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Caracas

Au sortir de l’aéroport de Caracas, la moiteur, la température et la pollution vous sautent – dans cet ordre – à la gorge. La ville, que l’on aborde en bus depuis l’aéroport international situé à l’écart, comprend 6 millions d’habitants en 2004 qui s’entassent entre des collines arides et habitent maisons de briques ou béton moderne. Les bidonvilles sont ici des « briquevilles » d’un  niveau de vie un peu supérieur dans la pauvreté. Briques et tôles ondulées ne coûtent pas cher et l’on bâtit soi-même pour suivre la croissance frénétique de la mégalopole. Dans les ruelles en pente entre ces bâtisses qui vont parfois jusqu’à comprendre un étage, courent des gamins bruns à moitiés nus. Sur 25 millions d’habitants en 2004, 31% ont moins de 14 ans et, s’il naît 2.36 enfants par femme (le double d’en France), il en meurt presque 24 pour 1000 (27 pour les garçons), ce qui fait chuter l’espérance de vie à la naissance. Les gens confondent souvent espérance d’atteindre un âge avancé et espérance de vie « à la naissance ». Car, une fois passés les premiers mois de la vie, qui dépendent fortement des conditions d’hygiène et des infrastructures médicales, la durée de vie est très proche au Venezuela et en Europe.

Une mosquée, entrevue au bord de l’autoroute, est un curieux bâtiment, rectangulaire comme un garage. Les bulbes et les minarets islamiques ne sont qu’évoqués en grillage fin de fil de fer ! Il y a pourtant 96% de catholiques romains au Venezuela et seulement 2% de non-chrétiens. Cette mosquée se tient en face de panneaux publicitaires à l’américaine. L’une d’elle est torride, présentant des fesses de femme en porte-jarretelles embrassées par un tout petit garçon blond – pour une compagnie d’assurance, je crois. Machisme hispanique et dévergondage à l’américaine font bon ménage face à l’islamisme rigoriste.

Le quartier des affaires est bâti d’étranges buildings en béton mat. La plupart sont sans style et brut de décoffrage mais d’autres tentent des essais d’architecture laborieux, plus scolaires qu’esthétiques. Le parc automobile est envahi de voitures américaines d’âge certain, par exemple une Ford Mustang au museau agressif ou de vieilles Chevrolet des années 80 pétaradant sourdement de leur 24 soupapes. Le Venezuela est devenu, depuis la découverte du pétrole dans les années 1920, une enclave américaine exploitée sans vergogne par Exxon et Shell et ne s’alimentant guère que de produits importés.

La nationalisation des hydrocarbures et la réforme agraire par Chavez ont à peine changé ces habitudes : les exportations sont à 88% du pétrole et des produits miniers ; les importations sont à 79% des produits manufacturés que le Venezuela est incapable de produire et que Chavez a délaissés ; les plus riches ont des 4×4 japonais noirs qui dévorent le pétrole. Peu importe, le pays en produit et en exporte largement. Javier nous apprendra qu’un litre de diesel coûte en 2004 50 bolivars au Venezuela – contre près de l’équivalent de 2400 bolivars en France. Il faut dire que nous avons près de 80% de taxes sur l’essence, même s’il y en a moins à l’époque sur le diesel – pourtant plus polluant – corporatisme camionneur oblige.

Le chauffeur de notre minibus (nous sommes répartis en deux véhicules), négocie le change tout en conduisant d’une main. Il offre 2400 bolivars pour 1 dollar US et 2600 bolivars seulement pour 1 euro. Il préfère manifestement le roi dollar, comme tous ici, puisque l’écart de change est de plus de 20% en faveur de l’euro, en ce moment, 1.24 dollar pour 1 euro pour être précis ! Si l’on prend 2400 bolivars pour 1 dollar, nous devrions avoir 2976 bolivars pour 1 euro. Méfiance pour des billets somme toute récents ? Peur des faux ? Moindre utilité au change ? Toute devise forte est bonne dans les pays de forte inflation, comme l’est le Venezuela depuis quelques années, mais la proximité du grand frère américain fait préférer le billet vert à toute autre devise. Cela dit, étant données les faibles sommes en jeu, je change 50 euros et cela me suffira pour l’ensemble du séjour, pourboires locaux compris.

Notre hôtel, l’Altamira, est situé dans le quartier aisé du même nom, avenidad San Juan Bosco. Il est protégé de hautes grilles d’acier aux barreaux de près de trois mètres surmontés de pointes. Un garde armé d’un fusil à pompe d’un demi-mètre de long surveille la seule porte. Il paraît que ces grilles ont été installées récemment, en raison des troubles récurrents au Venezuela depuis l’arrivée au pouvoir du président Chavez. Elles ont été montées miraculeusement avant les manifestations du mois dernier qui ont fait plusieurs morts dans la capitale. La chambre 501, au 5ème étage, est propre et spartiate. La fenêtre offre une vue plongeante sur une briqueville juste en-dessous, des boites rouges bien carrées au couvercle de zinc : une favela incongrue entre des immeubles d’un certain standing. Vers 18h30 montent du quartier des chants religieux. Ce n’est pas le muezzin mais d’authentiques hymnes catholiques d’une messe de samedi soir.

Javier sera notre guide local. Il est Vénézuélien et francophone, ayant passé un an en France, à Montpellier puis à Orléans. Il étudie la géophysique, il est en quatrième année et désire travailler sur les plateformes pétrolières quelque temps, une fois terminées ses études, « parce que cela paye bien ». Il exhibe en ce premier jour des pectoraux de lutteur moulés dans un tee-shirt kaki étroit et un visage métissé. Outre son grand-père d’origine espagnole des Canaries et sa grand-mère d’origine italienne, ses ascendances africaines ne font aucun doute et sa lèvre inférieure proéminente l’ont fait appeler « Sébastien » par les filles à la fac. C’est une référence qu’il nous explique : dans le dessin animé de Walt Disney, La Petite Sirène, le crabe Sébastien a pour caractéristique cette même lèvre inférieure proéminente. Dès lors, celui qui se destine à être le bouffon du groupe, se met à appeler notre guise systématiquement « Sébastien ». C’est plus facile à prononcer pour un gosier français que « Javier » qui ne se prononce pas ici « gzavier » mais « rhavier » et commence par un feulement de gorge difficile à émettre pour un gosier non familier de l’arabe, qui a donné cette lettre à l’Espagne. Après un intermède brouillon, dans lequel Javier nous explique qu’il nous fallait dès maintenant diviser nos sacs en deux, puis en trois, nous allons dîner au-dehors.

La Fogata del Pollo, tout près de l’hôtel, fait flamber le poulet comme son nom l’indique, mais sert aussi selon Javier « la meilleure viande de la ville ». Il y a du poulet et du bœuf, du poisson et des pâtes. Tout ce qui vient de la mer est déconseillé par notre guide étant donnée la pollution des côtes proches et le peu de fiabilité de la chaîne du froid jusqu’à la capitale. Nous mangerons du poisson dans le delta quand nous y serons. Le bœuf est produit en quantité dans les llanos de l’Apure, immenses savanes au sol sableux que le propriétaire visite en petit avion depuis son hacienda.

Des familles locales sont venues dîner. L’une d’elles, très étendue, fête un anniversaire. Des adolescentes métisses sont déjà plantureuses à 12 ou 13 ans, leur poitrine bien formée débordant de leurs caracos serrés, selon la mode véhiculée par la télévision. Elles nous jettent des regards aguicheurs sans le vouloir, mélange de curiosité et d’avidité, déjà femelles mimant les stars de feuilletons. Restes de mœurs latines, elles aiment à porter les bébés et à jouer avec les tout-petits.

Moi qui ne mange que rarement du bœuf, pour cause de « folie » et d’un certain écœurement pour la viande rouge passé 40 ans, je prends ici un lomito de bœuf, un pavé épais, grillé à point et fort tendre. Il est servi sur sa planche en bois comme au Far West. Des patates frites, des bananes frites et des racines de manioc bouillies – appelées ici yuca – sont servies comme accompagnement dans des plats à part. Cela sert de pain. La bière locale est la Polar. La variété Solar est « la meilleure du pays » selon Javier. Comme elle est « chère » pour le standard local – 50 centimes d’euro – elle n’est vendue qu’en « quarts » de 18 cl. Nous goûtons également tous ensemble une bouteille de vin rouge chilien vieux de trois ans, l’année 2001. Il est rude, puissant, deux fois plus cher que la bière, mais sa saveur va mieux à la viande.

 

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Paul Claudel voit la crise de 1929

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C’était au temps où les ambassadeurs de France étaient volontiers lettrés. Paul Claudel, poète, dramaturge et diariste catholique élu à l’Académie Française, a été ambassadeur à Washington de mars 1927 à avril 1933. Il a observé aux premières loges l’irruption de « la crise » de 1929 et ses suites. Ce que les Américains appellent de façon beaucoup juste la Grande Dépression. Eric Izraëlewicz a eu la bonne idée en 1993 d’éditer une sélection de ses dépêches diplomatiques de décembre 1927 à décembre 1932. Ce document offre un miroir à la crise des subprimes de 2007-2008.

L’intérêt d’une telle publication est triple :

  1. Paul Claudel écrit l’économie la plus ardue et la plus chiffrée en termes littéraires, ce qui est d’un grand charme ;
  2. Connaissant le monde pour avoir été diplomate un peu partout, il offre un regard non-américain sur la plus grande dépression du siècle avant le nôtre ;
  3. Extérieur au pouvoir politique comme aux affaires américaines, il garde un œil critique à chaud et nombre de ses remarques sont justes.

Il pointe surtout la mentalité américaine, pétrie d’optimisme, vaniteuse et vivant volontiers d’illusions comme de crédit. L’année 1928 a vu les raisonnables balayés par la frénésie spéculative : industriels qui tempèrent les résultats, économistes qui pointent l’écart entre la production et les prix des actions, banques fédérales qui montent les taux au jour le jour (de 3,5 à 6%). Les titres des valeurs technologiques de l’époque (radio, avion, auto) flambent. Pour les Républicains au pouvoir durant ces années-là, toute crise ne peut qu’être temporaire, encouragée de l’extérieur, et surtout ne doit pas remettre en cause le modèle américain.

Claudel : « Il est curieux que les Américains qui se flattent d’être le peuple le plus attaché aux faits, soient au contraire le peuple qui, gâté par la bonne fortune, est le plus attaché à ses illusions. Il ne se rend pas compte que la prospérité de l’époque 1925-1929 n’était nullement un phénomène normal, mais une crise, une poussée de spéculation, qui ne répondait pas à un état de choses permanent. Il croit toujours, il désire croire surtout, que l’on peut maintenir une Amérique isolée et prospère, dominant des remparts escarpés de son standard of life une situation mondiale dénivelée » (27 mai 1931).

