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Guy Georgy, La folle avoine

Guy Georgy est mort il y a tout juste vingt ans, il avait 84 ans. Dans ce livre de souvenirs d’enfance, il raconte comment il est devenu ambassadeur de France dans divers pays de 1959 à 1984 (Congo, Bolivie, Bénin, Libye de Khadafi, Iran de Khomeiny, Algérie), en passant en 1939 par la difficile École nationale de la France d’Outremer – un avatar de l’ENA qui n’existait pas encore.

Le petit Guy est orphelin très tôt, d’un père inconnu et d’une mère morte de la tuberculose à Paris, qui l’avait confié à sa grand-mère. Celle-ci l’a élevé à la ferme, une masure d’une seule pièce avec une cave aux brebis et un grenier à foin très bas, dans un hameau près de La Roque-Gageac en Dordogne. Le gamin vivait en sabots, vêtu de hardes rapiécées, mais il a été heureux. Sa grand-mère, avant son AVC lorsqu’il avait 12 ans, lui racontait les dictons du terroir, le diable et ses suppôts, les loups-garous, les sorciers. Elle était moqueuse et affublait les gens de sobriquets. Elle était chrétienne mais pas bigote, gardant de la païennerie campagnarde de région loin de tout. Lui apprenait de tout, à garder les oies et les brebis, à faire les foins et émonder la vigne.

Guy a été confié au curé dès six ans pour être enfant de chœur, mais c’est surtout son jeune instituteur IIIe République qui l’a poussé aux études, observant sa curiosité et sa vive intelligence. Guy Georgy, sorti de rien, est un parfait exemple de la méritocratie républicaine, à l’égal de Pompidou ou de Camus entre autres. Cette méritocratie est aujourd’hui en panne parce que la République ne croit plus en elle-même, saisie de doutes sur l’éducation des enfants (le pédagogisme), de culpabilité post-coloniale (le woke) et de métissage culturel accéléré (un tiers de la croissance démographique en France est désormais le fait d’enfants d’immigrés).

L’instituteur – celui qui fonde la connaissance – ne prétendait pas au titre ronflant de « professeur » des écoles – celui qui se croit spécialiste d’un savoir. Il avait pour tâche d’administrer la classe et d’intéresser les élèves aux curiosités de la culture : lire, écrire, compter, connaître. Il était plus concret qu’intello, créant par exemple au mur une affiche de mots croisés sur les dates historiques avec, à la rencontre des lignes et des colonnes figurant une date, le nom à retenir (ex. 15 en ligne et 15 en colonne = Marignan). Ou encore en instituant une correspondance hebdomadaire entre les élèves de deux écoles primaires appariés, leur faisant raconter le livre qu’ils étudiaient en cours – ce qui les incitait à lire, leur faisait comprendre en expliquant, les obligeait à écrire et à se faire comprendre correctement. Tout ce que les profs d’aujourd’hui ont délaissé : la lecture, la grammaire, l’orthographe, l’expression.

L’enfant s’éveille à la lecture et celle-ci compense, une fois au collège (obtenu grâce au concours des bourses), la relative solitude d’avoir quitté son terroir et ses copains des bois et des champs. Lire individualise, loin du collectif et de ses pressions. Le lecteur s’identifie aux personnages et vit avec eux des aventures. La multiplicité de ces expériences incite à penser par soi-même, à évaluer les situations, à découvrir des personnalités bien loin de celles qui vous entourent. A l’inverse, l’image et l’émotion omniprésentes sur les réseaux sociaux, où les textes sont remplacés par des émoticons, des onomatopées, voire des injures, désindividualisent. Ils resocialisent en bandes organisées d’entre-soi inconnus, conduisant à des comportements de foule sans plus aucune raison.

Au collège de Sarlat, la vie collective n’est pas facile, faute d’argent pour se payer le cinéma ou le petit train du retour le week-end, et le foot en sabots n’est pas fameux… Mais le jeune Guy est adaptable et convivial, il s’y fait et aime l’étude. Dès sa troisième accomplie, il est même sollicité pour donner des cours particuliers durant les vacances aux enfants d’une famille bourgeoise qui le paye bien. Une fois ses deux bacs et poche, il prépare le concours difficile de l’École nationale de la France d’Outremer, et sa mémoire affinée par les années scolaires lui permet de réussir. Il avait rêvé de l’Oubangui-Chari et d’exotisme depuis qu’il avait lu à 12 ans un mauvais roman d’aventures pour adultes.

Un beau livre de réussite sociale à donner en exemple à ceux qui se plaignent toujours d’être « victimes » – de bâtardise, de discriminations sociales, de matières trop « difficiles », de moyens, de profs pas assez exigeants… En bref : qui rejettent sur les autres, la société, le machisme, l’histoire coloniale leurs propres insuffisances et leur paresse.

Guy Georgy, La folle avoine, J’ai lu 1993, 317 pages, occasion €1,17, e-book Kindle €7,99

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L’argent de Marcel L’Herbier

Chef d’œuvre du muet, ce pourquoi le film est long, allongé des tableaux de texte, Marcel L’Herbier revisite le roman de Zola (chroniqué sur ce blog) publié en 1891 dans les années 20. Le spectateur d’aujourd’hui peut voir s’animer le grouillement des traders de l’époque, petits spéculateurs, au palais Brongniart, le temple de la Bourse de Paris. La corbeille est au centre, réservée aux agents de change en charge (un office comme celui des notaires à l’époque), comme un vortex qui fascine et absorbe l’argent investi sur de petits papiers. Un travelling tourbillonnant et plongeant de caméra donne d’ailleurs cet effet étourdissant au spectateur.

L’histoire est modernisée et simplifiée, cinéma oblige. Jacques Hamelin (Henry Victor) est un pionnier de l’aviation plus intéressé par la technique et l’aventure que par l’argent. Ce n’est pas le cas de sa femme Line (Marie Glory), une dépensière qui a accumulé les dettes et les cache à son mari. Son ami journaliste, Huret (Jules Berry), propose à Jacques de rencontrer le financier Nicolas Saccard (Pierre Alcover), président de la Banque Universelle, qui adore investir dans des projets spéculatifs. Hamelin peut joindre la Guyane française dans le nouvel avion qu’il a conçu avec un nouveau carburant et assure que les terrains là-bas, sur lesquels il a pris une option, regorgent de pétrole et autres minerais. Saccard est gros et riche, il paraît opulent mais il est, comme d’habitude, au bord de la ruine. Il voit dans le projet Hamelin l’occasion de se refaire.

Un banquier concurrent lui en veut particulièrement, Alphonse Gunderman (Alfred Abel), dont le nom évoque chez L’Herbier la banque protestante, parée de vertu et opposée à la banque spéculative catholique (en France). Saccard rencontre Gunderman pour s’assurer de sa neutralité mais l’autre trouve immoral l’argent non fondé sur des actifs tangibles et refuse. Mais Saccard, finaud, fait du storytelling. Il laisse croire qu’il est au mieux avec Guderman et que celui-ci va le soutenir, juste pour que ses actions jusqu’ici en baisse sur des rumeurs de faillite, puissent remonter. Ce qui lui permet d’empocher un prêt supplémentaire d’une banque de Bordeaux qui l’avait refusé récemment.

L’annonce de l’opération exploitation pétrolière en Guyane avec un héros de l’aviation en tête de gondole comme vice-président est l’occasion d’une belle publicité – et l’augmentation de capital auprès des petits et gros actionnaires est un succès. Même Gunderman investit – non sans arrières-pensées : « il stocke des munitions », dit un courtier avisé. Il fait acheter par Londres, New York, Berlin, Amsterdam, Tokyo pour que cela se voie moins ; il fera vendre de même lorsque le moment sera venu de sonner l’hallali, ce qui fera croire que les analystes boursiers du monde entier sont d’accord pour évaluer la Banque Universelle. Saccard ne s’arrête pas là.

Il complote avec son secrétaire particulier Mazaud (Antonin Artaud lui-même) pour manipuler l’information. Le vol transatlantique de Hamelin est un succès, Radio Paris annonce son atterrissage en Guyane – hausse des actions Saccard, ventes partielles des courtiers Saccard. Puis Tokyo annonce que son avion a été vu à l’est de certaines îles proches, piquant en flamme dans l’océan – chute des actions Saccard, rachats partiels des courtiers Saccard sur la nouvelle, en-dessous d’un certain prix. Dans un télégramme codé, le secrétaire particulier annonce cependant à son patron que les colis sont bien livrés, donc que l’aviateur a pleinement réussi. Lorsque la nouvelle est officielle, confirmée par un télégramme de Jacques à sa femme Line, les actions Saccard remontent, engendrant une belle plus-value.

C’est évidemment faire peu de cas des sentiments de Line. Effrayée par l’aventure de son mari, elle le supplie de ne plus partir mettre sa vie en danger dans les airs, surtout qu’il est sujet à des pertes de vision. Saccard, pour obtenir qu’il devienne vice-président alors que Jacques le refuse, fait croire à sa femme que ce poste le maintiendra à Paris. Elle s’aperçoit que c’est faux parce que Jacques pose une seule condition : continuer à être aviateur et voler. Les adieux sont hystériques (et interminables, ce qui est lassant). A la nouvelle que l’avion s’est écrasé, Line est effondrée et va au grand bureau de Saccard pour se suicider au pistolet sous ses yeux. Le gros banquier jongle avec les téléphones, dans un fouillis de tableaux et de fils qui vont perdurer d’ailleurs à Paris jusque dans les années 1990 à la Bourse ! Il réussit à l’empêcher d’appuyer sur la détente et lui livre le télégramme du succès.

Il la désire depuis le premier jour mais les affaires avant tout. Ce n’est qu’ensuite, lorsque le succès est assuré, qu’il va manipuler la jeune femme écervelée et panier percé, en lui trouvent un grand appartement, un bracelet de 125 000 francs, un carnet de chèques – avec procuration de son mari, signée en Guyane sans le savoir par Jacques auprès du secrétaire parmi d’autres papiers, dont les bilans de la société. Saccard les tient. Line claque 300 000 francs en quelques semaines et si elle ne lui cède pas, il fera opposition à ses chèques, ce sera la ruine, la correctionnelle, la honte sociale et personnelle.

C’est la baronne Sandorf (Brigitte Helm), une femme cupide et stupide, adonnée au jeu, ancienne maîtresse de Saccard et qui veut se venger de lui en rapportant des rumeurs sur le précaire équilibre financier de la Banque Universelle et les malversations qu’y aurait commises Saccard, qui convainc Line de porter plainte en justice, ce qui est le droit de tout actionnaire. Elle évitera ainsi de céder au chantage sexuel que la baronne a perçu à la soirée organisée par le banquier. Line liquide les actions de la Banque Universelle, porte l’affaire en justice et Saccard est arrêté, de même que Jacques Hamelin en tant que vice-président de la société lorsqu’il revient toucher le sol français depuis un paquebot, puis un transport aérien de Bordeaux au Bourget. Sa santé s’est dégradée sous le climat tropical guyanais et il n’y voit plus guère. Au procès, il est cependant acquitté pour avoir été dupé et est acclamé en tant que héros national, tandis que Saccard écope de six mois de prison pour faux bilans. Ce n’est pas cher payé mais il est vrai qu’il n’a tué ni violé personne. Son affaire s’écroule et Gunderman, en banquier avisé, s’empresse de reprendre l’idée de Jacques et les terrains vendus à la faillite, tout en récupérant le héros dans sa propre affaire pour qu’il la développe sans spéculation.

Incorrigible joueur et bateleur de vent, Saccard emprisonné parle d’une prochaine affaire dont il a eu l’idée au gardien, lequel se demande s’il ne serait finalement pas intéressé… Tout le film est une charge contre l’ARGENT. Il achète tout, il rend goujat, il corrompt. L’argent est une malédiction diabolique qui métamorphose les gens en féroces prédateurs, égoïstes et cupides, avides d’assouvir leur pouvoir et leur sexualité, perdant toute raison. D’où l’association de l’argent (l’avarice, l’usure, la banque impitoyable, le capitalisme) aux Juifs par Zola en son temps. Marcel L’Herbier a peut-être voulu casser le code en faisant de Gunderman, dont le nom peut être protestant alsacien plutôt que juif (Zola en avait fait un Juif), un banquier non spéculatif, plus intéressé par l’investissement en actifs productifs que par des gains sur allers et retours boursiers. Saccard y succombe, ce qui le rend humain malgré son gros ventre content de lui et ses lèvres pulpeuses lorsqu’il lorgne les bas gainés de soie de la jeune Line. L’envoûtement du spectateur est là : l’argent fascine, il permet tout, est cause de tout, peut donner la gloire et la richesse comme la ruine et la honte. Quiconque se soumet à l’argent entre en tragédie.

Le noir et blanc 1928 et les expressions outrées des acteurs et actrices du muet accentuent ce côté théâtral. La Méchain (Yvette Guilbert) tout en noir, qui rachète au plus bas prix uniquement les actions en quasi faillite, est une Cassandre qui apparaît aux bons moments, telle un vautour. Même le petit groom de 12 ans en uniforme à boutons dorés (Jimmy Gaillard) qui porte les plis au gros banquier Saccard, a son rôle de messager du destin.

DVD L’argent, Marcel L’Herbier, 1928, avec Pierre Alcover, Brigitte Helm, Marie Glory, Yvette Guilbert, Alfred Abel, Carlotta Films 2088, 2h24, €13,26

ou Blu-ray Lobster Films 2019 €21,25

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11-Septembre Vingt ans après

Les moins de 20 ans ne savent pas quel monde alors a été perdu.

Le 11 septembre 2001 entre 8 h 14 et 10 h 03, dix-neuf terroristes armés de couteaux à lame rétractable détournent quatre avions de ligne et commettent attentats-suicides islamistes.  2 977 personnes sont tuées dont 310 étrangers (4 Français) à New York, Washington, Arlington et Shanksville, lieux symboliques des États-Unis. Les tours jumelles du World Trade Center à Manhattan s’effondrent. Ces attentats sont revendiqués par Al-Qaïda dans une vidéo diffusé le 17 avril 2002 par la chaîne de télévision arabe MBC, puis à plusieurs reprises par le saoudien Oussama ben Laden, qui sera tué au Pakistan par un commando américain le 2 mai 2011.

C’est la stupeur parmi les dirigeants, les militaires et la population. À 12 h 15, plus aucun vol commercial ou privé ne survole les États-Unis. À 13 h 04, George W. Bush met l’armée américaine en alerte et déclenche le FPCON DELTA, le plus haut niveau d’alerte terroriste. La bourse reste fermée jusqu’au 17 septembre et perd autour de 15%.

Depuis cette date, les Américains sont devenus « fous ».

Ils sont désormais paranoïaques, croyant que tout le monde leur en veut. Tout comme les islamistes, ils ont cristallisé une série de règles et d’interdits qui les rend introvertis, voire xénophobes. Les stratèges ont cru pouvoir jouer impunément avec le feu mais, avec la courte-vue habituelle aux Yankees les yeux sur la bourse, ils n’ont aidé les islamistes pour contrer le communisme que pour mieux les voir, désormais armés par leurs soins, se retourner contre eux. Car communistes ou capitalistes, tous sont des mécréants aux yeux fanatisés des musulmans ; tous sont à dominer ou à tuer car impurs aux yeux de Dieu.

Si Ben Laden réside alors en Afghanistan, sous la protection des Talibans, aucun Afghan n’est parmi les terroristes. Au contraire, ce sont en majorité des Saoudiens, un Égyptien, un Émirati et un Libanais. La responsabilité écrasante de certains Saoudiens est attestée par les enquêtes du FBI et les révélations des terroristes arrêtés ultérieurement. Le consulat saoudien à Los Angeles est notamment pointé du doigt ainsi que l’ambassade d’Arabie Saoudite à Washington et de riches Saoudiens de Sarasota en Floride. Ils savent qu’il y aura impunité faute de preuves directes et ces croyants islamistes ont continué à soutenir Al-Qaïda, puis Daech. En juillet 2016, le Congrès des États-Unis a publié un document de 28 pages crédibilisant les accusations de Zacarias Moussaoui, qualifié de « dérangé » par l’Arabie saoudite. D’autre part, les Saoudiens sont ses principaux actionnaires la banque Al-Taqwa par le biais de la banque privée saoudienne Dar al-Mal al-Islami, connue pour ses sympathies islamistes. Les plaintes concernant l’Arabie saoudite ont été déboutées en 2005, le juge responsable arguant que les supposées activités illégales de l’Arabie saoudite relevaient de son « pouvoir souverain » et lui conférait l’immunité. En mai 2020 encore, le FBI révèle par inadvertance l’identité d’un responsable de l’ambassade saoudienne à Washington soupçonné d’avoir fourni un soutien crucial à deux des pirates de l’air.

Mais l’Arabie Saoudite a-t-elle été inquiétée comme l’Afghanistan (envahi) et l’Irak (envahi) l’ont été ? Pas le moins du monde. Tout juste peut-on dire que les relations se sont un peu « rafraîchies », un charter en urgence ayant réexpédié en Arabie les membres des hautes familles dans les jours qui ont suivis le 11 septembre. Les riches Saoudiens, Emiratis, Qataris, Libanais, et tant d’autres, continuent à financer l’aide aux élèves en religion, qu’ils soient pacifiques, sous couvert humanitaire, nationalistes guerriers ou terroristes. Financer la foi, pas les actes, permet de se dédouaner la conscience à bon compte : telle est la charité, la zakât (aumône légale) qui est l’un des cinq piliers de l’islam. L’opinion américaine a été soigneusement tenue à l’écart de « mal » penser des « alliés » saoudiens contre l’Iran et des détenteurs des principales réserves de pétrole.

Au contraire, « on » a laissé fleurir les théories du Complot pour détourner les esprits des vraies causes du 11-Septembre…

Car la sécurité aux Etats-Unis est très dense mais très bureaucratisée, la rendant jusqu’ici peu efficace. Tout est mis sur le numérique… mais les pirates de l’air ont usé des bonnes vieilles cabines téléphoniques, de portables prépayés, des financements à crédit en plusieurs fois, et du transfert direct de liquide par des réseaux humains. Rien ne vaut l’enquête de terrain, mais les agences de renseignements préfèrent les gros budgets en matériel. C’est ainsi qu’ils ont failli rater Ben Laden, pourtant sous leurs yeux, dans une maison située entre deux régiments de l’armée pakistanaise. Quant aux avions, la porte de la cabine de pilotage n’était même pas sécurisée et la déclaration de piratage très longue à être envoyée.

Pour faire comme si tout cela n’était rien, l’implication saoudienne et la sécurité minable, le président Bush a décidé l’invasion de l’Afghanistan, désigné comme le siège opérationnel d’Al-Qaïda, dès octobre 2001 puis, dans la foulée du succès rapide, l’invasion de l’Irak et le renversement du régime de Saddam Hussein en 2003 au prétexte d’armes de destruction massive dans le pays (jamais trouvées).

Il en a profité aussi pour recentraliser la sécurité intérieure des Etats-Unis par deux lois qui restreignent nettement les libertés. L’USA Patriot Act voté le 26 octobre 2001, qui permet au FBI de pouvoir sans justification espionner les associations politiques et religieuses, de perquisitionner et saisir les documents et effets possédés par des citoyens, de pouvoir faire emprisonner quiconque, y compris des citoyens, indéfiniment et sans procès, sans qu’elles soient accusées, ni qu’elles puissent être confrontées à celles qui auraient déposé contre elles. Le Homeland Security Act, voté le 25 novembre 2002, crée le département de la Sécurité intérieure des États-Unis et permet l’accès par l’administration à des fichiers constitués par des firmes privées sur des citoyens en contournant la protection donnée par le IVe amendement. Si votre compte Facebook (et messagerie What’s app), Micorsoft (le Cloud) ou Google (gmail) est sous la loi d’un état américain, le FBI peut avoir accès à toutes vos données qui y transitent, sans que ni vous, ni la France, ni l’Europe, ne puissent s’y opposer ! Enfin le Military Commission Act, signé le 18 octobre 2006 par le président Bush, abroge avec effet rétroactif le droit des personnes jusqu’alors reconnu dans les traités internationaux signés par les États-Unis, et définit les « combattants illégaux » qui peuvent être traités selon les lois de la guerre.

Vingt ans après, les acteurs ont vieilli, ont-ils appris ?

Rien n’est moins sûr : les attentats de l’aéroport de Kaboul surveillé par les Talibans mais commis par une branche dissidente déjà connue pour son fanatisme – et toujours installée en Afghanistan même – montre que le foyer du terrorisme sunnite est loin d’être éteint. Le jeu de faux cul du Pakistan et de l’Arabie Saoudite, alliés par devant et traîtres par derrière, continuent d’être minimisé ou ignoré. La sécurité américaine est toujours plus intense, traquant toujours plus de données, sans qu’on en voie vraiment les effets concrets. Et la politique internationale, toujours aussi foutraque et arrogante, surtout à l’ère Trump, n’a en rien réconcilié l’Amérique avec le reste du monde. Alors, paranoïaques les Yankees ? Ils ont peut-être de plus en plus de raison de l’être.

Le 11-Septembre sur ce blog :

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Jules Vallès, L’argent

Jules Vallès, né en 1832, est surtout connu pour ses œuvres majeures d’après la Commune de Paris, L’Enfant, Le Bachelier, L’Insurgé, où il raconte au travers du personnage de Jacques Vingtras sa vie, son milieu et son époque. Mais avant que l’Histoire n’ait rencontré son talent, sa première publication fut consacrée à la littérature… sous le titre de L’argent. Lire Vallès pour les 150 ans de la Commune, est une bonne introduction mais la Pléiade publie deux tomes de Vallès : le premier avant 1870, le second après.

Dans L’argent, il s’agit, au travers de la bourse et de la spéculation, de condamner dans un pamphlet persiffleur la littérature « morale » de son temps. Si l’on ne veut pas être rejeté par son temps, il faut être de son temps. Or, le temps du Second empire est celui de la bourgeoisie, dont le seul intérêt et le seul passe-temps est l’argent. D’où le titre, d’où l’œuvre. Comment en faire plus, comment connaitre les acteurs, comment pénétrer dans les coulisses ? L’auteur livre les clés.

L’artiste ne doit plus être romantiquement pauvre et bohème, vivant affamé en habits râpés dans les soupentes, criblé de dettes envers son logeur – comme Jules Vallès l’a connu. L’artiste dans le monde doit s’intéresser au monde, à son monde. Sans argent, pas de littérature et c’est l’argent qui juge la littérature, ceux qui font l’opinion sont riches et ont le temps de lire, pas les pauvres qui se contentent des journaux et des feuilletons (avant aujourd’hui la télé et les séries). Jules Vallès, auvergnat monté à Paris après avoir enfin réussi son bac après trois échecs pour commencer son droit qu’il ne finira jamais, est un aigri. Il a voulu devenir écrivain, il n’est que journaliste. Il se venge. Le ressentiment social est un puissant ressort de la littérature, notamment pamphlétaire (voyez Céline). La Commune lui promettra des lendemains qui chantent mais il déchantera devant la répression, les Prussiens et la réaction provinciale. Mais nous ne sommes encore qu’en 1857, en plein Empire prospère et quinze ans avant la défaite ignominieuse, l’occupation (déjà…), et la révolte parisienne. Jules Vallès veut exister et son pamphlet littéraire sur l’argent le rend célèbre.

