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Réflexions sur la recomposition politique

Avec les jours, je poursuis ma réflexion sur les évolutions politiques en cours en France – qui ne sont pas indépendantes de celles du monde. Je poursuis sans jamais la rattraper car c’est le propre d’une réflexion de n’avoir pas de fin. Si elle se fige, elle meurt, devenant dogme.

C’est ce que la gauche française surtout n’a jamais compris, depuis les origines marxistes du Congrès de Tours – puisqu’elle croyait (au sens religieux) détenir la Vérité scientifique de l’Histoire. D’où l’échec du parti socialiste, d’où l’échec du parti anticapitaliste de Mélenchon – prendre comme modèle un Chavez qui a précipité son pays en faillite n’est pas très prometteur, ce qui explique en grande partie le score de la France insoumise aux dernières européennes…

A droite, c’est un peu différent car il n’y a aucun dogme mais des intérêts (pas toujours « bien compris »). Il s’agit de conserver les positions sociales et de fortune acquises, donc de tout changer pour que rien ne change, de jouer sur les apparences en illusionniste. Mais n’est pas magicien qui veut, encore moins Bonaparte. Car Les Républicains fonctionnent sur le modèle « bonapartiste » où un personnage (jusqu’ici un homme) « incarne » la nation. Peu importe dès lors son programme, un catalogue de mesures plus ou moins applicables, ou ses promesses, « qui n’engagent que ceux qui les croient » selon un spécialiste (Jacques Chirac).

Napoléon Bonaparte avait incarné parfaitement la nation française face aux anciens régimes européens, après le séisme de la révolution française. Il se posait en mouvement et en créateur de droits neufs, en regard de l’immobilisme du seul droit divin des monarchies confites en satisfaction. Louis-Napoléon, dit Napoléon III avait libéralisé l’économie et encouragé la prospérité avant de sombrer dans les rêves d’empire latin aux Amériques et d’honneur mal placé face à la puissance prussienne. Ce furent ensuite Clémenceau, deux fois président du Conseil avant et après la guerre de 14 et « Père la victoire ». Puis de Gaulle et son appel à la résistance puis sa poigne face aux putschistes d’Alger. Depuis l’origine de la Ve République, « le gaullisme » est l’autre nom du bonapartisme. Jacques Chirac, peu gaulliste mais franc bonapartiste, aimait enlever à la hussarde une élection, jouant sur le mythe de l’État national républicain à Exécutif centralisé. Nicolas Sarkozy l’a utilisé, histrion de communication et naïf face aux gadgets mais d’une grande efficacité lors des crises : la financière de 2008, celle de l’euro en 2011, la Grèce, la Géorgie. Dans le système bonapartiste, les élites entraînent l’adhésion populaire, confirmée à chaque élection et, dans les circonstances exceptionnelles, par un référendum. Quand l’adhésion n’est plus, le chef s’en va. Qu’on le regrette ou pas, une page se tourne.

Ce pourquoi Laurent Wauquiez quitte la présidence du parti, faute d’avoir séduit. Il a trop voulu décalquer le Rassemblement national pour se voir suivre par les conservateurs modérés de l’ancienne UDF ; il n’a pas su proposer un nouveau projet national aux déçus de l’échec de François Fillon ; il a voulu ratisser large sans en avoir l’envergure. Résultat : les modérés sont partis en marche et les durs ont préféré l’original à la copie. Pour un français national, être pris en « sandwich » est une ironie du vocabulaire.

Lorsque le bonapartisme a un élan, il est dû à son chef. Il rallie selon son panache à la fois les conservateurs et les modérés, les grands bourgeois assurés de l’autorité, les petits-bourgeois qui se voient exaltés par la nation, et la constellation paysanne attachée au terroir et à la terre. D’où le rétablissement de l’ordre contre la « chienlit » puis l’instauration de « la participation » sous de Gaulle, le tropisme de Chirac pour le cul des vaches ou la résistance à la guerre de Bush en Irak, et le « travailler plus pour gagner plus » de Sarkozy. Wauquiez est resté dans le négatif, l’opposition pure et simpliste au gouvernement. A ce jeu, le parti tribunicien gagne toujours, avant-hier le parti Communiste, hier le Front de gauche, aujourd’hui le Rassemblement national. Il n’y a aucune place pour Les républicains en termes tactiques.

Les partis « attrape-tout » sont aujourd’hui La république en marche, Europe écologie les verts et le Rassemblement national. Leurs leaders n’ont guère de charisme (même Emmanuel Macron, sauf sa jeunesse dont il joue), même si les programmes ont récupéré à peu près tout ce qui peut se désirer politiquement aujourd’hui. Mais ces trois partis qui recomposent la politique française n’ont ni le même élan ni la même capacité à fédérer les volontés politiques – à « faire assemblée » comme on disait jadis.

Le Rassemblement national rassemble, mais les mécontents. Cet aspect purement négatif fait plaisir et exalte les médias : lorsque la chemise brune est recouverte d’un gilet jaune, c’est « le social » qui s’exprime ! le « peuple » en son mouvement et sa convivialité faite de clopes et de barbaque partagées autour des barbecues. Sauf qu’ils tournent en rond dans les provinces et qu’ils cassent dans les grandes villes, sans aboutir à autre chose qu’à l’agitation permanente. Politiquement, ce mouvement débouche sur quoi ? Les listes jaunes aux européennes ont fait un score minable, signe que les 47 millions d’électeurs ne sont pas les 47 000 manifestants, qu’ils ne s’y reconnaissent pas, même si exprimer un ras-le-bol conforte toujours l’ego (ça ne va jamais !) et titiller les élites qui nous gouvernent un rappel utile afin qu’ils n’oublient pas de gouverner pour tous. Presque la moitié de ceux qui se disent gilets jaunes ont voté pour le Rassemblement national, mettant fin à l’hypocrisie médiatique qui voulait en faire un mouvement insoumis. Le reste a-t-il voté vert ? C’est peu probable puisque les écolos sont favorables à taxer le carburant, la barbaque et la clope, tout ce qui fait l’ultime plaisir de se retrouver ensemble. Ont-ils voté Les républicains ? C’est peu probable au vu du score effondré de la liste emmenée par un prof de philo d’une banlieue royale. Ont-ils voté insoumis ? Très partiellement car la liste n’a pas décollé et a fait moins qu’auparavant. Ils se sont abstenus, mais pas tant que cela puisque la participation a été en hausse. Donc le Rassemblement national agrège les mécontents, dont une bonne part de gilets jaunes, mais son score rebondi représente moins un projet national-souverainiste pour la majorité de ses électeurs que la fonction d’opposition radicalement affirmée vis-à-vis des élites, des villes et des mondialisés. En témoigne la reculade sur le Frexit comme sur la sortie de l’euro, perspectives vraiment trop impopulaires…

Europe écologie les verts rassemble surtout les jeunes, qui se foutent des jeux de politiciens et votent pour « une idée » : le climat, la santé, la réconciliation avec la nature. Mais cette idée platonicienne (à laquelle tout le monde peu souscrire) ne débouche pas sur grand-chose politiquement. S’agit-il de révolutionner autoritairement le pays, comme le fit jadis le communisme au nom d’une autre grande idée ? Ou s’agit-il d’adapter progressivement les comportements via les incitations financières, les campagnes éducatives, les nouvelles techniques et la recherche, de façon à ce que la transition reste socialement acceptable ? Le projet n’est pas tranché, entre le noyau dur porté à un certain fascisme vert et les nouveaux attrapés portés à composer. Quant à « l’idée », ne serait-elle pas dictée par la nécessité, aussi forte qu’une religion ? Si les experts scientifiques déclarent, par un vote majoritaire, qu’il est urgent de limiter le réchauffement en cours sous peine de graves désordres climatiques et sociaux, quelle place reste-t-il donc à l’utopie politique ? Que les techniciens gouvernent et que les politiciens se convertissent à l’administration des choses fait-il un projet ?…

La république en marche apparaît comme le seul parti aujourd’hui qui soit à la fois attrape-tout (« et de droite et de gauche ») et qui présente un projet positif pour la république et pour la nation. Chacun peut discuter les modalités du projet et de sa mise en œuvre, ou même le refuser, mais il s’agit pour la France de s’adapter au monde et de s’unir plus étroitement aux pays d’Europe qui le désirent pour être plus forts ensembles dans la mondialisation. Ce qui implique des réformes de structure pour desserrer le carcan administratif jacobin qui enserre le pays, des économies pour un budget très endetté et dont les impôts sont désormais perçus comme trop élevés, et la lenteur exigée des discussions et pédagogies exigées pour l’assentiment. Ce n’est pas très attractif pour les pressés du yaka, ni très séduisant pour ceux qui exigent à la fois plus de services publics et surtout moins d’impôts, ni très entrainant pour ceux qui se sentent largués par la complexité des choses. Mais gouverner n’est pas simple, contrairement à ce que veulent laisser croire les démagogues.

