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La Dépêche de Tahiti

L’observation d’un journal papier instruit souvent sur le pays qui le publie et sur les lecteurs qui le lisent. En ce sens, La Dépêche de Tahiti, seul grand quotidien payant de la Polynésie française (Tahiti infos est un gratuit), nous en apprend un peu sur Tahiti et son public. Le journal n’est ni Le Monde, ni Le Figaro, ni Libération, ni même Le Parisien, dont il se rapproche un peu mais sans en avoir ni la richesse ni les enquêtes. La Dépêche, possédée depuis 2014 par l’homme d’affaires Dominique Auroy, reste très factuelle, très locale, et l’on se demande si elle pourrait conserver des lecteurs si les deux chaînes de TV polynésiennes faisaient vraiment leur travail d’information…

la depeche de tahiti couv

Les 48 pages du journal se présentent en séquences de 8 pages successives. La page de titre ne comprend que les surtitres et des photos couleur. Il n’y a aucun éditorial, l’événement étant le gros titre, par exemple le 11 août la Rentrée des collèges (qui venait d’avoir lieu).

Suivent aussitôt les « Annonces efficaces de La Dépêche », qui ne sont que la recension (payante) des offres d’emploi, d’immobilier, de véhicules, de « bonnes affaires », d’appels d’offre et du carnet. On sent là le cœur de la rentabilité du journal avec les encarts de pub, l’information étant un ornement coûteux en plus, délaissé manifestement par la direction. Le lecteur soupçonne que la population lit peu, s’intéresse peu à l’écrit en manière générale, et que ce qui semble lui plaire est le côté pratique. La Dépêche revendique environ 15 000 lecteurs sur 285 000 habitants (soit 5.3%) contre 7.8 millions sur 65 millions en Métropole (soit 12%).

Huit pages sur le fenua (le Pays) mettent en scène les promesses de la page de titres (un baleineau secouru par la population, ce qu’il faut savoir avant d’acheter un deux-roues à son ado). Nous avons ensuite huit pages sur Tahiti (l’île), la rentrée à Mahina, la rentrée à Faa’a et Papara, les uniformes scolaires dans la presqu’île, des loges pour les artistes à To’ata, le projet de référendum rejeté à Taiarapu-est. Deux pages seulement sur les (autres) îles – qui doivent lire encore moins et n’avoir le journal qu’avec des jours de retard… Enfin huit pages de sports, dont les projets du directeur de l’Union du sport scolaire polynésien, montrent l’horizon ultime qui semble intéresser les lecteurs au café ou ailleurs.

la depeche de tahiti voyageurs

Seules trois pages sont consacrées au reste du monde… C’est montrer combien Tahiti se voit isolé et combien « la presse » reste centrée sur l’île principale. Le monde se décline en une page sur le Pacifique (levier de croissance en Nouvelle-Calédonie, abus d’enfants migrants en Australie, suspension d’un projet nucléaire franco-chinois en Chine), une autre sur la Métropole (affaire Morandini sur la corruption de mineurs, les incendies de Vitrolles, le père Hamel égorgé par un islamiste), une dernière sur le reste (pourtant 90% des actualités !) – et seulement via les anecdotes : arrestation d’un escaladeur de la tour Trump, arrestation d’un suspect terroriste au Canada, épidémie de choléra en Centrafrique… Toutes ces « nouvelles » sont en miroir de ce qui se passe à Tahiti : l’économie maritime, les viols d’enfants, le nucléaire français, le terrorisme. Ce qui se passe en Syrie, la campagne électorale américaine, les gros yeux de Poutine, les prétentions de la Chine, hop ! aux oubliettes.

Les huit dernières pages sont une fois encore pratiques, véritable almanach du Tahitien de l’île : l’agenda des sorties, les arrivées et départ (en photos de famille), les horaires des avions et bateaux, les inévitables horoscopes (occidental et chinois), les mots croisés, fléchés, sudoku, le programme télé du jour, la météo.

Avec l’essor de l’Internet sur téléphone mobile, on se demande si un tel format journalistique a encore de l’avenir. Probablement très peu, surtout si la télévision devient plus professionnelle et réalise de véritables enquêtes plutôt que l’hagiographie des puissants qui semble être de mise sur les deux chaînes.

La mise en scène de l’information sur La Dépêche de Tahiti montre combien le pratico-pratique (comme disent les psy) l’emporte sur tout le reste, combien le payant rafle la mise, laissant de côté toute préoccupation d’informer, d’éduquer et de montrer. Personne ne parle, aucun point de vue n’émerge : nous sommes dans le « on » anonyme du chien écrasé et de la citation des édiles. Aucune enquête, aucune investigation, aucune histoire : nous sommes dans l’éternel présent dont chaque jour chasse l’autre, sans perspectives ni projet.

L’ensemble expose une relative pauvreté de pensée, une inertie politique, une léthargie de la curiosité – tous traits qui me paraissent dommageables à un journal dont le devoir serait (en théorie) d’informer et de faire réfléchir.

Le site officiel de La Dépêche de Tahiti

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Convalescence économique après la grippe Hollande ?

La France a attrapé la grippe avec le virus socialiste, en témoignent les courbes statistiques depuis l’élection de François Hollande. De 2012 à 2014, la croissance n’a jamais dépassé 0.4% par an alors qu’elle a été supérieure à 2% sous Sarkozy, en 2006 et 2007, 2010 et 2011 – sauf le trou 2009 dû à la crise, mais moindre qu’en Allemagne et au Royaume-Uni. L’indice PMI (Purchasing Management Index) qui enquête chaque mois auprès des directeurs d’achat des entreprises (industries et services), montre que la confiance s’est écroulée dès l’arrivée – en fanfare idéologique – du gouvernement Hollande vers la mi-2012, et qu’elle ne s’est toujours pas relevée.

2014 2005 croissance en france insee ravages ideologie hollande

Les moulinets petit bras en faveur de la compétitivité des entreprises (CICE) et d’un « pacte » de responsabilité et solidarité sont arrivés laborieusement et bien tard pour compenser les rodomontades de campagne électorale (taxer les revenus à 75%, mettre au pas les « patrons », augmenter massivement les impôts, inventer de nouvelles taxes, multiplier les normes écologiques et foncières…). Le constat est là : la France depuis mai 2012 stagne, maladive, perdant de la demande par les impôts sur les ménages et de la compétitivité par les entraves idéologiques à l’entreprise et au travail. Notons que c’est plus « le discours » que « le socialisme » qui est responsable de la méfiance de chacun à investir, entreprendre ou embaucher : Lionel Jospin avait su redonner de la confiance, pas Jean-Marc Ayrault ni surtout François Hollande.

L’année 2014 s’est terminée en stagnation (+0.4%) et à inflation zéro, signe que la demande est en panne et que l’investissement ne repart pas.

  1. Les impôts sur les ménages et surtout le chômage pèsent sur le pouvoir d’achat, donc sur la consommation comme sur l’investissement privé dont la composante principale est le logement, effondré en raison de la désastreuse politique Duflot ;
  2. les entreprises n’ont pas les marges suffisantes pour investir et être assez compétitives à l’exportation, en raison des taxes, de la rigidité de l’emploi et de la pression idéologique « contre » les profits ;
  3. le déficit public et la dérive des embauches de fonctionnaires en collectivités locales pèsent sur l’investissement public.

Globalement, l’investissement est en recul de 1.6% sur 2014, dont -5.8% pour les ménages et +0.2% pour les entreprises.

2008 2015 indice pmi composite credit agricole

L’année 2015 pourrait voir une petite embellie, avec une croissance anticipée entre +0.9% et +1.2%. La raison ? Une conjoncture exceptionnelle de baisse du prix du pétrole, de baisse de l’euro et de baisse des taux d’intérêts. Rare conjoncture, attendue comme le Messie par tout ce que la galaxie médiatique compte d’économistes « de gauche » ou « atterrés ». Elle va montrer combien tout le reste va avoir comme effet réel : la politique Hollande, la confiance que son gouvernement est capable de susciter, les frasques du parti socialiste, des frondeurs et autres syriza sur le gâteau. Il est rare de pouvoir expérimenter une potion économique « toutes choses égales par ailleurs ». Or le pétrole, la devise et le coût d’emprunt sont au plus bas : les immenses bienfaits de la politique socialiste menée devraient donc éclater aux yeux de tous… si c’est la bonne.