Ce n’est pas une grande œuvre, l’auteur a recopié la partie technique sur ses prédécesseurs, dont le Manuel du spéculateur à la bourse de Pierre-Joseph Proudhon,mais il impose un style. Plus de pauvre romantique, pur et innocente victime de la méchanceté sociale, plus de misérabilisme à la Cosette ni de moralisme à la Dumas fils. Vallès rend hommage à la spéculation et distingue « les habiles » des « moutons ». La bourse est un théâtre où chaque personnage tient son rôle, des agents de change aux coulissiers en passant par les commis, des grands banquiers qui brassent des millions aux petits vieux qui viennent miser leurs économies. Vallès y met le diable au corps, « attache un pétard à la queue du chapitre », parsème « d’adjectifs écarlates » le manuel pour faire de l’argent, y « fourre des accents d’insurgé », dira-t-il (Le candidat des pauvres, 1880, cité p.1162).

Si le livre est dédié au millionnaire français juif Mirès (1809-1871), ce n’est pas par antisémitisme comme l’époque en était infestée (et Proudhon le premier), mais par une certaine admiration pour l’habileté et pour l’industrie. Voltaire comme Beaumarchais furent des spéculateurs dans le joyeux XVIIIe siècle. Pourquoi pas aujourd’hui ? Rousseau ne fut méchant que par pauvreté, nous dit Vallès, tant pis pour lui. « Mieux vaut être un bon boursier qu’un méchant écrivain », va-t-il jusqu’à écrire (p.10 Pléiade).

C’est du second degré, le cri d’un écorché qui a raté sa poésie, son théâtre et sa littérature ; qui a raté l’éphémère révolution de 1848 parce que le peuple n’a pas suivi, votant massivement pour Napoléon le Petit ; qui a raté ses études et n’a pas su rester dans un métier. Vallès n’est pas spéculateur, il ne sera jamais riche, mais sa dérision à vanter la spéculation et la richesse imposent un ton hardi, une force bien loin des jérémiades humanistes (dont nos « droit de l’Homme » sont l’héritier et la mode victimaire le dernier avatar). Vallès est tout négation, ressentiment majuscule, il est enfin lui-même, réconcilié avec sa nature. Il a mis le pied dans la porte, comme on apprend aujourd’hui en formation de vente ; il est reconnu comme journaliste incendiaire, on lui confie de la copie. Le lecteur peut ne pas aimer l’homme ni sa vie, il est une force littéraire.

Jules Vallès, L’argent, éditions Paléo 2014, édition de 1857, préparée et préfacée par François Marotin 212 pages, €25.00

Jules Vallès, Œuvres tome 1, Gallimard Pléiade 1975, 1856 pages, €68.00

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Le pire du meilleur des mondes

La révolution numérique en est à l’aube de ses effets et nous n’en sommes pas vraiment conscients. Ma génération, née au milieu du siècle dernier, en tout cas avant mai 1968, a été éduquée dans l’ancien monde, celui du libéralisme politique des Révolutions, de la hollandaise à la française en passant par l’anglaise et l’américaine. Enfant, je n’avais pas la télé, à peine le téléphone – et il était à manivelle, appelant une « Mademoiselle » pour obtenir le 5 à tel endroit. Et chaque orage déclenchait des coupures d’électricité. Ce monde-là n’est plus et « le 22 à Asnières » nous parait ridicule à l’ère des smartphones et de l’Internet.

Lorsque je disais récemment à mes étudiants de 20 ans que j’ai connu ma première télé à l’âge de 12 ans, mon premier ordinateur « portable » (7 kg quand même) à 27 ans, mon premier téléphone mobile à 43 ans – ils en tombaient des nues. J’étais pourtant parmi les premiers employés à coder et entrer des données au Laboratoire de recherche des Musées de France au Louvre à la fin des années 1970 et parmi les premiers étudiants à utiliser l’informatique pour une maîtrise en archéologie préhistorique au début des années 1980 (sur cartes perforées traitées par l’ordinateur central de l’Université de Paris 1). Le premier en tout cas à l’une des deux plus grosses banques d’affaires internationales française à demander un PC personnel et non pas « une secrétaire » dactylo. Un mien collègue de quinze ans plus âgé n’utilisait l’informatique de Reuters que pour obtenir un cours de bourse : il allumait l’ordinateur uniquement pour cela et l’éteignait après ! La gestion boursière était restée celle du XIXe, fondée sur le « jugement » intuitif. C’était au début des années 1990…

Depuis, tout a changé, tout a été bouleversé : Google, Facebook, Amazon, Twitter, e-Bay, Cdiscount, les applis et les podcasts, la radio et la télé sur smartphone (dans les zones bien desservies par les ondes, ce qui n’est pas encore si fréquent), les modèles, les algorithmes et le traitement massif des données. Notre monde est en train de changer, Homo Sapiens Sapiens devient autre. Déjà l’écrit avait remplacé l’oral et Platon s’en plaignait car les relations étaient mises à distance ; puis l’imprimerie avait diffusé l’écrit à chacun (qui savait lire, quand même) et les clercs et les juristes s’en plaignaient, jusque-là médiateurs privilégiés ; puis la radio et la télé avaient diffusé les œuvres d’art dans tous les foyers, éduquant et polémiquant, faisant lire et aller au cinéma ou au théâtre plus qu’avant – et plus que l’institution scolaire, et les profs s’en plaignaient, « le niveau baisse » disent-ils depuis cinquante ans. Mais l’Internet et les smartphones, là, c’est autre chose.

Nous entrons dans un nouvel ordre total qui est moins humain qu’hier les idéologies d’Etat et avant-hier les religions. L’ordre du calculable, du procédurier, de la donnée, de l’algorithme. Le sujet s’évanouit dans le comput, le contenu dans le véhicule technique, la cause dans la corrélation, l’inventivité de la pensée dans l’automatique de la méthode. Il ne s’agit plus de penser par soi-même mais « d’être d’accord » avec sa bande politique, son groupe Facebook, ceux qui pensent comme vous. Il ne s’agit plus de s’épanouir mais d’être conforme, au risque de l’exil social et de « la honte » devant les pairs. Il ne s’agit plus de chercher le neuf mais de « découvrir » ce qui est déjà là, caché dans la masse des nombres traitée par les procédures de calcul : l’intuition du génie recule au profit du « mining » laborieux, l’hypothèse ne fait plus recette mais l’essai et erreur systématique est testé, à l’infini, jusqu’à ce que ça « matche » comme on dit en globish. L’inventeur n’invente plus rien, « il » est une équipe anonyme de tâcherons dont la découverte a lieu au hasard des grands nombres.

D’où le nivellement mondialisé de la culture, le langage standard appauvri de la traduction automatique, le style réduit de la procédure universelle, la pensée unique ou son contraire absolu : la paranoïa du Complot planétaire permanent. La révolution numérique est anthropologique et les générations suivantes divorceront rapidement de la nôtre, qui est encore dans l’entre-deux. Déjà mes étudiants en finance, farcis de programmation, de codage et d’algorithmes ne savent plus prendre la hauteur de vue d’une stratégie boursière, déjà ils se contentent de suivre le marché et de jouer non des tendances mais de simples écarts, déjà le trading à haute fréquence remplace la gestion et le modèle la décision. Nous serons inaudibles dans un demi-siècle, alors que nous parlent encore Villon le médiéval, Montaigne le renaissant ou Rousseau le prérévolutionnaire.

Le monde va devenir incontestablement plus efficace : le meilleur des mondes. Mais il sera pauvre en humanité, un pauvre monde. Quand la mise en relations compte plus que la qualité des personnes, nous avons à mes yeux le pire du meilleur des mondes.

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Faut-il revenir en bourse maintenant ?

Pas encore. Certes, deux excellentes nouvelles pour l’humanité sont tombées récemment : la mise au point de vaccins semble-t-il efficaces contre le Covid ainsi que le début de la vaccination imminente – et le licenciement pour incompétence de Donald Trump par une majorité des grands électeurs. Deux hypothèques handicapantes sont levées sur le futur économique et géopolitique de la planète.

L’or ne s’y est pas trompé qui baisse ainsi que l’indice de volatilité VIX (appelé indice de la peur), tandis que le pétrole remonte. Tout va mieux, mais pas dans le meilleur des mondes.

Si la Chine va mieux ainsi que les commandes industrielles allemandes, le plan de relance au Congrès américain stagne tandis que le Brexit se profile. L’OCDE prévoit de retrouver le niveau d’avant crise seulement à la fin 2022, après deux ans de pertes de production intérieure brute (PIB) donc de niveau de vie. La Banque centrale européenne, dans un scénario extrême où une troisième vague du virus surviendrait avec une vaccination ralentie pour diverses raisons, le PIB de la zone euro serait encore de 14% inférieur à la fin 2022 à ce qu’il était fin 2019, avec un chômage de 12% de la population active et des taux d’emprunt d’Etat qui se tendraient en raison de craintes que la dette, de plus en plus creusée, ferait courir aux remboursements. Les banques connaitraient des risques de crédits non payés en hausse de 20% et devraient couper dans leur financement de l’économie, accentuant l’asphyxie de l’activité…

Ce n’est qu’un scénario extrême, qui ne devrait pas se produire mais qui donne le ton : tout ne va pas repartir comme si de rien n’était.

Faut-il craindre le pire et acheter aujourd’hui de l’or ? Ce n’est pas le meilleur moment. Le cours du lingot a longtemps stagné entre 1200 et 1400 $ l’once en gros, entre la mi-2013 et la mi-2019 avant de s’envoler en mai jusqu’à atteindre en août 1986 $ l’once. Il est retombé à 1780 $ début novembre avant de repartir à la hausse avec la comédie de Trump sur le résultat des élections. Proche des plus hauts, est-ce le moment d’acheter ? Ce serait déraisonnable : l’or, placement refuge en cas de crise grave, ne doit être acheté que lorsque tout va bien et que les craintes sont au plus bas – quand personne n’en veut. C’est au contraire quand la crise survient que l’on doit revendre – ce qui est contre-intuitif mais génère le plus gros bénéfice.

Faut-il espérer le meilleur et acheter des actions ? Peut-être, bien que ce soit un peu tôt encore à mon avis, au vu des graphiques boursiers. Si l’indice CAC 40 n’a rien foutu entre 2014 et 2019 (5 ans !) resté coincé entre 5100 et 5500 à peu près, il s’est envolé à presque 6000 à partir de l’été jusqu’au 31 décembre 2019 avant de s’écrouler en mars 2020 à 4400 environ. Peut-être a-t-il réalisé le fameux double-creux de fin de crise (à court terme) début octobre un peu en-deçà de 4600, mais sa hausse brutale de novembre me paraît un mouvement d’émotion du aux deux bonnes nouvelles citées plus haut. C’est oublier la vague des faillites et du chômage probable dès la fin 2021, lorsque les aides d’Etat s’allègeront progressivement, plus les conséquences mal prévues encore du Brexit. De plus, l’indice CAC 40 est-il représentatif de l’économie française ? Les six premières valeurs sont LVMH, L’Oréal, Sanofi, Total et Hermès… pas vraiment la France de tous les jours ni les produits achetés par la classe moyenne ou populaire – mais plutôt la vitrine internationale, impactée par le confinement des gens (y compris riches) et la contrainte sur les échanges.

Mieux vaut regarder un indice plus large, leader des bourses internationales : le Standard & Poor’s américain. Depuis 2012 au moins, il n’a cessé de monter régulièrement, avec deux creux vers 2500 en décembre 2018 et en mars 2020. Mais il était à 1130 en 2011 et se trouve au plus haut vers 3600 aujourd’hui – d’où l’intérêt des placements à long terme et non pas du trading fébrile. Les actions technologiques, très sensibles aux variations des taux d’intérêt en raison de leur valorisation élevée, sont fragiles et pourraient engendrer une correction sur toute mauvaise nouvelle provenant de l’économie, que ce soit le plan de relance gouvernemental aux Etats-Unis, le Brexit ou les éventuels ratés des vaccinations.

Les taux, au plus bas et même négatifs pour les emprunts des Etats les plus solvables, ne rapportent rien au particulier, en témoignent les rendements des contrats d’assurance-vie « en euros » ou la rémunération des livrets. Dans ce contexte, il est intéressant de basculer vers des « unités de compte » (en actions, obligations, SCPI, le tout géré) car une assurance-vie est prévue pour 5 ans et plus ; les fluctuations des marchés internationaux sont lissées avec le temps et progressent en moyenne avec la progression de l’économie (voyez le SP 500 cité plus haut).

Si vous voulez garder de l’épargne liquide, le Livret A reste le placement le plus intéressant malgré son taux de rémunération ridicule (0.5% qui risque d’être abaissé dans quelques mois). Il permet en effet de provisionner sans aucun risque (garantie d’Etat) des dépenses imprévues telles que périodes de chômage, voiture ou frigo à remplacer, santé. Le surplus peut être placé sans vraiment de risques (garantie des dépôts bancaires jusqu’à 100 000 € par compte et par établissement par le fonds de garanties bancaires) en Plan d’épargne-logement (PEL). Vous pouvez compléter celui que vous avez déjà par un apport exceptionnel (jusqu’au plafond de 61 200 € moins les versements obligatoires réguliers au minimum de 45€ par mois – un calcul à faire par votre banquier en quelques secondes avec son logiciel). Le placement est liquide à tout moment mais donne tous ses droits après 4 ans (vous n’êtes pas obligé de prendre un prêt). Il rapporte quand même 1% par an pour les PEL actuels (deux fois le Livret A garanti sur la durée du Plan) mais 2% pour les PEL ouverts avant janvier 2016 et même 2.5% s’ils sont ouverts avant février 2015. Vous pouvez garder un PEL 10 ans, voire quelques années de plus. Les intérêts sont fiscalisés à votre tranche marginale d’imposition ou forfaitairement à 30%.

Evitez toutes les offres alléchantes du marketing de petites mains qui vous proposent des fonds investis dans du non-coté, dans des cryptomonnaies, dans le crowdfunding (financement de « pépites » à regarder éclore… ou non). Investir est un métier ; si ce n’est pas le vôtre, restez sur les produits connus.

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Le V n’est pas encore un W en bourse

J’écrivais en mars que la bourse est une chambre d’échos des opinions sur le futur économique. Mais aussi que la crise du coronavirus est inédite et qu’il faudra du temps pour que tous les acteurs s’y adaptent et fassent le nécessaire. Nous sommes aujourd’hui au milieu du gué : le plus gros de la pandémie est passé (le choc initial) mais les conséquences commencent seulement à apparaître (remise en cause de certaines industries, désorganisation de la chaîne de valeur mondiale, frilosité durable de la demande, chômage…). Le V marqué par le rebond des PIB de mai à août (moins en septembre) n’est qu’une réaction normale et presque « physique » : quand vous relâchez la pression sur un ballon, il reprend en partie sa forme.

Mais la suite est plus préoccupante. Si la bourse américaine semble avoir presque effacé la chute du printemps en raison des baisses d’impôts de Trump et des promesses électorales, les bourses européennes en sont loin.

L’effondrement du prix du pétrole (-41% sur le Brent depuis janvier) et le bond de l’or, valeur refuge, montrent que les économies ne sont pas sur le point de repartir « comme avant » et que les craintes demeurent. L’épargne est forte et tend à le rester, la consommation n’a pas rattrapé le temps perdu et reste circonspecte, les services, durement touchés par les mesures d’isolement social (les « gestes barrières », la quarantaine aux frontières, la fermeture des bars et des lieux de plaisir), ne « produisent » plus autant. Quant à l’industrie, elle dépend de la demande… qui est en berne. Un signe : l’inflation. Elle est négative dans la zone euro en septembre, -0.3%, à cause de la chute du prix de l’énergie ; seuls les produits alimentaires sont en positif.

L’indice CAC 40 est en baisse de 19% depuis le 1er janvier, sanctionnant une chute du PIB (le produit intérieur brut, mesure de la croissance) de -13.8% pour la France. Le pire s’est produit en Inde avec -25.2%, au Royaume-Uni brexiteur avec -20.4%, pour seulement -11.8% dans l’ensemble de la zone euro, -9.7% pour l’Allemagne, -9.1% pour les Etats-Unis et -3.2% pour la Corée du sud. Le rebond récent est mécanique mais pas durable. Car les incertitudes (cette bête noire des anticipations) sont fortes : outre la pandémie qui s’accélère et peut-être mute (plus contagieuse, moins létale ?), les élections américaines où le clown du déni s’est trouvé rattrapé par le virus qui est une vérité réelle et pas « alternative », le Brexit sans accord qui se profile, la guerre turco-russe via le Haut-Karabagh, sans parler du réchauffement climatique avec son cortège de tempêtes, de sécheresses et autres aléas d’automne. L’épargne de précaution est au plus haut, les actifs réels (immobilier, actions) sont en baisse et la demande ralentit. Parce que le chômage augmente inéluctablement.

Les mesures de soutien des gouvernements (chômage partiel, aide aux PME, soutien à l’activité via les plans de relance) plus celle des banques centrales (rachats d’actifs, taux durablement bas, objectif d’inflation revu) et la suspension des règles budgétaires (déficit et dette publique) sont encore cosmétiques. Elles masquent les bouleversements qui viennent, la chute brutale et longue des services, la recomposition de la production industrielle. La confiance n’est pas là et la négociation des plans de relance, tant en Europe à 27 qu’aux Etats-Unis écartelés en période d’élection, sera lente.

Les boursiers ne doivent donc pas se leurrer. La première patte du W a été atteinte durant l’aigu de la crise ; la seconde n’arrivera que lorsque toutes les mauvaises nouvelles seront anticipées. Pas avant le printemps prochain, à mon avis. Ce qui n’exclut pas des rebonds court terme, après le 4 novembre quand nous saurons le nom du prochain président des Etats-Unis, ou si la mise en place d’un vaccin grand public ou au moins d’un traitement efficace est trouvé. Les reconfinements partiels s’annoncent, la période du froid arrive, incitant les gens à se masser en lieux clos propices à la contagion. Avec une question : qu’y a-t-il après « l’état d’alerte maximale » désormais en vigueur à Paris et dans les grandes villes ? Le couvre-feu ? Le confinement total ? Le retour à l’âge des cavernes ? User de la peur pour faire grimper au rideau, en croyant que les gens vont obéir aux prescriptions médicales est un leurre : la peur engendre la peur, donc la méfiance généralisée, donc l’épargne de précaution et une consommation de base sans superflu. Une austérité peut-être « écologiste » mais en tout cas néfaste au rebond de la croissance et de la bourse.

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Le Casse du siècle d’Adam McKay

La crise économique mondiale de 2008, préparée par la spéculation américaine sur les prêts immobiliers irremboursables de 2007, est racontée de façon à la fois pédagogique et déjantée, à l’américaine. C’est instructif et biaisé, comme toujours dans les films yankees à la gloire des yankees. Déjà les attentats de 2001 avaient rendu paranoïaques les Etasuniens, en 2007 ils sont carrément devenus incontrôlables et, avec Trump, ils ne se sentent plus, trop contents d’eux et xénophobes. De bonnes raisons pour prendre de la distance avec ce peuple infantile et vaniteux, d’un égoïsme forcené, qui ne comprend que la loi du plus fort. J’ai longtemps travaillé avec des Américains, et longtemps sur la bourse en tant que gérant, analyste et stratège ; je les connais bien. Ce qu’ils sont devenus depuis vingt ans m’écœure. Ce film est une pierre noire supplémentaire à leur tombeau. Il est tiré du livre paru en 2010 d’un des leurs, Michael Lewis, The Big Short : Inside the Doomsday Machine (Le grand pari à la baisse : dans la machine à Jugement dernier).

Il tourne autour de quatre personnages qui, par esprit de contradiction et par tempérament pionnier, osent aller contre les conventions de leur milieu d’affaires et contre les valeurs établies. Le premier, dès 2005, est le docteur Michael Burry (Christian Bale), un gestionnaire de fonds spéculatif qui tient au titre de « docteur ». Outre qu’il l’a brillamment obtenu comme neurologue et que, comme le dieu Odin, il ne voit que d’un œil, il l’oppose à sa propre apparence « californienne » : pieds nus au bureau, voix qui bafouille et air planant du syndrome d’Asperger, tee-shirt bleu uniforme tous les jours. Il se gave à fond de heavy metal et semble ne pas écouter ses interlocuteurs. Mais il découvre que le marché de l’immobilier résidentiel américain est un château de cartes fondé sur des prêts sans garanties consentis à des acheteurs insolvables, souvent immigrés et parfois au chômage.

Le vendeur en salle de marché de la Deutsche Bank de New York Jared Vennett (Ryan Gosling), entend parler de Burry par un banquier qui s’en gausse et trouve qu’il y a au contraire à creuser : si tout le monde pense dans le même sens, faire fortune consiste à prendre le pari inverse – même si cela peut prendre un certain temps : le balancier des excès revient toujours dans l’autre sens.

Le hasard d’un coup de téléphone au mauvais numéro fait réfléchir le gestionnaire de hedge fund Mark Baum (Steve Carell), juif psychotique qui en veut à la terre entière et qui cherchait déjà des incohérences dans le Talmud étant enfant, au grand dam de son rabbin. Il est convaincu par Vennett de la probabilité non négligeable d’un retournement et va sur place observer la situation du marché immobilier subprimes (à risques plus élevés que la norme), celle des bénéficiaires des prêts, la spéculation d’une strip-teaseuse qui a acheté à crédit cinq maisons plus un appartements sans avoir le premier sou, et des courtiers prêteurs qui font du bonus sans se préoccuper de la suite.

Charlie Geller (John Magaro) et Jamie Shipley (Finn Wittrock), jeunes créateurs d’un fonds de placement de mprovince qui est passé de 110 000 à 30 millions de dollars en quelques années découvrent par le bouche à oreille la prise de position baissière des iconoclastes et y croient. Ils ne sont pas assez gros pour avoir accès au ISDA Master Agreement, une autorégulation de l’International Swaps and Derivatives Association visant à canaliser les contrats d’échanges privés en bourse. Ils demandent au trader repenti Ben Rickert (Brad Pitt) de les épauler ; ils ont fait sa connaissance en promenant le chien.

L’opinion générale en 2005-2007 est que l’immobilier reste un placement sûr et que les prêts seront toujours remboursés, même par voie judiciaire et saisie du bien. Sauf que non seulement le risque est grand en cas de retournement économique à cause des taux variables dont les mensualités sont fondées sur la valeur de la maison, mais les prêts à peu près solvables deviennent de plus en plus rares, incitant les courtiers à prêter à n’importe qui et les banques à revendre ces prêts à faible espoir de remboursement (subprimes) aussitôt sans contrôle. Cela par le tour de passe-passe de la titrisation hypothécaire Mortgage Backed Securities (MBS). Dès 2006 la rentabilité s’effrite et le taux de défaut augmente. Les mauvais crédits notés B sont mélangés à d’excellents crédits notés AAA par les agences de notation devenues sociétés de commerce et qui ont donc un intérêt financier à « bien » noter le titre final pour plaire à leur client. Pire, avec deux titres, les banques en créent un troisième qui contient une part de chacun des deux et est vendu comme « synthétique », les Collateralized Debt Obligations (CDO). L’effet de levier des bénéfices est enclenché… mais aussi celui des pertes éventuelles.