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De 1929 à 1932, la contraction de l’activité s’est conjuguée à une contraction du prix des actifs et un chômage massif (20% de la population active) ! Claudel note –17% pour les prix de gros et –14% pour les prix de détail, mais –23% pour les prix agricoles, -19% pour les prix des produits alimentaires, -15% pour ceux des produits manufacturés. Les exportations baissent de 34% vers l’Europe, mais de 40 à 60% vers le reste du monde. Ce sont surtout les automobiles (-51%) qui sont touchées, le cœur de l’Amérique industrielle. Leur production sur le territoire chute de 36% en 1930. Les importations chutent de 37%. La valeur totale des actions du New York Stock Exchange passent de 64 md$ en juillet 1930 à 5 md$ en décembre 1930, avant de remonter à 57 md$ en mars 1931 ! L’indice de la construction est divisé par deux par rapport à 1929, les chemins de fer licencient 15% de leurs salariés. Ceux qui, ont encore un emploi dans l’industrie voient leurs salaires baisser de 30%. Malgré la politique de grands travaux entrepris par le président Hoover, les dépenses publiques baissent de 30%. La baisse des taux de la Réserve fédérale de New York ne suffit pas à relancer le crédit, nous sommes dans une spirale dépressive bien connue sous le nom de Déflation. Tout baisse, sauf les crédits à rembourser !

L’obsession de l’étalon or pour défendre la monnaie, la hausse des impôts (qui vont de 2 à 6% sur le revenu, de 12,5% pour les sociétés – la même erreur qu’a répété François Hollande !), le déficit fédéral alimenté par les propositions de dépenses démagogiques du Congrès (aujourd’hui « socialistes frondeurs »), l’agitation par les Républicains d’une menace sur l’économie du pays (de nos jours François Fillon) – rien de cela n’encourage à réinvestir, à consommer, à entreprendre.

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Les particuliers fuient les banques locales dont 3500 ont fait faillite ; ceux qui le peuvent, comme les pays étrangers, fuient le dollar en faveur de l’or métal (ce qui risque d’arriver au franc si Marine Le Pen le rétablit) ; chacun thésaurise car la confiance n’est pas assurée par un Président laxiste qui ne donne aucune direction et se contente de mesurettes. Dès que les électeurs peuvent se manifester, ils votent massivement en faveur des Démocrates. Les Républicains restent béats, myopes, indécis. La même chose s’est produite durant la fin de George W. Bush. Le candidat républicain a agité la même menace de catastrophe pour tenter de renverser le courant des électeurs à la fin 2008, ce qui a entraîné un krach boursier immédiat.

A presqu’un siècle de distance, les causes de 1929 apparaissent les mêmes que celles de 2008 : pression sur les salaires, vie à crédit, surproduction, spéculations financières. En revanche, ce qui a changé est la politique pour juguler la dépression. Le système a appris : filets sociaux de sécurité pour les ménages, franche baisse des taux et facilités de réescompte des banques centrales cette fois coordonnées, surveillance des faillites bancaires (50 par semaine en 1932 !) et fonds de garantie des dépôts, politique volontariste orientée vers le concret pour donner du corps à la confiance, et surtout pas de protectionnisme.

Jusqu’à présent. Mais des élections arrivent et la démagogie croît. Après 1929, 1939 : agitations sociales, nationalismes, retour de la xénophobie – et puis la guerre. Après 2008… quoi ?

Paul Claudel, La crise – correspondance diplomatique Amérique 1927-1932, Metailié 1993 (réédition 2009), 251 pages, €8.74

 

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Blanche-Gauche et les sept nains

Le parti socialiste veut résumer « la gauche » à son nombril. Malgré Macron et Mélenchon, il présente Hamon et Peillon, Valls et Montebourg, sans parler des figurants. Au premier tour, ces sept nains seront réduits à un – avec la mission de séduire Blanche-Gauche. Le spectacle est pitoyable : croyez-vous que la morosité du quinquennat Hollande soit expliquée, remise en cause, projetée vers la rédemption ? Mais non !

Car il ne s’agit pas, au fond, d’être présidentiable, mais d’être secrétariable. Ce qui se profile est un bouleversement du PS, et ces « primaires » ne sont que des motions déguisées de « courants » qui veulent se pousser du col. D’où ces « nains » présidentiels qui ne sont pas à la hauteur (même Valls, c’est un peu tôt après le bilan qu’il présente, et son reniement du 49-3, entre autres, montre combien il est avide de pouvoir et prêt à tout pour l’obtenir).

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Quoi d’étonnant à ce que les Français, pas dupes, se foutent de ces billevesées ? Le premier débat n’a guère attiré que les militants et quelques sympathisants d’entourage ; il était ennuyeux, sans étincelle et – pire ! – sans avenir. Toujours le bal des promesses irréalisables donc jamais tenues ; toujours les coups de menton et les yakas de tribune, comme si le monde allait se plier au coqueriquage du petit gallinacé rose ? Comme si chacun allait adopter le « modèle français » ?

Par malheur, on le sait bien, on le voit bien : malgré les « politiques de gauche » sous Mitterrand, Jospin et Hollande, malgré le miracle de « la conjonction des astres » (baisse du pétrole, des taux et de l’euro), les exportations françaises n’ont PAS explosé (comme ailleurs), le chômage ne s’est PAS réduit (comme ailleurs), l’endettement n’a PAS diminué (comme ailleurs)… Au contraire ! Les gros impôts (plus qu’ailleurs) sont allés à la dépense publique (plus forte qu’ailleurs) sans aucune incidence positive sur l’économie ni l’emploi.

Les entreprises françaises ne sont PAS compétitives

Les économistes ne cessent de sonder leurs entrailles pour savoir pourquoi. Patrick Artus, de Natixis, observe que les coûts de production de l’industrie manufacturière en France sont trop élevés pour la moyenne gamme des biens fabriqués. Vendre au prix allemand des produits de qualité espagnole est un mauvais rapport qualité/prix sur le marché international. Ce n’est pas la productivité qui pèche, mais le niveau de cotisations sociales imposées aux entreprises ET aux salariés, qui empêchent les premières d’investir et les seconds de dépenser (comme ailleurs). Les bas salaires sont donc trop élevés en brut pour la compétitivité comparée. Et les candidats à la primaire de déclarer qu’il faut les augmenter ! Par quel impôt supplémentaire ? Par quelle baisse de cotisation salariale ? Par quelle redistribution hors norme ? Pas grave, disent-ils, yaka.

Par exemple obliger les entreprises à subir la férule de l’Etat

Montebourg veut nationaliser les banques qui ne joueraient pas « le jeu » (celui du politique), exercer une « influence patriotique » au sein des conseils d’administration des entreprises du CAC 40, faire de l’Etat le grand stratège économique. Comme si le meccano industriel des années Mitterrand ou Jospin, ou Hollande, avait fonctionné, avec sa kyrielle d’egos incompétents tous énarques de gauche – qui ont mené à la faillite « leurs » entreprises (Haberer au Crédit Lyonnais, Messier à Vivendi, Blayau, à Moulinex, Bilger à Alsthom, Tarallo à Elf-Gabon, Bon à France télécom, Cirelli à Gaz de France, Gallois à la SNCF, Minc à Cerus, Roussely à EDF, Albert aux AGF, Attali à la BERD, Lévêque au CCF, Lion à la Caisse de dépôts, Bonin au Crédit foncier, Moussa à la banque Pallas, et ainsi de suite…). « Arrogants », « inadaptés à l’entreprise », « technocrates », les énarques voient leur prestige s’étioler dans le privé, écrivait-on en 2008 déjà. Et les sept nains voudraient que « l’Etat » – c’est-à-dire ses fonctionnaires les plus prestigieux (sortis donc de l’ENA) pilotent, surveillent, et procèdent dans les entreprises ? Mais dans quel monde de l’entre-soi élitiste sont-ils ?

L’étatisme jacobin a prouvé sa faillite, tandis que le fédéralisme allemand des länders a montré sa réussite ; le collectivisme marxiste a prouvé son inanité, tandis que le parti communiste chinois a montré que laisser faire l’initiative privée est utile et profitable à la collectivité. Montebourg, qui matamore sur les plateaux, a dépecé Alstom en ne gardant QUE ce que le privé ne veut pas… Et c’est « ça » sa bonne politique économique ? Le point d’efficacité maximum est-il de faire construire des TGV pour rouler sur les voies de banlieue à vitesse réduite ?

Par exemple obliger à consommer français.

Mais le protectionnisme n’a jamais marché car la rétorsion est immédiate. Que l’on impose des normes sanitaires ou un cahier des charges, que l’on passe par la justice comme aux Etats-Unis pour sanctionner le contrat non-tenu (par exemple sur la pollution diesel), cela va bien. Mais ce n’est pas ce que proposent les sept nains ! Si Donald roule du tweet pour faire du protectionnisme, il ne change pas la loi : il applique seulement celle du plus fort, carotte et bâton. Pas de paperasserie supplémentaire mais des impôts en moins. Est-ce cela que proposent Montebourg, Valls, Hamon, Peillon ? Pas le moins du monde : il s’agit toujours plus de surveiller, réglementer et taxer… La carotte (bio) attendra.

Nous sommes en Europe et sans l’Union européenne la France n’est qu’une puissance de rien du tout – surtout si elle doit financer toute seule son armée et ses entreprises, ne produire que pour les Français et distribuer à guichet ouvert du pouvoir d’achat ! Changer le monde est une vieille utopie, que les sept nains n’ont pas reniée. Mais le monde change de lui-même et, pour l’infléchir, on ne peut le faire tout seul. La France a besoin de l’Europe, et ce n’est pas en donnant des leçons de social et en exhibant l’inefficacité crasse de la « Dépense publique » (l’école ne cesse de reculer dans les classements…) que l’on convaincra les autres (qui s’en sortent mieux pour moins cher) à imiter nos socialistes en délire social.

Le revenu minimum pour tous ? Si l’on calcule le montant réaliste, sans financement supplémentaire, on aboutit à 350 € par mois. Pas de quoi enflammer les flemmes ! Mais la dette, si, si l’on veut distribuer 700 € par mois à tout le monde.

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Les sept nains du conte de Grimm ont été nommés par Disney « Prof, Grincheux, Simplet, Atchoum, Timide, Dormeur, et Joyeux ». Je vous laisse deviner qui est qui entre les candidats putatifs. Rappelons que ces travailleurs des mines (qui ne se pavanent pas de bureaux de luxe en plateaux de télé) considèrent Blanche-Neige comme une mère pour eux. Qui fait le ménage, la cuisine, et tient le chalet en ordre… jusqu’au retour du Prince charmant !

Blanche-Gauche se livrera-t-elle au jeune Macron ou au méchant Mélenchon plutôt qu’au fringant Hamon ou qu’au prof Peillon ? Hon ! hon ! On verra bien.

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Libre échange : bienfait ou horreur économique ?

