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Robert Daley, L’année du dragon

L’année du dragon, nous y sommes, c’est cette année ; la cinquième année d’un cycle qui revient tous les douze ans. L’auteur situe son roman policier en 1980, dans une New York confrontée à l’effervescence des communautés chinoises qui se développent. Un courant continu de très jeunes arrive clandestinement depuis Hong Kong, important les habitudes frustres de brutalité et de solidarité de clan. Les vieilles Triades (qui sont des mafias) avaient investi le jeu et sont poussées, par cette immigration avide, à se mettre à la drogue.

Chinatown connaît ses fusillades pour faire perdre la face et imposer le nouveau pouvoir. La police reste inerte, bien contente de laisser aux Triades le soin de réguler la communauté. Ne croyez pas que c’est de l’histoire ancienne ! Ce qui se passe dans nos cités françaises est exactement du même type : les mafias maghrébines trafiquantes font leur police et le pouvoir politique local est bien content de voir l’ordre assuré, en fermant les yeux volontairement sur les trafics. La route nationale du RN qui paraît si dégagée sur ces questions changera-t-il les choses ? Trop d’intérêts en jeu, je n’y crois pas une seconde.

A New York, un capitaine de police ne l’entend pas de cette oreille. Il est entré dans les forces de l’ordre pour le faire régner, et a pour croyance (sans doute naïve) que tous les Américains, quelle que soit leur origine, doivent bénéficier du même traitement par la loi. Pas question donc de tolérer l’embrigadement de gamins de 15 ans dans les clans de tueurs, recrutés dès la sortie de l’école où ils sont bizutés pour n’être pas de « vrais » Américains parlant l’anglais comme les autres. Pas question non plus de tolérer les règlements de compte entre bandes ou contre les commerçants.

C’est une fusillade perpétrée dans un grand restaurant chinois, par deux jeunes de 17 et 18 ans venus de Hong Kong, celui du « maire » de Chinatown Mr Ting, dans lequel dîne le capitaine Powers avec la journaliste de télévision Cone, qui va ancrer sa détermination. Il se fait nommer commissaire provisoire du district et met sous surveillance le nouveau parrain et « maire » Koy, qui prend un maximum de précautions. En effet, Koy a été policier à Hong Kong, ville alors très corrompue, et est parti avec plusieurs millions de dollars s’installer aux États-Unis où il a eu la patience d’attendre la durée nécessaire pour devenir citoyen sans faire parler de lui. Il s’y est marié une nouvelle fois, a eu deux enfants en plus du fils laissé à Hong Kong avec sa mère Orchid, de laquelle il n’est pas divorcé. Désormais, il veut lancer ses affaires en grand et, pour cela, importer de l’héroïne directement depuis le Triangle d’or thaïlandais où les « seigneurs de la guerre », anciens du Kuomintang refoulés par Mao, s’adonnent à la production d’opium base sur leur territoire.

Koy est sans scrupule moral, il ne voit que ses intérêts et use du « deal », comme le bouffon dangereux Trump, pour régler toutes ses affaires. Sauf que la « face », si importante pour un Chinois, risque de lui être retirée par le petit capitaine armé de sa seule détermination. Powers enquête, obstiné, se rend à Hong Kong où il manque de perdre la vie, pour acquérir des informations supplémentaires, met en jeu sa carrière face à des supérieurs sceptiques et jaloux. Contrairement aux grévistes vantards, lui « ne lâche rien ».

L’auteur, qui écrit très bien, a été commissaire délégué de la ville de New York en 1971 et 1972, et sait de quoi il parle. Il est aussi très sensible à la psychologie des gamins de 15 ans, tout comme à celle des bureaucrates de la police. Il entrelace ses actions d’une romance entre la journaliste Cone de 42 ans, qui passe chaque jour plus d’une heure à se refaire la façade et s’empresse de séduire tous ceux qui peuvent lui apporter un quelconque scoop, et le capitaine Powers de 46 ans, toujours amoureux de sa femme après 25 ans de mariage et de ses deux fils à l’université, mais qui se laisse enflammer pour la belle femelle médiatique.

L’intrigue est plutôt bien menée, dans une langue littéraire fort agréable et rare dans le roman policier américain. Le roman est puissant et rempli de passion : l’attirance sexuelle, mais aussi la ferveur de la quête, le culte de la vérité, la vénération de la morale.

En 1985, Michael Cimino en tirera un film plus caricatural sous le même titre, L’année du dragon, chroniqué sur ce blog.

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

Robert Daley, L’année du dragon (Year of the Dragon), 1981, Livre de poche 1984, 543 pages, occasion €4,48

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Jean d’Aillon, Une étude en écarlate

Jean-Louis Roos, le vrai nom de Jean « d’Aillon », se fait baron anglais pour écrire sur cette période médiévale qu’il aime tant. Son demi-frère d’époque est Edward Holmes, lui aussi ancêtre, mais du célèbre Sherlock. Il y rencontre son Watson, alors archer anglais réputé pour sa précision de tir.

Nous sommes à Paris en 1420 et la guerre de Cent ans va s’achever une génération plus tard, grâce notamment à Jeanne d’Arc. Le roi Henri V d’Angleterre, fils d’Henri IV arrivé par illégalité au trône (et dont Shakespeare a fait une tragédie), revendique le royaume de France car son père s’est marié avec Catherine de France et s’est allié aux Bourguignons du duc Philippe. L’histoire est compliquée.

Les Bouchers de Paris, vrais tueurs en corporation, ont aidé à prendre la ville et ont massacré tous les Armagnacs alliés au Dauphin, fils probable (mais pas certain) de Louis d’Orléans, frère du roi Charles VI de France devenu fou. Dans ce carnage d’avril 1418, les bouchers ont enfoncé les portes de l’hôtel de Lusignan, défoncé les femelles et les petites filles, démembré le fils encore enfant et éventré les serviteurs et les gardes. Deux ans plus tard, Robert de Lusignan (personnage imaginaire), qui était absent de Paris lors du massacre pour aider le dauphin Charles (futur Charles VII) à fuir à Bourges, revient incognito pour se venger des bouchers.