En bref, tous les acteurs du marché boursier obligataire américain ont intérêt à voir perdurer le système de spéculation : les emprunteurs ont enfin leur rêve de maison réalisé, les courtiers en prêts s’en mettent plein les poches en bonus, les banques refourguent à leur clientèle de fonds de pension et d’investissement les titres risqués enjolivés d’un joli ruban de notation pour lesquelles les agences touchent une grasse commission, la Fed (banque centrale) ou la SEC (qui surveille la bourse) n’y voient rien d’inquiétant ou d’illégal. Mais l’appât du gain aveugle ceux qu’il veut perdre et la finance comportementale (citée dans le film) montre qu’une suite de gains réguliers ne préjuge jamais du futur. Les moutons de Panurge se précipitent tous d’un même élan à la baille sans réfléchir parce que le premier a sauté.

Nous sommes début 2007 et, dès que les taux variables vont varier à la hausse, le vélo spéculatif va ralentir sa course et précipiter de plus en plus de détenteurs de titres subprimes en pertes. Pour parier contre le marché, tous contractent des Credit Default Swap (CDS), options d’assurance qui montent quand les titres hypothécaires tombent. Au Forum de la Titrisation américaine à Las Vegas (ville du jeu et de la démesure), Baum déjeune avec un administrateur de CDO synthétiques qui avoue la pyramide de paris de plus en plus gros et risqués qui existe sur les prêts subprimes. Le marché atteint déjà vingt fois la taille de l’économie sous-jacente et l’explosion – inévitable – de la bulle risque d’entraîner toute l’économie.

Il faut attendre plusieurs mois, tandis que les clients sont inquiets de perdre les appels de marge tant que les subprimes montent ou restent à niveau, mais le marché finit par retrouver le réel : il s’effondre et le fonds de Michael Burry gagne 2,3 milliards de dollars, soit + 489 %. Mais huit millions de gens perdent leur emploi, six millions sont jetés à la rue après la saisie de leur maison, des retraités sont ruinés, des insolvables saisis, perdant souvent espoir et parfois la vie. Lehman Brothers fait faillite, Bear Stearns et Merrill Lynch sont absorbés par d’autres banques, Citicorp comme Deutsche Bank sont renflouées avec l’argent des contribuables et les activités de banque d’affaires séparées des activités de dépôts par décision du Congrès. Mais un seul banquier (suisse) sera mis en prison, tous les autres s’en tireront sans dommages, certains même entreront au Government Sachs composé en 2009 par Barack Obama… L’Islande, la Grèce, l’Irlande, sont en grave défaut de paiement et il faudra dix ans pour qu’ils réémergent.

Malgré un son mal mixé qui rend tonitruantes les musiques vulgaires du rap et du metal, les sons acculturés de l’Amérique contemporaine qui s’assourdit pour ne rien entendre du vrai, malgré les images parfois hachées, comme subliminales, faites pour zapper la trépidation spéculative et la fièvre du fric, le spectateur va apprécier quelques moments d’ironie assez lourde (le voyant qui n’a qu’un œil, la fille de l’agence de notation aux lunettes très noires qui « n’y voit rien ») et de bons moments de pédagogie, comme ce chef cuisinier qui prend l’exemple du flétan qu’il n’a pas venu à ses clients et qu’il remixe dans un consommé à la carte, donc apprécié comme « nouveauté ». Moins les produits vendus sont clairs et compréhensibles, plus il faut se méfier : aux Etats-Unis, l’arnaque est un sport national et faire du fric le but ultime de l’existence. Les lanceurs d’alerte sur les subprimes ne sont d’ailleurs pas philanthropes : ils ont gagné beaucoup d’argent en pariant à l’envers des cons qui suivent béatement le mouvement et s’en confortent dans les dîners arrosés et les boites à filles. Mais, fortune faite, Michael Burry investit sur une seule matière première : l’eau ; Beckett fait pousser des graines bio dans son potager ; Baum ne se vante plus de niquer les autres et se recentre sur sa famille ; les deux jeunes provinciaux jouissent de leur réputation sans plus spéculer. Aux Etats-Unis, pays brutal, il faut une baffe pour que vienne la sagesse !

Un bon film sur la finance, sur la folie tradeuse et sur la démesure vaniteuse yankee. Et si vous ne vous intéressez pas à la finance, vous avez tort – car elle commande à l’économie et à votre épargne retraite.

DVD Le Casse du siècle (The Big Short), Adam McKay, 2015, avec Christian Bale, Steve Carell, Ryan Gosling, Brad Pitt, Paramount Pictures 2016, 2h05, €6.99 blu-ray €10.98

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La bourse du Coronavirus

Le marché est une chambre d’échos des peurs et des rêves des investisseurs. La peur l’emporte en cas de crise non prévue, surtout lorsqu’elle survient dans une conjoncture de hausse longue des actions comme nous en avons connu depuis 2010. Les banques centrales ont injecté massivement des liquidités pour faire face à la crise financière de 2008, l’Europe avec retard, ce qui a créé un optimisme un peu factice : quand l’argent est abondant et bon marché, le risque de l’investissement compte moins. D’où le choc boursier dû au Coronavirus : il était inédit, imprévu et impossible à quantifier.

Plus les semaines avancent, plus le marché va s’ajuster. Il semble jouer aujourd’hui un scénario moyen dans lequel les bénéfices des entreprises seraient annulés ou en forte baisse cette année mais se reprendraient dès 2021, une fois le risque sanitaire évacué. L’économie ne connaîtra pas alors de crise en spirale dépressive comme en 1929 et en 2008 mais rebondirait d’autant plus fort et plus vite que l’espoir renaîtrait. Sans pour cela que « tout redevienne comme avant ». Des restructurations drastiques devront avoir lieu dans les chaînes de valeur pour éviter un tel choc d’offre sur la production des biens essentiels et probablement les Etats-nation comme l’Union européenne devront intervenir.

Les marchés financiers, tout « ultralibéraux » qu’il paraissent être, comptent toujours sur une intervention des pouvoirs publics pour enrayer la panique et reconstruire des rails pour sortir du marasme. Ce n’est pas la première fois. La Banque centrale européenne a annoncé un plan d’achats d’actifs de 750 milliards €, la Banque du Japon une augmentation des achats en Bourse, la Banque d’Angleterre a de nouveau réduit son taux directeur. La Chine se prépare à dévoiler un plan de soutien à son économie de 1.000 milliards de yuans (131,4 milliards €). L’Allemagne crée un fonds de soutien aux entreprises doté de 500 milliards €, la France de 300 milliards. Le plan d’aide voté hier au Congrès des Etats-Unis de près de 2.000 milliards de dollars, est destiné à protéger les ménages américains les plus vulnérables et à apporter un bol d’air aux PME.

Mais investir, même en actions d’entreprises connues ou en titres de dette d’Etat stable, c’est toujours faire un pari sur l’avenir : il arrive que de très grandes entreprises fassent les mauvais choix (Nokia, Alcatel, Lehman Brothers) et que des Etats soient déclarés insolvables (Russie 1917 et 1998, Croatie 1996, Ukraine et Equateur 2000, Argentine 2001, Venezuela 2004, Grèce 2010). Tout pari sur l’avenir devra donc tenir compte de la géopolitique (les chaînes de valeur, les matières premières), de la politique des banques centrales, des interventions publiques sur l’économie, de la réactivité des entreprises chacune en particulier, de l’optimisme social qui poussera – ou non – à reprendre de l’activité et de la consommation. Mais aussi des nouvelles tendances vers le durable et le « vert » qui ne vont pas sauver certaines sociétés mais en encourager d’autres. Toutes ces incertitudes ne militent pas pour un rebond immédiat et constant, mais plutôt sur une volatilité des cours qui devrait durer plusieurs mois.

Cours du pétrole

Il n’y a pas de phénomène de survente « panique » comme lors de certaines crises car celle-ci est complètement inédite. Il faut donc attendre que la purge des « mains faibles » soit achevée pour un rebond plus sain : c’est la fameuse figure en W des graphiques boursiers, une première chute suivie d’un rebond où les mains faibles effrayées sortent, d’où rechute, avant la vraie reprise.

D’autre part, juger de la fiabilité d’une entreprise aujourd’hui, sur la base des « valorisations » effectuées sur un passé qui n’a plus rien à voir avec le présent ni avec le futur proche est un calcule inepte. Il faut avant tout, entreprise par entreprise, évaluer les conséquences structurelles à prévoir en termes de restructuration de la production, des chaînes de valeurs, des perspectives de la demande et des possibilités d’investissement. Cela durera plusieurs mois.

Des rebonds et des rechutes sont donc à prévoir sans qu’une tendance fiable ne puisse se dégager durant la crise sanitaire. Ce n’est que lorsque les plus grands pays verront plus clair, la Chine en premier, les Etats-Unis en second et l’Allemagne en Europe, que les boursiers pourront envisager un futur mieux prévisible, donc un retour à une phase de rebond des titres.

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Confinés

Le deuxième discours du président a été, comme le premier, celui d’un intello plutôt que d’un politique : trop long, trop de mots, trop peu de clarté, des phrases à l’envers qui sont un style à l’écrit mais qui passent mal à l’oral (« allez voir votre médecin… bla-bla… mais d’abord téléphonez » au lieu de « n’allez pas voir votre médecin, sauf si… »). Il parlait trop vite, ne martelant pas les points importants. Il a répété six fois « nous sommes en guerre » sans que cela signifie quoi que ce soit de concret (on fait quoi ?). Sinon un rappel de son prédécesseur Hollande qui parlait de « guerre contre le terrorisme » – tout en maintenant « l’Etat de droit » pour les terroristes (!). Sinon aussi un fâcheux rappel à l’Exode de 40 où « la guerre » (un virus étranger qui pénétrait sur le territoire) avait fait fuir les Parisiens hors de la capitale : justement ce qui s’est produit dimanche et lundi.

Le confinement est là, même si le président n’a pas prononcé le mot, un étrange tabou. Serait-ce du politiquement correct que d’appeler un chat autrement qu’un chat ? Toujours est-il qu’il fallait en arriver là, tout comme les Chinois, les Coréens, les Italiens, les Espagnols un mois ou dix jours avant. Les Français insouciants ou volontiers dédaigneux qui n’avaient pas pris la menace au sérieux se sont retrouvés le bec dans l’eau et le frigo à sec. Les Anglo-saxons, partisans du darwinisme revu par Spencer décident pour l’instant « que les loosers crèvent » ou que « les meilleurs gagnent » (ce qui est la même chose). Ils n’ont pris aucune mesure : que le virus se développe, qu’il contamine, qu’il fasse ses morts nécessaires, après, tout le monde sera tranquille.

Le pire étant (comme d’habitude) le gros paon vantard de Trump, pour qui le coronavirus est un « virus étranger » (suivez mon regard) à qui l’on doit interdire les frontières en les fermant drastiquement, comme à tout immigré. D’où annulation de tous les vols en provenance d’Europe – sauf du Royaume-Uni – dont les contaminés inévitables feront crever les cousins Ricains plus vite.

La bourse ne s’en remet pas, y compris à Wall Street, patrie pourtant du « deal ». Mais qu’y a-t-il à « dealer » lorsque l’ennemi est mortel ? La bourse ou la vie ? Le dealer en chef étant incompétent, sinon impotent, la Fed ayant baissé ses taux trop fort et trop vite pour garder une quelconque marge de manœuvre – tout en montrant ainsi que la situation était PLUS grave que prévue ! – il ne reste plus RIEN entre le virus et l’économie. Qui va mal, qui ira plus mal. Qui se redressera une fois la crise passée, mais pas avant un trimestre au moins.

La débâcle boursière est « normale » : la crise est imprévue (donc risque croissant) et inédite (donc futur inconnu). C’est à mon avis presque le moment de réinvestir pour ceux qui ont des liquidités. La crise sanitaire ne va pas durer des mois mais probablement jusqu’à l’été (où la chaleur assèchera le virus plus efficacement). En revanche, les conséquences économiques seront graves (récession en 2021 et résultat des entreprises en baisse) et exigeront des recentrages anti-mondialisation, donc des bouleversements utiles mais boursièrement anxiogènes : tout ce qui dérange les programmes automatiques nécessite de les reprogrammer, d’où délai – et vente d’abord.

Il est banal de le redire mais si la bourse baisse, c’est qu’il y a plus de vendeurs que d’acheteurs… Les acheteurs existent donc toujours (sinon il n’y aurait AUCUNE transaction, comme quelques semaines en 2008), mais ils sont moins nombreux. Il faut avoir 1/ des liquidités en attente et 2/ une position à moyen terme optimiste (ou professionnelle) pour se lancer à l’achat. A court terme, ce sont les robots automatiques aux algorithmes aveugles qui font le jeu. C’est un effet de la technique : la donne a changé. En revanche, sur le moyen-long terme, les fondamentaux classiques restent plus que jamais valables. Or ces fondamentaux montrent une récession probable avant tout rebond. L’économie et la bourse étaient d’ailleurs fragiles, dopés par les liquidités injectées de force depuis des années par « les » banques centrales, en premier lieu la Fed américaine.

L’examen des graphiques de l’indice américain Dow Jones sur 10 ans, 5 ans et 3 mois le montre : la bourse s’est envolée depuis de trop nombreuses années pour qu’un retour à des niveaux plus compatibles avec la réalité ne soit nécessaire (et désirable). La chute est brutale, à la mesure de l’envolée. L’analyse graphique montre que la baisse n’est pas terminée mais doit faire un petit rebond avant de retomber à un plus bas (une figure en W). Peut-être sera-ce au moment où les Etats-Unis seront touchés par la pandémie, dans quelques semaines, peut-être vers le point bas atteint en 2018 ? Nous avons en effet, depuis 2015 et le W caractéristique sur le graphique à cette époque, connu la dernière phase de hausse boursière, effacée de 32% en quelques semaines. Le CAC 40 a surréagi, avec la brutalité en un mois des algorithmes automatiques, crevant son support à 4000 ; on peut supposer que la fin de la purge est proche, réalisée à 95%. Mais les indices européens ne pourront se redresser sans un redressement des indices à Wall Street : encore un peu de patience.

Pour le futur, l’économie renaîtra, elle renaît toujours. L’échéance est probablement à situer vers la fin de cette année. Le rebond des achats et contrats différés sera fort, comme d’habitude, mais des réorientations stratégiques sont inévitables. On ne traverse pas une crise sanitaire mondiale de cette ampleur sans prendre la mesure de l’éloignement des producteurs de pièces détachées, des médicaments, et d’une part de l’alimentation. Ni sans prendre en compte, désormais, les frontières : elles existent, elles se manifestent par leur fermeture politique – brutale et unilatérale, sans « deal » possible. D’où une certaine « démondialisation » dans les années à venir et le rapatriement d’une part « stratégique » de la production sur les territoires nationaux. Et un retour de l’Etat dans le pilotage.

Ce réflexe est assez sain et il est seulement dommage qu’il faille une crise pour l’y forcer. La Chine est peut-être un pays qui ne cesse d’émerger, mais il est avant tout un concurrent sévère, sinon un ennemi bientôt dominateur. Il ne faut pas le perdre de vue. La Russie, riche de matières premières, d’un immense territoire (vide) et d’investissements militaires privilégiés, est moins dangereuse pour l’Europe que la Chine à terme. En effet, la démographie russe décline et le prix des matières premières qu’elle possède en abondance (pétrole et gaz) décline aussi. La faute aux énergies renouvelables mais aussi à la politique étrangère inepte de Trump, au Moyen-Orient comme ailleurs, qui voit l’Arabie Saoudite et la Turquie se rapprocher de la Russie et contrer les Etats-Unis sur le prix du pétrole et le choix des armes. Le prix du baril chute dramatiquement, le gaz et le pétrole de schiste américain deviennent moins rentable à exploiter… entraînant un peu plus la récession aux Etats-Unis.

Il y a donc un créneau pour l’Europe dans son processus d’union fédérale. Chaque Etat montre qu’il reste à la fin souverain (le chacun pour soi des mesures sanitaires le prouve) mais aussi qu’une attitude commune sur les frontières (Schengen) et sur la production (par exemple les masques) reste indispensable pour ne pas se diluer et devenir inféodé à l’un ou l’autre des blocs antagonistes pour ce qui est essentiel (médicaments, alimentation, énergie).

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Bourse en avril

La situation globale reste favorable parce que la bourse américaine commande et qu’elle va bien. Moins qu’avant, d’où la forte hésitation de l’automne, mais pas si mal, d’où le rebond depuis. Les dernières Minutes du comité fédéral des marchés (FOMC) déclarent une pause dans les actions de politique monétaire de la Banque centrale américaine. L’opinion des gouverneurs sur la croissance passe de Forte à Solide, ce qui est moins optimiste mais encore soutenu.

L’inflation américaine reste sous les 2% avec un quasi plein emploi et 3.9% de chômeurs seulement. La croissance se tient, bien qu’inférieure à ce qu’elle était au dernier trimestre de l’année 2018. La consommation croit un peu avec les hausses de salaires tandis que les entreprises profitent toujours des impôts qui ont baissés grâce à Trump. Seul l’investissement immobilier résidentiel décline, mais n’est-ce pas sain au vu du niveau de l’endettement privé des citoyens américains ?

La création de monnaie favorable au crédit ne sera pas limitée et la taille du bilan de la Réserve fédérale ne sera pas réduite pour le moment. Donc ni hausse de taux attendue, ni retour sur le marché des achats fédéraux précédents.

Tout irait donc bien s’il n’existait le reste du monde, ce boulet pour les Américains, et s’il n’existait également le Trump, ce trublion pour le monde.

Car l’éléphant dans un magasin de porcelaine continue à sévir. Après avoir joué des matamores avec les Coréens du nord pour un « deal » ridicule où n’a rien obtenu de concret ; après avoir roulé des mécaniques pour relocaliser les usines tournevis du bon côté de la frontière avec le Mexique et juré de bâtir un mur (d’à peine 200 km) sans que le Congrès veuille lui avancer les fonds ; après avoir trompeté, tempêté, menacé l’ennemi principal – la Chine – le voilà qui se tourne, faute de mieux, contre ses alliés. Car la Chine résiste, pas l’Europe, qui s’effrite et doit bientôt voter, tandis que les Anglais clament qu’ils la quittent tout en refusant de le faire depuis trois ans. Le Boeing 737 Max est cloué au sol ? Attaquons Airbus ! Une bonne amende antisubventions, selon la loi territoriale américaine, ferait du bien à l’ego.

Tout va mieux côté chinois, donc soulagement ; tout va aller mal côté européen et la guerre commerciale va toucher les proches alliés, mais c’est tout bénéfice pour les spéculateurs du nord-est et les bouseux du centre-ouest : aux Etats-Unis, seuls comptent les bénéfices et on ne les obtient que le Colt à la main et la Bible juridique dans l’autre. La Turquie, alliée de l’OTAN, se tourne vers la Russie, cet ennemi juré du Département d’Etat ? Trump n’a pas le même ennemi : il est pour lui chinois et, au contraire de son Administration, il aime bien les Russes, même s’il a été « blanchi » officiellement de toute collusion avec leurs hackers pour être élu. Trump a ralenti le commerce mondial avec ses droits de douane ? Touché les exportations et fait monter les prix ? Que lui importe puisque le marché américain est très peu ouvert au reste du monde et presque autosuffisant.

Donc tout va bien pour la bourse américaine malgré le ralentissement de la croissance mondiale, l’escalade des tensions commerciales, la hausse des dettes publiques et privées, le ralentissement accentué en Chine et les risques politiques dans de nombreux pays. Si la bourse américaine va bien, les bourses du reste du monde n’iront pas trop mal car la planète finance est globale. Il reste probablement plusieurs mois de hausse des marchés actions.

Si l’on observe un graphique du SP 500 (indice Standard & Poors des 500 plus grandes valeurs de la bourse américaine), nous semblons nous situer à la fin de la phase de correction qui devrait précéder la dernière vague de hausse du cycle. Le schéma graphique de la période récente ressemble à la correction de fin 2015 et début 2016 – avant la grande hausse 2017-2018. Commence aujourd’hui une phase plus dangereuse car plus spéculative, mais aussi plus rapide et plus brutale peut-être.

Se terminera-t-elle à l’automne 2019 (les mois d’octobre sont meurtriers) ou courant 2020 ? Difficile de le savoir pour le moment : 2020 sera l’année où Trump joue sa réélection, avec toutes les outrances possibles d’un tel clown – mais représentatif d’un Américain réel sur deux. D’ici la fin de cette année auront lieu le Brexit et les élections au Parlement européen, Macron devra montrer qu’il baisse autant les impôts qu’il le dit, mais aussi la dépense publique pour compenser – faute de quoi la dette dépassera les 100 % du PIB comme en Italie, et Merkel sera remplacée par AKK à échéance dans deux ans.

Il y a donc des risques – il y a toujours des risques. Mais les autres actifs ne rapportent rien ou peu, seules les actions ont un rendement compatible avec l’évolution de l’économie et supérieur à la hausse des prix.

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Risques boursiers donc politiques

Le 24 octobre, c’est bientôt. Le 24 octobre 1929… krach ! Le jeudi noir, premier jour d’une série.

Le risque n’est jamais univoque : tout risque fait tache d’huile telle l’aile de papillon censée provoquer un cyclone à l’autre bout de la terre. La bourse est un baromètre de beaucoup de choses : de la façon qu’ont les entreprises de produire, des contraintes qui pèsent sur elles du fait du prix des matières premières, des taxes et impôts, des règles à n’en plus finir, des revendications salariales, de la satisfaction de leurs employés, de la confiance de leurs clients, de leurs innovations, des concurrents – et de l’ambiance générale de la société qui est à l’optimisme ou à l’avenir sombre.

C’est ainsi que Trump le paon ricain massacre la croissance. En déclarant « la guerre » à ses alliés comme à ses adversaires, il force chacun à se replier sur lui-même et à contre-attaquer – donc à devenir plus fort, bien que plus maigre. En jouant au poker le très court-terme pour « gagner » (son mot-fétiche) les élections à mi-mandat et être réélu deux ans plus tard, il fait s’envoler le déficit du budget par ses baisses d’impôts et ses dépenses, coupant toute marge de manœuvre lorsque des vents mauvais se lèveront inévitablement. Après lui le Déluge : c’est ainsi que résonnent les infantiles – on ne peut pas dire « raisonnent », ce serait dévaluer la raison. Je n’achète plus rien qui vienne des États-Unis : puisqu’ils le désirent en majorité en élisant un clown, qu’ils restent donc entre eux.

La situation économique globale devrait rester stable l’an prochain en raison des déficits américains et chinois qui soutiennent – à bout de bras – la consommation donc le commerce, donc la production. Mais la bourse anticipe toujours… Comme l’équilibre n’est pas tenable, c’est le prochain coup qui compte : anticiper est tout l’art de l’investisseur.

Or les intérêts politiques américains et chinois sont pour le moment en phase et poussent les déficits afin de maintenir artificiellement une croissance – à visée électorale aux États-Unis et sociale en Chine. Il y a donc surchauffe, des capacités à plein qui engendrent des hausses de prix. Dans le même temps le pouvoir d’achat n’augmente pas, il régresse. Car, si la richesse globale peut augmenter, elle ne va pas dans toutes les poches et reste donc théorique : à quoi servent les millions de dollars d’une œuvre de Jeff Koons (par exemple) puisque qu’elle ne « vaut » que le prix du snobisme des rares richissimes ? Elle n’est pas en or ni en farine, elle n’est pas fongible, elle ne passera peut-être même pas les décennies tant « l’art » change avec le temps et que le kitsch néo-pop apparaît un brin superficiel.