Y a-t-il une place pour les anciens partis désormais effondrés ? Probablement pas, à moins qu’ils ne trouvent de nouveaux leaders, plus charismatiques, et un nouvel idéal à proposer pour entraîner les foules.

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Conservatismes

Comme il existe des progressismes, il existe plusieurs conservatismes : subi, graduel, radical. Car même ceux qui se qualifient de progressistes persévèrent dans le conservatisme de leur courant. Ils ne changent pas, seule change l’époque.

Le progressisme subi est celui du libéralisme, qui accepte ce qui vient, d’où que vienne le changement (du climat, des mœurs, des techniques, du mouvement social), mais avec l’habitude. Le courant récent va des radicaux sous la IIIe République à Emmanuel Macron, en passant par Pierre Mendès-France, Michel Rocard, Jacques Delors, Manuel Valls (avant d’être ministre, pas après) et… François Hollande (une fois élu seulement). Les modèles : Bill Clinton, Tony Blair, Gerhard Schröder.

Le conservatisme subiest le même : accepter ce qui vient, faire corps avec le changement en adaptant les lois et les mœurs, mais lentement, à son heure. Ce qui distingue progressisme et conservatisme subis ? La « bonne conscience » sociale : se dire de gauche est mieux valorisé, se dire de droite est plus le fait des retraités.  Centre gauche et centre droit, Macron et Juppé ou Bayrou sont proches, au fond. Le courant va des Girondins à Alain Juppé, en passant par Louis-Philippe, Alexis de Tocqueville, Antoine Pinay, Jacques Chaban-Delmas, Valéry Giscard d’Estaing, Raymond Barre, Edouard Balladur, François Bayrou. Accepter une interprétation humaine différente des mêmes lois de nature ou divines. La conscience s’améliore, elle « découvre » du neuf comme on découvre un corps en ôtant peu à peu le drap qui le recouvre. Ainsi des mathématiques : elles existent de tout temps comme règles d’organisation de (notre) univers ; les humains ont mis des millénaires pour peu à peu les mettre au jour ; ils ne les inventent pas, ils les révèlent – croient-ils. Les modèles sont les mêmes que pour les progressistes, avec Jean Monnet en plus pour l’Europe.

Le progressisme graduel est le réformisme, qui ne remet pas en cause le système global mais l’aménage progressivement – par exemple le socialisme ou le radical-socialisme. Valls ou Peillon l’incarnent aujourd’hui, un peu moins Montebourg (plus interventionniste), encore moins Hamon. Le courant est issu de la scission en 1920 de l’Internationale socialiste entre communistes (inféodés  à Moscou) et le socialisme (qualifié de trahison par les staliniens). La vieille SFIO de Guy Mollet (qui envoya le contingent en Algérie pour 24 mois au lieu de 18 en proclamant urbi et orbi l’Algérie française), et le Parti socialiste refondé par Mitterrand et Chevènement en 1971 jouent cette carte : radicalité en paroles (pour être élu) puis pragmatisme réformiste en actes (une fois au pouvoir). Martin Aubry, Laurent Fabius et les « frondeurs » sont de ce jet. Le (seul) modèle franco-français : François Mitterrand – autoritaire et manœuvrier.

Le conservatisme graduel considère qu’il existe des lois immuables, issues de Dieu ou de la Nature (par exemple l’hérédité), et qu’il est vain de vouloir changer l’homme – sauf par le dressage éducatif et les lois répressives. On ne change alors pas l’être humain, mais seulement son comportement par des lois normatives. Qu’elle soit acceptée ou imposée, la règle s’impose. Fillon suit cette voie, après Chirac (créé par Marie-France Garaud et Pierre Juillet), la politique est l’art du possible. C’est donc se faire « réactionnaire » que de réagir négativement à ce qui change trop vite – à gauche aux réformes des zacquis sociaux (par exemple Hamon qui abandonne le travail pour garder la redistribution, et qui veut « revenir » à la gauche 1981 avec certaines nationalisations), à droite aux réformes du mariage (hier le PACS honni, aujourd’hui accepté…). Ils acceptent 1789, revenir à l’avant 1968 suffit généralement à ces conservateurs graduels. Les modèles : Charles de Gaulle, Georges Pompidou, Jean-Pierre Chevènement.

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Le progressisme radical est celui qui veut renverser la table : changer le monde, changer l’homme, changer la nature ; donc le communisme, les divers gauchismes, et toutes les utopies d’avenir radieux. Mélenchon entre autres. Ce genre de courant utopique prolifère généralement en sectes et en sous-sectes selon les ego et les écarts théoriques : les innombrables ramifications écologistes, qui ont pris la suite des innombrables ramifications du gauchisme post-68, en sont l’illustration. L’écologie n’est pas chose sérieuse en France politique, juste un créneau où se faire mousser personnellement sans risques. Les modèles : Maximilien Robespierre, Mao Tsé-toung, Fidel Castro, Hugo Chavez.

Le conservatisme radical veut en revenir à l’avant 1789, avant les Lumières de la Raison dont l’orgueil trop humain bafoue les lois immuables établies par Dieu et par l’Ordre de l’univers. Ce courant s’est toujours révolté contre les changements trop brutaux : la Révolution (appelant à la Restauration), l’insurrection démocratique 1848 (appelant à l’empire Napoléon III), la Commune 1871 (appelant Thiers et la répression), la chienlit parlementaire 1934 (appelant les Anciens combattants), la défaite de 1940 (appelant la Révolution nationale), les accords d’Evian 1962 donnant son indépendance à l’Algérie de Belkacem (appelant à l’OAS), la chienlit sexuelle de mai 68 (appelant à l’Ordre nouveau), la loi Savary 1984 unifiant école publique et privée (appelant à la manifestation monstre), le mariage gai (appelant la Manif pour tous). Les lois sont des tables révélées qu’on ne peut contester : ainsi l’islam radical, le christianisme intégriste ou même l’athéisme souverainiste du Front national. C’est le seul conservatisme dont on peut dire qu’il est littéralement « révolutionnaire », dans le sens où il tente d’accomplir une révolution complète – comme les astres – ce qui veut dire un retour au point de départ… Faire l’Histoire pour établir la Perfection, disent les progressistes radicaux ; retrouver l’innocence parfaite par la rédemption, disent les conservateurs radicaux. Les modèles : Napoléon III, Mussolini, Poutine – voire Erdogan et même Trump (version souverainiste).

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Si les deux premiers conservatismes ne sont guère différents des deux premiers progressismes, le dernier est radicalement en miroir : l’un veut faire de l’humain un Dieu qui se crée par lui-même ; l’autre nie la liberté humaine pour se réfugier en Dieu et lui faire complète soumission. Les deux usent de la même méthode : la transparence. Il s’agit, pour la variante radicale des progressistes et des conservateurs, de l’utopie d’une nature et d’une humanité en parfaite concordance, d’un être humain en accord avec sa propre nature et avec la nature (ou la foi). La science positiviste du fait social pour les progressistes radicaux réactive – sans le voir – la théologie dogmatique des conservateurs radicaux. Les « progrès » du genre humain ne sont pas plus démontrables que les articles de la foi révélée (judaïque, chrétienne, islamique). Mussolini est à la fois le modèle autoritaire, souverainiste et populaire du courant Mélenchon (Mussolini activiste de l’aile maximaliste du parti socialiste italien) et du courant Le Pen (Mussolini des Faisceaux de combat et du parti national fasciste).

D’où la tentation du nihilisme de tous les radicaux. L’Histoire n’est Providence que si on le croit, donc le doute est ravageur… tout ne vaudrait-il au fond pas tout ? pourquoi ce choix plutôt qu’un autre ? La recherche du Génie « d’avant-garde » à gauche (Lénine, Staline, Mao…) et la quête du Sauveur à droite (Napoléon 1er et III, Pétain, de Gaulle…) sont l’aveu que ni l’Histoire, ni la Providence, ne sont évidentes à connaître. La soumission féodale à ceux qui affirment avoir des convictions ou l’attrait affectif de leur charisme suffisent à l’adhésion. Car spirituel et temporel sont ainsi mêlés, réconciliant avec soi-même. Comme si le monde n’était pas lui aussi mêlé et qu’il faille désirer le Bien en soi sur cette terre. Payer de sa vie est l’ultime « preuve » que l’on est dans la bonne voie car, de toute façon, la mort signe l’arrêt complet de toute voie pour la figer en éternité.