La ville est misérable, soumise à la famine parce que le travail manque. Nombre de maisons sont vides, pillées et en ruines, dont l’hôtel de Lusignan à l’enseigne de Mélusine. Il attire la convoitise de Lady Mortimer, sœur d’Edmond Mortimer, troisième comte de March, qui a comploté contre l’usurpateur Henri IV d’Angleterre. Elle veut se venger de la dynastie régnante et assassiner Henri V et le duc de Bedford lorsqu’ils entreront prochainement dans Paris. Pour cela, la fenêtre de l’hôtel de Lusignan (actuel Conseil d’État) est propice, face à une entrée du Louvre.

Edward Holmes, chargé des affaires à Paris de son demi-frère le baron de Roos, est chassé par le fils de l’intendant d’Angleterre Langley, sur ordre des cadets de 13 et 15 ans qui ne le connaissent pas. Le baron de Roos et son frère William ont en effet été tués à la bataille de Baugé. Langley complote avec Lady Mortimer pour obtenir une meilleure place que celle d’intendant de baron. Edward part donc loger ailleurs et chercher du travail. Il n’est pas anodin que sa logeuse s’appelle Constance Bonacieux, c’est le nom que porte la logeuse de d’Artagnan dans Les trois mousquetaires. L’auteur aime bien plagier les grands auteurs. Autant dire qu’Edward Holmes est imaginaire, tout comme Gower Watson, malgré le livre ancien que l’auteur dit avoir trouvé chez un libraire à Londres.

Toujours est-il qu’Holmes enquête, flanqué de son Watson, et qu’il va démêler de fil en aiguille et comme par hasard le complot contre le roi. Lui, anglais, ne prend pas position pour ou contre le roi de France. Sera roi celui qui ramènera la paix. Cette première enquête d’une série est intitulée en plagiant Étude en rouge de Conan Doyle, mais sa méthode est la même : la déduction par réflexion. Watson ajoute le piment de l’action.

Une bonne façon de se plonger dans l’histoire navrante d’un royaume de France (déjà) déchiré en guerre civile par de fanatiques partisans qui en profitent (déjà) pour violer, massacrer et piller, chacun défendant (déjà) son petit intérêt égoïste dont le fric est (déjà) l’objectif suprême. La complexité de l’histoire de Paris à cette époque-là ralentit l’intrigue au début car il faut bien expliquer qui et quoi, mais le roman policier prend son rythme de croisière assez vite et captive.

Jean d’Aillon, Une étude en écarlate – Les chroniques d’Edward Holmes et Gower Watson, 2015, 10-18 2019, 500 pages, €9,20 e-book Kindle €7,33

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La mort aux trousses d’Alfred Hitchcock

Roger Thornhill (Cary Grant) est un publiciste connu et pressé, deux fois divorcé. Il est élégamment vêtu d’un costume gris bien coupé avec une cravate dans le même ton. Drôle, direct, chic, il dicte à sa secrétaire les tâches qu’elle a à faire et à lui rappeler dans le taxi qui l’emmène au Plaza Hotel, grand palace de New York où il a un rendez-vous d’affaires. La dernière consigne, la plus urgente, est de rappeler sa mère pour un rendez-vous le soir même au théâtre. Mais le taxi est déjà reparti lorsque Thornhill se rend compte que sa mère va être injoignable, jouant au bridge à cette heure-ci.

Sitôt entré dans l’hôtel et assis devant ses hôtes, il mande un chasseur pour faire porter un message mais celui-ci lui indique la personne adéquate un peu plus loin derrière le comptoir. Thornhill se lève et se dirige vers l’endroit. A ce moment est diffusée une annonce qu’on demande un certain Monsieur Georges Kaplan au téléphone. Ceux qui guettaient Kaplan croient donc en toute bonne foi que Thornhill est leur homme et ils l’enlèvent carrément en plein hall en le menaçant sous la veste d’un pistolet.

Embarqué dans une puissante voiture péniche de ces années-là, le trio et le chauffeur se dirigent vers une imposante demeure sur la côte nord de Long Island, appartenant à un certain Mr Townsend. Kaplan est tenu de révéler comment il a connu l’organisation de ceux qui l’ont enlevé – sauf que Thornhill n’est pas Kaplan et ne voit pas de quoi ils veulent parler. Il résiste, maniant l’humour avant les poings, mais est terrassé. Puisqu’il ne veut pas avouer, il doit au moins disparaître. On lui fait avaler de force le contenu d’une bouteille de whisky avant de le coller, bourré, dans une décapotable et de le lancer sur la route en bord de falaise. Il va se crasher au prochain virage et la police croira à un accident.

Sauf que le conducteur est un grand gaillard qui résiste aux effets de l’alcool tant qu’il peut. Cary Grant effectue une performance d’acteur en roulant des yeux et en maniant le volant comme s’il était schlass. Heureusement, le capot des Mercedes ont un utile viseur en plein centre, ce qui permet de garder la route dans le collimateur. Thornhill évite donc le virage, tangue sur le ruban asphalté mais ne quitte pas la route. Les autres le poursuivent et il doit foncer. Jusqu’à ce qu’une voiture de police le prenne en chasse et l’arrête en état d’ivresse avancée. Il est sauvé, provisoirement.

Il appelle « maman » (Jessie Royce Landis) et son avocat qui va le tirer de là après « une nuit » de dégrisement. Le juge charge la police d’enquêter sur le soi-disant enlèvement dont Thornhill aurait été victime. A la demeure Townsend, personne, le maître des lieux prononce un important discours aux Nations-Unies et sa femme (Josephine Hutchinson) prétend que Roger s’est bien murgé et qu’il a pris par erreur la voiture d’une amie alors qu’il n’aurait même pas dû conduire. Tout le monde est alors persuadé qu’il affabule. Mais Roger Thornhill ne l’entend pas de cette oreille, il veut en avoir le cœur net. Il retourne à l’hôtel Plaza pour rencontrer le mystérieux George Kaplan mais constate que personne ne l’a jamais vu. Il laisse des messages, se fait livrer ses bagages, nettoyer ses costumes. Thornhill peut aisément demander sa clé en se faisant passer pour lui et fouille sa chambre mais ne trouve pas grand-chose, sauf que les costumes sont trop petits pour lui et qu’une photo représentant ceux qui l’ont enlevé traîne sur le bureau.