Le libre-échange est l’un des diables de la gauche. Posture idéologique réflexe – donc sans réflexion aucune – automatisme pavlovien qui fait haïr comme le chien dudit Pavlov, à l’ère soviétique, salivait par réflexe conditionné lorsqu’un bruit particulier l’avait habitué à le faire. La gauche, bien que ses représentants se veuillent « éclairés » (par les Lumières ?) voire intellos (s’ils ont fait quelques études) a gardé de ses années staliniennes des comportements de secte. Notamment que « le libéralisme » est le diable et que le « libre-échange » est la pire des choses (à l’exception de toutes les autres, ajoutent les gens de gauche réalistes).

Mais c’est un fait d’expérience que le libre-échange est plutôt favorable au pouvoir d’achat comme à la qualification des emplois. S’ouvrir aux échanges est bénéfique – tant pour les économies que pour les gens ! Pourquoi cette revendication « de gauche » que chacun doit « s’ouvrir à l’autre » serait-elle condamnée lorsqu’il s’agit d’un pays ?

Cette considération est loin d‘être la seule CONTRADICTION des gens de gauche, notamment des plus sectaires. La libre-circulation est exigée pour les personnes (les sans-frontières) – mais pas pour les biens. La culture est « universelle » – mais protégeons l’exception française. Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil – mais les non-Blancs, non-mâles, non-cultivés sont les plus beaux et les plus gentils… La schizophrénie « de gauche » est due à sa paranoïa héritée des années Staline – il suffit de relire L’opium des intellectuels de feu Raymond Aron… On pourrait en dire autant à droite, si ce n’est que la droite, surtout en ses extrêmes, est bien moins considérée par les médias et a bien moins d’influence.

Un exemple de préjugé contré par les faits : selon France-Stratégie en février 2016, à propos du rétablissement éventuel des contrôles aux frontières, la généralisation des contrôles permanents serait équivalente à une taxe de 3 % sur le commerce entre pays de la zone Schengen. Ce commerce diminuerait de 10 % à 20 %, soit -0,5% de PIB pour la France et -0,8 % de PIB pour les autres pays de l’espace Schengen. Il toucherait surtout le tourisme de proximité, les travailleurs frontaliers, le transport routier de marchandises. Il aurait aussi des effets sur l’investissement étranger et la mobilité des travailleurs.

patrick artus zone euro export et import en volume 1980 2016

Un papier tout récent de Patrick Artus, l’économiste en chef de Natixis, prouve chiffres à l’appui la même chose dans la zone euro : « Au total, l’effet positif de l’ouverture des échanges (baisse des prix) est bien présent, mais pas les effets négatifs souvent évoqués ». CQFD : les gauchistes idéologues, bornés à leurs préjugés, sont hors de la réalité des faits.

L’ouverture de la zone euro envers le reste du monde fait peur. Mais elle a apporté une réelle baisse des prix, de l’ordre de 0.2% par an, avec l’importation de produits venus des pays sous-développés. Faut-il interdire le développement du tiers-monde parce que les « zacquis » de gauche européens sont remis en cause ? L’égoïsme syndical est un fait : mais aucun syndicat n’est représentatif d’un pays, il ne représente que ses cotisants – ils sont en outre très peu nombreux dans le système français.

patrick artus zone euro importations et prestations sociales 1980 2016

Cette ouverture a-t-elle « détruit » des emplois et de la protection sociale ? « Cassé » un modèle social-économique ? Certes, elle a remis en cause des rentes de situation, des positionnements trop chers de certains monopoles, des investissements de modernisation et d’innovation trop faibles. Mais « a-t-elle entraîné des pertes accélérées d’emplois ou de valeur ajoutée industriels ou exposés à la concurrence étrangère, une baisse des salaires ou de la protection sociale pour les emplois dans les secteurs concurrencés ? » – demande Patrick Artus. « La réponse est négative », prouve-t-il… Le poids de la valeur ajoutée industrielle en zone euro a peu baissé, la balance commerciale pour les produits manufacturés ne s’est pas dégradée ; le poids des prestations sociales a augmenté.

Qu’en a-t-il été sur la qualification des emplois ? « Nous voyons une déformation vers les biens d’équipement, ce qui est favorable, et pas de déformation de la structure de la valeur ajoutée vers des activités moins sophistiquées », répond Patrick Artus.

patrick artus zone euro emploi par branche 1980 2016

Le « degré d’ouverture » d’une économie se mesure à la somme de ses importations et exportations. Ce degré est passé d’environ 10% dans les années 1980 à environ 30% aujourd’hui en volume. Cet essor du libre-échange a donc été favorable – globalement – à la zone euro.

Mais il faut noter que l’Allemagne – avant tout – a su tirer son épingle du jeu en adaptant son droit et ses industries à la globalisation. Elle a créé de toutes pièces des « marques » de réputation mondiale, comme Audi, très bas de gamme dans les années 70. Et la France ? Qu’a-t-elle fait depuis l’ère Chirac pour adapter son économie et ouvrir ses mentalités au grand large ? Pas grand-chose, à part blablater « révolution » et se crisper dans l’idéologie, ou surtout ne rien changer sous les trop long règnes Chirac et Hollande… Et peu changer au fond sous le règne agité Sarkozy.

patrick artus zone euro cout salarial unitaire 1980 2016

La France archaïque arc-boutée sur « le modèle social » des années de reconstruction d’après-guerre, a un État trop dépensier et trop interventionniste. Elle laisse trop peu la société civile et entrepreneuriale investir et innover. Ce carcan, de règles et de règlements handicapent l’économie – tout au contraire de l’Allemagne, entre autres pays européens. Ce pourquoi la France a peut-être « perdu » à la croissance du libre-échange. Mais la faute à qui ?

Celui qui n’avance pas recule. Il en est pour les pays comme pour les gens. À trop vouloir « conserver », on en vient vite à dater…

Il n’est de pires boulets conservateurs que ceux qui, par méfiance, refusent de changer quand le monde autour d’eux change. Ceux qui croient que se dire « de gauche » les dispense de toute observation des choses telles qu’elles vont. Ceux qui ne réfléchissent pas mais agissent par réflexe « de classe ».

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Sur les routes intérieures de Cuba

Ce matin au petit déjeuner les filles révisent leurs carnets de bal, évoquant leur « beau joueur de mombo » d’hier soir ou leur « danseur de salsa ». Elles ne peuvent écouter de la musique locale sans se faire inviter à danser par les locaux. Et c’est cela qu’elles aiment, plus que la musique même, ces attentions les émoustillent. Anne et Françoise sont en pointe dans ce jeu de séduction. À l’inverse, la Havraise s’ennuie, elle « tempère cet enthousiasme » et « trouve la musique d’hier monotone, le rhum infect et, pour la danse, il faut saisir » – j’ai pris note – « seuls les gens sont gentils, c’est vrai ». Le buffet offre du jus de corossol, une espèce d’anone de l’Amérique tropicale qui a le goût de fraise en un peu plus acidulé et moins parfumé, proche peut-être du goût de l’orgeat.

cuba instruments musique

Nous quittons Santiago. Le bus dépasse une bétaillère – un vieux GMC – qui sert de bus local. En sortent quelques adultes mais surtout une quarantaine d’adolescents en débardeurs trop grands et en shorts trop courts. Ce sont des écoliers mais ils ne sont pas en uniforme aujourd’hui. Sergio nous explique que, comme tous les écoliers de Cuba, ils « doivent » trois demi-journées par semaine de travail dans les plantations. Ordre du Grand Inspirateur, Roi Philosophe et Despote ; il imite les découvertes du Grand Timonier jaune. Zoé Valdès a écrit un curieux roman sur ce sujet, grandiose et sensuel, Rabelais à Cuba : « Cher premier amour » (1999, traduit chez Actes Sud).

escuela al campo cuba

Les macheteros des années soixante, après la révolution, avaient introduit le tracteur. Ils les achetaient aux pays socialistes. Mais, depuis la chute lamentable du soviétisme au début des années 90, que Sergio appelle pudiquement selon le politiquement correct local « la crise économique », les Cubains « en reviennent à la traction animale », principalement les chars à bœuf. Vive la révolution, vecteur du Progrès humain !

Le même plan de canne donne huit récoltes, à condition de laisser à chaque coupe un morceau de la tige pour qu’elle repousse. Dans les zones vallonnées, la coupe est humaine, à l’aide de la machette ; en plaine on utilise « des machines combinées ». Mais comme plus aucune pièce de rechange ne vient d’URSS (et que les Cubains n’ont même pas eu l’idée de fabriquer ces machines vitales pour l’industrie sous licence), une certaine Association des Innovateurs est chargée de pallier la bêtise bureaucratique du régime en imaginant l’usinage des pièces ou des solutions de remplacement.

tracteur de cuba

En 1986, à la mort du vieux Brejnev, 86% des échanges de Cuba se faisaient avec les pays de l’Est. Aucune prévision n’avait été faite en cas de chute du régime soviétique qui donnait pourtant des signes d’usure évidents, ne serait-ce que biologique ! Et pourtant, aujourd’hui encore, 43% des exportations sont le sucre et les dérivés de canne – mais aussi du pétrole « réexporté » du Venezuela en « aide économique » ! La Russie ne représente quasiment plus rien pour les exportations, le Canada arrivant en tête avec 16%, la Chine est montée à 15%, le Venezuela (« pays frère » en socialisme bureaucratique et despotique…) à 14% et l’Espagne reste à 8%. Les importations (le double des exportations) concernent surtout le pétrole, l’alimentaire (eh oui ! le socialisme reste incapable de nourrir correctement sa population), les machines et la chimie. Rien d’étonnant à ce qu’elles proviennent surtout du Venezuela pour 38%, de la Chine pour 12%, de l’Espagne pour 9%, du Brésil pour 5% et un peu du Canada  à 4%. La dette extérieure représente 25 milliards de dollars à fin 2014… Et la balance commerciale reste obstinément déficitaire de 1 milliard de dollars par an.

Nous croisons des HLM à la campagne, laides barres collectivistes en pleins champs. Ce sont des habitations qui regroupent les paysans des coopératives. D’autres sont logés dans des cabanes en béton, deux pièces en rez-de-chaussée perdues au milieu de nulle part, pour être près des plantations. Le travail prime sur tout, encore plus lorsque la bureaucratie n’a rien à faire de la productivité. Aux travailleurs, alors de trimer encore plus pour compenser l’incurie. C’est cela le progrès socialiste, toujours, la fausse « réconciliation de l’homme avec sa nature » dans la pauvreté. Les enfants qui ne sont pas à l’école jouent presque nus autour de ces baraques, n’ayant pour tous copains que leurs pairs alentour. Ils ont le corps vif et souple comme les cannes, la peau dorée comme le rhum vu dans le soleil. Je souhaite à ces petits une vie meilleure que celle que la castration castriste leur a pour l’instant préparée. Des magasins « de stimulation » permettent aux travailleurs « méritants » d’acheter en pesos des produits vendus habituellement dans les magasins en dollars. La caste partisane distribue ainsi des bons points comme chez nous les maîtres d’école du passé.

gamin foot cuba

Sur le bord de la route, des paysannes tentent d’arrêter notre bus pour qu’il les transporte un bout de chemin. Elles font cela avec le bras tendu. Mais « la responsabilité du transporteur officiel serait engagée », selon Sergio, et « ce n’est pas possible ». Le chauffeur fait alors un geste de refus de la main, paume vers le haut et doigts serrés, comme on signifie chez nous que l’on a « les boules ».

