Le Musée de l’Armée à Paris expose les Forces spéciales jusqu’au dimanche 29 janvier 2023.
Commando : ce terme fait rêver les gamins, dont mon voisin lorsqu’il avait 13 ans. Désormais dans sa vingtaine, ses parents (divorcés) l’ont convaincu chacun de leur côté d’être chef, mais plutôt cuisinier. Le commando le faisait rêver d’aventures mais il n’a pas été jusqu’au bout. Il aurait pu être pompier volontaire dès l’âge de 15 ans mais les frasques de certains, analogue de celles ayant eu lieu dans l’Eglise catholique, l’en avait dissuadé
Louis Saillans (est-ce son vrai nom ?) est devenu commando marine par hasard. Il avait surtout envie d’être utile et n’était pas intéressé par la pensée théorique sans application pratique. Il tenait aux relations humaines. « Je suis tout sauf un intellectuel. (…) Je me suis beaucoup ennuyé au collège et au lycée. Je lisais en revanche beaucoup de romans d’aventure, de science-fiction ou d’heroic fantasy », déclare-t-il à la librairie beauceronne Une page à écrire. Il a songé un moment à l’enseignement, mais la routine anticipée des programmes et l’Administration trop politiquement correcte l’en a vite dissuadé. Ne vous demandez pas pourquoi il y a peu d’hommes dans l’enseignement à l’Éducation nationale, ni autant de places non pourvues aux concours.
Après deux ans de sciences physiques en fac, le jeune Louis s’est dirigé vers le pilotage pour l’armée de l’air, sur l’exemple de son père qui avait un brevet de pilote et en était ravi. Il a pour cela travaillé un temps dans la restauration rapide pour se payer les cours puis a réussi ses diplômes de qualification. Mais un jour, assistant à l’intérieur d’un avion militaire Transall au saut en parachute de commandos marine, il a eu une bouffée d’adrénaline qui lui a donné envie de suivre leur exemple. Son goût pour le combat et son désir de servir l’ont amené à tenter la sélection.
Il y trouve un choix sévère qui procède par élimination au moral et un entraînement extrêmement dur, tout un chapitre du livre. 23 seulement réussissent sur 140 candidats. Mais il peut désormais arborer le béret vert des commandos Kieffer, créés contre l’occupation allemande par un entraînement anglais en Écosse. Il va désormais accomplir de véritables missions, qu’il décrit en détail au Sahel, sans jamais donner de nom, ni de lieu, ni de date – confidentialité oblige. Cette partie, en plusieurs chapitres, montre comment se passe sur le terrain les missions difficiles de traquer les terroristes peu armés de technologies mais animés d’une foi doctrinaire.
Il deviendra chef de groupe, autrement dit capitaine, et quittera l’armée au bout de 10 ans, en 2021, sur des divergences d’opinion à propos de l’emploi des forces françaises à l’international. Il désire aussi, ayant de jeunes enfants, moins risquer sa vie et assurer plutôt la mission d’enseigner son expérience aux jeunes restés patriotes. Celui qui veut être chef, dit-il dans l’entretien cité plus haut, doit avoir : « le sens des responsabilités (répondre des victoires et des échecs de ses hommes et des siennes), le courage (rester ferme lorsque plus personne ne l’est), le charisme (car c’est l’expression du caractère… et il en faut!) et le discernement (ou “laisser agir la facilité du bon sens” selon Louis XIV). » Ce devrait être le cas aussi dans la vie civile, dans les entreprises comme dans les administrations et chez les technocrates au sommet de l’Etat, mais force est de constater que la vanité, l’égoïsme et se défiler devant toute responsabilité reste la norme. « Responsables mais pas coupable », disaient certains.
Ce pourquoi notre société libérale démocratique ne fait pas vraiment rêver face aux sociétés théocratiques fanatiquement croyantes. Ce pourquoi aussi les divers « fascismes » qui reprennent vie en ce début du XXIe siècle, de Poutine à Xi Jin Ping et d’Erdogan à Bolsonaro, en passant par la dynastie Le Pen, attire tant de monde, y compris chez les jeunes bourgeois aisés. Croire et s’inféoder permet de donner un sens à son existence tandis que la science ou la démocratie sont des efforts constants de la raison – ce qui est, convenons-en, fatiguant. Les plus flemmards et les moins nantis intellectuellement (même dans les classes aisées, l’argent n’étant pas souvent la résultante des qualités cérébrales) se laissent donc aller à la facilité d’aliéner leur liberté pour ne plus porter aucune responsabilité. Seul le chef commande, on le suit, et le dogme prévaut, ce qui dispenses de réfléchir.
