvier 2014

DVD Les Enfants du péché : Nouveau Départ (Petals on the Wind), mai 2014

DVD Les Enfants du péché : Secrets de famille (If There Be Thorns), avril 2015

DVD Les Enfants du péché : Les Racines du mal (Seeds of Yesterday), avril 2015

Fleurs captives tome 1 Fleurs captives J’ai Lu, €3.74

Fleurs captives tome 2 Pétales au vent, J’ai Lu, €4.47

Fleurs captives tome 3 Bouquet d’épines, J’ai lu, €7.81

Fleurs captives tome 4 Les Racines du passé, J’ai lu, €4.47

Fleurs captives tome 5 Le jardin des ombres, J’ai lu occasion, €20.42

Les 5 tomes en J’ai lu occasion, €79.90

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George Sand, François le Champi

Voici un autre roman de mon enfance, déjà lu par mes parents, peut-être parce qu’il était considéré comme « édifiant ». Il parle d’éducation morale au Bien, de s’élever intellectuellement malgré l’indigence à la campagne, d’aimer ceux qui vous aiment et d’obéir au Créateur. En bref, un résumé de la morale bourgeoise chrétienne. A ce fond, George Sand rajoute son féminisme : ne fait-elle pas de François le mâle parfait qu’une femme peut épouser ?

Pour la sensiblerie, François est un « champi », un enfant trouvé dans les champs et confié à l’hospice avant que quelqu’un, en général une femme, ne le prenne en charge tout en étant chichement payée. Les bébés abandonnés étaient de la progéniture de riches qui avaient fauté, effrayés du qu’en-dira-t-on. Au siècle de Sand, l’avortement était un crime tout comme était interdit le divorce. En ville, on posait le bâtard à la porte des églises ; à la campagne dans les champs – où passait toujours quelqu’un.

Le lecteur fait la connaissance de François à 6 ans : « c’était un bel enfant, il avait des yeux magnifiques (…) [mais] si malpropre, si déguenillé et si abandonné à l’hébétement de son âge » p.1280 Pléiade. La Madeleine, femme du meunier du Cormouer, enveloppe de son chéret l’enfant à moitié nu et lui donne du pain. Il est l’adopté de la Zabelle, une pauvresse qui vient de louer la masure d’à-côté. François a bon cœur, se montre très agile et serviable ; il comprend tout malgré son air niais et sa parole rare. Déjà mère d’un petit Jeannie d’un an, Madeleine va faire de François son second fils, bravant les préjugés paysans pour lesquels un champi est destiné à devenir braconnier ou bandit, résistant à son mari lorsque celui-ci veut le faire rendre à l’hospice sous peine de chasser la Zabelle. Pour elle, seul le manque d’amour peut faire d’un enfant (page blanche) un adulte mauvais.

Le gamin croit en force et en intelligence auprès de Madeleine et Zabelle, il apprend à lire – les deux mêmes livres du moulin, les Evangiles et un raccourci de la Vie des saints. Pubère, il ne pense pas à fille et travaille comme quatre. Mais, à 17 ans, il tourne la tête de la Sévère, une bourgeoise fêtarde qui ensorcelle le meunier pour lui soutirer ses terres et des billets de dettes pour le jeu. Elle voudrait bien baiser le jeune homme ; lui ne comprend pas et n’aime ces manières. Vexée, la Sévère susurre à l’oreille du meunier Cadet Blanchet, un gros niais colérique, que sa femme pourrait bien fricoter avec le bel enfant devenu mâle. C’est impensable pour qui les connait, absurde à les observer, mais François doit s’éloigner. Il se loue à la Saint-Jean au moulin qui périclite, à une trentaine de kilomètres. Il y restera trois ans et, sachant lire, comprendre les affaires et compter, redresse l’affaire. Le meunier du lieu lui en très reconnaissant et, outre son salaire augmenté, voudrait lui donner sa fille de 30 ans à marier. Mais François, s’il est touché de cette attention, n’a pas d’amour pour la belle ; il le réserve tout entier pour sa mère adoptive, Madeleine.

En apprenant sur une foire que le Cadet Blanchet est mort de maladie, François retourne au moulin de Cormouer et y trouve une Madeleine au lit, épuisée et malade, un Jeannie grandi mais resté fin de 14 ans, la grosse servante Catherine qui a du mal à le reconnaitre tant il est devenu viril, et Mariette, la sœur du meunier qui, à 16 ans, pense plus aux garçons et aux fanfreluche qu’à aider la maisonnée.

François s’installe au moulin ; de sauvé il se veut sauveur. Il aime Madeleine comme sa mère mais désormais aussi comme une femme, puisqu’elle n’a guère qu’une dizaine d’années de plus que lui, à peine plus que la fille de son récent patron. C’est à ce moment que, de fil en aiguille, de la rumeur lancée par la langue de vipère de Sévère à qui François fait rendre gorge sur les dettes et les terres grâce à la petite fortune léguée par sa mère biologique anonyme au curé, au départ de la Mariette pour se marier à un nigaud qui a du bien, François va s’avouer le désir qu’il a de se marier lui aussi. Mais comme il n’a qu’un seul amour, exclusif, ce ne pourra être qu’avec… sa mère.

Comme roman édifiant, c’est un peu fort. Même si Madelaine n’est que sa mère adoptive, peut-on baiser celle qui vous a élevé ? La loi aujourd’hui l’interdit pour éviter la confusion des rôles juridiques et symboliques mais il faut que l’adoption soit formelle et pas seulement, comme dans le roman, de cœur. Cet inceste est un fantasme de petit garçon que Freud expliquera dans le complexe d’Œdipe, mais le connaisseur de l’œuvre de George Sand reconnait plutôt sa marotte : inverser la domination du mâle. Déjà, le prénom de Jeannie, donné à son garçon, est plus féminin que masculin. Ensuite, la fable est inspirée par son amant du temps, Victor Borie qui avait 30 ans quand elle en avait 44, ami de son fils Maurice de cinq ans plus jeune comme Jeannie. L’histoire d’une femme de 30 ans qui épouse un garçon de 20 apparaît comme le symétrique de « ce qui se fait » dans la société où des barbons de 35 ans épousent des jeunettes de 15 ans. D’autant plus que Madeleine – qui accepte plutôt facilement pour la vraisemblance – a soigneusement éduqué son futur mari selon les principes de Rousseau : du bon air, peu de livres, une chasteté maintenue jusqu’à 20 ans, un amour inconditionnel et un dialogue constant. Qui de mieux pour refaire sa vie et être enfin heureuse sans être esclave ?

On ne sait pas trop ce qu’en pense le fils Jeannie, certes très content de revoir son grand frère adoptif qui le protège et le guide comme lorsqu’il était petit, mais qui devient son « père » avec d’autres responsabilités sur son destin. On ne sait pas non plus trop ce qu’en pense « la société » même si, à la campagne, seule « la famille » consacrée par l’église fait loi en tout et que le curé a l’air d’accord (bien que le mariage avec un filleul soit interdit en droit canon).

Reste une belle histoire qui touche les cœurs et qui éduque de nos jours sur le parler berrichon et les mœurs paysannes du milieu du XIXe siècle. A condition de zapper l’indigeste « avant-propos », suite de divagations à prétentions philosophiques dont l’auteur se plaît à enrubanner chacun de ses romans pour les faire mieux accepter de la société bourgeoise des salons. Parler de culs terreux sans en référer à la Nature, à l’Âme, à l’Art, à Dieu – toutes ces scies philosophiques du temps – serait sans doute du dernier mauvais goût. Chacun peut sans dommage commencer par le chapitre 1 sans passer par le pensum qui précède.

George Sand, François le Champi, 1848, Livre de poche 1976, 222 pages, €3.10 e-book Kindle €0.00 

George Sand, Romans tome 1 (Indiana, Lélia, Mauprat, Pauline, Isidora, La mare au diable, François le champi, La petite Fadette), Gallimard Pléiade 2019, 1866 pages, €67.00

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Roland serait le fils de Charlemagne

Roland « le beau neveu », massacré à Roncevaux par des Vascons (Basques) dont les siècles ont fait des Sarrasins pour alimenter la Reconquista, serait le fils bâtard du grand Charles avec sa sœur Gisèle.

C’est ce qui ressort de l’étude de Rita Lejeune et Jacques Stiennon sur la légende de Roland dans l’iconographie du Moyen Âge. La philologue belge Rita Lejeune fut la deuxième femme du pays à enseigner à l’université de Liège entre-deux guerres.

Plusieurs écrits parlent du « péché de Charlemagne » dès le IXe siècle. Ce n’était pas l’adultère : il avait moult bâtards et bâtardes qu’il chérissait au vu de tous, selon la coutume germanique. C’était bien pire : un péché « biblique ».

La Vision de Wetti écrite entre 842 et 849 par Walafred Strabo de Reichenau, qui a séjourné à Aix-la-Chapelle, représente l’empereur Charles le Magne enfermé au Purgatoire à cause de sa sensualité hors Commandements.

Eginhard, panégyriste de Charles, a évoqué à mots couverts certains scandales à la cour impériale.

Mais la Vie de saint Gilles (ou saint Egide) est le premier écrit à faire explicitement mention du « péché ». Son auteur est moine à l’abbaye de Saint-Gilles en Provence et a puisé son histoire dans une tradition ancienne qui courait dans le nord de la France. L’inceste avec sa sœur aurait eu lieu en Avignon. Gaston Paris le résume ainsi : « Le roi de France Charles, ayant entendu parler des vertus de saint Egide, le mande à Orléans dans son palais. Charles et saint Gilles s’entretiennent et, à la fin, le roi demande au pieux anachorète de prier spécialement pour lui à cause d’un péché honteux qu’il a commis, péché dont il n’a jamais pu se confesser et qu’il n’ose avouer à saint Gilles. Mais ce dernier n’a pas besoin d’entendre Charles lui parler de son crime. Le dimanche suivant comme le saint homme, célébrant la messe, priait le Seigneur pour le roi, un ange lui apparut et déposa sur l’autel un parchemin relatant en détail le grand péché de Charlemagne. Cependant, grâce aux prières de Gilles, ce péché du roi pouvait lui être remis, pourvu qu’il se repentît de sa faute et qu’il n’y succombât plus désormais. Le serviteur de Dieu, voyant cela, rendit grâce au Seigneur et, l’office terminé, tendit au roi le parchemin. Le roi, en ayant pris connaissance, et avouant le crime qu’il avait commis, tomba aux pieds de Gilles en lui demandant d’être, auprès du Seigneur, son avocat par ses prières. Alors, l’homme de Dieu recommanda Charles au Seigneur, puis l’avertit avec une sévérité bienveillante de ne plus renouveler son péché. »

La nature du péché est connue depuis le XIIIe siècle par des textes précis : le Myreur des histoires de Jean d’Outremeux fin XIVe, l’épopée Tristan de Nanteuil au XIVe (« Que ce fut le péché quand engendra Roland en sa sœur germaine »), la Karlamagnus Saga de 1230, et le Ronsasuals en langue d’oc. Ce dernier écrit le fait avouer explicitement à Charlemagne lorsqu’il retrouve le corps de Roland mort à Roncevaux en 778 : « Beau neveu, je vous ai eu par mon grand péché de ma sœur et, par mon manquement, je suis ton père, ton oncle également, et vous, cher seigneur, mon neveu et mon enfant. »

La fresque de Saint Gilles au Loroux-Bottereau se situe dans la nef droite de l’église Saint Jean-Baptiste et date de l’an 1200. Charlemagne, agenouillé aux pieds du saint, est remis du péché d’inceste par Gilles tandis que la sœur du roi, Gisèle, donne, sur les conseils du saint, la main à Milon d’Angers qui deviendra le père nourricier de Roland.

Le psautier de Lambert le Bègue, prêtre réformateur liégeois qui voulait lutter contre les vices de son époque, est daté entre 1255 et 1280. Enluminé vraisemblablement par une béguine, il représente lui aussi la scène où saint Gilles, édifié par le parchemin, pardonne à Charles au nom de Dieu.

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Paranoïaque de Freddie Francis

Sur les traces d’Hitchcock, le réalisateur anglais Freddie Francis expose la profonde psychose de la campagne anglaise. Une famille unie et riche habite un manoir de Cornouailles. Les parents décèdent tous les deux dans un accident d’avion lorsqu’ils se rendent à New York en 1950. Ils laissent trois enfants, deux garçons et une fille, dont le plus jeune a 12 ans. Ce dernier est réputé s’être suicidé trois ans plus tard à 15 ans en se jetant de la falaise. Leur tante Harriet (Sheila Burrell), qui les a élevés après la mort de leurs parents, fait célébrer chaque année une messe pour les chers disparus.

Mais cette apparence dévote et bourgeoise cache de lourds secrets. La tante, vieille fille aigrie, est amoureuse du fils aîné, Simon (Oliver Reed), qui a toujours été son préféré. Elle considère Eleanor (Janette Scott), la cadette, comme folle car celle-ci, qui était très proche de son petit frère Tony, ne s’est jamais remise de sa disparition. Simon est tourmenté, boit en excès et scandalise le bon peuple dans les pubs où il sévit. Il mène grand train et roule en Jaguar décapotable de type E, accumulant les dettes que le comptable successoral doit à grand peine éponger. Mais, tant que le dernier enfant n’est pas majeur, l’héritage ne peut être partagé.

Simon, qui est un psychotique profond capable de se mettre dans des colères noires et de menacer de meurtre quiconque se met en travers de ses volontés, a engagé une fausse infirmière (Liliane Brousse) pour s’occuper d’Eleanor qui a des visions : elle croit apercevoir en effet Tony, revenu d’entre les morts. La lettre de suicide qu’il a laissé serait-elle une diversion ? Se serait-il enfui pour échapper à l’atmosphère étouffante de la famille, menée par cette tante rigide et névrosée qui refoule l’amour incestueux qu’elle a pour l’aîné ?

Lors de la messe, Eleanor aperçoit le fantôme de Tony dans la tribune, mais elle est seule à le voir ; un peu plus tard, dans le jardin du manoir, elle aperçoit à nouveau Tony et se précipite en robe légère pour le voir. Mais sa tante et l’infirmière la poursuivent et Tony disparaît. Simon pense qu’elle doit être internée : ainsi touchera-t-il l’héritage en son entier, 600 000 livres sterling du début des années soixante – une belle somme. Mais Eleanor, désespérée, se jette du haut de la falaise comme elle croit que son petit frère l’a fait, huit ans auparavant. Tony (Alexander Davion) reparaît : il la voit, plonge et la sauve. Il a 23 ans désormais et, lorsqu’il ramène Eleanor mouillée évanouie au manoir, tout le monde voit bien la ressemblance. Mais est-il le vrai Tony ? Simon, déstabilisé, en doute ; sa tante Harriet aussi, mais Eleanor y croit et se réfugie en lui pour compenser sa solitude. Dans cette famille psychologiquement malade, tous sont atteints – sauf Tony.

Car Tony est un imposteur, payé par le fils du notaire comptable de la succession qui a détourné des fonds de l’héritage. Simon le sait et le menace ; la seule parade est d’inventer un faux frère revenu réclamer sa part. Il va chercher à tuer sa sœur et son nouvel amour en sabotant les freins de la MG ; il va tuer la fausse infirmière qui trouvait que cela allait trop loin et voulait partir et le dénoncer. Car rien ne doit aller contre son désir tout-puissant.

Sauf que l’imposteur Tony n’est pas cupide ; il est touché de l’amour inconditionnel d’Eleanor, incestueuse dans sa névrose. Jeune et athlétique, il est psychologiquement sain. Il n’est pas son vrai frère et lui avoue, tandis que Simon le sait bien, lui qui tué son petit frère lorsqu’il est devenu pubère ; il en était obscurément amoureux. Désormais, Simon célèbre rituellement chaque soir le chant de chorale que travaillait Tony, joué sur disque, tandis qu’il l’accompagne à l’orgue. Sa tante l’assiste, masquée, pour soulager sa souffrance psychique. L’imposteur le découvre et le fait découvrir à Eleanor.

