Articles tagués : mussolini

Nietzsche raille les « hommes sublimes » et les héros fascistes

Le fascisme n’existait pas encore à l’époque de Nietzsche (mort en 1900) mais il était en germe dans les nationalismes qui bouillonnaient depuis les révolutions du XVIIIe siècle. Le pangermanisme de la Grossdeutschland, le patriotisme italien 1830 de Mazzini (qui deviendra fascisme après la Première guerre mondiale avec Mussolini) s’agitaient du temps de Nietzsche. Le calviniste strict Thomas Carlyle, chantre du héros qui « doit se faire le trait d’union entre (les hommes) et le monde invisible et sacré » publie en 1841 On Heroes, Hero-Worship and the Heroic in History (Les Héros, le culte des héros et l’héroïque dans l’Histoire). Nietzsche pourfend toute cette pose « sublime ».

« J’ai vu aujourd’hui un homme sublime, un homme solennel, un pénitent de l’esprit. Oh ! comme mon âme a ri de sa laideur ! » Car, pour Nietzsche, le sublime n’est pas la grandeur, ni le héros un maître qui s’est maîtrisé. « Il n’a encore appris ni le rire ni la beauté, l’air sombre ce chasseur est revenu de la forêt de la connaissance. Il est rentré de la lutte avec des bêtes sauvages : mais sa gravité reflète encore une bête sauvage – une bête insurmontée ! Il demeure là, comme un tigre qui va bondir, mais je n’aime pas les âmes tendues comme la sienne. » L’habit ne fait pas le moine, l’attitude ne fait pas le grand homme. Le théâtre du sublime, pose romantique par excellence tellement mise en scène par un Victor Hugo, n’est qu’une pose, pas le fond de l’être.

L’attitude doit être surmontée pour devenir naturelle. C’est alors que le sublime devient grand. Pas avant. « S’il se fatiguait de sa sublimité, cet homme sublime, c’est alors seulement que commencerait sa beauté – et c’est alors seulement que je voudrais le goûter et lui trouver de la saveur. Ce n’est que lorsqu’il se détournera de lui-même, qu’il franchira son ombre, et, en vérité, ce sera pour sauter dans son soleil. » Il deviendra lui-même lorsqu’il incarnera ce qui n’est alors que son image, son ombre, ce qu’il voudrait être sans pouvoir l’accomplir.

Car l’homme grand est celui qui se surmonte, pas celui qui prend une pose avantageuse à la télé ou dans les meetings. Au contraire, l’histrion politique n’est pas un grand homme mais un acteur de sa propre image. « Sa connaissance n’a pas encore appris à sourire et à être sans jalousie. Son flot de passion ne s’est pas encore apaisé dans la beauté. (…) La grâce fait partie de la générosité des grands esprits. » Mais c’est ce qu’il y a de plus dur, de quitter son image pour devenir soi ; de ne plus être un personnage mais un être réel. « C’est précisément pour le héros que la beauté est de toute chose la plus difficile. La beauté est insaisissable pour toute volonté violente. (…) Rester les muscles inactifs et la volonté dételée : c’est ce qu’il y a de plus difficile pour vous autres, hommes sublimes. »

Laisser être… tel est le secret de la sagesse – et de la volonté. Le désir vers la puissance est le principe de la vie mais il doit s’accomplir naturellement, pas le ventre noué, le cœur en chamade et l’esprit focalisé au point de ne plus rien voir d’autre que le pouvoir. La générosité, la bienveillance, sont un débordement de la force, pas un effort qu’il faut faire. « Quand la puissance se fait clémente et descend dans le visible : j’appelle beauté une telle condescendance. Je n’exige la beauté de personne autant que de toi, de toi qui est puissant, que ta bonté soit ta dernière victoire sur toi-même. » Car ce ne sont pas les débiles qui sont bons, faute de pouvoir être méchants : les bons sont ceux qui peuvent être bons parce qu’il en ont la force surnuméraire.

Comment ne pas penser à Mussolini et à ses poses avantageuses, « la poitrine bombée, dit Nietzsche de l’homme sublime, semblable à ceux qui aspirent de l’air » ? Comment ne pas songer à ces socialistes, sourcils froncés, à ces écolos « en urgence » permanente, qui se croient toujours les messagers de l’avenir ? Ou à ces prophètes de droite extrême qui se croient mandatés par « le peuple » et dont « l’action elle-même est encore une ombre projetée » sur eux. « Je goûte beaucoup chez lui, la nuque de taureau, dit encore Nietzsche de l’homme sublime, mais maintenant j’aimerais voir encore le regard de l’ange. Il faut aussi qu’il désapprenne sa volonté d’héroïsme, je veux qu’il soit un homme élevé et non pas seulement un homme sublime. »

Où l’on mesure combien Nietzsche était loin de ce qui deviendra le fascisme et le nazisme. Il voyait en la recherche de puissance le principe de la vie, mais une vie qui déborde en générosité, pas en contraintes de toutes sortes.

(J’utilise la traduction 1947 de Maurice Betz au Livre de poche qui est fluide et agréable ; elle est aujourd’hui introuvable.)

Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, 1884, traduction Geneviève Bianquis, Garnier Flammarion 2006, 480 pages, €4,80 e-book €4,49

Nietzsche déjà chroniqué sur ce blog

Catégories : Frédéric Nietzsche, Livres, Philosophie | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Malaparte, Le soleil est aveugle

Curzio Malaparte est un curieux personnage de la première moitié du XXe siècle, l’époque des guerres absurdes et des totalitarismes de gauche virant à droite, mais toujours à l’extrême. Mussolini était de ceux-là, syndicaliste puis socialiste avant d’inventer le fascisme, ce populisme vantard dont Trump et Bolsonaro sont les derniers avatars, et qu’un Zemmour voudrait bien imiter. Malaparte a été correspondant de guerre et a écrit plusieurs livres, dont le célèbre Kaputt en 1943, puis La Peau en 1949. Qui n’a pas lu ce dernier livre ne peut comprendre Naples.

En 1940, il est correspondant de guerre et suit les Alpini italiens qui partent, sur ordre du 10 juin, attaquer le pays frère, la France. Une « attaque par traîtrise, vile, stupide, méchante, contre la France vaincue et humiliée. » Cette félonie immonde d’un pays latin proche attaché par de multiples liens de travail, de culture et d’histoire, montre la bêtise et la lâcheté de son dirigeant suprême. Poutine a mis les pas dans ceux de Mussolini en attaquant de même l’Ukraine. Les vantards se parent de noblesse et de hauts sentiments pour justifier leur agression, mais c’est bien de traîtrise et de lâcheté qu’il s’agit. L’écrivain qui envoie ses chroniques ne peut pas le dire ouvertement, alors il le suggère.

Son récit où « tout est vrai : le temps, les hommes, les faits, les sentiments, les lieux » est allusif et incantatoire. « Je lui dis que. » Et chacun peut supposer quoi, car la censure mussolinienne ne l’aurait pas toléré. Il chante l’humanité des soldats des deux camps, la barbarie des obus tirés de loin, l’absurdité de la guerre « pour rien ». Car, sitôt commencée et sans avoir guère avancé, elle s’arrête avec l’armistice signé par Hitler. Le paon en chemise noire se trouve Grosjean comme devant. Il capo est devenu capon, non sans avoir fait plusieurs milliers de morts inutiles. Le même foutraque attirera la défaite des armées nazies à Stalingrad, ayant forcé Hitler à « l’aider » en Grèce parce que son armée n’y arrivait pas, retardant de plusieurs mois l’attaque sur le flan sud soviétique.

« Il est désormais nécessaire de dire, sans aucun égard pour les vivants, qu’il n’y a rien en Europe pour quoi il vaille la peine de mourir. (…) Qu’il est peut-être plus immoral de gagner que de perdre une guerre. » Mourir pour rien, pour la fatuité d’un vantard qui se croit l’Élu parce qu’à la tête du populo – tout cela pour grappiller quelques arpents de territoires dont les gens se foutent. Mourir pour la gloire, c’est pourrir un peu. Être juge de soi-même, rendre des comptes à sa propre conscience de chrétien : voilà ce à quoi l’Italie s’est confrontée brutalement en 40.

Trois chapitres ont été supprimés par la censure du dictateur outré : ils racontaient la révolte morale des villageois frontaliers et des soldats alpins. L’auteur n’avait pas de copie de son manuscrit et ils n’ont pas été retrouvés. Ce qui reste est allégorie, récit vrai mais tu, raconté par des images, des symboles, des scènes sans commentaire. Un capitaine marche vers un banc à la frontière, sous le mont Blanc impassible ; un banc de bois aux pieds de bronze, comme une bête à l’affût, une bête paisible qui est la métaphore de la relation car les gens s’y arrêtent pour causer.

Le même capitaine croise plusieurs fois le soldat Calusia qui marche comme une bête. Il est jeune, animal, empathique avec les bêtes. Il se baigne nu avec les vaches, il flatte l’encolure des mulets, il souffre quand ils tombent et se cassent une patte. Les bêtes sont comme les hommes – ou serait-ce l’inverse ? – avec une moindre conscience de la mort, et surtout de son absurde inutilité. Le fasciste en chef les a rendus bêtes et ils marchent au pas de l’oie sans esprit ni conscience. Le capitaine médecin Catteano soigne les blessés avec ce qu’il peut, pas grand-chose, car la bêtise n’a rien prévu – comme l’armée russe en Ukraine, malgré des mois de « manœuvres » à la frontière. Le colonel dit qu’il faut avancer, mais un autre colonel est chargé, sans qu’il le sache, d’avancer de son côté – car le commandement se méfie des alpini.

Curzio Malaparte est né Curt Erich Suckert, germano-lombard par ses gènes et toscan par sa naissance. Il sèche le collège à 16 ans pour s’engager dans la Légion garibaldienne de l’armée française en 1914. Il obtiendra la croix de guerre avec palmes. En 1922, il voit le fascisme naissant comme un syndicalisme politique et il italianise son nom officiellement en 1925. Mais la dérive réactionnaire de Mussolini le détache du fascisme, qu’il ne cessera dès lors de combattre. Son livre de science politique Technique du coup d’État, publié en 1931 (toujours très intéressant à lire…) est interdit par les dictatures, à commencer par celle de Mussolini. Il le fait chasser du parti fasciste et exiler aux îles Lipari, tant c’est le propre des autocrates de ne tolérer aucune critique, aucune remise en cause, aucune déviance.

Malaparte, lui, ose, à l’image de la villa qu’il se fait construire à Capri en 1937, provocatrice de modernité. Elle sera mise en scène par Jean-Luc Godard dans son film Le Mépris. Juste avant de mourir, il se convertit au catholicisme et au communisme avant que le cancer ne l’emporte en 1957, à 59 ans. Comme quoi les totalitarismes historiques ont leur empreinte dans le tempérament : l’Église, comme le Duce et le Parti, sont des refuges d’ordre et de discipline pour une sensibilité effrayée par le devenir du monde et la part sombre de l’humain. Mais seuls les esprits faibles y succombent.

Curzio Malaparte, Le soleil est aveugle (Il sole è ciego), 1941, Folio 1987, 158 pages, €6,10

Catégories : Géopolitique, Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , ,

Poutine sent le roussi

Reculant en Ukraine, son armée indigente montrant son incapacité militaire à opérer et à être commandée, son matériel trop vieux, ses renseignements incapables – comme sous Staline – de dire les vérités qui dérangent aux décideurs, Poutine s’énerve. Surtout que la population commence à grogner, et pas seulement la mince élite occidentalisée dont plusieurs centaines de milliers ont déjà fui la Russie sous dictature.

Poutine est le satrape attrapé, celui qui croit que dire « j’exige » suffit pour un succès assuré. Or pour 100 roubles affectés à l’armée, dit-on, à peine 10 parviennent dans les casernes ; tout le reste est pris dans le système mafieux mis en place par Poutine et dont profite Poutine et ses affidés pour s’enrichir insolemment – au nom du Peuple. Lequel le sait, se tait et laisse faire – mais pas mécontent si le satrape se fait attraper.

La « démocratie » ? Ils ne connaissent pas ; ils ne savent que le barine proche, le tsar au-dessus. Le débat, les oppositions, la vie démocratique, tout cela leur paraît anarchie alors que les frontières sont vastes et que l’Ennemi encercle (forcément) la mère patrie. Mais l’Ennemi n’est pas celui qu’ils croient. A moins qu’ils ne se sentent plus Mongols que Slaves et qu’en ce sens le rapprochement avec l’autre empire mongol, le chinois, ait quelque sens. Lorsque Poutine sourit, surtout depuis qu’il est gonflé par son traitement du cancer, ses petits yeux fendus montrent les origines.

Mais l’Europe n’est pas l’ennemie de la Russie, loin de là. Les liens historiques sont anciens et forts, depuis la création du royaume par les Vikings – à Kiev – jusqu’à l’alliance contre les puissances du milieu en 14 puis contre l’Axe (mais pas avant 1941). Beaucoup plus anciens et forts que les liens avec la Chine, qui ont été constamment ceux d’esclaves à maître, de soumis aux khans Mongols jusque fort tard dans les siècles. Et puis… avec 145 millions d’habitants vieillissants, perclus d’alcool et de mauvaises habitudes alimentaires, avec un système hospitalier délabré et trop peu d’enfants, comment la Russie pourrait-elle faire jeu égal avec DIX fois plus de Chinois, tout aussi vieillissants et avec trop peu d’enfants mais qui ont, pour plus d’un siècle le nombre face à eux ? Et un optimisme économique intact, une fierté nationaliste liée à leur réussite dans l’espace, dans le rattrapage à marche forcée des technologies, par un gouvernement – certes dictatorial – mais qui donne de l’espoir collectif où chaque individu peut se reconnaître.

Quel avenir est-il proposé aux Russes, si on le compare à celui proposé aux Chinois ? – Nul. Qu’ont fait les Chinois depuis 1989, chute du Mur ? – Se développer. Qu’ont fait les Russes depuis la même date ? – Se goinfrer. Je parle de la nomenklatura affairiste, qui zigouille tous ceux qui se mettent en travers de leur route mais qui n’investissent pas au pays, seulement dans les palaces à Nice ou les stations huppées suisses. Vous croyez que les « patriotes » russes vont se battre pour ces parasites mafieux ?

L’une des têtes favorites du satrape, un intello réactionnaire qui rappelle que la nouvelle idéologie pour « dépasser » le communisme obsolète de Staline et de ses successeurs jusqu’à Gorbatchev date justement d’hier, écrit tout net : « Tant que Mussolini dirige l’Italie et Hitler dirige l’Allemagne, la culture européenne a un répit. L’Europe a-t-elle compris cela ? Et les peuples européens doivent comprendre que le bolchevisme est un danger réel et féroce ; que la démocratie est une impasse créative ; que le socialisme marxiste est une chimère condamnée et que seule une recrudescence nationale, qui reprend de façon dictatoriale et créative la solution « sociale » de la question sociale, peut sauver la cause dans chaque pays ». Ce fut écrit en 1933 par Ivan Alexandrovitch Iline, dans son livre devenu, pour les Poutiniens, de chevet : Le National-socialisme. Un nouvel esprit I. (Renaissance, Paris 17 mai 1933).

Dès lors, accuser l’Autre de « nazi », surtout lorsqu’il est juif comme Zelensky en Ukraine, est d’un ridicule achevé. La Russie de Poutine est nationale et socialiste, comme l’Italie de Mussolini et l’Allemagne de Hitler. Qui dit « national » dit exaltation des Slaves et mépris pour les autres, cela va de soi : tous les minoritaires, Juifs inclus. Qui dit « national » dit appel aux diasporas et minorités russophones irrédentistes des pays ex-frères à rejoindre la « grande » Russie, tout comme les nazis appelaient les Allemands de Bohème-Moravie et des Sudètes, les Alsaciens germanophones et les Allemands de la Volga à rejoindre la « grande » race aryenne où qu’ils se trouvent. Staline déportera après guerre les Allemands de la Volga et « éradiquera », par la chasse ouverte aux enfants allemands et les viols systématiques, l’ancienne population allemande de Prusse Orientale afin qu’elle devienne « à jamais » slave et russe.

Pauvre Poutine ! Pauvre en esprit, pauvre en matériel et pauvre en population – chef d’une « puissance pauvre« . Il fantasme un ennemi qui n’existe pas pour mobiliser un peuple qui ne veut pas, avec des armes magiques qu’il n’a pas. Il se voit obligé à russifier à marche forcée, par des référendums bidons, les républiques « séparatistes » du Donbass pour justifier une « mobilisation partielle » des réservistes russes. Non parce que la patrie est menacée mais parce qu’il commence à manquer d’hommes… Par suite, qui attaquerait ces territoires devenus russes par pure déclaration seraient réputés attaquer la Russie même. Qui devrait alors se défendre « par tous moyens », ravivant un patriotisme – bien émoussé si l’on en croit tous ceux qui veulent fuir pour échapper à la conscription forcée.

Mais la Russie n’en serait plus à une « opération spéciale » sur un territoire qui lui appartenait hier en tant qu’Union soviétique, mais bel et bien en « guerre ». Mot tabou, interdit de prononcer sur tout le territoire russe à propos de l’Ukraine sous peine de lourdes sanctions. Mot qui arriverait directement sur les antennes russes, saisissant la population, qui jusqu’alors restait plutôt indifférente. Mot qui justifierait de fait les qualificatifs attribués à Poutine par les Occidentaux : agression, invasion, impérialisme – tout ce que le Kremlin voulait évacuer ou minimiser. Il y avait déjà bien peu de « volontaires » pour aller violer les femelles, massacrer les mâles au-dessus de 12 ans et terroriser les petits enfants par les bombes en Ukraine, malgré leur qualification de « nazis » bons à soumettre et à tuer comme des nuisibles. Les « réservistes », mêmes « formés » (surtout endoctrinés par la propagande) seront-ils plus enthousiastes pour réaliser cette mission ?

Les pays qui aideraient les Ukrainiens à reprendre leur territoire (validé à l’ONU) déclareraient donc la guerre à la Russie – ce qui serait de « leur faute », appelant à l’escalade, y compris nucléaire. Poutine aux abois n’en est pas à un chantage près. Après le blé d’Ukraine qui affamait les populations du Maghreb au grand émoi de toute l’Afrique, après la centrale nucléaire de Zaporiijia bombardée qui pourrait répandre des déchets sales, après l’enlèvement par « évacuations » forcées vers la Russie des Ukrainiens pris dans les zones de combat (et placement de leurs enfants dans des centres d’accueil sur tout le territoire), voici un nouveau chantage : je déclare les frontières autres qu’elles ne sont et je les défends comme si elles étaient légitimes. Jusqu’où ?

« Rhétorique irresponsable » déclare John Kirby, porte-parole du Conseil de sécurité nationale américain. Stratégie du fou, supputent les militaires. Poutine grade ses menaces pour faire peur – et montrer qu’il est capable de l’imprévisible. Mais à quel prix ? Pour sa population ? (il s’en fout). Pour lui ? (il s’en fout moins, encore n’a-t-il peut-être plus rien à perdre, selon l’aggravation de son évidente maladie). Car qui va le suivre ? Le knout n’a jamais formé de bons soldats, bien moins en tout cas que la conviction patriote – on l’a vu à Valmy, même si l’histoire est moins claire que le mythe n’y paraît.

Reste qu’une fois de plus, nul ne doit pactiser avec les ordures. Qui a pour volonté de vous détruire doit être détruit – comme Carthage hier pour les Romains. Poutine est un dictateur impérialiste, un nouvel Hitler féru de nationalisme d’un autre âge, au nom de fantasmes sur l’idéologie du métissage américain, auquel il assimile tous les « faibles » européens et d’ailleurs. Mais avec son PIB minable, sa population riquiqui dans le monde, et un moral « patriotique » bien plus faible que celui des Chinois ou des Ukrainiens, que peut-il faire en réalité ? Détruire la moitié du monde et sombrer avec elle – comme Hitler dans son bunker de Berlin ? Ou se voir envahi, détruit, désagrégé comme hier la grande Allemagne nazie, cassée en deux et détyrannisée de force ? Il rêve comme un gosse d’une nouvelle GGP, où le satrape Staline a puisé un regain de popularité (et de pouvoir). Il n’en a pas les moyens, ni les alliés. Les Chinois font les gros yeux, les Indiens sont contre et même les Kirghizes s’y refusent. Restent Cuba – le benêt heureux de l’Amérique latine – et la Corée du nord – avec son bouffon nucléarisé.

