Avec les jours, je poursuis ma réflexion sur les évolutions politiques en cours en France – qui ne sont pas indépendantes de celles du monde. Je poursuis sans jamais la rattraper car c’est le propre d’une réflexion de n’avoir pas de fin. Si elle se fige, elle meurt, devenant dogme.
C’est ce que la gauche française surtout n’a jamais compris, depuis les origines marxistes du Congrès de Tours – puisqu’elle croyait (au sens religieux) détenir la Vérité scientifique de l’Histoire. D’où l’échec du parti socialiste, d’où l’échec du parti anticapitaliste de Mélenchon – prendre comme modèle un Chavez qui a précipité son pays en faillite n’est pas très prometteur, ce qui explique en grande partie le score de la France insoumise aux dernières européennes…
A droite, c’est un peu différent car il n’y a aucun dogme mais des intérêts (pas toujours « bien compris »). Il s’agit de conserver les positions sociales et de fortune acquises, donc de tout changer pour que rien ne change, de jouer sur les apparences en illusionniste. Mais n’est pas magicien qui veut, encore moins Bonaparte. Car Les Républicains fonctionnent sur le modèle « bonapartiste » où un personnage (jusqu’ici un homme) « incarne » la nation. Peu importe dès lors son programme, un catalogue de mesures plus ou moins applicables, ou ses promesses, « qui n’engagent que ceux qui les croient » selon un spécialiste (Jacques Chirac).
Napoléon Bonaparte avait incarné parfaitement la nation française face aux anciens régimes européens, après le séisme de la révolution française. Il se posait en mouvement et en créateur de droits neufs, en regard de l’immobilisme du seul droit divin des monarchies confites en satisfaction. Louis-Napoléon, dit Napoléon III avait libéralisé l’économie et encouragé la prospérité avant de sombrer dans les rêves d’empire latin aux Amériques et d’honneur mal placé face à la puissance prussienne. Ce furent ensuite Clémenceau, deux fois président du Conseil avant et après la guerre de 14 et « Père la victoire ». Puis de Gaulle et son appel à la résistance puis sa poigne face aux putschistes d’Alger. Depuis l’origine de la Ve République, « le gaullisme » est l’autre nom du bonapartisme. Jacques Chirac, peu gaulliste mais franc bonapartiste, aimait enlever à la hussarde une élection, jouant sur le mythe de l’État national républicain à Exécutif centralisé. Nicolas Sarkozy l’a utilisé, histrion de communication et naïf face aux gadgets mais d’une grande efficacité lors des crises : la financière de 2008, celle de l’euro en 2011, la Grèce, la Géorgie. Dans le système bonapartiste, les élites entraînent l’adhésion populaire, confirmée à chaque élection et, dans les circonstances exceptionnelles, par un référendum. Quand l’adhésion n’est plus, le chef s’en va. Qu’on le regrette ou pas, une page se tourne.
Ce pourquoi Laurent Wauquiez quitte la présidence du parti, faute d’avoir séduit. Il a trop voulu décalquer le Rassemblement national pour se voir suivre par les conservateurs modérés de l’ancienne UDF ; il n’a pas su proposer un nouveau projet national aux déçus de l’échec de François Fillon ; il a voulu ratisser large sans en avoir l’envergure. Résultat : les modérés sont partis en marche et les durs ont préféré l’original à la copie. Pour un français national, être pris en « sandwich » est une ironie du vocabulaire.
Lorsque le bonapartisme a un élan, il est dû à son chef. Il rallie selon son panache à la fois les conservateurs et les modérés, les grands bourgeois assurés de l’autorité, les petits-bourgeois qui se voient exaltés par la nation, et la constellation paysanne attachée au terroir et à la terre. D’où le rétablissement de l’ordre contre la « chienlit » puis l’instauration de « la participation » sous de Gaulle, le tropisme de Chirac pour le cul des vaches ou la résistance à la guerre de Bush en Irak, et le « travailler plus pour gagner plus » de Sarkozy. Wauquiez est resté dans le négatif, l’opposition pure et simpliste au gouvernement. A ce jeu, le parti tribunicien gagne toujours, avant-hier le parti Communiste, hier le Front de gauche, aujourd’hui le Rassemblement national. Il n’y a aucune place pour Les républicains en termes tactiques.