Mais la tante les a vu regarder par la fenêtre et Simon piège le faux Tony dans la remise. La momie desséchée du petit frère est murée derrière l’orgue comme un nounours pour Simon ou la mère dans Psychose d’Hitchcock. Il envisage d’emmurer le faux Tony avec le vrai, le maîtrise et l’attache, mais sa tante le convainc qu’elle va s’en occuper. Pour tout faire disparaître, elle jette la lanterne à terre, ce qui provoque un incendie et emmène Simon, vidé comme après un acte sexuel. Eleanor, qui suit Tony autant qu’elle le peut, ouvre la porte et le délivre. Un peu plus tard Simon, désespéré de perdre à nouveau son petit frère trop chéri, brave les flammes pour étreindre le squelette – et s’unit à lui dans la mort.

Pendant ce temps, les deux amants s’enfuient de ce lieu délétère et quittent cette famille maudite.

Le début des années soixante manifestait cette contrainte psychologique forte que la religion au secours de la bourgeoisie victorienne encadrait avec vigueur. Les pulsions n’avaient aucun dérivatif et engendraient névroses ou psychoses graves. Dans ce film, tout le monde est amoureux incestueux : la tante, Simon, Eleanor. Il faut un élément extérieur sain (le faux Tony) pour briser la boucle névrotique et pousser la psychose de l’aîné au bout. Simon est toujours cravaté serré ; le faux Tony, à l’inverse, ouvre son col et parfois largement sa chemise : il est plus lui-même que ce que veulent les convenances. Le spectateur, malgré les maladresses du scénario, comprend avec le jeu réussi des acteurs (un Simon halluciné, une Eleanor hystérique, une tante crispée, un faux Tony libre), combien le mouvement de 1968 était attendu comme la lave sous la surface et fut pour toute la société une délivrance !

DVD Paranoïaque (Paranoiac), Freddie Francis, 1962, avec Janette Scott, Oliver Reed, Sheila Burrell, Maurice Denham, Alexander Davion, Elephant Films 2017 les collections de la Hammer, 1h20, standard €16.99 blu-ray €18.99

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Hervé Bazin, Qui j’ose aimer ?

La réponse à ce titre provocateur est simple : le mari de ma mère.

Nous sommes en 1956 dans la Bretagne nantaise et quatre femmes vivent dans une maison nommée la Fouve, au bord de l’Erdre, dans une région de marais. Ce matriarcat a vu passer les hommes – tous morts : le grand-père à la guerre (la première), un autre de faiblesse, jusqu’au dernier qui a divorcé pour épouser en Algérie. Car « l’Algérie c’est la France ! » dit à la même époque un certain « socialiste » venu de la droite royaliste qui deviendra président – par pure ambition – en 1981.

Isabelle, fille d’Isabelle, est une rouquine (comme Judas chez les cathos) que l’auteur nous présente nue au premier chapitre ; elle va piller un casier posté dans la rivière par la maison d’en face. Dans laquelle vivent le ténor et le ténorino, deux avocats père et fils, d’où leurs surnoms. Le plus jeune vient d’épouser la mère d’Isabelle prénommée elle aussi Isabelle. Le pays est en émoi : catholique, rural, et dans la France patriarcale des années cinquante, cela ne se fait pas. Les gens jasent, les commerçants se font mielleux pour n’en penser pas moins et le doyen (le curé breton) tonne en chaire. Isabelle la jeune, fille d’Isabelle la remariée, va-t-elle garder à l’église sa place de vierge parmi les « enfants de Marie » ?

Elle n’a pas froid aux yeux, ni au corps, et ce n’est pas sa sœur Berthe, un brin débile et plutôt grosse, qui va la faire changer d’avis. Maurice l’avocat, fils du propriétaire d’en face, a épousé parce que son amante lui a dit qu’elle était enceinte. Fausse alerte (ou mensonge délibéré), pas de poupon en vue, mais ce qui est fait est fait, même par main forcée. « Monsieur Bis », ainsi que l’appelle Berthe, s’installe à la Fouve. C’est la guerre entre lui et les femmes, sauf la sienne, soudain dolente. Nathalie, la bonne depuis belle lurette, n’a pas les yeux ni la langue dans sa poche ; elle n’a pas accepté ce remariage, elle accepte mal que Maurice devienne le nouveau père et qu’il régente la maison. Isabelle la jeune ne sait pas comment appeler ce parâtre, elle qui n’a que 19 ans et n’est encore ni majeure (21 ans), ni émancipée.

Maurice va habilement profiter des circonstances pour s’imposer, d’abord dans la maisonnée, puis dans le corps d’Isabelle la fille à défaut de son cœur. Il lui donne du travail à son étude, où il la baise à loisir entre deux clients ; étourdie, pâmée dès qu’il la touche, la fille se laisse faire. Isabelle la mère, son épouse légale, est malade ; elle couve une étrange chose qu’on appelle – après plusieurs semaines – un « lupus exanthématique » ; cette maladie auto-immune détruit les cellules de l’organisme car le système immunitaire dysfonctionne… Fièvre, desquamation de la peau, érythème : la patiente n’est pas belle à voir. Normalement on n’en meurt pas, mais c’était en 1956 et le besoin de l’histoire exige la fin de la victime.

Car Maurice se détourne d’Isabelle pour viser Isabelle ; marié forcé pour cause de grossesse imaginaire, il met enceinte la fille – qui refusera de l’épouser après la mort de sa mère. Non seulement « cela ne se fait pas » (une fille de divorcée mineure enceinte épousant le mari de sa mère tout juste décédée !), mais la Fouve exige que les femmes continuent de prendre soin d’elle. La maison est comme un nid et le pré-féminisme d’époque rejette tout ce qui porte culotte et viole l’intimité. Le bébé sera d’ailleurs une fille, comme il se doit.

Ce roman antique se lit très bien, tout d’abord parce qu’Hervé Bazin écrit bien, avec des formules, des descriptions concises et saisissantes. La situation dans laquelle il place son héroïne est acrobatique et il est un brin compliqué d’en démêler les fils sur la fin. Mais il prend de la hauteur pour sortir la femme du quotidien bébé-cuisine-maison et en faire l’Héritière d’une tradition. Celle même qui a naufragé en mai 68, avec la paysannerie, le patriarcat et la religion ; celle que certains regardent avec les yeux de Chimène et voudraient voir revenir.

A ceux qui sont contents que la société ait évolué, malgré ses excès, comme à ceux qui regrettent le temps passé, qu’ils idéalisent sans raison – je dis « lisez ce livre » : vous comprendrez beaucoup de choses que les romanciers narcissiques d’aujourd’hui ne vous apprendront jamais sur la nature humaine.

Hervé Bazin, Qui j’ose aimer ? 1956, Livre de poche 1979, 315 pages, €0.87

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Elisabeth George, Une avalanche de conséquences

Après un précédent roman raté, Juste une mauvaise action, l’auteur reprend ses personnages fétiches de l’inspecteur Lynley, du sergent Havers et de la chef Ardery, pour composer un roman mieux dans la ligne. Lent à démarrer, avec des incidentes qui sont parfois des impasses, la mayonnaise commence à prendre vers le milieu et accélère sur la fin. Comme s’il fallait se remettre dans le bain. Mais le lecteur sent la répugnance de l’auteur : ne devrait-elle pas arrêter ?

Ses caractères bien connus sont de plus en plus la caricature d’eux-mêmes, comme si Elisabeth George l’américaine s’enfonçait, comme toute l’Amérique, dans un repli sur soi frileux qui fige chacun dans son essence. Thomas Lynley est et reste inspecteur, éternel procrastinateur en amour, le sera-t-il toute sa vie malgré ses succès d’enquêteur ? Barbara Havers est et reste le gros sergent au poil hérissé et au tee-shirt informe dont on se demande s’il n’est pas inspiré du sergent Garcia dans Zorro. Isabelle Ardery, commissaire, est et reste cette psychorigide qui ne sait que menacer de sanction et risque à tout moment de sombrer dans l’addiction alcoolique. Ces soi-disant britishs seraient-ils donc des marionnettes dans les pattes cette yankee qui les traite comme des sujets ? En a-t-elle marre de ses créatures ? Ses tentatives d’explorer d’autres voies ont semble-t-il nettement moins de succès, ce pourquoi elle se résigne à revenir au duo Lynley-Havers, mais le cœur n’y est pas.

Elle compose donc une histoire glauque à souhait, tout emplie de ces hantises à la mode que sont le viol, l’inceste, la pédophilie et le féminisme. Mettez une dose de chaque, agitez le shaker et servez très frais avec des petits garçons. Vous aurez une trame compliquée et des crimes bien empoisonnants, des aveux masqués et des faux coupables. Tout cela dans une avalanche de conséquences à partir d’un fait de famille, et incarné par des personnages qui se contentent de persister absurdement dans leur être : India la conne ne veut pas quitter Charlie le pleurard, la Barb n’en fait qu’à sa caboche obtuse de sous-fifre, l’éditrice Rory reste désespérément amoureuse de la féministe Clare qui aime s’envoyer en l’air… avec des hommes, Caroline la manipulatrice de tous se prend sans cesse les pieds dans le tapis des mensonges, et ainsi de suite.

Ce roman est meilleur que le précédent, mais pas à la hauteur des premiers. Le lecteur perçoit trop la fabrique et soupçonne le vrai coupable avant la fin. La psychologie apparaît fouillée mais laborieuse, bâtie en fiches prédéterminées. Une question intéressante : la fin est-elle morale ? Dans les Etats-Unis qui allaient élire Trump, la « morale » semble en effet bien élastique… Faut-il vraiment continuer à lire de la littérature venue des Etats-Unis ?

Elisabeth George, Une avalanche de conséquences (A Banquet of Consequences), 2015, Pocket 217, 759 pages, €8.60 e-book Kindle €13.99

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Christian de Moliner, Le pays des crétins

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Malgré un titre (inutilement ?) provocateur, le roman se lit avec bonheur. Mathieu, fonctionnaire de la Direction départementale de l’équipement de 28 ans, est nommé sur sa demande dans une ville de l’est sinistré de la France. Il veut se rapprocher de sa sœur Sophie, dépressive, qui vient de se séparer de son mari avec la garde de deux petites filles.

Mais le pays va l’enfoncer. Nous sommes en 1983 et la gauche au pouvoir sous Mitterrand fait déchanter l’utopie par le tournant de la rigueur : les cigales, ayant chanté tout l’été, se trouvèrent fort dépourvues lorsque la bise fut venue. L’est, c’est la sidérurgie – en ruines ; c’est le climat – pluvieux ; c’est la sous-culture – foot et télé. De quoi devenir encore plus dépressif et désespéré de la vie – no future.

Ce qui amuse Mathieu, outre s’occuper de ses nièces, est la politique. « Lui, le sceptique qui se fermait aux émotions » p.50, considère la politique comme un sacerdoce pour sortir les gens du marasme. Ce qui deviendra très vite la France périphérique des non-inclus – sans emplois, sans vrais services publics, sans espoir – à cause de la la gabegie des milliards gaspillés par le pouvoir, est en germe dans « Saint-Pierre », cette petite ville aux confins français, noyée dans sa vallée polluée.

Un quartier surtout additionne tous les vices : la grande Bourgogne. Il est enserré entre autoroute et chemin de fer et concentre la misère des gamins laissés à eux-mêmes, des ados violents en bande et des adultes déclassés. Mathieu adhère au parti républicain (LR n’existe pas en 1983) – par esprit de contradiction avec celui alors au pouvoir ; il se laisse convaincre de renverser le maire Fout-Rien pour le nouveau Dominique Beaulieu, riche et actif, prêt à renverser la table à la Bernard Tapie – et qui gagne. Faute de l’avoir sur sa liste (car Mathieu ne veut pas se compromettre), il lui donne carte blanche par délégation de la commune à la DDE. Mais les lenteurs procédurales de l’Administration, la corruption qu’il refuse mais qui mettrait pourtant de l’huile dans les rouages, engluent Mathieu dans le marais des velléités mal financées et qui avancent peu.

De plus, sa sœur se fait sauter par l’adjoint de Beaulieu, tandis que lui est en butte à un pari de liaison dangereuse avec une nymphomane marchande de chaussures. Il drague vaguement une standardiste de la DDE, Valérie, qui finit par le marier, mais il ne l’aime pas tant elle stagne dans la sous-culture. Décidément, le pays des crétins contamine tout ce qu’il touche ! Même Beaulieu voit se déclarer cette maladie héréditaire dont il s’était jusqu’ici préservé.

Quant à la « grande » politique au niveau national, ce n’est pas mieux – comme si le poisson pourrissait par la tête : « La France est lasse de la cuisine politique traditionnelle. La gauche s’est effondrée idéologiquement. Elle gouvernera encore quelque temps mais elle en coma dépassé sur le plan intellectuel. La droite n’est pas en meilleur état. Les politiciens sont impuissants face aux problèmes du pays. Ils n’ont plus rien à proposer dans leur besace. La route est libre pour qui saura proposer autre chose et faire rêver les Français » p.187. Ce diagnostic est plus pertinent à la date de parution (2016) qu’à la date affichée du roman (1983), mais est vérifié par toutes les élections récentes, des Européennes aux Régionales, en passant par le Brexit et l’irruption de Trump (Tromp disent les gendegôch haineux, comme disaient Maastrique les partisans en 2005 du non).

Sophie, au bord de la tentation de l’inceste, passe la main, son ex récupère ses filles ; Mathieu dénonce les prévarications et ne veut pas de bébé. Son intransigeante pureté robespierriste – tant avec les femmes qu’en politique – a-t-elle tout gâché ? En partie : parce que nous ne sommes plus sous le règne de la Terreur mais dans celui du socialisme réalisé. Restent les graines semées qui germent, déjà « dix sont écloses » dit Beaulieu p.211 – et le bébé contre sa volonté mûrit dans le ventre de Valérie.

Mathieu va-t-il se réconcilier avec le monde et faire mentir le terme de « crétins » qu’il a affublé aux habitants de ce pays en marge ?

Amer mais juste, décentré dans le temps pour évacuer les passions idéologiques trop proches, doublé d’une histoire d’amours au pluriel qui se coulent dans le paysage, voici un bon roman à la psychologie marquée où l’on ne s’ennuie jamais.

Christian de Moliner, Le pays des crétins, 2016, Les éditions du Val, 215 pages, €12.66

e-Book format Kindle, €4.48

Christian de Moliner déjà chroniqué sur ce blog

Attachée de presse Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

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Jean Cocteau, les Terribles

jean marais histoire de ma vie

Histoires de ma vie’, les mémoires de Jean Marais, prend par la passion que l’on y sent, malgré le style un peu maladroit. Sa mère, le théâtre et l’amour – telles sont ses trois raisons narcissiques de vivre. Son amour, c’est Jean Cocteau le poète, un Gide beaucoup plus fou et resté jeune. Sa mère, c’est une femme un peu folle, une actrice dans la vie ; elle inspirera un personnage de Cocteau.

Ces trois, pôles de sa vie, Jean Marais les verra réunis lorsqu’il jouera ‘Les parents terribles’ de Cocteau. Cette pièce a été écrite pour lui après un « qu’aimerais-tu faire ? » du poète à son amant. Il lui donne le rôle de Michel et s’inspire de la figure bien typée de sa mère, bien que Cocteau s’en défende dans la préface : « je n’ai imité personne que je puisse connaître ». Il dédie cette œuvre à Yvonne de Bray, une amie actrice qui devait jouer le rôle de la mère et dont il dit qu’elle lui a « inspiré toute la pièce ». Mais il est hors de doute que c’est bien la mère de Jean Marais, désordonnée, impulsive, kleptomane et très possessive qui a fourni le modèle d’Yvonne. Marais parlait beaucoup à Cocteau de sa mère et celle-ci, jalouse, disait de l’ami de son fils qu’elle ne l’aimait pas. Transposé dans la pièce, cela donne le thème des parents terribles avec Madeleine dans le rôle de Cocteau.