Tout cela se finira mal. Mais peut durer longtemps.

Catégories : Géopolitique | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Gorbatchev de gare

Mikhaïl Gorbatchev, représentant d’une nouvelle génération, est devenu le 11 mars 1985 Secrétaire Général du Comité Central, à 54 ans. L’URSS, avant sa venue, était immobile, menée par une classe dirigeante rescapée des purges staliniennes et de la Seconde Guerre mondiale.

Son ascension est due à une conjonction de chances, de bons contacts, d’habileté politique, de travail satisfaisant selon les critères du Parti, et du jeu politicien au Politburo.

Stavropol, région où il est né, est l’une des terres agricoles les plus riches d’URSS (il fut en charge de l’agriculture) et lieu de thermalisme réputé, où viennent se reposer les membres du Politburo. Souslov, qui y a été Premier Secrétaire, et Andropov, qui y était né, y séjournaient souvent. Cela n’est pas indifférent à la carrière de Gorbatchev : nommé au Secrétariat du Comité Central en 1978 avec l’accord de Brejnev, membre à part entière du Politburo en 1980 après avoir su faire impression, il est en charge de l’ensemble de l’économie et de l’organisation du Parti sous Andropov, négocie des pouvoirs plus grands (l’idéologie, la culture et les Affaires étrangères en sus des domaines précédents) en échange de son soutien à la candidature de Tchernenko. Enfin, Gorbatchev est élu le 11 mars 1985 à une voix de majorité contre le pâle brejnévien Grichine, et grâce au soutien d’Andrei Gromyko.

Il est le pur produit du Parti, un léniniste.

Gorbatchev affirme : « les ouvrages de Lénine et son idéal socialiste restent pour nous une source inépuisable de pensée créative, dialectique, de richesse théorique, de sagacité politique ». La différence réside en sa génération : il est de 20 ans plus jeune que les dirigeants précédents. Certaines de ses idées figurent dans les discours de Brejnev (par exemple la critique de l’économie et de la société dans le discours du 25e Congrès en 1976), et poursuivent l’entreprise d’Andropov. L’interdépendance du monde est une réactivation de la coexistence pacifique de Khrouchtchev (le terme est réutilisé tel quel), la perestroïka était déjà prônée par Jdanov dans son discours au Plénum du Comité Central du PCUS le 26 février 1937, l’assouplissement économique avait été tenté par Lénine avec la NEP et par Brejnev avec Liberman en 1965, la glasnost vient de la Russie du tsar. Mikhaïl Gorbatchev est un marxiste-léniniste :

  • Marxiste, car il croit au but à atteindre, il sait l’idéologie utile à l’autorité dans son rôle historique, et il puise selon les circonstances dans le fond permanent du dogme.
  • Léniniste, comme son maître Andropov, car il préfère le marxisme en actes et s’inspire de l’exemple pragmatique de l’homme qui n’est devenu mausolée que sous Staline : l’idéologie est un guide pour l’action politique.

Dans les changements préconisés, la discipline doit accompagner l’initiative, le contrôle du Parti doit assurer l’efficacité de la glasnost, les droits du citoyen ont pour contrepartie leurs devoirs. La perestroïka est une modernisation du socialisme dans sa forme historique, pas une révolution. Mais comme ses réformes sont un échec, il ravive le nationalisme comme le fera Poutine. Gorbatchev crée un Fond de la culture russe, restaure le vieux quartier de l’Arbat, prépare de grandioses cérémonies du Millénaire.

Il considère que l’économie de guerre héritée de Staline engendre des dysfonctions humaines inacceptables. Les pénuries engendrent hargne, grossièreté, délation, envie – un « ensauvagement » féroce. L’habitude de subir, d’être pris en charge engendre irresponsabilité, indifférence, parasitisme, comportement mafieux, banditisme. Les mœurs se dégradent, l’entretien des infrastructures se fait mal, engendrant les comportements de « banlieues » : divorces, abandons, bandes, hooliganisme, brigandage, violence. L’environnement et le système de santé en souffrent, les accidents du travail et les accidents civils se multiplient. Dans l’Oural, un train de collégiens a déraillé en juin 1989, faisant plus de 200 morts et plus de 700 blessés. Mikhaïl Gorbatchev a blâmé à cette occasion la combinaison d’« irresponsabilité, d’incompétence et d’inorganisation ».

Début 1989, Françoise Thom décrit le processus de « re-communisation » qu’opère la perestroïka à ses débuts, parallèlement à une manipulation de l’information à destination de l’Occident.

Dans Le moment Gorbatchev, elle montre que les mots et les slogans doivent être assez ambivalents pour être perçus favorablement en Occident sans engager l’URSS. Exemple la « démocratie » – elle signifie la démocratie socialiste, c’est-à-dire le centralisme du Parti. Exemples les droits de l’homme – il s’agit de la conception socialiste, c’est-à-dire avant tout les droits économiques et les obligations patriotiques telles que l’interdiction de sortir du territoire, de tenir des propos antisoviétiques, etc. Exemple la glasnost, traduit en général par « transparence » alors que le sens en russe induit plutôt l’idée de « publicité », de « dire pour expliquer », autrement dit une forme de propagande.

Les objectifs de l’URSS restent les mêmes. Il s’agit toujours de modifier le système de sécurité régional de l’Europe jusqu’à le contrôler (encourager le retrait américain, le découplage nucléaire, empêcher une union politique et surtout militaire, diviser les nations en faisant miroiter les contrats, etc.), de développer une interdépendance économique entre Europe Occidentale et Europe de l’Est en infléchissant les termes de l’échange dans un sens favorable à l’URSS (toujours plus de technologie).

Les deux grandes idées de Gorbatchev sont l’affinité européenne de la Russie et son retour à ses « valeurs universelles ».

  • L’Europe, c’est la culture grecque (la démocratie, la raison scientifique), romaine (le droit, l’Etat arbitre des minorités de l’Empire) et chrétienne.
  • Les valeurs russes, ce sont les Dix Commandements chrétiens, cette alliance entre Dieu et les hommes pour qu’ils prennent en main leur vie et que la loi défende les faibles, ces « normes morales et éthiques communes à l’humanité tout entière ».

L’image de la forteresse assiégée est brisée par Gorbatchev qui invoque l’interdépendance des intérêts de l’URSS et du reste du monde. « L’Europe est notre maison commune », dit-il en reprenant cette idée de Gromyko, « l’Europe de l’Atlantique à l’Oural est une entité historico-culturelle. » Au 28èmeCongrès du Parti communiste soviétique de juillet 1990, Mikhaïl Gorbatchev déclare que « la reconnaissance de la liberté de choix pour chaque peuple est une condition fondamentale de l’instauration d’un nouvel ordre mondial, » fondé sur le codéveloppement et la coopération. « Aujourd’hui, ajoute-t-il (ce qui est savoureux après les agressions de Poutine) nous ne vivons pas à une époque d’ultimatums, de conflits et d’actions irréfléchies qui désunissent les gens et compliquent davantage la situation. »

Pour une société organique

Nous avons noté en son temps que la « troisième voie » prônée par Gorbatchev – entre la centralisation planificatrice et le marché avec ses conséquences politiques – a des ressemblances avec le corporatisme de type fasciste. Mussolini prônait une « société organique » dans laquelle les citoyens devaient être spirituellement et moralement unis, préparés à se sacrifier pour la nation. Par contraste avec le système parlementaire, fondé sur des droits politiques abstraits et des groupes partisans en conflit, le corporatisme appelle l’unité des travailleurs et des employeurs avec l’Etat dans une société harmonieuse. Le système économique présenté par Gorbatchev devant le Congrès, fin 1989, proposait une économie administrée dans laquelle les entreprises ne seraient pas libres, mais, conjointement avec les coopératives et les sociétés semi-publiques, devraient agir en harmonie par des accords, des unions, des associations.

Poutine reprend cette idée que le Russe est un être organique et que la Russie doit être une famille – différente des autres, excluante et se sentant volontiers supérieure aux autres dans son originalité entre Europe et Asie.

Dostoïevski écrivait : « je considère la Russie d’un point de vue peut-être singulier : nous avons traversé l’invasion tatare, puis deux siècles d’esclavage, sans doute parce que l’un et l’autre ont été de notre goût. Maintenant, on nous a donné la liberté et il s’agit de la supporter : en serons-nous capables ? La liberté sera-t-elle autant de notre goût ? Voilà la question. » Pour le moment, la réponse est non.

Le 25 décembre 1991 à 19h, devant les caméras de la télévision, Mikhaïl Gorbatchev démissionne officiellement de ses fonctions de Président de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques et remet à 19h20 les codes nucléaires à Boris Eltsine, Président de la République de Russie. Il est mort mardi 30 août 2022.

Il était devenu pour son peuple Gorby dompteur de l’ours et bouffon absurde dans l’inertie totale du système. Un chef… de gare.

Catégories : Géopolitique, Russie | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Enchaînement de crises et monde nouveau

Comme il y a un siècle, tout a commencé par une crise financière qui a dégénéré en crise économique puis en crise sociale, avant d’aboutir à une série de crises politiques – puis à la guerre. Il n’a fallu que dix ans entre 1929 et 1939 pour franchir les étapes. Notre siècle a vu cette histoire se répéter à peu près, de la crise financière de 2008 à la guerre en Europe en 2022. Les sociétés ne sont pas les mêmes, mais les enchaînements automatiques des structures économiques et sociales perdurent.

Tout a commencé après le krach d’octobre 1929

D’abord par une violente déflation due à l’austérité budgétaire, le freinage du crédit et la stagnation voire la régression des salaires, dans les balbutiements inexpérimentés des Banques centrales d’alors et une absence complète de coopération internationale. Tout a continué par des dévaluations monétaires encouragées ou subites, donc à la hausse des prix importés. D’où l’inévitable protectionnisme, à la fois industriel et social. Chacun faisant la même chose dans son coin, l’époque de l’égoïsme sacré a conduit aux nationalismes avec la prise de pouvoir de Mussolini en 1921, d’Hitler en 1930, les grèves du Front populaire en France, la purification idéologique de Staline par les grands procès des années trente à l’intérieur tandis qu’il attendait à l’extérieur l’effondrement moral occidental aux économies minées. Cette attente vaine l’a conduit à pactiser avec Hitler, autre pouvoir autocratique en miroir du sien, pour dépecer la Pologne.

Dans les années trente, la « crise » augmente le chômage, participe à l’effondrement moral dû à la hausse de la pauvreté et à l’absence de perspectives d’avenir, à un accroissement de l’anxiété des gens comme des entreprises, qui diminuent l’investissement pour protéger le capital. On assiste au divorce entre salaire et productivité, ce qui n’encourage pas le pouvoir d’achat, bien que la baisse de certains prix importés l’augmente paradoxalement dans certains secteurs.

La détresse populaire ne tarde pas à devenir politique quand les difficultés économiques s’affaiblissent. Les grands moyens de communication de masse comme la radio puis le cinéma parlant après 1929, alimentent l’état d’esprit pessimiste, tel le film de King Vidor en 1934 Notre pain quotidien. La peur de l’indignation ouvrière, des bandes de jeunes errants aux États-Unis, de tous les hors-système, incite la bourgeoisie et les gens installés à une réaction politique qui va parfois jusqu’aux extrêmes. Nous avons bien eu notre Zemmour, 5% des inscrits, le « Z », ironiquement Zidov, le Juif en croate qui figurait sur les étoiles jaunes de l’époque. Les économies militaires de l’Allemagne, de l’Italie et du Japon sont devenues autarciques et agressives, tout comme celles de la Russie et de la Chine aujourd’hui, tandis que le réformisme a tendu à l’emporter en Angleterre avec la loi sur les retraites en 1925, aux États-Unis avec le New deal de Roosevelt en 1930, et les réformes sociales du Front populaire en France en 1936. Allons-nous choisir cette voie réformiste plutôt que la voie nationaliste et xénophobe ?

Car ne sommes-nous pas dans une situation comparable ?

La crise financière de 2008 a conduit dès 2011 à une crise monétaire en Europe, forçant l’Union européenne a exiger des réformes drastiques de certains pays comme la Grèce, l’Italie ou le Portugal, la France répugnant à changer comme en témoignent les sempiternelles grandes grèves des transports publics « contre la loi El Khomri, contre la fin des régimes spéciaux, contre la réforme des retraites, contre la construction d’un aéroport ou d’un barrage, contre l’inaction envers le climat, contre le résultat des élections » et ainsi de suite. Politiquement, cela s’est traduit en France par le balayage des anciennes élites politiques en 2017 (PS et LR se sont alors effondrés, ils le sont toujours), le surgissement d’un président nouveau et de parlementaires novices, la crise sociale des gilets jaunes à peine pansée par 17 milliards accordés sans contrepartie, le prurit du Brexit au Royaume-Uni suivi de son interminable négociation des modalités de sortie (non résolues en ce qui concerne l’Irlande du Nord), les contraintes liberticides (mais nécessaires) de la pandémie de Covid 19, et la montée des populismes aux États-Unis avec Donald Trump, en Italie avec Salvini, au Royaume-Uni avec Boris Johnson, en France avec Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon.

La montée aux extrêmes et l’exacerbation du ressentiment social poussés à renverser la table sont attisés par les menaces géopolitiques – comme dans les années trente : le revirement de la Russie vers l’agressivité de guerre à l’extérieur et les menaces de la Chine sur Taïwan, les attentats islamiques à l’intérieur. Les maladresses insignes des gouvernements américains durant cette période, le renoncement d’Obama a faire respecter sa ligne rouge en Syrie, le foutraquisme de Trump à abandonner l’Afghanistan aux talibans sans aucune contrepartie, ses bravades ridicules contre la Chine et la Corée du Nord, son refus de négocier avec l’Iran sur le nucléaire – et sous Joe Biden la lamentable opération américaine de retrait sans consultation de ses alliés ni protection suffisante, la trahison militaire des alliés non anglo-saxons par la rupture unilatérale du contrat de sous-marin australien, voire l’alimentation en armes de plus en plus sophistiquées de l’Ukraine par quasiment les seuls États-Unis, sans que les buts de guerre aient été débattus à l’OTAN – tout cela n’augure rien de bon pour résoudre les problèmes cruciaux qui nous attendent.

La guerre va-t-elle assainir les mentalités et les économies ?

La différence avec 1939 est que nous avons désormais des armes nucléaires qui peuvent détruire la terre entière en quelques clics. Cela devrait inciter à la raison, ce qui est proprement l’objet de la dissuasion, mais ne laisse jamais à l’abri d’un acte paranoïaque ou d’un enchaînement automatique de systèmes (c’est déjà arrivé, stoppé in extremis). Souvenons-nous cependant à propos de l’usage de telles bombes en Ukraine que la catastrophe nucléaire de Tchernobyl a montré que la diffusion des particules radioactives s’effectuait plutôt vers le nord-ouest selon le régime des vents et les dépôts de césium 137 surtout en Biélorussie et en Russie du sud-ouest, ce qui devrait dissuader Poutine de tenter la même chose, au risque de voir contaminer sa propre population (et son armée) sur une grande échelle.

Les errements de la finance, l’avidité des actionnaires mal contrôlés, la stagflation qui vient, alimentée par la hausse brutale de l’énergie et la chute de la productivité donc de l’augmentation des salaires (le lien entre énergie et croissance n’est pas net), la baisse de l’euro par rapport au dollar (monnaie réputée la plus sûre en cas de crise), les Etats empêtrés dans leurs dépenses contraintes et leurs marge de manœuvre réduites, la remontée des taux pour s’endetter (Etats comme entreprises et particuliers), le carcan lourdingue des bureaucraties tant aux États-Unis qu’à la tête de l’Union européenne (mais aussi en Chine et en Russie) – exigent des audaces, de la réactivité, des réformes inévitables, le souci des classes défavorisées – donc des politiciens bien différents de ceux qui ont régné jusqu’ici. Ils se trouvent tous malheureusement contraints par les systèmes institutionnels qu’il est très difficile de bouger. Rien d’impossible mais il faut convaincre ; et cela prend du temps…

Je ne sais pas ce qu’augure l’avenir, mais gageons qu’il nous surprendra – je ne sais pas dans quel sens.

Catégories : Economie, Géopolitique | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Trump et les quatre causes du fascisme

Mercredi 6 janvier, jour de la certification par le Congrès du résultat des élections présidentielles américaines, le président battu Donald Trump incite ses partisans à manifester à Washington. A la fin du meeting, il excite les militants échauffés à marcher sur le Capitole comme jadis Mussolini a marché sur Rome – 4 morts. C’est le fait d’un putschiste pour qui seule « sa » vérité compte et non les faits – il pourtant a été battu de 7 millions de voix (306 contre 232 grands électeurs). J’ai raison et pas le peuple car JE suis le peuple à moi tout seul. Cette façon de voir et de se comporter est proprement fasciste. Il n’est pas allé jusqu’au bout à cause de son tempérament foutraque adepte du « deal » et parce que l’armée a fait savoir qu’elle ne suivrait pas. Mais qu’en serait-il d’un prochain démagogue organisé et décidé ?

Le fascisme est né en Italie il y a juste un siècle de quatre causes cumulées : la brutalisation due à la guerre, la crise économique et sociale, le nationalisme de pays menacé et frustré rêvant à l’Age d’or mythique, et la démagogie d’un agitateur habile.

  1. Brutalisation : la guerre de 14-18 a duré longtemps et a été éprouvante non seulement par la violence des combats mais par la technique qui a amplifié la guerre, monstre industriel contre lequel on ne peut quasiment rien comme dans Terminator. L’habitus de férocité et de décisions brutales pris dans les tranchées conduit vers 1920 à considérer la violence comme régénérant l’homme, donc la société, ce qui fut théorisé par Georges Sorel. Ce fut la même chose sous Lénine et surtout Staline en URSS, puis en Allemagne sous Hitler. Il faut être « inhumain » pour forger l’homme nouveau, dirigeant à poigne, homme de fer. Aux Etats-Unis en 2020, après le choc belliqueux des attentats du 11-Septembre 2001, deux millions d’anciens combattants des guerres du Golfe, d’Afghanistan et d’Irak ont été brutalisés (et souvent traumatisés) ; ils ont formé l’essentiel des militants qui ont marché sur Washington.
  2. Crise économique et sociale : l’Italie est secouée par une grave crise de 1919 à 1922 ; l’Allemagne sortie ruinée de la guerre en 1918 est précipitée dans la crise par la Grande dépression qui suit l’effondrement des spéculations boursières américaines en 1929 et diffuse par effet domino à tout le monde développé les faillites financières et son cortège de fermeture d’usines et de chômage. En 2008, les Etats-Unis ont subi de plein fouet l’équivalent de la crise de 1929 et se font de plus en plus tailler des croupières par la Chine, forte de trois fois plus d’habitants et de l’avidité des capitalistes de Wall Street qui n’hésitent pas à brader leur technologie pour des profits à court terme. Trump est élu en 2016 sur des idées de protectionnisme et de relance économique par la baisse des impôts et la liberté reprise sur les traités internationaux, voulant relocaliser l’industrie au pays et initiant une guerre commerciale d’ampleur inégalée aux autres puissances comme à l’immigration.
  3. Nationalisme : tout pays menacé dans son niveau de vie se voit menacé dans son « identité », cherchant fébrilement à se « retrouver », un peu comme un adolescent inquiet au lieu d’un adulte mûr. La « victoire mutilée » de Mussolini, le « coup de poignard sans le dos » d’Hitler, le « projet Eurasie » de Poutine, le « make America great again » de Trump sont un même prétexte à vouloir régénérer la nation par la mobilisation des natifs. Il s’agit toujours d’un conservatisme botté, d’un retour à un mythique Age d’or qui n’a jamais existé que dans l’imagination : l’empire de Rome, la race pure aryenne, la Russie éternelle, l’Amérique des Pionniers. Il est donc enjoint de prendre le contrepied de tout ce qui se pensait auparavant : la raison, les Lumières, l’individualisme, l’hédonisme post-68, l’humanisme onusien. Retour contre-révolutionnaire au droit divin, à la religion, à la nation organique, au romantisme de l’émotion, à l’égoïsme sacré et au culte de la force qui tranche. Une frange de militants est mobilisée pour entraîner la société et embrigader les esprits : squadristi italiens, SA et SS allemands, siloviki russes, milices trumpistes. Ce que l’Action française a su faire au début du siècle précédent, Q anon veut le faire au début du siècle présent.
  4. Démagogue : pas de succès de l’irrationnel nationaliste et xénophobe sans un agitateur habile. Mussolini, Staline, Hitler, Trump (pour ne prendre que quelques exemples occidentaux) ont su agréger autour de leur personnalité tous les frustrés, les enthousiastes, les fana-mili, les activistes. Il s’agissait de conquérir le pouvoir – puis de le garder. Seul Trump a échoué pour le moment à rester président même s’il a déclaré qu’il « ne reconnaîtrait jamais la défaite ». Mais il profite des failles du système représentatif de la démocratie (aggravées par le système électoral archaïque des Etats-Unis) pour contester le vote des citoyens. Sa « vérité » est qu’il ne peut être battu. Comme dans la télé-réalité, le show doit continuer. C’était hier la radio et le cinéma qui servaient la propagande ; c’est aujourd’hui l’Internet, les réseaux et la télé qui s’en chargent, matraquant la théorie du Complot et amplifiant tout ce qui mine inévitablement le parlementarisme : le clientélisme, la corruption, la lâcheté, la combinazione. Anarchistes, complotistes et croyants se liguent pour porter les coups de boutoir au « Système » de la règle de droit comme si celui-ci, une fois renversé, n’en générerait pas un autre – en pire : le fascisme, le communisme, le nazisme, etc.