Les partis « attrape-tout » sont aujourd’hui La république en marche, Europe écologie les verts et le Rassemblement national. Leurs leaders n’ont guère de charisme (même Emmanuel Macron, sauf sa jeunesse dont il joue), même si les programmes ont récupéré à peu près tout ce qui peut se désirer politiquement aujourd’hui. Mais ces trois partis qui recomposent la politique française n’ont ni le même élan ni la même capacité à fédérer les volontés politiques – à « faire assemblée » comme on disait jadis.
Le Rassemblement national rassemble, mais les mécontents. Cet aspect purement négatif fait plaisir et exalte les médias : lorsque la chemise brune est recouverte d’un gilet jaune, c’est « le social » qui s’exprime ! le « peuple » en son mouvement et sa convivialité faite de clopes et de barbaque partagées autour des barbecues. Sauf qu’ils tournent en rond dans les provinces et qu’ils cassent dans les grandes villes, sans aboutir à autre chose qu’à l’agitation permanente. Politiquement, ce mouvement débouche sur quoi ? Les listes jaunes aux européennes ont fait un score minable, signe que les 47 millions d’électeurs ne sont pas les 47 000 manifestants, qu’ils ne s’y reconnaissent pas, même si exprimer un ras-le-bol conforte toujours l’ego (ça ne va jamais !) et titiller les élites qui nous gouvernent un rappel utile afin qu’ils n’oublient pas de gouverner pour tous. Presque la moitié de ceux qui se disent gilets jaunes ont voté pour le Rassemblement national, mettant fin à l’hypocrisie médiatique qui voulait en faire un mouvement insoumis. Le reste a-t-il voté vert ? C’est peu probable puisque les écolos sont favorables à taxer le carburant, la barbaque et la clope, tout ce qui fait l’ultime plaisir de se retrouver ensemble. Ont-ils voté Les républicains ? C’est peu probable au vu du score effondré de la liste emmenée par un prof de philo d’une banlieue royale. Ont-ils voté insoumis ? Très partiellement car la liste n’a pas décollé et a fait moins qu’auparavant. Ils se sont abstenus, mais pas tant que cela puisque la participation a été en hausse. Donc le Rassemblement national agrège les mécontents, dont une bonne part de gilets jaunes, mais son score rebondi représente moins un projet national-souverainiste pour la majorité de ses électeurs que la fonction d’opposition radicalement affirmée vis-à-vis des élites, des villes et des mondialisés. En témoigne la reculade sur le Frexit comme sur la sortie de l’euro, perspectives vraiment trop impopulaires…
Europe écologie les verts rassemble surtout les jeunes, qui se foutent des jeux de politiciens et votent pour « une idée » : le climat, la santé, la réconciliation avec la nature. Mais cette idée platonicienne (à laquelle tout le monde peu souscrire) ne débouche pas sur grand-chose politiquement. S’agit-il de révolutionner autoritairement le pays, comme le fit jadis le communisme au nom d’une autre grande idée ? Ou s’agit-il d’adapter progressivement les comportements via les incitations financières, les campagnes éducatives, les nouvelles techniques et la recherche, de façon à ce que la transition reste socialement acceptable ? Le projet n’est pas tranché, entre le noyau dur porté à un certain fascisme vert et les nouveaux attrapés portés à composer. Quant à « l’idée », ne serait-elle pas dictée par la nécessité, aussi forte qu’une religion ? Si les experts scientifiques déclarent, par un vote majoritaire, qu’il est urgent de limiter le réchauffement en cours sous peine de graves désordres climatiques et sociaux, quelle place reste-t-il donc à l’utopie politique ? Que les techniciens gouvernent et que les politiciens se convertissent à l’administration des choses fait-il un projet ?…
La république en marche apparaît comme le seul parti aujourd’hui qui soit à la fois attrape-tout (« et de droite et de gauche ») et qui présente un projet positif pour la république et pour la nation. Chacun peut discuter les modalités du projet et de sa mise en œuvre, ou même le refuser, mais il s’agit pour la France de s’adapter au monde et de s’unir plus étroitement aux pays d’Europe qui le désirent pour être plus forts ensembles dans la mondialisation. Ce qui implique des réformes de structure pour desserrer le carcan administratif jacobin qui enserre le pays, des économies pour un budget très endetté et dont les impôts sont désormais perçus comme trop élevés, et la lenteur exigée des discussions et pédagogies exigées pour l’assentiment. Ce n’est pas très attractif pour les pressés du yaka, ni très séduisant pour ceux qui exigent à la fois plus de services publics et surtout moins d’impôts, ni très entrainant pour ceux qui se sentent largués par la complexité des choses. Mais gouverner n’est pas simple, contrairement à ce que veulent laisser croire les démagogues.
