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Édouard Philippe, Des lieux qui disent

Un mauvais titre pour un assez bon livre. Un titre trop technocrate, dans le prolongement Des hommes qui lisent, publié en 2017 et que je n’ai pas lu. Édouard Philippe y parlait des livres qui l’ont construit, tandis qu’il parle ici des lieux qui lui donnent un lien intime et politique avec la France : l’école Michelet, le port du Havre, Notre-Dame, le monastère de la Verne, l’hôpital Charles Nicolle, le Palais Royal. Pourquoi un mauvais titre ? Parce qu’il est à la forme passive, comme résignée, dans la ligne des « soignants, sachants, enfeignants, gouvernants et autres gnangnans… » Des lieux « qui disent » comme s’ils pouvaient parler, affirmant en quelque sorte une fatalité, une raison des choses. Comme si ces pseudo-raisons existaient…

Alors que c’est plutôt la volonté politique que promeut l’ancien premier ministre et probable candidat à une future présidentielle, avec son parti Horizon. Un « combat », écrit-il, sous trois formes : pour la survie de la démocratie libérale, parlementaire, de l’État de droit et de l’économie de marché ; pour répondre à l’urgence climatique par-delà les slogans et les yakas, dont le danger serait « d’interdire » plutôt que de faire évoluer ; pour une France puissance dans l’Europe.

Cinq thèmes pour exposer ce combat : apprendre (l’école), aménager (les infrastructures industrielles et de transport pour relier), soigner (les problèmes de l’hôpital et de la médecine libérale), juger (du Conseil d’État dont Philippe est membre au tribunaux locaux, à la politisation de l’École de la magistrature et à l’entre-soi du corps érigé en forteresse par méfiance envers tous), espérer (sinon par la foi religieuse, du moins par la promotion d’une foi républicaine des Lumières, laïque et désireuse de progrès). L’ordre des priorités est probablement choisi ainsi – car on ne peut tout faire, tout réformer, tout rebâtir d’un seul coup en quelques années. Sauf que rien ne peut réussir sans la foi en sa mission, et que le dernier chapitre est peut-être à placer en premier.

Mais l’ex-chef de gouvernement candidat aux affaires est un homme prudent, élevé dans un milieu de profs qui savent ce que veut dire négocier avec une classe hétérogène, des parents d’élèves exigeants et irascibles, une administration lourde et lente qui ne veut pas de vagues. Édouard Philippe écrit avec la plume sur des œufs, sans cesse à nuancer, à excuser, à rendre hommage avant d’avancer une – toute petite – critique. Les chapitres sont écrits sur le même plan : un souvenir personnel, un peu d’histoire du sujet, des chiffres actualisés, quelques citations littéraires – et un constat d’évidence qui appelle des solutions raisonnables d’évidence… sur le long terme.

Rien de révolutionnaire ni de neuf mais, pour le candidat qui se présente comme « un bon généraliste » p.178, mais l’appel à donner des libertés et à favoriser l’initiative locale décentralisée pour s’adapter au terrain et aux problèmes (le contraire d’Emmanuel Macron qui veut tout centraliser à l’Élysée, peut-on lire en filigrane). Et l’affirmation tranquille du réformisme à poursuivre (comme Emmanuel Macron mais avec une méthode différente, peut-on toujours lire entre les lignes). Et, bien-sûr, il existe ce réformisme ! depuis des années en France, sous plusieurs gouvernements de bords différents, ce qu’on dit par convention impossible aux Gaulois réfractaires. Preuves à l’appui.

Sa méthode ? Le « sérieux » – contrairement aux bouffons des va-Nupes qui font le clown à l’Assemblée au lieu de débattre des vrais problèmes, des écolos opposés sur tout (et même entre eux) au lieu de se préoccuper de l’intérêt général et des compromis nécessaires à toute action politique concrète, des excités populistes du yaka pour qui tout est simple. « Toute ma vie m’a conduit à dire et à penser qu’il était possible de changer les choses pour autant que la démocratie soit prise au sérieux et que nos institutions soient respectées. (…) Le sérieux, c’est l’idée simple qui veut qu’en maîtrisant complètement les règles du jeu, en les appliquant avec constance et cohérence, sans jamais chercher à biaiser avec elle mais en comprenant ce qu’elles permettent, il soit possible de réussir » p.295. Autrement dit un président qui préside et un premier ministre qui gouverne – selon la Constitution – pas un mélange des genres. Un style en peu lourd pour affirmer une conviction que le travail sur les choses et avec les gens permet seul d’analyser les problèmes et de trouver des solutions. Telle est son « ancre », « à la fois symbole de la maîtrise de son destin et de l’aspiration à l’aventure » p.77.