Les enfants terribles’, ‘Les parents terribles’ : similitude des deux œuvres. Le roman comme la pièce nous décrivent chaque fois un microcosme, un univers entre quelques personnages, fermé sur lui-même avec ses rites, ses lois propres. Ce sont des caricatures de ‘parents’ et ‘d’enfants’, mais des « mensonges qui disent la vérité ». Ces images cohérentes, bien qu’insolites, nous donnent la clé d’une époque. Les humains sont les mêmes depuis les Grecs, mais le décor a changé, surtout la société. Aujourd’hui règne l’individu, l’égoïsme est promu et chacun se ferme sur soi. Il façonne une petite cellule comme une coquille qui le protège du monde, la remplissant de son désordre, régnant dans une pagaille organisée. Dans les villes où l’on voit tant de monde, on ne connaît plus personne. L’appartement, la chambre même, deviennent ventre retrouvé de la Mère. Le rêve égaré dans la réalité refuse l’ordre du réel et fantasme un désordre sempiternel.

Les enfants trop prolongés refusent de grandir car cela voudrait dire la fin du rêve, l’obligation de ‘naître’ au monde adulte, la rupture du cordon ombilical. Pour la mère, de même, son fils sera toujours bébé, refusant les lois naturelles qui le font grandir, refusant la nécessaire rupture adulte. Tout est refus : de s’adapter aux lois naturelles, d’accepter le temps qui passe et transforme, des machines devenues inutiles et désuètes vouées à tourner à vide lorsque leur temps sera fini. A l’image d’une société désaxée.

jean cocteau les parents terribles

‘Enfants terribles’, ‘Parents terribles’ : curieuses similitudes puisque que le titre ‘Parents’ de la pièce n’a pas été créé intentionnellement par l’auteur comme pendant à celui de son roman, mais suggéré par l’un de ses amis, Roger Capgras. Jean Marais nous apprend qu’il était le directeur du théâtre des Ambassadeurs. Peut-être Cocteau sentait-il les affinités profondes de ces deux œuvres puisqu’il ne parvenait pas à trouver un bon titre pour la pièce et qu’il accueilli la suggestion comme une découverte ?

Les deux ont des couples curieusement similaires. Yvonne, vivant tout entière dans le rêve, et Paul, lui aussi entier dans l’irréel ; tous deux sont malades et se font dorloter. Léo, la tante, c’est l’intrigante, la calculatrice, la raisonneuse, maîtresse du microcosme, veillant jalousement à ce qu’il marche bien, le défendant des atteintes du temps et de l’extérieur, niant les contraintes du réel et précipitant la fin quand il n’y a plus d’espoir. Ainsi Elisabeth, la sœur de Paul, fait les courses, parle avec le médecin, travaille, se marie, se charge ainsi de toutes les relations extérieures nécessaires à ce que la cellule fermée puisse continuer à vivre.

Faut-il voir un parallèle Yvonne-Élisabeth, mère possessive et sœur possessive, l’une et l’autre ne pouvant tolérer, par jalousie incestueuse, que leur fils et frère puisse ‘aimer’ ailleurs ? Qu’il révèle une sexualité d’homme qui capte sa tendresse hors de la cellule, comme Michel aime Madeleine ? L’inceste, tout est là. C’est la ‘faute’ – au sens des Grecs – la remise en cause de l’ordre du monde, ici réduit à la famille.

Léo, « dont l’ordre est impur », dit Cocteau dans sa préface des ‘Parents’, ressemble à Elisabeth qui veut elle aussi conserver le microcosme hors du temps, hors de l’ordre. Le type d’Elisabeth s’est scindé en deux personnages dans les ‘Parents’ : Léo et Yvonne. Ce sont les deux faces de la même créature des ‘Enfants’, la maîtresse de la chambre et la mère-sœur ou sœur-mère, possessive.

Paul, c’est Michel, « le jeune homme dont le désordre est pur », dit Cocteau dans cette même préface. Pur parce que plus longtemps enfant, les garçons restant plus infantiles que les filles en ce qui concerne le sexe ; pur parce que manipulé par une mère comme s’il était encore bébé, étouffé par une sœur qui refuse de le voir grandir. Devenir un homme signifie se détacher pour aller voir ailleurs, chercher une autre femme à qui donner sa tendresse et faire couple, être ingrat à la cellule familiale. Cocteau a-t-il illustré sa propre adolescence ? Mais Paul, c’est aussi Yvonne, l’âme pure de la cellule, le moteur du rêve.

Tout se passe comme si les deux personnages centraux des ‘Enfants terribles’ avaient été recomposés en trois personnages plus typés dans les ‘Parents terribles’. A chaque extrémité du schéma, Michel et Léo, le microcosme s’ouvre vers l’extérieur ; mais de façon différente, inverse, suivant le caractère de chaque personnage. Paul (Michel) est le pôle positif, celui « dont l’ordre est pur » ; Elizabeth (Léo) est le pôle négatif, celui « dont l’ordre est impur ». Les relations extérieures de Paul sont centripètes, elles tendent à le faire sortir du cercle fermé, à faire éclater la cellule ; les relations extérieures d’Elisabeth sont centrifuges, elles ramènent chaque événement, chaque contact, vers l’intérieur du microcosme pour tout absorber en lui.

Cocteau touche ainsi aux relations les plus fondamentales des relations humaines et aux événements les plus marquant de la vie d’un garçon : l’inceste et sa prohibition (qui donne donc à chaque tentative une fin tragique), la dualité rêve-réalité, le microcosme nécessaire et le macrocosme inévitable, le temps inexorable qui transforme organiquement et pousse à d’autres relations, la déchirure entre enfance et âge adulte, la découverte de l’amour sexuel, différent de l’affection filiale ou fraternelle, l’acceptation des ruptures et du changement comme loi de la nature…

jean cocteau les enfants terribles

A côté des personnages principaux existent deux couples de personnages secondaires : Gérard et Agathe des ‘Enfants terribles’, qui donnent Georges et Madeleine des ‘Parents terribles’. Les parallèles : Gérard est l’ami de Paul, Georges est le père de Michel ; Gérard aime Elisabeth, George aime Yvonne et a aimé Léo. Une inversion : Gérard est concurrent de Dargelos pour l’amitié de Paul (Agathe ressemble à Dargelos) ; Georges est le concurrent de son fils Michel pour l’amour de Madeleine (ce qui se traduit par : Gérard est concurrent d’Agathe pour l’amour de Paul). Le garçon devient fille et change de sens pour l’action.

C’est ici que se marque le passage de l’adolescence à l’âge adulte. Il s’effectue peu à peu un glissement de l’amour de même signe (garçon pour garçon) vers un amour de signes opposés (garçon pour fille). Le premier laisse le microcosme intact par nécessité du signe nécessaire à la neutralité (+ et + = +) ; le second fait éclater le microcosme parce que le signe complémentaire est trouvé en-dehors de la cellule, celle-ci devenant inutile (+ et – = neutre). Le besoin confus d’affection de l’enfant sensible lui fera chercher un ‘égal’ à aimer, un autre enfant de son âge ; si celui-ci ne répond pas à son amitié ou la comprend mal, l’enfant sublimera cet amour en admiration platonique d’un « type idéal » : par exemple Paul pour Dargelos. A l’adolescence, tout se transforme dans l’âme et le cœur, sous la poussée des hormones. Le type idéal, le besoin d’affection, se cristallisent en général sur un membre du sexe opposé : par exemple Paul pour Agathe ou Gérard pour Elisabeth. Mais la fidélité à l’empreinte affective d’enfance demeure : ainsi Agathe ressemble-t-elle à Dargelos et Elisabeth à Paul.

‘Les enfants terribles’ sont plus particulièrement fascinants, peut-être parce que sous forme de roman, donc plus élaboré. Le poète y déploie une scène primitive, à la limite de l’invraisemblable. Des enfants orphelins peuvent-ils rester livrés à eux-mêmes dans un appartement parisien au XXe siècle ? Cet insolite fait cependant ressortir la vérité profonde du subjectif. Le lecteur voit reparaître à la surface son propre monde de l’enfance avec sa magie, son pouvoir onirique, son dédain des conventions adultes, enfoui qu’il était dans son inconscient. L’atmosphère est suggérée par touches impressionnistes qui agissent peu à peu sur le lecteur. Il a une vision d’ensemble enrichie de toutes ses réminiscences personnelles, de toutes les affinités qu’il a avec ce fond « d’animalité et de vie végétative » qu’est l’enfance. Un monde clos où rêve et réalité s’entremêlent comme sous l’effet de l’opium.

L’amour « dans l’ordre du monde », montre que le ‘trésor’ des objets chargés de rêve et de souvenirs laisse l’adolescent insatisfait. Il détruit alors impitoyablement cette enfance qu’il lui faut dépasser et, avec elle, cette étroite communauté d’exilés dont l’obstination à se perpétuer entre soi outrage l’ordre de l’univers en voulant abolir le temps.

Jean Marais, Histoire de ma vie, 1975, Albin Michel, 315 pages, occasion €1.15

Jean Cocteau, Les enfants terribles, 1929, Cahiers rouges Grasset 2013, 136 pages, €6.90

e-book format Kindle, €5.49

Jean Cocteau, Les parents terribles, 1938, Folio 1972, 179 pages, €5.90

e-book format Kindle, €5.49

DVD coffret Jean Cocteau : Les enfants terribles (1950), Les parents terribles (1948), Le baron fantôme (1942), LCJ éditions 2013, €18.90

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Boris Cyrulnik, Sous le signe du lien

boris cyrulnik sous le signe du lien
Neurologue et psychiatre, Boris Cyrulnik sait écrire simplement. Même lorsqu’il use du jargon de sa profession, il s’empresse de traduire pour faire comprendre. C’est un vrai pédagogue comme on en trouve chez ceux qui s’intéressent aux êtres – et comme on n’en trouve plus chez ceux qui en font profession – si l’on en croit la cuistrerie étalée dans « les programmes ».

S’intéresser aux êtres est s’intéresser aux liens entre les êtres car, pour l’humain plus que pour les animaux, la sociabilité est primordiale : comment un petit d’homme né nu et vulnérable, qui ne sait ni se nourrir, ni se vêtir, ni se protéger, n’est enfin à peu près adulte que vers 15 ou 16 ans (mais pas encore fini), pourrait-il être dans le monde en restant tout seul ? Boris Cyrulnik, enfant abandonné et immigré exilé, s’est reconstruit peu à peu. Ce pourquoi il est probablement plus sensible que les nantis affectifs sur l’importance du lien.

Il prend les petits d’homme quand ils ne sont pas encore sortis du ventre de leur mère. Il montre par expériences (reconductibles par tout scientifique) que le fœtus entend très bien les sons, qu’il réagit aux changements, qu’il épouse étroitement les humeurs de sa mère. Ce n’est que vers 6 mois après être né que l’empreinte du père peut se construire, lorsque le bébé reconnaît les visages. Non que le père soit absent auparavant mais la mère prime, soit qu’elle se sente bien avec l’homme auprès d’elle (père biologique ou non !), soit que le mâle qui s’occupe du bébé en l’absence de femme fasse fonction de « mère » pour le nourrisson.

maman et bébé

Les mêmes expériences montrent que la différence des sexes non seulement intervient très tôt, mais qu’elle est indispensable pour que l’être humain se construise une identité sociale. Ce n’est donc pas en « élevant une fille comme un garçon » qu’on la transforme en garçon… Ce serait plutôt la mutiler, puisque les observations fines effectuées par caméra et analysées par ordinateur montrent que (maman ou papa) les adultes traitent différemment les bébés-filles des bébés-garçon. « Les garçons s’engagent dans le monde d’une manière plus visuelle, plus spatiale, plus anxieuse, plus collective et plus compétitive. Les filles s’engagent dans la vie d’une manière plus sonore, plus verbale, plus paisible, plus intime et plus affiliative » p.164. Les filles sont plus touchées, caressées ; les garçons sont traités plus rudement, on leur montre plus qu’on leur parle. La vocalise contre le postural, disent les spécialistes.

Ce n’est que lorsqu’ils ont été sécurisés par les bras maternants, stimulés par les jeux paternels, que les enfants (des deux sexes) peuvent se fondre harmonieusement dans leur groupe de pairs. Ils y apprennent la relation sociale, fondée sur l’identité et la reconnaissance de l’autre. Mais il ne peut y avoir d’ouverture aux autres sans être assuré un minimum de soi. Les comportements des petits abandonnés très tôt sont révélateurs : ils se replient sur eux-mêmes, s’auto-caressent, ne parlent pas. Il leur faut des « objets d’attachement » stables (des adultes mieux que des peluches) pour que la « résilience » s’opère. Les manifestations de joie sont plus intenses que celles des enfants aimés lorsqu’un petit abandonné retrouve la personne qui s’occupe de lui après une courte séparation.

De même, les « enfants-poubelles », abandonnés par contrainte ou par volonté, se sentent sans histoire, donc sans liens ; ils ne vivent qu’au présent, sans morale ni sociabilité. A moins que l’histoire qu’on leur conte soit socialement valorisée : alors, même sans parents réels, ils se sentent réinscrits dans la société, améliorés, ce qui les pousse à réussir leur vie. En 1945, les communistes avaient accueilli des enfants sans famille à Arcueil. Malgré les éducateurs très jeunes et inexpérimentés, malgré les conditions de pauvreté et une hygiène douteuse, 42% des enfants ont réussi le concours d’une grande école ou suivi des études supérieures. Pourquoi ? Parce que les adultes ne cessaient de leur dire : « Tes parents sont morts pour la France, pour une idée… quelle noblesse ! Tu as souffert, tu as perdu ta famille, mais c’est grâce à eux aujourd’hui que nous sommes libres… quelle dignité ! » p.274. Si vous avez des enfants, dites-leurs de temps à autre qu’ils ont été désirés, que vous tenez à eux, que vous les aimez ; dites-leurs que vous avez apprécié ce qu’ils ont fait, que vous les félicitez pour la performance réussie. Rien que cela… est tout !

papa et bebe francesco scavullo 1968

L’éthologie – la science des comportements – s’applique à l’homme comme aux bêtes. Pour les humains, elle permet de comprendre les tabous comme l’évitement de l’inceste, ou les rituels sociaux comme la parade amoureuse. Certes, les hommes ne sont pas des animaux, ils ont un cerveau plus malléable et le langage en plus. Mais il est étonnant de constater combien les schémas bêtes imprègnent les conduites humaines malgré nous. Les gestes des adultes envers le bébé sont sexués dès la naissance, l’histoire d’amour est universelle mais se différencie bien vite entre émoi hormonal et attachement – qui reproduit celui du bébé à sa mère –, montrant combien l’empreinte tout petit organise le lien et détermine même les orientations sexuelles. L’excès d’attachement à sa mère, dû à l’enfance troublée de sa génitrice, empêche de jouer, de se socialiser, d’apprendre les rituels de son groupe et à connaître l’autre sexe. On ne naît pas homo ou hétéro, on le devient… sans le vouloir. Mais quand le lien se renforce, le désir s’éteint – et c’est bien ainsi, montre Cyrulnik.

