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Paul Lafargue, Le droit à la paresse

La vulgate croit, au vu du seul titre, qu’il s’agit d’une revendication à la flemme par un fout-rien révolutionnaire. Il n’en est rien. Il s’agit certes d’un pamphlet, certes du gendre de Karl Marx, certes pour contester le culte du travail, mais qui rappelle quelques évidences de bon sens. Un bon sens tordu par deux mille ans de christianisme et par deux siècles de bourgeoisie capitaliste.

Ce bon sens est : le travail fatigue, il doit être effectué pour vivre, mais limité pour bien vivre.

Paul Lafargue est né à Cuba, d’où son expérience enfantine de l’indolence propre aux tropiques où la nature offre en surabondance ses fruits – mais où il a aussi connu l’esclavage des nègres dans les plantations. Issu d’un Bordelais et d’une Juive à ascendance caraïbe, il appartenait donc à « trois races » comme on disait alors, faisant de lui l’exemplaire métèque d’une humanité en soi, sortie des glèbes et des gènes. Étudiant en médecine à Bordeaux, il devient proudhonien et franc-maçon avant d’adhérer à l’Internationale, où il va beaucoup s’investir en faveur des ouvriers et rencontrer Karl Marx. Il tombera amoureux de Laura, sa fille gâtée surnommée Kakadou, et l’épousera.

Il réunit en 1883 en un pamphlet de moins d’une centaine de pages une série d’articles qu’il a fait paraître en 1880 dans la revue hebdomadaire L’Égalité. Il réfute surtout le « droit au travail », de 1848, réclamé par les ouvriers alors qu’il faisait d’eux des esclaves. Il lui oppose un « droit à la paresse » qui n’est pas une fainéantise de chômeur (vue bourgeoise) ou de SDF hippie antisystème (vue gauchiste après 68) mais une saine régulation du labeur (vue démocratique et écologiste d’aujourd’hui). La Constituante de 1848, cette fameuse « révolution » chantée par toute la gauche après celle de 1789, dont par le « charlatanesquement romantique Victor Hugo », avait en effet instaurée la journée de douze heures, enfants de 8 ans et vieillards décrépits compris. Quel progrès depuis les Grecs raille Lafargue ! Ceux-ci considéraient en effet le travail comme une fonction d’esclave ou de machine ; les vrais hommes préféraient le sport et la philosophie, s’entraînant à être plutôt de parfaits citoyens votant aux assemblées et participant à la défense de la cité.

La bourgeoisie du XIXe siècle industriel, au contraire, reprend la vilenie chrétienne de l’homme voué à la souffrance ici-bas, selon le discours de Thiers. « Aux XVe et XVIe siècle [la bourgeoisie] avait allègrement repris la tradition païenne et glorifiait la chair et ses passions, réprouvées par le christianisme ; de nos jours [1880], gorgée de biens et de jouissances, elle renie les enseignements de ses penseurs, les Rabelais, les Diderot, et prêche l’abstinence aux salariés. La morale capitaliste, piteuse parodie de la morale chrétienne, frappe d’anathème la chair du travailleur ; elle prend pour idéal de réduire le producteur au plus petit minimum de besoins, de supprimer ses joies et ses passions et de le condamner au rôle de machine délivrant du travail sans trêve ni merci. » Une idéologie de l’exploitation qui fait croire au salut par le travail tout en organisant la misère : payer juste ce qu’il faut pour la survie, mais sans aucun surplus qui entamerait le profit. Capital et goupillon, même combat ! Assuré par le sabre qui est aux ordres et ne produit rien. Il s’agit d’une religion du capital, dit Lafargue, dont l’excommunication est le chômage, l’exclusion de la communauté des vrais hommes qui, eux, travaillent.

Or exercer un travail est bienfaisant au corps et à l’esprit tout en étant utile à la société, dit encore Lafargue, à condition qu’il soit limité dans le temps. Pour lui, « trois heures par jour » devraient suffire ! « Pour forcer les capitalistes à perfectionner leurs machines de bois et de fer, il faut hausser les salaires et diminuer les heures de travail des machines de chair et d’os. »

Assez prémonitoire sur l’essor de la technique et de la productivité, convenons-en.

La production poussée par le surtravail aboutit à la surproduction cyclique, analyse Lafargue. C’est alors « la crise » – économique avec ses destructions d’emplois et de marchandises afin d’assainir les prix, – sociale avec l’essor de la misère et de la grogne allant jusqu’aux émeutes de banlieues, de casseurs ou de gilets jaunes, – et politique avec la montée de la défiance, le recours aux croyances et au Complot, la démagogie populiste qui favorise l’élection des extrêmes. Le travail excessif provoque donc du gaspillage et du désordre qui, par contrecoup, encourage l’aspiration à la dictature.

Dans le même temps, les bourgeois oisifs qui vivent de la rente se sentent obligés de s’empiffrer, au mépris de leur santé, et d’attifer leurs grognasses jamais contentes de colifichets luxueux et inutiles, qui sont d’autres gaspillages, tout en allant aux putes pour tenir leur rang social et ne pas déranger l’ordonnance de la coiffure de Madame.

Quant aux capitalistes actionnaires, ils attisent les désirs pour conquérir de nouveaux marchés : intérieurs par l’obsolescence programmée (« tous nos produits sont adultérés pour en faciliter l’écoulement et en abréger l’usage »), la publicité et le marketing afin de susciter des besoins inutiles ; extérieurs par l’exportation, voire la colonisation, et l’évangélisation afin que « les culs noirs qui vont tout nu » soient forcés de se vêtir des cotonnades de Manchester. « Ils forcent leur gouvernement à s’annexer des Congo, à s’emparer des Tonkin, à démolir à coups de canon les murailles de la Chine, pour y écouler leurs cotonnades. » En attendant notre moderne soft power où les Américains sont devenus experts, imposant leurs logiciels qui aspirent sans notre consentement nos données, leurs fiestas commerciales de la Fête des mères, d’Halloween et du Black Friday, fourguant leurs « marques » et leurs « produits dérivés » à tout va – encore un gaspillage de ressources et de temps.

Assez prémonitoire sur nos préoccupations écologiques, convenons-en.

Même sous l’Ancien régime, au temps des corporations les artisans avaient des jours fériés et des fêtes religieuses qui coupaient le temps de travail. « Ils avaient des loisirs pour goûter les joies de la terre, pour faire l’amour et rigoler ; pour banqueter joyeusement en l’honneur du réjouissant dieu de la Fainéantise », s’exclame Paul Lafargue. Aujourd’hui, la natalité décline et la « fête » est droguée pour s’évader.

Assez prémonitoire sur notre aspiration aux trente-cinq (puis trente) heures et sur les revendications à ne pas augmenter l’âge légal de la retraite, convenons-en.

Surtout que Paul Lafargue s’est suicidé au cyanure à l’âge exact de 70 ans avant que la vieillesse ne le dépouille de ses forces et des plaisirs de l’existence – d’où sa revendication à une retraite précoce. Il y a entraîné sa femme qui n’avait que 66 ans, mais l’époque imposait à la femme le pouvoir de l’homme.

Au total, ce court pamphlet écrit d’un ton allègre recense nombre d’arguments utiles et toujours d’actualité sur le temps de travail, la souffrance au travail, l’épanouissement au travail. Il mérite d’être (re)lu.

Paul Lafargue, Le droit à la paresse, 1880, Fayard Mille et une nuits 2021, 80 pages, €3,00 e-book Kindle €0,99 ou emprunt abonnement

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Enchaînement de crises et monde nouveau

Comme il y a un siècle, tout a commencé par une crise financière qui a dégénéré en crise économique puis en crise sociale, avant d’aboutir à une série de crises politiques – puis à la guerre. Il n’a fallu que dix ans entre 1929 et 1939 pour franchir les étapes. Notre siècle a vu cette histoire se répéter à peu près, de la crise financière de 2008 à la guerre en Europe en 2022. Les sociétés ne sont pas les mêmes, mais les enchaînements automatiques des structures économiques et sociales perdurent.

Tout a commencé après le krach d’octobre 1929

D’abord par une violente déflation due à l’austérité budgétaire, le freinage du crédit et la stagnation voire la régression des salaires, dans les balbutiements inexpérimentés des Banques centrales d’alors et une absence complète de coopération internationale. Tout a continué par des dévaluations monétaires encouragées ou subites, donc à la hausse des prix importés. D’où l’inévitable protectionnisme, à la fois industriel et social. Chacun faisant la même chose dans son coin, l’époque de l’égoïsme sacré a conduit aux nationalismes avec la prise de pouvoir de Mussolini en 1921, d’Hitler en 1930, les grèves du Front populaire en France, la purification idéologique de Staline par les grands procès des années trente à l’intérieur tandis qu’il attendait à l’extérieur l’effondrement moral occidental aux économies minées. Cette attente vaine l’a conduit à pactiser avec Hitler, autre pouvoir autocratique en miroir du sien, pour dépecer la Pologne.

Dans les années trente, la « crise » augmente le chômage, participe à l’effondrement moral dû à la hausse de la pauvreté et à l’absence de perspectives d’avenir, à un accroissement de l’anxiété des gens comme des entreprises, qui diminuent l’investissement pour protéger le capital. On assiste au divorce entre salaire et productivité, ce qui n’encourage pas le pouvoir d’achat, bien que la baisse de certains prix importés l’augmente paradoxalement dans certains secteurs.

La détresse populaire ne tarde pas à devenir politique quand les difficultés économiques s’affaiblissent. Les grands moyens de communication de masse comme la radio puis le cinéma parlant après 1929, alimentent l’état d’esprit pessimiste, tel le film de King Vidor en 1934 Notre pain quotidien. La peur de l’indignation ouvrière, des bandes de jeunes errants aux États-Unis, de tous les hors-système, incite la bourgeoisie et les gens installés à une réaction politique qui va parfois jusqu’aux extrêmes. Nous avons bien eu notre Zemmour, 5% des inscrits, le « Z », ironiquement Zidov, le Juif en croate qui figurait sur les étoiles jaunes de l’époque. Les économies militaires de l’Allemagne, de l’Italie et du Japon sont devenues autarciques et agressives, tout comme celles de la Russie et de la Chine aujourd’hui, tandis que le réformisme a tendu à l’emporter en Angleterre avec la loi sur les retraites en 1925, aux États-Unis avec le New deal de Roosevelt en 1930, et les réformes sociales du Front populaire en France en 1936. Allons-nous choisir cette voie réformiste plutôt que la voie nationaliste et xénophobe ?

Car ne sommes-nous pas dans une situation comparable ?

La crise financière de 2008 a conduit dès 2011 à une crise monétaire en Europe, forçant l’Union européenne a exiger des réformes drastiques de certains pays comme la Grèce, l’Italie ou le Portugal, la France répugnant à changer comme en témoignent les sempiternelles grandes grèves des transports publics « contre la loi El Khomri, contre la fin des régimes spéciaux, contre la réforme des retraites, contre la construction d’un aéroport ou d’un barrage, contre l’inaction envers le climat, contre le résultat des élections » et ainsi de suite. Politiquement, cela s’est traduit en France par le balayage des anciennes élites politiques en 2017 (PS et LR se sont alors effondrés, ils le sont toujours), le surgissement d’un président nouveau et de parlementaires novices, la crise sociale des gilets jaunes à peine pansée par 17 milliards accordés sans contrepartie, le prurit du Brexit au Royaume-Uni suivi de son interminable négociation des modalités de sortie (non résolues en ce qui concerne l’Irlande du Nord), les contraintes liberticides (mais nécessaires) de la pandémie de Covid 19, et la montée des populismes aux États-Unis avec Donald Trump, en Italie avec Salvini, au Royaume-Uni avec Boris Johnson, en France avec Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon.

La montée aux extrêmes et l’exacerbation du ressentiment social poussés à renverser la table sont attisés par les menaces géopolitiques – comme dans les années trente : le revirement de la Russie vers l’agressivité de guerre à l’extérieur et les menaces de la Chine sur Taïwan, les attentats islamiques à l’intérieur. Les maladresses insignes des gouvernements américains durant cette période, le renoncement d’Obama a faire respecter sa ligne rouge en Syrie, le foutraquisme de Trump à abandonner l’Afghanistan aux talibans sans aucune contrepartie, ses bravades ridicules contre la Chine et la Corée du Nord, son refus de négocier avec l’Iran sur le nucléaire – et sous Joe Biden la lamentable opération américaine de retrait sans consultation de ses alliés ni protection suffisante, la trahison militaire des alliés non anglo-saxons par la rupture unilatérale du contrat de sous-marin australien, voire l’alimentation en armes de plus en plus sophistiquées de l’Ukraine par quasiment les seuls États-Unis, sans que les buts de guerre aient été débattus à l’OTAN – tout cela n’augure rien de bon pour résoudre les problèmes cruciaux qui nous attendent.

La guerre va-t-elle assainir les mentalités et les économies ?

La différence avec 1939 est que nous avons désormais des armes nucléaires qui peuvent détruire la terre entière en quelques clics. Cela devrait inciter à la raison, ce qui est proprement l’objet de la dissuasion, mais ne laisse jamais à l’abri d’un acte paranoïaque ou d’un enchaînement automatique de systèmes (c’est déjà arrivé, stoppé in extremis). Souvenons-nous cependant à propos de l’usage de telles bombes en Ukraine que la catastrophe nucléaire de Tchernobyl a montré que la diffusion des particules radioactives s’effectuait plutôt vers le nord-ouest selon le régime des vents et les dépôts de césium 137 surtout en Biélorussie et en Russie du sud-ouest, ce qui devrait dissuader Poutine de tenter la même chose, au risque de voir contaminer sa propre population (et son armée) sur une grande échelle.

Les errements de la finance, l’avidité des actionnaires mal contrôlés, la stagflation qui vient, alimentée par la hausse brutale de l’énergie et la chute de la productivité donc de l’augmentation des salaires (le lien entre énergie et croissance n’est pas net), la baisse de l’euro par rapport au dollar (monnaie réputée la plus sûre en cas de crise), les Etats empêtrés dans leurs dépenses contraintes et leurs marge de manœuvre réduites, la remontée des taux pour s’endetter (Etats comme entreprises et particuliers), le carcan lourdingue des bureaucraties tant aux États-Unis qu’à la tête de l’Union européenne (mais aussi en Chine et en Russie) – exigent des audaces, de la réactivité, des réformes inévitables, le souci des classes défavorisées – donc des politiciens bien différents de ceux qui ont régné jusqu’ici. Ils se trouvent tous malheureusement contraints par les systèmes institutionnels qu’il est très difficile de bouger. Rien d’impossible mais il faut convaincre ; et cela prend du temps…

Je ne sais pas ce qu’augure l’avenir, mais gageons qu’il nous surprendra – je ne sais pas dans quel sens.

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Doit-on craindre un retournement boursier bientôt ?

Le scénario actuellement anticipé est optimiste, le maintien d’une croissance assez forte de l’économie mondiale supérieure à la croissance potentielle. Le FMI prévoit toujours, en avril, une croissance mondiale 2017 de 3,5% et en 2018 de 3,6%, l’OCDE étant à 3,3 et 3,6 et le consensus Forecast, toujours moins optimiste, à 2,9 % en 2017 et 3,0% en 2018. Les Etats-Unis croîtraient pour leur part de 2,1 à 2,4% en 2017 et de 2,4 à 2,8% en 2018, et la zone euro – en retard – de 1,6 à 1,7% en 2017, et 1,6 en 2018.

Ce n’est pas déraisonnable, malgré les changements politiques un peu partout dans les pays occidentaux qui introduisent de l’incertitude sur les règles économiques et sur la fiscalité. Mais, en gros, ces changements apparaissent favorables à la croissance.

Volatility index depuis 10 ans

D’où pourrait venir le risque ? Des deux économies principales de la planète : les États-Unis et la Chine. Donald Trump a promis une baisse de la fiscalité et encourage les entreprises à revenir produire au pays ; il envisage pour cela de réduire les contraintes de production, y compris celles sur la pollution. Mais il y a beaucoup de discours et peu d’actes concrets. La « sortie » des Etats-Unis de l’accord sur le climat ne sera juridiquement effective que dans 4 ans. D’ici là, les contraintes sont faibles. Et nombre d’entreprises américaines voient tout le bien qu’elles pourraient tirer de politiques environnementales, ne serait-ce que pour suivre le progrès technologique – dont elles se veulent la pointe.

Le recul de la profitabilité des entreprises en raison de la fin de l’expansion cyclique, lorsque les salaires réels augmentent plus vite que la productivité, pourrait donc être dilué par ces mesures de fiscalité et de dérèglementation favorables, en attendant le relai du prochain cycle industriel.

Indice américain Standard & Poors depuis 1999

Le cas de la Chine est plus préoccupant, mais rappelons que, malgré son poids démographique et son immensité géographique, la Chine n’est qu’une puissance économique moyenne dans la production mondiale. La croissance réussirait encore à atteindre autour de 6,2% en 2018, mais le chiffre est « politique » en l’absence de tout indicateur d’offre et de demande concret. Le parti tient à garder son pouvoir, donc l’Etat surveille et punit, en bonne morale socialiste, militant pour une réduction de la liquidité afin d’éviter les dépenses somptuaires, « politiques » et inutiles. Ce qui va mécaniquement faire monter les taux d’intérêt et pénaliser l’investissement. Mais ce coup de froid sur la surchauffe devrait faire baisser la pression de l’endettement et de la surproduction dans certains secteurs, tout en limitant la hausse rapide des salaires. Ce qui ne peut qu’ajuster à peu près l’économie chinoise au mouvement du monde. Encore ne faut-il pas en faire trop, et il est difficile d’en juger lorsque le marché n’existe pas.

Indice chinois SSE Shanghai A depuis 1999

Si ces deux risques surviennent, aux Etats-Unis et en Chine, leurs effets devraient être faibles sur les taux d’intérêt sans risque (emprunts d’Etat à 10 ans) car ils sont déjà très bas. En revanche, la surprise agitant les acteurs d’autant plus violemment qu’ils ne l’avaient pas vu venir, les cours de bourse pourraient connaître de fortes corrections. L’indice américain Standard & Poors est en effet au plus haut historique. Les primes de risque, entre emprunts souverains et pour le crédit pourraient se tendre. Les indices européens sont plus raisonnables, retrouvant leur niveau de 2015, mais pourraient suivre à la baisse par « solidarité » d’aversion au risque. L’indice chinois Shanghai A, après un excès en 2015, retrouve aujourd’hui son niveau de 2010 et n’apparaît pas surévalué. Il tomberait comme les autres, mais sans catastrophe.

Le pire n’est jamais certain et les deux premières années Trump devraient être positives, mais il est toujours bon de chercher d’où pourrait venir le risque – pour le surveiller et réagir à temps.

Indice français CAC40 depuis 1999

Indice européen Euronext 100 depuis 1999

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Jean Tirole, L’économie du bien commun

jean tirole economie du bien commun

L’intérêt de ce gros livre est qu’il est récent, se lit très facilement, et met à la disposition du grand public des recherches économiques le plus souvent publiées par des spécialistes et en anglais. L’auteur résume dans plusieurs chapitres des recherches qu’il a entreprises lui-même ou en collaboration sur les trente dernières années, ce qui renouvelle largement la pensée convenue des économistes de tribune trop médiatiques pour être honnêtes, et autres déconomistes « atterrés ». Car l’un des mérites de ce livre est de livrer des faits et des arguments, pas de l’idéologie. Même si le titre se situe résolument dans le sens du collectif.

Rappelons que Jean Tirole est l’un des rares français à avoir obtenu le prix « Nobel » d’économie (vos gueules, les cuistres ! tout le monde sait qu’il s’agit du « prix de la Banque de Suède » car Alfred Nobel considérait l’économie comme une discipline aussi vaine que l’alchimie). Il livre au public un menu consistant, même s’il est parfois elliptique, format oblige ; mais il renvoie à des références (le plus souvent en anglais). Il diffuse les recherches fondamentales récentes sur la théorie de l’information et sur la finance comportementale, peu connues du grand nombre. Nul citoyen français n’aurait droit à ces études spécialisées si Jean Tirole n’avait pas fait l’effort de vulgarisation nécessaire.

Il expose en 4 parties et 17 chapitres son économie du bien commun :

  1. La première examine économie et société, ce qui entrave la compréhension, les limites morales, le métier de chercheur en économie, l’aller-retour entre théorie et évidence empirique (le terme d’évidence est un anglicisme, le terme le plus exact serait plutôt témoignage ou preuve) ;
  2. La seconde fixe le cadre institutionnel de l’économie, l’Etat et l’entreprise, plaidant pour la réforme afin de s’adapter au monde qui vient, et à la responsabilité sociale ;
  3. La troisième, la plus longue, aborde une série de thèmes d’actualité avec la profondeur du chercheur, le défi climatique (un brin indigeste), le chômage (je l’ai évoqué en détail dans une précédente note), la construction européenne, à quoi sert la finance, la crise financière de 2008 ;
  4. La quatrième étudie l’enjeu industriel, fort à la mode dans les débats politiciens. Jean Tirole y met de la clarté, posant l’écart entre politique de la concurrence et politique industrielle, prouvant combien le digital modifie la chaine de valeur, mettant en garde contre l’ignorance des défis numériques à l’organisation sociale, considérant l’innovation et la propriété industrielle et ouvrant des pistes pour réguler de façon incitative.

Il n’est pas possible, en deux pages, de rendre compte de la richesse du livre, seulement d’en donner quelque aperçu. Le fondement est exposé p.15 : « la recherche du bien commun passe en grande partie par la construction d’institutions visant à concilier autant que faire se peut l’intérêt individuel et l’intérêt général ». Ce livre est un outil de questionnement, il n’apporte aucune solution toute faite, il insiste en revanche toujours sur la complexité et sur la nécessité d’évaluer toute action avec l’œil de l’économiste, pour être utile à la société.

L’économiste est un chercheur, pas un énarque, et Jean Tirole n’est pas tendre pour les grenouilles généralistes qui prétendent se faire plus grosses que le bœuf : « Nous verrons tout au long de ce livre comment l’hubris – en l’occurrence une confiance trop forte dans sa capacité à faire des choix de politique économique – peut, en conjonction avec la volonté de garder un contrôle et donc le pouvoir de distribuer des faveurs, conduire l’Etat à mener des politiques environnementales et de l’emploi néfastes » p.45. L’exigence de réalisation des objectifs laisse trop souvent la place à « des postures ou des marqueurs à effet d’annonce » qui sont inefficaces et « dilapident l’argent public » p.59. De même, à propos des produits « toxiques » : « Sciemment ou non, des collectivités locales utilisent un produit dérivé afin d’améliorer la présentation des comptes à court terme ou pour se créer artificiellement un risque au lieu d’en éliminer un : de la roulette à l’état pur » p.395. Les cris d’orfraie des Mélenchon et autres « atterrés » ne sont donc pas vraiment justifiés… A propos de la crise financière de 2008 : « Comme la crise de l’euro, évoquée dans le chapitre 10, elle a pour origine des institutions de régulation défaillantes : de supervision prudentielle dans la crise financière, de supervision des Etats dans la crise de l’euro. Dans les deux cas, le laxisme a prévalu tant que ‘tout allait bien’ » p.461. Et si les politiciens balayaient devant leur porte avant d’accuser les autres ?

Sur la construction européenne, l’auteur pointe que « l’action européenne a réduit les écarts de revenus et que, même en tenant compte des calamiteuses dernières années, les institutions européennes ont dans l’ensemble contribue à la croissance » p.351. La crise de la zone euro est due à l’écart croissant de compétitivité entre Etats réformateurs et ceux à courte vue, entre 1998 et 2016, en gros l’Europe du nord contre l’Europe du sud (France incluse) où « les salaires ont augmenté de 40% quand la productivité n’a augmenté que de 7% » p.354. Et nos politiciens, d’autant plus véhéments qu’ignares, de nager en pleine contradiction : « on ne peut à la fois insister sur la souveraineté et exiger un plus grand partage des risques. Et c’est là le fond du problème » p.381. Les études montrent que « l’Etat-providence est la plupart du temps plus développé dans les communautés homogènes » p.387.

Le livre de Jean Tirole est consistant, mais écrit gros. Chacun des chapitres peut se lire séparément, à quelques exceptions près ; je vous conseille d’ailleurs de les consommer par étapes, selon votre intérêt, car le style très « plat » de l’ensemble, s’il est de bon ton dans la neutralité scientifique, est peu plaisant à haute dose. Jean Tirole est économiste, pas écrivain, mais il fait un effort très louable de clarté.

Jean Tirole, L’économie du bien commun, 2016, PUF, 629 pages, €18.00

e-Book format Kindle, €14.99

Jean Tirole déjà sur ce blog

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Risques boursiers 2016

Les marchés financiers, et notamment celui des actions, sont une chambre d’échos des espoirs et des craintes des investisseurs. Ce pourquoi ils sont un indicateur avancé de la santé des économies.

Rappelons ce fait d’histoire que l’économie leader de la planète reste l’économie américaine. Véritable « économie-monde » au sens de l’historien français Fernand Braudel comme de l’économiste américain Immanuel Wallerstein, l’économie des États-Unis est organisée par un État fort (et très peu « libéral » au sens que lui donne la gauche française), alimentée par l’innovation technologique (financée par la puissance militaire qui veut conserver une avance stratégique), et dont le marketing est effectué par le soft-power culturel du divertissement (Hollywood, Disney, Coca-Cola, Apple, Facebook, Twitter, McDonald’s, Lewis, Nike, etc.).

reseaux sociaux mediavores

L’économie américaine n’est pas le seul phare de la bourse, mais il en est le principal. Ce pourquoi tout ce qui arrive à la santé économique américaine affecte l’ensemble des marchés financiers de la planète, même si certains y échappent partiellement.

