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Les trois commerces de Montaigne

Au chapitre III du Livre III des Essais, Montaigne nous expose ses « trois occupations favorites » : les hommes, les femmes, les livres. Ce qu’il appelle ses « commerces », qui bougent sa façon. Car « La plupart des esprits ont besoin de matière étrangère pour se dégourdir et exercer  ; le mien en a besoin pour se rasseoir plus tôt et séjourner, car sa plus laborieuse et principale étude, c’est s’étudier à soi. »

« Les discours, la prudence et les offices d’amitié se trouvent mieux chez les hommes », dit-il. Mais leur commerce « est ennuyeux par sa rareté » car, le plus souvent, nous n’avons occasion de converser qu’avec le tout venant, de choses banales et quotidiennes. Des femmes, « je ne connais Vénus sans Cupidon » car les apprêts, afféteries et autres maquillages ne sont rien sans le désir ; or « il se flétrit avec l’âge. » Que reste-t-il ? Les livres. Leur commerce « est bien plus sûr et plus à nous. Il cède aux premiers les autres avantages, mais il a pour sa part la constance et facilité de son service. (…) Il me console en la vieillesse et en la solitude, il me décharge du poids d’une oisiveté ennuyeuse ; et me défait à toute heure des compagnies qui me fâchent. Il émousse les pointures de la douleur, si elle n’est du tout extrême et maîtresse. Pour me distraire d’une imagination importune, il n’est que de recourir aux livres ; (…) il me reçoivent toujours de même visage. »

Les livres sont des stimulants, pas seulement un savoir accumulé. « J’aime mieux forger mon âme que la meubler », dit Montaigne. « La lecture me sert spécialement à éveiller par divers objets mon discours, à en besogner mon jugement, non ma mémoire. » Montaigne fait état d’une complexion difficile, rêveuse et peu à autrui. Si « La gentillesse et la beauté me remplissent et occupent autant ou plus que le poids et la profondeur », « je sommeille en toute autre communication et je n’y prête que l’écorce de mon attention », répondant souvent « des songes et bêtises indignes d’un enfant et ridicules». « Cette complexion difficile me rend délicat à la pratique des hommes (il me les faut trier sur le volet) et me rend incommode aux actions communes. » Il a connu une amitié parfaite, celle de La Boétie, et depuis goûte peu les relations qui ne sont pas de ce degré. « Les hommes de la société et familiarité desquels je suis en quête, sont ceux qu’on appelle honnêtes et habiles hommes ; l’image de ceux-ci me dégoûte des autres. » Il regrette de n’être assez souple pour être bien partout et de plain pied avec chacun. « Je louerais une âme à divers étages qui sache et se tendre et se démonter, qui soit bien partout où sa fortune l’apporte, qui puisse deviser avec son voisin de son bâtiment, de sa chasse et de sa querelle, entretenir avec plaisir un charpentier et un jardinier ; j’envie ceux qui savent s’apprivoiser au moindre de leur suite et dresser de l’entretien en leur propre train. » Ce n’est pas son cas.

Pour les femmes, elles sont trop empruntées, « enterrées et ensevelies sous l’art » de la parure et du maquillage. « C’est qu’elle ne se connaissent point assez, dit Montaigne  ; le monde n’a rien de plus beau ; c’est à elle d’honorer les arts et de farder le fard. » Foin des femmes savantes, « quand je les vois attachées à la rhétorique, à la judiciaire, à la logique et semblables drogueries si vaines et inutiles à leurs besoins, j’entre en crainte que les hommes qui le leur conseillent, le fassent pour avoir loi de les régenter sous ce titre. » Socrate conseillait de faire « selon qu’on peut ». L’excès en-deça ou au-delà est paresse ou vanité. « C’est aussi pour moi un doux commerce que celui des belles et honnêtes femmes, dit Montaigne (…) Mais c’est un commerce où il faut se tenir un peu sur ses gardes et notamment ceux en qui le corps peut beaucoup, comme en moi. Je m’y échaudais en mon enfance et il souffris toutes les rages que les poètes disent advenir à ceux qui s’y laissent aller sans ordre et sans jugement. » L’enfance est ici non la pré-puberté mais avant l’âge de la majorité civile, fixé à cette époque fort tard, sur l’exemple romain ; autour de 25 ans selon les provinces, 30 ans pour le mariage.

« Je suis tout au dehors et en évidence, né à la société et à l’amitié. La solitude que j’aime et que je prêche, ce n’est principalement que ramener à moi mes affections et mes pensées, restreindre et resserrer non mes pas, mais mes désirs et mon souci, résignant la sollicitude étrangère et fuyant mortellement la servitude et l’obligation, et non tant la foule des hommes que la foule des affaires. » Montaigne est le premier individualiste des Lumières, qui ne naissent pas encore mais pointent seulement à la Renaissance avec la redécouverte des moralistes antiques.

Seuls des livres sont des compagnons fidèles et à merci. Et Montaigne de décrire sa « librairie », qu’on appelle aujourd’hui bibliothèque (le mot librairie est resté en anglais, transmis avec la culture romane par les Normands). « Elle est au troisième étage d’une tour » – que l’on peut encore visiter au château de Montaigne. « D’une vue, tous mes livres rangés à cinq degrés environ » car la pièce est courbe. « J’essaie à m’en rendre la domination pure, et à soustraire ce seul coin à la communauté et conjugale, et filiale, et civile. » Car il faut garder un coin à soi, dit Montaigne.

Les livres servent toute la vie. « J’étudiais, jeune, pour l’ostentation ; depuis, un peu, pour m’assagir ; à cette heure, pour m’ébattre ; jamais pour le gain. » Ce n’est point accumuler du savoir que de lire selon Montaigne, c’est se mieux connaître soi et autrui. L’inconvénient du livre, consent notre philosophe, est que, « si l’âme s’y exerce », il immobilise le corps « duquel je n’ai non plus oublié le soin ». Toujours modéré, toujours balancé, Montaigne est un libéral avant que le mot soit formé.

Michel de Montaigne, Les Essais (mis en français moderne par Claude Pinganaud), Arléa 2002, 806 pages, €23.50

Michel de Montaigne, Les Essais (mis en français moderne par Bernard Combeau et al.) avec préface de Michel Onfray, Bouquins 2019, 1184 pages, €32.00

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Visite virtuelle du château de Montaigne et de sa tour librairie

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Ne vous laissez pas aveugler par la coutume, dit Montaigne

Le chapitre XLIX des Essais, livre 1, revient une fois de plus sur la relativité des choses. En l’espèce « les coutumes ». « C’est un commun vice, non du vulgaire seulement, mais quasi de tous hommes, d’avoir leur visée et leur arrêt sur le train auquel ils sont nés », observe Montaigne. L’autorité de l’usage aveugle car imiter ses semblables est irrésistible pour se sentir exister. De même, critiquer les autres et leurs coutumes « barbares » permet de s’assembler.

Ainsi j’ai entendu des voyageurs, du temps où les gens partaient (par mode), de retour des Indes, d’un certain âge et d’un certain milieu pas très ouvert, critiquer entre eux les repas, les hôtels, les transports, les guides… Ainsi ai-je entendu aussi tout récemment, du temps où les gens votaient pour un nouveau président (par coutume démocratique), d’un certain âge et d’un milieu plutôt riche et traditionnel, critiquer entre eux (et leurs médias exclusifs) les nourritures exotiques, les gourbis et casbahs, les RER de la peur et les bandes organisées et basanées des cités… « Je me plains de sa particulière légèreté, de se laisser si fort piper et aveugler à l’autorité de l’usage présent », déplore Montaigne. Voyager, c’est se transporter ailleurs et hors de soi ; accueillir moins l’immigration que les enfants et petits-enfants nés français de ces immigrés, serait-ce les vouloir d’une seule tête et d’une seule coutume, comme si la diversité n’existait pas en France ? Mais les régions n’ont-elles pas leur langue, leur chaîne télé et leurs journaux, leur gastronomie, leurs paysages et leurs coutumes ?

D’autant que par ailleurs, ces mêmes qui rappellent à son de trompe l’éternité figée de la Tradition, s’empressent « de changer d’opinion et d’avis tous les mois, s’il plaît à la coutume », notait déjà Montaigne de son temps. Du XVIe au XXIe, le Français de cour n’a pas changé : il est celui qui compte et fait l’Opinion, que ce soit dans les médias parisiens ou sur les réseaux zozios (qui piaillent et criaillent en chœur).

Or nous constatons une « continuelle variation des choses humaines », analyse Montaigne. La lecture des Anciens, l’observation des autres et les voyages permettent d’en avoir « le jugement plus éclairci et plus ferme ». Suit une interminable recension de tout ce que les Romains faisaient que le Français à l’époque de Montaigne ne faisait plus : se laver nu et entièrement, se faire frotter par l’autre sexe dans les bains publics, manger couché sur un lit, se torcher le cul avec une éponge (« il faut laisser aux femmes cette vaine superstition des paroles », se moque Montaigne de ce vocabulaire cru), pisser dans les demi-cuves disposées dans la rue, enneiger le vin pour qu’il soit froid, placer l’hôte d’honneur au milieu de la table et non pas au haut bout, porter le deuil en blanc, avoir le poil long par devant et tondu à l’arrière de la tête comme les Gaulois (la mode footeuse varie plus souvent de nos jours).

Tout cela est ondoyant et divers, en bref très humain. Pourquoi, dès lors, se dévouer à une coutume au prétexte qu’elle est celle de la mode ? C’est porter un uniforme pour être reconnu. Or ne faut-il pas penser par soi-même, se vêtir selon ses goûts, en bref être avant tout soi-même ? Ce n’est qu’à cette aune que nous serons ouverts aux autres. Qui, au contraire, n’est pas sûr de soi (comme les adolescents et les intellos des réseaux), va se conformer aux autres, à l’opinion commune, à ce qui se fait, se pense et se dit. La tyrannie démocratique peut ainsi se révéler aussi forte que la tyrannie soviétique ou chinoise : le camp, c’est l’exclusion sociale ; le goulag, c’est le woke. « Barre-toi, t’es pas d’ma bande », chantait déjà Renaud, le post-soixantuitard.

Michel de Montaigne, Les Essais (mis en français moderne par Claude Pinganaud), Arléa 2002, 806 pages, €23.50

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François Coupry, L’agonie de Gutenberg 2

Voici la suite de L’agonie de Gutenberg 1 – Vilaines pensées 2013/2017, chroniquées en 2018 sur ce blog, et que tout le monde attendait (bien-sûr) avec impatience (si ! si !). Nous sommes dans la suite, donc rien n’a changé que je que je disais il y a trois ans (même si les ânes peuvent changer d’avis aussi). Un blog ne fait pas un livre, ce qui s’écrit au jour le jour est distrayant, ce qui se lit en continu ennuie. La dispersion est d’actualité, pas d’éternité. De plus, « un livre » est antiécologique lorsqu’il n’apporte aucune valeur ajoutée.

L’auteur le reconnaît dès la p.92, dans une « vilaine pensée » du 3 avril 2019 : « Il faut se rendre à l’évidence, de moins en moins de gens aiment lire, de nos jours. Surtout parmi les ignares et les jeunes, mais pas seulement. En revanche, on écrit de plus en plus, notre siècle du twitter et du texto sera épistolaire. Il y a davantage d’auteurs que de lecteurs, ce qui signifie que l’on ne communique plus, que l’on crée pour soi-même à tire-larigot ». Comme c’est bien vu ! Dès lors, pourquoi rajouter un écrit de plus à l’écrit qui prolifère ?

Reste qu’à petite dose, lire Coupry peut être plaisant tant ses personnages sont loufoques et ses contes (im)moraux. Ce qui fait (devrait faire) réfléchir. Mais si l’on peut penser à petite dose, une dose massive tue l’effort. Un conte par jour suffit à sa peine. Le lecteur assidu (il en existe sans aucun doute) retrouvera le vieux Piano dont les notes s’évadent de plus en plus, son petit-fils ado Clavecin qui crécellise en ludion de BD, déguisé en toutes les formes (tiens, c’était la définition du Malin aux temps médiévaux…), sans compter FC lui-même et quelques animaux comme l’aigle Xi, l’âne von Picotin et le chien Tengo san (outre quelques extraterrestres aux noms indicibles et imprononçables). L’ado, l’avenir du monde qui vient, est particulièrement réussi dans son inanité de mode : p.133. Un vécu de l’auteur à l’âge d’être grand-père ?

Avec cela, gambadez dans l’actualité déjà oubliée et sortez du chapeau des paradoxes. Plus quelques remarques judicieuses souvent bien trempées sur « l’air du temps », chanté par le piano plan-plan ou le clavecin angoissé et grinçant. « Beaucoup de citoyens de la Franchimancie s’étaient réfugiés dans les époques passées, par peur des énormités de la modernité », dit l’auteur des réactionnaires qui tournent en gilets jeunes contre « les patrons forcément méchants » p.32. Pourtant, un jardin doit être sans cesse entretenu car tout pousse, les feuilles tombent, il faut tailler, « il faut recommencer, la nature est épouvantable » p.48. Mais ce n’est pas grave, la pente est inéluctable, « l’abêtissement global des individus, la confusion entre publicités souriantes et aguichants programmes politiques, engendreront des dictatures qui feront le ménage, coups de balai facilités par le désespoir commun de constater que les objets quotidiens se détraquent, tout devenant du toc sans consistance » p.136.

Rendez-vous au prochain numéro pour le suicide final ?

François Coupry, L’agonie de Gutenberg 2 – Vilaines pensées 2018/2021, FCD Livres 2021, 223 pages, 23.00€ (même pas référencé sur Amazon)

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

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On ne change pas facilement d’habitudes dit Montaigne

Le chapitre XXIII du Premier livre de ses Essais commence par une anecdote : « une femme de village, ayant appris de caresser et porter entre ses gras un veau dès l’âge de sa naissance, et continuant toujours à le faire, gagna cela par l’accoutumance, que tout grand bœuf qu’il était, elle le portait encore ». Telle est l’habitude qui nous fait considérer comme naturelle une chose hors de l’ordinaire.

Ne pas s’étonner vient de ce que l’on s’accoutume. « C’est une violente et traitresse maîtresse d’école que la coutume », écrit Montaigne, « un tyrannique visage ». Nous ne pouvons nous en déprendre et prenons pour naturel et divin ce que nous avons toujours connu et appris depuis l’enfance. Même le parfum que l’on se met ne sent plus à notre nez au bout de trois jours, expose encore notre philosophe, tout pratique. Ou encore les cloches voisines, que l’on ne perçoit plus au bout de quelque temps.

Mais le côté positif de l’accoutumance est la vertu. « Je trouve que nos plus grands vices prennent leur pli de notre plus tendre enfance », analyse Montaigne. Laisser faire la cruauté de nature des petits, « tordre le cou à un poulet et s’ébattre à blesser un chien et un chat » est une semence qui germe et fera de l’adulte un être sans empathie qui jouira de faire souffrir. « Elles profitent à force entre les mains de la coutume. » Il est très dangereux d’excuser au motif de minorité comme trop de nos « bonnes âmes » ont inclination à le faire, bien au chaud dans leurs bureaux d’associations et autres militantismes de bonne conscience. « Il faut apprendre soigneusement aux enfants de haïr les vices pour leur nature propre, et leur en faut apprendre la naturelle difformité, à ce qu’ils les fuient, non en leur action seulement, mais surtout en leur cœur ; que la pensée même leur en soit odieuse, quelque masque qu’ils portent ». Ce partisan des libertés n’approuve pas le laisser-faire. La responsabilité doit toujours aller de pair avec une liberté et son habitude devenir une seconde nature.

En revanche, la diversité des coutumes se doit d’être observée. « J’estime qu’il ne tombe en l’imagination humaine aucune fantaisie si forcenée qui ne rencontre l’exemple de quelques usage public, et par conséquent que notre discours n’étaie et ne fonde », constate Montaigne. D’où l’intérêt de beaucoup lire et se renseigner, de voyager hors de sa province et son pays, pour frotter sa couenne aux coutumes autres que les nôtres. Et de citer trois pleines pages au moins d’exemples où : ainsi « où l’on estime si mal de la condition des femmes que l’on y tue les femelles qui y naissent, et achète-t-on des voisins des femmes pour le besoin » ; « où chacun fait un dieu de ce qui lui plaît, le chasseur d’un lion ou d’un renard, le pêcheur de certains poissons, et des idoles de chaque action ou passion humaine » ; « où les pères prêtent leurs enfants, les maris leur femme, à jouir aux hôtes, en payant » – et ainsi de suite.

« Les lois de la conscience, que nous disons naître de nature, naissent de la coutume ; chacun ayant en vénération interne les opinions et mœurs approuvées et reçues autour de lui, ne s’en peut déprendre sans remords, ni s’y appliquer sans applaudissement ». Où est le libre-arbitre en ce cas ? Pire lorsque ces lois de la conscience sont des coutumes imposées par la mode ou par le plus fort – ce qui est emprise, domination et colonialisme. Mais que croient nos parangons de vertu lorsqu’ils imitent servilement le nouveau style en usage aux Etats-Unis, pays pourtant impérial, capitaliste et destructeur de la planète, par ailleurs honnis par nos mêmes parangons de vertu « de gauche », forcément de gauche ?

« Je laisse à part la grossière imposture des religions, précise-t-il, de quoi tant de grandes nations et tans de suffisants personnages se sont vus enivrés ; car cette partie étant hors de nos raisons humaines, il est plus excusable de s’y perdre, à qui n’y est extraordinairement éclairé par faveur divine ». Où l’on voit que Montaigne croyait sans y croire, émettait beaucoup de doute sur les églises et sur les miracles, sans remettre en cause pour autant Dieu et la foi. Il réfléchissait et écrivait en une  époque de guerre de religions, ce qui lui permettait de relativiser les dogmes et les usages.

La coutume et l’habitude sont donc la meilleure et la pire des choses, comme souvent en matière humaine. « Ce qui est hors des gonds de coutume, on le croit hors des gonds de raison ; Dieu sait combien déraisonnablement, le plus souvent », conclut Montaigne.

Et d’opposer la liberté à la contrainte : « Les peuples nourris à la liberté et à se commander eux-mêmes estiment toute autre forme de police monstrueuse et contre nature. Ceux qui sont formés à la monarchie en font de même. Et quelque facilité que leur prête fortune au changement, lors même qu’ils se sont, avec grandes difficultés, défaits de l’importunité d’un maître, ils courent à en replanter un nouveau avec pareilles difficultés, pour ne se pouvoir résoudre de prendre en haine l’autorité ». L’exemple déplorable de la Russie aujourd’hui est patent : à peine délivrée du joug tsariste, ce fut pour se laisser enfermer dans le joug communiste, ; à peine délivré de la tyrannie soviétique, ce fut pour élire un nouvel apparatchik issu des Organes, qui s’assoit au pouvoir depuis vingt ans et récuse tout adversaire, soit qu’il l’emprisonne, soit qu’il l’empoisonne. La France a elle-même eut peine à se délivrer des rois, à peine 1789 eut-il explosé qu’un dictateur devint empereur, puis que trois rois se succédèrent et un autre empereur avant qu’enfin – par le hasard d’un vote, les lois de la République pussent être votées près d’un siècle plus tard ! Avant la resucée de Vichy, puis de l’autorité gaulliste, dont certains sont nostalgiques en mêlent étrangement les deux, comme s’ils étaient compatibles.

« Le sage doit au-dedans retirer son âme de la presse, et la tenir en liberté et puissance de juger librement des choses », affirme Montaigne. Mais d’ajouter aussitôt une tempérance : « mais, quant au dehors, qu’il doit suivre entièrement les façons et formes reçues. (…) Car c’est la règle des règles, et générale loi des lois, que chacun observe celles du lieu où il est ». Et de citer « Socrate [qui] refusa de sauver sa vie par la désobéissance du magistrat ».

Est-ce conservatisme ? J’y verrai plutôt les premiers signes du libéralisme, issu de l’Antiquité via la Renaissance, qui va exploser avec les idées des Lumières. Changer les lois reçues est une opération de très longue haleine qui ne doit s’entreprendre qu’avec précautions. « C’est comme un bâtiment de diverses pièces jointes ensemble, d’une telle liaison qu’il est impossible d’en ébranler une que tout le corps ne s’en sente », écrit le philosophe. Les chamboule-tout sont en général des démagogues qui flattent les bas instincts de la populace en leur promettant de tout changer vite et radicalement, avec facilité car yaka. Il suffirait de dire « je veux » pour que tout soit, comme Dieu qui créa le monde.

