
Le Moyen-Âge vu comme une période de contrastes entre la matérialité bestiale de la force et du désir de possession des barons, et la quête de pureté spirituelle incarnée par la morale chevaleresque.
Sire Godefroy (Liam Neeson) a beaucoup joui et beaucoup baisé dans sa jeunesse ; il est allé en Terre sainte pour acquérir des terres mais il sent la vieillesse le rattraper et se souvient d’un fils qu’il a laissé, un bâtard qu’il veut ramener pour prolonger sa lignée. Le baron d’Ibelin (une bourgade aride proche de Jérusalem) est brave et avisé, aimé du roi lépreux, mais très attaché aux biens matériels – dont ce « fils » qui est pour lui comme une propriété.
Revenu au pays en 1184 juste pour prendre le garçon, il trouve Balian (Orlando Bloom) en jeune homme adulte, que la mort en couche de sa fille suivie du suicide de sa femme laisse brisé. Il lui avoue qu’il est son père, qu’il a pris mais aimé sa mère à sa façon et qu’il le requiert pour Jérusalem. Mais le garçon ne veut rien, Dieu l’a abandonné. Il refuse.
C’est alors que le curé (Michael Sheen), gras à lard et brutal cynique, lui dit qu’il a fait trancher la tête de la morte pour qu’elle grille en enfer sans pouvoir en sortir. Apercevant la croix de métal de sa femme que le religieux s’est accaparé avant de la mettre en terre à l’écart de l’église, Balian lui enfonce un fer rougi au feu qu’il est train de forger pour lui donner un avant-goût de cet enfer brandi comme une menace : mieux vaut l’ici-bas que l’au-delà. Puis il le jette au feu avant que celui-ci ne se propage dans la forge. Meurtrier, il doit alors abandonner le village et ces misérables paysans qui ont peur des foudres cléricales. Il part à la poursuite de ce père à peine vu pour aller avec lui à Jérusalem. Là, pense-t-il, lui seront remis ses péchés et ceux de son épouse.
Mais l’évêque ne l’entend pas de cette oreille et, pour affirmer son autorité, envoie une troupe se saisir du jeune homme. Que son père défend, avec ses suivants en route pour la croisade. Bagarre, flèches, plaies d’épée ; le sang gicle en abondance, la chair est pantelante – cette violence réaliste tout au long du film l’a fait interdire « aux moins de 12 ans ». Les sbires de l’évêque sont vaincus, le groupe décimé se porte vers la Terre sainte via le port italien de Messine, où embarquer.

Sire Godefroy, atteint d’une flèche cléricale, décède, mais pas sans avoir formé son fils à se battre et l’armer chevalier. Serment, baffe (pour qu’il se souvienne), don de l’épée, tout est expédié mais solennel. La promesse du chevalier est analogue à celle des scouts du XXe siècle : « Soit sans peur face à tes ennemis. Soit juste et droit pour être aimé de Dieu. Dit toujours la vérité, même si cela doit te coûter la vie. Protège les innocents, et garde-toi du mal ». Cœur pur et cœur vaillant dans la même âme, la tête en pureté et le courage dans les organes.
Le père évacué, le fils embarque sur une nef. Une tempête méditerranéenne lui inflige le naufrage sur les côtes de Palestine ; il ne sauve qu’un cheval. Rencontrant deux Sarrasins, il ne veut pas se battre mais l’un d’eux le défie – et il le tue. Mais il fait grâce à l’autre, l’apparent serviteur Imad (Alexander Siddig), à qui il déclare qu’ayant connu le servage, il ne supporte pas qu’un autre humain soit soumis. Tous sont égaux devant Dieu car créés aptes à distinguer le bien du mal.
Reconnu à Jérusalem par les compagnons de son père – on dit qu’il lui ressemble, ce qui ne saute pas aux yeux dans le film… – il fait la connaissance de Sybille (Eva Green), sœur du roi mariée au templier Guy de Lusignan (Marton Csokas), soudard sans grande cervelle. Il est présenté à Baudouin IV (Edward Norton sous masque), jeune roi lépreux qui l’assure de son amitié, lui disant combien il fut fier, à 16 ans, d’avoir vaincu Saladin (un Kurde devenu sultan). Il conserve depuis un équilibre précaire fait de mutuel respect entre l’occupation des lieux saints et la masse démographique musulmane prête à déferler depuis la Syrie. La gloire de Dieu se pourrit de l’intérieur, la lèpre dévorant la chair tandis que le militarisme templier (caricaturé) dévore la paix.