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Le tropisme radical de l’être humain, particulièrement fort à l’adolescence où l’envie d’action se conjugue aux idées courtes, n’a pas vraiment besoin de foi pour s’exacerber. Voter Le Pen ou Mélenchon, c’est tout un : peu importent les idées, ce qui compte est de foutre un coup de pied dans la fourmilière des nantis contents d’eux. D’où les Régionales, le Brexit, Trump, Juppé et Copé, Renzi… Mais quand la foi propose un cadre à la radicalité, le danger est immense de voir s’installer la Terreur : celle des jacobins en 1793, celle des bolcheviques en 1917, celle des gardes rouges en 1966, celle des gauchismes après 1968 avec les Brigades rouges, la Rote armee fraktion, Action directe, celle des salafistes aujourd’hui. La foi, qu’elle vienne de Dieu ou des hommes, fournit un justificatif aux pulsions violentes, sadiques et dominatrices, un cadre global au mal d’identité, un remède spirituel au mal être. Sans la foi, la radicalité n’est qu’un âge de la vie – avec la foi, elle est souvent la vie même… qui s’arrête par le sacrifice.

Comme si les radicaux ne pouvaient décidément pas accepter « ce » monde que les autres accompagnent ou font avec.

Les autres hésitent entre accepter le présent pour s’y adapter au mieux, ou « revenir » à l’avant : avant le tournant de la rigueur 1983 pour Benoit Hamon, avant la chienlit des mœurs de mai 68 pour François Fillon, avant la monarchie républicaine de la Ve République pour Jean-Luc Mélenchon, avant la constitution de 1946 et pour la Révolution nationale pour Marine Le Pen, avant 1789 pour les franges intégristes chrétiennes ou musulmanes (une foi, une loi, un roi).

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Courage Fil(l)on(s)

Le tropisme trop français à se mettre de l’argent public dans les poches en toute discrétion pour faire comme les autres (à droite depuis Giscard comme à gauche depuis Mitterrand) est rattrapé par la morale basique qui vient de l’Internet anglo-saxon. Ce que le catholicisme absout, les aménagements à la loi s’il y a repentir à la fin, le protestantisme le récuse : chacun se doit d’être vertueux et transparent – ou disparaître de la vue.

Les cinq « affaires » qui sont attachées à la queue du chien Fillon par des éléments mal intentionnés envers lui, envers son parti et envers le processus électoral ne sont peut-être pas condamnables par la justice. Mais la com’ remplace le droit, le jugement moral la raison des faits, l’affichage de la vertu la vertu elle-même.

D’où vient le coup nécessite d’analyser à qui profite le crime. Plusieurs hypothèses :

La gauche au gouvernement, bien-sûr, qui est annoncée perdante et veut faire chuter l’opposant. C’est assez crédible, ledit gouvernement ayant tous les moyens de savoir (Parlement, Bercy) et tout le temps de peaufiner la stratégie qui consiste à choisir précisément cette date pour embarrasser une droite triomphante. N’est-ce pas ce que le sarkozysme avait préparé à Strauss-Kahn (l’affaire de Lille) avant que la pulsion imprévue à New York ne fasse éclater de lui-même à gauche le « candidat idéal » adoubé par Libération ?

L’extrême-droite ensuite, qui joue sur le velours du « tous pourris » seriné depuis des années – ce qui fait tactiquement passer au second plan les « affaires » qui touchent la famille Le Pen en ce moment

Les sarkozystes haineux évincés de leur candidat comme des investitures aux législatives : Henri Guaino, Rachida Dati – et pourquoi pas Jean-François Copé, humilié jadis à la tête du parti, humilié récemment à la primaire de droite ? Mais ce serait éliminer leur parti du second tour, jeu dangereux, sauf des partisans LR d’une alliance avec le Front national.

Les macronistes qui voudraient casser la dynamique Fillon et récupérer les voix du centre (d’où l’appel tout récent à Bayrou) ? Ce pourrait être le dernier pied de nez de François Hollande à cette politique qui l’a fort malmené, et une façon d’adouber son dauphin sans le dire, ambiguïté qu’il affectionne. Mais Emmanuel Macron n’a pour l’instant aucun vrai programme…

L’extrême-gauche qui veut casser le système et en appelle rituellement au grand chambardement et à la VIe République ? Mais il vaudrait mieux impliquer Hamon puis Macron que Fillon.

Les hackers « russes » ou les pirates anarchistes du net ? Mais pour quoi faire ? Le chaos en Occident comme l’élection de Trump ? Pour qui favoriser ? L’émergence d’un parti des extrêmes, nouveau Mussolini ou éructant Chavez ? Le retour de l’URSS sur la scène internationale ?

Comment parer le carambolage du processus électoral ?

Le handicap des gens de droite est qu’ils aiment les bottes et qu’ils ont tendance à se tenir droit dedans. D’où leur rigidité à réagir aux sales coups politiques. François Fillon est doué d’une grande force de caractère et ne lâche jamais, dit-on. Ce pourquoi « on » implique sa famille, façon de le déstabiliser là où il est le plus vulnérable.

Mais sa première défense est archaïque, primaire et sans effet sur le sentiment. La page Fillon pourrait être tournée par l’opinion avant de l’être par la justice. Jouer l’outré n’avance à rien : est-ce vrai ou pas ? Si c’est vrai, pourquoi ne pas assumer ? Les pratiques étaient ainsi jadis (« on » remonte jusqu’en 1988 !), se défendre est dire oui et prouver qu’un travail a été effectivement accompli, puis déclarer lancer un débat public pour réformer le système. Rien de plus, rien de moins.

Surjouer le déni offensé pour accuser la misogynie et évoquer un Complot n’est pas décent. Tenter de gagner du temps va au revers de l’opinion qui exige le tout, tout de suite, d’Internet et des réseaux. La génération Fillon n’est pas à l’aise avec le nouveau monde du net. Emmanuel Macron se défend mieux de ce genre d’accusations.

François Fillon a pour lui son charisme. Mais il est fondé non seulement sur le caractère, mais sur ce qu’il montre : cohérence, équilibre des idées, clarté du message. Montrer qu’il fait autrement qu’il ne dit, qu’il manie le mensonge ou l’omission tout en s’affichant empli de rigueur morale, est saper son charisme. Et faire douter ses partisans.

Qui d’autre en cas d’empêchement ?

Les Français plébiscitent Alain Juppé ; il serait le moindre mal – assez légitime pour y aller, rassembleur au-delà des Républicains. Pour le moment, il ne veut pas, ayant assez d’être « joué » contre les uns et les autres sans qu’il soit reconnu pour lui-même.

Certains, surtout dans le parti, en restent bloqués à Nicolas Sarkozy. Ce serait la pire chose pour la droite que de revenir sur le passé en flouant les électeurs qui sont venus massivement exprimer son rejet à la primaire.

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Plus le temps passe et moins la situation est claire, plus les médias se focalisent sur l’écume des affaires au lieu de parler du fond : le chômage, la croissance, l’Europe, l’hostilité trumpienne, la menace poutinienne, la concurrence chinoise.

Assumer ou changer, c’est maintenant ! « Courage, Fillon ! » – ou « courage, filons… » ?

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Le capitalisme de Joseph Schumpeter

De nombreux intellectuels médiatiques versés en économie évoquent le processus de « destruction créatrice ». Le concept a été inventé par Joseph Aloïs Schumpeter.  Économiste autrichien né en 1883 et décédé en 1950, il est de cette génération pour qui l’économie ne va pas sans l’histoire ni sans la sociologie. Comme John Maynard Keynes, son contemporain, il sera littéraire, cosmopolite et praticien. Cela afin d’embrasser au mieux la pâte humaine dont sont faits les échanges, la production et la confiance.

Mais si Keynes est le représentant du capitalisme anglo-saxon, axé sur la monnaie et la régulation, Schumpeter représente le capitalisme rhénan, fondé sur l’entrepreneur et l’ingénieur, l’aventure et le travail bien fait. Né dans l’actuelle Tchéquie, Schumpeter étudie puis enseigne à Vienne, séjourne à Londres, devient professeur à Columbia (New York) avant Harvard à partir de 1932. Il sera aussi brièvement Ministre des finances et Président de banque. Il n’est donc pas théoricien de l’abstrait, contrairement à beaucoup (Marx entre autres), mais élabore sa théorie du capitalisme comme Keynes dans le concret des choses et des hommes.

joseph schumpeter

Son œuvre comporte des livres et des disciples.

Mais la postérité de Schumpeter sera surtout composée de disciples : James Tobin, Paul Samuelson, Vassili Leontief, John Kenneth Galbraith seront, parmi d’autres, ses élèves.