« Je suis dégoûté de la nouvelleté, quelque visage qu’elle porte, et ai raison, car j’en ai vu des effets très dommageable », dit Montaigne qui parle de son temps. La Réforme protestante « par accident a tout produit et engendré, voire et les maux et ruines qui se font depuis sans elle, et contre elle ». Rien n’est pire pour un peuple que la division et la guerre civile au prétexte de Dieu ou d’une cause. Les Zemmour et autres déclinistes qui en appellent à la haine pour ceux qui ne pensent pas comme eux, au prétexte évidemment de « l’urgence » (mot à la mode), ne conçoivent pas les braises qu’ils attisent. « Il y a grand amour de soi et présomption, d’estimer ses opinions jusque-là que, pour les établir, il faille renverser une paix publique et introduire tant de maux inévitables et d’une si horrible corruption de mœurs que les guerres civiles apportent, et les mutations d’état », conclut Montaigne. L’orgueil indécent de l’apprenti sorcier qui se prend pour un dieu. « Qui se mêle de choisir et de changer, usurpe l’autorité de juger, et se doit faire fort de voir la faute de ce qu’il chasse, et le bien de ce qu’il introduit ». Se fier à un perfide, c’est lui donner le moyen de nuire, dit Sénèque cité par Montaigne.

On peut changer les lois et coutumes, mais avec précaution et en prenant le temps qu’il faut pour rallier à sa cause le plus grand nombre. Ce qui suppose consultations et débats. Il est plus difficile de changer ses propres habitudes, et pourtant il faut sans doute commencer par là. L’écologie théorique est magnifique, l’écologie de terrain plus ardue, l’écologie de soi pire encore. Pareil pour les mœurs. Il faut en juger de soi et autour de soi, pas aller les piquer aux égéries universitaires américaines qui ne savent plus quoi inventer pour se faire publier, donc avoir accès au fric. Montaigne, comme toujours, nous parle de nous et de notre temps en parlant de lui et du sien.

Michel de Montaigne, Les Essais (mis en français moderne par Claude Pinganaud), Arléa 2002, 806 pages, €23.50

Michel de Montaigne, Les Essais (mis en français moderne par Bernard Combeau et al.) avec préface de Michel Onfray, Bouquins 2019, 1184 pages, €32.00

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Naipaul

Décidément, la prose de Sir Vidiadhar Surajprasad Naipaul ne parvient pas à accrocher ma lecture. Lors de sa parution en français, j’avais déjà tenté de lire A la courbe du fleuve. C’était en 1979 et je ne l’ai jamais terminé, ce qui m’arrive fort rarement. 25 ans plus tard, la lecture d’Un chemin dans le monde, paru en 1994, m’ennuie profondément.

Ce livre est décousu, les chapitres semblent des raclures de tiroirs rédigées à diverses époques et assemblées en un semblant de Mémoires. S’y trouvent des récits quasi journalistiques, des scénarios « jamais écrits », quelques souvenirs plus méchants que caustiques. Naipaul s’essaie à cet humour anglais qui ne sera jamais dans son tempérament. Il a trop de ressentiment colonial en lui, trop de haine sociale, pour ne pas rester crispé devant ses souvenirs.

Le style qu’il adopte est pesant, amidonné, monocorde comme un anglais d’économiste. Rares sont les instants de plaisir. Il y en a cependant, au chapitre 3, Un vêtement moderne, comme au chapitre 7, Un homme nouveau. L’auteur s’intéresse alors à de vraies personnes en dehors de la sienne, avec un sens aigu de l’observation et un certain recul critique. Mais tout le reste est lourd, inutile, sans relief, je le survole en diagonale tant ce parti-pris de style me rebute. Aucun bonheur d’écrire en ses pages, aucune jubilation d’être, mais une pesanteur bien élevée de notaire. C’est un style peut-être « chic » pour un Indien de Trinidad élevé dans la contraignante société victorienne, mais cela passe mal à la lecture.

V.S. Naipaul, mort en 2018 à 85 ans, a reçu le prix Nobel de littérature 2001 parce qu’il est représentatif d’une certaine société caraïbe méritante et qu’il en exprime les valeurs. Mais certainement pas pour la qualité universelle de son style.

Naipaul, Œuvres romanesques choisies, Bouquins Laffont 2009, 960 pages, €31.00

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George Sand, François le Champi

Voici un autre roman de mon enfance, déjà lu par mes parents, peut-être parce qu’il était considéré comme « édifiant ». Il parle d’éducation morale au Bien, de s’élever intellectuellement malgré l’indigence à la campagne, d’aimer ceux qui vous aiment et d’obéir au Créateur. En bref, un résumé de la morale bourgeoise chrétienne. A ce fond, George Sand rajoute son féminisme : ne fait-elle pas de François le mâle parfait qu’une femme peut épouser ?

Pour la sensiblerie, François est un « champi », un enfant trouvé dans les champs et confié à l’hospice avant que quelqu’un, en général une femme, ne le prenne en charge tout en étant chichement payée. Les bébés abandonnés étaient de la progéniture de riches qui avaient fauté, effrayés du qu’en-dira-t-on. Au siècle de Sand, l’avortement était un crime tout comme était interdit le divorce. En ville, on posait le bâtard à la porte des églises ; à la campagne dans les champs – où passait toujours quelqu’un.

Le lecteur fait la connaissance de François à 6 ans : « c’était un bel enfant, il avait des yeux magnifiques (…) [mais] si malpropre, si déguenillé et si abandonné à l’hébétement de son âge » p.1280 Pléiade. La Madeleine, femme du meunier du Cormouer, enveloppe de son chéret l’enfant à moitié nu et lui donne du pain. Il est l’adopté de la Zabelle, une pauvresse qui vient de louer la masure d’à-côté. François a bon cœur, se montre très agile et serviable ; il comprend tout malgré son air niais et sa parole rare. Déjà mère d’un petit Jeannie d’un an, Madeleine va faire de François son second fils, bravant les préjugés paysans pour lesquels un champi est destiné à devenir braconnier ou bandit, résistant à son mari lorsque celui-ci veut le faire rendre à l’hospice sous peine de chasser la Zabelle. Pour elle, seul le manque d’amour peut faire d’un enfant (page blanche) un adulte mauvais.

Le gamin croit en force et en intelligence auprès de Madeleine et Zabelle, il apprend à lire – les deux mêmes livres du moulin, les Evangiles et un raccourci de la Vie des saints. Pubère, il ne pense pas à fille et travaille comme quatre. Mais, à 17 ans, il tourne la tête de la Sévère, une bourgeoise fêtarde qui ensorcelle le meunier pour lui soutirer ses terres et des billets de dettes pour le jeu. Elle voudrait bien baiser le jeune homme ; lui ne comprend pas et n’aime ces manières. Vexée, la Sévère susurre à l’oreille du meunier Cadet Blanchet, un gros niais colérique, que sa femme pourrait bien fricoter avec le bel enfant devenu mâle. C’est impensable pour qui les connait, absurde à les observer, mais François doit s’éloigner. Il se loue à la Saint-Jean au moulin qui périclite, à une trentaine de kilomètres. Il y restera trois ans et, sachant lire, comprendre les affaires et compter, redresse l’affaire. Le meunier du lieu lui en très reconnaissant et, outre son salaire augmenté, voudrait lui donner sa fille de 30 ans à marier. Mais François, s’il est touché de cette attention, n’a pas d’amour pour la belle ; il le réserve tout entier pour sa mère adoptive, Madeleine.

En apprenant sur une foire que le Cadet Blanchet est mort de maladie, François retourne au moulin de Cormouer et y trouve une Madeleine au lit, épuisée et malade, un Jeannie grandi mais resté fin de 14 ans, la grosse servante Catherine qui a du mal à le reconnaitre tant il est devenu viril, et Mariette, la sœur du meunier qui, à 16 ans, pense plus aux garçons et aux fanfreluche qu’à aider la maisonnée.

François s’installe au moulin ; de sauvé il se veut sauveur. Il aime Madeleine comme sa mère mais désormais aussi comme une femme, puisqu’elle n’a guère qu’une dizaine d’années de plus que lui, à peine plus que la fille de son récent patron. C’est à ce moment que, de fil en aiguille, de la rumeur lancée par la langue de vipère de Sévère à qui François fait rendre gorge sur les dettes et les terres grâce à la petite fortune léguée par sa mère biologique anonyme au curé, au départ de la Mariette pour se marier à un nigaud qui a du bien, François va s’avouer le désir qu’il a de se marier lui aussi. Mais comme il n’a qu’un seul amour, exclusif, ce ne pourra être qu’avec… sa mère.

Comme roman édifiant, c’est un peu fort. Même si Madelaine n’est que sa mère adoptive, peut-on baiser celle qui vous a élevé ? La loi aujourd’hui l’interdit pour éviter la confusion des rôles juridiques et symboliques mais il faut que l’adoption soit formelle et pas seulement, comme dans le roman, de cœur. Cet inceste est un fantasme de petit garçon que Freud expliquera dans le complexe d’Œdipe, mais le connaisseur de l’œuvre de George Sand reconnait plutôt sa marotte : inverser la domination du mâle. Déjà, le prénom de Jeannie, donné à son garçon, est plus féminin que masculin. Ensuite, la fable est inspirée par son amant du temps, Victor Borie qui avait 30 ans quand elle en avait 44, ami de son fils Maurice de cinq ans plus jeune comme Jeannie. L’histoire d’une femme de 30 ans qui épouse un garçon de 20 apparaît comme le symétrique de « ce qui se fait » dans la société où des barbons de 35 ans épousent des jeunettes de 15 ans. D’autant plus que Madeleine – qui accepte plutôt facilement pour la vraisemblance – a soigneusement éduqué son futur mari selon les principes de Rousseau : du bon air, peu de livres, une chasteté maintenue jusqu’à 20 ans, un amour inconditionnel et un dialogue constant. Qui de mieux pour refaire sa vie et être enfin heureuse sans être esclave ?

On ne sait pas trop ce qu’en pense le fils Jeannie, certes très content de revoir son grand frère adoptif qui le protège et le guide comme lorsqu’il était petit, mais qui devient son « père » avec d’autres responsabilités sur son destin. On ne sait pas non plus trop ce qu’en pense « la société » même si, à la campagne, seule « la famille » consacrée par l’église fait loi en tout et que le curé a l’air d’accord (bien que le mariage avec un filleul soit interdit en droit canon).

Reste une belle histoire qui touche les cœurs et qui éduque de nos jours sur le parler berrichon et les mœurs paysannes du milieu du XIXe siècle. A condition de zapper l’indigeste « avant-propos », suite de divagations à prétentions philosophiques dont l’auteur se plaît à enrubanner chacun de ses romans pour les faire mieux accepter de la société bourgeoise des salons. Parler de culs terreux sans en référer à la Nature, à l’Âme, à l’Art, à Dieu – toutes ces scies philosophiques du temps – serait sans doute du dernier mauvais goût. Chacun peut sans dommage commencer par le chapitre 1 sans passer par le pensum qui précède.

George Sand, François le Champi, 1848, Livre de poche 1976, 222 pages, €3.10 e-book Kindle €0.00 

George Sand, Romans tome 1 (Indiana, Lélia, Mauprat, Pauline, Isidora, La mare au diable, François le champi, La petite Fadette), Gallimard Pléiade 2019, 1866 pages, €67.00

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Pierre Grimal, Sénèque

Sénèque pratiquait la philosophie mais n’était pas parmi les philosophes, ces « habitués des salles de conférence qui viennent là comme au théâtre, non pour apprendre, mais… pour charmer leurs oreilles » p.8. Sénèque était homme d’action, politicien selon son rang et adepte de la vie bonne, selon les principes stoïciens assimilés et adaptés par lui. C’est dire qu’une « biographie » ne peut faire l’impasse sur la politique à Rome et que les œuvres (partielles) omettent les discours d’orateur et parlent peu des tragédies parvenus jusqu’à nous.

L’auteur, latiniste reconnu mort en 1996, divise son œuvre en deux parties : Sénèque en son temps et Un philosophe hors de l’école. Car le Romain n’est pas platonicien, il ne pontifie pas en théorie ; il est stoïcien ancré dans la vie courante et veut influer sur la vie politique. L’école doit seulement préparer à vivre mieux à la maison ; autrement dit les principes ne sauraient être utiles qu’applicables.

Né en – 1 de l’ère chrétienne à Cordoue en Bétique (Espagne) dans une famille romaine de rang équestre, il est par tradition un « pompéien », ce qui veut dire qu’il préfère la république à l’impérium militaire. En bon érudit universitaire, Pierre Grimal s’étend longuement sur les datations de la naissance et des œuvres, argumentant avec méthode contre les spécialistes, ses chers collègues. Le lecteur peut passer vivement ces digressions indispensables mais lourdes pour aller de l’avant, car le livre le mérite.

Sénèque vient tôt à Rome avec son père et sa tante. Il commencera vers 21 ans une carrière sénatoriale selon son rang. Il s’est formé auparavant en philosophie, rhétorique, poésie ; il a reçu une éducation d’homme du monde. Malade de catarrhes, fièvres et asthénie, il va passer cinq ans en Égypte, province romaine dont le climat le rétablit. Il revient en 31 de notre ère pour vivre dix ans de vie mondaine avant d’être exilé en Corse par Claude à cause de Messaline. Il revient en 49 après qu’elle soit morte et Agrippine lui confie la formation morale de son fils Néron.

Le stoïcisme « n’exclut pas une juste adaptation du vouloir aux conditions de la vie pratique, à ce que nous appelons aujourd’hui la ‘conjoncture’ » p.106. Contrairement au platonisme, cette philosophie « ne se propose pas seulement d’organiser des concepts » mais « veut être une cristallisation de l’âme » s’appuyant « sur l’ensemble des facultés de l’esprit et ne condamne pas comme inférieure la racine émotionnelle et instinctive, mais s’emploie à l’utiliser en la disciplinant » p.28. La sagesse ne vient qu’en vivant ; elle est une méditation en progrès. « La ‘vertu’ consistera en l’attitude que l’on saura avoir envers les biens extérieurs » pour « les posséder sans angoisse » p.18.

Sénèque n’est pas partisan d’un empereur mais « il sait que le régime impérial ne sera acceptable à l’élite romaine que s’il est fondé philosophiquement, si le prince est, à quelque degré, un Sage » p.131. Tout l’art de Sénèque envers Néron sera de l’influencer en ce sens, malgré la cruauté qu’il sent poindre en lui et son histrionisme de se croire Apollon. Comme en tout, il s’agit de savoir se garder : « il y a ceux qui sont occupati par le vin, le plaisir charnel, le désir de la gloire, celui de l’intrigue, tout ce qui s’empare de l’âme et l’empêche de développer sa propre excellence » p.137. Il s’agit de se délivrer de ces « esclavages ». L’imperium résulte de la nature des choses chez un peuple pas entièrement éduqué car l’« être raisonnable ne peut s’épanouir que dans un état de civilisation qui lui épargne la servitude de la force » p.159.

Il pousse Néron à rétablir la dyarchie, le sénat redevenant le conseil de l’Etat. C’est la vertu de justice qui permet cette conciliation des âmes, fondement de toute société. La discorde civile est contraire à la loi fondamentale de la nature humaine, qui est d’association (le jargon d’aujourd’hui, avec sa propension à tout neutraliser, dirait « le vivre ensemble »). Or l’assassinat d’Agrippine par son fils est un cas de conscience : la raison d’Etat commandait de tuer la complotrice ; le meurtre de sa mère est une transgression. Mais « les circonstances » le justifient.

A partir de ce moment, Néron échappe à Sénèque qui a été pour plus lui qu’un conseiller mais un véritable administrateur, le formant par l’exemple. En 62, Néron épouse Poppée, éloigne Sénèque et fait assassiner ses opposants.

« Entre le moment où Sénèque s’éloigna de la cour et celui où il périt, les Lettres à Lucilius nous donnent une sorte de journal du philosophe » p.219. Néron est un faible, il hésite entre plusieurs partis, « il ne se détache qu’à regret, apparemment, de son vieux maître, et sa duplicité n’est que la conséquence de ses incertitudes » p.234. La conjuration de Pison, ami de Sénèque, fait que Néron ordonne à son ancien mentor de se donner la mort. Ce qu’il fait en 65, à 66 ans ; l’auteur se contente de l’évoquer, écrivant que l’on a déjà tout dit.

Sénèque est avant tout un homme qui agit et il porte sur « la philosophie » un jugement sévère car elle n’a d’autre fin qu’elle-même. Or il s’agit de vivre bien, pas de s’inféoder à une école. Sénèque suit d’abord à 17 ans les enseignements de Sotion, puis ceux d’Attale et de Sextius, avant d’écouter à 20 ans Papirius Fabianus. La condition psychologique d’une vie heureuse est l’accord avec soi-même, une harmonie avec l’univers (famille, milieu, culture, nature). Mais, dit Sénèque, « nous ne devons pas nous borner à écrire ni non plus à lire ; la première activité (je veux dire l’écriture) déprimera nos forces et les usera, l’autre les brisera et les dissoudra. Il faut aller de l’une à l’autre, alternativement, modérer l’une par l’autre, faire en sorte que tout ce qui a été recueilli par la lecture soit mis en forme par l’écriture » (Lettre à Lucilius 84, 1-2) citée p.327. Comme l’abeille, il faut faire son propre miel du pollen récolté sur chacune des fleurs butinées.

Les quatre passions fondamentales des stoïciens sont à la fois des maladies de l’âme et des mouvements naturels de l’affectivité, indispensables à la vie intérieure. Il s’agit de les sublimer en raison. « Au désir (cupido) répondra la volonté stable, à la crainte (metus) la précaution, au plaisir (laetitia) la joie sereine (gaudium) (…) La quatrième passion, le chagrin (aegritudo) (…) est entièrement négative, elle est une destruction de l’être » p.332. La voie vers la sagesse est une purification des illusions imposées par l’opinion, la coutume, la tradition sociale, afin de penser par soi-même en faisant fonctionner sa propre raison. La conciliatio est la tendance de tout être vivant à assurer la durée de son être. Est « bon » pour chaque créature tout ce qui permet sa survie, des plantes aux humains. Les valeurs des actes ne peuvent être saisies que par l’esprit et deux causes pervertissement le jugement : l’ignorance et la complaisance à l’irrationnel. D’où la nécessité d’éduquer aux connaissances et à l’indépendance du jugement (notre monde en aurait bien besoin de cette éducation « classique » !). Pour Sénèque (comme pour les bouddhistes) tout à des causes et la faculté de raison permet de les découvrir, donc de communiquer avec l’Être.

L’exemple même du sage est pour lui Caton, « symbole de l’âme romaine » qui pratique « les vertus fondamentales du stoïcien : la maîtrise de soi, l’absence de colère, l’endurance à la soif et à la fatigue, la facilité d’accueil à autrui, le désir de servir les autres » p.406.

Pour le biographe, « l’un des apports les plus considérables de Sénèque à la philosophie occidentale : le don qu’il possède de transformer en expérience vécue les raisonnements abstraits de l’Ecole » p.434. Tout chef n’est légitime que s’il se conforme aux lois de la nature, qui sont vertus de raison.

Pierre Grimal, Sénèque, 1978, Fayard biographie 1991, 506 pages, €17.51 e-book Kindle €18.99

Sénèque, Entretiens, Lettres à Lucilius, Laffont Bouquins 1993, 1312 pages, €25.99

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Huysmans, Là-bas

La fin de siècle a mal l’âme et la raison dérive vers la déraison. Hystérie féminine, occultisme clérical, fascination pour l’ogre Gilles de Rais – tout concourt à dire « la névrose » du siècle en modernisation. La « chandelle » de la Tour Eiffel oppose son fer aux cloches de l’église Saint-Sulpice, quartier de l’auteur ; les trouées Haussmann pour le Paris moderne donnent la nostalgie du château fort de Tiffauges ; l’exaspération de religiosité catholique après la défaite face à la Prusse engendrent son inverse, la recherche du démon.

Dans un roman enlevé et bien écrit, captivant, Huysmans trace le portrait au burin de son temps. C’est probablement sa meilleure œuvre, fouillée, documentée, ensorcelante. L’écrivain Durtal, célibataire, à pour amis le docteur des Hermies qui lui présente Carhaix, le sonneur de cloches de Saint-Sulpice. C’était juste avant que l’électricité, qui apparaissait dans Paris, n’enlève ce métier aux hommes. Le sonneur habite la tour même de l’église avec vue d’un côté sur la place et la Mairie, de l’autre sur les toits de la nef. C’est sombre, humide, médiéval, mais pittoresque – et offre une vue imprenable sur l’époque. L’écrivain et le docteur habitent à deux pas, dans le quartier. Ils se réunissent donc autour d’un pot au feu concocté par la mère Carhaix (servi avec des anchois et agrémenté d’un petit Chinon), ou d’un gigot « cuit à l’anglaise » que le docteur apporte et apprête, buvant des élixirs curieux en apéritif comme « la crème de céleri » et des liqueurs fortes au café. Ils dissertent des cloches, des légendes, d’occultisme qui séduit alors la capitale.