Sur l’année 2016, quatre risques importants sont détectés :

1. La reprise américaine décevante avec une croissance du PIB qui ralentit de 2.4 en 2015 à 1.5% estimé 2017. En cause l’industrie, notamment l’exploitation du pétrole de schiste, qui pâtit des prix bas du baril pilotés volontairement par l’Arabie Saoudite afin de conserver son monopole relatif.
2. Le ralentissement chinois et d’autres pays émergents, chacun pour des raisons différentes (la Russie à cause de la chute du prix du pétrole et de l’absence de réformes visant à encourager l’initiative économique ; le Brésil en raison de la dépense publique inconséquente et de la corruption politique). La Chine connait une crise de croissance, devant substituer une économie d’élévation domestique du niveau de vie à une économie tirée par l’investissement à destination des biens exportés à bas coût – transition qui ne se fait pas sans douleur. L’ultime ajustement sera le desserrement « démocratique » (selon les valeurs chinoises) qui remettra partiellement en cause le monopole du parti communiste. Cependant la Chine, avec son yuan partiellement convertible, peut garder la main sur son économie, échappant partiellement aux effets de la politique monétaire américaine.
3. La baisse du prix du pétrole (et du gaz par affinité) perturbe, par son ampleur et sa rapidité, tous les pays producteurs (Russie, Venezuela, Algérie, Nigeria, Gabon…). La chute de la rente augmente le chômage, donc la contestation sociale, qui peut prendre des formes politiques ou violentes – voire encourager le terrorisme dans les pays musulmans contaminés par le salafisme.
4. La politique de liquidités des Banques centrales, mise en place progressivement et à juste titre pour pallier les effets de la crise 2007 des subprimes, a peine à se normaliser. Les économies restent engluées dans le marasme ou ne relèvent la tête que pour une croissance anémique. Les liquidités créées par le rachat d’obligations d’État ou d’entreprises (quantitative easing) ne se placent pas forcément dans l’économie réelle via les crédits accordés par les banques, mais dans des actifs « sûrs » en attente d’investissement (ou exigés par la réglementation Bâle III) – ce qui crée une bulle obligataire et, dans certains pays, une bulle immobilière. Ces bulles génèrent de l’instabilité sur les marchés, décourageant la prise de risque dans les investissements réels – donc les embauches, donc la croissance.

Ces quatre risques à court terme se situent dans le risque à long terme des mutations technologiques et de la globalisation.

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Les effets du nouveau cycle d’innovations tiré par les technologies de l’information et des biotechnologies sont lents à changer la donne, les emplois détruits étant en phase initiale toujours plus nombreux (pour cause de productivité immédiate) que les emplois créés. Il faut en gros une génération avant que l’intégration des nouvelles technologies s’accompagne des réorganisations nécessaires et que la société s’y adapte. Les nouveaux métiers exigent de la formation (très mal organisée en France), la productivité réelle des technologies de l’information exige une organisation moins hiérarchique et plus en réseau (qui exige elle-même des salariés compétents, donc bien formés), l’essor des nouveaux métiers exige des modifications du droit pour qu’ils puissent voir le jour et se faire leur place (taxis avec Uber, locations touristiques avec Airbnb, télétravail, autoentreprise, multi-contrats, etc.).

Les risques qui sont identifiés et analysés ne peuvent jamais générer un « krach » – puisqu’ils sont déjà dans la tête des investisseurs. Les chutes brutales, de grande amplitude et durables de la bourse sont toujours l’effet de surprises, d’événements non prévus. Par exemple un attentat terroriste nucléaire (bombe « sale » ou centrale sabotée qui engendre un Tchernobyl), attaque de l’Arabie Saoudite par l’Iran, ou « la conjonction des astres » électoraux (imaginez en 2017 Donald Trump à la Maison-Blanche, Marine Le Pen à l’Élysée, une coalition avec une extrême-droite vigoureuse en Allemagne et le Brexit réalisé…).

Au-delà du pire, comment sortir des risques identifiés ?

1. L’économie américaine est réactive, mais l’incertitude électorale va peser jusqu’au résultat – il faut attendre 2017 pour qu’une tendance se dégage.
2. Le ralentissement chinois est assez habilement piloté et l’on peut penser qu’il continuera à l’être, même si la transition politique (qui suit toujours l’essor de l’économie selon Marx…) est une phase plus dangereuse que l’essor du pouvoir d’achat.
3. Les effets d’un prix du pétrole trop bas se font sentir jusqu’en Arabie Saoudite, déstabilisée socialement, ce qui laisse à penser que le léger rebond actuel marque la fin de la chute – sans que l’on retrouve avant quelque temps les prix d’il y a quelques années, faute de croissance économique aussi forte dans le monde.
4. La politique des Banques centrales a atteint son maximum. Nulle politique monétaire, même accentuée, ne peut corriger le problème d’offre dû au faible investissement faute de volonté patronale et de demande finale. C’est aux États et à l’Union européenne de prendre le relais, ce qui est lent et soumis aux aléas de la posture politique et de la démagogie idéologique (on le voit en France avec la loi travail). Les budgets ne disposant pas de marges de manœuvre en raison de l’endettement et du Pacte européen de stabilité, seules des réformes « structurelles » peuvent y réussir : sur la formation des chômeurs, le droit du travail, la sécurité retraite, le pilotage vers les nouveaux métiers, la fin des monopoles.

Un lent et long travail de réflexion juridique, de pédagogie, de compromis politique, ponctué d’élections-sanctions, de conservatisme et de retours en arrière…

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Qu’a fait le président Hollande ?

La croissance française s’est établie à +1.1% sur 2015, elle pourrait être un peu meilleure en 2016 avec le faible regain de consommation des ménages. Mais on note un net ralentissement de la productivité en France depuis la fin des années 1990, ce qui augure assez mal de l’avenir.

La croissance de la productivité horaire a ralenti régulièrement : de plus de 5 % par an dans les années 1950-1960, réduite à 3-4 % dans les années 1970, puis à 2-3 % dans les années 1980, entre 1,5 et 2 % dans la décennie 1990, elle est passée sous la barre de 1 % à partir de 2008. L’heure de travail est de moins en moins productive car les entreprises (et administrations !) françaises ne sont pas vraiment entrées dans l’ère numérique. En 2014, seules 63 % des entreprises disposaient d’un site web (+ de 75 % dans la plupart des économies avancées et 90 % dans les pays nordiques) ; seules 17 % des entreprises utilisent les réseaux sociaux pour leurs relations clients, contre 25 % en moyenne dans l’OCDE.

Quant au renouvellement du tissu productif (aider la nouveauté, pas « sauver » l’obsolète) il se fait trop lentement, beaucoup de freins l’empêchent : syndicats d’autant plus revendicatifs que peu représentatifs, manifs pour défendre les avantages acquis, lâcheté politique sur l’intérêt « général », byzantinisme juridique sur la création d’entreprise, le travail, le licenciement. La population active n’est pas assez qualifiée, notamment dans les technologies de l’information, et dans le même temps la formation professionnelle est laissée à des « partenaires sociaux » jaloux de leur rente sur la taxe obligatoire, et d’autant plus opaques qu’ils sont inefficaces. Les entreprises les plus productives ne sont pas encouragées par les règlements, obligations, charges et autres normes plus strictes que les Directives européennes ne le demandent. Pourquoi le SMIC serait-il égal dans Paris au fin fond de la Corrèze ? Le coût de la vie serait-il le même ? Si l’on s’étonne de la « désertification » des campagnes et lieux isolés, voilà une explication : faire travailler quelqu’un, notamment dans les services, est « trop cher » pour ce qu’il produit dans certains endroits.

L’échec du droit du travail actuel en termes d’efficacité économique et de protection des travailleurs est clair : complexe, inintelligible, faisant l’objet de l’intrusion détaillée du juge. Pourquoi embaucher si la rentabilité du poste n’est pas assurée ? Plutôt payer des heures supplémentaires aux inclus que de devoir licencier des entrants plus tard superflus. Cette réforme du code du travail est contrariée par l’idéologie, le syndicalisme qui ne représente pas l’intérêt général mais uniquement celui des syndiqués en majorité fonction publique, la politique tacticienne, et l’absence des indispensables accompagnements que sont la formation professionnelle et la réforme juridique du droit du travail.

Car le coût de l’emploi en France n’a rien de « normal » au vu des autres pays européens : il est grevé de taxes obligatoires plus fortes que les autres, commençant au SMIC – niveau bien trop élevé pour la qualification de la plupart -, obéré de freins administratifs et d’œillères sur les Zacquis. Le drame des taxis révèle l’inertie bête dans toute son ampleur : le rapport Attali l’avait pointé dès 2007, la profession est menacée par la montée des métiers issus des technologies du numérique. Que croyez-vous que les taxis firent : RIEN ! Ils attendent même « du gouvernement » qu’il mette en place une plateforme informatique qu’ils ont été INCAPABLES de créer eux-mêmes – et qu’ils leur remboursent une « licence » qui n’a jamais été légale !

Batiment sous Hollande

Les politiques dites « structurelles » visent à modifier les règles de fonctionnement de l’économie, notamment le juridique ou le fiscal pour augmenter la croissance possible, encourager l’emploi, favoriser l’égalité sociale.

  • La croissance : à part vendre des Rafales aux musulmans intégristes d’Arabie et du Qatar, qu’a fait le Président ? RIEN – sauf augmenter massivement les impôts pour les entreprises et les ménages, nommer Duflot, une écolo sectaire au Logement, ce qui a accentué la tentation de l’attentisme et du repli de ce secteur pourtant très créateur d’emplois peu qualifiés – justement ce qu’un gouvernement devrait encourager !
  • L’emploi : avant Hollande, la hausse du SMIC a réduit l’accès à l’emploi des moins qualifiés que les allègements de charges ont à peine compensés. Le statut d’autoentrepreneur et les emplois aidés n’ont pas encouragé la qualification mais au contraire fait baisser les rémunérations, tout en permettant en contrepartie à des non-qualifiés de travailler. Quant aux 35 h, elles ont clairement augmenté la productivité horaire… mais seulement de ceux qui travaillent, réduisant la productivité globale par découragement de l’embauche (sauf dans la fonction publique… ce qui obère les finances de l’État). Qu’a fait le Président ? Il a décidé bien tard le CICE, après avoir grevé les entreprises de 30 milliards d’impôts en plus. Et il n’ose pas toucher au sacré des 35 h, malgré les coups de sonde d’Emmanuel Macron.
  • Les impôts : leur prélèvement exige transparence et forte lisibilité pour qu’il soit compris et accepté. Qu’a fait le Président ? Presque rien (à part les augmenter), surtout pas la fameuse réforme qu »il avait promise et que tout le monde attend – et regretté d’avoir fait trop légèrement confiance au menteur Cahuzac comme ministre… du Budget !
  • Le système financier : il exige la confiance, donc des règles propres à lui éviter la tentation de la cupidité ou du risque excessif. Qu’a fait le Président ? Presque rien sur la taille des banques, les politiques prudentielles visant à limiter la prise de risques excessifs, l’orientation des financements vers les activités productives – malgré un discours de matamore sur « mon ennemi la finance ». Quelle velléitaire ! Ou quel naïf.

Se tromper sur ses collaborateurs et se hâter avec lenteur semble être la norme hollandaise, qui n’a semble-t-il pas pris la mesure des cinq années de son mandat. Il en est resté au double septennat Mitterrand, son grand modèle, et à sa maxime d’avant l’ère numérique : « laisser du temps au temps ». Or le risque d’une société puissamment méritocratique comme l’est la société française est de déconsidérer absolument les perdants. Les classes moyennes sont attachées plus que les autres à cette utopie que le mérite permet d’arriver. François Hollande a perdu son pari sur le chômage et a omis d’honorer la plupart de ses (trop souvent démagogiques) promesses de campagne : il est donc déconsidéré. Pire : l’hypocrisie de ses communicants qui amusent la galerie sur le mariage gai, la déchéance de nationalité et la réforme de l’orthographe, est nettement contreproductive. La ficelle tacticienne est trop grosse. Se perdre dans les futilités alors que de graves problèmes demeurent sans solution ?

Il n’est donc pas étonnant à ce que le baromètre politique TNS de février voie s’effacer le regain de popularité de Hollande et Valls après les attentats. Pour François Hollande, le recul de la confiance est un peu plus important chez les sympathisants de gauche que parmi ceux de droite. Même chose pour le Premier ministre. Les qualificatifs appliqués à Marine Le Pen dans un autre sondage TNS Le Monde-France Info-Canal + en février 2016 profilent en creux ceux qui semblent manquer à François Hollande, actuellement en charge de conduire la nation : « volontaire », « capable de prendre des décisions », « comprend les problèmes quotidiens des Français ». Même si 65% des citoyens jugent « non probable » la victoire de Marine à l’élection présidentielle 2017.

liberaliser economie sondage 2015

Les Français veulent des ACTES, pas du blabla idéologique (c’est valable autant à gauche qu’à droite). D’où le repli sur les valeurs sûres – y compris à gauche. On ne « défend pas assez les valeurs traditionnelles en France » pour 73% des interrogés (61% de gauche). Pour 70% « la justice n’est pas assez sévère avec les petits délinquants » (57% de gauche) – souvent immigrés ou descendants d’immigrés : il y a trop d’immigrés en France » pour 54% (35% de gauche). Cette position vis-à-vis de la « croyance » en ce « trop d’immigrés » ou descendants d’immigrés marque le vrai clivage gauche-droite en cette période. Naïveté ? Humanisme ? Effet bobo ? Les intellectuels, parisiens et professions supérieures – qui votent le plus à gauche – sont en effet peu en contact avec l’immigration, vivant dans des quartiers préservés, mettant leurs enfants dans des écoles réservées, suivant un cursus social d’entre-soi. Ils vivent donc plus que les autres dans l’illusion de l’Homme générique transfrontières, « naturellement bon », qu’il suffira d’intégrer au travail pour que tout aille pour le mieux dans le meilleur des mondes possible.

En face, Nicolas Sarkozy perd 4 points (21%), il recule surtout chez les sympathisants LR (51%) alors qu’Alain Juppé stagne, bien qu’en tête du classement. S’il reste le moindre mal à droite, son âge, sa stature à la Chirac dont il a été le dauphin, et le souvenir du « droit dans ses bottes » qui l’a balayé en 1997 ne donnent pas une image très dynamique de sa candidature. Place aux jeunes, à la nouveauté, à l’initiative.

Si Alain Juppé veut faire gagner la droite, sa campagne devra se focaliser sur le renouvellement de la classe politique autour de lui, notamment la promotion d’autres profils que les copains et autres requins assez vus du RPR devenu UMP puis LR. Il devra aussi offrir un équilibre entre l’aspiration au « lâchez-moi les baskets » des Français (qu’on appelle ailleurs le libéralisme politique et social – voir le sondage Banque de France ci-dessus illustré) et l’exigence d’État, celui-ci réduit à ses fonctions régaliennes.

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Camdeborde et Ferrandez, Frères de terroirs – carnet de croqueurs 2

fernandez camdeborde freres de terroirs 2
Yves Camdeborde est cuisinier restaurateur, il tient Le Comptoir au Carrefour de l’Odéon à Paris – il est aussi Béarnais et attaché à son terroir. Jacques Fernandez est écrivain-dessinateur, grand voyageur en Orient. Ils ont chacun le goût des produits et des gens, des pays et du savoir-faire. Ce gros album dessiné donne envie d’en savoir plus, par les papilles, de quitter le standardisé pour le personnalisé.

Il y a certes, en début de lecture, une petite musique de bon vieux temps, un brin de populisme anti-technocrate et le goût d’une certaine lenteur à vivre. Quelque chose comme Des racines et des ailes en distillent sur écran pour les retraités, sur fond de musiquette optimiste, moraline écolo et discours modulé tout le monde il est beau et gentil. Mais cet album dessiné va bien au-delà, heureusement.

L’album répond aux questions traditionnelles que se pose tout lecteur désireux de comprendre de quoi il retourne : qui, quand, quoi, où, comment, pourquoi.

Yves Camdeborde est un cuisinier formé durant des années par le maître Christian Constant avec toute une équipe dont il a aidé chaque membre à s’installer à son compte ; l’album lui rend hommage p.104 avec ces conseils en or : « ne lâche pas, écoute, regarde, comprends ce qu’on dit, ce qu’on fait, et petit à petit, si t’es pas bête, tu vas t’y mettre ! ».

Mieux qu’à l’école, c’est l’expérience de la vie – pas tout seul, pas d’un coup, mais par croissance naturelle de l’être qui grandit et mûrit.

Aujourd’hui, après une génération de malbouffe acquise au lait de synthèse dès le biberon, puis dans la tambouille pas cher des cantines scolaires, avant le fast-food ado et le stress de « la génération zapping, des jeunes qui n’ont pas envie de passer deux heures à table » p.24, la gastronomie retrouve un avenir.

A cause notamment des cancers dus aux pesticides, de réchauffement du climat dû aux transports longue distance, de mauvaise santé générale due à la dégradation des aliments et de l’alimentation, de la mode bio et « slow food » – cette invention non-française que les Français auraient pu inventer s’ils n’attendaient habituellement pas tout de l’État et de l’Administration…

fernandez camdeborde freres de terroirs 2 transmettre lait p tits bearnais

Le produit retrouve sa noblesse, comme le client. Blé, vin, vache, cochon, couvée, légumes doivent pousser, être élevé avec amour et savoir-faire, être traités « comme un bébé », soigneusement sélectionnés et livrés à temps pour la cuisine de saison. Miel de Corse, cochon noir de Bigorre, vins des Corbières ou d’Arbois, vaches du Béarn, pain de Lannes ou Wattignies où officie un « fou » adepte de la mémoire de l’eau et des spirales galactiques, huîtres de Belon ou d’Arcachon, légumes bio de Saint-Coulomb ou herbes fraîches « oubliées » sauf des vieux grimoires de « la sorcière » bretonne diplômée d’agriculture et de botanique, cafés sélectionnés par un ex-historien prof en Sorbonne, et même cigares de Navarrenx élaborés en face de la grand-mère Cambeborde…

Au total 25 producteurs visités, présentés, cuisinés et admirés.

Les terroirs français sont de moins en moins nombreux et dispersés mais résistent encore et toujours à l’envahisseur, le Romain étant soit le fisc français (« ce qui est scandaleux, c’est que l’artisanat va devenir le luxe. Parce que c’est la main d’œuvre qui coûte cher. Fiscalement, tout te pousse à faire de la merde… » p.87) – soit le technocrate pas vraiment chou « de Bruxelles », corrompu « avec des normes que seules les grandes multinationales peuvent supporter. Ils veulent tuer les petites structures économiques. Il ne faut pas se faire d’illusions… Les politiques gouvernent mais les multinationales commandent » p.107.

Comment ? Par l’artisanat, l’enracinement et la transmission. Le produit, c’est la terre, le terroir où l’on est né, où des générations ont œuvré. Nombres d’anciens fonctionnaires corses ont ainsi repris les vignes du grand-père ou la cochonnaille traditionnelle ; les Béarnais veulent rester au pays, les Bretons faire vivre la Bretagne, un ex-étudiant d’école de commerce œuvrer dans la distribution juste à temps de produits d’exception.

Le bio ? Pas forcément, tout dépend du terroir et du climat – mais le « naturel », oui. J’aime bien cette tempérance, loin des ayatollahs écolos qui se réjouissent de prédire la catastrophe pour demain.

L’album montre ce goût très individualiste, très paysan, du travail bien fait, du métier lentement appris et perfectionné par soi-même, tellement ancré dans la mentalité française. « L’artisanat est viable en France. Faire de la qualité, être heureux et fier de ce qu’on fait !… », s’exclame Yves Camdeborde dessiné par Jacques Ferrandez p.93. « Moi, je refuse de travailler avec des produits industriels de merde !… Je vais perdre la joie, je vais perdre la passion, je vais perdre le plaisir !… » a-t-il déjà éructé p.31.

Philippe d’Iribarne a étudié cette particularité typiquement nôtre qu’est « la logique de l’honneur » – issue tout droit de l’Ancien régime, malgré la république, malgré le « socialisme » ! Ce que dit le sociologue : « ne pas avoir à obéir à un patron, n’avoir pas besoin de se vendre à un client, n’être au service que de l’intérêt général, c’est-à-dire en quelque sorte avoir une mission reçue d’en haut, pouvoir faire bénéficier de sa bienveillance ceux en faveur de qui on agit, sans avoir à tendre la main pour qu’ils vous rétribuent, autant d’éléments d’un service éminemment noble » – est repris tel quel par Pierre Mateyron, éleveur de porcs noirs du Gers : « Qu’est-ce qu’ils ne font pas, les autres ?! La qualité, le naturel, le temps, la sagesse et les choses simples !… » p.71 – ou par Maxime Magnon, vigneron des Corbières : « Au moins, tu as la fierté d’avoir construit quelque chose ! Ta réalisation personnelle ! » p.83.

Et la lectrice ou le lecteur amateur de confitures apprendra enfin pourquoi, page 95, la bassine de cuivre est bien meilleure pour le goût du fruit.

La finalité de toute cette chaîne de labeurs et de métiers est sans doute de vivre mieux, plus en accord avec la nature, avec les ressources limitées, avec les autres, avec soi. « Y en a qui ne réfléchissent plus. Ils te cherchent la petite bête parce que tu n’as pas le label bio, mais ils achètent du bio qui vient du Chili par avion… » p.26. La bêtise du bobo à la pointe de la dernière mode est insondable.

Car la course à la productivité agricole est contreproductive, appauvrissant les sols, la planète, les aliments et le sens du goût – en bref le bonheur de vivre. L’efficacité maximum passe par le processus ininterrompu qui va du champ à l’assiette, du mode de culture à l’honneur paysan, du savoir-faire gastronomique à l’équipe de cuisine. « Derrière chaque produit, il y a des gens que je connais et je pense à eux quand je cuisine, quand j’ouvre une bouteille… », conclut Yves Camdeborde dans sa Préface – si j’ose cet oxymore (mais une préface est souvent une conclusion).

fernandez camdeborde freres de terroirs 2 restaurant le comptoir

A lire pour en savoir plus, à relire pour les adresses précieuses des bons producteurs locaux, à cuisiner car 7 recettes sont données, prêtes à élaborer – et à tester car le restaurant Le Comptoir et son bistrot L’Avant-Comptoir vous attendent au 9 Carrefour de l’Odéon à Paris.

A méditer aussi, le bien-manger étant plus qu’un art : une philosophie, comme le disait si bien Montaigne.

fernandez camdeborde freres de terroirs 1

Yves Camdeborde et Jacques Ferrandez, Frères de terroirs – carnet de croqueurs 2 – été/automne, éditions Rue de Sèvres 2015, 117 pages, €22.00

Déjà édité :
Yves Camdeborde et Jacques Ferrandez, Frères de terroirs – carnet de croqueurs 1 – hiver/printemps, éditions Rue de Sèvres 2014, 115 pages, € 22.00

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Dans quelle économie entrons-nous ?

Il y a déjà 40 ans, Richard Easterlin a mis en évidence le paradoxe de la croissance : une hausse de la richesse ne se traduit pas forcément par un meilleur bien-être. Les Français sont par exemple environ deux fois plus riches que dans les années 1970, mais ne se sentent pas plus heureux. Faut-il incriminer le thermomètre ? La mesure de la croissance par le seul PIB (production intérieure brute) est certes un instrument imparfait, mais minimal. Il semble que ce soient plutôt vers les relations sociales qu’il faille se tourner : le sentiment de bien-être s’accroît lorsqu’existe un espoir de gagner plus que ses parents, de vivre mieux que ses voisins, et que son revenu personnel relatif augmente.

C’est donc l’inégalité croissante qui a fait le bonheur croissant dans l’économie industrielle, pas le niveau de richesse brut.

Le problème survient avec l’économie numérique. Si l’industrie accroissait la productivité du travail, permettant une hausse rapide du niveau de vie de chacun, la nouvelle économie substitue la machine au travail, améliorant peu la productivité. Elle permet de couper les coûts de production, donc d’offrir des produits de consommation moins chers ; elle permet de mettre en relations des consommateurs, donc d’offrir des services décentralisés à la carte (Uber, MOOC, Couchsurfing, Amazon…) ; elle permet de gérer les inconvénients de la croissance industrielle (pollutions, épuisement des matières premières, consommation d’énergie, etc.) – mais elle n’invente rien de vraiment neuf : les avions volent moins cher et moins polluants mais pas plus vite.

dinky toys

Avons-nous encore besoin de croissance, diront les décroissants ?

Oui, car la démographie fait que nous sommes plus nombreux dans le monde et même en France à partager le même gâteau ; il est donc nécessaire que le gâteau augmente. Oui, car tous nous désirons vivre mieux, plus vieux, être mieux soignés, disposer d’objets et de loisirs meilleurs. Il faut bien sûr repenser l’exploitation de la planète pour que ce soit soutenable, mais l’économie numérique et le capitalisme (comme système de meilleurs coûts) y aident. La fameuse loi de Moore, qui observe que la capacité des composants électroniques double à peu près tous les 18 mois, ne restera pas vérifiée à l’infini, mais elle a encore quelques décennies devant elles.