La croissance au-delà du potentiel économique engendre des excès que les banques centrales ont le statut de contrer : d’où les hausses de taux d’intérêt qui restreignent le crédit en le rendant plus cher. La Fed américaine a commencé, la Banque centrale européenne devrait suivre. La croissance, déjà anémique en Europe en raison des lourdeurs réglementaires et de la concurrence entre membres de la même zone, devrait retomber sans vraiment décoller. Et les Ricains sont en embuscade pour tendre des pièges aux champions européens : les banques avec les condamnations records, l’automobile avec le dieselgate et les sanctions contre l’Iran, les avions bientôt, peut-être la pharmacie… Tout est bon pour intenter procès au nom de la loi américaine, décrétée « universelle » par droit du plus fort, et pour « négocier » de monstrueuses amendes, tandis que des Européens sont très frileux face aux géants américains, on le voit avec les GAFAM et la lâcheté allemande sur le sujet. Tandis que Steve Bannon, le Daphnis du grand paon ricain, vient encourager dans tous les pays européens la dissidence national-égoïste : l’Union européenne fait peur au grand ricain, elle est une vraie puissance quand elle est unie : la désunir est donc stratégique pour le grand paon qui se croit expert dealer.

Le prix du pétrole monte et fait monter le dollar, l’Arabie Saoudite est au maximum de ses capacités et ne peut augmenter sa production. Les taxes douanières Trump font baisser la croissance globale et augmentent les prix. Nous sommes proches de la situation de « stagflation » connue dans les années 1970 : finie la croissance mais prix en hausse. Cette fois, c’est la « décroissance » qui menace, ce qui réjouit les Cassandre et les écolos : moins d’emplois, moins de recettes fiscales, trop de déficit et de dette publique, moins d’aides sociales et de retraites – cela veut dire moins de dépenses et une austérité qui s’ancre dans les mœurs. Les technocrates de l’Administration, cette nouvelle Église, savent évidemment mieux que vous ce qui est bon pour vous : ils ont encouragé en France le diesel depuis des décennies ; depuis qu’ils ont été « convaincus » par le Ciel de la Science que c’est mauvais pour la planète et la santé, ils interdisent le diesel en ville et restreignent la vitesse partout. Ce qui veut dire que les gens n’ont plus confiance : jeunes, ils répugnent à passer leur permis de conduire ; adultes, à « acheter » une voiture, préférant la location longue durée ou la location-vente. Ils peuvent ainsi zapper à tout moment la bagnole au profit d’Uber, du train (quand il n’est pas en grève) et d’autres moyens en ligne. Ils ont moins confiance dans la monnaie et créent leurs propres monnaies locales ou le troc de proximité. Ils consomment de plus en plus voisin et délaissent les marques mondiales telles que les ricaines emplies de saloperies chimiques.

Les populistes de gauche en ont marre de l’austérité pour l’immense majorité et de la goinfrerie de l’infime minorité – on peut les comprendre. Ils ne rêvent que de tout bazarder, de faire « l’inverse » des économies et des réformes sociales qui s’appliquent depuis une décennie ou deux avec des résultats mitigés. Ils veulent arrêter de réformer (toujours en pire) et distribuer gratuitement du pouvoir d’achat avec de la dette publique, « garantissant » par exemple un revenu universel sans travailler. A condition d’arrêter toute immigration – car un État social se réserve à ses propres citoyens. Et tant pis pour les générations futures qui devront rembourser la dette et se heurter aux immigrants au détriment de leur bonne conscience de gauche. Tant pis pour les niais qui achèteront des emprunts d’État en croyant se faire rembourser un jour… Soit l’inflation grignotera leur capital, soit un oukase voté par un Parlement aux ordres annulera leur créance ou la rendra « perpétuelle » dans l’avenir.

Rien de cela ne sera tenable et le lecteur a désormais compris que « le système » est en permanence instable et qu’il faut naviguer sans cesse sur le mouvant. Les beaux jours ne durent donc jamais et la tempête menace, surtout lorsque la bourse américaine a dépassé son record de durée en hausse et que l’évaluation des cours est à 50 % au-dessus de sa moyenne historique. Quand et où se lèvera la tempête sont les bonnes questions, auxquelles nul ne peut répondre car – jamais – une crise n’a été prévue (elle ne serait pas un choc). Tout retournement est brutal parce que tout le monde inverse ses positions comme sa façon de voir les choses au même moment, tels les moutons du sieur Panurge que nous conte Rabelais.

C’est ainsi : c’est lorsque tout va bien qu’il est temps de se poser la question du pire.

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Le prochain krach en octobre ?

1929, (…) 1987, 1998, 2001, 2008… Tous les dix ou douze ans un krach imprévu survient, venu de nulle part, anticipé par personne ou seulement par ceux qui crient au loup pendant des années et ont un fois sur dix ans raison. Or c’est dans la panique que l’on fait les meilleures affaires parce que la raison est lâchée et que tout le monde crie sauve-qui-peut. Mais il n’y a jamais urgence à intervenir car une panique s’étend par vagues comme un incendie et qu’elle ne s’éteint pas de suite, pas avant que les « mains faibles » aient éradiqué jusqu’à la dernière trace de risque en vendant tout ce qui leur est possible. Trump trompe les Etats-Unis en déclenchant une suicidaire guerre commerciale (surtout à ses alliés) et booste artificiellement la croissance par des baisses massives d’impôts – au détriment de l’équilibre budgétaire et de l’endettement d’Etat. Mais Trump s’en fout, il ne joue qu’à court terme : les élections à mi-mandat puis sa réélection dans deux ans –– et que crève l’Amérique du moment que la Vérité qui est la sienne, l’histoire qu’il se raconte, est crue par les gogos.

Nous vivons dans un monde tragique. Contrairement au monde platonicien où tout est dans l’ordre – hors du monde – le monde tragique est mi-figue mi-raisin, toujours. Il n’y a pas « d’autre monde possible » ni de Dieu salvateur, ni de souverain Bien, ni de Loi de l’Histoire, ni de Vérité qui n’attend que d’être « révélée » comme si elle existait déjà, sous-jacente : il y a au contraire l’infini complexité du monde naturel et des profondeurs humaines. Le pire et le meilleur – toujours. Le yin et le yang, mêlés, ce petit point de couleur opposée dans la virgule de l’autre. Le tragique est notre monde ; le monde des Idées (de Platon, de Hegel, de Marx et des marxistes, du Pape et des croyants de la finance) n’est pas le monde réel mais le monde rêvé.

Si la crise financière a été si grave et si longue depuis 2007-2008, qu’un moment rien n’a valu plus rien, c’est à cause de la croyance souveraine en la Vérité en soi, la Modélisation et la Sophistication.

La vérité

Lehman Brothers, la banque qui a fait la retentissante faillite dont on fête les dix ans ces temps-ci et qui a déclenché la panique financière globale en quelques semaines dans le monde entier, a fait comme toutes les entreprises : elle a parqué des engagements dans le hors-bilan. Enron avait fait pareil (ce pourquoi elle a elle aussi fait faillite en 2002) et cela continue. Pourquoi ne pas changer le modèle comptable ? Pourquoi croire tellement en la Vérité – la transparence, la confession publique, le grand déballage pipole à l’américaine – qu’il faille autoriser que certaines dettes ne figurent pas au bilan et évaluer en comptabilité tous les engagements à terme au seul prix de marché instantané ? Cela fonctionne tant qu’un marché fonctionne ; mais quand il n’y a plus que des vendeurs (dans les situations de panique) le meilleur actif ne « vaut » plus rien ; il n’a « pas de prix » parce que personne n’est capable de proposer un quelconque prix – personne ne veut acheter ! La Vérité platonicienne n’a que faire des pauvres larves qui se traînent sur le sol : pas de prix, pas de valorisation – et que tous les Lehman du monde fassent faillite du moment que la Vérité comptable et immuable rayonne.

Les modèles mathématiques

Se souvient-on encore du fonds LTCM, en faillite virtuelle en 1997 avant que la Fed n’appelle à la rescousse un pool de banques (dont Lehman…) pour le sauver ? Ce fonds qui spéculait sur l’avenir avec un effet de levier colossal avait été fondé par des prix dits « Nobel » d’économie et était alimenté de modèles mathématiques qui tournaient dans de jeunes têtes bien pleines. Sauf qu’un modèle n’invente rien : il ne sort que ce que vous lui avez entré, la moulinette en plus… Or, rien de ce qui est humain n’obéit aux lois impeccables de la physique – ce pourquoi on désigne les sciences en question d’« humaines ».

Si vous entrez dans un modèle des données passées, il vous sortira la probabilité que le passé ressemble à l’avenir – jusqu’à ce qu’une aile de papillon engendre un cyclone (ce qu’on appelle par euphémisme les « queues de distribution »). Le risque est très peu « probable » mais, lorsqu’il survient les 1 % du temps calculé, vous le subissez à 100 % ! Où a-t-on modélisé le comportement de foule et la panique des marchés ? Si, chez les analystes, le risque disparaît si volontiers qu’ils projettent à l’infini le taux de croissance long terme évalué aujourd’hui (oui, à l’INFINI !) – dans le monde réel, humain, qui a une fin, le risque existe. On ne fait pas boire un âne qui n’a plus soif, mais un analyste ou un modélisateur, si. Il a « raison » puisque le calcul le démontre – et que tous les Lehman du monde fassent faillite du moment que le Modèle mathématique immuable rayonne et que les procédures de théoriques sont rigoureusement appliquées.

La sophistication financière

L’économie, au fond, c’est assez simple : faire avec ce qu’on a pour produire plus que les éléments épars. Mais l’économie est trop simple, trop vulgaire de bon sens pour les sectateurs de Vérité armé du Modèle mathématique. Tout est calculable, disent-ils, et du moment que tout est Vrai (transparent, étalé, disséqué, oublié à force d’être sous votre nez) – rien de faux ne peut arriver. Tous les établissements financiers (banques, assurances, fonds de pension) qui détiennent des actifs ont procédé à des échanges de ces actifs par swaps et autres opérations à terme ; à de la titrisation de prêts plus ou moins risqués, au mélange dans des produits sophistiqués des risques pour offrir une façade acceptable ; à des ventes et des couvertures de ces mêmes produits dans un sens et dans l’autre.

Tout cela théoriquement se calcule, volatilité historique et risque instantané, perte maximum probable. Avec cela, on se croit invulnérable. Voire… comme les opérations sont complexes, très nombreuses et conclues pour des années, toute situation de panique fait entrer dans le brouillard. Plus personne ne sait qui a quoi et qui doit quoi à qui. Il y a pour des années de cadavres dans les placards, subprimes, asset-backed security (ABS), Special Purpose Vehicle (SPV), Special Purpose Company (SPC), Structured Investment Vehicle (SIV), Asset-backed security (ABS), Residential Mortgage Backed Securities (RMBS), Commercial Mortgage Backed Securities (CMBS), Collateralised debt obligation (CDO), Collateralised Bond Obligation (CBO), Collateralised Loan Obligation (CLO), Collateralised Commodity Obligation (CCO), Collateralised Fund Obligation (CFO),    Collateralised Foreign Exchange Obligation (CFXO), Whole Business Securitisation (WBS), etc. Trop compliqué, trop répandu, trop abstrait. Il suffit de seulement 8 % de l’actif en réserve pour obtenir des agences la meilleure notation AAA…

Une grande banque française que je connais bien, farcie de tête d’œuf formatées aux seuls maths dans leur courte existence, ne craignait pas d’affirmer que leur « modèle des spreads de swap » avait « recours à un modèle de corrections d’erreurs qui permet de distinguer les tendances de long terme des chocs court terme éphémères. » Et d’assurer, un peu plus loin dans le texte que « la modélisation offre une robustesse et un pouvoir prédictif élevé. » Certes… quand toutes choses sont égales par ailleurs. Ce qui justement n’est jamais le cas dans les périodes de panique mais qu’importe – et que tous les Lehman du monde fassent faillite du moment que la Sophistication raffinée de la finance rayonne.

Vérité, Modélisation et Sophistication sont la rançon de la Raison pure, ce tropisme platonicien qui sépare le souverain Bien (toujours hors du monde, dans l’abstrait des idées) de la dégradation réelle, concrète, terrestre. A long terme ? « Mais nous serons tous mort ! » s’écriait John Maynard Keynes. Lui, au moins, était un économiste qui avait compris que la science humaine n’est pas mathématisable de part en part et que subsistera toujours cette incertitude du risque : justement parce que nous sommes mortels et que nous n’avons pas le temps. Keynes fut l’un des rares économistes à être devenu riche en investissant personnellement en bourse. En 1929, il a élaboré sa fameuse Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie que tout le monde cite encore sans probablement l’avoir lue.

L’excès de dettes pourrait engendrer une panique, donc un retrait de tous de tout, et un krach. Pas l’équivalent de 1929 ou de 2018, qui n’a lieu semble-t-il qu’une fois par siècle, mais quand même. Et avec le paon gonflé d’ego à la tête de la (pour l’instant) première puissance mondiale, le risque croit très fort. Soyez-en avisé !

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Un Indien dans la ville d’Hervé Palud

Ce film est une comédie sérieuse qui laisse un peu de nostalgie. Sont évoqués des problèmes graves de notre temps mais d’un ton léger : le couple et la paternité, la vie de famille ou les risques des métiers, l’arrivisme social, la ville où la nature, l’infantilisation ou la responsabilité des enfants… L’histoire me touche par les clins d’œil qu’elle me lance sur la bourse, les relations père-fils, l’Amazonie. Le père, Thierry Lhermitte, est un acteur français de ma génération préféré dans ses rôles énergiques, humains, de bon sens. Ici, il est un gnome de Wall Street, troquant en bourse des options sur matières premières. Le gamin, Ludwig Briand, a le corps fluet et très souple de ses 13 ans, des dents blanches, un nez mutin et de longs cheveux drus.

Le père et le fils ne se connaissent pas, la mère (Miou-Miou) étant en partie en Amazonie enceinte de lui parce qu’elle ne supportait plus d’être quantité négligeable dans la vie trépidante de son trader de mari. Lui fait du troc, comme les Indiens, mais pourquoi ? Quand le fils, à 13 ans, offre une casserole à une fille de son âge, c’est pour lui faire l’amour – mais son père, à Paris ? Il a de l’argent mais n’est finalement pas heureux. Sa « femelle » comme disent les Indiens, (Arielle Dombasle) est une illuminée dont les « chakras se referment » à la moindre contrariété et qui refuse de se marier l’année du porc. Rien de très naturel comme existence ! Lorsque le boursier se rend en Amazonie pour faire signer à sa femme l’acte de divorce afin de pouvoir se remarier, il découvre qu’il a un fils de 13 ans élevé en sauvage et appelé de façon cucul Mimi-Siku (nom qui signifie pisse de chat et que s’est choisi l’acteur infantile lui-même !).

L’adolescent, élevé à l’indienne au naturel, sait ce qu’est la vie : chasser, pêcher, allumer un feu, apprivoiser les animaux, connaître les dangers de la forêt et les beautés de l’affection comme de la nature. Dans la jungle de Guyane, son père se fait appeler Baboon (babouin) parce qu’il est différent des Indiens : il a du poil sur la poitrine. À Paris, lorsqu’il ramène son fils qui voulait voir la tour Eiffel, l’associé et le concierge traitent l’enfant de « singe » : il aime se balader en pagne et torse nu avec des peintures sur le nez. On est toujours le sauvage de quelqu’un. Mais que vaut-il mieux ? Savoir assurer sa survie dans la nature dans la lignée des primates, ou se créer des problèmes insolubles dans le stress social de la soi-disant civilisation ?

Le petit bonhomme de la jungle décille les yeux de son père lorsqu’il fait irruption brutalement dans l’existence artificielle de la ville. La Tour Eiffel « pique le cul du ciel » et le chat doit « manger bon » parce qu’après, « le chat sera bon à manger ». Le golden boy pendu au téléphone, qui se délasse avec une allumée, s’aperçoit que tout ce qu’il fait avec sérieux est vain – d’autant que son associé (Patrick Timsit) l’a embringué dans une sale affaire avec la mafia russe. Son fils, enfant sauvage mais considéré comme un homme par les Indiens après son initiation, apparaît plus adulte que lui – d’autant qu’il tombe en amour avec Sophie (Pauline Pinsolle) – dont le prénom signifie la sagesse – la fille de son âge qu’a cet associé colérique qui n’a jamais le temps de s’occuper de ses propres enfants. Baboon finit par choisir de se ressourcer en compagnie de son singe de fiston et d’abandonner le rôle artificiel inutile qu’il a tenu jusque-là dans la finance.

L’histoire est un peu naïve mais remplie de fraîcheur. Le film distille une tendresse pudique et montre bien quelle est la base des relations humaines véritables : elles sont moins sociales que personnelles. Il importe moins de jouer un rôle que d’être vrai.

Cette histoire de bon sauvage remplie de gags apparaît au milieu de la décennie 1990 comme un conte philosophique du temps. Depuis, évidemment, se balader torse nu sur les Champs-Elysées et baiser sa copine à 13 ans est devenu très mal vu de la société, retombée dans ses travers ; et les chakras redeviennent mode.

DVD Un Indien dans la ville, Hervé Palud, 1996, avec Thierry Lhermitte, Patrick Timsit, Ludwig Briand, Miou-Miou, Arielle Dombasle, Pauline Pinsolle, TF1 vidéo 2007, 1h37, €9.99

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Philippe Gallot, L’identité des marchés financiers

Ce livre très récent fait le point sur la bourse et sa place dans l’épargne des particuliers – donc des professionnels qui gèrent pour eux. Il se lit bien, présenté assez logiquement mais, malgré ses qualités, présente un défaut majeur et trois mineurs. On aimerait qu’il soit encore meilleur, ce pourquoi les quelques faiblesses sautent aux yeux.

Le défaut majeur est d’être publié au mauvais moment, dans une période où rares sont les particuliers à s’intéresser encore vraiment à la bourse, perçue comme un « casino » où les requins sans scrupules s’en mettent plein des poches sur le dos des entreprises comme des épargnants, tandis que « les autorités » ne voient rien, ne font rien et se contentent (des mois ou des années après) d’un appel à la morale.

Les défauts mineurs sont d’une part son titre mal choisi, dans la mode « identitaire » qui n’a pas grand sens pour une entité telle que « le » marché, mais aussi de ne jamais prendre clairement position avec un ton porté à la synthèse, enfin de ne pas dégager véritablement les « conseils » donnés aux particuliers.

Le trading à haute fréquence, plus ou moins défendu par l’auteur, améliorerait selon certains la liquidité du marché mais la submergerait de faux mouvements pour d’autres. A mon avis, cette façon de contourner la concurrence de marché par une série de micro-monopoles techniques (algorithmes automatiques, serveur local gagnant de la microseconde à se trouver plus proche du serveur central, afflux d’ordres pour faire monter les cours et affoler les indicateurs puis aussitôt les « annuler »), devrait purement et simplement être interdite. L’ampleur des volumes et les feintes de traders sont une mise en danger systémique de tout « le marché » financier.

Malgré cela, ce livre est rare en français, émis par un praticien de la finance sur une trentaine d’années, surtout comme vendeur actions puis analyste. Il se situe dans la suite des ouvrages de Paul Gagey, Didier Saint-Georges, Alain Sueur et Edouard Tétreau, pour citer les plus significatifs. L’auteur a le mérite de faire état des études américaines sur le sujet, bien plus nombreuses qu’en Europe, car il existe un vrai engouement pour « le marché » aux Etats-Unis, bourse toujours leader de la planète.

L’investisseur avisé, qu’il soit particulier ou même professionnel, lira donc Philippe Gallot avec profit. Le livre est en trois parties, la première sur les rumeurs et les informations, la seconde sur l’efficience attribuée au marché boursier, les exceptions et les conseils (la meilleure, à mon avis) et la dernière sur les acteurs, les malversations et la non-transparence.

Bien-sûr, il y a abus d’adverbes et des phrases parfois alambiquées, une erreur sur les Exchange Traded Funds (ETF) qui ne sont pas « Electroniques » (p.171) et Gustave Le Bon qui s’écrit en deux mots. Il y a aussi le dédain pour l’analyse technique ou graphique, sans expliquer vraiment pourquoi (sinon que l’auteur a été longtemps analyste, donc opposé à toute vue directe des mouvements). S’il évoque la finance comportementale avec profit, il manque d’exemples pris dans la pratique de gestion boursière et ne donne de conseils que généraux pour éviter ces erreurs humaines. Sur le trading et ses risques, il ne cite pas Jérôme Kerviel, pourtant LE cas français, ce qui est curieux pour un ouvrage destiné à un lecteur français.

Il est cependant très vivant lorsqu’il fait état de sa propre expérience, ce qu’il aurait dû mieux développer et imager. Ce livre apparaît plus comme un essai que comme un manuel pratique mais expose de façon utile la manière de fonctionner des « marchés », c’est-à-dire des acteurs qui le composent, chacun dans sa propre fonction. Le lecteur aura une compréhension large de ce qui se passe et pourra donc, avec ce recul, gérer au mieux sur le long terme, ses avoirs en actions, obligations ou monétaire.

Je ne crois pas, à la différence de l’auteur, au « moyen » terme, car les techniques automatiques de passations d’ordres en masse biaisent le moment : entre le trading au jour le jour (pour jouer les écarts) et la gestion à long terme (type assureur ou Warren Buffet), il n’y a plus rien. Comment un particulier ou un professionnel classique pourraient-ils « se battre » avec les algorithmes automatiques et faire triompher le bon sens là où n’existe que la curée du plus rapide et du plus fort ?

source : Boursorama.com

Philippe Gallot aime à citer les adages boursiers issus de la longue tradition anglaise d’abord, puis américaine ensuite. Il est cependant un adage qu’il ne cite pas : « Sell in May and go away – but buy back on Derby Day”, vendez en mai et quittez la bourse, mais rachetez dès le jour du Derby passé (premier dimanche de juin). L’observation – graphique, n’en déplaise à l’auteur – de cette année 2018 montre qu’effectivement, il était judicieux de de délester autour du 15 mai pour racheter dès le 1er juin, comme quoi les adages ont un fond de sagesse. L’explication en est probablement la publication des résultats à venir après la clôture du 30 juin, anticipés par le marché. Or, toute anticipation étant un risque, la prudence prévaut. Le premier trimestre est traditionnellement meilleur que les autres, avec les ventes de Noël et les perspectives de l’année entière ; le second trimestre suscite des doutes, donc du retrait de la part des investisseurs – même automatiques, car les modèles amplifient tous les mouvements moutonniers.

Au total un livre utile aux boursicoteurs (pour qu’ils prennent conscience de l’inanité de se battre contre les machines) et au épargnants long terme (qui verront pourquoi le bon sens et les grandes tendances emportent tout sur la durée).

Philippe Gallot, L’identité des marchés financiers – Conseils aux épargnants avisés, mars 2017, L’Harmattan, 276 pages, €29 e-book Kindle, €22.99

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Bitcoin : jouer ou investir ?

La bourse n’est pas un casino, comme le croient les ignorants ; ni une exploitation des travailleurs, comme le croient les croyants embarqués pour « un autre monde » possible. Vieille phobie de l’argent, inconsciente chez les catholiques laïcisés en socialistes et dévoyés en écolo-communistes. La bourse est un marché où se rencontrent les offres et les demandes de capitaux pour les entreprises, marché régulé par l’Etat, la monnaie étant pilotée par la Banque centrale européenne et les accords internationaux.