Avec deux références adolescentes : Mendès-France et Blum. Sur le premier, « L’exigence morale le courage intellectuel la rigueur politique du juriste engagé en politique » p.182 ; sur le second, « Un charme supplémentaire : la silhouette d’un dandy critique d’art virgule la figure d’un haut fonctionnaire brillant et inventif, (…) le dreyfusard convaincu et combattant, l’écrivain que j’admirais (…). Et puis il y avait l’homme politique virgule au caractère trempé mais jamais dénué de doute, qui marque l’histoire » p.183. Des modèles à suivre.

Un constat lucide, qui ne se veut pas désabusé, des maux qui traversent la société française :

  • « Qui pourrait dire aujourd’hui que l’école en France forme de bons républicains  ? qui sait encore ce que cela peut vouloir dire  ? » p.28.
  • « L’effort de redressement de la Nation [Philippe y met une majuscule] passe par des incarnations physiques, et les grands travaux d’infrastructures, parce qu’ils reposent sur l’idée de l’intérêt général, du long terme et d’une certaine forme de grandeur, incarnent cette volonté » p.101.
  • « Nombre de médecins. Ils sont en 2023 environ 226 000. En 2000, ils étaient 200 000 ; en 1980 environ 100 000. (…) Qui rappelle qu’entre 1980 et 2023, le nombre de médecins a augmenté de 120% ? » p. 137. Il n’en manque pas, ils sont seulement mal répartis et, comme nombre de profs ne sont pas devant des classes, nombre de médecins jouent les fonctionnaires dans les instances.
  • « La plus grande fragilité de notre pays face à l’obscurantisme intellectuel et la violente remise en cause de nos principes ne tient pas aux dispositions législatives qui reconnaissent la liberté de pensée et de culte ni à celles qui imposent à l’état une neutralité complète. C’est l’absence de perspective de notre société, l’indigence de notre stratégie nationale, la faiblesse idéologique actuelle de notre modèle républicain qu’il faut à la fois déplorer et craindre, car elle laisse la place aux prédicateurs d’un autre modèle de société » p.266.

Quelques pages sur ses maladies – pas graves ni contagieuses – le vitiligo (p.170) qui lui blanchit la barbe et l’alopécie (p.172) qui lui ôte cheveux et sourcils. Tout cela change son apparence et, comme il est un homme public soumis au regard scrutateur des citoyens et des médias comme des autres politiciens, il veut s’en expliquer.

Au total un livre étape pour se présenter en tant qu’homme et citoyen, pour se définir comme politicien réformiste engagé au service du pays. Facile à lire, parfois un peu fastidieux comme un rapport d’énarque, mais avec quelques moments d’émotion sur Notre-Dame qui brûle ou le sens de la prière dans un monastère à 14 ans, lui qui s’est éloigné de la foi religieuse. Un intéressant constat argumenté sur les principaux problèmes dont nous abreuvent les médias (école, transports, justice, hôpital, islamisme) sans toujours approfondir.

Édouard Philippe, Des lieux qui disent, 2023, JC Lattès, 313 pages, €21,90 e-book Kindle €15,99

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Innovation et emploi

L’innovation, c’est « bien » ; le chômage, c’est « mal » – telle est l’impasse morale dans laquelle s’enferment les pseudo-économistes. Car l’innovation tue d’abord l’emploi avant d’en recréer, c’est que qu’un vrai économiste nommé Joseph Aloïs Schumpeter, né en Autriche, a rondement démontré.

Notre époque sans histoire croit que l’innovation vient de l’informatique. Ce n’est pas vrai, l’essor de l’informatique aide à l’innovation mais n’en est pas le cœur. Le numérique aide plutôt à être encore plus efficace, encore plus productif, encore plus direct dans les circuits qui vont du producteur au consommateur : l’informatisation détruit des emplois plus qu’elle n’en crée. Voyez Uber contre les taxis, Air B&B contre les hôtels, Amazon contre les librairies de base, Leboncoin contre les bazars, et ainsi de suite.