Tout le chapitre XI est consacré aux prédations cruelles de Gilles de Rais sur de jeunes garçons (viols, lacérations, éventrements, pendaison, égorgement), que Durtal s’efforce de relater d’après les minutes du procès pour en faire un roman. Tout un autre chapitre, le XIX, fait vivre une messe noire : des pratiques hystériques se roulent dépoitraillées au pied de l’autel où le chanoine Docre vient de célébrer une messe à l’envers, nu sous sa soutane et éjaculant sur les hosties sous la main de ses enfants de chœur. Les harpies se précipitent pour en croquer des miettes souillées. C’est érudit, de première main scandaleux et donc révélateur. Huysmans s’est documenté auprès de sources fiables, l’abbé Boullan, Henriette la maîtresse du sar Péladan. L’âme de la bourgeoisie parisienne fin de siècle est pourrie de l’intérieur, matérialiste aspirant à se faire peur, jouisseuse dans la profanation de tout sacré. Le pire n’en est pas moins l’écrivain catholique Chantelouve qui tient salon doctement, accumulant les œuvres pies tout en laissant sa femme Hyacinthe jouer la succube et forniquer avec n’importe qui malgré son confesseur. Durtal subit sa féminité dévorante de femelle décadente, bien que son chat lui reproche. Une bête sensible et bien croquée. Mais cette insatiable hystérique est une intermédiaire avec le monde de la nuit qui fascine l’écrivain : elle connait (charnellement un temps) le chanoine sacrilège, sait où et quand se tient une messe noire dans Paris et peut même inviter Durtal. Le diable est dans tous les détails.

Huysmans explore la réalité de son temps, hanté de régression médiévale devant les assauts du moderne, « plus de 3000 » adeptes du diable à Paris, écrit-il à son ami Prins fin 1890. « Les queues de siècle se ressemblent. Toutes vacillent et sont troubles. Alors que le matérialisme sévit, la magie se lève » p.1120. Gilles de Rais est le modèle du pire et les adorateurs contemporains du démon aspirent à lui ressembler. Ils jettent des sorts à distance, empoisonnent, sodomisent, raillent les sacrements, souillent les calices et les hosties, se vautrent dans la chair vile en faisant taire tout esprit. A l’inverse le christianisme médiéval de Grünewald, par exemple, montre combien la chair torturée peut mener à l’Esprit. Son Christ, véritable « cadavre en éruption » p.926 Pléiade, le montre à l’envi. Traiter le spiritualisme à la manière naturaliste était un dernier tour de force. Verlaine trouve le livre « épastrouillant ».

Composé en musique, alternant les chapitres sur le Moyen Âge avec les chapitres sur le XIXe siècle comme un battement de cloche, le roman est tout échos aux rumeurs de son temps comme aux caractères des personnages. Durtal n’est-il pas une sorte de Gilles de Rais, hanté de vice et de sadisme comme lui ? Le chanoine un héritier des sorciers ? La Chantelouve une goule issue du satanisme médiéval ? L’auteur découvre même un nouveau péché, non répertorié chez les catholiques : le « pygmalionisme ». C’est l’amour sexuel d’un auteur pour son œuvre, qui fantasme sur sa créature, baise charnellement sa statue, ce « qui tient à la fois de l’onanisme cérébral et de l’inceste » p.1063.

Huysmans déplore en passant l’action de Jeanne d’Arc qui a fait, en poussant au sacre de Reims, « une France sans cohésion », cousant des nationalités réfractaires. « Il nous a donné, et pour longtemps, hélas ! de ces êtres au brou de noix et aux yeux vernis, de ces broyeurs de chocolat et mâcheurs d’ail, qui ne sont pas du tout des Français, mais bien des Espagnols ou des Italiens. En un mot, sans Jeanne d’Arc, la France n’appartenait plus à cette lignée de gens fanfarons et bruyants, éventés et perfides, à cette sacrée race latine que le diable emporte ! » p.957. Les « nationalistes » d’aujourd’hui apprécieront : c’est l’Etat qui fait nation et pas l’ethnie.

Il déplore aussi la décadence culturelle de son époque, que Pline l’ancien déplorait déjà… « La nouvelle génération ne s’intéresse plus qu’aux jeux de hasard et aux jockeys ! – oui, c’est exact ; maintenant les hommes jouent et ne lisent plus ; ce sont les femmes dites du monde qui achètent les livres et déterminent les succès ou les fours ; aussi, est-ce à la Dame, comme l’appelait Schopenhauer, à la petite oie, comme je la qualifierais volontiers, que nous sommes redevables de ces écuellées de romans tièdes et mucilagineux qu’on vante ! ». Cela n’a pas vraiment changé… et, ajoute Huysmans, prophétique, « ça promet, dans l’avenir, une jolie littérature, car, pour plaire aux femmes, il faut naturellement énoncer, en un style secouru, des idées déjà énoncées et toujours chauves » p.1099. Diablement vrai.

Joris-Karl Huysmans, Là-bas, 1891, Gallimard Folio 1985, 416 pages, €9.10 e-book Kindle €8.99

Huysmans, Romans et Nouvelles, Gallimard Pléiade 2019, 1856 pages, €73.00

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Marguerite Yourcenar, Lettres à ses amis et à quelques autres

Chère Marguerite Yourcenar ! Classique et passionnée, conservatrice et étonnamment moderne, nomade et attachée, ce fut une femme exceptionnelle qui sut inventer des hommes vrais. Elle a fait craquer ses gaines et s’est livrée aux passions, mais toujours les yeux ouverts. Son esprit était religieux, attentif à l’infini, au différent, aux mystères. Elle aimait le shinto et le bouddhisme, le catholicisme des negro spirituals, tout ce qui est passionné et rigoureux. Elle a créé des mondes et des êtres par l’imagination, le travail et la poésie.

Le trait que je préfère en elle est la passion, qu’elle prend comme un creuset d’alchimiste : l’opération consume les préjugés et sublime les qualités humaines, les authentiques et nues, les seules qui importent. Sa ferveur pour l’histoire et pour les voyages lui ont permis de rencontrer des êtres et des cultures, d’élargir son horizon pour comprendre et aimer un peu plus. Il y a de la compassion bouddhiste chez Marguerite, et ce sentiment que chaque être est digne par sa nature de Bouddha, qu’humains, animaux et plantes participent du même divin, ce qu’elle a traduit par cette devise alchimiste : « je suis un et tout est en moi ».

Cette copieuse anthologie de lettres de Marguerite Yourcenar à ses amis et relations permet de pénétrer un peu mieux son univers social, sinon intime. Mais tout est au fond contenu dans les Mémoires d’Hadrien, son maître livre. Elle l’écrit : « De tous mes ouvrages, il n’en est aucun où, en un sens, j’ai mis plus de moi-même, plus de travail, plus d’effort d’absolue sincérité ; il n’en est pas non plus d’où je me sois plus volontairement effacée en présence d’un sujet qui me dépassait (…). Je souffre du désordre, de la confusion, du manque de rigueur intellectuelle qui nous entoure, et où tout, si l’on n’y prend garde, finira par s’abîmer. Il m’intéressait, par contraste, de montrer dans Hadrien un grand pacificateur qui jamais ne se paya de mots, un lettré héritier de plusieurs cultures, qui fut aussi le plus énergique des hommes d’État, un grand individualiste qui, pour cette raison même, fut un grand légiste et un grand réformateur, un voluptueux, et aussi (je ne dis pas mais aussi) un citoyen, un amant obsédé par ses souvenirs, diversement engagé envers plusieurs êtres, mais en même temps, et jusqu’au bout, l’un des esprits les plus contrôlées qui furent » 7 avril 1951. L’empereur romain Hadrien fut, pour Marguerite Yourcenar, celui qui accomplit le mieux la condition humaine, le « développement harmonieux d’un être humain soumis seulement à sa propre discipline, et capable de retrouver en soi un humain équilibre, même après ses secrets désastres » 22 août 1968.

Car être humain, c’est découvrir « dans un lit ou ailleurs, un rythme du monde » et de le retrouver « chaque jour et dans tous » 16 mai 1953. Ce peut être « une merveilleuse aisance animale » comme François Augiéras, 16 mai 1953, « une sorte de ferveur mystique à l’égard des êtres, des sensations et des choses » comme André Gide, 20 février 1962, ou « par une sorte de compassion tendre, par un sens très raffiné de l’individualité des êtres, par curiosité aussi » pour le Genji du Dit de Genji, 19 mai 1963. Zénon, après Hadrien, approfondira « l’importance de l’altruisme, de la solidarité, de l’affection humaine » 24 janvier 1970.

« Le bien et le mal existent dans la conduite humaine (…) mais je les sens uniquement comme l’ignorance (l’avidya sanskrite, avec son refus de comprendre, de se laisser pénétrer, d’être poreux ou ductile) ou comme l’hubris grecque, l’agressivité, la violence, la cupidité d’avoir trop » 20 septembre 1977. L’être humain n’est ni ange ni bête, mais sujet conscient qui doit se construire, évoluer, se rendre meilleur. C’est pourquoi « j’éprouve une sorte de perpétuelle suffocation en présence du matérialisme satisfait, du laïcisme sûr de soi, et de l’intellectualisme sec et frivole qui constitue ce que tant de Français prennent pour la tradition française par excellence, avec pour seule échappatoire un catholicisme atteint le plus souvent des mêmes tares » 15 juin 1969. Cette remarque est d’autant plus pertinente qu’un quart de siècle après, le retour au catholicisme en France prend bien cette forme là. Or, elle existe bien, « cette très vieille sagesse française qui aujourd’hui se terre (car où la trouver chez les gens dont le nom se trouve dans les journaux ?), mais qui sans doute existe toujours. Il y a là tout un héritage de pensées et de comportements mi humanistes, mi chrétiens, soutenus et renforcés aussi par la longue expérience de la race qui est, on peut cette fois légitimement le dire, « bien française », car on ne la trouve sous cette forme nulle part ailleurs, mais que notre génération a jetée au vent » 2 avril 1959.

La sagesse, ce peut être aussi un lieu, un paysage civilisé par l’homme depuis des siècles. Je partage avec Marguerite Yourcenar, outre son goût pour Montaigne quelques autres Français, cet amour du paysage, par exemple du « sud de l’Angleterre, si paisible, si vivant, si plein d’arbres et d’animaux (qui) est peut-être le lieu que j’aime le plus au monde », samedi saint 1987. Mais la référence reste la Grèce : « vous êtes allée en Grèce et vous avez là découvert, comme beaucoup d’entre nous, ces quatre vérités essentielles : que la Grèce a été le grand événement (peut-être le seul grand événement) de l’histoire de l’humanité ; que ce miracle est le produit d’une certaine terre et d’un certain ciel ; que la passion, l’ardeur sensuelle, la plus chaude vitalité sous toutes ses formes, expliquent et nourrissent ce miracle, et que l’équilibre et la sagesse grecque dont on nous parle tant ne sont ni le maigre équilibre ni la pauvre sagesse des professeurs » 9 décembre 1954. Après le miracle grec, l’Occident a eu une histoire, et tout n’en est pas à oublier : « après l’hellénisme, dont il figure dans ma pensée tout à la fois le complément et le correctif, le catholicisme représente à mes yeux une des rares valeurs que notre temps n’ait pas complètement réussi à ébranler (…). Si le christianisme ne me semble pas divin (ou divin seulement au sens où cet adjectif s’applique au Parthénon, ou à la mer par un beau jour d’été) j’y vois du moins, avec un respect sans cesse croissant, l’admirable somme d’une expérience de vingt siècles, et l’un des plus beaux songes humains » 21 décembre 1937.

De nos jours, puisque nous y avons accès, ce qui compte est l’expérience de l’humanité tout entière. Les différentes facettes de cet acquis peuvent nous aider à progresser personnellement. « Nous pouvons favoriser le mélange de la charité chrétienne et de la compassion bouddhique, du sentiment stable du divin et du lumineux, tel qu’il s’est exprimé dans le shinto, l’orthodoxie et le catholicisme, avec le génie dynamique de l’Inde, et avec la double notion, grecque, de la dignité de l’homme et des limites de l’homme » 15 juin 1969.

Avec tout cela, écrire, si l’on s’en sent la vocation. « Il dépend de vous de beaucoup lire, de bien lire, de beaucoup travailler, de bien travailler ». J’aime le « il dépend de vous » à la fois bouddhiste (chacun fait son salut) et protestant (le ciel se mérite par ses œuvres). Tout ne tombe pas tout cuit et il est bon de le rappeler à ceux qui revendiquent « l’égalité » sans aucun effort pour se hausser au niveau des autres. Un auteur écrit comme en transe avant de couper et de corriger son texte. C’est Dionysos revu par Apollon, le feu de la passion plongé dans la glace de la raison. Montherlant disait l’épée forgée dans le feu et trempée dans l’eau froide. Même si « tout le monde aujourd’hui (…) confond l’observation incisive avec l’hostilité » 23 mars 1977, il ne faut pas pour cela déguiser ses sentiments ou son écriture.

« Que faut-il dire aux hommes ? Avant tout la vérité sur tous les sujets (…). Comment leur parler ? Simplement, lucidement, sans lieu commun d’aucune sorte, sans concession à la paresse du lecteur, mais aussi sans obscurité voulue, sans fausse élégance, sans affectation de vulgarité, sans jargon (…), sans concession envers la mode d’aujourd’hui qui sera ridicule demain, sans désir de choquer pour le plaisir de choquer, mais sans jamais hésiter à le faire si on le croit utile, sans rien sacrifier des complexités, des faits ou des pensées, mais en s’efforçant de présenter celles-ci le plus clairement possible » 5 février 1970.

Ce sont d’utiles conseils d’une grande maîtresse des lettres aux apprentis écrivains qu’ils feraient bien de méditer.

Marguerite Yourcenar, Lettres à ses amis et à quelques autres, 1995, Folio 1997, 944 pages, €12.80

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Simone de Beauvoir, La force de l’âge

Née en 1908, agrégée de philosophie en 1929 à 21 ans, Simone décrit dans ce livre les années décisives où elle devient peu à peu adulte. Indépendante après son agrégation, elle enseigne, elle voyage, elle vit à l’hôtel. Elle ne veut pas se fixer. Prête aux rencontres, prodigieusement attachée à Jean-Paul Sartre, son condisciple de Normale Sup, c’est la guerre qui lui révèle le prix de la liberté. Après quatre années laborieuses, elle publie son premier roman, elle est prête à s’engager, elle existe enfin. À la libération, elle arrive à l’âge mûr : 37 ans.

Cet itinéraire intellectuel à, toutes proportions gardées, beaucoup d’affinités avec le mien. Mimétisme des situations ? Comme elle, comme Sartre, je ne suis pas un « héritier », le maillon d’une lignée avec des valeurs et des biens à transmettre. Intellectuel d’un milieu de fonctionnaires, je me suis fait tout seul par la lecture, les amitiés, les voyages – et les diplômes chers à la république. Ainsi fait-elle, ainsi ai-je fait. Elle est esprit libre, elle a une curiosité pour l’homme sous les faux-semblants, souvent le privilège de la jeunesse et du peuple qui sont présents au monde plus que les autres – les bourgeois, les artistes et les experts qui se la jouent. Simone croit que la volonté crée le destin. Elle veut surtout vivre, avidement. C’est ce goût de vivre qui prime, qui lui donne sa curiosité humaine, qui en fait un esprit libre croyant en la toute-puissance de la volonté. Je ne crois guère à cette systématique, mais examinons ce qu’elle en dit.

« Sartre vivait pour écrire ; il avait mandat de témoigner de toutes choses et de les reprendre à son compte à la lumière de la nécessité ; moi, il m’était enjoint de prêter ma conscience à la multiple splendeur de la vie et je devais écrire afin de l’arracher au temps et au néant » p.21. L’art n’est que sauvegarde de la vie, il faut avant tout vivre et n’écrire que sur le vécu. « Je ne serai jamais écrivain avant tout comme Sartre » p.34. Car « selon moi, l’esprit ne s’isolait pas du corps, et mon corps me compromettait tout entière » p.77. Vivre n’exige pas de mettre au monde des enfants naturellement, surtout pour une femme intellectuelle, car penser ne va pas sans égoïsme : « je me suffisais : je ne rêvais pas du tout de me retrouver dans une chair issue de moi. D’ailleurs, je me sentais si peu d’affinités avec mes parents que d’avance les fils, les filles que je pourrais avoir m’apparaissaient comme des étrangers » p.92. Vivre, pour elle, c’est lire – tout ce qui paraît en littérature et les grands philosophes du passé. C’est aussi explorer le monde, à pied quand elle n’a pas beaucoup d’argent mais beaucoup de vacances scolaires. Il fallait être à tout instant présent au monde, comme les héros d’Hemingway (p.160) car, ainsi, il ne peut exister de « circonstances viles ». Vivre n’est « pas une histoire que (l’on se) raconte, mais un compromis entre le monde et (soi) » p.555.

Cette attitude induit une curiosité de l’humain sans jalousie ni supériorité. « Les habitudes des palaces, les hommes à Hispano, les femmes à vison, les ducs, les millionnaires ne nous en imposaient pas (…). J’éprouvais à leur égard une brusque pitié ; coupés de la masse, confinés dans leur luxe et dans leur snobisme, je me disais (…) que les exclus, c’étaient eux » p.24. Déchirer la bourgeoisie était un jeu avec Sartre, analogue à l’hostilité de Flaubert pour les épiciers et de Barrès pour les barbares. Au nom de l’art, de la culture, de la liberté, ils condamnaient les tares bourgeoises comme les efficacités d’ingénieurs, au profit d’un affrontement de la condition humaine dans sa vérité. L’individu est une totalité synthétique et indivisible à juger globalement. Comprendre l’humain est dès lors une passion. C’est pourquoi Beauvoir et Sartre aimaient les romans policiers ou d’aventures (Pardaillan, Fantômas…), les films de cow-boys, le jazz nègre et les faits divers. Ce goût pour l’homme se complétait d’un effroi métaphysique pour la solitude absolue, de celle que l’on approche parfois, isolé dans la nature : « marchant sur la croupe d’une colline délaissée des hommes et que la lumière même abandonnait, il me semblait frôler cette insaisissable absence que déguisent manifestement tous les décors ; une panique me prenait, pareille à celle que j’avais connue à 14 ans dans le ‘parc paysager’ où Dieu n’était plus et, comme alors, je courais vers des voix humaines » p.250.

De même, les grandes réunions ne conviennent pas aux échanges humains. « Nous avions toujours – et nous devions toujours conserver – le goût du tête-à-tête ; nous pouvions nous plaire aux propos les plus futiles, à condition de connaître avec notre interlocuteur une exclusive intimité ; les désaccords, les affinités, les souvenirs, les intérêts diffèrent d’un partenaire à un autre ; quand on fait face à plusieurs à la fois, la conversation (…) devient mondaine. C’est un passe-temps amusant, insipide ou même fatiguant, et non la véritable communication que nous souhaitions » p.579. Là encore, que d’affinités avec moi !

Comprendre l’humain et savoir regarder et écouter les hommes, c’est ne pas s’encombrer de préjugés ni souscrire au snobisme ambiant. C’est au contraire garder l’esprit libre : « Aucun scrupule, aucun respect, aucune adhérence affective ne nous retenait de prendre nos décisions à la lumière de la raison et de nos désirs » p.23. Orgueil spiritualiste ? Peut-être, mais surtout, « notre ouverture d’esprit, nous la devions à une culture et à des projets accessibles seulement à notre classe. C’était notre condition de jeunes intellectuels petits-bourgeois qui nous incitait à nous croire inconditionnés » p.28. Seule une base culturelle permet d’aller au-delà de la culture et de faire germer sa propre pensée. Le conditionnement est nécessaire pour se déconditionner. On ne naît pas page blanche, on réécrit selon sa plume ce qui est écrit avant nous. C’est la grande erreur des gauchistes à la Rousseau de croire que l’être humain nait naturel, empli de bonté et de bon sens. Il n’en n’est rien : tout comme la plante ou la bête, le petit humain doit être éduqué et dressé avant de devenir lui-même, au plein de son épanouissement. Et ce n’est pas le conditionner ni le « dominer » que de lui inculquer les savoirs et les méthodes nécessaires pour y parvenir.

« Sartre forgea la notion de mauvaise foi qui rendait compte, selon lui, de tous les phénomènes que d’autres rapportent à l’inconscient. Nous nous appliquions à la débusquer sous tous ses aspects : tricherie du langage, mensonge de la mémoire, fuite, compensation, sublimation (…). Tous les gens qui miment des convictions et des sentiments dont ils n’ont pas en eux le répondant » p.149. Jouant un « rôle », ils fabriquent un « enfer ». Sartre et Beauvoir veulent avoir « un sens réel de la vérité » ce qui est déjà quelque chose, mais pas forcément « un sens vrai de la réalité », notamment « la réalité économique » de leur situation (p.412). Cette remarque, d’un marxisme primaire d’époque aujourd’hui dépassé, ne remet pas en cause l’exigence d’authenticité, la sincérité de Sartre comme de Beauvoir, ce pourquoi ils sont pour notre génération un modèle intellectuel, malgré toutes leurs erreurs dans l’action.