Ces quatre causes sont universelles ; l’histoire ne se répète jamais mais ses mécanismes se répliquent. La montée de la violence, les frustrations sociales augmentées par les ravages de la pandémie, l’absence de nouvelle « frontière » à explorer pour les citoyens (l’espace et le transhumanisme sont réservés à quelques élites, seul le « retour à » est accessible à tous sans limites), la politique-spectacle augmentée par les réseaux sociaux sans digues, ont créé le phénomène de Trump le trompeur, le champion du parti des éléphants.

Si les normes non écrites, les règles informelles et les conventions sont la colonne vertébrale d’une démocratie, celle-ci a du mouron à se faire car l’exemple vient du phare mondial : les Etats-Unis de la grande révolution de 1776. Mélenchon doit regarder cela avec grand intérêt.

Catégories : Politique | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Confirmation des tendances aux européennes

Une surprise, les résultats des élections européennes ? Pas vraiment. Nous l’avons dit, les gilets jaunes ne représentent qu’eux-mêmes, morcelés. Leurs listes électorales ont fait un score ridicule. Le Rassemblement national a raflé la mise des déçus de la mondialisation et des oubliés de l’administration ; là encore rien de neuf. La République en marche a consolidé ses positions et arrive presque ex-aequo. Quant aux Verts, leur score est loin d’être une surprise puisque, nous l’avons dit, ils représentent une idée plus que des personnes ou même un programme.

Examinons chacun de ses arguments.

Karl Marx avait raison, les petits-bourgeois n’ont aucune conscience de classe et se comportent comme des pommes de terre dans un sac. Dès lors, parler de lutte de classe n’a pas beaucoup de sens, sinon pour faire simple dans les médias. Chacun veut sa liste et son programme et surtout pas qu’un autre parle à sa place. C’est bien ce qui arrive aux gilets jaunes dont les listes comme Alliance jaune fait 0,54 %, les Oubliés de l’Europe 0,23 %, le Parti pirate 0,14 %, le Mouvement pour une initiative citoyenne 0,03 % ! Mais l’idéologie du petit-bourgeois forme aussi le cœur des mouvements fascistes dans l’histoire. Selon Wikipédia, « le fascisme est un système politique autoritaire qui associe populisme, nationalisme et totalitarisme au nom d’un idéal collectif suprême ». Manque aux gilets jaunes l’idéal ; ils ne veulent qu’augmenter leur ration de soupe et recevoir considération des puissants. Pour cela, ils braillent et cassent.

Ils ont parfois à comportement proche des exactions des chemises noires de Mussolini, comme samedi dernier au Mans, au domicile du secrétaire d’État l’égalité hommes femmes Madame Schiappa. « On n’est venu te crever » ! Démocratique, non ? À une heure du matin, sifflets, cornes de brume, pétards, frappes aux fenêtres, tout a été fait pour terroriser les enfants et la famille de cette féministe (souvent maladroitement activiste), auteur d’une loi contre le harcèlement et de l’extension de la définition du viol. L’exaltation des valeurs traditionnelles masculines et une autre face des mouvements fascistes. Les opposants sont considérés comme des ennemis intérieurs et non plus le statut d’humains.

De ce genre de comportement violent aux brutalités du fascisme de type mussolinien, poutinien ou erdoganien, il n’y a qu’un pas. Ce qui explique pourquoi le Rassemblement national a fait le plein des voix, rameutant non seulement ceux qui croient en l’extrême droite, mais aussi ceux qui veulent bouleverser le système et se venger du mépris des élites. Les gilets jaunes modérés se sont abstenus, les gilets jaunes radicaux ont voté Le Pen. Mais ce vote, si spectaculaire qu’il paraisse, n’est qu’un feu de paille tant que le parti de Marine et sa dirigeante sont aussi indigents en termes de programme et de projet politique. Voter au Parlement européen engage moins que voter au Parlement national et si la voie des extrêmes se fait entendre, elle promet trop la lune pour engager une politique crédible. Le nombre de députés du Rassemblement national Parlement européen va d’ailleurs baisser, tout comme celui des nationalistes aux Pays-Bas, en Slovénie et en Finlande. Les partis nationalistes sont d’ailleurs divisés et ne forment pas un parti unique en Europe. Il y a d’ailleurs contradiction entre nationalisme et union européenne, donc guère d’avenir au Parlement.

Le mouvement français participe de la hausse des mouvements populistes en Europe, moins portés vers un nationalisme à la Mussolini que par le ressentiment et la rancœur de ceux qui demandent protection. Ils veulent en finir avec le laxisme à prétexte moral que la gauche socialiste et les sociaux-démocrates chrétiens ont longtemps utilisé pour faire honte à ceux qui réclament des frontières, le respect des règles et la réciprocité des échanges. Le monde devient plus dur et plus égoïste sur ses intérêts, en témoignent les États-Unis, la Chine, la Russie, la Turquie, le Royaume-Uni, l’Inde, le Brésil, Israël, et tant d’autres. Pourquoi pas nous ?

La montée du score écologiste ne doit pas faire illusion : on vote écolo quand on ne sait pas quoi voter d’autre et, une fois encore, le vote pour l’Europe engage moins que le vote pour des représentants nationaux. Les jeunes sous 30 ans, qui n’ont participé que pour environ 40 %, sont lassés de la politique politicienne emplie d’egos en lutte pour la vanité médiatique, dont le parti socialiste il y a 10 ans à peine a montré toute l’ampleur. Ils préfèrent voter pour des partis différents, mettant leur universalisme et leur générosité pour la planète et la santé plutôt que pour des programmes ouvriéristes ou misérabilistes. La poussée verte n’apparaît d’ailleurs que dans les pays développés de l’Ouest de l’Europe tels que l’Allemagne, l’Irlande, la Belgique et la France. Il s’agit d’un luxe de riches plus une conscience culturelle qui porte au-delà du quotidien. Il y a quelque chose aussi d’une nouvelle religion après les utopies mortes du communisme, de la social-démocratie humaniste et tu droitdelhommisme sans frontières. Il ne faut donc pas exagérer la poussée verte en termes politiques.

L’effondrement est en revanche confirmé pour la gauche morale (Hamon, Glucksman) et les discours radicaux hors de toute réalité du monde (France insoumise, Parti communiste). La faute de la gauche française a été clairement de nier, puis de minimiser les conséquences migratoires par un discours bêlant d’intentions généreuses doublé de leçons de morale sur le péché d’égoïsme, sans surtout ne rien faire de concret pour prévoir, limiter et adapter les migrations aux possibilités humaines d’intégration de cultures différentes. Le peuple se rebiffe dans presque tous les pays et le repli est extrême car il n’a pas été géré dans la durée.

Sauf au Royaume-Uni où la liste du Brexit de Farage l’emporte avec 31,5 %, les listes eurosceptiques font de petits scores. En France, Asselineau ne réunit que 1,17 %. Le problème n’est pas l’Union mais la technocratie qui la gouverne. Le nouveau parlement élu va rebattre les cartes et pousser vers ce que demandent les peuples : des frontières contre l’émigration sauvage, une protection stratégique, des barrières économiques et écologiques.

Restent les partis de gouvernement, confortés dans 17 pays sur 28 : l’Italie de Salvini, l’Espagne socialiste, la France de la République en marche par exemple. Leur tâche est difficile et leur score prouve qu’ils résistent plutôt bien. Même si Emmanuel Macron a plus parlé qu’il n’aurait dû, la liste Loiseau est deuxième avec un écart symbolique de 0,9 % par rapport au Rassemblement national, bien loin en avant des suivantes. Un socle centriste raisonnable assure encore la vie quotidienne de la République. Mais il doit désormais tenir compte des peurs populaires et des aspirations des jeunes pour la planète, tout en continuant à gérer au mieux le déficit trop grand, la fiscalité trop lourde, l’écologie exigeante et les relations de force avec les grandes puissances – dont l’Allemagne toute proche. Les titres de certaine presse sur « limiter les dégâts » (les Échos), sont très exagérés.

Pour le moment, il ne se présente aucune alternative crédible en France à la République en marche. Les Républicains de Laurent Wauquiez ont un score divisé par deux, la gauche socialiste s’est morcelée, la gauche radicale se ridiculise, quant au Rassemblement national, redisons-le, il n’offre pour le moment qu’un défouloir et pas un programme réaliste ni crédible. Seule la liste du Parti animaliste, qui réunit 2,18 % des votes, est une nouveauté. Elle rend compte des nouvelles sensibilités qui traversent la société moderne contemporaine et doit faire réfléchir sur la suite. Mais on ne fonde pas une politique européenne, ni même nationale, sur le seul amour des petites bêtes.

Au Parlement européen, la recomposition élargira le débat et les deux partis prédominants que sont le PPE conservateur et le S&D socialiste devront faire place à un ou deux groupes supplémentaires dont le centre libéral apparaît charnière. La démocratie sera plus représentative et poussera peut-être le Parlement à prendre des positions plus efficaces pour l’intérêt général européen. Mais rappelons que c’est la Commission qui gère l’Europe, c’est-à-dire la réunion des chefs d’État et de gouvernements nationaux.

Catégories : Politique | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

La France vire-t-elle fasciste ?

Comme après la crise boursière des années 1930, vite devenue financière, économique et sociale, la crise boursière des années post-2008, vite devenue financière, économique et sociale, suit son cours. La dernière étape est inévitablement politique. Comme dans les années 30, le populisme un peu partout dans le monde occidental développe ses outrances, ses naïvetés et ses mensonges intéressés. Cela a abouti hier à Mussolini en Italie, à Hitler en Allemagne, à d’autres régimes ou partis plus ou moins autoritaires en Europe (Franco en Espagne, Horthy en Hongrie, le rexisme en Belgique, Pétain et Laval en France…).

Et aujourd’hui ? L’histoire ne se répète jamais, sauf que le tempérament humain reste le même. Les « réactions » pavloviennes aux mêmes événements produisent des mêmes comportements malgré l’histoire qui enseigne, la culture qui progresse, les années qui passent. Ce qui est arrivé hier arrive donc aujourd’hui : la révolte antiparlementaire, anti-représentative, anti-élite, anticapitaliste, antilibérale, anti-étrangers ; la peur du déclassement culturel, la hantise de dégringoler l’échelle sociale, de payer trop d’impôts par rapport aux autres, de ne pas avoir sa part du gâteau redistributif, d’être exclu du petit rebond de prospérité après crise. Ce fut le cas en 1925 en Italie, en 1933 en Allemagne, en 1936 en Espagne, en 1940 en France…

Les classes moyennes et populaire s’unissent alors pour contester « le système » : dans les années 30 les petits capitalistes, artisans et commerçants, les petits fonctionnaires et les intellos mal reconnus, les ouvriers qualifiés déclassé par le lumpenprolétariat, les retraités grugés par les impôts, les paysans laminés par la distribution. Tous ont formé le terreau du fascisme, du nazisme, du franquisme, du pétainisme, du rexisme… Le Parti populaire français rivalisait avec le Rassemblement national populaire et Solidarité française pour contester le pouvoir et prôner la démission du gouvernement et l’instauration d’un plébiscite par appel direct au « peuple ».

La passion était l’Etat seul et ni les partis, ni les élites, ni les administrations : « Tout dans l’Etat, rien hors de l’Etat, rien contre l’Etat ! » braillait Mussolini, ancien combattant et militant socialiste engagé devenu homme fort du fascisme naissant. Comme à l’école primaire, les gens primaires en appelaient au maître contre les frustrations dues aux copains plus habiles ou plus forts. L’Etat allait égaliser tout et tous, protéger la nation et « le peuple », nationaliser les profiteurs et rétablir les frontières contre les « étrangers » (tout en allant soumettre quelques pays nègres – comme l’Ethiopie – pour offrir de la promotion sociale aux incapables – mais blancs).

La revendication des frontières, de la France seule, l’égalitarisme jaloux et des impôts pour « les riches » reviennent aujourd’hui chez les fachos des ronds-points ; ils portent gilet jaune en guise de chemise noire, sauf que… manquent dans la France d’aujourd’hui les partis de masse et les hommes forts – machistes à la Poutine, Trump ou Bolsonaro. Cela fait une différence : si le terreau social est le même, la solution n’est pas trouvée.

Le fascisme voulait l’héroïsme contre l’égoïsme ; le gilet jaune étale son égoïsme (et moi ? et moi ? et moi ?), refusant toute organisation, programme ou porte-parole. Leur seul héroïsme consiste à tourner en rond – uniquement le samedi –  et à laisser casser les biens publics par des bandes couvées avec indulgence (ça fait du buzz à la télé). Tout patriotisme est absent, une seule revendication aussi vaine qu’inepte réussit seule à faire un semblant d’unanimité : « Macron démission ». Le président Macron, élu sans conteste en 2016, ne démissionnera pas. Alors quoi ?

Qui proposer à sa place ? La duccesse marinée en la peine, au casque chevelu décoloré pour faire propre aryen ? Le ducce du camion qui ne connait ni droit ni loi ? Le Dupont trop feignant pour vérifier ses affirmations avant de balancer un gros mensonge afin de Trumper son monde ? Quand ces matamores de ronds-points l’ouvrent, c’est pour se rendre ridicules. Faut-il écouter les leçons de démocratie de l’Italien arrivé par hasard au pouvoir contre l’immigration ? Le pays qui a inventé le fascisme tout comme la Russie qui a inventé stalinisme et goulag sont-ils vraiment des « modèles » pour la France ? Mélenchon se tait, ne voulant pas subir de sort de Karl Liebknecht ou de Rosa Luxembourg, tant les extrémistes de droite sont survoltés, jouant volontiers du couteau au Brésil ou en Pologne et menaçant « de mort » en France même les députés de la République. Le « socialisme » est inaudible, même si « Pépère » essaie de chevroter qu’un président ne devrait pas faire ça. L’opposition Wauquiez est aux abonnés absents, une hémorragie de militants centristes éclaircissent les rangs de « La » République (LR), sauf une poignée de sénateurs qui justifient leur fauteuil en creusant « l’affaire » des possibles dysfonctionnements de l’Elysée.

Alors qui, les gilets ? Un bon gros beauf tiré au sort ? Referait-on des élections présidentielles aujourd’hui, selon les sondages, ce serait… Macron qui repasserait : faute d’alternative crédible. Le problème avec le mouvement jaune est qu’il s’agit d’un agrégat sans lien autre que brailler ensemble et frire des merguez dans la grande fête « où l’on se parle » – pas d’un parti politique proposant un programme politique et des leaders politiques aptes à gouverner. Se sentir bien ensemble (un seul jour par semaine) ne fait pas un projet dans la durée. Un sac à patates, selon le mot de Marx, n’est pas une classe sociale consciente de ses intérêts.

Ce qui domine est l’anarchie. Ni Dieu, ni maître, ni Macron. Bon : et l’on se gère comment ? Par des référendums sur tout et n’importe quoi ? Par une mosaïque de revendications locales, tribales, minoritaires ? La juxtaposition des égoïsmes a-t-il jamais accouché d’un projet collectif ? On comprend sans peine pourquoi les gilets jaunes ne veulent surtout pas « participer » au grand débat : il est national et devra formuler des propositions de lois concrètes. Or ils sont bien incapables de s’élever au niveau de la nation (encore moins de l’Europe face aux géants du monde !), incapables de formuler des projets d’intérêt collectif autres que « Macron démission » et que « moi y’en a vouloir des sous » pour moi !

Ils se disent « apolitiques » ce qui est le signe, depuis Alain, d’un conservatisme qui ne propose aucun progrès. L’anarchisme de droite (à la Céline) est proche de l’extrême-droite mais refuse l’embrigadement (à la Brasillach) : il est une maladie infantile du fascisme, peut-on dire en paraphrasant Lénine. Seul le processus de brutalisation des années 1930, l’accoutumance à la violence verbale et physique – jusqu’aux menaces de mort – est préoccupant : il fait le lit du premier macho fort en gueule qui passera ramasser les miettes et les pétrira en parti puissant. Mélenchon aurait bien voulu jouer ce rôle, las ! l’époque est plutôt à droite et, sauf à virer Doriot (passé du communisme au fascisme d’un seul élan), peu de chance qu’il y arrive.

Le « mouvement » des gilets jaunes apparaît donc comme un geste, pas comme un acte ; comme une velléité, pas comme une volonté ; comme une jacquerie à prétexte fiscal, pas comme un projet pour le pays. Alors, non, la France ne vire pas fasciste. Pour le moment.

Les années 30 sur ce blog

Catégories : Politique | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Politique et morale

L’union de la politique et de la morale est un idéalisme, elle est totalitaire. La séparation est un cynisme qui laisse le choix, et le choix est difficile.

Si morale et politique vont ensemble, ce qui est moralement bon est politiquement juste, et réciproquement

C’est un idéalisme où le vrai et le bien, l’univers du saint, du savant et du militant se rejoignent. La morale a toujours raison, la raison est toujours morale. Ainsi peut-on savoir ce qui est juste : la morale et la politique deviennent une science, toute faute est une erreur, toute erreur une faute. Les adversaires se trompent, ils sont hors de la raison – fous, malades, sauvages.

Soit l’idéalisme est réactionnaire et regarde vers le passé : tout vient du Bien et va de mal en pis. Le présent est une erreur qu’il faut corriger au nom des lois d’origine : la morale fonde la politique. C’est tout le pari du « c’était mieux avant », de l’âge d’or (mythique), du collectif éternel qui sait mieux que vous, pauvre petit chainon de la lignée, ce qui est bon pour la perpétuation à l’infini de la lignée. Rejoindre le Bien (Platon), c’est rejoindre le Peuple en son essence historico-culturelle (Mussolini) ou génétique (Hitler), et en son communisme fondamental (Staline), c’est rejoindre Dieu en ses Commandements (le Peuple élu juif, la Cité idéale chrétienne, la Soumission musulmane).

Soit l’idéalisme est progressiste et c’est l’avenir qui a raison : tout va mal mais vers le mieux. La politique fonde la morale, ce qui est politiquement juste est moralement bon. Même si cela fait du mal à quelques-uns – et parfois au grand nombre : on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs a été la grande justification de la « dictature du prolétariat » et du goulag soviétique, la « rééducation » le grand mantra maoïste et polpotiste.

Le philosophe-roi (Platon) et le dirigeant philosophe (Lénine) de ces deux idéalismes savent objectivement ce qui est bon. Ils sont au-dessus des lois, car la vérité ne se vote pas. Ils décident seuls de ce qui doit vivre ou périr. Cela donne le totalitarisme de la pensée et la dictature en politique : celle des prêtres, du chef ou du parti. La fin justifie les moyens, « les questions de morale révolutionnaire se confondent avec les questions de stratégie et de tactique révolutionnaire », écrivait Trotski dans Leur morale et la nôtre.

Si morale et politique sont séparés, l’une prime l’autre

C’est un cynisme, qui peut être moral (individuel) ou politique (collectif).

Soit c’est un cynisme moral (Diogène) : il vaut mieux être moralement bon que politiquement efficace, la vertu est préférée au pouvoir, l’individu au groupe, la sagesse ou la sainteté à l’action, l’éthique au politique.

Soit c’est un cynisme politique (Machiavel) : mieux vaut être politiquement efficace que moralement bon, mieux vaut la puissance que la justice, le pouvoir et sa conservation est la seule fin.