L’innovation de notre époque a lieu surtout dans les matériaux, l’énergie, la génétique, la biologie moléculaire, les nanotechnologies. La voiture sans chauffeur n’est pas une véritable innovation mais une dérive de la technique ; en revanche, la voiture électrique ou le moteur à hydrogène sont de véritables innovations : ils n’existaient pas avant.

La révolution que nous vivons n’est pas informatique, mais algorithmique. C’est moins la numérisation qui compte que le processus logiciel qui décompose les opérations et fait se suivre les opérations logiquement. Il s’agit donc d’organisation plus que de puissance de calcul, un principe d’efficacité plus qu’un principe de force. Ce pourquoi l’informatique n’est pas la panacée, mais l’organisation logicielle si.

C’est à confondre les deux que nombre d’entreprises investissent pour pas grand-chose, remplaçant seulement la paperasserie par la mêlerie, réclamer des documents ou des renseignements aux autres par mail étant tellement plus facile que d’aller chercher soi-même. Elles confondent donc le réseau (qui aide) et l’art de multiplier les obstacles (qui englue). L’Administration française (avec un grand A) est spécialiste de cette dérive, qui n’est que la traduction rond-de-cuir du numérique (et allez ! un extrait de casier judiciaire n°3 tous les 2 mois, puisque c’est si facile via Internet…).

pluie

L’inflation des normes et des pseudo-contrôles conforte la machine bureaucratique… en évitant les vrais contrôles, qui sont moins paperassiers qu’humains : le Médiator, après le sang contaminé et la vache folle sont trop d’exemples de ces faux contrôles opérés par des bureaux irresponsables qui croient avoir fait le boulot quand ils ont paperassé. C’est la même chose pour la viande de cheval roumain dans une certaine entreprise française, ou pour cet abattoir du sud-ouest dit aux normes de qualité « bio » qui torture les bêtes par carence du contrôle vétérinaire. Ces règles empilées sans ordre et ces contrôles forcément mal faits (à cause de ce fouillis désordonné) n’aident pas l’emploi, au contraire ! Parlez-en aux agriculteurs, de ces normes « écolos » encore plus écolos que ce que réclament les Directives européennes ! Non, tout n’est pas de la faute de Bruxelles.

L’innovation, c’est quand même autre chose. Elle contraint les entreprises à agir en réseau, les fournisseurs et sous-traitants coopérant pour un même produit. Airbus conçoit aujourd’hui peut-être 20% des composants de ses avions, alors que les avionneurs en concevaient près de 100% il y a 50 ans. Chacun se spécialise dans ce qu’il sait le mieux produire et les cahiers des charges incitent à améliorer les produits. L’innovation est une synthèse, pas une suite séparée de choses assemblées.

Les choix techniques, les choix d’esthétique du produit, les choix commerciaux pour répondre aux besoins des clients sont de l’innovation en grappe. Les entreprises n’innovent pas parce que la technique existe, mais parce qu’il existe un besoin, plus ou moins diffus dans le public. Ainsi Sony a-t-il inventé le baladeur parce que la fille du PDG en avait émis le désir. Ainsi Apple a-t-il créé un beau Smartphone, même si Samsung est peut-être techniquement meilleur. Ainsi Airbus développe l’A350 parce qu’il s’agit d’une gamme demandée – et pas le successeur supersonique du Concorde, trop polluant, trop bruyant et trop peu adapté à la clientèle. Ce sont ces innovations qui créent de l’emploi, et pas l’informatisation des tâches bureaucratiques.

Tout va plus vite parce que le monde presque entier émerge, et plus seulement l’Europe et l’Amérique du nord, même si les pays arabes ont encore du mal. Le cap des 15 millions de chercheurs dans le monde vient d’être franchi et il s’en ajoute en gros 1 million par an ! Quatre fois plus de brevets sont déposés cette année qu’il y a seulement sept ans. Même si tous les brevets ne vont pas créer des innovations commercialisables, le vivier est plus vaste et l’État, qui en France aime à se mêler de tout, pourrait utilement aider la recherche fondamentale plutôt qu’aider la bureaucratie envahissante.

