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Pourquoi cette gauche a fait pschitt !

François Hollande, président par le hasard du sexe (celui de DSK), est un technocrate scrupuleux, un gestionnaire de synthèse, un manœuvrier de la petite politique – pas une incarnation de la grande Politique. Il ne voit pas loin, il n’a pas de projet pour la France, il ne propose que des mesurettes catégorielles. Après l’Agité perpétuel, il fut un temps reposant ; mais ses frasques féminines, comme l’autre, ses hésitations sempiternelles de centrisme honteux, de socialisme tactique, de leadership complaisant, l’ont vite déconsidéré.

Que va-t-il laisser ?

Une France moins libre, dopée à l’état d’urgence permanent faute d’oser des lois fermes, discutées clairement et appliquées sans tergiverser (comme ces drones qui survolent l’espace « interdit » des centrales nucléaires et qui ne sont pas descendus, comme ces « expulsions » qui ne se réalisent presque jamais, comme cette « jungle » de Calais qu’on devrait tout simplement renvoyer aux Anglais en laissant passer les migrants, comme cette Leonarda à la famille indésirable mais qui pourrait quand même rentrer…). Etat d’urgence causé par état d’âme… quelle triste démagogie !

Une croissance en berne par rapport aux autres et par rapport à la tendance française précédente, faute d’oser, faute d’avoir « renégocié » avec l’Europe, faute d’avoir entrepris les réformes structurelles nécessaires (et de s’y être pris comme un manche sur la loi travail !). La France se redresse moins que la moyenne, tirée par la demande en Europe, elle-même favorisée par la baisse de l’euro, du pétrole et  par la politique de taux bas et de distribution du crédit par la Banque centrale européenne. Ce n’est pas la politiquette électoraliste hollandaise qui fonctionne, mais bel et bien la politique monétaire globale de l’euro. Pas de quoi pavoiser ! Amateurs et interventionnistes, les socialistes n’ont jamais rien compris à la complexité de l’économie. Ce n’est pas la volonté qui compte, le sérieux des sourcils froncés et de la trique – mais la confiance qui émerge (comme sous Jospin sans le vouloir), autrement dit le laisser-faire des gens dans leur liberté. Comme le montre la courbe de tendance ci-dessous, l’écart entre les performances de la France et la tendance s’est aggravé depuis 2012 et l’intronisation de Normal 1er.

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Une France à la dépense publique seulement modérée, sans remise en cause de tout ce qui n’est pas du ressort de l’Etat, avec un endettement maintenu, des impôts massifs, redistribués par saupoudrage, sans orientation nette – de peur de mécontenter les lobbies des niches électorales !

Ce rapport n'est curieusement plus accessible sur le net. Le régime français de monarchie technocratique reste bien loin des standards parlementaires d'enquête et d'analyse.

Ce rapport n’est curieusement plus accessible sur le net. Le régime français de monarchie technocratique reste bien loin des standards parlementaires d’enquête et d’analyse…
Je l’envoie par citoyenneté en PDF à qui le demande par mail.

Hollande adore les impôts, et la petite cuisine ponctionnelle. Un rapport d´information du Sénat, fait au nom de la commission des finances sur l’évolution des prélèvements obligatoires entre 2012 et 2016, montre que la ponction fiscale « provisoire » de l’été 2012 « a touché largement les ménages, y compris les plus modestes », même si elle a touché aussi les classes aisées ; « l’abaissement du plafond du quotient familial à 2000€ a eu des effets sur les ménages appartenant résolument à la classe moyenne ». Au total, c’est 30 milliards d’euros d’impôts qui se sont abattus en 2 ans sur les ménages… amenant un « un véritable ‘ras-le-bol fiscal’, pour reprendre les termes utilisés par le ministre des finances de l’époque, Pierre Moscovici. » Plus les hausses de cotisations sur les retraites pour 3.5 milliards, intervenues en 2014. La fiscalité des ménages s’est à peu près stabilisée depuis 2015 – mais reste « plus élevée de 31 milliards d’euros en 2016 qu’en 2011 ». 35 milliards, analyse de son côté l’OFCE. Au total, « Ceci indique, d’une part, que les ménages ont eu à supporter l’essentiel des efforts de redressement des comptes publics et d’autre part, que la décélération de la pression fiscale ne profite pas véritablement aux ménages » (p.27). Les entreprises ont été initialement maltraitées, avec une hausse de 15.5 milliards en 2012 et 2013… immédiatement suivie d’une baisse avec le CICE et le Pacte de responsabilité, aboutissant à une baisse cumulée de 16 milliards d’euros entre 2012 et 2016. Cette incohérence a cassé la prévision économique et empêché d’investir.