Dès lors, le monde n’est pas infini mais il se complexifie, offrant des potentialités de croissance – de quelque façon qu’on la mesure. Le logiciel crée moins d’innovations industrielles qu’il ne permet de les rendre plus accessibles et plus sophistiquées. La croissance a toujours besoin d’emplois, mais moins qu’avant et pas les mêmes : les non-qualifiés sont requis (pour effectuer les tâches que les machines ne peuvent réaliser), et les surqualifiés sont adulés (car ils imaginent les architectures, créent les logiciels, inventent les objets ou les services à produire). Seule la classe moyenne, petits maîtres et cadres moyens, sert de moins en moins, l’organisation suppléant à leur fonction dans la nouvelle société.

Clavier ordi gris b

Comment gérer cette transition entre société industrielle et société numérique, moins créatrice d’emplois ?

Dans la société industrielle, le capital était complémentaire au travail : il fallait investir dans les machines et les réseaux pour produire et vendre des voitures. Dans la société numérique, le capital se substitue au travail, les logiciels ayant vocation à remplacer tout travail répétitif – mais le capital financier a beaucoup moins d’importance : en raison de la loi de Moore, le numérique coûte de moins en moins cher.

Restent donc les emplois de services orientés vers la relation : éducation, formation, santé, restauration, sports, loisirs. Mettant en connexion des êtres humains entre eux, ils devraient se développer hors des machines, même s’ils sont aidés par elles (ordinateurs, Smartphones, GPS, MOOC, sites de réservations, etc.).

Selon le choix de société, ces emplois peuvent être publics ou privés, l’État n’a pas vocation à emplir tout l’espace social. Dans la santé, nombre d’infirmières et de médecins n’officient pas dans le public ; dans l’éducation, les écoles privées, dont les écoles de commerce, s’ajoutent aux écoles publiques ; dans les services fiscaux, les conseillers privés sont plus proches, sinon plus efficaces, que les fonctionnaires du Trésor – et ainsi de suite.

A l’inverse de la société industrielle qui rassemblait les travailleurs, l’organisation sociale issue de la société numérique les fragmente, chaque travailleur étant plus ou moins voué à être employé à la carte ou en indépendant. Les rapports de force ne peuvent donc plus être les mêmes, les syndicats devenant moins puissants, les créateurs plus individualistes et les intermédiaires court-circuités par les réseaux. Si le salariat est menacé, pas le travail, qui reste indispensable.

L’État ne doit donc pas disparaître (vieille utopie de Marx), mais ses fonctions doivent évoluer. Il doit servir de protection aux travailleurs, qui deviendront majoritairement non salariés. Côté négatif, il ne doit plus par exemple laisser les chômeurs à leur solitude mais leur réserver les taxes à la formation pour requalifier périodiquement les métiers menacés. Côté positif, il ne doit plus « soutenir l’innovation », il y a pléthore d’innovations, mais doit plutôt favoriser leur émergence en révisant la masse de règlementations et de normes qui inhibent toute création d’entreprise (même en agriculture « de qualité » !).

Il est donc nécessaire de revoir l’État-providence : non pas le faire disparaître, ni lui faire jouer le rôle d’empêcheur d’innover (comme pour Uber), mais requalifier ses missions pour les adapter à la société nouvelle numérique. Par exemple, le système des retraites, fondé sur la croissance, ne peut plus être viable ; comme dans les pays scandinaves, il faut adopter un système d’équilibre à points, où la production annuelle sert de référence aux retraites servies. Protéger des aléas du travail, alors qu’il n’a jusqu’ici protégé que des autres aléas (santé, maternité, vieillesse).

C’est ce que prône Daniel Cohen, dans une intéressante émission de l’Esprit public sur France-Culture cet été, qui fera l’objet d’un livre prochain.

Livre désormais paru :

Daniel Cohen, Le monde est clos et le désir infini, 2015, Albin Michel, 220 pages, €17.90 / format Kindle €12.99

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Petites entreprises, la honte française

Dans sa Lettre de décembre 2014 n°128, la société d’éditions en analyse financière Vernimmen (la Bible des analystes et comptables français, en partenariat avec HEC), publie une édifiante comparaison des « charges » qui pèsent sur les petites et moyennes entreprises en France, en regard de celles de l’Allemagne. Il s’agit bien de « charges » handicapantes et punitives, et non pas de « contributions » justes et socialement utiles, tant l’écart apparaît grand entre les deux pays… pour un résultat citoyen pas vraiment amélioré !

Jacobins de gauche et bonapartistes de droite sont coupables, qui ont toujours préféré « la politique » à l’économie, le volontarisme théâtral aux réalisations industrieuses. Mais la crise financière et la concurrence économique rendent ces prélèvements désormais insupportables : ils accentuent le chômage, malgré les beaux discours des politiciens qui en font – soi-disant – leur « priorité ». Les prélèvements obligatoires des PMI françaises (cotisations sociales + taxes multiples + impôt sur les sociétés) sont TROIS FOIS plus élevés qu’en Allemagne. A productivité égale, du seul fait des prélèvements, leur résultat net final est de moitié.

C’est ainsi que s’explique le faible investissement des petites et moyennes entreprises en France, pointé sans explication par les économistes : pas de résultats positifs suffisant = pas d’investissement = peu d’innovation = peu de ventes = aucune embauche. N’en déplaise aux syndicats idéologiques, ce sont les profits qui font l’investissement.

investissement entreprises france 1995 2015

Les réformettes Macron, trop peu trop tard à cause de la procrastination Hollande, n’amélioreront qu’à la marge la situation. Les grandes entreprises, parce que largement multinationales, peuvent investir hors de France et optimiser leur fiscalité sans problème ; pas les petites… Mais les politiciens français, de droite comme de gauche, ne pensent que « grand », ils ne voient jamais les humbles sous leurs pieds.

Les prélèvements obligatoires les plus lourds sont subis en France par les entreprises de 50 à 249 salariés, équivalant au « Mittelstand » allemand qui fait la force de ce pays. En Allemagne, à l’exception des cotisations sociales et de quatre petites taxes, les impôts acquittés par les entreprises sont intégralement variables et proportionnels au résultat courant avant impôts auquel ils sont corrélés.

charges comparees pmi france allemagne

En France les sociétés sont D’ABORD soumises à des cotisations sociales deux fois supérieures – par méfiance administrative envers les « intérêts privés ». Même lorsque l’entreprise française aura connu un résultat négatif, elle devra néanmoins payer, non seulement des salaires et cotisations sociales part « patronale » plus élevée qu’en Allemagne, mais aussi des taxes – ce qui n’est pas le cas en Allemagne.

Cri du cœur des auteurs de la Lettre Vernimmen : « Que nos politiques, la presse et notre haute administration prennent d’abord en compte ces faits, avant de charger les entrepreneurs français de tous les péchés : manque d’innovation, d’investissements, de qualité… etc. »

Je vous laisse méditer cette information – soigneusement cachée par les Hollande et Sarkozy, Montambour et yakistes UMP.

Vernimmen va même plus loin : chacun peut vérifier par lui-même cette comparaison pour sa petite entreprise. « Alain Glon et quelques autres personnes viennent donc de concevoir un programme informatique très simple, qui démontrera cela pour toute entreprise volontaire (…). Il suffira (…) d’envoyer les chiffres de son dernier exercice, à l’état brut, c’est à dire les feuillets de son dernier compte d’exploitation, à un expert-comptable assermenté : Pierre Chastanet à Vannes : pierre.chastanet56@gmail.com, tél. 06 86 38 22 41, sous un numéro de code connu de lui seul qu’il vous aura attribué, pour recevoir par retour le pro-forma de vos comptes pour votre entreprise… si elle était installée en Allemagne. »

Chiche ?

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Diagnostic OCDE des causes de la faiblesse française

L’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) a 50 ans. Elle offre aux gouvernements un forum où ils peuvent partager leurs expériences et chercher des solutions à des problèmes communs, mais aussi une comparaison de la vie des gens dans différents pays.

Dans un rapport qui vient de paraître, l’OCDE se penche sur notre pays, atone depuis la crise 2007, et dont la croissance potentielle ne ressort en 2014 qu’à 1.25% par an. « La France fait donc face actuellement au défi considérable de devoir améliorer de façon importante sa compétitivité et sa croissance potentielle à moyen terme, et de transformer ses outils économiques et sociaux pour préserver ses « acquis » dans un contexte de fortes pressions sur les finances publiques. Les réformes qu’elle prend aujourd’hui définiront sa productivité de demain et sa place dans l’économie mondiale. »

Son diagnostic ne diffère guère de celui formulé en 2007 déjà !

Les maux récents viennent de l’alourdissement de la fiscalité Hollande qui écrase la consommation, de ses hésitations perpétuelles à désétatiser le fonctionnement du pays et des tabous de gauche qu’il n’a pas la volonté de surmonter.

Mais les maux récents s’ajoutent aux maux traditionnels, bien pointés en 2007 : le comportement administratif, la mentalité fonctionnaire du surveiller et punir, les niches et prébendes des monopoles et privilèges, le je-m’en-foutisme total des syndicats envers les chômeurs (« tous des feignants ! ») en même temps que la protection contre vents et marées de tous les zacquis et passe-droits obtenus depuis le siècle dernier par les monopoles publics enfeignants, cheminots et autres pilotes ou postiers, l’accumulation de la dette depuis 40 ans.

Comment l’OCDE recommande-t-elle d’améliorer les choses aujourd’hui ?

  • Optimiser la concurrence sur le marché des biens et services : les réglementations sont mal adaptées dans les domaines d’énergie, du transport, du commerce de détail, des services juridiques et des monopoles ;
  • Améliorer le fonctionnement du marché du travail en stimulant l’offre et en réduisant le coût (fiscal) de la main d’œuvre ;
  • Assurer que la structure de la fiscalité dans son ensemble limite les distorsions entre entreprises ;
  • Simplifier l’organisation territoriale de la France.

Les réformes (timidement) entreprises sur le Pacte de responsabilité, le CICE, la formation pro et l’apprentissage, la création des métropoles, sont vivement encouragée par l’OCDE. Elle estime (épure théorique d’économiste…) à 0.3% par an le surcroît de croissance moyenne chaque année sur les cinq prochaines. Mais l’hypothèse de base est que l’emploi augmenterait – ce qui est loin d’être acquis, question de mentalité frileuse et d’agitation perpétuelle en taxes et impositions diverses !

En 2007, l’OCDE pointait les atouts de la France :

  • sa productivité horaire du travail
  • des infrastructures modernes et de bonne qualité, notamment le système de santé
  • une présence industrielle forte dans certaines technologies de pointe
  • une des premières destinations des investissements directs étrangers.

France carte des anciennes provinces

En 2014, que reste-t-il de cette vitrine ?

  • certains secteurs à forte intensité technologique
  • un modèle social particulièrement développé aux acquis indéniables
  • un niveau d’éducation de la population qui a fortement augmenté au cours des trois dernières décennies,
  • un niveau d’inégalité de revenus relativement bas

Apparemment, la productivité horaire du travail, les infrastructures et l’attractivité aux investissements étrangers ne sont plus cités comme des atouts… De même, « l’inégalité » est plus un hommage théorique à Piketty (devenu célèbre Outre-Atlantique) qu’à la réalité des gens. Car le Rapport OCDE 2007 pointait que « les inégalités les plus préoccupantes en France sont celles qui sont liées à la perte d’emploi et à la difficulté d’en retrouver, parfois avant longtemps. » Les choses s’étaient un peu améliorées sous Sarkozy, elles ont nettement empirées sous Hollande.

Les handicaps français 2007 subsistent :

  • Faibles heures de travail (1 592 h par an en France, contre 1 699 h en Europe et 1 922 h aux États-Unis)
  • Taux de chômage parmi les plus élevés de l’OCDE, le marché du travail fonctionne mal, « reflet de régulations contraignantes et d’un système de prélèvements peu incitatif »
  • Faible capacité à transformer les inventions (qui existent) en innovations vendables : « la productivité globale des facteurs a ralenti depuis les années 90, au moment même où elle accélérait aux États-Unis ». Une frilosité peu propice à la création et à l’adaptation aux conditions nouvelles de la mondialisation, renforcée par les incertitudes sur l’avenir des finances publiques, alors que vieillissement et dette sont devenus inquiétants.
  • Faible compétitivité : « performance décevante de la France à l’exportation ces 5 dernières années en comparaison de ses partenaires de la zone euro, surtout de l’Allemagne »
  • « sentiment d’insécurité économique en dépit d’une protection sociale relativement généreuse, doublée d’un important dispositif réglementaire de protection de l’emploi »

Diagnostic et propositions 2007… toujours pas appliquées !

  • Le SMIC doit monter moins vite que la moyenne des salaires. Un SMIC trop fort « conduit à exclure du marché du travail les personnes les moins productives ou les moins expérimentées, comme en témoigne le taux de chômage très élevé chez les jeunes. Cela conduit aussi à un écrasement de l’échelle des salaires, peu incitatif aux gains de productivité. ». Patrick Artus ne dit pas autre chose en 2014, lorsqu’il montre que le CICE n’aura aucune efficacité s’il sert aux entreprises à augmenter les salaires des inclus.
  • La Prime pour l’emploi est mal ciblée. Versée en une seule fois et avec un an de retard sous forme de crédit d’impôt sur le revenu, elle « tend à distendre le rapport entre la reprise du travail et la hausse de revenu ». Il faudrait nettement l’augmenter, et qu’elle couvre moins large (jusqu’à 2 fois le salaire minimum !)
  • Continuer d’alléger les charges sociales pour modérer le coût de travail non qualifié.
  • Revoir le carcan de l’emploi : « Un assouplissement des critères de licenciement économique et un allégement des obligations de reclassement des entreprises, éventuellement assorti d’une contribution de leur part au service de l’emploi, y contribueraient. À l’instar du modèle danois, il est fondamental que ce type de réforme puisse s’appuyer sur un service public de l’emploi performant. » Donc la fusion ANPE et UNEDIC était une bonne idée ; reste à donner une aide active à la recherche d’emploi en activant la manne de la formation professionnelle, réservée (par les syndicats) aux inclus.
  • Un nouveau contrat de travail « à la fois plus souple que l’actuel contrat à durée indéterminé et moins précaire que l’actuel contrat à durée déterminée ». L’arlésienne continue à faire causer, sans que rien de concret n’émane des syndicats, ni du Parlement, ni du gouvernement.
  • Rationaliser les diverses aides afin d’abaisser le taux marginal d’imposition au moment de la prise d’un emploi.
  • Donner un cadre plus lisible à la politique macroéconomique à moyen terme pour réduire la dette publique sans handicaper les mesures conjoncturelles.
  • Rationaliser le prélèvement fiscal pour favoriser la croissance et l’emploi : « élargir la base et réduire le taux de l’impôt sur les sociétés ; réduire les prélèvements sur le travail au niveau des plus bas salaires et augmenter quelque peu leur progressivité en intégrant impôt sur le revenu, contribution sociale généralisée et contribution pour le remboursement de la dette sociale. »

Trop réglementée et mal, la France devrait – en 2014 comme en 2007 ! – « veiller à la simplicité et à la qualité de la réglementation publique » :

  • Unifier et clarifier la politique de la concurrence, éclatée entre Conseil de la Concurrence et Direction générale de la Répression des fraudes.
  • Supprimer les barrières sectorielles inutiles pour éviter des rentes de situation (professions réglementées, monopoles de réseaux, installation dans le commerce de détail, revente à perte).
  • Développer le système éducatif en augmentant les moyens du Supérieur, en adaptant les filières d’enseignement au monde professionnel, en concentrant les moyens sur les élèves en difficultés.
  • Développer en qualité le potentiel agricole de la France.

Tout un retard français que de bonnes pratiques résorberaient, comme ce fut le cas en Scandinavie, en Autriche, en Allemagne, au Canada… à moins que la démagogie n’éteigne, dans un pays de vieux, toute volonté d’aller mieux. Jacques Attali lui-même écrit : « la France reste très largement une société de connivence et de privilèges. L’État réglemente toujours dans les moindres détails l’ensemble des domaines de la société civile, vidant ainsi le dialogue social de son contenu, entravant la concurrence, favorisant le corporatisme et la défiance. »

L’OCDE encourage le gouvernement français à continuer ses réformes structurelles, octobre 2014
Étude économique de la France, OCDE juin 2007
Rapport OCDE pour la Commission Attali : « Le Pari de la Croissance », novembre 2007

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Modèle brésilien pour la gauche ?

Plus rien à foot au Brésil, mais aussi peu de chômage… et peu de croissance (1,3%), à cause d’une politique dirigiste plutôt démagogique. En France, peu de croissance mais chômage massif. La différence ? La dépense publique : un modèle pour la gauche jacobine ?

capoeira torse nu bresil

Le Brésil a de meilleures bases que la France, son déficit public reste encore faible (3,3% du PIB) malgré des dépenses structurellement plus élevées (+11% sur les trois dernières années) que les recettes (+9,2%) ; son endettement reste autour de 58% du PIB. La contrepartie est une inflation forte (6,4%) à cause de la consommation privée et de la dépense publique qui font que la demande est supérieure à l’offre de production dans le pays. Donc l’excédent commercial est passé en déficit à cause des importations en hausse (+1,4% sur 1 an). On n’augmente pas de 10% les prestations sociales (la Bolsa Familia), on n’offre pas de nouvelles augmentations de salaires aux fonctionnaires, on ne se contente pas de relever le plancher de l’impôt sur le revenu moins que l’inflation (4,5% seulement, et pas avant 2015), sans offrir un pouvoir d’achat plus élevé, auquel la production nationale ne suffit plus. Le pays vit donc à crédit, dépendant de l’étranger, au risque de voir monter brusquement les mécontentements lorsqu’il faudra revenir à un certain équilibre des comptes. Sauf à endetter la génération suivante sans lui demander son avis.

Est-ce ce dont rêve la gauche ? Quitte à « remettre les pendules à l’heure » en ponctionnant « les riches » (ce qui signifie les classes moyennes, tous ceux qui gagnent plus de 3000€ par mois disait Hollande durant sa campagne électorale, et tous ceux dont le patrimoine dépasserait les 800 000€, ancien déclencheur de l’ISF) ? Le problème est qu’il y a de moins de moins de riches, et de moins en moins de classes moyennes. Piketty, dans son pavé pensum où valsent les statistiques sans qu’elles soient vraiment comparables, pointe cependant une vérité : en période de crise économique, les très riches deviennent de plus en plus riches, tandis que tous les autres s’appauvrissent – y compris les moyens riches et les faiblement riches – autrement dit les classes moyennes.

Au Brésil, la classe moyenne émerge à peine et se voit remise en cause par les limites du modèle brésilien : tensions inflationnistes, taux d’épargne et d’investissement historiquement bas, investissement en recul (3 trimestres consécutifs, -2,1% sur 1 an). Seul l’investissement de productivité, donc l’épargne et le travail justement rémunéré, crée la classe moyenne – pas l’intervention d’État qui n’est que coup de pouce ou assistanat.

bresil anti foot

Pour éviter les tensions entre l’offre (qui peine à suivre) et la demande (pléthorique en raison de la dépense publique et des prestations sociales), les taux d’intérêt brésiliens ont été relevés (à 11% depuis le mois d’avril contre 7,25% un an plus tôt), rendant le crédit plus cher. Les exportations (-3,3% sur 1 an) ont été pénalisées par le recul des ventes de produits manufacturiers, puisque la production industrielle retombe dans le rouge à cause de l’inflation intérieure (-0,3% m/m en avril et -0,5% m/m en mars). Les entreprises créent moins d’emplois et les salaires réels ralentissent, faute de prix stables pour l’exportation, et faute d’investissements (de 20,2% à 18,2% du PIB entre 2010 et 2013). L’inflation décourage d’épargner, donc d’offrir aux banques les dépôts permettant les crédits aux entreprises ; le taux d’épargne intérieure (déjà bas) est passé de 18% à 14,6% du PIB. Conséquence : pour la première fois depuis le fin 2011, la consommation privée recule (-0,1% contre une moyenne trimestrielle de +0,6% en 2013), la confiance des ménages atteint des niveaux proches du plus bas historique 2009.

Seule la hausse des prix des matières premières, surtout café et soja (leader mondial), soutient la balance commerciale. Ce sont principalement les incitations fiscales qui attirent les capitaux étrangers pour couvrir les besoins de financement du pays. Ce qui entraîne une surévaluation du real (+ 8% depuis janvier contre $) et un real fort pénalise les exportations (tout comme un euro fort pénalise l’exportation française, incapable de produire du haut de gamme fiable à forte image de marque – ce que font excellemment les Allemands).

Le modèle de croissance reposant sur la consommation privée et publique montre qu’il engendre de sévères déséquilibres. Et c’est ce modèle que voudraient la gauche radicale, voire la droite extrémiste ? L’économie brésilienne a besoin de réformes de fond pour l’équilibre budgétaire dans la durée (ce que préconisait Keynes), des gains de productivité des entreprises et un environnement plus favorable à l’investissement. La France aussi, n’en déplaise à la gauche radicale et aux croyants des yakas.

L’analyse de conjoncture du Brésil par BNP-Paribas

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Christian Chavagneux, Une brève histoire des crises financières

christian chavagneux une breve histoire des crises financieres
Un bon livre de bon journaliste qui sait rendre claires les notions financières. Avec les limites du journalisme qui sont de rester sur le mode du constat, sans donner une analyse économique des crises. Sont-elles inhérentes au système de marché ? Peuvent-elles être vraiment régulées ?

Ma réponse personnelle aux deux questions est que les excès sont inclus dans l’initiative individuelle, la psychologie tant personnelle que collective incitant au risque et à l’imitation – pour le meilleur comme pour le pire dans les deux cas. Le risque permet d’inventer, d’explorer, d’innover – mais aussi de spéculer et d’entraîner la course au gain dans un délire addictif au jeu lui-même (plus qu’à la cupidité, comme le pense un peu trop l’auteur, en moraliste). L’imitation incite à reproduire les pratiques qui fonctionnent, à entrer en concurrence pour faire mieux ou à travailler de concert – mais aussi à faire comme tout le monde sans réfléchir, à entrer en surenchère dans le délire spéculatif, et à ne surtout pas quitter le jeu le premier.

Christian Chavagneux est diplômé de la London School of Economics et docteur en économie, mais il n’a pas choisi la carrière d’entrepreneur ni de banquier. Il a préféré le journalisme en tant que rédacteur en chef de la revue L’Économie politique et rédacteur en chef adjoint d’Alternatives économiques, les missions publiques et l’enseignement à l’Institut d’études politiques de Paris et à l’université Paris-Dauphine. Il est donc observateur – fin analyste – mais non praticien. Pour avoir exercé successivement la pratique puis l’analyse, je sais combien il est difficile de comprendre le fondement des actes et la psychologie des acteurs sans en avoir été un.

Peut-on avoir les bienfaits du libre marché, de la formidable inventivité des techniques et de la productivité sans les inconvénients qui vont avec : les excès en tous genres ? L’auteur croit que oui, je pense pour ma part que non, car nous ne sommes pas des dieux dans un monde pur et parfait du Bien en soi. Mais je rejoins l’auteur sur la régulation – à condition qu’elle s’adapte aux changements du monde, qu’elle mette les moyens suffisants en compétences et en techniques de contrôle des risques, qu’elle place chacun en face de ses responsabilités propres. C’est bien trop rarement le cas – et l’auteur ne cherche par d’explication à cet état de fait. Il est trop facile de rejeter « la faute » des crises sur les spéculateurs « cupides », les banques « avides » et les politiciens « corrompus » par les lobbies financiers. Or tout le monde a sa part de faute : les individus qui ne réfléchissent pas par eux-mêmes, le superficiel des idéologies complaisamment véhiculées par les universitaires qui sévissent dans les médias, les banquiers qui sont rarement inquiétés en cas de faillite, les autorités publiques trop souvent incestueuses avec les milieux économiques pour les avoir côtoyées dans les grandes écoles de l’élite.

1789 2014 Dow Jones Industrial Average

L’auteur a voulu ce livre de combat sur la crise financière dite « des subprimes », initiée en 2007 et qui dure toujours dans les actifs pourris du bilan des banques, l’excès de liquidités offert par les Banques centrales, le surendettement des États et les politiques d’austérité induites. Il tente d’expliquer « le bateau ivre » de la finance par un choix de crises emblématiques du passé : le krach des tulipes en 1637, l’aventure Grand siècle de John Law à la cour de Louis XV, la « panique » de 1907 et bien entendu « la crise de 1929 » – que les Américains appellent cependant du terme plus juste de « Grande dépression ».

Son chapitre 5 intitulé « Qu’est-ce qu’une crise financière » est probablement le meilleur du livre, décortiquant le schéma des crises pour en tenter une synthèse ambitieuse. Au départ « une simple perte d’équilibre » donne aux « innovations incontrôlées », dans le cadre d’une « déréglementation subie ou voulue », le pouvoir de créer une « bulle de crédits » qui, en raison d’une « mauvaise gouvernance des risques », permet « la fraude » et « l’aveuglement au désastre ». Certes, les inégalités croissent en ces périodes, les riches s’enrichissant bien plus que les autres par la spéculation.

Mais « l’inégalité » est-elle la variable explicative ? Elle apparaît plus comme un mantra moraliste que comme une hypothèse scientifique en économie. Certes, combattre les inégalités est du devoir des régimes démocratiques : pour que la démocratie puisse fonctionner, il faut que quelques-uns n’aient pas un pouvoir excessif sur tous. Mais le pouvoir n’est pas uniquement celui de l’argent. Le plus fort est celui de l’entre-soi en milieu fermé, des écoles exclusives, des mariages arrangés et de la sélection socialement construite (en France par les maths, aux États-Unis par les universités élitistes, au Royaume-Uni par la naissance et les collèges privés, en Italie par le clientélisme, en Allemagne par l’industrie…). L’auteur ne fait qu’effleurer ces comportements mimétiques de caste et d’attitude moutonnière. Il ne parle d’Alan Greenspan par exemple que pour lui reprocher la liquidité offerte en abondance, sans citer sa fameuse phrase, pourtant de 1996, sur « l’exubérance irrationnelle » des marchés. Analyser pourquoi ce dirigeant lucide de la Federal Réserve du pays le plus puissant du monde s’est laissé faire par le système après avoir mis en garde, aurait été du plus grand intérêt.

