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John Le Carré, Le chant de la mission

Le personnage principal du roman est une originalité. Bruno Salvador – Salvo – est le « fils naturel d’un bouseux irlandais devenu missionnaire catholique et d’une villageoise congolaise dont le nom a disparu à jamais dans les ravages du temps et de la guerre » p.11. Son père meurt lorsqu’il a 10 ans et les autres ne le reconnaissent pas, voyant en lui un « enfant secret », à cacher aux autorités ecclésiastiques. Auprès des domestiques, il s’initie aux multiples langues et dialectes du Congo oriental et, auprès les pères blancs tous sodomites, à l’inversion due à sa beauté métisse. Déclaré au consul anglais de Kampala, il est reconnu citoyen britannique et envoyé dans « une pension pour orphelins catholiques mâles d’origines douteuses » p.19. Le frère Michael s’intéresse à lui, fraternellement et charnellement, et se réjouit de son don des langues : « Y a-t-il plus grande bénédiction, mon cher Salvo, que d’être la passerelle, l’indispensable maillon entre les âmes pécheresses de Dieu ? s’écria t-il en trouvant en l’air d’un poing noueux, tandis que l’autre main fourrageait honteusement sous mes vêtements » p.20.

Salvo fait des études, passe des diplômes, devient donc interprète. Il ressemble « davantage à un Irlandais bronzé qu’à un Africain pâlot » p.12 et se fait accepter par la « bonne » société, jusqu’à épouser Pénélope, gosse de riche et journaliste talentueuse de la presse à scandale. La fille prend le nègre plus comme sex-toy que comme amoureux, faisant la nique à sa famille collet monté ; mais elle initie Salvador au sexe hétéro, avec talent. A 29 ans, le Royaume-Uni multiculturel lui est offert, ses talents de polyglotte africain mis au service secret ou discret de Sa Majesté – la différence entre les deux n’est qu’une nuance.

Et le voilà convoqué à une réunion discrète dans une maison cossue mais anonyme de Londres, auprès de gens qui lui sont presque tous inconnus. Sa mission : durant un week-end sur une île du nord, traduire les propos de chefs de milices au Kivu, partie orientale du Congo qui borde le Rwanda entre autres. Il s’agit de provoquer un énième putsch pour s’approprier pour six mois les richesses minières – et ensuite qu’ils se débrouillent. C’est la volonté d’un Syndicat anonyme de capitalistes et de politiciens, dont un conseiller de gauche New Labour, un ancien ministre africain et un lord de droite réputé incorruptible.

Salvo quitte la réception où sa femme drague ouvertement son patron de presse, est embarqué pour deux jours sur l’île et joue les intermédiaires entre les langues parlées. Mais pas seulement : sa mission est aussi d’écouter les propos off des personnages en privé, tous les lieux étant sonorisés par une équipe aguerrie, y compris le jardin. Ce qu’il découvre est la triste réalité d’un Congo en proie aux intérêts privés des tribus et des milices qui se moquent du peuple et du pays du moment qu’ils peuvent piller et violer à volonté. Honoré Amour-Joyeuse, dit Haj, élevé à la Sorbonne à Paris, est le plus affairiste et le plus retord du lot.

L’interprète en est tout chamboulé, la mission idéaliste qui lui a été présentée se révèle bassement intéressée, en concurrence avec d’autres intérêts américains et libanais. Amoureux depuis peu d‘une infirmière congolaise, Hannah, mère d’un fils de 10 ans resté au Congo chez sa tante en attendant d’amasser le pécule nécessaire à son établissement avec sa mère, Salvo va définitivement changer de vie – et même de peau. Il n’est pas anglais et a été utilisé autant par sa femme blanche que par ses patrons affairistes ; il se retrouve congolais.

Il passe du demi-blanc au demi-noir, préférant la justice à l’argent. Le vieux chant des élèves de la mission « qui parle d’une petite fille qui promet à Dieu de protéger sa vertu contre tous, et en retour Dieu l’aide » est une dérision : ce n’est pas Dieu qui va aider les Africains mais les Africains eux-mêmes qui doivent se prendre en mains. Tout le reste est baratin, de l’ONU qui est là pour la façade et « l’aide au développement » qui va dans les poches intéressées, du politicien charismatique le Mwangaza qui roule en Mercedes aux chefs de milice qui se payent sur la bête.

John Le Carré décortique le cynisme aussi africain qu’occidental et pose le lecteur en médiateur, tel son métis interprète.

John Le Carré, Le chant de la mission (The Mission Song), 2006, Points Seuil 2008, 391 pages, €8,10 e-book Kindle €7,99

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Boris Cyrulnik, Les vilains petits canards

L’homme est un être social qui ne se développe qu’en relation. Pour l’auteur, l’identité narrative des parents, issue de leur histoire personnelle, compose l’alentour sensoriel qui encadre le développement de l’enfant. Cela commence dans le ventre de sa mère. La septième semaine, le toucher est un contact ; dès la 11e semaine apparaissent le goût et l’odorat via le liquide amniotique. La 24e semaine introduit le son. Tout cela s’imprime dans la mémoire sensorielle.

La naissance est l’inscription dans une filiation par le jeu des ressemblances. Dès le premier jour, le comportement du nouveau-né influe sur la manière dont l’entourage se comporte envers lui. La culture intervient très tôt dans la stabilisation d’un trait de tempérament. En Chine, où la vie traditionnelle du foyer est paisible, ritualisé et imperturbable, les tout-petits se stabilisent tôt. Aux États-Unis, les parents remuants et sonores, versatiles, alternent l’ouragan de leur présence avec le désert de leurs départs répétés ; les tous petits s’y adaptent en alternant frénésie d’action et gavage par les yeux et la bouche pour combler le vide affectif. Les deux parents comptent et composent un triangle de relations avec l’enfant. Il existe des familles coopérantes où le père et la mère alterne pour les soins ; des familles stressées où règne le moi-je d’un seul parent ; les familles abusives où un parent s’allie à l’enfant au détriment de l’autre parent ; les familles désorganisées où règne l’anarchie.

La pulsion génétique donne l’élan vers l’autre, mais la réponse de l’autre est grandement culturelle ; elle donne un tuteur de développement. La figure d’attachement, qui peut être la mère, le père, le grand frère ou tout adulte qui s’occupe régulièrement de l’enfant, agit comme une base de sécurité pour l’exploration par le petit du monde physique et social. Dans une relation à plusieurs (au minimum le triangle), l’enfant répond à une représentation ; ses émotions sont déclenchées par ses perceptions autant que par l’écho qu’elles ont parmi ses relations. L’attachement sécurisant produit chez l’enfant le comportement de charme qui attendrit les adultes et les transforme aussitôt en base de sécurité. Les attachements évitant, ambivalents ou désorganisés, dissuadent les adultes de s’occuper d’eux car ces petits-là sont difficiles à aimer.

Mais les enfants sont malléables. Si les styles persistent dans la mémoire inconsciente qui façonne le tempérament, le développement est infléchi par tout changement social. À chaque étape de développement, les enfants deviennent sensibles à d’autres informations et à d’autres tuteurs : sensoriels chez le bébé, rituels à la crèche, le dessin puis la parole par la suite. La mère ou le père, les autres membres du groupe parental, les familles de substitution, les associations et clubs de sport, l’art, la religion ou la politique, peuvent à leur tour étayer l’enfant. Un père qui toilette, joue, nourrit, gronde et enseigne à un effet de « rampe de lancement ». Pour le bébé, la sensorialité d’un homme et d’une femme n’a pas la même forme : les mères sourient plus, vocalisent plus, mais bougent moins le nourrisson. Les pères parlent moins mais taquinent, et ces tentative de déstabilisation incitent l’enfant à s’adapter à la nouveauté et à la prise de risque.

La Shoah puis le Vietnam, le Liban et le Kosovo, ont déclenché le travail clinique sur le traumatisme. Le choc n’est pas seulement organique mais aussi narratif. L’accueil de la société, les réactions de la famille, l’interprétation des journalistes, orienteront la narration vers un trouble durable secret ou vers une intégration de la blessure. Si la société et la culture ne disposent autour de l’enfant blessé d’aucune possibilité d’expression, le délire logique et le passage à l’acte fourniront des apaisements momentanés et aboutiront à l’extrémisme intellectuel, la délinquance ou la psychopathie. D’où la supériorité des sociétés qui permettent d’exprimer, soit par le rituel, soit par le débat démocratique. C’est la conviction qu’il est responsable de ce qui lui est arrivé qui permet à l’être humain de devenir sujet de son destin et auteurs de ces actes, et non plus objet ballotté par les circonstances et soumis. L’absence de cadeaux ou de reconnaissance crée un vide. Mais quand l’enfant blessé devient celui qui donne, il éprouve le bonheur de ne plus être victime fautive mais celui qui aide. Il se socialise. Depuis les bombardements de Londres en 1942, on sait que les réactions psychologiques des enfants dépendent de l’état des adultes qui les entourent.

Dans un milieu sans loi, un enfant qui ne serait pas délinquant aurait une expérience de vie très brève. Quand la société est folle, un enfant ne développe une estime de soi qu’en réussissant de beaux coups contre les adultes empotés. Quand la famille disparaît, l’approbation parentale cède la place à l’approbation des pairs. Ce qui façonne un enfant est la bulle affective qui l’entoure chaque jour et le sens que son milieu attribue aux événements. La réponse émotionnelle de la famille soutient ou enfonce en partageant l’émotion ou en faisant la morale et en rejetant. Pour résilier un traumatisme, il faut le dissoudre dans la relation et l’incorporer dans la mémoire organique. Faute de quoi se laisse fasciner par le vide ou bien on se débat et on travaille à le remplir par la création. L’art n’est pas un loisir mais une contrainte à lutter contre l’angoisse du néant. L’orphelinage et les séparations précoces ont fourni beaucoup de créateurs : Balzac, Nerval, Rimbaud, Baudelaire, Dumas, Stendhal, Voltaire, Dostoïevski, Kipling…

Les aptitudes acquises tout petit permettent de surnager et de faire face aux catastrophes sa vie durant par la confiance, le comportement de charme et la prise de risque. On peut retisser des liens, redonner sens et redevenir acteur. La vie n’est donc pas un destin écrit mais une voie sur laquelle des bifurcations se présentent, que l’on emprunte ou pas selon les autres qui aident ou qui repoussent.

Boris Cyrulnik, Les vilains petits canards, 2001, Odile Jacob poche 2004, 241 pages, €8,90 e-book Kindle €9.99

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Montée du maréchalisme

La revue de réflexion Le Débat, dans son dernier numéro 205 de mai à août 2019, offre un panel d’articles sur la situation inconfortable d’aujourd’hui. Tout ce qui existait hier est remis en question… pour se réfugier dans l’avant-hier. La démocratie « représentative » est vilipendée comme confisquant le pouvoir au profit d’une élite qui « n’écoute pas »… mais le remède en serait la démocratie « plébiscitaire » adulant un homme fort tel que les fascismes et les socialismes l’ont promu à la génération d’avant. Ou, selon la classification des droites par René Rémond, la confluence de la droite légitimiste et de la droite bonapartiste.

Xi Jing-Ping déclare que la dictature d’un parti unique éclairé vaut mieux que les bavardages conflictuels des parlements démocratiques ; Poutine déclare le libéralisme « obsolète » et assume un nationalisme orthodoxe qui vante la grandeur de l’ex-URSS et la morale stricte inculquée à l’extrême jeunesse dans ce que la litote globish nomme des « Boot camps » – qui ne sont guère qu’une Putin-jugend sur le modèle de « l’Autre », l’ennemi de l’ouest. Aux Etats-Unis, mais aussi en France, un tiers de la jeunesse ne croit pas que la démocratie soit le meilleur système politique et préfèrerait une version plus musclée. En gros un Maréchal de 30 ans plutôt que de 90, la morale (voire la religion catholique) rigoureusement remise au goût du jour, les chantiers de jeunesse patriotique, la terre qui ne ment pas et le protectionnisme industriel. En témoigne la dernière élection européenne…

La souveraineté du peuple à la Rousseau comme fondement de la légitimité politique s’oppose à l’Etat de droit à la Montesquieu. Ni la représentation, ni la séparation des pouvoirs ne sont plus ressentis comme justifiés. D’où l’abstention, l’aversion ou la sécession. Toute parole officielle se trouve discréditée, et l’on assiste à l’essor des vérités « alternatives » comme au recours à la théorie du Complot. Dans le même temps le « libéralisme », dévoyé du politique à l’économique, engendre une prolifération de normes, règles et contraintes qui font douter de la « liberté » qu’il peut apporter. Les inégalités économiques croissent à mesure de la contrainte bureaucratique et la stagnation, voire le recul du niveau de vie, exacerbent les comparaisons entre statuts et positions.

Le « progrès » de gauche apparaît comme une régression sociale face aux inégalités et comme une régression culturelle face à l’immigration et aux musulmans français victimisés « plus égaux que les autres » ; le développement promis se dérègle à cause de la raréfaction des ressources, de l’énergie et de la destruction de l’environnement. Et aucun intellectuel n’est capable de proposer un nouveau modèle pour la société. L’université apparaît comme un parking où les diplômes sont dévalorisés par l’absence de sélection et par son refus de s’ouvrir au monde professionnel.

Dans l’ambiance générationnelle des nés-numériques, l’individualisme devient exacerbé. C’est chacun pour soi, du sport où la compétition fait rage au show-business où seul l’apparence compte, des profs qui prennent en otage les notes des bacheliers aux aide-soignantes qui simulent un suicide à l’insuline (tout en se faisant immédiatement soigner par les autres…), aux associations thématiques qui permettent d’émerger, aux entreprises créées à partir de rien sur des projets inédits. L’échelle locale apparaît comme la seule qui permette de valoriser le moi, et non plus ces « valeurs » abstraites d’un collectif incantatoire qui s’en fout dans les faits. Les syndicats sont dévalorisés et seul le happening (mais où l’art est dévoyé en politique) vaut titre d’existence (médiatique). Le basculement identitaire est en marche et c’est bien la faute de la gauche en France, au pouvoir par longues alternances depuis des décennies, d’avoir abandonné les individus au profit des utopies gentillettes sans racines.

Les 18-24 ans des enquêtes montrent qu’ils votent le plus pour des candidats radicaux, 25.7% pour Marine Le Pen au premier tour de la dernière présidentielle, 24.6% pour Jean-Luc Mélenchon (OpinionWay) contre 21% pour Emmanuel Macron. L’originalité de Mélenchon au premier tour a été d’avoir rompu avec la gauche culturelle européiste pour mener une campagne populiste et souverainiste ; l’erreur de Mélenchon au second tour a été d’abandonner cette posture identitaire pour rallier le reste de la gauche et en devenir son leader : son discours gauchisant sur l’immigration, l’éducation, la famille, l’Europe, a déçu. Même les gilets jaunes aujourd’hui lui tournent le dos – et les européennes ont montré que sa coalition n’était que de circonstance, fragilisée par ses coups d’éclat personnels.

L’identité malheureuse, la dépression économique, la régression nationale face aux géants américains, chinois, russes ou même allemands font que la génération jeune rejette la génération vieille qui a « joui sans entraves » en laissant un fardeau de dettes, de fils d’immigrés mal assimilés et d’immigrés récents de plus en plus inassimilables, sans parler du réchauffement climatique, des impôts au plafond et de la hausse exponentielle des taxes sur l’énergie. Le « vivre-ensemble » du discours lénifiant de la gauche bobo ne passe plus sur le terrain des inégalités économiques, des incivilités ethniques et de l’insécurité culturelle. Quand on n’a plus de repères aujourd’hui, on en revient volontiers aux repères d’hier.