Alors, idéalisme ou cynisme ? Morale ou politique ?

Il faut choisir mais le libre-arbitre ne permet de choisir ni son camp, ni sa morale, parce qu’on ne se choisit pas soi-même. Chacun est déterminé plus ou moins fortement par ses gènes, son éducation, sa famille, son milieu social… Le choix n’est jamais désintéressé car jamais sans désir. C’est l’impasse faite par les économistes libéraux sur tout ce qui n’est pas rationnel chez le consommateur, l’impasse faite par les analystes politiques sur l’irrationalité foncière de la politique, le pari fait par les sectateurs de toutes les religions sur l’émotion et la peur fondamentale qui exige la croyance. Le désir résulte d’un corps et d’une personnalité, d’un lieu et d’une histoire. Les choix moraux et politiques sont des jugements de goût – ou de dégoût – plus que des jugements rationnels. La raison ne vient qu’en surplus pour « rationaliser » ces choix instinctifs.

Mon goût me porte à préférer ainsi le cynisme à l’idéalisme. Le cynisme est moins dangereux car il permet de ne pas croire. C’est reconnaître que l’existence est tragique, mais ce « dé »-sespoir, cette absence de tout espoir métaphysique apaise, il fait vivre ici et maintenant plus fort et rend plus miséricordieux à nos semblables englués dans leurs passions et leurs angoisses.

Les dangereux sont plutôt les papes armés, les prophètes politiques, les ayatollahs du quotidien, les secrétaires généraux de parti communiste et les censeurs anonymes des réseaux sociaux. La foi rend méchant, la « bonne conscience » rend pire encore.

Le machiavélisme du cynique n’est pas une position politique mais la vérité de toute politique : la force gouverne parce qu’elle est la force. Diogène n’enseigne pas une morale parmi d’autres mais la vérité de toute morale : seule la vertu est bonne.

Le pouvoir n’est pas une vertu, ni la vertu un pouvoir. La morale enveloppe la politique car elle est toujours individuelle et solitaire. Aucun devoir ne s’impose moralement à un groupe ; politique, police, politesse, sont des lois de groupe, la morale non. Le machiavélisme, qui ne se veut que politique, n’est justifié qu’en politique. Ce n’est pas un impératif pour l’individu mais une règle de la prudence et de l’efficacité pour le groupe. Pour chaque individu, Diogène l’emporte.

Machiavel pour le groupe, Diogène pour chacun. Car seul le bien que l’on fait est bon. Il est bon, non par une loi universelle à laquelle il se soumet, mais par la création particulière du bien précis qu’il fait à quelqu’un. La seule règle est qu’il n’y a pas de règle universelle mais seulement des cas singuliers. Pour Montaigne, la tromperie peut servir profitablement si elle est exceptionnelle, dans certaines limites (que chacun doit solitairement évaluer) et exclusivement dans les situations collectives. C’est l’exemple fameux du Juif qui frappe à votre porte, sous l’Occupation, et qui est poursuivi par les nazis. Si l’on vous demande si vous l’avez vu, la vérité exige de dire que oui ; mais la morale exige de dire que non. Ce « pieux » mensonge est pour le bien précis du Juif que vous allez ainsi sauver.

Quoi que vous fassiez, la morale restera globalement impuissante en politique, comme la puissance restera en elle-même amorale. Mais dans votre sphère de décision, vous pouvez agir moralement. Vous ne ferez pas de la « grande » politique mais de la relation humaine – à la base de la vie de la cité, ce qui est aussi la politique.

Chacun sait bien ce qu’il juge, mais n’a plus les moyens d’en faire une morale universelle parce que nul fondement absolu ne tient plus. Il faut faire simplement ce qu’on doit, c’est-à-dire le bien plutôt que le mal, et le moins mal plutôt que le pire. Et ce n’est pas à la foule ni au parti ou au clerc de dieu de juger, mais à chacun, dans sa solitude de choix.

Catégories : Philosophie, Politique | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Mélenchonjugend ?

Ainsi, Jean-Luc Mélenchon envisage dans l’entretien au 1 cité par France-Culture de « créer une organisation pour les enfants, sur le modèle des scouts ». C’est amusant pour un révolutionnaire… A-t-on vu Robespierre créer les jeunesses robespierristes ? ou Lénine les jeunesses léninistes ? Ce sera Staline qui encouragera les « pionniers » du communisme, mais une fois son pouvoir installé : il a pris cet excellent exemple à la Hitlerjugend, qui l’a copiée sur les Balilla mussoliniens, qui ont eux-mêmes imité la toute-puissante Eglise catholique, forte de mille ans de pratique, sur le bon exemple pratique du lieutenant-général Baden-Powell revenu d’Afrique du sud.

Mais n’ironisons pas trop vite, l’image est tentante comme la droite bornée la reprendra sans doute. Ou les médias, experts à susciter l’émotion pour en faire profit, comme Mélenchon le reproche à « la caste ». Il déclare sur son blog, dans un texte fleuve dont il a le secret (plus c’est long, plus ça fait sérieux selon Goebbels) : « L’angle est toujours le même : susciter de l’indignation à notre propos. Et l’ordre des attaquants est toujours le même. Le premier cercle Macroniste, puis le deuxième, le tout escorté par les batteries des croiseurs de guerre médiatiques. Puis viennent pour tirer dans le dos les « faux-amis » dont c’est l’unique occasion de se faire remarquer. Et ainsi de suite, d’un buzz à l’autre, d’un jour sur l’autre. »

Si nous réfléchissons un peu, que propose Mélenchon ?

Pas uniquement un mouvement de jeunesse, mais une véritable contre-société : « un Média, un espace culturel, des caravanes sanitaires, un nouvel imaginaire politique »… Un monde neuf ici et maintenant sur le modèle des islamistes aujourd’hui, du Parti communiste français durant des décennies, des militaires britanniques voyant l’empire décliner, de l’Eglise catholique depuis la loi de séparation de l’Etat – et bien sûr sur les modèles populistes, Mussolini, Hitler, Staline, Franco, Castro, jusqu’à Mao avec ses « Gardes rouges ».

Il s’agit de façonner les esprits dès le plus jeune âge (4 ans chez les Balilla, 6 ans chez les Pionniers communistes ex-Vaillants, 7 ans chez les scouts catholiques), d’ancrer la foi en la religion ou en la morale, la reconnaissance envers le guide (allant jusqu’au culte de la personnalité), de former les cœurs à la fraternité communautaire de l’entre-soi, et de développer les corps par les exercices physiques, paramilitaires, et la vie en pleine nature. Mais comme, dès 12 ou 13 ans, les hormones deviennent exigeantes, une stricte discipline s’impose : séparation des sexes, vêture légère, débarbouillage à l’eau froide, courses et exercices prolongés. Les animateurs sont nommés « chefs » et exercent une autorité sans partage. Ce n’est qu’avant 12 ans que des cheftaines animent des jeux et surveillent la morale, et après 15 ou 16 ans que les Pionniers deviennent plus autonomes. Chez les Vaillants, devenus Pionniers en 1970, « l’éducation de l’esprit du communiste constitue l’originalité et le devoir de l’organisation ». Compte-tenu de l’effondrement de l’idée communiste et du rabougrissement du Parti, l’organisation est devenue un mouvement de militants lié à la politique des quartiers et à l’enfance en 2003.

Mélenchon voudrait recréer le mouvement Vaillants original – avec une forte empreinte scoute catholique des années 60, selon le site Latoilescoute : « L’imaginaire du pionnier correspond à celui de bâtisseur d’un monde meilleur. Finies les identifications au chevalier, soldat ou conquérant qui étaient en vogue auparavant. Au cœur des années 60, il y avait l’espoir d’une union fraternelle au service de l’humanité (si tous les copains du monde voulaient se donner la main), de chantier et de coopération ». Car sa wikibiographie l’indique, sans nul doute sourcilleusement revue et contrôlée : « éducation catholique de par sa mère », le jeune Jean-Luc « est notamment enfant de chœur et sert la messe en latin ». Il n’a pas oublié cette culture, commune chez les petits Français des années 1950 (a fortiori d’origine espagnole encore plus fermement catholique).

Il a été aussi surveillant dans un lycée de Mouchard et a probablement appris, en 1975 dans ces années post-68 résolument anti-autoritaires, combien la discipline est nécessaire aux jeunes gens, surtout aux garçons. Si je me souviens des années qui ont précédé, pour avoir fréquenté les Eclaireurs de France, laïques (donc sans « morale » bourgeoise) et mixtes (donc poussés à l’exploration), cet âge est porté au « bordel » au sens des travaux pratiques. A l’époque, le débat entre « responsables » (ainsi disait-on) portait sur surveiller et convaincre (mais c’était un peu « fasciste ») ou distribuer des capotes (mais c’était un peu facile). De nos jours, avec les selfies, les réseaux et YouPorn, la situation doit être pire. Les toilettes de collèges sont réputées pour ce genre « d’expériences ». Alors, pas de mouvement de jeunesse sans ferme discipline, pas de discipline sans une attitude un tant soit peu « fasciste » – mais pour quelle morale ? Mélenchon se révèle-t-il ?

Cette idée sur la jeunesse à mettre en « mouvement » – évidemment très encadré – est plus l’aspiration à une contre-société issue de « la base » que l’expression chez lui d’un culte de la personnalité stalino-fasciste. Mais sait-on jamais… Autoritaire, militant, écologiste, il trouve dans les mouvements de jeunesse son miroir : discipline, apprentissage moral, nature. Avec Mélenchon, tout est possible ! Il déclare au 1 : « je laisse beaucoup les choses se faire toutes seules (…) c’est très anxiogène de bosser avec moi. Il n’y a pas de consigne, on ne sait pas ce que je veux. Moi je sais. Parfois, mais pas toujours. J’ai une foi totale dans la capacité auto-organisatrice de notre peuple. »

Voir sur ce blog :

Catégories : Politique | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Elire, c’est choisir

Une femme ou un homme ? Une héritière populiste ou un bon élève ex-banquier ? Pour beaucoup, le choix est difficile ; certains le refusent parce qu’ils considèrent qu’entre ces options le bien commun ne figure pas. Ils voteront blanc ou nul, ou se résigneront à voter pour le moins pire – ou pour le moindre bien.

Pour beaucoup, il s’agit d’encore plus de multiculturalisme où va se perdre sa culture, se dissoudre « la France » dans le grand métissage indifférencié d’une Union européenne qui vire au melting-pot américain, ou encore de diluer nos petits blonds dans le noir crépu issu de la guerre des ventres – puisqu’il suffit de naître à Marseille ou Roubaix, même clandestin, pour « être » français, sans aucunes références familiales, culturelles et historique.

Mais tout cela, ce sont de grands mots.

Il suffirait à notre culture d’être vigoureuse (comme avant) pour qu’elle accepte avec bienveillance les cultures venues d’ailleurs, qu’elle s’en enrichisse (comme elle l’a toujours fait) ; il suffirait que la France dise clairement au Conseil européen (des chefs d’Etat et de gouvernement – auquel elle participe) ce qu’elle veut, au lieu de démissionner lâchement comme Chirac et Hollande l’ont fait trop souvent ; il suffirait que nos bobos blancs « de souche » fassent plus de bébés au lieu de jouer aux gais ou aux féministes sectaires, et de papillonner en égoïstes. La question migratoire et la mal-intégration sont à régler au Conseil européen et au Parlement français – sous la pression de l’opinion publique – comme les Néerlandais et les Danois l’ont fait, comme les Allemands vont faire, et pas sous la pression médiatique de la gôch’ bobo hors sol qui ne représente RIEN.

Dans le concret aujourd’hui, ce qui compte est moins « le capitalisme » ou « le grand remplacement » que l’insécurité.

Le souci démocratique est celui des frontières, car nul vote ne peut rien contre l’universel. Le citoyen appartient, il vote pour qui doit le représenter, lequel représentant négocie des lois pour une société sur un territoire. Dès lors, l’immigration de masse sans contrôle apparait comme le plus grand danger. A tort ou à raison, pour des motifs culturel (les odeurs de Chirac), de tabou patriotique (la France, c’est prendre sa carte selon Hollande) ou d’ignorance béate de la profondeur historique (il n’existe pas de « culture française » selon Macron). Le terrorisme – musulman par prétexte – vient ajouter une couche à cette insécurité fondamentale qui recoupe les insécurités sociales, territoriales et économiques.

Le fond du vote Le Pen, ce sont moins la « sortie de l’euro » (remis en cause récemment par Le Pen sous la pression Dupont-Aignan) et les billevesées de la planche à billets via une Banque de France aux ordres de l’Exécutif qui permettrait tous les rêves démagogiques en distribuant des tonnes d’argent (au prix d’une évidente et immédiate inflation), que le retour de la souveraineté sur QUI est Français ou pas. Même l’immigration ethnique est désormais au second plan des craintes, au profit des ayants-droit qui viennent « pomper » (fantasme sexuel ou réalité comptable) le budget déjà limite de l’Etat-providence, tout en refusant la façon française commune de vivre et de se vêtir.

Sur ce sujet, la gauche « frondeuse » n’avait rien à dire, sinon encore plus d’impôts pour une redistribution égalitariste universelle (une sorte d’Etat soviétique modernisé) ; elle a été virée au premier tour. La droite classique n’avait rien non plus à dire, focalisée sur l’austérité budgétaire et le recul (nécessaire mais pas suffisant) de la dépense publique ; elle a, elle aussi, été virée au premier tour. Quand les partis traditionnels n’osent pas prendre à bras le corps un problème populaire, par honte ou lâcheté, le peuple se venge en les « dégageant » (y compris l’apôtre du dégagisme Mélenchon, trop chaviste pour espérer séduire).

D’où l’irruption – dans ce vide – du centre, du « ET droite ET gauche » du jeune Emmanuel, alias « Dieu est avec nous ».

En effet, « Dieu » semble être avec ce candidat neuf, en la personne des intellos multiculturels qui se sentent aussi à l’aise à New York qu’à Paris, à Tel Aviv ou à Singapour ; en les instances patronales qui voient une adaptation pragmatique de la social-démocratie au nouveau capitalisme mondialisé ; en l’idéologie individualiste et branchée des start-upeurs inventifs expatriés ou ceux de la Chevreuse Vallée. « Dieu » est le sens de l’histoire, le « progrès » tel qu’il va.

Bien loin du « diable » incarné par la blonde au sourire commercial, dont le seul souci est d’enclore et de fermer pour faire mariner la France dans un mélange de volontarisme du verbe et de bricolage de gouverne, de verbe gaulliste sans l’esprit et de recettes tirées de l’économie fermée des années 50. Emmanuel et Marine vont naviguer à vue ; mais qui est le mieux armé dans le monde d’aujourd’hui pour mener la barque ?

Avez-vous constaté, du fait des règles rigides du temps de parole égal aux deux candidats restants, que les conseillers, porte-parole et autres économistes de Marine Le Pen surgissent désormais dans le débat public ? Qui les connaissait, ces Bay, Murger, Benoist et autres obscurs ? Tous ne sont pas antipathiques, ni aussi insignifiants que Gilbert Collard (« avec deux n ? » raillait Jean-Marie le père) ; mais qu’ont-ils à dire de neuf ? Pas grand-chose, que du digest de littérature sur le sujet ou des procédés oubliés depuis longtemps comme la planche à billets pour financer les déficits, les dévaluations compétitives (et à répétition) pour éviter l’effort d’investissement, les droits de douane modulés pour contrôler les biens étrangers importés, les droits sociaux réservés aux nationaux et – au fond – le contrôle total d’Etat sur tout : le droit, la monnaie, les industries, la pensée. Voyez Poutine… il est le Modèle pratique de Marine.

Or il s’agit d’une illusion. Sauf à changer la Ve République, donc à réaliser un coup d’Etat à la Erdogan ou à la Chavez pour instaurer un pouvoir fort… dont le Modèle théorique est Mussolini. Mais si, comme le dit Marine Le Pen, il s’agit de demander aux Français via le référendum s’ils veulent ou non sortir de l’euro, puis de l’Europe, puis de la Ve, les lendemains risquent de bien vite déchanter.

L’Exécutif ne peut pas tout et, sous la Ve République, s’il peut beaucoup ce n’est qu’en raison de la personnalité du président.

Après de Gaulle et Mitterrand incarnant la fonction monarchique, même après Pompidou et Giscard plus chefs de majorité à l’anglaise, les successeurs apparaissent bien falots. Chirac, cet histrion, n’aimait que gagner ; il ne foutait plus rien ensuite. Le désastre a été ce fameux « contrat première embauche » destiné à rendre plus facile aux jeunes l’entrée dans l’emploi : le Parlement l’avait voté, le Conseil constitutionnel ratifié, le président promulgué… et voilà que le Chirac le 31 mars 2006 ânonne 9 minutes à la télé qu’il demande que cette loi ne soit pas « appliquée ». On croit rêver ! Quant au Villepin, ci-devant Premier ministre, loin de démissionner, il continue à gouverner comme si de rien n’était ! Hollande ne fut pas meilleur, névrosé de la décision, incapable de choisir, inapte à commander. « Mon ennemi la finance » est devenu un très cher ami, Leonarda expulsée pouvait rentrer, le oui au référendum de Notre-Dame des Landes surtout pas mis en œuvre…

Ce sont probablement ces impuissants qui ont poussé nombre d’électeurs à accuser le capitalisme mondialisé ou Bruxelles de tous les maux économiques et sociaux des Français :

  • Ce n’est pas l’euro : l’Allemagne a le même
  • Ce n’est pas « Bruxelles » : tous les 28 pays européens ont le même Conseil et la même Commission
  • Ce n’est pas « le capitalisme » : pourquoi serait-il innovant aux Etats-Unis, efficace en Allemagne et en Suisse – mais pas en France ?

Ne croyez-vous pas plutôt que ce sont les carcans rigides des lois, règlements et autres administrations d’un Etat plus lourd qu’ailleurs, en plus des impôts, taxes et autres charges plus lourds qu’ailleurs qui – en France tout particulièrement – conduisent au chômage le plus élevé de l’UE, aux prélèvements les plus gros de l’OCDE, aux handicaps les plus forts sur les agriculteurs, les industriels et les investisseurs ?

Selon la force des personnalités, la Ve République est forte ou faible.

Dès lors, quelle est la force de Marine ou d’Emmanuel ? La grande gueule ou l’intelligence des situations ? La com’ ou la négociation ? Macron est un libéral assumé (contrairement à Hollande) ; le libéralisme, c’est avant tout la liberté. Non de tout faire, mais de faire au plus près du terrain, dans des cadres généraux.

Le contraire du libéralisme, c’est le caporalisme, donc avant tout la contrainte. Il s’agit d’obéir, d’être surveillé et puni.

Elire, c’est choisir.

Catégories : Politique | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Retour au classique dans les élections

Les fantasmes des renverseurs de système comme la mayonnaise joueuse des réseaux sociaux voulaient croire au Grand soir électoral qui renverserait la table.

Force est de constater que le raisonnable l’emporte et que les finalistes sont revenus dans des critères presque classiques. Macron-Le Pen peut être vu comme un duel gauche-droite classique, se doublant d’un contraste ouverture-fermeture, inclus-exclus, jeunes-vieux, diplômés dynamiques-peu lettrés frileux.

Relativisons cependant.

Les chiffres officiels sont une chose, les chiffres réels une autre. Si l’on prend en compte les abstinents et les votes blancs et nuls, l’engouement pour Macron ou Le Pen est moins net qu’il n’y paraît.

Si, de plus, on prend en compte la participation, Emmanuel Macron ne recueille que 14.12% du vote des Français inscrits, et Marine Le Pen 12.68%.

La droite n’est pas morte, même si François Fillon a perdu (par une communication désastreuse sur ses « affaires ») les votes reportés sur Nicolas-Dupont-Aignan (plus haut que dans les élections précédentes) et sur Emmanuel Macron (grâce en partie à Bayrou). Le paysage montre que la droite reste majoritaire, à 27.39% des inscrits, alors que la gauche n’est qu’à un « minable » (mot favori du socialiste Jean-Marc Ayrault) 16.40%. Le centre renaît grâce à un « hors parti » qui se veut ET de droite ET de gauche, ce qui séduit la jeunesse lasse des querelles de bac à sable des egos d’appareil, comme ceux qui veulent vraiment que la France se réforme – comme les autres pays.