L’auteur préfère détailler en son chapitre 6 « le temps de la régulation », exposant les propositions et déplorant que toutes ne soient pas reprises dans les faits par les autorités publiques. Mais il ne dit rien d’une prochaine crise possible.

Il reste que cet ouvrage expose avec une grande clarté le mécanisme des produits toxiques et l’engrenage des crises du passé. Il est donc d’une lecture vitale pour mieux comprendre la finance, ses complexités et son rôle d’aiguillon économique – comme toujours pour le meilleur et pour le pire.

Christian Chavagneux, Une brève histoire des crises financières, 2011, La Découverte Poche 2013, 235 pages, €9.50

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La stratégie Hollande

Comme Mitterrand, son modèle, Hollande a changé officiellement de cap politique 18 mois après avoir été élu sur le rejet de son prédécesseur ; la « rigueur » mitterrandienne est devenue « pacte » avec les entreprises. Comme Mitterrand rue Mazarine, Hollande a aussi fauté dans la discrétion rue du Cirque – souhaitons que le fruit éventuel de ces amours ne porte pas le prénom de la rue, bien qu’il existe un Saint-Cirq dans les communes de France (Lapopie si c’est une fille). Je ne sais s’il consulte les voyantes, comme Mitterrand, je sais cependant que le président a demandé à un aréopage de hauts fonctionnaires de plancher et le tournant ne devrait pas être une surprise.

En témoigne l’audition de M. Jean Pisani-Ferry, ingénieur Supélec social-libéral et Commissaire général à la stratégie et à la prospective le 15 octobre 2013 au Sénat (son site). Ajoutons aussi l’habileté tactique politicienne de reprendre des revendications de l’UMP, vidant de son contenu son programme (si tant est qu’il existe : Copé n’est que réactif, il ne propose RIEN et ne fait travailler personne sur l’avenir). Bill Clinton comme Tony Blair et Angela Merkel ont repris à leur compte nombre de propositions de leur opposition et s’en sont électoralement bien portés. Si les actes suivent les discours (ce dont nous ne pouvons que douter pour l’instant tant les intérêts acquis des électeurs socialistes sont remis en cause), François Hollande risque d’être le prochain président en 2017…

francois hollande yeux

Voici le constat que Jean Pisani-Ferry expose aux sénateurs :

« Chacun connaît notre atout démographique : les générations dont le niveau d’éducation n’est pas élevé vont progressivement sortir de la population active au cours des prochaines années. Notre population active sera donc beaucoup mieux formée, au moment même où, dans une large mesure, celle des pays émergents le sera moins bien, pour des raisons de stocks et de générations.

« Nous disposons d’autres atouts considérables.

« Premièrement, nos infrastructures sont excellentes. Elles occupent le quatrième rang mondial.

« Deuxièmement, les entreprises françaises se caractérisent par leur force. Parmi les cent premières entreprises mondiales, huit sont françaises, neuf sont allemandes et quatre sont italiennes. Si l’intérêt de ces entreprises ne se confond pas avec celui du pays, nous pouvons quand même miser sur cet atout.

« Troisièmement, notre système de santé est parmi les meilleurs du monde. Il suffit, pour s’en convaincre, de se pencher sur les résultats des États-Unis, très médiocres au regard des montants dépensés.

« Cela dit, nous avons d’importants défis à relever.

« Nous devons d’abord identifier un défi relatif à ce que nous avons appelé « le modèle productif » – nous aurions aussi pu dire « la question de l’offre ». Ce défi tourne autour de la croissance, de l’emploi, de l’insertion dans la mondialisation. De longue date, la performance française en la matière n’est pas à la hauteur de nos capacités. Il suffit de regarder dans notre voisinage proche pour nous apercevoir qu’existe un risque d’asphyxie progressive de la croissance et du dynamisme. C’est ce qui s’est passé en Italie, avec toutes les conséquences que l’on peut imaginer du point de vue économique et social : le revenu par habitant est retombé à son niveau de 1997. L’Italie n’est pourtant pas un pays exotique…

« Nous sommes les premiers à reconnaître que la croissance n’est pas une finalité en soi. Nous n’avons pas la religion de la croissance. Néanmoins, sans potentiel de croissance, beaucoup de choses deviennent impossibles. En réalité, la bonne question à se poser n’est pas celle de la croissance, de son existence, de son niveau. Nous devons nous interroger sur nos finalités et nous demander en quoi la croissance peut être un instrument à leur service. Nous devons nous demander quelles qualités donner à la croissance et de quelle manière la concilier avec d’autres objectifs, notamment la préservation de l’environnement et la soutenabilité.

« Cela dit, la capacité à produire des gains de productivité demeure essentielle. Ce sujet recouvre plusieurs dimensions. Il revêt tout d’abord une dimension macro-économique, avec, notamment, la question de la rentabilité des entreprises du secteur exposé à la concurrence internationale.

« Il nous semble que l’on a trop souvent réduit la compétitivité à une simple question de relations capital-travail et de coût du travail. D’autres dimensions doivent être considérées, notamment toutes celles qui touchent aux relations entre, d’une part, les secteurs, les entreprises et les salariés exposés à la concurrence internationale et, d’autre part, le reste de l’économie, dont la capacité à assurer sa propre profitabilité et, dans certains cas, à bénéficier de rentes pèse aussi sur le secteur exposé.

« Pour notre part, nous nous interrogeons sur la démographie des entreprises, sur l’écosystème d’innovation, sur la taille du secteur exposé à la concurrence internationale et sur la manière de le faire grandir.

« On dit souvent que l’on va créer des emplois qui ne sont pas délocalisables. C’est compréhensible : il s’agit de protéger les emplois. Mais, dans le même temps, c’est oublier que nous sommes précisément confrontés au problème du trop faible nombre d’emplois délocalisables, lesquels sont producteurs d’exportations – quels que soient, du reste, les produits dont il s’agit. Or, par définition, de tels emplois sont soumis à la concurrence internationale et sont donc délocalisables. Une économie qui n’aurait plus d’emplois délocalisables n’exporterait plus rien !

« Si nous voulons refaire surface dans les échanges internationaux – nous y avons perdu pied en termes de parts de marché à l’exportation, de solde et d’endettement extérieurs –, nous devons faire en sorte que ce secteur exposé à la concurrence internationale grossisse de nouveau. Comment procéder ? S’agit-il seulement de le réindustrialiser, ou s’agit-il également d’étendre le champ de ce qui s’échange ? Nous sommes obligés de nous le demander ! En raison de la technologie, un certain nombre de secteurs qui, traditionnellement, n’étaient pas exposés à la concurrence internationale le deviennent de plus en plus. La question est de savoir si nous voulons y reprendre pied.

« La deuxième dimension est sociale. Sur ce plan, le constat que nous dressons est brutal. Notre pays, plus que d’autres, est très attaché à l’égalité, et il ne semble pas qu’il y ait de volonté collective de renoncer à cet attachement. Notre capacité à limiter l’augmentation des inégalités de revenus est relativement satisfaisante. Elle ne l’est pas complètement, mais elle est meilleure que dans d’autres pays. En revanche, du point de vue des inégalités d’accès au savoir, au logement, à l’emploi, notre performance n’est pas bonne. L’école, en particulier, échoue à corriger les inégalités d’origine sociale. Dans les comparaisons internationales, la France est l’un des pays de l’OCDE qui réalisent les plus mauvaises performances en la matière. La capacité de notre école à corriger ces inégalités a même, hélas ! reculé. Or de telles inégalités se perpétuent bien évidemment ensuite tout au long de la vie active. Je me réfère ici aux indicateurs de l’OCDE, aux enquêtes PISA, réalisées dans beaucoup de pays. Ces enquêtes ont souvent servi de révélateur de l’état du système scolaire et de sa capacité à produire ou non de la qualité et de l’égalité. C’est ce qui s’est passé chez nous.

« Dans ces conditions, nous nous interrogeons sur les moyens et les instruments à utiliser. Au fur et à mesure des difficultés rencontrées, des mutations de la société, de l’apparition de situations sociales difficiles, nous avons empilé les dispositifs et, d’une certaine manière, nous avons construit, sur un État de service public, un État bismarckien, puis un État beveridgien et, maintenant, un État d’investissement social. Or tout cela a représenté un coût élevé et n’a pas abouti à des performances particulièrement remarquables. Dès lors, ne faut-il pas, d’ici à dix ans – cet horizon le permet –, réfléchir à une approche mettant davantage l’accent sur l’investissement social, sur le préventif plutôt que sur le curatif, et, dans le même temps, aux instruments – fiscalité, transferts, etc. – qui doivent être le plus mobilisés dans la redistribution de nos revenus ?

« La troisième dimension est celle de la soutenabilité. Cette notion, traditionnellement utilisée dans le domaine environnemental, s’est progressivement invitée dans le domaine financier, s’agissant notamment des dettes publiques. Nous avons choisi de réunir ces deux aspects. En effet, si nous voulons apprécier la qualité de notre croissance et de son évolution sur une décennie, ne convient-il pas de considérer la société comme créatrice, d’une part, d’actifs – par ses investissements dans l’éducation, dans les entreprises, dans les équipements collectifs – et, d’autre part, de passifs – par son endettement ou la dégradation de l’environnement qu’elle lèguera à la génération suivante ? »

senat france dans 10 ans

Notons à la lecture que :

Cet exposé suinte l’idéologie : quand le Commissaire compare le système de santé français à l’américain (qui n’a strictement RIEN à voir), il est polémique ; une comparaison avec l’Allemagne, la Suisse ou le Royaume-Uni – pays européens proches – aurait été plus réaliste.

Il est revêtu d’un biais nettement économique, même si l’économie est le nerf de la guerre politique, les dimensions citoyenne, européenne et globale comptent. La « soutenabilité » à 10 ans est peut-être avant tout économique (produire plus, mieux, et avec moins de gaspillages publics), mais l’avenir au-delà de 10 ans se prépare aujourd’hui, dans une autre façon d’envisager la croissance, probablement.

Le couplet rapide sur « les atouts » français est du politiquement correct sans intérêt pratique. La démographie ne restera plus dynamique qu’ailleurs que pour des raisons précises : lesquelles ? les allocations familiales ? quid en ce cas de la fiscalité en cours de revue ? les crèches ? sur quelles dépenses locales vont porter les réductions ?

Le diagnostic implacable sur l’empilement des dispositifs devrait déboucher sur des propositions concrètes rapides. C’est là en effet que se situe la paperasserie bureaucratique, la viscosité décisionnelle, les obstacles sans nombre mis à l’initiative – sans que « le contrôle » soit à la hauteur (voir le traitement inepte du chômage, le scandale du Médiator, le cheval roumain et autres je-m’en-foutismes administratifs dont « personne » n’est jamais responsable).

Si le président Hollande a du mal à prendre une décision (même pour affaires personnelles semble-t-il), il fait travailler – comme son modèle Mitterrand – de nombreux think tanks de hauts fonctionnaires. Qui sont à examiner pour qui veut comprendre où il pourrait aller… à condition que les décisions suivent.

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Réel déclin économique français

Récemment, j’indiquais combien François Hollande était dans l’impasse :

  • Impasse dans laquelle il s’est mis lui-même, promettant la lune et n’offrant que son pâle reflet, la procrastination en plus. (Je mets le lien avec ce mot compliqué, pour les mal éduqués sortis de l’E.NAtionale).
  • Impasse due au grand écart entre le « socialisme à la française » (resté marxiste en économie, gauchiste dans les mœurs, étatiste en mentalité) – et les réalités du gouvernement d’une France complexe, diverse et ancrée à une Europe bien plus sociale-libérale.

Ce pourquoi Martine Aubry est plus populaire au PS que François Hollande : plus autoritaire, plus à gauche, plus dans la lignée 1981… Mais seuls 46% des Français ont une bonne opinion d’elle.

Ce qu’il faudrait faire – il ne le fait pas :

  • baisser de 15 à 20% les coûts des entreprises (notamment les cotisations sociales obligatoires et le maquis touffu des règlementations et paperasseries),
  • réduire les strates administratives de décision d’État
  • augmenter la productivité des fonctionnaires par une meilleure organisation et des salaires plus incitatifs
  • réformer la fiscalité – comme il l’avait promis.

Ce pourquoi la Commission européenne, après Standard & Poors, dit que la France n’a plus aucune marge de manœuvre. Trop compliqué, trop politiquement sensible, trop près d’une élection. Un peu de socialisme, un peu de réformettes, surtout des promesses de lendemains qui chantent, la ligne bleue 2017 et d’ici là s’efforcer de diviser la droite en attisant l’extrémisme frontiste par des provocations sur les mœurs ou les bananes et l’épouvantail du vote des étrangers, du retour des illégaux expulsés et l’entrée de la Turquie dans l’UE.

pression fiscale france comparee europe

Redisons-le froidement :

  • la croissance ne reviendra ni aussi vite ni aussi fort qu’avant, comme si de rien n’était, les 2% espérés, ce n’est probablement pas avant plusieurs années : la zone euro ne connaît qu’une reprise fragile en raison des difficultés bancaires, des budgets en déséquilibre, du désendettement du secteur privé, de la faiblesse du commerce mondial, de la fragmentation des marchés. Selon l’économiste de Natixis Patrick Artus, avec la tendance des gains de productivité français et les perspectives démographiques, « on parvient à une croissance potentielle comprise entre 0,7 et 1,0% par an selon l’hypothèse prise d’évolution du taux d’emploi. »
  • le déficit public ne sera pas résorbé en quelques années, même avec les deux ans de répit accordés par l’UE : la crise a abaissé le potentiel économique de la France et pour ramener le déficit structurel de 3,3% du PIB en 2013 à 0,5% du PIB en 2017 (pour respecter la Règle d’or), il faudrait le réduire de 0,7 point du PIB par an ; selon Patrick Artus, « si la pression fiscale par rapport au PIB à partir de 2013 reste stable, il faudra alors que les dépenses publiques baissent de 1,2% en valeur et de 5,3% en volume de 2013 à 2017. Un ajustement budgétaire très sévère reste donc à réaliser en France entre 2014 et 2017, bien plus sévère que celui qui a été annoncé. »

pole emploi bureaucratie kafka

  • le chômage ne risque pas de décroître en raison des multiples freins aux embauches et des coûts salariaux élevés : la France a une compétitivité-coût moindre, une profitabilité faible, une rentabilité du capital inférieure à ses voisins ; le défaut des entreprises augmente dans les loisirs, l’automobile, l’immobilier – l’investissement et l’emploi reculent. Quant à la bureaucratie de Pôle emploi, il faut ajouter Courteline à Kafka pour en avoir une faible idée !

salaire horaire industrie france comparee europe

  • les impôts (déjà les plus élevés d’Europe et jamais suffisants pour les besoins publics) tuent toute initiative, annihilent toute volonté, inhibent toute consommation : les entreprises fabriquant des produits peu différenciés souffrent des coûts salariaux plus élevés, les pigeons, les dindons, les Bretons, les poussins et même les cigognes (ces sages-femmes qui manifestent) se révoltent, les retraités dès la classe moyenne commencent à établir leur résidence principale à l’étranger (Maroc et Thaïlande notamment), les étudiants sont de plus en plus nombreux à aller se faire embaucher ailleurs.
  • les investisseurs étrangers l’ont compris, qui diminuent en moyenne leurs investissements en France depuis le début des années 2000 : la situation n’est en apparence pas plus mauvaise que celle de l’Allemagne ou des États-Unis et meilleure que celle de l’Italie – mais hors immobilier et finance, les investissements directs étrangers sont très faibles et en déclin ; ils ne représentent qu’1,1 milliard d’euros en 2013 pour l’industrie manufacturière.

investissements etrangers en france par secteurs

Que fait François Hollande pour corriger tout cela ? Rien, il attend. Il préfère le discours au terrain et se méfie de tous ceux qui créent des richesses (entreprises, professions « libérales » ou finance). D’où sa chute abyssale de popularité, même parmi ses électeurs, jamais vue jusqu’ici.

profits entreprises france comparee europe

Il croit ce qu’il espère – pas ce qu’il voit : « la croissance à 2% » pour bientôt. Il est malheureusement conforté par les œillères des journalistes dont quelques sondages ont révélé le tropisme à 74% « de gauche ». Écouter les seuls « économistes » invités par les journalistes sur les radios nationales, c’est entendre la voix des sirènes : louanges appuyées à la radicalité de gauche, congratulations mutuelles, sophismes et erreurs répétées en boucle (la faute à l’euro trop fort, aux excédents allemands, à la politique du dollar, aux méchants Chinois, aux Irlandais fiscalement habiles – et ainsi de suite).

François Hollande doit tuer le père – ou se suicider politiquement : laisser le socialisme façon Mitterrand ou renoncer à gouverner. Cruel dilemme, dans lequel cet éternel hésitant enclin à la gentille « synthèse » ne peut se résoudre. Il fait donc un peu le socialiste par des « réformes » de mœurs et de gros yeux aux « riches » – mais pas trop, car est « riche » en France qui dépasse la tranche à 14% de l’impôt sur le revenu, soit dans les 3000 € par mois pour une personne seule. Les prélèvements « sociaux » (passés de 13.5% à 15.5%) sont sur TOUS les revenus et touchent d’ailleurs TOUT le monde, même ceux qui ont un revenu annuel sous le seuil de pauvreté : la potion « socialiste » est, dans le réel, pire que celle de droite… Et cela ne se verrait pas dans les urnes ?

Ce pourquoi François Hollande à enfin réagi : ou plutôt son Premier ministre qui annonce que le gouvernement va « remettre à plat » toute la fiscalité française. Ce que je prônais comme seule marge de manœuvre politique possible dans ma dernière note sur l’impasse, citée plus haut. A croire qu’il a des conseillers avisés qui lisent ce blog – ou, plus modestement, que mon intuition politique rencontre l’air du temps. Mais, disons-le, se réjouir qu’un président mette en œuvre ses propres promesses électorales, c’est un comble ! Les paroles sont-elles des actes, comme il le dit si bien à Jérusalem pour l’antisémitisme ?

Hélas, non ! François Hollande vient de « recadrer » Jean-Marc Ayrault : la réforme fiscale se fera à l’horizon du quinquennat, pas tout de suite – autrement dit aux calendes grecques. Peut-on être aussi mauvais en communication ? François Hollande pense-t-il au désastre d’image que cette énième reculade et réticence a dans l’opinion ? Et sur les marchés à qui le gouvernement réclame des prêts chaque mois ? Est-il à la hauteur de sa fonction présidentielle, ou se contente-t-il d’en jouir ?

Autant de douloureuses questions pour la gauche mais surtout pour les Français.

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Leonarda et la secte morale qui pourrit la gauche

Ce n’est pas le premier exemple, mais le plus emblématique : une famille rom kosovare ayant épuisé tous les recours du droit, est expulsée selon les lois en vigueur. On peut certes contester le fait que la police fasse irruption dans un voyage scolaire pour emmener une jeune fille devant ses camarades, mais la loi est la loi. Pourquoi l’avoir votée ou soutenir le gouvernement de gauche qui l’applique en toute connaissance de cause, si c’est pour s’élever contre ? Pourquoi avoir abrogé une circulaire Sarkozy – par ce qu’elle émanait de Sarkozy – qui enjoignait aux préfets d’éviter ce genre d’arrestation ?

C’est alors la mise en branle des grosses caisses médiatiques des « lycéens et collégiens » en grève dans les beauxbos quartiers parisiens – quelques milliers seulement, notons-le – sur des centaines de milliers. Lycéens et collégiens que la gauche morale loue d’être quasi adultes en manifestant contre « le racisme » des expulsions d’immigrés illégaux – mais à qui elle applique le terme « d’enfants » quand il s’agit de Leonarda. Est-on vraiment « enfant » à 15 ans, âge de la jeune fille ? Peut-on célébrer la maturité des grévistes de 15 ans et refuser la maturité à des élèves de 15 ans face aux réalités légales d’une expulsion ? « Sanctuariser l’école » est quelque chose de ce déni. La gauche morale veut protéger les mineurs jusqu’à les infantiliser ; ne sait-on pas qu’en Autriche et dans quelques autres États, les mineurs de 16 ans ont le droit de vote citoyen ? Tollé en France contre cette idée. Pourtant le monde a changé – mais la gauche morale (comme les cathos tradis) refuse de l’accepter. Cachez ce sein que je ne saurais voir ! Qu’on applique la loi, mais loin des yeux et du cœur !

Doisneau 1978 Paris Rivoli les tabliers

Quelle hypocrisie… Les médias se frottent les antennes, jouissent de tous leurs canaux, ça fait du buzz, de l’info, coco ! Peu importe la loi, l’émotion suffit, la désinformation aussi : ne pas confondre Leonarda Dibrani (née soi-disant en Italie : mais où sont les preuves ?) avec Leonardo di Caprio, acteur glamour qui périt dans le naufrage d’une Europe à la technique trop sûre d’elle-même. La gauche morale en profite pour attiser ces divisions qui font le sel de la politique française et les désastres habituels des élections. Continuez, moralistes de gauche, vous aurez Le Pen en première ligne dans les votes en série de l’an prochain !

Mais après tout, cela vous conviendrait sans doute ? Enfin le Mal incarné, le Fascisme établi, vous pourriez vous draper dans la grande Morale pour faire la leçon à tout le monde, comme vous aimez si bien le faire. Car vos idées émotionnelles sont respectables, mais doivent être discutées : vous n’avez pas le monopole du Bien, ni celui du Juste. La démocratie est un forum où tout est sur la table, débattu en commun. Vous n’êtes ni plus dignes, ni meilleurs que les autres, même ceux qui votent Le Pen. Chacun a le droit de s’exprimer et les idées sont souvent le masque d’autres intérêts. N’est-ce pas votre idole préférée, Karl Marx, qui a mis ce phénomène au jour ?

Votre antiracisme, votre pitié pour les expulsés illégaux (et dans le cas Leonarda d’un père violent qui refusait tout travail), votre agenouillement devant les immigrés, nouveaux prolétaires de votre avenir radieux – tout cela est de l’idéologie. Le communisme s’étant effondré avec les réalités soviétiques, maoïstes, castristes et polpotienne, vous avez du trouver une nouvelle religion en urgence. Pourquoi pas l’antiracisme ? Ce terme vague accumule tout ce qui est impérialisme, colonialisme, exploitation, mépris… Bien sûr que nous sommes contre le racisme, tout comme vous – mais pas comme vous. Car il est votre illusion de faire de la politique, alors que vous ne faites RIEN. Cet opium du peuple de gauche permet d’enfumer les citoyens tandis que les VRAIS problèmes sont ailleurs : dans le chômage, la désorganisation de la dépense publique, l’empilement des bureaucraties parasites, l’excès d’impôts et de règlementations qui tuent l’initiative, la fuite des entreprises. Mais contre ces maux, vous ne vous indignez pas.

Agiter la morale sur l’expulsion d’une illégale de 15 ans, c’est médiatique, ça fait un « beau » sujet émotionnel – mais c’est politiquement superficiel et médiatiquement épidermique. Qui parlera encore de Leonarda après Noël ? La télé a besoin de sujets sans cesse nouveaux et de héros sans cesse plus sexy. Votre morale antiraciste masque votre absence de tout projet politique pour la cité. Vous vous contentez de crier votre indignation, mais que votez-vous de concret pour le bien-être de vos concitoyens ? Que proposez-vous pour intégrer les Roms, pour accueillir votre part de la misère du monde – mais pas toute ? Vous restez dans le show médiatique, votre antiracisme est un divertissement de la société du spectacle. Rappelons que, dans la société du spectacle, les citoyens ne sont plus acteurs mais spectateurs. Il leur faut alors des illusions d’agir pour le Bien alors qu’ils n’ont aucune prise concrète sur la réalité des rouages de pouvoir et des privilèges sociaux existants. L’industrie du show les amuse pour qu’ils laissent la paix aux vrais décideurs.

Le progrès moral aurait-il remplacé le progrès social ? Le profond désir de sécurité d’une génération soixantuitarde vieillissante, qui a raté sa révolution et s’en veut, engendre dans les faits une bureaucratisation d’État, l’exigence de garantie des statuts et de l’emploi, les corporatismes, la peur de tout changement. La moraline de gauche est l’impérialisme médiatique de l’indignation. C’est-à-dire, au fond, une impuissance masquée sous les grands mots, le masque idéologique de la réalité des privilèges jacobins, des zacquis menacés. Car la jeunesse se lève, moins grandiloquente et nettement plus pragmatique, nourrie des techniques de l’information et de la communication depuis tout petit, nageant dans la globalisation comme vous n’avez jamais su le faire, bobos confits dans votre génération gâtée.

Nous écoutons les gémissements de l’impuissance, et nous sommes effarés. Ces jobs perdus sur le fumier de la répugnance à s’adapter, ce refus de la productivité exigée d’un tiers-monde qui émerge, n’est-ce pas cela qui est à réformer plutôt que faire revenir tous les illégaux expulsés selon toutes les voies du droit ? Que vaut le droit s’il est sans cesse bafoué par les indignations partisanes ?