S’il a fini (avec trois ans de retard) à créer le Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), il cible indifféremment toutes les entreprises qui emploient des salariés – c’est donc La Poste qui en bénéficie le plus, entreprise à la pointe de l’innovation, comme chacun sait… S’il déclare vouloir « inverser la courbe du chômage », il taxe à tour de bras les salaires (autant de pouvoir d’achat en moins !), comme en témoigne le portail Vie-publique.fr : « la France est l’un des pays industrialisés où la part dans le PIB des cotisations sociales versées aux administrations publiques est la plus élevée (18,8% en 2011 selon les chiffres établis par l’OCDE, qui diffèrent légèrement de ceux calculés par l’INSEE, contre 16,9% pour l’Allemagne, 8,4% pour le Royaume-Uni et 6,2% pour les États-Unis) ».

C’est plus le tracassin réglementaire et la fiscalité qui valse à chaque majorité qui incitent les multinationales françaises à investir ailleurs qu’en France. Quant aux impôts, elles les payent dans chaque pays, comme le montre de façon assez neutre pour une fois la fiche Wikipedia : « Le cas du groupe Total est intéressant : son taux d’imposition est de 85 % au Nigeria et de 78 % en Norvège, d’où un taux moyen élevé : 67 % ; en France, où ses activités sont déficitaires, il n’a pas payé d’impôts depuis trois ans, mais les efforts engagés sur le raffinage ainsi qu’une meilleure conjoncture lui permettent d’envisager un retour aux bénéfices, et donc le paiement de l’IS, au titre de 2015 ».

L’aide à l’investissement fait partie de la politique de l’offre, qui a été délaissée ci cruellement en France depuis Mitterrand. Distribuer du pouvoir d’achat serait profitable à l’emploi si (et seulement si) l’offre de biens et services en France était à la hauteur. Or toute augmentation des salaires se traduit immédiatement par une augmentation des importations : les entreprises française ne produisent pas vraiment ce que les gens désirent acheter, leurs produits sont trop moyenne gamme, trop chers. La seule politique de la demande indispensable porte moins sur les salaires que sur le chômage : le réduire créerait plus de pouvoir d’achat sans diminuer la productivité du travail. Mais qui cela intéresse-t-il en France, l’emploi ? Fonctionnaires, syndicats et CDI s’entendent pour que tout reste en l’état, surtout préserver les Zacquis !

L’État devrait développer la recherche publique, les infrastructures de transport et de communication, revoir l’éducation dès le primaire et débloquer enfin la formation des adultes – au lieu de taxer tant et plus pour tout et presque rien, de multiplier les normes en faisant une loi à chaque événement, de proférer rituellement des incantations sur la courbe du chômage – et de paperasser au détriment des vrais contrôles sanitaires et sociaux !

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La stratégie Hollande

Comme Mitterrand, son modèle, Hollande a changé officiellement de cap politique 18 mois après avoir été élu sur le rejet de son prédécesseur ; la « rigueur » mitterrandienne est devenue « pacte » avec les entreprises. Comme Mitterrand rue Mazarine, Hollande a aussi fauté dans la discrétion rue du Cirque – souhaitons que le fruit éventuel de ces amours ne porte pas le prénom de la rue, bien qu’il existe un Saint-Cirq dans les communes de France (Lapopie si c’est une fille). Je ne sais s’il consulte les voyantes, comme Mitterrand, je sais cependant que le président a demandé à un aréopage de hauts fonctionnaires de plancher et le tournant ne devrait pas être une surprise.

En témoigne l’audition de M. Jean Pisani-Ferry, ingénieur Supélec social-libéral et Commissaire général à la stratégie et à la prospective le 15 octobre 2013 au Sénat (son site). Ajoutons aussi l’habileté tactique politicienne de reprendre des revendications de l’UMP, vidant de son contenu son programme (si tant est qu’il existe : Copé n’est que réactif, il ne propose RIEN et ne fait travailler personne sur l’avenir). Bill Clinton comme Tony Blair et Angela Merkel ont repris à leur compte nombre de propositions de leur opposition et s’en sont électoralement bien portés. Si les actes suivent les discours (ce dont nous ne pouvons que douter pour l’instant tant les intérêts acquis des électeurs socialistes sont remis en cause), François Hollande risque d’être le prochain président en 2017…

francois hollande yeux

Voici le constat que Jean Pisani-Ferry expose aux sénateurs :

« Chacun connaît notre atout démographique : les générations dont le niveau d’éducation n’est pas élevé vont progressivement sortir de la population active au cours des prochaines années. Notre population active sera donc beaucoup mieux formée, au moment même où, dans une large mesure, celle des pays émergents le sera moins bien, pour des raisons de stocks et de générations.