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Un bilan très médiocre

Entre démagogie « de gauche » et inconstance fiscale « d’hésitation », « l’assainissement des finances publiques a été moins rapide en France que dans le reste de la zone euro, ce qui explique que notre pays continue d’afficher un déficit public et une dette relativement plus élevés » p.50. « Entre 2011 et 2015 la part de la dette publique dans le PIB a crû de 11 points en France, contre une moyenne de 4,3 points dans la zone euro » p.52. Au total, « Force est de constater qu’au cours de cette période, l’effort structurel a reposé pour deux tiers sur les mesures nouvelles en prélèvements obligatoires et pour un tiers seulement sur des efforts en dépenses » p.54. Taxer est toujours plus facile que de réfléchir et de convaincre… Amateurisme et petits pas précautionneux font-ils une politique ?

Les ménages inquiets dépensent moins, les entreprises investissent au minimum et n’embauchent pas – et tous ces efforts semblent pour rien : « la France affiche toujours des coûts salariaux parmi les plus élevés de la zone euro, principalement en raison du niveau élevé des cotisations sociales patronales », selon les services de la Commission européenne en février 2016. Ce qui explique pour une grande part le chômage français. La France immobiliste est désormais moins riche que la moyenne européenne à 97,4 alors que l’Allemagne qui a su se réformer est à 113,3 (l’écart n’était que de 2,1 points en 2000).

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La faute n’en est pas seulement au président Hollande (qui a « fait HEC »), mais aussi à cette gauche bobo qui se croit plus que tout (et encore aujourd’hui) le moteur de l’Histoire. Depuis que le mur de Berlin est tombé, la mondialisation du marché, de la démocratie, de la culture occidentale ont semblé constituer les étapes triomphales de l’Universalisme enfin en voie de se réaliser. Vivent les « progressistes » : aussi arrogants que bêtes au fond, ils « croient » que leur situation matérielle, politique et morale confortable va faire le bonheur de tous. D’où les « droits » sans cesse étendus aux lesbiens gais bi trans, aux migrants sans frontières, au théâtre de rue sans public, aux enfants de confort pour les stériles, aux urgences pour la bobologie ; d’où le « politiquement correct » du déni qui sévit dans les manuels scolaires, dans l’enseignement de l’arabe au détriment du français, dans le révisionnisme historique des programmes, dans la débaptisation des rues parisiennes par certains ignares cultureux contents d’eux. « Le multiculturalisme le plus fainéant a remplacé le récit à écrire et le projet à porter ensemble », dénonce Raphaël Glucksman dans l’Obs.

gauche-2016La prochaine élection présidentielle devrait rebattre les cartes.

Même s’il reste probable que Marine Le Pen parvienne au second tour (en raison des divisions à gauche et de la persistance de la menace terroriste dans des frontières Schengen poreuses), les partis de l’extrême montrent combien les Français en ont assez des petites phrases, du buzz et de ces ficelles usées de la com’ qui ont composé le programme des précédents.

Mélenchon, Macron et Fillon devraient défier Marine. Notons que les trois sont des personnalités plus que des catalogues de mesures, ils portent chacun un projet et ne se contentent pas de la gestion des choses.

  • Le quatrième à venir, du parti socialiste, ne semble pas à la hauteur populaire de ces trois là (aucun des 7 nains, pas même Valls).
  • Je ne crois guère aux chances de Mélenchon, trop sectaire lambertiste dans l’âme pour entraîner les foules.
  • Emmanuel Macron incarne une énergie réformatrice social-libérale, un Hollande cette fois sans complexe ; il est la jeunesse et l’ouverture – convaincra-t-il la province bourgeoise plutôt frileuse ?
  • François Fillon a l’image d’un candidat austère et constant dans ses convictions ; son programme est clair et construit. L’amender pour éviter un choc trop brutal fait partie du compromis politique, mais la direction est donnée. Un récent sondage Cevipof sur les intentions de vote de la fonction publique montre combien celle-ci en a marre de la gauche (sauf évidemment les profs) et déclare se tourner vers la droite, même avec la suppression des 500 000 fonctionnaires (dont beaucoup de copains nommés en région par les politicards du coin…)

Selon un sondage Ipsos de novembre pour les 18ème journées du livre d’économie, les moins de 25 ans s’intéressent deux fois moins à l’économie (21%) que les plus de 60 ans (49%), notamment à cause de l’indigence de la formation scolaire (71% disent qu’on n’y parle pas assez d’économie). Gageons que le vote se fera donc plus par émotion pour la jeunesse (souvent abstentionniste) et plus par raison pour les gros bataillons qui votent – et qui feront l’élection.