La gauche morale apparaît comme une secte nuisible à la gauche apte à gouverner. L’on s’étonne que le Président lui ait fait une concession cynique en autorisant « pour raison d’humanité » la seule Leonarda de 15 ans à revenir à l’école en France – mais pas sa famille. Quelle est cette nouvelle religion morale qui impose ainsi son émotion à la loi ? N’est-ce pas dévaloriser la citoyenneté que d’affirmer souverainement qu’il y a de grands mots émotionnels au-dessus des lois rationnelles ? Et si c’est le cas, pourquoi avoir vilipendé et méprisé ceux qui manifestaient contre le mariage gai ? Eux aussi se battaient pour que la loi reste inférieure aux convictions de leur religion – ce qui n’est pas notre idée. Ou pourquoi avoir défendu la loi contre le voile dans les lieux publics, puisque c’est par une conviction semblable au-dessus des lois humaines, que les filles se couvrent la tête ? « Écrasez l’infâme ! » disait Voltaire lors de toute intervention. Il visait les curés ; nous visons aujourd’hui la gauche morale, intolérante, sectaire, qui veut imposer sa conception du Bien à toute la société via les amuseurs à son écoute.

Nous sommes de ceux qui préfèrent les sociétés pour lesquelles l’opposition est un service public et non un crime moral. Car la moraline fait le lit de l’agacement, et l’agacement fait le vote extrémiste. A trop vouloir imposer son idéologie, le risque est de voir renverser la table.

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Le marasme Hollande

  • Il avait promis, il ne peut pas tenir.
  • Il s’était présenté comme le président des jeunes, de l’écologie, de l’avenir, il ne peut que gérer la pénurie.
  • Il se voulait ouvert, dialoguant, il se retrouve à pratiquer la rigidité managériale, directif (selon la CGT sur les retraites) et punissant les faibles (Batho) mais pas des forts (Montebourg).
  • Il se voulait « normal », il n’est que normalisateur.

francois hollande moue

Comment la gauche peut-elle être « la gauche » quand les moyens manquent ? Car il ne s’agit plus de redistribuer la manne productive, il s’agit de la redresser, voire de la recréer : et cela, la gauche n’a jamais su faire…

Engluée dans l’idéologie du lointain, des lendemains qui chantent et du temps des cerises, la gauche de gouvernement ne sait quoi faire quand le printemps tarde (comme cette année) et que l’hiver dure (bien que le climat se réchauffe). Les pays émergents vont plutôt bien, les États-Unis se redressent, l’Europe va moins mal – même l’Espagne et l’Italie. Seule la France s’enfonce, par atavisme qui ne date pas d’hier :

  • Déjà la guerre de 1870 contre les Prussiens avait montré combien le pays se surestimait, arrogant et amateur, préférant le statut de grande puissance plutôt que les moyens d’une grande puissance.
  • Déjà la guerre de 14-18 avait montré le conservatisme des badernes aux commandes, le déni des politiciens et l’amateurisme technique.
  • Déjà la guerre éclair de 1940 avait prouvé la faillite de l’élite, l’absence de remise en question des habitudes, la confiance aveugle en la protection de la ligne Maginot, le saupoudrage des chars de combat et l’usage inepte des avions.

La gauche est héritière de cette culture nationale, elle bavarde mais ne fait rien pour adapter le pays. Car le monde change mais la France se veut immobile, née tout armée quelque part vers 1789 ; le monde rajeunit avec la démographie émergente et l’inventivité technologique américaine mais la France vieillit dans le narcissisme révolutionnaire, se trouvant si belle en son miroir qu’elle ne veut surtout pas regarder ailleurs.

Ni le Budget, ni la Dette (1870 milliards d’euros fin premier trimestre 2013) ne permettent plus les subventions aux projets écolos, aux histrions du spectacle, au sauvetage d’entreprises, à la relance des Grands Projets. Ayant le choix entre la rigueur ou la faillite, la gauche au pouvoir est conservatrice par force, réactionnaire par contrainte de moyens, obligée à l’essentiel pour rester au pouvoir.

Le chômage est un vaste problème qu’il ne suffit pas de qualifier de Grââânde cause nationale pour le régler d’un discours, ni même par une loi. Tout le monde sait bien ce qu’il faudrait pour encourager l’emploi, mais la gauche ne sait pas le faire, ce serait vexer sa clientèle, et Hollande encore moins, ce serait brusquer son tempérament. Il faudrait un « choc de simplification » sur l’empilement de taxes sociales pesant sur les salariés et sur les employeurs, un réajustement au niveau du pays voisin qui a réussi mieux que nous : l’Allemagne. Mais il faudrait pour cela basculer le manque à gagner sur la TVA (plutôt que la CSG qui touche aussi les salaires) – et surtout réduire bien plus vite la dépense publique, donc le nombre de dépendants de la manne d’État.

  • Or l’empilement des niveaux d’interventions, de la commune à l’État central en passant par cette nouvelle invention des « métropoles », n’est pas remis en cause – ce serait vexer les zélus zélés du parti socialiste.
  • Or le « mammouth » ministériel de l’éducation, dont les dysfonctionnements sont de notoriété publique, ayant fait l’objet d’un rapport récent de la Cour des comptes, est conforté sans aucune réorganisation, empilant en plus des profs qui ne font que 18 heures par semaine (contre 22 en Allemagne), des programmes rechargés en matières, des vacances encore plus longues à la Toussaint – et ces assistants-garde chiourme en emplois « aidés », ni formateurs ni vendables sur le marché du travail pour les jeunes bénéficiaires.

immobilisme politique dessin zag

Productivité, innovation, compétitivité – ces mamelles d’une économie dynamique – ne sont que des mots pour la gauche technocrate. Non seulement l’économie privée n’est pas encouragée à produire, elle est découragée d’innover et empêtrée dans un fatras de règles administratives sans cesse rajoutées qui freinent toute compétitivité – mais en plus l’État, « instituteur du social » selon la tradition de gauche, est incapable de montrer l’exemple. Où sont la productivité, l’innovation, la compétitivité dans l’organisation administrative ?

  • Pourquoi a-t-on plus de flics par habitant que les autres et des résultats aussi médiocres ?
  • Un prof pour 16 élèves mais des classes de 35 ?
  • Un déblocage autorisé de la participation des salariés mais un contrôle des sommes utilisées par l’Administration qui n’a sans doute que ça à faire ?

Par laxisme, gabegie, volonté politique de ne pas fâcher le cœur de cible socialiste : les fonctionnaires ? Cette lâcheté est la faiblesse de la gauche – bien loin du dire-vrai de Mendès-France, Rocard ou Delors.

L’indice mondial 2013 de l’innovation, publié par l’université américaine Cornell, l’INSEAD français et l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) classe 142 pays avec 84 indicateurs. Les cinq premiers du classement sont la Suisse (inchangé depuis trois ans), la Suède (inchangé), le Royaume Uni (qui progresse de 2 places par rapport à 2012), les Pays Bas (progressent de 2 places), les États-Unis (progressent de 5 places). Même Singapour est 8ème et la Finlande 6ème. La France n’est qu’au 20ème rang, loin derrière l’Allemagne 15ème… C’est la culture française même qui est hostile à tout changement.

Et la gauche – socialement réactionnaire depuis 40 ans que le monde s’ouvre – est encore plus immobiliste que la droite ! Il ne s’agit que de « sauver » les industries, d’affirmer « l’exception » culturelle, de refuser toute « concurrence » (pour conforter donc les monopoles), de se crisper sur « les acquis ». Comment innover, créer, aller de l’avant, avec cette mentalité avare tournée vers le trésor d’hier et pas sur l’affirmation tranquille dans le présent ?

La France s’appauvrit aussi par carence d’État : le monstre ingérable coûte cher et ponctionne, les gouvernements de gauche restant incapables de toute réforme d’ampleur pour l’adapter à la réalité d’aujourd’hui. Un seul exemple : le pays prend un profil de marché automobile de pays pauvre. Au premier semestre 2013, les Renault Twingo et Clio, Dacia Sandero ou autres Peugeot 208 représentent 52% des immatriculations de véhicules neufs selon le Comité des constructeurs français d’automobiles (contre 49% il y a un an et contre la moyenne européenne de 41%).

La gauche au pouvoir, portée par ses illusions bercées trop longtemps dans l’opposition, préfère la posture idéologique aux réalisations politiques. La posture donne bonne conscience et offre gratuitement aux électeurs ce qu’ils veulent entendre, tandis que toute réalisation politique ne peut que mécontenter ceux qui sont réformés, recadrés ou supprimés. Ou est donc « le courage » tant vanté par la gauche quand elle n’est pas aux affaires ? Il n’y a aucun courage à fermer les yeux et à quasiment ne rien faire.

Le point de vue d’un chercheur suisse

La gauche socialiste a peur du pouvoir

Ségolène Royal, Cette belle idée du courage – Essai, 2013, Grasset, 312 pages, €18.05

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Épargner en rendements faibles

La génération des 30-40 ans aujourd’hui n’a vécu qu’avec des rendements élevés de placement. Cette période est terminée pour longtemps. La grande inflation des chocs pétroliers successifs de 1973 (guerre du Kippour) et 1979 (révolution islamique en Iran) a culminé en 1982. Depuis, les banques centrales, les gouvernements et les instances de coordination internationales ont tout fait pour ramener l’inflation dans son trend « acceptable » de 2 à 3% l’an, rendant de 1982 à 2002 le placement obligataire incomparable. C’est terminé, l’inflation est quasi nulle et les obligations ont des rendement faibles, donc les actions aussi.

Pourquoi de faibles rendements ?

En contraignant les budgets d’État et les coûts des entreprises, en émettant de la liquidité au prix de bulles d’actifs, en favorisant par la déréglementation l’inventivité financière, le système a généré la crise de 2007 dans laquelle nous sommes toujours. Celle-ci n’est que l’apogée de la maladie : ce n’est pas la crise qui a créé la situation actuelle, mais le système qui est entré en crise aiguë en raison de son organisation.

On ne peut durablement exploiter la planète sans merci, ni susciter des désirs sans limites, ni rechercher en même temps le moindre coût salarial et ne payer que l’impôt minimum. Arrive un moment où le « trop » inverse la correction légitime en torture. Rechercher la meilleure productivité en entreprise, dégraisser le mammouth de la bureaucratie d’État, inciter au travail et à l’initiative plutôt qu’à l’assistanat sont de bonnes choses. Mais comprimer les salaires et les emplois, assécher les investissements publics, laisser sur le carreau des millions de consommateurs citoyens sans moyens d’acheter ni de contribuer raisonnablement à la vie en société est contreproductif.

Aujourd’hui va durer

D’où notre situation actuelle sans inflation mais sans croissance, à faible emplois et fortes délocalisations, où les États sont désormais impuissants par contrainte budgétaire. Situation qui va durer car la démographie des pays développés (et de la Chine) est vieillissante, ce qui signifie moins de gens au travail, moins de prise de risque industriel, une épargne orientée vers la rente, la demande plus forte de prestations sociales et le souci des placements retraite.

Comment ne pas comprendre qu’en faible inflation, due à une faible croissance qu’un vieillissement général conforte, les taux offerts par l’épargne courte, par les obligations longues et par les actions soient bas, générant des rendements de placement minimum, ce qui incite les épargnants à s’éloigner des marchés financiers ?

Que peut-on espérer ?

Le rendement des actions est traditionnellement plus élevé que le rendement des obligations car les actions sont plus risquées, exigeant donc une prime. C’était le cas jusqu’aux années 2000. Mais le triple krach des technologiques (2000), des malversations comptables (2002) et des subprimes (2007), a fait chuter la bourse et engendré une méfiance grave et durable.

Les États sont intervenus pour sauver les banques, aider les grandes entreprises et assurer un filet de sécurité aux travailleurs licenciés, dans le même temps que les rentrées fiscales s’effondraient. D’où leur endettement, qui les contraint à limiter leurs investissements. Mais il y a dette sûre d’être remboursée et dette fragile, d’où la sélection des États solvables : États-Unis, Allemagne, France… Ceux-là voient leurs emprunts très demandés, donc leurs taux de rendement très bas. Ils sont même « négatifs » en référence à l’inflation sur la durée du placement. Les investisseurs préfèrent placer en titres d’État, même s’ils perdent un peu, que de ne pas placer du tout ou d’investir dans des produits plus risqués. Nous avons donc des taux à court terme négatifs en réel (taux servi – inflation) et des taux à long terme proches de zéro en réel (taux servi ne couvrant pas la somme inflation + risques sur la durée + impôts sur les intérêts). Donc rien à attendre des obligations d’État.

Taux du tableaux : 2e trimestre 2013, à prendre comme comparatif, pas comme absolu.

indicateurs 15 fevrier 2013

Ce n’est guère mieux du côté des obligations d’entreprise. Ces dernières mettent à la cape devant la chute de la consommation et préfèrent n’investir que là où la demande existe : hors des pays développés où les surcapacités et les coûts sont élevés. On le voit en France avec l’automobile, le pneu, le textile, la fabrication de téléphones… Les taux de refinancement très bas sur les marchés les incitent à chercher des crédits non pas dans les banques (elles-mêmes contraintes par leurs bilans entaché des produits toxiques et par les nouvelles normes en capital de Bâle III), mais auprès du public. Sauf que les actions séduisent peu. Les obligations d’entreprise (corporate) sont plus demandées, offrant un rendement supérieur aux emprunts d’État mais avec moindre risque sur le capital. Cependant, l’offre et la demande jouent : ces obligations d’entreprise sont rares, les bonnes encore moins, et la concurrence des emprunts d’État est très faible en termes de rendement. D’où les taux peu attrayants à long terme des obligations d’entreprise… sauf à prendre du risque : les obligations à haut rendement offrent du 6% aux États-Unis, mais risquent de n’être pas remboursées à terme.

Autant aller sur les actions

Encore que la consommation demeurant faible (et n’étant pas amenée à reprendre « comme avant »), la croissance du bénéfice n’est pas forte (sauf chez les émergents), et rares sont désormais les entreprises à pouvoir offrir un couple rendement/risque attrayant sur des années. Le rendement long terme passé (dividendes + gains en capital – frais et taxes) était autour de 6% l’an. Désormais, le rendement réel des actions ne devrait être qu’environ 3% l’an selon les prévisions du Crédit Suisse (Global Investment Returns Yearbook 2013). Certes, on trouve des actions dont le rendement dividende/cours rapporte de 7 à 10% sur le marché (Total Gabon, GDF Suez, France Télécom, Noepost, EDF, Bouygues, Veolia) – mais ce dividende est décidé chaque année et peut ne pas durer ; il fait aussi état d’une baisse du cours de l’action qui n’est pas bon signe, les investisseurs ont des doutes sur la croissance de l’entreprise…

Rendements actions obligations 1950-80 et futurs

L’immobilier ferait-il mieux ?

Les investisseurs se sont rués sur lui dès 2008 en sortant des marchés financiers et surtout des banques sinistrées. Mais il connaît des cycles liés à l’inflation, à la démographie, à l’offre et à la demande… et à la fiscalité. Principal rempart contre la hausse des prix, il n’a guère d’intérêt quand elle n’existe pas. La démographie ne lui est guère favorable puisque ce sont les jeunes couples qui font l’essentiel de la demande de neuf ; les retraités n’ont plus les moyens de s’endetter et ils sont souvent déjà pourvus ; les étrangers désertent les incessants changements de la fiscalité française. L’offre et la demande jouent désormais un grand rôle, faisant monter le centre-ville bien placé et baisser le rural isolé de tout, permettant la liquidité du pas trop grand pas trop cher et isolant en transactions confidentielles les surfaces importantes. La fiscalité, touchant ce qui ne peut ni partir ni se dissimuler, est cruciale pour décider les transactions. Les modifications récentes en France ne vont pas dans le sens d’un rendement correct de l’immobilier placement.

En bref

  • Moins que l’inflation sur les placements à terme ou les SICAV monétaires à moins d’un an – préférer le Livret A.
  • Autour de zéro en réel sur les emprunts d’État à moyen et long terme – évitez.
  • Un tout petit peu plus sur les obligations d’entreprises solides à long terme (mais des frais de gestion à prévoir car ces titres sont difficilement accessibles aux non professionnels) – à n’acheter qu’en FCP ou SICAV.
  • L’immobilier peut rapporter en France autour de 2 à 4% selon la fiscalité d’aujourd’hui (et le travail qu’on est prêt à y mettre) – préférer le centre ville bien placé.
  • Quant aux actions, elles restent probablement le meilleur placement à long terme, autour de 3% réels l’an en moyenne – sachant qu’il peut se passer des années de crise ou de marasme où leur rendement n’est pas très grand – mais n’acheter que pour 5 à 10 ans au moins.
  • L’or n’a d’intérêt que si le système financier mondial explose – ce que personne n’a intérêt à voir survenir. Mais il coûte à conserver en sécurité et ne rapporte aucun dividende
  • Il reste évidemment les produits dérivés, mais le risque et la fiscalité sont dissuasifs aux épargnants !
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Hollande aura-t-il raison sur le chômage ?

Inverser la courbe du chômage « d’ici la fin de l’année » (voire, dans ses derniers propos, en février ou mars 2014) est-ce réaliste ? Ah, mais « c’est la différence entre la prévision et la volonté », a ajouté le président. C’est confondre volonté et discours. Avoir la volonté de faire le maximum contre le chômage est une bonne chose ; affirmer que c’est fait, que la réussite est prévisible à horizon de 6 à 8 mois en est une autre. Ce n’est pas en disant les choses qu’on les règle. Cette communication « performative » a été suffisamment reprochée à Nicolas Sarkozy par la gauche ! A moins d’embaucher de quasi-fonctionnaires sans le dire, des « emplois aidés » invendables sur le marché du travail et qui revendiqueront dans quelques années « le droit » d’être régularisés dans la fonction publique ? Le problème Hollande est qu’il attend la croissance – et que ladite croissance ne reviendra pas au rythme nécessaire à la dépense publique traditionnelle…

La mondialisation et l’Internet sont passés par là :

Les frontières ne sont plus fermées, ni les citoyens dans l’entre-soi : nous avons signé plusieurs traités successifs d’Union européenne, nous sommes intégrés dans l’Organisation mondiale du commerce, partenaires du G8 et du FMI. Oui, la mondialisation n’est pas que pour les autres, les échanges de marchandises ne sont pas les seuls, mais aussi les échanges culturels, étudiants, touristiques. Nous savons désormais grâce à Internet et aux réseaux sociaux instantanés que certains voisins vivent mieux que nous avec un chômage plus bas, un État moins gros, une ponction moindre sur les salaires, des impôts moins lourds et des services publics souvent meilleurs (l’éducation, la justice, l’emploi). Il nous faut reconnaître que sur le chômage comme sur d’autres points, l’État-nation n’est plus capable, l’État-providence n’a plus les moyens, et que dire « je veux donc c’est fait » devient ridicule.

cout du travail compare europe 2013

L’impératif est de créer de la valeur non en fermant ses frontières ou en maintenant des activités à faible valeur ajoutée mais en occupant une place stratégique pour obtenir la plus forte valeur ajoutée. Ce qui exige une adaptation permanente et une culture du compromis qui manque en France – à l’inverse de la social-démocratie allemande, scandinave, suisse ou anglaise.

cout du travail compare europe 2013 tableau

La démagogie du tout-politique :

La France souffre de l’héritage politique de la Révolution qui garde une méfiance profonde envers tout intermédiaire entre l’État et le peuple. Or le compromis entre le travail et capital est aujourd’hui plus difficile en raison de l’avènement d’une économie ouverte et d’une mobilité du capital qui donne un pouvoir de négociation face aux salariés plus fort, surtout lorsqu’ils sont peu qualifiés.

preference francaise pour le chomage denis olivennes le debat novembre 1994

Denis Olivennes en 1994 (il y a presque 20 ans !) dénonçait déjà La préférence française pour le chômage dans une note de la Fondation Saint-Simon reprise en article dans la revue Le Débat n°82. « Avant d’être un problème, le chômage est une solution. Comme l’inflation hier, il a permis, au cours des dernières décennies, de contourner les questions aussi importantes que celle du partage optimal entre revenu et emploi qui, prise frontalement, menaçait de révolter le corps central de la société : les actifs occupés ». Les gouvernements de droite comme de gauche ont donc choisi la facilité électoraliste : salaires élevés via le SMIC, pour des cotisations sociales élevées qui permettent de redistribuer et d’assister les chômeurs. Ce consensus politico-syndical devient aujourd’hui plus fragile car la crise ne permet plus d’augmenter beaucoup les salaires, tandis que les prestations mal contrôlées se dispersent et que le Budget de l’État est en grave déficit.

Comme le notait déjà Olivennes : « En réalité, la croissance de nos salaires réels est moins imputable à la rémunération directe des salariés qu’à l’augmentation continue des charges sociales incorporées dans le coût du travail ». De fait, quand le patron paye 1000 en Suisse et en France, le salarié suisse touche 65% nets sur sa fiche de paie tandis que le salarié français ne touche que 48% nets. Sans compter les impôts et la TVA… En 1981, les prestations sociales représentaient en France 25%, mais 31,3% en 2009. Elles ont augmenté plus vite que le PIB, surtout les années de hausse du chômage : c’est donc bien une reprise de la croissance qui allègera les charges. Encore faut-il s’en donner les moyens.

emploi et valeur ajoutee 1980 2011

Compétitivité :

Le rapport présenté à la Conférence nationale de l’industrie en février 2012 (dit rapport Gallois) sur Les déterminants de la compétitivité de l’industrie française estime que « si les salaires horaires dans l’industrie sont actuellement équivalents en France et en Allemagne, ils ont progressé beaucoup moins vite outre-Rhin ces dernières années. Le niveau de charges sociales par rapport au salaire est en France supérieur de plus de quinze points à celui constaté en Allemagne ». « En outre, la part patronale des cotisations est plus forte en France : 2/3 des cotisations, contre 1/2 en Allemagne ». Il préconise de « décharger d’abord le travail dans l’entreprise du poids du financement d’une partie des prestations sociales, notamment celles de solidarité. » Pour Christian de Boissieu, professeur d’économie  à Paris I et membre du collège de l’Autorité des marchés financiers, « la perte de la compétitivité-prix de la France par rapport à celle de l’Allemagne au cours des années 2000 s’explique à la fois par l’évolution des coûts salariaux par celle des gains de productivité ».

Productivité du travail :

La France est bien classée en termes de productivité du travail (parce que les jeunes et les seniors sont exclus majoritairement de l’emploi), mais pas en gains de productivité (la robotisation est faible dans l’industrie, l’informatisation a été tardive dans les services et le travail reste trop hiérarchisé). Dans les pays où l’on travaille plus, le marché du travail accueille des personnes dont la productivité est plus faible. Les États-Unis ont une productivité comparable à celle de la France mais, en situation économique normale, même les personnes dont la productivité est faible occupent un emploi – pas en France !

En Italie, Espagne, Royaume-Uni ou l’Allemagne, quand le chômage augmente la croissance des salaires ralentit rapidement – alors qu’on observe le contraire en France. Le salaire ne réagit ni à la compétitivité, ni à la profitabilité, ni au chômage. Deux raisons : 1/ l’évolution du SMIC ne suit pas la conjoncture mais les prix ; 2/ Les syndicats ne représentent que les seuls salariés qui ont un travail dans l’entreprise – et non les chômeurs ; ils sont de plus majoritairement composés salariés de la fonction publique, non concernée par le chômage. Pour les Allemands, l’emploi et le pouvoir d’achat dépendent de la santé, de la pérennité de l’entreprise et de sa compétitivité – pas en France où la surenchère idéologique attise un climat de guerre civile entre « patrons » et « prolétaires ». Les syndicats de travailleurs allemands, majoritairement du privé, sont bien meilleurs critique de la réalité et donc mieux aptes à négocier.

interactions competitivite productivite marche du travail

Effet des 35 heures :

Le SMIC français a notamment progressé sous l’effet des 35 heures. Il s’est agi d’un choc de compétitivité négatif : les salariés travaillent moins, avec un mécanisme de compensation financé par le budget de l’État mais supporté à la fin par les entreprises. La France est donc l’un des pays de l’OCDE où le prix du travail dès le salaire minimum est le plus élevé (environ 80 % de plus que la moyenne). Dans un Rapport d’information de l’assemblée nationale le 27 mars 2013 rédigé par la mission d’information sur les coûts de production en France et présenté par Daniel Goldberg, Pierre Cahuc et Stéphane Carcillo soulignent que « la France a fait le choix d’un salaire minimum élevé progressant plus vite que les gains de productivité. Ce choix est en partie le résultat d’une protection sociale qui fait assumer à la politique salariale une partie du rôle normalement dévolu à la politique de redistribution. » Cette politique a désormais un coût d’environ un point de PIB chaque année.

Les récurrentes questions d’évitement :

La politique européenne de réduction des déficits publics dite « d’austérité » n’est pas le déterminant principal du chômage : même dans les années fastes, la France a toujours gardé un niveau de chômage plus élevé que ses voisins. En 1995 déjà, Denis Olivennes dans un autre article du Débat (n°85) renvoyait à leur ineptie théorique les critiques qui incriminaient la faute des autres : à l’époque les taux d’intérêt trop élevés qui restreignent le crédit, l’arrimage du franc au deutsche mark donc la force de la monnaie. « Aurait-on si vite oublié les piètres résultats de l’autre politique en économie ouverte et changes flexibles ? En 1980, le taux de chômage en France était de 6.3%. Quatre ans et quelques dévaluations plus tard, il était de 9.7%. » Mais la démagogie répète inlassablement les mêmes arguments, reprenant inlassablement les mêmes boucs émissaires, refusant inlassablement d’examiner ce qu’elle considère comme tabou. D’où leurs yakas : taxer les actionnaires, forcer les entreprises à financer la retraite à 60 ans.