Et le premier est la frontière : politique pour ne pas être inféodé, économique pour protéger ses industries, sociale pour préserver le système de santé, de chômage et de retraite, enfin culturelle face à la masse africaine (Maghreb et Afrique noire) dont l’explosion est déjà programmée : 150 millions dans les années 1930, 1.3 milliards aujourd’hui, 2.4 milliards en 2050 – seulement dans trente ans. Il faudrait être niais pour feindre de croire qu’une petite part des Africains jeunes ne désireront pas « rejoindre les cousins » dans l’eldorado européen, là justement où la démographie stagne et où la population vieillit, mettant en péril production, cotisations santé et retraites. Déjà, un immigré sur deux en France vient d’Afrique : réfugié, clandestin économique, étudiant qui reste ou regroupement familial.

Or l’islamisme progresse en Afrique et se fait plus intégriste. L’intégration des immigrés n’est pas une question sociale mais de plus en plus une question de mœurs, de religion et de culture. L’essor de l’individualisme engendre partout l’entre-soi, donc des tensions croissantes entre des « eux » et des « nous ». La religion est souvent le prétexte pour justifier des exactions violentes comme le dit Olivier Roy, mais les banlieues se radicalisent sous la férule des imams formés en Arabie saoudite comme le dit Gilles Kepel. Le fait religieux est autonome de la position sociale, ce sont surtout les classes moyennes qui partent en Syrie – même si la fratrie, la bande de petite délinquance et la mosquée servent de viviers. Selon Hakim El-Karoui, plus d’un quart des musulmans de France ont un système de valeurs qui s’oppose clairement à celles de la République. 68% des musulmans d’une cohorte de 11 000 collégiens des Bouches-du-Rhône interrogés mettent la loi de l’islam au-dessus de la loi française (contre 34% des catholiques). Une autre étude portant sur 7000 lycéens de seconde montre que 33% des musulmans ont une vision « absolutiste » de la religion, contre 11% pour les autres (enquêtes citées p.136).

Les « idiots utiles » (terme de Lénine à propos des intellos) dénient et minimisent, littéralement aveugles à la réalité identitaire qui monte en pression. Elle est pour eux « fasciste » et ils mettent dans ce mot le Diable incarné – qu’il ne faut dès lors qu’exorciser et non pas dialectiquement réfuter. Cette gauche morale en faillite, crispée sur ses positions de jeunesse alors que le monde n’est plus le même, a colonisé les médias et imposé son dogme, stigmatisant et rejetant dans les ténèbres extérieures tous ceux qui pensent autrement. La générosité est manipulée sur des cas individuels pour encourager l’immigration sans frontières ; la « domination » est mise en avant pour dévaloriser la culture traditionnelle, qualifiée de « bourgeoise » même quand il s’agit des sciences physiques ou statistiques ; la honte est agitée sur le rationalisme exacerbé en dérive des Lumières, sur la colonisation (à l’origine de gauche pour « éduquer » les peuples « enfants »…), sur la Shoah.

Un Mélenchon ne qualifie Merah, le froid tueur d’enfants, que de simple « fou » d’un banal fait divers ; un Peillon réduit à l’hitlérisme toute critique des islamistes en comparant le sort des Musulmans au sort des Juifs durant la Seconde guerre mondiale – on se demande d’où sort la politique de ce prof de philo… Si nombre de Juifs français fuient les banlieues où ils ne peuvent plus vivre ni étudier en sécurité, si de plus en plus quittent la France, ce n’est certainement pas le cas des Musulmans qui, eux, arrivent en masse et réclament toujours plus de visas ! S’ils étaient tellement menacés par « le racisme » en France, ne la quitteraient-ils pas pour un autre pays ou pour revenir chez eux ? Une telle niaiserie de la part de politiciens « progressistes » dans le déni, la complaisance ou le silence, laisse pantois. Ce pourquoi la gauche s’est effondrée et ses politiciens déconsidérés à vie.

Restent deux pôles : le raisonnable et réformiste démocratique – et le retour de l’archaïque sur le modèle Poutine d’un âge d’or mythifié autoritaire. Aujourd’hui Emmanuel Macron (malgré ses défauts) ou Marine Le Pen (avec ses défauts). Mais demain probablement Marion Maréchal, bien plus crédible que sa tante mais encore un peu jeune, prônant l’alliance de la bourgeoisie conservatrice et des classes populaires via le problème identitaire. Elle est évidemment pro-Trump tout comme elle était membre du groupe d’amitié France-Russie lorsqu’elle siégeait à l’Assemblée nationale…

Oui, le maréchalisme monte lentement en France.

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Tachkent

A la sortie de l’aéroport, nous faisons connaissance de notre guide Ouzbek francophone. Une « nuit » (de 3 heures seulement) nous attend à l’Hôtel Uzbekistan, grand bâtiment contemporain à l’intérieur bois, marbre et lustres de cristal tout à fait dans le style soviétique.

Tachkent était une capitale lointaine de l’empire, on y « tachkentisait » les apparatchiks politiquement incorrects tout comme Napoléon III « limogeait » ses fonctionnaires vers Limoges. La ville nous apparaît étendue, peu en hauteur, ses larges avenues bordées d’arbres.

Après le petit-déjeuner buffet dans le coin du grand hall qui sert de bar, est programmée la visite de la ville durant la matinée. Au sortir du bus nous saisit la chaleur lourde, moite, et l’odeur d’ozone de la ville. Les immeubles se limitent à quatre étages, sauf les bâtiments officiels et (depuis la fin de l’URSS) les banques. L’Ouzbékistan compte 26 millions d’habitants, sa population croît peu, 1,65% par an et son espérance de vie reste à 64 ans, mais alphabétisée à 99,3%. Son PIB est le centième de celui de la France, encore agricole à 38%, mais occupant 44% de la main d’œuvre. Ancienne république d’URSS, l’Ouzbékistan s’est doté d’un régime présidentiel fort par sa constitution du 8 décembre 1992. Le Président Islam Karimov est, en 2007, au pouvoir depuis 1988. La réforme institutionnelle 2004 a créé une seconde chambre parlementaire sans modifier vraiment une vie politique « à la française » : bel et bien dominée par un Président qui assume dans les faits la réalité du pouvoir. En 2003, la monnaie est devenue librement convertible pour favoriser les investissements étrangers. Le développement économique de l’Ouzbékistan reste entravé par l’interventionnisme gouvernemental et les tensions sociales sont fortes, 27 % de la population vivant en-dessous du seuil de pauvreté. La croissance reste soumise aux exportations (coton et or surtout). L’Ouzbékistan est le 4ème producteur mondial de coton. Les exportations françaises y sont faibles, 2% de part de marché, dominées surtout par les biens d’équipement (mécanique, matériel électrique et électronique), ce qui favorise les grands contrats.

La capitale, Tachkent, abrite 2,3 millions d’habitants à elle toute seule. C’est dire le faible développement du pays, tout entier concentré autour de l’Administration politique, ce lourd héritage soviétique. La république, 447 400 km², a des frontières communes avec tous les pays d’Asie centrale, nous explique Rios, notre jeune accompagnateur sympathique qui parle un très bon français (en plus de l’ouzbek, du tadjik, du russe, et évidemment de l’anglais…).

Tachkent signifie « la ville de pierres » ; ce nom est attesté dès le 10ème siècle. « Elle est dure comme la pierre car elle a résisté à tous les envahisseurs, » nous déclare Rios. La ville est d’une architecture très années 60, dans le style stalinien qui mélange kitsch et béton. Il faut dire que le grand tremblement de terre de 1966, d’échelle 8 sur Richter, a détruit nombre d’habitations traditionnelles en bois et torchis. Un métro a été inauguré en 1976 et comprend quatre lignes. Nous ne voyons aucun vélo. Les rues voient rouler nombre de Lada, mais Daewoo a implanté une usine dans le pays dès 1991 et ses voitures commencent à sillonner les routes. Tachkent est bâtie dans une oasis, aujourd’hui région productrice de tabac, coton et fruits. Les principales fabrications de la ville sont les machines, les textiles (coton et soie), les produits chimiques et les meubles.

Nous voyons l’opéra, construit en 1947, signe tangible de l’élévation du niveau d’éducation voulu par le pouvoir soviétique. Pouvant contenir 1500 spectateurs, il a été bâti sur les plans de l’architecte qui construisit le mausolée de Lénine au Kremlin. Il porte le nom d’un grand poète ouzbek.

Rios est fier de nous expliquer le symbolisme du drapeau ouzbek qui flotte sur l’opéra. Le bleu est l’azur, le blanc la pureté de l’indépendance, le vert l’espérance et le rouge le sang. Il comporte douze étoiles et la lune, symbole de l’islam turc. Le Houmo, oiseau légendaire qui porte chance si on le voit, figure sur les armoiries du pays. Celles-ci figurent une vallée au soleil levant, les deux fleuves de l’Ouzbékistan, Syr-Daria et Amou-Daria, un épi de blé et une fleur de coton, deux productions locales célèbres. Le pays produit aujourd’hui encore 4 millions de tonnes de coton par an. L’octaèdre en haut supporte le croissant et l’étoile à cinq branches, celle des cinq piliers de l’islam.

L’Ouzbékistan a été le seul pays d’Asie centrale à avoir soutenu l’opération américaine en Irak, même si le Président Karimov a refusé d’y dépêcher des hommes. Les événements d’Andijan ont entraîné une crise des relations américano-ouzbèkes. Dans la nuit du 12 au 13 mai 2005, de graves troubles dus aux islamistes radicaux se sont produits à Andijan (vallée de Ferghana/est du pays). Ils ont fait selon les autorités 173 morts mais certaines sources (dont Human Rights Watch), se fondant sur des témoignages locaux, parlent de « 500 à 1000 personnes tuées ». Le pays renoue avec la Russie qui a affiché sa solidarité au lendemain des événements d’Andijan et a signé en juin 2004 un accord de partenariat stratégique.

Nous effectuons une opération change dans l’ancien Goum. Le vocabulaire militaire est adéquat car il faut y aller en commando, organiser la queue et vérifier la somme. Le bureau de change est privé ; c’est une petite cellule en fond de magasin, peut-être pour qu’un voleur ne puisse fuir immédiatement… A la soviétique, c’est « fermé de 13 à 14h » et un garde armé fait le planton devant. Nous changeons de l’euro ou du dollar en soum. La vitre rectangulaire du guichet forme écran, et le spectacle offre deux opératrices accortes en activité. Le masque fumé des vitres en haut, en bas et sur les côtés délimitent un panoramique sur le décolleté profond à la russe de ces jeunes dames. L’une actionne ordinateur, imprimante et téléphone, tandis que l’autre n’a pour seule tâche – absorbante – que de compter les liasses. Il faut dire que 40 euros font 68 880 soums en billets de 500 soums maximum ! 1 euro = 1722 soums en juillet 2007. Nous nous retrouvons chacun avec un gros paquet de billets. Sa tâche effectuée, la première fille se remaquille, tandis que l’autre compte et recompte les soums à la machine. L’amusant est qu’une affiche décrit comment fabriquer un faux dollar – en décrivant avec minutie tous les caractères indispensables pour juger qu’il est vrai !

Nous reprenons le bus pour aller visiter la medersa Koukeldache, du 16ème siècle, puis le marché. Dans la medersa, de fervents musulmans accompagnés de leurs gamins, viennent faire leurs dévotions capitales. L’un d’eux me salue, fier de son identité, calotte brodée sur la tête et garçonnet à tunique fendue à la main. Un autre porte short et débardeur, concession à la modernité – autorisée seulement aux garçons. Par une autre entrée de ce carré ouvert sur deux côtés, un envol de talibans – tunique flottante, turban, barbe et sandales – entre en coup de vent, primesautiers et affairés. 88% de la population est musulmane, principalement sunnite.

Les marches qui mènent à l’entrée font un observatoire stratégique pour observer les gens qui passent sur le trottoir. Mémères empâtées, jeunes femmes tenant bébé, garçonnets peu vêtus, jeunesse déambulant, nous avons depuis l’arbre qui nous ombre un panorama complet de la société tachkénite. Je note que les jeunes filles sont bien en chair ; nous comprendrons vite pourquoi. L’alimentation est en effet « traditionnelle », ce qui signifie féculente et grasse, en quantité paysanne. Parmi les visages, certains ont un vague type mongol, les paupières étirées vers les tempes ; d’autres sont plutôt turcs, le nez droit et les yeux rapprochés ; certains ont un visage indien. Les femmes d’un certain âge ne peuvent se déplacer sans une armada de sacs et cabas, peut-être un résidu de l’époque soviétique où la pénurie chronique nécessitait de garder toujours sur soi une besace, « au cas où » une affaire – n’importe laquelle – se serait présentée. Quitte à troquer ensuite cet achat inutile contre un nécessaire. Sur le trottoir au-dessous des marches de la mosquée, attendant un improbable bus, une matrone mignote un garçonnet. Il peut avoir sept ou huit ans pour ainsi se laisser faire. Les petits mâles semblent ici peu susceptibles de tolérer les privautés des mères ou des femmes en général.

Les Ouzbeks, de langue turque, constituent 75 % de la population. Les russes représentent la minorité la plus importante avec 6 %. La minorité russe vit surtout à Tachkent et dans les centres industriels. Les Tadjiks sont concentrés dans les cités historiques de Boukhara et Samarcande. Nombre de jeunes filles et de femmes portent le foulard, à mi-chemin du fichu paysan et du voile iranien, tout dépend de la qualité du tissu. Les adolescents sont plutôt à la mode de Moscou, qui copie celle de New York, avec leurs débardeurs lâches ‘US army’ ou leurs tee-shirts imprimés en anglais.

Le souk vend de tout, légumes, fruits, viande crue et grillades, maïs bouilli, épices de toutes sortes, œufs par douzaines, boissons colorées en bouteilles plastique, bonbons brillants, vêtements, ustensiles, gadgets. Une femme vend même des Coran imprimés remplis d’enluminures. Tout le monde commerce, vieilles femmes, jeunes femmes, jeunes hommes, gamins.

Certains n’ont que quelques melons ou une dizaine de bottes d’aneth, ou encore une bassine de gousses d’ail – épluchées pour que les citadines ne s’embaument point les mains ! Le marché s’étend loin, une partie est couverte, où officient les officiels. Ce ne sont qu’écroulements de frais légumes à l’odeur apéritive, tomates, salades, aneth, concombre, poivrons, aubergines – tous ces légumes du sud qui fleurent bon et tentent l’œil. Les aubergines paraissent cirées, les tomates rouge vif gonflées de santé, les poivrons vert-jaune remplissent plantureusement leur peau. Un boucher propose ses lanières de viande pendues aux crochets de l’étal. Des paysans leurs melons d’eau juteux et parfumés.

Nous nous retrouvons à 12h45 devant la medersa et le bus nous mène au restaurant Tbilissi proche de la place de l’Indépendance comme de la place Lénine. La statue du Bolchevik, la plus haute d’URSS à l’époque avec ses 24 m, a été remplacée par un globe terrestre en bronze avec la carte en relief de l’Ouzbékistan. Dans la vaste fontaine qui l’entoure se baignent nus des gamins.

Tbilissi étant la capitale de la Georgie, le restaurant offre de la cuisine georgienne. Nous avons soif et les hommes surtout goûtent la bière, servie avec bonheur dans des bouteilles de 60 cl. La bouteille coûte ici 3500 soums (2 euros).

Le menu se compose de mezze, de chaussons au fromage, de soupe claire aux boulettes et aneth, de ragoût d’agneau tomate, d’un petit baklava très sucré et de thé. L’arrivée à la table est flatteuse à l’œil : tous les ustensiles sont disposés en ordre, les serviettes en cône, les petits pains dans leur assiette. Les zakouskis sont déjà sur la table et la fraîcheur des légumes, les couleurs vitamines des mets vous ouvre l’appétit.