Schumpeter montre que le capitalisme est une technique de production motivée par une aventure. Ce mariage (bien loin des technocrates de son temps) fait de l’économie non pas une comptabilité chargée d’administrer les biens rares et de répartir la pénurie, mais bel et bien une dynamique à replacer dans l’histoire et dans les sociétés. La monnaie n’est que le voile qui masque la nature des échanges : cette nature est réelle. La valeur des produits ne se résume pas à leur coût de production plus la rente du profit. Cette vision statique du système marxiste fait l’objet d’une revendication ‘morale’ pour le partage du profit. Ce serait légitime si… l’économie était un système fermé, enclos dans un État aux frontières étanches. Tel est bien le vieux rêve caché des revendications d’aujourd’hui – mais telle n’est pas la réalité. L’économie est une aventure dans un système ouvert et dynamique, pas l’administration fermée d’un lieu clos.

C’est l’innovation qui fait évoluer l’économie. Une innovation n’est pas forcément une découverte scientifique : l’inventeur découvre, l’innovateur met en œuvre – et l’on peut innover avec l’ancien (les Japonais s’en sont fait les spécialistes dans les années 60). Des biens nouveaux peuvent être créés, mais aussi des méthodes de production neuves mises en œuvre, des débouchés inédits découverts, la source de matières premières ou de produits semi-ouvrés, une organisation différente – voilà qui stimule la concurrence. Innover crée de nouveaux besoins, secoue les routines des producteurs, permet un monopole temporaire (donc un profit provisoire), rend plus mobiles travail et capital, les orientant vers le progrès, des activités anciennes vers les nouvelles.

L’innovation ne va donc pas sans « destruction créatrice » et il est vain de tenter de résister. Il n’y a plus d’allumeurs de réverbères ni de chaisières, on ne construit plus de locomotive à vapeur ni de moulin à vent, il y a aujourd’hui beaucoup moins de traders qu’en 2007. Autant accompagner les nouvelles technologies, les nouvelles façons de travailler plus efficacement et la création de nouvelles entreprises.

À l’origine de l’innovation est l’entrepreneur. Un chef d’entreprise qui n’innove pas n’est qu’un administrateur qui exploite le connu, un fonctionnaire de son conseil d’administration. Ce pourquoi les affaires familiales sont les plus dynamiques dans la durée. Néanmoins, il n’est pas besoin d’être propriétaire du capital pour être « entrepreneur », il suffit de convaincre ses ingénieurs, ses techniciens, ses commerciaux. Les actionnaires suivront s’il existe un projet dynamique, correctement financé. L’important est de prendre le risque de briser la routine et d’avoir le charisme d’entraîner son équipe à sa suite. Le capitaliste schumpétérien a ce côté allemand du chef de bande, bien loin du manageur démocrate à la Keynes.

À la suite de Max Weber, Schumpeter rend compte de la mentalité capitaliste. Elle cherche à rationaliser les conduites, à rendre la production plus efficace grâce aux techniques et à l’organisation, dans un monde de biens rares (matières premières, énergie, capital, compétences humaines). Cette technique d’efficacité est la seule qui permette le développement « durable » – puisqu’elle produit le plus avec le moins. Le capitalisme, dit Schumpeter, met le savoir scientifique au service de la société, ce qui n’était pas le cas auparavant (ni au moyen-âge, ni dans la Grèce antique par exemple).

Le profit ne sert que d’instrument de mesure de l’efficacité ; il a pour but de servir et non de se servir, de réinvestir et non d’accumuler. L’attitude mentale est celle du conquérant, pas du jouisseur. La joie est celle du succès technique, pas l’avarice de la rentabilité maximum. Car le profit est transitoire : sans innovation, le monopole fragile de l’avance acquise est vite rattrapé par la concurrence. C’est pourquoi Schumpeter ne considère pas les entrepreneurs comme formant une « classe sociale » : leur situation de fortune et de pouvoir n’est ni durable, ni héréditaire – mais sans cesse remise en jeu par la concurrence et par l’innovation.

L’innovation a pour contrepartie les cycles économiques, donc la gêne des profits puis des pertes, avant de rebondir. Ce qui ne plaît ni aux syndicats conservateurs, ni à la mentalité fonctionnaire. Mais qui est pourtant le propre de toute production : l’agriculture ne connait-elle pas de saisons ? Il existe quatre cycles économiques, dont seul le dernier est boursier, lié à la psychologie.

  1. Les inventions techniques majeures, qui surviennent par grappes, fondent de grands cycles de 40 à 60 ans que Kondratiev théorisera.
  2. Les cycles de l’investissement et de la dette, de 8 à 10 ans, seront mis au jour par Juglar.
  3. Le cycle des stocks des entreprises est plus court, correspondant à la saturation de la demande avant la réorientation de la production vers une nouvelle demande, Kitchin l’a théorisé.
  4. Le cycle le plus rapide, à l’année, est le cycle psychologique saisonnier lié à la parution des résultats annuels des entreprises (à fin décembre et à fin juin en majorité) et aux tendances des opérateurs (euphorie en janvier, précaution, dès octobre). Mais il ne faut pas confondre les mouvements boursiers avec les mouvements, plus longs et emboîtés, de l’économie.

Celle-ci avance par croissance, crise, récession et reprise. La croissance économique se répand quand le pouvoir d’achat passe des innovateurs aux producteurs et à leurs travailleurs, qui sont aussi consommateurs ; l’État prélève des taxes qui alimentent le pouvoir d’achat des fonctionnaires et les travaux et services publics. L’innovation se sert de la dette comme levier. La récession intervient quand il y a surproduction provisoire ; la baisse des prix qui en résulte rend le coût de l’investissement plus bas, permettant de nouvelles opportunités d’investissement dans d’autres innovations. Pour réduire l’intensité des crises, Schumpeter préconise une politique d’État de prévision, de recherche, d’aide à la formation, et des filets sociaux pour préserver le tissu de la croissance.

Mais Schumpeter croit à tort (c’était de son temps) que la très grande entreprise est le moteur de l’innovation. La dernière révolution des technologies de l’information et de la communication nous a prouvé que non : Apple et Microsoft ont supplanté IBM et les banques privées suisses réussissent mieux que la mondiale UBS. Schumpeter croyait aussi que le capitalisme pouvait s’autodétruire par bureaucratisation des tâches et spécialisation des métiers qui fait perdre la mentalité d’entrepreneur. Le garage de Steve Jobs comme le club de jeunes de Bill Gates montrent que ce n’est pas le cas. Reste qu’il faut lutter sans cesse contre le confort et le conformisme. Le confort est de rester dans la routine et de partager les acquis de monopole ; le conformisme de se contenter de gérer une exploitation plutôt que d’entreprendre, d’innover et d’exporter.

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Laurence Rees, Adolf Hitler la séduction du diable

laurence rees adolf hitler la seduction du diable
Monsieur Laurence Rees (les Anglais ont pour curieuse habitude de porter des prénoms français de fille) est producteur à la BBC après des études à Oxford ; il a créé une série documentaire qui porte le nom de ce livre, qu’il publie en complément, tant les témoignages directs qu’il a recueillis méritent d’être diffusés.

Son approche historique est originale : il traque le charisme de Hitler, qui expliquerait (en partie) pourquoi il a pu devenir le monstre qu’il est devenu. Selon le sociologue allemand Max Weber, la domination charismatique est moins une qualité personnelle magnétique qu’un type d’exercice du pouvoir. Le chef doit posséder un sens missionnaire qui en fait une sorte de prophète pour ceux qui le soutiennent : « il est plus proche d’une figure quasi religieuse que d’un homme d’État démocratique ordinaire » p.14. Les électeurs veulent plus que du pain et des jeux matériels, ils recherchent une sorte de rédemption et de salut. Ce sont les circonstances qui favorisent ou nom le message, donc mettent en avant le charisme de tel ou tel. L’histoire n’est pas absente de ce type d’analyse, mais l’histoire ne s’accomplit que par des vecteurs humains qu’il est intéressant d’observer.

Quels sont les qualités nécessaires à l’homme charismatique pour entraîner son peuple ?

La rhétorique

Un discours de Hitler était « une sorte de voyage : il partait d’un sentiment de désespoir, décrivant les terribles problèmes auxquels le pays était confronté ; puis il passait par la constatation qu’aucun de ceux qui se trouvaient là dans l’auditoire n’était responsable des soucis actuels ; enfin, il terminait sur la vision d’un monde meilleur, sans classes, où cet état de fait aurait été corrigé, sous la direction d’un chef fort qui aurait surgi du peuple allemand et se serait montré capable de conquérir le pouvoir à la tête d’une révolution nationale » p.50. L’échec clair et net de la démocratie à résoudre la crise économique ont été la condition préalable et nécessaire à la popularité de Hitler en 1933.