Il se rend donc aux Nations-Unies, après avoir échappé de justesse à ceux qui le traquent une fois de plus. Il rencontre là le « vrai » Mr Lester Townsend (Philip Ober), le diplomate, qui n’est pas celui qui s’est présenté sous son nom à la villa. Car elle est censée être vide, sous la garde du seul jardinier – et Mr Townsend est d’ailleurs veuf depuis des années ! A ce moment, comprenant qu’ils vont être en danger, l’un des sbires qui ont suivi Thornhill lance un poignard dans le dos du diplomate qui s’effondre. Thornhill a le stupide réflexe de le soutenir et d’empoigner le manche pour l’ôter : un photographe le prend à ce moment-là, l’air hagard, le couteau à la main. Cette photo fera le tour des journaux en première page et Thornhill sera accusé et activement recherché.

Il fuit donc la police jusqu’à la gare où il veut prendre un train pour la prochaine destination programmée de Kaplan, comme le lui ont appris ses ravisseurs, confirmé par le portier d’hôtel : Chicago. La blonde Eve Kendall (Eva Marie Saint), l’aide à échapper aux policiers en le cachant dans son compartiment couchette. Ils se retrouvent au wagon-restaurant, où elle a soudoyé le maître d’hôtel pour qu’il soit dirige vers sa table. En fait, elle craque pour lui et lui-même n’est pas insensible à cette femme maîtresse d’elle-même, pleine de ressources et qui sait ce qu’elle veut. Une femme bien différente des personnages féminins habituels d’Hollywood, hystériques, émotives et sans cesse en faiblesse. Surtout qu’elle joue triple jeu, le spectateur l’apprend en quelques minutes : si elle a aidé le faux Kaplan, c’est pour mieux l’attirer dans les filets des ravisseurs ; sauf qu’elle est infiltrée par les services secrets des États-Unis pour confondre les espions au service de l’Est ; et qu’elle joue au fond son propre jeu en cherchant à sauver la personne qui l’a si bien baisée dans le compartiment (le film ne montre que des embrassades, mais la suite donne une version plus ambiguë…).

Déguisé en porteur des bagages Kendall, Thornhill passe sans encombre la surveillance de la police et va se changer dans les toilettes tandis qu’Eve téléphone pour obtenir un rendez-vous avec Kaplan. Elle donne par écrit les instructions qu’elle a notées à Thornhill qui peut donc prendre le car pour descendre à un croisement de routes désertes en pleine cambrousse de l’Indiana et attendre. Suspense : il ne se passe rien et les rares véhicules qui traversent ne s’arrêtent pas. Soudain un homme descend d’un pick-up et attend, en face de Thornhill – mais ce n’est qu’un péquenaud qui va prendre le car en sens inverse. Dans la discussion, il s’étonne de voir un petit avion épandre ses pesticides au-dessus d’un champ qui n’est pas planté. D’ailleurs, une fois le champ libre, l’avion biplan fonce sur Thornhill avec l’intention de le tuer. C’est un grand moment de spectacle qui reste dans les anthologies. Thornhill se réfugie dans un champ de maïs pour ne pas être vu mais l’avion le déloge en épendant un nuage chimique. L’homme se précipite alors sur la route à la rencontre d’un camion d’essence qui freine in extremis, alors qu’il passe juste sous le capot. L’avion, qui cherchait à dézinguer Thornhill ne peut éviter la citerne et se crashe.

Le publiciste peut donc voler une voiture de badauds arrêtés devant le spectacle et rejoindre Chicago et l’hôtel de Kaplan. Mais le réceptionniste lui apprend qu’il a quitté les lieux le matin même à 7 h. C’est curieux, deux heures avant le soi-disant coup de téléphone à Kaplan par Eve… Laquelle réside dans le même hôtel. Thornhill monte à sa chambre et elle a l’air surprise bien qu’heureuse de le voir en vie, même si elle avait passé son amant chic par pertes et profits. Elle reçoit un appel qui lui confirme un rendez-vous, qu’elle note sur le calepin mais ôte la page. Elle convie Thornhill à prendre une douche – froide – et à faire nettoyer son costume plein de poussière et de pesticide par le groom. Cela lui fait gagner du temps. Mais Thornhill retrouve aisément l’adresse en noircissant la feuille pour faire apparaître ce qui est écrit en relief. Il s’agit d’une salle des ventes, dans laquelle la bande sous la direction du faux Townsend nommé Vandamm (James Mason) enchérit pour une statuette. Les issues sont surveillées par les sbires armés et Thornhill, décidément inventif et plein d’humour, n’a d’autre choix que de susciter un esclandre afin d’être exfiltré par la police. A qui il révèle son identité réelle, et il est libéré.

Sur les instances du Professeur (Leo G. Carroll), chef d’une agence de renseignements du gouvernement, lequel confie à Thornhill que Kaplan n’existe pas et qu’Eve est un agent ami infiltré dans l’organisation au péril de sa vie. Thornhill, qui avait pour elle des sentiments et s’est trouvé bafoué, comprend et pardonne. Malgré les ennuis que cela va encore lui valoir, il veut la sauver. Le Professeur prend avec lui un vol de la Northwest Airlines (d’où le titre américain du film) pour Rapid City au Dakota du Sud. C’est la prochaine destination programmé du fictif Kaplan, où Vandamm possède une demeure et d’où il envisage de fuir en avion vers le Canada.