Le beau aurait une fonction biologique, si l’on en croit la truite saumonée. La nature n’a pas en général besoin du mâle, mais c’est en apportant la différence génétique que les espèces peuvent survivre à des environnements qui changent. Ce pourquoi la différence sexuelle est « économiquement » efficace, ce pourquoi donc les parents, dès la naissance et poussés par la culture sociale (qui est une sorte de génétique augmentée), traitent différemment petits garçons et petites filles. Chacun, avant d’accéder à la conscience, a été façonné par les gènes, par les parents, la famille, le milieu, la société, la culture. On ne nait pas de rien ; le nier aveugle et empêche d’évoluer. Mais rien n’empêche, une fois adulte, autonome et responsable, de corriger ses propres comportements ; le fait de se donner un idéal ou une méthode emporte l’imitation.

amis gosses

Voici un bien grand livre qui nous ouvre l’esprit, sans asséner de vérités définitives. C’est tout l’objet de la conclusion de pointer ces « butées » à franchir, qui montrent que la recherche n’a jamais de fin et qu’il faut sans cesse décentrer son regard pour remettre en cause ses certitudes. Nous sommes bien loin des slogans idéologiques des uns et des autres ! Nous sommes dans l’intelligence et l’humilité, tout le contraire des dogmes et de l’arrogance dont le « débat » sur le genre fait trop souvent montre.

Boris Cyrulnik, Sous le signe du lien, 1989, Livre de poche Pluriel 2012, 319 pages, €8.10

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Horace Walpole, Le château d’Otrante

horace walpole le chateau d otrante
Jamais publié en poche en France, ce premier « roman gothique » déborde d’action et de coups de théâtre, dans un décor fermé, oppressant. Les éditions de la Pléiade en offrent pour Noël une édition soignée, flanquée de quatre autres opus de la même veine.
Nous sommes au XIIe siècle dans le Royaume de Sicile ; la principauté d’Otrante est sous la férule d’un seigneur qui a usurpé par ruse le titre depuis trois générations. Manfred est un tyran, mais obsédé de transmettre ; son fils Conrad est un adolescent malingre et souffreteux que son père se presse de marier afin d’assurer sa descendance. Mais le destin s’en mêle sous la forme d’un heaume de casque gigantesque qui écrase dans la cour du château, le jour même de ses noces, le malheureux enfant.

Manfred, désespéré, regrette moins son fils que le mariage perdu et propose aussitôt à la belle Isabella de l’épouser en lieu et place de Conrad – une fois qu’il aura fait annuler son propre mariage avec son épouse qui a peine à enfanter, la princesse Hippolita. Ce scandale aux yeux du monde et de l’Église va précipiter sa perte ; bien qu’il se batte bec et ongles contre la prophétie annoncée, il ne pourra rien – et sa descendance par les mâles s’arrêtera. C’est qu’il oublie sa fille, Matilda, qui peut se marier elle aussi et avoir des enfants. Mais le tyran seigneurial est aussi largement patriarcal et ces œillères l’empêchent de vivre normalement. Au point de la faire périr elle aussi, la prenant pour une autre…

main de spectre Le Chateau d Otrante

Horace Walpole, comte d’Orford, se bat dans la vie réelle contre l’absolutisme catholique, jacobite et clérical. En tant qu’auteur, il met en scène le fanatisme pervers de l’Église, qui veut régenter toutes les âmes, comme le plaisir pervers du seigneur et maître de la principauté. Ces deux dominations ont pour seule volonté de forcer les êtres humains, quel que soit leurs mérites, leurs vertus ou leur rang social, à plier et obéir. Cette « raison » d’État ou de foi est déraisonnable – et seule la « déraison » sous la forme de spectres et de rage des éléments, peut instiller la peur et le doute chez les dominants sûrs d’eux-mêmes. Seule la déraison peut permettre, par la révolte et la reconquête d’une certaine liberté, à la vie de continuer. Telle est la clé du style « gothique ».

horace walpole the castle of otranto

Le roman est construit comme une pièce de théâtre en cinq chapitres comme autant d’actes, avec unité de temps, de lieu et d’action. Tout se passe au château, décor grandiose et un brin effrayant, où les créneaux chantent avec le vent et où les souterrains obscurs et humides sont propices aux terreurs de l’inconscient. Ses pièces nombreuses, en enfilade et superposées, sont hantées d’apparitions gigantesques qui terrifient les serviteurs ; mais leur désordre est aussi favorable à écouter les conversations. Le château semble vivant et ses hôtes humains des parasites, qu’il secoue dans le tonnerre et la tempête lorsqu’ils faillent à leur destin.

La seule protection contre le château semble être l’armure, château sur soi, lorsqu’on est habilité à la porter, tel Théodore, jeune paysan d’apparence, autorisé par Matilda, la fille du seigneur Manfred. Théodore va annoncer la réalisation de la prophétie à Manfred, s’opposer à lui, aider la fuite d’Isabella, blesser Frédéric en combat singulier, enfin épouser Isabella après la mort de Matilda et le renoncement de Manfred. Il est le deus ex machina de la pièce, le jeune héros médiéval porté par son énergie intime comme par le destin. Théodore veut dire « don de Dieu » : jeune, beau, vigoureux et hardi, il est l’auteur idéalisé et le lecteur mâle s’identifie à sa noble quête.

Les personnages sont des « caractères », plus caricaturaux que fouillés, mais pétris de contradictions qui les humanisent un peu. Manfred le tyran est flanqué d’Hippolita son épouse soumise – mais Manfred est sensible et se laisse fléchir, et Hippolita pas une oie blanche sans personnalité. Matilda, la fille du couple, est virginale et conventionnelle, mais sa servante Bianca est toute ruse féminine et sensualité, comme une conscience inversée de sa maitresse qui se raidit de peur d’aimer. Théodore, candide bon sauvage, esclave des barbaresques arabes de 5 à 18 ans, paraît intact dans sa vertu « de race », tel plus tard un David Copperfield ou un Oliver Twist. Il s’oppose à Frédéric, croisé en Terre sainte mais hanté de libido. Nul n’est parfait mais chacun joue son rôle. Le destin va vaincre l’arbitraire, loi de nature contre volonté trop orgueilleuse des hommes. Le moine Jérôme – mais néanmoins père – ne peut imposer « sa » volonté (qu’il cache derrière celle de l’Église), pas plus que le prince Manfred – père à demi – ne peut imposer son désir à épouser la fille destinée à son fils. Transgression, inceste, usurpation ne sauraient gagner contre le « bon » droit, celui de la nature. Tout comme la vérité « naturelle » des êtres se révèle lors des crises, le destin va rectifier les errements humains.

Nous sommes au siècle de Rousseau, où l’homme secoue l’absolutisme social au nom des « lois naturelles ». Horace Walpole y ajoute l’ingrédient médiéval pour épicer l’action d’un décor à la Walter Scott et situer les passions dans l’intemporel.

Horace Walpole, Le château d’Otrante – histoire gothique, 1764, José Corti 1989, 155 pages, €22.99
Frankenstein et autres romans gothiques, édition Alain Morvan, Gallimard Pléiade 2014, 1373 pages, €57.60

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Muriel Jolivet, Homo Japonicus

muriel jolivet homo japonicus
Cette « socio-analyse » est fondée sur une soixantaine d’interviews de japonais hommes et femmes par une femme qui a vécu près de 30 ans dans le pays. Le développement économique et les restructurations aidant, les valeurs se recentrent, selon les témoignages recueillis durant plusieurs années, sur le développement personnel et la vie de famille.

Mais Jolivet montre bien que la génération qui a construit le Japon actuel s’est sacrifiée : heures supplémentaires gratuites, faibles contacts avec l’épouse, aucune influence sur les enfants, « il n’y a plus guère que leur chien qui ait plaisir à les voir rentrer »… (p.145) Le travail effectué par devoir n’a pas mieux protégé dans la crise des années 1990, ni permis des revenus plus élevés. Les pères n’ont pas eu le temps de l’être, ni l’incitation sociale, maladroits avec leurs enfants, salariés prisonniers de « ce qui se fait » dans leur entreprise, leur vie de couple à l’abandon. Les jeunes, livrés à eux-mêmes et sans modèle paternel attrayant, se cherchent dans la provocation ou le conformisme, s’isolent dans l’Internet (otaku), partent (pour quelques-uns) à l’étranger.

La phobie scolaire (62 228 cas en 1996 selon le ministère de l’Éducation japonais) devient apathie pour les études ou dégoût du travail. La mère investit tout sur son fils, engendrant inceste affectif et comportement de “mama’s boy” – ce qui entraîne à l’école le bizutage du garçon ainsi différent (ijime), et plus tard l’impuissance sexuelle, le garçon étant « castré » par une mère possessive. Le désir d’enfant recule car « nulle femme n’égalera ma mère » et « je ne voudrais pas que mes enfants aient un père comme j’en ai eu un, charmant à l’extérieur, tyrannique chez lui ».

Les devoirs sociaux régressent car il n’y a plus rien en contrepartie, « pas de tradition d’aide sociale » et à Kobe, après le tremblement de terre, « une hiérarchie dans le malheur » (p.544), « comme si le pays essayait de se débarrasser des victimes » (p.553).

Les jeunes générations d’aujourd’hui esquivent les contraintes en surfant sur la conjoncture qui exige un emploi plus flexible, une ouverture plus grande à l’étranger et un nomadisme requis par la modernité.

groupe de jeunes japonais

Car il ne faut pas croire que l’individu n’existe pas, au Japon : en témoigne le zen, voie individuelle vers le salut – dans la tradition collective cependant, et sous la férule d’un Maître. Mais le Japon ne connaît pas l’individu abstrait du christianisme, relayé par les Lumières, devenu de nos jours narcissique, égoïste, antisocial, hanté par la résistance au « pouvoir ». Les enfants des baby-boomers nés entre 1971 et 1975 ont au Japon des revenus financiers moins élevés que leurs parents, ils deviennent beaucoup plus individualistes parce que voulant avant tout assouvir leurs besoins matériels.

L’individu japonais est le produit d’équilibres provisoires, un processus défini par la société et son époque. L’individu est alors un élément infime du Tout en constante évolution et non pas comme chez nous un fils intangible de Dieu.

salaryman japon

En témoigne ce film d’Akira Kurosawa, “Vivre”, sorti en 1952. M. Watanabe est un chef de bureau confit en routine depuis 30 ans. Brusquement atteint par un cancer, il découvre la liberté de vivre et d’agir selon ses convictions. Il use alors de tout son poids bureaucratique pour faire aboutir un projet de parc pour enfants qu’une délégation de quartier s’efforçait de faire aboutir depuis des années. L’individu peut donc agir dans la société japonaise : par son exemple, il arrive à convaincre et à entraîner les autres. Watanabe ne joue pas en solo mais joue des services bureaucratiques les uns contre les autres, un groupe légitime (les mères de famille) contre un autre (la bureaucratie).

Les collégiens sont eux aussi poussés à prendre des responsabilités personnelles, mais au sein d’un groupe et devant lui. Ils n’ont pas à donner leur avis à part de tous les autres, en toute indépendance. Car l’action juste est le bien de l’équipe dans laquelle on est inséré. Chacun est responsable et personnellement comptable de ses actes devant elle. Il s’agit de bien faire, d’être le meilleur pour faire honneur à son groupe puis, à travers lui, à l’école et au pays tout entier. Cela rappelle la morale de la meute scoute de mes années de Louveteau, et se sent dans les contacts avec les écoliers japonais « obligés » par l’institution scolaire à aborder à trois ou quatre les étrangers pour exercer leur anglais.

Il faut savoir que notre conversion à l’égalitarisme aux apparences américaines ne date en France que de l’après-68. Influencée majoritairement par le ciné et les séries télévisées. Elle est plus dans les discours « corrects » que dans les faits concrets car chaque nouveau riche veut « paraître » – et son discours égalitaire cède vite le pas au narcissisme du rôle.

Regarder le Japon avec les yeux du sociologue, même si les interviews commencent à dater dans un pays qui bouge très vite, est une façon de se dépayser. Ce livre très intéressant permet de mieux se connaître tout en abordant les Japonais de façon plus indulgente, plus naturelle.

Muriel Jolivet, Homo Japonicus, 2000, Picquier Poche 2002, 650 pages, €29.50 (édition épuisée, en occasion).

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William Faulkner, Absalon, Absalon !

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Tout commence par une scène primitive : un « nègre-singe » d’une grande plantation de Virginie renvoie un gamin anglo-écossais de 14 ans, vêtu en tout et pout tout d’une salopette de coton bleu recoupée à sa taille et rapiécée, à la porte de derrière pour qu’il porte sa commission. Le gamin, devenu brusquement homme par cette injustice biblique (un fils de Cham rabrouant un fils de Japhet !), est Thomas Sutpen ; il décide de prendre désormais son destin en main, tout seul, puisque Dieu et son père ont failli.

Il quitte donc la cabane où végète son paternel ivrogne et ses sœurs mères sans mari, pour aller tenter fortune ailleurs. Aux îles occidentales il réussit, jusqu’à épouser la fille d’un planteur après une révolte d’esclaves où il a fait montre de sa bravoure. Mais la fille a une tare dissimulée : elle est un peu nègre. Il négocie alors la séparation et laisse la propriété et le fils issu de cette union pour n’emporter avec lui dans l’état du Mississippi qu’une vingtaine d’esclaves nègres qui travaillent nus. Il fait sensation lorsqu’il débarque dans la petite ville endormie du sud où il va s’établir, négociant cent milles carrés de terre aux Indiens pour y établir une plantation de coton. Il va choisir soigneusement une épouse, fille de pasteur méthodiste, en avoir deux enfants, un garçon Henry et une fille Judith, et engrosser accessoirement une négresse puis la fille de 15 ans d’un pauvre Blanc paludéen. Il a désormais réussi à bâtir sa vie – sa maison, son industrie et sa descendance – de ses propres mains, sans l’aide ni d’un Dieu injuste ni de sa famille incapable.

Cet orgueil, proprement démoniaque, va le perdre. « Il habitait cette solitude de mépris et de méfiance qu’apporte le succès à celui qui l’a conquis parce qu’il était fort au lieu d’être simplement chanceux » chap.4. Sutpen lâche la proie (la vie éternelle) pour l’ombre (le pouvoir ici-bas où prestige et loisir appartiennent à la caste des planteurs). Macho, paternaliste, pater familias tout-puissant, Sutpen supplante Dieu : « l’autre sexe est divisé en trois catégories distinctes séparées (pour deux d’entre elles) par un abîme que l’on ne peut franchir qu’une seule fois et dans une seule direction – les dames, les femmes et les femelles » chap.4. William Faulkner, né en 1897 dans l’État du Mississippi, appartient à ce genre de vieille famille aristocratique qui sera ruinée par la guerre de Sécession. Et c’est en effet la guerre, mais pas seulement, qui va miner le château de sable bâti par Sutpen par sa seule force morale. Car l’homme n’est pas tout seul, Satan le fait croire mais dérange l’ordre divin, ange déchu défiant le Dieu unique. Tout dépend de Jéhovah ou du Destin, selon que l’on croit ou non, en tout cas de forces qui dépassent la maîtrise humaine. L’intelligence est de faire avec et de naviguer par tous les temps, pas de passer en force. En 1910, lorsqu’est raconté l’histoire, les grands-pères sont vaincus et les fils de Cham libérés, les plantations remplacées par l’industrie et l’égalité du nord a submergé l’aristocratie du sud.

torse nu salopette

Pire, le nord et sa mentalité ont gagné : « les principes d’honneur, de bienséance et de savoir-vivre appliqués à l’instinct humain parfaitement normal que vous autres Anglo-Saxons vous obstinez à nommer concupiscence (…) la perte de ce que vous appelez la grâce entourée d’une nuée obscure de paroles blasphématoires d’atténuation et d’explication, le retour à la grâce proclamé par les hurlements expiatoires d’un rassasiement d’humilité et de flagellation, dans ni l’un ni l’autre desquels – le blasphème ou l’expiation – le ciel ne peut trouver d’intérêt ni même, après les deux ou trois premières fois, de divertissement » chap.4. Le puritanisme, voilà l’ennemi ! « Il croyait au malheur à cause de cette éducation rigoriste, ardue et poussiéreuse d’eunuque qui enseignait que l’homme doit abandonner sa chance et ses joies à Dieu » chap.8.