Or en France la distribution des dividendes partait de très bas, puisqu’elle représentait deux points de valeur ajoutée lors du premier choc pétrolier ; malgré la progression de la rémunération des actionnaires, elle reste cependant près de 10 points inférieure à ce qu’elle est en Allemagne. Le rapport entre les montants distribués et les fonds propres des entreprises n’a pas beaucoup évolué. Ce n’est donc PAS la politique envers les actionnaires qui pénalise l’investissement – mais l’absence de débouchés en France et en Europe qui empêchent d’y investir.

Les Français vivant longtemps mais partant plus tôt à la retraite, la France est l’un des pays qui finance le PLUS grand nombre d’années à partir de l’âge de la retraite, ce qui fait peser un poids très important sur la collectivité. D’où la nécessité d’avoir plus de personnes en emploi.

La fausse bonne idée, les emplois aidés d’État :

Barbare Sianesi, cité par Pierre Cahuc & André Zylberberg, Le chômage fatalité ou nécessité ? a étudié le modèle suédois et, parmi les mesures tentées, les créations d’emplois non permanents dans le secteur public. Elle « trouve que, comparée à la moyenne des parcours des simples chômeurs n’ayant participé à aucun programme, les chances de retour vers un emploi « régulier » (un emploi non aidé) sont sensiblement plus faibles, tout au long des 5 années de suivi, pour les personnes ayant bénéficié d’un emploi temporaire dans le secteur public » p.181. Ces emplois n’augmentent pas les capacités de ceux qui les suivent et envoient un mauvais signal aux employeurs.

Mieux vaut subventionner directement l’emploi privé, ce que l’étude montre être la mesure la plus efficace dans la pratique. « La législation actuelle (française) protège les emplois des salariés dotés d’une certaine ancienneté, mais pousse les entreprises à utiliser abondamment les contrats à durée limitée. Elle accentue ainsi la segmentation du marché du travail entre, d’une part des salariés protégés ayant accès à des emplois stables et, d’autre part, des salariés contraints d’accepter des contrats à durée limitée et des chômeurs ayant, en moyenne, peu de chances de retrouver du travail rapidement » p.139.

C’est malheureusement ce qu’envisage Hollande avec les quelques 540 000 emplois « aidés », emplois jeunes, contrats de génération et sortie des statistiques de 30 000 chômeurs envoyés en formation. Toujours les vieilles ornières du clientélisme d’État à fins électoralistes, plutôt que de redonner de l’initiative aux partenaires salariés et créateurs d’entreprise en allégeant la ponction fiscale et sociale…

Les mesures testées ailleurs :

Exonérer de charges les bas salaires – donc transférer le financement de ces charges sur d’autres prélèvements fiscaux (TVA, CSG…). C’est tout juste entrepris, mais sans certitude que le surplus n’entre pas dans le Budget général.

Revoir la logique aveugle de redistribution égalitaire – mais inéquitable – de l’État-providence. C’est ce que tente Hollande en touchant aux allocations familiales et à la formation professionnelle.

Organiser une véritable cogestion de la négociation salariale à partir des gains de productivité attendus. C’est que qui s’est fait chez Renault et qui se tente chez Peugeot ou Michelin – malgré les syndicats les plus rigides. Quant à la SNCM, déjà pas rentable quand le problème s’est posé, la situation ne s’est pas améliorée et les syndicats ne veulent rien savoir.

Réviser la durée du travail dans une vie qui s’allonge, donc cotiser plus longtemps avant de toucher des prestations, plutôt que de rogner sur les retraites versées. La conférence sociale le dira.

Côté puissance publique, son rôle n’est plus de prescrire mais d’intégrer. L’emploi est partie d’une politique globale : industrielle, fiscale, éducative, internationale. Il faut donc :

  • favoriser l’investissement (et cesser d’insulter les étrangers qui veulent acheter des entreprises françaises ou les actionnaires qui mettent leur épargne),
  • négocier les délocalisations (et cesser d’insulter Peugeot qui a conservé pour son malheur plus d’emplois en France que Renault),
  • organiser des filières d’innovation (et ne pas refuser a priori la vente de Dailymotion par une France télécom qui n’en a jusqu’ici rien à faire),
  • aider les PME qui font plus de la moitié de l’emploi industriel (sans les décourager par des taxes tout de suite et un crédit d’impôt plus tard, illisible et trop complexe),
  • aider l’innovation et les créateurs d’entreprise (au lieu de taxer la revente au taux confiscatoire),
  • favoriser l’auto-entreprise puisque Pôle emploi ne peut rien (et ne pas s’empresser de restreindre et taxer ce qui commençait tout juste à marcher).

Il y a, chez François Hollande, ce mixte de socialisme du possible (mais sans les syndicats adéquats ni les partis alliés favorables) et de pensée magique (comparable au storytelling Sarkozy) qui mécontente à la fois la droite et la gauche, tout en prenant trop de temps sur le temps. De quoi avancer, mais trop peu et trop tard, sans projet clair, tout en louvoiements tactiques politiciens.

2013 previsions chomage insee

Aura-t-il raison sur le chômage ? C’est peu probable. S’il a raison, il n’aura rien réglé sur le fond, seulement reculé l’échéance par de la dépense publique en croissance durablement faible ; s’il a tort, il se déconsidérera un peu plus. De quoi jouer perdant-perdant.

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Paul Kennedy, Naissance et déclin des grandes puissances

paul kennedy naissance et declin des grandes puissances

Voici en poche une remarquable histoire du temps long de la modernité, qui commence vers la Renaissance pour se terminer avec le XXe siècle. Paul Kennedy offre le meilleur des historiens anglo-saxons : la clarté, la synthèse, les faits. Peu d’analyse de la pensée dans ce livre d’histoire – ce qui vexe les intellos ; peu d’analyse des innovations scientifiques et techniques – ce qui vexe les économistes férus de cycles longs ; peu de portraits de grands hommes et de psychologie des rois et capitaines – ce qui vexe les historiens classiques. Mais justement ! Cet autre regard est d’une fraîcheur qui renouvelle l’histoire. Il s’attache aux mouvements de fond qui emportent les individus comme les volontés.

Les thèses défendues dans ce livre, immédiatement célèbre dès sa parution (sauf en France) sont :

1/ « Il existe une dynamique du changement, alimentée principalement par l’évolution de l’économie et des techniques, qui influe sur les structures sociales, les systèmes politiques, la puissance militaire et la position des États et des empires » p.686.
2/ Les évolutions inégales de la croissance, des innovations et de leur réception font le progrès ou la régression des uns et des autres en termes de « puissance militaire et de position stratégique relative des principaux États » p.687.
3/ « La prospérité économique ne débouche pas toujours ni immédiatement sur l’efficacité militaire, car celle-ci dépend de beaucoup d’autres facteurs, qu’il s’agisse de la géographie, de l’état moral de la nation ou de la qualité des officiers supérieurs et de la compétence tactique » p.687. Pas de causalité mécanique, comme les marxistes croyaient mais l’humain relativement autonomes des grandes forces qui le dépassent. L’auteur montre « trois grandes catégories de causes distinctes mais solidaires : d’abord les transformations de l’infrastructure productive industrielle et militaire (…) ; ensuite les facteurs géopolitiques, stratégiques et socioculturels (…) ; enfin les transformations diplomatiques et politiques » p.326.

C’est ainsi que l’Allemagne n’est pas devenue nazie parce que les gros industriels capitalistes trouvaient en Hitler un moindre mal pour leurs profits égoïstes, mais surtout parce que « pour l’essentiel, le programme de politique étrangère des nazis s’inscrit dans la continuité des ambitions qui habitaient auparavant les nationalistes et l’armée supprimée par le traité de Versailles » p.485. C’est donc tout un pays qui a poussé l’exacerbation nationaliste d’un Hitler au pouvoir, surtout après l’échec de la République de Weimar, démagogique et impuissante. En face, l’abandon français : « Très affectée par les pertes de la Grande guerre ; déprimée par une série d’échecs et de déceptions économiques, divisée par les problèmes de classes et idéologiques qui s’aggravent encore à mesure que les hommes politiques essaient vainement de faire face aux dévaluations, à la déflation, aux quarante heures, à l’augmentation des impôts et du réarmement, la société française souffre d’un fléchissement sévère du tonus et de la cohésion nationale au cours des années 30 » p.498. De bons avions, mais pas assez (et c’est le Front populaire qui augmente la production), de bons chars, mais dispersés, un plan stratégique vieilli, des chefs militaires sans audace ni initiative… c’est tout cela qui fait la différence en mai 1940.

« Une supériorité indiscutable du matériel militaire et, plus généralement, de la productivité économique n’implique pas automatiquement l’efficacité militaire » p.636, les États-Unis le vivront lors de la guerre du Vietnam. Inversement, des capacités de production moindres (comme celles des nazis en 1943 face à l’URSS) n’empêchent pas des prouesses tactiques. Ou un manque de matières premières, sur l’exemple du Japon après 1945.

Le ‘miracle japonais’ est l’occasion pour l’historien de pointer ce qui a marché – une vraie leçon d’histoire économique et stratégique pour l’équipe Hollande ! Volonté, éducation, pilotage colbertiste, encouragement à la technique et à l’entreprise, morale du travailler plus, fiscalité favorable à l’épargne. En gros, tout ce qui manque cruellement sous Chirac et Hollande et qui n’est absolument pas « la faute des autres ».

« Une des raisons majeures en est la volonté farouche d’obtenir une qualité supérieure en empruntant aux Occidentaux et en perfectionnant leurs techniques de gestion et leurs méthodes de production les plus modernes. Le Japon a récolté les fruits d’une politique nationale d’éducation vigoureuse et exigeante, et il a eu la chance de posséder un grand nombre d’ingénieurs, de fanatiques d’électronique et d’automobiles, et de petites entreprises dynamiques qui complètent les zaibatsu géants. La morale collective favorise le travail dur et la loyauté envers l’entreprise, et l’on s’efforce d’atténuer les différences entre cadres et ouvriers par un mélange de compromis et de déférence. (…) Mais c’est sans doute plus encore grâce aux politiques fiscales d’encouragement à l’épargne individuelle qui ont permis d’accumuler des fonds disponibles pour l’investissement. Enfin, le Japon doit beaucoup au MITI (ministère du commerce international et de l’industrie), qui a contribué au développement de nouvelles industries et de nouvelles technologies tout en coordonnant le retrait en bon ordre d’industries vieillissantes en perte de vitesse, et qui a opéré dans un esprit radicalement différent du laisser-faire américain » p.654.

Seule la toute dernière partie, « Vers le XXIe siècle » a vieilli, ce qui est normal pour un chapitre de prospective lu une génération après. Mais l’auteur a bien détecté les principaux problèmes : l’envol de la Chine, le déclin de l’URSS (qui allait s’effondrer en 1991), le maintien de la puissance mondiale américaine mais au risque de la « surexpansion impériale » p.804, l’effritement européen dû aux désunions et aux surcoûts nationaux malgré l’union douanière. Et pourquoi avoir repris en 2012 la préface de Pierre Lellouche de 1989 devenue complètement hors de propos ?

Restent 648 pages sur 991 de synthèse magistrale, une vraie leçon de science politique sur le temps long.

Paul Kennedy, Naissance et déclin des grandes puissances – Transformations économiques et conflits militaires entre 1500 et 2000 (The Rise and Fall of the Great Powers), 1988 revue 2004, Petite bibliothèque Payot 2012, 991 pages, €10.93

Voir aussi sur ce blog Paul Kennedy, Le grand tournant – Pourquoi les Alliés ont gagné la guerre 1943-45

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Évasion fiscale et secret bancaire

Il est de bon ton aujourd’hui de confondre les deux dans l’opprobre, tant la moraline imbibe tout le médiatique. Mais il n’est pas exact d’amalgamer le tout en « paradis fiscal », comme le font si hardiment les Don Quichotte de la vertu.

1/ Une découverte ? – Certes non !

Le secret bancaire n’est pas nouveau, il fait partie de ces secrets professionnels dont le « secret de la confession » et le « secret médical » sont les plus emblématiques. Est-il immoral de ne pas appliquer « la transparence » à tout ce qui concerne la vie privée ou les affaires ? Les secrets de fabrication et de montages financiers doivent être protégés des concurrents pour être efficaces – tout comme la stratégie militaire.

alain sueur Gestion-de-fortune-Traité-de-private-banking

Les montages, trusts et fondations, étaient connus largement depuis des années… de ceux qui voulaient le savoir. Pardon de me citer, mais dans mon livre Gestion de fortune, publié en 2009, tout ce qui apparaît aujourd’hui comme des « révélations » aux médiatiques était expliqué en détail pages 147 à 181. Des informations étaient disponibles sans problème sur Internet. Encore fallait-il chercher, et vouloir le savoir.

Quand aux zones franches ou « paradis fiscaux » pour les entreprises, tous les États ont les leurs : le Delaware, le Wyoming et la Floride pour les États-Unis ; les Caïmans, Jersey, Gibraltar, les îles Vierges pour l’Angleterre ; l’Irlande le Luxembourg et l’Autriche pour l’Europe ; Hongkong, la Suisse, Singapour, Dubaï et l’Estonie pour tous… Et même Andorre pour la France, où l’alcool et le tabac sont moins taxés, et Monaco où les clubs de foot payent beaucoup moins d’impôts qu’en métropole !

2/ Pourquoi l’évasion fiscale ?

L’optimisation fiscale n’est pas un gros mot, mais la saine gestion de son patrimoine, ou de son bilan d’entreprise. Payer l’impôt, oui, le payer injustement, non. Il y a plusieurs raisons à l’évasion fiscale :

Le gaspillage : La réticence de nombre de contribuables français à payer plus d’impôts n’est pas celle des libertariens Américains pour qui l’État est un parasite ; les Français aiment l’État, mais ils aimeraient surtout qu’il soit moins gaspilleur et mieux organisé. Pourquoi cette productivité qu’on exige depuis trois décennies de chaque salarié du privé n’est-elle pas exigée aussi des fonctionnaires d’administrations publiques ? La perspective de payer pendant deux générations la gabegie des 40 dernières années en fait s’expatrier plus d’un.

L’hypocrisie : L’idée fait son chemin et les « leçons de morale » assénées sans cesse par les politiciens finissent par agacer. Ce n’est pas par hasard si un certain ministre des Finances est tombé récemment pour son compte dissimulé en Suisse : un banquier français résidant à Genève a clairement dit sur la radio nationale qu’il aidait les enquêteurs français parce qu’il ne supportait plus l’hypocrisie des politiques, le deux poids deux mesures de la parole et des actes.

L’injustice : Malgré le consentement à l’impôt pour les nécessités d’administration et de redistribution sociale, les salariés qui ont acquis à force d’épargne un bien, ou les créateurs d’entreprise qui ont fondé une société dont les produits sont utiles et qui créent des emplois, comprennent mal qu’on les taxe plus que dans les pays voisins – pour des services publics plutôt médiocres en comparaison.

Cotisations sociales sur le salaire brut, impôt sur le revenu sur le net, CSG sur le tout, TVA sur toute dépense, taxe sur l’alcool, le tabac, les sodas, les assurances, taxe d’habitation et taxe foncière, taxes sur l’épargne, impôt sur la fortune, sur les plus-values, sur la succession… la France est le pays qui taxe le plus le capital et l’un des rares qui conserve un ISF en Europe, tout en empilant les niches fiscales peu compréhensibles – et en commençant à remettre en cause les retraites. Mieux vaudrait un impôt faible largement réparti qu’un tel empilement.

Comment comprendre qu’un investisseur prenne 100% du risque sur la création d’une entreprise ou l’achat d’une action – et que le fisc lui ponctionne jusqu’à 75% du gain final ? Comment comprendre que des ménages arrivent à payer en impôts plus de 100% de leurs revenus annuels ?

L’instabilité fiscale chronique : Par idéologie, ou parce qu’il faut très vite de l’argent dans le puits sans fond des dépenses publiques, l’impôt est modifié : pas moins de 23 fois en 30 ans pour la réduction accordée aux dons à des œuvres d’intérêt public par exemple ! L’investissement d’entreprise comme la gestion d’un patrimoine privé ont besoin de la durée pour un calcul correct du risque. L’hyperactivité fiscale doit s’apaiser pour que le financement de projets puisse redevenir « normal » en drainant « normalement » l’épargne – selon le mantra d’un récent candidat à la Présidentielle.

3/ L’évasion fiscale fait diversion sur le secret bancaire

L’éthique de secret professionnel des banquiers n’est qu’un outil, et nul ne peut accuser le marteau si l’on se tape sur les doigts. Il est donc – comme la langue d’Ésope – la meilleure et la pire des choses. Les politiciens agitent l’immoralité des fraudeurs particuliers, suivis aveuglément par les médias, tandis que le danger systémique – pourtant le pire – est soigneusement passé sous silence.

Le secret bancaire a son utilité, tous les pays y trouvent intérêt.

Les États en premier, qui peuvent financer ainsi leurs opérations discrètes sur « fonds secrets ». Et pousser leurs champions industriels nationaux, voire signer de gros contrats en « intéressant » les dirigeants – ce qui s’appelle la corruption.

Les partis politiques, qui trouvent à l’extérieur ce que les limitations de la loi interdisent dans le pays pour financer les campagnes électorales et l’agitation idéologique.

Les entreprises internationales, qui peuvent légalement optimiser leur compte d’exploitation selon les principes d’efficacité de la gestion ; mais qui peuvent également créer des coentreprises ou racheter des cibles avec la discrétion nécessaire pour ne pas faire monter les enchères.

Les mafias évidemment, qui blanchissent l’argent sale et financent la corruption.

Les particuliers enfin, qui profitent des circuits, mais n’en sont pas les principaux bénéficiaires. Ils apparaissent, après l’affaire Cahuzac, comme les boucs émissaires commodes de l’incurie des contrôles, de l’impéritie politique et des intérêts croisés – voire des liens incestueux entre politique et finance particulièrement forts en France où les dirigeants sortent en majorité de trois grandes écoles seulement.

Mais l’opacité des transactions dans les territoires souverains empêche tout contrôle des flux et des montants de capitaux engagés. Hedge funds, banquiers d’affaires, capital-risque, sociétés hors bilan, spéculateurs sur les matières premières créent une économie parallèle non régulée qui peut exploser à tout moment.

Qui détient la dette française, ou américaine ? Pour combien ? Qui détient les produits dérivés à effet de levier en cas de baisse ou de hausse des taux ? Qui vend quoi à qui ? Nul ne le sait dans cette « banque de l’ombre ».

Au total, personne n’a vraiment intérêt à voir disparaître le secret bancaire, malgré le danger que représente son opacité et même si les États sont aujourd’hui plus que jamais à la recherche de fonds pour rembourser leurs dettes.

  • Le secret bancaire est une liberté, contre l’État Big Brother, contre l’espionnage du concurrent, la jalousie du voisin, ou les visées de la belle-mère.
  • Le secret bancaire est aussi un risque, comme toute liberté : celui d’une énième bulle de la finance – très grave cette fois car les États n’ont plus les moyens d’y faire face.

L’évasion fiscale doit être combattue mais plus encore le risque systémique.

Pour éviter que le secret serve à l’évasion, il serait nécessaire que les États écoutent un peu mieux leurs contribuables, particuliers comme entreprises, qu’ils mettent fin à l’insécurité fiscale, qu’ils jouent la coordination internationale et qu’ils proposent une porte de sortie honorable, même si l’on ne veut pas user par fausse vertu du mot tabou « d’amnistie ».

Mais pour éviter la banque de l’ombre, seuls des accords internationaux d’interdiction sont possibles. Qui le veut vraiment ?

Au fond, la chasse aux particuliers fraudeurs est un affichage commode qui masque la volonté de ne rien faire de la plupart des politiques…

L’auteur de cette note a passé plusieurs dizaines d’années dans les banques. Il a écrit ‘Les outils de la stratégie boursière‘ (2007) et ‘Gestion de fortune‘ (2009). Il se consacre désormais aux chroniques, à la formation et à l’enseignement dans le supérieur.

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Quel coût du travail pour quelle croissance ?

J’entends à la radio, je lis dans les journaux, le mantra socialiste : « quand la croissance reviendra, les efforts actuels de rigueur porteront leurs fruits ». Or il y a illusion : « la » croissance ne reviendra pas. La rigueur devra être structurelle et pas seulement conjoncturelle. Il est vital de réformer l’État, de faire maigrir son millefeuille d’irresponsabilités empilées et coûteuses.

Pourquoi le gouvernement socialiste actuel ne prend-t-il pas la mesure réelle des choses ? Probablement parce que les gouvernements de droite depuis 2002 ont masqué la dégradation en ne revenant ni sur les 35 heures, ni sur la faible représentativité des syndicats (qui les rend extrémistes), ni sur les taxes (qui continuent à rentrer malgré les conséquences). La droite a préféré d’autres mesures comme le crédit d’impôt recherche, les fonds d’investissement et les droits de succession. C’était un encouragement à entreprendre et à investir dans les périodes de croissance, mais pas dans la mutation que nous connaissons. Droite et gauche sont dans l’erreur quand elles « croient » en la croissance. Celle-ci reviendra, mais faiblement.

Il suffit de consulter les bases de données de l’INSEE. Internet a cette vertu, depuis 15 ans, de ne plus permettre aux gouvernants de dire n’importe quoi. Si l’information est le pouvoir, Internet l’a largement démocratisé !

Regardons la Production intérieure brute de la France depuis 1950 (PIB). Sa croissance est en moyenne de 5% durant la décennie 1950-60, de 5.9% entre 1960 et 70, de 3.9% de 1970 à 80, de 2.3% de 1980 à 90, de 2.0% de 1990 à 2000, enfin de 1.4% de 2000 à 2010. Depuis le top du baby-boom des années 1960 (donc de l’optimisme travailleur et consommateur), la croissance baisse chaque décennie un peu plus – inexorablement.

C’est encore plus net si l’on prend le PIB par habitant (ce qui inclut les inactifs, les assistés et les chômeurs) : 11.4% de croissance dans la décennie 1950-60, 9.3% entre 1960 et 70, 12.8% entre 1970 et 80 (années de forte inflation et de réorganisation à cause du choc pétrolier), 8.7% de 1980 à 90 – mais 3.1% de 1990 à 2000 (retard de l’informatisation et de l’organisation qui va avec) et 2.6% de 2000 à 2010 (35h, coût du travail et montée de l’assistanat, paperasserie législative proliférante).

La France, avec ses syndicats bloqués qui ne défendent que les zacquis de ceux qui sont en CDI dans les grandes entreprises et l’administration, garde une nette « préférence pour le chômage » (mot heureux de Denis Olivennes). Si sa productivité par travailleur est très correcte par rapport aux autres pays, sa productivité rapportée à la population active en âge de travailler chute : en cause les 10 à 15% d’exclus, chômeurs à plein temps ou n’ayant travaillé ne serait-ce qu’1 h par mois.

La progression des exportations (toujours visible sur le site de l’INSEE) mesure l’attractivité de la France dans le monde (et surtout en Europe, qui absorbe plus de 70% des exportations). On passe d’une croissance moyenne de 7.3% dans la décennie 1950 et jusqu’à 9.9% dans la décennie 1960, 8.2% dans les années 1970 mais un retour à 4% dans les années 1980 (Mitterrand au pouvoir), puis 6.7% dans les années 1990 (Chirac puis Jospin au gouvernement), enfin 2.5% dans les années 2000 (35h et manque de réformes obligent). Avec un rebond récent grâce à Airbus, mais étroitement focalisé, au contraire de la palette de produits exportés allemands.

pib export cout du travail 1998 2011

Reparlons des charges et des salaires (ces derniers supportant eux aussi des charges sociales + un impôt sur le revenu + un impôt sur les successions ou sur la fortune). Un gros État coûte cher. Un gros État qui offre des services inégalés rend content le citoyen. C’est le cas pour la famille et la santé, un peu pour la défense et même la police. Mais ce n’est absolument pas le cas pour l’administration, l’éducation, la justice, le logement, l’intermittence du spectacle, l’entreprise… La masse de taxes prélevées par un État incapable de s’adapter pèse sur la croissance, sur la consommation, sur l’envie d’entreprendre et sur la production. Donc sur le mental du citoyen, qui ne rêve plus que de sortir les sortants, de payer le moins d’impôts (gaspillés) possibles et de grand balayage des « privilégiés » (patrons, politiciens, fonctionnaires…).  Aussi injuste que cela soit.

Depuis 1998 (15 ans), les salaires + les charges dans l’industrie (ce qui exclut les services, dont la finance) ont augmenté de 42.5% – mais surtout de 26.6% depuis 2005 (8 ans), alors que l’inflation n’a augmenté que de 15.5% sur 8 ans. Les salaires seuls (dans l’industrie) ont fait mieux que l’inflation depuis 2005 (+21.8%). Signe que l’on embauche des plus qualifiés et que l’on délocalise le peu qualifié… reléguant lesdits non qualifiés dans un chômage irrémédiable – sans que la formation professionnelle leur soit ouverte.