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Submersion africaine

Dans un article passionnant de géopolitique, Jean-Jacques Konadje fait le point sur la jeunesse africaine. A l’heure où l’immigration sauvage venue des côtes libyennes inquiète les opinions européennes, ce n’est plus de réfugiés politiques qu’il s’agit, mais de démographie galopante sans avenir. « D’ici 30 ans, l’Afrique devra nourrir, former, loger, guérir, employer un milliard de nouveaux habitants. À cette date, un quart des actifs de la planète seront africains. La puissance de cette démographie est un atout mais aussi un défi terrible et une course contre la montre » avoue la Fondation Énergies pour l’Afrique.

gamins africains

Car qu’est-ce qu’être « jeune » en Afrique ? C’est subir, entre 15 et 35 ans, chômage, violence, désespoir, oisiveté, précarité, aventure, illusion, analphabétisme, illettrisme et sous-éducation. Rien de moins sous les régimes actuels. L’explosion démographique, qui s’atténue à peine avec le développement mais résiste là où l’islam devient rigoriste, fait qu’aujourd’hui 60% de la population globale du continent noir a moins de 25 ans. Dans 20 ans, ils seront 340 millions, soit près du double ! Or la gérontocratie au pouvoir les couvre d’une chape de plomb qui les empêche d’exister.

Par exemple, en Côte d’Ivoire, des jeunes sortis des Universités avec des diplômes de Master ou plus sont condamnés, faute de relations claniques ou de liens politiques aux petits boulots tels qu’agents de sécurité, gérants de cabines téléphoniques, vendeurs de cigarettes, femmes de ménages… D’où la tentation d’émigrer : être agent de sécurité en France fait gagner dix fois plus qu’en Côte d’Ivoire, avec droit au chômage et aux allocations en cas de coup dur. Au sud du Maghreb, 10 à 12 millions de jeunes diplômés arrivent sur un marché du travail sans qu’il y ait le moindre emploi à leur portée. Ils étaient 5 millions en 2009 et sont estimés, si rien n’est fait, à près de 100 millions en 2020, selon les projections démographiques.

jeunesse africaine armee

Ce désespoir des conditions de vie conduit les plus aventureux à tenter d’émigrer, au péril de leur vie, et pour les autres aux diverses formes de violence, depuis les manifestations étudiantes aux guerres civiles et aux mouvements rebelles. Le « printemps arabe » a été l’explosion d’une telle jeunesse sans avenir, mais au nord du continent ; ce qui se prépare au sud est sans doute bien pire, puisque la bombe démographique est déjà amorcée : les enfants qui auront 20 ans d’ici 2030 sont déjà nés.

Le taux de criminels dans une société est corrélé à la proportion qu’occupent les hommes chômeurs âgés de moins de 25 ans dans la population totale. S’ils n’ont pas les moyens de survivre décemment et de faire vivre une famille en création, ils deviennent délinquants, souvent violents : les « microbes » d’Abidjan, qui ont entre 10 et 17 ans, font l’insécurité de la capitale et alentours depuis la chute de Gbagbo. L’autre violence est de se convertir à une religion qui leur garantit l’au-delà paradisiaque s’ils obéissent ici-bas aux dogmes et au djihad.

enfant soldat afrique

Ce pourquoi, si l’Europe ne veut pas voir se transformer l’immigration africaine en véritable submersion, elle doit prendre les mesures nécessaires à la racine : non plus « donner » aux pays un argent qui disparaît dans les sables du clientélisme et de la corruption endémiques, mais promouvoir des projets concrets de développement réel, financés directement sans passer par les gouvernements.

Le projet de Jean-louis Borloo, par exemple, qui consiste à assurer l’énergie à tous, est de ceux-là. L’électricité est aujourd’hui un prérequis pour tout : donner la lumière permet de sortir de l’obscurantisme. Ce qui paraît un jeu de mot s’éclaire par tout ce que le courant permet de faire passer : l’Internet, les communications téléphoniques, la lecture, le mouvement des machines… L’aide aux start-up africaines par la diaspora est un autre projet tout aussi dynamique.

Plutôt que de se lamenter sur l’immigration qui vient, plutôt que de rêver à lever le pont-levis, faisons plutôt que les migrants potentiels restent chez eux, que le no future qu’ils perçoivent aujourd’hui s’estompe dans les années qui viennent. Ce sera plus efficace et plus humain.

Fondation Énergies pour l’Afrique de Jean-Louis Borloo sur Facebook
Le site Énergies pour l’Afrique
My African Startup

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De l’Islam et de la politique

Dji souligne que le fondamentalisme n’est pas la religion populaire en Égypte. Il est vrai que les affrontements dits « confessionnels » sont souvent l’extension de conflits de voisinage ou de rivalités sociales (médecins et pharmaciens sont souvent coptes et non musulmans). Mais cette remarque rejoint ma réflexion sur l’islam et le développement. La diffusion de l’enseignement occidental par les missionnaires et leurs écoles a accru l’écart culturel entre les coptes, plus urbanisés, mieux engagés dans des activités économiques et intellectuelles – et les musulmans plus campagnards, en grande majorité analphabètes, se contentant d’entendre réciter le Coran. Pourtant, l’islam est un héritage commun de tous les Égyptiens ; on dit ici que « les coptes sont des musulmans qui vont à l’église le dimanche. » La vraie question, comme souvent, n’est pas confessionnelle mais politique.

bord du nil

Si les chrétiens ne menacent pas le pouvoir en place, ce n’est pas le cas des islamistes (ou musulmans intégristes), qui représentent la seule opposition au régime. La violence participe du jeu politique, elle justifie le pouvoir actuel et nie l’absence de représentation populaire. Si le parti unique a perdu sous Sadate son monopole juridique, il n’a pas abandonné ses autres privilèges, il verrouille l’accès au système. Un courant politique ne peut accéder au Parlement qu’après un filtrage du Tribunal des partis. Ce n’est qu’ensuite qu’il ira devant les électeurs. Les Frères musulmans n’ont pas d’habilitation – ce pour quoi ils remporteront la majorité lors des premières élections ouvertes à tous après la chute de Moubarak. Jusque là, moins de la moitié des électeurs vont voter puisque, de toute façon, cela ne change rien. Le Parti Démocratique national, au pouvoir depuis 1970, est de moins en moins légitime. D’où la démagogie dont a fait preuve le gouvernement envers les islamistes « modérés » pour s’assurer de leur bienveillance : on interdit des livres, on propose une loi exigeant des femmes l’autorisation de leur mari pour acquérir un passeport, on condamne pénalement les écrits athées, on arrête des Bahaïs sous prétexte « d’hérésie »…

felouque au bord du nil

Dji s’empresse d’éduquer nos esprits « déformés par la propagande médiatique occidentale » (dit-il) : « le foulard, ici, n’est pas un signe de militantisme religieux ; il sert surtout à protéger les cheveux longs de la poussière. » Dont acte. Mais il pourra faire tous ses efforts, nous ne pourrons pas croire que l’islam est une religion adaptée au siècle qui commence. Toutes les croyances ont eu leur phase d’intégrisme et de bêtise bornée, mais l’islam est encore en plein dedans : il suffit de voir comment les femmes musulmanes doivent s’habiller selon le rigorisme des pays.

femmes comment s habiller musulmane

L’Inquisition, la croisade, l’iconoclasme, la conversion forcée, le puritanisme – le christianisme a connu tout cela, la Révolution française et la soviétique aussi, sans parler de l’époque Mao… Mais on pouvait croire que l’humanité avait appris.

gamin musulman egypte

Las ! Il n’est est rien. La bêtise reste aussi universelle que l’amour : les talibans afghans ont détruit au canon les grands Bouddhas de Bamyan qui avaient défié les siècles. Au nom d’un Islam que l’on ne peut décidément pas trouver utile en politique pour le XXIème siècle – ou pour l’épanouissement de l’homme, tout simplement. L’islam aujourd’hui, version littérale, répond toujours à la définition que donnait Jacob Burckhardt du christianisme médiéval : « un tissu de foi et de préjugés, d’ignorance et d’illusions ».

nil au couchant

Nous nous couchons alors qu’il est à peine 21 heures. Chaque groupe est sur sa felouque. Le large pont a été couvert de matelas et entouré d’une bâche qui fait tente. La nuit est limpide, cloutée d’étoiles comme un voile transparent, de couleur inconnue sous nos climats.

La peur d’avoir froid cette nuit a fait trop s’habiller les inhabitués de l’aventure. Momie emmaillotée de bandelettes dans mon drap « sarcophage », j’ai reposé nu sur le Nil d’un sommeil immémorial, à la garde des étoiles qui sont les pharaons devenus dieux. Symboles. Notre barque est la dernière levée car la longueur du sommeil est une fonction de l’âge : dormir est un signe de jeunesse !

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Égypte d’aujourd’hui

Ce matin le soleil est vif et embrase la campagne. Elle s’ébroue peu à peu de ses voiles nocturnes. Car nous découvrons qu’il fait froid l’hiver durant les heures de nuit ; l’Égypte n’est pas le pays de l’éternel printemps. Nous partons vite pour Edfou en car. Des champs de cannes à sucre s’étendent largement le long du Nil sur la rive ouest. Dji nous parle un peu de l’époque contemporaine durant le lent trajet. L’Égypte s’est émancipée de la tutelle anglaise en 1952 parce que la mode était à la décolonisation et au nationalisme tiers-mondiste – mais aussi (je l’ajoute) parce que l’Inde, devenue indépendante dès 1948, ne nécessitait pas de conserver sous contrôle la route maritime passant par le canal de Suez. Gamal Abdel Nasser a pris le pouvoir et réalisé à cette occasion, en 1952, la « dévolution des terres ». Chaque paysan a reçu 2,5 hectares, limités à 30 hectares pour un même nom afin d’éviter un trop grand pouvoir économique des familles étendues.

gamin sur chameau Egypte

Il existe aujourd’hui des terres privées et des terres d’État ; celles-ci sont gérées en coopératives. Les cultures privées ne sont pas entièrement indépendantes car les paysans doivent cultiver ce qui est décidé par la coopérative pour la moitié de son exploitation. La canne à sucre fait florès autour de Louxor. Elle sert à produire du sucre, des cartonnages, et un aggloméré pour les parois des habitations. Des rails à voie étroite courent parfois sur le sol ; ils servent aux wagons collecteurs de cannes. Celles-ci sont aussi transportées en camions à remorque. Aux ralentissements, des gamins se précipitent d’ailleurs pour tirer une ou deux cannes du chargement, afin de les écorcer et de croquer la tige juteuse et sucrée.

État « socialiste démocratique » pour l’affichage international, l’Égypte est surtout clanique, organisée autour de l’armée – cette élite des mâles qu’affectionnent les pays musulmans (voir le Pakistan, la Libye de Kadhafi et même l’Algérie). Le pays exporte surtout du coton (50% des gains en devises), mais aussi du sucre, du blé, du maïs, du riz, des tomates, des oranges. Il produit du gaz naturel et même du pétrole (14 ans de consommation au rythme actuel). Ce que Dji ne dit pas est que la politique de redistribution des terres aux fellahs est un échec car la démographie a été (et va encore) plus vite que le développement : le rendement des petites propriétés est déficitaire et l’analphabétisme rural monte à 67% ! C’est encore le tourisme qui rapporte le plus, employant 2,5 millions de personnes et rapportant deux fois le montant de l’aide annuelle américaine.

Egypte campagne

Quel contraste entre deux pays de delta, l’Égypte au Proche-Orient et le Vietnam en Asie ! Tous deux sont pauvres, sortis de la colonisation ou de la guerre, majoritairement paysans. Mais l’un s’en sort et l’autre pas ! On peut tristement le constater, aucun pays arabe n’a développé d’économie avancée. Ils ont acheté des compétences et des services à l’extérieur plutôt que de chercher à apprendre et produire par eux-mêmes, poursuivant leur tradition de prédateurs guerriers. Mentalité proche, en plus fruste, de celle de nos aristocrates d’ancien régime. L’Égypte n’a pas connu de solution à son problème de développement, rien que des secours d’urgence et des gestions de crise. Tout est dévolu à l’armée, « orgueil arabe », improductive et autoritaire par définition.

adolescent en galabieh egypte

Riches ou pauvres, tous les pays arabes sans exception ont des régimes despotiques dans les années 2000. Les dirigeants ne sont pas responsables, leurs actes sont imprévisibles, toute l’économie est subordonnée à la politique, celle-ci réduite au clientélisme et aux féodalités. Le développement économique n’est pas une fin en soi, nous sommes bien d’accord, mais demandez aux paysans du Nil s’ils veulent être nourris convenablement et bien vêtus, s’ils veulent envoyer leurs enfants à l’école et comprendre un peu mieux le monde dans lequel ils vivent ? J’ai l’intuition qu’ils vous répondront oui. Je ne connais personne qui veuille rester dans la crasse ou l’ignorance, même l’écologiste ou le tiers-mondiste le plus convaincu. L’absence de développement des pays arabes est un problème culturel. Pourtant, la démocratie, je l’ai montré, n’est pas incompatible avec l’islam.

Egypte Medinet Habou

On peut en incriminer la religion : le Dieu de l’Islam est sans désir ni amour ; il dépasse l’intelligence et la raison ; il n’aime pas ses créatures qui lui sont indifférentes. Sa puissance est insensible, « islam » veut dire « résignation ». Mais, après tout, le catholicisme n’est pas plus ouvert… La différence est que les sociétés arabes ne génèrent pas de main d’œuvre informée ni capable ; elles rejettent les idées et les techniques nouvelles par préjugé antioccidental (les chrétiens sont honnis) ; la révérence pour le Coran – Livre saint qui a tout dit – empêche toute réflexion personnelle et tout apport extérieur (les chrétiens ont vécu cela jusqu’à Galilée) ; même le savoir que certains acquièrent à l’étranger n’est pas respecté, on lui préfère le clanisme et le bakchich – terme qui vient d’ailleurs de l’arabe. Les entrepreneurs locaux n’appartiennent pas par hasard aux minorités copte, juive ou grecque dans l’histoire de l’Égypte. Même le coton, richesse actuelle du pays, a été introduit par le français Jumel en 1822.

gamins Egypte

Le principal obstacle au développement est peut-être le machisme ambiant. Les femmes sont tenues à l’écart, comme une espèce « inférieure ». Cette attitude prive le pays de main d’œuvre de talent, elle sape le désir de réussite des garçons (traités comme des « pachas »), elle délaisse toute tentative de réflexion ou de débat au profit, très vite, de la violence, expression du physique quand manquent les mots mais aussi quintessence hormonale de l’identité mâle et modèle culturel du guerrier. Le problème est qu’on ne conquiert pas la programmation informatique par le sabre, ni les processus complexes pour fabriquer un avion par la querelle. Sans ouverture culturelle à l’autre, les pays arabes resteront dans leur ghetto. Peut-être est-ce ainsi qu’il faut interpréter l’espoir qu’a fait naître le printemps arabe, malgré ses airs d’automne déjà venu.

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Régression socialiste

A la question d’un sondage : « croyez vous que le parti aura le courage et la sagesse d’accélérer les réformes ? » 72,1% ont répondu NON. A la question de savoir si un développement « aux caractéristiques nationales » serait conforme aux intérêts de la majorité, 82,1% ont répondu NON. S’ils croyaient que « seul le parti serait capable de guider le peuple sur le chemin du socialisme idéal » 85,3% ont répondu NON. Décidément, le socialisme réel se porte mal… C’était le résultat d’un sondage auprès de 3000 personnes publié le 15 avril par le Quotidien du Peuple. Certes, le Parti communiste chinois n’est pas le Parti socialiste français, mais le premier a l’avantage d’être au pouvoir depuis 65 ans, tandis que le second ne connait pratiquement que l’opposition. Il devrait profiter de cet avantage pour être cru par les citoyens. Or il n’est est rien et ce sondage chinois pourrait s’appliquer tel quel en France…

Car un sondage français, France 2013 : les nouvelles fractures, observe l’opinion pessimiste, inquiète et défiante, qui bascule désormais dans le repli. « La France doit se protéger davantage du monde d’aujourd’hui ».  Si 55% des Français considèrent encore l’Europe comme un atout, ceux à faibles revenus (53%) et les classes moyennes (51%) considèrent que c’est un handicap.