Nous passons Santa Rita et son marbre qui s’exporte partout en Europe et au Canada. Nous entrons dans la province de Granma, du nom du yacht à moteur de Fidel Castro, lorsqu’il a envahi son île depuis le Mexique. Passe un bus orange au gros museau marqué « écoliers » en français. C’est un don du Québec aux transports cubains. La révolution, quarante ans plus tard, vit encore de la charité du monde.

santa rita

Un troupeau de vaches traverse la route. Encore une information instructive de Sergio : à Cuba, on a voulu avoir le beurre et la viande en même temps (je traduis : faire du productivisme révolutionnaire – que la volonté soit et la nature suivra !). On a donc importé à grands frais des croisements de vaches Holstein. Las ! Ces bêtes merveilleuses nécessitent une nourriture adaptée que Cuba ne saurait posséder. Il faut donc importer des tourteaux spéciaux pour bétail d’Europe de l’Est. Quand « l’événement » est intervenu (restons dans l’hypocrisie « correcte) les Holstein n’avaient plus rien à ruminer ! Il a fallu abattre une partie du cheptel pour en revenir aux bonnes vieilles vaches adaptées au pays – donc rationner la viande pour le peuple : une demi-livre par personne et par mois, payable en pesos. Les privilégiés ont accès au bœuf en dollar, mais aux prix mondiaux, 6$ le kilo, un demi-mois de salaire moyen en équivalent pesos convertible. Les peines pour abattage clandestin ont augmenté dès 1996, toujours aux dires de Sergio, de 15 à 25 ans de prison aujourd’hui. Toujours la stupidité idéologique qui fait fi de la nature au profit de la « volonté », la conviction marxiste que « la technique permet de dominer la nature » (lettre de Che Guevara à ses enfants). Et toujours la volonté de contrôle politique sur toute économie, qui aboutit à l’inévitable incurie bureaucratique qui fabrique des usines à gaz clientélistes pour la production.

Et le peuple, en bout de chaîne, qui subit tout cela au nom des Principes !

paysan cuba

Il est vrai que, depuis 1959 au pouvoir, jamais une seule fois élu directement (mais par l’élite d’une assemblée à sa botte, à 100% communiste, où il toujours des suffrages à 100% !), Fidel Castro apparaît pire que Brejnev et Mao dans sa collection de pouvoirs : président de la République, président du Conseil d’État, président du Conseil des ministres, premier Secrétaire du Parti communiste et Commandant en chef des armées, il cumule tout. Il confond entre ses vastes pognes tous les pouvoirs législatifs, exécutifs, judiciaires et idéologiques ! Sans parler de son népotisme familial et de sa réputation de Macho en chef. Il se veut Père de la religion – laïque de gauche. Il est tourné vers l’Esprit Saint José Marti et a pour Fils Che Guevara, guérillero christique, assassiné par les Philistins. Tout cela transpirait du musée de la Moncada, où le conformisme pontifiant se doit d’édifier les foules. Depuis sa « maladie », il a laissé les rênes – mais à son frère Raul, à la fois Président, général et chef du gouvernement – lui aussi « élu » avec 100% des voix en 2013. Le fameux vote obligatoire cher à Bartolone montre à Cuba son vra visage socialiste : contrôler qui donne sa voix à qui.

fidel castro che guevara

Sur des panneaux le long de la voie est indiqué par endroit : « l’alcool tue » et le dessin figure une bouteille de rhum couchée, lâchant son bouchon comme une balle. La vitesse est officiellement limitée sur la route à 100 km/h et en ville à 50. Des guérites fixes de la police, le long de la route, contrôlent le trafic et le respect de la vitesse – sans doute à l’estime car les radars sont un luxe. Mais seules les voitures neuves, importées (donc réservées aux pontes du régime, privilégiés qui ne sauraient payer d’amendes) peuvent atteindre ces vitesses… L’interdiction est donc encore pour la seule façade « morale ».

Sergio nous raconte la vie quotidienne sous le socialisme. Depuis 1994, le marché a fait irruption à Cuba, tout comme un bigorneau perfore la coquille d’une huître pour la gober. Le bouleversement est déchirant. L’austérité révolutionnaire est remise en cause par les frottements permanents du tourisme, l’ouverture vers l’ailleurs, l’attrait du fric, l’apprentissage du service et du commerce. Il faut réinventer par exemple le taxi en tant que travailleur indépendant, faute de pièces pour entretenir à prix raisonnable la vieille flotte de bus hongrois. C’est pourquoi nous voyons tant de travailleurs faire du stop au bord de la route en agitant des billets pour appâter les chauffeurs.

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Comment un taux d’intérêt peut-il devenir négatif ?

Lorsque vous prêtez de l’argent, vous prenez plusieurs risques : 1/ celui de ne pas être remboursé, 2/ celui d’immobiliser vos capitaux, 3/ celui de voir votre rémunération ou sa taxation changer d’ici l’échéance.

C’est ainsi que, si vous achetez une action, la société peut faire faillite (vous perdez tout), son cours de bourse peut ne rien faire (vos capitaux stagnent, voire régressent), un gouvernement peut décider, unilatéralement et à chaque loi de finance annuelle, d’augmenter les impôts sur les plus-values et sur les dividendes (François Hollande ne s’en est pas privé) – ou de baisser les intérêts servis sur les livrets réglementés (ex. Livret A). D’où le risque de placer son argent – et la rémunération qui en est la raisonnable contrepartie.

Mais ne voila-t-il pas que la Suisse vient d’emprunter sur le marché à des taux négatifs ? L’État confédéral a émis cette semaine un emprunt de 232 millions de CHF à 116 %, avec un taux de 1.5 % ce qui produit un rendement négatif de -0.055 %. Le pays n’est pas le seul : la France en bénéficie déjà pour son échéance à 5 ans, c’est aussi le cas pour l’Allemagne, le Danemark, la Finlande et les Pays-Bas. Voir la courbe des taux ci-dessous pour les emprunts de la zone euro (en bas les durées, en hauteur les taux servis).

courbe des taux euro AAA 2015

Ce qui signifie qu’à l’échéance (2 ans, 5 ans, 7 ans… pour l’instant – voir la courbe ci-dessus) l’investisseur récupère moins que le montant qu’il a investi. Soit en taux « réel » parce que l’inflation lui a mangé son rendement sur la période (cas le plus courant), soit en taux « nominal » (ce qui est le cas aujourd’hui).

Pourquoi donc souscrire à des emprunts pour n’être que partiellement remboursé à l’échéance ?

Il y a plusieurs raisons – toutes sont rationnelles…

  1. Tout d’abord, la perte n’est pas colossale, de quelques fragments de pourcent. Et cela en période d’inflation nulle ou elle-même négative. On peut la comparer au coût de location d’un coffre en banque (sauf que la banque peut brûler – ex. le Crédit Lyonnais – ou faire faillite – ex. Lehman Brothers), ou au coût d’assurance d’un bien (une cotisation au cas où, qu’on ne récupère pas).
  2. Ensuite, il peut y avoir bénéfice à prêter dans une devise qui n’est pas la sienne : par exemple le franc suisse qui s’est récemment envolé (économie solide, État sûr) par rapport à l’euro (qui baisse et qui peut éventuellement éjecter la Grèce, être tourmenté par l’Ukraine et connaître des turbulences).
  3. Et puis certains investisseurs – institutionnels comme les assureurs ou certaines SICAV – sont parfois obligés de détenir des titres bien notés (AAA), donc les emprunts obligataires d’États « solides » – en relatif aux autres – dans la même devise (ex. Allemagne, Pays-Bas, France). Ils sont obligés aussi de diversifier leurs placements en différentes devises (donc aussi sur l’euro), tout en n’achetant que des titres très liquides (les emprunts des grands pays cités sont bien plus liquides que les autres).
  4. Parce qu’il vaut mieux mettre sa confiance dans les États (dont on est pratiquement sûr qu’ils vont rembourser) plutôt que dans les banques – qui peuvent faire faillite. La garantie des dépôts bancaire en zone euro ne porte que sur 100 000 € par bénéficiaire et par établissement et, lorsqu’on a de grosses sommes à placer, il n’y a guère d’alternative aux emprunts d’État. On achète alors la sûreté de l’économie allemande, la solidité de la devise suisse, ou la capacité à lever l’impôt français.

Pourquoi une telle situation – rare dans l’histoire économique – survient-elle aujourd’hui ?

Parce que l’économie européenne va mal après la crise de 2008, analogue dans son ampleur à la crise de 1929. Les politiques classiques ont été tentées (baisse des taux d’intérêt, relance par les budgets, réformes structurelles pour favoriser l’investissement et l’emploi). Or, ces politiques sont arrivées à leurs limites : les taux d’intérêts administrés (décidés par les 19 gouverneurs des Banques centrales à la BCE) sont proches de zéro, les budgets des États (sauf l’Allemagne) sont contraints par leur Dette, les réformes avancent doucement (surtout en France) parce qu’en proie aux résistances de tous ceux qui perdent un quelconque avantage et qui persistent dans le déni idéologique (il suffirait de changer le monde).

Devant cet état de fait, les Banques centrales (dont la Banque centrale européenne) ont mis en place des politiques non-conventionnelles, notamment l’assouplissement quantitatif (Quantitative Easing ou QE). Il s’agit de créer de l’argent (de faire tourner la planche à billets) en rachetant des titres sur le marché, afin d’assécher les possibilités de placements pour les banques et les gros investisseurs – et de les forcer alors à se tourner vers l’économie réelle : distribuer des crédits, acheter des actions ou des entreprises. Racheter massivement des titres (60 milliards d’€ par mois pour la BCE) a plusieurs conséquences, positives et négatives.

Côté positif :

  • baisser le coût du crédit (désormais négatif pour les grands États, proche de zéro pour les banques, très faible pour les entreprises solvables)
  • faire baisser la devise (l’euro a perdu 10% contre toutes devises, 20% contre l’US dollar), ce qui permet de meilleures exportations – moins chères – tout en contenant les importations – plus chères.
  • inciter à la consommation (les taux des rémunérations liquides, type Livret A, sont tellement bas qu’il vaut mieux dépenser l’argent ou investir dans l’action ou la pierre que le garder à ne rien faire).