Notons que nous avons échappé au pire : un duel Le Pen-Mélenchon, ou le choix entre la peste et le choléra. Mussolini ou Chavez ? Le fascisme brun ou rouge ? Et ne me dites pas que « le peuple » serait plus démocratique que « la masse », le premier n’est qu’une construction idéologique du leader maximo, tandis que la seconde n’est que la pâte à aduler le führer. Et les exemples de Maduro le Vénézuélien comme celui d’Erdogan le Turc aujourd’hui, les modèles respectifs de Mélenchon et Le Pen, n’incitent pas à les imiter !

Il reste que les votes extrêmes sont le cas de 27.39% des inscrits. Bien loin de « la majorité » sociologique pour renverser la table. Surtout que les inclus se trouvent 32.48% contre 26.70% d’exclus. La France « périphérique » n’est pas hégémonique dans le pays. Les Français sont plus ouverts que les médias le disent, plus soucieux de l’avenir que les souverainistes le croient, et moins révolutionnaires que les tribuns le clament.

Mais les partis « tradi » sont mal en point, inaptes à faire ce pour quoi ils sont faits : sélectionner des gouvernants capables. Les deux finalistes, Macron et Le Pen, sont des outsiders, loin devant les Fillon et Hamon issus des primaires de leur parti. Notons que les « petits » candidats n’ont pas fait la preuve qu’ils apportent une quelconque plus-value au débat démocratique ; ils brouillent plutôt les cartes avec leur paranoïa, leurs envolées lyriques ou leur logorrhée trotskiste trop années 70.

Malgré le tropisme institutionnel du duel, la France n’apparaît pas comme bipolaire, un coup à gauche, un coup à droite. Se reconstitue la « bande des quatre » qui faisait les délices de la presse aux temps du gaullisme et du mitterrandisme : la droite forte, le centre-droit, la gauche de gouvernement et la gauche radicale. Le reste n’est que confettis marginaux inaudibles.

Maintenant, vont se jouer les législatives.

Le second tour n’est pas passé, mais le résultat ne devrait pas faire de doute : Marine Le Pen n’a quasiment aucune réserve en voix, pas plus que son père en 2002, même si une partie des électeurs Fillon ou Dupont-Aignan (voire Mélenchon, ce vote ludique) peuvent se reporter sur elle. Gageons que ce pourrait être 60/40 en faveur de Macron.

La recomposition se fera à l’Assemblée nationale, où le vote pour un député n’obéit pas aux mêmes critères qu’un vote à la présidentielle. La droite pourrait être majoritaire, même si elle ne serait pas hostile à gouverner « avec » Emmanuel Macron. Les députés frontistes seront probablement plus nombreux qu’aujourd’hui, ce qui est normal dans une « démocratie » : l’Assemblée est faite pour représenter le pays réel – pas l’idée morale qu’on s’en fait.

La suite dépendra de la réussite politique du président Macron.

  • S’il échoue dans le velléitaire et les tabous de la moraline idéologique, comme François Hollande, alors Marine Le Pen se voit ouvrir cette fois un boulevard pour 2022.
  • S’il réussit à allier réformes et protection, élan et main tendue, à la fois en France et en Europe, il recomposera vraiment le paysage politique français. Enfin ! serait-on tenté de dire, après l’espoir avorté de 2007.

La politique sur ce blog

Catégories : Politique | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Conservatismes

Comme il existe des progressismes, il existe plusieurs conservatismes : subi, graduel, radical. Car même ceux qui se qualifient de progressistes persévèrent dans le conservatisme de leur courant. Ils ne changent pas, seule change l’époque.

Le progressisme subi est celui du libéralisme, qui accepte ce qui vient, d’où que vienne le changement (du climat, des mœurs, des techniques, du mouvement social), mais avec l’habitude. Le courant récent va des radicaux sous la IIIe République à Emmanuel Macron, en passant par Pierre Mendès-France, Michel Rocard, Jacques Delors, Manuel Valls (avant d’être ministre, pas après) et… François Hollande (une fois élu seulement). Les modèles : Bill Clinton, Tony Blair, Gerhard Schröder.

Le conservatisme subiest le même : accepter ce qui vient, faire corps avec le changement en adaptant les lois et les mœurs, mais lentement, à son heure. Ce qui distingue progressisme et conservatisme subis ? La « bonne conscience » sociale : se dire de gauche est mieux valorisé, se dire de droite est plus le fait des retraités.  Centre gauche et centre droit, Macron et Juppé ou Bayrou sont proches, au fond. Le courant va des Girondins à Alain Juppé, en passant par Louis-Philippe, Alexis de Tocqueville, Antoine Pinay, Jacques Chaban-Delmas, Valéry Giscard d’Estaing, Raymond Barre, Edouard Balladur, François Bayrou. Accepter une interprétation humaine différente des mêmes lois de nature ou divines. La conscience s’améliore, elle « découvre » du neuf comme on découvre un corps en ôtant peu à peu le drap qui le recouvre. Ainsi des mathématiques : elles existent de tout temps comme règles d’organisation de (notre) univers ; les humains ont mis des millénaires pour peu à peu les mettre au jour ; ils ne les inventent pas, ils les révèlent – croient-ils. Les modèles sont les mêmes que pour les progressistes, avec Jean Monnet en plus pour l’Europe.

Le progressisme graduel est le réformisme, qui ne remet pas en cause le système global mais l’aménage progressivement – par exemple le socialisme ou le radical-socialisme. Valls ou Peillon l’incarnent aujourd’hui, un peu moins Montebourg (plus interventionniste), encore moins Hamon. Le courant est issu de la scission en 1920 de l’Internationale socialiste entre communistes (inféodés  à Moscou) et le socialisme (qualifié de trahison par les staliniens). La vieille SFIO de Guy Mollet (qui envoya le contingent en Algérie pour 24 mois au lieu de 18 en proclamant urbi et orbi l’Algérie française), et le Parti socialiste refondé par Mitterrand et Chevènement en 1971 jouent cette carte : radicalité en paroles (pour être élu) puis pragmatisme réformiste en actes (une fois au pouvoir). Martin Aubry, Laurent Fabius et les « frondeurs » sont de ce jet. Le (seul) modèle franco-français : François Mitterrand – autoritaire et manœuvrier.

Le conservatisme graduel considère qu’il existe des lois immuables, issues de Dieu ou de la Nature (par exemple l’hérédité), et qu’il est vain de vouloir changer l’homme – sauf par le dressage éducatif et les lois répressives. On ne change alors pas l’être humain, mais seulement son comportement par des lois normatives. Qu’elle soit acceptée ou imposée, la règle s’impose. Fillon suit cette voie, après Chirac (créé par Marie-France Garaud et Pierre Juillet), la politique est l’art du possible. C’est donc se faire « réactionnaire » que de réagir négativement à ce qui change trop vite – à gauche aux réformes des zacquis sociaux (par exemple Hamon qui abandonne le travail pour garder la redistribution, et qui veut « revenir » à la gauche 1981 avec certaines nationalisations), à droite aux réformes du mariage (hier le PACS honni, aujourd’hui accepté…). Ils acceptent 1789, revenir à l’avant 1968 suffit généralement à ces conservateurs graduels. Les modèles : Charles de Gaulle, Georges Pompidou, Jean-Pierre Chevènement.

gamins-sauvages

Le progressisme radical est celui qui veut renverser la table : changer le monde, changer l’homme, changer la nature ; donc le communisme, les divers gauchismes, et toutes les utopies d’avenir radieux. Mélenchon entre autres. Ce genre de courant utopique prolifère généralement en sectes et en sous-sectes selon les ego et les écarts théoriques : les innombrables ramifications écologistes, qui ont pris la suite des innombrables ramifications du gauchisme post-68, en sont l’illustration. L’écologie n’est pas chose sérieuse en France politique, juste un créneau où se faire mousser personnellement sans risques. Les modèles : Maximilien Robespierre, Mao Tsé-toung, Fidel Castro, Hugo Chavez.

Le conservatisme radical veut en revenir à l’avant 1789, avant les Lumières de la Raison dont l’orgueil trop humain bafoue les lois immuables établies par Dieu et par l’Ordre de l’univers. Ce courant s’est toujours révolté contre les changements trop brutaux : la Révolution (appelant à la Restauration), l’insurrection démocratique 1848 (appelant à l’empire Napoléon III), la Commune 1871 (appelant Thiers et la répression), la chienlit parlementaire 1934 (appelant les Anciens combattants), la défaite de 1940 (appelant la Révolution nationale), les accords d’Evian 1962 donnant son indépendance à l’Algérie de Belkacem (appelant à l’OAS), la chienlit sexuelle de mai 68 (appelant à l’Ordre nouveau), la loi Savary 1984 unifiant école publique et privée (appelant à la manifestation monstre), le mariage gai (appelant la Manif pour tous). Les lois sont des tables révélées qu’on ne peut contester : ainsi l’islam radical, le christianisme intégriste ou même l’athéisme souverainiste du Front national. C’est le seul conservatisme dont on peut dire qu’il est littéralement « révolutionnaire », dans le sens où il tente d’accomplir une révolution complète – comme les astres – ce qui veut dire un retour au point de départ… Faire l’Histoire pour établir la Perfection, disent les progressistes radicaux ; retrouver l’innocence parfaite par la rédemption, disent les conservateurs radicaux. Les modèles : Napoléon III, Mussolini, Poutine – voire Erdogan et même Trump (version souverainiste).

progressismes-et-conservatismes

Si les deux premiers conservatismes ne sont guère différents des deux premiers progressismes, le dernier est radicalement en miroir : l’un veut faire de l’humain un Dieu qui se crée par lui-même ; l’autre nie la liberté humaine pour se réfugier en Dieu et lui faire complète soumission. Les deux usent de la même méthode : la transparence. Il s’agit, pour la variante radicale des progressistes et des conservateurs, de l’utopie d’une nature et d’une humanité en parfaite concordance, d’un être humain en accord avec sa propre nature et avec la nature (ou la foi). La science positiviste du fait social pour les progressistes radicaux réactive – sans le voir – la théologie dogmatique des conservateurs radicaux. Les « progrès » du genre humain ne sont pas plus démontrables que les articles de la foi révélée (judaïque, chrétienne, islamique). Mussolini est à la fois le modèle autoritaire, souverainiste et populaire du courant Mélenchon (Mussolini activiste de l’aile maximaliste du parti socialiste italien) et du courant Le Pen (Mussolini des Faisceaux de combat et du parti national fasciste).

D’où la tentation du nihilisme de tous les radicaux. L’Histoire n’est Providence que si on le croit, donc le doute est ravageur… tout ne vaudrait-il au fond pas tout ? pourquoi ce choix plutôt qu’un autre ? La recherche du Génie « d’avant-garde » à gauche (Lénine, Staline, Mao…) et la quête du Sauveur à droite (Napoléon 1er et III, Pétain, de Gaulle…) sont l’aveu que ni l’Histoire, ni la Providence, ne sont évidentes à connaître. La soumission féodale à ceux qui affirment avoir des convictions ou l’attrait affectif de leur charisme suffisent à l’adhésion. Car spirituel et temporel sont ainsi mêlés, réconciliant avec soi-même. Comme si le monde n’était pas lui aussi mêlé et qu’il faille désirer le Bien en soi sur cette terre. Payer de sa vie est l’ultime « preuve » que l’on est dans la bonne voie car, de toute façon, la mort signe l’arrêt complet de toute voie pour la figer en éternité.

islamiste-pas-de-conclusions-hatives

Le tropisme radical de l’être humain, particulièrement fort à l’adolescence où l’envie d’action se conjugue aux idées courtes, n’a pas vraiment besoin de foi pour s’exacerber. Voter Le Pen ou Mélenchon, c’est tout un : peu importent les idées, ce qui compte est de foutre un coup de pied dans la fourmilière des nantis contents d’eux. D’où les Régionales, le Brexit, Trump, Juppé et Copé, Renzi… Mais quand la foi propose un cadre à la radicalité, le danger est immense de voir s’installer la Terreur : celle des jacobins en 1793, celle des bolcheviques en 1917, celle des gardes rouges en 1966, celle des gauchismes après 1968 avec les Brigades rouges, la Rote armee fraktion, Action directe, celle des salafistes aujourd’hui. La foi, qu’elle vienne de Dieu ou des hommes, fournit un justificatif aux pulsions violentes, sadiques et dominatrices, un cadre global au mal d’identité, un remède spirituel au mal être. Sans la foi, la radicalité n’est qu’un âge de la vie – avec la foi, elle est souvent la vie même… qui s’arrête par le sacrifice.

Comme si les radicaux ne pouvaient décidément pas accepter « ce » monde que les autres accompagnent ou font avec.

Les autres hésitent entre accepter le présent pour s’y adapter au mieux, ou « revenir » à l’avant : avant le tournant de la rigueur 1983 pour Benoit Hamon, avant la chienlit des mœurs de mai 68 pour François Fillon, avant la monarchie républicaine de la Ve République pour Jean-Luc Mélenchon, avant la constitution de 1946 et pour la Révolution nationale pour Marine Le Pen, avant 1789 pour les franges intégristes chrétiennes ou musulmanes (une foi, une loi, un roi).

Catégories : Politique | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Michel Déon, Je ne veux jamais l’oublier

michel-deon-je-ne-veux-jamais-l-oublier

Michel Déon est mort, il avait 97 ans. Dans le roman de ses 31 ans, il écrivait : « Patrice était persuadé que la mort était une erreur, une faute contre le destin. Quant à lui, il se défendrait jusqu’à la dernière minute » p.232. Patrice est son héros, il a le même âge que son père, il est donc un peu lui. Et lui aussi s’est défendu ; il aimait trop la vie et ses plaisirs pour retarder la mort autant que faire se peut.

Ce roman « romanesque » parle d’amour et de lieux magiques : Venise, Florence, Paris, Londres, les lacs italiens. Défilent les femmes qui ont compté, Béatrix qui l’a dépucelé vers 18 ans, Vanda la russe qui l’a entraîné dans sa folie sexuelle vers 22 ans, Olivia l’espagnole dont il a cru être amoureux pour la vie à 28 ans – et Florence la parisienne, femme de 40 ans avec laquelle il vit « une amitié intelligente » allant pour elle jusqu’aux derniers feux de l’amour, pour lui à une affection grave. Le titre du livre est tiré de la Chanson du Mal-Aimé d’Apollinaire.

Roman d’initiation, d’entrée dans la vie sexuelle et dans la vie active, roman d’hédonisme après-guerre, celle de 40 qui a laissé l’Europe en ruines et les esprits meurtris. Il était bon de vivre et de s’enfiévrer à la musique, au whisky, à la danse, il était bon de flirter et de finir au lit mais des semaines ou des mois après, puisque ni la pilule ni l’avortement n’existaient encore et que les filles restaient trop longtemps des « oies blanches ». Ce qui nous paraît incroyable, mais qui est vrai, tant le monde a changé en deux générations. « Patrice s’étonnait de voir la liberté avec les deux jeunes filles abordaient ces questions lorsqu’il s’aperçut qu’elles n’en connaissaient rien et parlaient à tort et à travers, mélangeant tout, aussi vierges dans leurs illusions que dans leur corps » p.289.

Soldat durant la guerre, démobilisé, Patrice est un jeune homme désorienté dans la paix. Il est de bonne famille et a dilapidé lentement un petit héritage comme les gentlemen anglais effectuaient jadis leur « tour » avant de se fixer. Patrice voyage donc, invité par sa tante qui a épousé un marquis italien. Ce qui donne cette phrase toute valéryenne qui prouve que nous sommes dans le roman : « La marquise repartit l’après-midi, dans son taxi » p.287.

L’auteur écrit avec charme, d’un style entre Chateaubriand et Chardonne. Les descriptions sont toujours psychologiques, les paysages sont associés aux états d’âme et les personnages sont peints par petites touches successives qui les font aimer ou détester, mais qui les laissent incontestablement originaux. L’époque n’a guère le téléphone, donc l’écrit est omniprésent. Passé qui nous paraît bizarre à l’ère électronique, mais qui était encore très réel il y a seulement 20 ans. Les amants s’échangent longues lettres et petits mots, le processus d’écrire exigeant solitude et recueillement, le processus de lecture de même. C’est ainsi que l’on ne saute pas une fille au bout de quelques minutes, mais qu’il s’agit d’une véritable entreprise qui prend du temps. Durée qui avive le désir, accentue les sentiments, exaspère souvent. Oui, ce roman est un livre d’histoire, comme le précise la préface de 1975 – 25 ans après. Que dire, encore 25 ans plus tard ?

Que ce roman peut toujours se lire tant il sait créer une atmosphère. Celle, tourmentée, d’une adolescence qui s’achève à la trentaine. Celle, magnifique, des villes et paysages italiens des années 1950 encore préservés, où de petits bergers couraient pieds nus et où de robustes jeunes filles rapportaient sur leur tête le linge du lavoir, pieds nus elles aussi. Bellagio est moins jet set de nos jours qu’à l’époque, les happy few s’y sentent envahis et se réfugient dans des lieux plus chers et plus élitistes. Padre Pio est mort et ne bénit plus personne. Mussolini, ses lettres à sa maitresse, son trésor disparu et le lieu de son exécution ne captivent plus. D’Annunzio, dont l’auteur fait l’amant de sa tante, apparaît de carton-pâte et l’on ne lit plus son œuvre.

Une vitalité court ces pages, que ce soit dans les excès ou les admirations. Son initiatrice décrit l’adolescent tel qu’elle l’avait connu « encore presque enfant, tanné par le soleil, passant ses journées même pas dans l’eau, mais sous l’eau où il pêchait, remontait avec des paniers débordant d’algues et d’oursins violets, ses cheveux noirs et courts collés sur sa tête, inconscient de son agilité, de sa force, heureux de vivre, surpris et presque triste après leur premier baiser, une nuit, sur le chemin de ronde, si impatient la première fois au lit qu’il s’était blessé… » p.188. Ne reconnait-on pas là, si bien décrit, l’adolescent éternel ? Michel Déon a l’art du portrait comme celui de la fresque. Ce pourquoi il a parfois le trait féroce : « sa faim dévorante de croûtons de pain, son désintéressement total pour le caviar, sa paresse à faire trois pas, sa coquetterie et cette façon qu’elle avait de ne plus écouter au bout de trois mots toute conversation où il ne s’agissait pas d’elle » p.364 – ne connaissez-vous pas au moins une femme à qui ce trait d’applique ? – Moi si.

Le talent n’aime pas la vanité. « Vous parlez, vous brillez, vous aimez ce qu’il faut appeler ‘le monde’, et souvent, dès que vous êtes en face du ramassis hétéroclite qui le compose, je vous trouve braqué, agacé, prêt à mordre » p.332. Comme nous nous rencontrons, cher Michel, que j’ai croisé une fois ou deux dans votre quartier qui est aussi le mien !

Michel Déon est mort, il reste toujours vivant. Je ne veux jamais l’oublier.

Michel Déon, Je ne veux jamais l’oublier, 1950, préface de 1976, Folio 1990, 376 pages, €11.10

Catégories : Italie, Livres, Michel Déon | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Mélenchon, méchant bon

J’ai eu l’heur de publier sur ce blog en 2011 une note sur Jean-Luc Mélenchon, politicien entre Péguy et Doriot. Un lecteur l’a retrouvée et la commente cinq ans et demi plus tard comme digne d’actualité. Je l’en remercie et, comme les commentaires sont fermés sur les notes après un à deux mois – pour ne pas susciter des « polémiques à la françaises » aussi vaines que stupides, une fois l’actualité passée – il a publié son avis dans la rubrique « à propos ». Comme ce n’est ni le lieu pour le lire, ni pour débattre d’un sujet en particulier, je me permets de replacer dans le fil des notes ce commentaire de grand intérêt, que j’accompagne de quelques réflexions. Le débat est ainsi ouvert, quelques mois avant les prochaines présidentielles en France, et quelques semaines avec les primaires des sept nains du PS.

jean-luc-melenchon-a-montpellier

« Bonjour, votre article de 2011 sur Mélenchon, Péguy et Doriot m’a paru intéressant, y compris en 2016-2017.

Le temps rectifie cependant quelques unes de vos idées, comme l’opposition de Mélenchon à l' »aigle » russe…

Le rapprochement avec Doriot me paraît, quoiqu’il en soit, pertinent, sinon comme stricte analogie du moins comme hypothèse-guide.

Au passage, d’autres idées de votre article me paraissent approximatives. Ainsi, le bien-être des ouvriers de l’automobile est une légende (qu’il s’agisse de Toyota, de Ford, de Renault, de Fiat, en 1970 ou 2016, que l’organisation soit fordiste ou par groupes de qualité).