  • On comprend pourquoi le discours de Marine Le Pen accroche : toute défiance publique profite au Front national !
  • On comprend aussi pourquoi le gouvernement socialiste garde un train de retard, la confiance se mérite or il ne fait pas ce qu’il faut : il augmente les impôts alors que les Français sont plutôt prêts dans ce sondage à faire des sacrifices personnels sur l’âge de la retraite et les jours de congé, et qu’ils exigent de plus en plus une réduction des dépenses publiques. Ils considèrent aussi majoritairement que les PME sont les seuls acteurs aptes à proposer aujourd’hui du constructif face à la crise (53% des Français et 51% des actifs). Les Montebourg et autres Moi-Je de gauche tradi ont tout faux : seule une minorité de Français considère désormais que l’État doit contrôler et réglementer plus les entreprises (44%, – 14 points)…

La présidence est devenue socialiste mais, sous les habits trop grands de la Ve République, Hollande apparaît plus comme « Guimauve le conquérant » que comme le président de tous les Français. Il continue à garder deux fers au feu, les « couacs » étant l’organisation de la Synthèse comme méthode de gouvernement. Mais un président n’est pas un chef de parti, au risque de se couper de la majorité des Français. Son programme était déjà flou (réduire le déficit, augmenter les impôts et la moraline ‘Moi président de la République’) – il fait le minimum.

  • Il a bien sûr augmenté impôts et taxes – mais sans rien réformer du millefeuille de l’organisation d’État.
  • Il a juré de « stabiliser » le chômage « à la fin de l’année » – mais après quelle hausse d’ici là ?
  • La taxation des plus-values de cession des entreprises, la taxe à 75%, le vocable de « minable » accolé aux riches qui quittent la France, les insultes aux patrons ou éventuels repreneurs étrangers pour Florange, Goodyear, Pétroplus, Dailymotion et autres, les leçons professorales aux industriels (Peugeot, Renault…), l’amnistie « sociale » pour les casseurs syndiqués – est-ce cela qui va encourager la reprise de sites ou le goût d’entreprendre ?

tomates

Où est l’avenir ? Qu’en est-il de l’Europe ? Quelles sont les vraies missions de l’État ? Où en est la réforme de la fiscalité ? On se demande vraiment ce qu’ont fait les énarques et autres apparatchiks du PS dans l’opposition. A part les querelles d’ego, pas grand-chose. Et il n’y a pas de grand Coordinateur pour faire aller dans une direction tout ce petit monde. La régression de la pensée socialiste se résume à longueur d’antennes à :

  • La crise ? Yaka taxer les riches et tordre le bras aux Allemands.
  • La croissance ? Yaka changer de logiciel et faire cracher les patrons.
  • Le chômage ? Yaka interdire les licenciements et embaucher une vague de fonctionnaires.
  • L’éducation, la formation ? Yaka créer des emplois jeunes et exiger des stages rémunérés (et « toujours plus de moyens… »).

C’est simple, non ? Les chiffres sont lancés dans les médias par les experts autoproclamés qui parlent d’une seule voix – hier de la réduction du temps de travail, aujourd’hui de la « relance » (sans budget). Pour un socialiste français, c’est toujours de la faute des autres, Sarkozy, la finance (à qui l’on fait curieusement risette depuis qu’on est au gouvernement), l’Europe allemande, l’austérité, les « riches »… Les réalités françaises ? européennes ? mondiales ? Cékoiça ? La « vraie réalité », pour un socialiste, c’est ce que la politique veut, non ?

Eh bien non… La réalité est ce qui oblige, et cette insupportable contrainte réfrène les soixantuitards enfants gâtés, aujourd’hui cinquantenaires immatures, d’exiger « tout, tout de suite ». La réalité, ils appellent ça « la pensée unique », quand ils sont intelligents. Mais si la pensée unique avait surtout raison parce que tout le monde avec Internet se parle, s’écoute et tombe d’accord sur l’essentiel ? Et s’il est dommage que la pensée reste trop longtemps unique, qu’elle est donc la nouvelle pensée socialiste ? Dix ans après Jospin, on attend toujours. Le peuple, lui, n’attendra pas pour rejeter aux poubelles de la politique ces incapables majeurs dans toutes les élections qui viennent.

Que veulent les socialistes pour la France ? Un pays de retraités ? Un pays-musée ? Un club Med pour riches Russes et Chinois à tondre ? Une liste de restaurants gastronomiques d’État (à TVA et cholestérol allégés) ? – Ou bien des idées neuves et un projet collectif cohérent et jeune pour adapter le pays au monde ? Mais 50% d’ex-profs au gouvernement, c’est trop : un prof dit ce qu’il faut faire, il ne le fait jamais. Les Français, tancés comme s’ils étaient en classe, osent s’y mettre en slip et tourner les clowns imbus d’eux-mêmes en dérision. Ce qui vient de se produire en Grande-Bretagne, la victoire du nouveau parti UKIP (United-Kingdom Independant Party), après le vote massif en faveur d’un comique en Italie, montre bien ce qui va arriver en France : la montée irrésistible de Marine Le Pen, sorteuse de sortants et recentrée souverainisme jacobin.

slip torse nu en classe

L’âge d’or où l’on restait entre soi à collecter aux frontières des taxes en franc exclusif qu’on pouvait redistribuer aux seuls nationaux et dévaluer quand besoin était fait rêver. Aujourd’hui les pensions se désindexent, les allocations familiales sont sous condition de ressources, la crise réduit le pouvoir d’achat, le chômage et les emplois précaires montent, les prélèvements obligatoires augmentent. Pourquoi les Français ne seraient-ils pas défiants envers les socialistes qui promettaient tout et son contraire sans avoir même pris conscience d’une crise ? Une étude Eurostat prouve que le gouvernement PS français est celui de l’Union européenne qui taxe le plus le capital.

  • Ce qui empêche (plus qu’ailleurs) les entreprises de garder un taux de marge suffisant pour investir, innover, exporter – et embaucher.
  • Ce qui empêche (plus qu’ailleurs) les ménages d’avoir un emploi, les jeunes d’obtenir un contrat à durée indéterminée et les seniors d’épargner pour une retraite qui pourtant s’amenuise.
  • D’autant que, du fait de son système archaïque et complexe, la France a les coûts de gestion retraite les plus élevés d’Europe.

Selon certains, Hollande « n’ose pas » assumer sa position sociale-démocrate. Il est vrai qu’il n’est déjà pas copain avec tous les syndicats, et que ceux-ci représentent très peu les salariés privés mais surtout les fonctionnaires. Même le social-jacobinisme, plus dans ses possibilités, est mal assumé : l’État se désengage, il ne peut pas tout mais l’Élysée laisse affirmer le contraire (Montebourg, Hamon, Duflot, etc.). Hollande fait de l’évitement sur tout. Il devrait être le président de tous les citoyens, il n’ose même pas le dire à la face des socialistes…

  • …Qui régressent intellectuellement en reprenant les vieux doudous du passé (dépense publique, dévaluation, nationalisations, antilibéraisme primaire, antigermanisme primaire, antiaméricanisme primaire, étatisme à tous les étages). Le pire fut quand ce brouillon de parti engueula Merkel. Le PS n’a toujours pas réglé le débat d’il y a 30 ans (que Mitterrand avait tranché en 1983) : le socialisme dans un seul pays ou l’arrimage européen. Les Allemands ont pointé avec raison « le désespoir dans lequel se trouvent les socialistes français du fait que, même un an après leur arrivée au pouvoir, ils ne trouvent aucune réponse convaincante aux problèmes financiers et économiques de leur pays ». Avant de donner des leçons au monde entier, balayer devant sa porte ; avant d’appeler à moins de « rigueur », commencer par réformer ses propres gaspillages d’État. On attend toujours !
  • …Qui régressent politiquement en tentant de revenir à cette bonne vieille « union » de la gauche que le reste de la gauche ne veut pas (ni Mélenchon, ni les communistes, ni une bonne part des Verts), pas plus que la majorité des Français – ce pourquoi ils ont choisi Hollande plutôt qu’Aubry. Qu’attend-t-il donc, le président François, pour gouverner selon les souhaits de cette majorité de Français, européens et centristes, ouverts à l’avenir et à l’international, soucieux de dépenser moins pour produire mieux ?

Un parti régressif, un président engourdi, un monde politique en déroute ? C’est la voie ouverte aux extrémismes.

Mais pas à gauche, les Français n’aiment la gauche que dans l’opposition. Les bobos immatures crieront au « fascisme », comme toujours, mais les nouveaux partis ont changé. La Ligue du nord l’avait osé en Italie, le Front national a suivi et désormais l’UKIP : ils ne se veulent pas extrémistes – seulement nationaux souverainistes.

Que feront les zélés zélus du PS en ce cas ? Comme le 10 juillet 1940, faute d’avoir pensé à temps ? Des 569 votants en faveur des pleins pouvoirs, 286 parlementaires avaient une étiquette de gauche…

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Démocratie occidentale en Chine confucéenne ?

La Chine n’est pas inapte à la démocratie conçue comme régime universel. Mais le pays de Confucius n’est pas prêt à adopter sans débat nos traditions libérales de 1789, issues de notre histoire particulière. Sous la direction de Mireille Delmas-Marty et Pierre-Etienne Will, un recueil de spécialistes a fait le point en 2007 sur La Chine et la démocratie.

delmas marty la chine et la democratie

Les fameux « droits de l’homme », phares de la pensée politique occidentale, ne sont pas rejetés. Ce qui ne passe pas, en Chine comme dans toute l’Asie (et probablement dans les pays musulmans et hindouistes – ce qui fait du monde…) c’est la prétention occidentale. Celle de faire des « droits de l’homme » une sorte de découverte ‘scientifique’ – un Souverain Bien dans un monde des Idées – qui s’imposeraient comme seuls critères de jugement à tous. L’Occident comme « mouvement social » de l’Universel dans l’Histoire, quelle blague ! On croyait ce genre de religion terminée depuis l’effondrement du mythe communiste… Car cela revient à nier aux autres cultures toute possibilité d’évaluer ou d’adapter les Normes sorties toutes armées du cerveau des penseurs du 18ème français.

Or le développement économique montre que les « valeurs asiatiques » telles qu’elles sont aujourd’hui permettent le décollage. Que le progrès n’est pas unique, sur un seul schéma, le seul qui avait jusqu’ici réussi : le capitalisme libéral et technique occidental. Les exemples successifs et renouvelés du Japon, de la Corée, de Taiwan, de Singapour, de Hongkong et de la frange côtière de la Chine Populaire ont encouragé le relativisme culturel de l’Asie. Ils opposent à l’individualisme compétitif occidental, les « valeurs asiatiques » de la famille et de la hiérarchie sociale. Selon eux, elles permettent solidarité, esprit d’équipe et respect du travail – tout ce qui disparaît peu à peu dans l’égoïsme au sein des sociétés occidentales. Toutes ces valeurs sont, pour les Chinois, confucéennes. Le livre examine ce discours chinois – et il s’interroge sur la supposée incompatibilité de la tradition politique chinoise avec le libéralisme démocratique moderne offert en exemple par l’Occident.

Une démocratie, c’est un système d’égalisation des conditions, l’absence d’une aristocratie de naissance ou de cooptation ; mais aussi une opinion publique en phase. Ce système réclame notamment l’État de droit, mais  avant tout un État central qui empêche les individus de dépendre d’une caste ou d’une clique. En Chine, l’État central joue clairement ce rôle, bien que le Parti – son bras armé – ait quelque chose d’une caste, même si les pratiques méritocratiques la renouvellent de génération en génération. L’instauration d’un État de droit ne crée pas de fait des pratiques démocratiques. Tocqueville l’avait bien montré, s’agissant de l’Amérique. Il faut que la société tout entière se saisisse de la souveraineté à la base, qu’elle se manifeste et s’exprime autrement que par les rituels de l’élection. Il faut qu’elle se crée en associations, qu’elle participe au pouvoir communal, qu’elle envoie des représentants à l’Exécutif provincial et national, qu’elle dispose d’une presse libre et critique, d’une justice indépendante… Si les formes de la démocratie existent en Chine, le Parti communiste reste le seul autorisé et le Pouvoir verrouille toute forme d’expression non autorisées. Seul le patriotisme lorsque l’étranger critique la Chine – voire le nationalisme lorsque les ethnies irrédentistes tentent de contester le pouvoir central han – jouent le rôle de ciment national. Mais les changements politiques en Chine depuis 35 ans se sont accompagnés de réformes juridiques et elles produisent des effets réels. Toute norme produit son champ autonome, comme chacun sait, et une conscience juridique apparaît chez les Chinois, selon les observations de Stéphanie Balme et des journalistes présents aux Jeux olympiques de 2008.

Selon Mireille Delmas-Marty, la globalisation du monde entraîne l’internationalisation du droit, ce qui crée des espaces virtuels sans frontières. Cela accentue la perplexité chinoise sur le fonctionnement « idéal » de la démocratie et de l’État de droit. La Chine est très attentive à ces dérives marquées par « l’impuissance » politique affichée de l’Union européenne, la « dépolitisation » égoïste des citoyens occidentaux, le pouvoir déstabilisateur des juges constitutionnels qui censurent la loi votée par le Parlement – pourtant représentant du peuple – et l’exigence de pouvoirs d’exception aux gouvernants dans la lutte contre le terrorisme global. Pourquoi donc, se demandent les Chinois, changer notre pouvoir autocratique qui fonctionne bien, si « la démocratie » occidentale, qui fonctionne assez mal, y vient d’elle-même ? Encore une fois, c’est notre exemple qui sert nos valeurs – pas les discours incantatoires de militants des droits de l’homme !

La pensée chinoise n’exclut en rien la notion de droit. Jérôme Bourgon va même jusqu’à faire du principe de légalité des délits et des peines, originalité du juriste occidental Beccaria, une possible invention chinoise ! Les lois rendues publiques, les sanctions clairement prévues, les décisions judiciaires contrôlées étaient assurés dans le système juridique chinois. Bien plus que sous l’Ancien Régime européen. Il existe cependant en Chine (comme ailleurs) un risque de déviance autoritaire, le renzhi (gouvernement par les hommes) opposé au fazhi (gouvernement par le droit). De plus, la tradition chinoise ne sépare pas plus les pouvoirs que nos rois. Les valeurs morales des dirigeants priment sur les lois votées, tout comme l’onction divine par le Sacre rendait le roi de France intermédiaire direct de Dieu, bien au-dessus des Parlements. Il y a donc un héritage mitigé, qui permet la démocratie tout en ne l’assurant pas. Pas plus que les États généraux de 1789 n’ont accouchés d’un coup de la Constitution de la Vème République…

La Chine n’est pas inapte à la démocratie. Pas plus que nous ne l’étions avant 1789. Elle suivra simplement sa tradition et ne tolère pas qu’on lui impose de l’extérieur. Pas plus que les Américains des États-Unis n’ont voulu du paternalisme colonial anglais jadis. La primauté du peuple par rapport au souverain existait explicitement dans les livres philosophiques chinois tels que Mencius et le Livre des Documents. Le peuple était le « fondement de la nation » (guoben ou bangben), « ce qu’il y a de plus précieux » (min wei gui). Il avait déjà le droit de se rebeller contre un souverain indigne. Selon Pierre-Etienne Will, il existait un certain contrôle légal des actes de l’État ou du souverain sous la dynastie Ming (1368-1644).