Absalom (dont on ne prononce pas le m, d’où l’écriture en -on), est dans l’Ancien testament le troisième fils de David. Audacieux mais gâté par l’ambition, il tue son demi-frère Amnon, épris de la sœur d’Absalom Tamar qu’il a violée. Entrainé par l’orgueil de ce premier succès, il complote contre le roi son père mais est vaincu. Dans sa fuite, son opulente chevelure dont il est si fier (signe de virilité dans la Bible), se prend aux branches d’un térébinthe sauvage ; il est rattrapé et tué, malgré les ordres de David. Dieu a puni l’orgueil, malgré le père, son héros préféré. Absalom a eu des filles mais pas de fils, au grand dam de sa virilité irrésistible. Faulkner reprend ce schéma implacable du Dieu vengeur, jaloux paranoïaque, pour interpréter la situation faite au sud sécessionniste.

Car il y a pour lui une malédiction du sud, une punition jéhovesque par les élus puritains du nord sortis du Mayflower par la décadence due au péché originel de l’esclavage, importé des mœurs françaises aristocratiques. « Elle avait vu tout presque tout ce qu’elle avait appris à considérer comme stable se disperser comme des brins de paille dans une tempête » chap.6. Sécession ratée, plantations ruinées, nègres émancipés et – le pire – mélange ethnique insupportable du à la concupiscence sexuelle, dégénérescence raciale qui fait régresser auprès de Dieu, lui qui a clairement distingué dans la descendance de Noé ses fils Sem, Cham et Japhet. Le second, s’étant moqué de son père qui montrait à nu son sexe dans son ivresse, s’est vu maudit par lui et rendu esclave de ses frères, Sem le sémite élu du Dieu jaloux et Japhet dont sont issus les autres Blancs, domine Cham, l’ancêtre des Noirs.

Au-delà du suicide de la société sécessionniste, l’un des thèmes du roman est donc le racisme de la société du sud. Sutpen en est exempt, qui travaille nu avec ses nègres et ne les bat jamais, sauf à la loyale, ce qui révulse et fait vomir son fils quand il le voit, à 14 ans. En cause, l’intégrisme mortifère de l’Ancien testament, l’interprétation puritaine de la Bible qui oublie les Évangiles. Mais un autre thème en est l’orgueil comptable, lui aussi ancré dans la mentalité américaine comme en témoigne le récent krach des subprimes.

Sutpen a voulu se faire tout seul, il croit que l’humain se calcule et que cette comptabilité doit livrer son bénéfice si les efforts ont été suffisants, niant la liberté humaine. Il a répudié sa première femme non pour sa part nègre mais parce que le statut social inférieur que lui confère ce mensonge plus ou moins su ne sert pas ses desseins calculateurs d’ambition sociale ; celle-ci s’est vengée en lançant leur fils Charles à l’assaut de sa demi-sœur Judith, pour la séduire et commettre l’inceste ; Charles le nonchalant n’aime pas cette fille et attend surtout que son père biologique Thomas le reconnaisse ; mais il n’en est rien, Sutpen laisse faire, et la séduction que Charles exerce sur son demi-frère Henry signe sa perte car il n’est rien de pire qu’un amour déçu. « Peut-être, dans son fatalisme, était-ce Henry qu’il aimait le plus des deux, ne voyant peut-être dans la sœur que le double, le vase féminin au moyen de quoi consommer l’amour dont le jeune homme était le véritable objet » chap.4. Caïn va se venger d’Abel dans l’absence du Père, vouant Judith à la stérilité et poussant Sutpen à vouloir un autre fils avec la fille de 15 ans de son métayer – qui va le tuer. Ne restera de toute cette descendance stérile qu’un nègre idiot, engendré par Sutpen avec une esclave. Ô dérision… « Alors c’est le mélange de races, ce n’est pas l’inceste que tu ne peux tolérer » dit Charles à Henry chap.8. Métis, quarterons, octavons et même seizièmes sont insupportables à la « pureté » puritaine, à cette croyance d’être « élu » par Dieu après la déchéance des fils de Sem, élus de l’Ancien, qui ont crucifié Dieu en la personne du Christ. Sutpen s’est battu non seulement contre Dieu mais aussi contre la société, faisant des êtres ses pions. C’est de tout cela qu’il pâtit.

Comme trop souvent chez Faulkner, le roman commence trépidant avant de se perdre en marécages, puis de retrouver un rythme sur la fin. Absalon n’y échappe pas, signe d’un processus d’écriture difficile avec narrateurs-relais. Le trop lourd chapitre 5 aligne de façon incantatoire des phrases à la Proust emplies d’incises subordonnées ou entre parenthèses. Page après page – éditées en cet italique très pénible à lire – s’étend le bavardage inconséquent et logomachique de Rosa la vieille fille, logorrhée incontinente comme un radotage d’auteur un peu fêlé – une limite de cette littérature dont la démesure rappelle l’ambition de Sutpen. Mais la construction en suspenses et retours en arrière, ne livrant à chaque fois que des bribes d’informations au lecteur, tient en haleine et donne du souffle à mon avis bien mieux que les maniaqueries de composition, télescopages de mots et absence de ponctuation. Contrairement à ce qu’affirment les progressistes, toujours en mal de « transgression » de tout et de n’importe quoi – comme si seule la transgression faisait « moderne ».

William Faulkner, Absalon, Absalon ! (Absalom, Absalom !), 1936, Gallimard L’Imaginaire 2000, 434 pages, €13.50
William Faulkner, Œuvres romanesques tome 2, Gallimard Pléiade 1995, 1479 pages, €58.90

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William Faulkner, Le bruit et la fureur

william faulkner le bruit et la fureur
Voici « le chef-d’œuvre » du maître américain selon les spécialistes, le livre préféré de son auteur ainsi qu’il le dit. Il l’a écrit avec aisance, comme en croissance organique proliférant à partir d’une scène initiale, très chargée érotiquement. La curiosité des narrateurs est née lorsqu’ils étaient enfants au vu de la culotte salie de boue de leur sœur en train de grimper à l’arbre pour observer la chambre où leur grand-mère vient de décéder.

Pas de composition rationnelle pour cette histoire contée par les quatre personnages, chacun donnant un point de vue différent sur le même sujet, à une journée près. Quatre narrateurs, Benjy l’idiot né en 1897 (dont le nom de baptême est Maury), Quentin le frère né en 1890, Jason l’autre frère né en 1894, et Disley la vieille négresse qui règne sur la cuisine de la maisonnée. Quatre parties, chacune englobant et retissant la précédente, commençant le 7 avril 1928 avant un retour au 2 juin 1910, puis revenant aux 6 et 8 avril 1928, journées où tout va se dénouer.

Ce qui se dénoue est une tragédie grecque dans le sud vaincu des États-Unis, une histoire de famille maudite. Un père alcoolique, une mère aboulique, un fils idiot, un autre incestueux, une fille perdue – seul le dernier semble avoir la tête sur les épaules et les pieds sur terre (avec le sens des affaires). Mais tout le reste de sa famille va le perdre, la fille issue de l’inceste devenant pute et larguant les amarres à 17 ans avec le magot amassé de l’oncle. Pas simple au lecteur de s’y retrouver, les personnages ayant pris le nom de leur grand-père ou oncle, ce pourquoi Quentin est à la fois un mâle (en tant que frère incestueux de Caddy née en 1892) et une femelle en tant que fille née de ces amours réprouvés (en 1911) ; on a donc parfois sur la même page le Quentin « il » et le Quentin « elle » (qui se prononce en anglais cantine, ce qui n’est pas très heureux en français).

Mais si l’histoire est complexe, hantée par la famille de l’auteur autant que par la luxuriance érotique de la végétation du Mississippi, le style fait l’écrivain. Il tente une expérimentation littéraire en faisant narrer par un idiot une histoire shakespearienne pleine de bruit et de fureur, incluant des incidentes en plein monologue sous forme d’images subjectives en italiques, donnant des pages entières sans aucune ponctuation, usant de l’ellipse et de l’allusion. « Puissance de l’inexprimé », dit le préfacier traducteur Maurice-Edgar Coindreau. Pour Benjy, tout détail, à chaque instant, lui remet en mémoire le passé. Ainsi du « caddie ! » crié par les joueurs de golf près de la propriété qui lui rappelle Caddy, sa sœur adorée désormais mariée et loin de la maison. Le second narrateur, Quentin, est plus rationnel, étudiant à Harvard mais suicidaire parce que son seul amour est pour sa sœur Caddy et qu’il ne supporte pas la suffisance mâle des camarades qui l’entourent. Il est plus clair mais plus caché, empli de réticences à avouer le fond de son âme, n’en ayant pas pleinement conscience peut-être. Le troisième narrateur, l’autre frère Jason, est aigri de n’avoir pas pu réaliser ses ambitions sociales en raison du poids familial à assumer. Il voit son esprit rétréci à l’immédiat, à l’argent, à l’utilitaire ; il voit la morale de la ville le juger, il soupçonne le complot des boursiers juifs de New York pour le gruger. Ce n’est pas de sa faute mais la fatalité d’une maison en chute : il amasse par économie et détourne les chèques envoyés par Caddy, la mère de Quentin qu’il élève – mais Quentin n’a qu’une aspiration : s’évader de l’étouffement domestique, vivre ses hormones avec le premier forain qui passe. Seuls les Noirs sont sereins, habitués à vivre dans la fatalité depuis longtemps. Chaque narrateur a son style et de ce contraste naît le charme. Point de logique mais le chaos, point de cohérence mais le trouble, point de sécheresse lumineuse mais la touffeur tropicale. C’est ce qui fait que ce roman fascine, que l’on a peine à oublier après l’avoir lu.

C’est moins la chute de cette maison du sud qui a fait le succès du roman en France que son adoption par Sartre, qui s’est empressé de tirer l’auteur vers son idéologie. L’expérimentation textuelle a titillé aussi les auteurs rebelles du « nouveau » roman des années 1950. Ce nouveau roman n’a plus rien de nouveau et apparaît bien ringard, comme une impasse, tandis que Faulkner continue de briller au firmament des lettres américaines. Car la littérature est moins un procédé qu’un art qui vient de l’intérieur. On n’écrit pas avec sa tête mais avec ses tripes, ce qu’aucun Sartre ne pourra jamais comprendre, trop intello et trop enfermé dans son système.

Un livre difficile à aborder mais il faut s’accrocher. La première partie n’est pas fluide et demande attention ; la suite est plus abordable et d’une grande richesse. La scène où Quentin offre à la boulangerie un pain à une petite fille puis manque de se faire lyncher pour pédophilie parce qu’elle le suit partout et ne parle pas anglais, est un moment d’anthologie. Toute l’hypocrisie puritaine et la bêtise humaine, en particulier celle des petit-bourgeois, éclate d’un coup au grand jour.

Voilà un roman que j’ai lu vers 18 ans et que je n’ai jamais oublié ; le relire à l’âge mûr est un enrichissement.

William Faulkner, Le bruit et la fureur (The Sound and The Fury), 1929, Folio 1972, 384 pages, €7.98
Faulkner, Œuvres romanesques tome 1, Gallimard Pléiade, édition Michel Gresset 1977, 1619 pages, €57.00

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Yukio Mishima, La musique

yukio mishima la musiqueMishima s’amuse, il mène le lecteur en bateau, il joue l’acteur d’un ton sérieux, mimant le psychanalyste. Ce roman étrange de sa dernière période, 1965, est en décalage avec tous ceux jusqu’ici traduits en français. Mais l’auteur était caméléon, capable d’écrire à toute vitesse des romans à l’eau de rose. Celui-ci est une satire, d’un ton badin, de cette invention juive européenne qui connaît dans les années 1960 un grand engouement aux États-Unis et aborde le Japon où elle est considérée avec intérêt par les intellectuels snobs : la psychanalyse.

Une jeune femme, Reiko, vient se faire analyser au cabinet du docteur Shiomi, elle est atteinte d’hystérie. En fait, elle est frigide et le lecteur, après des récits embrouillés où le mensonge, la manipulation et les impasses pullulent, comprend qu’un inceste a eu lieu avec son frère et que le désir du pénis comme le complexe de castration ont poussé la jeune fille à ne plus entendre « la musique ». Cette musique est la métaphore de la jouissance sexuelle.

Il y a, comme dans tous les romans de Mishima, le beau jeune homme vigoureux (Ryûichi amoureux de Reiko), l’adolescent transi qui poursuit des idées de suicide par impuissance sexuelle (Hanai), le frère vieux beau tombé entre les griffes des yakuzas – et des maitresses femmes : Reiko en premier, manipulatrice et fabulatrice, Akemi en second, assistante du docteur, qui le mène par son intuition.

Mais, à l’inverse des autres romans classiques de Mishima, la nature est fort peu présente et le style volontairement neutre, en apparence objectif, tourné vers la dérision. La « science » occidentale est surtout un discours ; le psychanalyste enfile les mots-clés d’une abstraction et croit avoir sondé les reins et les cœurs. Reiko la femelle, sinueuse comme une renarde, déjoue tous les pièges. Et, vers le milieu du livre, Mishima avoue : « la psychanalyse, c’est la destruction de la culture japonaise traditionnelle » p.172. Certes, cette charge est faite sous le couvert d’une carte anonyme écrite par le rageur Hanai sur le ton de l’extrême-droite nationaliste pour se venger du docteur de Reiko. Mais il y a un cri du cœur que l’auteur reprendra avec ampleur dans sa tétralogie de La mer de la fertilité.

Il tourne ses obsessions intimes en ressentiment contre la psychanalyse occidentale : « la névrose obsessionnelle observée chez les hommes [dont lui, Kimitake Hiraoka, dit Yukio Mishima] a pour principal symptôme les souffrances mentales. C’est donc – et l’on remarquera l’aspect éminemment ironique d’une telle situation – grâce à la névrose que les jeunes d’aujourd’hui, dans ce monde où personne ne lit plus, et eux moins que quiconque, sont amenés à connaître directement les tourments de ces souffrances » p.179. Le sexe, intellectualisé, donne ces tordus névrosés dont les romans de Mishima sont remplis – et dont les victimes se font romanciers.

Ce n’est pas le meilleur roman de l’auteur et l’on comprend qu’il ait fallu attendre l’an 2000 pour qu’il soit enfin traduit en France – et directement du japonais cette fois, sans passer par l’anglais. Mais le ton de raillerie, l’enquête quasi policière, les fabulations d’une hystérique attachante rappellent en moins fort et en très japonais la Lisbeth de Stig Larsson.

Yukio Mishima, La musique, 1965, traduit du japonais par Dominique Palmé, Folio 2012, 320 pages, €7.03

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Faits divers à Tahiti

Le mari violent tue son voisin de 73 ans. A Faa’a, encore ! Une grosse dispute conjugale tourne au drame. Des voisins excédés par le bruit, les menaces, les cris, habitant à une trentaine de mètres de la scène de ménage se sont approchés et l’homme de 73 ans a voulu s’interposer. Mal lui en a pris, le mari violent, enseignant de profession, armé de son coupe-coupe s’est rué sur le vieil homme et lui a asséné un coup terrible au niveau de la tête. La femme du papy venue à son secours a été blessée à une main ; le beau-fils du couple de retraités a tenté de désarmer le forcené a lui aussi été blessé… Le papy est décédé et l’agresseur est en prison.