Balian va mettre en valeur ses terres et trouve l’eau nécessaire à l’irrigation avec beaucoup de travail. Ce qui lui importe est le bien de ses gens avant la défense de la religion. Car juifs, chrétiens et musulmans sont mêlés dans le pays, tous ont le même lieu saint de Jérusalem et, au fond, peu importe qui occupe la terre matérielle. La foi est dans la tête et dans le cœur, selon le serment chevalier, pas dans les possessions terrestres. Faire le bien, assurer la justice et protéger les faibles est plus important que les simagrées superstitieuses des églises, et c’est avec outrecuidance que l’on fait parler « Dieu » ou « Allah » pour massacrer tous ceux qui ne pensent pas comme vous. « Qu’est-ce que Jérusalem ? Nos lieux saints sont bâtis sur les ruines du temple juif que les romains ont abattu. Les musulmans ont battis leurs lieux de culte sur les vôtres. Qu’y a-t-il de plus sacré ? Le mur ? La mosquée ? Le sépulcre ? Qui est légitime ? Nul n’est légitime. Tous sont légitimes », déclare Balian lorsque la stupidité bornée des soudards templiers a rendu la guerre inévitable et – avec elle – la chute de Jérusalem.
« Ce qu’on sème on, le récolte », lui dira Imad, qui se révèle l’un des lieutenants de Saladin lui-même. L’Orient extrême appelle cela le karma, le destin que l’on se forge par l’enchaînement des causes et des conséquences. « Tu restes seul le gardien de ton âme », rappelle le roi lépreux au jeune baron.
Le roi voudrait désigner Balian comme son dauphin en épousant sa sœur Sibylle et en faisant exécuter Guy de Lusignan son mari pour avoir enfreint la trêve. Mais Balian ne s’achète pas, il ne veut pas régner par la mort de son rival. Lorsque Baudouin IV décède, sa sœur se range aux côtés de son mari en femelle moralement piteuse et avide d’une existence opulente (personnage un peu faible). Malgré les avertissements répétés, les Templiers se jettent sans préparation au-devant de l’armée sarrasine ; assoiffés, épuisés, ils sont aisément vaincus et Renaud de Chatillon (Brendan Gleeson) comme Guy de Lusignan sont exécutés. L’armée sarrasine marche sur la ville sainte, symbole aux yeux des musulmans. C’est à Balian que revient sa défense.

Il résiste suffisamment, et avec assez d’intelligence, pour impressionner Saladin (Ghassan Massoud), qui ne tient pas plus que cela à Jérusalem, sinon pour contenter ses propres fanatiques. Dans le marchandage usuel du pays, il laisse la vie sauve à tous les survivants, et le passage vers les terres chrétiennes, à condition qu’on lui livre la ville (dans les faits il a réclamé une rançon pour chacun). Ce qui est fait. Balian abandonne ses terres et son titre et convainc par son exemple la « reine » qui n’a plus rien sur quoi régner de le suivre en France.

Le film ne dit pas s’ils furent heureux et eurent beaucoup d’enfants (le bonheur étant toujours associé aux enfants dans la tradition). Ce qui importe est que Balian ait conservé son cœur pur et sa vaillance, reprenant simplement sa forge tel qu’auparavant.
Sauf qu’il ne croit plus guère en Dieu, surtout pas en l’Eglise et en ses faux-culs parasites de clercs. L’évêque patriarche de Jérusalem (Jon Finch) ne pensait qu’à fuir en égoïste, l’évêque français qu’à assurer son pouvoir temporel contre les barons, le curé de paroisse qu’à s’approprier les maigres biens des morts par la menace de l’enfer éternel. Foutaises que tout cela ! Faire le bien, assurer la justice et protéger les faibles est plus important que la lettre des rituels et des révérences. Ni Dieu ni maître, au fond… Et lorsque le roi Richard Cœur de lion vient convier « le défenseur de Jérusalem » à venir avec lui à la Troisième croisade, Balian refuse, ne se présentant que comme « maître forgeron ». Faire bien son métier, à sa place, l’âme fière mais en paix. A cette hauteur morale, la tolérance va de soi ; le fanatisme et l’intégrisme ne sont que la révélation d’étroitesse d’esprit et de petitesse d’âme.
Il existe une version longue du film avec des intrigues secondaires, mais je préfère quant à moi la version ramassée dont le message est bien plus puissant : peu importe qui l’on est, l’important est de rester sire de soi. Il est requis de préférer la morale chevaleresque aux biens matériels – ne pas vendre son âme, pas même aux dieux brandis par les religions pour assurer le pouvoir des prêtres ici-bas.