Il est nécessaire que l’être humain assume sa « situation », et la génération en est une, comme la nation ou la classe. Mais « assumer » ne signifie pas « se conformer » : c’est plutôt être conscient de ses déterminismes autant que faire se peut, ce qui n’est pas la même chose. Cette prise de conscience est le premier pas vers la liberté. Ainsi « la noblesse d’âme, les morales intemporelles, la justice universelle, les grands mots, les grands principes, les institutions et les idéalismes » (p.664) entravent la conscience et sa liberté. Il faut les assumer sans en être dupe, c’est-à-dire savoir les prendre pour ce qu’ils sont : des baudruches ou des prétextes, ou alors préciser dans le concret ce que l’on y met exactement. Raymond Aron dans ses Etudes politiques (1972) ne fait pas autre chose lorsqu’il analyse ce que l’on met effectivement derrière les concepts de « liberté », de « droits de l’homme » ou de « puissance internationale ».

Cette liberté conduit à « l’optimisme kantien : tu dois, donc tu peux » p.21. Mais plus encore : « Heidegger m’avait convaincue qu’en chaque existant s’accomplit et s’exprime la réalité humaine’ ; inversement, chacun l’engage et la compromet tout entière ; selon qu’une société se projette vers la liberté ou s’accommode d’un inerte esclavage, l’individu se saisit comme un homme parmi les hommes, ou comme une fourmi dans une fourmilière : mais nous avons tous le pouvoir de mettre en question le choix collectif, de le récuser ou de l’entériner » p.538.

Un bel exemple de force d’âge.

Simone de Beauvoir, La force de l’âge, 1960, Folio 1986, 693 pages, €11.40 e-book Kindle €9.99

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Ernst Jünger, Soixante-dix s’efface 1981–1985

Soixante-dix n’arrête pas de s’effacer sous la plume de Jünger, quinze années après celle qui lui a donné son titre. L’auteur va sur ses 90 ans, il écrit de plus en plus d’aphorismes, raconte de plus en plus de rêves, cite de plus en plus des extraits de correspondance. Le lecteur a la nette impression que l’auteur s’assèche et qu’il supplée au manque de vitalité de sa réflexion par une attention minutieuse portée aux détails. Le traducteur parle de « transparence » du grand âge. Le terme est joli, plutôt gentil. En fait, c’est la personnalité qui s’efface devant ce qui advient.

En vieillissant, Jünger intervient de moins en moins. Il n’est plus acteur mais spectateur de son existence. Il rejoint le zen dans son attitude de laisser-être. Les choses sont ce qu’elles sont et, à leur égard, il passe du dynamique au descriptif. Ses références de prédilection sont pour l’immuable : le minéral, le botanique, l’insecte. En ce qui concerne l’humain, il préfère les mythes ou la divination. Le présent ne l’intéresse plus que comme clé pour comprendre l’éternité. « Le pôle opposé au rire, ce sont les mathématiques » p.14. « Je suis l’ami des gens à part qui, dans les situations désagréables, par exemple au feu, se préoccupent de questions accessoires » p.37. La vieillesse est un nouveau feu, un combat : « ce n’est pas la capacité – c’est la libido qui régresse » p.122. L’élan vital se ralentit.

La perception change, on aspire au repos : « On atteint un état de bien-être total lorsqu’on ne sent plus ni son corps ni l’environnement. On l’observe plus souvent chez les animaux que chez les hommes : ils vivent de façon plus naturelle que nous » p.223.

La conscience se focalise sur les grands rythmes, comme si elle voulait se mettre au diapason des mouvements cosmiques. « En tant que résidence de la vie, la terre constitue une exception dans notre système, et peut-être uniquement en lui. Le fait que les anciens considéraient le flux et le reflux comme la respiration de Gaïa ne doit pas être tenue pour une erreur mais pour une autre manière de voir » p.124. De même, « le sens indestructible de l’astrologie ne réside pas dans l’interprétation des destins individuels mais dans le fait qu’elle libère le regard du premier plan historique pour le tourner vers la marche de l’horloge cosmique » p.101. Pareillement pour les dieux : « il ne faut pas considérer les dieux comme des idées – des créations poétiques, ce serait plus juste. En tant que tels, ils atteignent une plus grande crédibilité, également sous forme d’apparitions. Ce sont eux, en fait, qui donnent forme à l’histoire » p.335. D’ailleurs, « le 22 octobre 362, le temple d’Apollon à Antioche disparut dans les flammes. L’incendie criminel, dirigée contre l’empereur Julien, signifia la fin du monde des dieux antiques » p.462.

Aujourd’hui est encore une période de grands bouleversements : « De nouveau, ce sont les modifications géologiques et atmosphériques, la destruction de certaines espèces animales, la menace qui pèse sur notre propre survie. Cela indique une répétition qui s’effectue au sein de cycles très amples. D’où aussi l’impression que nous avons déserté le cadre de l’histoire du monde pour tomber sous le coup des mouvements de l’histoire de la terre » p.129. Nous passerions de l’humain au cosmique parce que notre cycle, celui des titans, s’achève. Le prochain cycle sera plus spirituel, plus soucieux d’être en phase avec le cosmos. « La force d’attraction croissante des œuvres d’art est un symptôme des années que nous vivons – d’une part elle témoigne d’un manque de la force créatrice, de l’autre d’une soif de la rencontrer » p.521.

Il nous faut retrouver l’enfance, la source de vitalité humaine : « je tiens l’enfant pour génial – ce qui signifie : vivant dans un état de nature inaltérée –, au sens de la Genèse, encore intact vis avis de la connaissance. À tout âge, la force créatrice doit revenir puiser à cette source » p.492.

Retour à l’anarque, la grande création d’Ernst Jünger, une biographie faite concept où l’anarchiste est monarque et non bête du troupeau anar. Il explique : « la vérité et l’efficacité ne coïncident que par hasard. La vérité est essentielle, l’efficacité accidentelle. La vérité peut rester inefficace ou même provoquer son contraire. Les âges d’or sont ceux où la vérité et l’efficacité concordent » p.54. Lorsqu’ils ne concordent pas, nait l’anarque. « L’anarque évitera la rencontre avec l’homme borné, mais il ne le heurtera pas de front, car celui-ci tient les choses en main » p.76. On a toujours tort de s’engager car on ne peut rien tout seul contre la physique des masses. On ne peut que se mettre dans un courant. Quand il n’en est pas de sérieux, « le mieux est l’anonymat – on n’a absolument rien à voir à l’affaire – ni pour, ni contre. La prudence s’impose alors, mais seulement comme s’il s’agissait d’un phénomène naturel, par exemple un gros orage pendant lequel il n’est pas recommandé d’aller faire un tour dans la rue (…). La masse n’est ni bonne ni mauvaise, mais tout simplement bête. On peut s’en tirer avec elle à condition de ne pas entrer en concurrence » p.368.

À l’opposé de l’anarchiste et du nihiliste, « l’anarque est un optimiste persuadé de sa propre puissance mais qui connaît ses limites. Il va aussi loin que le permettent l’époque et les circonstances, mais pas plus loin. Il est foncièrement normal ; sa seule particularité est qu’il reconnaît la norme comme sa loi. Il accorde cela à n’importe qui d’autre. En tant que citoyen, il vivra généralement de manière effacée, s’abstiendra de critiquer et son enthousiasmera difficilement. Cela n’exclut pas un rapport bienveillant à l’autorité, fondée sur sa supériorité intérieure » p.422. Le chien est social et conforme, « le chat est anarque – s’il cherche le contact avec nous, c’est dans son intérêt. Il conclut alors avec nous, selon les termes de Stirner, une « association » qu’il peut dénoncer quand il le souhaite » p.476.

Sur le rôle de l’auteur de livres : « Il faut souligner que l’auteur élève son lecteur à un niveau supérieur à la morale du temps. Ainsi le lecteur, sans approuver pour autant la polygamie ni l’esclavage, pourra se transformer l’espace d’une nuit en un Aladin qui commande à des eunuques et des esprits serviteurs, et prend plaisir à son harem. C’est de cette liberté absolue que vit la grande littérature, et en particulier la tragédie » p.353.

Quant à écrire un journal, il est un témoignage, une borne dans le temps : « Tout journal a pour perspective d’être publié, s’il atteint l’âge nécessaire. Après cent ans passés, il acquiert déjà une dimension historique qui s’accroît de plus en plus. Ce qui serait précieux dans un autre sens que celui du compte-rendu personnel, ce serait de fixer, décennie après décennie, le déroulement d’une journée. En ce domaine, les événements habituels sont plus importants que les événements inhabituels, et les faits plus importants que les opinions » p.322.

Message pour un lecteur qui lui écrit et lui demande ce qu’il est nécessaire de lire : « Lisez Hésiode et l’Edda, ainsi que l’Apocalypse, Isaïe et Jérémie – ils sont actuels » p.390.

Ernst Jünger, Soixante-dix s’efface 1981–1985, tome 3, Gallimard 1996, 579 pages, €29.40

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Alain Finkielkraut, Un cœur intelligent

La génération née avant-guerre attendait les œuvres des « littéraires » comme la génération d’aujourd’hui attend la dernière série américaine. Les auteurs étaient des marques et chacun appréciait, durant les trajets en métro ou en train ou le soir avant de s’endormir, leurs facéties et leurs pensées. C’était hier. Aujourd’hui, envahis de télé et de net, de mobiles et de réseaux sociaux, la « pensée » se dilue dans le magma de la « com’ ». Les livres sont réduits aux objets, voire au twitt, des marchandises « vues à la télé » ou rigolées dans le buzz. On les achète « pour consommer tout de suite » entre un paquet de lessive et un kilo de tomates. Cela donne du jetable à la Nothomb, des dictées courtes à la Delerm, du prêt à penser – tout un histrionisme de papier que l’horreur de s’encombrer fera bientôt donner au recyclage.

Rien de tel avec Alain Finkielkraut. Grand Français né à Paris de parents venus d’ailleurs, agrégé de lettres modernes, vingt-cinq ans enseignant l’élite polymatheuse avant d’être élu Immortel, il renoue avec ses ancêtres intellectuels des années 50. Il lit, il pense, il prend du temps – contrairement aux fronts bas et masques de bêtise immonde de ceux qui l’ont conspué samedi dernier sous couvert de « gilet jaune ». « La France est à nous ! » braillaient les imbéciles, tandis qu’Alain Finkielkraut était la preuve même de la méritocratie française.

La populace sait-elle lire ? A regarder les interjections des « réseaux sociaux », ça gonfle (version bas-ventre), ça déprime (version cœur d’artichaut), ça prend la tête (version beauf potache). Or, nous dit Alain Finkielkraut, la lecture nous fait homme. C’est-à-dire ni ange, ni bête, ni « bureaucrate (…) d’une intelligence purement fonctionnelle », ni « possédé (…) d’une sentimentalité sommaire, binaire, abstraite, souverainement indifférente à la singularité et à la précarité des destins individuels » p.9. En bref sans la littérature, cette médiation, « la grâce d’un cœur intelligent nous serait à jamais inaccessible » p.10.

Le fascisme de rue en chemise jaune est l’occasion de relire un livre paru en 2009, un livre de lectures, neuf exactement, toutes du XXe siècle. Un seul Français : Albert Camus ; deux Russes et deux Américains, un Tchèque, un Allemand et une Hollandaise. Ajoutons (le total peut être supérieur à 100) au moins deux Juifs. On sait la sensibilité juive écorchée de Finkielkraut qui le fait parfois déraper dans l’irrationnel quand il s’agit de la politique, cette mauvaise foi permanente. Rendons-lui grâce de sortir de sa culture identitaire (contrairement à ses conspueurs) pour apprendre d’autres écrivains qui ne sont pas de son ethnie. Mais ils sont de sa « culture » et c’est ce qui importe. Nous savions Alain Finkielkraut doué d’une grande intelligence ; il prouve qu’il a aussi du cœur.

Car ses lectures sont des passions. Elles nous font, certes, réfléchir sur l’humain, mais pas sans exemple incarné, éphémère, singulier. L’humain ne se réduit surtout pas à l’Humanité, cet objet d’abstraction d’une Histoire à la Hegel. L’humain est au contraire l’être là, devant soi, celui qui désire et qui aime, qui a du courage et de la lâcheté, ancré dans sa petite vie aussi respectable qu’une autre. « L’œuvre d’art, disait en substance Alain, ne relève pas de la catégorie de l’utile. Si l’on veut juger de sa valeur, on doit donc se demander non à quoi elle peut nous servir, mais de quel automatisme de pensée elle nous délivre » p.13.

C’est donc le Ludvik de Kundera qui écrit par dérision « vive Trotski ! » à sa fiancée partie en formation militante. Ce qui enclenche l’engrenage de la bêtise socialiste, du Complot contre le Peuple, du grain contre la marche de l’Histoire, en bref tout ce « sérieux » ineffable des croyants.

C’est l’Ivan de Grossman, dénoncé par un « camarade » de Parti, qui se refuse à condamner le délateur en montrant que chaque Judas est un être irréductible à son acte.

C’est le Sebastian de Haffner (l’auteur et son double) qui montre combien « l’encamaradement » des hommes tend à rendre l’Etat totalitaire, le groupe fusionnel comptant plus que tous les principes moraux. Ce qui réduit la « race » à la biologie alors qu’elle signifiait, dans l’Ancien Régime, « une forme de noble fermeté, une réserve de fierté, de force d’âme, d’assurance, de dignité, cachée au plus intime de l’être » p.89.

C’est le Jacques de Camus (son double là aussi) qui refuse d’abandonner l’existence humaine à l’Histoire et la justice concrète aux slogans militants.

C’est le Coleman de Roth, professeur d’université d’origine nègre qui s’est dit juif pour se marier, accusé de racisme par l’ignorance de langue de deux potaches qui séchaient les cours. Et tout l’engrenage de la moraline, de la bien-pensance abêtie de grégarisme médiatique, rejette ce mouton noir du consensus politiquement correct. Cela au pays des libertés américaines, évidemment.

C’est le Jim de Conrad, féru d’aventures et d’héroïsme dans ses rêves mais toujours en décalage d’un bon choix dans la réalité vécue. Il n’est jamais à la hauteur de la mission qu’il se donne et, au lieu de se contenter de vivre sa vie, il veut la créer, toujours en retard parce qu’il ne peut rien prévoir de l’inattendu.

C’est le narrateur sans nom des ‘Carnets du sous-sol’ de Dostoïevski, qui croit que l’intérêt et la volonté ne font qu’un, ne réussissant dans l’existence qu’à se rendre invivable. Egoïste, aigri, cherchant à se faire reconnaître, il se rend inexistant.

C’est l’Austin de Sloper qui croit être avisé et aimant en montrant à sa fille combien son soupirant est un coureur de dot, faible et inintéressant. Au risque d’inhiber un destin qui aurait pu être heureux, sait-on jamais ?

C’est la Babette de Blixen, servante française communarde exilée en Suède luthérienne, qui monte un banquet énorme avec ses gains de loterie pour affirmer que l’art est plus fort que l’ascétisme croyant. Parce que l’on vit ici et maintenant et pas dans l’éternité ; avec tous nos sens et pas en purs esprits ; avec les autres hommes et pas avec ses seuls principes.

Ce sont tous ces « héros » trouvés dans la littérature qui font penser. Penser à l’esprit de sérieux, à la croyance en la Vérité absolue. Penser à la culpabilité du bon droit ou de la bonne conscience, à cette raison pure qui est comme un alcool sans eau : elle brûle immédiatement tout ce qu’elle touche en faisant disparaître aussitôt tout raisonnable. Finkielkraut dénonce à l’envi « les ravages provoqués par la prétention humaine à occuper la place que Dieu a laissé vacante » p.20 ou ceux qui se veulent « déchargés du fardeau de la liberté par l’instance qui s’assignait pour mandat la libération de tous les hommes » p.49. Il exalte plutôt la « révolte des modérés », ces humains trop humains et qui tiennent à le rester. Vous peut-être, moi en tout cas.

Il y a beaucoup à lire, à méditer, à citer, dans Un cœur intelligent. Il vaut bien mieux que les tonnes de littérature à l’estomac, aussi insipides qu’indigestes, qui peuplent à chaque rentrée les rayons. Voici un livre qu’on ne jette pas : on le transmet. Ce qui est peut-être le plus bel hommage.

Alain Finkielkraut, Un cœur intelligent, 2009, Stock/Flammarion, 282 pages, €20.30 e-book Kindle €6.49

Egalement sur ce blog : Alain Finkielkraut, Et si l’amour durait

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Eliminer

J’aime jeter, éliminer, faire de la place – et pourtant les livres m’envahissent. J’en possède plusieurs milliers et j’en ai lu plus encore en bibliothèque, pour mes études, à titre professionnel, ou prêtés par des amis, mon père ou mes frères. Je suis un gros lecteur, formé par une certaine solitude durant l’enfance mais aussi par la curiosité insatiable du monde et des êtres.

Je lis à peu près une centaine de livres par an, du pur divertissement en bandes dessinées aux traités de philosophie. Ces derniers, le crayon à la main pour dire l’écho qu’ils ont en moi sur ce blog.

Les livres passent, nombre restent. Certes, je donne ou je revends les romans que je ne lirai plus, les manuels vite obsolètes ou redondants. Mais quoi : il ne s’agit que d’une cinquantaine de livres par an alors qu’il en rentre toujours plus ! Résultat : c’est la crue. Le niveau monte, inexorablement, jusqu’à ce que mon attention s’émousse pour les nouveautés, jusqu’à ce que je possède une base suffisante de classiques et que l’informatique permette d’éviter les manuels. Mon espace est lentement envahi. Une fois multipliées les bibliothèques, le rangement se fait en double sur les rayonnages, une rangée derrière, une autre devant. Je classe parfois par taille pour gagner de la place, certains volumes empilés couchés pour gagner en hauteur. Et puis…

Arrive un moment où il faudrait changer d’appartement, acquérir une vaste pièce supplémentaire où les murs seraient tous garnis de livres jusqu’au plafond. Et puis encore… Je finis par me dire que je ne lirai jamais tout ce qui paraît, même pas tout ce qui m’intéresse, que je ne relirai pas l’intégralité de ce que j’accumule malgré mon désir, que les achats effectués représentent déjà plusieurs années de lecture à bon rythme. Comme toujours le monde est si vaste que l’on voudrait tout découvrir ; les êtres sont si beaux ou passionnants, malgré leurs défauts évidents, que l’on voudrait tous les connaître et peut-être les aimer s’ils en valent la peine ; on voudrait écouter toutes les musiques, voir tous les tableaux, visionner tous les films ! Mais une vie entière n’y suffirait pas et il faut bien choisir.

Il n’y a pas de critère sauf l’exigence personnelle. Chaque instant qui passe nous voit être le même et un peu différent. Lire, écouter ou regarder nous change parce que cette activité ne cesse de nous enrichir, de nous corriger, de faire surgir d’autres curiosités. Le livre que l’on aimait, on l’aime moins des années plus tard parce que nous avons mûri, vieilli, et que l’époque a changé. Un autre livre est venu et nous sommes plus sage. Notre bibliothèque est comme notre mémoire : sélective. Le tri doit se faire régulièrement, et il n’est jamais fini.

Seuls les classiques et les livres en images restent immuables – quoique la reproduction puisse faire des progrès et que l’écran soit plus lumineux et plus interactif. Eux seuls défient le temps, comme les musées, car nous pouvons en faire chaque jour une lecture nouvelle et, labourant le même champ, engranger d’autres récoltes. Lisez pour vous et, par exemple, lisez pour un autre – un enfant, un malade, un vieillard – vous verrez que vous ne lirez pas tout à fait le même livre. Faites la même chose pour les peintures, voyez-les seul et avec un autre ; elles seront subtilement différentes. Relisez adulte les œuvres lues ado, vous ne percevrez pas la même œuvre de la même façon. Ce qui reste doit être ce qui vous importe ; quant à ce qui ne résiste pas au temps, débarrassez-vous en.

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Michel Tournier, La goutte d’or

michel tournier la goutte d or
Le sujet m’apparaissait racoleur, dans le vent des naïvetés sans frontières et du bon sauvage comme de la manipulation électoraliste de SOS racisme, pote dressé en boutonnière. Qu’un écrivain comme Michel Tournier puisse s’abaisser à commettre un roman sur un thème tellement à la mode m’agaçait. Il me semblait perdre encore un peu plus de sa substance, lui qui a besoin de méditer et de mûrir de longues années ses livres.

Or je découvre en La goutte d’or un sujet philosophique qui dépasse le misérabilisme de l’immigration et le tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil de la nunucherie médiatique. Tournier écrit là ses Lettres persanes.