Tout cela est positif. Mais le négatif existe, d’où le provisoire de ce genre de mesure et le tâtonnement pour ne pas aller trop loin :

  • Écrasement des primes de risques, donc difficultés à discerner l’investissement utile de l’investissement juste pour placer l’argent. Quand le crédit n’a pas de prix, le risque est très peu pris en compte : les détenteurs de Livret A achètent des actions – au risque de perdre éventuellement tout leur capital ; les investisseurs en capital achètent des titres de pays émergents – au risque de créer une bulle, comme la Chine en montre une désormais ; les entrepreneurs qui ont du cash se lancent dans des fusions & acquisitions – au risque de mal mesurer l’intérêt long terme de leur opération.
  • Méfiance envers les pays autres que les quelques reconnus solvables de la zone euro – dont les emprunts sont moins désirés (ex. les pays « du Club Med » : Grèce, Portugal, Espagne, Italie)
  • Handicap pour les banques, dont le produit net bancaire (les commissions) se réduit, inhibant leur capacité à prendre des risques supplémentaires en prêtant à des entreprises et à des particuliers moyennement solvables – car contraintes aussi par les ratios réglementaires dits de Bâle III.
  • Handicap pour les épargnants, mais surtout pour les retraités, dont les rentes (pensions comme produits complémentaires de placement) se réduisent – ou qui doivent prendre plus de risques en optant pour les actions. Cela alors que la génération du baby-boom arrive massivement à l’âge d’une retraite qu’elle doit financer largement par elle-même en France, tant les gouvernements de gauche (depuis Mitterrand, à l’exception de Jospin) comme de droite (sous le trop long règne inactif de Chirac) n’ont rien fait pour préparer une situation pourtant clairement inscrite depuis des décennies dans la démographie.

Les taux négatifs ne sont donc pas une aberration économique, mais ils montrent combien l’économie s’est enfoncée.

Nous pouvons donc espérer que la situation sera provisoire et que l’économie, vigoureusement relancée par cette politique de crédit gratuit dans la zone euro, amorcera la pompe du redressement auto-entretenu (crédit = investissement = emplois = salaires et taxes = consommation = investissement = emplois, etc.).

courbe des taux france 2015 2013

Mais seuls les États qui auront profité de cette manne d’intérêts drastiquement diminués (situation exceptionnelle !) pour baisser leur dette, ajuster leurs dépenses à leurs recettes, pour encourager les entreprises à investir en desserrant les carcans réglementaires et bureaucratiques, en formant leurs travailleurs tout au long de la vie et pas seulement à l’école – seuls ces États connaîtront un effet de levier lors de la reprise. S’ils s’endorment sur leurs maigres acquis (comme sous Chirac), l’huile jetée ainsi sur la braise ne se produira qu’un feu de paille…

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La vie d’Odessa

Nous descendons l’escalier Potemkine où nombre de touristes russes ou ukrainiens se font photographier, occasion de faire de même pour nous avec des sujets qui ne bougent pas. Au bas, via un souterrain qui traverse sans danger le flot de voitures du boulevard, s’élève la gare maritime, avancée sur la mer. Un pont de fer traverse les voies de chemin de fer dont les innombrables wagons attendent les produits importés.

odessa sculpture port embarquement

La gare maritime est toute neuve et permet, par de vastes esplanades, d’en faire le tour jusqu’au port de plaisance où les yachts, revenus depuis la fin de l’URSS, se balancent aux pontons. Les grues de décharge surplombent les bateaux comme des têtes d’insectes. Il est d’usage de grimper dans la sculpture de gros bébé nu, éclos d’une coque végétale, monument en bronze d’un artiste contemporain.

odessa statue au revoir

Une autre statue de bronze fait recette, celle d’un couple du temps des tsars disant adieu aux voyageurs. La femme en crinoline et chapeau est tournée vers le large, elle tient debout sur le parapet l’enfant qui tend le bras droit vers la mer et le ciel, tout comme le jeune Tadzio dans la dernière séquence du film de Visconti, Mort à Venise. Adieu au père parti au loin, geste d’orphelin ou d’espoir, c’est selon. Nombre de touristes locaux viennent se faire photographier devant ce symbole mitigé, dont un couple avec un enfant, justement ! Tandis que la femme prend son mari et le petit, je prends la même photo, demandant par gestes au gamin de lever le bras comme la statue. Il s’exécute avec grâce, comprenant vite et heureux de cette suggestion.

odessa pouchkine primorski

Nous remontons les escaliers longs de 142 m pour suivre le boulevard Primorski (qui signifie maritime en russe), arboré de platanes. Et ce jusqu’à la statue de Pouchkine qui élève son esprit poétique, en bronze, au-dessus des manants, bien qu’orné d’une étoile rouge de fâcheux souvenirs. Les Ukrainiens aiment beaucoup cette statue, nous apprend Natacha. De 1823 à 1824, le grand poète russe y fut envoyé en exil. Dans ses lettres, il écrivit qu’Odessa était une ville où « on peut sentir l’Europe. On y parle français et il y a des journaux et des magazines européens à lire ». Dans les années récentes, l’écrivain Isaac Babel et la poétesse Anna Akhmatova ont habité Odessa. Jeans moulants, tops collants, maquillages alambiqués, la mode se porte serrée à Odessa, joliment érotique aux regards mâles.

odessa docteur esperanto

Le fondateur de l’esperanto a son buste en bronze qui trône dans un jardinet d’arrière-cour, à Odessa. Moustachu, barbichu et à lunettes, le Polonais juif Zamenhof (1859-1917) a publié à 28 ans son premier essai, Langue internationale, sous le pseudonyme de « docteur Esperanto », celui qui espère. Sa judéité n’est pas étrangère à son aspiration à sortir de son enfance dans le ghetto où, situé à un carrefour d’ethnies, on parlait plus d’une dizaine de langues sans arriver à comprendre ses copains.

odessa vieilles

Son buste veille sur les vieilles qui commèrent et sur une punk locale, percée de partout, qui fume une clope tout en buvant une bière comme une No future berlinoise.

odessa filles

Un roux matou, perché sur un auvent, somnole au soleil. Un peu plus loin, à un carrefour, un panneau indicateur incongru sollicite le regard. Il rappelle, en cyrillique et en latin, le cosmopolitisme d’Odessa par les distances des principales villes du globe : Saint-Pétersbourg 1493 km, Liverpool 2496 km et Marseille 2014 km.

odessa panneaux indicateurs

Les plages sont accessibles au-delà d’un parc et il est amusant d’emprunter un téléphérique de taille jouet, aux cabines ouvertes en plein air à partir de la taille. Chacune est d’une couleur différente et l’on y tient à deux. Le mien est vert pré, d’autres sont jaune d’œuf, rouge vermillon ou bleu azur. Il est conseillé de ne pas avoir trop le vertige, bien que l’on puisse s’asseoir, ce qui limite la danse de l’horizon. Mais les passages sur les pylônes font balancer quelque peu la cabine, même si elle va lentement. Un arrêt sur les câbles, pour quelque maladroit qui n’a pas su sortir à temps à l’arrivée, fait frémir les estomacs sensibles tandis que les jeunes garçons qui remontent de la plage en slip nous envoient signes et saluts moqueurs, trente mètres plus bas.

odessa telepherique vers la plage

Les plages sont noires de monde juste avant midi mais la mer est bleue comme la Méditerranée. Elle est ici qualifiée de « Noire » en raison des faibles différences de température entre les courants du fond et ceux de surface. Ces brassages ne suffisent pas à alimenter un plancton suffisant pour que les poissons puissent vivre. Des gamins brunis viennent se baigner directement depuis leur appartement du centre ville, empruntant les rues en vélo presque nus. Cafés et bars de la plage sont chers et leur rentabilité est augmentée par la location très « bourgeoise » de transats ou de matelas, ou par les services proposés de massage en plein air. C’est toute une industrie, développée à l’ère soviétique, que nous ne connaissons pas sur nos plages.

odessa plage sur la mer noire

Deux gamins en short de bain de 8 et 10 ans viennent mendier sans vergogne auprès des touristes, entre les tables des bars. Ils sont directs mais pas collants. Certains leur donnent 10 hrv, de quoi s’acheter un beignet chacun et un Coca pour deux ailleurs. On estime à 30% les Ukrainiens vivant sous le niveau de pauvreté. Le PIB par tête est de 7400 $ (estimation 2012), mais la richesse est très mal répartie, les 10% les plus riches comptant pour 22.5% de la consommation du pays en 2011 (un tiers de plus qu’aux États-Unis) alors que les 10% les plus pauvres comptent pour 3.8% seulement. Le taux de chômage officiel est à peine au-dessus de 8% (2013) mais si le travail au noir est très répandu, le comptage des vrais chômeurs est un leurre statistique. Au début des années 2000, des enquêtes estiment à près de la moitié du PIB officiel l’économie « informelle », l’État archaïque et clanique peinant à mesurer par son appareillage statistique le dynamisme réel d’une population qui aspire aux richesses et au bonheur pour ses enfants, et qui se « débrouille ».

odessa gamin mendiant torse nu

Le pays reste agricole, y employant 10% de sa population active pour produire du blé, de la betterave à sucre, de l’huile de tournesol, des légumes, de la viande de bœuf et du lait. L’industrie (29% de la population active) est principalement concentrée sur l’extraction du charbon, la production électrique, les métaux, les machines-outils et les véhicules de gros transport, la chimie et l’agroalimentaire. Il s’agit d’une économie productiviste du style d’après guerre, très marquée par la répartition des tâches entre « pays socialistes », ni autonome, ni moderne. S’il y a 59 millions de téléphones mobiles, c’est surtout en raison de l’état déplorable du réseau fixe, hérité de feue l’URSS. Il n’y a encore que 2.1 millions de postes Internet. La Russie représente 26% des exportations ukrainiennes, la Turquie 5% et l’Égypte 4%. L’Ukraine dépend encore étroitement de son grand voisin russe pour le pétrole et le gaz.

odessa russe blonde

Traditionnel lieu de villégiature de l’élite russe au 19ème siècle, puis de la nomenklatura soviétique (Staline y avait sa datcha), ainsi que des « bons de repos » pour un choix de la masse méritante jusqu’en 1991, les rives de la mer Noire sont aujourd’hui moins prisée par les touristes de la CEI. Après la chute de l’URSS en 1991, les dirigeants russes ont “déménagé” sur les rives du Caucase russe, à Sotchi. Les directions touristiques populaires sont devenues la Turquie et l’Égypte, moins chères et plus exotiques pour des habitants de l’Est, privés depuis des générations de voyages à l’étranger.

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La stratégie Hollande

Comme Mitterrand, son modèle, Hollande a changé officiellement de cap politique 18 mois après avoir été élu sur le rejet de son prédécesseur ; la « rigueur » mitterrandienne est devenue « pacte » avec les entreprises. Comme Mitterrand rue Mazarine, Hollande a aussi fauté dans la discrétion rue du Cirque – souhaitons que le fruit éventuel de ces amours ne porte pas le prénom de la rue, bien qu’il existe un Saint-Cirq dans les communes de France (Lapopie si c’est une fille). Je ne sais s’il consulte les voyantes, comme Mitterrand, je sais cependant que le président a demandé à un aréopage de hauts fonctionnaires de plancher et le tournant ne devrait pas être une surprise.

