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Aveuglement

La génération Z croit que le monde est né avec elle. Mais deux générations avant eux, c’était la même réaction à l’impérialisme russe, le même effroi face à la menace de la guerre pour défendre les libertés, les mêmes lâches qui désiraient être « plutôt rouges plutôt que morts », les mêmes niais qui « faisaient le jeu » des maîtres du Kremlin, les mêmes gogos qui gobaient la même propagande. Voilà ce que c’est d’avoir traversé trois générations et de garder la mémoire longue. Les moins de 30 ans n’ont aucune idée du monde et des gens.

Elsa Vidal, qui parle russe et connaît bien la Russie et son peuple, écrit aujourd’hui La fascination russe, sur lequel je reviendrai en son temps. Hier, c’était Christian Jelen qui écrivait en 1984 (l’année de la dystopie d’Orwell sur le régime totalitaire) L’aveuglement. La faute, disait-il, aux idiots utiles, en bref la gauche et, pire, la gauche non communiste mais socialiste – fascinée par la force communiste. Les intellos et technocrates de bureau ont toujours et attirés par la violence politique comme les mouches par une grosse merde.

Pour Christian Jelen, l’aveuglement est d’origine. Il explique que la tromperie sur la nature réelle de la dictature léniniste a constitué une opération délibérée, due à l’initiative des socialistes français avant la scission de Tours, au moment où le jeune État bolchevik ne disposait bien évidemment d’aucun service suffisant de propagande extérieure. Le communisme, c’était l’Histoire, donc la Science, donc l’Avenir. C’était une Vérité révélée, seuls les moyens d’y parvenir pouvaient faire l’objet de discussions : fallait-il la violence persistante ? La terreur comme en 1793 ? Accepter une génération perdue ?

Il a fallu plus de 60 ans (deux générations) et plusieurs, chocs (la dénonciation des crimes se Staline au Congrès du parti en 1956, l’invasion de la Tchécoslovaquie en 1968, la menace d’invasion en Pologne en 1981), pour que les intellectuels mettent en cause leur croyance au socialisme soviétique. Depuis, l’empire s’est effondré – par sa faute. Il a implosé. Dès que le mur de Berlin est tombé, tous les valeureux citoyens de l’avenir radieux se sont empressés de filer à l’Ouest où, si la vie était plus concurrentielle et moins protégée, au moins on pouvait faire ce que l’on voulait, acheter et vendre, consommer, entreprendre, s’exprimer.

Soljenitsyne notait que tous disaient en France « Russie » pour « URSS », et « Russes » pour « Soviétiques », en accordant toujours une certaine supériorité émotionnelle aux seconds : « les tanks russes sont entrés à Prague », l' »impérialisme russe » – mais « les exploits soviétiques dans le cosmos », « les succès du ballet soviétique ». La Russie est un territoire, une nation, alors que l’Union soviétique est une notion idéologique, un gouvernement dirigé par un parti. L’emprise mentale de la gauche et du marxisme empêchait d’analyser, ne permettait pas de voir, supposait aucune pensée critique. Les socialistes étaient persuadés d’avoir raison et que l’Histoire en marche était avec eux (Got mit uns, vantaient les ceinturons nazis).

Le choc polonais de 1982 était perçu moins comme le choc « habituel » d’un impérialisme en expansion qu’un choc idéologique, brutalement matérialisé dans le réel. Or il était les deux.

A l’époque, toute la gauche n’a compris que l’aspect idéologique, remis en cause brutalement par le pouvoir botté du pro-soviétique général Jaruzelski qui a réprimé le syndicat Solidarnosc et son leader Lech Walesa. Elle croyait jusque là que le socialisme « moins la liberté » n’était qu’une étape provisoire vers le communisme enfin réalisé, où la liberté n’aurait été qu’ajournée jusqu’à une période meilleure. Or, après soixante ans de communisme en marche, le chemin paraissait n’avoir quasiment pas avancé.

A l’époque aussi, toute la droite et le centre s’obstinaient à l’inverse à l’expliquer par les relations de puissance entre États, par la psychologie des dirigeants. Les formes de pouvoir politique déjà connues aveuglaient à droite tout autant que l’idéologie à gauche car elles montraient une autre idéologie, mais conservatrice : rien ne change jamais, tout se répète indéfiniment, le tsarisme, le servage, la Révolution française qui accoucha par ses excès d’un dictateur (en France Napoléon, en Russie Staline). Et la suite ? Est-ce qu’un exemple piqué dans l’histoire explique par lui-même l’avenir ? Non, nous l’avons vu in vivo depuis 1982.