Pour 58% des Français interrogés, il faut « limiter au maximum le rôle de l’Etat dans l’économie française et donner aux entreprises le plus de liberté possible » (ils n’étaient que 50% en janvier 2014). Il faut dire que le mêle-tout socialiste est passé par là, comme l’analyse Elie Cohen, directeur de recherche au CNRS… Et que la bouffonnerie Alstom à Belfort dépasse le raisonnable : laisser filer à l’étranger un fleuron de l’industrie française, être au conseil d’administration et ne rien voir, puis « acheter » des TGV pour rouler sur des lignes de banlieue est une ineptie économique – et fait valser l’argent public, celui des impôts. Cela pour de rares emplois « préservés ». Et les autres :  ils ne sont pas électoralement payants ? Cette basse démagogie agace très fortement les classes populaires et moyennes, engendrant un vrai rejet de la gauche bobo – comme aux Etats-Unis.

57 à 59% des Français, selon la question posée, se disent favorables à la réduction du nombre de fonctionnaires pour garder la priorité sur police, justice et santé. Seul le Front de gauche se démarque, évidemment, adepte de gros impôts, de l’interventionnisme d’Etat et du moralisme autoritaire en économie – mais ce sondage montre combien son opinion est minoritaire en France.

Au total, avant que la campagne ne commence (et que la primaire du PS ne sorte un candidat du chapeau), François Fillon semble être mieux à même de l’emporter qu’Emmanuel Macron.

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Prédiction, prévision, prospective

Chacun sait qu’il est plus facile de « prévoir » le passé que l’avenir… Chacun croit savoir ce qu’il aurait fait s’il s’était trouvé dans telle situation. La raison en est que l’enchaînement des causes, survenues par hasard, peut être logiquement reconstitué lorsque l’on a une vue d’ensemble : il fallait « évidemment » choisir le camp de la résistance fin juin 1940… et pourtant De Gaulle et ceux qui ont refusé d’obéir aux ordres du gouvernement Pétain « légitimement » nommé étaient juridiquement des traîtres.

Si le passé est écrit définitivement, l’avenir reste ouvert et incertain. Cette incertitude fait peur, tant l’être raisonnable qu’est l’humain a besoin de logique pour agir en sécurité. Selon la gradation du plus fantaisiste au plus scientifique, il va chercher à prédire l’avenir, à prévoir les événements, ou à bâtir une prospective. La différence entre ces trois mots est importante.

boule ado a prevoir avenir

La prédiction pré-dit, c’est-à-dire qu’elle veut énoncer tout simplement l’avenir tel qu’il va advenir. Ce sont les mots des prophètes, des voyants, mais aussi des dogmatiques : le prédicatif affirme d’une façon absolue et définitive. Nous sommes dans la croyance, qu’elle soit religieuse, idéologique ou scientiste – nous ne sommes pas dans la raison. Le performatif règne en maître – où dire c’est faire ; l’annoncer, c’est comme si c’était fait. Les politiciens sont passés maîtres dans cet art de la com’ qui s’apparente au mensonge, sous couvert d’une apparente volonté.

Prédire est affirmer ce qu’on voudrait qu’il advienne, sans autre certitude que celle de sa conviction : la « vraie » vie dans l’au-delà, la fin du monde, la société sans classe de l’avenir radieux, le bonheur-santé-richesse des marabouts et autres diseuses de bonne aventure. Rappelons cependant que Madame Soleil, qui « voyait tout » selon ses dires, n’a jamais prévu le contrôle fiscal qui lui est tombé dessus pour ses gains en liquides non déclarés…

La prévision est moins affirmative, elle ne « dit » pas l’avenir, elle se contente d’en avoir une « vision » plausible. L’intelligence entre alors en scène et maîtrise les émotions sur le futur. Le raisonnement intervient, étayé par des chiffres, des théories, des modèles (tous révisables). La statistique permet de calculer des séries temporelles, que l’on peut projeter ensuite dans l’avenir. Le plus fiable est par exemple la démographie : tous les humains qui auront l’âge de la retraite dans 10 ans sont déjà nés, la seule incertitude réside dans la mortalité de cette cohorte d’ici-là – et dans l’âge de la retraite lui-même, qui peut changer. Le moins fiable est peut-être la bourse ou la météo, les deux dépendant de tant de variables qu’il est difficile de dessiner une tendance – sauf lorsque la situation reste à peu près stable ou dans un trend établi.