En témoigne l’audition de M. Jean Pisani-Ferry, ingénieur Supélec social-libéral et Commissaire général à la stratégie et à la prospective le 15 octobre 2013 au Sénat (son site). Ajoutons aussi l’habileté tactique politicienne de reprendre des revendications de l’UMP, vidant de son contenu son programme (si tant est qu’il existe : Copé n’est que réactif, il ne propose RIEN et ne fait travailler personne sur l’avenir). Bill Clinton comme Tony Blair et Angela Merkel ont repris à leur compte nombre de propositions de leur opposition et s’en sont électoralement bien portés. Si les actes suivent les discours (ce dont nous ne pouvons que douter pour l’instant tant les intérêts acquis des électeurs socialistes sont remis en cause), François Hollande risque d’être le prochain président en 2017…

francois hollande yeux

Voici le constat que Jean Pisani-Ferry expose aux sénateurs :

« Chacun connaît notre atout démographique : les générations dont le niveau d’éducation n’est pas élevé vont progressivement sortir de la population active au cours des prochaines années. Notre population active sera donc beaucoup mieux formée, au moment même où, dans une large mesure, celle des pays émergents le sera moins bien, pour des raisons de stocks et de générations.

« Nous disposons d’autres atouts considérables.

« Premièrement, nos infrastructures sont excellentes. Elles occupent le quatrième rang mondial.

« Deuxièmement, les entreprises françaises se caractérisent par leur force. Parmi les cent premières entreprises mondiales, huit sont françaises, neuf sont allemandes et quatre sont italiennes. Si l’intérêt de ces entreprises ne se confond pas avec celui du pays, nous pouvons quand même miser sur cet atout.

« Troisièmement, notre système de santé est parmi les meilleurs du monde. Il suffit, pour s’en convaincre, de se pencher sur les résultats des États-Unis, très médiocres au regard des montants dépensés.

« Cela dit, nous avons d’importants défis à relever.

« Nous devons d’abord identifier un défi relatif à ce que nous avons appelé « le modèle productif » – nous aurions aussi pu dire « la question de l’offre ». Ce défi tourne autour de la croissance, de l’emploi, de l’insertion dans la mondialisation. De longue date, la performance française en la matière n’est pas à la hauteur de nos capacités. Il suffit de regarder dans notre voisinage proche pour nous apercevoir qu’existe un risque d’asphyxie progressive de la croissance et du dynamisme. C’est ce qui s’est passé en Italie, avec toutes les conséquences que l’on peut imaginer du point de vue économique et social : le revenu par habitant est retombé à son niveau de 1997. L’Italie n’est pourtant pas un pays exotique…

« Nous sommes les premiers à reconnaître que la croissance n’est pas une finalité en soi. Nous n’avons pas la religion de la croissance. Néanmoins, sans potentiel de croissance, beaucoup de choses deviennent impossibles. En réalité, la bonne question à se poser n’est pas celle de la croissance, de son existence, de son niveau. Nous devons nous interroger sur nos finalités et nous demander en quoi la croissance peut être un instrument à leur service. Nous devons nous demander quelles qualités donner à la croissance et de quelle manière la concilier avec d’autres objectifs, notamment la préservation de l’environnement et la soutenabilité.

« Cela dit, la capacité à produire des gains de productivité demeure essentielle. Ce sujet recouvre plusieurs dimensions. Il revêt tout d’abord une dimension macro-économique, avec, notamment, la question de la rentabilité des entreprises du secteur exposé à la concurrence internationale.

« Il nous semble que l’on a trop souvent réduit la compétitivité à une simple question de relations capital-travail et de coût du travail. D’autres dimensions doivent être considérées, notamment toutes celles qui touchent aux relations entre, d’une part, les secteurs, les entreprises et les salariés exposés à la concurrence internationale et, d’autre part, le reste de l’économie, dont la capacité à assurer sa propre profitabilité et, dans certains cas, à bénéficier de rentes pèse aussi sur le secteur exposé.

« Pour notre part, nous nous interrogeons sur la démographie des entreprises, sur l’écosystème d’innovation, sur la taille du secteur exposé à la concurrence internationale et sur la manière de le faire grandir.

« On dit souvent que l’on va créer des emplois qui ne sont pas délocalisables. C’est compréhensible : il s’agit de protéger les emplois. Mais, dans le même temps, c’est oublier que nous sommes précisément confrontés au problème du trop faible nombre d’emplois délocalisables, lesquels sont producteurs d’exportations – quels que soient, du reste, les produits dont il s’agit. Or, par définition, de tels emplois sont soumis à la concurrence internationale et sont donc délocalisables. Une économie qui n’aurait plus d’emplois délocalisables n’exporterait plus rien !

« Si nous voulons refaire surface dans les échanges internationaux – nous y avons perdu pied en termes de parts de marché à l’exportation, de solde et d’endettement extérieurs –, nous devons faire en sorte que ce secteur exposé à la concurrence internationale grossisse de nouveau. Comment procéder ? S’agit-il seulement de le réindustrialiser, ou s’agit-il également d’étendre le champ de ce qui s’échange ? Nous sommes obligés de nous le demander ! En raison de la technologie, un certain nombre de secteurs qui, traditionnellement, n’étaient pas exposés à la concurrence internationale le deviennent de plus en plus. La question est de savoir si nous voulons y reprendre pied.

« La deuxième dimension est sociale. Sur ce plan, le constat que nous dressons est brutal. Notre pays, plus que d’autres, est très attaché à l’égalité, et il ne semble pas qu’il y ait de volonté collective de renoncer à cet attachement. Notre capacité à limiter l’augmentation des inégalités de revenus est relativement satisfaisante. Elle ne l’est pas complètement, mais elle est meilleure que dans d’autres pays. En revanche, du point de vue des inégalités d’accès au savoir, au logement, à l’emploi, notre performance n’est pas bonne. L’école, en particulier, échoue à corriger les inégalités d’origine sociale. Dans les comparaisons internationales, la France est l’un des pays de l’OCDE qui réalisent les plus mauvaises performances en la matière. La capacité de notre école à corriger ces inégalités a même, hélas ! reculé. Or de telles inégalités se perpétuent bien évidemment ensuite tout au long de la vie active. Je me réfère ici aux indicateurs de l’OCDE, aux enquêtes PISA, réalisées dans beaucoup de pays. Ces enquêtes ont souvent servi de révélateur de l’état du système scolaire et de sa capacité à produire ou non de la qualité et de l’égalité. C’est ce qui s’est passé chez nous.

« Dans ces conditions, nous nous interrogeons sur les moyens et les instruments à utiliser. Au fur et à mesure des difficultés rencontrées, des mutations de la société, de l’apparition de situations sociales difficiles, nous avons empilé les dispositifs et, d’une certaine manière, nous avons construit, sur un État de service public, un État bismarckien, puis un État beveridgien et, maintenant, un État d’investissement social. Or tout cela a représenté un coût élevé et n’a pas abouti à des performances particulièrement remarquables. Dès lors, ne faut-il pas, d’ici à dix ans – cet horizon le permet –, réfléchir à une approche mettant davantage l’accent sur l’investissement social, sur le préventif plutôt que sur le curatif, et, dans le même temps, aux instruments – fiscalité, transferts, etc. – qui doivent être le plus mobilisés dans la redistribution de nos revenus ?

« La troisième dimension est celle de la soutenabilité. Cette notion, traditionnellement utilisée dans le domaine environnemental, s’est progressivement invitée dans le domaine financier, s’agissant notamment des dettes publiques. Nous avons choisi de réunir ces deux aspects. En effet, si nous voulons apprécier la qualité de notre croissance et de son évolution sur une décennie, ne convient-il pas de considérer la société comme créatrice, d’une part, d’actifs – par ses investissements dans l’éducation, dans les entreprises, dans les équipements collectifs – et, d’autre part, de passifs – par son endettement ou la dégradation de l’environnement qu’elle lèguera à la génération suivante ? »

senat france dans 10 ans

Notons à la lecture que :

Cet exposé suinte l’idéologie : quand le Commissaire compare le système de santé français à l’américain (qui n’a strictement RIEN à voir), il est polémique ; une comparaison avec l’Allemagne, la Suisse ou le Royaume-Uni – pays européens proches – aurait été plus réaliste.

Il est revêtu d’un biais nettement économique, même si l’économie est le nerf de la guerre politique, les dimensions citoyenne, européenne et globale comptent. La « soutenabilité » à 10 ans est peut-être avant tout économique (produire plus, mieux, et avec moins de gaspillages publics), mais l’avenir au-delà de 10 ans se prépare aujourd’hui, dans une autre façon d’envisager la croissance, probablement.

Le couplet rapide sur « les atouts » français est du politiquement correct sans intérêt pratique. La démographie ne restera plus dynamique qu’ailleurs que pour des raisons précises : lesquelles ? les allocations familiales ? quid en ce cas de la fiscalité en cours de revue ? les crèches ? sur quelles dépenses locales vont porter les réductions ?

Le diagnostic implacable sur l’empilement des dispositifs devrait déboucher sur des propositions concrètes rapides. C’est là en effet que se situe la paperasserie bureaucratique, la viscosité décisionnelle, les obstacles sans nombre mis à l’initiative – sans que « le contrôle » soit à la hauteur (voir le traitement inepte du chômage, le scandale du Médiator, le cheval roumain et autres je-m’en-foutismes administratifs dont « personne » n’est jamais responsable).

Si le président Hollande a du mal à prendre une décision (même pour affaires personnelles semble-t-il), il fait travailler – comme son modèle Mitterrand – de nombreux think tanks de hauts fonctionnaires. Qui sont à examiner pour qui veut comprendre où il pourrait aller… à condition que les décisions suivent.

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Quel coût du travail pour quelle croissance ?

J’entends à la radio, je lis dans les journaux, le mantra socialiste : « quand la croissance reviendra, les efforts actuels de rigueur porteront leurs fruits ». Or il y a illusion : « la » croissance ne reviendra pas. La rigueur devra être structurelle et pas seulement conjoncturelle. Il est vital de réformer l’État, de faire maigrir son millefeuille d’irresponsabilités empilées et coûteuses.

Pourquoi le gouvernement socialiste actuel ne prend-t-il pas la mesure réelle des choses ? Probablement parce que les gouvernements de droite depuis 2002 ont masqué la dégradation en ne revenant ni sur les 35 heures, ni sur la faible représentativité des syndicats (qui les rend extrémistes), ni sur les taxes (qui continuent à rentrer malgré les conséquences). La droite a préféré d’autres mesures comme le crédit d’impôt recherche, les fonds d’investissement et les droits de succession. C’était un encouragement à entreprendre et à investir dans les périodes de croissance, mais pas dans la mutation que nous connaissons. Droite et gauche sont dans l’erreur quand elles « croient » en la croissance. Celle-ci reviendra, mais faiblement.