Y a-t-il une place pour les anciens partis désormais effondrés ? Probablement pas, à moins qu’ils ne trouvent de nouveaux leaders, plus charismatiques, et un nouvel idéal à proposer pour entraîner les foules.
Dix ans de blog !
Le 8 décembre 2004, sur l’invitation du journal Le Monde, j’ouvrais un blog : fugues & fougue. Ce curieux « journal intime » électronique venu des États-Unis était devenu à la mode avec l’élection présidentielle de George W. Bush et, dans la perspective des présidentielles à venir 2007. Comme pour renouveler l’intérêt des abonnements qui s’effritaient, le « quotidien de référence » voulait se brancher bobo.
Ma première note a porté sur le programme que je me proposais : « J’ai la conviction profonde que tout ce qui est authentiquement ressenti par un être atteint à l’universel. » Ma conviction était et reste toujours que « le monde est beau et triste ; les humains sont la plus grande source de joie et la pire source d’horreurs – nous ne sommes pas des dieux. Hélas. Retenons ce qui fait vivre. » Je m’y suis tenu, alternant lectures, voyages, témoignages et opinions. J’ai toujours pensé que le blog était l’alliance idéale entre écrit et oral, spontanéité et réflexion : « l’écriture devient dialogue, avec ce recul de la main qui fait peser les mots et garde l’écrit moins évanescent que la parole ».
Sauf que, comme beaucoup, je suis revenu des « commentaires ». Ce sont rarement des enrichissements sur l’agora, plutôt des interjections personnelles, l’équivalent du bouton « j’aime » des rézozozios (avec l’option « va te faire foutre » en plus), une « réaction » plutôt qu’une réflexion. Au départ libertaire (toute opinion est recevable), je suis désormais responsable (directeur de la publication), donc attentif à tout ce qui peut passer outre à la loi (insultes nominales, invites sexuelles, propos racistes, spams et physing etc.) – que je censure désormais sans aucun état d’âme.
L’intérêt du blog a été multiple :
• M’obliger à écrire quotidiennement, donc à préciser ma pensée et à choisir mes mots, évitant de rester comme avant (et comme beaucoup) dans la généralité et le flou pour toutes ces opinions qui font notre responsabilité d’individu, de parent, de professionnel et de citoyen.
• Exiger de moi un autre regard pour observer ce qui arrive, dans l’actualité, l’humanité et les pays traversés. Écrire oblige, comme la noblesse, rend attentif aux détails comme aux liens avec l’ensemble. Donc pas d’émotion de l’instant, comme ces naïfs qui croyaient que j’émettais mes notes en plein désert, lors du voyage au Sahara !
• M’offrir l’occasion de rencontres : littéraires (avec les livres qu’on m’envoie pour chroniquer), témoignages (serais-je allé à cette réunion ou à cet événement s’il n’y avait pas le blog ?), mais aussi personnelles (entre blogueur du monde.fr, puis d’autres).
• Donner aux autres – mes lecteurs – ce qu’ils recherchent sur les moteurs (images, lectures, méthode, idées). Enrichir, poser des questions, offrir une tentative de réponse.