Berger adolescent de 15 ans qui garde ses chèvres près de l’oasis de Tabelbala au Sahara algérien, Idriss débarque en France parce qu’une touriste lui a volé son visage en photo. Il craint le mauvais œil mais est attiré aussi, il faut le dire, par le mirage occidental. Il découvre en Europe un empire de l’image. Habitant chez un cousin le quartier arabe de la Goutte d’or (il n’y a jamais coïncidence chez Michel Tournier), il est chargé en petit boulot de convoyer un chameau à travers Paris jusqu’au Jardin d’acclimatation. Les vitrines ne cessent de lui renvoyer son image. A l’opposé du signe, qui est esprit, l’image est matière ; elle enchaîne les sens. Le Sahara médiatisé par le film tourné avec le chameau n’est pas le Sahara mais un rêve exotique ; la publicité télévisée joue sur l’émotion levée par les symboles primaires : l’eau vitale, la soif possible, la joie des choses simples, le sexe. Les adolescents arabes, confrontés à cet univers qui leur est interdit par la religion, en perdent leur identité et se noient dans les significations qu’ils ne peuvent saisir.

Michel Tournier en profite pour explorer cet opium du monde occidental : l’image toute-puissante. Dans la grande cité parisienne, Idriss subit « toutes les agressions de l’effigie, de l’idole et de la figure. Trois mots pour désigner le même asservissement. L’effigie est verrou, l’idole prison, la figure serrure » p.201. L’auteur, photographe et voyeur, a beaucoup médité sur la reproduction des visages et des corps. L’image est chose morte mais exerce sa fascination d’éternité sur les esprits simples. Le cinéma est une séance d’hypnose contemplative, un opium populaire. Tourner un film, c’est tenter de rendre éternelle une image, une émotion, une beauté, un destin – comme ceux des garçons que le cinéaste Mage (au nom peu innocent) tente de retenir dans son nid du 18ème arrondissement – quartier du sex-symbol, du peep-show, du spectacle des chairs.

Idriss loue son corps pour mouler des mannequins de vitrine. La figure du mannequin résume et caricature notre industrie de l’image. Le mannequin est une coque vide, une parfaite apparence. Alors que la statue est unique, le mannequin de vitrine est tiré à des dizaines d’exemplaires. Il n’exalte ni l’individu ni le corps humain mais sert de présentoir, d’armature, aux vêtements de la mode. A l’origine pourtant, il est moulé sur un corps vivant, celui d’Idriss, 15 ans. Ce que l’auteur décrit avec ce réalisme minutieux qu’il affectionne, d’autant que cette naissance poisseuse et tiède le trouble. L’image mimétique du jumeau emprisonne le soi ; l’image photographique est un viol symbolique – et ce n’est pas par hasard si la touriste photographe avait les jambes nues – ; l’image publicitaire est un show illusionniste. Le portrait classique avait déjà ce pouvoir maléfique d’enchaîner à une illusion. Idriss, jeune berger saharien, apprendra qu’« une seule clé peut faire tomber ces chaînes : le signe » p.201.

Il se lance donc dans la calligraphie auprès d’Abd al Ghafari, art fort prisé en Islam où la civilisation musulmane l’a porté à un haut degré de raffinement car les représentations des créatures de Dieu sont interdites par le Coran. La calligraphie est l’algèbre de l’âme, elle ouvre à l’abstrait, donc à la réflexion. Le signe libère, contrairement à l’image, car il est analytique et décompose l’être ou le paysage en ses éléments premiers, tout comme fait le désert.

Le portrait maléfique pris par la reine blonde perd son pouvoir hypnotique le jour où un adolescent lettré l’analyse en mots, le traduit pour l’esprit. Une image a un pouvoir total parce qu’elle adresse simultanément ses messages. « L’image n’est qu’un enchevêtrement de signes, et sa force maléfique vient de l’addition confuse et discordante de leurs significations » p.208. Ainsi la tête de Méduse paralyse, et l’on tombe amoureux non des corps mais des visages. Or, pour le lettré, l’image n’est pas muette : il n’est que de savoir lire. Le visage est le plus difficile parce qu’il inspire des émotions fortes : la crainte, la honte, la haine, l’amour.

Notre civilisation de l’image attire le tiers-monde illettré tout comme elle fascine les musulmans par transgression de l’interdit. Son luxe sensuel fascine, induit en tentation. Mais si, derrière cette apparence, il n’y avait rien ?

Idriss, fasciné par la danseuse noire Zett Zobeida, porte au cou l’amulette en goutte d’or qu’elle a perdue, analogue à la bulla aurea des enfants Romains libres, gardée jusque vers 17 ans. Il se la fait voler par une pute lors de son débarquement à Marseille. Lorsqu’il retrouve le bijou dans une vitrine chic de la place Vendôme, cœur de Paris, l’adolescent arabe armé de son sexe-piqueur n’hésitera pas à lézarder la vitre pour libérer sa goutte. Elle est en forme de perle, renflée en bas, qui n’est image de rien, juste une goutte d’or pur, mais symbole de sa liberté.

Le voyage initiatique prend fin lorsqu’Idriss retrouve son identité dans la calligraphie, art musulman, loin de la séduction illusoire des images, art occidental. Et le message fait un peu IIIe République : le garçon apprendra à lire, à écrire, et il sera sauvé…

Michel Tournier, La goutte d’or, 1986, Folio 1988, 224 pages, €8.20
e-book format Kindle, €7.99
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Umberto Eco, Lector in fabula – Le rôle du lecteur

umberto eco lector in fabula
Umberto Eco est décédé le 19 février de cette année à 84 ans. Ce diplôme de philo de Turin avec une thèse sur saint Thomas d’Aquin est surtout connu pour le film tiré de son roman publié en 1980 : le Nom de la rose. Il mêle moyen-âge et religion, politique et érudition, naïveté et savoir, censure et péché. Les illettrés, hélas de plus en plus nombreux depuis la génération Mitterrand du jouissif, accentué depuis par le zapping à tout instant d’Internet sur Smartphone, n’ont jamais rien lu d’Umberto. Ils n’ont regardé que les images de Jean-Jacques Annaud, les acteurs Sean Connery en James Bond médiéval et Christian Slater en frais novice de 17 ans.

Ses autres romans n’ont pas été aussi « célèbres » car le ciné n’a pas osé s’y colleter. Le Pendule de Foucault, paru en 1988, rénove les Templiers et critique l’ésotérisme. L’Ile du jour d’avant, en 1994, est trop compliqué pour les esprits simples, trop paradoxal sur les longitudes et les fuseaux horaires. Baudolino, livré au public en 2000 raconte le mensonge et la vérité, via les tribulations d’un garçon du XIIe siècle qui ne survit que par affabulations. Les suivants ? Personne n’en parle déjà plus…

Or Umberto Eco était aussi un chercheur du langage, un sémioticien dans la lignée de Roland Barthes. Du temps où les plus bêtes lisaient, à la fin des années 70, il fait paraître un recueil d’articles écrits entre 1976 et 1978 sur la pragmatique du texte, ou comment un lecteur interprète l’œuvre, donc participe de ses multiples sens. La traduction française a conservé son titre en italien, on ne sait pourquoi, peut-être parce que Lector in fabula est plus joli que le lecteur dans les structures narratives ?

Pour Eco, l’œuvre est un message, mais ambigu – car plusieurs signifiés cohabitent dans un seul signifiant. Selon le public, sa signification d’une œuvre diffèrera. Les conditions, sociales, historiques, culturelles de son écriture comme de sa lecture sont en partie déterminées par « l’encyclopédie » lexicale et culturelle de ceux qui écrivent et de ceux qui lisent. À cette époque bénie, Eco fixait à 2000 mots le lexique des plus nuls… il s’est réduit de nos jours vers 400 mots !

Ce texte, alors paru en poche, se vendait comme toutes les sciences humaines. Aujourd’hui… la même édition poche de 1989 est toujours disponible : 27 ans sans réédition nécessaire.

Comprendre comment on lit, et aussi de quelle façon on écrit, est disséqué dans ce livre. Non sans humour : le lecteur d’un horaire de chemin de fer est ainsi qualifié, dans la virtuosité du vocabulaire linguistique, « d’opérateur cartésien orthogonal, doué d’un sens aigu de l’irréversibilité des successions temporelles » p.75. On se croirait en IUFM… et Umberto Eco se moque de cette façon de jargonner qui évite de penser.

Bien qu’un peu difficile et spécialisé dans la réflexion sur le langage, le message, la structure narrative et la fonction de lecture, je rends ainsi hommage à l’universitaire ironique et brillant qui vient de nous quitter.

Umberto Eco, Lector in fabula – Le rôle du lecteur ou la Coopération interprétative dans les textes narratifs (Lector in fabula), 1979, Livre de poche biblio essais 1989, 317 pages, €6.60

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Enseigner aux décideurs

L’enseignement n’est pas que scolaire, il n’est pas l’ingurgitation de connaissances seulement, mais aussi de savoirs pratiques. Surtout passé le collège, lieu où l’ignorance et l’indiscipline adolescente doivent être maîtrisées avant d’aller plus loin. Déjà, en Terminale, l’élève apprend à raisonner par lui-même en philo et en histoire. Mais ces savoir-faire sont plus importants encore par la suite. La jeunesse apprend à devenir utile dans la cité, dans l’entreprise, dans la famille. Pour cela, elle doit quitter l’hédonisme consommateur de l’enfance attardée pour devenir responsable d’elle-même, apte aux responsabilités.

Ce qui est (mal) fait à l’Éducation nationale jusqu’aux prépas et BTS, qui préparent des têtes pleines mais rarement faites, est réparé (autant que faire se peut) par les écoles professionnelles et les écoles de commerce. Il se trouve que j’ai une certaine expérience depuis quelques années à parler de ces sujets.

Emploi refuse

Quel est l’objectif d’un élève en école professionnelle ou de commerce ? De devenir opérationnel rapidement dans une entreprise pour trouver plus vite un emploi intéressant et correctement rémunéré.

Cet objectif utilitaire, qui n’exclut ni la passion ni le désir, ne peut être atteint que par des méthodes de raisonnement, d’apprentissage et de comportement. L’entreprise demande au jeune postulant des aptitudes à la responsabilité et à l’écoute, des capacités d’initiative et de travail en commun, des savoirs pratiques applicables. Ce vaste requis – qui englobe presque tous les aspects de l’existence si l‘on y réfléchit bien – s’apparente à la philosophie. Non ce savoir desséché et blablateur d’intello issu du monde des clercs, mais ce savoir pratique du bien vivre et d’agir à propos qui était celui des Antiques et de Montaigne.

Cela nécessite de former des étudiants qui ne se contentent pas d’apprendre par cœur des sommes théoriques (qui seront vite obsolètes) pour répondre aux questions ouvertes ou aux QCM de l’examen, mais une façon d’être par rapport aux questions :

  1. Tout d’abord savoir bien la lire.
  2. Ensuite établir une réponse avec méthode.
  3. Enfin présenter sa réponse avec clarté, précision et concision.

Ce qu’on appelle en bref « être professionnel ».

Du côté des enseignants, l’exigence est donc l’interdisciplinaire. Il est contreproductif d’enseigner une méthode unique ou des savoirs gravés dans le marbre ; mieux vaut de suite poser que toute analyse se doit d’être « liquide », ouverte et non figée. Le savoir enseigné est alors évolutif, collaboratif, multiforme : il doit enseigner l’adaptation, pas le manuel ; savoir le faire, pas tout savoir ; applications pratiques, pas théories abstraites.

Le meilleur apprentissage est en faisant – ce qui se traduit en école par la recherche :

  1. Poser une question ouverte sur un objet enseigné
  2. Laisser trouver les éléments de réponse sur le net ou en médiathèque
  3. Faire travailler en équipes restreintes pour confronter les originalités
  4. Enfin corriger en commun le travail de chaque équipe.

Ainsi chacun se sent épaulé, partie d’un collectif, faisant des erreurs « comme tout le monde » mais capable d’apprendre de ses erreurs avec tout le monde. Tous exposent leurs façons de faire et confrontent leurs méthodes.

Ce processus est analogue à celui des équipes de recherche scientifique ; il est pratiqué aussi dans les entreprises nordiques et anglo-saxonnes, plus lourdement dans les entreprises germaniques. Il n’y a qu’en France où la hiérarchie inhibe le plus souvent cette pratique – dans l’administration, à l’hôpital comme dans les banques et les grandes entreprises – au nom d’un statut imbu de lui-même selon lequel le concours, la cooptation ou le statut suffisent à poser la légitimité.

Il n’y a pas que les charges sociales qui pèsent sur l’emploi dans notre pays : ily a aussi la formation des postulants aux emplois et la mentalité pyramidale autoritaire !

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Claude Simon, Triptyque

claude simon triptyque
Je ne vous dirai rien de La Bataille de Pharsale, publié en 1969, qui est à mes yeux illisible. Triptyque l’est un peu plus, mêlant trois histoires afin de « déconstruire » le concept même d’histoire, de récit cohérent avec un début et une fin. Cette affectation de rébellion, tellement à la mode chez les auteurs du « nouveau » roman des années 1960, est une impasse littéraire. J’aimerais être contredit, mais qui lit aujourd’hui Robbe-Grillet ou Claude Simon ? Chez ce dernier, certains lecteurs peuvent être envoûtés par certains textes. Pour ma part, Triptyque fait partie de ceux-là.

Car le lien entre ces histoires disparates est l’érotisme. Que resterait-il du roman sans cette fièvre érotique qui mène quasiment tous les personnages ? La scène commence par une gravure, qui deviendra puzzle à la fin, où deux garçons observent sur un pont les truites nageant dans le courant, dont le mouvement ondulant est analogue au membre viril dans la vulve de femme. Alentour, un paysage champêtre où un gamin aux cheveux filasse ramène ses vaches, une vieille paysanne qui écorche un lapin, dont l’agonie produit les mêmes soubresauts qu’un orgasme de femme.

Les deux garçons, qu’on imagine avoir 13 et 14 ans puisque l’un est « plus jeune », prennent prétexte de la pêche pour se baigner et aller nus observer une fille qui se déshabille. Ils frissonnent du bain récent autant que d’excitation, lorsqu’ils manquent d’être surpris par un gros en marcel et sa moitié de retour de pêche en un meilleur endroit. Fuite dans les maïs, pieds nus croulant les mottes, traversée de la rivière, de l’eau au ras des mamelons, rhabillage rapide sans slip, trop mouillé, enfin, l’air de rien, pêche là où rien ne vient. La nature dans ce roman engloutit l’humain dans un découpage cinématographique volontaire.

Passe une jeune domestique tenant à la main une fillette. Ils ont surpris auparavant son regard vers un beau motard viril, chasseur dont la chemise ouverte laisse entrevoir la poitrine velue. Lorsqu’elle leur demande de garder l’enfant pendant qu’elle s’éloigne un peu, ils comprennent : les deux vont baiser dans la grange. Ils laissent la gamine à trois petites filles qui passent le long des berges (laissée une fois de plus, il est à peine évoqué que la gamine va se noyer). Eux vont mater le couple effréné aux coïts multiples par un trou de la grange. Ils ne ratent rien de la vulve touffue comme un buisson ni du pénis dur comme un marteau. La chair même, chez Simon, est nature.

Une affiche sur la grange évoque un film, prétexte au second paysage, intercalé sans mise à la ligne ; les deux garçons sortent en effet de la poche poitrine de leur chemise des bouts de pellicule, images sur lesquelles ils se caressent sous la culotte : dans un palace méditerranéen, une mère s’efforce d’aider son fils impliqué dans un trafic de drogue, elle est femme nue sur un lit, un homme mûr assis qui regarde, un adolescent bouclé en blue-jean qui claque la porte, convulsé de fureur. Un troisième paysage s’intercale encore, prétexte à fantasmes : dans une banlieue industrielle où l’on boit le genièvre, une noce tourne mal et le beau jeune marié saute la serveuse à hauts talons dans une ruelle en face de l’estaminet. Des scènes de clown s’associent à tout cela en version grotesque. L’ensemble repose sur les descriptions maniaques des décors, des personnages et des choses – l’histoire n’est plaquée qu’ensuite, pour tenter de lier le tout bout à bout.

Peut-on en inférer, selon la sociologie de Marx, que Simon produit une littérature qui émane tout droit de la société bureaucratique des années 50 et 60 ? Littérature descriptive, moralement neutre, quasi comptable. Heureusement que le sperme sert de liant à ce procédé qui autrement serait chiant ! Les peintres Paul Delvaux, Jean Dubuffet et Francis Bacon ont servi de support pictural au montage cinéma des différents paysages.

Il n’y a que matière et mouvement, aucun jugement édifiant, c’est ce qui fait la modernité de l’œuvre – et sa lisibilité malgré les obstacles. Pas de bons sentiments, ni de leçon de morale, les faits bruts, décrits minutieusement comme un peintre, montés en kaléidoscope comme un cinéaste. Ce n’est pas réaliste mais est en même temps hyperréaliste : aucun enchaînement logique ou psychologique, mais des états successifs de fantasmes et de sensualité bien réels, supports libres à l’imaginaire de chacun.

Plus de phrases interminables ni d’incidentes entre parenthèses, le texte se lit facilement, même s’il saute du coq à l’âne sans arrêt. Un peu difficile à lire pour qui a perdu l’habitude des livres, mais un fabuleux efficace.

Claude Simon, Triptyque, 1973, éditions de Minuit 1973, 225 pages, €19.25
Claude Simon, Œuvres 1, Pléiade Gallimard 2006, 1583 pages, €63.50
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Dominique Venner, Un samouraï d’Occident

dominique venner un samourai d occident
J’ai trouvé par hasard en librairie ce guide de survie spirituelle d’un homme qui, jeune, s’est battu avec l’armée française pour défendre la grandeur du pays et qui a découvert, à peine adulte et après s’y être essayé des années, que la politique ne servait à rien d’autre qu’à la petite gloire des médiocres. Dominique Venner s’est alors plongé dans les études historiques et a fondé la NRH (Nouvelle Revue d’Histoire) en même temps qu’il publiait ses réflexions sur le temps long en divers livres. Un samouraï d’Occident apparaît comme un ouvrage longtemps médité, soigneusement rédigé, qui change des torchons à la mode vite jetés sur le papier et vite publiés avant d’être aussi vite oubliés…

Dominique Venner n’est pas dans le « mainstream », comme aime à le dire un Frédéric Martel qui n’a rien à voir (à ma connaissance) avec un quelconque ancêtre prénommé Charles. Venner n’aime pas le capitalisme marchand, ni le progressisme béat qui vise l’illimité en tout, ni les suites du christianisme souffrant et coupable déclinées en communisme, socialisme et autres gauchismes aussi vains que fondés sur l’illusion. Éternelle imposture de Platon qu’un Clément Rosset (que l’auteur ne cite pas) a dénoncée.

Avant de choisir la mort volontaire en samouraï le 21 mai 2013, accompagné d’un témoin plus jeune dans le chœur de Notre-Dame de Paris (édifié au-dessus des piliers des nautes, très ancien sanctuaire celte), Dominique Venner a vécu 78 années de vie intense, laissé cinq enfants et une cinquantaine d’ouvrages, dont certains remarqués : Histoire de l’Armée rouge (prix Broquette-Gonin de l’Académie française) en 1981, Dictionnaire amoureux de la chasse en 2000. Il avait rompu définitivement avec la politique en 1967 pour devenir « historien méditatif ».

Ce n’est pas son positionnement à droite qui m’intéresse, d’autant qu’il s’est beaucoup trompé (De Gaulle avait raison de rendre l’Algérie aux Algériens, ce peuple fier et musulman) ; ce ne sont pas non plus les pudeurs de vierge effarouchée des moralistes « de gauche » dont la position de Commandeur (juger avant d’analyser) est aussi vaniteuse que courte.

Ce qui m’intéresse est l’exemplarité d’un homme, le message spirituel qu’il porte, son élan positif.

