Comme nous pleurons et rions d’une même chose, dit Montaigne

Le chapitre XXXVIII de ses Essais livre 1 montre combien notre attitude peut être étrange car en même temps contradictoire : pleurer et rire d’une même chose ; en être triste et en même temps ravi ; heureux et malheureux. Car toute chose a ses deux faces et les enfants le savent « qui vont tout naïvement après la nature », dit Montaigne. Et de citer Antigonos devant la tête du roi Pyrrhus son ennemi, César devant celle de Pompée, le duc de Lorraine devant la mort de Charles le Téméraire, le comte de Montfort vainqueur de Charles de Blois.

C’est que nous avons un premier mouvement, aussitôt suivi d’un recul. « Quand je tance avec mon valet, je tance du meilleur cœur que j’aie, ce sont vraies et non feintes imprécations ; mais cette fumée passée, qu’il ait besoin de moi, je lui bien ferai volontiers ». C’est le Système 1 et le Système 2 de Kahneman, l’action réflexe suivie de la réflexion sur l’action, mais pas seulement : c’est aussi que l’on change d’avis selon l’angle que l’on prend. Montaigne prend avec humour son propre exemple : « il n’est jour auquel on ne m’entende gronder en moi-même et contre moi : bren du fat ! (merde pour le con! dirait-on aujourd’hui). Et pourtant, n’entends pas que ce soit ma définition. » On peut se morigéner sans faire essence de ce dont on se traite. Être bête arrive, ce n’est pas être bête tout le temps ni par construction. « Qui, pour me voir une mine tantôt froide, tantôt amoureuse envers ma femme, estime que l’une ou l’autre soit feinte, il est un sot ». C’est que les deux sont vraies – mais pas en même temps, ni pour le même objet.

« Il n’y a rien de changé, mais notre âme regarde la chose d’un autre œil, et se la représente par un autre visage », dit Montaigne, « car chaque chose a plusieurs biais et plusieurs aspect », observe-t-il sagement. Il n’y a que les sots – et les fanatiques – qui ne voient le monde que d’une seule couleur ; les autres relativisent. Le sages pensent comme Montaigne : ils balancent avant de se fixer… provisoirement.

Michel de Montaigne, Les Essais (mis en français moderne par Claude Pinganaud), Arléa 2002, 806 pages, €23.50

Michel de Montaigne, Les Essais (mis en français moderne par Bernard Combeau et al.) avec préface de Michel Onfray, Bouquins 2019, 1184 pages, €32.00

Montaigne sur ce blog


En savoir plus sur argoul

Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.

Catégories : Livres, Montaigne, Philosophie | Étiquettes : , , , , , , ,

Navigation des articles

Les commentaires sont fermés.