Je pensais au départ échanger des idées ou des impressions de voyages en forum – bien mieux que la triste réalité… car j’ai plus donné que reçu. Peut-être parce que mon blog est resté généraliste et non spécialisé dans ces micro-domaines dans lequel les commentaires aiment à se développer (la cuisine, la politique, les hébergements, les complots…). J’ai été beaucoup repris – et c’est tant mieux (si l’on indique la source).
Les rencontres avec les blogueurs ont été intéressantes, dès avril 2005 au Café de l’Industrie à Paris, puis à Montcuq en août. Des amitiés sont nées, qui résistent parfois au temps (Jean-Louis Hussonnois (hélas parti trop tôt), Virginie Ducolombier, Yann Hoffbeck, Véronique Simon, Alain Ternier, Daniel Baudin, Guilaine Depis…) et d’autres non (Frédéric, Laurence, Huu, Céline, Philippe, José, Gérard, Katrine, Jean-Pierre, Jean-Marie, Lunettes rouges, Versac, Arthur…). Le « jouet » blog a vite lassé la majorité des bobos du monde.fr. Leur narcissisme a trouvé plus ludique et moins fatiguant de lâcher une phrase, une photo ou un lien vidéo sur leur fesses-book. D’autres ont voulu faire de leur blog et des réunions de « blogueurs de référence » quelque instrument au service de leur ambition politique. La dernière rencontre a coulé à Coulon en 2007 ; personne n’a semblé regretter depuis lors.
Dix années m’ont permis d’apprendre ce qui convient et ce qui plaît, même si je n’applique pas forcément les recettes intégrales du marketing. Il est nécessaire :
• « d’écrire blog » : c’est-à-dire court, voire en points-clés qui reviennent à la ligne
• d’illustrer : les images (prises par moi, reprise sur les moteurs, ou retravaillées) sont les principales requêtes qui font venir les visiteurs
• de donner toujours les références : soit en lien, soit à la fin (même si certains blogs « interdisent » d’être cités…)
• de varier les plaisirs offerts aux lecteurs : en variant les thèmes – tout en les regroupant en « catégories » pour la commodité (colonne de droite, après « commentaires récents ») – même si certains lecteurs pas très doués « ne trouvent pas » (il y a toujours le carré « rechercher », juste sous la pensée, qui permet de trouver ce qu’on veut dans le blog avec un seul mot-clé).
Je ne regrette rien, j’ai même été sélectionné dans les favoris du monde.fr… jusqu’au 17 novembre 2010 où lemonde.fr a planté tous les blogs. Sans rien dire avant deux jours entiers. L’explication donnée n’est pas plus intéressante : « Après vérification, il apparaît que certains éléments composant votre blog (photos ou sons) ont été effacés lors de cet incident et n’apparaissent donc plus. » Autrement dit, lemonde.fr n’a aucune sauvegarde, pas de back up. A se demander s’ils ont la compétence de leur ambition. Il fallait payer (l’abonnement au journal) pour bloguer. Malgré le plaisir des 2 446 040 visiteurs sur fugues & fougue en 6 ans, c’en était trop. L’indépendance technique était indispensable.
Celle d’esprit aussi, car Le Monde prenait une tonalité « de gauche bien-sûr » tellement conventionnelle (intello-parisiano-bobo) que c’en devenait pénible. L’accaparement de Télérama puis du Nouvel Observateur ont ajouté à cette dérive de prêt-à-penser socialiste modéré bien « comme il faut ». On peut être de gauche sans être au parti socialiste ni lire Le Monde ou le Nouvel Observateur. On peut aussi ne pas être de gauche mais de droite ou du centre – ou d’ailleurs.
Argoul.com est humaniste et libéral, au sens des Lumières, volontiers libertaire mais pas naïf sur la nature humaine. Il n’est pas, pour moi, de fraternité sans liberté, alors que l’égalité ne permet aucun lien social quand elle est poussée aux extrémités jacobines ou collectivistes – ni, dans l’autre sens, du « j’ai tous les droits » anarchiste ou libertarien. Ce qui est trop souvent le cas ces derniers temps.