« Nous disposons d’autres atouts considérables.

« Premièrement, nos infrastructures sont excellentes. Elles occupent le quatrième rang mondial.

« Deuxièmement, les entreprises françaises se caractérisent par leur force. Parmi les cent premières entreprises mondiales, huit sont françaises, neuf sont allemandes et quatre sont italiennes. Si l’intérêt de ces entreprises ne se confond pas avec celui du pays, nous pouvons quand même miser sur cet atout.

« Troisièmement, notre système de santé est parmi les meilleurs du monde. Il suffit, pour s’en convaincre, de se pencher sur les résultats des États-Unis, très médiocres au regard des montants dépensés.

« Cela dit, nous avons d’importants défis à relever.

« Nous devons d’abord identifier un défi relatif à ce que nous avons appelé « le modèle productif » – nous aurions aussi pu dire « la question de l’offre ». Ce défi tourne autour de la croissance, de l’emploi, de l’insertion dans la mondialisation. De longue date, la performance française en la matière n’est pas à la hauteur de nos capacités. Il suffit de regarder dans notre voisinage proche pour nous apercevoir qu’existe un risque d’asphyxie progressive de la croissance et du dynamisme. C’est ce qui s’est passé en Italie, avec toutes les conséquences que l’on peut imaginer du point de vue économique et social : le revenu par habitant est retombé à son niveau de 1997. L’Italie n’est pourtant pas un pays exotique…

« Nous sommes les premiers à reconnaître que la croissance n’est pas une finalité en soi. Nous n’avons pas la religion de la croissance. Néanmoins, sans potentiel de croissance, beaucoup de choses deviennent impossibles. En réalité, la bonne question à se poser n’est pas celle de la croissance, de son existence, de son niveau. Nous devons nous interroger sur nos finalités et nous demander en quoi la croissance peut être un instrument à leur service. Nous devons nous demander quelles qualités donner à la croissance et de quelle manière la concilier avec d’autres objectifs, notamment la préservation de l’environnement et la soutenabilité.

« Cela dit, la capacité à produire des gains de productivité demeure essentielle. Ce sujet recouvre plusieurs dimensions. Il revêt tout d’abord une dimension macro-économique, avec, notamment, la question de la rentabilité des entreprises du secteur exposé à la concurrence internationale.

« Il nous semble que l’on a trop souvent réduit la compétitivité à une simple question de relations capital-travail et de coût du travail. D’autres dimensions doivent être considérées, notamment toutes celles qui touchent aux relations entre, d’une part, les secteurs, les entreprises et les salariés exposés à la concurrence internationale et, d’autre part, le reste de l’économie, dont la capacité à assurer sa propre profitabilité et, dans certains cas, à bénéficier de rentes pèse aussi sur le secteur exposé.

« Pour notre part, nous nous interrogeons sur la démographie des entreprises, sur l’écosystème d’innovation, sur la taille du secteur exposé à la concurrence internationale et sur la manière de le faire grandir.

« On dit souvent que l’on va créer des emplois qui ne sont pas délocalisables. C’est compréhensible : il s’agit de protéger les emplois. Mais, dans le même temps, c’est oublier que nous sommes précisément confrontés au problème du trop faible nombre d’emplois délocalisables, lesquels sont producteurs d’exportations – quels que soient, du reste, les produits dont il s’agit. Or, par définition, de tels emplois sont soumis à la concurrence internationale et sont donc délocalisables. Une économie qui n’aurait plus d’emplois délocalisables n’exporterait plus rien !

« Si nous voulons refaire surface dans les échanges internationaux – nous y avons perdu pied en termes de parts de marché à l’exportation, de solde et d’endettement extérieurs –, nous devons faire en sorte que ce secteur exposé à la concurrence internationale grossisse de nouveau. Comment procéder ? S’agit-il seulement de le réindustrialiser, ou s’agit-il également d’étendre le champ de ce qui s’échange ? Nous sommes obligés de nous le demander ! En raison de la technologie, un certain nombre de secteurs qui, traditionnellement, n’étaient pas exposés à la concurrence internationale le deviennent de plus en plus. La question est de savoir si nous voulons y reprendre pied.