Dominique Venner aimait la vie, mais surtout la vie belle, celle que les stoïciens recommandaient de chercher en cette vie même, sans se laisser enfumer par les illusions d’un lendemain chanteur ou d’un au-delà consolateur. Il considérait que le beau créait le bon, et non l’inverse, que ce n’étaient pas les « bonnes intentions » qui donnaient l’exemple mais les actes réels accomplis avec tenue. Il avait de la hauteur – non celle du mépris (il cite en femme exemplaire la concierge de l’Élégance du hérisson) – mais celle du temps long et du socle des valeurs. Nous, Occidentaux, ne sommes pas la planète (ni leaders des valeurs, ni missionnaires « plus avancés », ni maîtres élus par commandement divin) : nous ne sommes pas « universels ». Nous ne sommes que nous-mêmes, issus d’une longue culture qui a produit parfois de la civilisation, parfois de la barbarie, mais aussi légitime que les autres cultures – sans devoir se « fondre » obligatoirement en elles.

male domine institut d art a paris

Qui trop embrasse mal étreint, dit la sagesse populaire ; c’est pourtant ce que le christianisme en premier a promu, que la révolution des Lumières a exigé, que l’essor de la technique a permis, que le système socio-capitaliste a réalisé. Dans un chapitre intitulé La métaphysique de l’illimité, l’auteur montre que, dès la Genèse, Iahvé ordonne que les hommes (à son image…) « dominent les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, toutes les bêtes sauvages et celles qui rampent sur la terre ». A Noé, sauvé des eaux, Dieu répète encore « multipliez sur la terre et dominez-la ». Les Lumières ont sécularisé cette injonction d’orgueil religieux au travers de l’Universel et de l’imposition des Droits de l’Homme au monde entier – droits identiques, homme abstrait (ce que contestent les musulmans, mais aussi les Chinois athées, les Brésiliens catholiques et les Japonais zen – entre autres).

La technique a envahi les industries (orientées « nouveauté »), domptée la recherche scientifique (qui ne recherche plus que ce qui est « utile » à vendre), commandé aux politiques (en leur offrant les gaz de combat, le char mécanisé, la bombe atomique et le F16 ou le Rafale – outils diplomatiques ou militaires) ; elle a permis au système économique d’efficacité maximale qu’est « le capitalisme » de faire renaître sans cesse le désir d’acheter d’autres biens plus puissants, plus petits, plus innovants, plus à la mode. Au détriment de la mesure en toutes choses, de l’harmonie avec la nature, de la sagesse humaine, des ressources planétaires limitées et des ravages de la pollution sur le climat et sur la santé de tous les êtres vivants.

L’Europe après la décolonisation semble sortir de l’histoire, hédoniste, obèse, gavée de gadgets et d’additifs alimentaires américains, bienveillante aux provocations idéologiques et cléricales d’où qu’elles viennent, sans ressort. Contre ce monde uniforme de vaches multicolores (Nietzsche) s’est élevé Dominique Venner ; il a protesté en samouraï en mettant fin à ses jours avec arme. Je ne partage pas ce pessimisme, ni nombre de ses analyses du temps présent (moins « décadent » qu’il ne le voyait), mais reconnais la grandeur du geste. Ce pourquoi ce livre-testament mérite considération.

Un demi-millénaire avant sa publication, Dürer gravait le Chevalier, la mort et le diable. Cette figure impassible de preux armé et armuré, indifférent à la fin dernière comme aux tentations maléfiques ici-bas, est l’un des modèles de Venner. L’autre est la figure – non-européenne – du samouraï : discipliné, entraîné, fidèle à son clan et à sa façon de vivre. Lui Dominique, est resté insoumis aux tentations faciles de notre temps, qu’on songe aux frasques sexuelles DSK ou Houellebecq, aux petits arrangements entre amis de la galaxie Hollande ou Sarkozy, à l’indulgence des juges dans les « petits » délits de banlieue, au déni des intellos bobos qui ne sont jamais sortis hors du quadrilatère de l’entre-soi luxe New York-Saint-Germain-Avoriaz-Saint-Tropez.

arbres au cordeau

En six chapitres rythmés en thèmes courts, Dominique Venner nous parle de la culture européenne qui vient de loin, de l’assemblée des guerriers de l’Iliade au Thing viking jusqu’à la Table Ronde issue de la culture celte. Elle est notre matrice de civilisation, qui a donné des hommes libres parce qu’ils étaient à la fois guerriers et propriétaires du sol. Le citoyen de 1789 renouvellera ce pacte volontaire des adultes responsables qui ont la volonté de faire société en commun et de défendre la patrie en danger. Contrairement au machisme hiérarchique introduit par l’Église chrétienne à la suite de saint Paul, la femme n’est pas dévalorisée dans cette civilisation : Pénélope et Hélène, déjà, sont maitresses d’elles-mêmes et exemples de vertu.

Notre Talmud, Bible ou Coran sont pour Venner ces deux « testaments » que sont l’Iliade et l’Odyssée. Le modèle de vie qui surgit est une triade : « la nature comme socle, l’excellence comme but, la beauté comme horizon » p.220. La nature telle qu’elle est ici et maintenant, immuable et changeante, force de vie et perpétuel renouvellement par la mort, ineffable grandeur et catastrophes. En découvrir les ressorts par la curiosité scientifique, méditer sur les fins humaines par l’intelligence et l’astuce, en admirer les merveilles minérales, végétales, animales, humaines, sidérales. Vouloir être beau comme la beauté reconnue, plus sain de corps, plus fort de volonté, plus intelligent – tel est le destin humain, une aspiration à devenir proche des dieux. Comme (je l’ajoute, Venner n’en parle pas) Thorgal dans la bande dessinée. Épuiser le champ du possible est réaliste ; chercher une vie éternelle est illusion. Mais éviter l’hubris – la démesure condamnée par la pensée grecque – qui est propre à notre civilisation technicienne depuis la Renaissance, cette volonté d’illimité consommateur, pollueur, gaspilleur, spéculateur, militaire, génétique… qui commence à nous perdre. « Je m’insurge contre ce qui me nie », dit Dominique Venner p.291.

interrogation owe zerg peintre suedois

Ce pourquoi il nous incite à vivre en philosophe par le contrôle des désirs, passions et ratiocinations. C’est par le stoïcisme, dernier feu de la pensée antique avant le christianisme, que l’auteur se tourne pour trouver cette « vie bonne » dont Montaigne sera un éminent relais. Ce qui compte n’est pas de philosopher en érudit livresque, mais de donner l’exemple par sa vie même. Il s’agit d’un « exercice sur soi, une transformation spirituelle et une modification du comportement dont les effets sur l’âme sont analogues à ceux que produit l’entraînement sur le corps d’un athlète » p.239. Épictète, esclave, ou Marc-Aurèle, empereur, peuvent tous les deux suivre cette ascèse. Mathieu Ricard, bouddhiste tibétain, ne dit pas autre chose… même si l’auteur ne le cite pas, trop enfermé sur son univers très classique.

Bien qu’on le voit borné en références, obsédé par la volonté de montrer que tout est déjà pour les Européens en Europe, ce testament bien écrit, sainement rythmé, serein dans ses idées longues, offre une vue rafraîchissante sur nos interrogations historiques et sur notre destin. Le tous-pareils sur toute la planète est-il souhaitable ? Ou ne prépare-t-il pas la domination paisible et insidieuse du Big Brother consumériste (demain religieux ?) surveillant tous les désirs, toutes les déviances, forçant le consensus pour consommer, voter, bien penser ?

Paris luxembourg marchand de masques

En perles sur ce bracelet bien trempé, sept conseils pratiques à appliquer soi-même :

1/ construire sa citadelle intérieure en tenant un carnet de réflexions et d’observations sur le monde et les êtres,
2/ chaque jour se mettre en retrait pour lire un peu,
3/ pratiquer un sport de plein air ou de combat (selon l’âge et les dispositions) pour vivifier « l’énergie, le courage ou le souci d’excellence » p.302,
4/ marcher dans la nature pour garder le contact avec les éléments, le végétal et les bêtes (désormais « êtres sensibles » selon la loi),
5/ redécouvrir les hauts lieux de notre civilisation, Delphes, Brocéliande, Alésia, le Mont Saint-Michel, Sils-Maria…,
6/ cultiver la beauté pour soi-même, nuages, nuit étoilée, statue, tableau,
7/ retrouver les rites de saison et leur fondement dans le cycle de la nature, créer son almanach familial comme hier les livres de raison.

Dominique Venner, Un samouraï d’Occident – le bréviaire des insoumis, 2013, éditions Pierre-Guillaume de Roux, 317 pages, €23.00
Un article honnête sur Dominique Venner dans L’Express
Une analyse politique conventionnelle du monde.fr

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Ian McEwan, Solaire

ian mcewan solaire

Roman très anglais d’un auteur insolent, Solaire est un missile jouissif tiré sur les écolos-narcissiques qui se repaissent comme des chrétiens angoissés de l’an mil de la Grande catastrophe annoncée. L’abord est déconcertant, le lecteur français prend plusieurs pages à réaliser par exemple que Patrice est une femme. Mais les Anglais font tout à l’envers et le personnage principal a tout de l’antihéros, gros chauve, laid et content de lui. L’humour anglais perce ça et là, au point qu’on se surprend à rire tout seul.

Bien sûr, il faut « lire », et ne pas survoler quelques pages pour faire semblant et en parler ensuite dans les cercles littéraires ; bien sûr, il faut s’accrocher, les débuts de l’auteur ne sont jamais très flamboyants ; bien sûr, il faut être sensible aux êtres et ne pas en rester aux apparences. Ce pourquoi « l’époque » Internet-jeux vidéo-zapping n’est pas vraiment faite pour Ian McEwan. Mais il reste de vrais lecteurs, dont vous êtes certainement, vous qui me lisez jusqu’ici (les autres se sont contenté de planer sur les images).

Michael Beard est un physicien qui a connu son heure de gloire avant trente ans en obtenant (par hasard et par politique) un prix Nobel. Il vit désormais dessus, plus préoccupé de ses bonnes femmes que de recherches nouvelles. Il en est à son cinquième divorce, et l’on se demande pourquoi « se marier » est donc si utile lorsque l’on n’est pas fait pour ça. Le divorce d’avec « Patrice » donc, se passe mal, chacun provoquant l’autre en affichant ses liaisons. Mais c’est à un retour de voyage que tout va se jouer – par hasard, évidemment. Car le physicien, qui devrait être pur rationnel, est balloté sans cesse par ce qui survient, ne maîtrisant rien de son existence, ni de sa recherche scientifique. Il suit le mouvement, profite des circonstances.

L’histoire se compose en trois années, 2000, 2005 et 2009. A chaque fois la vie de Beard bifurque, sans qu’il l’ait le moins du monde voulu, mais sans qu’il ait non plus une quelconque volonté de l’orienter. Pas plus que l’humanité ne veut le dérèglement du climat, mais qu’elle ait un quelconque désir de faire quelque chose. Chacun se veut rationnel dans sa sphère, mais retombe dans les ornières répertoriées et les schémas de comportement humains. McEwan réalise une satire féroce de ces moments de naïve bonne conscience.

Par exemple sur le climat : « Cet écho des fléaux de l’Ancien Testament, avec ses pestes et ses pluies de grenouilles, illustrait une profonde tendance, réactivée au fil des siècles, à croire que la planète vivait ses derniers jours, que la fin de chacun était liée de manière imminente à celle du monde, ce qui la chargeait de sens, ou la rendait un peu moins absurde. L’apocalypse n’était jamais pour aujourd’hui, où l’on aurait pu démasquer l’imposture, mais pour demain et, quand elle n’arrivait pas, une nouvelle menace, une nouvelle date, avait tôt fait de la remplacer » p.32. Le physicien est conscient des effets de l’industrialisation sur l’atmosphère et prêt à chercher de nouvelles énergies ou des technologies durables, mais il observe combien les écolos sont eux-mêmes emplis de vent, sinon de légèreté intellectuelle. Invité comme scientifique de renommée à constater avec une vingtaine d’autres « artistes », journalistes et faiseurs d’opinion les effets de la fonte des glaces au Spitzberg, il n’a pas de mots assez durs pour fustiger cette inconséquence. « Quand aux coupables émissions de dioxyde de carbone causées par vingt vols aller-retour, vingt trajets en motoneige et soixante repas quotidiens servis chauds dans ce froid polaire, on les compenserait en plantant trois mille arbres au Venezuela dès qu’on aurait identifié un site et acheté les responsables locaux » p.74.

Ces moments désopilants, observés d’un œil anglais, se multiplient dans le livre. Ainsi lorsque le gros Beard tente de pisser au Spitzberg, par -26°, et qu’il se gèle vite le bout. « Quelque chose de dur et de froid s’était détaché de son entrejambe et avait glissé… » p.94. Ou lorsqu’un ours blanc se dirige vers le groupe sur la banquise et que Beard ne parvient pas à démarrer la motoneige. « Au même instant, il reçut un coup violent dans l’épaule… » p.108. Dans le sas vestiaire du navire où ils logent, les accessoires grand froid sont déposés et repris n’importe comment, au point que personne n’a plus l’équipement à sa taille complet alloué au départ. Comment une telle indiscipline en petit groupe pourrait-elle devenir une discipline collective pour l’humanité contre le réchauffement  ?

Vous trouverez encore hilarant le moment des chips dans le train p.176 ; l’expérience de bouc émissaire de la part de croyants intellos-féministes lorsqu’il expose les raisons pour lesquelles, selon lui, moins de filles que de garçons se consacrent à la recherche en physique p.198 ; les « contes de fée » des freudiens qui croient scientifiques leurs analyses du comportement humain p.238 ; les jumeaux insomniaques, bébés des voisins, qui répandent dans toute la maison « leurs miasmes aussi pénétrant qu’un curry sur le feu ou des crevettes vindaloo, mais aussi pestilentiels que ceux d’un marécage, comme si leur religion leur imposait un régime à base de moules et de guano » p.292.

Ian McEwan réalise un roman décalé irrésistible où, si toute la raison du monde ne peut donner un sens à la vie, un petit enfant le peut. Où toute prévision reste à jamais hasardeuse – surtout si elle concerne l’avenir : « Écoute, Toby. La catastrophe est imminente. Détends-toi ! » p.307.

Force est de constater que plus les catastrophes sont annoncées, pré-vues, moins elles surviennent… Laissez donc dire les écolos et autres théoriciens en chambre du complot naturel. C’est ce que personne n’a imaginé qui est la véritable catastrophe.

Ian McEwan, Solaire (Solar), 2010, Folio 2012, 397 pages, €7.12

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Nouvelle école

L’enseignement supérieur bouge. Pas les universités françaises qui n’ont pas changé depuis 1968, restant hiérarchiques, mandarinales et vouées au chacun pour soi, mais les écoles privées, qui s’inspirent de modèles scandinaves et anglo-saxons.

C’est ainsi que l’École de management de Normandie invente cette année la SmartÉcole. La Skema Business School et Grenoble École de management suivent dans l’utilisation des nouvelles technologies. En Normandie, les sources sont numérisées et sous code-barres. Le professeur projette au mur le nécessaire et les élèves téléchargent avec leur Smartphone. Tous, élèves comme professeurs, sont équipés par l’école d’une tablette numérique. L’idée est que la génération guiks (geeks en globish) est tombée dans l’interactif depuis toute petite. Celle qu’on appelle parfois génération Y, en référence aux écouteurs omniprésents qui se croisent en Y sur la poitrine – ou au questionnement permanent (Y se prononce why en globish) – aurait des réflexes différents des autres.

ados nouvelles technologies

Il faut donc « répondre » à la demande et changer l’enseignement. Il est certain que l’effervescence intellectuelle ne règne plus guère dans les locaux lépreux et surpeuplés des universités françaises. Pas comme à Oxford ou à Harvard, où un cercle restreint d’étudiants échange des propos sur un sujet au programme, dans un salon autour du professeur. C’est la rançon de l’accès pour « tous » (une fois le bac donné à 80% de ceux qui se présentent), malgré les 50% qui décrochent dès la première année… La massification rend la culture industrielle, alors qu’on sait depuis Platon et Aristote (à l’Académie et au Lycée…) que la bonne transmission du savoir ne s’effectue que de maître à disciple, en petits groupes de pairs.

Il y a donc un besoin de nouvelles méthodes et les technologies modernes y aident. Sites, internet, conférences vidéo, manuels multimédias, « jeux sérieux » (serious games en globish) sont des outils utiles, nomades et intéressants.

  • Ils permettent d’apprendre un peu partout, un peu tout le temps, sans être collé aux horaires et aux salles de cours. Cela permet d’alléger les charges salariales et en locaux, et d’apprendre mieux moins cher.
  • Chacun revoit le cours à son rythme, fait et refait des exercices, examine des études de cas, entre en communication, partage les savoirs et les savoir-faire.
  • Les élèves se sentent plus impliqués dans les apprentissages, ils collaborent en petites équipes, testent leur travail auprès des professeurs, ce qui libère du temps pour la recherche et le suivi de chacun.
  • On peut même envisager que se crée un écosystème d’apprentissage coopératif où étudiants et professeurs vont mieux communiquer. Les professeurs adapteront leurs cours pour insister sur le nécessaire et renvoyer aux documents pour le reste. Les étudiants se verront fournir en permanence des éléments de méthode et d’orientation intellectuelle ou professionnelle.

Mais il ne faut pas croire au miracle. Les TIC (technologies de l’information et de la communication) ne seront qu’un tic du snobisme moderne s’ils ne sont pas accompagnés d’une nouvelle pensée de la formation dans son ensemble.

Tout le monde peut tout savoir sur tout – encore faut-il apprendre trouver les sources fiables et à interpréter les données… La capacité de la formation actuelle à faire quelque chose de pertinent de la masse du savoir disponible n’est pas évidente. Les étudiants qui sortent du secondaire :

  • ne savent pas écrire (l’orthographe, laissée à l’abandon, est une catastrophe),
  • savent à peine lire (tirer d’un texte des éléments utilisables, apprendre à surligner et à retenir, restent des énigmes),
  • ne savent pas structurer leur pensée (faire un plan n’a jamais été vu),
  • n’ont jamais appris à s’exprimer oralement (sauf pour les rares qui ont fait du théâtre).

Et c’est ce troupeau informe et mal formé, laissé en friche par l’Éducation nationale, qu’on voudrait voir la technologie redresser en un instant par miracle ?

Lecture etudiants 22 ans 2012

Quand je lis parfois que les étudiants, grâce à la SmartÉcole doivent être « cocréateurs des savoirs et des savoir-faire », je frémis. C’est la même illusion spontanéiste qu’en mai 68 : chacun apprend à tout le monde sans méthode ni hiérarchie des savoirs. On échange… pour échanger : mais échanger quoi reste le problème. C’est mignon quand on a 6 ou 10 ans, mais à l’âge adulte, dans la vie professionnelle ou administrative, il s’agit de s’exprimer clairement pour être compris, et de savoir lire correctement les règlements ou les mémos.

Cela s’apprend, comme le reste. On peut changer les outils et les façons, mais le travail d’apprentissage reste toujours à faire. Ce ne sont ni les TIC, ni les puces (informatiques) qui vont inoculer le savoir dans l’ADN.

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Heureux les pauvres dit Camus

La pauvreté, nous devrions nous faire à cette idée… En ce jour de l’automne, prenons conscience que nos beaux jours de richesse sont derrière nous. Entre stagnation économique et hausse massive des impôts, finis les temps bénis où tout montait avec les années : la croissance, les salaires, le niveau de vie. Les écolos nous prédisent une énergie bien plus chère et une décroissance forcée ; les gens-de-gauche détestent « les riches » – qu’un ancien Secrétaire du parti socialiste situait au-delà de 3000€ par mois il y a peu… Les Allemands nous accusent d’être cigale plutôt que fourmi alors que la bise bientôt sera venue ; les Chinois, les Indiens, les Brésiliens, les Nigérians et d’autres qui émergent encore, se gaussent de notre « modèle » obsolète qui nous fait régresser dans la réglementation dantesque, l’étatisme obèse, le chômage de masse et le repli identitaire…

Car la pauvreté n’est pas que matérielle, elle est aussi en esprit.

Il y a quelque chose d’un chrétien laïc chez Camus. Il ne croit pas aux fins dernières mais admire fort la morale chrétienne qu’il tient pour la suite (certes gauchie) des morales antiques. Il admire ainsi la pauvreté.

Diogène a vanté le détachement de tous les biens terrestres pour atteindre la liberté de penser. Platon a glorifié la tempérance et la frugalité pour savoir raison garder. Son Socrate mouche le trop bel Alcibiade pour lui proposer un libertinage qui corromprait sa faculté de penser. Jésus, de même, vante les pauvres. Ceux en esprit qui auront plus de chance d’accéder au paradis que les chameaux de passer par le chas d’une aiguille. Ceux en biens qui devront tout lâcher pour suivre la voie du Christ.

Camus se met dans la lignée. « Qu’est-ce qu’un homme peut souhaiter de mieux que la pauvreté ? »

Oh, certes, il y a pauvreté et misère, qu’il ne faut pas confonde !

La misère aliène parce qu’elle empêche de penser à autre chose qu’au présent obsédant : manger ou dormir. Camus : « Je n’ai pas dit la misère et non plus le travail sans espoir du prolétaire moderne. »

La pauvreté libère, au contraire de la misère, parce qu’elle exclut le superflu, le luxe, la parade. Elle permet de ne pas s’attacher à l’argent ni aux biens matériels. Camus en fait presque un idéal de vie, frugale et dense : « Mais je ne vois pas ce qu’on peut désirer de plus que la pauvreté liée à un loisir actif. »

Mon propre cas est un exemple, auquel je me réfère à la lecture de Camus. Chômeur car senior et trop diplômé par rapport aux exigences du jour qui permettent de choisir les esclaves qu’on veut, réduit à la pauvreté relative du minimum social en fonction des heures travaillées, en même temps que les années de temps plein m’ont permis d’être dégagé du souci du logement – je suis libre. Libre d’exercer – non un travail, on n’en trouve pas – mais quelques heures ici ou là. Libre de penser à autre chose, de lire, d’écrire, de rencontrer. Notamment de tenir ce blog qui est pour moi « un loisir actif ».