La loi de la jungle est justement de sortir des Etats et des règlementations : en témoignent le bitcoin et les autres monnaies virtuelles – elles ne sont régulées par personne. Or cet à-côté du « Système » plaît fort à nos gens de gauche phobiques de « l’exploitation ». Tous comme les mafieux et les terroristes (et accessoirement quelques services secrets), ils voient dans le bitcoin le moyen « d’échapper » aux contraintes régulatrices, à la surveillance des Etats. Donc, croient-ils, à « l’exploitation »… Y a-t-il pire spéculation que ce pari sur le virtuel, comme si les bits n’étaient pas le paravent des bites qui œuvrent par-derrière ? Car si « les ordinateurs » sont les garants soi-disant neutres de la monnaie virtuelle, ils sont bel et bien actionnés par des humains, des mâles pour la plupart, dont certains (assez malins – à défaut russes ou coréens du nord) parviennent à hacker sans trop de difficultés l’extraction des autres.

Là est le jeu, le pari, la pure spéculation. Il est moins en bourse traditionnelle, arbitrée, surveillée et contrôlée – et que l’on peut suivre en fonction des informations.

Car le bitcoin est créé depuis 2009 (juste après le dernier krach financier américain) par un logiciel qui rétribue les agents qui ont vérifié, sécurisé et inscrit les transactions (ce qu’on appelle l’activité de minage ou d’extraction) dans un registre virtuel appelé blockchain. Il ne fonctionne que par consensus, l’universelle bénévolence de ceux qui jouent le jeu. Il se soustrait aux Etats et à tout contrôle et n’offre aucune garantie de cours ni de liquidité. Le bitcoin peut être échangé contre d’autres monnaies, des biens ou des services – en-dehors des banques centrales et du contrôle de quiconque. Son prix est fixé libéralement sur des marchés spécialisés… selon la loi de l’offre et de la demande.

Le bitcoin est la monnaie la plus ultra-libérale qui soit, car régulée par personne. Il est la monnaie universelle et libertarienne par excellence, offrant un anonymat total. Or la tempérance et les contre-pouvoirs sont le propre du libéralisme. La tendance ultra (qualifiée de droite) rejoint les libertaires (qualifiés de gauche) dans l’anarchie totale du chacun pour soi. Le système pour tous ne peut fonctionner que si tous respectent « les règles du jeu », donc acceptent une certaine régulation… Cercle vicieux de ceux qui veulent absolument être « contre » ce qui existe, mais ne peuvent rien créer qui ne ressemble à ce qui existe – l’aventurisme en plus.

Mais investir n’est pas jouer, c’est un métier. Le jeu n’en est que l’une des dimensions, celle issue des pulsions. Il devra être alimenté par les informations économiques (épargne, consommation, investissement) et financières (résultats nets, endettement, image de marque) – et mis en œuvre par des techniques d’investissement (arbitrage, ventes à découvert, options) et de prévision (graphiques, analyses techniques). Il devra surtout être dominé par le bon sens stratégique qui ressort de « l’intelligence » au sens anglais du renseignement et de l’analyse globale.

Le bon investisseur est celui qui combine ces quatre dimensions. Tous les autres sont borgnes ou manchots et prennent un risque maximum à ignorer le reste.

Or, dans le bitcoin, qu’y a-t-il hors du seul « jeu » ? Sur quelle richesse est fondée cette monnaie d’échange ? La limite d’émission arbitraire de 21 millions de blocs, fixées par l’inventeur tout seul, n’encourage-t-elle pas la spéculation effrénée ? Que se passe-t-il si la majorité des extracteurs veulent sortir ? Et si le réseau Internet connait une panne ou une attaque massive ? Ou si la neutralité du net est remise en cause comme Trump le veut ? Quant à la consommation électrique du système décentralisé, équivalente à la consommation du Danemark, on ne peut pas vraiment dire qu’elle soit « écologique » ou « durable » !

  1. Le jeu, c’est le plaisir quasi sexuel de parier, l’anxiété à suivre les positions, l’explosion de gagner – ou la dépression de perdre.
  2. L’information, c’est la prudence de l’enquête sur les chiffres publiés et la hauteur d’analyse sur la conjoncture.
  3. La technique est le bon usage des outils, choisis avec soin en fonction des circonstances et de la psychologie du marché.
  4. Le bon sens est d’allier tout cela, psychologie, économie, techniques et plaisir de jouer pour établir et augmenter son portefeuille.

Le bonheur du travail bien fait – des prévisions bien anticipées, des positions gagnantes au moins 6 fois sur 10 – va au-delà du gain financier.

Mais qu’y a-t-il d’heureux dans le bitcoin ?

Il n’y a que le jeu, sans aucune réflexion ni prévision possible, la pire des motivations pour investir et la plus instinctive des quatre dimensions exposées ci-dessus.

 

En savoir plus sur le bitcoin :

Jacques Favier et Adli Takkal Bataille, Bitcoin, la monnaie acéphale, 2017, CNRS éditions, 280 pages, €23.00, ebook format Kindle €16.99

Prypto (entreprise), Bitcoin pour les nuls, €12.50, ebook format Kindle €9.99

 

Et pour ceux qui veulent jouer :

Ledger Nano S, Portefeuille Matériel (Hardware Wallet) de Crypto-monnaies multi-devises, Tjernlund Products, Inc, €179.99

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Jules Verne, Le tour du monde en quatre-vingt jours

Histoire d’un pari, fou et réaliste comme tous les paris, qui fait effectuer le tour du monde au siècle industriel à un riche excentrique évidemment britannique. Quittant l’Europe, passant par le canal de Suez, traversant jusqu’en Inde, puis vers la Chine et le Japon, embarquant pour les Etats-Unis où prendre le train transpacifique, enfin passer l’Atlantique pour revenir à Londres via Liverpool. Ce gros succès de librairie en son temps n’est pas, pour moi, le meilleur de Jules Verne car il laisse peu de place à l’imagination. Mais j’admire son mécanisme horloger et ses personnages de caricature.

Phileas Fogg, Anglais et probablement ancien marin, ayant de la fortune sans qu’on sache (volontairement) d’où elle provient, mène une existence réglée comme un automate. Il est l’incarnation du capitalisme industriel rythmé par la pendule, aussi froid et impersonnel que l’efficacité le requiert. Mais l’aspect oublié du système est le pari. Chacun croit savoir que « le » capitalisme ne concerne que l’économie et le souci d’efficience maximale – or la dimension du jeu est cruciale pour faire tenir le mouvement. La simple administration des choses – comptable, automatique, équilibrée – n’est pas du capitalisme mais une sorte de Plan à la soviétique qui finit par s’user et gripper. L’expansion, le progrès, le renouvellement perpétuel par la quête du toujours autre est l’autre face – aventureuse, risquée, concurrentielle – du capitalisme. Phileas Fogg, au prénom de géographe d’Athènes au Ve siècle avant et au nom de brouillard londonien en est le symbole. Bien qu’immobile dans ses habitudes de vie dans la cité, il joue au whist à son club et n’hésite pas à sauter sur l’occasion d’un pari : faire le tour du monde en 80 jours.

Pari raisonné qui tient en même temps la folie du jeu et la logique de la raison, il est le ressort même du capitalisme. Car le décollage des transports en cette seconde moitié du XIXe siècle dans le monde, organisé par l’empire anglais pour une grande part, permet de tenter l’aventure. Il ne s’agit pas de record mais de jeu, pas de battre les autres mais de prouver que c’est faisable. Malgré la programmation des horaires des chemins de fer et des paquebots, les aléas sont toujours possibles – et ils seront nombreux. Malgré cela, la volonté compte, et l’habileté à rattraper le temps perdu est un aiguillon excitant du pari. Car il s’agit de courber l’espace dans le temps, pour anticiper Einstein.

Pour cela, la formidable énergie de la vapeur canalise les forces naturelles du charbon et du bois, tandis que la voile vient en complément, tout comme la force animale de l’éléphant en Inde. Le pari est un signe d’optimisme sur le savoir, sur la technique, sur l’ingéniosité des voyageurs. Son expression même est la bourse, c’est-à-dire le jeu risqué et raisonné sur l’avenir que l’on appelle spéculation. Le mot vient de speculum, le miroir, ce qui veut dire que l’on plonge en soi pour supputer des chances de gagner et de perdre. Pour l’automate, l’imprévu n’existe pas ; pour l’intelligence, l’automatisme ne suffit pas. De là cette lutte très humaine avec les forces de la nature que sont les tempêtes, la neige, le vent contraire, mais aussi les brahmanes fanatiques, les coutumes barbares, l’attaque des Sioux, les volontés contraires – et le soupçon de culpabilité pour un vol à la Banque d’Angleterre qui suivra Phileas Fogg jusqu’au dernier moment. En ce sens, le détective Fix est une idée fixe ; il veut mettre immobile le voyageur, en prison le joueur, arrêter pour vol son envol. Il est le saboteur d’Icare.

Un autre perturbateur est le valet Passepartout, Français donc courageux et généreux selon la typologie du temps, mais aussi léger et trop bavard. C’est Passepartout, ce trublion, qui va retarder sans cesse son maître : entrant dans une pagode avec ses chaussures, incitant à sauver l’épouse du rajah mort promise au bûcher, se laissant enivrer par Fix dans un bouge de Hong Kong, ne révélant rien de l’identité de l’inspecteur de police. Il se rattrapera parce qu’il est débrouillard, passe-partout, l’antithèse de son maître brouillard, Fogg. Cette dualité donne son mouvement à l’aventure car où serait le sel du hasard si tout était programmé ? Jusqu’au dernier instant, jusqu’à la dernière minute même au Reform Club, le lecteur ne saura pas si le pari est gagné. Un « coup de théâtre » assurera la bonne fin, mais il n’est qu’un automatisme des astres, une autre force naturelle avec laquelle compter.

Avancer, vivre, signifie lutter contre les forces d’entropie qui sont la mort des organismes. Le voyage exige des combustions : celle du charbon pour les machines jusqu’au bois des ponts et des intérieurs sur le dernier bateau qui a épuisé son charbon, celle du sucre pour l’éléphant, celle des bank-notes pour venir à bout des mauvaises volontés ou des défaillances techniques, celle de l’énergie individuelle pour supporter les hauts et les bas de la situation. Jouer est donc à la fois une innocence comme celle de l’enfant qui s’essaie, un agencement rationnel des choses et des moyens pour parvenir à son but, enfin une occasion de gagner ou de perdre qui maintient la volonté en haleine. Pour Phileas Fogg, le jeu s’arrête après la révolution. Le tour du monde étant fait, ne reste à explorer, à faire le pari et à gagner que cet autre monde qu’est l’amour. La belle Aouda sauvée des flammes indiennes sera cette compagne d’une nouvelle aventure.

Jules Verne, Le tour du monde en quatre-vingt jours, 1873, Livre de poche jeunesse 2014, 256 pages, €5.50 e-book format Kindle €0.99 

Jules Verne, Voyages extraordinaires : Michel Strogoff et autres romans (Le tour du monde en 80 jours, Les tribulations d’un Chinois en Chine, Le château des Carpathes), Gallimard Pléiade 2017 édition Jean-Luc Steinmetz, 1249 pages, €59.00 

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Batman le Commencement (Batman begins) de Christopher Nolan

L’intérêt de ce comics mis en film est de faire réfléchir son public cible des 12-15 ans sur les valeurs. Comment la colère naît de la culpabilité, combien la vengeance est une impasse, de quelle façon la justice n’est juste que lorsqu’elle est neutre et objective, au-dessus des personnes.

L’histoire est connue : Bruce Wayne, le fils unique d’un couple de riches philanthropes américains issus d’une dynastie industrielle, voit sous ses yeux un drogué descendre ses parents, plus avide d’argent pour se payer sa came que de la vie humaine. Il est l’exemple-type de l’égoïste totalement fermé qui se fout du monde et ne veut que jouir immédiatement – un archétype de la société des pionniers. Il est le bas de l’échelle dont les riches et puissants sont le haut, tout aussi égoïstes et fermés, dont la jouissance immédiate et permanente est le pouvoir sur les autres.

Mais le petit Bruce de 8 ans (Gus Lewis) a quelques mois auparavant chuté dans un puits du manoir familial en jouant avec son amie Rachel (Emma Lockhart), fille de la cuisinière. Il s’est cassé le bras, ce qui n’est rien, mais a été épouvanté par un vol de chauve-souris qui nichaient dans les profondeurs. Depuis, il fait régulièrement des cauchemars. A l’opéra, pourtant entre ses parents, il ressent un malaise à la vue des diables cornus aux ailes en cuir noir qui hantent la scène ; il réclame de quitter le spectacle et son père, trop bon, y consent. C’est à la sortie que surgit le looser qui va les tuer comme de vulgaires volailles à plumer.

Quatorze ans plus tard le jeune homme (Christian Bale) est empli de colère et ne songe qu’à se venger. Le tueur doit sortir de prison après avoir eu une conduite exemplaire, collaborer avec la justice pour témoigner contre le parrain de la pègre Falcone (Tom Wilkinson) et déclarer ses regrets au tribunal. Bruce veut le tuer, malgré Rachel qui lui dit que vengeance n’est pas justice – mais Falcone fait descendre le collabo avant que Bruce ne puisse sortir son pistolet.

Dès lors, frustré de sa vengeance, Bruce Wayne donne son manteau chic à un clochard et s’enfonce dans les bas-fonds, jusqu’en Asie – d’où part toute misère, selon la mythologie américaine. Un certain Henri Ducard (Liam Neeson) le repère dans une prison où il se bat à six contre un et le recrute pour sa Ligue des ombres, composée de guerriers ninjas. Bruce s’entraîne comme un forcené pour évacuer cette colère qui le hante. Il surmonte sa peur et réussit à dominer son corps par l’esprit suffisamment pour être reconnu comme apte à entrer dans la Ligue dirigée par le mystérieux Ra’s al Ghul, dont l’objectif est de restaurer la justice par tous les moyens partout dans le monde. Lorsqu’il lui demande de décapiter un meurtrier, Bruce refuse d’être « un exécuteur » ; il a une autre conception (chrétienne ?) de la justice. Dès lors, il doit se battre et incendie le repaire, tout en sauvant son mentor qu’il laisse inconscient à des villageois dans l’Himalaya.

Ce film d’initiation montre aux jeunes adolescents l’exigence de grandir pour devenir héros. L’égarement est naturel, l’apprentissage est culturel : si l’on veut devenir un homme plutôt que de rester orphelin infantile, il faut s’entraîner à dominer sa peur, à agir là où il le faut mais avec les moyens requis, et sans intérêt personnel. Et n’avoir aucune « pitié » envers ceux qui se mettent volontairement en-dehors de l’humanité.

De retour à Gotham City, vivant dans le manoir tenu par le fidèle majordome attaché à sa famille, qui l’a élevé (Michael Caine), Bruce se fait ninja pour mieux assurer la justice : il est play-boy héritier de grande fortune le jour et Batman la nuit, l’homme chauve-souris, en souvenir de ses cauchemars. Il ne veut pas devenir un justicier, mais que la justice soit un symbole qui plane comme une menace au-dessus des personnes. Nous sommes bien dans la conception américaine Ancien testament du droit et de la morale : un garde-fou vengeur qui empêche les humains faillibles d’errer.

Bruce s’appuie sur le chef de projets de la société Wayne (Morgan Freeman), relégué dans les sous-sols par le président exécutif avide de faire des affaires avec qui paye le plus – et d’entrer en bourse afin de diluer le pouvoir de la famille (une critique acerbe des excès du capitalisme financier américain). Lucius Fox (le renard) lui présente divers gadgets jamais commercialisés comme une combinaison en kevlar, un harpon à fil pour se remonter et un véhicule blindé tout-terrain. L’Amérique adore la technique et surtout les gadgets que les autres n’ont pas : au fond, le transhumanisme est déjà là, dans les gadgets. Batman s’appuie aussi sur le seul sergent de police resté honnête (Gary Oldman), vieux rêve américain que la Vertu existe malgré toutes les tentations. Le reste de l’histoire est pleine de rebondissements et d’action, la cité sur le point d’être détruite sauvée in extremis par quelques-uns.

Christian Bale (31 ans) est parfait en ce rôle de justicier tourmenté avec son visage lisse encore enfantin et un corps d’athlète obsédé de perfection. Son amie d’enfance Rachel (Katie Olmes) a choisi la voie du droit ; elle apparaît plus humaine mais aussi nettement plus impuissante face à la corruption et au crime de Gotham City. La ville est tenue par l’argent et la drogue, le premier servant à répandre la seconde pour anesthésier les dominés.

La leçon ultime est que la procédure légale doit avoir le dernier mot, mais pas sans que la force n’ait amené les criminel dans les filets de la justice, preuves à l’appui. Et c’est bien ce qui pose problème dans nos sociétés avancées : la violence est niée, les armes de la loi sont faibles – et les riches comme les criminels peuvent au fond faire ce qu’ils veulent.

DVD Batman le Commencement (Batman begins) de Christopher Nolan, 2005, avec Christian Bale, Michael Caine, Liam Neeson, Katie Olmes, Morgan Freeman, Gus Lewis, Warner Bros 2006, 134 mn, blu-ray €7.99

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Doit-on craindre un retournement boursier bientôt ?

Le scénario actuellement anticipé est optimiste, le maintien d’une croissance assez forte de l’économie mondiale supérieure à la croissance potentielle. Le FMI prévoit toujours, en avril, une croissance mondiale 2017 de 3,5% et en 2018 de 3,6%, l’OCDE étant à 3,3 et 3,6 et le consensus Forecast, toujours moins optimiste, à 2,9 % en 2017 et 3,0% en 2018. Les Etats-Unis croîtraient pour leur part de 2,1 à 2,4% en 2017 et de 2,4 à 2,8% en 2018, et la zone euro – en retard – de 1,6 à 1,7% en 2017, et 1,6 en 2018.

Ce n’est pas déraisonnable, malgré les changements politiques un peu partout dans les pays occidentaux qui introduisent de l’incertitude sur les règles économiques et sur la fiscalité. Mais, en gros, ces changements apparaissent favorables à la croissance.

Volatility index depuis 10 ans

D’où pourrait venir le risque ? Des deux économies principales de la planète : les États-Unis et la Chine. Donald Trump a promis une baisse de la fiscalité et encourage les entreprises à revenir produire au pays ; il envisage pour cela de réduire les contraintes de production, y compris celles sur la pollution. Mais il y a beaucoup de discours et peu d’actes concrets. La « sortie » des Etats-Unis de l’accord sur le climat ne sera juridiquement effective que dans 4 ans. D’ici là, les contraintes sont faibles. Et nombre d’entreprises américaines voient tout le bien qu’elles pourraient tirer de politiques environnementales, ne serait-ce que pour suivre le progrès technologique – dont elles se veulent la pointe.

Le recul de la profitabilité des entreprises en raison de la fin de l’expansion cyclique, lorsque les salaires réels augmentent plus vite que la productivité, pourrait donc être dilué par ces mesures de fiscalité et de dérèglementation favorables, en attendant le relai du prochain cycle industriel.

Indice américain Standard & Poors depuis 1999

Le cas de la Chine est plus préoccupant, mais rappelons que, malgré son poids démographique et son immensité géographique, la Chine n’est qu’une puissance économique moyenne dans la production mondiale. La croissance réussirait encore à atteindre autour de 6,2% en 2018, mais le chiffre est « politique » en l’absence de tout indicateur d’offre et de demande concret. Le parti tient à garder son pouvoir, donc l’Etat surveille et punit, en bonne morale socialiste, militant pour une réduction de la liquidité afin d’éviter les dépenses somptuaires, « politiques » et inutiles. Ce qui va mécaniquement faire monter les taux d’intérêt et pénaliser l’investissement. Mais ce coup de froid sur la surchauffe devrait faire baisser la pression de l’endettement et de la surproduction dans certains secteurs, tout en limitant la hausse rapide des salaires. Ce qui ne peut qu’ajuster à peu près l’économie chinoise au mouvement du monde. Encore ne faut-il pas en faire trop, et il est difficile d’en juger lorsque le marché n’existe pas.

Indice chinois SSE Shanghai A depuis 1999

Si ces deux risques surviennent, aux Etats-Unis et en Chine, leurs effets devraient être faibles sur les taux d’intérêt sans risque (emprunts d’Etat à 10 ans) car ils sont déjà très bas. En revanche, la surprise agitant les acteurs d’autant plus violemment qu’ils ne l’avaient pas vu venir, les cours de bourse pourraient connaître de fortes corrections. L’indice américain Standard & Poors est en effet au plus haut historique. Les primes de risque, entre emprunts souverains et pour le crédit pourraient se tendre. Les indices européens sont plus raisonnables, retrouvant leur niveau de 2015, mais pourraient suivre à la baisse par « solidarité » d’aversion au risque. L’indice chinois Shanghai A, après un excès en 2015, retrouve aujourd’hui son niveau de 2010 et n’apparaît pas surévalué. Il tomberait comme les autres, mais sans catastrophe.

Le pire n’est jamais certain et les deux premières années Trump devraient être positives, mais il est toujours bon de chercher d’où pourrait venir le risque – pour le surveiller et réagir à temps.

Indice français CAC40 depuis 1999

Indice européen Euronext 100 depuis 1999

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Subprimes : comment l’engrenage s’est enclenché

Presque dix ans déjà…

Les attentats du 11 septembre 2001, suivis par la guerre en Afghanistan, puis en Irak, ont poussé aux excès financiers : excès de dépense publique pour financer la guerre et soutenir la consommation, excès de laxisme monétaire qui encourage l’endettement, excès de sophistication financière qui titrise n’importe quel crédit et répand les produits structurés sans marché autre que le gré à gré, dans l’ensemble des bilans des banques et des assurances. Ces excès ont créé des bulles d’actifs (actions technologie-media-télécoms, immobilier, matières premières, pays émergents), encouragé la reprise de l’inflation, poussé à la hausse le pétrole, et à la baisse le dollar.

La crise financière de l’été 2007 est tout d’abord une crise bancaire.

Elle met en scène plusieurs acteurs interconnectés dont aucun ne voit le risque global, ne considérant que son propre intérêt : la Fed, les banques, les mathématiciens spécialistes des modèles de trading, les techniques de l’information et de la communication, les chasseurs de primes, les agences de notation.

La Fed a créé par sa politique de taux bas une abondante liquidité. Toute croissance se fonde sur le crédit, c’est toute la différence entre prendre un risque pour innover et se contenter de gérer l’immobilisme ambiant. Tout risque entraîne une volatilité, c’est-à-dire des écarts constants d’évaluations et de perspectives ; cette gestion du risque s’appelle « spéculation », ce qui signifie un pari sur l’avenir ; c’est à ce niveau que des modèles de simulation mathématiques sont volontiers utilisés.

L’innovation financière des spécialistes des banques a fait le risque. Ce qui est innovant pour un établissement prend des proportions systémiques dangereuses lorsque le levier et l’opacité décalent des actifs réels et que les produits titrisés et dérivés sont vendus à ceux qui en ignorent tout. La titrisation consiste, pour une banque, à transformer un ensemble de créances en titres négociables sur un marché financier, via un SPV (Special Purpose Vehicle), afin d’améliorer ses conditions de refinancement et d’optimiser la gestion de ses fonds propres en cédant une partie de ces actifs ou en externalisant une partie des risques auxquels ces actifs sont exposés. La sophistication croissante des techniques de titrisation a rendu plus difficile l’évaluation des risques afférents aux portefeuilles de titres et l’identification des porteurs de ces risques.

Il est à noter que la crise des subprimes n’est pas venue des hedge-funds, mais bel et bien des banques (Bear Stearns, Lehman Brothers, Goldman Sachs, etc.) et des assurances (AIG), pourtant très « régulées ».