Or, selon Jean-François Revel en 1976, « il n’y a pas de socialisme, il n’y a que des preuves de socialisme » (La tentation totalitaire). Nous disons aujourd’hui « il n’y a pas de paix possible, il n’y a que des preuves de pacification. Où donc les voyez-vous ? Ceux qui se couchent sont-ils des faiseurs de paix comme le chamane danse pour faire venir la pluie ? Ils auront la paix du goulag ou celle des cimetières, pas la paix armée qui, seule permet l’équilibre des forces, donc la véritable quiétude.

L’histoire ne se répète pas, mais les humains restent aussi ignares, flemmards, idiots de génération en génération. Ils sont tous prêts à « croire » plutôt qu’à analyser (ça prend la tête…).

Aussi bien les Russes qui élisent et réélisent indéfiniment le seul candidat présumé président d’une pseudo-élection à la soviétique.

Aussi bien les intellos occidentaux qui supposent naïvement que rien n’est grave, que tout peut se négocier, que tout s’arrange si l’on donne satisfaction, que se soumettre est la meilleur solution de confort. Que ne sont-ils devenus allemands, ces collabos !

Décidément, on connaissait la progression de la myopie due aux écrans, mais la progression de l’aveuglement due aux même écrans emplis de fausses infos et d’intox n’était pas attendue à ce point.

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Libéral malgré la gauche

L’ignorant n’est tourmenté que par l’opinion qu’il a des choses, non par les choses elle-même. Le mot chien ne mord pas, selon William James, mais la Gauche d’ambiance pourtant salive de rage comme un chien de Pavlov quand elle entend le mot « libéralisme ». Elle le qualifie même, avec la lourdeur petite-bourgeoise de la redondance qu’avait noté Roland Barthes, de « néo » ou d’« ultra », pour bien marquer le tu dois de sa pensée moralisante.

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Car il n’y a rien de réel dans la caricature faite par la gauche (française) du libéralisme

Né durant les Lumières, le libéralisme est le règne du droit, la liberté dans les règles du jeu : liberté de conscience, liberté d’expression, libertés politiques et d’entreprendre. Ces autonomies individuelles sont opposées aux hérédités, ethnies, communautés, ordres et corporations. Le libéralisme politique a été inventé par les Français et les Anglais des Lumières. De cette conception philosophique découle une attitude, le respect à l’égard d’autrui (voir Diderot), une règle pratique, la tolérance envers les opinions (voir Voltaire) et une conception de la vie en commun (voir Montesquieu). Politiquement, elle se traduit par une charte des droits et devoirs, par la règle de droit et par la participation du plus grand nombre au gouvernement du pays.

La France révère « l’État » (avec majuscule) au nom d’une liberté qui ne serait rien sans la contrainte du Père. Or le concept de liberté est double : absence de contraintes – mais aussi choix des règles qui contraignent la vie commune. Les Anglais (protestants incités à lire par eux-mêmes la Bible) ont privilégié le premier, avec cantonnement de l’autorité par le consentement régulier. Les Français (catholiques sous la houlette de prêtres qui ont le monopole de l’interprétation biblique, eux-mêmes sous l’autorité du Pape) ont privilégié le second, sous prétexte que le peuple (les faibles, les ignorants, les infantiles) ne saurait être libre sans contrainte d’en haut. Mais pourquoi garder cette idée venue tout droit du Dieu tonnant, du Père fouettard, du Roi soleil, de l’État-c’est-moi, de la Terreur paranoïaque, de l’orgueilleux empereur des Français, de l’absence d’écoles publiques jusque bien tard dans le 19e siècle et de l’absence de droit de vote aux femmes jusque bien tard dans le XXe ? Les temps n’auraient-ils pas changé ?