Prévoir, c’est prendre des précautions logiques en fonction de ce que l’on connait aujourd’hui. Ce n’est pas affirmer un avenir certain, mais seulement un avenir possible. C’est considérer comme plus ou moins probable la survenance de tel évènement (chaque probabilité est calculable) – et s’y préparer « au cas où ».

La prospective est plus large. Elle vient d’un terme d’optique qui permet d’élargir la vision. Il s’agit de différents scénarios plausibles, plus ou moins probables mais dont aucun n’est certain. Ils forment des cadres de réflexion pour effectuer des prévisions plus concrètes dans des domaines particuliers. Cette « façon de regarder de loin » trace non pas une ligne véritable mais une tendance vraisemblable. Rien n’est écrit, rien n’est certain, mais certaines logiques sont déjà l’œuvre maintenant, qui peuvent se confirmer.

Ainsi le prospect est-il un probable futur client, la prospection explore les lieux où découvrir de possibles gisements, la prospective réunit historiens et sociologues pour proposer une évolution possible de notre société et de notre monde.

Si prédire n’est guère utile aux décideurs (sauf à agiter une croyance comme banderole pour se faire élire), prévoir est indispensable pour ne pas aller dans le mur (ainsi François Hollande et son « inversion » de la courbe du chômage), et la prospective manque cruellement (dans ce monde de court-terme et de zapping médiatique permanent).

  • N’importe quel gourou autoproclamé peut prédire les cours de bourse en n’ayant raison que par hasard (Paul Jorion aime par exemple à se faire le prophète annoncé de la grande catastrophe financière imminente et nombreux sont ceux qui le trouvent génial parce qu’il leur dit seulement ce qu’ils ont envie d’entendre… bien qu’il se trompe régulièrement depuis 8 ans !)
  • N’importe quel gérant peut évaluer les probabilités plus réalistes qu’à un cycle en succède un autre, en se fondant sur les statistiques de cours passées mais aussi sur la psychologie de marché (la période novembre-avril est propice à la monté des cours de bourse, la période mai-octobre est au contraire plus agitée).
  • Mais il faut faire l’effort d’investir du temps, de la réflexion et des échanges pour bâtir une prospective qui se tienne. Sa logique est en partie contenue dans les tendances à l’œuvre dès aujourd’hui, mais les réactions, inventions, découvertes et mutations restent ouvertes dans le futur.

Quittez donc le monde de la « croyance » pour celui de la raison, vous vous en porterez mieux, en bourse comme en politique, et même pour votre confort mental.

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Ian McEwan, Solaire

ian mcewan solaire

Roman très anglais d’un auteur insolent, Solaire est un missile jouissif tiré sur les écolos-narcissiques qui se repaissent comme des chrétiens angoissés de l’an mil de la Grande catastrophe annoncée. L’abord est déconcertant, le lecteur français prend plusieurs pages à réaliser par exemple que Patrice est une femme. Mais les Anglais font tout à l’envers et le personnage principal a tout de l’antihéros, gros chauve, laid et content de lui. L’humour anglais perce ça et là, au point qu’on se surprend à rire tout seul.

Bien sûr, il faut « lire », et ne pas survoler quelques pages pour faire semblant et en parler ensuite dans les cercles littéraires ; bien sûr, il faut s’accrocher, les débuts de l’auteur ne sont jamais très flamboyants ; bien sûr, il faut être sensible aux êtres et ne pas en rester aux apparences. Ce pourquoi « l’époque » Internet-jeux vidéo-zapping n’est pas vraiment faite pour Ian McEwan. Mais il reste de vrais lecteurs, dont vous êtes certainement, vous qui me lisez jusqu’ici (les autres se sont contenté de planer sur les images).

Michael Beard est un physicien qui a connu son heure de gloire avant trente ans en obtenant (par hasard et par politique) un prix Nobel. Il vit désormais dessus, plus préoccupé de ses bonnes femmes que de recherches nouvelles. Il en est à son cinquième divorce, et l’on se demande pourquoi « se marier » est donc si utile lorsque l’on n’est pas fait pour ça. Le divorce d’avec « Patrice » donc, se passe mal, chacun provoquant l’autre en affichant ses liaisons. Mais c’est à un retour de voyage que tout va se jouer – par hasard, évidemment. Car le physicien, qui devrait être pur rationnel, est balloté sans cesse par ce qui survient, ne maîtrisant rien de son existence, ni de sa recherche scientifique. Il suit le mouvement, profite des circonstances.