Les récentes techniques de l’information et de la communication rendent instantané et réflexif tout mouvement dans un sens ou dans l’autre ; on y voit la propension très humaine à l’imitation et au panurgisme amplifié par la technique. L’essor récent lui aussi de la globalisation (depuis 1991 en gros) diffuse les techniques nouvelles instantanément à l’ensemble du système financier de la planète ; les Chinois comme les Européens ont acheté des crédits titrisés contenant des subprimes ; sans plus en mesurer les risques comparés à leur rendement affiché.

La bulle des actifs immobiliers due à la liquidité encouragée par la Fed a amplifié le crédit facile aux remboursements gagés sur la hausse, notamment des prêts risqués subprimes allant jusqu’aux ninja (no income, no job, no assets – ni revenu, ni emploi, ni actifs en garantie). Les rabatteurs indépendants des banques, chasseurs de primes, leur ont apporté des clients peu garantis, fondés sur la hausse constante des prix. Comme le vélo, tant que dure le mouvement à la hausse, le remboursement des crédits ne pose aucun problème. Lorsque la hausse s’inverse, les problèmes commencent…

La titrisation de ces crédits à risques, mélangés avec de bons crédits sous la forme d’ABS (Asset Backed Securities), MBS (Mortgaged Backed Securities), PSV (Special Purpose Vehicles), CDO (Collateralized Debt Obligations), CMO (Collateralized Mortgage Obligations), CBO (Collateralized Bonds Obligations) ou CLO (Collateralized Loans Obligations) – a noyé le danger. Tous ces produits ont fait eux-mêmes l’objet de dérivés, contrats bilatéraux sur mesure d’échanges de risques entre banques ou CDS (Credit Default Swap).

Ces crédits sont évalués par des agences de notation dont le laxisme théorique a fait qu’il y a plus de crédit noté triple-A que d’actifs réels triple-A. Puis les hedge funds ont joué du levier sans fonds propres sur tout cela (dépôt de 1,5 % du montant acheté pour les CDO et CDS contre 10 % pour les obligations ordinaires).

subprimes engrenage resume alain sueur

La crise du crédit succède fin 2008 à la crise bancaire.

Le ralentissement du marché immobilier américain a entraîné, par effet de dominos, une contagion de la crise, avec effet de levier, à toutes les banques, et dans le monde entier du fait de la globalisation financière. Les mauvais crédits ont amplifié la baisse du marché immobilier réel, donc des produits titrisés vendus, donc des hedge funds qui doivent renverser leurs positions en prenant des pertes, donc des banques qui ont acheté leurs titres. Tous les prix sont entrés en mouvement, les actions, les obligations, l’immobilier, les monnaies, l’énergie, les matières premières – et même les denrées agricoles – pour tenter de trouver des placements alternatifs rentables. Le coût du risque a violemment fluctué. Les banques ne se font plus confiance, l’une d’entre elles – Lehman Brothers – ayant été laissée aller à la faillite le 15 septembre 2008 sans que les autorités publiques n’interviennent. C’est toute la confiance dans le système financier qui a été atteinte.

Toutes les grandes banques ont acheté sur le marché des tranches de dettes polluées par les prêts à risque mais supposées stimuler leurs rendements. Elles en ont parfois transféré le risque à des investisseurs sous forme de produits structurés complexes ARS (Auction Rate Securities), de CDO (Collateralized Debt Obligations) et CDO d’ABS (Auction Bonds Securities).

Par peur des mauvaises surprises dans leur bilan, non seulement les banques ne se prêtent quasiment plus entre elles, mais elles prêtent beaucoup moins à l’économie « réelle », ce qui entraîne baisse de l’investissement, de l’innovation, de la consommation, chômage, délocalisations, etc. Cet effet vient s’ajouter à une phase de ralentissement cyclique normal après le rebond des années 2003-2007. Le ralentissement économique, parti des États-Unis, se diffuse à l’Europe et aux pays émergents (qui exportent moins).

Le quatrième étage de la fusée a failli être constitué par une panique des ménages.

Ils ont eu la tentation de retirer massivement leurs dépôts des comptes bancaires et leurs titres des portefeuilles pour les stériliser sous forme d’or métal ou de billets en coffre-fort, se méfiant même des emprunts d’État qui, bien que réputés habituellement « sans risque », se trouvaient fragilisés par l’envol de la dette et le doute sur la solvabilité des plus petits (l’Islande entre autres).

Nous aurions pu avoir alors une atmosphère de méfiance généralisée, une crise aiguë de liquidité des banques et une spirale de grande Dépression analogue à celle des années 1930. C’est à ce risque qu’ont tenté de pallier le plan Paulson (secrétaire au Trésor américain) et les plans coordonnés issus des accords européens d’octobre 2008, sans parler des plans chinois, japonais, russes et autres.

La crise est mondialisée, or le contrôle des banques est national. Des faillites de grands établissements obligent les États à intervenir massivement par nationalisation, rachat de crédits en défaisance ou garantie des prêts entre banques, pour éviter une situation de crise généralisée du crédit. Les budgets restent ceux des États, contraints par leur dette, le niveau des impôts et leur balance des comptes. Ils doivent rassurer les épargnants en garantissant les dépôts, relancer la consommation par la fiscalité et la redistribution, et sauver le système bancaire. Seules les politiques monétaires sont par grandes zones devises, elles assurent la liquidité des banques en acceptant des prises en pension plus risquées, mais elles ne suffisent plus à elles seules à régler le système notamment parce que les taux de change politiques des pays asiatiques n’aident en rien au rééquilibrage.

La suite a été vécue dans les années 30 : crise économique égale crise sociale, donc crise politique.

Les extrémismes simplistes, le populisme démagogique et l’appel au chef à poigne sont la conséquence du ressentiment social. Sortez les sortants est le slogan. La démocratie représentative, lente et procédurale, parfois corrompue par des « affaires », est violemment contestée, à la fois par les démagogues manipulateurs des foules en colère, et par ceux qui aspirent à une démocratie plus directe.

Dans les années 30, nous avons eu la montée des autoritarismes : socialiste (URSS, Chine), fasciste (Italie, Japon), nazi (Allemagne, Autriche), conservateur (France pétainiste, Espagne franquiste, Portugal salazariste), démocratie de guerre à Exécutif fort (Royaume-Uni, États-Unis). Cela a abouti à la guerre.

Une telle montée s’observe aujourd’hui, heureusement dans un monde qui n’est plus le même. La guerre ne met en œuvre que l’intégrisme islamique avec le reste du monde. Mais chaque peuple se replie sur lui-même et l’Union européenne vacille tout comme le fédéralisme américain ou peut-être aussi allemand.

Les subprimes n’ont été qu’un élément de l’engrenage.

Cette note est tirée (avec son autorisation) de Gestion de fortune (2009). L’auteur a passé plusieurs dizaines d’années dans les banques et a écrit également Les outils de la stratégie boursière (2007). Il se consacre désormais aux chroniques, à la formation et à l’enseignement dans le supérieur.

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Risques boursiers 2016

Les marchés financiers, et notamment celui des actions, sont une chambre d’échos des espoirs et des craintes des investisseurs. Ce pourquoi ils sont un indicateur avancé de la santé des économies.

Rappelons ce fait d’histoire que l’économie leader de la planète reste l’économie américaine. Véritable « économie-monde » au sens de l’historien français Fernand Braudel comme de l’économiste américain Immanuel Wallerstein, l’économie des États-Unis est organisée par un État fort (et très peu « libéral » au sens que lui donne la gauche française), alimentée par l’innovation technologique (financée par la puissance militaire qui veut conserver une avance stratégique), et dont le marketing est effectué par le soft-power culturel du divertissement (Hollywood, Disney, Coca-Cola, Apple, Facebook, Twitter, McDonald’s, Lewis, Nike, etc.).

reseaux sociaux mediavores

L’économie américaine n’est pas le seul phare de la bourse, mais il en est le principal. Ce pourquoi tout ce qui arrive à la santé économique américaine affecte l’ensemble des marchés financiers de la planète, même si certains y échappent partiellement.

Sur l’année 2016, quatre risques importants sont détectés :

1. La reprise américaine décevante avec une croissance du PIB qui ralentit de 2.4 en 2015 à 1.5% estimé 2017. En cause l’industrie, notamment l’exploitation du pétrole de schiste, qui pâtit des prix bas du baril pilotés volontairement par l’Arabie Saoudite afin de conserver son monopole relatif.
2. Le ralentissement chinois et d’autres pays émergents, chacun pour des raisons différentes (la Russie à cause de la chute du prix du pétrole et de l’absence de réformes visant à encourager l’initiative économique ; le Brésil en raison de la dépense publique inconséquente et de la corruption politique). La Chine connait une crise de croissance, devant substituer une économie d’élévation domestique du niveau de vie à une économie tirée par l’investissement à destination des biens exportés à bas coût – transition qui ne se fait pas sans douleur. L’ultime ajustement sera le desserrement « démocratique » (selon les valeurs chinoises) qui remettra partiellement en cause le monopole du parti communiste. Cependant la Chine, avec son yuan partiellement convertible, peut garder la main sur son économie, échappant partiellement aux effets de la politique monétaire américaine.
3. La baisse du prix du pétrole (et du gaz par affinité) perturbe, par son ampleur et sa rapidité, tous les pays producteurs (Russie, Venezuela, Algérie, Nigeria, Gabon…). La chute de la rente augmente le chômage, donc la contestation sociale, qui peut prendre des formes politiques ou violentes – voire encourager le terrorisme dans les pays musulmans contaminés par le salafisme.
4. La politique de liquidités des Banques centrales, mise en place progressivement et à juste titre pour pallier les effets de la crise 2007 des subprimes, a peine à se normaliser. Les économies restent engluées dans le marasme ou ne relèvent la tête que pour une croissance anémique. Les liquidités créées par le rachat d’obligations d’État ou d’entreprises (quantitative easing) ne se placent pas forcément dans l’économie réelle via les crédits accordés par les banques, mais dans des actifs « sûrs » en attente d’investissement (ou exigés par la réglementation Bâle III) – ce qui crée une bulle obligataire et, dans certains pays, une bulle immobilière. Ces bulles génèrent de l’instabilité sur les marchés, décourageant la prise de risque dans les investissements réels – donc les embauches, donc la croissance.

Ces quatre risques à court terme se situent dans le risque à long terme des mutations technologiques et de la globalisation.

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Les effets du nouveau cycle d’innovations tiré par les technologies de l’information et des biotechnologies sont lents à changer la donne, les emplois détruits étant en phase initiale toujours plus nombreux (pour cause de productivité immédiate) que les emplois créés. Il faut en gros une génération avant que l’intégration des nouvelles technologies s’accompagne des réorganisations nécessaires et que la société s’y adapte. Les nouveaux métiers exigent de la formation (très mal organisée en France), la productivité réelle des technologies de l’information exige une organisation moins hiérarchique et plus en réseau (qui exige elle-même des salariés compétents, donc bien formés), l’essor des nouveaux métiers exige des modifications du droit pour qu’ils puissent voir le jour et se faire leur place (taxis avec Uber, locations touristiques avec Airbnb, télétravail, autoentreprise, multi-contrats, etc.).

Les risques qui sont identifiés et analysés ne peuvent jamais générer un « krach » – puisqu’ils sont déjà dans la tête des investisseurs. Les chutes brutales, de grande amplitude et durables de la bourse sont toujours l’effet de surprises, d’événements non prévus. Par exemple un attentat terroriste nucléaire (bombe « sale » ou centrale sabotée qui engendre un Tchernobyl), attaque de l’Arabie Saoudite par l’Iran, ou « la conjonction des astres » électoraux (imaginez en 2017 Donald Trump à la Maison-Blanche, Marine Le Pen à l’Élysée, une coalition avec une extrême-droite vigoureuse en Allemagne et le Brexit réalisé…).

Au-delà du pire, comment sortir des risques identifiés ?

1. L’économie américaine est réactive, mais l’incertitude électorale va peser jusqu’au résultat – il faut attendre 2017 pour qu’une tendance se dégage.
2. Le ralentissement chinois est assez habilement piloté et l’on peut penser qu’il continuera à l’être, même si la transition politique (qui suit toujours l’essor de l’économie selon Marx…) est une phase plus dangereuse que l’essor du pouvoir d’achat.
3. Les effets d’un prix du pétrole trop bas se font sentir jusqu’en Arabie Saoudite, déstabilisée socialement, ce qui laisse à penser que le léger rebond actuel marque la fin de la chute – sans que l’on retrouve avant quelque temps les prix d’il y a quelques années, faute de croissance économique aussi forte dans le monde.
4. La politique des Banques centrales a atteint son maximum. Nulle politique monétaire, même accentuée, ne peut corriger le problème d’offre dû au faible investissement faute de volonté patronale et de demande finale. C’est aux États et à l’Union européenne de prendre le relais, ce qui est lent et soumis aux aléas de la posture politique et de la démagogie idéologique (on le voit en France avec la loi travail). Les budgets ne disposant pas de marges de manœuvre en raison de l’endettement et du Pacte européen de stabilité, seules des réformes « structurelles » peuvent y réussir : sur la formation des chômeurs, le droit du travail, la sécurité retraite, le pilotage vers les nouveaux métiers, la fin des monopoles.

Un lent et long travail de réflexion juridique, de pédagogie, de compromis politique, ponctué d’élections-sanctions, de conservatisme et de retours en arrière…

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Robert-Louis Stevenson et Lloyd Osbourne, Le pilleur d’épaves (Le trafiquant d’épaves)

robert louis stevenson le trafiquant d epaves

Inspiré par les conversations lors d’une croisière d’Honolulu vers les Samoa, ce « roman policier à la Charles Dickens » a été écrit à deux, Robert-Louis et son beau-fils Lloyd Osbourne, et d’abord publié en feuilleton. La matière est due aux deux, la manière au seule premier.

Autobiographie partielle romancée, étude de mœurs, aventure de mer, detective story fondée sur une escroquerie, ce roman fleuve un brin longuet ne commence véritablement qu’au chapitre IX. Tout ce qui précède est une mise en bouche un peu laborieuse des jeunes années de l’écrivain dans le milieu artiste peintre à Paris et Barbizon.

Loudon Dodd, qui raconte, est un fruit sec, aussi peu doué pour les affaires que pour l’art. Jamais fini, toujours en quête d’un complément, perpétuellement velléitaire, il est au fond un rêveur hanté par son imagination. Son père qui l’aime le cadre, puis Pinkerton l’ami affairiste vulgaire, encore Nares capitaine viril et décidé, enfin Bellairs avocat véreux et veule…

En bref, après une initiation à la bourse dans une école pour commerce américaine qui le laisse dépassé et interdit, le jeune Loudon est envoyé par son père à Paris étudier les Beaux-Arts en vue d’un concours d’architecture pour construire le palais du gouverneur de l’État. S’il a un peu de goût, il n’a guère de talent, mais il ne s’en aperçoit que lorsqu’il tombe dans la dèche au décès de son père après faillite. Tous les artistes en voie de célébrité du milieu parisien, qui louaient l’honnête facture de ses œuvres de riche amateur, l’évitent et le critiquent impitoyablement dès qu’il veut devenir l’un des leurs.

robert louis stevenson le pilleur d epaves sur les intellos

Il n’est sauvé que par un jeune compatriote, Jim Pinkerton, génie affairiste qui a sans cesse plusieurs affaires sur le feu et réinvestit de suite chaque dollar de bénéfice. Après de multiples et cocasses péripéties, prétexte à la description des requins de San Francisco, le duo investit aux enchères dans une épave fichée sur un roc en plein milieu du Pacifique. Son capitaine et quelques marins sont rentrés et l’assureur met le brick en vente, à charge de l’acheteur de se payer sur ce qui reste de la cargaison.

C’est alors que rien ne se passe comme prévu : les enchères devaient être expédiées comme une formalité, elles sont l’objet d’une âpre dispute entre surenchérisseurs ; le manifeste évalue la cargaison à environ 10 000 $, les enchères montent jusqu’à 50 000 ; le mystérieux enchérisseur qui veut à tout prix l’épave n’apparaît jamais en personne et s’évanouit dans la nature. Y aurait-il une cargaison non déclarée qui vaudrait de l’or ? De l’opium ?

Pinkerton reste à Frisco, tentant de sauver son affaire du gigantesque emprunt auquel il a dû procéder pour l’emporter, tandis que Loudon embarque avec le capitaine Nates pour aller piller l’épave. Mais ils ont beau retourner tout le navire, ils ne trouvent qu’un peu de thé, quelques soieries, et quelques paquets seulement d’opium. Plus étrange, le coffre du navire avec toutes les factures du capitaine n’a pas été emporté par les naufragés secourus par un vapeur de guerre ! Y aurait-il anguille sous roche ?

C’est évidemment le cœur de l’histoire et je ne dévoile rien de la suite, qui vaut d’être lue.

Il n’y a aucune sorcellerie dans l’affaire, ni vraiment de méchants – seulement des hommes avec leurs défauts et les qualités qui vont avec. Puis l’enchaînement des circonstances.

Stevenson dédie son récit au peintre américain Will Hicok Low, qu’il a connu à Paris en 1873 et à Barbizon en 1875. Il évoque « un récit d’un genre si moderne, tout plein de détails sur nos mœurs barbares et notre morale chancelante, tout rempli de la soif et de la nécessité de l’argent au point qu’il n’est guère de page dans laquelle on n’entende tinter les dollars, tout plein de l’agitation et du mouvement de notre siècle de sorte que le lecteur est bousculé d’un endroit à l’autre, d’une mer à l’autre, que le livre est moins un roman qu’un panorama, et est finalement aussi éclaboussé de sang qu’une épopée » (Épilogue).

Les îles du Pacifique sud épurent la pensée comme l’existence ; elles sont le paradis comparé à l’enfer de la corruption affairiste ou artiste de mise en pays « civilisé »…. sauf lorsqu’on les côtoie de près et qu’elles laissent un goût amer de tristes tropiques. Entre deux mondes, entre deux eaux, l’écrivain Robert-Louis Stevenson « parcourt le chemin des ténèbres », selon le célèbre vers de Catulle à propos d’un moineau.

Robert-Louis Stevenson et Lloyd Osbourne, Le pilleur d’épaves, 1892, parfois traduit en français sous le titre Le trafiquant d’épaves, Histoire des mers du sud, Libretto 2012, 128 pages, €12.80
e-book format Kindle €11.99
Robert-Louis Stevenson, Œuvres II, Gallimard Pléiade 2005, 1389 pages, €59.80
Les œuvres de Robert-Louis Stevenson chroniquées sur ce blog

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Thomas Philippon, Le capitalisme d’héritiers

thomas philippon le capitalisme d heritiers
Philippon est l’un de ces économistes français qui sont brillants parce qu’ils ont su à temps prendre la tangente. Comme Olivier Blanchard, Bernard Salanié, Philippe Aghion et bien d’autres de gauche et de droite, il enseigne aux États-Unis où il trouve un milieu stimulant et des moyens de recherche de niveau international. Et cela malgré une formation française initiale plus diversifiée, à condition d’être effectuée hors de l’université. On ne peut analyser son propre pays qu’avec un regard extérieur. Et, parce qu’il y a encore de bons éditeurs d’idées en France, Thomas Philippon nous livre une analyse sans jargon du pourquoi il y a crise – proprement française – du travail.

« Ce qui distingue nettement la France des autres pays, c’est le peu de satisfaction que les salariés semblent tirer de leur travail, et la mauvaise opinion qu’employés et employeurs ont les uns des autres. Les difficultés du capitalisme français reflètent ainsi celles de la société en général : on remarque partout la même incapacité à faire émerger des organisations puissantes où les relations sociales se fondent sur une confiance réciproque » p.8.

Il n’y a pas crise de la « valeur travail » en France relativement aux autres pays, comme le montrent les enquêtes. 70% des Français estiment même qu’un parcours des plus enrichissants consiste à créer son entreprise. Le marché du travail, très régulé en France, n’explique pas tout. Une étude montre qu’ « un peu plus d’1/8ème des variations de taux de chômage entre les pays et un peu moins d’1/3 des variations de taux d’emploi » sont explicables par des variables institutionnelles.

L’exception française – car il y en a une ! – réside dans l’incapacité à travailler ensemble : « la France est le pays développé où les relations de travail sont les plus mauvaises, à la fois du point de vue des dirigeants d’entreprises et du point de vue des employés » p.20. C’est pareil, même pire, pour les entreprises d’État ou pour l’Administration ! « Dès qu’un professeur devient proviseur, il passe dans le camp ennemi. Au lieu de dire ‘c’est un des nôtres qui a réussi, on sera peut-être mieux compris’, ils sont méfiants car ils pensent qu’il est passé de l’autre côté de la barrière » (Michelle Lamont citée p.24).

L’histoire patronale a trouvé jadis dans le paternalisme une façon de contourner les conflits, ce pour quoi les entreprises familiales, et surtout les PME, fonctionnent moins mal en France que les autres. Le management moderne « à la française » n’a rien trouvé de mieux que de reproduire dans les grandes entreprises ce qui fait le propre de la hiérarchie sociale elle aussi « à la française » : la neutralité aseptisée et la minutie bureaucratique. Paternalisme comme bureaucratie adorent la « distance » entre les gens.

Les nationalisations idéologiques des années 1980 ont aggravé la situation en perpétuant le phénomène bureaucratique – ce qui a joué un rôle déterminant dans les mauvaises relations de travail en France. Il y aurait tout un livre à écrire sur l’inertie conservatrice des conceptions de gauche en France (élite « alternative », la gauche a toujours une génération de retard au moins dans les habitus de la « civilisation des mœurs »). « En Allemagne et aux États-Unis, deux pays où la confiance entre managers et employés est plutôt bonne, l’organisation de l’entreprise est choisie selon des critères économiques. En France et en Italie, l’organisation de l’entreprise est choisie pour protéger les individus les uns des autres. Cela suppose une définition minutieuse des tâches et des statuts, de manière à ce que chacun puisse se soustraire à l’arbitraire de l’autre » p.43.

Travail d’équipe et convivialité ne sont jamais au programme des entreprises françaises, non plus que des administrations. Ce pourquoi souplesse et innovation ne font pas partie du dictionnaire français : « une entreprise où la promotion interne est juste et efficace et où l’initiative est encouragée, peut multiplier les talents. A l’inverse, une entreprise mal gérée peut transformer des individus ouverts et entreprenants en petits bureaucrates mesquins et craintifs » p.76. J’ai connu plusieurs banques ex-nationalisées où ce modèle s’applique…

L’histoire des salariés a créé (fort tard) des syndicats dont la revendication révolutionnaire attire d’autant moins qu’elle est obsolète. Plus le développement syndical été tardif, plus la confiance dans les relations de travail est aujourd’hui faible. Pour « forcer » leur existence, l’Administration n’a rien trouvé de mieux que de soviétiser leur institution : en désignant elle-même par décret ceux qui sont dits « représentatifs », quel que puisse être le résultat des élections par les salariés eux-mêmes. « La reconnaissance institutionnelle dont bénéficient les syndicats français est moins le fruit de leur représentativité sociale que de décisions politiques prises il y a 50 ans » p.10.

Rappelons-le, « le capitalisme » est un outil, pas une idéologie (c’est « le libéralisme » qui en est une). Cet outil d’efficacité économique est utilisé par chaque société selon ses propres valeurs et habitudes. La France, formée intellectuellement par le droit Romain et par l’Église catholique, a une nette préférence pour l’héritage, la hiérarchie et les statuts. Philippon appelle « capitalisme d’héritier » cette variante française qui tend « à privilégier l’héritage, qu’il soit direct (sous la forme de la transmission successorale) ou sociologique (sous la forme de la reproduction sociale par le diplôme et le statut) » p.9.