Thornhill a donné rendez-vous à Vandamm et Kendall dans une cafétéria en contrebas du monument du mont Rushmore. Pour lever les soupçons sur elle et parfaire sa couverture, Eva abat Roger de deux coups de feu… à blanc. Dans la séquence, le spectateur peut apercevoir un gamin en chemise bleu roi en arrière-plan qui se bouche les oreilles AVANT le coup de feu, signe que la scène a été répétée plusieurs fois. Eve fuit et Thornhill, laissé pour mort, est emmené en ambulance par le Professeur. Ils se rencontrent dans un bois où chacun avoue à l’autre qu’il tient à lui. Mais Eve doit retourner auprès de Vandamm, qui a le béguin pour elle, et s’envoler avec lui pour en savoir encore plus sur l’organisation. Roger refuse car elle risque sa vie, et le chauffeur, sur ordre du Professeur, le met KO ; ils vont l’enfermer plusieurs jours dans l’hôpital, pour la vraisemblance.

Mais Roger s’enfuit et rejoint la villa de Vandamm où il surprend une conversation entre lui et Leonard (Martin Landau), son sbire numéro deux. Ce dernier a découvert que le pistolet d’Eve ne portait que des balles à blanc et les espions décident de l’éliminer en le jetant du haut de l’avion dans les flots lorsqu’il seront partis. Thornhill fait alors des pieds et des mains, au sens littéral acrobatique, pour grimper à la chambre, écrire un petit mot sur la pochette d’allumettes à ses propres initiales, et avertir Eve qu’elle ne doit surtout pas monter dans l’avion. Celle-ci, in extremis, s’empare de la statuette qui contient en fait les microfilms des documents récoltés par les espions, et fuit en direction de Roger. Il a dû s’extirper d’une matrone intendante de la villa qui braquait un pistolet sur lui… qu’il a reconnu être celui d’Eve chargé à blanc.

Le couple fuit donc avec les documents, poursuivi par les espions, jusqu’au sommet des fameuses têtes de présidents sculptées dans la roche du mont Rushmore. Valerian le sbire numéro un (Adam Williams) dérape de lui-même et s’écrase en bas tandis que Leonard saute sur Thornhill et récupère la statuette. Mais Eve est en difficulté et Roger lui tend la main, qu’elle attrape in extremis, le reste de son corps pendant dans le vide. C’est alors que la godasse du sbire vient écraser la main du sauveur pour les précipiter tous deux dans l’abîme. Une balle providentielle, commanditée par le Professeur sur la rive d’en face, met fin au suspense et le couple est sauvé, ainsi que les microfilms. Ils furent heureux et eurent (peut-être) de beaux enfants.

DVD La mort aux trousses (North by Northwest), Alfred Hitchcock, 1959, avec Cary Grant, Eva Marie Saint, Jessie Royce Landis, Leo G. Carroll, James Mason, Warner Bros Entertainment France 2011, 2h11

DVD Alfred Hitchcock : La Collection 6 Films, Le Grand alibi, Le Crime était presque parfait, La Loi du silence, La Mort aux trousses, L’Inconnu du Nord-Express, Le Faux coupable, Warner Bros Entertainment France 2012, 10h27

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Les tueurs de Robert Siodmak

Dans un bled paumé du New Jersey nommé Brentwood, que traverse une route inter-états, deux hommes surgissent de l’ombre. Ils ont costume et chapeau comme des bourgeois mafieux. Ce sont des tueurs.

Ils recherchent le pompiste qui, justement, depuis quelques jours se sent mal. Le binôme menace le patron du restaurant, le cuisinier et un client pour se faire dire où loge le pompiste appelé « le Suédois » (Burt Lancaster).

Ils se rendent chez lui et, bien que prévenu juste avant par son aide, il ne se défend ni ne fuit. Il récoltera huit balles dans la peau « parce qu’il a fait un jour quelque chose de mal ».

Ainsi commence le film noir tiré d’une nouvelle d’Ernest Hemingway. Tourné dans un beau noir et blanc qui accentue le drame à la manière de l’expressionnisme allemand, il commence par la fin du héros avant d’en reconstituer la tragédie. Car le Suédois est un boxeur tombé raide dingue d’une femme fatale (Ava Gardner). Burt Lancaster mériterait d’être surnommé Brute Lancaster tant il apparaît rustique, le cerveau déconnecté par la bite. Kitty Collins, la pute de haut vol, fricote avec le chef d’un gang, Bill Jim Colfax (Albert Dekker) et n’en séduit pas moins le boxeur dont elle admire le corps animal, même s’il perd son dernier combat en raison d’une main droite brisée.

Lui s’accuse du vol d’une broche qu’elle arbore lorsque le flic vient l’arrêter ; il en prend pour trois ans. Pour rien. Car la belle se garde bien d’aller le voir ou de lui prêter attention. Lorsqu’il sort de prison, c’est pour être embringué dans la bande qui veut cambrioler la paye d’une usine de chapeaux. Tout se déroule à peu près comme prévu… sauf que le Suédois a eu le malheur de rosser Colfax qui triche aux cartes et que celui-ci a juré de se venger.

Il va utiliser sa pute pour appâter le Suédois et le frustrer de sa part en fixant un rendez-vous aux autres ailleurs que fixé initialement une fois le coup fait, et en incendiant volontairement l’auberge du premier rendez-vous. Kitty Collins en informe le Suédois, qui surgit au moment du partage et rafle la mise. Le couple s’enfuit à Atlantic City… où la pute fait sa valise le jour suivant en emportant le magot. Le spectateur apprendra à la fin pour qui elle roule.

C’est ce que reconstitue un enquêteur de compagnie d’assurance qui voudrait bien récupérer le magot volé pour les bénéfices des assurés, et qui coopère avec l’ami d’enfance du boxeur suédois, un flic rangé et astucieux. Leur univers quotidien, celui de tout le monde, tranche radicalement avec le monde inversé de la nuit et du crime où le Suédois s’est laissé entraîner par l’aragne en noir qui attire les phalènes par son teint, sa voix grave et ses phéromones sexuels. Lorsqu’elle se laissera enfin embrasser, vers la fin du film, c’est le baiser de la mort qu’elle délivrera.

Le fatalisme romantique accrochait encore les cœurs à cette époque d’après-guerre ; aujourd’hui on en rirait. Mais la vamp belle et froide est une figure éternelle, même si elle est maquée et fière de le rester ; aujourd’hui on s’en libérerait. La figure solaire de Burt Lancaster ne sort pas grandie de cette submersion du mâle par les hormones. La mante religieuse a encore frappé et l’amoralité règne dans la société américaine – définitivement.