Yves Chevrier et Xiaohong Xiao-Planes regardent le « premier 20ème siècle » jusqu’en 1949. C’est l’échec des Cent Jours le 21 septembre 1898, l’échec de la démocratie parlementaire en 1913, l’échec du Mouvement du 4 mai 1919, la victoire de l’État autoritaire du Guomindang. Jusqu’à Mao qui se sert de « la démocratie » pour la « jeter après usage » ! La Révolution « Culturelle » lancée par lui, autocrate vieillissant, pour récupérer son pouvoir contre le parti, est jugée par les auteurs plus « fasciste » que démocratique. Ce qui fait que le modèle démocratique à l’occidentale réapparaît spontanément dans la jeunesse des années 1970. On réhabilite le droit contre l’anarchie, l’État contre le Parti et la légalité contre la violence arbitraire.

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Selon les dirigeants d’aujourd’hui, accrochés eux aussi à leur pouvoir, rien ne doit déstabiliser l’équilibre institutionnel. La Chine connaît trop de tensions dues à son développement accéléré pour que l’on joue avec le régime, comme Mao l’a fait. Plus jamais les coups de barre brutaux d’un Grand Timonier ! La « démocratie » formelle est jugée soit instrument maoïste dangereux, soit injonction coloniale inacceptable. L’arriération du peuple et de l’économie imposeraient pour le moment un système moins anarchique que la démocratie à l’occidentale : un despotisme éclairé fondé sur l’équilibre de couches sociales telles que les nouveaux capitalistes, les marchands cosmopolites, les paysans « sages », et des castes d’État telles le Parti et l’Armée. Selon Michel Bonnin, la théorie chinoise reste cependant déconnectée du fonctionnement réel du pays. Le Bureau politique n’est cité nulle part dans la Constitution chinoise. L’État est faible à cause du Parti qui l’investit totalement. « Le développement évident de la corruption, l’appropriation privée des biens de l’État par simple décision administrative, ainsi que la fracture entre les bénéficiaires des réformes et les laissés-pour-compte créent des risques d’éclatement que seule une réforme politique pourrait atténuer. » (p.515).

Urbanisation, éducation et développement se conjuguent pour faire des Chinois des citoyens moins passifs et plus éclairés. Ils jugent leurs dirigeants sur leurs résultats, comme on l’a vu durant le tremblement de terre du Sichuan. Le développement rapide crée de multiples tensions sociales et élève une conscience citoyenne nouvelle qui se manifeste par les actions juridiques, les réclamations aux autorités et les blogs. « La Chine est donc condamnée à se démocratiser », conclut Zhang Lun (p.517). Mais la transition démocratique devrait être progressive, « juste pour équilibrer les intérêts divergents de la société et du Parti en matière de participation et de contrôle » (p. 732). Cela prendra du temps mais sera clairement chinois. Pas de modèle « idéal » plaqué d’en haut, ni venu de l’extérieur.

Reste l’irrédentisme culturel tibétain. Mais c’est une autre histoire dont ce livre ne parle pas. Elle ne pourra être abordée sereinement que lorsque la détente démocratique arrivera dans la Chine han. Avant cela, toute velléité de contester Pékin aboutit aux raidissements que l’on constate dans tous les États centralisés : de la Russie de Poutine avec la Tchétchénie ou l’Ossétie à la France de Mitterrand-Chirac avec la Corse ou le pays Basque.

Mireille Delmas-Marty, Pierre-Etienne Will dir., La Chine et la démocratie, Fayard 2007, 893 pages, €34.68

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Libertés en Chine

Article repris par Medium4You.

Le pays, sous domination impériale, a été colonisé et humilié pendant plus d’un siècle. Sa première exigence de liberté a donc été nationaliste et révolutionnaire : renverser l’empereur pour secouer le joug colonial des puissances occidentales et la menace militariste des Japonais en Mandchourie. L’idéal de Mao était le marxisme appliqué à une société rurale. L’égalité de tous était un principe, mais l’organisation de la transition communiste exigeait que l’élite du Parti commande. La masse était donc soumise à la tyrannie de « l’appareil ». Mao a joué en fin politique de cette contradiction entre égalité proclamée et hiérarchie réelle. « Feu sur le Quartier général » était un moyen de déstabiliser le Parti par la jeunesse en masse, ignorante et fanatisée, pour mieux assurer le pouvoir du « Secrétaire » général.

Mao éliminé par l’usure biologique, ses successeurs ont voulu apaiser la société en lui permettant l’initiative en affaires. L’économie a été rendue au privé depuis 1978, peu à peu et dans certaines zones. Le slogan était : « peu importe qu’un chat soit blanc ou noir s’il attrape des souris ». 35 ans plus tard, cette stratégie a porté ses fruits. S’avive alors la contradiction de toute société développée entre ceux qui ont créé la richesse (donc un certain pouvoir) et la masse qui en a moins et les jalouse. Les inégalités criantes sont considérées comme illégitimes, tandis que la liberté du commerce permet à chacun d’émerger socialement par lui-même. Le fait que ceux qui sont arrivés usent de corruption pour empêcher les autres de faire de même engendre des frustrations que seul un État central et neutre peut arbitrer.

Or l’État chinois est entre les mains d’une oligarchie politique très peu démocratique, qui se coopte entre copains et n’admet que ceux qui font allégeance. Cette hiérarchie brutale d’une secte fermée entre en contradiction de plus en plus forte avec une société civile désormais dynamique qui arrive à l’aisance par ses propres moyens et comprend de moins en moins en quoi « le Parti » est utile au pays. Si de trop fortes inégalités sociales entravent les libertés par la puissance qu’elles donnent à quelques-uns, un pouvoir non légitimé par le vote démocratique entrave les libertés par son arbitraire. La Chine en est là aujourd’hui.

rue de pekin 1993

La tradition confucéenne, très présente dans la culture, donne comme idéal social l’harmonie et la paix, rendues possibles par la pratique de la vertu de chacun. L’ordre du monde exige l’ordre en soi. La liberté individuelle est donc limitée par la norme sociale, mais l’individu n’existe que par la force du groupe – d’où l’idée qu’être maître de soi, c’est être maître du monde. Cette liberté est donc différente de cet absolu abstrait que pense l’Occident. L’être humain n’est pas cet atome solitaire flottant dans le vide égalitaire, mais une particule en interaction constante avec les autres, plus petites, égales ou plus grosses. La liberté chinoise s’écrit au pluriel ; les libertés acceptent aussi bien la hiérarchie du pouvoir qu’une certaine dépendance – à condition qu’il y ait réciprocité. L’idée qu’un Centre moral puisse contrôler une Périphérie corrompue est admise et même recherchée. Ce qui rend encore le Parti communiste légitime aux yeux des masses, pas toutes urbanisée ni éduquées, qui ont à se défendre contre la captation des terres par les cadres locaux du Parti à des fins mercantiles, et contre les abus des pouvoirs locaux très fréquents.

Mais les migrations de plus en plus fortes vers les villes, le développement industriel et la hausse des salaires, font qu’éclate la société traditionnelle maoïste reconnaissante au Parti d’avoir émancipé la Chine ; qu’éclate aussi la famille clanique dirigée par le père et les anciens ou le groupe local contrôlé par le Parti. La conscience personnelle se développe au détriment du groupe et le développement par la richesse et l’éducation ne fait qu’accentuer le phénomène. Les libertés chinoises retrouvent désormais l’usage séculaire de contester et de résister.

Or la rigidité policière est inadaptée à une société en mutation rapide. La répression sans dialogue inhibe toute tentative de réforme et rend dangereux le blocage du pouvoir. Les déficits de solidarité et les égoïsmes lors de plusieurs accidents de personnes laissées sans secours dans l’indifférence générale s’expliquent ainsi. L’appel à la police pour dénoncer des abus, ou l’aide à une personne en détresse, peuvent se retourner directement contre les bonnes intentions. Ce qui a incité le Comité central du Parti à vouloir « corriger la manière de penser de la société pour la remettre en cohérence avec les valeurs du système socialiste ». Mais pour cela, il conserve les bonnes vieilles recettes socialistes du surveiller et punir : « Nous devons rehausser nos capacités d’encadrement de l’opinion publique (…) et renforcer les contrôles d’internet ». Les élections libres dans 43 000 cantons entre l’été 2011 et l’été 2012 ont montré l’aversion des autorités locales du Parti pour les candidats spontanés. Ce qui s’est traduit par des harcèlements policiers, intimidations, convocations et mises au secret, accusations publiques d’être « ennemis de l’état » et « suppôts des forces étrangères hostiles à la Chine ».

Chinois Tintin Le Lotus Bleu

Or Internet se développe, malgré la censure et les intimidations. Près de 500 millions de Chinois ont accès aux réseaux, formidable caisse de résonance des dénonciations d’abus et désirs de changement. Les révoltes du printemps arabe ont inquiété les autorités chinoises, qui voient bien comment un blocage du pouvoir peut dégénérer en révolte brutale de tout un peuple. D’où l’ouverture économique renforcée (les citoyens, occupés à leurs affaires, ont moins intérêt à la politique), et la critique morale. Le Quotidien du Peuple (14 février) a ainsi analysé le cas égyptien, doutant que « la démocratie » à l’occidentale soit la solution. « La classe moyenne égyptienne est faible, la bureaucratie, la corruption dominent le système politique, les écarts de revenus sont considérables. La démocratie à elle seule ne viendra pas à bout de ces problèmes. Il y faudra d’abord un long et difficile processus de développement de toute la société égyptienne ». Mais les intellectuels ne croient pas à cette simplification. He Wenping, chercheur à l’Académie des Sciences Sociales, cite Samuel Huntington pour dénoncer les blocages chinois : les désordres se développent quand les réformes politiques sont trop lentes pour les nouveaux groupes sociaux.

Problème : sur Tien An Men en 1989 comme au Tibet depuis 1959, le Parti communiste chinois centralisé ne veut pas lâcher le pouvoir, selon l’expérience historique que toute force qui se fissure ne tarde pas à s’effondrer (le seul contre-exemple de transition réussie est la démocratie espagnole après Franco).

L’harmonie sociale, vieil idéal confucianiste, passe par la création d’un État de droit et l’instauration d’une justice indépendante du pouvoir politique. Mais la multiplication des « incidents de masse » montre combien la corruption et l’abus de pouvoir sont fréquents dans le Parti. Une justice autonome détruirait le Parti, seule colonne vertébrale de la société politique en Chine en l’absence de toute tradition démocratique.

Plus grave, l’historien Xiang Lanxin a montré comment le Parti captait la richesse publique au profit d’une étroite oligarchie, alors que l’essor de l’économie rend la société plus réceptive au mérite personnel. Les juristes pointent les écarts criants entre la lettre de la Constitution chinoise et son application très politique. Une centaine d’intellectuels chinois viennent de mettre en ligne une lettre ouverte demandant tout simplement la ratification du Pacte international sur les droits civils et politiques, que la Chine a signé… en 1998.

Le Parti est conscient de ces multiples contradictions politiques et sociales. Mais il réclame que tout passe par lui, que tout dialogue se fasse en son sein, que toute réforme soit conduite sous sa direction. Est-ce tenable longtemps ? Pas sûr, d’autant que le ralentissement des exportations pour cause de marasme économique dans les pays développés renvoie la Chine à son développement intérieur – donc à ses propres contradictions.

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Dans un siècle, 2113

Les prévisions sont d’autant plus difficiles qu’elles portent sur l’avenir, disait l’humoriste. Nous avons cependant quelques certitudes : dans cent ans, nous aurons tous disparus, nos enfants aussi, et nos petits-enfants connaîtront leurs dernières années. Le monde aura changé, comme il ne cesse de le faire, mais selon la pesanteur des forces présentes aujourd’hui. Une force va en effet toujours au bout de sa puissance. Voilà pour les certitudes.

Maintenant l’imagination. Ce sera le siècle de la troisième génération née de nous, l’équivalent des petits d’aujourd’hui pour un vieux qui a fait la guerre de 14. Ils vivront probablement plus longtemps, mais ce qui leur importera sera moins l’âge avancé (110 ou 120 ans) que rester lucide et valide jusqu’à l’extrémité. Le vieillissement ne sera pas éradiqué, mais peut-être atténué ; des prothèses miniatures issues des nanotechnologies pourraient y pallier. De nouvelles maladies seront apparues en raison du réchauffement planétaire sur des populations inadaptées. Quoiqu’il en soit, la démographie devrait s’être stabilisée vers 2030 déjà, le monde oscillant autour de 15 à 20 milliards d’habitants. Le développement économique plus égal, l’éducation mieux répandue notamment des femmes, et peut-être l’état de la planète, inciteront les humains à faire moins d’enfants. Peut-être y aura-t-il localement contrainte.

adolescence chemise blancheLes religions reculeront ; elles ne disparaîtront pas, mais leur messianisme assis sur la naïveté ne sera plus aussi fort. Les intérêts de pouvoir et d’argent apparaîtront bien plus pour ce qu’ils sont au travers du prétexte idéologique agité de la religion. Car les nouvelles technologies de la communication auront atteint un point irréversible. Plus personne ne sera épargné par les prothèses techniques qui vous brancheront en permanence. Et les migrations n’auront plus lieu d’être puisque la démographie sera stable et l’économie sans croissance. Ce qui produira selon toutes probabilités une humanité plus universelle, et en même temps plus localisée. Le monde sera la coque de tous, mais chacun vivra sur son petit territoire, entouré des siens et de sa communauté. Il n’y aura pas un gouvernement mondial mais de grandes fédérations de régions selon les pesanteurs d’aujourd’hui : la Chine (et le Japon ?), les Indes, l’Amérique du nord (avec le Mexique), l’Europe (avec la Russie mais peut-être sans la Turquie ni le Maghreb), un ensemble islamique proche-oriental, une Afrique noire.

Peut-être. Car les États-Unis seront nettement moins Blancs anglo-saxons protestants et beaucoup plus latinos et asiatiques. La Russie aura vu sa démographie s’effondrer, la ramenant à une population inférieure à celle de la France-Allemagne, moindre que celle de la Turquie. Elle aura dû abandonner l’orient sibérien aux Chinois, avides de ressources pour leur population immense (mais inférieure à celle des Indes). Ce pourquoi la Russie pourrait s’être rapprochée de l’Union européenne, offrant enfin à celle-ci son Far-East, réalisant enfin l’ambition constante depuis Charlemagne (en passant par Napoléon et Hitler) d’unifier la péninsule européenne de l’Atlantique à l’Oural. Mais pacifiquement cette fois, par les trends démographiques, économiques et géopolitiques. Ce qui pourrait repousser l’arc islamique, maintenu hors d’Europe par la volonté de ne pas noyer les pays du nord par la population trop nombreuse du sud. Ou peut-être pas, tout dépendra de l’évolution de l’intégrisme religieux durant le XXIème siècle.

Huntington carte des cultures religieuses

La Chine ne sera plus une menace pour les autres, elle aura trouvé son empire par simple étalement de puissance en tache d’huile. Sa population sera stable, ses ressources assurées par la Sibérie, elle ne voudra rien de plus. Les Indes en revanche, en pleine force durant le siècle, auront dépassé la Chine. Mais la culture du multiple ne rendra pas le pays agressif ; tout au plus ira-t-il tisser des liens étroits avec l’Afrique, juste de l’autre côté de l’océan indien, pour assurer ses ressources.

Mais le climat se sera réchauffé vraisemblablement de 5 à 7° en moyenne, changeant les saisons (plus de canicules en Europe, plus de cyclones en Amérique du nord, plus de sécheresse au Sahel), aggravant les pénuries d’eau au Maghreb et déréglant la mousson en Asie. Mais la route de l’océan Arctique sera ouverte aux bateaux, la mer restant libre de glace plusieurs mois par an. Cela devrait profiter aux économies du Canada et de la Russie, tandis que le transfert des ressources minières profiterait à l’Afrique du sud et à l’Australie. Tous ces pays sont déjà organisés et industrieux, ils devraient étaler cette puissance grâce aux nouvelles conditions.