Autre cas, un homme de 63 ans, victime de cambriolages en série, est racketté et menacé de mort chez lui. Il est inquiet, on le serait à moins. La police enquêterait mais n’aurait toujours pas de piste, mais… Il n’a que 15 ans. C’est lui pourtant qui cambriolait son voisin sexagénaire, qui le rackettait et le menaçait de mort. L’affaire racontée dans La Dépêche a permis à la police de mettre la main sur ce petit caïd, déjà connu de leurs services.

gendarme farani

Polynésie première nous a diffusé le dernier documentaire de Jacques Navarro-Rovira. Durant près d’un an le réalisateur plusieurs fois primé au Fifo a suivi les hommes et les femmes de la Brigade territoriale des Tuamotu Centre (BTTO) lors de leurs missions dans sept atolls parmi les plus isolés. 52 minutes de plaisir et de découverte.

Un gendarme annonce qu’il est le même dans le 77 (Seine et Marne) et à Takaroa aux Tuamotu. Le quotidien de ces huit gendarmes, 4 métropolitains et 4 Polynésiens dont deux femmes est d’être tour à tour gendarme, notaire, huissier, examinateur du permis de conduire, assistante sociale, psychologue, voire pasteur sur ces atolls où les problèmes existent et où les lois de la République semblent inappropriées. Des scènes cocasses où l’examinateur doit faire passer le permis de conduire alors qu’il n’y a qu’une seule voiture sur l’atoll et inutilisable depuis plusieurs années. Sur un autre atoll, comment passer d’une route départementale sur une autoroute alors que l’atoll n’a qu’une route de corail et une voiture qui peine à rouler.

Un autre  gendarme reçoit un habitant venu porter plainte pour le vol de paka (cannabis) dans son champ ! Cette soirée où les gendarmes détruisent paka et bulletins de vote en même temps, tout en devisant. Une scène, la scène-clé du documentaire, la plus tendue, où un déséquilibré circulant à vélo et portant le drapeau des Indépendantistes menace les gendarmes. Le lendemain, après discussion il acceptera de recevoir une piqûre de calmant.

rapt vahine

Une scène marquante pour moi : la gendarme interroge un homme jeune soupçonné d’inceste. La sœur, élève en 4ème au collège, a porté plainte contre lui. L’officier de police tente de lui faire avouer, tirant mot après mot, ce qu’il a fait en employant des termes simples. L’audition est éprouvante pour la gendarme, mais l’adolescent finira par avouer. Pourquoi fais-tu cela à tes sœurs ? Fais l’amour avec ta petite amie. – J’ai pas de petite amie…

La Polynésie très loin des clichés pour touristes ! Si vous avez un jour l’occasion, visionnez Makatea, Marquisien mon frère, ou La compagnie des Archipels.

Hiata de Tahiti

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Gai, gai, marions nous !

Les débats s’endorment à l’Assemblée, où l’absentéisme est toujours abyssal en raison du cumul des mandats. En raison de la rafale d’amendements de l’opposition aussi, mais c’est de bonne guerre, la gauche a tellement utilisé cette tactique depuis des années… Droite assez stupide d’ailleurs, qui se contente de bloquer toute évolution sans proposer aucun argument de raison autre que l’inceste et la polygamie (déjà légaux puisque les enfants nés ainsi à l’étranger peuvent rejoindre leurs parents établis en France : y a-t-on pensé ?…). Et les Français en ont déjà marre, têtes de linotte pour qui un « débat » doit se trancher très vite, habitude héritée du droit divin catholique et de la présidence impériale Vème République.

Il ne leur vient pas à l’idée que « la démocratie », dont ils ont d’habitude plein la bouche, exige le débat contradictoire, et jusqu’à ce que tous les arguments soient sur la place publique ? Mais il est vrai que les Français et la démocratie, ça fait deux. Entre une existence sociale éduquée à l’individualisme matheux, au fonctionnement pyramidal des entreprises et au système politique où règne le culte du Chef et où le Parlement est croupion, comment penser une seule seconde qu’une « démocratie » puisse sereinement exister ? Blanc seing est donc donné aux partis et aux zassociations (qui ne représentent qu’elles-mêmes), voire aux « experts » soigneusement sélectionnés par le bord politique au pouvoir, de « dire le droit ». Les citoyens se contentent de brailler dans la rue et sur le net, et leurs députés de faire les pitres, sans aucun intérêt pour le débat ni pour la démocratie. Les Anglais, au même moment et sur le même sujet, sont bien plus cohérents !

couple pigeons

Je n’ai aucun a priori sur l’union de deux êtres, fussent-ils de même sexe, à condition qu’ils soient adultes et consentants. Mais la société a quelque chose à dire sur la transmission : du nom, des biens, des devoirs. Il s’agit d’ordre public. L’origine du mot « marier » est intéressante : il s’agit de pure biologie, « unir des arbres à la vigne ». Autrement dit greffer une branche venue d’ailleurs sur une souche. Marier une fille est le sens dérivé d’associer deux familles par une union sexuelle, dans le but de produire des enfants et d’assurer la transmission de l’héritage (nom, réputation, biens, métier…). Le sens plus moderne (déjà au XVIIème siècle…) étend le concept jusqu’à « allier avec une idée d’harmonie », selon le Robert historique de la langue française.

Le mot « mariage » est né en français en 1135 comme une action de s’unir d’abord (constatation), puis comme un sacrement de l’église catholique, au moment où le mariage des prêtres devenait interdit par la réforme grégorienne. L’église protégeait d’ailleurs l’amour contre les intérêts, puisqu’elle demandait à égalité le consentement public de chacun des époux, mâle et femelle, et ne sacrait pas un mariage trop précoce. Ce n’est qu’avec Napoléon, après la Révolution, qu’apparaît la notion de « mariage civil », contrat bourgeois (et traditionnel) qui laisse le sacrement aux croyances de chacun. Nous vivons jusqu’ici sous ce régime résolument moderne, à l’exception du divorce et de l’égalité entre époux, conquêtes récentes du XXème siècle. Puisque le mariage en droit est un « contrat » entre égaux de répartition des biens (communauté réduite aux acquêts, communauté universelle ou séparation de biens), pourquoi ne pas en faire bénéficier tous ceux qui veulent s’allier ?

Mais le sexe vient par-dessus, ce qui agite les tabous profonds et met en question les religions du Livre, immobiles depuis 4000 ans (avec nouveau prophète tous les 1000 ans, Moïse, Jésus, Mahomet, Moroni)… L’évolution des mœurs fait que le sexe entre adultes consentants est désormais légal (c’est assez récent), mais il reste contesté par les églises, qui croient en une Révélation figée une fois pour toute. Le patriarcat méditerranéen, berceaux des trois religions du Livre, a soumis depuis des millénaires les femmes aux hommes ; les autoriser à se « marier » entre elles, c’est enfreindre le tabou ; quant aux hommes entre eux, c’est perdre de la semence vouée au « croissez et multipliez » et pervertir les « honnêtes gens » en les focalisant sur le plaisir sexuel au détriment du Salut. Même si le Christ a valorisé nombre de femmes, à commencer par Marie sa mère, mais aussi Marie-Madeleine « la pécheresse » (autrement dit la pute), saint Paul (comme le judaïsme intégriste et plus tard l’islam) a rigoureusement séparé les hommes (appelés à la spiritualité) des femmes (impures et tentatrices). Il n’y a donc que des tabous ou croyances à faire valoir contre le mariage entre personnes du même sexe, aucun argument rationnel.

Je ne peux cependant que m’étonner de voir le contrat bourgeois supplanter l’amour… Les soixantuitards qui avaient jeté slips et soutifs aux orties pour « s’unir » à hue et à dia sur le mode libertaire ont aujourd’hui 60 ans. Ils s’embourgeoisent, se voient atteints par le sida, la solitude, l’absence d’héritiers. Ils désirent alors (tout, tout de suite !) se marier comme les bourgeois, pour bénéficier du confort familial. C’est cela qui me fait douter du bien-fondé des arguments « pour ». Il s’agit d’instincts, pas de raison. Du vulgaire désir irrépressible d’État-providence au civil contre la vieillesse et la dépendance qui viennent, pas de grands principes. Déjà, nombre de ceux qui avaient fui « le système » pour aller vivre nus en Inde où la drogue était libre, étaient vite revenus, une fois la trentaine usée, s’enkyster dans la fonction publique. Combien en ai-je connu de ces soixantuitards-là (instit, profs, facteurs, cantonniers…) !

Reste l’intérêt des enfants : savoir de qui ils sont issus, de qui ils portent le (ou les) noms, qui est leur père et qui est leur mère (au sens biologique), qui va s’occuper d’eux en cas de disparition d’un « parent ». L’angoisse profonde de tous les gosses est d’être abandonnés. La littérature XIXème en a fourni de nombreux exemples (Cosette, Oliver Twist, Rémi de Sans famille, Un capitaine de 15 ans, Romain Kalbris, etc.). Mais peu importe qui s’occupe d’eux, l’important à leur yeux est que quelqu’un les aime, les protège et les élève. Une seule femme ou deux, un seul homme ou deux, un homme et une femme, pourquoi pas trois ou quatre avec les oncles/tantes, les grands-parents et les parrains. Ou même par les fratries (une sœur aînée ou un frère aîné jouant le rôle d’adulte pour les plus jeune). C’était le cas au Moyen-âge où l’on mourait jeune, c’est le cas aujourd’hui avec les divorces, des accidents, les familles décomposées. Même s’il est meilleur qu’un enfant soit élevé par ses deux géniteurs (parce que l’amour est plus « charnel ») il peut être aussi bien élevé par une, deux ou plusieurs personnes (aux rôles sociaux définis) sans que sa construction psychologique n’en souffre. Depuis le temps que le divorce et le veuvage existent, ça se saurait ! Il trouvera ses modèles masculin/féminin autour de lui, s’il est aimé et reconnu comme une personne par au moins un adulte sur lequel il peut compter.

Le mariage est un marchandage entre familles (et entre individus) pour les biens à user et à transmettre – plus aujourd’hui, avec le fisc. L’union est un sentiment durable entre deux êtres, que l’on peut sanctionner ou pas par un sacrement religieux, social ou païen. Je n’ai aucune opinion ni pour ni contre sur ce « droit » de proclamer son union sexuelle à la face de toute la collectivité. Mais avilir l’être en avoir m’étonne de ceux qui se proclament dans le fil des Lumières… Mieux vaudrait aménager la fiscalité (tabou à gauche !) et argumenter contre les religions homophobes en cessant de se coucher devant toute revendication communautariste comme le font si souvent les bobos.

Il y a aussi l’amour, même entre personne du même sexe. N’ayant pas cette expérience, je laisse la parole à un financier gai, Français de New York qui se fait appeler Hadrianus en référence à Yourcenar, découvert par hasard. « L’impossibilité pour certains de vivre l’amour qu’ils ressentent au plus profond de leur cœur, de toute leur âme, parce que la société, leur éducation, les autres, leur apparaissent comme autant d’obstacles qui empêchent la révélation au grand jour de leur amour. Une belle illustration au débat de société qui occupe la France en ce moment. Ici aussi on chuchote et on bouge. L’amendement californien qui revient sur les acquis de la communauté homosexuelle fait du bruit, le mouvement NO H8 se répand et reçoit le soutien de nombreux artistes et personnalités dans tout le pays. Pourtant je continue de m’interroger. N’est-ce pas un phénomène de mode qui pousse les plus jeunes d’entre nous à vouloir à tout prix révéler au monde entier leur inclination sexuelle ? Qu’on lutte contre la violence de l’homophobie latente dans notre monde est une chose, que chacun soit laissé libre de ses choix et de ses inclinations sans que cela nous regarde c’est fondamental et il est impensable qu’il en soit autrement. Mais le coming-out est-il obligatoire ? Est-on anormal quand on ne ressent pas le besoin de dire à voix haute et à tous ce qu’on est et ce qu’on vit ? L’amour, le sexe, nos désirs et nos répulsions, tout cela n’appartient qu’à nous. En quoi les autres, la famille, les amis, les voisins, ont-ils besoin de savoir avec qui et comment on couche ? » Je ne vous donne pas le lien, le politiquement correct ne l’autorise pas aux quelques collégiens qui suivent mon blog, mais la note est parue le 30 décembre 2012.

Ce n’est pas la loi qui fait l’amour, ce sont les gens. L’union fait la force, le mariage fait le divorce : quel « progrès »…

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Romain Gary, Les mangeurs d’étoiles

Ce roman, paru il y a un demi-siècle, reste d’actualité en Amérique latine, en Afrique, dans les pays arabes. Les mangeurs d’étoiles sont les hallucinés ; ils mâchent des feuilles, des herbes ou des champignons pour voir la vie en rose. Ils se gorgent d’idéologie, d’indigénité (appelée chez nous « identité nationale ») ou de religion. Ils se croient missionnés pour le Bien, faire le bonheur des gens malgré eux. Ce sont des dictateurs, des gourous, des « révolutionnaires ». Ou bien des colonialistes, exploiteurs ou donateurs à bonne conscience.

Romain Gary, né en Russie et arrivé en France à 14 ans, s’est engagé en 1940 dans la France libre. Compagnon de la Libération, il devient consul de France notamment en Amérique latine. C’est dire s’il connait bien des contrées et leurs mœurs, dans ces années 1960 toutes acquises aux « révolutionnaires » agrariens : Che Guevara et Fidel Castro. Sauf que lui les côtoie de près ; qu’il n’est pas intello de Normale Sup ni des cafés enfumés de Saint-Germain des Prés où l’on refait le monde en théorie dans un fauteuil. Il a connu la famine sous Staline, la guerre contre les fascismes et le cynisme communiste. Il est donc immunisé.

Ce qui nous vaut ce roman picaresque, écrit d’une plume alerte, avec la verve d’une jeunesse bien vécue. Avant Guy Debord, son humanité saltimbanque vaut bien la société du spectacle. La politique est un théâtre, pas plus honorifique que les acteurs des cafés-concerts ou les numéros de cirque des clowns et des acrobates – ou même des télévangélistes ! La faute à qui, si l’être humain est devenu histrion ? A la religion d’abord, puis au marxisme devenu dogme qui lui a succédé. Toute Vérité révélée se veut totalitaire. Ce ne sont pas nos imams braillards d’aujourd’hui qui démentiront le portrait.

Ce pourquoi il faut relire Romain Gary qui décortique avec jubilation ce grand guignol fait d’artifices et de coups de gueule, dont Chavez est le dernier avatar.

José Almayo est un pauvre indien Cujon (invention de l’auteur qui peut se prononcer couronne ou couillon). Il a le visage impassible d’un dieu maya, mais avec du sang espagnol. Poussé aux études par les curés, devenu prostitué à 14 ans pour acquérir la gloire de toréer, il enrage d’être peu doué et de se faire moquer. « Quand on est né indien, si on veut s’en sortir, il faut le talent ou il faut se battre. Il faut être torero, boxeur ou pistolero » p.117. On dirait aujourd’hui chanteur, footeux ou terroriste – mais rien n’a changé. A 17 ans, il quitte son gras protecteur pour revenir au village consulter le prêtre qui l’a sorti de la glèbe. Il n’a pas réussi avec Dieu et le bien, il lui demande donc par contraste quels sont les plus grands péchés. Le vieux lui répond la sodomie, l’inceste et le meurtre d’un religieux.

Tout ce qu’on lui a appris est faux. « En fait, tout était mal, il n’y avait de bien que la résignation, la soumission, l’acceptation silencieuse de leur sort et la prière pour le repos de l’âme de leurs enfants, morts de sous-alimentation ou d’absence totale d’hygiène, de médecins ou de médicaments. Tout ce qu’ils avaient envie de faire, les Indiens, forniquer, travailler un peu moins, tuer leurs maîtres et leur prendre la terre, tout cela était très mauvais, non ? Le Diable rôdait derrière ces idées, on leur expliquait ça sans arrêt. Alors, il y en a qui ont fini par comprendre et qui se sont mis à croire très sérieusement au Diable » p.133. Et aux Américains, puisque les bien-pensants de gauche les accusent d’être impérialistes – Almayo les trouve donc irrésistibles.