Mais pour rester au centre de votre article : avec Mussolini ancien leader socialiste, Doriot évoluant du PCF à la collaboration pro-nazie, l’opportunisme narcissique (et l’insécurité mal compensée qui peut-être va avec) engendre bien des vicissitudes et les parcours sont souvent TORTUEUX et chez les apprentis caudillos. « Le futur Duce de l’Italie fasciste est élevé par un père forgeron et militant anarchiste et une mère institutrice et très religieuse (catholique). »

Je crois que les méthodes et de style de Mélenchon, les fantasmes qui s’échappent parfois de sa bouche par manque de maîtrise et par sincérité semi-volontaire…, tout cela permet de voir qu’il n’est pas tel qu’il apparaît à ses suiveurs et à ses électeurs.

Les indices d’une idéologie vermoulue et réactionnaire sont pourtant assez patentes. Il doit lui-même faire des rectifications fréquentes, sur un mode agressif et embarrassé, ou encore rectifier son programme pour tenter de les intégrer et sauver la face. Voir ici ses vœux. La stance à l' »universalisme » (blah blah…) inciterait à nuancer le rapprochement avec Péguy… et à mieux cerner le caractère opportuniste du bonhomme.

Politiquement incohérent, il n’en serait pas moins nocif, selon moi, s’il en avait les moyens… Mais son style et la confusion qu’il trimbale ne sont pas des caractères isolés dans les mouvances militantes et semi-intellectuelles de notre époque.

Merci pour votre article et pour certaines pages de votre blog.

Pierre Grimal »

Ce qui est intéressant est que l’étude sur le bonhomme Mélenchon a peu vieilli : le politicien est toujours « méchant » par haine personnelle contre la société, qu’il sublime en la projetant sur « le peuple ».

Il veut évidemment en faire « le bien » malgré lui, au peuple. Ce pourquoi il est un méchant bon.

Mais il ne peut aller dans le sens du peuple qu’en résolvant ses propres contradictions venues de l’extrême-gauche trotskiste-lambertiste : internationalisme ? le peuple veut du nationalisme ; anticapitalisme ? le peuple veut surtout du boulot ; écologisme ? le peuple ne veut pas régresser au moyen-âge ; démocratie directe ? le peuple veut bien participer, mais pas gouverner, ça l’ennuie – son individualisme exige épouse et pavillon, DVD possédés et quant à soi préservé. Pas sûr que la Grande transparence robespierriste de Mélenchon soit en phase avec ce que veut le peuple…

J’écrivais aussi sur ce blog en 2012, à propos de Mélenchon, le malentendu qu’il provoque (et continue de provoquer) :

  • Quand on est né en 1951 on n’est plus vraiment jeune,
  • Quand on a occupé depuis trente ans les fromages de la République, nanti d’un patrimoine frisant l’ISF et d’un revenu égal à cinq SMIC.
  • Quand on a voté oui à Maastricht et qu’on reste député européen.
  • Quand on se dit trotskiste lambertiste (dont une fraction a soutenu Marcel Déat en 1941, socialiste autoritaire devenu collabo parce qu’antilibéral et anti-anglais, ministre du Travail de Pétain).
  • Quand on est pétri de toutes ces contradictions, comment convaincre dans la durée ?

Le rassemblement des mélenchonistes apparaît bien hétéroclite.

Mais veut-il vraiment gouverner ? Je me posais la question en 2014 sur ce blog. La posture du Commandeur, Victor Hugo tonnant du haut de son exil, est bien plus valorisante pour ce théâtral politicien, que la discipline de chaque jour des affaires à régler par compromis… Le fusionnel d’une Assemblée unique et d’un gouvernement direct, me paraît une compensation personnelle pour un gamin frustré de père à 11 ans qui semble ne jamais s’en être remis (ce qui me navre) – mais pas un remède au mal français qu’est l’immobilisme d’âme paysanne et la répugnance à changer (si bien servis par Chirac puis Hollande).

Yaka et encore yaka, résumais-je en 2016 dans un billet de blog, sur les outrances de l’extrême-gauche, Mélenchon inclus. Je n’ai pas changé d’avis depuis. Mélenchon aime gueuler, pas gouverner. Car gouverner, c’est prévoir, et ne pas suivre le vent du peuple selon qu’il girouette de l’est à l’ouest ou du nord au sud. Mélenchon se positionne comme national-populiste, qu’il le veuille ou non. Il ne veut pas de Poutine comme Grand frère, même s’il admire probablement sa façon, de faire. Donald Trump aussi… Mélenchon est adepte non de la démocratie mais de la démocrature – la dictature, mais du Salut public, de la Patrie en danger – tout ce que Castro a réalisé durant ses quasi 60 ans de règne autocratique sans partage.

Un grand méchant, Mélenchon, même s’il se veut un méchant bon.

Les commentaires sont ouverts sur cette note pour 40 jours

Catégories : Politique | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

CGT-Le Pen : même combat !

La pensée gros-bras de la CGT rencontre la pensée simpliste du Front national pour résoudre d’un coup de faucille ou de marteau tous les problèmes complexes. Le yaka est la solution habituelle du populisme. Oh, non pas pour résoudre effectivement les problèmes – ils sont bien trop complexes et imbriqués pour qu’ils aient une solution simple – mais seulement pour dire à chacun ce qu’il souhaite entendre dire.

  1. A gauche le jacobinisme fusionnel à la Rousseau, où la « volonté générale » est cooptée par quelques-uns. Ils seraient plus lucides selon la CGT, plus « avancés » selon la théorie marxiste de l’Histoire, plus menaçants dans les rapports de force selon les trotskistes de FO.
  2. A droite le fascisme organique à la Mussolini, volontiers repris par Poutine ou Erdogan, au nom de l’unité communautaire nationale.

Les ennemis communs : l’individualisme, donc l’émancipation personnelle, la liberté de dire et d’entreprendre, le choix électoral. Autrement dit le libéralisme, avec ses traductions que sont la démocratie en politique, le libre-marché concurrentiel en économie et le libre-examen en sciences. L’économie ne serait pas une question de savoir mais de volonté, la monnaie pas une mesure des échanges mais un acte juridique d’Etat – qui décide souverainement de sa valeur et de sa quantité. Donc pas de science économique mais la volonté d’Etat, pas de liberté de marché mais les monopoles d’Etat, pas de régime des changes mais une autarcie non-convertible d’Etat. Quelque chose comme la Chine avant Deng Xiaoping ou la Corée du nord du Grand leader incomparable Kim Jong-un.

Pourquoi ces ennemis sont-ils communs ? Parce qu’ils viennent de la tradition protestante anglo-saxonne, bien loin de l’autoritarisme catholique ou orthodoxe (ou en Turquie musulman), traduit il y a peu dans l’infaillibilité du Pape ou du Parti.

Quoi : lire tout seul la Bible comme le voulaient les Protestants ? Donc apprendre à lire à tous, y compris aux femmes et aux humbles ? Que chacun puisse juger par soi-même – donc « se faire avoir » par les forces du Mal (patrons, consommation, désirs) ? Ou créer son entreprise pour « faire de l’argent » et pas pour « créer des emplois » ?

  • Rien de pire pour un cégétiste (qui n’a jamais lu la loi Travail mais seulement les préjugés et contrevérités dont son syndicat emplit ses tracts). L’existence est simple : il y a d’un côté les patrons – immondes, forcément immondes comme dirait la Duras – et de l’autre les angéliques travailleurs « qui n’ont que leurs bras » (en effet, on se demande où sont leurs têtes dans l’avalanche de contrevérités et le jusqu’au-boutisme sans avenir qu’ils acceptent sans réfléchir). Dans cette guerre civile, il s’agit donc de rapports de force. Bloquer le pays avec peu est donc « le droit » d’imposer sa minorité, au nom de la volonté générale.

moustachu cgt

  • Rien de pire pour un frontiste (qui se moque du parlementarisme mais considère seulement la nation). L’existence est simple : il y a d’un côté l’élite apatride – cosmopolite et universaliste, multiculturelle – et de l’autre l’angélique « peuple réel » enraciné, attaché à ses habitudes, mœurs et traditions. Dans ce divorce croissant qui devient guerre culturelle (avant peut-être la guerre civile comme sous Mussolini et Hitler), il s’agit de rapports de force. Qui t’a fait roi ? demande-t-on à l’élu. Qui représentes-tu ? Et revoilà le mandat impératif que les Jacobins pratiquaient, avant que le droit constitutionnel ne rende l’élu représentant du peuple tout entier. Faire basculer le pays avec le grignotage quasi salafiste « à la base » des élus de terrain et des associations locales, permettra donc de renverser la hiérarchie des normes et de replacer le local avant le global (tout l’inverse de ce que veut la CGT sur la loi Travail, d’ailleurs).

national pride

Mais tous deux, CGT comme Front national, de vilipender « le capitalisme » (au nom des monopoles d’Etat), la soumission aux Yankees (au nom de la soumission au tsar Poutine), le parlement-croupion où des députés-godillots votent comme leur majorité sans penser (au nom de la révélation permanente du peuple par lui-même – évidemment manipulé par la petite caste du parti).

Ils sont pour la « démocratie » directe, ces bons patriotes… C’est-à-dire pour la prise de pouvoir par la force d’une minorité sur la majorité – tout comme fit Lénine en 1917. Au nom de leur volonté à eux, censée être la Vraie, la Pure, l’expression du Peuple réel même : travailleurs pour les uns (comme si les « patrons » ne travaillaient pas), communauté nationale pour les autres (comme si « être né » suffisait aux talents).

Penser par soi-même, voilà l’ennemi ! « Réagir » selon sa caste, sa classe, sa race – voilà le réflexe « sain » pour ces « réactionnaires ».

Car il s’agit bien de « revenir à » un Ancien régime, celui des Trente glorieuses pour la CGT, celui d’avant la Révolution pour le Front national. L’individualisme est destructeur : de la race et de la nation par mariages mixtes et cuisines exotiques, premiers pas vers le « multiculturalisme » qui relativise tout par utilitarisme marchand. L’individualisme permet de placer l’entreprise au-dessus de la branche, pour s’adapter au terrain, ce qui va contre l’égalitarisme forcené des cégétistes Jacobins – qui n’ont jamais voulu voir qu’une tête, que ce soit à l’école (contre les intellectuels traités hier de pédés, aujourd’hui de bouffons), à l’armée (penser, c’est déjà désobéir), dans la société (être différent, c’est être non-conforme, donc rejeté), dans l’entreprise (voir son intérêt est être « jaune », donc être tabassé), en politique (trahir sa classe).

Libéralisme, individualisme, démocratie, capitalisme : tout ça dans le même sac, à l’extrême gauche comme à l’extrême droite. La société est unité organique, le syndicat unité de classe : il n’y a pas à sortir de là.

La liberté ? Mais qu’est-ce là ? La liberté de savoir et d’apprendre qui creuse les inégalités entre les gens ? La liberté de créer et d’entreprendre qui marque ceux qui osent de ceux qui restent ? Le capitalisme est l’expression économique de cet individualisme fondé sur la liberté : c’est cela même qu’il faut combattre !

Pour rester entre soi, c’est l’égalité qui prime, la fraternité viendra en sus. La liberté, si l’on veut conserver ce terme bourgeois, c’est d’obéir volontairement à la loi qu’on s’est choisie (Rousseau dixit). Autrement dit : ferme ta gueule et fait comme tout le monde, sinon…

Le cégétisme comme le frontisme aboutissent donc inéluctablement à la fin du débat, à la fin de la pensée, à l’alignement « organique » sur la volonté générale – dont « le droit » serait discrétionnaire et non opposable. Seule façon d’imposer l’égalité ? – La dictature. Car qu’est-ce que l’inverse de la liberté à votre avis ? L’inverse du libéralisme ? L’inverse de la démocratie – où chacun débat sur l’agora ?

Allez, faites un effort personnel : cherchez dans le dictionnaire les antonymes de ces concepts dont chacun a la bouche pleine sans plus en sentir la saveur. Vous verrez…

Catégories : Politique | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

On attend un Comité de vigilance des intellectuels antidaechistes

Requiem pour la presse libre, en tout cas pour la douzaine de Charlie Hebdo, massacrés hier aux armes lourdes. Ah, je sais ! Pas d’amalgame, pas de stigmatisation, « attendons » que la justice fasse son travail, blabla… Mais un tel attentat est signé. Commando cagoulé, armes lourdes, punition contre les livres (Haram les booko !) et contre la liberté de se moquer : on reconnait sans peine (et sans aucun tabou) l’islamisme radical. Après Toulouse et Bruxelles, les retours de flamme du califat se poursuivent et signent.

charlie hebdo prophete

Ne serait-il pas temps d’affirmer les limites ? Car en nos sociétés européennes vivent des minorités attirées par le djihad, par une version tordue de la religion, par un intégrisme de revanche. Ne serait-il pas temps de distinguer publiquement l’islam de l’islamisme, la foi du permis de violer et d’asservir, le crime de guerre du combat identitaire ?

Notre gauche braillarde des ‘Indignés’ constitue-t-elle un Comité de vigilance des intellectuels antidaechistes, comme hier antifasciste ? Ou une Action antidaechiste Paris-Banlieue ? Il semble que non… L’indignation a ses humeurs, les valeurs attendront ; elles ne sont après tout que des cache-sexe pour faire jouir sa bonne conscience. Surtout quand les bobos intellos pètent de trouille, n’osant même pas lire Houellebecq de crainte de rencontrer le diable ! C’est votre lâcheté, bobos « de gauche » bénévolante qui trouve « pittoresques les petites mosquées », « relativisent » les prêches radicaux, trouvent « incroyablement romantiques ces jeunes qui vont en Syrie », comme avant-hier Malraux guerroyer républicain en Espagne et Régis Debray guerriller marxiste auprès de Guevara.

charlie hebdo voiler violer (2)

Aujourd’hui est Daech, donc certainement le daechisme – car l’islam radical est une foi totalitaire et impitoyable. Demain verra peut-être le fascisme, car la réaction des nations est brutale lorsqu’on touche à l’intime.

D’où vient ce daechisme brutal ? Du kyste juif dans la chair arabe depuis 1947 sans doute, mais cela ne fait qu’exacerber ce qui est plus profond : le grand vide de nation, d’État, de projet social, d’identité – de tous les pays de l’arc musulman, du Maroc au Xinjiang. Autoritarisme, népotisme, corruption, sous-développement – malgré les dons, les subventions, le pétrole. Le « printemps arabe » avait donné un certain espoir; il s’effondre dans l’archaïsme, l’ignorance et les mafias cléricales qui captent Allah à leur seul profit.

La guerre entre Juifs et Arabes sur le territoire biblique revendiqué par les deux religions est en train de devenir une guerre de cent ans. Depuis les négociations de Camp David, chacun s’est enfermé dans la bonne conscience, se voyant comme unique victime de la barbarie de l’autre. La guerre apparaît à chaque flambée comme une impasse, la politique comme une surenchère démagogique d’intransigeance des deux côtés. L’immigration juive orthodoxe a radicalisé le national-judaïsme, la Terre idéalisée bloquant tout gouvernement par la représentation strictement proportionnelle qui empêche d’être légitime sans une large alliance de compromis. Le Hamas national-islamiste est paranoïaque pour la Palestine dans les années 40 et fondamentaliste par contamination des Frères musulmans dans les années 50. Ce mouvement est cruel par sectarisme, n’hésitant pas à exécuter – en pleine guerre contre Israël – certains de ses militants soupçonnés de faiblesse, ni à utiliser la population comme bouclier pour cacher des armes, des entrées de tunnels ou des réunions de chefs. Malgré l’ONU (impuissante), les bonnes intentions des pays occidentaux (soumis au veto du lobby juif américain) et le cynisme russo-chinois (tout chaos permet d’affaiblir les États-Unis), la situation négociée des « deux États » n’est pas prêt de voir le jour.

amants arabe et juif
Dans la région alentour, la naïveté missionnaire des États-Unis poussée par le désir de se venger des attentats terrestres (World Trade Center 1993, base militaire américaine de Dhahran en Arabie saoudite 1996, ambassades des États-Unis à Dar es Salaam en Tanzanie et à Nairobi au Kenya 1998), maritime (USS Cole 2000) et aérien (World Trade Center 2011), a créé le chaos. Les talibans sont chassés d’Afghanistan mais survivent dans les zones tribales frontalières du Pakistan, tandis que « l’État des purs » (musulman) joue double jeu, son gouvernement acceptant les subsides américains pour son armée mais ses services secrets (ISI) protégeant largement les groupes islamistes opposés à l’Inde, l’ennemi héréditaire. Jusqu’à « ignorer » la retraite paisible de Ben Laden, le tueur en série, à Abbottabad, un kilomètre et demi proche de la plus grosse académie militaire pakistanaise…

charlie hebdo mahomet et les cons

Dans ce vide créé par la guerre depuis 2001 – puis par l’abandon américain dès 2013 – prolifèrent tous les extrémismes mafieux qui revendiquent Allah pour imposer leur bon plaisir sur un territoire qu’ils appellent « califat ». Un nouvel empire de mille ans au nom de la race ? Non, de la religion – ce qui revient au même ou presque : qui n’obéit pas aux mêmes rites, même s’il est musulman, est envoyé en camp et réduit en solution finale. Ce Nationalisme et cet islamisme font un cocktail détonnant, qui a œuvré sous d’autres climats au siècle précédent pour créer le pire totalitarisme. Le marxisme laïc du parti Baas a échoué, comme le nationalisme arabe ; ne reste plus que l’archaïsme fondamental du Livre, interprété littéralement. Cette foi totalitaire attire dans le monde entier car elle rassure les mal dans leur peau qui cherchent leur virilité, offrant une revanche aux frustrations sociales et à la victimisation historique. Les Italiens de Mussolini comme les Allemands de Hitler, ont connu ces mêmes moments de ressentiment et de haine de soi, avec les conséquences que l’on sait.

ado chiite se fouette

Mais sunnites et chiites s’affrontent pour l’interprétation fondamentale du Coran. Selon Mathieu Guidère, professeur d’islamologie à l’université Toulouse 2, « pour les sunnites, le chef de la communauté musulmane doit être un homme ordinaire, élu par d’autres hommes, parmi les membres de la communauté des fidèles. Pour les chiites, la communauté musulmane ne peut être dirigée que par les descendants de la famille de Mahomet, des imams qui tirent directement leur autorité de Dieu et qui sont donc meilleurs et infaillibles » (revue Le Débat 182, novembre 2014). Reste que les deux sont d’accord par leur refus de séparer Dieu et César : l’islam est un guide de vie total, alliant politique et religion. Or le Livre dit tout et son contraire, justifiant de faire la guerre aux juifs et chrétiens mais leur permettant aussi un statut protégé ; interdisant d’asservir un musulman mais permettant des exceptions au bon vouloir des imams… et ainsi de suite.

Daesh massacre

L’effondrement ou l’illégitimité des États nés de l’occupation américaine (Afghanistan, Irak), l’opportunité ouverte en Syrie par la répression aveugle, font que « le djihad » attire dans la région tout ce que le monde compte de croyants, d’exaltés et de psychopathes. Les dirigeants américains sont restés longtemps complaisants envers l’islamisme, ils voient tous les mouvements religieux menés par une exigence spirituelle et une rigueur morale analogues à la leur, chrétienne – bien loin de « l’immoralité » qu’ils attribuent aux marxistes, baasistes ou anarchistes. Les vidéos par Internet ont diffusé dans le monde entier la violence et la licence sans limites des « croyants » brandissant Allah pour éradiquer l’infidèle, qu’il soit arabe ou blanc, sur le territoire de chasse reconquis de l’islam historique.

Mais disons-le : Daech n’est ni État, ni islamique ; il est une bande de nervis inféodés à un chef sanguinaire qui veut imposer sa terreur par le viol, le meurtre et le pillage. Les daechistes sont les fascistes d’aujourd’hui, avec la même foi en le sang et le sol, la même volonté de domination sur les « esclaves », la même hystérie guerrière pour tremper leur virilité machiste menacée par la modernité.

daesh crucifie

Sommes-nous toujours humanistes des Lumières et démocrates libéraux ?