Le choix des règles est l’exercice de la démocratie. Les penseurs français de gauche ont longtemps œuvré pour l’éducation, l’égalité devant la loi et la laïcité d’État pour délivrer les individus des contraintes de naissance, de race ou de religion. Ce n’est que depuis le choix du marxisme, transformé en instrument de guerre léniniste, qu’ils considèrent les citoyens comme mineurs au nom de la Vérité révélée déclarée « scientifique » qu’une caste cooptée à la tête du Parti se charge d’interpréter et de réaliser. La « liberté » à gauche est donc progressivement passée de la libération de ce qui aliène à la contrainte idéologique, traduite dans tous les pays du socialisme réel en contrainte d’État et, dans les autres pays, en contrainte de parti. Comment ne pas noter que, dès qu’ils ont pu (boat-people vietnamiens, chute du mur de Berlin, ouverture cubaine), les citoyens se sont empressés de fuir ?

L’État s’est retrouvé en France le seul créateur du lien social après que la Révolution ait tout aboli, jusqu’aux syndicats, recréés seulement en 1884. L’État absolu français (jacobin, colbertiste, élitiste et parisien) ne veut face à lui que des individus atomisés qui lui doivent tout. C’est le sens de « la volonté générale » de l’orphelin éperdu de Père, Jean-Jacques Rousseau, magnifiée aujourd’hui par le proto-tyran Mélenchon. On comprend pourquoi l’initiative est peu répandue en France, pourquoi le peuple attend tout de l’État, pourquoi toute innovation ne peut s’y épanouir… L’État français est une machine politique pour assurer le pouvoir à une élite restreinte ; l’État anglais est un garant juridique – voilà l’écart essentiel que les intellectuels devraient analyser !

Dans cette idéologie française de l’État, tout ce qui est « libéral » représente à gauche le Diable, puisque menaçant le pouvoir de quelques-uns. Selon Pierre Bourdieu, le néolibéralisme se réduirait à « un programme de destruction des structures collectives capables de faire obstacle à la logique du marché pur. » Cette opposition radicale entre l’État et le marché n’est malheureusement qu’une « idée pure », aussi évanescente que les ombres de la caverne de Platon. Karl Polanyi l’a largement démontré, le libre marché présuppose une intervention réglementaire constante et le développement d’un appareil de contrôle…

L’utopie néolibérale n’est pas le « marché pur » mais le profit protégé par un État camouflé en « non politique » qui se consacre uniquement à la gestion rationnelle et technicienne du social, à l’administration des choses (ce qui se passe à peu près en Chine depuis 1978). Pourquoi ne pas constater que le Parlement est bien plus efficace dans les pays où la « volonté générale » ne se traduit pas par le « j’veux voir qu’une tête » (États-Unis, Royaume-Uni, Allemagne, Scandinavie, Suisse, Inde…) ?

Le gauchisme idéologique se pare ainsi de « grands mots »

Il fait illusion et empêche d’analyser la réalité des choses. « Tout le monde » (ce qui signifie en fait « de gauche, français, parisien et guignant le pouvoir ») est anti-américain par antilibéralisme ; mais nul ne se pose jamais la question des libéraux là-bas. Or les Liberals américains (de gauche) sont clairement pour un État fort, appuyé sur la puissance militaire garantie par un oligopole de sociétés nationales protégées. Où se trouve la fameuse « libre concurrence » et « l’ouverture mondialisée » dont la gauche idéologique nous rebat les oreilles ? Les libéraux américains (Obama en est un, après Clinton) peuvent empêcher l’achat d’une société par un groupe étranger si l’intérêt national est en jeu… mais ils ont une claire vision nationale de cet intérêt – pas une vision étroitement idéologique servant aux Montebourg à faire mousser leur ego. Le refus ne passe donc pas par un oukase ministériel devant les médias mais par des arguments clairement présentés au Congrès – qui décide.

Pour tout ce qui est autre que l’intérêt national, le privé règne, donc l’initiative, l’entreprise, les financements. Pourquoi croyez-vous que les entreprises les plus dynamiques de la dernière révolution technologique se soient créées aux États-Unis et pas en France ? Nous avons inventé la Fnac, le Minitel, la carte à puce, Copains d’avant : mais le succès a été Amazon, l’Internet, Paypal et Facebook. Les intellos de gauche ne se sont-ils jamais demandé pourquoi ? Ce n’est pas l’incantation à la croissance qui la fera surgir. Encore moins le pouvoir magique de l’Administration d’État.