Être chevalier n’est pas réservé aux occidentaux ni aux chrétiens : Saladin et Imad, musulmans, se montrent tout aussi justes et soucieux des gens. A l’inverse, certains barons pillards et les reîtres Templiers montrent bien peu d’esprit chevaleresque (ce qui, pour ces derniers, n’était pas la vérité).
Peu importe qu’il y ait romance amoureuse fictive et erreurs historiques dans ce film, ce qui compte est son message et il est clair – même s’il ne saurait plaire à l’engeance des petits intellos critiques qui détestent les gens exemplaires parce qu’ils mettent en lumière, par contraste, leur propre lâcheté. Orlando Bloom a été prix du meilleur acteur européen en 2005, signe que le public est plus sain que le renfermé médiatique.
DVD Kingdom of Heaven de Ridley Scott, 2004, avec Orlando Bloom, Jeremy Irons, Liam Neeson, Ghassan Massoud, Eva Green, Edward Norton, Khaled Nabawy, Brendan Gleeson, 2h15mn, €9.20 blu-ray €15.46
Tuer le rire ?
L’un des tueurs voulait massacrer du juif ; les deux autres faire rentrer le rire dans la gorge. Car pour ces raccourcis du cerveau, on ne peut rire de tout. Si le rire est le propre de l’homme (Rabelais), Dieu l’interdit – ou plutôt « leur » Dieu sectaire, passablement fouettard, Dieu impitoyable d’Ancien Testament ou de Coran, plus proche de Sheitan et de Satan. Ange comme l’islam, mais déchu comme l’intégrisme.
Comme le Prophète ne savait ni lire ni écrire, il a conté ; ceux qui savaient écrire ont plus ou moins transcrit, et parfois de bouche à oreille ; les siècles ont ajoutés leurs erreurs et leurs commentaires – ce qui fait que la parole d’Allah, susurrée par l’archange Djibril au Prophète qui n’a pas tout retenu, transcrite et retranscrite par les disciples durant des années, puis déformée par les politiques des temps, n’est pas une Parole à prendre au pied de la lettre. Le raisonnable serait de conserver le Message et de relativiser les mots ; mais la bêtise n’est pas raisonnable, elle préfère ânonner les mots par cœur que saisir le sens du Message.
La bêtise est croyante, l’intelligence est spirituelle. Les obéissants n’ont aucune autonomie, ils ne savent pas réfléchir par eux-mêmes, ils ont peur de la liberté car ce serait être responsable de ce qu’ils sont et de ce qu’ils font. Ils préfèrent « croire » sans se poser de questions et « obéir » sans état d’âme. Islam veut-il dire soumission ? Un philosophe musulman canadien interpelle ses coreligionnaires : « une religion tyrannique, dogmatique, littéraliste, formaliste, machiste, conservatrice, régressive – est trop souvent, pas toujours, mais trop souvent, l’islam ordinaire, l’islam quotidien, qui souffre et fait souffrir trop de consciences, l’islam de la tradition et du passé, l’islam déformé par tous ceux qui l’utilisent politiquement, l’islam qui finit encore et toujours par étouffer les Printemps arabes et la voix de toutes ses jeunesses qui demandent autre chose. Quand donc vas-tu faire enfin ta vraie révolution ? »
Il ne faut pas rejeter la faute sur les autres mais s’interroger sur sa propre religion, distinguer sa pratique de la foi.
Mahomet s’est marié avec Aisha lorsqu’’elle avait 6 ans (et lui au-delà de la cinquantaine) ; il a attendu quand même qu’elle ait 9 ans pour user de ses droits d’époux : c’était l’usage du temps mais faut-il répéter cet usage aujourd’hui ? L’ayatollah Khomeiny a abaissé à 9 ans l’âge légal du mariage en Iran lorsqu’il est arrivé au pouvoir… Les plus malins manipulent aisément les crédules, ils leurs permettent d’assouvir leurs pulsions égoïstes, meurtrières ou pédophiles, en se servant d’Allah pour assurer ici-bas leur petit pouvoir : Khomeiny, Daech, mêmes ressorts. Trop d’intermédiaires ont passés entre les Mots divins et le texte imprimé pour qu’il soit à prendre tel quel. Croyons-nous par exemple que Jésus ait vraiment « marché sur les eaux » ?
Il ne faut pas croire que le Coran soit la Parole brute d’Allah. Que font les intellectuels de l’islam pour le dire à la multitude ?