Malheureusement, la France part avec quelques handicaps :

  • Le chômage est à un niveau suffisamment élevé, et depuis suffisamment longtemps, pour que l’employabilité des écartés de l’emploi soit compromise ; il ne devrait se résorber, en cas de croissance retrouvée, que lentement et difficilement. 2017 est trop près pour que François Hollande et le parti socialiste en profitent politiquement.
  • Le déficit public ne se résorbe que sous la menace des sanctions européennes, nos politiciens comme à l’école attendent de voir gronder la maitresse pour cesser de chahuter et se mettre au travail avec sérieux (ce pourquoi Macron est populaire, plus que l’histrion Mélenchon ou le matamore Montebourg). Or un déficit persistant signifie des impôts élevés persistants, qui pèseront longtemps sur la demande et sur l’investissement.
  • Les entreprises le savent, qui n’embauchent en France que le minimum indispensable, n’investissent qu’à peine en raison des coûts élevés de production (pas seulement des salaires) et préfèrent, lorsqu’elles ont les moyens, soit investir à l’étranger (les entreprises du CAC40 investissent plus dans le monde qu’en France même), soit distribuer des dividendes à leurs actionnaires – faute de rentabilité de l’investissement en France même.
  • L’incapacité aux réformes d’un gouvernement sans cap long terme et sans majorité pour les faire. Le psychodrame de la « loi Macron », catalogue de bonnes intentions présenté comme « crucial », a montré combien les conservatismes à gauche étaient criants (surtout ne rien changer !) et combien l’UMP restait sectaire (surtout ne pas voter une loi qui va dans le bon sens !). L’opinion, qui soutenait massivement cette loi selon les sondages, ne peut que vomir ces petits corporatismes, ces poses théâtrales de congrès, cette immaturité parlementaire. Elle est de plus en plus persuadée que seul un Matamore maniant la trique (un Le Pen plus qu’un Valls avec le 49-3 ?) peut transgresser les tabous de vierges effarouchées et les sectarismes gauchistes ou notariaux. Dramatiser pour une réformette n’encourage pas non plus l’Europe à faire confiance à cette France légère qui ne sait pas décider, pas changer, pas jouer le jeu collectif européen…

La reprise américaine, même lente, a déjà un effet sur la parité devises (le dollar monte au détriment de l’euro) qui anticipe un effet sur les taux d’intérêts. La France emprunte publiquement autour de 0.50% l’an mais, lorsque l’État américain empruntera à taux plus élevé, en raison de l’inflation qui reprend avec la croissance, notre pays ne pourra plus offrir des rémunérations aussi dérisoires aux investisseurs internationaux. Il se verra obligé soit d’emprunter moins (et de faire des économies budgétaires forcées à court terme), soit de rémunérer plus (et d’augmenter la charge de la dette, aujourd’hui de 45 milliards d’€ par an).

francois hollande hilare

Alors que les réformes structurelles sont indispensables, elles deviennent urgentes. François Hollande a trop attendu, trop hésité, trop peu politique pour aller (comme un De Gaulle, un Mitterrand et même un Giscard) contre sa majorité. Ses technocrates sont restés dans un système scolaire où seuls les mauvais points et les retenues forcent à étudier et à fixer son attention. L’Europe joue ce maître que le président est incapable d’être. Or nous ne réformons pas pour les autres mais pour nous-mêmes, pour échapper au chômage et aux égoïsmes corporatistes qui minent le « pacte républicain » et incitent de plus en plus d’électeurs, écœurés de ces grandes gueules à petits bras, à se replier sur les acquis et à vouloir les réserver aux seuls nationaux.

Il ne faut pas croire que la tactique Hollande pour 2017 est particulièrement subtile ; FH n’est pas FM et ce que réussit hier Mitterrand pourrait ne pas réussir demain à Hollande. Tabler sur un duel au second tour Hollande/Le Pen pour l’emporter « haut la main » est de moins en moins crédible avec les mois qui passent, le chômage et le daechisme qui croissent, chacun faisant l’objet d’incantations rituelles d’une gauche impuissante faute de lucidité sur les faits. Sur deux ans, nous avons vu les électeurs UMP passer à 40% en faveur du Front national ; encore deux ans jusqu’en 2017 et, avec un Sarkozy qui réapparaît comme sa caricature, ce seront peut-être 20% de plus qui basculeront. Les citoyens exaspérés par la gauche (révolutionnaire en blabla et molle en action) comme de la droite (réduite à faire radoter des candidats déjà usés), voudront peut-être tenter l’expérience anti-système.

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Bilan à presque mi-mandat

Dans une note de fin août Patrick Artus, économiste de Natixis, dresse un constat sans appel au bout de deux années Hollande : PIB 0,0%, consommation +0,5%, investissement des entreprises -0,8%, investissement en logement -2,4%, exportations 0,0%, importations +0,4%, production manufacturière -1,0%, production de services +0,1. Après 75 milliards d’impôts en plus, les hochets offerts aux entreprises pour réduire le coût du travail sont bien minces : 41 milliards – et sous conditions CICE ou pacte.

Patrick Artus ajoute, implacable : « Malgré l’absence d’amélioration du déficit public, les taux d’intérêt historiquement bas et la désinflation qui soutient le pouvoir d’achat et la consommation, la croissance est bloquée par un problème massif d’offre. L’industrie manufacturière continue à détruire de la capacité avec une rentabilité du capital la plus faible de tous les pays de l’OCDE. La construction résidentielle continue à chuter avec le recul permanent de l’offre de logements. La production de services est affectée par le coût trop élevé du travail peu qualifié. Il faut donc comprendre qu’il faut arrêter de mener pour la France des analyses conjoncturelles basées sur la demande mais qu’il faut raisonner à partir de ces contraintes d’offre. On voit bien au 2ème trimestre que le soutien de la consommation profite aux importations et pas à la production domestique que ce soit d’industrie ou de services. »

2014 08 lExpress la faillite c est maintenant

Et il y a encore des économistes – évidemment de gauche et socialistes plus ou moins atterrés, pour prôner un encouragement massif à la consommation par la dépense publique ! Car le pragmatisme hollandais n’a pu être imposé aux électeurs de gauche tant la croyance idéologique imprègne les esprits socialistes. Ils croient en l’État comme en Dieu, malgré le dépérissement de l’État annoncé par Marx, malgré la mondialisation. Le socialisme français a montré ce qu’il était : de l’anti-sarkozysme primaire sans aucune vision de l’avenir. Une navigation à vue avec un président préoccupé de gérer les courants de gauche et les bouffons en mouches du coche. L’histrion Montebourg insulte les chefs d’entreprise et méprise des investisseurs étrangers, l’arriviste Duflot fait s’effondrer le logement en 18 mois avant de cracher dans la soupe et de « tomber à gauche », comme si l’écologie était une lutte de sectes… Même s’il « change » et « accélère », le président est parti trop tard, ses réformettes vont faire pschitt ; on ne change pas une société par décrets et les réformes de structure se préparent longtemps à l’avance.

Le coût du travail est devenu (depuis 2000 où il était inférieur de 8%), plus élevé de 20 % qu’en Allemagne (à cause de la hausse continue des taxes sociales) – mais le socialisme ne dit rien pour « penser  » cette plaie – ou seulement des incantations : « yaka » faire baisser l’euro, « yaka » faire payer les actionnaires. Sauf que les actionnaires vont ailleurs quand ils n’ont pas la rémunération juste que les impôts sans cesse modifiés et le bonneteau des retraites leur laissait miroiter lors de leur investissement. Qu’ont donc fait les énarques, économistes « de gôch » et autres technocrates socialistes depuis la fin des années Jospin ? – RIEN. Ils n’ont ni observé, ni pensé, ni prévu. Aucun plan d’ensemble, aucune mesure radicale (réforme fiscale, condition des subventions, plan d’investissement pour la recherche, encouragement à l’isolation des logements). Aucune remise en cause du sacro-saint gros État-Papa géré par les « éclairés », drogués au pouvoir, qui savent mieux que vous ce qu’il vous faut.

Tous les États dans la même situation (Canada, Suède, Allemagne, Espagne, Angleterre et même Italie) se sont retroussé les manches et ont pris les cinq ans nécessaires pour que les réformes structurelles portent leurs fruits. Tout le monde le sait – et qui ne le savait pas a pu à loisir l’observer in vivo dans les pays indiqués. Mais surtout pas les Français, pas les socialistes, pas les technocrates parisiens, pas François Hollande. Ils savent tout de droit divin ou de raison suffisante. Hollande promettait « l’inversion de la courbe du chômage avant fin 2013 », il affirmait encore en juillet « le redressement arrive ». Or la croissance s’affaisse à un maigre +0.5% prévu sur l’année (qui n’est pas encore finie) ; quant au chômage, il prépare des bataillons entiers de votes Front national dès que l’occasion en sera donnée.

Comme en 40, le socialisme n’a rien à dire, comme en 40, il ne fait que préparer le lit du pétainisme. Hollande débarque au moment où il « célèbre » l’anniversaire du débarquement.

Ah mais, s’écrient les dévots socialistes, célafôta ! Symptôme habituel du déni, addiction de croyants, voile d’illusion des faibles : c’est toujours de la faute des autres. Des riches bourgeois forcément en Suisse, des mauvais patrons qui n’embauchent pas quand il n’y a aucune demande, de Bruxelles qui complote évidemment pour affaiblir la France, de Merkel taxée d’égoïste parce qu’elle renvoie chaque État à ses propres responsabilités, de l’euro fort qui profiterait aux Allemands mais curieusement pas aux Français incapables de proposer comme eux des produits exportables fiables et attrayants, aux Espagnols qui font du dumping salarial sur les produits moyenne gamme qu’exporte la France… Ce n’est jamais de la faute du socialisme, jamais de la faute du parti des éléphants, jamais de la faute des ministres incapables, ni jamais celle du Président – qui connait forcément l’économie puisqu’il a « fait HEC » (il y a 40 ans) – lui qui a toujours préféré le confort d’être fonctionnaire. Dix ans d’illusions et d’incurie théorique dans l’opposition, deux ans de retard à l’allumage jusqu’au diagnostic réaliste des vœux de janvier, huit mois de procrastination et de zigzags pour établir une « boite à outils » de réformettes impuissantes et inutilement compliquées. Tout ça pour ça !

max et mango

« Tout va bien ! » nasillent les kids proprets Max & Mango (photo) dans la scie de l’été. A 11 ans, ils ne doutent de rien, l’avenir (et l’argent) est devant eux. « Tout va mal » singent les Éboueurs du net dans une vidéo critique hilarante des gentils mignons. A 15 ans, eux doutent de l’avenir car leur adolescence a commencé sous le socialisme hollandais, ce triomphe des impuissants. En 2017, ils voteront !