Il suffit de consulter les bases de données de l’INSEE. Internet a cette vertu, depuis 15 ans, de ne plus permettre aux gouvernants de dire n’importe quoi. Si l’information est le pouvoir, Internet l’a largement démocratisé !

Regardons la Production intérieure brute de la France depuis 1950 (PIB). Sa croissance est en moyenne de 5% durant la décennie 1950-60, de 5.9% entre 1960 et 70, de 3.9% de 1970 à 80, de 2.3% de 1980 à 90, de 2.0% de 1990 à 2000, enfin de 1.4% de 2000 à 2010. Depuis le top du baby-boom des années 1960 (donc de l’optimisme travailleur et consommateur), la croissance baisse chaque décennie un peu plus – inexorablement.

C’est encore plus net si l’on prend le PIB par habitant (ce qui inclut les inactifs, les assistés et les chômeurs) : 11.4% de croissance dans la décennie 1950-60, 9.3% entre 1960 et 70, 12.8% entre 1970 et 80 (années de forte inflation et de réorganisation à cause du choc pétrolier), 8.7% de 1980 à 90 – mais 3.1% de 1990 à 2000 (retard de l’informatisation et de l’organisation qui va avec) et 2.6% de 2000 à 2010 (35h, coût du travail et montée de l’assistanat, paperasserie législative proliférante).

La France, avec ses syndicats bloqués qui ne défendent que les zacquis de ceux qui sont en CDI dans les grandes entreprises et l’administration, garde une nette « préférence pour le chômage » (mot heureux de Denis Olivennes). Si sa productivité par travailleur est très correcte par rapport aux autres pays, sa productivité rapportée à la population active en âge de travailler chute : en cause les 10 à 15% d’exclus, chômeurs à plein temps ou n’ayant travaillé ne serait-ce qu’1 h par mois.

La progression des exportations (toujours visible sur le site de l’INSEE) mesure l’attractivité de la France dans le monde (et surtout en Europe, qui absorbe plus de 70% des exportations). On passe d’une croissance moyenne de 7.3% dans la décennie 1950 et jusqu’à 9.9% dans la décennie 1960, 8.2% dans les années 1970 mais un retour à 4% dans les années 1980 (Mitterrand au pouvoir), puis 6.7% dans les années 1990 (Chirac puis Jospin au gouvernement), enfin 2.5% dans les années 2000 (35h et manque de réformes obligent). Avec un rebond récent grâce à Airbus, mais étroitement focalisé, au contraire de la palette de produits exportés allemands.

pib export cout du travail 1998 2011

Reparlons des charges et des salaires (ces derniers supportant eux aussi des charges sociales + un impôt sur le revenu + un impôt sur les successions ou sur la fortune). Un gros État coûte cher. Un gros État qui offre des services inégalés rend content le citoyen. C’est le cas pour la famille et la santé, un peu pour la défense et même la police. Mais ce n’est absolument pas le cas pour l’administration, l’éducation, la justice, le logement, l’intermittence du spectacle, l’entreprise… La masse de taxes prélevées par un État incapable de s’adapter pèse sur la croissance, sur la consommation, sur l’envie d’entreprendre et sur la production. Donc sur le mental du citoyen, qui ne rêve plus que de sortir les sortants, de payer le moins d’impôts (gaspillés) possibles et de grand balayage des « privilégiés » (patrons, politiciens, fonctionnaires…).  Aussi injuste que cela soit.

Depuis 1998 (15 ans), les salaires + les charges dans l’industrie (ce qui exclut les services, dont la finance) ont augmenté de 42.5% – mais surtout de 26.6% depuis 2005 (8 ans), alors que l’inflation n’a augmenté que de 15.5% sur 8 ans. Les salaires seuls (dans l’industrie) ont fait mieux que l’inflation depuis 2005 (+21.8%). Signe que l’on embauche des plus qualifiés et que l’on délocalise le peu qualifié… reléguant lesdits non qualifiés dans un chômage irrémédiable – sans que la formation professionnelle leur soit ouverte.

Les charges seules (dans l’industrie) ont monté : +1.7% de 1998 à 2005, mais +4.8% de 2005 à fin 2012 ! Un simple exemple : le taux de cotisations salariales obligatoires des non-cadres était en 1981 (à l’arrivée de François Mitterrand) de 11.9% du salaire sous plafond de la sécurité sociale ; il est de 13.7% en 2013. Une CSG de 7.5% + 0.5% de CRDS sur 97% du salaire brut a été ajoutée en 2005, les deux passées sur 98.25% du salaire brut en 2012. Sans parler des cotisations retraites et chômage qui ont augmenté aussi. Toujours plus !

Un empilement des taxes, sans jamais savoir où elles vont, ni comment elles sont gérées, ou si elles sont toujours justifiées. Les députés cumulent, poussés par des technocrates qui savent ajouter là où ça ne se voit pas, sous l’œil bienveillant des politiciens pour qui dépenser plus est toujours électoralement payant. Ce qui explique pourquoi le gros site Nissan de Sunderland en Angleterre, qui fonctionne à plein avec trois équipes, est bien plus productif que les trois sites français de Renault qui tournent avec une seule équipe. En 2001, Renault fabriquait en France 1,3 million de véhicules ; en 2012 seulement 532 000. Les usines Renault tournent à 60 % de leurs capacités, au-dessous du seuil de rentabilité – situation qui ne pourra durer.

Le graphique montre bien que la situation n’est pas tenable. La croissance ne reviendra guère qu’autour de 2 à 3%, pas plus. Elle dépend de la population, et surtout de la population active. Or la progression démographique baisse et les inactifs gonflent, tandis qu’on rogne retraites et prestations sociales. Pas de quoi produire plus ni consommer plus, ni faire plus d’enfants. Surtout si l’État obèse géré par des mous (harcelés de lobbys locaux sans contrepouvoirs démocratiques) ne se muscle pas.

Remplaçons le plus par le mieux, la planète appréciera… mais pas les rentrées d’impôts. La productivité peut encore monter un peu, si l’industrie se recentre sur la valeur ajoutée : mais cela signifie inventer sans cesse des produits nouveaux qui plaisent (donc faire passer un violent courant d’air sur l’Éducation nationale jusqu’aux universités), gérer encore mieux les ressources rares (donc faire du capitalisme, système d’efficacité économique incomparable), inciter les meilleurs à rester sans que le fisc vienne tout niveler (donc creuser les inégalités méritocratiques), mieux former chacun et que tous aient un travail. Les Français confits en privilèges et statuts sont-ils prêts à financer la recherche, donner l’autonomie réelle aux universités et aux lycées, éduquer à travailler en équipe et pas à obéir au prof du haut de sa chaire, sortir des seuls maths qui font des arrogants et des théoriciens, encourager les économies d’énergie, d’emballage, de réglementations, de paperasses – et cesser de matraquer fiscalement ceux qui réussissent par leurs mérites ?

Un bien vaste programme pour un gouvernement empêtré dans une idéologie d’un autre âge : la jeunesse des gouvernants, celle des Trente glorieuses qui ne reviendra pas. Le temps qu’ils prennent conscience (ça vient), qu’ils mettent en branle les réformes (trop timides), qu’ils convainquent les zélus, les saints délicats, les fonctionneurs et tous ceux qui n’aiment pas changer d’habitudes, ils auront perdu quelques élections au profit des clowns ou des méchants – et le pays aura perdu encore des années.

C’est le prix à payer pour la démocratie… si elle survit. Rien de tel qu’un effondrement pour voir ressurgir les dictateurs. Le grand méchant Machin est en embuscade, tout comme la fille du Borgne.

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Cherche politique économique – urgent !

A écouter la pensée unique des économistes, experts autoproclamés, sur les radios et dans les journaux, tout serait simple : Nicolas Sarkozy a fait une « mauvaise » politique, il suffirait de faire « le contraire » pour que tout aille pour le mieux dans le meilleur des mondes. Il a encouragé une politique de l’offre, favorable à la production et aux entreprises par des baisses ou transferts de taxes, et favorable à l’investissement par des niches fiscales dans l’innovation ? Faisons une politique de la demande, favorable à la consommation et aux ménages par des impôts sur les entreprises et les « riches » (dès 3000 € par mois), et rendons l’investissement aux mains centralisées de l’État qui sait tout, qui peut tout, qui lui seul distingue l’intérêt (électoral national) des intérêts particuliers (mondiaux).

Dans ce scénario rose, manque la réalité. L’intelligentsia socialiste se rend compte, dix mois après avoir conquis le pouvoir, qu’elle avait mal vu la crise, mal anticipé l’ampleur des déficits, et fait des promesses irréalisables. Non, la croissance ne se décrète pas. Non, l’emploi n’est pas assuré en faisant cracher « les patrons » au bassinet. Non, l’État ne peut pas tout, surtout dans le cadre d’une Europe qu’on a voulu, et qui ne se conduit pas comme la machine administrative hiérarchisée française.

Yaka donner du pouvoir d’achat, clament à la fois les syndicats (qui ne représentent qu’à peine 8% des salariés français et aux deux tiers syndicats de fonctionnaires) et les économistes-de-gauche, toujours prêts à la générosité avec l’argent des autres (confortablement installés en chaire). N’y aurait-il donc qu’un chômage keynésien, lié à la faiblesse de la demande et au sous-emploi des capacités de production ? Certes, à cause de la crise, mais très peu : le chômage existait avant, bien plus en France qu’ailleurs. Il s’agit donc d’un chômage structurel, dû au progrès technique insuffisant et mal traduit en entreprise, au capital disponible trop faible, à une fiscalité décourageante, au fonctionnement du marché du travail qui privilégie les inclus et rigidifie toute séparation, donc inhibe toute embauche bien plus qu’ailleurs (ce que la CGT illustre chaque jour).

La crise conduit dès 2008 à une baisse de la demande intérieure à cause de la méfiance envers le système financier et des politiques budgétaires restrictives dues à la dette, dans le même temps que le secteur privé se désendette aussi en raison de la restriction du crédit. La stratégie (Sarkozy comme Hollande) a consisté en France à augmenter les impôts en ne touchant que marginalement à l’organisation d’État, élections obligent. Cela après 30 ans de promesses démagogiques et de non-politique : surtout ne rien faire qui puisse fâcher quiconque ; il n’est pas de problème que l’absence de solution ne finisse par résoudre. Mais comme nous ne sommes pas seuls – ni en Europe, ni dans le monde – nous voici au pied du mur.

productivite par tete france 1996 2013

La concurrence des pays émergents accélère. La théorie abstraite selon laquelle la technologie serait chez nous et les petites mains chez eux est battue en brèche par la réalité qui veut que toute exportation exige des transferts de technologie, vite copiés par une production locale afin de supprimer le besoin d’importer : le TGV chinois, les avions Embraer brésiliens, les avions de chasse indiens, les smartphones coréens… Dans le même temps, avec la même crise financière mondiale et le même niveau relatif de l’euro par rapport aux autres monnaies, l’Allemagne s’en sort bien. N’accusons donc pas les autres de notre incurie : soyons un peu moins perso, un peu moins obstinés à croire que nous disons le Bien, un peu moins aveugles aux réalités du monde. Nous devons encourager plus de collectif en Europe, être moins idéologique, moins jacobin-marxiste, plus conscients des concurrences et des enjeux.