Cependant, le pétrole aura été asséché, ne permettant plus cette énergie universelle bon marché qu’il est encore en 2013. Les savants n’auront toujours pas trouvé de substitut, l’énergie sera abondante, mais créée de multiples sources locales, liées au territoire : l’ensoleillement, le vent, la biomasse, le recyclage. Les capacités de stockage auront été améliorées, mais toucheront leur limite. Avec une société plus technologique et le renchérissement des coûts de déplacement, les gens devraient moins bouger. Les caprices d’un week-end à New York ou d’une semaine à Maurice devraient avoir disparus. Difficile de faire voler un avion à l’électricité, et le biocarburant coûtera cher en bilan carbone, réservant les airs aux pouvoirs publics et aux grandes entreprises.

Bruegel jeux d enfants 1560 detail

Les villes connaîtraient une désaffection au profit du rurbain, où les communautés offriront une existence plus paisible et des conditions plus saines de vie et de nourriture produite localement. Surtout que le temps de travail sera plus restreint, une grande partie des occupations auront lieu hors métier, dans la communauté locale. Le virtuel sera si développé que tous les fantasmes pourront se réaliser sans aucune conséquence dans le réel, sinon que les relations entre humains pourraient être plus libres. Mais sous l’œil des voisins, ce qui créera les limites inhérentes à toute société. Le couple nucléaire subsistera, mais ne devrait pas rester majoritaire, la recomposition des familles allant jusqu’à intégrer des membres non apparentés génétiquement, mais présents aux enfants et conjoints. Nous serons quelque part dans l’existence quotidienne du moyen-âge, la technologie en plus, tandis que la politique ressemblerait plus à l’empire romain.

ados en chaleurLe livre ne subsistera que comme les papyrus dans les musées, objet de folklore parfois retrouvé aux puces ou dans les greniers. On apprendra encore à lire, mais un livre tout entier nécessitera un trop gros effort, pour des histoires très datées au vocabulaire quasi incompréhensible. Car les langues auront évolué, intégrant un vocabulaire plus global, sans aucun souci des nuances d’orthographe et des subtilités de grammaire. Chacun en parlera au moins deux, le globish dérivé d’un anglais abâtardi et sa propre langue, bien changée. La communication aura remplacé le langage, la parole sera brève et efficace. Sauf pour la poésie, qui demeurera le chant des paroles, mais probablement moins écrite et plus associée aux sons, aux couleurs, aux parfums. Les fictions perdront le support papier pour passer dans le virtuel 4D, avec casque intégral qui immergera chacun dans un univers parallèle onirique. Écrire un roman sera un travail d’équipe, comme un film aujourd’hui, avec scénariste, réalisateur et techniciens. Les mots seront ornés de son, lumière, fragrances et saveurs, on s’y croira. L’histoire, d’ailleurs, sera interactive, chacun choisira son degré d’émotion au préalable, du plus noir au plus rose, avec possibilité de changer en cours de récit. Qui connaîtra encore Balzac ? Proust peut-être sera recyclé en remake avec parfums et désirs car il a toujours été un auteur ‘total’. Mais tout le monde aura oublié La Princesse de Clèves

Je pourrais en dire bien plus, mais ce ne seraient que possibles qui se réaliseront ou non. Et vous, posez-vous la question : comment voyez-vous le monde dans un siècle ?

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Marie-Claire Bergère, Histoire de Shanghai

Cette spécialiste de la Chine depuis les années 1950, professeur désormais émérite des universités, a beaucoup écrit sur la sociologie du plus gros pays émergent. Elle a choisi une ville emblème, Shanghai, pour raconter l’histoire de l’essor économique, poussé ou rembarré par la politique selon les époques. Shanghai n’est pas Pékin et tout développement de la périphérie commerçante ouverte sur l’international fait de l’ombre aux mandarins impériaux ou rouges de la capitale. Ils veulent garder le pouvoir, or le premier pouvoir est celui des moyens. D’où le stop and go du développement des ports côtiers, jusqu’à la libération post-Mao de Deng Xiaoping : « qu’importe qu’un chat soit blanc ou noir, l’important est qu’il capture des souris ».

La Chine, orgueilleuse et nationaliste, utilise l’étranger pour son intérêt dès l’ouverture forcée fin XIXème. « Lorsque les barbares disposent de la supériorité militaire, il faut les apaiser par des concessions ponctuelles, les amadouer par de bons traitements et les neutraliser en les dressant les uns contre les autres, ou bien en les cooptant et en les intégrant aux structures administratives de l’Empire » p.27. Cette stratégie est toujours d’actualité…

Dès l’origine, « le principal moteur de la croissance, c’est l’entreprise privée » p.33. Avis aux socialismes qui croient que taxer et punir permet le développement. La bureaucratie impériale a recueilli les bénéfices fiscaux de l’expansion économique de la ville, mais en accompagnant l’évolution, pas en l’entravant. Marie-Claire Bergère fait bon marché de la thèse marxiste selon laquelle la Chine aurait été mise en coupe réglée par des exploiteurs capitalistes étrangers. Elle montre fort bien la symbiose qui s’est construite dès le début entre le pragmatisme des commerçants et artisans chinois et le système légal de propriété établi dans la concession étrangère en 1862. « Le nouveau dispositif juridique attire de nombreux investisseurs chinois qui, tout autant que les étrangers, se sentent rassurés par les garanties qu’il offre. Il facilite donc la réorientation, à des fins productives, de fortunes marchandes traditionnellement utilisées pour l’acquisition de titres officiels [aujourd’hui on parlerait d’emprunts d’État et de livrets A], le financement d’œuvres philanthropiques ou encore l’achat de faveurs bureaucratiques » p.85.

La révolution nationaliste de 1911 est née à Shanghai en voie de la modernisation et de démocratie, mais le pays ne va pas suivre. Le mouvement de boycott des produits japonais ou américains pour arracher des concessions aux étrangers est né là aussi dans les années 1920, mais les insurrections communistes en 1927 échouent. Il faudra Mao et la Seconde guerre mondiale pour que le fascisme du Guomindang laisse la place à la bureaucratie totalitaire rouge. Ce n’était pas l’idéal de la ville, plus portée à un bon gouvernement et une harmonie sociale par la porosité entre politique et économie, entre pouvoir et société.

« Le Haipai, ou ‘style de Shanghai’, est l’expression de la culture commerciale et cosmopolite de la Chine moderne » p.255. Elle s’oppose au Jingpai, style de Pékin, marqué par la répulsion des mandarins lettrés pour tout ce qui touche à l’argent et au pragmatisme. Masse contre élite, commerçants qui créent de la richesse contre fonctionnaires imbus de leur caste et du pouvoir. Toute l’histoire récente de la Chine – et pas seulement en Chine – se résume à cette rivalité entre Pékin et les ports côtiers tels Shanghai. L’échec du Grand bond en avant est suivi de la répression anarchique de la Révolution culturelle. C’est de Shanghai que partent les premières attaques de presse contre Mao Zedong, qui conduit par mégalomanie le pays à la misère. Bien que la Bande des Quatre (avec la veuve Mao) soit implantée à Shanghai, Jiang Zemin devient maire de la ville en 1985 ; avec son adjoint Zhu Ronji, il va négocier avec la capitale pour que son développement ne bouleverse pas trop les habitudes. Pékin désire en effet que la réforme économique soit graduelle, et mise en forme à la périphérie d’abord, pour ne pas menacer le pouvoir du centre. La revendication étudiante de la place Tian’anmen en 1989 donnera raison à Deng, mais ne remettra pas en cause la réforme. Au contraire, Shanghai en profite enfin, pour accélérer le développement économique et apaiser les tensions politiques. L’avenir chinois est aujourd’hui à Shanghai, Canton et Shenzhen-Hongkong plus qu’à Pékin.

C’est donc l’histoire contemporaine de l’essor chinois que Marie-Claire Bergère expose par l’histoire de Shanghai. Un livre utile pour comprendre les tendances longues de l’émergence et les imbrications croisées de l’économie et de la politique, du nationalisme et de l’ouverture. Utile aussi pour saisir ce qu’il ne faut pas faire en politique si l’on veut de la croissance : contraindre et punir par la multiplication des règlementations et des taxes.

Marie-Claire Bergère, Histoire de Shanghai, 2002, Fayard, 520 pages, €26.03 ou €18.99 format Kindle 

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Moi, président de la République

Depuis 20 h, ce dimanche soir, nous avons pour cinq ans un nouveau président de la République en France. Vertu des élections libres, précédées de débats démocratiques, que peu de pays au monde permettent (regardez en Syrie, en Russie, en Chine…). 2012 apparaît comme la chronique d’une défaite annoncée, celle de Nicolas Sarkozy, mais c’est maintenant que tout commence pour François Hollande. Car rien n’est fait, le programme du parti Socialiste et des Verts est à mettre à la poubelle de l’histoire tant il rêve – alors que le présent presse : les 18% d’électeurs Le Pen, la dette, les menaces sur l’euro.

Chronique d’une défaite annoncée

Pardon de me citer, je l’avais écrit il y a deux ans en septembre 2010  et même en 2008 avec une comparaison prémonitoire avec le tempérament de Churchill. Au fond, « s’il sait présider, Nicolas Sarkozy ne sait pas gouverner. Il n’a pas compris qu’un président de quinquennat est plus chef d’équipe qu’arbitre gaullien au-dessus des partis ». Le pire ennemi de Nicolas Sarkozy, c’est lui-même. « On le sait bien, Nicolas Sarkozy n’est pas un libéral – pas même une de ces caricatures de gauche pour effrayer les enfants. Nicolas Sarkozy est bonapartiste, interventionniste, oscillant entre néo-conservatisme et néo-colbertisme, entre Guaino et Guéant, ses deux éminences grises. Et, au fond, c’est bien cela le problème : l’image que donne le président Sarkozy ». Rien de bien neuf, cela se voyait déjà durant ses premiers mois de président.

Nicolas Sarkozy a fait une mauvaise campagne. Content de lui, avide qu’on l’aime, il s’est montré sur la défensive, donc agressif. Plutôt que de mettre en avant les points positifs de son bilan (il y en a), il est passé dessus comme s’ils ne comptaient pas. Il a préféré attaquer son adversaire comme en combat de rue, plutôt que d’exercer sa faculté critique et pédagogique. Les poings plus que les mots, il est tout dans l’action, rien dans l’explication. Voyant la France à droite, comme dans les années 30, il a couru derrière Marine et a laissé tomber le centre. Marine va voter blanc (il est vrai qu’il lui serait difficile de voter noir…) et le centre se venge en laissant tomber l’agité.

Ce comportement suicidaire immature a quelque chose de la ‘Fureur de vivre’ : foncer pour compenser l’absence de père, se mesurer au couteau pour prouver sa virilité, tout au présent, sans histoire (déniée parce qu’elle fait mal) et sans avenir (par infantilisme). Nous avions cru aux réformes après l’immobilisme Chirac, au dynamisme du travail après le prurit dépensier Jospin. Échec. Au débat du 2 mai, le score est sans appel : Hollande 1, Sarkozy 0. A l’élection du 6 mai : Hollande 51.6%, Sarkozy 48.3% (chiffres définitifs). Moins que l’écart abyssal annoncé par les sondages, mais large.

Sarkozy a détruit l’image du président, il a détruit la droite rassemblée, il a été sanctionné. Peut-être le désirait-il ? Le comportement suicidaire est toujours un appel.

A l’inverse, François Hollande a joué la force tranquille. Par imitation de son grand modèle François 1, mais il a été efficace, droit dans ses convictions (peut-être droit dans ses bottes, mais durant le débat on ne les voyait pas) et surtout rationnel, cohérent. Faisant apparaître agités et incohérents les mouvements d’épaules et les redressements de veste de son concurrent.

Mais c’est maintenant que tout commence

Gagner une élection ne fait pas une politique, tout au plus séduit-on mieux. Mais pour quoi faire ? Le paysage français est celui d’un cinquième d’abstentionnistes, un dixième de révolutionnaires et d’un cinquième de déclassés tentés par l’autorité droitière – comme en Grèce. Le ressentiment des laissés pour compte de la mondialisation économique, culturelle et migratoire se font entendre, haut et fort. Au premier tour, 30% des ouvriers, 28% des artisans et commerçants, 26% des employés et 21% des 18-24 ans ont voté Le Pen. Que va dire le nouveau président à ces électeurs ? Va-t-il encourager les 12 ou 13% de radicaux mélenchon-gauchistes ? Ce serait suicidaire.

Car l’État-providence à la française est épuisé. Trop de dettes dues à trop de laxisme dans la gestion de l’administration, à l’empilement des niveaux de décision, à cette répugnance à réorganiser et informatiser, à évaluer les réformes. Que faire ? Changer radicalement la fonction publique et adapter l’État à ses missions essentielles ? Difficile quand on a été élu principalement par les fonctionnaires et les ayants droits des zavantages sociaux. Augmenter les impôts ? Facile à court terme, surtout lorsqu’on jure qu’il s’agit de ceux des « riches » – mais peu rémunérateur, tant les « riches » sont peu nombreux. Faudra-t-il ponctionner un peu plus la classe moyenne ? Le tropisme fiscal est-il compatible avec la lutte des entreprises pour se faire une place dans le monde ?

C’est un chapitre classique des manuels d’économie de montrer qu’il n’y a que deux moyens d’assainir un budget d’État : d’une part augmenter les recettes et diminuer les dépenses, d’autre part encourager la production et rationaliser l’administration. La gauche sait faire sur les impôts – mais elle ne promet aucunement de diminuer les dépenses… Saura-t-elle favoriser l’entrepreneuriat et augmenter la productivité publique ? A trop rigidifier le cadre de l’économie, fiscaliser le profit, empêcher les licenciements, taxer la production, on fait fuir l’investissement des grands groupes et les talents, et l’on empêche la création de ces PME et TPE qui sont le ressort de l’Allemagne. On permet donc le marasme des petits salaires, de la précarité, du chômage. Ce qui augmente l’assistanat et fait baisser les rentrées fiscales…

L’incantation magique à « la croissance » ne sert à rien si l’on n’encourage pas le tempérament d’entreprendre et le profit légitime. Pourquoi créer en France une entreprise si la paperasserie et le fisc multiplient les obstacles ? Si l’opinion commune vous jalouse et vous méprise ? Autant être fonctionnaire, bien tranquille, sûr d’être payé (quoique…). La relance « keynésienne » de la gauche est une magie aujourd’hui peu efficace parce que le monde est ouvert et que des pays immenses émergent au développement, donc aux exportations à bas coûts. La récente expérience américaine montre que baisser le coût du travail est plus efficace que favoriser la consommation : car celle-ci est excessive, gaspilleuse, favorisant les importations, donc la dépendance du pays…

Mais baisser le coût du travail ne signifie pas baisser les salaires ! Un patron qui paye la même chose en Suisse qu’en France verse 60% au salarié, pas 40% comme aux Français… Cherchez l’erreur : dans l’empilement des cotisations sociales mal ciblées, à l’utilisation mal contrôlées, générant des fromages syndicaux sans nombre (y compris des syndicats patronaux). C’est l’interventionnisme d’État qui coûte cher en France, pas « le travail ».

Désigner des boucs émissaires est facile, cela ressoude la bande, mais qu’en est-il de l’antisarkozysme quand il n’y a plus de Sarkozy ? L’immigration et l’islamisme sont-ils moins un problème sous la gauche ? La finance, le libre-échange et l’Union européenne sont-ils sans influence parce que la gauche est au pouvoir ? On ne change pas la vie, on l’adapte. C’est moins rose mais bien plus efficace. « Justice » dit François Hollande : ce qui signifie juste milieu et juste répartition, balance des avantages et inconvénients pour chaque mesure, évaluation juste à temps de ce qui se tente. Les électeurs jugeront.