Nul doute que si un travail pouvait se trouver, je le prendrai. Car les relations humaines qu’ils donnent récompensent l’effort d’une vie pleinement active. Je pourrais ainsi reprendre les séjours lointains dans le monde, ce qui me manque le plus. Mais pauvreté n’est pas misère et je fais l’expérience qu’on peut bien vivre de peu. Camus, en ce sens, à la suite des Antiques et après Rousseau, en avait l’intuition juste. Si nous l’avions-nous oublié, « la crise » qui perdure et va perdurer, est là, bien présente, pour nous le rappeler. Malgré toutes les promesses électoralistes.

Albert Camus, Carnets 1935-48, Carnet IV, Gallimard Pléiade tome 2, 2006, p.990, €62.70 

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Jeux d’été à Paris

Article repris par Medium4You.

Que peut-on faire dans la ville lorsque les vacances sont venues, qu’on ne part pas encore et qu’il fait lourd ? Pas grand-chose. Avouons-le, l’hiver est plus propice aux sorties culturelles ou au sport. Car le sport, en ville, se pratique surtout en salles…

Les plus petits peuvent aller jouer au jardin du Luxembourg, mais le Sénat n’autorise que les ballons mousse, pas ceux de cuir.

Les colonnes de Buren, cour du Palais-Royal, disposent de buts d’artiste un peu serrés, mais bon…

Cet art tout utilitaire, en joli damier noir et blanc, inspire les préados qui circulent en patinette.

Ou qui tentent le hip-hop sous les yeux attentifs des plus grands.

Au risque de se trouver fort déshabillé par l’effort, surtout quand le tee-shirt mode est lâche et largement décolleté.

Mais il est une autre façon de montrer son corps à 12 ou 13 ans : s’arroser copieusement aux fontaines, grâce aux pistolets-mitrailleurs d’eau.

Un jouet de transition entre gamin et ado qui permet des transparences sur la poitrine sans oser la montrer nue.

Il suffit d’un an ou deux pour oser. Et l’on enlève haut et très bas pour entrer dans la fontaine comme en piscine, torse nu et vêtu de son seul bermuda.

Les autres, ceux venus en touristes, restent sagement dans les lieux de visite. Ils glandent au Louvre.

Sous voile devant la pyramide.

Ou s’amusent à faire des bulles.

Petits et adultes aussi étonnés.

Ils visitent la passerelle des Arts, qui relie le Louvre à l’Académie française par-dessus la Seine. La mode est, depuis quatre ou cinq ans, aux cadenas que l’on scelle aux grillages afin d’éterniser son amour… Chacun sait qu’il ne durera que le temps d’une saison, au mieux quelques années, mais la mode est irrésistible : il faut faire comme les autres ! On ne se distingue que quand on n’a pas l’âge du sexe. Poser un cadenas à 10 ans, c’est mignon.

Certains sont au point de pisser dessus par provision… Pas en vrai, c’est un effet de la photo, mais avec une forte démangeaison des préados à ce niveau comme en témoignent les mouvements de hanches.

Quand on est fille, l’heure est aux fantasmes sur les bittes de voirie en bord de passerelle.

Plus âgé, on se vautre sur les pelouses autorisées du Sénat. Elles le sont en alternance pour préserver l’herbe, grassement nourrie cette année où il a beaucoup plu.

Le must est d’y aller lire avec son bébé, transition entre âge adolescent et vie adulte. On fait encore comme si.

Une autre transition est de faire l’amour en public. Mais il faut pour cela rester de marbre… et simuler être bien monté. Provocation aux vieilles dames et aux pisse-froid – mais on est à Paname !

Les filles préfèrent prendre un café place de la Contrescarpe, juste avant de plonger dans la rue Mouffetard. On se croirait dans une quelconque province.

A Paris, quand on est gamin, on s’ennuie pendant les vacances. Mieux vaut être touriste ! Ou aller faire le touriste ailleurs.

Mais quand il pleut… pourquoi ne pas découvrir un site d’histoires destinées aux enfants et aux ados ?

Fany vient de créer son univers qui se décline en deux séries d’histoires, les unes pour grandir, les autres pour rêver. La première série, ‘Les péripéties d’Éliot’, aborde les sujets de la vie quotidienne sous forme thématique (école, deuil, tolérance, divorce…). La seconde, ‘Les aventures de Monsieur Kakouk’ (intarissable conteur né dans la tête d’Éliot), emmène le lecteur en voyage. Chaque histoire explore une zone géographique, dans laquelle une petite équipe (la K compagnie) y mène une enquête. On s’évade tout en apprenant. Pour chaque destination visitée, une carte géographique et un album photo remplissent la besace de l’apprenti voyageur. Et accompagnent le récit… Ces histoires peuvent être lues en ligne (livres à feuilleter) ou sur papier (livres téléchargeables pour impression).

Le site ? www.read-and-fly.com

[Les visages des photos sont volontairement floutés pour respecter le « droit à l’image »]

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Martin Kurt, Améliorez votre pouvoir d’achat et faites vous plaisir

Martin Kurt a 24 ans mais déjà une longue expérience des bons plans et petits trucs. Il est curieux, amical, débrouillard. Il sait se prendre en main et ce livre, écrit d’un ton familier comme s’il s’adressait à un voisin, vous apprendra à financer vos passions et préparer votre avenir. Pour cela, il faut certes tenter de comprendre l’économie et la finance pour en tirer profit et gérer correctement son patrimoine. Mais il faut surtout gagner plus et dépenser moins.

L’intérêt du livre est de tenir égaux ces deux plateaux de la balance, comme une entreprise. Vous devez gérer vos avoirs comme un entrepreneur avec les deux feuilles du bilan : l’actif et le passif. L’actif est ce que vous gagnez ou de dépensez pas, le passif ce que vous accumulez et gérez au mieux. Cela nécessite un certain temps et un peu d’efforts, mais pas tant que cela. C’est surtout d’écoute et de bon sens qu’il s’agit !

Martin présente nombre d’études de cas et d’exemples tirés de sa propre expérience dans des domaines divers, notamment les plus importants pour un budget : le transport et l’immobilier. J’ai bien connu Martin, l’ayant suivi depuis son école de commerce avec une spécialité en finance et en e-commerce, suivie d’un Master in business and Administration (MBA) dans une université américaine. J’ai vu se développer ses blogs et observer l’effet de ses conseils avisés.

Cette expérience variée lui a offert une palette d’enseignements dont le principal est d’allier la théorie à la pratique. Les connaissances acquises doivent servir à quelque chose ! La variété des établissements a permis à Martin de rencontrer nombre d’entrepreneurs et d’artistes, de gens qui ont réussi leur vie. Un point commun : leur volonté de réussir et leur habileté à mettre en œuvre les moyens nécessaires pour atteindre leurs objectifs.

« J’ai donné des cours particuliers, réalisé des missions en marketing, et passionné par la création sur Internet, j’ai réussi à développer des sites et à gagner de l’argent avec. »

Faut-il vraiment travailler plus pour gagner plus ? Le bon sens populaire le voudrait, mais ce n’est pas si simple… Il faut surtout travailler mieux : utiliser ses compétences, négocier son salaire, profiter des avantages. Mieux utiliser le même salaire quant aux dépenses et l’investir avec soin, par exemple en négociant son crédit immobilier, en achetant à rénover pour réaliser soi-même les travaux, ou en achetant des actions quand personne n’en veut.

Sans pour cela vous priver ! La hausse des besoins est tirée par les nouveaux produits technologiques et la publicité, mais arrêter de fumer et boire moins d’alcool ne sont pas des dépenses « contraintes » ! Les revenus « passifs » sont énormes quand on y réfléchit… Quant aux revenus actifs, vous pouvez développer des gains annexes : covoiturage, publicité sur votre site Internet, petit boulot à côté de votre métier principal.

Mais ce n’est pas fini : avez-vous pensé aux biens et services gratuits ? Ils existent. « Pour diminuer son niveau de dépense, il faut penser à l’entraide. » Qui l’eût cru en finance ? Mais l’information est partout (sauf à la télé) : votre voisin de palier, votre collègue, un forum spécialisé sur Internet, les revues et les livres, vos amis. Qui se serait douté qu’améliorer son pouvoir d’achat passait par le développement de son réseau ?

« Au lieu de jalouser vos amis qui réussissent ou de vous plaindre – à vous, dès maintenant, de développer votre réseau, de lire davantage, d’être plus curieux. C’est un processus à long terme et difficile car cela implique d’être motivé ! »

Pensez aussi à la négociation, elle a lieu partout : décider dans quel restaurant manger avec vos amis (le prix n’est pas le même selon le style…), savoir où partir en vacances (pays riches ou pays pauvres…) La négociation va vous enrichir personnellement car elle vous forcera à faire attention aux autres.

« Que vous négociez pour de l’argent ou d’autres choses, comprenez les enjeux sous-jacents (les motivations profondes de votre interlocuteur), ce qui vous permettra de mieux négocier (…) N’attaquez jamais son ego, seulement le problème ».

En fait, gagner plus est un style de vie. Il ne s’agit pas de se transformer en « affreux » capitaliste (forcément affreux d’après l’opinion commune : avide et grippe sou), mais d’être ouvert pour découvrir des opportunités. Martin décline ainsi les dix commandements du gagnant :

1) Dites bonjour et souriez à vos amis, voisins, collègues de travail. Soyez positif.

2) N’ayez pas peur de discuter avec des inconnus.

3) Quand vos amis ont besoin de vous, aidez-les.

4) Quand vous ne savez pas, demandez. Les gens sont flattés qu’on s’intéresse à eux et vous développez votre expertise.

5) Soyez curieux. Regardez moins la télé, sortez et faites du tourisme, visitez des musées, allez au théâtre, lisez, écoutez vos amis. « Être curieux est sans doute un des meilleurs conseils pour vous aider à réussir votre vie. »

6) Développez vos compétences. Comprenez le monde dans lequel on vit pour pouvoir saisir les opportunités au lieu de subir votre destin.

7) Soyez optimiste dans vos projets de vie. Vous n’avez rien à perdre en négociant. Ne dites plus : « c’est trop cher » mais « comment je peux l’obtenir ».

8) Fixez-vous des objectifs. Si vous négociez au pire vous essuyez un refus, au mieux vous gagnez de l’argent pour vous faire plaisir. Bref, vous n’avez rien à perdre.

9) Acceptez la critique. Mieux : demandez à être critiqué de façon constructive.

10) Soyez entrepreneur de votre vie. Ayez des projets et le courage d’assumer vos décisions, ayez la persévérance d’aller jusqu’au bout.

N’est-ce pas cela le gagner durable ? Le développement personnel durable? L’efficacité même du capitalisme comme technique ? Pour être plus heureux avec un pouvoir d’achat limité par l’inflation et les perspectives d’avenir moroses de notre continent vieillissant, il faut être entrepreneur de son patrimoine, maître de soi comme le voulait Montaigne et volontaire comme le pressentait Nietzsche.

Un bon conseil pour une vie bonne : lisez ce livre !

Achetez le livre en direct sur Internet et contactez Martin Kurt, l’auteur, si vous avez la moindre question, il vous répondra dans les plus brefs délais. 

Son blog finance : www.candix.fr

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Alexander Kent, Victoire oblige

L’aventure… Les adultes trouvent cela gamin et de toutes façons lisent peu ; les adolescents ne lisent plus, sauf quand tous leurs copains en parlent comme le phénomène Harry Potter. Dommage, car Alexander Kent est un grand romancier d’aventures populaires. ‘Victoire oblige’ est le 14ème de la série, toujours aussi prenant et humain. Son héros est le capitaine devenu contre-amiral Richard Bolitho, même pas fait Sir après ses exploits nelsoniens dans la Baltique…

Nous sommes en 1801 et Napoléon, comme avant lui Guillaume et après lui Hitler, songe à envahir la perfide Albion. L’île n’a pour se défendre que sa marine, équipée par la presse, c’est-à-dire la rafle sur les côtes et dans les prisons d’hommes et d’adolescents valides pour servir le roi. La marine à voile et en bois exige beaucoup de bras pour tirer les cordages et parer aux manœuvres. Bolitho commande une escadre, mais réduite parce que la guerre avec la France révolutionnaire dure depuis 8 ans.

Des pourparlers de paix sont en cours et les politiciens sont comme tous les politiciens, des faux-culs. Ils exigent des militaires le maximum, mais les trahissent à la première éclaircie. Bolitho est envoyé dans le golfe de Gascogne pour surveiller la flotte de chaloupes et péniches de débarquement préparées par les Français. Elles remontent lentement vers la Manche et il s’agit de les retarder au maximum, voire de les détruire car les politiciens français négocient par devant et préparent l’invasion par derrière. Mais l’un des Lords de l’Amirauté, fin stratège, qui donne ses ordres à Bolitho, meurt. Dès lors, le contre-amiral n’a plus de protecteur : à lui de décider des ordres qu’il a reçus. S’il réussit, ce sera patriotique, s’il échoue il sera méprisé et renvoyé. C’est ça la politique…

Bolitho est un battant. Il aime la mer, le mouvement du bateau sous lui, et les hommes qui l’entourent, des jeunes mousses gargoussiers jusqu’aux officiers dont beaucoup ont été aspirants dès 12 ans sous ses ordres, jadis. Ce qui lie les hommes entre eux est l’aventure, la mer cruelle et les batailles où le feu rend presque fou. Qui sait garder sa raison et commander à bon escient est le maître. Celui qu’on respecte parce qu’il décide, tout en restant conscient de la dignité de chacun malgré les galons qui séparent. Ses marins appellent le contre-amiral Dick Égalité parce qu’il a des hommes une conception moderne, presque « révolutionnaire » bien qu’Anglais.

Bolitho a su s’entourer et ce sont ces hommes qui le font autant qu’il les entraîne à la victoire. Son neveu Pascoe, second d’un autre navire, Herrick, commodore de la flotte sous ses ordres, Allday son domestique, jusqu’au jeune garçon Stirling, aspirant de 14 ans pour qui le contre-amiral est un dieu. L’existence est rude au combat, surtout pour de jeunes âmes au physique encore fluet qui doivent commander à des adultes. Mais l’exemple des aînés, officiers comme eux, l’exemple des pairs, aspirants comme eux, la protection bougonne de quelques vieux boscos qui trouvent leur jeunesse touchante, font de ces gamins des hommes en devenir. Les traumatismes en sont moins lorsqu’ils sont replacés à leur juste place par toute la société à laquelle vous appartenez.

Bolitho a une fiancée qu’il aime profondément mais qu’il doit délaisser pour accomplir sa mission et « sauver le monde », du moins le sien, ce monde anglais où la domination des mers reste le poumon vital du commerce et de la prospérité. Une femme peut-elle comprendre cette dette d’honneur des hommes entre eux ? Oui, elle le peut si elle aime. Et Bolitho est comblé. Il réussira sa mission, bien sûr, ramènera son neveu et le jeune aspirant Stirling à bon port, puis se mariera…

Happy end, non sans des pages haletantes de scrupules et d’action. Bolitho est ménager des hommes, il sait ce que coûtent les combats de navires. Il a peur, comme chacun, il doit prendre les décisions stratégiques tout seul, malgré les conseils de prudence avisés. Il est celui qui décide, donc celui qui est responsable. Angoisse du commandement… Mais le spectacle de ces aspirants presqu’enfants qu’il a formé, devenus aujourd’hui des hommes posés commandant les bâtiments, est là pour lui montrer qu’il n’a pas failli.

C’est ce mélange de doutes et de décision, d’affectivité et de rigueur, d’honneur et d’humanité, qui fait tout le prix de ces aventures. Douglas Reeman a pris le nom d’un de ses camarades marins mort au combat durant la Seconde guerre mondiale, pour dire la vie de la marine. Pour notre bonheur malgré le fait que notre nation soit désignée comme ennemie. Dommage que les éditions Phébus ne mettent les tomes qu’au compte-gouttes sur le marché. Ils ont été publiés dès 1981, pourquoi tant de lenteur ? C’est un beau cadeau de Noël pour un jeune adolescent et un rare plaisir pour les adultes qui aiment la vie à bord.

Alexander Kent, Victoire oblige (A Tradition of Victory), 1981, Phébus poche Libretto, juin 2011, 373 pages, €10.45

Un autre Alexander Kent chroniqué sur ce blog

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Ken Follett, Le pays de la liberté

Reporter formé à la philosophie, Ken Follett le Gallois est devenu romancier. ‘L’arme à l’œil’ est son premier thriller reconnu en 1978. Il y en aura d’autres, tous inspirés de l’actualité. ‘Comme un vol d’aigles’ conte par exemple l’histoire vraie de deux ingénieurs américains exfiltrés d’Iran au moment où l’ayatollah Khomeiny impose son pouvoir. Mais Follett aime aussi l’histoire, qui le laisse plus libre de créer des personnages en lutte avec leur destin. ‘Les piliers de la terre’ en sont le plus célèbre mais ‘Le pays de la liberté’ en est un autre, plus léger.

L’aspiration à la liberté en est le thème central. La fin XVIIIe est l’époque choisie, prérévolutionnaire. Malachi McAsh est Écossais, mineur de fond depuis l’âge de sept ans. Une coutume illégale veut qu’il « appartienne » au seigneur foncier propriétaire de la mine s’il y travaille un an et un jour après sa majorité. Pas question pour le jeune Malachi, appelé Mack. Il quittera son village, sa sœur jumelle, ses copains de mine et la belle Annie avec qui il a eu depuis toujours des jeux de plus en plus érotiques. Sa mère lui a appris à lire, un avocat de Londres lui a appris le droit, sa volonté lui commande de s’émanciper. Il ira contre les lords fonciers, contre les pratiques marchandes, contre les coutumes sociales, contre l’Angleterre impériale sanglée dans de vieux principes. Il quittera le village, l’Écosse, le Royaume-Uni. Non sans mal, ni se faire parfois rattraper par la société qui combat par tous les bouts la liberté.

Mais le vieux monde est en train de basculer. Nous sommes à la veille de la révolution américaine qui a lieu 13 ans avant la française ; elles vont bouleverser tout l’Occident. Lorsque Mack débarque en Virginie, dans les cales d’un navire de forçats, il a été condamné par la « bonne » société londonienne pour une émeute montée par son ancien seigneur. Mais il ne va pas se laisser faire : il s’enfuit, passe la « frontière », encore proche des colonies. Il entraîne avec lui la belle Lizzie, ex-châtelaine d’Écosse avec qui il a joué enfant, devenue femme de son maître foncier. C’est que Lizzie est curieuse et volontaire, elle n’accepte pas le rôle de potiche poulinière que veut lui faire assumer son rôle social. Elle bout lorsque son mari, ignare et à bout d’arguments, lui oppose que « ces sujets sont pour les hommes ».

Jay, le blond folâtre a dilapidé son crédit au jeu et à acheté trois jeunes bagnardes, qu’il saute à l’envi, délaissant sa femme, trop intelligente pour lui. Il a commencé par trahir sa confiance en laissant son père exploiter le charbon du domaine de sa mère. Lizzie lâche ce lâche comme une vieille chaussette, son amour premier fondé sur l’aventure d’une expédition dans la mine se transforme en haine de cet esclavage qu’il impose et qui va si bien à son insignifiance. Malgré son machisme c’est un faible, incapable de gérer une plantation, incapable de ne pas perdre au jeu, incapable d’aimer sa femme et de lui faire des enfants. La belle aristocrate écossaise lui préfère les bras musclés du prolétaire Mack, son côté impulsif mais bulldozer, l’aventure et l’amour fou aux convenances guindées et à l’univers borné de sa classe, condamnée par l’histoire. Contrairement à Jay, Mack a tout ce qu’il faut pour se faire une place au soleil. Il s’est libéré de l’ignorance, des obscurantismes et des conventions sociales. Il est plus à sa place qu’en Écosse arriérée dans ce pays neuf qui n’est encore que les 13 colonies mais qui va devenir très vite les États-Unis d’Amérique. Nos héros réussissent à échapper à leurs ennemis, à s’installer dans une vallée en pleine nature sur la frontière, à fraterniser avec les jeunes Indiens du coin…

L’histoire d’amour est un peu convenue mais saine et ardente. La libération du jeune mineur est cruelle et semée d’embûches mais assez bien menée, surtout sur la fin. L’espoir nouveau qui se lève, écolo-fraternel, apparaît un peu naïf à nos yeux d’Européens qui en ont trop vu, mais soulève l’enthousiasme. C’est bien écrit, enlevé, droit au but. Un bon roman d’été.