DVD Les tueurs (The Killers), Robert Siodmak, 1946, avec Burt Lancaster, Edmond O’Brien, Ava Gardner, Albert Dekker, Sam Levene, Carlotta films 2007, 1h38,  standard €7.99, blu-ray €8.99, collector €14.92 avec dvd de suppléments

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Tuer le rire ?

L’un des tueurs voulait massacrer du juif ; les deux autres faire rentrer le rire dans la gorge. Car pour ces raccourcis du cerveau, on ne peut rire de tout. Si le rire est le propre de l’homme (Rabelais), Dieu l’interdit – ou plutôt « leur » Dieu sectaire, passablement fouettard, Dieu impitoyable d’Ancien Testament ou de Coran, plus proche de Sheitan et de Satan. Ange comme l’islam, mais déchu comme l’intégrisme.

Comme le Prophète ne savait ni lire ni écrire, il a conté ; ceux qui savaient écrire ont plus ou moins transcrit, et parfois de bouche à oreille ; les siècles ont ajoutés leurs erreurs et leurs commentaires – ce qui fait que la parole d’Allah, susurrée par l’archange Djibril au Prophète qui n’a pas tout retenu, transcrite et retranscrite par les disciples durant des années, puis déformée par les politiques des temps, n’est pas une Parole à prendre au pied de la lettre. Le raisonnable serait de conserver le Message et de relativiser les mots ; mais la bêtise n’est pas raisonnable, elle préfère ânonner les mots par cœur que saisir le sens du Message.

rire de mahomet

La bêtise est croyante, l’intelligence est spirituelle. Les obéissants n’ont aucune autonomie, ils ne savent pas réfléchir par eux-mêmes, ils ont peur de la liberté car ce serait être responsable de ce qu’ils sont et de ce qu’ils font. Ils préfèrent « croire » sans se poser de questions et « obéir » sans état d’âme. Islam veut-il dire soumission ? Un philosophe musulman canadien interpelle ses coreligionnaires : « une religion tyrannique, dogmatique, littéraliste, formaliste, machiste, conservatrice, régressive – est trop souvent, pas toujours, mais trop souvent, l’islam ordinaire, l’islam quotidien, qui souffre et fait souffrir trop de consciences, l’islam de la tradition et du passé, l’islam déformé par tous ceux qui l’utilisent politiquement, l’islam qui finit encore et toujours par étouffer les Printemps arabes et la voix de toutes ses jeunesses qui demandent autre chose. Quand donc vas-tu faire enfin ta vraie révolution ? »

Il ne faut pas rejeter la faute sur les autres mais s’interroger sur sa propre religion, distinguer sa pratique de la foi.

Mahomet s’est marié avec Aisha lorsqu’’elle avait 6 ans (et lui au-delà de la cinquantaine) ; il a attendu quand même qu’elle ait 9 ans pour user de ses droits d’époux : c’était l’usage du temps mais faut-il répéter cet usage aujourd’hui ? L’ayatollah Khomeiny a abaissé à 9 ans l’âge légal du mariage en Iran lorsqu’il est arrivé au pouvoir… Les plus malins manipulent aisément les crédules, ils leurs permettent d’assouvir leurs pulsions égoïstes, meurtrières ou pédophiles, en se servant d’Allah pour assurer ici-bas leur petit pouvoir : Khomeiny, Daech, mêmes ressorts. Trop d’intermédiaires ont passés entre les Mots divins et le texte imprimé pour qu’il soit à prendre tel quel. Croyons-nous par exemple que Jésus ait vraiment « marché sur les eaux » ?

voies du seigneur

Il ne faut pas croire que le Coran soit la Parole brute d’Allah. Que font les intellectuels de l’islam pour le dire à la multitude ?

Toute religion a une tendance totalitaire : n’est-elle pas par essence LA Vérité révélée ? Même le communisme avait ce tropisme : « peut-on contester le soleil qui se lève ? » disait à peu près Staline pour convaincre que les lois de l’Histoire sont « scientifiques ». Qui récuse la vérité est non seulement dans l’erreur, mais dans l’obscurantisme, préférant rester dans le Mal plutôt que se vouer au Bien. Il est donc « inférieur », stupide, malade ; on peut l’emprisonner, en faire son esclave, le tuer. Ce n’est qu’une sorte de bête qui n’a pas l’intelligence divine pour comprendre. Toutes les religions, toutes les idéologies, ont cette tendance implacable – y compris les socialistes français qui se disent démocrates (ne parlons pas des marinistes qui récusent même la démocratie…). Les incroyants, les apostats, les hérétiques, on peut les « éradiquer ». Démocratiquement lorsqu’on est civil, par les armes lorsqu’on est fruste.

kamikaze se fait sauter

Le croyant étant « bête » parce qu’il croit aveuglément, comme poussé par un programme génétique analogue à celui de la fourmi, ne supporte pas qu’on prenne ses idoles à la légère. Toutes les croyances ne peuvent accepter qu’on se moque de leurs simagrées ou de leurs totems : la chose est trop sérieuse pour que le pouvoir fétiche soit ainsi sapé. C’est ainsi que Moïse va seul au sommet de la montagne et que nul ne peut entrevoir l’Arche d’alliance ou le saint des saints du temple, que Mahomet est-il le seul à entendre la Parole transmise par l’ange et que nul infidèle ne peut voir la Kaaba. Dans Le nom de la rose, dont Jean-Jacques Annaud a tiré un grand film, Umberto Ecco croque le portrait d’un moine fanatique, Jorge, qui tue quiconque voudrait simplement « lire » le traité du Rire qu’aurait écrit Aristote. Ce serait saper la religion catholique et le « sérieux » qu’on doit à Dieu… Les geôles de l’Inquisition maniaient le grand guignol avec leurs tentures noires, leurs juges masqués, leurs bourreaux cagoulés devant des feux rougeoyants. Pas question de rire ! Même devant Louis XIV (sire de « l’État c’est moi »), Molière devait être inventif pour montrer le ridicule des médecins, des précieuses ou des bourgeois, sans offusquer les Grands ni Sa Majesté elle-même.