Il n’est pas inintéressant de constater que les discours de Marine Le Pen et de Jean-Luc Mélenchon reprennent ce même plan type : 1/ ça va pas, 2/ cépanou célafôta, 3/ je sais ce qu’il faut faire, suivez-moi. Peut-être est-ce le schéma du bouc émissaire propre à tous les populistes ?

Il n’est pas inintéressant non plus d’observer que les 25 points du programme du NSDAP en 1920 sont déjà proches de ceux des Le Pen : abroger les traités (hier Versailles et Saint-Germain, aujourd’hui Maastricht et Schengen), retirer aux allogènes la nationalité (hier les Juifs, aujourd’hui les Arabes et Noirs délinquants), interdire l’immigration à tous les étrangers, réserver la vraie citoyenneté au droit du sang, prendre des mesures contre le capitalisme et la finance cosmopolite au profit du petit commerce et des petites entreprises.

La conviction absolue d’avoir raison

Jamais Hitler n’admit s’être trompé ; au contraire, il a plusieurs fois forcé le destin contre tous les avis. Le Triomphe de la volonté (titre du film de propagande sur Hitler tourné par Leni Riefenstahl, citée p.184) était la méthode du dictateur – notons qu’elle ne fonctionne qu’avec l’enchaînement des succès : dès qu’un échec imprévu survient, la confiance se fissure et le charisme baisse d’intensité. Le revers de la conviction est l’obstination, avoir raison seul conduit à un excès de confiance en soi proche de l’orgueil, l’hubris des Grecs toujours puni par les dieux…

Les généraux réticents ont été conquis par les accords de Munich, après la récupération sans coup de fusil de la Ruhr, l’Anschluss avec l’Autriche et l’annexion des Sudètes : ils eurent dès lors « foi » dans le jugement personnel et solitaire de Hitler, qualifié d’intransigeance héroïque (p.76). Même chose pour l’invasion de la Pologne et la guerre éclair contre la France ! L’armée allemande était moins équipée en blindés, avec moins de divisions, mais la ruse dans les Ardennes et l’initiative fonceuse de Rommel arrachèrent la victoire… en 4 jours !

A l’inverse, l’invasion de l’URSS du nord au sud, la tergiversation de Hitler à foncer sur Moscou, son déni de l’étirement des lignes et du ravitaillement, son obstination stupide à occuper Stalingrad au lieu de la contourner, son refus de tout repli sur des positions plus tenables, sa déclaration de guerre aux USA – toutes ces décisions unilatérales sorties du cerveau enfiévré de Hitler ont conduit à l’échec. Autant la volonté d’un seul est puissante pour surmonter tous les obstacles lorsque les circonstances s’y prêtent, autant elle devient un poison dans une structure d’échec.

L’émotion interpersonnelle

« Dans son discours, ses yeux brillaient avec passion, tandis qu’il repoussait ses cheveux en arrière avec sa main droite. (…) Tout venait du cœur, il touchait la corde sensible chez chacun de nous », déclare Hans Frank, cité p.52. Son « magnétisme » personnel, qui ne touchait pas tout le monde, était pétri d’émotion, ses yeux bleus fixant intensément l’interlocuteur pour faire passer le sentiment très fort qu’il vous voyait personnellement et qu’il fallait être d’accord avec lui.

Système émotionnel qui participe plus largement de l’éducation. « On disait que si tu répètes tous les jours à un jeune ‘Tu es quelqu’un de spécial’, à la fin il le croira », témoigne Erna Kranz, alors écolière à Munich, citée p.201. « Les gens perdent le sens commun s’ils ont le sentiment d’aller plus loin que n’importe qui avant eux, qu’ils sont en train de faire l’histoire… » p.420.

Sans oublier l’attrait de la radicalité sur tous, qui fit trop souvent augmenter les cadences par souci de se montrer toujours plus volontariste, toujours plus près des objectifs du Führer. La volonté devait remplacer l’analyse, « l’intendance suivra », disait aussi De Gaulle. « En réalité, Hitler ne savait rien de ses ennemis et refusait même les informations qui étaient à sa disposition », écrit Albert Speer cité p.316. Pour Hitler, sa capacité à prendre des risques était un signe de la supériorité de son pouvoir, valoriser l’inattendu, bousculer et surprendre – comme dans les Ardennes en 40 et lors de l’invasion de l’URSS en 41.

La communauté de foi

L’individu n’est rien, le peuple est tout. Si chacun peut parfois être médiocre et mener une petite vie sans relief, c’est en se dévouant au bien de sa communauté (raciale pour Hitler, religieuse pour l’état islamique, prolétaire pour Mélenchon, petit peuple de France pour Le Pen) que l’on peut sublimer son existence et lui donner un sens.

Appartenir au groupe, viser les buts communs du groupe pour l’avenir, permet aussi de dédouaner chacun de sa responsabilité personnelle et de toute forme individuelle de décence commune : la fin justifie tous les moyens. « Hitler exprimait de façon extrémiste des croyances qui existaient chez bien des Allemands sous une forme plus modérée » p.96. On doit pouvoir croire en une cause, martelait Hitler en 1927, « soyez-en sûrs, nous plaçons la foi au premier rang et non la connaissance ! » p.103.

Cette foi repose sur les traditions immuables, sur les vertus éternelles, notamment sur celles – immémoriales – des paysans avant l’urbanisation et la modernité. Ce qui n’exclut ni la technique ni la science, mais les remet à leurs places d’outils au service de la volonté communautaire – qui est de survivre et de vaincre pour s’étendre.

« Hitler apprit aussi à apprécier la valeur d’une haine concentrée sur un unique ennemi » p.202. L’art de suggérer que les ennemis les plus différents appartiennent à la même catégorie est utilisé sans vergogne par tous les populistes, de Mélenchon aux Le Pen : il s’agit toujours « du » capitalisme, donc de la finance, donc des Juifs (pour les Le Pen) ou des riches (pour les Mélenchon) ou des riches Européens (pour les Syriza, qui préfèrent taper sur la riche Allemagne de Merkel plutôt que sur les armateurs ou l’Église grecque, tous deux aussi très riches… mais Grecs). De la rancœur contre le traité de Versailles à la croisade contre les judéo-bolchéviques le combat de Hitler, qui n’excluait pas la guerre, « offrait à tout Allemand l’occasion de donner un sens à sa vie » p.187. Hitler était « un envoyé de Dieu », « un prophète touché par la grâce divine » p.191.

La rhétorique, la conviction absolue d’avoir raison, l’émotion interpersonnelle et la communauté de foi sont les éléments combinés qui fondent le totalitarisme. L’intelligence est submergée par le sentiment d’appartenance, la rancœur contre les coupables extérieurs et la volonté de s’en sortir en commun. Cela justifie tout : au nom de Dieu, au nom de la race, au nom du peuple. L’état islamique, les extrêmes-droites nationales, les populismes gauchistes – sont les mêmes facettes d’une même emprise : au détriment de la raison, du droit moral et de l’individu. La communauté contre la civilisation.

Ce livre anglais est bienvenu pour nous guider aujourd’hui, lisible du grand public bien qu’érudit. Il est fondé sur des documents auxquels aucun Français ne peut semble-t-il avoir accès dans sa langue : nombre de citations sont notées comme « omises dans les éditions françaises », comme si les éditeurs hexagonaux avaient censuré volontairement la réalité nazie au nom d’on ne sait quelle idéologie politiquement correcte ! L’art du déni nourrit aussi le populisme…

Laurence Rees, Adolf Hitler la séduction du diable, 2012, Livre de poche 2014, 570 pages, €7.90

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Dangereux vide politique

François Hollande élu depuis un an… un abyssal vide politique ! Après la crise économique de la finance et de l’industrie, la crise sociale du chômage et des impôts, la crise morale DSK et Cahuzac, la crise sociétale de la filiation sans cause, la France va-t-elle vers une crise politique ? La « rue », pour une fois de droite (et bien peu à gauche), voudrait bien cristalliser le mécontentement en mouvement politique sur l’exemple des Tea parties américains. Je l’avais suggéré dans une précédente note, malgré les flèches de ceux restés bloqués sur la petite politique politicienne : « La France pourrait connaître une évolution à l’américaine, avec une droite de plus en plus à droite mais refuge du collectif national, et une gauche de plus en plus anarchiste-bobo, exaspérée de tout est permis. »

La médiocrité du personnel politique et leur panne idéologique font que l’imagination n’est surtout pas au pouvoir et que la refondation des idées est plus que jamais nécessaire.

nouvel-observateur sont ils nuls

Médiocrité des politiciens

Hollande pourrait se contenter de régner, à la Mitterrand, mais le quinquennat (voulu par la gauche) et le Premier ministre (voulu par lui) l’obligent à être dans l’arène. Son tempérament procrastinateur, édredon ni oui ni non, ne convient pas à la fonction. Un président doit se prononcer, il n’est pas dans la synthèse d’un secrétaire général de parti. Il tient bon sur quelques sujets économiques, mais sans aucune pédagogie, laissant les roquets au gouvernement lâcher la soupape du discours de gauche. Est-là une « politique » ? Les citoyens ont l’impression de ne pas être entendus, qu’aucun parti au Parlement ne les représente plus. D’où la rue et les tiraillements au PS.