L’histoire se compose en trois années, 2000, 2005 et 2009. A chaque fois la vie de Beard bifurque, sans qu’il l’ait le moins du monde voulu, mais sans qu’il ait non plus une quelconque volonté de l’orienter. Pas plus que l’humanité ne veut le dérèglement du climat, mais qu’elle ait un quelconque désir de faire quelque chose. Chacun se veut rationnel dans sa sphère, mais retombe dans les ornières répertoriées et les schémas de comportement humains. McEwan réalise une satire féroce de ces moments de naïve bonne conscience.

Par exemple sur le climat : « Cet écho des fléaux de l’Ancien Testament, avec ses pestes et ses pluies de grenouilles, illustrait une profonde tendance, réactivée au fil des siècles, à croire que la planète vivait ses derniers jours, que la fin de chacun était liée de manière imminente à celle du monde, ce qui la chargeait de sens, ou la rendait un peu moins absurde. L’apocalypse n’était jamais pour aujourd’hui, où l’on aurait pu démasquer l’imposture, mais pour demain et, quand elle n’arrivait pas, une nouvelle menace, une nouvelle date, avait tôt fait de la remplacer » p.32. Le physicien est conscient des effets de l’industrialisation sur l’atmosphère et prêt à chercher de nouvelles énergies ou des technologies durables, mais il observe combien les écolos sont eux-mêmes emplis de vent, sinon de légèreté intellectuelle. Invité comme scientifique de renommée à constater avec une vingtaine d’autres « artistes », journalistes et faiseurs d’opinion les effets de la fonte des glaces au Spitzberg, il n’a pas de mots assez durs pour fustiger cette inconséquence. « Quand aux coupables émissions de dioxyde de carbone causées par vingt vols aller-retour, vingt trajets en motoneige et soixante repas quotidiens servis chauds dans ce froid polaire, on les compenserait en plantant trois mille arbres au Venezuela dès qu’on aurait identifié un site et acheté les responsables locaux » p.74.

Ces moments désopilants, observés d’un œil anglais, se multiplient dans le livre. Ainsi lorsque le gros Beard tente de pisser au Spitzberg, par -26°, et qu’il se gèle vite le bout. « Quelque chose de dur et de froid s’était détaché de son entrejambe et avait glissé… » p.94. Ou lorsqu’un ours blanc se dirige vers le groupe sur la banquise et que Beard ne parvient pas à démarrer la motoneige. « Au même instant, il reçut un coup violent dans l’épaule… » p.108. Dans le sas vestiaire du navire où ils logent, les accessoires grand froid sont déposés et repris n’importe comment, au point que personne n’a plus l’équipement à sa taille complet alloué au départ. Comment une telle indiscipline en petit groupe pourrait-elle devenir une discipline collective pour l’humanité contre le réchauffement  ?

Vous trouverez encore hilarant le moment des chips dans le train p.176 ; l’expérience de bouc émissaire de la part de croyants intellos-féministes lorsqu’il expose les raisons pour lesquelles, selon lui, moins de filles que de garçons se consacrent à la recherche en physique p.198 ; les « contes de fée » des freudiens qui croient scientifiques leurs analyses du comportement humain p.238 ; les jumeaux insomniaques, bébés des voisins, qui répandent dans toute la maison « leurs miasmes aussi pénétrant qu’un curry sur le feu ou des crevettes vindaloo, mais aussi pestilentiels que ceux d’un marécage, comme si leur religion leur imposait un régime à base de moules et de guano » p.292.

Ian McEwan réalise un roman décalé irrésistible où, si toute la raison du monde ne peut donner un sens à la vie, un petit enfant le peut. Où toute prévision reste à jamais hasardeuse – surtout si elle concerne l’avenir : « Écoute, Toby. La catastrophe est imminente. Détends-toi ! » p.307.

Force est de constater que plus les catastrophes sont annoncées, pré-vues, moins elles surviennent… Laissez donc dire les écolos et autres théoriciens en chambre du complot naturel. C’est ce que personne n’a imaginé qui est la véritable catastrophe.

Ian McEwan, Solaire (Solar), 2010, Folio 2012, 397 pages, €7.12

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