Les charges seules (dans l’industrie) ont monté : +1.7% de 1998 à 2005, mais +4.8% de 2005 à fin 2012 ! Un simple exemple : le taux de cotisations salariales obligatoires des non-cadres était en 1981 (à l’arrivée de François Mitterrand) de 11.9% du salaire sous plafond de la sécurité sociale ; il est de 13.7% en 2013. Une CSG de 7.5% + 0.5% de CRDS sur 97% du salaire brut a été ajoutée en 2005, les deux passées sur 98.25% du salaire brut en 2012. Sans parler des cotisations retraites et chômage qui ont augmenté aussi. Toujours plus !

Un empilement des taxes, sans jamais savoir où elles vont, ni comment elles sont gérées, ou si elles sont toujours justifiées. Les députés cumulent, poussés par des technocrates qui savent ajouter là où ça ne se voit pas, sous l’œil bienveillant des politiciens pour qui dépenser plus est toujours électoralement payant. Ce qui explique pourquoi le gros site Nissan de Sunderland en Angleterre, qui fonctionne à plein avec trois équipes, est bien plus productif que les trois sites français de Renault qui tournent avec une seule équipe. En 2001, Renault fabriquait en France 1,3 million de véhicules ; en 2012 seulement 532 000. Les usines Renault tournent à 60 % de leurs capacités, au-dessous du seuil de rentabilité – situation qui ne pourra durer.

Le graphique montre bien que la situation n’est pas tenable. La croissance ne reviendra guère qu’autour de 2 à 3%, pas plus. Elle dépend de la population, et surtout de la population active. Or la progression démographique baisse et les inactifs gonflent, tandis qu’on rogne retraites et prestations sociales. Pas de quoi produire plus ni consommer plus, ni faire plus d’enfants. Surtout si l’État obèse géré par des mous (harcelés de lobbys locaux sans contrepouvoirs démocratiques) ne se muscle pas.

Remplaçons le plus par le mieux, la planète appréciera… mais pas les rentrées d’impôts. La productivité peut encore monter un peu, si l’industrie se recentre sur la valeur ajoutée : mais cela signifie inventer sans cesse des produits nouveaux qui plaisent (donc faire passer un violent courant d’air sur l’Éducation nationale jusqu’aux universités), gérer encore mieux les ressources rares (donc faire du capitalisme, système d’efficacité économique incomparable), inciter les meilleurs à rester sans que le fisc vienne tout niveler (donc creuser les inégalités méritocratiques), mieux former chacun et que tous aient un travail. Les Français confits en privilèges et statuts sont-ils prêts à financer la recherche, donner l’autonomie réelle aux universités et aux lycées, éduquer à travailler en équipe et pas à obéir au prof du haut de sa chaire, sortir des seuls maths qui font des arrogants et des théoriciens, encourager les économies d’énergie, d’emballage, de réglementations, de paperasses – et cesser de matraquer fiscalement ceux qui réussissent par leurs mérites ?

Un bien vaste programme pour un gouvernement empêtré dans une idéologie d’un autre âge : la jeunesse des gouvernants, celle des Trente glorieuses qui ne reviendra pas. Le temps qu’ils prennent conscience (ça vient), qu’ils mettent en branle les réformes (trop timides), qu’ils convainquent les zélus, les saints délicats, les fonctionneurs et tous ceux qui n’aiment pas changer d’habitudes, ils auront perdu quelques élections au profit des clowns ou des méchants – et le pays aura perdu encore des années.

C’est le prix à payer pour la démocratie… si elle survit. Rien de tel qu’un effondrement pour voir ressurgir les dictateurs. Le grand méchant Machin est en embuscade, tout comme la fille du Borgne.

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Cherche politique économique – urgent !

A écouter la pensée unique des économistes, experts autoproclamés, sur les radios et dans les journaux, tout serait simple : Nicolas Sarkozy a fait une « mauvaise » politique, il suffirait de faire « le contraire » pour que tout aille pour le mieux dans le meilleur des mondes. Il a encouragé une politique de l’offre, favorable à la production et aux entreprises par des baisses ou transferts de taxes, et favorable à l’investissement par des niches fiscales dans l’innovation ? Faisons une politique de la demande, favorable à la consommation et aux ménages par des impôts sur les entreprises et les « riches » (dès 3000 € par mois), et rendons l’investissement aux mains centralisées de l’État qui sait tout, qui peut tout, qui lui seul distingue l’intérêt (électoral national) des intérêts particuliers (mondiaux).

Dans ce scénario rose, manque la réalité. L’intelligentsia socialiste se rend compte, dix mois après avoir conquis le pouvoir, qu’elle avait mal vu la crise, mal anticipé l’ampleur des déficits, et fait des promesses irréalisables. Non, la croissance ne se décrète pas. Non, l’emploi n’est pas assuré en faisant cracher « les patrons » au bassinet. Non, l’État ne peut pas tout, surtout dans le cadre d’une Europe qu’on a voulu, et qui ne se conduit pas comme la machine administrative hiérarchisée française.

Yaka donner du pouvoir d’achat, clament à la fois les syndicats (qui ne représentent qu’à peine 8% des salariés français et aux deux tiers syndicats de fonctionnaires) et les économistes-de-gauche, toujours prêts à la générosité avec l’argent des autres (confortablement installés en chaire). N’y aurait-il donc qu’un chômage keynésien, lié à la faiblesse de la demande et au sous-emploi des capacités de production ? Certes, à cause de la crise, mais très peu : le chômage existait avant, bien plus en France qu’ailleurs. Il s’agit donc d’un chômage structurel, dû au progrès technique insuffisant et mal traduit en entreprise, au capital disponible trop faible, à une fiscalité décourageante, au fonctionnement du marché du travail qui privilégie les inclus et rigidifie toute séparation, donc inhibe toute embauche bien plus qu’ailleurs (ce que la CGT illustre chaque jour).

La crise conduit dès 2008 à une baisse de la demande intérieure à cause de la méfiance envers le système financier et des politiques budgétaires restrictives dues à la dette, dans le même temps que le secteur privé se désendette aussi en raison de la restriction du crédit. La stratégie (Sarkozy comme Hollande) a consisté en France à augmenter les impôts en ne touchant que marginalement à l’organisation d’État, élections obligent. Cela après 30 ans de promesses démagogiques et de non-politique : surtout ne rien faire qui puisse fâcher quiconque ; il n’est pas de problème que l’absence de solution ne finisse par résoudre. Mais comme nous ne sommes pas seuls – ni en Europe, ni dans le monde – nous voici au pied du mur.

productivite par tete france 1996 2013

La concurrence des pays émergents accélère. La théorie abstraite selon laquelle la technologie serait chez nous et les petites mains chez eux est battue en brèche par la réalité qui veut que toute exportation exige des transferts de technologie, vite copiés par une production locale afin de supprimer le besoin d’importer : le TGV chinois, les avions Embraer brésiliens, les avions de chasse indiens, les smartphones coréens… Dans le même temps, avec la même crise financière mondiale et le même niveau relatif de l’euro par rapport aux autres monnaies, l’Allemagne s’en sort bien. N’accusons donc pas les autres de notre incurie : soyons un peu moins perso, un peu moins obstinés à croire que nous disons le Bien, un peu moins aveugles aux réalités du monde. Nous devons encourager plus de collectif en Europe, être moins idéologique, moins jacobin-marxiste, plus conscients des concurrences et des enjeux.

Dans toute l’Europe du sud – et en France un peu – il faut certes réduire la composante keynésienne du chômage en reconnaissant que la réduction simultanée et rapide des déficits publics entraîne en récession. L’idée de « dévaluation interne » ne fonctionne pas : les prix sont trop rigides (à cause de l’emploi non flexible et des taxes contraintes), le freinage des salaires conduit à un recul trop fort des salaires réels (car le poids relatif des taxes patronales et salariales augmente). La demande des ménages faiblit et la compétitivité ne s’améliore pas. Il faut réduire moins vite les déficits publics et conforter les salaires réels pour réduire a petite part (keynésienne) du chômage.

salaire reel par tete france et europe du sud 2002 2013

Mais cela ne saurait suffire. La croissance ne se décrète pas, elle se construit par une politique intelligente et à vue longue. La stimulation de la demande ne peut pas réduire le chômage structurel, dû à la façon dont notre économie est organisée : gains de productivité faibles, pression fiscale élevée, importantes destructions de capacité de production et recul de l’investissement. Il faut donc une politique nette de soutien à la productivité, à l’innovation, à l’éducation supérieure, une réforme fiscale qui baisse les taxes sur le travail (part salarié et part employeur), et une meilleure flexibilité du marché du travail qui permette une embauche plus souple avec des règles de protection générales des salariés.

Le déficit public de la France doit être réduit à 3% du PIB en 2017, mais la croissance restera faible. Il faut donc réduire la dépense publique. Patrick Artus, de Natixis, dans une note de mars 2013, a évalué cette réduction à « 50 Mds € constants de 2013, soit de 4,3% du montant total des dépenses publiques, soit 2,4 points de PIB. » Il lui semble que cette réduction devrait porter sur les aides au logement (élevées et qui font monter les prix de l’immobilier), la défense (dépenses plus fortes que les autres pays de la zone euro), la retraite (presque 3 points de PIB de plus que dans le reste de la zone euro, en augmentation rapide), enfin – sujet plus controversé – les allocations familiales (plus élevées d’un point de PIB en France que dans le reste de la zone euro).

Après les déboires grecs et les élections en Italie, poussés par la base, des gouvernements hostiles à l’austérité surgissent. L’Europe va-t-elle s’adapter et autoriser un délai dans la réduction des déficits publics, accroître les investissements européens, et pousser la demande en Allemagne ? Plutôt que la rigidité (politique et de façade), l’Europe est pragmatique : malgré les médias qui ont du mal à comprendre son fonctionnement et malgré les politiciens nationaux, toujours prêts à accuser « Bruxelles » de toute mesure impopulaire (qu’ils ont approuvée), le système a toujours trouvé les ressources nécessaires pour surmonter les crises. C’est lent, lourd, peu lisible, mais réel.

Surtout lorsque les exportations allemandes hors zone euro fléchissent (24% du PIB de l’Allemagne, en croissance de 7% par an jusqu’en 2012). L’Allemagne ne va pas être plus tirée par le reste du monde que les autres pays européens, la concurrence des émergents est forte. La politique économique européenne, avec l’assentiment allemand, devrait être moins focalisée sur la dette (sans méconnaître sa réduction) et plus sur la compétitivité mondiale (ce qui vient à pas lents).

La politique nationale française, sous François Hollande, devrait revenir à petites touches vers le réalisme d’une politique de l’offre : assurer la production en confortant les entreprises avant de penser à redistribuer, tout en remaniant la fiscalité pour une meilleure justice et affirmant l’investissement dans l’éducation, la recherche et l’innovation.

Il suffirait cependant qu’on le dise, que cela soit clair et pas obscurci par la fumée idéologique, les déclarations intempestives, les couacs ministériels et une agitation syndicale démagogique qui ne sert pas l’image de la France pour les investisseurs étrangers.

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Que vaut la promesse de François Hollande ?

Inverser le chômage d’ici la fin de l’année ? Comme si une crise qui dure depuis une génération était un moment de transition et pas un système. C’est une illusion de croire que tout pourrait redevenir comme avant. Le mouvement du monde et ses bouleversements sont une réalité, l’illusion est de croire qu’ils ne sont que passagers. L’émergence de pays immenses comme la Chine ou l’Inde, sans parler des pays importants que sont le Mexique, le Brésil, le Nigeria et d’autres, change sans conteste le monde d’avant – donc nos habitudes de produire, de régner, de consommer et de penser. Dans 10 ans, les BRICS auront dépassé la France. Selon une étude du Center for Economics and business Research, la France perdrait dès 2013 son rang de 5ème puissance économique mondiale avant de n’être plus que 9ème en 2022.

rose fanee

Il ne suffirait donc pas de « faire la révolution » pour renverser l’élite au pouvoir et la remplacer par une autre. Ni Le Pen, ni Mélenchon ne voient les choses en face ; ils ne font qu’agiter les rancœurs pour se faire mousser. Le socialisme Hollande ne fait guère mieux car les bouleversements chez nous ne sont pas créés par NOS sociétés mais viennent des AUTRES pays émergents du monde comme de la nouveauté radicale que représente une planète globale aux ressources finies… Notre mode de vie habituel n’est donc plus tenable. Pas la peine de rêver à la croissance comme avant pour résoudre le chômage. La croissance ne sera désormais plus que le produit de la démographie par la productivité, donc par l’excellence des savoir-faire et l’entretien d’une culture orientée vers le savoir. D’où l’intérêt (mais long terme) de soutenir le désir d’enfants, l’éducation des élèves, la formation au long de la vie, l’investissement et la recherche. En cela, le Parti socialiste a raison.

Le capitalisme reste cette technique de l’efficacité maximum, usant du moins de capital pour le moins de matière et le plus de savoir – afin de produire des biens et des services les moins consommateurs d’énergie et de matières premières. Ce n’est pas « le capitalisme » qui est insupportable – c’est l’usage social qui en est fait par notre culture occidentale. « Toujours plus ! », titrait il y a quelques décennies François de Closet. C’est exactement ça : la mode, le gadget, l’effet de génération, le mimétisme de bande, l’envie qui pousse à imiter le voisin en mieux… tout cela participe du gaspillage, des contraintes au travail, de la malbouffe, du stress. En cela, le parti écologiste n’a pas tort, pas plus que certains « alter » ou « indignés » ; encore faudrait-ils qu’ils distinguent la technique d’efficacité économique de l’usage social dévoyé du marketing et de la mode.

L’anticapitalisme socialiste et écologiste, buté par idéologie, fait donc tache. L’inégalité la plus insupportable aux gens n’est pas celle des très riches; elle est celle des très proches, les beaux-frères, collègues et voisins. Pourquoi lui et pas moi ? Qu’a-t-il de plus que moi ? L’injustice, en pays démocratique où existe une égalité des chances, vient bien de l’intérieur, sans souci de morale ni de planète. Ne pas pouvoir se passer de son SmartPhone parce que tout le monde en a un signifie que l’on accepte le travail des enfants en Chine, les horaires démesurés, les salaires les plus bas, la pollution du transport, l’exploitation marketing, l’illusion de la marque… Je n’ai pas de SmartPhone et n’en désire pas : pour quoi faire ? comme les autres ? frimer comme un ado ? Je ne clique jamais sur une pub Google ni n’autorise aucune application à m’espionner sur Facebook. Je ne me précipite pas comme un taré médiatique sur les Whoppers de Burger King quand la malbouffe daigne se réinstaller à Marseille… Il n’y a plus des méchants patrons (comme au XIXème) mais tout un système social qui avive nos propres désirs et manipule nos bas instincts. Nous sommes autant coupables que les patrons si nous acceptons le produit tel qu’il est fabriqué, au prix où il est vendu, et avec son obsolescence programmée qui le fera (très vite) remplacer. Je refuse. Les soi-disant « révolutionnaires » qui veulent changer le monde et changer la vie… des autres – pourraient commencer par changer leur propre comportement.

La réflexion politique classique n’adhère plus aux changements du monde, elle n’explique plus guère que l’écume. Les Français baladés et manipulés par les médias aux têtes de linotte ont peur de cette modernité et se rétractent vers les valeurs « sûres » du soi-disant âge d’or. L’État-providence, le fonctionnariat, la crainte de devoir se débrouiller avec la vie restent une vision passéiste. Le président, pas plus que ses électeurs, n’a pris la mesure de l’épuisement de notre système économique, social, politique et culturel. Il n’existe plus de croissance qu’on puisse faire surgir pour guérir tous les maux. Plus largement, les ghettos urbains, l’encouragement des villes à la campagne, la représentation citoyenne diluée et démagogique, le multiculturel dans le vent, les intellos coupant les cheveux en quatre, ne font que désorienter un peu plus les gens. Les accuser de populisme est un peu léger. Reconstituer de l’humain et du commun signifie plutôt prendre conscience de l’illusion des modes et choisir de n’y pas souscrire. Comme cette part de la population selon TNS Sofres déconnectée, désengagée, désabusée – voire (dans le système scolaire) décrochée.

En chacun de nous se joue la dialectique permanente entre moi et les autres. S’il faut que je travaille, tout le monde doit travailler – être ni assisté, ni rentier. Si quelqu’un est riche et que je suis pauvre, ce n’est pas de ma faute – celui qui a réussi est forcément coupable. Le Parti socialiste, au vocabulaire revanchard, considère qu’il y a une solution morale pour la société dans son ensemble. Illusion ! jamais l’égalité ne sera parfaite puisque jamais l’envie ne sera comblée. Reste donc le concret : la clientèle électorale qui vote PS réclame de gros impôts… pour les autres, afin de redistribuer en leur faveur, au prétexte « des plus démunis » (dont les fonctionnaires feraient ‘naturellement’ partie).

Sauf que le gros des revenus taxables est dans la classe moyenne… qui ne consent à l’impôt (c’est l’essence même de la démocratie) que si elle en retire un bénéfice immédiat et contrôlable. Donc oui aux impôts locaux, visibles dans les collèges, la voirie, les établissements collectifs ; non aux impôts d’État, versés dans le tonneau des danaïdes des subventions aux roitelets étrangers, au prestige des ministres, aux services inutiles de l’Administration, à la bureaucratie du millefeuille en 7 niveaux (commune, groupement de commune, canton, département, région, État, budget européen).

L’État français actuel ressemble fort à celui de l’Ancien régime. Le marquis de Mirabeau (père du révolutionnaire) proteste dans L’Ami des hommes contre la défiance perpétuelle de l’État royal pour l’activité individuelle, sa tendance à décider de tout, les illusions que le sujet se fait sur la toute puissance de la loi. Dans l’action d’aujourd’hui, le gouvernement Hollande fait pareil, il régente les entreprises, pardonne aux profs leur incurie, fait la morale aux putes, s’assoit sur le droit (de juste contribution aux charges, de propriété, de liberté d’aller et venir – y compris de s’établir à l’étranger). D’où les couacs, cafouillages, annonces et reculades. Il est armé d’une solide prétention à dire le Bien, à user de la force majoritaire pour établir le droit, à croire qu’il suffit de dire « je veux ». La société est souple et plie (seuls les moins aisés sont obligés de subir), mais l’économie n’est pas un jeu de Monopoly.

L’innovation, l’entreprise, le crédit, l’embauche, sont fondés sur la confiance. Qui a été fort entamée par les déclamations hollandaises sur sa « haine de la finance » (sans effets concrets qu’une réforme bancaire a minima), sur la vengeance contre « les riches » (retoquée par le Conseil constitutionnel comme amateur et faisant peser des « charges excessives au regard des facultés contributives »), sur le manque de civisme des Français à qui l’on applique (rétroactivement) des impôts sans débat (après avoir annoncé une gRRRRââânde réforme fiscale dont la première brique n’est pas même posée), sur le « devoir » des entreprises à créer de l’emploi alors que l’on ponctionne la consommation (par CSG et TVA), que l’on encourage les importations (par les exigences de garder des salariés trop chers à cause des charges sociales toujours empilées, jamais repensées), que l’on taxe toutes les entreprises… avant de rétrocéder aux grandes (sous condition et pas avant deux ans) un petit tiers de ce qu’on a tout d’abord prélevé. Cela alors même que l’absence d’ajustement de la compétitivité française pour raisons politiques implique la poursuite de l’érosion de ses parts de marché à l’exportation et la dégradation du commerce extérieur en 2013… Vous avez dit amateurs ?

francois hollande abaca

Comment, dans ces conditions, la « promesse » du Nouvel an du président Hollande d’inverser la courbe du chômage serait-elle réalisable ? Il n’y a que trois moyens classiques : créer de l’emploi public (limité en raison du déficit), encourager l’emploi privé (mais pas en insultant des chefs d’entreprise et en ponctionnant les créateurs qui revendent leur boite), encourager la croissance (impossible à court terme sans redistribuer du pouvoir d’achat tout en faisant préférer la production française – ce qui prend des années). Reste donc un quatrième moyen bureaucratique : l’illusion. Le traitement statistique du chômage.

Ne sont pas chômeurs au sens du Bureau international du travail tous ceux qui ont travaillé « au moins une heure » dans le mois. Même si cela ne suffit en rien pour vivre, ces gens sortent des statistiques. L’Allemagne y a parfaitement réussi. François Hollande va probablement user de cet artifice, modérément, sans en avoir l’air. Un peu par la formation (mais les syndicats tiennent le 1% patronal et ne veulent pas le lâcher), surtout en encourageant les petits boulots au ras des municipalités socialistes et des services de l’État. Juste pour faire passer en « catégorie 2 » un maximum de chômeurs pour qu’ils ne soient plus comptés dans les statistiques. Faute de culture d’entreprise, François Hollande a la culture bureaucratique pour le faire. Sa promesse devrait donc rester du vent, puisque rien ne la soutiendra dans la réalité économique.

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Pourquoi la France a perdu ses industries

Que la France perde ses industries, le fait est connu. Qu’ont fait nos hommes politiques pour réagir ? Pas grand chose. A quoi servent donc ces innombrables rapports, commandés à d’innombrables fonctionnaires qui ont le temps et le talent, si c’est pour ne rien faire ?

Un document de travail publié par la Direction générale du Trésor et de la politique économique sous la plume de Lilas Demmou, a donné l’état des lieux de la désindustrialisation en France de 1980 à 2007. L’industrie française – surtout manufacturière – a perdu 36% de ses effectifs depuis 1980, 1,9 millions d’emplois ou 71 000 par an (de 5,3 millions en 1980 à 3,4 millions en 2007). L’industrie a décliné dans le PIB de 24 à 14% au profit des services marchands (commerce, transports, finance, immobilier, services aux entreprises et aux particuliers) dont le poids dans le PIB est passé de 45 à 56% et dont l’emploi a cru de 53%.

Pour la chargée de mission, la perte d’emplois industriels touche tous les pays développés avec trois causes principales :

  1. L’externalisation de tâches des entreprises vers des sociétés de services
  2. Les gains de productivité et les modifications de la demande
  3. La concurrence des pays émergents

Les entreprises sont, depuis 20 ans, à la recherche d’une plus grande efficacité, c’est le propre du capitalisme. Une partie des activités des industries ont donc été confiées à des sociétés de services afin de se concentrer sur le cœur du métier, ce qu’on sait le mieux faire. Ces transferts d’emplois peuvent êtres estimés à 25% des pertes d’emplois industriels. Mais les emplois n’ont pas disparu, ils restent sur le territoire. Simplement, ils ne sont plus dans l’industrie mais dans les services. Ce mouvement a été particulièrement fort de 1980 à 2000, époque de grande restructuration ; il est beaucoup plus faible depuis, de l’ordre de 5% des emplois industriels en 7 ans, l’essentiel de l’externalisation ayant été fait.

Le progrès technique a pris le relais depuis 2000, via les gains de productivité dus à l’informatisation et à la réorganisation des tâches. Près de 30% des pertes d’emplois industriels sont imputables à la plus grande efficacité de la technique. Les industries ont moins besoin de main d’œuvre pour produire les mêmes biens. La baisse de prix de ces biens induit une demande plus forte, mais qui ne compense pas. Cette baisse de prix entraîne une hausse de revenus des ménages mais ils n’achètent pas plus de biens industriels mais plutôt des services, notamment de loisirs. 65% des pertes d’emplois industriels pour cette raison ont eu lieu de 2000 à 2007.

La concurrence étrangère est réelle et s’accentue. Sa mesure dépend des méthodes de calcul utilisées pour ce phénomène complexe. Les biens intermédiaires sont les plus touchés (41% des pertes d’emplois industriels), mais jusqu’en 2007 beaucoup moins l’automobile (-7%), l’énergie (-4%) ou l’agroalimentaire (-0,3%). C’est dire s’il est important de surveiller et d’aider ces trois secteurs en France ! Les échanges avec l’extérieur ont augmenté, les exportations passant de 12 à 17% du PIB entre 1980 et 2007, les importations de 11 à 18%. La tendance est que tout pouvoir d’achat des ménages encourage les importations, tandis que tout gain d’efficacité encourage les exportations. Ce qui est utile à savoir pour les plans de relance (mais qui est le contraire de ce qui est pratiqué par le gouvernement Ayrault). La part des pays émergents dans la concurrence est cependant à relativiser, passant de 0,2 à 0,7% du PIB pour les importations depuis 1980 et de 0,7 à 0,9% pour les exportations.

Les destructions d’emplois industriels dues aux échanges expliqueraient 13% des pertes d’emplois selon une approche comptable, les échanges agroalimentaires touchant moins l’emploi que ceux des biens d’équipement et de l’auto. Mais cette méthode prend pour hypothèse une substitution parfaite entre biens importés et biens produits localement, ce qui est contestable.

Une autre approche, économétrique, chiffre ces pertes d’emplois dues aux échanges à 45% du total. Elles seraient dues pour 17% aux pays émergents qui produisent les biens moyens moins chers mais, pour le reste, à la perte de compétitivité de la France sur les marchés mondiaux surtout depuis 2000.

La concurrence des pays à bas salaires est donc une part mais pas l’essentiel, contrairement aux simplifications politiques. Comparons avec l’Allemagne, notre principal partenaire dans la même zone d’échanges et avec le même euro « fort » !

Au contraire, nous pouvons supposer que ce qui a dégradé en relatif l’efficacité industrielle de la France est :

  • le moindre investissement
  • la répugnance à l’innovation et au service
  • le coût du travail (moins le niveau du salaire que les charges sociales)
  • la haine de l’entreprise (les 35 heures, les grèves, la désorganisation du transport, les errements de la fiscalité, les intello-médiatiques, le socialisme radical)
  • la méfiance salariés-patrons (et la faible représentativité des syndicats, portés à la surenchère)
  • l’ignorance de la formation continue
  • la peur de l’exportation
  • les erreurs de management, etc…

C’est toute une société qui a envie de se battre ou, au contraire de se laisser vivre : voyez la Grèce. Depuis 2000 en effet, selon l’étude, 63% des pertes d’emplois industriels sont dus à la concurrence étrangère (mais seulement 23% dus aux pays émergents). Les efforts de l’Allemagne, notre principal partenaire commercial, ont payé ; la France, répugnant à s’adapter, a reculé. Tous les décideurs le savaient, ceux alors dans l’opposition aussi. S’y sont-ils préparé ?