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François Hollande et le modèle chinois

Récemment, nous lisions ceci sur le schéma de développement :

« 1) Poursuivre et compléter la transition vers une économie de marché ;

2) Augmenter les efforts d’innovation ;

3) Privilégier les énergies vertes pour transformer le stress environnemental en opportunité de croissance et de développement ;

4) Élargir à tous l’accès à la santé publique à l’éducation et au travail ;

5) Moderniser et consolider le système fiscal ;

6) Intégrer les réformes structurelles aux modifications de l’économie globale afin de développer des relations positives avec le monde. »

C’est à peu près le programme de François Hollande à l’exception, curieusement, des points 1 et 6.

Photo l’Est Républicain

Car pour les socialistes,

  • il s’agit de RÉDUIRE l’économie de marché et pas de la développer ;
  • il s’agit d’ÉVITER les réformes structurelles qui adapteraient la France au monde…

C’est tout le contraste entre le dynamisme d’un pays jeune qui en veut et notre mentalité d’ayant-droits fonctionnarisés où il s’agit de conserver un Etat-providence datant d’il y a un demi-siècle sans rien y toucher. Car nous sommes en Chine communiste… et ce programme cité plus haut est extrait du tout dernier document du 27 février 2012 : ‘Chine 2030. Construire une société moderne à hauts revenus, harmonieuse et créative’. Ce rapport est signé par le Directeur du Centre de Recherche du Conseil des Affaires d’État, Li Wei avec la Banque mondiale. La Chine communiste assume la mondialisation et son rôle de puissance – pas la France frileuse de François Hollande. Pourquoi ?

Une fois de plus, référons-nous au rapport chinois. Il y est écrit textuellement que : « Le groupe qui résistera le plus aux réformes sera, sans conteste, celui des intérêts corporatistes, tels que les entreprises en situation de monopole sur leur marché, les groupes, institutions ou personnes qui bénéficient de privilèges particuliers ou de traitements préférentiels rendus possibles par l’actuel fonctionnement du pouvoir et des institutions ». C’est le cas en Chine, c’est évidemment le cas en France.

Mais qui sont ces « groupes, institutions ou personnes » ? Ceux « qui profitent de rentes de situations découlant de leurs relations privilégiées avec les décideurs politiques, protègeront résolument leurs intérêts grâce à leur pouvoir, leurs ressources et leurs connexions. Pour surmonter ces obstacles, le gouvernement devra, à son plus haut niveau, faire preuve de courage, de détermination, de clarté dans l’exposé de ses objectifs et d’un grand charisme politique ». En France, ce sont à droite le MEDEF et les grandes entreprises, à gauche tous les syndicats de la fonction publique, les élus des collectivités locales, les représentants aux conseils paritaires des organismes sociaux… Hollande est coincé. Tous ces fromages de la République emplis de copains socialistes coûtent cher, sont opaques, et servent à récompenser les amis politiques. Comme en Chine.

Sauf que la Chine communiste a le « courage » de pointer du doigt ces profiteurs, tandis que notre pauvre Cour des comptes a beau s’époumoner, la caste fonctionnariale et corporatiste s’en fout !

Mais il n’y a pas que les fromages, il y a aussi les populistes. En Chine aussi. Bo Xilai a été limogé début mars du gouvernement de Chongqing. Très démagogique chef du courant conservateur au sein du PC, il avait le populisme maoïste. Ce Mélenchon chinois a été viré sans état d’âme par le courant central qui promeut les réformes organisées.

François Hollande ne devrait-il pas s’interroger sur cette façon de faire ? Cette crise du système politique chinois, peut-être la plus forte de l’appareil depuis l’ère Mao, ne devrait-elle pas être celle du salut pour le parti socialiste français qui a peine à se renouveler ? Manque en effet au programme Hollande

  • une grande ambition : replacer la France dans le monde…
  • et un courage : celui de faire fondre les fromages.

Pourquoi ne se mettrait-il pas à l’école asiatique, qui marche tellement mieux que la sienne ?

François Danjou, L’ANP 2012, testament politique de Wen Jiabao, QuestionChine.net 

De la médiocrité de l’offre politique 

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Que faisiez-vous le 11-Septembre 2001 ?

Je rentrais de vacances, justement de trois semaines au Pakistan. Les attentats ont été préparés par Ben Laden et ses complices, cachés quelque part dans la zone floue entre Afghanistan et Pakistan. Cette zone tribale d’ethnie Patan déborde des deux côtés de la frontière, mêlant clanisme familial et seigneurs locaux de la guerre. Le Pakistan n’a jamais voulu s’aliéner ces ethnies montagnardes, soucieux de conserver une profondeur stratégique à son pays, s’il était menacé par l’Inde. Les États-Unis ont soutenu cette idée en finançant à tour de bras les islamistes contre les soviétiques.

Ce qui m’a surpris, le 11-Septembre, est que cette haine affichée de l’Occident n’existait absolument pas quelques jours avant dans les bazars de Peshawar, grande ville la plus proche de l’Afghanistan et de la fameuse passe de Khyber. Notre guide à moustaches, Karim, nous a emmenés à l’intérieur de la mosquée Jakeola. Les dalles de marbre étaient chaudes aux pieds nus en cette heure méridienne. Des gamins se poursuivaient sous l’œil protecteur des adultes qui les réprimandent rarement tant l’exemple joue pour ces gosses qui sont constamment mêlés aux hommes. Nombre d’adultes en turbans faisaient la sieste allongés sur les dalles, à l’ombre de la galerie ; quelques-uns priaient à l’intérieur de la mosquée. Le bruit dominant était celui des jeunes garçons ânonnant le Coran pour l’apprendre par cœur, en balançant le haut du corps en rythme. Un lettré barbu par groupe, baguette à la main, lançait les versets et reprenait la récitation fautive des élèves dans une indifférence agacée. Nul doute que notre présence ne perturbait les séances bien que nous tentions de nous faire discrets. Mais des petits quittaient l’école pour s’agglutiner autour de nous. Ils étaient mis en récréation, de toute façon ils ne pouvaient plus être à leur devoir. Ils nous disaient « hello ! » et «what’s your name ? » Ils n’attendaient pas vraiment de réponse car les plus jeunes ne savaient même pas ce que ces expressions anglaises voulaient dire. Ils copiaient les grands. Mais ils étaient en tout cas amicaux envers les Occidentaux et soucieux de faire la conversation.

Du gamin au vieillard, les hommes portaient tous le pantalon large et la chemise longue ouverte sur la poitrine. Dans une société où les femmes et les mères sont confinées dans les intérieurs, les garçons vivent dehors dès qu’ils savent marcher. Comme tous les gosses, l’habillement est le dernier de leur souci, Les rues ne sont peuplées que de mecs dépoitraillés (il fait 40°) et les femmes mettent les voiles. Les très rares qui passaient rasaient les murs, en silence, voilées de la tête aux pieds avec un grillage serré devant les yeux. Élevés et éduqués sans jamais voir le sexe opposé, dans une théologie sexiste datant du 7ème siècle bédouin, les étudiants en religion (talibans) parviennent à l’âge adulte sans connaître la femme autrement que comme tentation, vulve à crocs, Satan incarné. Cet enfermement expliquerait leur peur de la simple vue d’une femme et les mesures délirantes qu’ils prennent pour conjurer leur immense émotion de puceaux tourmentés.

Si le Paradis promis aux croyants comporte « de jeunes serviteurs, pareils à des perles renfermées dans leur nacre » (Coran LII, 24) – jolie métaphore pour désigner le teint adolescent – il comprend aussi de jeunes vierges aux yeux noirs qui « ressemblent à l’hyacinthe et au corail » (LV, 58). Les musulmans ne sont pas insensibles à la beauté des femmes, mais ils la réservent à leur mari, leurs enfants, frères et neveux, pour lesquels tout inceste est prohibé. On considère, en islam, que la femme « encadrée » par le mariage et par les rites sociaux qui restreignent sa liberté, ne sera pas tentée de succomber à Satan et à ses pompes. « Les femmes sont votre champ ; cultivez-le de la manière que vous l’entendez » (sourate II, 223). Car « les maris sont supérieurs à leurs femmes. Dieu est puissant et sage » (II, 228) et en cas de partage des biens, « donnez au fils mâle la portion de deux filles » (IV, 12). En effet, « les hommes sont supérieurs aux femmes à cause des qualités par lesquelles Dieu a élevé ceux-là au-dessus de celles-ci » (IV, 38). C’est une tautologie, mais ce que Dieu veut… « Il ne convient pas aux croyants des deux sexes de suivre leur propre choix, si Dieu et son apôtre en ont décidé autrement » (XXXIII, 34). Le désir homosexuel existe inévitablement dans une société qui valorise tant le mâle et dévalorise tant la femelle. Si ce n’est pas le dessein de Dieu, c’est un péché véniel : « Dieu ne pardonnera point le crime d’idolâtrie ; il pardonnera les autres péchés à qui il voudra » (IV, 51).

Le fils de l’un de nos chauffeur de car, un Ali d’une beauté froide à 14 ans, restait debout alors qu’un siège lui tendait les bras. Ma compagne et moi avons bien mis une heure à comprendre, nous lui disions en anglais qu’il pouvait s’asseoir et il déclinait toujours. C’était la religion ! Nous avons échangé nos places, elle et moi. Ali s’est assis à mon côté presqu’aussitôt après : il ne pouvait supporter être assis près d’une femme, comme si elle était Satan en personne qui allait le violer.

Plus tard dans la montagne, un instituteur qui marchait avec moi pour revenir au village, m’a exposé son existence. Il ne faisait classe que le matin ici, l’après-midi ailleurs, faute de moyens. Il gagnait très peu, se faisant payer en nature par les paysans pour subsister. Impossible pour lui de songer à se marier car il n’était pas du clan, venait de la ville et restait trop pauvre. Comment résolvait-il ses problèmes de libido ? Il ne m’en a rien dit, mais on peut deviner avec tous ces jeunes garçons de la campagne curieux du plaisir…

J’ai lu une fois ‘The News’, le quotidien en anglais du Pakistan. Le numéro du lundi 6 août 2001 m’a permis de voir ce qui intéresse la fraction éclairée du pays. En première page, la fierté nationale : le Cachemire, la Palestine (où un chauffeur de car « a blessé dix Israéliens » en fonçant dessus), les Talibans (qui ont arrêtés dix membres d’ONG « prêchant le Christ »), un lama tibétain (« qui voudrait venir en visite »). On le voit, les « problèmes mondiaux » se réduisaient à l’islam. Le supplément hebdomadaire du journal laissait parler ses lecteurs : on y lisait les peines de cœur et les angoisses d’identité des filles et des garçons. Le conservatisme social et la morale – le « religieusement correct » – rendent les adolescents moins autonomes, Une fille qui utilisait internet s’étonnait que les tchats la conduise à « recevoir des propositions de rencontres directes » ! Réaction ingénue : les êtres humains sont-ils de purs esprits ?

La première force politique du Pakistan reste l’armée, la seconde le clergé musulman, viennent ensuite les propriétaires fonciers puis les industriels, enfin les petits commerçants. 44% de la population vit de l’agriculture (mais ne produit que 25% du PIB), 39% vit des services et 17% seulement de l’industrie. Poids de l’armée… L’industrie produit surtout du textile, de l’alimentaire et des boissons, des matériaux de construction, à destination du marché intérieur et, à l’exportation. Fait amusant : le Pakistan exportait en 2001 surtout vers les USA (22%), Hongkong, le Royaume-Uni et l’Allemagne (7%). Le Pakistan importait un peu plus qu’il n’exporte, principalement machines et pétrole, surtout des États-Unis et du Japon. Pays pauvre, surpeuplé, sous-éduqué, souffrant de disputes tribales et politiques internes, manquant d’investissement international et en coûteuse confrontation avec son voisin l’Inde, le Pakistan s’est constitué en entre-soi xénophobe. Il se voulait le Pays des Purs où seul l’Islam est permis.

Muhammad Saïd al-Ashmawy, ancien Président de la Haute Cour de justice du Caire, dit des fondamentalistes islamistes : « leur doctrine, système de vie total, sinon totalitaire, s’inspire de la même obsession d’une cité terrestre parfaite, conforme à la cité céleste dont ils déterminent l’organisation et la séparation des pouvoirs à travers les lunettes de leur lecture fantasmatique du Coran. » L’État n’est pas séparé de l’Église, ni la Morale du Livre : Dieu a tout créé, il veut tout. Pervez Hoodbhoy, professeur de physique pakistanais, déclarait à l’Express le 20 septembre 2001 : « cela me peine de le dire, mais l’Islam propose toujours des solutions faciles à des questions complexes. Voilà 700 ans que le monde musulman n’a pas produit un seul penseur marquant, dont les écrits auraient une valeur universelle. (…) Parce qu’elle a cristallisé une série de règles et d’interdits, l’orthodoxie islamiste nous rend introvertis, voire xénophobes. »

Cela dit, constatons que le fanatisme islamique a été encouragé par les États-Unis, notamment par Kissinger et Brezinski, ces brillants stratèges. Les États confessionnels non marxistes pouvaient résister efficacement aux sirènes soviétiques, cet ennemi de l’Amérique durant la longue guerre froide. La promotion de la vulgate coranique qui bloquait avec bonheur toute modernisation des pays musulmans ne pouvait que profiter au capitalisme américain, heureux de cette dépendance technique. La démographie galopante créait un marché pour les produits made in USA (armes, blé, machines) en échange de l’énergie vitale pour l’Amérique : le pétrole. C’est ainsi qu’ont été déstabilisés l’Égypte de Nasser, l’Iran du Shah et l’Irak de Saddam Hussein, brisant net leur développement. Mieux vaut reprendre la vieille diplomatie britannique impériale du « diviser pour régner ». D’autant que le fondamentalisme islamique ne saurait gêner les fondamentalistes protestants puritains…

Les attentats du 11-Septembre ont été un drame humain et un acte de terreur inacceptable qui a conduit à la guerre en Afghanistan puis en Irak, faisant des centaines de milliers de morts… surtout musulmans. Bravo Ben Laden, défenseur de l’islam, vous avez bien mérité d’Allah en tuant surtout ses fidèles. Convenons cependant que les États-Unis naïfs de Clinton ou cyniques va-t-en-guerre de Bush l’ont provoqué. La naïveté à courte vue est malheureusement le lot des experts de la CIA et des élites du pays. La priorité donnée aux liens commerciaux et financiers sur tout autre motif est la clé de la situation. Instrumentaliser les islamistes radicaux a peut-être protégé le pétrole un temps en contenant les appétits de l’URSS et en sous-traitant les problèmes en Méditerranée et en Asie centrale, mais l’apprenti sorcier se révèle avec le temps. La haine religieuse surprend les Américains, persuadés de leur mission sur cette terre ; il ne surprend hélas pas les Européens, habitués aux guerres de religion ou d’idéologie. Et les révolutions arabes, un mixte de 1848 et de 1968, sont une heureuse surprise… imprévue, comme le reste.

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Vers une démocratie écologique ?

Article repris par Medium4You.

L’écologie est à mon sens l’avenir de la pensée politique. Elle va remplacer un « socialisme » à bout de souffle faute d’avoir fait évoluer la doctrine XIXe dans un monde qui a fort changé. Il est donc intéressant de sonder les écrits qui tentent de « penser » la nouvelle politique qui tient compte de la globalisation du climat, des échanges et de la compétition pour les ressources. Dominique Bourg et Kerry Whiteside, respectivement géoscientifique suisse et politologue américain, ont cosigné ce livre paru au Seuil fin 2010. Touchant de près la politique, il a fait l’objet d’un colloque entre administratifs en octobre, auprès du ministre Nathalie Kosciusko-Morizet. La salle était trop étroite, j’y étais, pour accueillir tout ce monde avide de savoir à quelle sauce ils allaient être mangés…

Pour les auteurs, l’écologie est une chose trop sérieuse pour être laissée aux mains des politiciens. Car ce sont des mains faibles, tourmentées par le seul court-terme en vue de leur réélection dans leur petite circonscription. Ce pourquoi la dégradation globale de l’environnement et son aspect invisible et cumulatif ne sont pas vendeurs. Le contrat social érige un gouvernement représentatif qui protège les droits des individus en se chargeant de leurs intérêts communs, mais tout ce qui sort de la perception ici et maintenant du commun y échappe. Les auteurs proposent donc de changer de contrat.