Pour l’auteur, qui a passé dix ans de sa vie en mission pour la France, notre pays accomplit certes son devoir de protéger les populations ont demandé du secours mais, une fois la victoire militaire acquise, plus rien. Comment gagner les cœurs et les esprits ? Tous les pays où nous intervenons, de l’Afghanistan à l’Irak, du Mali au Sahel, sont des pays pauvres dont le niveau de vie, l’éducation et l’hygiène font défaut. Construire des écoles et ouvrir des hôpitaux serait la suite logique de l’intervention militaire, sauf que la France, comme les autres pays nantis, ne s’en préoccupe pas. Les Américains interviennent comme des extraterrestres, vivant dans leur base et sortant très peu, ne consommant que des aliments venus directement des États-Unis, ne fréquentant absolument pas la société civile dans laquelle ils combattent. Quant aux Russes, ils ne sont que des milices privées qui ont pour objectif de sécuriser les mines à exploiter pour leur propre compte. Les Français, à l’inverse, ont la tradition d’ouvrir leurs hôpitaux de campagne à tous et de se mêler à la population, notamment lorsqu’elles parlent français. Une fois partis cependant, rien ne reste. Ce pourquoi le chef de groupe du commando marine a quitté l’armée pour témoigner.
Louis Saillans a construit sa réflexion à partir de Dostoïevski, Nietzsche ou Gustave Thibon, déclare-t-il. Si les deux premiers auteurs sont connus, le dernier l’est moins. Ils donnent la tendance de l’ancien commando : le nihilisme terroriste illustré par Dostoïevski le rapproche de la tradition catholique, mais non conformiste ; la pensée critique de Nietzsche l’amène à comprendre l’ennemi, sans condescendance ni conversion, ce qui est indispensable pour mener une bonne guerre ; l’inclination vers Maurras de Thibon le conduit vers le conservatisme de tradition chrétienne et patriote mais Gustave Thibon refusera cependant la francisque de Pétain (ce que Mitterrand acceptera) et deviendra ami avec Simone Veil qui lui confiera ses cahiers lorsqu’elle partira aux États-Unis. En bref, un humanisme intransigeant, mais ouvert, plus orienté vers l’action que vers la théorie.
Ce petit livre peut se lire à plusieurs niveaux, le premier d’aventures, le second géopolitique, le troisième moral et humain. C’est ce qui fait sa force.
Louis Saillans, Chef de guerre – au cœur des opérations spéciales avec un commando marine, 2020, J’ai lu 2022, 223 pages, €7.60, e-book Kindle emprunt abonnement ou €13.99
Raisonner ou résonner ?
Hier la culture était comme la confiture de grand-mère, un assaisonnement maison de la tartine, une délicatesse de la personnalité. Aujourd’hui ? La culture est comme la confiture industrielle, la préférence pour le « light » et le « bio », l’irraison est élevée au rang des beaux arts.
C’est un professeur de philosophie qui le dit : « Une chose est de constater la présence d’erreurs de jugement, d’incompréhensions, de lacunes dans les connaissances. Ce qu’on observe aujourd’hui est d’une autre nature : il s’agit de l’incapacité des élèves à saisir le sens même du travail qui leur est demandé. (…) Il est devenu impossible de se référer à l’art de construire une problématique et une argumentation pour différencier les copies. » (Eric Deschavanne dans ‘Le Débat’ mai-août 2007). Bien que déjà mûrs – plus qu’avant – à 17 ou 18 ans, bien que possédant une ‘culture’ qui, si elle n’est pas celle des humanités passées, n’en est pas moins réelle, les jeunes gens paraissent dans leur majorité incapables d’exercer leur intelligence avec méthode.
Ils ne raisonnent pas, ils résonnent.
Ne comprenant pas le sujet, ils le réduisent au connu des lieux communs véhiculés par la culture de masse (le net, Facebook, la télé) ; ne connaissant que peu de choses et ne s’intéressant à ‘rien’ d’adulte (surtout ne pas être responsable trop tôt, ne pas s’installer, rester dans le cocon infantile), ils régurgitent le peu de savoir qu’ils ont acquis sans ordre, sans rapport avec le sujet.
Ils n’agissent pas, il réagissent.