Il ne faut pas croire que le rire soit le propre de l’homme ; ce serait plutôt le sérieux de la bêtise. Que font nos intellectuels tous les jours ?

rire beachboy

C’est cependant « le rire » qui libère. Il permet la légèreté de la pensée, le doute salutaire, l’œil critique. Rire déstresse, rend joyeux autour de soi, éradique peurs et angoisses – ce pourquoi toute croyance hait le rire car son pouvoir ne tient que par la crainte. Se moquer n’est pas forcément mépriser, c’est montrer l’autre en miroir pour qu’il ne se prenne pas trop au sérieux. C’est ce qu’a voulu la Révolution française, en même temps que l’américaine, libérer les humains des contraintes de race, de religion, de caste, de famille et d’opinions. Promotion de l’individu, droits de chaque humain, libertés de penser, de dire, de faire, d’entreprendre. Dès qu’un pouvoir tend à s’imposer, il restreint ces libertés-là.

rire de tout

Est-ce que l’on tue pour cela ? Sans doute quand on n’a pas les mots pour le dire, ni les convictions suffisamment solides pour opposer des arguments. Petite bite a toujours un gros flingue, en substitution. Surtout lorsque l’on a été abreuvé de jeux vidéos et de décapitations sans contraintes sur Internet : tout cela devient normal, « naturel ». C’est à l’école que revient de dire ce qui se fait et ce qui ne se fait en société : nous ne sommes pas dans la jungle, il existe des règles – y compris pour la diffamation et le blasphème. Il est effarant d’entendre certains collégiens (et collégiennes) dire simplement « c’est de leur faute ». Donc on les tue, comme ça ? C’est normal de tuer parce qu’un autre vous a « traité » ? Est-ce ainsi que cela se passe dans les cours de récré ? Si oui, c’est très grave…

rire de tout france

L’écartèlement entre les cultures, celle de la France qui les a partiellement rejetés, celle de l’Algérie qu’ils n’ont connue que par les parents et cousins, ont rendu les frères Kouachi incertains d’eux-mêmes, fragiles, prêts à tout pour être enfin quelqu’un, reconnus par un groupe, assurés d’une conviction. La secte est l’armure externe des mollusques sans squelette interne. Ils se sont créé des personnages de héros-martyrs faute d’êtres eux-mêmes des personnes.

Il ne faut pas croire que la multiculture enrichit forcément. Que font les politiciens pour établir les valeurs du vivre-ensemble sans les fermer sur l’extérieur ; pour faire respecter les lois de la République sans faiblesse ni « synthèse » ?

Comment faire pour « déradicaliser » les individus ? Une piste de réflexion intérieure, européenne et géopolitique. Lire surtout la seconde partie.

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Serguei Bolmat, Les enfants de Saint-Pétersbourg

serguei bolmat les enfants de saint petersbourg

Peintre et décorateur de films né en 1960 à Saint-Pétersbourg, Sergueï Bolmat s’est mis à écrire, des scénarios d’abord et puis deux romans. Les enfants de Saint-Pétersbourg est son deuxième, paru en l’an 2000. Il parle de la Russie d’aujourd’hui, de sa jeunesse à lui dans ce nouveau siècle – il avait dix ans à la chute de l’URSS.

Et nous voici découvrant les Russes qui découvrent l’underground, le style Ginsberg années 60 revu Charlie Hebdo années 70. La jeunesse aurait-elle été conservée sous naphtaline par les caciques embaumés de feue l’URSS ? Aurait-elle une génération de retard ? Sans aucun doute dans le style de ce roman déjanté. Le décor, lui est authentiquement contemporain, montrant Saint-Pétersbourg 2000, la ville la plus européenne de l’ex-empire livrée, comme le reste de l’Union, au démantèlement de tous les monopoles, à la chute de tout droit, à l’aversion envers tout ordre et toute autorité. C’est le Far West sans la naïveté, Mai 68 plus la féodalité, l’imitation du pire de cet Occident rêvé : fric et force.

L’auteur vous plante deux vieux ex-apparatchiks de la cinquantaine, reconvertis dans « les affaires ». Ils se retrouvent en butte à l’inévitable racket dès que l’entreprise marche un tant soit peu : la mafia a remplacé le fisc, aussi gourmande mais moins facile à gruger. Selon la loi du plus fort en vogue dans le Saint-Pé 2000, aucun scrupule : il faut tuer les tueurs avant que ceux-ci ne vous tuent. Pour cela, rien de plus facile, certains numéros de mobiles circulent, sous le manteau, qui se porte long et longtemps durant les hivers russes. Las ! Le tueur pressenti est tué par ses commanditaires tueurs, après une tuerie pour eux réussie. Vous suivez ? Ce n’est rien encore : son téléphone mobile, parce qu’il est « japonais dernier cri », résiste au looping du cadavre et est « récupéré » parce qu’il peut servir (vieux réflexe soviétique).

L’appel qui suit, pour une nouvelle mission, aboutit donc aux oreilles d’une bande de jeunes à eux tout seuls. Ils n’existent que pour eux-mêmes, le reste du monde n’étant créé que pour leur satisfaction (vieil héritage 68 décliné en moi-je-personnellement des ex-jeunes, bobos arrivés, dans nos médias). Marina, enceinte de son Tioma, ne sait si elle l’aime mais elle ne peut ni le lui dire ni se passer de lui. Le Tioma en question ne sait pas trop ce que veut dire d’être bientôt père et noie ses échecs divers dans les drogues et les autres filles qui se présentent à lui. Deux comparses complètent la bande, Coréenne Kho qui tient la chandelle et Anton, hacker friqué qui obtient tout sur les claviers.