« Les relations sociales ont toujours été mauvaises en France, mais leurs conséquences néfastes ont été masquées par le taux de croissance extraordinaire lors du rattrapage économique des années 1950 et 1960 » p.77. « L’absence de coopération au sein des entreprises crée des rigidités réelles au moins aussi coûteuses que les rigidités législatives souvent décriées » p.79. La grève entretient le chômage et la peur du conflit entretient la mauvaise habitude de la « communication de crise ». Or, « la troisième révolution industrielle, avec l’importance accrue du capital humain qui la caractérise, a rendu la coopération au sein des entreprises plus cruciale que jamais » p.82. Oui, le « modèle social français » est bel et bien inadapté au monde moderne et globalisé !

Richelieu Philippe de Champaigne 1637

« Que faire ? » est, paraphrasant Lénine, l’objet du chapitre 5. Une politique industrielle cohérente, selon l’auteur, devrait passer par :

1. Réformer les droits de succession, qui ne devraient pas encourager les transmissions familiales mais être neutre.
2. Financer les PME par la bourse et en finir avec le « grand méchant marché » en insistant sur la transparence et sur la responsabilité des investisseurs.
3. Rénover les syndicats en faisant de l’élection le seul critère de représentativité, au-delà d’un seuil, en incluant parmi les votants les chômeurs et en ne concluant aucune négociation sans règles de révision.
4. Réformer l’État : déjà « balayer devant sa porte ! » p.101. Améliorer la promotion interne, décentraliser la prise de décision, réduire les niveaux hiérarchiques – comme Christian Blanc l’a réussi pour la RATP.
5. Encourager l’esprit critique des médias en contrepouvoir. Les médias sont des garde-fous puissants contre les abus des dirigeants et l’on « peut par exemple douter de l’empressement d’un journal à mener une enquête sur un possible délit d’initiés si celui-ci met en cause un de ses principaux dirigeants » p.104. Les médias peuvent aussi corriger la bêtise ambiante, les affirmations scandalisées des corporatistes qui, par exemple à la SNCF, dénoncent « la course à la productivité » alors que la productivité est justement ce qui permet le progrès technique, le progrès du pouvoir d’achat et l’élévation du niveau de vie de tous à long terme.
6. Réformer le système d’éducation, car il reflète dans toute société le système social. L’enseignement « à la française », qui privilégie le cours ex-cathedra, avec apprentissage servile des manuels, ne prépare nullement à coopérer, à écouter et réfléchir par soi-même, à argumenter et à décider ensemble…

Les défauts des entreprises françaises sont les défauts des habitudes sociales françaises. Ce pourquoi « les Français qui travaillent dans des entreprises étrangères sont plus satisfaits que ceux qui travaillent dans des entreprises françaises » p.109.

Thomas Philippon, Le capitalisme d’héritiers – la crise française du travail, Seuil, collection République des Idées, mars 2007, 112 pages, €11.80

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Tom Wolfe, Moi, Charlotte Simmons

tom wolfe moi charlotte simmons
Un gros livre, plus de mille pages, mais l’on ne s’y ennuie jamais. C’est que Tom Wolfe, ancien journaliste, sait distiller les informations soigneusement collectées avec le fil d’une histoire à visée morale. Nous sommes dans la sociologie et dans la série télé, intimement mêlées comme un professionnel sait le faire. Si vous plongez dans ce roman énorme, vous en saurez bien plus sur les États-Unis et sur la modernité à la mode que bien des articles, films ou traités. Vous serez édifié !

Charlotte Simmons est une provinciale de Sparta, bourgade perdue des montagnes, où l’existence reste à ras de terre, traditionnelle et gouvernée par le qu’en-dira-t-on et les principes religieux. Très bonne élève de son lycée, malgré les tentations de s’amuser et les garçons qui la cherchent, elle obtient une bourse pour la prestigieuse université Dupont (nom inventé), qui façonne à l’égal de Harvard, l’élite de l’Amérique.

A 18 ans, voici donc la godiche jamais sortie des jupes maternelles plongée dans le bouillon de culture et de sexe d’un campus américain. Dépaysement garanti ! Charlotte Simmons découvre bien vite que ce qui compte dans ce temple du savoir, est moins l’étude que la baise, moins l’esprit que le muscle, moins la prestance intellectuelle que d’être « cool ». La coolitude est l’expression gentillette du politiquement correct, du suivisme de horde, du faire-comme-tout-le-monde. Quiconque n’est pas cool est ostracisé, méprisé.

Le politiquement correct est une boue insidieuse qui encrasse l’esprit et les comportements. A force de vouloir être bon garçon ou bonne fille, tolérant avec toutes les idées, on en vient à accepter l’inacceptable – simplement parce que cela se fait. « Putain de… moutons ! Ils se contentent d’avaler la merde de mouton qu’il leur sert et de la régurgiter chaque fois qu’il leur pose une question. Comme ça, on finit par ne plus dire ce que l’on pense, et bientôt c’est cette merde qui devient ‘convenable’, et alors on continue à la répéter, à la ressasser, parce qu’on ne veut pas être ‘déplacé’, pas le genre de gus qui ne se fait plus inviter nulle part sous prétexte qu’il risque de produire un couac dans la conversation… » p.963.

Heureusement que Charlotte est une fille, pas mal de sa personne et d’un individualisme exacerbé – ce que l’Amérique tient pour de la volonté. A peine décrottée de sa province, la voilà confrontée au snobisme des filles et fils de riches (pensions privées, fripes de marque et gadgets électroniques à gogo). Toute emplie de principes chrétiens, la voilà confrontée aux écarts de race, de classe et d’apparence.

baiser

Car l’égalité formelle, sans cesse réaffirmée par l’Amérique, laisse apparaître à nu toutes ces inégalités de nature que l’habillage de civilisation savait plus ou moins masquer. Les Noirs admis à Dupont ne le sont pas pour leurs performances intellectuelles mais pour leurs muscles saillants et leur agressivité de ressentiment au basket. Les gais et lesbiennes qui revendiquent une égale dignité peuvent manifester autant qu’ils le veulent, mais n’en sont pas moins laissés à leurs masturbation intellectuelle et à leur faible carrure. Les demi-dieux de l’université sont les « géants » du stade ; toutes les filles séduisantes veulent « être leur pute », toutes rêvent de « baiser une star ».

C’est que le sexe est frénétique à Dupont, « du sexe comme de l’azote ou de l’oxygène ! Le campus entier en était baigné, gonflé, lubrifié, gorgé, stimulé ! Excitation permanente, baise, baise, baise, baise, baise… » p.198. Ces quatre années entre l’infantilisme de la minorité au lycée et la future vie professionnelle et familiale sont consacrées aux « expériences » en tous genres « quatre ans pendant lesquels tu peux tout faire, tout essayer, sans qu’il y ait de… conséquences. Pas de traces, pas de dossier, pas de blâme » p.241. De reconnaissance en caresses, de mots gentils en dépression, la première année coincée Charlotte se fera une réputation de pute en six mois, « allant » bien malgré elle avec trois stars de l’université successivement…

Nageurs de l’université Standford, USA

nageurs universite standford usa

Pour les garçons, la trilogie bite-bière-et-baston l’emporte haut la main ; seule la baston est remplacée pour les filles par fringues-et-maquillage. Le garçon est obsédé par la virilité, qui se manifeste par la musculature, la grossièreté et la violence – surtout pas par l’agilité d’esprit. Qui oserait « enfreindre le grotesque code d’honneur des sportifs de campus, lequel interdisait de se comporter en étudiant ‘normal’ ? » p.193. Celui qui travaille bien est un bouffon, tout comme dans nos banlieues ; ceux qui s’en sortent le font en cachette. Quant aux « incroyables abdos » p.709, ils font se pâmer les filles, les étourdissent à point pour le « ramonage » inévitable où il s’agit moins de sentiment que de se « vider ».

Dans cette anarchie hormonale et sociale, Charlotte Simmons n’est plus elle-même. Ses résultats scolaires chutent, ses relations vont de la fausse amitié aux faux amours, sans qu’elle réussisse à trouver le bon équilibre sensuel (trop coincée), affectif (trop émotive) et intellectuel (trop dispersée). Elle erre entre les matières littéraires et la neurologie, entre sa co-chambre snobinarde et les délaissées devenues copines mais langues de vipère, entre le trop beau Hoyt, le géant niais touchant Jojo et l’intello-juif centré sur lui-même Adam. Elle se fera violer – avec son tacite consentement – tombera en dépression avant qu’Adam ne la sauve, avant de sauver elle-même Jojo en devenant malgré elle son guide spirituel.

Basketball, Greg Finlay à l’entraînement

basketball greg-finley shirtless

L’on s’étonne, comme Français, que la relation sexuelle soit connotée aussi « sale » par le puritanisme hypocrite yankee : Charlotte ne peut-elle baiser (avec préservatif) simplement, sans en faire une métaphysique ? Elle parle au contraire de « dégradation et d’humiliation, de descente au plus profond de la fange » p.734. Comme si le sexe n’était pas naturel, comme si elle-même était un ange… Il s’agit bien du mépris chrétien-américain de la vie ici-bas, de la hantise puritaine de la matière, de l’idéal Disney du pur esprit affectant de mépriser le corps pour une vie parfaite… Entre pute universitaire qui se fait un « honneur de laisser ces géants se servir des fentes de leur bas-ventre ou de leur visage comme il leur plairait » p.870, et l’amour éthéré de l’épouse-chrétienne-modèle qui ne consent à faire des enfants qu’une fois tous les cinq ans, dans le noir et sans plaisir, n’y aurait-il pas un juste et plus naturel milieu ?

Passant du rien au tout, on comprend que dans ce « bordel » universitaire (terme cru mais exact de ce qu’y s’y passe), la fille de 18 ans soit désorientée et perdue : ces « valeurs de l’Amérique » inculquée par la famille et la religion, sont bien malmenées par la vanité, le sexe et l’arrivisme. L’éducation d’aujourd’hui préparant les adultes de demain, le lecteur français ne peut que mesurer combien le laxisme disciplinaire, la lâcheté du politiquement correct et l’indulgence pour les « fautes de jeunesse » ont pu aboutir aux malversations Madoff, à l’escroquerie des subprimes, à la niaiserie de l’invasion de l’Irak pour commander la démocratie – et à toutes ces tentatives d’imposer au reste du monde l’imperium américain.

Hyper-individualistes, contents d’eux, se croyant missionnés carrément par Dieu, les adultes des États-Unis aujourd’hui sont les mêmes qui, ados, ont paradé, violé, triché allègrement dans les campus universitaires au début des années 2000. Il faut lire Tom Wolfe pour saisir tout ce que la modernité venue d’Amérique peut avoir de toxique dans son laisser-aller de comportement, son hypocrisie sociale, sa lâcheté morale. Et pour comprendre combien l’idéologie socialiste, scolairement traduite par Belkacem, est un clone de cette Amérique-là.

Tom Wolfe, Moi, Charlotte Simmons (I am Charlotte Simmons), 2004, traduction Bernard Cohen, Pocket 2007, 1010 pages, €11.20

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Prédiction, prévision, prospective

Chacun sait qu’il est plus facile de « prévoir » le passé que l’avenir… Chacun croit savoir ce qu’il aurait fait s’il s’était trouvé dans telle situation. La raison en est que l’enchaînement des causes, survenues par hasard, peut être logiquement reconstitué lorsque l’on a une vue d’ensemble : il fallait « évidemment » choisir le camp de la résistance fin juin 1940… et pourtant De Gaulle et ceux qui ont refusé d’obéir aux ordres du gouvernement Pétain « légitimement » nommé étaient juridiquement des traîtres.

Si le passé est écrit définitivement, l’avenir reste ouvert et incertain. Cette incertitude fait peur, tant l’être raisonnable qu’est l’humain a besoin de logique pour agir en sécurité. Selon la gradation du plus fantaisiste au plus scientifique, il va chercher à prédire l’avenir, à prévoir les événements, ou à bâtir une prospective. La différence entre ces trois mots est importante.

boule ado a prevoir avenir

La prédiction pré-dit, c’est-à-dire qu’elle veut énoncer tout simplement l’avenir tel qu’il va advenir. Ce sont les mots des prophètes, des voyants, mais aussi des dogmatiques : le prédicatif affirme d’une façon absolue et définitive. Nous sommes dans la croyance, qu’elle soit religieuse, idéologique ou scientiste – nous ne sommes pas dans la raison. Le performatif règne en maître – où dire c’est faire ; l’annoncer, c’est comme si c’était fait. Les politiciens sont passés maîtres dans cet art de la com’ qui s’apparente au mensonge, sous couvert d’une apparente volonté.

Prédire est affirmer ce qu’on voudrait qu’il advienne, sans autre certitude que celle de sa conviction : la « vraie » vie dans l’au-delà, la fin du monde, la société sans classe de l’avenir radieux, le bonheur-santé-richesse des marabouts et autres diseuses de bonne aventure. Rappelons cependant que Madame Soleil, qui « voyait tout » selon ses dires, n’a jamais prévu le contrôle fiscal qui lui est tombé dessus pour ses gains en liquides non déclarés…

La prévision est moins affirmative, elle ne « dit » pas l’avenir, elle se contente d’en avoir une « vision » plausible. L’intelligence entre alors en scène et maîtrise les émotions sur le futur. Le raisonnement intervient, étayé par des chiffres, des théories, des modèles (tous révisables). La statistique permet de calculer des séries temporelles, que l’on peut projeter ensuite dans l’avenir. Le plus fiable est par exemple la démographie : tous les humains qui auront l’âge de la retraite dans 10 ans sont déjà nés, la seule incertitude réside dans la mortalité de cette cohorte d’ici-là – et dans l’âge de la retraite lui-même, qui peut changer. Le moins fiable est peut-être la bourse ou la météo, les deux dépendant de tant de variables qu’il est difficile de dessiner une tendance – sauf lorsque la situation reste à peu près stable ou dans un trend établi.

Prévoir, c’est prendre des précautions logiques en fonction de ce que l’on connait aujourd’hui. Ce n’est pas affirmer un avenir certain, mais seulement un avenir possible. C’est considérer comme plus ou moins probable la survenance de tel évènement (chaque probabilité est calculable) – et s’y préparer « au cas où ».

La prospective est plus large. Elle vient d’un terme d’optique qui permet d’élargir la vision. Il s’agit de différents scénarios plausibles, plus ou moins probables mais dont aucun n’est certain. Ils forment des cadres de réflexion pour effectuer des prévisions plus concrètes dans des domaines particuliers. Cette « façon de regarder de loin » trace non pas une ligne véritable mais une tendance vraisemblable. Rien n’est écrit, rien n’est certain, mais certaines logiques sont déjà l’œuvre maintenant, qui peuvent se confirmer.

Ainsi le prospect est-il un probable futur client, la prospection explore les lieux où découvrir de possibles gisements, la prospective réunit historiens et sociologues pour proposer une évolution possible de notre société et de notre monde.

Si prédire n’est guère utile aux décideurs (sauf à agiter une croyance comme banderole pour se faire élire), prévoir est indispensable pour ne pas aller dans le mur (ainsi François Hollande et son « inversion » de la courbe du chômage), et la prospective manque cruellement (dans ce monde de court-terme et de zapping médiatique permanent).

  • N’importe quel gourou autoproclamé peut prédire les cours de bourse en n’ayant raison que par hasard (Paul Jorion aime par exemple à se faire le prophète annoncé de la grande catastrophe financière imminente et nombreux sont ceux qui le trouvent génial parce qu’il leur dit seulement ce qu’ils ont envie d’entendre… bien qu’il se trompe régulièrement depuis 8 ans !)
  • N’importe quel gérant peut évaluer les probabilités plus réalistes qu’à un cycle en succède un autre, en se fondant sur les statistiques de cours passées mais aussi sur la psychologie de marché (la période novembre-avril est propice à la monté des cours de bourse, la période mai-octobre est au contraire plus agitée).
  • Mais il faut faire l’effort d’investir du temps, de la réflexion et des échanges pour bâtir une prospective qui se tienne. Sa logique est en partie contenue dans les tendances à l’œuvre dès aujourd’hui, mais les réactions, inventions, découvertes et mutations restent ouvertes dans le futur.

Quittez donc le monde de la « croyance » pour celui de la raison, vous vous en porterez mieux, en bourse comme en politique, et même pour votre confort mental.

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Gagner en bourse

Bernard Madoff avait tout compris de la bourse lorsqu’il a monté son escroquerie de… 50 milliards de $. La technique est classique : rembourser les sortants par les capitaux des entrants. Mais la technique n’est rien sans l’entregent. Or, (presque) tout en bourse est de la poudre aux yeux : des annonces d’entreprises aux chiffres du bilan, des supputations des analystes aux engouements de marché, des déclarations de traders à la presse aux spéculations. Tout (ou presque) ressort du mimétisme, du m’as-tu-vu, du concours de beauté. Ce que Madoff, ex-maître nageur des plages chics, avait acquis à la perfection.

Pour les (vrais) gérants – qui sont long terme – c’est le « presque » qui importe. Pas l’esbroufe des gourous de la finance, ni les émotions médiatiques soigneusement calculées. Le « presque », c’est ce que considère Warren Buffet de l’entreprise qu’il achète : quoi ? où ? comment ? S’il ne comprend pas le métier c’est que le métier n’est pas indispensable au grand public. Si l’usine de production est située loin des centres nerveux de communication, d’accès à l’énergie, et des consommateurs visés, cela coûtera trop cher de produire. Si les dirigeants ne pensent qu’à leur cours de bourse, à leurs stock-options et à leur voiture de fonction, l’entreprise ira dans le mur.

Longtemps nous avons gérés en suiveurs, il est temps de reprendre de la hauteur. Les gérants valeur (value) peuvent rebâtir un processus qui tienne sur le long terme.

vals market paris rue st jacques

Il est dommage de constater que nous ne sommes pas du tout dans une société qui favorise le long terme. Plutôt que le texte qui induit réflexion, elle favorise l’image qui provoque l’émotion. Plutôt que laisser mûrir les débats, les technologies, les enfants, elle précipite toute le monde dans le tout-tout-de-suite. Plutôt que de fixer des règles longuement négociées, contrôlées par des contrepouvoirs, elle s’agite et centralise.

Le scandale Madoff devrait faire réfléchir ceux qui croient mordicus que, hors du contrôle d’État, point de salut. C’est oublier un peu vite la faillite récurrente des administrations dès qu’il s’agit d’anticiper : le nuage de Tchernobyl qui s’arrête miraculeusement sur la ligne bleue des Vosges, la vache folle qu’une armée de techniciens contrôleurs n’a pas su empêcher d’arriver sur les étals, la banque nationalisée du Crédit Lyonnais (gérée par un énarque) qui a perdu l’argent des contribuables durant des années dans des fantasmes d’Hollywood, les déboires à répétition de Natixis, l’aveuglement de la SEC (l’Autorité des Marchés Financiers américaine) sur le fonds LTCM en 1998, sur la société de gestion Madoff en 2008, sur les fraudes de Lehman Brothers, sur le Libor, l’aveuglement complice des frasques du trader Kerviel dans une Société générale impérieuse et sûre d’elle-même…

Mais une société qui vieillit a besoin de long terme. Qui va payer les retraites et comment ? Qui va financer et développer le système de santé indispensable ? Qui va assurer les conditions d’une croissance durable ? Ce n’est ni la démagogie, ni l’émotion médiatique, ni l’enflure de la législation…

Ce sont des entrepreneurs motivés, œuvrant sur le long terme, et soutenus par des banques avisées et des règles (notamment fiscales) qui ne changent pas tous les matins. Ce sont des media qui offrent autre chose que la dilution des dépêches d’agence ou le conditionnel des supputations vaines. Ce sont des parlementaires qui arrêtent de jouer à leurs petits jeux politiciens, refusant le plan de crise pour faire gagner un Républicain aux États-Unis, refusant la loi Macron de simplification en France, obstruant les débats et ridiculisant la démocratie en ajoutant amendement sur amendement, sans aucun rapport avec le sujet débattu.

La crise, c’est grave. Le chômage est la première préoccupation des Français – pas le mariage « pour tous » ni les hochets symboliques agités par le pouvoir. La démocratie s’est écroulée presque partout dans les années 30 : jouer avec est irresponsable.

Et ce n’est pas « le libéralisme » qui est responsable, du moins pas l’espèce de poupée vaudou fabriquée par les impuissants du politique comme bouc émissaire commode de leurs échecs à répétition.

L’une des rares banques à avoir échappé à la séduction Madoff est la banque privée Bordier en Suisse. Et comment ? Simplement parce qu’elle a installé des règles, négociées par tous en interne, et des contrepouvoirs pour les faire respecter. Très exactement ce que prônait Montesquieu, l’un des premiers libéraux français. A se réjouir de piquer une poupée imaginaire, on en vient vite à quitter la réalité pour le doudou…

La bourse vit d’anticipations. Qui sont réalisées sur le court terme moins par étude ou réflexion personnelle que calquées sur les émotions des autres. Pour gagner en bourse, il est nécessaire de quitter le court terme, les émotions médiatiques et les manipulations à la seconde des traders ou des algorithmes automatiques. Investissez long terme sur un raisonnement de fond !

Retenez la leçon de Madoff, maître ès nage : ne brassez plus, faites la planche !

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Visite guidée de La Havane

La nuit a été bruyante à cause des fêtards locaux. Le ballet aquatique de la piscine s’est terminé tôt mais la musique a continué tard, sans guère baisser le son. La chambre d’à côté est restée silencieuse, sans doute parce que nos musiciens sont sortis en boite et sont rentrés très tard. Au matin le ciel est lumineux mais couvert. Le petit vent qui souffle de la mer n’est pas chaud. Nous ne nous sentons plus à Cuba mais dans une ville du nord.

che guevara la havane

Le bus nous mène au centre. Une queue se traîne devant une boulangerie. La baguette coûte 10 pesos. Chaque personne est rationnée à une baguette par jour, en plus des petits pains chimiques vendus 4 pesos. Sergio a repris le micro et répond ainsi à une question – pour une fois pas trop jobarde – des filles devant. Arrêt minime Place de la Révolution. Un gigantesque portrait de Che Guevara orne en barres d’acier un immeuble. Fidel Castro a coulé un bronze en 1995 en souvenir de son copain aventurier « homme qui agit comme il pense » (lettre du Che à ses enfants). Ce coulage merdique est-il un « acte manqué » ? Le bâtiment est l’ancien Ministère de l’Économie que Guevara a occupé de 1962 à 1967. Il est transformé aujourd’hui en Ministère de l’Intérieur : ce glissement (aussi intestinal) est lui aussi tout un programme…

la havane fille a vendre

Le bus nous rapproche de la mer. Nous faisons une pause pour voir l’hôtel Nacional, affublé de deux clochetons comme une église renaissance. Il est centre de congrès et possède des « suites présidentielles ».

la havane clochetons hotel nacional

Il a été bâti en 1930 pour des cosmopolites qui cherchaient le luxe dans l’exotisme, notamment des Américains qui venaient faire une cure de rhum, interdit chez eux par l’hypocrite Prohibition. Cuba est toujours apparue comme l’île des transgressions, à 180 km des côtes de Floride. Aujourd’hui encore, le ricain y vient pour l’amour interdit avec des mineurs, filles accortes de quinze ans ou moins et jolis écoliers dorés descendants d’esclaves. Sous la réprobation internationale, Castro a mis le holà, mais doucement. Après tout, il est de tradition, à Cuba, que chacun soit libre de son corps dès la puberté – et le puritanisme est un impérialisme américain de plus. Je ne consomme pas, n’en ai pas le goût, surtout pour des enfants ou de jeunes adolescentes que je préfère protéger et aider à grandir – se prostituer très jeune a de graves conséquences sur l’image de soi et la sexualité adulte – mais je constate le fait. Il ne sert à rien de se voiler la face. Le hall de l’hôtel, où passent tant de personnes affairées, est décoré sévillan.

gamin cubain torse nu

Nous poursuivons par le jardin qui fait face à la mer. Des langoustes sont sculptées sur les arcades, leurs dix pattes bien étalées comme des palmes. Ce jardin, qui domine la route du Malecon, était une batterie qui défendait la ville. Deux canons de la batterie espagnole ont tirés sur l’USS Montgomery durant le blocus de 1898, à 9000 yards, comme l’indique une plaque vissée sur l’affût. Restent aujourd’hui le canon Krupp de 280 mm et le canon Ordoñez de 305 mm.