Dans ce vide politique, la droite pourrait s’engouffrer, mais elle manque de discours cohérent et de chef légitime. Chacun joue sa partie, les « vieux » usés par leurs clowneries de candidats à la présidence de l’UMP, les nouveaux aux dents longues à longueur d’antenne pour la mairie de Paris. Coppé n’est pas crédible, Fillon est dépassé, Juppé reste sur ses terres, NKM se barricade à Paris et Raffarin en Chine… Au total, la droite s’est trop déportée à droite avec Buisson et Coppé. Elle a été battue de peu à cause de cela et du style Sarkozy ; mais les socialistes sont allés trop loin avec la procréation assistée et le laxisme sur les mœurs (cannabis, abolition des peines bloquées etc.), ce qui fait revenir au galop les régions catholiques vers l’anti-Hollande – Hervé Le Bras le dit très bien. 

C’est la chienlit, comme disait de Gaulle, expert ès querelles de bac à sable, fomentées par des « minables » qui ne voient pas plus loin que le bout de leur mufle, « cuisant à petit feu leur petite soupe dans leur petit coin ». Vous avez reconnu les partis : ces « machins » qui devraient sélectionner des candidats valables, comme partout ailleurs dans les démocraties, mais qui ne servent plus en France qu’à se hausser entre soi dans un jeu de l’ego. Coppé n’est pas légitime, Désir est nullissime, les deux jouant leur petit dictateur au mépris des statuts et des règles. Comme si la légitimité résidait dans l’oukase, comme si le charisme se résumait à la grande gueule. Ont-ils compris quelque chose au pouvoir ?

Panne idéologique

La gauche reste empêtrée dans la dépense publique, la redistribution clientéliste, la fiscalité incompréhensible et instable, le gros État à surtout ne jamais réformer, le tabou à accepter mondialisation et rationalisation, le jusqu’auboutisme dans le laxisme des mœurs ultra-individualistes. La droite n’a pas de vision d’avenir, elle en reste au passé, le recours à Sarkozy tenant lieu de projet politique faute de mieux. Comme toute réforme passe par ceux-là mêmes qui profitent du système (élus, technocrates, fonctionnaires, syndicalistes), il y a grande répugnance à ce que cela change. A l’arrogance intello de gauche répond en 2013 l’action directe à droite, qui rassemble bien plus que les groupuscules activistes catholiques ou étudiants. L’aspiration dans les sondages à faire ce que les Italiens font – un gouvernement d’union nationale – dit combien les électeurs ont, dans leur majorité, ras le bol de ces politiciens minables qui se croient légitimes. 2014 ou 2017 verront-elles la réforme forcée du millefeuille étatique dans l’urgence pour incapacité prouvée à résorber le déficit structurel ?

handicap france patrick artus 2013

Aujourd’hui, que reste-t-il ? La peur. Dans le délitement social, les politiciens qui devraient au contraire motiver le pays, montrer la voie de solutions à long terme ont aussi peur que la société – mais pour leurs privilèges.

  • Peur du changement : continuer contre vents et marées faute d’imagination.
  • Peur de la politique : droite ou gauche, surtout ne rien changer au logiciel, on perdrait des électeurs. Dommage que les socialistes ne l’aient pas compris avant le mariage gai.
  • Peur de la rue : accuser la droite de pactiser avec le diable, accuser la gauche d’assassiner des enfants – recours au « fascisme » ou au « couteau entre les dents », vieilles rengaines qui ne disent rien d’autre que l’abyssale stupidité de leurs auteurs.
  • Peur d’expérimenter d’autres canaux de communication entre les citoyens et les décideurs : et pourquoi pas le référendum d’initiative populaire, ou les consultations de citoyens, ou la pédagogie télé, comme Yves Montand l’avait fait sous Mitterrand ?
  • Peur de se remettre en cause : notamment les droits hors du commun des politiciens professionnels, qu’ils soient ministres, députés, sénateurs ou patrons publics (les travaux du siège de la BPI).
  • Peur de l’Europe : qui ose dire à l’Allemagne qu’on ne peut chaque année « attendre les élections » pour décider à 17 ou 27 ? mais qui ose dire aussi qu’il faut réformer chez soi pour converger avec l’Allemagne ?
  • Peur d’approfondir l’Union : à quand une Assemblée européenne élue directement au niveau européen, le même jour, sur des partis européens ? à quand la désignation d’un président élu par le Parlement européen à la tête de la Commission ? à quand le Conseil des chefs de gouvernement remplacée par un Sénat représentant les États-nations et les régions ?

L’imagination n’est surtout pas au pouvoir !

La gauche embourgeoisée depuis Mitterrand s’est installée dans le système, elle ne veut surtout pas le changer ; elle préfère d’ailleurs l’opposition, plus confortable : on peut critiquer sans avoir à choisir, donc promettre n’importe quoi pour se faire mousser. Mélenchon l’a très bien compris, même s’il rassemble peu avec ses rodomontades d’un autre âge. La droite en perte de repères (et surtout de chef qui fasse rentrer dans le rang les ados attardés), rejoue le monôme comme en 1934, encourageant des ligues de factieux malgré la modernisation gaulliste.

Or le monde a changé, les Français ont changé, les petits jeux entre nantis politiques n’amusent plus que les médias parisiens. Si l’opposition descend dans la rue, c’est qu’elle ne paraît pas dans les partis politiques. Le slogan « indignez-vous » n’est pas – ô surprise ! – réservé à la gauche. La droite se radicalise parce que personne n’écoute les classes moyennes qui ont peur du déclassement et se raccrochent aux ‘valeurs’. Circulez, dit Hollande incapable ; on attend 2017, dit Fillon impuissant. Résultat : 30 000 militants devant Mélenchon le 5 mai; 40 000 teufeurs à Cambrai pour une rave. Cherchez où est la politique !

Cette inertie fait surgir Marine Le Pen. La fille de son père a eu l’intelligence tactique de quitter la droite extrême ancrée dans le passé vichyste, OAS ou anti-68. Elle se présente comme la droite qui décide, plus à droite que l’UMP mais dans la tendance sociale-étatiste qui est l’un des aspects du bonapartisme, incarné aussi bien par de Gaulle que par Chevènement, Fabius ou Montebourg. Mélenchon, à côté d’elle, fait pâle figure, populiste racoleur poussant le contentement de soi jusqu’à proposer d’être calife à la place du calife (comme Sarkozy sous Chirac). Hollande, s’il ne réagit pas, la droite, si elle ne trouve pas de nouveaux repères avec un nouveau candidat légitime, laisseront proliférer les extrêmes. Parmi eux, pas difficile de deviner qui va l’emporter !

marine le pen tire ta langue

Quelle refondation des idées ?

L’individu n’est ni entièrement autonome, ni entièrement rationnel comme le croit la droite – mais un peu quand même. Il est mu par des forces invisibles pointées par le marxisme, le freudisme, le structuralisme, le foucaldisme, le bourdieusisme, comme le croit la gauche – mais il n’est pas pour cela une marionnette. Si l’individu est pris dans un champ de forces, il reste relativement autonome. Donc tout pouvoir ne peut décider à sa place ce qui est bon pour lui, ni les technocrates de droite, ni les idéologues de gauche. Pas de volontarisme anti-européen comme le prônent certains irresponsables pour faire la roue ; pas d’inertie suiviste de l’austérité morale allemande, comme d’autres le croient par paresse intellectuelle. Merkel en prétexte à tout balancer ou à ne rien faire ? Quelle blague ! L’économie n’est une science qu’humaine, pas exacte. Elle fonctionne sur la confiance – comme toute société politique. Encore faut-il que cette confiance se mérite et que la subsidiarité empêche l’État parisien ou le Machin bruxellois d’intervenir sur tout, à tous niveaux.

La traduction politique française en est certainement la rationalisation de la dépense publique, excessive et gaspillée (47% de prélèvement obligatoires en 2013 contre 43% en 2011) ; une fiscalité apaisée qui ne change pas tous les deux ans en inhibant l’investissement, l’épargne, la consommation, l’entreprise et l’emploi ; des lois et règlements moins nombreux, mieux rédigés par moins d’élus mais avec plus de moyens ; des lois moins rigides qui ne détaillent pas tout pour laisser une autonomie à la jurisprudence des cas réels ; une éducation moins jargonnante en français, moins nulle en langues et moins axée sur l’élitisme matheux ; une formation adulte ouverte à tous à tout moment ; l’encouragement à entreprendre  et pas le mépris pour « les riches » – cette race mystérieuse surgie des envieux. Le bouc émissaire allemand est bien commode aux pusillanimes de gauche qui attendent la croissance comme d’autres Godot. Bien commode aussi aux extrêmes qui croient que sans l’euro ni Schengen tout irait beaucoup mieux.