  • Si oui, « le daechisme ne passera pas ».
  • Sinon, attendez-vous à la servitude volontaire, car les « droits de l’homme »vont être réduits aux seuls droits des mâles islamistes armés, la politique daechiste consistant à accaparer, violer et tuer, réduisant légitimement en esclavage toutes les femmes et tous les garçons non convertis, faisant des autres des soldats au service du chef. Comme cela se passe en Syrie selon les repentis de retour. En Europe, Charlie Hebdo le prouve après les juifs de Merah et le musée de Bruxelles, il s’agit de menacer, de terroriser, de faire taire tout esprit critique. Tout en cherchant à monter les Français « de souche » contre les Arabes « immigrés », afin que le chaos s’installe et que prolifèrent les mafias comme en Syrie, en Irak, en Afghanistan, au Nigeria, au Mali – sur l’exemple de la Bosnie d’hier.

Pour ces barbares, il s’agit de promouvoir « les idéaux de ‘rénovation’ nationale et de puretéécrit la doxa Wikipedia. Croire, obéir, combattre deviennent des valeurs, analyser et critiquer de l’insubordination. Il est donc nécessaire de faire naître un sentiment d’urgence, de désigner un ennemi commun cherchant à détruire le collectif et contre lequel le groupe tout entier doit se mobiliser. » L’article concerne le fascisme…

Abdallah Tintin au pays de l or noir

Pasolini l’écrivait déjà, en 1975 : « Une bonne partie de l’antifascisme d’aujourd’hui, ou du moins ce qu’on appelle antifascisme, est soit naïf et stupide soit prétextuel et de mauvaise foi. En effet elle combat, ou fait semblant de combattre, un phénomène mort et enterré, archéologique qui ne peut plus faire peur à personne. C’est en sorte un antifascisme de tout confort et de tout repos. » Il voyait le fascisme contemporain à combattre dans la société de consommation molle de son époque ; voyons-y de nos jours l’imprégnation de la violence et du romantisme sexuel et guerrier du ‘tout est permis’ Daech.

Alors, à quand votre vigilance contre le daechisme, intellos bobos ? A moins que Daech ne constitue la nouvelle « révolution culturelle » chère à votre vieille jeunesse, cette resucée de la « révolution nationale » des années 40 ?

Catégories : Géopolitique, Religions | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

René Rémond, La Droite en France de 1815 à nos jours

René Rémond La droite en France

Il fallait du courage pour publier une étude sur la droite dans une époque d’hégémonie intello de gauche. C’est le mérite de René Rémond d’avoir bravé la doxa des terroristes en chambre tels que Sartre et ses avatars Homo Normalsupiens – dès 1954.

L’historien de la politique René Rémond, que j’ai eu l’honneur d’avoir pour professeur à Science Po il y a quelques décennies, a défini trois droites, issues de l’histoire nationale depuis la Révolution. Il en fait pour chacune un ideal-type, une trame commune schématique mais opératoire.

La droite légitimiste, hier pour le roi, l’ordre et la société organique (réactionnaire contre la Révolution), est conservatrice, attachée à la culture nationale et aux institutions stables allant, pour sa marge, jusqu’à refuser les changements apportés par 1968, 1945 ou 1789. Elle est aujourd’hui souverainiste, traditionaliste et parfois catholique – pas très libérale même en économie, portée aux hiérarchies et à l’ordre moral. Mais elle peut rassembler sur certains thèmes intimes comme la filiation ou l’éducation d’autres religions du Livre et même certains laïcs effarés du « droit » purement individualiste ambiant.

La droite orléaniste, hier pour la république éclairée parlementaire, les corps intermédiaires et le mercantilisme, prône la séparation du public et du privé pour préserver les libertés et assurer la promotion au mérite et le goût d’entreprendre. Elle veut aujourd’hui déréglementer pour donner de l’air et réduire ces monopoles aux avantages qui ne se justifient plus ; elle désire adapter la France au monde via une Union européenne revivifiée mais, sociale-humaniste ou démocrate-chrétienne, encourage le syndicalisme pour qu’il soit pluriel et moins inféodés aux idéologies politiques.

La droite bonapartiste, hier autoritaire et directe, nationale populaire et un brin sociale, veut aujourd’hui encore rassembler derrière une figure apte à maintenir l’unité de la nation. Napoléon III en était, Charles de Gaulle aussi, tous deux férus d’appels direct au peuple. Moins Jacques Chirac (plutôt « travailliste à la française » ou radical-non-socialiste), encore moins Valéry Giscard d’Estaing (orléaniste, libéral). Nicolas Sarkozy en a adopté une variante personnelle qui sert plus son ambition que le pays.

La France a-t-elle connu une quatrième droite « révolutionnaire » ? Non, répond Rémond, et il détaille ce point de vue d’historien dans son livre de 2005. La France n’a pas été fasciste, même sous Pétain (à l’exception peut-être de Jacques Doriot, ex-communiste devenu nazi). Le maréchal était plus un conservateur catholique traditionaliste (comme Franco ou Salazar) qu’un révolutionnaire comme Mussolini ou un Hitler – il était trop âgé, 84 ans en 1940. Les mouvements de jeunesse revivaient le souvenir des anciens combattants et le ruralisme écologique du mouvement scout, plus que la volonté de changer le monde des jeunesses fascistes ou hitlériennes – la jeunesse était rare dans les années de classes creuses saignées à blanc par la guerre de 14. Même si l’israélien Zeev Sternhell persiste et signe, tout entier avide de culpabilité française, sa conception du « fascisme » est trop étendue pour ne pas s’appliquer à n’importe qui… y compris à Israël même où les Juifs intégristes attisent la violence et encouragent la colonisation, tout en refusant le service militaire pour défendre leur action. Pourquoi la France, comme le Royaume-Uni, n’ont pas viré fascistes, malgré quelques groupes qui revendiquaient cet exemple ? Parce ces deux pays sont sortis vainqueurs de la Première guerre mondiale, au contraire de l’Italie et de l’Allemagne, que la crise des années 30 a moins touché la France encore très agricole que l’Allemagne déjà très industrielle, que l’unité française s’est effectuée dès Philippe le Bel et pas au XIXe siècle comme l’Allemagne et l’Italie, et que l’expérience de la république (sinon de la démocratie) avait déjà un siècle et demi.

Le courant bonapartiste, rappelle René Rémond, est né avec le suffrage « universel » de 1848 dont il faut rappeler qu’il était quand même réservé aux mâles de plus de 21 ans, citoyens et non interdits par la loi… ce qui relativise ce fameux « universel » dont les bobos se gargarisent. Césariste et macho, le bonapartisme est le cœur de la mentalité citoyenne française : il se traduit à droite par l’homme providentiel qui rassemble les petits intérêts et fusionne la nation ; à gauche par le jacobinisme centralisé porté par le « progressisme » sans cesse activé, sans cesse insuffisant, au risque de tourner à vide dans le tourbillon incessant des nouveaux « droits ».

droite en france R Rémond

Aujourd’hui, à droite, qui ?

Le gaullisme était une forme de bonapartisme, à la fois conservateur et moderniste mais le gaullisme, 45 ans après la disparition de son fondateur, s’est peu à peu effacé : que peut donc être un volontarisme sous la construction de l’Union européenne et l’emprise de la mondialisation ? De même, les TIC (technologies de l’information et de la communication) ont renvoyé au XXe siècle la vision du monde ancrée dans la grande histoire comme la façon de gouverner du général De Gaulle.

Reste son inspiration, soucieuse de l’intérêt national et de la grandeur de la France, préoccupée de rassembler pour faire travailler ensemble à l’œuvre commune, méprisant « les petits partis qui cuisent à petit feu leur petite soupe dans leurs petits coins », comme il aimait à le dire… Inspiration que Jacques Chirac avait endormie (sauf sur l’Irak) et que Nicolas Sarkozy n’a pas reprise, homme pressé et sans vision, pragmatique de la gagne plus qu’au-dessus des partis, préférant volontiers son intérêt personnel à l’intérêt général.

Alain Juppé pourrait reprendre le flambeau, en homme de synthèse volontaire et modéré, prêt à travailler avec François Bayrou – mais il est peu charismatique, cette autre caractéristique du bonapartisme de droite.

Bruno Le Maire affirme des valeurs gaullistes, à l’école de Villepin, avec une subtilité rare chez un énarque et une puissance de travail évidente – mais il n’a pas l’entregent populaire d’un Chirac, ce qui le handicape pour gagner, ni la posture de « sage » revenu de presque tout d’Alain Juppé.

Quant à François Fillon, est-il bonapartiste ? Son inaptitude personnelle à envisager qu’il puisse un jour gagner (révélée lors de son duel ridicule avec Copé), le disqualifie probablement pour la course finale à l’UMP.

Les trois types de droite ont évolués depuis l’analyse de René Rémond en 1954, mais les permanences historiques des tempéraments subsistent : souverainistes conservateurs, libéraux plus ou moins sociaux, rassembleurs plébiscitaires. Reste le message subliminal de l’inconscient français que la droite est directe, franche, droite – tandis que la gauche ne saurait être que maladroite, de travers, tordue : il existe bien un tempérament de droite et un tempérament de gauche.

René Rémond, La Droite en France de 1815 à nos jours, 1954, édition révisée 1992, Aubier-Montaigne, 544 pages, €56.00 non réédité, occasion
René Rémond, Les Droites aujourd’hui, 2005, Points histoire 2007, €9.10

L’équivalent pour la gauche : Jacques Julliard, Les gauches françaises.

Catégories : Livres, Politique | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Jaurès, mort en 14

Il y a un siècle, juste avant la Grande guerre que célèbre tant François Hollande, dans un monde à jamais finissant, un étudiant inspiré par l’Action française assassinait Jean Jaurès, socialiste emblématique, au café du Croissant, rue Montmartre à Paris. Trois jours plus tard, le nationalisme patriotard envahissait les esprits, la guerre était déclarée et les millions de morts allaient joncher les champs, les bois et les monuments des villages.

jaures et l humanite

Célèbre et méconnu, Auguste Marie Joseph Jean Léon Jaurès était né paysan sous Napoléon III, élevé au méritocratisme républicain avec bourse, entré par ses propres forces à Normale Sup, ce temple de la bourgeoisie parisienne, avant d’entreprendre une carrière d’enseignant Troisième République. On aurait pu rester dans Pagnol, on se retrouve dans Hugo. L’orateur barbu popu, Tartarin tonnant du Tarn, a la générosité naïve de ceux restés près du peuple. Il est élu député républicain. Ce n’est qu’après la grève des mineurs de Carmaux, contre le licenciement d’un ouvrier trop absent du fait de ses fonctions de maire, que Jaurès se révèle socialiste : il n’accepte pas la remise en cause du suffrage universel par les nantis propriétaires.

Saint laïque pour la gauche française, il fonde le Parti socialiste, le journal L’Humanité puis la SFIO. Arrimé à la base, il reprend les idées de Marx non sans les critiquer (notamment le naïf coup de force prôné par le Manifeste), mais il reste avant tout chrétien humaniste, désirant prolonger la marche en avant du Progrès humain dans l’Histoire commencée sous les Juifs de la Bible. Il croit à la république et à l’extension des droits démocratiques de tous contre les égoïsmes des possédants, la puissance de l’argent ou l’arbitraire des institutions (ce pourquoi il a défendu Dreyfus). Sans pour cela ravaler les bourgeois ou les Juifs financiers au rang de cloportes à écraser : « Nous ne sommes pas tenus, pour rester dans le socialisme, de nous enfermer hors de l’humanité ». Les revanchards de la gauche contemporaine devraient méditer cette morale – dont ils ont pourtant plein la bouche.

Si Jaurès reste une icône, c’est qu’il représente ce XIXe siècle qui s’est fini le 2 août 1914.

1. Il a la pureté du socialisme idéaliste, jamais encore compromis avec le pouvoir (et les reniements du vote des pleins pouvoirs à Pétain, l’Algérie c’est la France du ministre Mitterrand et la mobilisation du contingent par Guy Mollet, les trois dévaluations de 1981-82 et les « affaires » du septennat finissant, sans parler du mensonge Cahuzac et des fausses promesses du béat qui nous gouverne).

2. Il a l’esprit critique républicain, formé aux écoles classiques, sans jamais devenir cet « idiot utile » du communiste de parti comme furent Sartre, Aragon, Duras et tant d’autres intellos ou artistes. Au contraire, écrivaient avec Jaurès dans L’Humanité des personnalités originales comme Anatole France et Jules Renard.

3. Il a la naïveté universaliste, au temps où l’Occident croyait encore en sa mission civilisatrice et se voyait comme l’Universel en marche pour l’humanité entière, à la Victor Hugo – temps bien enfui depuis que le « tiers » monde a émergé à marche forcée.

4. Il a le socialisme encore humaniste, avant le national et avant le collectiviste, ces deux mamelles de Marx & Engels tétées par Mussolini et par Lénine, chacun des deux inspirant des épigones bien pires encore (Hitler, Mao, Pol Pot, Kim Jong il). Le socialisme « réalisé » (ainsi qu’on disait en URSS) a plus fait CONTRE le socialisme que le diable capitalisme : dès que les peuples enfermés par le rideau de fer ou de bambou l’ont pu, ils ont très vite voté avec leurs pieds – préférant vivre avec « le diable » que sous la « morale socialiste ».

5. Il a le socialisme démocrate, ancré dans la base ouvrière, celle qui s’est perdue après Mitterrand et que les montebourgeois qui plastronnent insultent de nos jours par leurs rodomontades de communicants, tout dans les mots, rien dans les faits. « A la question toujours plus impérieuse : comment se réalisera le socialisme ? il convient donc de répondre : par la croissance même du prolétariat qui se confond avec lui. C’est la réponse première, essentielle : et quiconque ne l’accepte point dans son vrai sens et dans tout son sens, se met nécessairement lui-même hors de la pensée et de la vie socialistes » (1901, Question de méthode – à Charles Péguy).

jaures assassine paris cafe le croissant

François Hollande, au lieu de « célébrer » la guerre, pourrait utilement redonner du sens à Jaurès : il pointerait combien il reste peu de socialistes en vérité, malgré leur appartenance de circonstance au parti qui distribue les places.

Le socialisme XIXe de Jaurès est mort en 14, le socialisme contraignant de l’URSS est mort en 89, le socialisme jacobin donneur de leçons franco-français est mort en 14 (un siècle après), lors des Municipales et des Européennes… Reste à inventer le nouveau – et probablement sans les socialistes !

Catégories : Politique | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Genre rétro

Un « grand débat de société » amuse la galerie ces temps-ci en France. Comme les politiciens sont impuissants à conforter l’économie et que leurs outils sont obsolètes, comme l’éducation dite « nationale » et la formation dite « permanente » ne préparent en rien à faire confiance, à travailler avec les autres, à entreprendre ou créer, comme la seule issue d’un gouvernement aux abois est de taxer encore et toujours sans jamais réduire la dépense – une diversion existe : l’idéologie.

Elle fait appel aux croyances et surtout pas aux faits ; elle agite les mythes rassembleurs et clive les appartenances ; elle ne met pas la raison en tête mais le cul en premier. Car qu’est-ce que cette rationalité tant vantée chez les socialistes de gouvernement comme chez les chrétiens activistes de Civitas – puisqu’ils s’assoient dessus ? Leur discours cul par-dessus tête affirme « la » théorie du genre. Or elle n’existe pas : seules « des » études de genre existent dans les universités américaines (Gender studies). Même si des députés socialistes affirment le contraire, dans leur inculture crasse formatée éducation nationale ; même si la porte-parole d’un gouvernement de Bisounours le répète, dans son féminisme hargneux de minorité visible.

baigneur garcon

Écoutons Sylviane Agacinski, philosophe rationnelle accessoirement épouse de Lionel Jospin : « Dans la mesure où le genre désigne le statut et le rôle des hommes et des femmes dans une société, c’est en effet une construction historique et culturelle. Ce qu’il faut défaire, c’est la vieille hiérarchie entre hommes et femmes : c’est ce qu’ont voulu les féministes. En revanche, cette déconstruction n’abolit pas la différence sexuelle… » Voilà qui est dit, et bien dit. Que je sache, ce ne sont pas les hommes qui portent à ce jour les enfants dans leur ventre. En revanche, les hommes comme les femmes sont capables au même titre d’élever les enfants. Françoise Héritier, anthropologue, ne dit pas autre chose : la différence biologique existe, mais l’être humain n’est pas que biologique, il n’est pas conditionné par ses programmations instinctives, comme les fourmis. Il est un être social qui, sitôt né tout armé de gènes, est plongé dans le milieu physique, familial, social, national et culturel pour se développer et construire sa personnalité.

La vieille querelle de l’inné et de l’acquis ne concerne que les croyants des religions du Livre. Ils ont cette foi que Jéhovah/Dieu/Allah a tout créé en sept jours, tout dit lors de la Chute du paradis terrestre en vouant les humains à travailler et enfanter dans la douleur pour avoir osé être curieux de connaissance. Les dérivés laïcs de ces croyances (rousseauisme, socialisme, positivisme, gauchismes et écologismes divers) gardent la foi qu’un Dessein intelligent existe (la Nature, l’Histoire, le Progrès) et que découvrir ses lois permettra la naissance d’un Homme nouveau – beau, intelligent, épanoui, en bonne santé…

Dès lors, surgissent comme partout les activistes et les conservateurs.

Ceux qui veulent conserver souhaitent que rien ne bouge, car tout est bien. Créé une fois pour toutes, dans la perfection de l’Esprit omniscient et tout-puissant, il « suffit » de découvrir le Sens pour être enfin apaisé, fondu dans le grand Tout divin.

  • Découvrir le sens littéral du Texte tonné sur la montagne ou susurré tel quel par l’ange messager Gabriel/Djibril dans l’oreille du prophète.
  • Découvrir le sens du progrès historique par les lois marxistes « scientifiques » de l’économie, donc de la sociologie, donc de la politique, donc du mouvement historique.
  • Découvrir les équilibres non-prédateurs de l’humain dans son milieu planétaire, donc renoncer au néolithique, cette appropriation de la terre pour la cultiver, engendrant la propriété privée et la thésaurisation des récoltes, donc les États et la guerre, donc le machisme, l’esclavage, le colonialisme, l’exploitation de l’homme par l’homme jusque dans les usines et les bureaux.

Pour les conservateurs croyants, il suffit d’attendre que la Vérité émerge, que la Voie se dégage – et l’avenir sera radieux, forcément radieux.

Pour les activistes de ces mêmes croyances, la destinée écrite de tous temps a besoin d’un coup de pouce, d’un coup de main ou d’un coup de force – selon leur radicalité. La société nouvelle doit accoucher dans la douleur. D’où cette fascination pour les révolutions, qu’elles soient françaises passées (on ne parle jamais de l’anglaise, pourtant plus ancienne et bien plus efficace !), marxiste-léniniste, maoïste, castriste, arabes, ukrainienne, vénézuélienne, notre-dame-des-landaise…

Les conservateurs mettent en avant le temps, qui fera naître inéluctablement le progrès ; les activistes mettent en avant la volonté politique, qui fera accoucher au forceps ce même progrès. D’un côté Civitas (et tous les religieux intégristes), de l’autre le parti Socialiste (et tous ses avatars plus ou moins radicaux). C’est ainsi qu’il faut commencer à la racine : dès l’enfance, dès l’école.

Le gène serait une contrainte qui conduit à la famille, donc à l’inertie conservatrice. Nier le gène au profit de la construction revient à changer l’homme dont on a déjà écrit les Droits sur une table de la Loi. « On ne naît pas femme, on le devient », disait Simone de Beauvoir, masculinisée en Castor (Le deuxième sexe). Son compagnon Jean-Paul Sartre lui-même, disait la même chose des Juifs, on ne l’est que par le regard des autres : « C’est l’antisémite qui fait le Juif » (Réflexions sur la question juive). Demandez aux Juifs (ou aux Corses, Arméniens, Bretons et autres) s’ils sont d’accord…

collegiens torse nu au vestiaire

Le biologique est donné, le social est construit. Ce qui fonctionne sur l’appartenance ethnique et culturelle fonctionne pour le sexe. La propension majoritaire hétérosexuelle est autant le résultat de la société et de l’éducation que la propension minoritaire homosexuelle. Il n’y a aucune « raison » à penser que la répression de l’homosexualité suffit à l’éradiquer – ni que l’encourager suffit à éviter l’attirance pour l’autre sexe. Les Grecs antiques comme les Anglais victoriens aimaient pour partie les beaux éphèbes et pour partie les femmes : ces deux sociétés n’ont en rien disparues faute de descendance ! Leur sensualité était surtout indifférente à la distinction des genres…

C’est la symbolique politico-religieuse qui fonde une société, pas la biologie, montre Maurice Godelier. Or les humains ne font société que par le symbole : « déconstruire » est scientifique, mais construire est une exigence si l’on veut faire société. Une société ne fonctionne pas sur le seul rationalisme scientifique, trop réducteur pour embrasser l’humain. Le désir n’a pas de « sens social », seule la reproduction en a un, d’où l’encadrement de la sexualité par la religion, la morale et la loi dans tout groupe humain partout dans le monde et dans l’histoire des primates (eh oui, les singes aussi sont « sociaux »). Les sociétés humaines ne se sont donc pas fondées sur le ‘meurtre du père’ selon Freud, mais sur un refoulement sublimé, ou canalisé par les rites, du désir forcément asocial (anarchique).