Liberal définition Robert

Le socialisme est né du libéralisme et dans son prolongement

Il était l’aspiration des prolétaires à étendre à l’économie les principes de liberté et d’égalité conquis en politique. Il visait à « désaliéner » les consciences, pas à remplacer l’aliénation bourgeoise (prédatrice, consumériste, bien-pensante) par l’aliénation d’État (centralisé, malthusien, politiquement correct). L’histoire a conduit trop souvent les socialistes à s’allier avec les ennemis de ses ennemis, donc à confondre le socialisme (« les producteurs associés », disait Marx) avec l’étatisme antilibéral.

Le libéralisme ne s’identifie pas à sa version étroite héritée de Frédéric Bastiat et défendue par les journaux financiers. Il ne peut être amalgamé à l’ultralibéralisme des Reagan et Thatcher mais connaît d’autres versions plus ouvertes comme celles de Léon Walras, de Stuart Mill, de John Rawls, d’Amartya Sen et de Joseph Stiglitz. L’État réalise mieux certaines activités, Stiglitz cite la sécurité des aéroports, la recherche, l’éducation, l’aide médicale, l’environnement. « Cet équilibre peut être différent selon les pays et les époques ; il varie d’un secteur d’activités à l’autre, d’un problème à l’autre » (The Roaring Nineties). Mais pas question d’entretenir des privilèges de monopoles lorsqu’ils sont indus et économiquement injustifiés ; ni de refuser de rationaliser l’organisation et l’emploi des moyens publics. L’État est dans son rôle lorsqu’il régule et arbitre, dans son rôle lorsqu’il prend en charge ce que le marché n’est pas apte à faire, dans son rôle lorsqu’il impulse la recherche dans un secteur stratégique – mais il ne doit en aucun cas se substituer à l’initiative privée lorsque celle-ci est efficace.

Les idées libérales incarnent une culture de la résistance : aux idées imposées, à l’expression bâillonnée, à une administration tentaculaire (y compris de Bruxelles), à un marché sans règles, à une économie mondialisée sans ordre ni normes, à une société civile sans principe de légitimité ou de critique, à une culture uniformisée, au droit du plus fort. La liberté n’existe que garantie par un pouvoir souverain… contrôlé par des contrepouvoirs citoyens. C’est le rôle du droit, de la loi votée, de l’État qui applique et contrôle. Mais dans cet ordre qui part de la base. Ce n’est pas à l’État de me dire comment il faut baiser, avec qui et pourquoi ; c’est cependant son rôle de faire appliquer le droit qui autorise ou interdit la relation ou le mariage, son rôle encore d’informer sur les dangers sanitaires, son rôle toujours de faire assumer les conséquences.

Quant au socialisme ouvrier traditionnel, des origines à Marx inclus, il n’est pas antilibéral. Il faut se garder de le confondre avec les diverses variétés de socialisme réactionnaire et petit-bourgeois surgies en même temps. Au contraire, l’utopie ouvrière est celle de la coopérative (pas de l’entreprise nationalisée), de la décision à la base (pas par une Administration), du moins d’État possible (qui selon Marx doit disparaître). Elle est plus libertaire qu’autoritaire, plus proche du libéralisme que du despotisme, plus tolérante que doctrinaire. Elle confisque moins la démocratie (expression, élections, droits) que le jacobinisme (partisan, centralisé, technocrate). Les antilibéraux sont toujours partisans de la contrainte – car l’opposé du libéralisme, c’est l’autoritarisme. Difficile de sortir de là.

Or les élites socialistes qui se disent “morales” et “progressistes” se gardent bien d’aider le peuple à s’émanciper, se contentant de le manipuler par de grands mots d’un vide sidérant, afin de conserver leur confortable contrôle issu de la légitimité partisane ou énarchique. La seule chose qui les intéresse est leur pouvoir personnel, étatique et parisien. Ce “chacun pour soi” est beaucoup plus dangereux que celui des PDG qui se gavent de stocks options : ils montrent leur intérêt tout cru mais parfaitement transparent (donc démocratiquement contestable, et d’ailleurs réellement contesté), alors que les politiciens d’une certaine gauche se parent de “vertu” et de “grandes idées généreuses”… pour faire entre soi les petites magouilles tout en se préservant entre soi par des copinages choisis, dans l’entre-soi des quartiers réservés et des entreprises publiques.

C’est là où la position dogmatique est non seulement un aveuglement politique, mais aussi une erreur démocratique. Machiavel l’a très bien montré, ce sont les lucides qui manipulent les gogos, les pragmatiques qui analysent les situations et ceux qui se gardent bien de suivre les idées générales qui ont – toujours – le pouvoir.

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