Sur ces sujets, il y a une sensibilité de droite et une de gauche – mais abordons enfin ces vraies questions au lieu du mariage gai et autres diversions sur la transparence des élus ou le vote des étrangers ! Depuis un an, combien de chômeurs en plus par laisser-aller de gauche sur la fiscalité aberrante et l’entreprise ignorée ?

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Le scandale du Médiateur

Il y a trois jours, le Front national balayait dans les médias, sinon dans les urnes, la vieille oligarchie UMPS qui n’écoute plus depuis longtemps les citoyens. Avant-hier, l’Élysée a brûlé (à Montmartre), symbole s’il en est : le théâtre de la Goulue vaut bien celui du Président avale-baraque. Hier, le « nuage » de Fukushima a surplombé la France, sans élever la radioactivité de façon tangible. De toute façon, de l’activité, il y en a de moins en moins en France. Près de 40% des emplois industriels ont disparu en vingt ans. Les Français ont le blues, comme d’habitude, et voilà que le Médiateur, dénoncé par l’Agence française de la rationalisation publique, ne va plus être remboursé.

Il a livré lundi son dernier rapport d’honneur, un baroud. Pour lui, c’est la Bérézina. Napoléon le petit a échoué à réformer le « modèle » qui fuit et à entraîner les Français dans la modernité. Le peuple en a marre de cette modernité qu’il chantait pourtant hier avec Jules Verne. Elle lui échappe, il y en a trop, ça va trop vite. Les Français sont largués par le petit qui, à 5 ans, sait faire marcher mieux qu’eux le lecteur de DVD sans avoir lu la notice écrite en jargon traduit de l’anglais lui-même retranscrit du coréen par ordinateur. Largués par le préado qui a déjà vu des films pornos et a embrassé ses premières filles sans que papa ait vu comment. Largués par l’ado qui « poursuit » le bac sans en vouloir vraiment, pas motivé par les quelques sept à neuf années de boulots précaires qui l’attendent avant d’en décrocher un stable…

Sarkozy a beau cocoricoter sur la Libye, c’est un poste de commandement américain en Allemagne qui gère l’opération coordonnée. Et il a fallu des jours avant de rameuter les avions du Charles-de-Gaulle dispersés on ne sait où. Le modèle « universel » français fait bien rigoler en Chine, en Inde, au Brésil, en Russie, au Mexique… Nous montons trop sur nos ergots alors que nous ne sommes plus qu’une nation moyenne qui voit, chaque année, reculer son rang. Nos vanités, l’étatisme, le caporalisme, la morale au monde entier ne prennent plus. Ce pourquoi Chirac reste aimé, bien qu’il ait été copain comme cochon avec Saddam Hussein et ait empêché les avions de Reagan de survoler la France pour bombarder Kadhafi le terroriste à Tripoli, en 1986. Il a été l’inspirateur du dernier discours mondialiste de la France à l’ONU, contre l’invasion de l’Irak. Mais notre littérature se vend mal, et pas seulement parce qu’elle n’est pas écrite en anglais : les Islandais, les Norvégiens sont plus traduits que nous !

Nous vivons dans l’illusion, entretenue sous de Gaulle mais avec des moyens, reprise par la gauche dans la gabegie des dépenses à tout va de 1981 et de la facilité des dévaluations (trois en 18 mois !). Depuis, nous sommes arrimés à l’euro, qui est tenu par la rigueur monétaire des Allemands. Eux savent se discipliner, faire des sacrifices, assurer un bon service après vente. Nous pas. Chaque élection est le grand théâtre du toujours plus où chacun est victimisé pour qu’il vote « bien ».

La population vieillit, chôme, se déclasse, n’offre plus d’avenir à ses jeunes, consomme à tout va de la « sécurité » (sociale tant qu’elle est remboursée et policière tant qu’on en veut). Le Médiateur ne mâche pas ses mots, il n’a plus rien à perdre puisque son poste est supprimé. Enfin quelqu’un qui dit la vérité ! « Notre contrat social n’est pas un contrat de services mais d’engagement. Or, aujourd’hui la citoyenneté décline des deux côtés : celui qui paie l’impôt a perdu la dimension citoyenne de l’impôt et, s’il y consent encore, s’estime néanmoins lésé. De même, celui qui bénéficie de la solidarité publique a perdu le sens de cette solidarité et, ne recevant pas assez, se sent humilié. L’éducation, en échec aujourd’hui sur l’acquisition des savoirs, l’aptitude au travail et l’éveil à la citoyenneté, interroge notre système administratif global qui échoue sur sa capacité d’inclusion et devient une machine à exclure. » Jean-Paul Delevoye ajoute : « Le service public ne porte plus son nom. »

La faute à qui ? « Les débats sont minés par les discours de posture et les causes à défendre noyées parmi les calculs électoraux ». A droite comme à gauche ! Et de lister dans son dernier rapport : l’empilement législatif, les réformes précipitées, les moyens limités, les lois pas toujours applicables, leur manque d’explication, leur application mécanique par l’Administration, les décisions de bureau au mépris des textes, l’excès de précipitation parfois et l’excès de lenteur, les procédures déshumanisées (vous n’êtes qu’un numéro ou un dossier), l’absence complète d’empathie et de communication entre ceux qui détiennent un petit pouvoir et les citoyens…

Le  collectivisme jacobin français, fondé sur de gros impôts et leur redistribution électoraliste, n’est plus un modèle de vivre ensemble. La classe moyenne se sent lâchée. Les petits, les sans-grades, ne sont ni écoutés ni compris. Mieux vaut être immigré, sans-papiers ou mal logé pour qu’on s’occupe de vous, à grands coups de projecteurs médiatiques. La posture, toujours. D’où le ras-le-bol des citadins qui retournent à la campagne, des diplômés qui vont chercher aux États-Unis ou en Suisse, voire en Chine, de ceux qui pourraient créer une entreprise mais qui préfèrent vivre de peu mais sans le regard de jalousie des autres ni d’inquisition de l’Administration. Chacun se rencogne sur ses petits zacquis, l’école décline, corporatiste, prônant l’élitisme par les seuls maths au détriment des qualités humaines propres à vivre ensemble.

Pourtant la France a de beaux restes. Les Français font des enfants, ce qui peut s’interpréter comme signe d’optimisme (c’est la tarte à la crème des débats dans les médias !), mais que je vois plutôt comme un repli sur la famille. Avec l’égoïsme d’enfant gâté de la génération née après 1968 : nous on jouit d’eux, après ils n’ont qu’à faire leur vie. Il n’empêche, des enfants, c’est du dynamisme, dommage qu’ils ne rêvent que d’Amérique ou d’Asie… Les Français ont de grands projets d’État, financés sans chercher de profits. Bravo pour la recherche fondamentale en avionique, médecine, trains, dommage que la sécurité industrielle soit si mal assurée (voir Renault) et que la naïveté des commerciaux laisse piquer les fleurons sans réciprocité (voir Alstom et son TGV, Dassault et son Rafale, Areva et son EPR)…

En fait, manque à la France un personnel politique à la hauteur. Ce n’est pas grand-chose mais aucune école ne forme à cela. On appelle le charisme, cette faculté de présenter un avenir et d’entraîner les gens derrière vous. Encore faut-il former des têtes bien faites et pas des têtes bien pleines. Nicolas Sarkozy l’a incarné un temps en 2007, ce pourquoi il a été largement élu face aux zénarques qui récitaient leurs leçons mal apprises en face de lui. Mais il a failli. Les sondages et le vote de dimanche montrent l’ampleur de la déception. Il sera probablement battu en 2012 et entraînera la droite dans sa chute. Tant pis pour les perdants puisqu’ils ne veulent rien voir. Sauf qu’on ne perçoit guère la gauche en profiter, tant le charisme manque à ses chefs. Ce sera au profit de l’extrémisme peut-être : avec une présidence de gauche que dirait-on de législatives où le Front national aurait le quart des députés ?