Brice Couturier dans un Matin récent de France Culture, a fort justement insisté sur la différence entre égalité entre les sexes – objectif légitime et consensuel – et déconstruction des stéréotypes de genre qui relève d’une tout autre logique. Les stéréotypes sont partout : l’esprit critique et la raison consistent à les déconstruire – non pour les abandonner totalement avec horreur, mais pour comprendre comment ils fonctionnent – et accepter ceux qui sont nécessaires. Par exemple, Poutine comme nouveau Mussolini est un stéréotype actuel répandu : il est partiellement vrai ou, du moins, il trahit peu la vérité (qui est plus nuancée, dans son contexte et l’histoire d’aujourd’hui). Poutine vu comme nouveau Mussolini permet de comprendre comment il fonctionne, le stéréotype peut être ainsi un schéma pour l’action.

Mais les stéréotypes ne sont pas des modèles de comportement. Les enfants qui construisent leur personnalité ont besoin de modèles sociaux, ils n’ont besoin ni de foi (affaire personnelle) ni de préjugés (le nom vulgaire des stéréotypes). Les « mythes » en société existent, Roland Barthes a écrit un beau livre là-dessus ; on peut en jouer, aimer les belles histoires – sans pour cela les croire ni sacrifier à leurs incitations. Caroline Eliacheff : « stéréotypes. Ceux-ci ne sont pas immuables : on peut proscrire ceux qui introduisent une hiérarchie ou des comparaisons dévalorisantes; on peut ne porter aucun jugement sur les enfants qui ne s’y conforment pas : libre à eux de se dégager des stéréotypes mais pas de les ignorer. Ce n’est pas la même chose de « faire comme les garçons » et « d’être un garçon » ». Le film Tomboy est à cet égard éclairant !

Ce pourquoi il faut faire confiance à l’esprit critique et au libre examen – attitude intellectuelle qui n’est possible qu’en démocratie – et pas chez les croyants du Livre qui – eux – doivent obéir au Texte d’en haut. Critiquez Poutine en Russie et vous aurez cinq ans de camp. Comme le modèle de Marine Le Pen est celui de Mussolini actualisé en Vladimir Poutine, les votants français devraient savoir ce qui les attend…

La neutralité de la raison n’est

  • ni le relativisme généralisé (tout vaut tout – donc enseignons au même niveau que la terre est plate puisque c’est ce que disent les religions du Livre – et qu’elle est ronde puisque c’est bien ainsi qu’on la voit de l’espace)
  • ni le rationalisme qui est une dérive réductrice de la faculté de raison (les trois ordres de Pascal ou de Nietzsche).

L’esprit critique n’est pas le scientisme – mais la méthode scientifique (partielle, incomplète, évolutive) est la seule méthode efficace que nous ayons pour l’instant trouvée pour approcher le vrai. Reste que si l’esprit critique est utile en société (pour innover, avancer, proposer), ce n’est pas lui qui FAIT société, mais un ensemble de mythes et de rites arbitraires – symboliques.

  • Déconstruire les stéréotypes sociaux du genre : oui.
  • Nier de ce fait qu’il n’existe plus ni homme ni femme mais une gradation sexuée où transgenres, gais, lesbiens et bi sont fondés en biologie : non.

L’acceptation des différences est sociale, mais la vérité biologique est scientifique.

Catégories : Politique, Société | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Nietzsche pour l’Europe

Frédéric Nietzsche était européen bien plus qu’allemand ; il exécrait tous ces braillards nationalistes ou antisémites, trop peu sûr d’eux-mêmes pour être forts. Le bouc émissaire est toujours le choix des faibles, de ceux dont « le système digestif » est fragile. Mais ce qu’il constate dans Par-delà le bien et le mal (1886) est ambivalent : une humanité positive qui dépasse les étroites nations – mais une humanité trop flexible, démocratique et bavarde, qui pourra aspirer à un tyran. Et il n’avait pas encore entrevu mai 68…

Nietzsche Par dela le bien et le mal

« Les Européens commencent à se ressembler tous ; ils se détachent graduellement des conditions qui font naître des races liées au climat et aux classe sociales ; ils s’affranchissent de plus en plus de tout milieu défini qui pourrait, au cours des siècles, imprimer aux âmes et aux corps des besoins identiques. Ce qui s’accomplit, c’est donc le lent avènement d’une humanité essentiellement supranationale et nomade, qui physiologiquement présente comme trait distinctif un maximum de don et de puissance d’adaptation. (…)

 » Et d’autre part, dans l’ensemble, ces Européens de l’avenir se présenteront sans doute comme des travailleurs bons à tout, bavards, de volonté débile et extrêmement adaptables, qui auront besoin d’un maître, d’un chef, autant que de leur pain quotidien : la démocratisation de l’Europe tendra donc à produire un type d’hommes préparés le plus subtilement du monde à l’esclavage, mais dans des cas isolés et exceptionnels le type de l’homme fort ne pourra que devenir plus fort, plus prospère et plus riche qu’il ne l’a jamais été, grâce à son éducation libre de préjugés, grâce à la prodigieuse diversité de ses activités, de ses talents et de ses masques. Ce que je veux dire, c’est que la démocratisation de l’Europe est aussi l’une des causes qui concourent involontairement à former des tyrans, le mot pris dans toutes ses acceptions, même dans la plus spirituelle. » §242 Aristote n’avait pas écrit autre chose en disant que la démocratie glisse volontiers à la démagogie, quand des politiciens agitateurs cyniques manipulent des citoyens ignorants mal éduqués. Et que la démagogie aboutissant à l’anarchie, le retour du bâton arrive très vite avec la tyrannie.

Nietzsche a eu, un demi-siècle avant, la prescience de Mussolini, d’Hitler et de Staline : « Ce siècle est le siècle des masses ; elles sont à plat ventre devant tout ce qui est ‘massif’. Qu’un homme d’État leur construise une nouvelle tour de Babel, un monstrueux empire à la monstrueuse puissance, ils l’appelleront ‘grand’. Qu’importe que nous, plus prudents et plus réservés, nous n’ayons pas encore renoncé à notre vieille croyance que seule la grande pensée fait le grand acte ou la grande cause ! » §241. Nietzsche n’aurait certainement pas adhéré au parti nazi ! Il l’aurait trouvé trop plébéien, trop ‘massif’, sans aucune ‘grande pensée’.

Mais il sentait en Allemagne les prémices d’un désir de dominer. « Parmi les peuples de génie, on distingue ceux auxquels est élu le lot féminin de la gestation et la tâche secrète de modeler, de mûrir, de parachever ; les Grecs étaient un peuple de cette espèce, pareillement les Français ; les autres qui se sentent appelés à engendrer, et à implanter dans la vie un ordre nouveau ; tels les Juifs, les Romains et, je pose la question en toute modestie, peut-être les Allemands » §248.

tuileries Paris

Pourquoi les Allemands ? Parce que trop récents comme nation, trop peu sûr d’eux-mêmes, trop peu de Kultur, au fond. « Peuple fait du plus prodigieux mélange et d’une macédoine de races, peut-être même avec une prépondérance d’éléments pré-aryens, ‘peuple du milieu’ dans toutes les acceptions du terme, les Allemands sont de ce fait plus inconcevables, plus amples, plus contradictoires, plus inconnus, plus déconcertants et même plus effrayants que d’autres peuples ne s’imaginent l’être. »

Il voyait les Russes comme plus ‘barbares’, ce qui est chez lui un compliment : doués d’une plus forte volonté de puissance. Cette endurance primitive a d’ailleurs fait l’essentiel de la victoire contre les armées allemandes pendant et après Stalingrad.

Nietzsche admirait les Juifs, contre la majorité de ses compatriotes… « Ce que l’Europe doit aux Juifs ? Beaucoup de bien, beaucoup de mal, et surtout ceci, qui relève du meilleur et du pire, le grand style en morale, la majesté redoutable des exigences infinies, des symboles infinis, le romantisme sublime des problèmes moraux, c’est-à-dire ce qu’il y a de plus séduisant, de plus capiteux, de plus exquis dans ces jeux de couleurs et ces séductions dont le reflet embrase aujourd’hui le ciel et notre civilisation européenne (…) Nous qui parmi les spectateurs sommes des artistes et des philosophes, nous éprouvons à l’égard des Juifs – de la reconnaissance. » §250

Ce qu’il détestait le plus, comme culture en Europe, était l’anglaise. Moins les individus que l’ambiance, la façon d’être. « L’Anglais, plus sombre, plus sensuel, plus énergique et plus brutal que l’Allemand, le plus vulgaire des deux, est pour cette raison plus pieux que l’Allemand ; c’est pour cela que le christianisme lui est encore plus nécessaire. Pour des narines tant soit peu délicates, ce christianisme anglais conserve un relent bien britannique de spleen et d’ivrognerie, maux contre lequel il est employé comme remède, non sans de bonnes raisons. » Non sans ironie, il ajoute : « Mais ce qui nous offusque chez l’Anglais, même le plus humain, c’est son manque de musique, au propre et au figuré ; il n’y a dans les mouvements de son corps et de son âme ni rythme ni danse, ni même aucun besoin de rythme ou de danse, de ‘musique’. Écoutez-le parler, regardez marcher les plus belles Anglaises (aucun pays n’a de plus belles colombes ni de plus beaux cygnes) – enfin, écoutez-les chanter ! Mais c’est sans doute trop demander… » §252

Dommage, selon lui, que le modèle anglais ait contaminé la France vers le milieu du XVIIIe siècle… « Toute la noblesse de l’Europe, celle du sentiment, du goût, des mœurs, bref la noblesse dans tous les sens élevés du mot, est l’œuvre et l’invention de la France ; la vulgarité européenne, la bassesse plébéienne des ‘idées modernes’ est l’œuvre de l’Angleterre

Nietzsche plaque a Nice

Nietzsche aimait bien l’Italie mais préférait par-dessus tout la France en Europe.

Pour lui, la civilisation française tenait du nord et du midi, dans un bel équilibre : de la passion latine et de la profondeur germanique, de la clarté romaine et de la sensibilité celte, l’âme et la raison, Apollon et Dionysos peut-être… Sauf qu’au siècle des révolutions, le XIXe, la civilisation française connaissait une éclipse plébéienne. « Aujourd’hui encore, la France est le siège de la civilisation la plus spirituelle et la plus raffinée de l’Europe, et l’école du goût supérieur ; mais cette ‘France du goût’, il faut savoir la découvrir. Ses représentants se tiennent bien cachés ; elle semble ne s’incarner que chez un petit nombre d’individus [par exemple Stendhal, Flaubert, Balzac] (…) Un trait leur est commun à tous ; ils se bouchent les oreilles devant la sottise déchaînée et les criailleries bruyantes des bourgeois démocrates. Ce qui s’agite au premier plan, en effet, c’est la France déchue dans la bêtise et la vulgarité ; récemment encore, aux obsèques de Victor Hugo, elle s’est livrée à une véritable orgie de mauvais goût et de béate satisfaction de soi. » §254

Et encore plus récemment encore, avec les Royal, Strauss-Kahn, Mélenchon, Trierweiler, Copé et autres footeux ou Hartistes ?…

Frédéric Nietzsche, Par-delà le bien et le mal, 1886, traduction Colli & Montinari, Folio 1987, 288 pages, €7.13

Nos citations viennent de la traduction de Geneviève Bianquis, publiée chez 10-18 en 1972.

Catégories : Frédéric Nietzsche, Géopolitique, Livres, Philosophie, Stendhal | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Expressionnisme à la Pinacothèque

La Pinacothèque à Paris présente jusqu’au 11 mars environ 300 œuvres expressionnistes. Oserons-nous dire que l’expressionnisme est « impressionnant » ? Sans aucun doute puisque ce mot veut dire ce qui frappe, fait une vive impression, est émouvant. L’émotion cogne par le mouvement, renforcé par la couleur. C’est voulu. L’époque « faisait craquer ses gaines », selon le mot de Gide en littérature ; elle secouait les carcans usés du classique bourgeois, néo-antique, que reprendront un peu plus tard ces réactionnaires de Mussolini, Staline et Hitler.

L’expressionnisme est un mouvement d’époque. Il naît en début de siècle (le XXe), dans la peinture et en Allemagne. Caractéristique culturelle : il est avant tout régional. L’Allemagne n’est en effet pas un État centralisé à la française où tout doit se passer à Paris. L’expressionnisme émerge avec Die Brücke à Dresde en 1905, et Der Blaue Reiter à Munich en 1911 (probablement deux noms de tableaux symboles). Ils forment ces deux courants dits en français le Cavalier bleu et le Pont. Ce sont deux styles, le premier plus abstrait et intellectuel, sans histoire à raconter, se voulant œuvre d’art ‘totale’ autour du russe munichois Vassily Kandinsky ; le second plus émotif et violent, création instinctive et sensible toujours figurative autour d’Ernst Ludwig Kirchner puis Emil Nolde.

Ces peintres, contemporains des Fauves, sont marqués par l’art africain, l’empâtement coloré de Van Gogh, les nudités des îles à la Gauguin et le pessimisme sombre d’Edward Munch. Le but de cette exposition parisienne est de confronter les deux courants fondateurs pour faire apparaître l’unité du mouvement.

Ils valorisent tous le nu, la bête, la nature. Les artistes usent de la caricature, exacerbent l’expression, veulent régénérer l’esprit par le choc de la couleur pure sur l’œil. Les paysages sont grandioses, comme ces Nuages approchant, carrément violets ; les jardins explosent, comme ces Pavots d’un vermillon vif ; les corps irradient comme ce jeune pêcheur à l’avant d’une barque entièrement nu, d’August Macke, intitulé ‘Une bonne prise’ (1913). Ils veulent faire accéder à la spiritualité par les sens, sollicitant la composition et le coloris dans un emportement des formes destiné à créer l’émotion.

L’exposition, bien éclairée, met en valeur le chant des couleurs et la danse des lignes. Des gravures sur bois, caractéristique allemande, soulignent le trait. Les salles déclinent les thèmes du paysage, des animaux, des sculptures, des gens, des nus, du voyage, des natures « mortes » parfois bien vivantes (Stilleben) contrairement à l’affirmation du français. Les spécialistes se délecteront même d’une rareté : Tableau avec cercle, le premier tableau non « objectif » de Kandinsky, peint à Munich en 1911.

Mais parce qu’ils sont audacieux, avancés, en-dehors du classique, sensuels et volontiers anarchistes, ces peintres seront classés par les nazis comme « artistes dégénérés ». Il est vrai qu’après la boucherie industrielle des 14-18 et l’effondrement économique des années 30, l’hédonisme ou l’érotisme n’avaient plus droit de cité. Il fallait être « sérieux », faire la tronche, sourcils froncés, pour la « valeur » travail et la reconstruction de la « patrie ». Un petit goût d’une époque qui revient, ne trouvez-vous pas ?

  • « Expressionismus & Expressionismi » – Berlin-Munich 1905-1920, Der Blaue Reiter vs. Brücke du 13 octobre au 11 mars 2012
  • À la Pinacothèque de Paris, du 13 octobre 2011 au 11 mars 2012
  • Tous les jours de 10h30 à 18h30 / Fermeture de la billetterie à 17h45 / jusqu’à 21h les mercredis et les vendredis / Entrée : 10 € – Tarif réduit étudiants, chômeurs : 8 € – Gratuité aux moins de 12 ans, RSA, ASS, minimum vieillesse sur justificatif + pièce d’identité.
  • 8, rue Vignon, 75008 Paris / Métro, station Madeleine
  • Peu de reproductions possibles, les conditions de publicité sont draconiennes… Site http://www.pinacotheque.com/
  • Catalogue sur Amazon

Catégories : Art | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Donna Leon, Le cantique des innocents

Voici un roman policier sans crime de sang : étonnant, non ? Il n’en est pas moins passionnant pour cela, car crimes il y a, même s’ils ne sont pas punis par la loi. Donna Leon poursuit son analyse sociologique de l’Italie contemporaine. Elle l’Américaine, de culture protestante, regarde avec dégoût l’hypocrisie de la morale catholique qui transparaît jusque dans la façon très italienne d’appliquer (ou non) la loi. Selon que vous serez puissant ou misérable…

Une nuit à deux heures du matin, des hommes lourdement armés et cagoulés défoncent la porte d’un appartement bourgeois de Venise. Les habitants, affolés, se défendent comme ils peuvent. Nus, ils ne font pas le poids et un coup de crosse répond au dérisoire coup de poing du mari. Ce dernier, un pédiatre à l’hôpital, est emmené aux urgences. La police de Venise est prévenue. Il y a clairement agression et l’opération des cow-boys de la gendarmerie italienne n’a pas été notifiée. Ou pas vraiment, à l’italienne, un fax réellement envoyé mais pas là où il faut, exprès, pour respecter la loi dans sa lettre tout en biaisant pour faire ce qu’on veut.

Ce ne serait que bureaucratie et combinazione politicarde s’il n’y avait pas, au centre de l’affaire, un enfant. Le bébé du couple a été enlevé par les carabiniers. Pourquoi ? Mais pour la « bonne » cause, bien sûr ! Celle de la toute-puissante Loi qui, comme chacun sait, doit être respectée. Sauf par ceux qui la font. Ils sont bien les derniers à avoir un quelconque respect pour elle ! Et ceux qui l’appliquent préfèrent leur pouvoir sur les citoyens à la simple humanité. « J’veux pas l’savoir » à l’italienne, c’est Mussolini, le retour. C’est écrit ainsi dans ce roman.

Donna Leon s’attaque à cette morale factice déclinée en lois qui n’engagent que l’apparence. Le bébé a été illégalement acheté à sa mère, une Albanaise clandestine qui n’en voulait pas. Il n’en reste pas moins qu’il est resté dix-huit mois avec le couple adoptant qui l’aime, du moins le père. L’arracher brutalement à cette famille pour le mettre en orphelinat, est-ce cela l’humanité ? Est-ce tout le bienfait de « la loi » ? Faut-il pour ce simple délit organiser une opération commando en pleine nuit et assommer à lui fracturer le crâne le père indélicat ?

Il y a dans cette affaire tout le nauséeux de l’hypocrisie catholique romaine : la morale est pour les autres, Dieu pardonne tout à la fin. Péchez et vous serez sauvés. D’où l’infantilisme italien, volontiers macho en public mais qui file doux devant l’épouse. D’où l’irresponsabilité politique où les petits arrangements entre amis du même bord valent toute loi, même votée par la pseudo « démocratie » des pourris, ces politiciens « le groin dans l’auge » comme dit Leon. D’où la vertu outragée des coincés qui vont à l’église tous les dimanches et se croient les gendarmes du Seigneur dans leur pharmacie. Merveille de la bureaucratie sociale italienne : les patients peuvent s’y faire délivrer une consultation auprès de tout médecin enregistré, au gré du pharmacien. C’est dire si ceux-ci en profitent. De mèche avec lesdits médecins, et contre pourcentage conséquent, ils délivrent de fausses demandes de consultation remboursées sans contrôle… De quoi connaître les turpitudes des voisins du quartier et leur « donner une leçon » en suggérant, dénonçant sans le dire, condamnant au nom de la morale catholique « ce qui ne se fait pas ».

Ces inquisiteurs au petit pied sont les criminels les plus courants de cette société en déliquescence. La patrie de l’humanisme a enterré la Renaissance pour retomber dans la barbarie de fin d’empire romain où tout est permis, voilé seulement par les apparences. « Que souffrent les petits enfants » est un titre plus fort en anglais qu’il n’a été traduit (on ne sait pourquoi) en français. Il est l’un des meilleurs romans de Donna Leon, probablement parce que le sang ne coule pas. Mais ce qui coule est pire : les larmes d’un petit.

Donna Leon, Le cantique des innocents (Suffer the Little Children), 2007, Points policier 2011, 341 pages, 6.65€.

Catégories : Italie, Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , ,