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Muriel Barbery, L’élégance du hérisson

Vous avez probablement lu ce livre, fort à la mode à sa sortie en 2006. J’ai attendu que la mode passe, pour voir ce qu’il en reste. La lourdeur médiatique des ignares, des jaloux, des visés, des toujours-dans-le-vent, des consensuels, des adeptes du tout le monde il est beau, finit par agacer. Je ne lis pas parce que tout le monde le fait. Quelques années après son badaboum médiatique, le livre fut oublié, l’auteur n’a rien publié d’autre et les médias, volages, sont allés se payer de mots sur d’autres. Eh bien, j’ai aimé l’élégance de ce roman. Sauf la fin, trop facile, conventionnelle et mélo.

Nous sommes en présence de deux personnages improbables : une concierge venue de la campagne, qui a 54 ans, lit Tolstoï et les philosophes et se passionne pour les natures mortes hollandaises du 17ème siècle – et une préado mal dans sa peau et surdouée de 12 ans qui songe à se suicider et à mettre le feu à l’appartement. Tout cela se passe dans un immeuble de la rue de Grenelle à Paris, chez les « bourgeois » du Ve arrondissement.

Il y a beaucoup d’air du temps et de sensiblerie sociale à la mode début 2000 dans ce décor. Les bourgeois sont (presque) tous des égoïstes, méprisants et incultes, en bref des « salauds » à la Sartre. Les gens du peuple sont (presque) tous des aristocrates incompris, bien plus soucieux des autres et amoureux de la culture qu’on le dit. Telle était la gauche idéaliste version années Jospin. Mais, s’il y a une Portugaise et deux Asiatiques, aucun Noir ni Arabe, restons entre nous quand même ! Donc le vrai peuple (de gauche) contre les fausses élites (de droite).

Le partage est cependant plus subtil que l’apparence. Il distingue ceux qui sont sensibles aux gens, au monde, au réel – et les autres, ceux qui ne vivent que pour le regard social, pour le statut social, pour la position sociale. Renée la concierge est du peuple, mais Paloma la collégienne est de la haute. Arthens père est bourgeois (mort de gastronomie), mais le fils Jean est ailleurs (ressuscité de la drogue). Le Japonais Ozu est richissime et ex-commerçant, mais soucieux de la vérité des êtres. Comme quoi chacun peut trouver une enfance en lui-même s’il le souhaite. « Moi, je crois qu’il y a une seule chose à faire : trouver la tâche pour laquelle nous sommes nés et l’accomplir du mieux que nous pouvons, de toutes nos forces, sans chercher midi à quatorze heures et sans croire qu’il y a du divin dans notre nature animale » p.299. Voilà qui est bien dit.

Pour résister à l’air du temps, aux injonctions de la mode, aux immixtions dans la vie privée, pour échapper aux regards inquisiteurs et moralisateurs des autres, une seule solution. Non, pas la révolution (les bobos vieillissants tiennent à leur confort) – mais le hérisson. « A l’extérieur, elle est bardée de piquants, une vraie forteresse, mais j’ai l’intuition qu’à l’intérieur, elle est aussi simplement raffinée que les hérissons, qui sont des petites bêtes faussement indolentes, farouchement solitaires et terriblement élégantes » p.175. Ernst Jünger (écrivain allemand fort aimé de François Mitterrand), avait inventé « l’anarque » qui est à l’anarchiste ce que le monarque est au monarchiste : quelqu’un qui ne revendique pas avec ressentiment mais qui règne sur lui-même, en dépit de la pression sociale. La mère Michel et la colombe Paloma sont des anarques : de ceux qui laissent la société à la porte et font semblant tout en n’en pensant pas moins. C’est cela qui est séduisant dans ce roman.

La mère de Paloma, grande bourgeoise et socialiste, voit son psy régulièrement depuis des décennies, sans résultat notable autre que de faire chic et de pouvoir en parler. La môme Paloma, 12 ans, démonte le psy en une phrase dans l’intimité du cabinet, en évoquant son pouvoir, qu’elle menace s’il ne la juge pas conforme. D’ailleurs, sont-ils conformes, ces collégiens qui se défoncent à tout ce qui peut s’acheter parce qu’ils n’ont pas de problème d’argent ? Qui baisent dès la sixième – Paloma le dit – parce qu’ils ont vu faire ça sur Canal+ après minuit ? Vous avez donc tous ceux qui se croient – avec bonne conscience – les Parisiens, les bobos, les bons bourgeois « de gauche » normaliens, psy, critiques dans les médias, donateurs aux bonnes œuvres. Tous sont impitoyablement éreintés. C’est tellement vrai que c’est toujours pour les autres et la bonne égérie parisienne en psychanalyse a encensé le livre : il l’a fait rire sans jamais la menacer. Nul ne se croit en vrai comme ça, bien sûr, ah ! ah ! Sauf que…

Muriel Barbery est normalienne et agrégée de philosophie, fascinée par le Japon et sa culture. Elle parle donc de ce qu’elle connaît bien. Elle revendique ses humeurs, ses menus plaisirs au quotidien, la culture comme bien commun qui n’est pas réservée aux riches et aux salonnards. Elle prône une philosophie bonne, faite non pour se prendre la tête ou flatter les mandarins de la caste intello, mais pour « trouver des toujours dans les jamais ».

Et c’est écrit joyeux, jubilatoire, d’une langue souple. Sauf la fin qui sombre dans le mauvais théâtre à la française avec drame et tremblement. La légèreté d’Ozu (le cinéaste japonais), est désertée au profit des grandes orgues de l’enflure Hugo (au triste Panthéon français). Malgré ce dommage, le lecteur passe un bon moment. Je ne suis pas sûr que la légèreté cultivée du texte passe bien dans le film qui en a été tiré (et que je n’ai pas vu).

2006 : Prix Georges Brassens

2007 : Prix Rotary International

2007 : Prix des libraires

2007 : Prix des Bibliothèques pour Tous

2007 : Prix Vivre Livre des Lecteurs de Val d’Isère 2007

2007 : Prix de l’Armitière (Rouen)

2007 : Prix « Au fil de mars » (Université de Bretagne-Sud)

2007 : Prix littéraire de la Ville de Caen 2007

Muriel Barbery, L’élégance du hérisson, 2006, Folio 2015, 416 pages, €9.20 e-book Kindle €8.99

DVD Le Hérisson, Mona Achache, avec Josiane Balasko, Garance Le Guillermic, Togo Igawa, Anne Brochet, Ariane Ascaride, Pathé2010, 1h36, €3.80

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Jean Vautrin, Billy-ze-Kick

Jean Herman, dit Vautrin, est un cinéaste qui n’a pas réussi et s’est reconverti dans le roman policier post-68. Né en 33 à l’arrivée d’Hitler au pouvoir, il se vautre avec plaisir dans les années soixante-dix de sa quarantaine. Il sociologise, il désopile, il parle franc. Son univers est celui des banlieues achélèmes et des petites gens qui font de petits métiers : concierge, flic, retraité, pute… Son héroïne est une gamine de 7 ans délurée appelée Julie-Berthe, fille de flic à talonnettes. Son papa Chapeau (c’est son nom), inspecteur sans éclat dans le réel, invente avec elle les aventures de Billy-ze-Kick. Avec un Z parce qu’elle zozote comme une Zazie hors du métro, et avec un kick parce que Billy chevauche une grosse moto… et que « kick » signifie donner un coup, donc baiser en argot angliche.

C’est la mode rebelle, la moto, une Honda 750 que l’on monte en intégrale cuir et en démarrant vroum. C’est justement la monture de Peggy Spring, une demoiselle d’étage que le achélème zieute parce qu’elle est bien roulée. Mais, mystère, on ne lui connait aucun mec. C’est que la période est au tout-sexe, chacun ne pense qu’à ça de 7 à 77 ans. Ne sont au fond aigris et méchants que ceux qui sont mal baisés (cela n’a pas changé). D’où les appétits de Juliette, mère de Julie-Berthe et épouse de Chapeau ; elle fait le tapin sur les violettes au bord de la érène 16 où passent les gros camions montés par de grosses bites à gros besoins. D’où les rancœurs de saleté d’Achère, retraitée des Pététés et concierge de l’immeuble, constipée qui devrait péter un coup et s’ouvrir du devant au lieu d’espionner ses voisins. Elle tient un cahier où elle consigne, au crayon à papier, en majuscules, tous les potins qu’elle reluque sur les unes et les uns.

Quant à Julie-Berthe, elle copine avec Ed le roux qui chevauche un cheval imaginaire, fils d’Eugène le membru qui adore baiser « parce que c’est sa nature », et avec Hippo, l’ado schizo. Elle confond un peu le réel et l’imaginaire en sympathie avec le fêlé, et mélange les histoires inventées par papa avec celles qui surviennent dans la cité des Oiseaux. C’est ainsi qu’une jeune mariée se fait assassiner d’une balle en sortant de l’église, en robe immaculée. Qu’une autre, sans rien sous la blouse, se fait étrangler dans une cabane de la zone. En bref cinq morts par explosion du vieux Alcide qui ne voulait pas céder son pavillon et potager aux bulldozers du béton et « trois femmes assassinées, un suicide et une petite fille qui respire à peine ». C’est la rançon de la société qui change, se modernise, se cosmopolitise, se bétonne – engendrant les pathologies de la solitude, de l’abstinence forcée et de la moraline.

Le roman est drôle, bien plus drôle que les expérimentations du « nouveau » roman de la génération d’avant qui était chiant à mourir par volonté de s’effacer devant le neutre. Il se lit encore avec bonheur et ceux qui ont vécu ces années soixante-dix en retrouveront le sel politiquement incorrect mais joyeux et encore optimiste comme un air de printemps. « Ah, que ze l’aime, que ze l’aime la zézette à Zuzu ! (Elle s’appelle Zuliette). Avec des poils couleur de miel. Vrai, si les abeilles y voyaient ça, finis les tilleuls, les pensées, les pivoines ! Ce serait haro sur ma Zuzu, ma Zuliette. Ce serait en avant pour la butine. Tellement c’est beau. Voui, qu’elle est chou, qu’elle est chou sa zézette et son tout. Tout, tout, tout. Ze suis une petite fille heureuse. Cazôlée comme un pou. Z’ai qu’un défaut : ze suis zobsédée. Zobsédée du Toboso (…) C’est plus fort que moi, les zézettes, les zizis, faut qu’z’les zyeute » p.25.

Nous sommes dans un polar popu et tendre au style Charlie-Hebdo (que l’auteur écrit Charly), dans le meilleur du temps qui a donné en 1985 un film réalisé par Gérard Mordillat, avec la petite Cerise Bloc dans le rôle de Julie-Berthe – elle deviendra animatrice socio-culturelle selon la tradition de ces années-là. Jean Vautrin, lui, est mort en 2015.

Jean Vautrin, Billy-ze-Kick, 1974, Gallimard Folio 2006, 224 pages, €11.66

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The Grand Budapest Hotel

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Un film étrange, décalé dans le temps et les mœurs, en forme de conte moral. Nous sommes il y a un siècle dans un royaume germanique d’Europe centrale, le Zubrowka imaginaire au nom de vodka… où est de bon ton d’aller prendre les eaux. L’hôtel chic est donc « grand » et de prestige, il reçoit princesses, duchesses et comtesses, sans parler des bourgeois enrichis comme les ambassadeurs, docteurs et autres décideurs. L’âme de l’hôtel est le maître des clés, le concierge Gustave H. (Ralph Fiennes). Il se montre à la fois autoritaire et commercial, pédéraste et gigolo, élégant et d’humour tout britannique (les mœurs de même) – en bref prêt à tous les compromis pour assurer à la clientèle le meilleur service.

Il trouve engagé sans qu’il soit au courant un nouveau Lobby Boy adolescent (garçon d’étage), qui se nomme Zéro Mustapha (Tony Revolori). Zéro parce qu’il ne sait rien, n’a aucune compétence, n’a fait aucune étude et vient d’un pays de bougnoules qui n’arrête pas de se massacrer. Mais Zéro est justement la page blanche qui va permettre à Monsieur Gustave d’imprimer sa marque, de l’intégrer à sa société d’adoption et d’en faire son héritier.

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L’Europe change, la Mitteleuropa cosmopolite et policée disparaît, laissant place à la brutalité prussienne d’abord et nazie ensuite. Les grands de ce monde meurent, leurs héritiers se déchirent pour de sordides histoires d’argent, bien loin de l’honneur et du service qui était de mise avant. La vertu, dès lors, est de ne pas en avoir : c’est de s’adapter ! D’où le côté à la fois dandy et théâtral de Gustave. Quoi de mieux qu’un larbin doré habitué à tout, et d’un immigré adolescent désirant s’assimiler ?

La grande comtesse habituée de The Grand, Madame Villeneuve Desgoffe und Taxis (Tilda Swinton), est solitaire parce que ses fils et filles n’attendent que sa mort pour l’héritage. Elle se trouve entourée d’attentions (et plus car affinité) par Monsieur Gustave, qui la contente de toutes les manières. Ce pourquoi, quand elle meurt, elle lui lègue le tableau inestimable qui le représente le mieux, un Garçon à la pomme, que Gustave décrit comme la fragilité du passage de l’enfance à l’adolescence. Pâte malléable, le garçon de cet âge a devant lui tous les possibles, toutes les expériences, tous les apprentissages. Il est l’éternel avenir, la quintessence de ce que l’on demande à un serviteur des Grands : ne jamais être lui-même mais toujours en devenir, mimétique avec ceux qu’il sert. Beau et changeant – vain.

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Monsieur Gustave aime les jeunes garçons autant que les vieilles dames ; le sexe avec eux n’engage pas mais le cœur, si. Tout est allusion et illusion, mais retrouver à la frontière dans le train comme chef du détachement militaire qui contrôle les passeports un ancien client, qu’il a connu enfant solitaire et à qui il a fait beaucoup de bien, permet le contre-don nécessaire à laisser libre le nouveau Lobby Boy sans papier. Lequel n’est pas intéressé à en savoir plus, car non seulement il se peint au crayon une fine moustache pour faire adulte mais il aime les filles, notamment l’apprentie du pâtissier Mendel.

The Grand Budapest Hotel zero et la fille patissier

Action, testament révisé, poursuite en luge, effets de surprise, évasion de forteresse par un tunnel creusés aux pics dissimulés en pâtisseries, quiproquos cocasses, quête policière, mafia des concierges de palaces, tueur et témoins assassinés par les fils voués aux nazis, cela dans un décor suranné volontiers kitsch (façade rose bonbon, funiculaire jouet, château immense aux couloirs interminables, téléphériques qui se croisent en altitude) – tout est fait pour dépayser et composer un conte baroque sur Le monde d’hier.

L’histoire est dite par un écrivain dandy (Jude Law) lorsqu’il rencontre après la chute du communisme le mystérieux propriétaire du grand hôtel (F. Murray Abraham) qui n’est autre que Zéro, héritier de Gustave qui a hérité de Madame. Le palace est délabré, presque vide. La société n’est plus la même et si les êtres solitaires sont toujours clients, ils sont bien moins nombreux.

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Le seul héritage qui vaut, au fond, apparaît comme le message cosmopolite de la défunte civilisation Mitteleuropa : mieux vaut adopter que générer, le sang ne préservant ni l’honneur ni la vertu ; mieux vaut s’ouvrir aux autres cultures, la pureté de la race engendrant esprit obtus et barbarie égoïste ; mieux vaut aimer que haïr, la solitude écartée valant reconnaissance éternelle ; mieux vaut résister que se laisser faire, puisque l’avenir se construit contre l’apathie.

Drôle, rebondissant, coloré, voilà un bon film d’hiver.

DVD The Grand Budapest Hotel + A bord du Darjeeling Limited, de Wes Anderson avec Ralph Fiennes, F. Murray Abraham, Tony Revolori, Owen Wilson, Adrien Brody, blu-ray Pathé 2015, €14.99

The Grand Budapest Hotel seul, 20th Century Fox 2014, blu-ray €14.99, normal €8.49

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Dominique Venner, Un samouraï d’Occident

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J’ai trouvé par hasard en librairie ce guide de survie spirituelle d’un homme qui, jeune, s’est battu avec l’armée française pour défendre la grandeur du pays et qui a découvert, à peine adulte et après s’y être essayé des années, que la politique ne servait à rien d’autre qu’à la petite gloire des médiocres. Dominique Venner s’est alors plongé dans les études historiques et a fondé la NRH (Nouvelle Revue d’Histoire) en même temps qu’il publiait ses réflexions sur le temps long en divers livres. Un samouraï d’Occident apparaît comme un ouvrage longtemps médité, soigneusement rédigé, qui change des torchons à la mode vite jetés sur le papier et vite publiés avant d’être aussi vite oubliés…

Dominique Venner n’est pas dans le « mainstream », comme aime à le dire un Frédéric Martel qui n’a rien à voir (à ma connaissance) avec un quelconque ancêtre prénommé Charles. Venner n’aime pas le capitalisme marchand, ni le progressisme béat qui vise l’illimité en tout, ni les suites du christianisme souffrant et coupable déclinées en communisme, socialisme et autres gauchismes aussi vains que fondés sur l’illusion. Éternelle imposture de Platon qu’un Clément Rosset (que l’auteur ne cite pas) a dénoncée.

Avant de choisir la mort volontaire en samouraï le 21 mai 2013, accompagné d’un témoin plus jeune dans le chœur de Notre-Dame de Paris (édifié au-dessus des piliers des nautes, très ancien sanctuaire celte), Dominique Venner a vécu 78 années de vie intense, laissé cinq enfants et une cinquantaine d’ouvrages, dont certains remarqués : Histoire de l’Armée rouge (prix Broquette-Gonin de l’Académie française) en 1981, Dictionnaire amoureux de la chasse en 2000. Il avait rompu définitivement avec la politique en 1967 pour devenir « historien méditatif ».

Ce n’est pas son positionnement à droite qui m’intéresse, d’autant qu’il s’est beaucoup trompé (De Gaulle avait raison de rendre l’Algérie aux Algériens, ce peuple fier et musulman) ; ce ne sont pas non plus les pudeurs de vierge effarouchée des moralistes « de gauche » dont la position de Commandeur (juger avant d’analyser) est aussi vaniteuse que courte.

Ce qui m’intéresse est l’exemplarité d’un homme, le message spirituel qu’il porte, son élan positif.

Dominique Venner aimait la vie, mais surtout la vie belle, celle que les stoïciens recommandaient de chercher en cette vie même, sans se laisser enfumer par les illusions d’un lendemain chanteur ou d’un au-delà consolateur. Il considérait que le beau créait le bon, et non l’inverse, que ce n’étaient pas les « bonnes intentions » qui donnaient l’exemple mais les actes réels accomplis avec tenue. Il avait de la hauteur – non celle du mépris (il cite en femme exemplaire la concierge de l’Élégance du hérisson) – mais celle du temps long et du socle des valeurs. Nous, Occidentaux, ne sommes pas la planète (ni leaders des valeurs, ni missionnaires « plus avancés », ni maîtres élus par commandement divin) : nous ne sommes pas « universels ». Nous ne sommes que nous-mêmes, issus d’une longue culture qui a produit parfois de la civilisation, parfois de la barbarie, mais aussi légitime que les autres cultures – sans devoir se « fondre » obligatoirement en elles.

male domine institut d art a paris

Qui trop embrasse mal étreint, dit la sagesse populaire ; c’est pourtant ce que le christianisme en premier a promu, que la révolution des Lumières a exigé, que l’essor de la technique a permis, que le système socio-capitaliste a réalisé. Dans un chapitre intitulé La métaphysique de l’illimité, l’auteur montre que, dès la Genèse, Iahvé ordonne que les hommes (à son image…) « dominent les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, toutes les bêtes sauvages et celles qui rampent sur la terre ». A Noé, sauvé des eaux, Dieu répète encore « multipliez sur la terre et dominez-la ». Les Lumières ont sécularisé cette injonction d’orgueil religieux au travers de l’Universel et de l’imposition des Droits de l’Homme au monde entier – droits identiques, homme abstrait (ce que contestent les musulmans, mais aussi les Chinois athées, les Brésiliens catholiques et les Japonais zen – entre autres).

La technique a envahi les industries (orientées « nouveauté »), domptée la recherche scientifique (qui ne recherche plus que ce qui est « utile » à vendre), commandé aux politiques (en leur offrant les gaz de combat, le char mécanisé, la bombe atomique et le F16 ou le Rafale – outils diplomatiques ou militaires) ; elle a permis au système économique d’efficacité maximale qu’est « le capitalisme » de faire renaître sans cesse le désir d’acheter d’autres biens plus puissants, plus petits, plus innovants, plus à la mode. Au détriment de la mesure en toutes choses, de l’harmonie avec la nature, de la sagesse humaine, des ressources planétaires limitées et des ravages de la pollution sur le climat et sur la santé de tous les êtres vivants.

L’Europe après la décolonisation semble sortir de l’histoire, hédoniste, obèse, gavée de gadgets et d’additifs alimentaires américains, bienveillante aux provocations idéologiques et cléricales d’où qu’elles viennent, sans ressort. Contre ce monde uniforme de vaches multicolores (Nietzsche) s’est élevé Dominique Venner ; il a protesté en samouraï en mettant fin à ses jours avec arme. Je ne partage pas ce pessimisme, ni nombre de ses analyses du temps présent (moins « décadent » qu’il ne le voyait), mais reconnais la grandeur du geste. Ce pourquoi ce livre-testament mérite considération.

Un demi-millénaire avant sa publication, Dürer gravait le Chevalier, la mort et le diable. Cette figure impassible de preux armé et armuré, indifférent à la fin dernière comme aux tentations maléfiques ici-bas, est l’un des modèles de Venner. L’autre est la figure – non-européenne – du samouraï : discipliné, entraîné, fidèle à son clan et à sa façon de vivre. Lui Dominique, est resté insoumis aux tentations faciles de notre temps, qu’on songe aux frasques sexuelles DSK ou Houellebecq, aux petits arrangements entre amis de la galaxie Hollande ou Sarkozy, à l’indulgence des juges dans les « petits » délits de banlieue, au déni des intellos bobos qui ne sont jamais sortis hors du quadrilatère de l’entre-soi luxe New York-Saint-Germain-Avoriaz-Saint-Tropez.

arbres au cordeau

En six chapitres rythmés en thèmes courts, Dominique Venner nous parle de la culture européenne qui vient de loin, de l’assemblée des guerriers de l’Iliade au Thing viking jusqu’à la Table Ronde issue de la culture celte. Elle est notre matrice de civilisation, qui a donné des hommes libres parce qu’ils étaient à la fois guerriers et propriétaires du sol. Le citoyen de 1789 renouvellera ce pacte volontaire des adultes responsables qui ont la volonté de faire société en commun et de défendre la patrie en danger. Contrairement au machisme hiérarchique introduit par l’Église chrétienne à la suite de saint Paul, la femme n’est pas dévalorisée dans cette civilisation : Pénélope et Hélène, déjà, sont maitresses d’elles-mêmes et exemples de vertu.

Notre Talmud, Bible ou Coran sont pour Venner ces deux « testaments » que sont l’Iliade et l’Odyssée. Le modèle de vie qui surgit est une triade : « la nature comme socle, l’excellence comme but, la beauté comme horizon » p.220. La nature telle qu’elle est ici et maintenant, immuable et changeante, force de vie et perpétuel renouvellement par la mort, ineffable grandeur et catastrophes. En découvrir les ressorts par la curiosité scientifique, méditer sur les fins humaines par l’intelligence et l’astuce, en admirer les merveilles minérales, végétales, animales, humaines, sidérales. Vouloir être beau comme la beauté reconnue, plus sain de corps, plus fort de volonté, plus intelligent – tel est le destin humain, une aspiration à devenir proche des dieux. Comme (je l’ajoute, Venner n’en parle pas) Thorgal dans la bande dessinée. Épuiser le champ du possible est réaliste ; chercher une vie éternelle est illusion. Mais éviter l’hubris – la démesure condamnée par la pensée grecque – qui est propre à notre civilisation technicienne depuis la Renaissance, cette volonté d’illimité consommateur, pollueur, gaspilleur, spéculateur, militaire, génétique… qui commence à nous perdre. « Je m’insurge contre ce qui me nie », dit Dominique Venner p.291.

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Ce pourquoi il nous incite à vivre en philosophe par le contrôle des désirs, passions et ratiocinations. C’est par le stoïcisme, dernier feu de la pensée antique avant le christianisme, que l’auteur se tourne pour trouver cette « vie bonne » dont Montaigne sera un éminent relais. Ce qui compte n’est pas de philosopher en érudit livresque, mais de donner l’exemple par sa vie même. Il s’agit d’un « exercice sur soi, une transformation spirituelle et une modification du comportement dont les effets sur l’âme sont analogues à ceux que produit l’entraînement sur le corps d’un athlète » p.239. Épictète, esclave, ou Marc-Aurèle, empereur, peuvent tous les deux suivre cette ascèse. Mathieu Ricard, bouddhiste tibétain, ne dit pas autre chose… même si l’auteur ne le cite pas, trop enfermé sur son univers très classique.

Bien qu’on le voit borné en références, obsédé par la volonté de montrer que tout est déjà pour les Européens en Europe, ce testament bien écrit, sainement rythmé, serein dans ses idées longues, offre une vue rafraîchissante sur nos interrogations historiques et sur notre destin. Le tous-pareils sur toute la planète est-il souhaitable ? Ou ne prépare-t-il pas la domination paisible et insidieuse du Big Brother consumériste (demain religieux ?) surveillant tous les désirs, toutes les déviances, forçant le consensus pour consommer, voter, bien penser ?

Paris luxembourg marchand de masques

En perles sur ce bracelet bien trempé, sept conseils pratiques à appliquer soi-même :

1/ construire sa citadelle intérieure en tenant un carnet de réflexions et d’observations sur le monde et les êtres,
2/ chaque jour se mettre en retrait pour lire un peu,
3/ pratiquer un sport de plein air ou de combat (selon l’âge et les dispositions) pour vivifier « l’énergie, le courage ou le souci d’excellence » p.302,
4/ marcher dans la nature pour garder le contact avec les éléments, le végétal et les bêtes (désormais « êtres sensibles » selon la loi),
5/ redécouvrir les hauts lieux de notre civilisation, Delphes, Brocéliande, Alésia, le Mont Saint-Michel, Sils-Maria…,
6/ cultiver la beauté pour soi-même, nuages, nuit étoilée, statue, tableau,
7/ retrouver les rites de saison et leur fondement dans le cycle de la nature, créer son almanach familial comme hier les livres de raison.

Dominique Venner, Un samouraï d’Occident – le bréviaire des insoumis, 2013, éditions Pierre-Guillaume de Roux, 317 pages, €23.00
Un article honnête sur Dominique Venner dans L’Express
Une analyse politique conventionnelle du monde.fr

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Presse concierge

‘Le Monde’ devient de plus en plus ‘immonde’, selon le titre décerné par les canulars des années 1980. Le numéro daté (généreusement) des dimanches 10 et lundi 11 juillet 2011 donc préparé samedi 9 (on ne se refuse rien) est un concentré de propos de concierges.

Page 3 « on ne réveille pas Sarkozy » (qu’est-ce qu’on s’en fout !) sur la façon dont il a appris l’affaire DSK. Comme si le Président était coupable d’avoir appris plus tôt que les Français les frasques sexuelles d’un ex-futur candidat ! C’est digne du caniveau internet.

Page 6 « le scandale News of the World » : quel intérêt ?  Les radios en ont parlé en long et en large depuis des jours, c’est du réchauffé. On aurait aimé plutôt que « l’investigation » des journalistes ait levé le lièvre avant que tout le monde le sache. Mais évidemment ‘le Monde‘ s’en fout avant que ça devienne mondial.

Page 8 « quand on est en guerre, on dit la vérité ». S’agit-il d’Afghanistan où « nos » otages viennent de rentrer de 3874 jours de captivité ? Vous dites ? c’est moins ? Ah bon, le monde entier croyait l’inverse à force d’en lire, mais bon… S’agit-il de Libye où « nos troupes » (à court de munitions) se demandent ce qu’elles vont bien pouvoir inventer pour que « nos militaires » puissent partir en vacances comme n’importe quel fonctionnaire ou au moins prof ? S’agit-il de Côte d’Ivoire, de Somalie, du Liban, du Kosovo et de tous ces endroits perdus de vue où nos soldats sont déployés « pour la paix » ou on ne sait quelle mission qui n’a évidemment jamais rien à voir avec la guerre ? Vous n’y êtes pas. C’est Delanoë qui parle des impôts. Sur un ton belliqueux de concierge en colère. Vraiment, quel scoop alors qu’il n’est même pas candidat aux primaires !

Page 9 « les rumeurs sur son couple » ? Bon, ne cherchez pas, c’est Martine Aubry, « obligée » de démentir ce qu’Internet dit sur son mari-copain-amis-compagnon-pacsé (?) qui « défendrait » des islamistes. Est-il avocat ou non ? Quel aventure ! (ciel mon mari !)

Page 10 : à Marseille l’attaque d’un train express régional relance le débat sur la sécurité » – ben vrai ma bonne dame ! Y a pu d’morale j’vous dis. La sécurité c’est toujours à la Une. Et alors ? Y a -t-il enquête du journal pour en savoir plus ? Surtout pas, sur la chanson de « ces jeunes, hein « ! Ça me rappelle mon arrière grand-mère (oui, arrière, ça date comme disait l’égyptien). Elle jugeait de la presse en fonction des crimes relatés : « aujourd’hui y a pa’d’crime, ça a pas d’intérêt ». Texto. Le Monde a bien régressé en quelques années. Il va de mal en pis. Où sont les vaches (qu’un rapport de la Cour des comptes pointe justement ?)

Page 14 « Moody’s sème la pagaille sur les bourses » : on dirait un titre de Libération des années 80, avec jeu de mot douteux sur « bourses ». Page 15 « Un paparazzi au musée » ou mââme Michu à l’Élysée…

« Le Monde n’est plus vraiment Le Monde », dit un lecteur cité par le médiateur, à propos de l’affaire « DSK… tastrophe » (encore un titre poubelle digne de la presse du même nom). C’est vrai, poursuivons page 24 voir « ces femmes complaisantes envers leur mari volage »…

Il y a 15 ans, je lisais Le Monde en 1h15 environ ; aujourd’hui, 10 mn me suffisent… les meilleurs jours. Ce 10 juillet, 5 m’ont suffit largement tant ce torchon me tombe des mains. Rien qui n’ait déjà été dit et ressassé avec témoignages, intellos et contradictoire sur toutes les radios ; rien qui n’ait été analysé (bien plus directement, sans fioritures contorsionnées) par Internet ; rien qui n’ait fait l’objet d’enquêtes de la presse internationale ou (même !) hebdomadaire en France.

Le Monde est tombé bien bas, c’est un lecteur durant quarante ans qui vous le dit !

Avec la télé sur câble et à la carte, Internet et les blogs, la radio podcastable à l’envi, la presse « papier » a du mouron à se faire ! Plus le temps, plus l’envie, trop cher pour ce que c’est, marre des grèves des privilégiés syndicaux du Livre payés comme des cadres de la finance avec des vacances de prof, marre du papier qui tache les doigts et des pages difficiles à tourner alors qu’il suffit de se brancher un écouteur à l’oreille, marre des pubs SNCF ou Casden pleine page à prix exorbitant alors que les « services » publics sont censés être à l’agonie faute d’argent. On se moque de qui ? Pas de moi en tout cas, j’ai résilié mon abonnement et ne suis pas prêt à revenir.

Le journaliste devient le sidérurgiste des années passées. Fini le statut d’exception, la « signature » d’intello-à-la-française. Seuls survivent les groupes qui ont les moyens de financer une équipe de salariés bien formés pour faire des reportages, être envoyés spéciaux, offrir des réflexions de qualité. La revue XXI le prouve qui vend en librairie ce que ‘France Soir’ vendait jadis sous la signature de Kessel, Malraux, Blondin et d’autres. Les faits bruts ne suffisent pas – ils sont gratuits. L’idéologie ne rassemble que des convaincus – de moins en moins. La seule valeur ajoutée est dans la sélection des informations, leur vérification par recoupement, le recul propre au savoir maîtrisé, le décryptage.

Bien loin du ton de concierge affiché depuis peu par cet Immonde ! qui se croit encore « de référence ».

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