Dans toute l’Europe du sud – et en France un peu – il faut certes réduire la composante keynésienne du chômage en reconnaissant que la réduction simultanée et rapide des déficits publics entraîne en récession. L’idée de « dévaluation interne » ne fonctionne pas : les prix sont trop rigides (à cause de l’emploi non flexible et des taxes contraintes), le freinage des salaires conduit à un recul trop fort des salaires réels (car le poids relatif des taxes patronales et salariales augmente). La demande des ménages faiblit et la compétitivité ne s’améliore pas. Il faut réduire moins vite les déficits publics et conforter les salaires réels pour réduire a petite part (keynésienne) du chômage.

salaire reel par tete france et europe du sud 2002 2013

Mais cela ne saurait suffire. La croissance ne se décrète pas, elle se construit par une politique intelligente et à vue longue. La stimulation de la demande ne peut pas réduire le chômage structurel, dû à la façon dont notre économie est organisée : gains de productivité faibles, pression fiscale élevée, importantes destructions de capacité de production et recul de l’investissement. Il faut donc une politique nette de soutien à la productivité, à l’innovation, à l’éducation supérieure, une réforme fiscale qui baisse les taxes sur le travail (part salarié et part employeur), et une meilleure flexibilité du marché du travail qui permette une embauche plus souple avec des règles de protection générales des salariés.

Le déficit public de la France doit être réduit à 3% du PIB en 2017, mais la croissance restera faible. Il faut donc réduire la dépense publique. Patrick Artus, de Natixis, dans une note de mars 2013, a évalué cette réduction à « 50 Mds € constants de 2013, soit de 4,3% du montant total des dépenses publiques, soit 2,4 points de PIB. » Il lui semble que cette réduction devrait porter sur les aides au logement (élevées et qui font monter les prix de l’immobilier), la défense (dépenses plus fortes que les autres pays de la zone euro), la retraite (presque 3 points de PIB de plus que dans le reste de la zone euro, en augmentation rapide), enfin – sujet plus controversé – les allocations familiales (plus élevées d’un point de PIB en France que dans le reste de la zone euro).

Après les déboires grecs et les élections en Italie, poussés par la base, des gouvernements hostiles à l’austérité surgissent. L’Europe va-t-elle s’adapter et autoriser un délai dans la réduction des déficits publics, accroître les investissements européens, et pousser la demande en Allemagne ? Plutôt que la rigidité (politique et de façade), l’Europe est pragmatique : malgré les médias qui ont du mal à comprendre son fonctionnement et malgré les politiciens nationaux, toujours prêts à accuser « Bruxelles » de toute mesure impopulaire (qu’ils ont approuvée), le système a toujours trouvé les ressources nécessaires pour surmonter les crises. C’est lent, lourd, peu lisible, mais réel.

Surtout lorsque les exportations allemandes hors zone euro fléchissent (24% du PIB de l’Allemagne, en croissance de 7% par an jusqu’en 2012). L’Allemagne ne va pas être plus tirée par le reste du monde que les autres pays européens, la concurrence des émergents est forte. La politique économique européenne, avec l’assentiment allemand, devrait être moins focalisée sur la dette (sans méconnaître sa réduction) et plus sur la compétitivité mondiale (ce qui vient à pas lents).

La politique nationale française, sous François Hollande, devrait revenir à petites touches vers le réalisme d’une politique de l’offre : assurer la production en confortant les entreprises avant de penser à redistribuer, tout en remaniant la fiscalité pour une meilleure justice et affirmant l’investissement dans l’éducation, la recherche et l’innovation.

Il suffirait cependant qu’on le dise, que cela soit clair et pas obscurci par la fumée idéologique, les déclarations intempestives, les couacs ministériels et une agitation syndicale démagogique qui ne sert pas l’image de la France pour les investisseurs étrangers.

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France Chine la question du modèle économique

Le monde change et la façon de voir l’économie aussi :

1. Les prix de l’énergie sont en hausse durable car l’énergie bon marché abondante n’existe pas encore et les réserves fossiles s’épuisent alors que de plus en plus de pays émergent à l’industrialisation.

2. Le mouvement social vers le progrès du niveau de vie prend son essor dans les pays émergents mais surtout en Chine, pays essentiel par sa masse de manœuvre salariée.

3. Les pays développés sont en panne de croissance et peinent à financer l’innovation pour cause de système financier qui a failli et d’endettement d’État en excès.

Ces trois éléments font que les « modèles » chinois et français deviennent inadaptés, ils doivent changer sans illusions.

La Chine a tout fondé sur l’investissement et l’exportation, ce n’est plus viable. Le pays doit désormais favoriser sa consommation intérieure pour continuer à croître et apaiser ses tensions sociales. Curieusement, la France aussi. Tous les pays développés doivent retrouver une croissance fondée sur autre chose que sur les exportations de technologie avancée, tant est rapide la copie moins chère de ces mêmes technologies. Il s’agit de relocaliser et de démondialiser pour retrouver une croissance locale durable.

Miser tout sur l’investissement est bel et bon en phase de rattrapage de croissance. Mais n’investir que pour exporter crée en Chine une nette pression inflationniste et détourne les ressources publiques des secteurs sociaux : santé, éducation, recherche, protection sociale. Il force l’épargne à accepter une rémunération négative tout en exerçant une pression fiscale excessive sur la classe moyenne. En Chine comme en France, les entreprises d’État et les grandes fortunes sont moins taxées que les ménages moyens. Ces derniers ont une part de salaire nette insuffisante pour assurer la consommation interne qui permette une croissance « normale » pour le pays. Elle est d’environ 30% du PIB en Chine contre près de 50% dans la plupart des pays émergents.

En France, le prélèvement à la source des cotisations patronales sur les salaires, avant même de taxer le salaire brut du salarié, puis de lui réclamer la CSG une fois l’an, en sus de son impôt sur le revenu, des taxes d’assurance, taxes carburant et TVA, entraîne un pouvoir d’achat faiblard. Plus que dans les pays européens voisins. Dans le même temps, l’énergie plus rare et l’immobilier qui reste la seule épargne attirante après la faillite des produits de placement (subprimes, hedge funds et autres inventions de la finance), génère une inflation qui accentue les inégalités entre ceux qui peuvent quand même se loger, se chauffer et voyager, et tous les autres. Certes, les services publics sont présents, pas comme en Chine. Mais leur incapacité congénitale à se réorganiser pour accepter ne serait-ce que l’informatique, ou un service mieux adaptés aux usagers (SNCF, école, guichets publics), fait que la qualité se dégrade tout en stressant les fonctionnaires sommés de paperasser toujours autant avec moins de monde pour le faire et des horaires réduits à 35 h.

En Chine, la TVA à 17% détourne la richesse de la classe moyenne vers l’État alors que les gros revenus, les spéculateurs et les entreprises publiques sont protégés. En France, n’importe quel petit paye en proportion autant de taxes salariales, TVA, taxe carburant et CSG qu’un gros – alors que 43% d’un salaire élevé (somme des taxes sur le bulletin de paie) n’équivaut pas à 43% d’un petit salaire. Les grandes entreprises privées échappent plus facilement à l’impôt que les petites. Les niches fiscales favorisent les gros revenus pour un bénéfice collectif qui reste à démontrer.

La démagogie gouvernementale, tant en France qu’en Chine, tend à « corriger » ces déséquilibres par du logement social ou une promesse d’encadrer les loyers. Ou par des « emplois jeunes » qui font de cette catégorie d’âge une sous-espèce de salariés, parquée jusqu’à ce qu’ils aient l’âge d’être considérés enfin comme des citoyens adultes. Ce ne sont que des pis-aller provisoires qui ne règlent en rien les causes. La France a une nette « préférence pour le chômage », comme le dit Denis Olivennes, favorisée par la rigidité des réglementations du travail, les taxes élevées sur les salaires et des syndicats peu représentatifs avides de surenchère. Or la classe moyenne en France comme en Chine veut tout simplement être traitée comme les autres : faire des études, obtenir un emploi, acquérir un logement.

A la différence de la France, coincée avec les vertueux dans l’euro, la Chine est maître de sa monnaie. Qu’elle maintient soigneusement hors des échanges, afin de ne pas la réévaluer et de poursuivre un petit peu plus son « modèle » d’exportations à bas prix. Mais ce déséquilibre persistant n’est pas tenable. Soit l’inflation explose en Chine, soit des mesures de rétorsion protectionnistes interviennent aux États-Unis et en Europe à courte échéance. Au G20, Pékin continue à refuser de réajuster sa monnaie et affirme (en termes plus diplomatiques) se moquer des conséquences négatives pour l’équilibre des finances mondiales de ses réserves colossales de change. Elle utilise cette masse pour créer de la monnaie interne pour éviter de l’apprécier. D’où l’opposition des États-Unis à la proposition française d’intégrer le yuan au « panier des monnaies » permettant de calculer les Droits de Tirage Spéciaux du FMI.

Faut-il pour cela, comme le propose le Front national et d’autres souverainistes, que la France sorte de l’euro ? Ce serait avouer crûment notre incapacité à vivre comme les autres, dans un monde interconnecté où tout s’échange, incapables de réorganiser nos façons de faire. Avouer que nous sommes fatigués de créer et d’innover, que nous n’avons plus rien à échanger avec le monde. Avouer donc que nous sommes en réel déclin.

Il est curieux de constater combien un pays totalitaire comme la Chine et un pays dit ouvert comme la France conservent des comportements soviétiques. Le tout État ne génère jamais rien de bon. Il est nécessaire de réguler et de surveiller, mais aussi de laisser agir et créer. Donc de laisser au salarié une part suffisante de ce qu’il gagne. La prédation d’État, fût-elle dégoulinante de bonnes intentions, est toujours soupçonnée de préférences partisanes et de clientélisme politique, sans parler de gabegie pour cet argent trop facilement collecté.

Le monde se réduit parce que la planète ne permet pas que tous les pays vivent sur le gaspillage américain. Chaque pays se replie un peu sur lui-même pour simplement survivre. Il s’agit donc de faire des économies en réorganisant l’économie, pas de « grands travaux » politiques, toujours démagogiques. C’est ainsi que la réforme de la fiscalité proposée par le Parti socialiste est intéressante, de même que l’idée de « démondialisation » d’Arnaud Montebourg. Mais que les « emplois jeunes » sont une vieille pipe dont on sait très bien, par expérience sous Jospin, qu’elle conduit directement au parking après une jouissance éphémère.

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