Ils ne font pas l’effort d’apprendre, ils « posent des questions ». Leur cerveau frontal, peu sollicité par les images, la musique et les « ambiances » propres à la culture jeune, ne parvient pas à embrayer, laissant la place aux sentiments et aux « émotions ». Ils ont de grandes difficultés avec l’abstraction, l’imagination et la mémorisation, car ce ne sont pas les images animées ni les jeux de rôle, ni le rythme basique et le vocabulaire du rap qui encouragent tout cela… Tout organe non sollicité s’atrophie. On n’argumente pas, on « s’exprime ». On n’écoute pas ce que l’autre peut dire, on est « d’accord » ou « pas d’accord », en bloc et sans pourquoi.
Comment s’étonner que l’exercice démocratique d’une élection se réduise, pour le choix d’un candidat, à « pouvoir le sentir » ? Comment s’étonner que l’exercice pédagogique de la dissertation soit abandonné comme « trop dur », au profit de la paraphrase du « commentaire » ? Comment s’étonner que le bac devienne, pour notre époque, ce que fut le certificat d’études jadis, la sanction d’un niveau moyen d’une génération et absolument pas le premier grade des études supérieures ?
Et c’est là que l’on mesure que ce peut avoir d’hypocrite la moraline dégoulinante de bons sentiments des soi-disant progressistes français. Cette expression de Frédéric Nietzsche dans ‘Ecce Homo’ signifie la mièvrerie bien-pensante, l’optimisme béat des croyants en la bonté foncière, les « bons sentiments » qui pavent l’enfer depuis toujours.
Le collège unique pour tous ! La culture générale obligatoire jusqu’à 16 ans ! 80% d’une classe d’âge au bac ! Qu’est-ce que cela signifie réellement, sinon « l’effet de moyenne », cet autre nom de la médiocrité ? Car que croyez-vous qu’il se passe quand la notation des épreuves est réduite à se mettre au niveau des élèves ? Quand l’éducation ne consiste plus qu’à faire de l’animation dans les classes, pour avoir la paix ?
Eh bien, c’est tout simple : la véritable éducation à la vie adulte s’effectue ailleurs. Et c’est là où la « reproduction », chère à Bourdieu et Passeron, revient – et plus qu’avant.
Quels sont les parents qui limitent le Smartphone, la télé, les jeux vidéo et le tropisme facile de la culture de masse ? Pas ceux des banlieues ni les ménages moyens… mais ceux qui ont la capacité à voir plus loin, à financer des cours privés et à inscrire leurs enfants dans des quartiers où puisse jouer le mimétisme social du bon exemple. Mais oui, on tient encore des raisonnements logiques dans les khâgnes et les prépas ; on apprend encore dans les ‘grandes’ écoles, surtout à simuler des situations ; on ingurgite des connaissances lorsqu’il y a concours. Le « crétinisme égalitariste » de l’UNEF, que dénonçait Oliver Duhamel sur France Culture, laisse jouer à plein tous les atouts qui ne sont pas du système : les parents, leurs moyens financiers, leur quartier, leurs relations.
Le fossé se creuse donc entre une élite qui sait manier son intelligence, parce qu’elle a appris à le faire, et une masse de plus en plus amorphe, acculturée et manipulée – laissée par l’école à ses manques. Cette superficialité voulue à tous les niveaux scolaires de la maternelle à l’Université conduit à réduire l’effet ascenseur social qui régnait à l’école d’après-guerre.
Faut-il en incriminer « le capitalisme » ? Allons donc ! Quel bouc émissaire facile pour évacuer l’indigence de la pensée « démocratique » ! Ne trouvez-vous pas étrange que, malgré deux septennats de présidence de gauche, un quinquennat de gouvernement Jospin et un quasi quinquennat de présidence Hollande, malgré la vulgate anti-bourgeoise des intellectuels depuis 1968 – l’égalité des chances n’ait EN RIEN progressé depuis une génération ? Au contraire même.
L’élite d’il y a 1000 ans se maintenait par la force : l’épée, se tenir à cheval, la parentèle. L’élite du 21ème siècle se maintient par l’intelligence : savoir s’adapter, anticiper, trouver des exemples dans le passé et les interpréter pour aujourd’hui, la formation du caractère – et toujours la parentèle (étendue au réseau social).
Ne pas offrir d’exercer l’intelligence est une faute politique et une hypocrisie sociale. Elle réduit l’humain à résonner en chœur, pas à raisonner en adulte citoyen. Certains diront que c’est voulu ; je pense pour ma part qu’il s’agit de lâcheté politique.