L’éphèbe José décide donc de changer de protecteur. Exit Dieu, appel au Diable, El Señor en espagnol. Il tue le prêtre « respectueusement », puis copule avec sa sœur (déjà déflorée par son frère aîné) ; la sodomie, il a déjà donné. Mais il sait que le cul est sans importance pour devenir quelqu’un. Il entre dans la police, se crée des protections, en devient chef, puis renverse le dictateur en place avec un quarteron de généraux, avant de faire place nette pour lui tout seul. La protection majeure est celle des États-Unis et, dans ces années de guerre froide, s’afficher marxiste est le seul moyen de faire affluer l’aide américaine. L’idéologie, il s’en fout, comme tous les histrions, Mélenchon y compris ; ce qui compte est la gloire, qui garantit le pouvoir et l’argent. Le monde a-t-il changé ?

Il cherche à rencontrer le diable et, pour cela, convoque les plus grands manipulateurs qu’il peut trouver. Staline est mort, comme Hitler, c’est dommage ; il se rabat sur le meilleur casting du temps. Le Dr Horwat le télévangéliste américain blond, Agge Olson le ventriloque danois, le jeune cubain supermâle aux dents aurifiées, Charlie Kuhn né Majid Kura à Alep le directeur d’une agence artistique, Monsieur Antoine le jongleur de Marseille, Manulesco le juif roumain violoniste, John Seldon l’avocat d’affaires du dictateur – et même la pute américaine, très jeune actrice nominée, qui lui sert de maitresse kleenex – sont des rôles composés. Tous se croient géniaux, utiles à l’humanité. Ils ne sont que des pantins mus par la vanité. Le pouvoir ou l’argent ne sont rien face à la gloire…

Le roman commence au moment ou le capitaine Garcia, aussi roublard et borné que le sergent de Zorro, reçoit l’ordre – donné par le dictateur lui-même – de fusiller tout ce petit monde, sa mère comprise. C’est que la révolution gronde à nouveau, un jeunot guévariste veut lui ravir la place. Quoi de mieux que de tuer des étrangers, d’en accuser le rebelle, et de recevoir des marines venus ramener l’ordre ? Sauf que rien ne se passe comme prévu. Le Diable se rit des humains qui croient en lui. Dieu aussi, semble-t-il, puisque la conne américaine, devenue sa maitresse, se sent coupable d’être née nantie, socialement inutile. Elle veut « se réaliser » et « s’exprimer », scies de la jeunesse des années 60. En voulant faire le bien elle fait le mal, tant l’enfer est pavé de bonnes intentions. Le développement trop brutal pousse les masses à la révolte, les réalisations « culturelles » se font au détriment de la misère et du chômage (n’est-ce pas, Martine Aubry ?).

L’auteur se place en observateur de la comédie humaine, ces « révolutionnaires » en paroles pour faire l’acteur, mais avides de gloire égoïste qui donne le pouvoir et l’argent. Il crée le personnage de Radetzky, conseiller de José Almayo, qui se dit ex-parachutiste de Hitler comme Skorzeny, en réalité journaliste suédois né Leif Bergstrom et aventurier comme Romain Gary. Lui aussi joue un rôle, la différence est qu’il ne se prend pas au sérieux et met sa vie en jeu.

Leçon du livre : « Après tout, il n’y a pas d’autre authenticité accessible à l’homme que de mimer jusqu’au bout son rôle et de demeurer fidèle jusqu’à la mort à la comédie et au personnage qu’il avait choisis. C’est ainsi que les hommes faisaient l’Histoire, leur seule authenticité véritable et posthume » p.386. Oui, mais l’histoire jugera – elle est impitoyable aux faiseurs.

Romain Gary, Les mangeurs d’étoiles, 1966, Folio 1981, 448 pages, €7.69

Romain Gary présente lui-même Les mangeurs d’étoiles en archives INA

Eva Bester parle en vidéo des Mangeurs d’étoiles sur Arte

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Didier Lett, Frères et sœurs

Ce livre est la version poche et sans images de la précédente édition, publiée à La Martinière en 2004 sous le titre Histoire des frères et sœurs. Didier Lett n’est pas psy mais historien, ce qui rend son livre beaucoup plus digeste et moins sectaire. Professeur d’histoire médiévale à Paris VII, il a beaucoup étudié la famille, l’enfance, la parenté dans les siècles européens. Il décline en sept chapitres l’histoire du lien fraternel (qu’il appelle adelphique – de même matrice – pour éviter la suprématie mâle). Il égrène la fascination des jumeaux (frères ou sœurs « parfaits ») jusqu’aux demi des familles recomposées d’aujourd’hui et d’hier.

Le lien de même génération est précieux, mais il peut être la meilleure ou la pire des choses. Rien de mieux qu’un frère, dit-on, ce pourquoi les amis les plus chers sont des « frères » ; mais rien de pire que la haine entre frères (ou sœurs), elle est la plus implacable et la plus féroce. Hier existaient les larges fratries, la conception maternelle ayant lieu tous les 18 mois environ ; mais la mortalité infantile était forte et les écarts entre frères et sœurs pouvaient être grands, transformant souvent les aînés en parents de substitution. La fratrie diminue nettement aux XIXe et XXe siècles, mais les écarts se normalisent, entre 2 et 7 ans. Les adelphes sont ainsi plus proches. Se pose alors pour eux la question de se construire dans la fratrie. Ce n’est pas la même chose d’être aîné, cadet ou benjamin, voire enfant unique ! Souvent relai des parents, l’aîné peut être plus conservateur tandis que le cadet, protégé du premier qui essuie les plâtres, est plus curieux et ose plus. Mais c’est encore le benjamin qui s’exprime le mieux, le plus longtemps choyé par le plus de monde, petit dernier rusé comme le Petit Poucet.

Dans l’histoire, le partage de l’héritage a bien changé. Relativement égalitaire dans le haut Moyen Âge – ou les sœurs pouvaient hériter, et complètement en l’absence de garçons – tout change au XIe siècle où triomphe l’aîné. Le fils prend la succession du père dans ses biens, son nom et ses armes. Les cadets doivent trouver fortune ailleurs, dans les arts, les armes et les lois – ou les ordres. Quant aux sœurs, elles sont dotées et basta. La Révolution française établit l’égalité entre descendants, qu’ils soient filles ou garçons. Mais il faut attendre les années 1970 pour que les « bâtards » aient les mêmes droits.

Dans la culture sociale, la « fraternité » est ce lien issu du christianisme où tous les hommes sont frères dans le Christ. La Révolution a repris le terme pour l’appliquer aux citoyens (donc pas aux non-citoyens…). Le culte de l’amitié s’est développé à l’époque romantique pour renouveler la chevalerie où l’on était uni par les liens de lignage et d’hommage. Un compère devient un frère par le lien de parrainage d’un enfant. Les jeux depuis l’enfance rendent la complicité d’autant plus forte, ce pourquoi des mouvements comme le scoutisme ou le club de voile ou d’arts martiaux sont si importants dans la construction de la personne. Entre amis, mais aussi avec des amies. Trouver l’âme sœur est l’expression qui traduit le mieux cette propension à chercher un lien fraternel avec qui deviendra sa femme (ou un frère pour une fille). Parfois jusqu’à l’inceste, comme ces Enfants terribles de Cocteau.

Ce pourquoi le conjoint doit toujours comprendre le lien avec les autres frères et sœur ; sa jalousie est mal placée ; sa curiosité importune. Se marier n’est pas fusionner : il y avait une vie avant la vie de couple et les frères et sœurs étaient les liens les plus forts. La vaste recomposition des familles aujourd’hui n’enlève rien au lien adelphique ; elle l’enrichit, le transforme – mais il est toujours là, car inscrit dans les très jeunes années, les plus fortes pour la personne.

Un beau livre sur un lien émouvant, qui brasse les siècles et fait appel aux contes et aux mythologies autant qu’aux romans, lettres, récits et au droit. Un travail d’historien court et agréable à lire sur un sujet vital.

Didier Lett, Frères et sœurs – histoire d’un lien, 2004, Petite bibliothèque Payot 2009, 238 pages, €7.60

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Que faisiez-vous le 11-Septembre 2001 ?

Je rentrais de vacances, justement de trois semaines au Pakistan. Les attentats ont été préparés par Ben Laden et ses complices, cachés quelque part dans la zone floue entre Afghanistan et Pakistan. Cette zone tribale d’ethnie Patan déborde des deux côtés de la frontière, mêlant clanisme familial et seigneurs locaux de la guerre. Le Pakistan n’a jamais voulu s’aliéner ces ethnies montagnardes, soucieux de conserver une profondeur stratégique à son pays, s’il était menacé par l’Inde. Les États-Unis ont soutenu cette idée en finançant à tour de bras les islamistes contre les soviétiques.

Ce qui m’a surpris, le 11-Septembre, est que cette haine affichée de l’Occident n’existait absolument pas quelques jours avant dans les bazars de Peshawar, grande ville la plus proche de l’Afghanistan et de la fameuse passe de Khyber. Notre guide à moustaches, Karim, nous a emmenés à l’intérieur de la mosquée Jakeola. Les dalles de marbre étaient chaudes aux pieds nus en cette heure méridienne. Des gamins se poursuivaient sous l’œil protecteur des adultes qui les réprimandent rarement tant l’exemple joue pour ces gosses qui sont constamment mêlés aux hommes. Nombre d’adultes en turbans faisaient la sieste allongés sur les dalles, à l’ombre de la galerie ; quelques-uns priaient à l’intérieur de la mosquée. Le bruit dominant était celui des jeunes garçons ânonnant le Coran pour l’apprendre par cœur, en balançant le haut du corps en rythme. Un lettré barbu par groupe, baguette à la main, lançait les versets et reprenait la récitation fautive des élèves dans une indifférence agacée. Nul doute que notre présence ne perturbait les séances bien que nous tentions de nous faire discrets. Mais des petits quittaient l’école pour s’agglutiner autour de nous. Ils étaient mis en récréation, de toute façon ils ne pouvaient plus être à leur devoir. Ils nous disaient « hello ! » et «what’s your name ? » Ils n’attendaient pas vraiment de réponse car les plus jeunes ne savaient même pas ce que ces expressions anglaises voulaient dire. Ils copiaient les grands. Mais ils étaient en tout cas amicaux envers les Occidentaux et soucieux de faire la conversation.

Du gamin au vieillard, les hommes portaient tous le pantalon large et la chemise longue ouverte sur la poitrine. Dans une société où les femmes et les mères sont confinées dans les intérieurs, les garçons vivent dehors dès qu’ils savent marcher. Comme tous les gosses, l’habillement est le dernier de leur souci, Les rues ne sont peuplées que de mecs dépoitraillés (il fait 40°) et les femmes mettent les voiles. Les très rares qui passaient rasaient les murs, en silence, voilées de la tête aux pieds avec un grillage serré devant les yeux. Élevés et éduqués sans jamais voir le sexe opposé, dans une théologie sexiste datant du 7ème siècle bédouin, les étudiants en religion (talibans) parviennent à l’âge adulte sans connaître la femme autrement que comme tentation, vulve à crocs, Satan incarné. Cet enfermement expliquerait leur peur de la simple vue d’une femme et les mesures délirantes qu’ils prennent pour conjurer leur immense émotion de puceaux tourmentés.

Si le Paradis promis aux croyants comporte « de jeunes serviteurs, pareils à des perles renfermées dans leur nacre » (Coran LII, 24) – jolie métaphore pour désigner le teint adolescent – il comprend aussi de jeunes vierges aux yeux noirs qui « ressemblent à l’hyacinthe et au corail » (LV, 58). Les musulmans ne sont pas insensibles à la beauté des femmes, mais ils la réservent à leur mari, leurs enfants, frères et neveux, pour lesquels tout inceste est prohibé. On considère, en islam, que la femme « encadrée » par le mariage et par les rites sociaux qui restreignent sa liberté, ne sera pas tentée de succomber à Satan et à ses pompes. « Les femmes sont votre champ ; cultivez-le de la manière que vous l’entendez » (sourate II, 223). Car « les maris sont supérieurs à leurs femmes. Dieu est puissant et sage » (II, 228) et en cas de partage des biens, « donnez au fils mâle la portion de deux filles » (IV, 12). En effet, « les hommes sont supérieurs aux femmes à cause des qualités par lesquelles Dieu a élevé ceux-là au-dessus de celles-ci » (IV, 38). C’est une tautologie, mais ce que Dieu veut… « Il ne convient pas aux croyants des deux sexes de suivre leur propre choix, si Dieu et son apôtre en ont décidé autrement » (XXXIII, 34). Le désir homosexuel existe inévitablement dans une société qui valorise tant le mâle et dévalorise tant la femelle. Si ce n’est pas le dessein de Dieu, c’est un péché véniel : « Dieu ne pardonnera point le crime d’idolâtrie ; il pardonnera les autres péchés à qui il voudra » (IV, 51).

Le fils de l’un de nos chauffeur de car, un Ali d’une beauté froide à 14 ans, restait debout alors qu’un siège lui tendait les bras. Ma compagne et moi avons bien mis une heure à comprendre, nous lui disions en anglais qu’il pouvait s’asseoir et il déclinait toujours. C’était la religion ! Nous avons échangé nos places, elle et moi. Ali s’est assis à mon côté presqu’aussitôt après : il ne pouvait supporter être assis près d’une femme, comme si elle était Satan en personne qui allait le violer.

Plus tard dans la montagne, un instituteur qui marchait avec moi pour revenir au village, m’a exposé son existence. Il ne faisait classe que le matin ici, l’après-midi ailleurs, faute de moyens. Il gagnait très peu, se faisant payer en nature par les paysans pour subsister. Impossible pour lui de songer à se marier car il n’était pas du clan, venait de la ville et restait trop pauvre. Comment résolvait-il ses problèmes de libido ? Il ne m’en a rien dit, mais on peut deviner avec tous ces jeunes garçons de la campagne curieux du plaisir…

J’ai lu une fois ‘The News’, le quotidien en anglais du Pakistan. Le numéro du lundi 6 août 2001 m’a permis de voir ce qui intéresse la fraction éclairée du pays. En première page, la fierté nationale : le Cachemire, la Palestine (où un chauffeur de car « a blessé dix Israéliens » en fonçant dessus), les Talibans (qui ont arrêtés dix membres d’ONG « prêchant le Christ »), un lama tibétain (« qui voudrait venir en visite »). On le voit, les « problèmes mondiaux » se réduisaient à l’islam. Le supplément hebdomadaire du journal laissait parler ses lecteurs : on y lisait les peines de cœur et les angoisses d’identité des filles et des garçons. Le conservatisme social et la morale – le « religieusement correct » – rendent les adolescents moins autonomes, Une fille qui utilisait internet s’étonnait que les tchats la conduise à « recevoir des propositions de rencontres directes » ! Réaction ingénue : les êtres humains sont-ils de purs esprits ?

La première force politique du Pakistan reste l’armée, la seconde le clergé musulman, viennent ensuite les propriétaires fonciers puis les industriels, enfin les petits commerçants. 44% de la population vit de l’agriculture (mais ne produit que 25% du PIB), 39% vit des services et 17% seulement de l’industrie. Poids de l’armée… L’industrie produit surtout du textile, de l’alimentaire et des boissons, des matériaux de construction, à destination du marché intérieur et, à l’exportation. Fait amusant : le Pakistan exportait en 2001 surtout vers les USA (22%), Hongkong, le Royaume-Uni et l’Allemagne (7%). Le Pakistan importait un peu plus qu’il n’exporte, principalement machines et pétrole, surtout des États-Unis et du Japon. Pays pauvre, surpeuplé, sous-éduqué, souffrant de disputes tribales et politiques internes, manquant d’investissement international et en coûteuse confrontation avec son voisin l’Inde, le Pakistan s’est constitué en entre-soi xénophobe. Il se voulait le Pays des Purs où seul l’Islam est permis.