De l’autre côté de la voie rapide, un juvénile au pantalon moutarde du secondaire, se laisse doucher par les embruns qui explosent sur le parapet du Malecon. Ce front de mer s’étale sur 8 km et a été construit en cinq tronçons successifs, de 1902 à 1958. Au départ, il protégeait la ville des raz-de-marée provoqués par les cyclones et ce sont les militaires américains qui ont bâti le premier tronçon. C’est de là aussi que 35 000 Cubains ont décidé de gagner la Floride sur leurs balsos, les radeaux de fortune, quand Fidel Castro a décidé de les laisser faire en 1994, au début de la « période économique spéciale » où Cuba venait de perdre ses frères communistes.

Le bus nous mène au pied de l’ancienne Bourse de commerce, place de San Francisco, pour visiter à pied la vieille ville. La Bourse est un immeuble dans le goût bourgeois de 1909, d’un classique trop chargé, à l’image des esprits de l’époque (relisez l’enfance de Proust !). Le bâtiment a été restauré en 1990 par les premiers capitaux étrangers autorisés à s’investir à Cuba depuis la révolution ! Devant le parvis de l’église de San Francisco de Asis pose une belle cubaine en robe de mariage rouge vif, entourée de calèches tirée par des chevaux lustrés et de pigeons. Un photographe de mode officie en prenant des mines d’artiste hypersensible qui me font discrètement sourire. Mais la femme est belle et je profite de l’occasion pour capter son image. Les pigeons blancs sont comme sa virginité qui s’envole. Le portail de l’église donne sur une rue étroite que nous empruntons. Le groupe est agglutiné autour de Sergio qui pérore plus que jamais et j’ai failli heurter une sorte de grand paysan planté là. C’était en fait une statue de bronze immobile !

la havane mariage parvis san francisco de asis

Nous longeons les façades coloniales aux styles éclectiques dus à la même inspiration baroque sud-américaine : couleurs pastel, fioritures stuquées, balcons et grilles forgées aux fenêtres, colonnades et arcades. Arabesques de fer, géométrie des bois, patios profonds, la ville a un certain charme andalou. La Havane a été fondée en 1519 autour du port et n’est devenue capitale qu’en 1607. Sous la menace constante des corsaires, elle se dote de remparts à partir de 1674 mais ce n’est que la fin de la piraterie, reconnue en 1697 par le traité de Ryswick, qui permet à la ville de se développer par le commerce et l’exportation de sucre, de rhum et de tabac. La bourgeoisie locale fait alors construire, fin 18ème, ces palais que nous longeons, à l’abri des remparts.

la havane baie pierre deschamps

Ces vieilles demeures, trop étroites, seront délaissées mi-19ème par les riches qui se feront construire des villas avec jardins dans un quartier plus en hauteur.

la havane facade coloniale

Elles seront transformées en immeubles de rapport où la population s’entasse, comme à Naples. Il n’y a que quelques années qu’un plan de réhabilitation a été entrepris, à vocation touristique – depuis que le quartier est devenu lui aussi Patrimoine Mondial de l’Unesco !

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Canal de Panama

Le pilote du Canal de Panama a apporté avec lui des souvenirs de Panama, des vrais, il n’y en aura pas pour tout le monde ! Ce sont des souvenirs « authentiques » de Panama, précipitez-vous sur le pont 10 de 7h30 à 14h. La station de contrôle du Canal avisera le Celebrity Infinity par radio de l’heure à laquelle nous entrerons dans le canal, en fonction du nombre de navires en instance. Le pilote est arrivé depuis 5h45. Et voilà le programme des réjouissances. Pour l’écluse Miraflores 7h45-9h05 ; pour l’écluse Pedro Miguel 9h35-10h25 ; navigation en Gamboa 11h25 ; écluse Gatun 13h50-16h05. Temps variables, distance jusqu’à Colon, 80 miles nautiques. La traversée totale du canal prend 9 heures.

CANAL DE PANAMA

Un peu d’histoire sur ce canal. Son concept date du début du 16ème siècle quand le roi Charles d’Espagne avait commandé une étude pour trouver un chemin maritime plus rapide avec le Pérou et l’Équateur. Les Européens étaient fort intéressés à découvrir des routes commerciales plus courtes et plus rapides. Le chemin de fer du Panama a été ouvert dans les années 1850. En 1880, le creusement du canal commença sous l’impulsion du Français Ferdinand de Lesseps grâce à une levée de fonds géante à la Bourse de Paris. Les maladies, paludisme, fièvre jaune ont eu raison des premiers travaux. On estime à 27 500 le nombre d’ouvriers qui périrent pendant cette construction. Le travail fut terminé, après l’échec de cette tentative, par les États-Unis sous la direction de G.W. Goethals et le canal ouvrit en 1914. Les Américains pensaient à un canal au Nicaragua, projet actuellement mis en œuvre par les… Chinois ! En 1903, Panama indépendant accorda aux USA un contrôle controversé de 99 ans pour construire et administrer le canal. En 1977, un accord rendit le canal au Panama à la fin de 1999.

panama canal ecluses

Les écluses sont spectaculaires, larges de 33,53m et comportent une longueur utilisable de 304,8m. La profondeur varie mais est de 12,55m minimum dans la partie sud des écluses Pedro Miguel. Les écluses vont par paires. Chaque chambre est remplie avec 101 000 m3 d’eau qui entre par un réseau de conduites sous chaque chambre. Les navires sont tractés par les « mulas » petites locomotives sur rails circulant sur les murs des écluses. Les bateaux ayant la plus grande taille admise dans le canal sont désignés par l’appellation « Panamax » mais un nombre croissant de navires dépassent cette taille et sont appelés « post-Panamax ». L’avenir passe par des travaux d’élargissement lancés en 2007. Ce seront deux nouveaux jeux d’écluses : une à l’est des écluses de Gatún en place, l’autre au sud-ouest des écluses de Miraflorès, chacune desservie par un canal d’approche.

panama canal les mules

Actuellement, si l’on vient du Pacifique, à partir des bouées qui marquent l’entrée du golfe de Panama, les navires parcourent 13,2 km jusqu’aux écluses de Miraflores en passant sous le pont des Amériques. Le système des écluses de Miraflores fait 1,7 km de long avec un dénivelé de 16,5m à mi-marée. Ensuite le navire entre dans le lac artificiel de Miraflores qui fait 1,7km et se trouve à 16,5m au-dessus du niveau de la mer. L’écluse de Pedro Miguel est la dernière partie de la montée sur 1,4 km avec un dénivelé de 9,5m. La coupe Gaillard fait 12,6km de long à une altitude de 26m et passe sous le pont du Centenaire. Le Rio Chagres, cours d’eau naturel est amélioré par un barrage sur le lac Gatún, il parcourt 8,5km vers l’ouest pour se jeter dans le lac Gatún. Le lac Gatún est un lac artificiel formé par le barrage Gatún, emprunté par les navires sur 24,2km. Les écluses de Gatun comportent 3 étapes sur 1,9km de longueur et ramènent les navires au niveau de la mer. Un canal de 3,2km mène côté Atlantique. Le Bahia Limon (la baie citron) est un immense port naturel qui procure un mouillage pour les navires en attente de transit et fait 8,7km jusqu’à la digue extérieure. Le transit total est de 76,9km.

panama canal pousseurs

Je ne possède pas de données récentes pour vous parler argent. Sachez cependant que les plus petits navires en fonction de leur longueur paient des taxes qui, en 2006, allaient de 500 $ (longueur inférieure à 15m) à 1500 $ (supérieure à 30m). Pour les porte-conteneurs, les droits dépendent du nombre d’EVP. Par exemple, au 1er mai 2007, 54 $ par conteneur, en sachant qu’un porte-conteneur Panamax peut en transporter jusqu’à 4 000. La taxe la plus élevée aurait été payée le 30 mai 2006 par le porte-conteneur Maersk Dellys pour 249 165 $ ; la moins élevée par l’aventurier américain Richard Halliburton parcourant le canal à la nage en 1928 pour 36 cents. La moyenne est de 54 000 $.

panama canal pont du centenaire

Un nouveau projet d’envergure est entamé. On apercevait du bateau les engins de chantier, les grues au travail. Deux nouveaux jeux d’écluses : une à l’est des écluses de Gatun en place, l’autre au sud-ouest des écluses de Miraflores, chacune desservie par un canal d’approche. Les nouvelles écluses comporteront des portes coulissantes, doublées par sécurité, et seront longues de 427m, larges de 55m et profondes de 18m, permettant le transit de navires larges de 49m, d’une longueur de 386m et d’un tirant d’eau de 15m, ce qui correspond à un porte-conteneurs de 12 000 EVP.

panama canal travaux agrandissement

Les Chinois sont au Nicaragua pour construire un canal encore plus gigantesque afin d’y faire passer des bateaux « Valemax » de 18 000 EVP et jusqu’à 400 000 tonnes. Le Nicaragua a lancé les travaux de son canal controversé avec l’ambition de concurrencer celui de Panama. Le pays persiste dans son choix, malgré les doutes sur ce projet mené par un groupe chinois et critiqué par la population pour son impact écologique. Ce chantier pharaonique, est estimé à 50 milliards de dollars (cinq fois le PIB du pays) est le projet le plus ambitieux d’Amérique latine. Longueur du canal : 278 km (trois fois plus que celui de Panama), profondeur : 30 m, largeur : entre 200 et 500 m, nombre d’écluses : 12, durée de la construction : 5 ans, nombre de travailleurs : 50 000. Les risques environnementaux : proximité du volcan Conception, le lac Cocibolca (8 264 km2) est la principale réserve d’eau douce d’Amérique centrale. Il y aurait une possible salinisation et détérioration de la qualité de l’eau, 80 000 personnes boivent l’eau du lac et c’est aussi l’habitat naturel de 40 espèces de poissons…

Hiata de Tahiti

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Dans deux ans 2017

Deux ans est court en économie et long en politique. Les tendances à l’œuvre aujourd’hui en économie ne se redresseront pas d’ici deux ans tant la machine productive est comme un tanker, lente à virer. Mais la politique réserve toujours des surprises et tout dépendra d’ici là des candidats en lice à la prochaine présidentielle. Pour le moment, nul n’en sait rien : François Hollande peut renoncer officieusement en raison du chômage (comme il l’a dit un jour – peut-être pour faire diversion), ou être débarqué par la primaire socialiste… Nicolas Sarkozy peut être rattrapé par les affaires, ou être convaincu de laisser la place lors des primaires UMP.

Il est donc trop tôt pour faire des pronostics, les sondages d’intention récents CSA/RTL et Odoxa/Le Parisien ne montrent que des « intentions » virtuelles, pas des raisons impératives. Les électeurs s’adaptent aux sondeurs, ils manifestent plus facilement leur colère ou leur désir lorsque la réponse qu’ils font ne les engage pas. Mettre un bulletin dans l’urne, c’est autre chose !

Mais les tendances sont à observer dès maintenant car les tendances demeurent; elles ont leur inertie. Ce que disent les sondés est qu’ils veulent « changer » : de politique, d’immobilisme réglementaire qui inhibe l’économie, d’égoïsmes corporatistes. En bref changer de méthode, donc de personnel politique. Avec les partisans de Marine Le Pen et de Nicolas Dupont-Aignan, ce sont près d’un tiers des électeurs qui veulent donner un bon coup de pied dans la fourmilière. Un vrai coup de barre à droite qui contamine tous les partis.

La victoire de Syriza en Grèce et les espoirs de Podemos en Espagne ne se traduisent pas en France par un engouement vers Mélenchon ou Duflot, loin de là ! C’est au contraire tout le corps social français qui glisse un peu plus vers la droite, à l’image des pays du nord plus que des pays du sud. D’autant que Syriza s’est allié à un petit parti, mais d’extrême droite, les Grecs indépendants… La simple comparaison des intentions de vote en France pour François Bayrou (8 à 11%) ou pour Jean-Luc Mélenchon (9 à 11%), comparés à ceux pour Marine Le Pen (29 à 33%) le prouve : le droitisme est populaire, vient du peuple. Duflot apparaît trop ado immature, intello petite-bourgeoise arriviste, pour compter comme alternative dans le débat national, ou même comme « alliée » utile d’une gauche crédible (2 à 3%).

intentions de vote presidentielles 2017 1er tour csa 2015 01

Les effets des attentats contre Charlie-Hebdo recentrent le débat public sur la sécurité, la discipline scolaire et le communautarisme : tout ce qui – par laisser-aller « cool et sympa » – a sapé lentement les valeurs communes au peuple français. Si 4 millions de personnes ont marché pour « la liberté », elles ont aussi marché pour « l’égalité » – laissant la « fraternité » en dernière étape – à ceux seuls qui s’assimilent et veulent vivre comme des Français en France. Semblent désormais passés de mode l’irénisme bobo (tout va bien et tout le monde il est beau… dans nos beaux quartiers), la doxa Bisounours des journaux de centre-gauche qui tortillent du cul et cherchent tous les échappatoires possibles dès qu’il s’agit de faire respecter la loi (considérée comme « anti-hédoniste » voire « colonialiste »), le déni de la plus grande part de la gauche qu’il existe de vrais problèmes avec la seule immigration musulmane (1% de la population en plus à chaque décennie depuis 1990), l’islam comme religion laissée à l’anarchie des capitaux étrangers, les banlieues ghetto où l’école publique constamment démissionne. Le Premier ministre a même parlé « d’apartheid » (trop grand mot mais qui fait prendre conscience par son choc à gauche) pour désigner ces zones où le consensus social veut parquer l’illettrisme des sans-qualifications, les familles trop nombreuses qui ne vivent que d’aides, le chômage qui conduit aux trafics.

Tous les chiffres de la moyenne nationale doivent être multipliés par deux dès que l’on observe les banlieues : deux fois plus de sans-diplômes (dans les 40%), deux fois plus de chômeurs adultes (autour de 25%), deux fois plus de jeunes sans travail ni stage (près de 45%), deux fois plus de condamnations pénales… Dès qu’un jeune veut s’en sortir, il faut qu’il sorte de ces ghettos où est encouragé le non-travail, l’affiliation à une bande, la mise au pas des filles et l’enrichissement délinquant. Gilles Kepel, coordinateur d’une étude sociologique publiée dans Passion française – les voix des cités, s’est vu refuser un compte-rendu du livre par Le Monde, quotidien du politiquement correct : ce que montrait l’étude ne cadrait pas avec le tout-va-bien de la ligne bobo. Gilles Kepel le dénonce lui-même publiquement sur France Culture. Ce temps-là du déni serait-il enfin derrière nous ? S’il ne l’est pas encore dans les têtes intellos, le populo fera irruption violemment dans la réalité politique en votant pour « les méchants ».

integration des etrangers en france 2015 01 odoxa

Le Premier ministre Manuel Valls, conscient de cette tendance, a pris en remorque le Président Hollande pour assurer la fermeté durant la crise. Mais le regain de popularité récemment induit n’est pas durable : outre le chômage, déterminant majeur des votes en général, l’encouragement au communautarisme féministe, gai, lesbien, bi, trans et autres, l’allégeance à la repentance coloniale et pétainiste, la culture scolaire de l’excuse et la victimisation sociale de celles et ceux qui ne manifestent pas un respect particulier pour les codes communs – laissent une trace profonde dans l’esprit des électeurs. Surtout ceux qui ont peu fait d’études – mais qui votent à voix égales. François Hollande est un élève de Mitterrand, en moins habile : il pratique une économie de droite et un affichage de gauche, les mœurs ne coûtant rien au budget – et tant pis si le consensus social s’en trouve fracturé et la société française un peu plus clivée.

Si les Lumières ont rendu libre des appartenances déterminées (génétiques, familiales, éducatives, sociales, tribales, nationales), la gauche bobo réaliène en enfermant chacun dans d’étroites catégories, objet de « droits » particuliers. L’égalité n’est pas respectée, certains sont « plus égaux que les autres » comme le raillait Coluche. Ne saurait-il par exemple y avoir de « racisme » mais tout au plus « un mauvais usage du vocabulaire » lorsque c’est une personne de couleur qui insulte ? Et si cette phrase vous « choque », c’est que vous n’avez pas encore compris que le respect de la loi exige qu’elle soit appliquée également à tout le monde ; seul le juge peut nuancer l’égalité en équité en fonction de circonstances atténuantes. Faut-il reconnaître implicitement le blasphème, bien qu’il ne soit plus dans la loi depuis la Révolution, ni dans les mœurs depuis la séparation de l’Église et de l’État en 1905, si cela choque certaines catégories de victimes du passé ? En ce cas, pourquoi faire la distinction entre le souvenir douloureux de la Shoah et celui de la colonisation ? Y aurait-il des « martyrs » plus égaux que les autres ? Si la moquerie est une référence culturelle bien française, pourquoi ne pas se moquer également du malheur des uns comme de celui des autres ? Y aurait-il des tabous inavoués ? De même, la « liberté d’expression » tant vantée par le pouvoir s’arrête très vite lorsqu’il s’agit du pouvoir… Certains politiciens en vue échappent « naturellement » à la fiscalité commune, ou au respect de la législation électorale ; certains footeux ou mannequins célèbres échappent « évidemment » à l’impôt en vivant fictivement hors sol 6 mois + 1 jour par an (il suffit de composter des billets de TGV sans prendre les trains).

Je sais bien que ces questions ne sont ni politiquement correctes, ni peut-être fondées en droit lorsque l’on examine les cas particuliers – mais j’observe que ce sont celles qui travaillent les moins éduqués et que les intellos comme les politiciens doivent y répondre, avec pédagogie, sous peine d’être disqualifiés dans les urnes. Une partie éclairée de la gauche, emmenée par Manuel Valls, a pris le virage sécuritaire de la fermeté républicaine : n’est-ce pas une prise de conscience brutale de ce que réclament les lepénistes (et la classe populaire) depuis des années ? Alors que Mélenchon et Duflot veulent ouvrir tout grand les frontières, on voit très bien que les électeurs ne veulent pas les suivre.

L’avantage de François Hollande en 2017 sera qu’il aura effectué un mandat et pourra (peut-être) plaider pour la réalisation de son programme initial, qui prend plus de temps que prévu : après l’austérité (nécessaire), les progrès sociaux (en second mandat). Son handicap est qu’il utilise le mensonge trop souvent pour être cru encore (+ 572 500 chômeurs depuis son arrivée au pouvoir en mai 2012…), que sa vie privée est plus chaotique que celle qu’il reprochait à son prédécesseur, que nombre de femmes ne lui pardonneront jamais d’avoir largué Trierweiler par un simple « communiqué de l’Élysée », et que sa personnalité offre une image inconsistante, entre hésitations permanentes et synthèse par dépit, ce qui mécontente tout le monde. En témoigne son « score » virtuel CSA/Le Parisien : 51% contre Marine Le Pen… soit l’épaisseur du trait (ou deux fois la marge d’erreur).

L’inconvénient de Nicolas Sarkozy est qu’il a été président et qu’il n’a pas convaincu, faute de réaliser les réformes indispensables ou promises, et que sa personnalité touche-à-tout et agitée agace encore deux ans après – sans parler de quelques « affaires » toujours en cours… Son avantage est qu’il a été déjà président et qu’il peut aisément convaincre qu’il avait raison, en 2012, d’avoir droitisé son discours, et qu’il ne refera pas l’erreur de temporiser sur les réformes de fond. Grand débateur et apte à rallier derrière lui (ce qu’il doit encore prouver), il peut tailler des croupières à la gauche… mais peut-être pas aux lepénistes. Dans le Doubs, abstient-toi ! pourrait être la redoutable leçon des tendances à l’œuvre. Surtout que son parti vient de désavouer sa ligne non-peut-être par la ligne traditionnelle ni-ni : ne fait pas « la synthèse » qui veut…

Alain Juppé commence à prendre de l’âge et, s’il est rassurant, il est aussi perçu comme rigide – sans vrai programme pour le moment et un peu du passé. C’est le cas aussi pour Martine Aubry, qui irait si Hollande n’y va pas, mais qui est bien « rigide » et bien « de gauche ancienne mode » pour un électorat qui se pousse progressivement vers la droite.

François Fillon a été fusillé par le machiavélisme hollandais qui a laissé « fuiter » une conversation privée avec l’ineffable Jouyet (toujours entre deux chaises). Mais François Fillon a-t-il vraiment envie d’être président ? Ses prises de bec avec Copé, ses prises de positions floues, tardives ou inexistantes sur les grands sujets qui intéressent les Français, l’ont déjà plus ou moins disqualifié pour le poste.

Manuel Valls et Bruno Le Maire sont encore jeunes pour briguer le mandat suprême. Le premier ne peut se présenter contre son président si celui-ci est candidat – à moins que les primaires n’en décident autrement, ce qui paraît peu probable tant les Français révèrent l’autorité légitime (à l’inverse des Européens du nord). Le second garde une image trop technocrate encore, avec trop peu d’expérience et trop peu d’alliés de poids, même s’il avance dans l’opinion.

Mais d’ici deux ans peuvent se passer beaucoup de choses. L’euro, notamment, n’est plus intangible. Je ne crois guère à un éclatement de la monnaie unique (si la Grèce sort, serait-ce si grave ?). Si l’euro devait chuter encore, contre dollar surtout, il y aurait probablement une reprise de la croissance – mais qui profiterait aux entreprises, les exportatrices d’abord, pas aux ménages. Au contraire, ceux-ci verraient leur facture énergétique augmenter largement (essence et gaz), de même que les entreprises lourdement consommatrices d’énergie (automobile, chimie). L’Allemagne profiterait plus que la France d’un euro faible… D’autant que les prêteurs exigeraient des taux de rémunération plus élevés pour compenser la perte sur l’euro : l’État français, entre autre, ne pourrait plus emprunter à si bon compte et serait obligé de remettre le pied sur le frein des dépenses publiques – ce qui n’arrangerait pas la croissance. La bourse monterait, ce qui accentuerait les inégalités entre les 3.7 millions de Français qui ont quelques actions (contre 8 millions en 2007) et ceux qui restent scotchés au fameux Livret A ou aux contrats d’assurance-vie en euro. Nul doute que ces effets accentueraient les tropismes des votants : anti-Hollande, dubitatifs envers l’UMP, ignorant le centre, et portés aux extrémismes… surtout de droite.

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