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Édouard Tétreau, Analyste

edouard tetreau analyste au coeur de la folie financiere
La vraie vie vécue des années folles, celles de la bulle Internet 1998-2000, par un analyste en charge du secteur médias au Crédit lyonnais Securities Europe à Paris. Écrit clair, il y a de l’action à l’américaine et des exemples précis (sous pseudos pour éviter le judiciaire). Tout est vrai – j’y étais.

Mais, mieux que les anecdotes navrantes (la lâcheté Messier) ou croustillantes (le Puritain maître de la finance américaine et ses putes à Paris), une interrogation sur le snobisme social, les sursalaires indus et la course à la cupidité court-terme. La finance anglo-saxonne est une nuisance de l’économie globale, une guerre économique où « le droit », brandi par les puritains yankees, sert surtout à ligoter les autres, Européens et Japonais – alors que des hordes de lawyers et d’opportuns centres offshore à quelques dizaines de minutes de côtes américaines permettent d’y échapper.

Ce livre est écrit après l’éclatement des prémisses de la grande bulle (les valeurs technologiques en 2000 ont précédé la paranoïa du 11-Septembre en 2001 puis la comptabilité frauduleuse et l’audit mafieux en 2002) – mais avant le délire des dérivés en 2007 et la faillite de Lehman Brothers en 2008 – avec les conséquences systémiques, donc économiques, donc sociales, donc politiques dont on n’a pas encore vu tous les effets. Il décrit « comment ce théâtre de gens si savants au-dehors est en fait construit sur du sable. Le sable mouvant des fantasmes et des incohérences humaines » p.273.

Car vous pensiez que les analystes, après 5 ans minimum d’études supérieures en macroéconomie, audit, évaluation des entreprises et mathématiques financières, sont des experts capables de diagnostiquer la santé ou la maladie des sociétés cotées, de proposer des remèdes et de conseiller utilement les investisseurs ? Vous n’y êtes pas ! « Dans la formulation de son message comme dans sa conception, l’analyste doit aller au plus vite. Ce qui signifie : lire le communiqué de presse de la société, ou l’interview, ou le tableau de chiffres et, dans un minimum de temps, sortir le commentaire qui va faire vendre » p.39. Il ne s’agit pas de mesurer mais d’agiter. La bourse exige de la volatilité, des écarts de cours pour générer du business, donc de juteuses commissions. Ce pourquoi l’analyste passe plus de temps à commenter l’immédiat, appeler les clients, organiser des roadshows, qu’à analyser les entreprises. Il n’a plus « dans l’année que deux ou trois douzaines d’heures pour travailler activement sur chacune des entreprises suivies » p.174.

A son époque (2004) c’étaient les conseils d’achat et de vente aux gestionnaires de portefeuille pour faire tourner plus vite leurs actifs ; aujourd’hui (2014) plus besoin des gérants, le trading à haute fréquence, par algorithmes informatisés, s’en charge tout seul : plus besoin non plus d’analystes, ni de vendeurs, ni même de clients… Seul le marché pur et abstrait est le terrain de jeu pour les spéculateurs, entièrement déconnecté des entreprises réelles, de ce qu’elles produisent et des gens qui y travaillent.

Mais ce n’est pas que le commerce ou la bougeotte qui tord le métier d’analyste. C’est aussi la chaîne d’organisation, depuis l’entreprise jusqu’aux portefeuilles, qui incite à la stupidité. « Le processus d’investissement sur les marchés est simple : il suffit de suivre, ou de se raccrocher à la recommandation déjà émise par quelqu’un d’autre » p.49.

  • L’analyste sell-side (attaché aux vendeurs de titres) va suivre le communiqué de la société, pondérer par les analyses des autres notamment des puissants anglo-saxons, bidouiller un objectif de cours au pif, faute de temps pour valider ses nouvelles hypothèses et recalculer, tout cela à l’intérieur du « consensus » qui fait que la soi-disant « analyse » tourne en rond dans l’entre-soi.
  • Puis l’analyste buy-side (attaché aux investisseurs) va résumer les analyses des sell-side, opérer une synthèse en fonction de ses convictions – en général très consensuelles pour ne pas faire de vagues – et conseiller aux gérants tel investissement plutôt qu’un autre.
  • Ledit gérant n’est pas obligé de suivre mais, s’il ne le fait pas, il travaille sans filet ! Sa hiérarchie le blâmera pour ne pas avoir suivi le « comité d’investissement », les « analyses maison », le « processus raisonné de choix des valeurs »… Il n’est pas grave de se tromper avec tout le monde ; mais c’est se faire virer que d’avoir raison contre tout le monde.

edouard tetreau

L’auteur l’a vécu, analyste médias dans les années flambeuses de J6M chez Vivendi (Jean-Marie Messier moi-même maître du monde, disait-il de lui-même…). « Le 6 mai [2002], deux jours après un changement de notation de l’agence Moody’s sur la dette de Vivendi, j’envoyais une note, alertant les clients investisseurs du Crédit lyonnais Securities d’un risque de faillite (bankruptcy) de ce groupe. Le lendemain, tous mes travaux furent placés sous embargo, en prélude à diverses sanctions disciplinaires. Le 3 juillet, Jean-Marie Messier quittait la présidence d’un groupe à quelques heures de la quasi-cessation de paiement » p.15.

Édouard Tétreau s’est reconverti en créant Mediafin, conseil en communication pour les entreprises. Il a publié fin 2010 ’20 000 milliards de dollars’ témoignage de trois années aux États-Unis après 2007 pour développer une filiale du groupe Axa, qui lui a fait comprendre combien la religion de la finance restait prégnante, laissant présager une bulle de la dette américaine vers 2020. L’ouvrage a été traduit en chinois, montrant combien la Chine est vigilante sur ses investissements en bons du Trésor des États-Unis…

Il y a pire que la vente à tout prix et la mauvaise organisation : l’emprise de toute une idéologie de la finance qui s’apparente à une véritable religion venue des États-Unis. Les croyants usent de mots magiques comme « création de valeur », « benchmark », EBITDA (bénéfices avant toute autre dépense), WACC (coûts du capital) et autre jargon en anglais. Lorsqu’il n’existe aucun mot dans votre langue pour traduire des concepts étrangers, vous les utilisez comme des boites noires sans savoir trop ce qu’elles contiennent. Mettant les habits d’une autre culture, vous avancez patauds, incertains, servilement scolaires. Ne comprenant pas le fond, vous singez. Non seulement vous vous abêtissez, mais vous agissez comme tout le monde pour donner le change et l’illusion sociale d’avoir compris. C’est bien ce qui se passe en analyse financière comme en gestion de portefeuille, j’en ai eu l’expérience directe personnellement (voir Les outils de la stratégie boursière, 2007).

Le « benchmark » est par exemple considéré par les directeurs de gestion français comme un garde-fou à surtout ne jamais franchir au-delà d’une étroite fourchette. La simple lecture d’un dictionnaire vous apprend que benchmark signifie en anglais utile le niveau du maçon : il est donc une mesure, pas un carcan ! Un maçon qui pave un trottoir parfaitement horizontal, selon le niveau à bulle, est un mauvais ouvrier doublé d’un imbécile : l’eau va stagner dans les creux. Le trottoir doit être en légère pente vers le caniveau pour remplir sa fonction de trottoir, le benchmark sert de référence pour marquer cette pente. Pas en France – où l’on doit obéir : à la hiérarchie qui n’y connais rien, à l’abstraction scolaire du mot anglais mal compris ! Quand on ne comprend pas on imite, quand on n’est pas pénétré de l’esprit on régurgite la leçon mot à mot. « Je mets d’ailleurs au défi n’importe lequel des dirigeants des vingt premières banques européennes d’être capable de comprendre, et accessoirement de faire comprendre à ses administrateurs et actionnaires, ce qui se passe exactement dans ces boites noires de l’industrie financière que sont les départements d’ingénierie financière et de produits dérivés… » p.75. M. Bouton, PDG de la Société générale, l’a illustré à merveille lors de l’affaire Kerviel.