Muhammad Saïd al-Ashmawy, ancien Président de la Haute Cour de justice du Caire, dit des fondamentalistes islamistes : « leur doctrine, système de vie total, sinon totalitaire, s’inspire de la même obsession d’une cité terrestre parfaite, conforme à la cité céleste dont ils déterminent l’organisation et la séparation des pouvoirs à travers les lunettes de leur lecture fantasmatique du Coran. » L’État n’est pas séparé de l’Église, ni la Morale du Livre : Dieu a tout créé, il veut tout. Pervez Hoodbhoy, professeur de physique pakistanais, déclarait à l’Express le 20 septembre 2001 : « cela me peine de le dire, mais l’Islam propose toujours des solutions faciles à des questions complexes. Voilà 700 ans que le monde musulman n’a pas produit un seul penseur marquant, dont les écrits auraient une valeur universelle. (…) Parce qu’elle a cristallisé une série de règles et d’interdits, l’orthodoxie islamiste nous rend introvertis, voire xénophobes. »

Cela dit, constatons que le fanatisme islamique a été encouragé par les États-Unis, notamment par Kissinger et Brezinski, ces brillants stratèges. Les États confessionnels non marxistes pouvaient résister efficacement aux sirènes soviétiques, cet ennemi de l’Amérique durant la longue guerre froide. La promotion de la vulgate coranique qui bloquait avec bonheur toute modernisation des pays musulmans ne pouvait que profiter au capitalisme américain, heureux de cette dépendance technique. La démographie galopante créait un marché pour les produits made in USA (armes, blé, machines) en échange de l’énergie vitale pour l’Amérique : le pétrole. C’est ainsi qu’ont été déstabilisés l’Égypte de Nasser, l’Iran du Shah et l’Irak de Saddam Hussein, brisant net leur développement. Mieux vaut reprendre la vieille diplomatie britannique impériale du « diviser pour régner ». D’autant que le fondamentalisme islamique ne saurait gêner les fondamentalistes protestants puritains…

Les attentats du 11-Septembre ont été un drame humain et un acte de terreur inacceptable qui a conduit à la guerre en Afghanistan puis en Irak, faisant des centaines de milliers de morts… surtout musulmans. Bravo Ben Laden, défenseur de l’islam, vous avez bien mérité d’Allah en tuant surtout ses fidèles. Convenons cependant que les États-Unis naïfs de Clinton ou cyniques va-t-en-guerre de Bush l’ont provoqué. La naïveté à courte vue est malheureusement le lot des experts de la CIA et des élites du pays. La priorité donnée aux liens commerciaux et financiers sur tout autre motif est la clé de la situation. Instrumentaliser les islamistes radicaux a peut-être protégé le pétrole un temps en contenant les appétits de l’URSS et en sous-traitant les problèmes en Méditerranée et en Asie centrale, mais l’apprenti sorcier se révèle avec le temps. La haine religieuse surprend les Américains, persuadés de leur mission sur cette terre ; il ne surprend hélas pas les Européens, habitués aux guerres de religion ou d’idéologie. Et les révolutions arabes, un mixte de 1848 et de 1968, sont une heureuse surprise… imprévue, comme le reste.

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Le mythe de la vahiné

Bougainville qui découvre Tahiti associe la femme à la déesse Vénus. L’amour libre et innocent dans une nature paradisiaque enflamme l’imagination des Européens et, aujourd’hui encore, la vahiné compte beaucoup dans l’attrait touristique pour Tahiti. Vahiné : être humain de sexe féminin adulte. La vahiné, femme-fleur, est l’image de la sensualité, celle qui allume l’œil de toutes les personnes du sexe masculin. La parure : chevelure étalée et odorante, fleur à l’oreille ou bouquet odorant dans les cheveux, paréo drapé mettant en valeur la peau nacrée grâce au monoï, les seins nus au naturel. L’Européen tombe amoureux d’une image traditionnelle alors que la femme « exotique » regarde vers la modernité et adopte les manières européennes, parfum parisien de prix ou eau de Cologne bon marché.

La société polynésienne est très attachée à l’idéal de beauté de la vahiné. Preuve en est le nombre de concours où s’affrontent chaque année la fine fleur des jeunes filles, de miss Tahiti à miss Motocross en passant par miss Université et miss Moorea… Il existe en tout plus de 50 compétitions pour 250 000 habitants ! Tout semble fait pour répondre aux fantasmes de l’homme. La femme polynésienne jouissait traditionnellement d’une certaine liberté, d’une certaine forme d’égalité avec les hommes.

Mais il faut vite s’éloigner du mythe, même s’il irrigue les esprits, même celui des vahinés elles-mêmes. Il faut évoquer le nombre d’affaires de viol et d’inceste, affaires qui ne sont que la partie émergée d’un immense problème social. Ouvrez le journal, vous y trouverez des affaires de mœurs devant le tribunal de Papeete : 50% des dossiers traitent de l’inceste. La souffrance et la maltraitance des filles est l’envers du mythe de la vahiné libre de son corps et vouée au plaisir.

Les jeunes femmes qui ont goûté à la vie plus libre de la ville vivent leur choix comme autant de déchirements entre les obligations traditionnelles dues à leur famille et leurs aspirations personnelles. Ce mal de vivre entraîne des suicides, des SOS de femmes qui ne savent pas où se situer. En Océanie, une étude récente montre que le taux de suicide a augmenté de 20 à 30% à partir de 1980. La femme polynésienne est l’objet d’une double représentation masculine : celle de la société traditionnelle et celle de la société européenne. D’où les drames relatés par la presse.

Version comique : Au Club Med de Bora Bora, en début 2006, l’ancien footballeur Maradona en vacances avec sa famille a jeté un verre à la tête d’une ancienne miss Bora Bora. Cela a fait les gros titres de la presse internationale et a suscité des reportages des télévisions du monde entier. Plainte, plainte en rétorsion à la gendarmerie, finalement un accord a été conclu entre le concubin de l’ex-miss et Maradona pour 8000$. Sur quoi l’ex-miss a filé acheter vêtements, CDs, téléphone portable, avant que le cours du dollar ne dégringole…

Version tragique : Une Polynésienne d’à peine 18 ans succombe à la suite d’un viol collectif de 13 personnes (dont 4 mineurs). Après avoir abusé d’elle, son corps dénudé a été jeté dans un caniveau ; le plus jeune violeur a 15 ans et le plus âgé 37. Tout le monde s’insurge, crie au scandale, même la ministre de la Condition féminine, mais toutes les associations dignes de ce nom avaient prévenu les pouvoirs publics que de tels agissements étaient susceptibles de se produire si rien n’était fait. Il s’agit d’un drame dans le quartier déshérité de Faaa, drame de la solitude, de l’ignorance, de l’alcool. La réflexion d’une avocate fait frémir : « dans de tels procès vécus au Palais de Justice, on s’aperçoit que ces violeurs n’ont eu qu’une vie sexuelle très pauvre. Il arrive souvent que ces hommes n’aient eu que 2 ou 3 expériences sexuelles dans leur vie. » Leur seul « enseignement » se limite trop souvent aux seuls films pornos. Certains jeunes violeurs ne vont plus à l’école depuis l’âge de 10 ou 12 ans et traînent dans les quartiers, fréquentent des adultes encore plus paumés qu’eux, goûtent à l’alcool. Les parents n’évoquent jamais la sexualité avec leurs enfants, c’est un sujet tabou en Polynésie – malgré le mythe !

Versions misérables en juin 2006 au tribunal de Papeete : Une fillette a été abusée par son grand-oncle faamu de 36 ans son aîné. A 9 ans les premiers attouchements, à 11 ans les rapports sexuels, à 13 ans le premier bébé. Trois enfants naîtront. Cette fille n’a porté plainte qu’une fois adulte, après avoir rencontré un autre homme. Certains faits sont prescrits. Le violeur : « elle était comme ma femme, elle ne se refusait pas ; c’est même elle qui me provoquait ! » La mère biologique : « je ne sais rien, j’avais d’autres enfants à charge. » La grand-mère : « j’ai honte de cette affaire. C’est ma petite-fille qui m’a amenée ici, au tribunal. Pourquoi elle me fait ça ? Elle a couché avec mon mari… » La famille est un huis clos : 14 ans de prison. Autre affaire : à 14 ans violée par l’ami de sa mère, elle la prévient mais celle-ci ne la croit pas. C’est sa grand-mère qui avertira les gendarmes. Le beau-père est arrêté. Au tribunal, il dira qu’elle était consentante car elle ne l’avait jamais repoussé. Au lieu des 20 ans de prison prévus par la loi, il est condamné à 14 ans et n’en fera que 6…

Hiata de Tahiti

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Clearstream révèle l’inceste politico-industriel français

Le nouveau procès de l’affaire Clearstream est débarrassé des enjeux politiques des protagonistes puisque Villepin a échoué à déstabiliser Sarkozy. Il est devenu président et n’est plus plaignant. La justice dira si Dominique de Villepin a profité des circonstances pour manipuler l’affaire des listings, directement ou indirectement. Mais c’est un détail de l’histoire, un leurre qui brille pour attirer les médias ailleurs que là où ça fait mal.

Car la vérité est que cette affaire montre les relations incestueuses du pouvoir et de la politique. Dans un État centralisé comme la France, tenu par une caste très restreinte de gransécolâtres, l’industrie attire la politique parce que là est l’argent. Le livre de Dudouet et Grémont sur ‘Les grands patrons en France’, paru en 2010, étudie ce microcosme avec sérieux.

On l’avait vu jadis avec l’affaire du Crédit Lyonnais, où un énarque de gauche avait fait perdre 16 milliards d’euros aux contribuables avec son petit jeu de lego dans la communication. Les moralistes vertueux parlent de faire rendre gorge aux affreux capitalistes mais, quand il s’agit d’un inspecteur des finances socialiste, il n’est condamné qu’à 59 000€ d’amende et toutes les grandes orgues morales s’empressent de se taire pour passer à autre chose.

On l’a vu avec l’affaire Elf où des sommes issues de surfacturations réapparaissaient dans les comptes des partis politiques. Encore avec Luchaire, et le raid mené en 1987 contre la Société générale par le pouvoir politique pour la renationaliser discrètement…

On le voit aujourd’hui avec l’affaire Renault où un service de sécurité monte des affaires de toutes pièces pour justifier son budget, jouant sur la paranoïa des « services » français assez ignares en économie…

La résurgence du listing truqué Clearstream n’est que la énième révélation de la corruption rampante que connaît la France entre ses fonctionnaires et l’argent. Monsieur de Villepin a vendu la mèche, avec cette naïveté antipolitique qui est souvent la sienne. Dans une « Note à Messieurs les juges D’Huy et Pons sur l’affaire Clearstream », qu’il a rendue publique en 2007, il se défend comme un beau diable plongé par malveillance dans un bassin d’eau bénite.

Il décrit surtout la cascade des « affaires industrielles » qui naissent inévitablement de la relation incestueuse de l’économie et du pouvoir d’État. Quand les entreprises dépendent, les jeux de pouvoir ne sont pas loin. Et quand le pouvoir excite, quelle puissance est mieux à même de le servir que l’argent ? Peut-être la « déviation politique de cette affaire n’est-elle qu’un leurre », comme l’affirme M. de Villepin. Elle masque une plus vaste affaire de corruption et d’ego qui se servent de l’État pour leur profit personnel. Pour cela cette « Note », au-delà du personnage de l’ex-Premier ministre, est de salubrité républicaine.

Dès le préambule, la succession des « affaires » est évoquée :

  •  « les frégates de Taiwan dont le problème des rétro-commissions pour un montant de plusieurs centaines de millions d’euros n’est toujours pas élucidé,
  • « le système Clearstream » connu depuis 2001 comme pouvant favoriser le blanchiment : le livre ’Révélations’ par Denis Robert, journaliste d’investigation auquel la cour de Cassation a reconnu en février dernier le bienfait de contrepouvoir nécessaire en démocratie
  • « les rivalités industrielles EADS/Airbus et plus largement au sein des industries de l’armement français, avec en toile de fond le conflit Thomson/Lagardère des années 1990. »

A la page 7 de la note, l’enchevêtrement des « intérêts » du privé et de l’État est présenté comme « normal » dans la République. Ne s’agit-il pas de « défense nationale » ? Les ministres deviennent alors des décideurs industriels, certains ont une influence personnelle sur les groupes privés, des personnes, organismes ou partis bénéficient sans vergogne de « rétro-commissions », les uns instrumentent les autres pour servir leurs rivalités au sein des entreprises… La « Note » évoque des « clans » et du « meccano industriel ».

L’Annexe 4, « retranscription lettre de Jean-louis Gergorin à mon intention (…) 15 novembre 2004 » est à cet égard effarante ! S’en dégage l’impression que la seule distraction des hauts fonctionnaires dans les palais de la République est de faire et défaire les rois et chambellans dans les grandes entreprises françaises ! Alain Bauer, observateur de la délinquance et accessoirement ancien Maître maçon du Grand Orient de France, est « ami de Gergorin mais prestataire de service pour Airbus » p.9. Voire « un ami de Philippe Delmas et un proche de Nicolas Sarkozy » p.13.

Quant à M. Gergorin, il est présenté comme « agité » p.17, fabulateur p.18, « manipulateur » note 9, « obsessionnel », « obsédé du complot », « très intelligent et fort convaincant » note 13 – en bref carrément paranoïaque. L’Express du 13 décembre 2004, sous la plume du très informé journaliste d’investigation Jean-Marie Pontaut, le décrit ainsi : « Âgé de 58 ans, cet ancien élève de l’X et de l’ENA, à l’intelligence fulgurante et imaginative, a notamment été chef du Centre d’analyse et de prévision du Quai d’Orsay de 1979 à 1984, date à laquelle il intègre le groupe Matra. Devenu rapidement l’un des chouchous de Lagardère, une sorte de fils spirituel, Gergorin participe à l’essor du groupe. Avec, chevillée au corps, une ambition permanente: défendre coûte que coûte les intérêts de son entreprise. Ce qui le conduira à ferrailler violemment contre Alain Gomez, à l’origine, selon lui, de toutes les tentatives de déstabilisation du groupe Lagardère. »

Et c’est à ce genre de personnage que « le système » de notre République offre un boulevard pour manipuler et déstabiliser toute une industrie !

Les déboires qu’a connus Airbus ne sont pas uniquement industriels : l’intervention politicienne y est aussi largement pour quelque chose ! De telles turpitudes de fonctionnaires en mal d’ego viennent sans cesse interférer avec l’objet social, faute de contrepouvoir.

La France est-elle meilleure que ces dictatures arabes à qui elle donne des leçons ? Une élite minuscule, contente et sûre d’elle-même, ne fait-elle pas comme le clan Ben Ali ou Kadhafi avec les bijoux de l’industrie nationale ?

Le Corruption Index de l’organisation Transparency International place la France au 25ème rang mondial, derrière la Suède (4ème), le Canada (6ème), la Suisse (8ème), l’Allemagne (15ème), le Japon (17ème), le Royaume-Uni (20ème) et les Etats-Unis (22ème)

Le rapport 2010 Transparency International 

Voir aussi Denis Robert, Clearstream l’enquête, 2006, éditions les Arènes, €18.81

Denis Robert, L’affaire des affaires, t.1, 2009 Dargaud, en bande dessinée, €20.90, L’enquête, t.2, €20.90

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