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Pascal Ory, Du fascisme

Le récent mouvement du monde remet au goût du jour la réaction autoritaire et xénophobe qu’était le fascisme. Cela va de la menace symbolisée par le 11-Septembre à la crise économique occidentale depuis la fin du siècle (krach des technologiques 2000, krach des normes de régulation 2002, krach de la finance 2007, krach des endettements d’État 2010) ainsi qu’à l’émergence, rapide et impériale, des pays sous-développés (y compris en Afrique). Marine Le Pen en France ne fait que mettre ses pas dans ceux de Haider en Autriche, Fortuyn en Hollande, Blocher en Suisse, Fini en Italie, sans parler des ligues nationalistes en Hongrie, Russie et ailleurs – ou même du Tea party. D’où l’intérêt de se replonger dans l’histoire scientifique, loin des passions idéologiques d’aujourd’hui. Pascal Ory, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Paris 1 a fait de son cours un livre. Il brasse un vaste ensemble de pays et de comportements depuis 1919 jusqu’à nos jours.

En douze chapitres qui se lisent très bien, étayés de notes en fin de volume pour les sources, il examine la définition des fascismes, genèse, milieu, pouvoir, la dictature, dirigisme, propagande, totalité, le génocide, l’internationale noire, l’empire désiré, et enfin leur destin.

Qu’est-ce que le fascisme ?

C’est un naturisme radical où la lutte pour la vie justifie le droit du plus fort et la fin tous les moyens. Cette fin est la suprématie de sa communauté nationale ethnique sur toutes les autres. Ses moyens sont ceux de l’extrême gauche léniniste : violence, charisme du chef, organisation totalitaire. Résolument anti-Lumières, les fascismes ont voulu éradiquer 1789, Volksaufklärung contre Aufklärung (culture issue du Peuple contre civilisation universelle de l’élite). Ils rejettent la notion d’individu, de libre-examen, de matérialisme tourné vers le bonheur, tout comme l’égalitarisme philosophique. Pour eux, chacun est support de gènes et de traditions nationales qui doivent être transmises en héritage, y compris en préservant son milieu écologique ou en ayant droit à sa filiation génétique. La communauté vaut plus que la personne, la culture plus que le libre arbitre, la grandeur nationale plus que le bonheur individuel. Chacun doit être mobilisé de la naissance à la mort au service du Peuple, entendu comme race à améliorer, environnement naturel à préserver, et comme porteur d’une Tradition. Le Peuple est soumis à sa Volonté de puissance vitale et s’incarne historiquement dans un Duce, un Führer ou un Caudillo.

Il s’agit bien d’une révolution : celle qui retourne le mouvement initié au XVIIe siècle. Après la guerre mondiale la plus stupide, initiée par les élites les plus bornées de l’histoire moderne, le fascisme naît contre tout ce qui a permis la défaite : humanisme, libéralisme politique, parlementarisme, libre échange, droits de l’Homme, maîtrise de la violence par la Société des nations. A noter que la France (déjà vieille et fatiguée après 14-18) s’est portée plus volontiers vers le conservatisme traditionaliste issu du catholicisme vaincu par la loi de 1905, symbolisée par le vieux maréchal Pétain vainqueur de Verdun. Les tribuns comme Doriot ou Déat, venus du communisme avant de virer fascistes, se sont heurtés à la ligue militaire cocardière du colonel de La Roque et n’ont pas fédéré un vrai parti fasciste. Ce n’est qu’avec la Collaboration que des individus se convertissent. Le fond français reste attaché aux principes de 1789 et s’incarne plus volontiers en bonapartisme, le chef conduisant un projet national plus qu’il n’incarne de façon religieuse une essence ethnique et culturelle. Ce pourquoi Marine Le Pen est plus proche du modèle républicain que son vieux père au fond pétainiste, bien qu’agitateur mussolinien.

Comment le fascisme s’est-il installé ?

Grâce au ressentiment né de la grande guerre, puis de la crise de 1929. Toute société établie et tout système dominant fabrique ses vaincus. Les récupérer lui permet de durer ; si cela ne réussit pas, la réaction fasciste intègre les déclassés. Dans les années 30, tout ce qui est ancienne noblesse, soldats démobilisés sans travail, paysans ruinés, masses ouvrières agitées d’antiparlementarisme, classes moyennes en lutte contre les gros, les trusts, les Maçons, les politiciens. Rien d’étonnant à ce que les métèques et les Juifs, ni nobles, ni paysans mais tenant commerce, finance ou postes à l’université, soient apparus comme les Profiteurs types de cette « élite » qui méprise le Peuple et préfère se sauver toute seule que de partager la guerre, la crise, les traités inégaux.

« Le Juif » est – selon le mythe national-fasciste – le déraciné, éternel errant cosmopolite préférant ses affaires à la nation, l’argent à l’honneur… en bref le cancer du Peuple, le virus qui infecte la société et corrompt les mœurs – le parfait bouc émissaire de tout ce qui ne va pas. Remplacez « Juif » aujourd’hui par capitaliste, islamiste, voire bourgeois ou Arabe et les mêmes mécanismes psychologiques sont à l’œuvre. A noter que la posture du déni (arabe) ou de l’indignation (juive) ne font que conforter les préjugés. Trop rares sont ceux qui font l’analyse honnête des erreurs de leur communauté et les combattent publiquement au nom de principes universels. Jacques Attali l’a fait à propos des « Juifs, le monde et l’argent », Tony Judt sur la politique israélienne envers les Palestiniens, et de trop rares musulmans contre l’intégrisme, dont la pétition de Marc Cheb Sun est le dernier courageux avatar (Libération 12 janvier). La paranoïa se nourrit du fantasme de Complot ; le seul moyen de couper court à la rumeur et aux préjugés naissant est la transparence et le débat.

Le fascisme peut-il renaître ?

Probablement pas comme totalité, tant l’histoire l’a moralement condamné, surtout à cause des génocides. Mais des autoritarismes communautaires peuvent ressurgir :

  • si la société se radicalise,
  • si les histrions bobos banalisent la xénophobie (ex. Max Boublil…),
  • si les élites de droite sont tentées par les alliances à l’extrême,
  • si émerge une personnalité charismatique qui unisse le courant droitier.

Il faut surtout que le régime ait épuisé toutes ses alternatives électorales crédibles, à droite comme à gauche. Doriot s’est brisé en 1934 sur la résistance du pôle républicain, comme Le Pen en 2002 sur le refus de Chirac et de la majorité de l’UMP. La société française est aujourd’hui pessimiste, se sent menacée dans sa culture par l’islam, dans son mode de vie par la crise économique, dans sa domination morale par la mondialisation, mais les garde fous existent :

  • la Ve République est un système puissant qui mène à l’Exécutif, tous les 5 ans, un nouveau chef ;
  • le système d’élections intermédiaire permet de s’exprimer (même si l’absence de proportionnelle ne permet pas de représenter tous les courants) ;
  • le filet social de sécurité (éducation, maladie, chômage, retraite), même s’il peut être réduit et réorienté pour cause d’endettement excessif, subsiste ;
  • l’Union européenne et surtout l’euro protègent du monde économique sans lois et de la guerre des dévaluations compétitives ;
  • l’Alliance atlantique comme l’appartenance au club nucléaire sont des boucliers contre les menaces militaires venues de l’arc musulman ou de pays menaçants ;
  • les médias mondialisés, notamment Facebook, Twitter, les blogs et Wikileaks mettent instantanément les manipulations au jour (on l’a vu en Chine, en Iran, en Tunisie, en Égypte…).

Nous ne sommes pas dans la situation radicale des années 30, la débandade des fascismes en 1945 a accouché de surgeons populistes et protestataires (poujadisme, ligue des familles, laïcité intégriste), mais plus de partis totalitaires. Le Front national, fondé en 1972, ne s’installe dans le paysage qu’en 1983 après le second choc pétrolier de 1979 et avec la montée du chômage, après le choc de 1981 et la démagogie de gauche perçue comme dépensière et trop favorable aux immigrés.

Le diagnostic de Pascal Ory :

« Il apparaît alors nettement que la vraie crise directrice de ces votes protestataires est une crise culturelle. Sur le fond de dislocation lente mais continue des institutions collectives traditionnelles (familles, Églises) ou modernes (école, service national), cette crise alimente un violent ressentiment à l’égard d’un système d’autant plus abhorré que son centre paraît de plus en plus difficile à situer du fait de la planétarisation de l’économie et de la culture. La personnalisation populiste répond miraculeusement à cette double frustration : elle rétablit le lien concret dilué dans le virtuel, l’abstrait et le lointain, elle redonne une consistance collective, selon les cas populaire, nationale ou ethnique, non pas à un bloc social nettement identifié mais à une fraction toujours minoritaire et toujours significative de toutes les catégories sociales, depuis le lumpen prolétariat xénophobe et autoritaire des banlieues à l’abandon jusqu’à la bourgeoisie xénophobe et autoritaire des beaux quartiers sécuritaires » (p.317).

Pascal Ory, Du fascisme, 2003, édition de poche Tempus Perrin novembre 2010, 374 pages, €8.55

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