Édouard Tétreau prend le même exemple en analyse avec la « shareholder’s value », maladroitement conçue en français comme « créer de la valeur pour l’actionnaire ». Or on ne « crée » pas de valeur, on en a ou on en hérite, l’entrepreneur ne crée que de la richesse (du flux), pas de la valeur (du stock). L’analyste français, par ce concept mal compris, ne va donc s’intéresser qu’à l’actionnaire, à la distribution de dividendes, au retour sur investissement du portefeuille. Alors que la base de la richesse de l’entreprise, celle qui va permettre qu’elle soit durable et puisse investir pour générer du bénéfice (à répartir ensuite en partie aux actionnaires apporteur de capital), est mesurée par la rentabilité : le retour sur fonds propres en fonction du risque assumé. C’est cela qu’il faut analyser, pas la distribution.

Plus qu’un simple témoignage de ces années stupides, ce livre est une sociologie de l’entre-soi parisien où les gens d’un même milieu, sortis des mêmes écoles avec les mêmes concepts abstraits, baignant dans le même jargon anglo-saxon qu’ils comprennent mal, font du fric en toute bonne conscience en enfumant les clients – qui sont, au total, vous et moi, les assurés comme les retraités. Mais ce qui est vrai de l’analyse financière l’est aussi en d’autres domaines : les médias, l’engouement web, les capteurs solaires, en bref tout ce qui est trop à la mode et qui fait délirer comme, il y a 4 siècles, les bulbes de tulipes !

Édouard Tétreau, Analyste – Au cœur de la folie financière, 2005, Prix des lecteurs du livre d’économie 2005, Grasset, 283 pages, €4.96 (occasion) à 18.34 (neuf)

L’auteur de cette note a passé plusieurs dizaines d’années dans les banques. Il a écrit ‘Les outils de la stratégie boursière’ (2007) et ‘Gestion de fortune‘ (2009).

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La stratégie Hollande

Comme Mitterrand, son modèle, Hollande a changé officiellement de cap politique 18 mois après avoir été élu sur le rejet de son prédécesseur ; la « rigueur » mitterrandienne est devenue « pacte » avec les entreprises. Comme Mitterrand rue Mazarine, Hollande a aussi fauté dans la discrétion rue du Cirque – souhaitons que le fruit éventuel de ces amours ne porte pas le prénom de la rue, bien qu’il existe un Saint-Cirq dans les communes de France (Lapopie si c’est une fille). Je ne sais s’il consulte les voyantes, comme Mitterrand, je sais cependant que le président a demandé à un aréopage de hauts fonctionnaires de plancher et le tournant ne devrait pas être une surprise.

En témoigne l’audition de M. Jean Pisani-Ferry, ingénieur Supélec social-libéral et Commissaire général à la stratégie et à la prospective le 15 octobre 2013 au Sénat (son site). Ajoutons aussi l’habileté tactique politicienne de reprendre des revendications de l’UMP, vidant de son contenu son programme (si tant est qu’il existe : Copé n’est que réactif, il ne propose RIEN et ne fait travailler personne sur l’avenir). Bill Clinton comme Tony Blair et Angela Merkel ont repris à leur compte nombre de propositions de leur opposition et s’en sont électoralement bien portés. Si les actes suivent les discours (ce dont nous ne pouvons que douter pour l’instant tant les intérêts acquis des électeurs socialistes sont remis en cause), François Hollande risque d’être le prochain président en 2017…

francois hollande yeux

Voici le constat que Jean Pisani-Ferry expose aux sénateurs :

« Chacun connaît notre atout démographique : les générations dont le niveau d’éducation n’est pas élevé vont progressivement sortir de la population active au cours des prochaines années. Notre population active sera donc beaucoup mieux formée, au moment même où, dans une large mesure, celle des pays émergents le sera moins bien, pour des raisons de stocks et de générations.

« Nous disposons d’autres atouts considérables.

« Premièrement, nos infrastructures sont excellentes. Elles occupent le quatrième rang mondial.

« Deuxièmement, les entreprises françaises se caractérisent par leur force. Parmi les cent premières entreprises mondiales, huit sont françaises, neuf sont allemandes et quatre sont italiennes. Si l’intérêt de ces entreprises ne se confond pas avec celui du pays, nous pouvons quand même miser sur cet atout.

« Troisièmement, notre système de santé est parmi les meilleurs du monde. Il suffit, pour s’en convaincre, de se pencher sur les résultats des États-Unis, très médiocres au regard des montants dépensés.

« Cela dit, nous avons d’importants défis à relever.

« Nous devons d’abord identifier un défi relatif à ce que nous avons appelé « le modèle productif » – nous aurions aussi pu dire « la question de l’offre ». Ce défi tourne autour de la croissance, de l’emploi, de l’insertion dans la mondialisation. De longue date, la performance française en la matière n’est pas à la hauteur de nos capacités. Il suffit de regarder dans notre voisinage proche pour nous apercevoir qu’existe un risque d’asphyxie progressive de la croissance et du dynamisme. C’est ce qui s’est passé en Italie, avec toutes les conséquences que l’on peut imaginer du point de vue économique et social : le revenu par habitant est retombé à son niveau de 1997. L’Italie n’est pourtant pas un pays exotique…

« Nous sommes les premiers à reconnaître que la croissance n’est pas une finalité en soi. Nous n’avons pas la religion de la croissance. Néanmoins, sans potentiel de croissance, beaucoup de choses deviennent impossibles. En réalité, la bonne question à se poser n’est pas celle de la croissance, de son existence, de son niveau. Nous devons nous interroger sur nos finalités et nous demander en quoi la croissance peut être un instrument à leur service. Nous devons nous demander quelles qualités donner à la croissance et de quelle manière la concilier avec d’autres objectifs, notamment la préservation de l’environnement et la soutenabilité.

« Cela dit, la capacité à produire des gains de productivité demeure essentielle. Ce sujet recouvre plusieurs dimensions. Il revêt tout d’abord une dimension macro-économique, avec, notamment, la question de la rentabilité des entreprises du secteur exposé à la concurrence internationale.

« Il nous semble que l’on a trop souvent réduit la compétitivité à une simple question de relations capital-travail et de coût du travail. D’autres dimensions doivent être considérées, notamment toutes celles qui touchent aux relations entre, d’une part, les secteurs, les entreprises et les salariés exposés à la concurrence internationale et, d’autre part, le reste de l’économie, dont la capacité à assurer sa propre profitabilité et, dans certains cas, à bénéficier de rentes pèse aussi sur le secteur exposé.

« Pour notre part, nous nous interrogeons sur la démographie des entreprises, sur l’écosystème d’innovation, sur la taille du secteur exposé à la concurrence internationale et sur la manière de le faire grandir.

« On dit souvent que l’on va créer des emplois qui ne sont pas délocalisables. C’est compréhensible : il s’agit de protéger les emplois. Mais, dans le même temps, c’est oublier que nous sommes précisément confrontés au problème du trop faible nombre d’emplois délocalisables, lesquels sont producteurs d’exportations – quels que soient, du reste, les produits dont il s’agit. Or, par définition, de tels emplois sont soumis à la concurrence internationale et sont donc délocalisables. Une économie qui n’aurait plus d’emplois délocalisables n’exporterait plus rien !

« Si nous voulons refaire surface dans les échanges internationaux – nous y avons perdu pied en termes de parts de marché à l’exportation, de solde et d’endettement extérieurs –, nous devons faire en sorte que ce secteur exposé à la concurrence internationale grossisse de nouveau. Comment procéder ? S’agit-il seulement de le réindustrialiser, ou s’agit-il également d’étendre le champ de ce qui s’échange ? Nous sommes obligés de nous le demander ! En raison de la technologie, un certain nombre de secteurs qui, traditionnellement, n’étaient pas exposés à la concurrence internationale le deviennent de plus en plus. La question est de savoir si nous voulons y reprendre pied.

« La deuxième dimension est sociale. Sur ce plan, le constat que nous dressons est brutal. Notre pays, plus que d’autres, est très attaché à l’égalité, et il ne semble pas qu’il y ait de volonté collective de renoncer à cet attachement. Notre capacité à limiter l’augmentation des inégalités de revenus est relativement satisfaisante. Elle ne l’est pas complètement, mais elle est meilleure que dans d’autres pays. En revanche, du point de vue des inégalités d’accès au savoir, au logement, à l’emploi, notre performance n’est pas bonne. L’école, en particulier, échoue à corriger les inégalités d’origine sociale. Dans les comparaisons internationales, la France est l’un des pays de l’OCDE qui réalisent les plus mauvaises performances en la matière. La capacité de notre école à corriger ces inégalités a même, hélas ! reculé. Or de telles inégalités se perpétuent bien évidemment ensuite tout au long de la vie active. Je me réfère ici aux indicateurs de l’OCDE, aux enquêtes PISA, réalisées dans beaucoup de pays. Ces enquêtes ont souvent servi de révélateur de l’état du système scolaire et de sa capacité à produire ou non de la qualité et de l’égalité. C’est ce qui s’est passé chez nous.

« Dans ces conditions, nous nous interrogeons sur les moyens et les instruments à utiliser. Au fur et à mesure des difficultés rencontrées, des mutations de la société, de l’apparition de situations sociales difficiles, nous avons empilé les dispositifs et, d’une certaine manière, nous avons construit, sur un État de service public, un État bismarckien, puis un État beveridgien et, maintenant, un État d’investissement social. Or tout cela a représenté un coût élevé et n’a pas abouti à des performances particulièrement remarquables. Dès lors, ne faut-il pas, d’ici à dix ans – cet horizon le permet –, réfléchir à une approche mettant davantage l’accent sur l’investissement social, sur le préventif plutôt que sur le curatif, et, dans le même temps, aux instruments – fiscalité, transferts, etc. – qui doivent être le plus mobilisés dans la redistribution de nos revenus ?

« La troisième dimension est celle de la soutenabilité. Cette notion, traditionnellement utilisée dans le domaine environnemental, s’est progressivement invitée dans le domaine financier, s’agissant notamment des dettes publiques. Nous avons choisi de réunir ces deux aspects. En effet, si nous voulons apprécier la qualité de notre croissance et de son évolution sur une décennie, ne convient-il pas de considérer la société comme créatrice, d’une part, d’actifs – par ses investissements dans l’éducation, dans les entreprises, dans les équipements collectifs – et, d’autre part, de passifs – par son endettement ou la dégradation de l’environnement qu’elle lèguera à la génération suivante ? »

senat france dans 10 ans

Notons à la lecture que :

Cet exposé suinte l’idéologie : quand le Commissaire compare le système de santé français à l’américain (qui n’a strictement RIEN à voir), il est polémique ; une comparaison avec l’Allemagne, la Suisse ou le Royaume-Uni – pays européens proches – aurait été plus réaliste.

Il est revêtu d’un biais nettement économique, même si l’économie est le nerf de la guerre politique, les dimensions citoyenne, européenne et globale comptent. La « soutenabilité » à 10 ans est peut-être avant tout économique (produire plus, mieux, et avec moins de gaspillages publics), mais l’avenir au-delà de 10 ans se prépare aujourd’hui, dans une autre façon d’envisager la croissance, probablement.

Le couplet rapide sur « les atouts » français est du politiquement correct sans intérêt pratique. La démographie ne restera plus dynamique qu’ailleurs que pour des raisons précises : lesquelles ? les allocations familiales ? quid en ce cas de la fiscalité en cours de revue ? les crèches ? sur quelles dépenses locales vont porter les réductions ?

Le diagnostic implacable sur l’empilement des dispositifs devrait déboucher sur des propositions concrètes rapides. C’est là en effet que se situe la paperasserie bureaucratique, la viscosité décisionnelle, les obstacles sans nombre mis à l’initiative – sans que « le contrôle » soit à la hauteur (voir le traitement inepte du chômage, le scandale du Médiator, le cheval roumain et autres je-m’en-foutismes administratifs dont « personne » n’est jamais responsable).

Si le président Hollande a du mal à prendre une décision (même pour affaires personnelles semble-t-il), il fait travailler – comme son modèle Mitterrand – de nombreux think tanks de hauts fonctionnaires. Qui sont à examiner pour qui veut comprendre où il pourrait aller… à condition que les décisions suivent.

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Réel déclin économique français

Récemment, j’indiquais combien François Hollande était dans l’impasse :

  • Impasse dans laquelle il s’est mis lui-même, promettant la lune et n’offrant que son pâle reflet, la procrastination en plus. (Je mets le lien avec ce mot compliqué, pour les mal éduqués sortis de l’E.NAtionale).
  • Impasse due au grand écart entre le « socialisme à la française » (resté marxiste en économie, gauchiste dans les mœurs, étatiste en mentalité) – et les réalités du gouvernement d’une France complexe, diverse et ancrée à une Europe bien plus sociale-libérale.

Ce pourquoi Martine Aubry est plus populaire au PS que François Hollande : plus autoritaire, plus à gauche, plus dans la lignée 1981… Mais seuls 46% des Français ont une bonne opinion d’elle.

Ce qu’il faudrait faire – il ne le fait pas :

  • baisser de 15 à 20% les coûts des entreprises (notamment les cotisations sociales obligatoires et le maquis touffu des règlementations et paperasseries),
  • réduire les strates administratives de décision d’État
  • augmenter la productivité des fonctionnaires par une meilleure organisation et des salaires plus incitatifs
  • réformer la fiscalité – comme il l’avait promis.

Ce pourquoi la Commission européenne, après Standard & Poors, dit que la France n’a plus aucune marge de manœuvre. Trop compliqué, trop politiquement sensible, trop près d’une élection. Un peu de socialisme, un peu de réformettes, surtout des promesses de lendemains qui chantent, la ligne bleue 2017 et d’ici là s’efforcer de diviser la droite en attisant l’extrémisme frontiste par des provocations sur les mœurs ou les bananes et l’épouvantail du vote des étrangers, du retour des illégaux expulsés et l’entrée de la Turquie dans l’UE.

pression fiscale france comparee europe

Redisons-le froidement :

  • la croissance ne reviendra ni aussi vite ni aussi fort qu’avant, comme si de rien n’était, les 2% espérés, ce n’est probablement pas avant plusieurs années : la zone euro ne connaît qu’une reprise fragile en raison des difficultés bancaires, des budgets en déséquilibre, du désendettement du secteur privé, de la faiblesse du commerce mondial, de la fragmentation des marchés. Selon l’économiste de Natixis Patrick Artus, avec la tendance des gains de productivité français et les perspectives démographiques, « on parvient à une croissance potentielle comprise entre 0,7 et 1,0% par an selon l’hypothèse prise d’évolution du taux d’emploi. »
  • le déficit public ne sera pas résorbé en quelques années, même avec les deux ans de répit accordés par l’UE : la crise a abaissé le potentiel économique de la France et pour ramener le déficit structurel de 3,3% du PIB en 2013 à 0,5% du PIB en 2017 (pour respecter la Règle d’or), il faudrait le réduire de 0,7 point du PIB par an ; selon Patrick Artus, « si la pression fiscale par rapport au PIB à partir de 2013 reste stable, il faudra alors que les dépenses publiques baissent de 1,2% en valeur et de 5,3% en volume de 2013 à 2017. Un ajustement budgétaire très sévère reste donc à réaliser en France entre 2014 et 2017, bien plus sévère que celui qui a été annoncé. »

pole emploi bureaucratie kafka

  • le chômage ne risque pas de décroître en raison des multiples freins aux embauches et des coûts salariaux élevés : la France a une compétitivité-coût moindre, une profitabilité faible, une rentabilité du capital inférieure à ses voisins ; le défaut des entreprises augmente dans les loisirs, l’automobile, l’immobilier – l’investissement et l’emploi reculent. Quant à la bureaucratie de Pôle emploi, il faut ajouter Courteline à Kafka pour en avoir une faible idée !

salaire horaire industrie france comparee europe

  • les impôts (déjà les plus élevés d’Europe et jamais suffisants pour les besoins publics) tuent toute initiative, annihilent toute volonté, inhibent toute consommation : les entreprises fabriquant des produits peu différenciés souffrent des coûts salariaux plus élevés, les pigeons, les dindons, les Bretons, les poussins et même les cigognes (ces sages-femmes qui manifestent) se révoltent, les retraités dès la classe moyenne commencent à établir leur résidence principale à l’étranger (Maroc et Thaïlande notamment), les étudiants sont de plus en plus nombreux à aller se faire embaucher ailleurs.
  • les investisseurs étrangers l’ont compris, qui diminuent en moyenne leurs investissements en France depuis le début des années 2000 : la situation n’est en apparence pas plus mauvaise que celle de l’Allemagne ou des États-Unis et meilleure que celle de l’Italie – mais hors immobilier et finance, les investissements directs étrangers sont très faibles et en déclin ; ils ne représentent qu’1,1 milliard d’euros en 2013 pour l’industrie manufacturière.

investissements etrangers en france par secteurs

Que fait François Hollande pour corriger tout cela ? Rien, il attend. Il préfère le discours au terrain et se méfie de tous ceux qui créent des richesses (entreprises, professions « libérales » ou finance). D’où sa chute abyssale de popularité, même parmi ses électeurs, jamais vue jusqu’ici.

profits entreprises france comparee europe

Il croit ce qu’il espère – pas ce qu’il voit : « la croissance à 2% » pour bientôt. Il est malheureusement conforté par les œillères des journalistes dont quelques sondages ont révélé le tropisme à 74% « de gauche ». Écouter les seuls « économistes » invités par les journalistes sur les radios nationales, c’est entendre la voix des sirènes : louanges appuyées à la radicalité de gauche, congratulations mutuelles, sophismes et erreurs répétées en boucle (la faute à l’euro trop fort, aux excédents allemands, à la politique du dollar, aux méchants Chinois, aux Irlandais fiscalement habiles – et ainsi de suite).

François Hollande doit tuer le père – ou se suicider politiquement : laisser le socialisme façon Mitterrand ou renoncer à gouverner. Cruel dilemme, dans lequel cet éternel hésitant enclin à la gentille « synthèse » ne peut se résoudre. Il fait donc un peu le socialiste par des « réformes » de mœurs et de gros yeux aux « riches » – mais pas trop, car est « riche » en France qui dépasse la tranche à 14% de l’impôt sur le revenu, soit dans les 3000 € par mois pour une personne seule. Les prélèvements « sociaux » (passés de 13.5% à 15.5%) sont sur TOUS les revenus et touchent d’ailleurs TOUT le monde, même ceux qui ont un revenu annuel sous le seuil de pauvreté : la potion « socialiste » est, dans le réel, pire que celle de droite… Et cela ne se verrait pas dans les urnes ?

Ce pourquoi François Hollande à enfin réagi : ou plutôt son Premier ministre qui annonce que le gouvernement va « remettre à plat » toute la fiscalité française. Ce que je prônais comme seule marge de manœuvre politique possible dans ma dernière note sur l’impasse, citée plus haut. A croire qu’il a des conseillers avisés qui lisent ce blog – ou, plus modestement, que mon intuition politique rencontre l’air du temps. Mais, disons-le, se réjouir qu’un président mette en œuvre ses propres promesses électorales, c’est un comble ! Les paroles sont-elles des actes, comme il le dit si bien à Jérusalem pour l’antisémitisme ?

Hélas, non ! François Hollande vient de « recadrer » Jean-Marc Ayrault : la réforme fiscale se fera à l’horizon du quinquennat, pas tout de suite – autrement dit aux calendes grecques. Peut-on être aussi mauvais en communication ? François Hollande pense-t-il au désastre d’image que cette énième reculade et réticence a dans l’opinion ? Et sur les marchés à qui le gouvernement réclame des prêts chaque mois ? Est-il à la hauteur de sa fonction présidentielle, ou se contente-t-il d’en jouir ?

Autant de douloureuses questions pour la gauche mais surtout pour les Français.

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Pourquoi les banques sont en danger

Leur rôle traditionnel d’intermédiation entre épargne et investissement a été remis en cause par la dérégulation des années 1980-90. La désintermédiation qui a suivi a forcé les banques à chercher d’autres sources de rentabilité dans les métiers à risque sur les marchés financiers. La crise 2007-2011 force à nouveau les banques à se recentrer sur leur cœur de métier : l’intermédiation.

Le rôle traditionnel des banques

Le mot banque vient de l’italien Renaissance ‘banca’ qui signifiait le banc des changeurs de monnaie. La banque est donc un lieu où l’on dépose et où l’on échange. Pas forcément de l’argent, puisqu’on parle aussi de ‘banque du sang’ ou de ‘banque de données’. « La » banque est cependant l’entreprise qui fait commerce de l’argent. Elle collecte les dépôts de ses clients pour les prêter à d’autres clients. Ce faisant, elle est donc intermédiaire, de ‘medius’ : le milieu. La banque est au milieu, entre dépôts et crédits. Les établissements de crédit – les banques – jouent donc le rôle économique d’intermédiation entre Épargne disponible et Investissement.

L’épargne disponible est composée de tous les actifs liquides déposés en caisse : Comptes courants (comptes chèques), livrets d’épargne, PEL et CEL (qui restent liquides malgré le blocage exigé pour obtenir un prêt ou une prime), dépôts à terme, bons de caisse, etc.

L’investissement dépend des emprunts faits à la banque (crédits) pour acheter des biens de production lorsqu’on n’a pas la contrepartie immédiate en trésorerie. La banque peut prêter jusqu’à environ 6 fois son capital propre en engageant les dépôts qu’elle a sous sa garde. Ses ressources sont composées de : capital social et mises en réserves, capitaux mobilisables auprès de la Banque centrale par emprunt au taux directeur ou mises en pension de titres, emprunts à d’autres banques contre intérêt, recyclage des dépôts liquides de ses clients.

L’intermédiation permet le bénéfice de la banque, entreprise de services financiers. L’écart entre le coût des ressources (la rémunération de l’épargne ou le taux de refinancement des prêts) et le taux des crédits consentis, forme le principal du Produit net bancaire (PNB) – à ne pas confondre avec le Produit national brut. Le PNB bancaire est la valeur ajoutée de
l’entreprise banque.

Les dépôts comme les crédits sont fondés sur la confiance : confiance du déposant envers la banque qui « conserve » ses avoirs, confiance envers les emprunteurs pour qu’ils remboursent leurs crédits.

La désintermédiation des années 1990

La montée de l’individualisme, du à la compétition pour la meilleure rentabilité, engendre la défiance. D’où, depuis une vingtaine d’année, le processus de dérèglementation de l’économie financière. Ces exigences de rentabilité du capitalisme financier anglo-saxon ont conduit à la désintermédiation

Les banques sont lentes, procédurières et prennent des commissions. Le moyen de court-circuiter ce qui est considéré par certains comme du parasitisme ? Se passer des intermédiaires. Ce qui veut dire faire appel direct à l’épargne sans passer par les banquiers. C’est la désintermédiation où le lien devient direct entre emprunteur et épargnant via les marchés financiers. L’Épargne disponible rencontre l’Investissement sans intermédiaire. Les banques jouent encore un rôle, mais réduit à celui de consultant et conseiller. Elles assistent l’entreprise qui s’introduit en bourse (actions) ou émet des emprunts cotés (obligations, certificats de trésorerie). Pour cela elles touchent des commissions : de conseil, de placement, de prise ferme.

Cet essor de la désintermédiation a changé le modèle d’entreprise de la banque (business model).

Il a incité à prendre du risque sur les marchés financiers et favorisé des conflits d’intérêts entre clients : inciter à investir les clients épargnants dans certains produits financiers… par ailleurs émis pour des clients d’investissement.

Se sont ajoutées la dérégulation des années 1980 et les liquidités abondantes de « l’euphorie irrationnelle » qu’évoquait Alan Greenspan (Président de la Fed, Banque centrale des États-Unis) dès 1996. D’où le krach de 2007 du aux subprimes, l’affaire Kerviel à la Société générale (janvier 2008), la faillite de la banque américaine Lehman Brothers (septembre 2008), la fraude du trader de l’UBS à Londres (septembre 2011) et la faillite de MF Global aux États-Unis (novembre 2011)…

La banque, touchant moins d’intérêts sur les prêts aux investisseurs, se recycle dans la création de titres financiers (titrisation) et la vente de produits d’investissement (OPCVM, produits structurés, gestions alternatives, assurances de taux, subprimes). L’inventivité de la finance est aidée des modèles mathématiques d’évaluation des risques, des nouvelles technologies de l’information et de la communication qui informent en temps réel et induisent des comportements moutonniers, et des paradis fiscaux où les capitaux ne sont pas contrôlés. Ce pourquoi le risque s’est cumulé et que le rationnel dérape dans ce qu’on a pu appeler « le krach de la raison pure ».

Par la titrisation, la banque sort le prêt hypothécaire de son bilan et peut placer ainsi de nouveaux crédits, dans une course qui aboutit à une « bulle d’actifs ». Une bulle apparaît lorsqu’il y a un excès de demande sur un actif qui fait monter les prix artificiellement, au-delà de la raison économique (la valeur réelle d’usage). Une bulle éclate lorsque l’un des acteurs décide de ne plus jouer le jeu. Lorsqu’il vend, le comportement mimétique des autres précipite la chute des prix et les faillites de ceux qui se sont endettés pour acheter.

Le défaut de certaines banques a précipité la crise

La crise de liquidité (pertes sur les produits financiers) a entraîné une crise de solvabilité (personne ne veut plus prêter à personne) et une crise économique (ralentissement des prêts aux investisseurs par gel des crédits), voire des faillites bancaires conduisant à des nationalisations de banques (Islande, Irlande, Royaume-Uni), à une prise de participation de l’État (États-Unis) ou à des prêts pour passer le cap (France).

Les États se sont donc endettés pour aider les banques et des grosses entreprises, et pour assurer le financement des filets sociaux (chômage, santé, retraites). L’ampleur de leur dette par rapport à le PIB (produit intérieur brut = somme des valeurs ajoutées d’un pays) engendre une défiance accrue des prêteurs (les marchés) envers les emprunts des États. Ce qui se traduit par une hausse des taux pour emprunter, le prix du risque.

Retour au rôle traditionnel d’intermédiation

Les métiers de la banque sont divers : banque de détail avec ses services financiers spécialisés (crédit à la consommation, affacturage, bancassurance) et non financiers (immobilier, location de véhicules, de matériel informatique, etc.), banque d’entreprises ou de finance et d’investissement (BFI), banque privée dédiée à la gestion de fortune, banque d’affaires (fusions-acquisitions, introductions en bourse et marché primaire actions), capital-risque et capital-développement ou LBO (leverage buy-out), gestion d’actifs, OPCVM (ou mandats de gestion) et conservation des titres, activités directes sur les marchés financiers pour compte propre (trading).

Dans les banques intégrées, les synergies opèrent entre les domaines, la banque de détail apportant des clients à la banque privée, tandis que la banque d’entreprise génère des activités privées liées à la transmission et au patrimoine, et la banque de financement et d’investissement ouvre l’accès aux activités de marché. Ce pourquoi les banques d’Europe continentale, dites « universelles », ont mieux résisté à la crise que les banques anglo-saxonnes, spécialisées. La Société générale a failli sauter par le trading, d’autres ont succombé à l’attrait rentable des produits toxiques, mais les grands établissements ont conservé un équilibre de leur Produit net bancaire. Retour du client comme source première de bénéfice, au détriment des marchés financiers : les banques retrouvent leur rôle traditionnel d’intermédiation. Avec le temps, les bénéfices (plus faibles que sur les marchés financiers, mais plus réguliers), vont permettre d’augmenter les capitaux propres exigés par les accords de Bâle III (10.5% du risque prêteur provisionné).

Le rééquilibrage est enclenché, par exemple le Produit net bancaire de BNP-Paribas 2010 :

  • 56 % en réseaux bancaires et les métiers de financements spécialisés de la banque de détail (assurance, services d’investissement, gestion de fortune).
  • 27 % en Corporate & Investment Banking (CIB) dans les métiers de financement, conseil et marchés de capitaux.
  • 13 % en Investment solutions
  • 4 % en « autres activités », essentiellement la gestion des participations, immeubles de placement et créances souveraines des pays émergents.
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Bernard Simiot, Ces messieurs de Saint-Malo

Dédié à son fils Philippe, l’auteur entreprend la saga d’une famille de Malouins partie de rien pour s’anoblir par le commerce au loin. L’histoire s’étend sur cinq tomes, l’avant-dernier étant rédigé avec son fils, le dernier par lui tout seul après la mort du père.

Nous sommes à l’orée du capitalisme français, parti un siècle après l’anglais et le hollandais et deux siècles après le génois et le vénitien. Il faut dire que tout gravite autour de la cour et que Louis XIV, fonctionnaire absolu, méprise le commerce. Tout est politique au Grand siècle et il faut la guerre contre les pays protestants pour que le monarque consente à laisser faire ses sujets à la marge. C’est ainsi que s’ouvre la saga malouine, le 15 septembre 1664, par la création de la Compagnie des Indes. Il s’agit d’aller prospecter l’orient pour en ramener les épices, les porcelaines et les toiles peintes, monopole jusqu’ici des compagnies hollandaises et anglaises. Bien sûr, tout ce qui est d’État en France est géré selon prestige et clientélisme, sans aucun souci de rentabilité commerciale. La Compagnie est donc un gouffre à gogos, percluse de dettes, ses actions ne valent bientôt plus rien. Le roman, publié en 1983, ne pouvait pas manquer la référence à l’actualité mitterrandienne première manière, le faste vaniteux du G7 à Versailles en juin 1982, la dépense sans compter, les trois dévaluations du franc en 18 mois, l’incompétence des fonctionnaires d’affaires…

Mais ce qui importe est le premier pas politique : puisque le roi s’y intéresse, le commerce devient la mode. La vanité des courtisans pousse la noblesse à prendre des parts sans déroger à l’honneur. L’enrichissement des marchands pousse aussi le roi à reconnaître cette fortune qui lui permet la guerre et d’agir comme un grand de ce monde dans la géopolitique du temps. Voici donc les commerçants enrichis faits écuyers ou conviés à acheter des charges de nobles transmissibles aux héritiers. Une marchande de poissons sortis de l’eau (« maquereaux frais qui viennent d’arriver ! ») deviendra ainsi comtesse de Morzic, la comtesse en sabot, alias Clacla comme fait le son des petits pieds claquant sur le pavé.

L’histoire familiale commence avec Mathieu Carbec, ex-regrattier enrichi sous à sous dans le commerce de détail puis l’avitaillement des navires. Mais on ne fait pas fortune sans prendre de risques, l’épargne d’une vie ne suffit jamais à se pousser dans la société. Il y faut les opportunités, savoir les saisir au bon moment et les relations qui permettent la reconnaissance. Le capitalisme est l’aventure, pas le fonctionnariat comptable. Mathieu Carbec vient de perdre sa femme et ses deux aînés de la mort noire. Il ne lui reste qu’un fils, en nourrice à la campagne, Jean-Marie. C’est pour lui qu’il va tenter la fortune, base d’une dynastie. Jean-Marie franchit les étapes obligatoires de la roture à la noblesse, tant par sa hardiesse à saisir ce qui se présente que par ses soutiens familiaux et amicaux. L’auteur note combien les femmes sont avisées et de bon conseil dans la stratégie qui mène à la fortune.

Le gamin qui courait les flaques pieds nus pour ramasser les coquillages est dégrossi par les prêtres avant d’être envoyé comme mousse sur les bancs de Terre-Neuve. Il y apprend la mer, le bateau et les relations humaines, jusqu’à « ces violences dont on ne parle pas », dit pudiquement l’auteur. Il ajoutera bien plus loin : « à Terre-Neuve les marins manquent de femmes ». A son retour, il a 14 ans. L’adolescent est dépucelé par Clacla, sa cousine de dix ans plus âgée, qui l’a trouvée avec son copain Romain devant un bordel (elle dépucelle les deux tant qu’elle y est, pour leur éviter la vérole – avant d’épouser le père de l’un pour devenir bourgeoise, puis le père de l’autre pour accéder à la noblesse…). Les deux garçons sont envoyés deux ans au collège de marine avant de reprendre la mer. Romain, fils du chevalier Couesnon, deviendra officier rouge (sur les frégates du roi), tandis que Jean-Marie sera officier bleu (sur les navires marchands). L’un aura la morgue d’État mais l’autre la richesse capitaliste ; l’un finira dans l’honneur mais sans dynastie, l’autre assurera sa famille.

Le père de Jean-Marie prend des parts dans l’armement pour la morue, puis dans la guerre de course contre les navires marchands anglais et hollandais. Les piastres s’entassent dans sa cave. Il ne manque pas d’éviter de mettre toutes ses morues dans le même baril et participe toujours à l’avitaillement des navires en partance, qui est de bénéfice immédiat. Car le commerce comporte des risques : tempêtes, épidémies, arraisonnement par l’ennemi, révoltes aux îles… L’auteur montre bien la guerre psychologique en chaque être, comment combattent la prudence bourgeoise issue de la petite épargne péniblement acquise par un effort constant, et la décision capitaliste qui n’hésite pas à risquer pour emporter la fortune. Une découverte pour ces Français de la mer, restés très paysans au fond, attaché à la terre qui nourrit et anoblit.

Très bien écrit, d’une plume fluide qui se lit merveilleusement, ce premier roman de la saga a le dynamisme d’une épopée. Le lecteur s’attache au vigoureux Jean-Marie, au fantasque oncle Frédéric flanqué de son mainate Cacadou, à la vieille nourrice Rose dont on plaisante les tétasses mais qui sait vous mouler une crêpe à l’œuf comme personne, à Marie-Léone la petite filleule devenue femme, à Clacla cette maîtresse fille qui sait faire son chemin avec bon sens et générosité, au capitaine Le Coz sans qui la fortune n’aurait jamais osé, au chevalier de Couesnon bien revenu de la glèbe où l’hypocrisie de cour entretient les nobliaux… Voici un bon livre, à lire bien remparé dans sa demeure alors que les vents du dehors se déchaînent. Pour méditer sur le vrai capitalisme : celui qui ose.

Bernard Simiot, Ces messieurs de Saint-Malo, 1983, Albin Michel 2011, 570 pages, €21.75

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Réactionnaires

Article repris par Medium4You.

Qu’est-ce qu’être « réactionnaire » ? C’est celui qui réagit à une action ; en politique, celui qui est contre ce qui arrive et veut soit le rétablissement de ce qui était avant (conservatisme) soit l’établissement d’un idéal imaginé (gauchisme) ou d’un équilibre éternel (écologistes). La réaction est une action qui tend à provoquer l’effet contraire à celui qui l’occasionne. Sont donc réactionnaires tous ceux qui refusent le présent au nom d’un âge d’or, d’un ailleurs ou d’une « autre » politique.

Contrairement aux idées reçues, le terme de « réactionnaire » en politique n’est pas réservé aux conservateurs qui veulent retrouver un âge d’or (droite) ou protéger les zacquis (gauche) ; il est aussi applicable à ceux qui prônent le durable, autre nom de l’éternel. Cet âge de stabilité à (re)trouver peut être soit très ancien, soit plus récent.

  1. Ainsi, les contre-révolutionnaires n’ont jamais accepté la révolution libérale des Lumières en 1789 ; ils rêvent au retour du roi de droit divin, de la tradition établie, des féodaux.
  2. Certains écologistes remontent même plus loin, à l’époque néolithique où l’homme a cessé d’être chasseur-cueilleur respectueux de mère nature pour tenter de la maîtriser par l’élevage et la culture, bâtissant des villes pour y entasser les récoltes, créant l’État pour lever l’impôt et entreprendre de grands travaux pour dompter les fleuves, le vent, la matière.
  3. Les nostalgiques des Trente glorieuses rêvent de retrouver l’élan démographique, économique et moral des années de Gaulle, où le parti Communiste et la CGT allaient dans le même sens productiviste et progressiste.

Il y a donc des réactionnaires de droite, des réactionnaires écolos et des réactionnaires de gauche. Mais tous ont un point commun. Ils se ressemblent par leur itinéraire mental, toujours le même, obéissant à un schéma de causalité identique. La séquence commune est : refus du présent, sentiment de déclin, recherche d’un coupable, ressentiment anti-élites, désignation d’un bouc émissaire, rassemblement autour d’un État fort servi par un sauveur.

Extrême droite, extrême gauche et gauche écolo agissent de cette même façon. Toujours au nom du « peuple », bien sûr, à qui l’on inculque que célafôta et yaka. Selon cet archétype politique, peu importe le prétexte, le résultat sera le même. Inutile de prétexter qu’il y a « gauche » dans le titre, il s’agit là de pure idéologie, dont Marx, Nietzsche et Freud ont montré qu’elle n’est que le voile de bonne conscience sur les instincts refoulés.

Il suffit d’examiner point par point l’itinéraire de cet archétype.

1-      Refus du présent : il s’agit de montrer qu’aujourd’hui est pire qu’hier ou que l’équilibre abstrait (Dieu, l’Histoire ou Gaïa même combat). Pas difficile car rien ne va jamais comme on veut. C’est le sens du temps que de changer sans cesse. Le mouvement a deux sens, revenir à l’avant ou anticiper l’après – mais il s’agit, à droite comme à gauche, de quitter ce mouvement pour établir une éternité. De quitter l’histoire qui se fait pour fonder un équilibre perpétuel indépendant des hommes.

  1. L’extrême droite veut retrouver un âge d’or où la culture ne remettait pas en cause la nature, où tout était « naturel » : l’identité, l’état social, la hiérarchie du pouvoir, la croyance, les mœurs.
  2. L’extrême gauche veut retrouver une époque révolue en rétablissant ce qui était alors : État jacobin, politique industrielle, crédit largement nationalisé, franc géré par le gouvernement via la Banque de France, frontières, diplomatie armée indépendante dotée de la bombe nucléaire (en bref un capitalisme monopoliste d’État).
  3. La gauche écologiste veut un avenir sur le thème de l’équilibre, toujours hors de l’histoire, par un nouveau pacte écologique pour effacer l’humain des rythmes naturels et des ressources de la nature, en devenant « renouvelable » ou « durable ». Effacer l’homme des êtres prédateurs au nom d’un « équilibre » du vivant mythique.

2-      Sentiment de déclin : non seulement ça ne va pas, mais ça va de mal en pis. Vite, jetons le bébé avec l’eau du bain ! Pour les réactionnaires, de droite, de gauche ou écolos, il n’y a rien de bon à garder du présent. La nature se dégrade comme le climat, les ressources se raréfient et sont l’objet de compétition mondiale, la population nationale est envahie d’immigrés, l’économie s’effondre à cause des émergents et de la rentabilité marchande, la devise est laissée à un lobby de technocrates apatrides asservi au capital étranger, l’emploi se délite à cause des patrons avides qui vont produire ailleurs et déclarer des bénéfices où il y a le moins d’impôts, la diplomatie et l’éducation n’ont plus « les moyens », le français recule comme langue parlée dans le monde comme le bon français dans nos banlieues. Nous sommes en décadence, rien ne va plus, c’était mieux avant ; il n’y a plus de bons produits, plus de sécurité, plus de jeunesse, plus de morale…

3-      Recherche d’un coupable : il s’agit de démontrer la causalité diabolique, souvent assimilée au libéralisme économique, laisser faire et laisser passer. La différence entre les extrêmes, droite et gauche (avec les écolos), est que la première refuse tout laisser passer au nom de l’autorité réhabilitée contre le laxisme, alors que la seconde distingue soigneusement le laisser faire économique (c’est mal) et le laisser faire des mœurs (c’est bien). Il faut y voir un écart de clientèle, les bobos sont des bourgeois acquis à la gauche qu’il s’agit de garder alors que leur pente naturelle, fonction de leur position sociale et de leur statut de richesse, les mènerait volontiers au conservatisme (si je suis heureux dans la société telle qu’elle est, pourquoi vouloir qu’elle change ?). Or le mouvement historique montre l’affinité des libertés : de la liberté d’expression à celle de voter, de la liberté de faire à celle d’être. La liberté réclame la liberté, voyez l’Iran, la Chine, l’Égypte de Moubarak… Le coupable une fois désigné, pourquoi ne se passe-t-il rien ? Parce qu’il y a Complot, évidemment ! Complot planétaire, fomenté par tous ceux qui ont intérêt à préserver leur pouvoir financier, social et moral et qui empêchent « le peuple » de réaliser ce qu’il veut.

4-      Ressentiment anti élite : qui a donc intérêt à préserver ce qui est ? Ceux qui ont actuellement le pouvoir, les élites sociales, politiques, énarques et grandes écoles, des affaires. Elles sont mondialisées, libérales, riches, urbaines, bourgeoises, parlementaires, attirées par les États-Unis et à l’aise en anglais. Vous avez là tous les ingrédients de ce « qu’il faut » haïr : la société du contrat au profit du retour à la société patriarcale, la culture de la négociation au profit de celle de l’autorité imposée, la société ouverte au profit du protectionnisme et du corporatisme, la population multiculturelle au profit de la xénophobie, le bon français et la loi française contre la presse poubelle et l’instruction à l’américaine (déferlement de franchouillardise sur l’affaire DSK), la campagne contre la ville, le terroir contre l’Europe technocrate, le jacobinisme contre les organisations internationales, le nationalisme contre le cosmopolitisme, la pureté ethnique contre le mélange métèque…

5-      Bouc émissaire : il est tout trouvé, il s’agit du capitalisme libéral anglo-saxon mené par l’Amérique selon l’éternel Complot financier qui dépossède chacun de sa terre, de ses origines, de ses pratiques ancestrales ppour tout rendre négociable et marchand. Un classique qui touche l’extrême droite comme l’extrême gauche et les écologistes, malgré les euphémismes et les dénis. Il s’agit de remettre en cause tout le mouvement de libération de l’individu depuis les démocrates Grecs jusqu’à la révolution des mœurs de mai 1968, en passant par la Renaissance (lire les classiques païens au-delà de la Bible) et les Lumières (esprit critique, égalité en droit et dignité, sortie par l’éducation des obscurantismes et contraintes). Cela au profit du collectif qui commande et exige le fusionnel. Tous les droits au collectif, aucun droit à l’individu : telle est la vulgate de ceux qui savent mieux que vous ce qui est bon pour vous. Evidemment, le collectif, c’est eux : le parti, l’avant-garde, les spécialistes autoproclamés, la technocratie d’Etat…

L’intérêt de désigner un bouc émissaire est que le ressentiment individuel peut prendre une forme physique collective manipulée et canalisée : la violence de « la rue » est orientée vers des ennemis clairement désignés. Tous ceux qui ne sont pas avec vous sont contre vous : c’est simple à comprendre ! Tu discutes ? Tu es donc l’ennemi, le Diable, le sous-humain, le malade. J’ai le droit moral de te haïr, le droit juridique de t’accuser de n’importe quoi, le droit médical de te faire soigner malgré toi dans des camps spécialisés de rééducation, le droit physique de te taper dessus (et plus si crise politique comme sous Hitler, Staline, Castro, Pol Pot ou Milosevic).

6-      Rassemblement autour d’un État fort servi par un sauveur : à cette anarchie apparente des intérêts particuliers qui semble faire de la société une jungle, le remède refuge est l’État national et social. Il s’agit de la nostalgie de la monarchie, état « organique » où tout le monde est à sa place selon l’ordre divin ou « naturel », ou de l’Etat « intrument de la lutte des classes » pour retrouver l’équilibre de la société d’avant les classes, l’état définitif de la fin de l’Histoire, ou encore de l’empeinte humaine minimum dans l’état de Nature. C’est une constante des programmes de gauche comme de droite extrêmes que ce social nationalisme (ou national socialisme) dans un seul pays. Repli sur soi, sur ses origines, ses traditions, son « modèle social », ses frontières. Contre l’étranger, les traités négociés, les classes privilégiées, les lobbies, vive le peuple sain, rural et premier ! Local contre global : la terre seule ne ment pas, bon sang ne saurait mentir, vox populi vox dei.

  1. Pourquoi l’État ? Parce qu’il est réputé au-dessus des classes et des partis, des intérêts personnels – même s’il est manipulé par une caste étroite au nom du « peuple ». Parce que seules les frontières définissent le domaine d’intervention d’un État.
  2. Pourquoi un sauveur ? Parce que nul groupe ne peut seul être le maître en démocratie, enclin plutôt à négocier, à faire de la petite « politique ». « Yaka imposer car célafôta l’élite établie », est le slogan populiste.
  3. Pourquoi populiste ? Parce que le populaire est toujours en retard d’une génération sur les mœurs – depuis tous temps. Resté autoritaire malgré 1968, patriarcal machiste malgré le droit de vote de 1945 et l’égalité dans le mariage 1975, partisan des solutions de force malgré l’éducation (nationale).

Toute époque de crise engendre ressentiment social et repli sur soi, crispation et intolérance. Malgré l’écart affiché des idéologies, le schéma de réponse politique est le même : il s’agit d’arrêter le temps, de trouver l’équilibre qui rendra immobile le système. Il s’agit là d’un rituel archétypal où peu importent les prétextes – de gauche, de droite ou écolo : l’avenir espéré est résolument réactionnaire.

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