Le décor est planté, aussi improbable que la vie à New-York avant la reprise en main. La tuerie va-t-elle se boucler ? Le scénario est aussi psychédélique que les descriptions de couchers de soleil : « Encore éclatant, scintillant de son feu inconstant et insistant qui transparaissait à travers son propre contour oscillant, séparé du reste de l’espace pourtant proche par la barrière noire d’un nuage, Hélios s’accroupit sur l’horizon, entouré de toute une végétation céleste incandescente dont les clairières laissaient entrevoir des amas de menues pierres précieuses, dessinées avec une précision scientifique, qui tombaient en pluie vers le néant. Une large arabesque… (etc., etc.) » p. 222. Vous voyez le style.

ado muscle nu

Mais ne vous arrêtez pas à lui, le roman est ironique, déjanté, rempli des tics obligatoires du « moderne » vu par un Russe moyen : muscles, joints, fringues, sexe, alcool, portable et pistolet. Sans ces accessoires, l’homme comme la femme est tout nu dans la jungle soviéto-urbaine revue Poutine. Les jeunes femmes ne songent qu’à coucher et les jeunes hommes qu’à tuer, pour arriver. Les seules « affaires » qui marchent sont celles que l’on pique à d’autres, l’imbécile restant bien sûr celui qui travaille pour de vrai. Le labeur a été tellement glorifié par l’ex-URSS que les jeunes Russes le rejettent en bloc, idéologie et principal.

L’attachant est la jeunesse : paumée mais pragmatique, immorale mais bien vivante. Voici la Russie 2000, sans droit hors celui du plus fort. Mais rassurez-vous, l’auteur n’est pas yankee et le vieux sentimentalisme russe ressurgit de lui-même sous sa plume, pour le happy end de rigueur dans les pays élevés au lait du socialisme… Même imitant les imitations, la Russie reste la Russie.

Sergueï Bolmat, Les enfants de Saint-Pétersbourg, Robert Laffont Pavillons 2003, 302 pages, €20.43

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Bogota en Colombie

La fin du séjour équatorien est proche, les valises prêtes, nous partons pour l’aéroport, direction Bogota en Colombie. Un guide est prévu pour nous faire visiter la ville et le musée de l’or. Ce monsieur ne cessera de nous vanter le calme de la Colombie. « En Europe, vous dites beaucoup de mal de ce pays et vous nous faites du tort, le touriste ne vient plus. » C’est peut-être vrai ?

Ce fut une merveilleuse escale en Colombie, courte mais intense. En direction d’Aruba avant l’Europe, Bogota apparaissait à 2680 m d’altitude au milieu d’un plateau immense et fertile, entouré de hautes montagnes le Montserrate (3200 m) et le Guadalupe (3320 m). Elle est peuplée de 7 millions d’habitants. Le centre-ville et la Candelaria disposent d’attraits touristiques.

La Candelaria est le quartier historique situé en plein centre et préservé de la destruction. Ce sont de belles maisons à balcons, rénovées par des artistes et des monuments coloniaux historiques convertis en musées. Sur les flancs du Monserrate, le quartier est, grâce à ses rues étroites, un oasis de tranquillité.

La Plazza Bolivar est connue de tous. C’est depuis les premiers temps de la conquête la place où l’on célébrait des messes, où l’on organisait de somptueuses fêtes, des corridas, des marchés, où l’on tenait procès, où l’on fouettait et pendait les criminels. L’avenidad Jiménez est le lieu de marchandage des émeraudes. Tout est légal, surveillé par la police, les uns viennent proposer des pierres brutes (d’un vert…) et les autres viennent acheter. Tout ce commerce se fait en pleine rue.

Ah ! oui, il existe une cinquantaine de musées dans la ville, dont le Museo del Oro ! Un musée « coffre-fort » qui regroupe plus de 36 000 vestiges, des milliers d’objets en or. On y voit briller des bijoux, des masques, des statuettes, de la vaisselle, des poteries, des textiles présentés et classés suivant les différentes cultures indigènes. Fabuleux !

Le guide de cette journée colombienne n’avait de cesse de vanter la Colombie paisible, pas de voyous, pas de tueurs, que des gens calmes et souriants. Chacun peut avoir son idée. Il déplorait quand même la mauvaise réputation faite à la Colombie qui nuisait au tourisme. « Voyez-vous-même, il n’y a aucun danger. » Honni soit qui mal y pense, disent bien en français les Anglais.

Le voyage avait été agréable. B. et moi étions ravies de notre découverte. En nous repassons les images, nous rions encore des petites mésaventures équatoriennes. Nous étions six francophones dans un groupe de Vlams (Flamands). Tout de suite, ils nous ont mis à l’index. Nous ne parlions pas flamand et eux pas le français (c’est ce qu’ils ont prétendu au guide). Qu’à cela ne tienne, nous en avions vu d’autres. Toujours la vieille histoire entre Wallons et Flamands qui ressort, même à l’autre bout du monde et envers des gens qui ne sont même pas Belges !

Le soir de notre arrivée à Quito, soirée musique. L’altitude, la fatigue du voyage nous mènent rapidement au  lit. Le lendemain, personne au petit déjeuner. B. se demande s’ils ne sont pas partis sans nous ? Moi : « nous verrons bien. » Le guide (Belge habitant l’Équateur) arrive. Ses traits sont tirés ! Les autres – les Flamands – sont encore au lit. Nous commencerons la visite sans eux et reviendrons plus tard les prendre à l’hôtel. A l’heure dite, ils sont là. On dirait des zombies. Ils ont du drôlement picoler hier soir. Sur le trajet en bus, il faut sans cesse s’arrêter pour qu’ils vomissent dans le fossé. C’est la course dans le bus ! Pas de tir groupé mais une débandade. Le soir, à l’hôtel, personne que les six francophones au repas. Pour les autres ? Alka-Selzer…

En résumé, un voyage de découvertes, très enrichissant, des paysages à couper le souffle, quelques petits problèmes d’altitude en Équateur, mais c’était si dépaysant et si merveilleux !

Hiata de Tahiti

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Thorgal, les quatre albums au pays de Qâ

Thorgal, le héros viking venu enfant des étoiles, a rencontré l’amazone Kriss de Valnor dans l’album 9. Les albums 10 à 13 sont une saga à rebondissements due à cette peste brune. Thorgal a à peine rejoint son île avec ses nouveaux amis, le vieux Pied d’arbre et l’adolescent fantasque Tjall, que son gamin Jolan est enlevé avec Pied d’arbre par un commando venu en secret de la côte. A l’origine : Kriss de Valnor. Toujours en quête de richesse, une mission dangereuse la tente, payée d’un chariot entier d’or tiré par deux bœufs.