Exit l’élection comme fin en soi, place aux experts. Préserver la biosphère devrait pour eux être inscrit dans la Constitution, une Académie du futur être créée pour éclairer les ignares. Mais surtout le Sénat serait nommé « par tirage au sort » sur une liste de « scientifiques internationalement reconnus dans leur spécialité », liste agréée par des ONG environnement. Cette haute assemblée nationale pourrait opposer son veto à une loi contraire au long terme de la planète et examinerait toutes les décisions qui en ressortent. Des « jurys citoyens » seraient mis en place pour diffuser la bonne parole et convaincre la base du bien-fondé de tout ça.

Nous sommes bien conscients des difficultés à envisager un modèle économique « de décroissance », qui ne fasse pas du « toujours plus » l’alpha et l’oméga du bien-être humain. Rien que le découplage entre pays développés et pays en développement transformerait en quelques années nos pays en déserts industriels, étroitement dépendants de la bonne volonté exportatrice des pays producteurs. L’Europe serait réduite à un parc d’attractions touristiques où le seul emploi serait le service à la personne. Ce que Houellebecq a parfaitement décrit dans les derniers chapitres de son dernier livre, ‘La carte et le territoire’.

Mais il nous semble que la proposition du Suisse et de l’Américain cumulent les travers des systèmes politiques de chacun de leurs pays d’origine. Il s’agit d’instaurer un fascisme de consensus (à la Suisse) où la bonne parole est délivrée d’en haut par ceux qui savent (à l’américaine). La conviction serait entonnée par la propagande des jurys communautaires où chacun n’ose pas penser autrement que la foule. Son application serait du ressort d’une assemblée de spécialistes nommés (et non plus élus) par des organisations autoproclamées.

La démocratie n’est certainement pas le meilleur des régimes, mais il l’est par exception de tous les autres. Faut-il en revenir au vote censitaire sous prétexte que « les gens » sont ignorants du long terme et de l’invisible climatique ?

Le débat démocratique, bien loin des cercles fermés entre spécialistes – met tout sur la table. Les électeurs n’ont pas forcément le culte du court terme ni de leur seul intérêt personnel. Avant de casser le thermomètre, peut-être faudrait-il l’affiner ? Compter autrement « la croissance » ? La commission Stiglitz a testé quelques pistes en France, tandis que le Genuine Progress Indicator (progrès authentique) a été élaboré par un institut californien. Pourquoi ne pas explorer ces pistes ?

Si l’écologie ne convainc pas, surtout en France, c’est surtout parce que le personnel politique des partis écologistes est d’une indigence rare. Comment confier le pouvoir de diriger un État à un histrion de télé, à une diplômée en géographie qui place le Japon dans l’hémisphère sud ou à une juge rigoriste ? Tous ces gens ont leurs qualités, mais dans leur domaine particulier. Ils n’intègrent en rien l’intérêt général puisqu’ils ne parlent guère d’économie ou d’emploi, sinon par de grandes fresques vagues où l’on rasera gratis au paradis retrouvé. Mais qu’en est-il concrètement des grèves des cheminots qui obligent à prendre sa voiture ? De la hausse du prix de l’essence et du gaz ? De la production d’électricité si elle n’est plus nucléaire (Hulot vient d’y réfléchir, il parait…) ? De la vie quotidienne des vraies gens ?

L’idée même d’un parti politique exclusivement consacré à la défense de l’environnement est un non-sens politique. Les électeurs le savent bien, moins bêtes qu’ils ne paraissent aux élites universitaires. La politique prime, qui est la vie complète de la cité ; l’environnement est une cause seconde qui doit être dans tous les partis. Ne choisir « que » l’environnement est une régression pétainiste (la terre seule ne ment pas) et aboutit au retour du moyen-âge (panier bio local, vélo et trains quand ils ne sont pas en grève, emplois de proximité exclusivement dans les services à la personne, maisons en terre et chaume chauffées par la seule orientation et la circulation d’air entre sol et plafond…).

L’échec du raout écolo-mondial de Copenhague a montré l’illusion des bobos nantis. Les pays riches croient délivrer la bonne parole en même temps qu’affirmer le bon sens en enrôlant des scientifiques pour dire « le vrai ». Mais les ONG environnement ne sont pas le gouvernement mondial, personne ne les a élues. Ni la Chine, ni l’Inde, ni le Brésil, ni les autres, ne se sont privés pour le dire ! L’arrogance des riches à mettre le couvercle sur le développement des pauvres, sous prétexte de religion pour la Terre mère a quelque chose d’indécent. Cela ne veut pas dire que la question des ressources rares, des pollutions et du climat ne se posent pas. Mais qu’on ne décide pas entre spécialistes, mis en scène de façon tapageuse par les orchestres médiatiques, mais par la politique internationale. Or la politique arbitre entre les intérêts, elle n’est pas qu’un spectacle. Les gens se laissent amuser quand le sujet leur est indifférent (les promesses qui n’engagent pas, les amours du président ou le mariage princier), mais ils se saisissent de la décision quand ils jugent que l’équilibre des intérêts est nettement en leur défaveur.

Le pire de la dégradation de la terre, disait le commandant Cousteau, est le nombre des hommes. Que disent les écolos sur la démographie ? Restreindre la natalité dans les pays pauvre, est-ce un tabou religieux ? Dès lors, qu’a donc de « scientifique » cet oubli volontaire dans la politique des ressources et du climat ?

La politique, justement, ne se réduit pas à l’application rationnelle du savoir scientifique. Tout cela sent par trop son saint-simonisme XIXe, récupéré par Marx et ses épigones activistes au nom d’une prétendue Loi de l’histoire. La politique est l’art de convaincre en vue d’un projet commun. Or tout ce qui consiste à « défendre » et à proposer aux gens du « moins » n’a rien d’un projet mais tout d’une contrainte. Aménager notre planète commune peut être un projet, mais les savoirs très spécialisés des domaines climatiques et biologiques ne font pas une politique. Faire avancer sa cause sans jouer le jeu des urnes, c’est se défiler devant la responsabilité. C’est bien universitaire… Tellement persuadé de « sa » vérité, proclamée « scientifique », que seule une avant-garde éclairée pourrait gouverner le monde et corriger malgré eux ces « enfants » ignares que sont les électeurs. Lénine l’a tenté avec les inconvénients qu’on sait. La proposition Bourg & Whiteside, reste dans ce droit fil du savant politique, qui n’a rien à voir avec la politique mais tout avec l’illusion de tout savoir.

Ce néo-socialisme a tout pour séduire nos élites technocrates qui se croient déjà supérieures pour avoir subies le tamis des « grandes écoles », et délivrées de tout souci matériel comme d’avenir pour être fonctionnaires à statut garanti. Mais le peuple, lui, qui aura sans doute son mot à dire, pourra n’être pas d’accord avec cette main basse sur la décision au nom du despotisme éclairé !

Dominique Bourg et Kerry Whiteside, Vers une démocratie écologique, Seuil La République des idées, octobre 2010, 103 pages, €10.93

La présentation au Centre d’analyse stratégique sous le patronage de Nathalie Kosciusko-Morizet

A propos des auteurs

Dominique Bourg est membre du Comité de veille écologique de la Fondation Nicolas Hulot, professeur à la faculté des géosciences et de l’environnement de l’université de Lausanne. Il a publié « Parer aux risques de demain. Le principe de précaution » (Seuil, 2001), « Le Nouvel Âge de l’écologie » (Descartes & Cie/ECLM, 2003) et « Le Développement durable. Maintenant ou jamais » (Gallimard, 2006).

Kerry Whiteside est professeur de sciences politiques au Franklin and Marshall College, en Pennsylvanie. Il a publié « Divided Natures: French Contributions to Political Ecology » (MIT Press, 2002) et « Precautionary Politics: Principle and Practice in Confronting Environmental Risk » (MIT Press, 2006).

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Pour une économie politique

Tout ce qui arrive depuis le début de l’année montre que l’économie est une chose trop précieuse pour la laisser aux économistes. Il est temps d’ôter la direction des choses aux technocrates, les politiques doivent prendre enfin leurs responsabilités envers leur société.

Le débat politique sur les salaires en France rappelle que l’inflation est de retour. Non seulement les États endettés sont gourmands d’impôts, mais la rareté des matières premières et de l’énergie pour un monde qui se développe massivement fait grimper les prix. Les salaires chinois augmentent de 30% par an en raison de l’envol des prix alimentaires et du carburant. Tout cela nourrit l’inflation qui, dans un système mondialisé, s’importe dans tous les pays. Les États-Unis l’ont bien compris qui ne voient qu’une manière facile de s’en sortir : actionner la planche à billets. Le rachat par la Fed de créances d’État jusqu’en juin prochain est une façon de prêter à l’État sans passer ni par les marchés financiers, ni par les impôts.

Mais cet argent créé ex nihilo alimente lui aussi la hausse des prix. Il inquiète les prêteurs sur les marchés et fait monter les taux d’intérêt qui sont le prix du risque sur la durée. Il fait baisser le dollar, et si l’économie américaine peut exporter plus facilement, cela renchérit d’autant le prix du baril de pétrole, évalué en dollars dans le monde entier. Les pays producteurs, perdant au change, augmentent leur prix. Nous sommes donc aux limites de ce laxisme monétaire, à l’orée du cercle vicieux où toute création de dollar à partir de rien enclenche une cascade de hausses de prix pour compenser le manque à gagner, y compris revendications salariales et moindre consommation.

La redistribution des États-providence atteint elle aussi ses limites. Le nombre des droits sociaux ne dépend que de l’imagination des démagogues tandis que le prélèvement public reste mal accepté. Si les États-Unis et le Japon ont de la marge pour remonter les impôts, notamment la TVA, la France et la Suède ont déjà le taux de prélèvement sur la richesse nationale parmi les plus élevés au monde. Ils doivent obligatoirement réformer l’obésité inorganisée et incontrôlée des organismes d’État. D’autant que leur endettement par rapport à leur production atteint des sommets dangereux pour solliciter les marchés. L’avertissement de l’agence de notation Standard & Poors sur les perspectives négatives de la dette américaine sonne comme un avertissement. Nul ne s’y trompe, ni les gouvernements, ni les banques centrales, ni les marchés, ni les particuliers : les emprunts des États sont à fuir, sauf à exiger des rendements plus élevés pour le risque pris (autour de 14% l’an pour les emprunts grecs !).

Car l’Europe montre elle aussi ses limites. Loin de l’euphorie de sa construction, l’heure est au repli sur soi par crainte du monde, de l’étranger et des marchés. L’illusion des Trente glorieuses continue d’alimenter l’imaginaire des technocrates et des naïfs, tandis que le baby-boom s’est inversé, ne permettant plus de financer l’avenir à crédit. L’absence de volonté politique d’aller vers une coordination économique et fiscale des pays de la zone rend la gestion de la monnaie unique inopérante. Le grand écart est fait entre les pays qui souffrent d’une croissance anémique (France, Italie) qui auraient bien besoin de taux plus bas, et les pays cigales qui ont dépensé et se sont endettés sans compter (Grèce, Portugal, Irlande) et pour qui le taux unique de la Banque centrale européenne n’est pas assez fort pour les contraindre à changer de pratiques. Le risque croît que les peuples vertueux soient de plus en plus réticents à financer les peuples hédonistes, appelés selon les régions « pigs » ou « du Club Med ». Le parti des Vrais Finlandais vient de sonner l’alarme en refusant de voter la participation du pays au fonds de réserve européen. Mais  ce sont tous les électeurs qui sont vigilants, en cette période de restrictions, sur le partage des richesses produites : ils traquent le népotisme, les affaires, les privilèges indus des riches. Les révoltes arabes n’ont pas eu d’autres causes et, en France, L’UMP pourrait perdre les prochaines élections, tout comme le parti travailliste anglais et les sociaux-démocrates allemands.

La seule politique a consisté, depuis la crise de 2007, à durer le plus longtemps possible sans réformer grand chose, afin que le temps efface les pertes des banques et que le système reparte avec la croissance. Sur la seule Grèce, les banques françaises sont endettées à l’automne 2010 de 14 milliards d’euros, et les banques allemandes de 18 milliards d’euros. Si l’on devait y ajouter le défaut des dettes irlandaise, portugaise, voire espagnole, les banques ne se prêteraient plus entre elles, ayant bien du mal à éviter la faillite, tandis que les États ne pourraient plus les refinancer comme en 2008.

Le temps s’accélère :

  • Les soubresauts de pays pétroliers comme la Libye, Bahreïn ou l’Algérie pourraient affecter l’Arabie Saoudite. Ils réduisent déjà l’activité et engendrent chômage et émigration massive.
  • Les séismes, tsunami et choc nucléaire japonais affectent la production des composants électroniques et de l’automobile, tout en renchérissant le prix de l’électricité et suscitant des doutes sur la bonne énergie de transition entre le pétrole d’hier et le soutenable du futur.
  • Les entreprises naviguent à vue, les dirigeants n’ont pas de cap à donner à leurs troupes, sauf à réduire les coûts pour survivre dans la compétition mondiale avec une demande locale qui stagne en raison d’un chômage élevé. Le stress psychologique au travail est le fait de manageurs technocrates qui ne voient que le ratio de productivité du trimestre, sans envisager l’avenir.

Comme les politiciens, les patrons font le gros dos en attendant que tout revienne comme avant.

Or, rien ne sera jamais comme avant :

  • La Chine émerge à grands pas et, avec elle, l’Inde, le Brésil, le Nigéria et d’autres. Pétrole et matières premières sont massivement demandés pour leur développement et deviennent rares donc chers.
  • La redistribution d’État-providence assise sur une démographie en expansion est à bout de souffle parce qu’elle finance la distribution d’aujourd’hui par les cotisations de demain. Les jeunes générations grognent contre les privilégiés égoïstes qui ont « fait 68 » mais ne leur laissent que des dettes et du chômage.
  • Le travail est de moins en moins une valeur, incitant à des conduites d’évitement comme le troc, la restriction des dépenses, la traque des plus bas prix sur Internet. Puisqu’on ne gagne pas plus en travaillant plus, on perd moins à dépenser moins.
  • L’embellie du premier trimestre sur les résultats des entreprises, la confiance des dirigeants et le désir d’embauche des cadres n’est qu’un feu de paille que le ralentissement japonais, l’envol du pétrole et la faible croissance attendue devrait corriger très vite.

C’est ainsi que s’enclenche le cercle vicieux de la déflation.

Pour régler cela :

  • la concertation internationale est obligatoire, afin d’éviter le maintien de monnaies sous-évaluées et la tentation de faire éclater l’OMC pour rétablir des droits de douane.
  • le capitalisme est essentiel, car il est la meilleure technique d’efficacité économique trouvée dans l’histoire pour produire le plus avec le moins, dans un contexte où toute matière première et énergie devient rare et objet de bagarre géopolitique, et le meilleur incitatif à la liberté d’innovation et de création.
  • la politique est indispensable pour aménager les règles du jeu, en contrôler l’administration et décider des compromis entre intérêts divergents.

Ce pourquoi toute stratégie en bourse comme toute prévision économique doivent quitter l’univers abstrait et confortable des « modèles » pour se plonger dans l’histoire, la géopolitique, la sociologie et la cité. L’ère des technocrates est révolue si l’on veut régénérer l’économie et gagner sur les marchés. Place aux décideurs « politiques ».

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