Toute religion a une tendance totalitaire : n’est-elle pas par essence LA Vérité révélée ? Même le communisme avait ce tropisme : « peut-on contester le soleil qui se lève ? » disait à peu près Staline pour convaincre que les lois de l’Histoire sont « scientifiques ». Qui récuse la vérité est non seulement dans l’erreur, mais dans l’obscurantisme, préférant rester dans le Mal plutôt que se vouer au Bien. Il est donc « inférieur », stupide, malade ; on peut l’emprisonner, en faire son esclave, le tuer. Ce n’est qu’une sorte de bête qui n’a pas l’intelligence divine pour comprendre. Toutes les religions, toutes les idéologies, ont cette tendance implacable – y compris les socialistes français qui se disent démocrates (ne parlons pas des marinistes qui récusent même la démocratie…). Les incroyants, les apostats, les hérétiques, on peut les « éradiquer ». Démocratiquement lorsqu’on est civil, par les armes lorsqu’on est fruste.
Le croyant étant « bête » parce qu’il croit aveuglément, comme poussé par un programme génétique analogue à celui de la fourmi, ne supporte pas qu’on prenne ses idoles à la légère. Toutes les croyances ne peuvent accepter qu’on se moque de leurs simagrées ou de leurs totems : la chose est trop sérieuse pour que le pouvoir fétiche soit ainsi sapé. C’est ainsi que Moïse va seul au sommet de la montagne et que nul ne peut entrevoir l’Arche d’alliance ou le saint des saints du temple, que Mahomet est-il le seul à entendre la Parole transmise par l’ange et que nul infidèle ne peut voir la Kaaba. Dans Le nom de la rose, dont Jean-Jacques Annaud a tiré un grand film, Umberto Ecco croque le portrait d’un moine fanatique, Jorge, qui tue quiconque voudrait simplement « lire » le traité du Rire qu’aurait écrit Aristote. Ce serait saper la religion catholique et le « sérieux » qu’on doit à Dieu… Les geôles de l’Inquisition maniaient le grand guignol avec leurs tentures noires, leurs juges masqués, leurs bourreaux cagoulés devant des feux rougeoyants. Pas question de rire ! Même devant Louis XIV (sire de « l’État c’est moi »), Molière devait être inventif pour montrer le ridicule des médecins, des précieuses ou des bourgeois, sans offusquer les Grands ni Sa Majesté elle-même.
Il ne faut pas croire que le rire soit le propre de l’homme ; ce serait plutôt le sérieux de la bêtise. Que font nos intellectuels tous les jours ?
C’est cependant « le rire » qui libère. Il permet la légèreté de la pensée, le doute salutaire, l’œil critique. Rire déstresse, rend joyeux autour de soi, éradique peurs et angoisses – ce pourquoi toute croyance hait le rire car son pouvoir ne tient que par la crainte. Se moquer n’est pas forcément mépriser, c’est montrer l’autre en miroir pour qu’il ne se prenne pas trop au sérieux. C’est ce qu’a voulu la Révolution française, en même temps que l’américaine, libérer les humains des contraintes de race, de religion, de caste, de famille et d’opinions. Promotion de l’individu, droits de chaque humain, libertés de penser, de dire, de faire, d’entreprendre. Dès qu’un pouvoir tend à s’imposer, il restreint ces libertés-là.
Est-ce que l’on tue pour cela ? Sans doute quand on n’a pas les mots pour le dire, ni les convictions suffisamment solides pour opposer des arguments. Petite bite a toujours un gros flingue, en substitution. Surtout lorsque l’on a été abreuvé de jeux vidéos et de décapitations sans contraintes sur Internet : tout cela devient normal, « naturel ». C’est à l’école que revient de dire ce qui se fait et ce qui ne se fait en société : nous ne sommes pas dans la jungle, il existe des règles – y compris pour la diffamation et le blasphème. Il est effarant d’entendre certains collégiens (et collégiennes) dire simplement « c’est de leur faute ». Donc on les tue, comme ça ? C’est normal de tuer parce qu’un autre vous a « traité » ? Est-ce ainsi que cela se passe dans les cours de récré ? Si oui, c’est très grave…
L’écartèlement entre les cultures, celle de la France qui les a partiellement rejetés, celle de l’Algérie qu’ils n’ont connue que par les parents et cousins, ont rendu les frères Kouachi incertains d’eux-mêmes, fragiles, prêts à tout pour être enfin quelqu’un, reconnus par un groupe, assurés d’une conviction. La secte est l’armure externe des mollusques sans squelette interne. Ils se sont créé des personnages de héros-martyrs faute d’êtres eux-mêmes des personnes.
Il ne faut pas croire que la multiculture enrichit forcément. Que font les politiciens pour établir les valeurs du vivre-ensemble sans les fermer sur l’extérieur ; pour faire respecter les lois de la République sans faiblesse ni « synthèse » ?
Comment faire pour « déradicaliser » les individus ? Une piste de réflexion intérieure, européenne et géopolitique. Lire surtout la seconde partie.