« La deuxième dimension est sociale. Sur ce plan, le constat que nous dressons est brutal. Notre pays, plus que d’autres, est très attaché à l’égalité, et il ne semble pas qu’il y ait de volonté collective de renoncer à cet attachement. Notre capacité à limiter l’augmentation des inégalités de revenus est relativement satisfaisante. Elle ne l’est pas complètement, mais elle est meilleure que dans d’autres pays. En revanche, du point de vue des inégalités d’accès au savoir, au logement, à l’emploi, notre performance n’est pas bonne. L’école, en particulier, échoue à corriger les inégalités d’origine sociale. Dans les comparaisons internationales, la France est l’un des pays de l’OCDE qui réalisent les plus mauvaises performances en la matière. La capacité de notre école à corriger ces inégalités a même, hélas ! reculé. Or de telles inégalités se perpétuent bien évidemment ensuite tout au long de la vie active. Je me réfère ici aux indicateurs de l’OCDE, aux enquêtes PISA, réalisées dans beaucoup de pays. Ces enquêtes ont souvent servi de révélateur de l’état du système scolaire et de sa capacité à produire ou non de la qualité et de l’égalité. C’est ce qui s’est passé chez nous.

« Dans ces conditions, nous nous interrogeons sur les moyens et les instruments à utiliser. Au fur et à mesure des difficultés rencontrées, des mutations de la société, de l’apparition de situations sociales difficiles, nous avons empilé les dispositifs et, d’une certaine manière, nous avons construit, sur un État de service public, un État bismarckien, puis un État beveridgien et, maintenant, un État d’investissement social. Or tout cela a représenté un coût élevé et n’a pas abouti à des performances particulièrement remarquables. Dès lors, ne faut-il pas, d’ici à dix ans – cet horizon le permet –, réfléchir à une approche mettant davantage l’accent sur l’investissement social, sur le préventif plutôt que sur le curatif, et, dans le même temps, aux instruments – fiscalité, transferts, etc. – qui doivent être le plus mobilisés dans la redistribution de nos revenus ?

« La troisième dimension est celle de la soutenabilité. Cette notion, traditionnellement utilisée dans le domaine environnemental, s’est progressivement invitée dans le domaine financier, s’agissant notamment des dettes publiques. Nous avons choisi de réunir ces deux aspects. En effet, si nous voulons apprécier la qualité de notre croissance et de son évolution sur une décennie, ne convient-il pas de considérer la société comme créatrice, d’une part, d’actifs – par ses investissements dans l’éducation, dans les entreprises, dans les équipements collectifs – et, d’autre part, de passifs – par son endettement ou la dégradation de l’environnement qu’elle lèguera à la génération suivante ? »

senat france dans 10 ans

Notons à la lecture que :

Cet exposé suinte l’idéologie : quand le Commissaire compare le système de santé français à l’américain (qui n’a strictement RIEN à voir), il est polémique ; une comparaison avec l’Allemagne, la Suisse ou le Royaume-Uni – pays européens proches – aurait été plus réaliste.

Il est revêtu d’un biais nettement économique, même si l’économie est le nerf de la guerre politique, les dimensions citoyenne, européenne et globale comptent. La « soutenabilité » à 10 ans est peut-être avant tout économique (produire plus, mieux, et avec moins de gaspillages publics), mais l’avenir au-delà de 10 ans se prépare aujourd’hui, dans une autre façon d’envisager la croissance, probablement.

Le couplet rapide sur « les atouts » français est du politiquement correct sans intérêt pratique. La démographie ne restera plus dynamique qu’ailleurs que pour des raisons précises : lesquelles ? les allocations familiales ? quid en ce cas de la fiscalité en cours de revue ? les crèches ? sur quelles dépenses locales vont porter les réductions ?

Le diagnostic implacable sur l’empilement des dispositifs devrait déboucher sur des propositions concrètes rapides. C’est là en effet que se situe la paperasserie bureaucratique, la viscosité décisionnelle, les obstacles sans nombre mis à l’initiative – sans que « le contrôle » soit à la hauteur (voir le traitement inepte du chômage, le scandale du Médiator, le cheval roumain et autres je-m’en-foutismes administratifs dont « personne » n’est jamais responsable).

Si le président Hollande a du mal à prendre une décision (même pour affaires personnelles semble-t-il), il fait travailler – comme son modèle Mitterrand – de nombreux think tanks de hauts fonctionnaires. Qui sont à examiner pour qui veut comprendre où il pourrait aller… à condition que les décisions suivent.

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