Elle a pour cela besoin d’un compagnon rusé, fort et intelligent comme Ulysse – et elle choisit Thorgal, dont cette féministe pleine de ressentiment envers les mâles est inconsciemment amoureuse.

Lui ne veut pas mais est obligé pour revoir son gamin. Aaricia, sa femme, veut l’accompagner. il tente de la dissuader mais elle est jalouse de Kriss de Valnor, trop belle et trop guerrière pour ne pas tenter – un peu – son guerrier viking de mari… Et puis Jolan n’est-il pas son fils à elle aussi ?

Cela ne convient guère au héros, qui aspire à vivre en paix parmi les siens qu’il aime, mais tel est son destin. Les auteurs sont cruels avec leur création, pour le plus grand bonheur des jeunes lecteurs de ‘Tintin’.

« Pourquoi ma vie doit-elle être sans cesse traversée de souffrance et de mort ? » s’interroge Thorgal alors que Tjall, qui l’a trahi mais qui s’est racheté, vient d’être tué. « Parce que tu n’appartiens pas à la destinée de ce monde », lui dit la statue de la Déesse sans nom, qui fut autrefois sa mère céleste sous le nom d’Haynée.

Le pays de Qâ est une sorte de tyrannie aztèque où un dieu sorti nu de la mer, Ogotaï, s’est imposé aux indigènes par la puissance de ses ondes mentales. Il les a réunis en un État puissant, aux technologies nouvelles comme ces vaisseaux volants soutenus par des ballons. Le peuple des Xinjins est le seul qui résiste encore et toujours à l’envahisseur. Il est dirigé par un autre dieu lui aussi venu d’ailleurs, Tanatloc. C’est sur sa volonté que la mission de tuer Ogotaï pour établir la paix est créée.

Thorgal n’est pas un tueur mais il ne supporte pas qu’on attente à la vie des siens et défendra toujours les faibles. S’il tue, c’est par nécessité, pas par plaisir comme Kriss, ni par soif de pouvoir comme Ogotaï.

La tragédie est que Thorgal y soit mêlé. Tanatloc est en effet ce vieil homme qu’a rencontré Thorgal à douze ans, qui lui a appris ses origines : il est son grand-père. Le tyran Ogotaï qu’il doit tuer est son père et la déesse sans nom Haynée, sa mère, morte depuis longtemps. Le petit Jolan, six ans, enlevé pour convaincre Thorgal d’obéir, est l’arrière petit-fils du vieux Tanatloc près de mourir.

Il apprendra au gamin presque nu à se servir de sa puissance mentale pour décomposer la matière en ses éléments avant de la recomposer à son gré. Pas facile quand on n’a que six ans. Il faut être pressé par la nécessité ou saisi d’une forte passion pour libérer ce pouvoir. Le vieil homme guide son descendant pour guérir Thorgal saisi de fièvre dans la forêt, à des milles de là.

Tout finira bien parce que la tyrannie suscite toujours ses antidotes, même sans héros catalyseur. Mais elle renaît sans cesse dès qu’une parcelle de pouvoir exclusif peut être acquise par une seule personne : user de ses pouvoirs extraterrestres comme Ogotaï, se revendiquer d’un dieu vivant comme Uébac, engranger de l’or pour plusieurs vies comme Kriss de Valnor. Celle-ci sera punie par son péché majeur : la vanité. C’est l’innocent Jolan qui sauvera ses vingt ans forts compromis. Elle ne lui en sera pas reconnaissante pour autant, prête à l’égorger pour qu’on fasse ses quatre volontés, puis ligotant le gamin pour qu’il se tienne tranquille. Le destin ne lui sera pas favorable, mais ce n’est que partie remise.

Quant à Jolan, ses pouvoirs potentiels lui montent à la tête. Il n’est qu’un enfant facilement influençable. La déférence de proches comme Uébac, qui le flattent après la mort de Tanatloc, en font un dieu vivant nommé Hurukan. Le gamin se croit tout permis et devient capricieux. Soucieux d’éducation, et pour son bien, Thorgal châtie ces penchants à l’égoïsme et à la vanité par une bonne fessée cul nu devant les autres.

Mais il tient à lui et le petit sait que ses parents ne peuvent l’abandonner, même si on lui fait croire. Il pleurera de repentir dans les bras de son père, un peu plus tard, alors qu’il a chu dans un fleuve, attaché au chariot de la Valnor alors qu’elle tentait de le battre comme plâtre.

La leçon de cette tétralogie au pays de Qâ est que le pouvoir corrompt : celui de l’or qui pousse Kriss de Valnor à vouloir tout faire pour réussir cette mission de tuer ; celui du désir sexuel qui pousse le jeune Tjall à trahir Thorgal qui est pourtant son modèle ; celui de la puissance qui monte à la tête d’Ogotaï comme de Uébac et de Jolan. Mais il y a toujours une chance de s’en sortir, dit Thorgal. Et, outre l’aventure qui fait hérisser la peau, il y a de bien belles filles à moitié dénudées par la jungle et les combats, dans l’album…

C’est ainsi que l’amour, le courage et la tempérance, tout comme l’érotisme et la domination de soi, qui sont des vertus vikings aussi bien qu’occidentales, sont enseignées aux gamins des années 1980.

Rosinski et Van Hamme, Thorgal 10, Le pays Qâ, 1986, édition du Lombard, 48 pages, €11.35

Rosinski et Van Hamme, Thorgal 11, Les yeux de Tanatloc, 1986, édition du Lombard, 48 pages, €11.35

Rosinski et Van Hamme, Thorgal 12, La cité du dieu perdu, 1987, édition du Lombard, 48 pages, €11.35

Rosinski et Van Hamme, Thorgal 13, Entre terre et lumière, 1988, édition du Lombard, 48 pages, €11.35

Les albums Thorgal chroniqués sur ce blog

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