Lilas Demmou, La désindustrialisation en France, Les Cahiers de la DGTPE n°2010-01, février 2010

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Philippe Cahen traque les signaux faibles

J’ai déjà évoqué les « signaux faibles » dans une chronique. J’y reviens aujourd’hui, car ils ne cessent jamais… Un signal faible est un fait paradoxal qui inspire réflexion. Dans sa Lettre mensuelle, l’économiste indépendant Philippe Cahen traque ces signaux dans l’information courante. Il en tire quatre fois par an une réflexion plus large sur les conséquences de ces invitations à penser pour les entreprises. Une fois l’an, sauf quand la conjoncture s’accélère, ces signaux et les scénarios qu’ils induisent font l’objet d’une prospective : que disent-ils sur l’avenir ? Le court terme est ainsi recalé dans un long terme réfléchi, ce qui est bien utile aux mentalités du temps prises par tempérament et mauvaise habitude dans la toute urgence !

La Lettre des Signaux Faibles n°102 d’octobre 2012 fait émerger le message sur le saut dans le vide de Félix Baumgartner, 39 km, tous les records battus par cet exploit et les retombées pour la marque de boisson énergétique Red Bull. Le temps s’accélère, le spectaculaire avec lui : « Je retiens notamment un signal faible : c’est le passage de la télévision à Internet, 6 millions de personnes ont regardé ce saut en direct sur YouTube. » Dans le passé pourtant si proche, le 11 septembre 2001, on regardait tous CNN… Les entreprises devraient en tirer de saines leçons de communication !

Second signal, « pendant que Peugeot faisait les yeux doux à l’État en fabricant français des voitures pour le marché français, Renault se développait à l’étranger en fabricant des voitures qui se vendent et gagnent de l’argent : Dacia a certainement l’une des meilleures marges du marché. Quant au Royaume-Uni, alors qu’il a vendu toutes ses marques ou presque, il produit quasi autant que la France et exporte des voitures de gammes supérieures. Il n’y a pas que l’Allemagne à regarder de près ! » Il n’existe en effet plus UN seul « modèle économique » pour l’industrie automobile. A vouloir trop regarder le XXIème siècle comme au XIXème siècle, les dirigeants français (politiques ou patrons), risquent de passer à côté du présent.

Ce qui conduit tout droit au troisième signal : « Pour le présent, la France est en retard sur l’Allemagne : 20 000 robots vendus en Allemagne chaque année, 3 000 en France. Pour le futur, Aldebaran (père de Nao) est passé sous pavillon japonais. Et toutes les petites entreprises qui se créent se sentent bien seules même si elles performent au Robot World de Séoul, l’un des plus grands salons de robotique du monde. » Droite comme gauche, socialistes comme écologistes, regardent-ils l’avenir dans un rétroviseur ? Qu’en est-il de l’intérêt pour la robotique en France, comme accélérateur de productivité, donc de cette fameuse « compétitivité » dont tout le monde parle sans vraiment savoir de quoi il s’agit ?

Autre signal : « le Smartphone à quatre roues », comme le dit joliment Philippe Cahen. « General Motors, comme Ford, veut recruter 10 000 informaticiens. Passer de 90% de sous-traitance à 90% de in-traitance c’est confirmer que la voiture de demain, enfin… celle de 2014/2015, est un ordinateur sur roues ou plutôt un Smartphone sur roues. La caisse va devenir accessoire et indépendante de l’intelligence de la voiture. Penser une voiture par son intelligence est différent de la penser par sa mécanique. Si la BMW embarquait il y a cinq ans l’informatique d’une caravelle, ce sera d’ici peu celle d’un Airbus ! » Oserait-on se demander ce qu’en pensent Peugeot et Renault, de même que le gouvernement ou la CGT ? L’avenir se construit pourtant dès aujourd’hui. « Soutenir » la filière automobile en aidant les archaïsmes industriels les usines mécaniques et les emplois d’OS, est-ce vraiment le dernier cri de la réflexion sur le sujet ?

Le commerce est lui aussi en traine de changer à TGV (très grande vitesse). C’est l’objet d’un signal récent sur les centres commerciaux : « Les parcs d’activités commerciales s’en sortent par des loyers faibles et des enseignes qui concurrencent Internet. Mais pour les autres centres commerciaux, trop nombreux, au chiffre d’affaires en baisse et qui saturent le marché, le danger est réel avec des leaders qui vacillent (Fnac, Darty, etc.) et des loyers trop élevés. » D’où la FNAC en vente, d’où la restructuration du BHV, d’où la métamorphose de l’ex-Samaritaine.

Enfin dernier signal du mois, mais non le moindre : la sortir d’un nouveau livre de Philippe Cahen : ‘50 réponses aux questions que vous n’osez même pas poser’. Extraits de la Préface :

« En 1492, si Christophe Colomb avait su qu’il allait découvrir un nouveau monde, sans doute aurait-il agi différemment. Dans son regard plein de certitudes, il l’ignorait. Et pourtant ce continent et ces civilisations existaient.

Le 11 septembre 2001 à 8 heures, les Américains ne savaient pas ce qui les attendaient. Dans leurs comportements plein de certitudes, ils l’ignoraient. Et pourtant ce projet existait.

La prospective, c’est se préparer à imaginer ce que l’on ne sait pas. Ce que l’on ne VEUT pas savoir. Ces 50 réponses… sont 50 Amérique, 50 scénarios dynamiques, 50 risques. Provocatrices, cyniques, humoristiques, ces 50 réponses aient à imaginer 100, 500, 1000 autres futurs. En mettant de côté nos certitudes, nous ouvrons les champs des probables, et surtout des intolérables. La raison est dépassée, l’intuition, l’émotion, la curiosité, sont nos alliés.

Or chacun le sait, le principal risque pour une entreprise, pour toute organisation, est de ne pas prendre de risque. Surtout aujourd’hui. Demain n’est pas la suite d’aujourd’hui. Imaginer ces risques, c’est s’y préparer, savoir réagir en cas d’occurrence. C’est gagner du temps. C’est préparer les esprits, les entrainer aux changements de paradigme plutôt qu’être confronté à la béatitude des contemplateurs.

Ces 50 réponses… sont 50 exercices à imaginer des risques. La richesse des réponses et des scénarios dynamiques qui vont être émis, la richesse du travail de prospective contribue à être dans le changement, dans la rupture, pas dans le lissage des obstacles.

Alors l’entreprise, l’organisation, voire l’individu, a une vision. Il a la capacité stratégique d’y tendre, il a une trajectoire. Que la vision se réalise ou pas n’est pas en soi un obstacle. La vision est une force, quitte à la réajuster régulièrement, ce qui est une évidente obligation.

Cet ouvrage entre dans une méthode agile de prospective qui aide toute entreprise, toute organisation, tout individu, à établir sa vision. Ouvrir la prospective, se donner les moyens de cette ouverture, aller à la surprise, affronter l’inconnu, ne pas avoir peur des risques, c’est se donner les moyens d’être le premier, pas la copie. »

Philippe Cahen, Signaux faibles mode d’emploi, 2010, éditions Eyrolles, 164 pages, €22.14, Lauréat du Prix IEC’11 (Intelligence Économique et Compétitivité)

Philippe Cahen, Le marketing de l’incertain, 2011, éditions Kawa, 152 pages, €18.95

Philippe Cahen, 50 réponses aux questions que vous n’osez même pas poser ! sortie récente 2012, éditions Kawa, €23.72 Jusqu’au 20.12.2012 minuit, deux cadeaux pour tout achat du livre 50 réponses aux questions que vous n’osez même pas poser ! sur le site http://www.editions-kawa.com l’un avec le code CAHEN, promo -10% et envoi gratuit, l’autre est surprise en envoyant à l’auteur votre preuve d’achat avant le 21.12.2012 minuit.

L’auteur de cette note a écrit ‘Les outils de la stratégie boursière’ (2007) et ‘Gestion de fortune‘ (2009). Il se consacre désormais aux chroniques et à l’enseignement dans le supérieur.

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Budget bancal en France

Article repris par Medium4You.

Une étude de la recherche économique de Natixis du 24 août 2012 sous la direction de Patrick Artus, intitulée ‘L’anomalie française’ (n°552), compare la France aux principaux pays de l’OCDE en ce qui concerne le poids des dépenses publiques et de la fiscalité.

Par rapport aux autres pays de l’OCDE, la France se caractérise par des dépenses publiques plus élevées : transferts sociaux et salaires des administrations publiques – et par un poids très élevé des charges sociales et des impôts indirects (TVA).

Les dépenses publiques où la France se distingue particulièrement des autres pays sont les prestations sociales (comme l’Italie), et la masse salariale des administrations publiques (après la Suède). Pour les autres dépenses publiques et notamment l’investissement public, la France est dans une position moyenne.

La pression fiscale est très élevée en France et en Suède. En France, ce sont les cotisations sociales des employeurs et les impôts indirects qui pèsent le plus.

Le salaire hors charges sociales est le même qu’en Allemagne mais le salaire y compris charges sociales est plus élevé qu’en Allemagne, et de 64% plus élevé qu’en Espagne. Ce sont les cotisations sociales employeurs qui font la différence. Et la situation est loin de s’être améliorée sous Nicolas Sarkozy.


Les impôts directs sur les ménages et sur les entreprises, sont à l’inverse extrêmement bas, comparés aux autres pays de l’OCDE.

Quels sont les effets à attendre de cette « anomalie française » ? Si les salaires ne baissent pas ou peu, il y a pénalisation de l’offre (le coût total du travail est accru) et soutien de la demande (les ménages reçoivent les mêmes salaires et des transferts sociaux plus élevés). Il y a donc apparition d’un excès de demande de biens et services par rapport à la capacité de production et à la productivité des Français. C’est bien le handicap du déficit français.

Le freinage des salaires en France a été insuffisant pour empêcher la hausse du coût du travail total, due aux cotisations sociales employeur. On a alors freinage de l’offre et soutien de la demande de biens et services. La demande intérieure a crû plus vite que le PIB ou que le PIB potentiel (calculé comme le produit de la productivité par tête et de la population en âge de travailler). La demande intérieure pour les produits industriels a crû considérablement plus vite que la production manufacturière ou que la capacité de production manufacturière.

A noter que ni la gauche, dépensière par idéologie, ni la droite, dépensière par électoralisme, n’ont remis en cause ce « modèle » – bien qu’ayant souscrit toutes deux une union monétaire avec d’autres pays d’Europe. La convergence des économies, pourtant nécessaire à l’équilibre du système, a été ignorée au profit de la revendication « politique » de faire souverainement ce qu’on veut du budget national.

Tout va bien si l’on est vertueux et qu’on dégage un excédent de commerce extérieur ; rien ne va plus lorsqu’on accentue le déficit chronique au risque de tendre la sébile à des pays qui n’ont nulle envie de conforter nos excès.

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Moi, président de la République

Depuis 20 h, ce dimanche soir, nous avons pour cinq ans un nouveau président de la République en France. Vertu des élections libres, précédées de débats démocratiques, que peu de pays au monde permettent (regardez en Syrie, en Russie, en Chine…). 2012 apparaît comme la chronique d’une défaite annoncée, celle de Nicolas Sarkozy, mais c’est maintenant que tout commence pour François Hollande. Car rien n’est fait, le programme du parti Socialiste et des Verts est à mettre à la poubelle de l’histoire tant il rêve – alors que le présent presse : les 18% d’électeurs Le Pen, la dette, les menaces sur l’euro.

Chronique d’une défaite annoncée

Pardon de me citer, je l’avais écrit il y a deux ans en septembre 2010  et même en 2008 avec une comparaison prémonitoire avec le tempérament de Churchill. Au fond, « s’il sait présider, Nicolas Sarkozy ne sait pas gouverner. Il n’a pas compris qu’un président de quinquennat est plus chef d’équipe qu’arbitre gaullien au-dessus des partis ». Le pire ennemi de Nicolas Sarkozy, c’est lui-même. « On le sait bien, Nicolas Sarkozy n’est pas un libéral – pas même une de ces caricatures de gauche pour effrayer les enfants. Nicolas Sarkozy est bonapartiste, interventionniste, oscillant entre néo-conservatisme et néo-colbertisme, entre Guaino et Guéant, ses deux éminences grises. Et, au fond, c’est bien cela le problème : l’image que donne le président Sarkozy ». Rien de bien neuf, cela se voyait déjà durant ses premiers mois de président.

Nicolas Sarkozy a fait une mauvaise campagne. Content de lui, avide qu’on l’aime, il s’est montré sur la défensive, donc agressif. Plutôt que de mettre en avant les points positifs de son bilan (il y en a), il est passé dessus comme s’ils ne comptaient pas. Il a préféré attaquer son adversaire comme en combat de rue, plutôt que d’exercer sa faculté critique et pédagogique. Les poings plus que les mots, il est tout dans l’action, rien dans l’explication. Voyant la France à droite, comme dans les années 30, il a couru derrière Marine et a laissé tomber le centre. Marine va voter blanc (il est vrai qu’il lui serait difficile de voter noir…) et le centre se venge en laissant tomber l’agité.

Ce comportement suicidaire immature a quelque chose de la ‘Fureur de vivre’ : foncer pour compenser l’absence de père, se mesurer au couteau pour prouver sa virilité, tout au présent, sans histoire (déniée parce qu’elle fait mal) et sans avenir (par infantilisme). Nous avions cru aux réformes après l’immobilisme Chirac, au dynamisme du travail après le prurit dépensier Jospin. Échec. Au débat du 2 mai, le score est sans appel : Hollande 1, Sarkozy 0. A l’élection du 6 mai : Hollande 51.6%, Sarkozy 48.3% (chiffres définitifs). Moins que l’écart abyssal annoncé par les sondages, mais large.

Sarkozy a détruit l’image du président, il a détruit la droite rassemblée, il a été sanctionné. Peut-être le désirait-il ? Le comportement suicidaire est toujours un appel.

A l’inverse, François Hollande a joué la force tranquille. Par imitation de son grand modèle François 1, mais il a été efficace, droit dans ses convictions (peut-être droit dans ses bottes, mais durant le débat on ne les voyait pas) et surtout rationnel, cohérent. Faisant apparaître agités et incohérents les mouvements d’épaules et les redressements de veste de son concurrent.

Mais c’est maintenant que tout commence

Gagner une élection ne fait pas une politique, tout au plus séduit-on mieux. Mais pour quoi faire ? Le paysage français est celui d’un cinquième d’abstentionnistes, un dixième de révolutionnaires et d’un cinquième de déclassés tentés par l’autorité droitière – comme en Grèce. Le ressentiment des laissés pour compte de la mondialisation économique, culturelle et migratoire se font entendre, haut et fort. Au premier tour, 30% des ouvriers, 28% des artisans et commerçants, 26% des employés et 21% des 18-24 ans ont voté Le Pen. Que va dire le nouveau président à ces électeurs ? Va-t-il encourager les 12 ou 13% de radicaux mélenchon-gauchistes ? Ce serait suicidaire.

Car l’État-providence à la française est épuisé. Trop de dettes dues à trop de laxisme dans la gestion de l’administration, à l’empilement des niveaux de décision, à cette répugnance à réorganiser et informatiser, à évaluer les réformes. Que faire ? Changer radicalement la fonction publique et adapter l’État à ses missions essentielles ? Difficile quand on a été élu principalement par les fonctionnaires et les ayants droits des zavantages sociaux. Augmenter les impôts ? Facile à court terme, surtout lorsqu’on jure qu’il s’agit de ceux des « riches » – mais peu rémunérateur, tant les « riches » sont peu nombreux. Faudra-t-il ponctionner un peu plus la classe moyenne ? Le tropisme fiscal est-il compatible avec la lutte des entreprises pour se faire une place dans le monde ?

C’est un chapitre classique des manuels d’économie de montrer qu’il n’y a que deux moyens d’assainir un budget d’État : d’une part augmenter les recettes et diminuer les dépenses, d’autre part encourager la production et rationaliser l’administration. La gauche sait faire sur les impôts – mais elle ne promet aucunement de diminuer les dépenses… Saura-t-elle favoriser l’entrepreneuriat et augmenter la productivité publique ? A trop rigidifier le cadre de l’économie, fiscaliser le profit, empêcher les licenciements, taxer la production, on fait fuir l’investissement des grands groupes et les talents, et l’on empêche la création de ces PME et TPE qui sont le ressort de l’Allemagne. On permet donc le marasme des petits salaires, de la précarité, du chômage. Ce qui augmente l’assistanat et fait baisser les rentrées fiscales…

L’incantation magique à « la croissance » ne sert à rien si l’on n’encourage pas le tempérament d’entreprendre et le profit légitime. Pourquoi créer en France une entreprise si la paperasserie et le fisc multiplient les obstacles ? Si l’opinion commune vous jalouse et vous méprise ? Autant être fonctionnaire, bien tranquille, sûr d’être payé (quoique…). La relance « keynésienne » de la gauche est une magie aujourd’hui peu efficace parce que le monde est ouvert et que des pays immenses émergent au développement, donc aux exportations à bas coûts. La récente expérience américaine montre que baisser le coût du travail est plus efficace que favoriser la consommation : car celle-ci est excessive, gaspilleuse, favorisant les importations, donc la dépendance du pays…

Mais baisser le coût du travail ne signifie pas baisser les salaires ! Un patron qui paye la même chose en Suisse qu’en France verse 60% au salarié, pas 40% comme aux Français… Cherchez l’erreur : dans l’empilement des cotisations sociales mal ciblées, à l’utilisation mal contrôlées, générant des fromages syndicaux sans nombre (y compris des syndicats patronaux). C’est l’interventionnisme d’État qui coûte cher en France, pas « le travail ».

Désigner des boucs émissaires est facile, cela ressoude la bande, mais qu’en est-il de l’antisarkozysme quand il n’y a plus de Sarkozy ? L’immigration et l’islamisme sont-ils moins un problème sous la gauche ? La finance, le libre-échange et l’Union européenne sont-ils sans influence parce que la gauche est au pouvoir ? On ne change pas la vie, on l’adapte. C’est moins rose mais bien plus efficace. « Justice » dit François Hollande : ce qui signifie juste milieu et juste répartition, balance des avantages et inconvénients pour chaque mesure, évaluation juste à temps de ce qui se tente. Les électeurs jugeront.

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Sont-elles devant nous les Trente glorieuses ?

Article repris par Medium4You.

Oui ! répondent en chœur deux économistes. Ce sont deux femmes, ce pourquoi elles portent un regard différent des hommes sur la matière ; elles sont passées par la fonction publique, ce qui leur a permis de mesurer la dégradation politique du système social ; elles ne sont pas politiques, ce qui leur laisse un regard de technicien sur l’avenir. Ce qu’elles proposent est donc une richesse et un handicap. La chance à saisir pour un pays qui se pose des questions sur son avenir et donc sur son identité ; l’infirmité de la courte vue, du déficit abyssal et de la ponction fiscale déjà au sommet des pays comparables. Quel politicien pourra reprendre cette utopie pour sa campagne 2012 ? On se demande – d’où l’intérêt de lire ce livre.

Foin de la crise économique, disent les auteurs, ce n’est qu’actualité immédiate. Projetons-nous de suite dans l’utopie : cet an 40 où tout ira bien, 2040 en inverse de 1940. La France y sera le pays d’Europe le plus prospère et le plus peuplé, avec pas moins de 80 millions d’habitants, plus que l’Allemagne. Mais il n’est pas dit de quelle culture : le melting-pot français, appelé hier « intégration » aura-t-il fonctionné ? L’Éducation nationale aura-t-elle réussi à redresser la barre de l’échec à lire-écrire-compter pour les sortants sans qualification du collège ? La recherche aura-t-elle ses bataillons d’ingénieurs motivés dès l’enfance, et de techniciens bien formés nécessaires à son expansion ? Rassurons-nous, on nous assure que tout cela n’a pas d’intérêt car le taux de chômage est retombé à 5,5 %, ce qui rassure les classes sociales en déclin et leur permet d’accepter les autres, tous ceux qui ne sont pas comme eux.

Comment cela a-t-il été possible ? C’est très simple, les idées étaient dans l’air dès 2007 avec la commission Attali. Il s’est agi de faire émerger de façon volontariste des champions nationaux dans l’industrie, surtout énergie (avec un mixte de solaire et de nucléaire) et chemin de fer, vieux tropisme centraliste d’État. On peut se demander si cette palette industrielle n’est pas un peu courte… Le nouveau cycle fait la part belle aux technologies de l’information et l’on ne voit guère où elles peuvent se nicher dans le train et l’énergie. Évidemment il a fallu lancer un « grand » plan d’investissement auprès duquel celui de la commission Attali a fait pâle figure. Mais il fallait rattraper toute une génération perdue sous Mitterrand et Chirac. Il a donc été nécessaire de négocier âprement avec les Allemands qui ont horreur de la dépense non financée dans un système monétaire commun. A été mise en œuvre une enveloppe fiscale européenne analogue à feu le serpent monétaire, un couloir limité dans lequel se tiennent tous les pays afin de limiter le dumping.

Ah oui, petit détail : la relance de l’immigration. Elle était indispensable pour servir l’ambition industrielle, nécessitant des bras jeunes et des cerveaux neufs. Il n’est pas dit d’où elle vient, mais l’on peut supputer qu’il s’agit de pays francophones, plus quelques centaines de milliers de Chinois parce qu’ils sont trop nombreux en Chine et qu’ils y manquent de femmes.

S’agit-il de méthode Coué ? D’optimisme systématique pour se poser contre le pessimisme ambiant ? La Société de confiance’, dont parlait Alain Peyrefitte dans sa thèse, peut-elle se régénérer simplement par volontarisme d’État ? Pour ces auteurs femmes, « le modèle social français » si archaïque, si rigide, si décrié, n’est pas le problème mais la solution. Il ne marche plus si l’on ne considère que la dépense obligatoire, la protection sociale. Mais il fonctionne très bien si on le met en regard de la quantité de biens produits pour un même montant de ressources. En rationalisant, on consomme moins d’énergie et moins de matières premières importées, ce qui augmente d’autant le pouvoir d’achat des Français. Il suffisait d’y penser.

A condition de respecter la devise liberté, égalité, fraternité.

Liberté ? Elle ne naît pas toute armée dans les cerveaux français, plus tentés par la fonction publique protégée que par l’entreprise : 77% des jeunes rêvent d’être fonctionnaires… La France reste sous-investie car le privé se développe ailleurs, là où les marchés s’ouvrent et offrent une population jeune avide de produits de qualité française. Il faut donc que l’État retrouve son rôle d’incitateur et d’encadrement par ses commandes publiques. Le budget, en déficit permanent depuis 1974, ne le permet plus, d’où le grand plan volontariste. S’enclencherait alors un cercle vertueux, là aussi fort libéral, où le fait d’investir redonne le goût du risque d’entreprise, ce qui favorise en retour l’investissement… donc l’emploi. Et tout le monde est content.

Égalité ? Pour les auteurs, il faut que chaque citoyen participe au progrès – c’est là une conception libérale au sens noble où la solidarité est une convergence d’intérêts. L’augmentation des salaires (donc des cotisations) permet la protection sociale et celle-ci participe à la productivité des Français ; elle n’est pas un boulet qui coûte mais un investissement rentable qui fait que chacun travaille mieux et avec moins de craintes pour l’avenir.

Fraternité ? Il réside dans ce mélange unique de service public à la française, d’ouverture européenne âprement négociée, et d’immigration ouverte pour augmenter la richesse du pays.

L’intérêt du livre en 2011 est que les auteurs tiennent à chiffrer leur plan, ce qui est assez rare dans l’intellocratie française pour le souligner. Ils retiennent 5 indicateurs clés : le taux de croissance, la productivité des ressources, le taux de pauvreté après transferts sociaux, le nombre d’années de vie en bonne santé, et la consommation d’énergie renouvelable.

En fait rien de bien neuf, mais remis en perspective. Cette analyse montre qu’un certain avenir est possible, il suffit de le vouloir. Pour cela, quitter ces minables querelles d’ego, attisées par des médias avides de faire du fric avec les scoops des petites phrases assassines. Quand Nicolas Sarkozy suit le rapport de la commission Attali, il est dans le vrai : pourquoi ne pas le dire ? Quand François Hollande réclame une réforme fiscale d’ampleur qui rétablisse l’égalité des citoyens devant la ponction publique, il est loin d’avoir tort : pourquoi ne pas l’avouer ? Quand Jean-Pierre Raffarin fait la bronca sur une hausse du taux de TVA sur les parcs d’attraction, il est politiquement minable au regard des enjeux : pourquoi faire semblant de comprendre ce petit intérêt catégoriel régional ? Sur la convergence économique européenne, la protection contre le dumping social chinois ou les errements de la finance, chacun a des idées qui devraient être mises en œuvre plutôt que jetées à la tête de ses adversaires.

C’est la limite du livre : l’utopie est belle et bonne, mais sa réalisation ne peut passer que par la politique – et là, tout se gâte immédiatement !

Karine Berger et Valérie Rabault, Les Trente Glorieuses sont devant nous, mars 2011, éditions Rue Fromentin, 204 pages, €19

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