Ken Follett, Le pays de la liberté (A Place Called Freedom), 1995, Livre de poche 1997, 477 pages, €6.60

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Bréviaire des politiciens par le cardinal Mazarin

Un bréviaire est ce que les prêtres doivent lire chaque jour, un bref, un résumé des rituels.  Celui-ci est destiné aux politiciens, ils doivent le lire et le relire, méditer ses maximes pour en faire utile usage. Le livre n’est pas DU cardinal Mazarin mais il est LE cardinal Mazarin, habile homme s’il en est. L’époque se préoccupait peu de « propriété », conception bourgeoise de l’avoir à laquelle l’aristocratie d’Ancien Régime était étrangère. Mais l’époque aimait les grands hommes, leur origine, leurs succès, leurs recettes en société. C’est pourquoi ont été pieusement recueillies et éditées (en latin à Cologne) ces maximes. Elles n’ont pas écrites forcément par Mazarin mais ont été dites par lui ou résumées par son entourage. Après tout, les Évangiles ou le Coran ont-ils été composés autrement ?

Nous tombons ici dans un véritable art de la Cour où la question n’est jamais ‘qui suis-je’ mais ‘quelle image présenté-je aux autres’. Pire, car il s’agit d’y croire ! – ‘comment me manifesté-je à moi-même.’ Nous sommes déjà en pleine société du spectacle, née dans l’Italie des petits royaumes et acclimatée sans mal dans la France royale centralisée à la cour.

Comme le rappelle Umberto Eco dans la préface de ce petit livre, « Mazarin nous donne une splendide image de l’obtention du pouvoir grâce à la pure et simple manipulation du consensus. Comment plaire non seulement à son maître (axiome fondamental), non seulement à ses amis – mais aussi à ses ennemis, qu’il faut louer, amadouer, convaincre de notre bienveillance et de notre bonne foi afin qu’ils meurent, mais en nous bénissant. » Les personnages du vaudeville qu’offrent récemment le parti Socialiste en sa primaire ou l’UMP en son université d’été (que ceux qui se prennent au sérieux appellent « psychodrame » pour faire bien) s’inspirent du grand Mazarin, tout en art d’exécution. Ses maximes, courtes, directes et percutantes, sont à méditer pour tout politicien.

L’Introduction débute d’ailleurs ainsi : « Les anciens disaient : contiens-toi et abstiens-toi. Nous disons : simule et dissimule ; ou encore : connais-toi toi-même et connais les autres – ce qui, sauf erreur de ma part, revient strictement au même. » Parmi les leçons, deux à retenir toujours :

  1. Première leçon : « Tu dois apprendre à surveiller tes actions et à ne jamais relâcher cette surveillance. » Car même si tu agis spontanément, sans penser à mal, soit sûr que les autres penseront mal systématiquement. Le dernier mauvais exemple a été donné par DSK.
  2. Seconde leçon : « Tu dois avoir des informations sur tout le monde, ne confier tes propres secrets à personne, mais mettre toute ta persévérance à découvrir ceux des autres. Pour cela, espionne tout le monde, et de toutes les manières possibles. » Nicolas Sarkozy fait ses fruits de cette maxime fondamentale.

Si tu soupçonnes quelqu’un d’avoir une opinion sur un sujet sans l’exprimer, soutiens le point de vue opposé dans la conversation, il aura du mal à ne pas se trahir. Annoncez la suppression d’une niche fiscale et vous verrez les intérêts catégoriels surgir du bois où ils se tenaient coi !

Pour découvrir ses vices, amène la conversation sur ceux dont tu soupçonnes ton adversaire atteint : « Sache qu’il n’aura pas de mots assez durs pour réprouver et dénoncer le vice dont il est lui-même la proie. » Est-ce que Martine aime à dépenser l’argent public ? François le laisse entendre sans le dire…

A l’inverse, « Tu reconnaîtras la vertu et la piété d’un homme à l’harmonie de sa vie, à son absence d’ambition et à son désintérêt pour les honneurs. » Là… il n’y a guère d’exemple en politique depuis Delors.

‘Les hommes en société’ sont la partie la plus fournie du recueil de maximes. Il s’agit d’obtenir la faveur d’autrui tout en ne se laissant pas surprendre, de ne jamais offenser et d’agir avec prudence, de tenir conversation et d’éviter les pièges, de simuler des sentiments et dissimuler ses erreurs, contenir sa colère et mépriser les attaques verbales, détourner les soupçons et savoir la vérité… Échec sur presque toute la ligne pour l’actuel Président. Le précédent était nettement plus habile à faire comme si rien ne s’était jamais passé. N’a-t-il pas réussi la dernière performance de publier ses Mémoires à quelques semaines d’un rapport médical prouvant qu’il la perd ?

Pour obtenir la faveur de quelqu’un, rien de compliqué : « Parle-lui souvent de ses vertus ; de ses travers, jamais. » Maintiens le contact en lui parlant ou lui écrivant régulièrement. « Ne défends jamais une opinion contraire à la sienne. » Ou alors feint de te laisser aisément convaincre par ses arguments. « Néanmoins, n’essaie en aucun cas de t’attirer l’amitié de quelqu’un en imitant ses défauts. »

Et ceci, bien utile pour répondre à nombre de ‘commentaires’ sur les blogs : « Si tu ne peux éviter de critiquer certaines personnes, ne t’en prends jamais à leur manque de jugement ou de compétence. Dis, par exemple, que leurs projets, leurs initiatives sont en tout point dignes d’éloge. Fais-leur cependant remarquer les graves ennuis auxquels ils s’exposent, ou le coût élevé de leur entreprise. »

Il est utile de ne jamais être pris au dépourvu. Pour ce faire, « mémorise de manière à l’avoir toujours à ta disposition, un répertoire de formules pour saluer, répliquer, prendre la parole et, d’une manière générale, faire face à tous les imprévus de la vie sociale. » Nous appelons cela la langue de bois, mais la cour nommait cette faculté la civilité.

Un conseil étonnant, vu l’époque non démocratique de Mazarin, mais qui s’applique parfaitement à notre univers médiatisé porté à la démagogie : « Ne va jamais à l’encontre de ce qui plaît aux gens du peuple, qu’il s’agisse de simples traditions ou même d’habitudes qui te répugnent. » A fortiori s’il s’agit du ‘peuple socialiste’, largement composé de profs et de militants qui se veulent intellos. Ou de parlementaires UMP, qui ont peur de ne pas être réélus si les avantages catégoriels sont supprimés.

Pour être aimé, il ne faut point blesser : « Donne-toi pour règle absolue et fondamentale de ne jamais parler inconsidérément de qui que ce soit – pas plus en bien qu’en mal – et de ne jamais révéler les actions de quiconque, bonnes ou mauvaises. » Sarkozy comme Bayrou devraient en prendre de la graine ! Peut-être moi aussi, mais j’ai l’excuse de ne pas être entré en politique.

Pour faire passer de nouvelles lois et éviter les fortes oppositions (comme en ce moment auprès des lobbies des niches fiscales, hier sur les retraites et avant-hier sur la suppression des départements…), « commence par en démontrer l’impérieuse nécessité à un conseil de sages, et mets au point cette réforme avec eux. Ou bien fais que se propage simplement la nouvelle que tu les as consultés, et qu’ils t’ont abondamment conseillé. Puis légifère sans te soucier de leurs conseils, comme bon te semble. » Plus vrai que nature, n’est-ce pas ? J’en connais qui devraient lire et relire ce Bréviaire.

Conseil à ceux qui écrivent des livres, des articles ou des billets de blog : « Dans des écrits que tu feras circuler, fais le plus grand éloge des exploits des autres – quitte à les élever sur des piédestaux bien trop haut en réalité – tu seras ainsi associé à leur gloire et tu t’attireras leur bienveillance sans t’exposer à leur jalousie. »

Conseil aux étudiants : c’est particulièrement vrai dans le milieu universitaire, resté très Ancien Régime dans ses mœurs. Citez les profs et leurs titres universitaires en entier, citez leur bibliographie même les articles dans les revues inconnues. « Pour éviter de déplaire à quiconque lorsqu’on écrit des traités ou des lettres censées contenir des conseils, le mieux est d’employer la forme du débat et de développer successivement les arguments qui vont dans un sens, puis ceux qui vont dans un autre, en prenant soin de ne jamais prendre parti, de ne pas livrer son opinion ni celle qu’on souhaite faire prévaloir. »

Et ceci qui s’applique de façon quasi universelle, ce pourquoi nul ne prévoit jamais les crises ni les difficultés : « Ne vas pas t’imaginer que ce sont tes qualités personnelles et ton talent qui te feront octroyer une charge. (…) Dis-toi qu’on préfère toujours confier une fonction importante à un incapable plutôt qu’à un homme qui la mérite. Agis donc comme si ton seul désir était de ne devoir tes charges et tes prérogatives qu’à la bienveillance de ton maître. » Dans les grandes sociétés, cela s’appelle lécher les bottes ; dans les concours administratifs, régurgiter bêtement les références et l’état d’esprit exigés de la caste, via les prépas ; en société mafieuse, cela s’appelle devoir à quelqu’un.

Les sociétés de Cour – et la France en reste une ! – réclament allégeance : les médiocres ne font jamais d’ombre et dépendent, les hypocrites sauvegardent toujours les apparences, ce pourquoi ces deux catégories sont précieuses aux dirigeants. Voilà qui explique la pâleur des personnalités qui gravitent autour des astres médiatiques.

Ce petit bijou de recueil se termine ainsi :

« Aies toujours à l’esprit ces cinq préceptes :

  1. Simule
  2. Dissimule
  3. Ne te fie à personne
  4. Dis du bien de tout le monde
  5. Prévois avant d’agir. »

Révolutionnaire, non ?

Cardinal Jules Mazarin, Bréviaire des politiciens, 1684, Arléa 1997, 137 pages, €6.65

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Louis-Ferdinand Céline, Mort à crédit

Le second roman de Céline, paru en 1936, est un gros machin – un double. Il ne fait pas moins de 600 pages dans l’édition de la Pléiade. Trois parties : 1/ le prologue qui poursuit ‘Voyage’ avec le même personnage et une histoire héroïque de roi Krobold ; 2/ l’enfance à Paris au passage Choiseul (appelé passage des Bérésinas) dans une atmosphère étriquée de petits-commerçants menacés par l’industrie et le grand commerce ; 3/ l’adolescence à 16 ans auprès d’un inventeur charlatan, après un quasi meurtre du père. Les deux dernières parties auraient du donner deux romans mais Céline a mis quatre ans pour rédiger tout ça et il en a eu assez : que ça paraisse !

Nous avons donc un mélange de styles, passant de Rabelais à Flaubert avant d’anticiper San Antonio. Céline se cherche. Certains ont dit que ‘Mort à crédit’ était son meilleur roman, pour moi il est trop inégal, manteau d’arlequin de la littérature où l’écrivain raboute. Ses histoires sont intéressantes, il s’agit de sa vie reprise par l’imagination. Son style est original, rien dans le descriptif et tout dans la parole, le mot familier qui vient tout seul. La raison ne fait pas le poids face à l’émotion, la langue veut télescoper la grammaire pour courir en souterrain et se faire expressionniste. Ca passe ou ça casse, j’avoue ne pas y être toujours sensible. C’est « trop » : partant dans des listes à la Rabelais, des onomatopées où rien ne commence ni ne finit, un vocabulaire d’argot qui date très vite. Heureusement qu’un lexique est publié en fin de Pléiade… L’ensemble fait un peu baroque, « héneaurme » aurait dit Flaubert, dont l’auteur a la causticité tout en partant dans des « délires ». La partie adolescente est un inventaire d’encyclopédiste raté inspiré de Bouvard et Pécuchet.

L’enfance parisienne à la Belle époque (avant 1914) reste marquée par l’autoritarisme. La France, c’est le caporalisme botté, bardé de certitudes et de morale. Tout gamin se voit dresser par les adultes, en butte à ses paresses et à ses manques, jamais « comme il faut ». Il en chie de trouille, toujours pressé, stressé, pressuré. Son seul dérivatif est le sexe. Dès six ans, il « se touche » puis « se branle », se voyant offrir à 7 ans une motte nue par une grande bourgeoise cliente de sa mère (p.555), s’accointant à 10 ans avec un môme un peu plus grand qui se fait sucer (p.604), puis à 14 ans se faisant « dévorer » à son tour par un plus jeune qui aime ça (p.732), avant de se faire violer par la directrice du collège (p.769)… La névrose d’autorité, mal bien français, produit ces aberrations pédophiles, obsédées et cochonnes. Céline décrit le tout à loisir, comme en passant. Était-ce le « normal » des garçons dans ces années-là ?

Deux révolutions ont fait exploser cette société coincée et moralisatrice : 1940 et 1968. Ce pourquoi elle nous paraît la lune. Mais le milieu dans lequel a baigné Céline enfant est celui qui a donné le fascisme, celui des petit-bourgeois déclassés avides de méritocratie et d’ordre. Ils veulent se distinguer des ouvriers qui n’ont que leurs mains, eux qui ont de la tête, du goût et de l’instruction. Ils veulent survivre malgré l’industrie et les grands magasins, eux qui sont proches des artisans, maîtres d’eux-mêmes et de leur commerce. Mais la mode et les prix ne permettent pas ces extravagances. L’insécurité est permanente, engendrant des comportements étriqués, avares, jaloux, volontiers portés au complot. Ce seront les Juifs et les Francs-Maçons avant les Bourgeois, tous ces gens insoucieux de traditions, de devoirs et de sacrifices. En attendant, la France d’avant 14 c’est « le possédant économe, l’épargnant méticuleux, tapi derrière ses persiennes » p.964.

Le gamin, lui, est élevé entre torgnoles et branlettes. Ballotté entre la réalité du monde et l’idéologie des parents, il n’est bon à rien. D’où cette existence qui est une « mort à crédit », où l’on doit payer avant de disparaître. « Tu pourrais, c’était l’opinion à Gustin, raconter des choses agréables… de temps en temps… C’est pas toujours sale dans la vie… » Dans un sens, c’est assez exact. Y a de la manie dans mon cas, de la partialité » p.515. Mais ni les parents, ni les voisins, ni les patrons grigous où il est mis en apprentissage (gratuit) ne l’encouragent ni ne le reconnaissent. « Je faisais pourtant des efforts… Je me forçais à l’enthousiasme… J’arrivais au magasin des heures à l’avance… Pour être mieux noté… Je partais après tous les autres… Et quand même j’étais pas bien vu… Je faisais que des conneries… J’avais la panique… Je me trompais tout le temps… Il faut avoir passé par là pour bien renifler sa hantise… Qu’elle vous soye à travers les tripes, passée jusqu’au cœur… » p.643. Là transpire la véritable haine de classe de Céline. Il n’a pourtant pas eu l’existence misérable qu’il décrit en son enfance : plutôt aimé de ses parents, travaillant correctement à l’école, passant plus de six mois à chaque fois dans les maisons où il apprenti.

Mais Céline auteur amplifie et déforme, il imite son père qui fait une légende aux voisins de sa visite à l’Exposition 1900. Il délire ce réel qui ne lui semble pas assez riche pour exprimer son intérieur. Ce pourquoi il suivra l’inventeur aux cents manuels sur tout appelé Courtial des Pereires (qui n’est même pas son nom). Comme le Krobold inventé enfant, il lui faut tout magnifier, tout porter à l’épopée. Cela donnera les pamphlets antijuifs où le bagout se laisse aller tout seul jusqu’à l’hallucinatoire. Le court récit du premier bain de mer, à Dieppe à 11 ans (p.621) en est un exemple, tout comme le mal de mer lors de la traversée qui suit (p.623).

Céline s’identifie au populaire qui en rajoute pour compenser son sentiment d’infériorité. « Ils étaient pouilleux comme une gale, crasspets, déglingués, ils s’échangeaient les morpions… Avec ça ils exagéraient que c’étaient des vrais délires ! Ils arrêtaient pas d’installer, ils s’époumonaient en bluff, ils se sortaient la rate pour raconter leurs relations… Leurs victoires… leurs réussites… Tous les fantasmes de leurs destins… Y avait pas de limites à l’esbroufe… » p.795. Céline en est, de ces pouilleux vantards. Il ne pourra pas s’empêcher d’agonir les Juifs, poussant très loin le bouchon, sans raison au fond. Ce roman de 1936 fait à peine allusion aux Juifs, pas du tout dans le premier roman de 1932 : comme quoi l’antisémitisme de Céline est fabriqué, « littéraire », dantesque. Ce qui le perdra mais, avec le recul, on voit bien le carton-pâte.

C’est ce côté excessif qu’aiment en général ses lecteurs. Ils s’y défoulent par la logorrhée délirante. Pour ma part, je ne suis pas en connivence avec ces tempéraments. Rabelais m’amuse mais ne m’incite pas à le relire ; San Antonio, qui sera successeur de Céline par la langue, je n’ai jamais pu accrocher. Louis-Ferdinand, ça se laisse lire.

Louis-Ferdinand Céline, Romans 1 – Voyage au bout de la nuit, Mort à crédit, Pléiade Gallimard, 1981, 1578 pages, €54.63

Louis-Ferdinand Céline, Mort à crédit, 1936, Folio 622 pages, €8.93

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Le blog Candix.fr

Je vous ai présenté le 17 novembre Martin, étudiant en école de commerce, parti en Amérique.  Il a développé une série de blogs sur les voyages, la finance et son expérience américaine. Son petit dernier est consacré au développement personnel, thème à la mode outre-Atlantique. Commencé fin novembre 2010, le blog attire en majorité les garçons de 25 à 34 ans diplômés du supérieur, mais il intéresse tout le monde.  Il l’a nommé Candix, nom qui évoque à la fois candid (impartial, neutre), candy (fruit confit, bonbon), mais aussi un prénom de fille (« oh, jolie Candie… »). Avec un suffixe en -ix « pour faire gaulois », me précise-t-il.

Ses rubriques portent sur s’enrichir (70), le développement personnel (67), bloguer (49), business (37), le voyage (28) et les livres (7).

On agit plus qu’on ne lit quand on a 20 ans. Aimant voyager, Martin est allé depuis 2008 au Mexique, en Croatie, au Maroc, aux USA, en République Tchèque, en Pologne. Il a développé diverses activités pour gagner de quoi financer ses escapades extra-scolaires : cours particuliers, missions marketing, sites Internet. Il a aussi limité ses dépenses (gagner plus ou dépenser moins, cela revient au même) en optimisant son budget transport (pratique du covoiturage, de la conduite souple qui fait économiser 25% sur le carburant), son budget alimentation.

« C’est souvent plus facile qu’on le pense, dit-il. Dépensant trop par rapport à mon niveau de vie, j’ai durant un mois noté mes dépenses et identifié des leviers pour dépenser moins. J’ai par exemple rapatrié tous mes sites web sur un même serveur. Cela m’a pris une demi-journée et permis d’économiser depuis 2 ans 20€/mois. J’ai aussi appris à négocier, par exemple négocier un supplément chez un loueur de voiture. Bilan : 25€ de gagnés en 3 minutes de négociation. »

Mais pourquoi gagner de l’argent ? Le sujet est mal vu en France, pays catholique où la Providence est censée assurer à chacun selon ses besoins (Dieu y pourvoira !). L’État-providence a pris le relai de la main invisible divine dans les mentalités (que fait le gouvernement !).

Mais, dit ce jeune homme de 24 ans, « ne nous leurrons pas : nous vivons dans un monde où l’insécurité financière est grandissante, où les prix augmentent et où l’on pourra de moins en moins compter sur l’État-providence pour subvenir à nos besoins, l’État ayant de moins en moins de moyens avec l’accroissement de sa dette. Plutôt que de se plaindre que tout va mal et que les riches deviennent plus riches, les pauvres plus pauvres, je pense qu’il faut se prendre en main et chercher à s’enrichir. »

Se changer soi avant de songer à changer le monde : c’est exactement ce que prône le Dalaï-lama.

Martin a donc créé des sites depuis une dizaine d’années par passion et pour les revenus publicitaires. Il s’est mis sous le régime de l’auto-entrepreneur. Sur son blog Candix.fr, il veut faire partager son expérience pour être plus serein envers la vie et pouvoir se faire plaisir comme à ceux qui lui sont chers.

Sa rubrique ‘bloguer’ est riche de conseils pratiques et d’expérience vécue. Il vous propose un opuscule (gratuit) pour mieux référencer votre blog, mais aussi une formation (payante, €27) pour vous accompagner si vous voulez l’imiter. Il décrit, par exemple, comment les moteurs de recherche référencent ce que vous écrivez.

Découvrez Candix, amis blogueurs, vous ne serez pas déçu !

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